SESSION JUIN 2023
Mina BORELLI
EJE PROMOTION 2020-2023
DIPLOME D'ETAT D'EDUCATEUR DE JEUNES
ENFANTS
Domaine de compétences 1 - Bloc 2 :
Accueil et accompagnement du jeune enfant et de sa
famille
MEMOIRE DE PRATIQUE PROFESSIONNELLE
« L'apprentissage du langage et le bilinguisme
précoce chez les jeunes enfants au sein des familles
migrantes »
|
REMERCIEMENTS
Pour l'écriture de cet écrit de recherche, je
tiens à remercier le formateur
guidant qui m'a conseillé dans
ce processus.
Merci aux professionnels interrogés lors de
l'enquête et qui m'ont permis de développer mes
réflexions.
Je tiens à remercier l'équipe éducative de
l'Accueil Mère-Enfant dans lequel
j'ai réalisé mon
stage pour leur implication, leur confiance et leur soutien
dans le
processus de professionnalisation et de formation qui a été le
mien.
Tout comme les familles de l'AME que j'ai rencontrées, qui
m'ont fait
confiance dans les échanges et ce qu'elles m'ont
montré de leur intimité.
J'ai à coeur de remercier la promotion des apprenantes
éducateur de jeunes
enfants 2020-2023 et l'importance de la
solidarité et de la cohésion qui ont
existés entre nous
durant cette formation et sans lesquels le parcours aurait
été
plus difficile.
Merci à mes proches pour leurs conseils et leurs
relectures.
Sommaire
PHASE I : INTRODUCTION AU SUJET 1
I. Cadre d'intervention : l'Accueil Mère-Enfant 2
II. Les situations de terrains à la base du
questionnement 3
III. Cheminement de ma recherche 6
PARTIE II : LA PHASE EXPLORATOIRE 7
I. Tour d'horizon des notions abordées 7
II. L'immigration et les familles migrantes, en France 8
1. Chiffres 9
2. Rapide historique de l'immigration en France 9
3. Intégration des populations en France et importance
portée à la langue 10
III. Le langage et son apprentissage par le jeune enfant 11
1. Les théories de l'acquisition du langage par l'enfant
12
2. Le développement du langage chez le jeune enfant et
les développements associés13
IV. Langage et parentalité dans le cadre de familles
bilingues et issues de
l'immigration 16
1. La parentalité au sein de l'immigration 16
2. Les enjeux autour du contexte familial bilingue, dans le
cadre de la migration 18
3. Bilinguisme précoce durant la petite enfance 19
4. Le phénomène du bain langagier au sein des
familles bilingues 20
5. L'observation du bilinguisme sur le développement
langagier de l'enfant 22
V. En conclusion de la phase exploratoire ... 23
PARTIE III : L'ENQUÊTE DE TERRAIN 24
I. Exposition de la problématique et des hypothèses
de départ 24
1. Les outils d'enquête et les
destinataires 24
A- Questionnaire en direction des professionnels travaillant en
EAJE 24
B- Entretiens avec une professionnelle spécialisée
dans l'interculturalité 25
C- Observation des familles accueillies à l'AME 26
II. Résultats de l'enquête 26
1. Données recueillies auprès des professionnels
26
2. Données recueillies par l'observation des familles
29
III. Analyse globale des données recueillies et
réponse à la problématique 31
PHASE IV : POSITIONNEMENT PROFESSIONNEL 34
I. En direction des enfants bilingues, 34
II. En direction des familles bilingues et issues de
l'immigration, 36
III. Et en direction des professionnels du champ social et de la
petite enfance 38
PARTIE V : CONCLUSION 43
BIBLIOGRAPHIE 46
ANNEXES 49
Annexe 1 : Questionnaire en direction des professionnels en EAJE
49
Annexe 2 : Guide d'entretien complété avec
l'éducatrice spécialisée, formée à
l'interculturalité (A fait référence
à l'éducatrice, et M à moi). 52
Annexe 3 : observations des familles à l'AME
concernant l'utilisation des langues
premières et secondes entre mère et enfant 56
Annexe 4 : Partie sur le développement langagier
du tableau d'observation du
développement du jeune enfant de 1 à 36 mois,
utilisé à l'AME. 58
1
PHASE I : INTRODUCTION AU SUJET
Je m'appelle Mina BORELLI et je suis actuellement en formation
pour le Diplôme d'Etat d'Educateur de Jeunes Enfants. Lors de celle-ci,
j'ai réalisé des stages en EAJE (Etablissement d'Accueil du Jeune
Enfant) et je fais actuellement le stage à responsabilité de
cette formation dans un service de protection de l'enfance d'Accueil
Mère-Enfant (AME). Par cet écrit, je vous présenterais ma
démarche de recherche en lien avec la pratique professionnel EJE,
correspondant au Domaine de Compétences 1 de la formation : «
Accueil et accompagnement du jeune enfant et de sa famille ». Durant ces
expériences en terrain professionnel, j'ai rencontré
différentes situations de familles qui m'ont questionnée dans ma
pratique EJE et dans les accompagnements réalisés auprès
des enfants et des familles.
Dans le cadre de cet écrit de recherche, je me
pencherais sur l'accompagnement des enfants à l'entrée au
langage, en liant cet apprentissage à des situations
d'interculturalité et de bilinguisme rencontrées chez les
familles issues d'un parcours migratoire. Lors de mes stages, j'ai
participé à l'accompagnement de plusieurs familles où se
rencontrait différentes cultures et langages. C'est à l'Accueil
Mère-Enfant que j'ai rencontré la majorité de ces
familles, où la première langue de la mère et donc de
l'enfant, est différente de celle de l'environnement ou de la
société. Bien que les structures (EAJE et AME) et leurs missions
soient très différentes, les missions de l'EJE auprès des
familles restent de veiller et d'accompagner le développement de
l'enfant, assurer le soutien à la parentalité. Une mission
spécifique de l'Accueil Mère-Enfant est d'observer et
d'évaluer le lien mère-enfant.
Pour aborder ce sujet, je commencerai par vous
présenter le cadre d'intervention de l'Accueil Mère-Enfant, puis
les situations de terrains à la base de ma réflexion. Dans un
deuxième temps, nous aborderons d'un point de vue théorique les
notions de langage, du bilinguisme et de la parentalité dans le contexte
de l'immigration. Après cela, nous pourrons aborder l'enquête, ses
outils et leur analyse. Nous finirons en venant dégager le
positionnement professionnel et les possibles pratiques en lien avec les
données et les réflexions amenées lors de cet
écrit.
2
I. Cadre d'intervention : l'Accueil Mère-Enfant
Un service d'Accueil Mère-Enfant (AME) est un service
de Protection de l'Enfance qui vise à l'accompagnement des femmes
enceintes ou des mères isolées avec des enfants de moins de trois
ans et qui rencontrent des difficultés dans l'éducation de leur
enfant ou au niveau matériel, administratives psychologique. Ces
services permettent une intervention précoce auprès des familles
les plus en difficultés.
L'AME m'accueillant en stage fait partie d'un Etablissement
Public Départemental Autonome (EPDA). Par la délégation
départementale, l'établissement est autonome dans sa gestion et
son financement est assuré par le département. Les services dont
l'AME sont réparti sur le territoire du département. L'AME est
situé dans une région frontalière, et dynamique par ses
activités (tourisme, industrie), ce qui en fait une zone
développée et aisée, mais aussi une zone d'arrivée
et de transit des populations en déplacement migratoire. Selon la
législation (article 221-2 du CASF), chaque département doit
avoir des services AME sur son territoire. Le cadre des AME et le public
accompagné sont définis par les dispositions législatives
du 5 mars 2009. La législation cadrant ces services est composée
des législations relatives à la protection de l'enfance, petite
enfance, famille (Convention Internationale des Droits de l'Enfant, 1989) et
droit commun (loi 2002-2). Notamment les principales lois de la Protection de
l'Enfance tel que l'ordonnance de 45 relatives à l'enfance
délinquantes et les lois du 5 mars 2007 et du 14 mars 2016
réformant la protection de l'enfance.
Le service d'AME est divisé en cinq sites
répartis sur le département. Les sites fonctionnent avec
l'hébergement des familles en habitat diffus (maison collective,
appelée collectif, appartements partagés avec plusieurs
familles et appartements individuels). Une équipe éducative
pluridisciplinaire, composée d'environ six éducateurs,
est présente sur chaque site. Le service peut accueillir sur les cinq
sites, 66 personnes, soit 33 familles, composées d'une mère et
d'un enfant. Le public présent actuellement dans la structure est
composé de femmes victimes de violences, certaines mineures, mais aussi
et principalement de femmes issues de l'immigration. Cette donnée
implique donc la rencontre de différentes cultures au sein de service :
entre les familles et entre professionnels et familles et donc le travail
autour de l'interculturalité. En 2007, une habilitation MECS (Maison des
Enfants à Caractère Sociale ) est accordée à
l'établissement départemental permettant à l'AME
d'accueillir des femmes mineures, ce qui fait sa particularité sur le
département. Un accueil peut aussi être demandé ou
imposé dans le cadre de mesures de protection de l'enfance
(administrative ou judiciaire) ou une mère mineure, enceinte ou avec
enfant, accueillie par l'ASE.
3
Les missions spécifiques à l'AME sont
l'observation et l'évaluation de la qualité du lien
mère-enfant ; le soutien à la parentalité et
l'autonomie et l'accès aux droits des femmes (Projet de service
de l'AME, 2022). L'accompagnement proposé est composé
d'un soutien à la parentalité, dans le lien mère-enfant et
dans le développement de l'enfant, dans l'objectif potentiel de «
faire famille », d'un soutien administratif, psychologique et/ou
matériel. Cet accompagnement est réalisé au quotidien
(temps de soins et de jeux, accompagnement au rendez-vous par
l'équipe...) et lors de temps plus formels (temps d'observation,
entretiens, ...).
II. Les situations de terrains à la base du
questionnement
Pour amorcer cette réflexion nous nous pencherons sur
les situations de deux familles bilingues rencontrées lors de mes stages
à l'AME et en EAJE. Ces observations symbolisent un questionnement plus
large sur la pratique professionnelle et qui sera abordé par la
suite.
Dans un premier temps, nous aborderons la situation d'une
famille accueillie à l'AME, celle de Kofi, né le 11 janvier 2019
et sa mère.
Madame est née en 2003 et est originaire de
Guinée. La famille de Madame appartient au peuple Soussou1.
Le Soussou est une des trois langues nationales de la Guinée, ainsi que
le Pular et le Malinké. C'est une langue qui s'écrit et se parle.
De par le passé colonial, presque la moitié des habitants de la
Guinée parlent et/ou savent écrire français. Le Soussou
est donc la langue maternelle de Madame, qui a ensuite appris le
français dans les institutions scolaires et lors de sa venue en France.
Ses parents sont venus en France dans les années 2000 et 2008, Madame
les rejoint en 2014 avec sa fratrie. Madame entretient une relation avec un
homme d'origine guinéenne, lui aussi Soussou, qui est le père de
son fils, Kofi. Kofi est né le 11 janvier 2019. Il a été
accueilli en crèche depuis ses trois mois et est maintenant
scolarisé en première année de maternelle. Un bon
développement global a été observé chez cet enfant
depuis le stade de nourrisson. La première langue de la famille est le
Soussou. Madame dit parler à Kofi en Soussou et qu'il comprend ce
langage. Des observations concordantes concernant le développement du
langage de Kofi ont été rapporté à sa mère
par les professionnels scolaires, de crèche et au sein de l'AME.
Celles-ci portent sur la compréhension par Kofi, notamment du
français ; les difficultés des adultes à comprendre
l'enfant ; le peu d'évolutions remarquées concernant le
développement de son vocabulaire,
1 Les Soussous sont un peuple présent en Afrique de
l'Ouest et principalement en Guinée, qui compte environ un million de
personnes.
4
de sa prononciation et de la construction de phrases. Un des
facteurs possibles envisagés au sein de l'équipe éducative
de l'AME était le contexte interculturel dans lequel baigne Kofi et la
possibilité d'un investissement plus fort de la langue de ses parents en
comparaison à la seconde langue dans la vie de l'enfant (le
français). Expliquant ainsi les difficultés des professionnels
à communiquer avec l'enfant. Ces observations ont été
sujet de discussions avec Madame qui dit ne pas remarquer cela chez son
fils.
OBSERVATION 1
Contexte : Madame se rend sur le collectif du service
pour un entretien hebdomadaire avec ses éducatrices
référentes. Elle vient avec son fils Kofi.
« Madame arrive au collectif avec son fils.
L'éducatrice, Camille et moi-même les accueillons et les saluons.
Une discussion s'installe entre nous. Kofi vient voir sa mère en faisant
des bruits de bouche et petits cris avec une seule syllabe et en sautillant. Il
pointe ses chaussures. Madame lui répond qu'il sait les enlever et que
c'est à lui de le faire. L'enfant s'assoit et enlève ses
chaussures. Nous continuons à parler avec Madame. Quand Kofi a
enlevé ses chaussures, il s'approche de nous et nous parle. Son discours
ne nous est pas compréhensible : il enchaîne différentes
syllabes sans que leurs associations ne correspondent à des mots que
nous connaissons. Il y met beaucoup d'intonations. Lorsqu'il s'arrête de
parler, je lui dis que je n'ai pas compris ce qu'il a dit. Il me regarde et
recommence à parler, puis tout en parlant, s'en va vers l'espace de jeu.
Nous questionnons sa mère sur nos difficultés à comprendre
Kofi dans ces moments et lui demandons si elle comprend son fils dans ces
moments-là. Elle nous répond que non, pas toujours. Nous lui
demandons si cela pourrait correspondre à des mots Soussou. Elle nous
dit que cela dépend. Puis elle lance un autre sujet de discussion.
»
OBSERVATION 2
Contexte : mardi 8 novembre 2022 - temps de jeux avec Kofi au
collectif du service.
« Kofi arrive de la crèche sur le collectif
avec les éducatrices Camille et Sylvie. Il dit « salut » et
s'exprime sans que nous ne puissions comprendre ou reconnaître des mots
que nous connaissions. Nous allons dans la salle du jeu près du bureau.
Il parle, nous pouvons reconnaître les mots « maman » et «
maison ». Nous répondons à ce que nous pensons être
des demandes pour voir sa mère et rentrer chez lui. Il ne nous regarde
pas, et part vers les jeux, comme s'il ne nous entendait pas. Il prend les jeux
sans s'attarder sur les objets, les regarde puis les repose. Nous passons un
temps à dessiner sur le tableau blanc. Se met en place une alternance
pour dessiner entre lui et moi. Il est acteur de cette alternance en disant
« à toi », « à moi ». Nous dessinons des
formes qu'il tente de refaire et que nous nommons. Il ne répète
pas toujours après moi, je continue à nommer les formes, puis les
couleurs. Il reconnaît le bleu, qu'il prononce « beu » et
appelle les
5
autres couleurs « rouge ». Il nomme aussi les
éléments du visage tel que « yeux », « bouche
», « nez » et les dessine. Il prononce des phrases en utilisant
les mots cités précédemment, différentes syllabes
parmi lesquelles je reconnais très peu de mots français. Je
comprends ce qu'il dit principalement grâce à l'intonation et par
les gestes qu'il fait. »
Lors de mes précédents stages, j'ai notamment
travaillé avec une petite fille, que nous nommerons Anna de 2 ans et
demi, rencontrée dans une structure petite crèche. La mère
de l'enfant était anglaise, et son père français.
L'anglais était la langue parlée à leur domicile. Avec
l'équipe, nous avons remarqué qu'Anna, lors de retours de
vacances parlait spontanément anglais. La mère disait qu'Anna
avait besoin d'un nouveau temps pour réutiliser le français
comme elle savait le faire. C'était une enfant plus expressive
(mimique, intonation de la voix) lorsqu'elle s'exprimait en anglais, que
lorsqu'elle s'exprimait en français.
OBSERVATION 3 :
Contexte : temps de jeu avec Anna, autour d'un livre
d'histoire sur les animaux de la savane.
« Pendant que nous lisons le livre, je propose
à l'enfant de nommer les animaux dessinés. Je pointe le lion,
qu'elle nomme « lion » (prononciation anglaise). Puis le
zèbre, qu'elle nomme « zebra ». Je répète
après elle, surprise. Elle me fait un sourire. Je dis en la
félicitant que c'est le mot anglais. Elle me sourit puis baisse la
tête vers le livre. Elle me pointe d'autres animaux et dit leurs noms en
anglais. »
Ces observations et constats m'ont poussé à
m'interroger sur le positionnement
professionnel et les pratiques mises en
place dans de telles situations et me permettent
maintenant de
préciser mon questionnement comme tel :
Comment accompagner l'apprentissage du langage,
notamment dans
les situations de bilinguisme précoce chez les jeunes
enfants, au sein des
familles migrantes ?
6
III. Cheminement de ma recherche
Comme présenté ci-dessus, ce questionnement est
apparu à la suite d'expériences de pratique professionnelle
auprès de familles migrantes et/ou bilingues. Lors de ma formation, je
me suis intéressé au développement du langage chez le
jeune enfant à l'occasion de différents écrits et dans le
cadre d'expériences en terrain professionnel. La communication et le
langage sont des compétences qui m'intéressent de par leurs
aspects sociaux, cognitifs et affectifs. J'y porte une importance et m'y
intéresse dans le cadre de l'accompagnement des enfants en tant qu'EJE,
lors du développement langagier, social et cognitif. Mais aussi
personnellement, en étant sensible à la communication et à
ce qu'elle exprime explicitement et implicitement. Je me suis trouvé
aussi lors de ces années de formation une certaine sensibilité et
un grand intérêt sur les questions liés à
l'immigration et à l'interculturalité. De par mon
expérience à l'AME, je me suis intéressée au sujet
de l'immigration et des familles migrantes, notamment l'idée de
transmission intrafamiliale en leur sein. Jacqueline Barus-Michel, qui s'est
penchée sur la relation du chercheur à sa recherche, nous dit que
celui qui commence une recherche doit être intéressé par
son « énigme », qu'elle fasse « sens pour
lui » (J. Barus-Michel (1982) « Le chercheur, premier objet de
la recherche », page 801). Elle rajoute que pour « atteindre
à l'autre », le chercheur « doit d'abord passer par
lui-même ». (id). C'est dans cette optique que je me suis
intéressée à ce qui faisait sens pour moi dans
cette démarche de recherche. Je me rends compte du lien personnel et
finalement de l'aspect intime de cette recherche, tant au sein des
familles accompagnées, que chez les professionnels qui les accompagnent
et ainsi moi-même. En effet, lors de mes réflexions, je me suis
questionné sur mon propre rapport au langage et à la famille. Je
constate que j'ai personnellement une certaine sensibilité aux langues
et au sentiment d'appartenance qui y est lié. Notamment au sein de ma
propre famille, avec la pratique du patois Nissart et sa transmission au sein
du groupe de la famille. De ma vision, en tant que professionnelle du social et
de l'accompagnement, il est difficile pour ne pas dire impossible de travailler
sans son soi et ce qui nous compose et nous anime personnellement.
J'ai en tête une métaphore entendue lors de ma formation : elle
comparait le professionnel à une main et un gant. La main
étant l'individu en lui-même, ses valeurs, compétences
et limites à laquelle le gant, représentant
l'identité professionnelle, s'adaptait en partie. Cette métaphore
m'est très parlante et illustre comment une identité
professionnelle se base aussi sur la personne qui l'incarne. Ayant conscience
de l'implication personnelle dans ma pratique professionnelle et lors de cette
recherche, je serais attentive à limiter l'impact de ma vision
personnelle dans ce cadre.
7
PARTIE II : LA PHASE EXPLORATOIRE
I. Tour d'horizon des notions abordées
En rappel, mon questionnement est : comment
accompagner l'apprentissage du langage, notamment dans les situations de
bilinguisme précoce chez les jeunes enfants, au sein des familles
migrantes ? Cette question amène plusieurs notions que je
vais commencer par présenter, en rappelant le public sur lequel porte
cette recherche.
Le premier aspect de ce questionnement est
l'accompagnement. C'est un terme très répandu,
notamment dans le champ du travail social. Où chaque acteur
(professionnel et public) peut par ses nombreuses utilisations, avoir une
vision différente de ce terme, de ce qu'il implique dans un cadre
professionnel et de ses limites. Accompagner c'est, selon le dictionnaire le
Petit Robert, « Se joindre à (qqn) pour aller où il va en
même temps que lui. », « Soutenir, assister (qqn). ». Dans
le cadre de cette recherche, l'accompagnement auquel je ferais
référence est une position de soutien du professionnel
auprès de l'enfant et de sa famille dans l'acquisition du langage par
l'enfant. Aussi à l'ajustement du professionnel auprès de ce
développement de la petite enfance, de l'enfant qu'il accompagne, de sa
famille et de ses spécificités. Quand je parle de
spécificités de l'enfant, je pense à son
âge, ses stades de développement, l'environnement dans lequel il
évolue (rural, urbain, pays), notamment son environnement familial et
social (couple parental, fratrie ou enfant unique, groupe social d'appartenance
de la famille, socialisation de l'enfant avec ses pairs). L'immigration
est une des spécificités ayant une influence sur la
construction de la famille et la construction de l'individu, parent ou
enfant.
Au sein de l'AME m'accueillant en stage, le public
accompagné est composé presque uniquement de mères avec un
parcours migratoire. La plupart d'entre elles viennent d'Afrique Subsaharienne
ou d'Afrique de l'Ouest (Guinée, Sénégal, Congo,
Côte d'Ivoire). Pour la grande majorité de ces femmes, le voyage
migratoire a débuté lors de leurs adolescences ou années
de jeunes adultes. Les conditions de ces voyages varient entres les femmes,
selon leur région d'origine, période de voyage et selon le trajet
emprunté, impliquant différentes réactions et effets au
niveau de la psychologie des personnes. Ces femmes ont débuté
cette migration avec l'idée de conditions de vie meilleure, dans le but
de fuir des violences dans leur pays d'origine, avec l'idée
d'étudier, de rejoindre leurs familles ou pour des raisons
économiques. Leurs récits des conditions de vie au pays et durant
le voyage migratoire retracent des violences diverses et multiples (physiques,
psychiques, sexuelles, administrative, intra-familiale). Ces femmes peuvent
aussi parler des manques
8
qu'elles ressentent : l'envie de revoir les membres de leurs
familles restées au pays, de certaines coutumes et habitude, notamment
autour de la maternité ou simplement de la nourriture. Ces conditions de
vie, les violences et les risques subis, les psycho-traumatismes qui en
résultent se mêlent donc à des sentiments d'exil et de
manque pouvant rendre l'installation et l'adaptation des individus dans le pays
d'accueil plus difficile. Une des principales composantes de la culture et de
l'entrée en relation, notamment sociale, est le langage. Ces personnes
sont dans un processus d'intégration, avec pour certaines,
l'apprentissage du français. Dans le même temps, ces changements
peuvent pousser les personnes à se retourner vers ce qui est connu, pour
répondre à un besoin d'appartenance, d'identité.
Pour préciser ces thématiques, nous aborderons
dans un premier temps le sujet de l'immigration et de l'arrivée en
France comme pays d'accueil. Par la suite nous évoquerons le langage
d'un point de vue psychologique et sociologique, et plus
précisément l'apprentissage du langage par le jeune enfant en le
liant aux développements psycho-affectif et social. Enfin, nous nous
pencherons sur le lien entre le langage et son développement dans un
contexte familial baigné par différentes cultures et
différentes langues.
II. L'immigration et les familles migrantes, en
France
L'immigration est « l'action de venir s'installer et
travailler dans un pays étranger, définitivement ou pour une
longue durée. » (CNRTL, Centre National de Ressources
Textuelles et Lexicales). Les termes migrant et immigré
sont fréquemment utilisés dans les médias, pour
autant le terme migrant n'a pas de définition juridique
à ce jour. Le terme immigré fait référence
à la « personne qui se rend dans un pays autre que celui de sa
nationalité ou de sa résidence habituelle, de sorte que le pays
de destination devient effectivement son nouveau pays de résidence
habituelle » (adapté de Département des affaires
économiques et sociales des Nations Unies, Recommandations en
matière de statistiques des migrations internationales (1999), p. 10,
définition de « migrant de longue durée »). Dans le
cadre de cette recherche, nous nous intéresserons aux familles issues de
l'immigration c'est-à-dire : que les parents et les enfants sont
immigrés, où dans le cas ou les parents ont immigrés et
les enfants sont nés, ont grandi en France et font donc partit de la
deuxième génération migratoire. Et au bilinguisme
dans la famille : intra-familiale (deux langues au sein de la famille), ou bien
une langue utilisée au sein de la famille, différente de celle
utilisé par la société d'accueil (comme dans la situation
de la famille amené
précédemment : la langue de la famille, le
Soussou, différente de la langue nationale, le français)
1. Chiffres
En 2020, le Migration Data Portal indique qu'il y avait 280,6
millions de migrants internationaux (immigration d'un pays vers un autre), soit
3,6·% de la population mondiale. Indiquant une hausse du nombre
comparé aux chiffres de l'année 2010 où 221 millions de
migrants internationaux étaient comptabilisés. En 2020, la part
de femmes dans la population de migrants internationaux était de 51,5%
et celle des jeunes de 19 ans ou moins est de 9,8%. Selon le recensement de
population fait par l'INSEE (publié en août 2022), en 2020 la
France accueillait 8,5 millions de migrants internationaux. En comparaison
l'Allemagne, proche voisin de la France par son développement et la
proximité géographique, en accueillait 15,8 millions. Les pays de
naissance des personnes immigrés vivant en France en 2021 sont
majoritairement situés en Afrique (Algérie (12,7%), Maroc (12%),
Tunisie (4,5%), Comores et Sénégal (2%) et des pays d'Afrique de
l'Ouest) et d'Europe (Portugal (8,6%), Italie (4,1%), Espagne (3,5%) et une
grande majorité de pays d'Europe de l'Est) (étude INSEE
L'essentiel sur les immigrés et les étrangers. 2022). On
remarque une hausse du nombre de réfugiés en France depuis le
début des années 2000 (passant de 131 milles en 2001 à
presque 500 milles en 2021, selon l'HCR2). Cette hausse
remarquée en France et au sein de l'Union Européenne s'inscrit
principalement lors de la Crise migratoire de 2015.
2. Rapide historique de l'immigration en France
La France est un pays qui a connu de nombreuses phases de
migration sur son territoire par son passé et s'expliquant par son
contexte économique, politique, sa position géographique et la
diversité du territoire. Au début du XXème siècle,
la France est le premier pays d'immigration en Europe (Cour des Comptes, 2004).
L'immigration a été majoritairement composé de personnes
originaires de pays européen (Belgique, Italie, Portugal, Espagne)
durant le 19ème siècle et le début du
20ème siècle, l'immigration se mondialise par la
suite, notamment avec les processus de décolonisation. Après la
seconde guerre mondiale, le Conseil National de la Résistance soutient
l'immigration et proclame deux ordonnances concernant l'immigration et
l'accès à la nationalité: l'ordonnance du 19 octobre 1945,
qui définit les conditions d'accès à la nationalité
française en se basant sur le droit du sol et le droit du sang ; puis
l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et
de
9
2 Le HCR est l'Agence des Nations Unies pour les
réfugiés
10
séjours des étrangers en France qui met en place
les premiers droits écrits de l'immigration, notamment l'immigration de
travail. L'immigration de travail est considérée comme la norme
par les institutions françaises pendant des décennies (id), on
observe notamment la création en 1956 de la SONACOTRA
(Société Nationale de Construction de Logements pour les
Travailleurs). Dans les années 80, c'est l'immigration familial qui
prend le dessus, avec la suspension de l'immigration de travail en
réponse à la crise que traverse la France en 1974. Le
regroupement familial implique la venue et la création de familles,
alors que jusqu'alors, la population immigrante était composée
majoritairement d'hommes seuls. Selon le Rapport public sur l'accueil des
immigrants et l'intégration, cette longueur à reconnaitre
l'installation des populations en France, les enjeux et leurs besoins ont
retardé la mise en place de politiques publiques nationales et la
définition d'objectifs clairs. Les lois et politiques publiques qui
cadrent l'immigration et l'intégration sont en évolution
constante, tant au niveau international, de l'UE que national et
influencé par les politiques en place. La loi du 18 février 2016
modifie le système d'immigration français : elle favorise
l'ouverture et l'accueil des étrangers en favorisant leurs droits et en
élargissant les possibilités d'accès à la
nationalité française. La dernière loi en date,
porté au parlement en février 2023, promouvoit l'immigration de
travail par la mise en place d'un titre de séjour spécifique,
cadre les conditions d'éloignement et l'institution de la CNDA (Cour
Nationale du Droit d'Asile). Il renforce aussi les conditions d'accès
à la régularisation sur le territoire français renouvelant
la de démontrer de « compétences minimales dans l'expression
en langue française » (informations tirées de la
présentation du projet de loi du même nom, sur
vie-publique.fr, consulté le
15/02/2023) dès lors des premières demandes de carte de
séjour pluriannuelle, et la possibilité d'accéder à
des formations en Langue Etrangère (FLE) dans le cadre professionnel.
3. Intégration des populations en France
et importance porté à la langue
L'intégration est définie sociologiquement comme
la « phase où les éléments d'origine
étrangère sont complétement assimilés au sein de la
nation tant au point de vue juridique que linguistique et culturelle, et
forment un seul corps social » (définition de l'intégration,
CNRTL). Emile Durkheim pense que l'intégration est composée de
différentes modalités qui sont culturelle, normative,
communicative ou fonctionnelle et en référence comportements et
normes propres à chaque groupe social, que ce soit une
société, une communauté ou un groupe d'appartenance plus
restreint. C'est un processus composé, selon Robert Park, de quatre
étapes : la compétition, le conflit, l'accommodation et
l'assimilation sur du plus long terme (Race and culture (1950), Robert
Park). L'intégration est
11
l'apprentissage par un individu ou un groupe de ce qui
fait culture et fait société, au sein d'un
groupe qui n'est pas le leur originellement. On peut aussi reconnaître la
multiplicité des identités et des appartenances des individus. Il
est alors important de pouvoir les reconnaître et intégrer les
spécificités de chacun dans la composition de la
société. C'est aussi ce que nomme Dominique Schnapper comme
« l'intégration de la société dans son ensemble
» (D. Schnapper, Qu'est-ce que l'intégration ?, Paris,
Gallimard, 2007, p. 16.). Le parcours migratoire comme l'intégration au
sein d'une nouvelle société nécessite pour les personnes
arrivantes de réaliser des apprentissages multiples et dans tous les
champs de leur vie quotidienne (langue, emploi, habitudes, réseau et
normes sociales).
Pour poursuivre ce but, plusieurs dispositifs ont
été créés dans l'objectif de soutenir
l'intégration et favoriser l'interculturalité en France.
Différents offices ayant pour but l'intégration administrative,
sociale, professionnelle, ou au niveau de l'éducation sont mis en place
progressivement (comme l'OFPRA, Office Français de Protection des
Réfugiés et Apatrides ; OFII, l'Office Français de
l'Immigration et l'Intégration, ...). Parmi les dispositifs mis en place
: le Contrat d'Accueil et d'Intégration (CAI) est créé en
2003, en direction des primo-arrivants sur le territoire français. Il
est rendu obligatoire en 2007, et est étendu aux familles, induisant aux
parents de « veiller à la bonne intégration de leurs
enfants » (
Vie-Publique.fr, 2022). Il est
remplacé en 2016 par le Contrat d'Intégration Républicaine
(CIR), qui vise à « la compréhension des valeurs et
principes de la République ; l'apprentissage de la langue
française ; l'intégration sociale et professionnelle ;
l'accès à l'autonomie » (id). En
référence à la définition de l'intégration
qui nomme le langage comme une de ces composantes, l'apprentissage du
français est une des demandes et des obligations faites dans le cadre
des démarches administratives et de l'insertion socio-professionnelle.
Pour arriver à cet objectif des dispositifs sont mis en place comme les
formations au Français Langue Etrangère (FLE) proposées
par différents organismes et associations., comme le collectif
d'associations « Français pour tous ». Au sein de ce
collectif, on retrouve la Cimade, qui explique sur son site que l'apprentissage
du français comme langue du pays d'accueil des personnes arrivantes
« permet à chacun·e de mieux comprendre l'environnement
dans lequel il ou elle vit ; elle favorise l'autonomie, et l'accès aux
droits et à la culture. ».
III. Le langage et son apprentissage par le jeune
enfant
Dans un premier temps, nous donnerons une approche
sociologique et linguistique du langage. Le langage est sujet à de
nombreuses définitions : il est défini comme une «
manière
12
de s'exprimer » et comme étant le «
choix des termes lorsqu'on s'adresse à quelqu'un » par le
Larousse. Le dictionnaire le Robert précise sa fonction comme
étant celle « d'expression de la pensée et de la
communication entre les humaines, mise en oeuvre par la parole ou
l'écriture ». Il propose aussi de voir le langage comme la
« façon de s'exprimer propre à un groupe ou à un
individu », intégrant ainsi l'idée de variations
linguistiques et l'existence de plusieurs langages. Comme toute forme de
communication, le langage est produit par un émetteur et est en
direction du destinataire dans le but de transmettre une information. C'est un
mode de communication symbolique par l'évocation du monde, de concepts
à travers des mots ou des signes gestuels, appelés signes
en linguistiques, sans rapport naturel entre l'idée et le mot
exprimé. Ce rapport est nommé « valeur
référentielle », insinuant que sa signification est
partagée par l'ensemble du groupe. Selon NJ. Cohen3, dans sa
recherche sur « l'impact du développement du langage et les
développements psychosocial et affectif des jeunes enfants »
(2005), le langage se distingue en deux. Le langage structurel (la
phonologie, la sémantique et la grammaire) et la communication
pragmatique (comportements communicatifs : équilibre des
échanges, communication non verbale, compétences d'expression et
de compréhension des discours, ...). Ces compétences sont
liées à celles acquises lors de la socialisation première
et secondaire et lors des apprentissages faits par l'enfant, et donc ses
développements psycho-affectif et psychosocial.
1. Les théories de l'acquisition du langage par
l'enfant
L'apprentissage du langage par les jeunes enfants est un
domaine de recherche spécifique. Différentes théories
existent sur ce sujet. Les principales théories sont celle dite
nativiste, pensée par Noam Chomsky4, et la
théorie socioculturelle. Ces théories se sont
confrontées
lors du débat à Royaumont en 1973 réunissant
Noam CHOMSKY et Jean PIAGET5.
Selon Noam Chomsky l'apprentissage du langage a lieur
grâce à un « dispositif inné d'acquisition du langage
» qu'il appelle le LAD (Language Acquisistion Device) (Noam Chomsky,
dans Syntactic Structures, 1957) sous la forme d'un système
neurologique spécialisé dans le langage. Cet appareil
neurologique serait présent dès la naissance de l'enfant et
à l'origine des capacités de communication de l'individu. La
théorie nativiste
3 NJ. Cohen : directeur de recherche au centre de
santé mentale pour enfants de Hincks-Dellcrest
4 Noam Chomsky (1928- ) : linguiste
américain
5 Jean Piaget (1896-1980) : biologiste, pédopsychiatre et
psychologue suisse
13
soutien aussi l'existence d'une grammaire universelle
(universaux du langage : existence des phrases, des types de mots, de
l'organisation des énoncés) inscrite dans notre patrimoine
génétique et permettant le développement des
capacités langagières et des schémas de communication chez
les Hommes. Il a été par la suite démontré des
invariants cognitifs dans le cadre de l'apprentissage des langues par les
enfants.
A contrario la théorie socioculturelle, ou l'approche
interactionniste, explique l'émergence du langage durant la petite
enfance par la biologie (développement psychomoteur permettant
l'élocution, la réflexion et la mémorisation) et la
sociologie (imitation, volonté de communiquer, composantes de
l'environnement, notamment langagier et des stimulations). Jean Piaget soutient
cette théorie percevant l'apprentissage du langage comme le produit du
développement cognitif et des expériences et interactions
vécues par l'enfant. Selon Piaget et sa théorie sur le
développement de l'intelligence sensori-motrice et du langage chez
l'enfant (Jean Piaget, Le langage et la pensée chez l'enfant,
1923), l'apprentissage du langage émerge dans un premier temps avec les
expériences de la zone orale par le nourrisson (stade sensori-moteur) et
s'intensifie avec la mise en place de la pensée symbolique par l'enfant
lors du stade préopératoire. Ces compétences cognitive et
communicative apparaissent progressivement chez l'enfant en lien avec le
développement cognitif et le développement de l'intelligence.
Cette théorie se base sur l'idée d'un développement en
« escalier » : les apprentissages se basent sur ceux acquis
précédemment et les utilise comme fondations.
2. Le développement du langage chez le jeune enfant
et les développements associés
Le développement de la communication est d'abord
influencé majoritairement par la maturation cognitive de l'enfant et est
ensuite en lien avec différents caractéristiques individuelles et
de l'environnement. Notamment l'interaction avec l'adulte, les stimulations, le
cadre de l'environnement et la place attribuée à l'enfant dans
celui-ci. L'apprentissage d'une langue est influencé par
différents facteurs d'acquisition, proposé par Wolfgang Klein
dans son livre L'acquisition de langue étrangère (1989)
: la propension à apprendre, la capacité linguistique,
l'accès à la langue. La construction du langage par l'enfant est
« un processus extrêmement complexe qui s'élabore en
étroite interaction avec les modalités de fonctionnement
cognitif, neurologique et psychique » (C. Sanson (2010). Troubles du
langage, particularités liées aux situations de bilinguisme.
Enfances & Psy, page 48). Son développement est lien avec les autres
développements de la petite enfance (psychomoteur,
14
cognitif, social et affectif) et tous sont intra
mêlés et liés dans le développement global de
l'enfant.
a) Les interactions précoces
Plusieurs spécialistes de la petite enfance se sont
penchés sur la question du langage et ses origines. Maria
Montessori6 évoque parmi ce qu'elle définit comme
périodes sensibles, une période centrée sur le
langage entre les 2 mois de l'enfant et ses 6 ans. Cela correspond à une
période de développement concentré sur le langage et son
développement chez l'enfant. Sigmund Freud7 évoque le
stade oral autour des 3 mois de l'enfant et jusqu'à ses 18 mois, et son
intérêt dans les développements sensoriel, cognitif et
langagier. Il présente cette phase du développement de l'enfant
(de 3 jusqu'à environ 18 mois) comme centrée sur la zone
bucco-labiale (bouche, gorge). L'enfant va utiliser sa bouche pour
expérimenter et découvrir les objets, la notion «
d''intérieur », « d'extérieur » les mouvements et
ce que cela créée pour lui : plaisir ou déplaisir
(succion, ingurgitation, ou vomissements).
Dès la naissance on remarque chez les enfants des
« comportements communicatifs précoces » (N.J. Cohen,
2005) par les pleurs, cris et vocalisations et de manière non verbale
par les regards et premiers gestes faits en réactions aux interactions
initiées par les adultes qui entourent le bébé. Les
premiers sons faits par l'enfant (les lallations : babillages)
représentent d'abord des « mouvements exploratoires de
l'appareil phonatoire » (Brigaudiot et Danon-Boileau, 2002, page 29).
Ces interactions précoces, englobant les babillages, gazouillis et la
mise en place de la communication non verbale, se développent
progressivement en lien avec les capacités d'observation,
d'écoute et de compréhension de l'environnement par l'enfant mais
aussi avec ses développements sociaux et affectif. Comme par exemple la
mise en place du sourire intentionnel. Il apparait autour des 2 ou 3 mois de
l'enfant, selon une étude menée au Bénin en 2017, et est
influencé par la « stabilité psychoaffective de la
mère et un environnement social interactif » (étude sur
le Sourire intentionnel du bébé et facteurs maternels
associés, 2017).
On note la mise en place de l'accordage affectif, pensé
par Daniel Stern, entre l'enfant et son parent dès les premiers jours.
L'accordage affectif correspond aux conduites d'imitation entre le nourrisson
et son parent, dans le but d'un partage d'états affectifs,
nécessaire à la
6 Maria Montessori (1870-1952) : médecin et
pédagogue italienne
7 Sigmund Freud (1856-1939) : psychanalyste
autrichien
15
compréhension par l'enfant de son état interne
et à la construction du lien parent-enfant (D. Stern, 1989). Le
développement cognitif et des neurones miroirs est essentiel pour la
mise en place de ces conduites d'imitations et d'interpellation menée
par l'enfant. Bruner (1975) note la mise en place de signes par l'enfant autour
de 1an en direction de l'adulte (lever les bras vers l'adulte pour être
pris dans les bras, pointer un objet). Cette communication gestuelle est
accompagnée d'une communication orale à base d'onomatopées
et babillages, Le pointage évoque la mise en place
d'interactions dans l'intention de l'autre. Il le met en place de
manière autonome et le comprend de la part des adultes ou des autres
enfants, de façon plus précise. Dans le même temps,
l'enfant acquiert progressivement la permanence de l'objet (environ entre les 8
mois et les 18 mois de l'enfant). C'est-à-dire la conservation d'une
image mentale de l'objet et de son souvenir même s'il n'est plus visible
ou accessible à l'enfant (Piaget et Baillargeon, 1980).
b) L'entrée dans la production langagière
Entre ses 1 an et 1 an et demi l'enfant est en capacité
d'émettre une intention communicative et d'associer l'expression
d'onomatopée à l'expression d'émotions, à la
survenue d'évènements ou leur association avec une symbolique (le
chien, peut être pointé et dont le son associé est «
ouaoua » pour son cri). Cette communication est complétée
avec la mise en place plus fine de la communication non verbale (regard,
pointage, gestes avec une symbolique)
Le lexique précoce apparait avec les premières
productions lexicales. Celui-ci sera lié à la recherche
d'indépendance et la volonté de découverte
de l'enfant (acquisition de la marche, curiosité, volonté de
faire seul) et jouera un grand rôle dans la période du
non. Le développement cognitif, lié aux
expérimentations motrices permettent la construction d'une symbolique et
la compréhension de certaines notions (dedans-dehors ;
absence-présence, cause-effet). Les premiers jeux symboliques
commencent, liant ainsi l'imitation et l'imagination par l'enfant. Ces jeux
coïncident à une évolution forte du langage chez la
majorité des enfants autour des 2 ans (l'explosion du langage)
: le vocabulaire s'enrichit, la répétition des mots de l'adulte
est bien installée et plusieurs mots peuvent être associé,
appelé premiers énoncés rhématiques à
plusieurs termes pour articuler les premières phrases (Brigaudiot
et Danon-Boileau, 2002). L'enfant développe par la suite des
compétences de récits, d'énoncés et
d'écoute. Après l'autodésignation, les premières
expressions de la possession se développe avec l'apparition des «
ma » et « mon » et l'expression des intentions et besoins. Cet
envol du langage permet les jeux entre pairs et le développement
16
des jeux de groupe ou de coopération. Les jeux se
modifient aussi avec davantage de jeux symboliques, de jeux moteurs ou de
précision. Les jeux de construction prennent davantage de sens dans la
psyché de l'enfant.
IV. Langage et parentalité dans le cadre de
familles bilingues et issues de l'immigration
Nous venons d'évoquer le phénomène de
l'immigration et son contexte en France. Notamment la représentation
sociale de la population immigrée en France : pendant longtemps ces
populations, peu importe l'origine, ont été perçues comme
temporaires et n'ayant pas le but de s'installer durablement sur le territoire
Français. Cependant l'installation en France est maintenant un des buts
et des enjeux pour les personnes entamant un voyage migratoire. Nous avons vu
comment l'intégration est devenue un des enjeux des politiques publiques
françaises, avec la lutte contre les exclusions et la mise en place
d'institutions et d'organismes tournées dans ce sens.
L'intégration notamment des familles arrivantes ou des enfants dits de
seconde génération est un des enjeux de l'accompagnement par les
professionnels de la petite enfance et du travail social. Nous avons
également abordé l'apprentissage du langage par le jeune enfant
et l'importance de l'environnement familial, social. Les influences des
développements psycho-sociaux et psycho-affectif ont aussi
été mis en avant. Nous allons maintenant préciser
l'importance des données amenées précédemment dans
le cadre de l'apprentissage du langage par le jeune enfant au sein des familles
migrantes et dans un contexte interculturel.
1. La parentalité au sein de
l'immigration
La parentalité dans la migration regroupe
différents enjeux. Tout d'abord l'éducation des enfants dans une
société différente de celle dans laquelle les parents ont
grandis. Et donc la rencontre de différents systèmes
éducatifs, parfois très différents : les personnes
migrent avec leur monde. La fonction primaire du parent, peu importe les
cultures et les sociétés, reste la protection de son enfant. A
côté de ça, un pan important de la parentalité est
composé de la transmission et l'apprentissage par et pour leurs enfants
de la socialisation et de champs de connaissances propres à la
société d'accueil, notamment la langue. A l'éducation des
enfants, se mêle la propre intégration des parents en tant
qu'adulte dans la société et en tant que famille. La famille est
alors confrontée à des contextes éducatifs
sociétaux et institutionnels différents de l'environnement
familial, avec des objectifs, des attentes diverses pour les enfants comme les
parents. La migration en elle-même impacte grandement l'individu avec la
perte de repère et le sentiment de rupture (social, culturel,
17
environnemental), la nécessité de multiples
adaptations (culturel, langage, administrative, professionnelle) et une
réorganisation identitaire individuelle. L'installation dans la
société d'accueil amène les personnes à construire
une « vie double » (« Vécu sensible de
l'événement migratoire », page 53) : la vie
créé, laissé et entretenu au pays et celle construite dans
la société d'accueil. Ainsi dans les transmissions familiales se
mêle différentes influences, parfois contraires ou incomprises aux
valeurs en place dans la famille. Et notamment la manière de se
représenter les enfants (besoins, attentes, maladies, soins,
apprentissages) et donc de se comporter avec eux. Ces différences de
représentation, d'enjeux et d'objectifs, apparaissent aussi lors de
l'accompagnement par les professionnels du langage de l'enfant ou lors du
soutien à la parentalité, pouvant causer différentes
incompréhensions et difficultés à communiquer. Ces
différentes logiques culturels et ce métissage autour de
l'enfance et leurs évolutions dans le cadre de la migration ont
été étudié à travers le monde (étude
de J. Rabain-Jamin (1985-87) en PMI ; Education, migration,
inégalités et intégration en Europe (2008)). On remarque
cela notamment lors de l'apprentissage du langage dans le cadre d'une famille
bilingue : l'apprentissage de la langue nationale du pays d'accueil est
nécessaire dans l'intégration des enfants et lors de leurs
parcours scolaires et professionnels, mais aussi des différences
d'importance accordée à cet apprentissage et concernant les
pratiques éducatives mises en place selon les familles. Pour autant le
maintien de la transmission de la langue première et de la culture
familiale est essentiel dans sa construction en tant qu'individu et dans sa
filiation au sein de la famille et du groupe d'appartenance auquel elle se
réfère (Petite enfance, migration et diversités,
page 15). L'article de Sylvie Rayna, rapportant les résultats de la
recherche Children Crossing Borders (CCB, 2016), présente les
difficultés et l'entre-deux dans lequel peuvent se trouver les familles
migrantes concernant l'intégration et l'accueil de leur enfant dans les
modes de garde du pays d'accueil. Cette enquête a été
menée dans cinq pays occidentaux (France, Italie, Allemagne, Royaume-Uni
et Etats-Unis) auprès des enfants de quatre ans accueillis dans des
structures collective et issue de familles immigrées. Les parents
interrogés expriment l'« ambivalence » de la situation et de
leurs désirs pour leurs enfants : « La priorité est que leur
enfant apprenne la langue du pays. [...] Pour autant, ils redoutent la perte de
leur(s) langue(s) et, avec elle, de leur culture et des liens familiaux. »
(Rayna, S. (2016). Enfants (de) migrants : quel accueil dans le
préscolaire ? Informations sociales, 194, page 79). On retrouve
l'importance de la langue pour les familles, comme marqueur d'identité
et d'appartenance, mais aussi comme constance du lien et le sentiment de
responsabilité qui les incombe de cette transmission et de cet
apprentissage, avec le risque de l'acculturation
18
pour leurs enfants. Cette même étude
présente les différents systèmes éducatifs : elle
montre des grandes disparités entre les pays, notamment les structures
françaises pratiquant presque exclusivement le monolinguisme et ayant du
mal à intégrer les familles et leurs pratiques multiples des
langues. Cette différence a été remarqué par des
enseignantes françaises participant à l'étude : elles
remarquaient le mutisme sélectif observé chez certains enfants
dans leurs structures, la non-utilisation de la langue maternelle par les
enfants, ou de la honte observée par les parents chez certains
même dans le cadre familial, en comparaison avec d'autres fonctionnements
pointés ou les enfants se permettaient l'utilisation de leur langue (S.
Rayna. (2016). Enfants (de) migrants : quel accueil dans le préscolaire
? Page 79). On comprend parmi cela, les difficultés à la
construction d'identité multiple chez l'enfant, à
l'accompagnement par les familles et aux difficultés qui peuvent
être rencontrées lors de l'affirmation comme parent et
décisionnaire ou dans le lien aux professionnels et aux structures.
2. Les enjeux autour du contexte familial
bilingue, dans le cadre de la migration
Nous avons abordé la psychologie de la migration avec
les difficultés possibles pour l'intégration au niveau psychique
et au niveau sociétale : avec le sentiment de rupture, les
difficultés au niveau social et communicatif (différences de
langues, de normes sociales, de valeurs et de systèmes symboliques), les
difficultés possibles de la société à
intégrer les familles. On note aussi au niveau social et individuel la
notion de hiérarchisation des langues ou des cultures. L'utilisation de
langues informe sur l'identité sociale de l'individu et marque son
appartenance à un groupe. Mais elle peut aussi servir à la «
construction de différences » (E. Urbain (2017).
Hiérarchisation des langues et des locuteurs :
différenciation sociale et discours sur la langue dans la francophonie
louisianaise depuis la Guerre de Sécession, Revue transatlantique
d'études suisses, 6/7. Page 200) et à la valorisation ou
dévalorisation de certaines langues et donc groupes. La
hiérarchisation des langues est un processus social par lequel certaines
langues sont valorisées et considérées comme
supérieures à d'autres langues dans une société
donnée (Article The other languages of Europe: demographic,
sociolinguistic, and educational perspectives (2008)). C'est un
phénomène, en lien avec l'unilinguisme mis en place à
l'échelle nationale et aux conflits linguistiques qui peuvent
apparaitre, pouvant se manifester par la discrimination en elle-même : la
stigmatisation des locuteurs ou leur exclusion. On le remarque aussi dans la
valeur apportée à la maitrise des différentes langues : au
sein des institutions scolaires avec l'apprentissage d'un nombre très
réduits de langues, et dans le cadre professionnel où certaines
langues sont favorisées et d'autres peuvent être ignorées
ou non perçues comme des compétences égales. Par exemple
:
19
l'anglais langue est majoritairement valorisée,
enseignée et pratiquée dans le cadre scolaire et professionnel.
Ce phénomène social a un impact sur les transmissions familiales
des langues : on remarque dans le cadre de la migration « l'injonction
à s'intégrer en parlant français » (A. Filhon dans
Transmission familiale des langues en France : évolutions historiques et
concurrences (2010), page 212) peut influencer la pratique et la transmission
de la langue première de la famille aux jeunes enfants une fois
installé dans le pays d'accueil. Une des explications pouvant être
amenée est la peur de la stigmatisation des enfants par la
société d'accueil, en prenant cette langue comme marqueur sociaux
reliant les enfants au groupe de personnes immigrées et les
stigmatisations et représentations associées. Joue aussi dans le
contexte de la migration et des représentations posées sur les
personnes, la mésestime et la dévalorisation de l'origine, de la
culture et de la langue maternelle, et les différences de dynamiques de
langues entre les pays (présence de multiples dialectes au niveau
national, unicité d'un langage à l'échelle nationale,
...). Pour autant quand la transmission de la langue dans la famille est
pratiquée elle l'est pour différentes raisons, propre à
chaque famille, dans lesquels on retrouve : la volonté de continuer
l'héritage de la famille, de ne pas perdre le lien avec le pays
d'origine et la famille élargie, transmettre le capital culturel,
notamment dans le cas où ces compétences langagières sont
considérées comme rentables ou valorisées par la
société (id, page 215). Cette notion de dévalorisation
d'une langue par rapport une autre est une composante à prendre en
compte dans l'accompagnement par les professionnels de la famille.
3. Bilinguisme précoce durant la petite
enfance
Le bilinguisme précoce est « l'acquisition par
l'enfant de deux langues auxquelles il est exposé dès son plus
jeune âge » (Bilinguisme, plurilinguisme et petite enfance
dans la revue Devenir Vol 22, page 293). Cet apprentissage
survient lorsque l'enfant grandit dans un environnement où plusieurs
langues sont utilisées, notamment si la langue première de la
famille est différente de celle nationale, ou au sein même de la
famille. Le bilinguisme dans le cadre familial correspond à la
réalité d'un quart des familles résidantes en France
métropolitaine, selon l'enquête « Histoire de Vie »
faite par l'INSEE en 2003. L'enjeu pour l'enfant dans cette situation est de
différencier les deux langues apprises et pouvoir faire évoluer
ces apprentissages harmonieusement. Pour autant, le bilinguisme ou
plurilinguisme (dans le cas où plus de deux langues sont connues) peut
connaître des asymétries, ou des utilisations et des connaissances
de lexique, par exemple, différentes. On peut ainsi remarquer des
transferts de lexique ou de code de communication d'une langue à
l'autre. C. Noyau précise que la différenciation des langues et
de l'utilisation des langues, en lien avec
20
le cadre ou la personne destinataire, se fait globalement
autour des 2 ans de l'enfant. Le bilinguisme est influencé par de
nombreux facteurs au sein du contexte familial (histoire de la famille,
individuelle, intégration, fratrie) et à la place donnée
aux langues (fonctions, cadre d'utilisation).
Une maitrise inégale des langues peut apparaitre et est
normale dans l'acquisition du langage par l'enfant, et en lien avec les
facteurs donnés précédemment. Lorsque l'individu a acquis
les mêmes compétences linguistiques dans les différentes
langues, on parle d'un bilinguisme équilibré. Dans le cas
où une langue est davantage maitrisée ou favorisée, on
parle d'un bilinguisme dominant en faveur d'une langue. On connaît deux
types de bilinguismes, en termes d'apprentissage par l'enfant et de
bénéfices dans son développement. Le bilinguisme additif
qui correspond à la progression simultanée dans les deux langues
connus par l'enfant et dans le « domaine métalinguistique »
(Bilinguisme, plurilinguisme et petite enfance dans la revue Devenir
Vol 22, page 293). Et le bilinguisme soustractif, dans le cas où la
deuxième langue se développe « au détriment des
acquis de la première langue ». Ce type de bilinguisme serait
« négatif sur l'acquisition des deux langues et sur les
connaissances métalinguistiques. » (id, page 293). Le bilinguisme,
sa mise en place ou les attentes qui sont placés dans ce contexte
peuvent être utilisé où analyser comme un levier
thérapeutique dans le cas de difficultés langagières chez
les enfants (id, page 296).
4. Le phénomène du bain langagier
au sein des familles bilingues
Le bilinguisme est généralement mis en place
dans le cadre familial de l'enfant ou de la fratrie. Pour autant on remarque
des différences d'apprentissage d'un enfant à l'autre, en
fonction des capacités d'apprentissage individuel, des rencontres
occasionnées entre l'enfant et la langue (fréquence,
intensité, participation ou écoute) et du contexte
émotionnel mis en place (valorisation ou dévalorisation de la
langue, de la culture transmises). Notamment le bain langagier en place au sein
de la famille et le soutien des acteurs extérieurs (communautés,
professionnels, famille élargie, société globale). On
observe trois utilisation des langues au sein des familles bilingues :
l'utilisation exclusive d'une des langues la langue du pays d'accueil, ou la
langue première de la famille, ou alors l'usage conjoint des deux
(Hornet, 2007). Il peut aussi exister des échanges où les membres
de la famille utilisent différents langages (par exemple, l'utilisation
de la langue première par les parents et les réponses des enfants
dans la langue seconde). Nous avons vu précédemment l'importance
de la langue dans les sentiments d'appartenance et d'identité, mais
aussi la valeur accordée par les familles migrantes à
l'intégration et dans le même temps à la transmission
familiale.
21
On comprend donc que les choix concernant la linguistique et
la transmission aux enfants de ces compétences est influencés par
de nombreux facteurs en lien avec l'histoire familiale, individuelle,
l'intégration et l'immigration et tous les ressentis qui y sont
liés (Hamad, 2004). On remarque aussi l'alternance entre les langues
utilisées en fonction du contexte, des destinataires ou encore des
sujets abordés entre parent et enfant :
On peut faire lien avec le sujet de cette recherche et le
cadre familial influencé par la migration et l'intégration. Des
expériences et études cliniques recommandent la transmission et
l'utilisation de la langue maternelle pour les enfants migrants. Cet
apprentissage peut permettre dans un type de bilinguisme additif, la
facilitation d'apprentissage à d'autres langues et notamment la langue
du pays d'accueil mais aussi la filiation au sein de la famille. Cela
correspond à la construction d'une sécurité linguistique
pour l'enfant, notamment avec une meilleure estime de sa langue maternelle et
de la culture qu'elle promeut, l'héritage de sa famille et son
intégration dans celle-ci. Cette sécurité au niveau du
langage mise en place au sein de la famille et lors des interactions avec le
jeune enfant, favorise la mise en place des interactions précoces et
consolide la création des liens entre les membres de la famille
(démontré par les programmes de soins et de recherche de
l'Unité Petite Enfance et Parentalité Vivaldi, 2004). Pour
favoriser cela, deux composantes à l'apprentissage du langage par
l'enfant dans leur contexte familial ont été identifiées
par Xiaoxia Li dans son article How can language minority parents help
their children become bilingual in family contexte ? : la première
correspond aux comportements et la valorisation par les parents envers les
langues et les cultures (première, secondaire) que l'enfant rencontre.
Et la deuxième est constitué par les interactions parents-enfants
(langue utilisé, transmissions familiales, communication non-verbale) (X
Li. (2012). How can language minority parents help their children become
bilingual in family contexte ? A case studfy of a language minority mother and
her daughter. Journal of Multilingual and Multicultural Development. Page 211).
Les parents et l'éducation mise en place sont donc une part importante
de l'apprentissage des langues par l'enfant, la construction de son
identité et du sentiment d'appartenance ou non. S'appuyant sur ces
idées et connaissances, on retrouve la méthode de Ronjat
(Hadège, 2005). Cette méthode conseille dans le but d'un
apprentissage bilingue l'utilisation par chaque parent de sa propre langue
maternelle, mettant ainsi en place un cadre clair d'utilisation des langues,
permettant la différenciation plus aisée des différences
entre les langues et le rattachement des langues à une filiation et
à des formes de transmissions familiales, par la figure du parent.
22
5. L'observation du bilinguisme sur le
développement langagier de l'enfant
Comme il a été dit l'investissement et le
développement par l'enfant de deux ou plusieurs systèmes
linguistiques demande différents processus de différenciation des
langues et d'adaptation, notamment à une appartenance et une
découverte de plusieurs univers culturels. Des études
récentes démontrent que les troubles ou retards de langage
longtemps associés au bilinguisme sont souvent plus difficilement
évaluables et ayant moins de lien avec le contexte interlingual que ce
qu'il était pensé précédemment. Différentes
études ont été menées par le Centre du Langage et
le service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent dirigé par
la professeur Marie-Rose Moro, auprès des familles issues de la
migration et ayant des appartenances culturelles multiples et/ou bilingues.
L'évaluation des troubles du langage chez ces enfants doit être
accompagner et compléter par l'approche multiculturelle et multilinguale
nécessaire à une bonne compréhension de la situation de
l'enfant et de son cadre familial. C'est notamment le but de l'Hôpital
d'Avicennes qui a mis en place un outil d'évaluation et d'observation
des capacités langagières chez les enfants, mêlant les
compétences en langue française et étrangère :
l'ELAL d'Avicenne (Evaluation Langagière des Allophones et
Primo-arrivants). Cet outil permet une prise en compte des différentes
compétences, leur reconnaissance et les dynamiques observées au
sein des interactions précoces, dans le cas du bilinguisme ou du
plurilinguisme chez l'enfant. Cela en amont de poser un diagnostic, pouvant
enfermer l'enfant et ne pas être en accord avec ces réelles
compétences linguistiques. Les études démontrent
l'importance d'une évaluation pluridisciplinaire où
l'environnement de l'enfant et de sa famille est pris en compte, pour arriver
à une observation précise des difficultés que rencontrent
possiblement l'enfant (Sanson, C. (2010). Troubles du langage,
particularités liées aux situations de bilinguisme. Page
55). D'où la complexité de l'accompagnement, en lien avec un
manque d'informations des professionnelles et la difficulté
d'évaluation des compétences de l'enfant.
Actuellement, aucune étude n'a démontré
que les enfants bilingues pourraient être plus enclins à
développer des troubles du langage que les enfants monolingues. Au
contraire Colette Noyau dans son article Psycholinguistique de
l'acquisition des langues et didactique du bi-plurilinguisme (2014)
précise que la maitrise et l'apprentissage de plusieurs langues
s'harmonise autour des 4-5 ans de l'enfant, moment où les enfants ont
acquis, dans la plupart des cas, « les bases de leurs langues ou de
chacune de leurs langues » (Psycholinguistique de l'acquisition des
langues et didactique du bi-plurilinguisme (2014), page 1). Cette tranche
d'âge d'acquisition est la même que dans le cadre d'un
apprentissage d'une langue unique dans la petite enfance. L'apprentissage d'une
nouvelle langue après les 4 ans de l'enfant
23
correspond déjà à une langue dite
seconde. L'apprentissage de différents systèmes linguistiques
permet au niveau cognitif la mise en place de systèmes structuraux
facilitant les prochains apprentissages, notamment une certaine logique
linguistique et des facilités d'adaptation précoce. La maitrise
de plusieurs langues a aussi une influence dans la construction affective, le
développement social, et l'ouverture culturelle de l'enfant dans sa
famille et au sein des sociétés. Comme il a été
nommé, des différences de compétences peuvent être
observés entre les langues utilisés par l'enfant, et portant ou
non un trouble.
V. En conclusion de la phase exploratoire
...
A travers cette phase exploratoire nous avons pu
élaborer une réflexion prenant en compte le contexte de
l'immigration et de l'intégration en France, l'importance du langage
dans le développement de l'enfant et de sa construction en tant
qu'individu et les enjeux remarqués au sein de la parentalité
chez les familles migrantes et bilingues. Par la suite nous poursuivrons en
nous intéressant à l'accompagnement mis en place par les
professionnels de la petite enfance autour du développement du langage
des enfants bilingues, le soutien à la parentalité amené
aux familles. En ayant à l'esprit l'importance du langage dans la
filiation de l'enfant au sein de sa famille et lors de sa construction en tant
qu'individu.
24
PARTIE III : L'ENQUÊTE DE TERRAIN
I. Exposition de la problématique et des
hypothèses de départ
Cette première partie de recherches documentaires a
permis d'approfondir et d'avoir une vision plus globale concernant
l'accompagnement à l'acquisition du langage par le jeune enfant et des
enjeux relatifs aux transmissions familiales au sein des familles migrantes.
Après ces précisions, je peux maintenant formuler une
problématique : « En quoi les professionnels ont une place
et/ou un rôle dans l'accompagnement de l'apprentissage du langage
auprès des familles issues de l'immigration ? ». Lors de
la phase exploratoire, nous avons pu toucher du doigt de nombreuses
sensibilités au sein de cet apprentissage et au sein même de la
famille, sa construction en lien avec l'immigration et son intégration
dans le pays d'accueil. Par cette enquête auprès des
professionnels et l'observation des familles, j'aimerais pouvoir observer
qu'est ce qui est mis à l'oeuvre dans les accompagnements faits ou les
réflexions portées par les équipes et les structures.
Mon hypothèse en réponse à cette
problématique sont que, oui, le professionnel peut jouer un rôle
et trouver une place adéquate dans l'accompagnement au
développement langagier de ces enfants, mais selon certaines conditions.
Les conditions auxquelles je pense à ce moment T de ma recherche, sont :
la conformité de l'accompagnement réalisé avec les
attentes, valeurs et idées de la famille ; le respect des besoins
de l'enfant, de son développement et de l'intérêt des
actions mises en place dans son sens ; et à condition que cet
accompagnement soit en accord avec les missions et moyens de la structure ou du
(des) professionnel (s).
1. Les outils d'enquête et les
destinataires
Pour cette enquête, j'ai choisi d'utiliser
différents outils d'enquête qui sont des questionnaires et
entretiens en direction des professionnels et l'observation des familles dont
la langue première n'est pas le français et accueillies au sein
de l'AME. Pour aborder différentes pratiques professionnelles et
différents types d'accompagnement, j'ai fait le choix d'interroger des
professionnels ayant différents diplômes et travaillants dans des
structures variées. Les professionnels interrogés sont tous des
acteurs de l'accompagnement pluridisciplinaire fait autour du langage de
l'enfant et dans le soutien à la parentalité.
A- Questionnaire en direction des professionnels travaillant en
EAJE
Dans un premier temps, j'ai souhaité interroger les
pratiques professionnelles au sein des Etablissement d'Accueil des Jeunes
Enfants (EAJE) sur ce sujet. Le choix des EAJE, c'est fait, car ces structures
représentent un acteur majeur de l'accompagnement du jeune enfant
25
et sa famille, hors institution médicale ou
médico-sociale ou domaine social. La Charte Nationale pour l'Accueil du
Jeune enfant (23 septembre 2021) rappelle au niveau national les principes
d'accueil pour le bon développement des jeunes enfants, dont
l'écoute et l'accompagnement de leurs besoins, un accueil bienveillant
de sa famille par la structure et le besoin des professionnels de se former.
L'écoute de la famille et de ses volontés pour l'éducation
de son enfant fait donc partit des missions des professionnels en EAJE pour
l'accueil de l'enfant. Dans cette vision de ces structures participant à
la co-éducation, je pense intéressant de prendre connaissance des
pratiques et des connaissances des professionnels concernant les familles
issues de l'immigration, leurs spécificités et le
développement du langage chez le jeune enfant. Le questionnaire
distribué (voir en annexe 1) s'intéresse à
l'accompagnement fait auprès des enfants bilingues et les adaptations
mises en place, ou non, pour favoriser le développement du langage et le
contact avec la famille.
Pour recueillir des réponses quantitatives et
qualitatives en quantité significative, j'ai fait le choix du
questionnaire. Par mon expérience en EAJE, j'ai une certaine
connaissance de l'accompagnement réalisé auprès des
familles. Pour autant, je ne m'étais pas concentré jusqu'alors
à l'accompagnement spécifique des familles issues de la
migration. Ce questionnaire est donc dans le but de me renseigner sur
l'accompagnement adapté qui peut être mis en place dans ce type de
structure et les visions des professionnels sur celui-ci.
B- Entretiens avec une professionnelle
spécialisée dans l'interculturalité
Au sein de l'AME, j'ai eu la chance de travailler avec de
nombreux professionnels qui par leurs expériences ont
développé des connaissances et des compétences
poussées dans l'accompagnement des familles issues de l'immigration et
dans des situations d'interculturalité. Les développements du
jeune enfant sont aussi des sujets bien connus des professionnels par l'accueil
d'enfant de moins de 3 ans. Parmi les professionnels rencontrés, une
éducatrice spécialisée et formée à
l'interculturalité et l'accompagnement des familles de par ses
expériences et sa pratique professionnelle. Dans le cadre de ma
recherche, il m'a paru pertinent de pouvoir aborder avec elle ses
réflexions et connaissances concernant l'interculturalité,
l'accompagnement des familles immigrées et l'accompagnement qu'elle peut
proposer dans le cadre de son poste en AME. Lors de cet entretien (voir en
annexe 2) nous avons abordé sa vision du développement langagier
du jeune enfant et ses influences familiales et sociales, les
spécificités de l'accompagnement des familles en lien avec
26
l'immigration et principalement, l'accompagnement des
différents développements chez le jeune enfant.
Pour cette rencontre, la forme de l'entretien m'a paru la plus
appropriée. Il permet le recueil de données qualitatives, de
pouvoir approfondir les notions et points abordés lors de la discussion,
ce qui me parait essentiel dans un sujet si complexe que représente
l'accompagnement des enfants et des familles et l'interculturalité.
Cette forme me permet aussi de pouvoir compléter et approfondir les
données recueillies dans les questionnaires en direction des
professionnels et les observations des familles.
C- Observation des familles accueillies à l'AME
Pour compléter les réponses des
professionnelles, j'ai voulu observer les familles et leurs utilisations des
langues au sein de l'AME. J'ai réalisé des observations des
familles sur des moments où les mères liaient l'utilisation de
leur langue maternelle et du français pour s'adresser à leurs
enfants. J'ai profité de ce support et de la relation mise en place avec
les mères pour engager une discussion avec elles sur leur langue
maternelle, son apprentissage par leur enfant et la façon dont elles la
considéraient. Ces observations et ces entretiens informels ont permis
l'échange entre nous, mais aussi la valorisation de cette langue et de
leurs compétences auprès des mères (voir en annexe 3).
II. Résultats de l'enquête
1. Données recueillies auprès des
professionnels
Le questionnaire était adressé aux
professionnels de la petite enfance, exerçant dans différents
types d'EAJE. 33 professionnels ont répondu à ce questionnaire,
ayant différentes formations (psychologie, CAP AEPE, bac professionnel
ASSP, moniteur éducateur et EJE) et exerçant principalement en
multi-accueil, micro-crèche ou crèche familiale. Les
réponses rendues démontrent que l'accompagnement des familles
migrantes reste minoritaire au sein des EAJE (72.7% de réponses «
rarement » à la question concernant la fréquence des
accompagnements auprès de familles bilingues, issues de l'immigration).
L'entretien réalisé était auprès de
l'éducatrice spécialisée, formée à
l'interculturalité et travaillant très fréquemment
auprès de familles issues de l'immigration.
Le questionnaire transmis s'intéressait aux pratiques
mises en place par les équipes et les structures pour favoriser le
développement du langage des enfants et l'accompagnement global des
familles issues de la migration. De manière générale et
collective : les supports utilisés par les professionnels sont
majoritairement les livres et les chants (temps lecture et
27
chanson (90.9%), livres en libre accès (54.5%)). On
retrouve ensuite l'utilisation d'un langage non-verbal avec la mise en place de
la « langue des signes bébé » (81.8%). En
complément, et plus, majoritairement, on retrouve des jeux mis en place
en lien avec le langage (36.4%) et l'utilisation du picto-langage (18.2%).
72.7% des professionnels ont répondu que les supports déjà
mis en place de manière générale pour soutenir le
développement du langage de l'enfant dans la structure où ils
exercent n'ont pas été « adaptés ou davantage
développés » dans le cadre de l'accompagnement des enfants
bilingues. Bien que davantage de difficultés aient été
remarquées. Plus de la moitié des professionnels
interrogés (54,5%) disent avoir remarqué des difficultés
dans l'apprentissage du langage pour les enfants de familles bilingues et
migrantes. Cela alors que les recherches exposées
précédemment affirment que les troubles du langage et les
difficultés dans l'apprentissage, même multiple, ne concernent pas
davantage les enfants bilingues que monolingue. À cette question, se met
aussi dans l'analyse la subjectivité de ce qui est compris par les
professionnels dans le terme « difficultés » dans
l'apprentissage du langage. Cela peut faire référence à la
phase d'apprentissage déséquilibré, mais normale, des deux
langages avant les quatre ans de l'enfant.
Dans les cas où ils ont été
adaptés (18.2% des professionnels interrogés) on remarque que les
aménagements se concentrent d'une part autour du langage avec
l'adaptation des pratiques et de la communication par les professionnels
(débit de parole lent, associer les mots à des gestes ou des
objets), l'élaboration de réflexion autour de l'accompagnement de
l'enfant en équipe et notamment en utilisant le principe de
référence, mis en place dans de nombreux EAJE. Les autres
réponses données se concentrent autour de la famille de l'enfant
et de sa langue maternelle : 1/4 des professionnels disent inclure le langage
premier de l'enfant au sein de la structure ; et la moitié de ceux ayant
fait des aménagements disent mettre en place des discussions et
rencontres permettant l'échange avec les familles autour des besoins de
leur enfant et leurs volontés pour celui-ci.
L'éducatrice enquêtée aborde elle aussi
l'importance d'investir les familles dans les propositions et l'accompagnement
fait auprès de leurs enfants. Elle note la nécessité de
comprendre ce qui fait sens pour les familles. Au sein de l'AME, un
accompagnement global et quotidien est réalisé, permettant aux
professionnels d'observer et d'interpréter plus aisément les
comportements éducatifs mis en place par les familles et les
réactions et réponses aux propositions d'accompagnement des
professionnels de l'équipe. Ainsi, elle note que les apports de
l'équipe peuvent résonner avec ce qui fait sens, avec les
sensibilités
28
des familles en lien avec l'éducation des enfants
(répétition et inscription dans les habitudes de la famille des
propositions de l'équipe, intérêt démontré
par la mère dans les apports de l'équipe). Dans le cas inverse,
elle insiste sur l'importance de respecter le positionnement de la mère,
dans la limite où l'enfant ne subit pas de « déficit de
développement » et où la famille « porte »
l'enfant d'une manière qui lui est propre. Elle met en perspective les
différences en termes d'éducation liées à la
culture et à l'éducation reçue par les mères :
l'éducation européenne met l'accent sur le langage et la
verbalisation dès la petite enfance, quant au sein de l'éducation
à l'africaine, c'est davantage par le toucher et les soins ( « le
kinesthésique » ) que les parents portent l'enfant et lui
démontre l'attention. Remarquer et comprendre de telles
différences nécessitent forcément une première
approche et connaissance de l'interculturalité et/ou des pratiques
éducatives à travers le monde. Ces différences de
comportements, pour peu qu'elles ne soient pas comprises, peuvent amener les
professionnels à se questionner. À travers les réponses
des professionnels exerçant en EAJE, on remarque ces inquiétudes
: les réponses indiquent des difficultés dans l'accompagnement
des enfants qu'ils suspectaient porteur de Trouble du Spectre Autistique (TSA)
ou de retard dans le développement de l'oralité, dans les cas
où l'enfant se montre mutique ou lors du développement
inégal des deux langages de l'enfant. À travers la recherche
théorique, nous avons pu voir que le bilinguisme précoce
n'amène pas davantage de risque de troubles du langage ou de
l'oralité chez les enfants. Pour autant, nous avons pu noter que la
socialisation et la communication de l'enfant peuvent être
impacté, notamment dans les cas où l'enfant n'a pas encore
développé sa sécurité linguistique et pris
confiance dans l'utilisation des langues apprises.
À la question « Imaginez-vous d'autres
aménagements ou accompagnements possibles au sein de votre structure
pour ces enfants et leurs familles ? », les réponses des
professionnels s'orientent vers la valorisation des cultures et des langues des
familles et de les inclure davantage au sein de la structure
(échange de chansons, mots importants pour l'enfant de la famille
aux professionnels, valoriser et encourager l'apprentissage de la langue
première de l'enfant au domicile, la création d'outils
éducatifs autour des différents langages (premier et second) de
l'enfant, mise en place d'ateliers parent-enfant par l'équipe).
Mais aussi des évolutions internes à la structure avec le
développement de jeux autour du langage et d'en diversifier les langues,
aménager les temps d'accueil des familles pour en dégager plus de
disponibilité et de temps et avoir accès à des formations
professionnelles sur ce sujet et les outils possibles pour les équipes.
En termes d'accompagnement, l'éducatrice rappelle
29
que les propositions sont individuelles. L'idée majeure
reste l'échange avec les familles, de partir d'elle afin d'en
dégager « ses priorités », sa vision de
l'éducation, de ce qui est important pour le parent et ses enfants et
venir comprendre ses pratiques éducatives. Cela permettra ensuite de
pouvoir amener le point de vue des professionnels, leur compréhension du
développement de l'enfant et ses besoins et d'adapter les interventions
auprès de la famille. Une des clés peut aussi être
l'observation conjointe et commentée de l'enfant avec le parent :
pointer ses actions, ses développements pour faire remarquer au parent
son évolution, ses compétences, ses besoins. Un étayage
peut aussi être bénéfique à l'enfant, en multipliant
les acteurs autour de la famille. L'éducatrice rappelle que « la
famille ne peut pas tout faire », en termes de socialisation, d'apport et
d'apprentissage. Notamment dans le cas du bilinguisme précoce, si les
parents ont des difficultés de maîtrise dans la langue du pays
d'accueil. L'étayage peut donc passer par différents acteurs :
les modes de garde et de socialisation (EAJE, Lieu d'Accueil Parent-Enfant,
...), les acteurs de soins et d'éducation (PMI, école).
Pour autant, de par les réponses des professionnels en
EAJE et ce que l'éducatrice fait remarquer, l'interculturalité au
sein des familles est une donnée peu prise en compte dans les
accompagnements mis en place par les différents acteurs. Les
professionnels d'EAJE disent être désarmés et peuvent se
sentir en difficulté pour communiquer et construire la relation de
co-éducation recherchée avec les familles («
obligé d'utiliser Google Traduction », présence
d'un traducteur lors des entretiens avec les familles) ou lorsque ces
accompagnements sont rares par manque d'outils et « mal à
l'aise ». Mais on sait aussi que de par la prise en charge au sein de
la collectivité des crèches, les difficultés à
rencontrer les parents hors des temps d'adaptation ou de transmission
(arrivée et départ de l'enfant), les temps d'échanges
entre familles et professionnels sont difficiles à mettre en place. Au
sein de l'AME et par l'accompagnement très fréquent de familles
issues de l'immigration, des formations sont mises en place en interne et les
professionnels sont sensibilisés et informés sur ce type
d'accompagnement.
2. Données recueillies par l'observation
des familles
À travers les observations recueillies auprès
des familles de l'AME, et présenter en annexe (Annexe 3), j'ai pu
remarquer dans un premier temps l'alternance des langues premières et
secondes au sein de la communication mise en place entre la mère et
l'enfant. Cette alternance est appelée changement de code, soit
le processus de changement de langue lors d'une discussion ou de comportement
communicatif. Dans les deux observations, on
30
remarque que les mères alternent l'utilisation de leur
langue première, puis secondaire pour s'adresser à leur enfant,
dans des contextes différents. Dans l'observation A, la mère
s'adresse à son fils dans un contexte de jeu : Madame s'adresse à
lui en malgache pour jouer, chanter, être proche de lui, le
récupérer lorsqu'il sort de la chambre. Ma présence et le
fait que je ne parle pas malgache la pousse à parler en français,
du moins lors de notre discussion, mais aussi avec son fils, pour
peut-être que je comprenne aussi ce qu'elle lui exprime. Elle
intègre son fils à notre discussion en lui parlant
français, puis reprend un lien qui leur est propre et intime en
s'adressant à lui en malgache. Dans l'observation B, c'est au contraire
dans un contexte d'autorité que la mère utilise sa langue
maternelle (le vietnamien) pour reprendre son fils en colère et dans le
rejet de l'adulte. La présence et l'intervention conjointe à la
sienne d'une éducatrice l'ont sûrement poussé à
utiliser le français dans un premier temps. On voit ensuite, qu'elle
reprend la situation et affirme son autorité en vietnamien. Sa
communication ayant changé et semblant plus sure d'elle et de la
manière dont elle s'exprime ont surement aidé à calmer
l'enfant. Dans les deux cas, on remarque que l'utilisation de la langue est
influencée par le contexte (moment de jeu, colère,
présence des éducateurs, enjeux dans la situation) et du message
transmis à l'enfant. Son utilisation peut aussi ramener la mère
et l'enfant dans une relation de proximité, car leur dialogue n'est
compris que d'eux et leur ai propre. Elle peut aussi être davantage
aisée pour les parents de s'adresser à leur enfant dans la langue
qu'il maîtrise la mieux. Ces observations ne permettent néanmoins
pas une analyse plus poussée des habitudes remarquées dans les
langues premières et secondes des familles, d'autant plus que l'on peut
imaginer que ces habitudes sont propres à chacun.
Dans ces dialogues, on remarque aussi que les enfants
comprennent et sont réceptifs à la langue première de leur
mère dès les premiers mois, signe qu'ils y sont habitués.
Thomas (8 mois) réagit aux comptines malgaches chantées par sa
mère et à ses interpellations. Gabin (3 ans et 4 mois) peut
repérer l'alternance des langues et les comprendre, regarde les objets
nommés et montrés par sa mère en vietnamien. Il
répond en français quand sa mère lui parle.
À travers l'utilisation de la langue et notamment dans
des contextes de tension ou de proximité mère-enfant, on peut
imaginer la valeur portée par les mères à leur langue
maternelle et à leurs transmissions à leurs enfants. Lors de
l'observation A, la mère de Thomas a exprimé l'importance
qu'avait pour elle la transmission du Malgache à son fils, dans le but
qu'il puisse entretenir le lien avec sa famille élargie et par extension
leurs histoires. Elle pointe aussi une notion que nous avons abordée
précédemment : le sentiment de responsabilité
portée par les parents à transmettre et faire apprendre la langue
maternelle
31
aux enfants (« si ce n'est pas moi qui lui apprends,
personne ne le fera. »). Cependant et nous l'avons traité dans
la partie exploratoire, la relation d'un individu ou d'une famille à son
histoire, son origine et sa langue sont propres et intimes. Je ne pense donc
qu'aucune généralité ne peut être faite concernant
ce rapport aux biens culturels portés par la famille.
III. Analyse globale des données recueillies et
réponse à la problématique
En rappel, cette enquête était motivée par
la problématique : « En quoi les professionnels ont une
place et/ou un rôle dans l'accompagnement de l'apprentissage du langage
auprès des familles bilingues, issues de l'immigration ?
». Les hypothèses imaginées en réponse
à cette problématique étaient à condition que :
- 1 : la conformité de l'accompagnement
réalisé avec les attentes, valeurs et idées de la famille
;
- 2 : le respect des besoins de l'enfant, de son
développement et de l'intérêt des actions mises en place
dans son sens ;
- 3 : et à condition que cet accompagnement soit en
accord avec les missions et moyens de la structure ou du (des) professionnel
(s).
En réponse aux hypothèses
énoncées, on remarque que l'hypothèse 1, sur l'importance
de la conformité de l'accompagnement envers les pratiques
éducatives et volontés de la famille, semble se confirmer
d'après les résultats de l'enquête. En effet, les
professionnels interrogés expriment tous l'importance d'investir les
familles dans les accompagnements faits auprès des enfants, peu importe
la structure (EAJE ou AME). Les principales idées sont l'échange
des connaissances entre famille et professionnel (linguistiques, pratiques
éducatives, importance et valeurs portées), des observations de
l'enfant et de son développement et l'importance de connaître les
volontés des parents pour les propositions mises en place par les
professionnels auprès de l'enfant. Avec certaines réponses, on
note aussi l'idée d'impliquer les familles dans les réflexions
menées par les équipes. Une réflexion partagée et
des échanges famille-professionnel peuvent être
bénéfiques dans le but de soutenir le lien parent-enfant, les
transmissions intra-familiales et les pratiques éducatives mise en place
par les parents. Car, comme l'ont montré la recherche théorique
et les observations des familles, chaque famille à sa propre utilisation
des langues, d'autant plus dans le cas du bilinguisme intra-familiale. Cet
investissement de la famille dans les pratiques des professionnels ne peut
être efficient et cohérent avec les attentes de la famille sans la
prise en compte de l'interculturalité et des différences pouvant
exister concernant les pratiques éducatives et les logiques culturelles
entre les familles et les équipes. Auquel cas l'accompagnement risque
32
de ne pas prendre de sens pour la famille et de ne pas
être investis, perdant ainsi ses objectifs et entravant la mise en place
d'une relation de confiance et de co-éducation autour de l'enfant.
L'hypothèse 2, avancée la condition que les
besoins de l'enfant devaient être respectés et les actions
réfléchies dans l'intérêt de son
développement. L'analyse théorique a rappelé l'importance
du développement psycho-affectif et social dans le développement
du langage et donc l'importance de la famille et son investissement
auprès de l'enfant dans cet apprentissage. Lors de l'analyse des
données recueillis par l'enquête, les réponses des
professionnels démontraient avoir conscience de l'importance de la
famille dans cet accompagnement spécifique de la petite enfance. Des
aménagements et des réflexions d'équipe sont mis en place
au sein des structures pour accompagner les enfants bilingues et leurs
apprentissages (aménagement de l'espace, des propositions
éducatives). Cela montre, selon moi, le regard et la volonté des
professionnels à accompagner au mieux les jeunes enfants, en fonction de
leurs besoins et stades de développement. L'étayage au sein de
l'accompagnement de l'enfant et en fonction de ses besoins peut ainsi amener
une partie de réponses. Il peut être bénéfique dans
les cas des retards de développement sont observés, où le
cadre de l'accompagnement par une structure ne permet pas de couvrir tous les
besoins de l'enfant et sa famille. L'étayage peut permettre
l'observation des besoins de l'enfant par différents acteurs et
l'adaptation des accompagnements (éducatif, médical, social) de
l'enfant et/ou de la famille en réponse aux observations et
réflexions pluridisciplinaire menées.
Pour finir, une des conditions imaginées était
que les accompagnements mis en place devaient être en accord avec les
missions et moyens de la structure ou du (des) professionnel (s). En effet, les
structures et professionnels pouvant être amené à
accompagner les jeunes enfants dans le champ de la petite enfance, du
médical ou du social rassemble différents cadres d'interventions,
missions et compétences de par leurs organisations, possibilités,
contraintes et spécialisations. De par ces spécificités,
une structure peut difficilement répondre à tous les besoins du
jeune enfant et sa famille, d'autant plus dans le cas de
l'interculturalité. Ainsi étayer
l'accompagnement en diversifiant les
acteurs peut être
bénéfique. Le principe d'étayer permet alors
l'accessibilité à diverses compétences, moyens
détenus par différents professionnels ou institution et
structures. Il permet aussi un regard croisé sur les situations et donc
une réflexion partagée et complémentaire entre les
acteurs. Pour cela, il peut prendre la forme du travail en réseau ou
33
de partenariat entre les structures autour de la famille.
À côté de ça, les professionnels interrogés
expriment leurs souhaits et l'importance d'accéder à des outils
pédagogiques et à des formations en lien avec le
développement du langage et le soutien à la parentalité
dans le cadre de l'interculturalité.
En conclusion, oui, l'accompagnement du développement
du langage par les professionnels dans les situations de bilinguisme
précoce et d'interculturalité me paraît pertinent, si
celui-ci respecte les besoins, les droits des familles et les
compétences de chacun des acteurs ou des structures intervenants dans la
situation. Par la suite, nous verrons comment ces conditions peuvent être
mises en place concrètement au sein de l'accompagnement des familles.
34
PHASE IV : POSITIONNEMENT PROFESSIONNEL
À partir des données et notions amenées
précédemment lors de la recherche théorique et
auprès des professionnels de terrain, je présenterai maintenant
leur mise en pratique au sein de la pratique professionnelle et du
positionnement en tant qu'EJE. Au sein de cette thématique, la
réflexion a été portée sur l'enfant en situation de
bilinguisme, les familles bilingues et issues de l'immigration et
l'accompagnement par les professionnels du champ social et de la petite
enfance. Nous aborderons donc cette partie traitant du positionnement
professionnel en distinguant les actions éducatives et le positionnement
parmi le public (enfant et famille) et les professionnels en fonction des
besoins relatifs au développement de l'enfant et à
l'accompagnement des familles en situation interculturelle.
I. En direction des enfants bilingues,
L'importance de prendre en compte les
spécificités de chaque enfant et de sa famille et de soutenir les
développements de l'enfant dans les accompagnements proposés en
EAJE est soulignée par la Charte Nationale pour l'Accueil du Jeune
Enfant et apparaît dans les projets de service, éducatif et
pédagogique des différentes structures de soutien à la
parentalité et d'accompagnement de la petite enfance. Nous commencerons
donc cette partie sur le positionnement professionnel par les actions
éducatives possibles en direction des jeunes enfants.
Lors de la phase exploratoire et de l'enquête
menée, il a été remarqué que les familles avaient
le sentiment d'être responsable de l'apprentissage de la langue
première de leur enfant, mais aussi que l'accueil de l'enfant au sein de
structure pré-scolaire lui permettrait d'apprendre la langue seconde,
nationale. Apprentissage qui peut s'avérer difficile à
accompagner pour les parents si eux-mêmes ne le maîtrise pas, ou en
ont l'impression. Suivant cette logique, il me parait donc important de pouvoir
répondre à cette attente de la famille envers le milieu de garde
et soutenir l'apprentissage du langage, mais davantage de manière
plurielle, en prenant en compte les deux langages de l'enfant et leurs
apprentissages. Car on sait maintenant l'importance de la mise en place de la
sécurité linguistique pour l'enfant. Dans un premier temps,
l'observation des développements de l'enfant permettra d'ajuster les
actions éducatives qui lui sont proposées. Pour cela, des grilles
d'observations peuvent être mises à disposition des
professionnelles, notamment s'il y a un système de professionnels
référents par enfant en place. Les grilles d'observation
individuelles pourraient se présenter sous la forme d'un tableau avec
plusieurs entrées : avec les stades dans les différents
développements de l'enfant ; et les âges d'acquisition (en mois)
à compléter par le
35
professionnel référent. Une grille d'observation
de ce type est en train d'être mise en place à l'AME (voir annexe
4) dans le but de faciliter les observations par les professionnels, la mise en
place d'un outil clair et précis qu'il sera aussi possible de
transmettre aux mères dans l'idée de les investir aux
observations menées par les équipes sur leurs enfants. L'outil
mis en place comprend tous les développements de la petite enfance, mais
son principe peut être repris dans le but de cibler un
développement précisément, comme le langage, et selon les
objectifs de l'observation. Cet outil permet une observation neutre et
factuelle de l'enfant et son évolution par stades de
développement, en limitant les subjectivités liées aux
représentations culturelles ou personnelles sur l'enfant et ses
développements. Avec les apports de l'observation et en lien avec la
complexité des influences et des évolutions du
développement du langage en situation de bilinguisme précoce, des
accompagnements individuels et sur le long terme me paraissent le plus
approprié. Un accompagnement à long terme permet le suivi des
évolutions faites par l'enfant et d'adapter les actions mises en place
au mieux. L'accompagnement et le soutien au développement langagier de
l'enfant sont possibles de différentes manières et formes. Il
permet de pouvoir étayer les compétences acquises de l'enfant et
les apports reçues dans les différents environnements de
l'enfant. Les accompagnements sont évidements à adapter et faire
évoluer en fonction des besoins des enfants, des familles et des
situations.
Parmi les propositions d'actions éducatives que j'ai
imaginées, j'ai pensé dans un premier temps à la lecture
et aux chants pouvant être associé à des gestes. Ces
pratiques sont connues pour être des outils pédagogiques courants
auprès des jeunes enfants pour favoriser l'acquisition du vocabulaire et
la compréhension de la logique linguistique. La verbalisation par les
adultes peut aussi inciter les enfants à répéter les mots
et les formules de phrases. D'autres actions éducatives peuvent
également être bénéfiques, comme des histoires
racontées par les enfants eux-mêmes ou des livres audio (dans le
but de diversifier les intonations, prononciations entendues par les enfants),
des jeux collectifs ou de coopération, des activités manuelles
(bricolage, jardinage, cuisine), qui favorisent la communication verbale et
non-verbale entre les enfants et avec les adultes. La théorie
socio-culturelle sur l'acquisition du langage défendue par Jean Piaget,
présente cet apprentissage comme imprégné et
interdépendant de l'environnement, des stimulations et des rencontres
avec les langues qui sont proposés à l'enfant. Favoriser
l'écoute et la pratique par l'enfant d'une langue va donc lui permettre
d'appréhender et d'entrainer sa compréhension et son expression.
Des représentations de la diversité par des jeux symboliques
peuvent aussi
36
permettre à l'enfant de s'identifier et de normaliser
les différences au sein du groupe : avec la mise à disposition du
groupe des poupons de phénotypes variées (fille, garçon,
différentes couleurs de peau, handicap ou la représentation des
fauteuils roulants, béquilles, lunettes, ...) ; des livres en plusieurs
langues peuvent aussi avoir cet objectif, en plus du soutien au langage.
Par ces biais, il est donc important d'inclure le langage
premier de l'enfant dans la vie quotidienne de la structure. Afin de soutenir
les apprentissages linguistiques propres à la famille de l'enfant, les
reconnaitre et les valoriser. Pour cela, les professionnels peuvent apprendre
les mots forts ou fréquents de la langue maternelle de l'enfant et les
utiliser dans les interactions quotidiennes. L'utilisation d'outils
pédagogiques tels que des imagiers bilingues peuvent également
aider à renforcer le langage maternel de l'enfant et à favoriser
son investissement dans la langue seconde. Pour faciliter la communication et
la confiance de l'enfant lorsqu'il s'exprime, d'autres pratiques
éducatives et actions peuvent être pensés comme
l'utilisation du picto-langage, de langue des signes bébés. La
reconnaissance des compétences de l'enfant et des
spécificités de la famille vont ainsi l'aider à construire
sa sécurité linguistique.
Enfin, l'accompagnement du développement langagier des
enfants bilingues précoces et issus de familles migrantes demande une
approche globale et personnalisée, qui intègre les
spécificités de chaque enfant et sa famille. Les actions
éducatives mises en place peuvent s'appuyer sur la volonté
d'imitation et la curiosité naturelle de l'enfant pour favoriser son
développement linguistique.
II. En direction des familles bilingues et issues de
l'immigration,
Après avoir abordé l'accompagnement
imaginé auprès des enfants dans le but de favoriser leur
développement langagier et de soutenir leur construction individuelle,
nous aborderons les accompagnements pensés en direction de la famille
suite aux données récupérés lors de la recherche.
Ma vision actuelle est que, dans le but d'accompagner les familles migrantes,
la prise en compte des spécificités liées à
l'intégration dans le pays d'accueil et l'interculturalité est
essentielle pour garantir un accompagnement respectueux et en accord avec la
réalité des familles.
Dans un premier temps l'inclusion des familles au maximum dans
les divers accompagnements réalisés (santé, social,
médico-social). Cette inclusion peut prendre la forme de la transparence
et l'échange des informations entre professionnels et familles. La
37
loi 2002-2, rénovant l'action sociale et
médico-sociale, réaffirme les droits des usagers dans les
accompagnements mis en place, notamment leur investissement et la
reconnaissance de leurs droits et libertés. La charte nationale du
soutien à la parentalité (2022) rappelle aussi qu'un des
principes devant être mis en place et l'accompagnement des parents en
intégrant « toutes les dimensions et l'ensemble du contexte de
la vie familiale » (Charte nationale du soutien à la
parentalité, principe 3). Ne pas respecter, écouter ou prendre
compte les volontés des familles concernant leur enfant et la mise en
place du principe de co-éducation revient donc à ne pas prendre
en compte les recommandations et le cadre législatif et éthique
mis en place au niveau national.
Concrètement, l'inclusion des familles peut se faire
à travers le principe de l'empowerment. L'empowerment a pour
but de remettre au coeur des actions, notamment sociales, « la
capacité des individus et des collectivités à agir pour
assurer leur bien-être ou leur droit de participer aux décisions
les concernant » (Simon, 1994). Ce principe a été
pensé à l'origine dans le cadre de l'intervention sociales
auprès des personnes dites vulnérables aux Etats Unis, puis
démocratisé à l'échelle internationale. Par son
utilisation, l'objectif est la mise en place d'un travail de collaboration
autour de buts communs entre professionnels et usagers. Les usagers ont toute
leur place dans les réflexions, projets qui sont mis en place pour leur
situation. Ce faire avec incite donc davantage et pousse les familles
et les professionnels à échanger leurs points de vue, valeurs et
les enjeux de chacun dans le but d'une co-construction où l'usager est
acteur. Pour cela différents moyens sont possibles, et sont à
adapter en fonction des situations rencontrées, objectifs, contraintes
et possibilités. Une possibilité serait la mise en place ou
l'aménagement de rencontre entre usager et professionnel : que ce soit
l'aménagement de l'espace, de la temporalité des rencontres,
leurs objectifs et leurs formes (entretiens, temps d'échanges, informel,
...). Notamment la définition d'objectifs clairs par les parents et les
équipes dans l'accompagnement de l'enfant et du soutien à la
parentalité, dans le but de définir un fil conducteur aux
situations éducatives, mettre en place et consolider le travail de
co-éducation et de médiation. Un exemple de contrat d'accueil,
d'accompagnement est mis en place au sein des structures de garde
pré-scolaire au Québec, appelé le dossier personnel.
Il précise les besoins, les demandes des familles et les objectifs
formulés.
Dans un second temps, je pense important la reconnaissance de
l'interculturalité au sein de l'éducation familiale et le respect
qui lui est porté au sein de la structure d'accompagnement ou de garde.
Une idée qui m'a marqué, prononcé par Serge Bouznah
38
lors d'une conférence autour de la
psychothérapie transculturelle (2023) est de « Suivre l'autre
là où il est ». Il a aussi insisté sur la notion
de discuter d'un monde à l'autre rappelant les
différents systèmes de pensées, de logique culturelle
pouvant exister et la nécessité de prendre en compte cela dans le
but de collaborer avec les usagers. Et par cette vision des différences
existantes entre les cultures, élaboré le « regard
culturisé » (Petite enfance, migration et diversité
(2014). Page 33.) des professionnels qui a son importance dans
l'accompagnement du plurilinguisme de l'enfant et dans la relation avec les
familles. Il paraît plus difficile pour les familles issues de la
migration de prendre place lors de leur accueil de leur enfant en milieu
préscolaire et scolaire (Petite enfance et migration, 2014).
D'une part par peur de mal faire, d'un sentiment d'illégitimité
ou d'impuissance à amener les compétences à leurs enfants
en comparaison aux professionnels. Pour autant, les parents interrogés
exprimaient l'envie et démontraient de l'intérêt pour
l'accompagnement fait auprès de leurs enfants et leurs
évolutions. Pour éviter cette mise à l'écart il est
nécessaire, selon les études présentées dans cet
ouvrage, d'inclure les familles dans les réflexions, décisions
faites. D'autant plus que la situation d'interculturalité implique des
pratiques éducatives souvent différentes qu'il est
nécessaire pour les professionnels d'intégrer dans le soutien
à la parentalité réalisé afin qu'il soit le plus
juste et efficace. Cette reconnaissance des différences
éducatives peut aussi s'exprimer par la valorisation, la volonté
de comprendre et d'échanger des professionnels envers les pratiques et
les valeurs des familles. Cet échange est dans le but d'un travail de
collaboration respectueux du cadre de référence de l'enfant et
ainsi de la sécuriser affectivement et linguistiquement.
III. Et en direction des professionnels du champ
social et de la petite enfance Lors de la recherche, nous avons pu
noter que la majorité des professionnels, notamment ceux exerçant
dans le champ de la petite enfance comme les structures EAJE, travaillent
rarement avec des familles issues de l'immigration mais peuvent davantage
rencontrer des situations de bilinguisme précoce. Le questionnaire
démontrait aussi que des difficultés dans l'oralité de
l'enfant peuvent être associé au bilinguisme, ou présentait
les relations avec les familles issues de l'immigration comme « difficile
» de par la communication ou l'entrée en relation. Cette
méconnaissance s'explique surement de par le peu de rencontres des
professionnels avec ces familles mais peut être aussi par un manque
d'informations lors des formations diplômantes de la petite enfance ou
lors des formations internes aux structures.
Les professionnels EJE exerçant au sein d'EAJE portent
des missions relatives à l'équipe comme des apports
théoriques en lien avec les enfants accueillis, proposer des
réflexions
39
d'équipe sur les pratiques en places au sein de la
structure et peuvent être à l'initiative des projets
d'accompagnements. En tant que professionnelle EJE, au sein de structures EAJE
ou autres, une des actions possibles et la sensibilisation et l'information des
professionnels sur la question du bilinguisme précoce afin
d'éviter les inquiétudes, incompréhensions des
professionnels autour de l'enfant et de favoriser un accompagnement efficient
et prenant en compte les spécificités et enjeux de la situation.
Notamment un accompagnement et un positionnement par l'équipe comme
personne ressource et soutien pour la famille pouvant faire face
à des incertitudes et questionnements. Mais aussi informer les
professionnels sur les enjeux d'un accompagnement en situation
d'interculturalité, l'importance d'inclure la famille, ses valeurs et
pratiques dans les propositions faites à l'enfant au sein de la
structure. Pour cela, il sera possible de passer par différents outils
de communication et d'information en direction des professionnels : comme
l'apport d'informations lors de formation interne à la structure, de
réunion ; la mise en place d'une communication écrite (affiche,
mise à disposition d'articles, livres) sur le sujet, ses enjeux et les
outils possibles lors de l'accompagnement des familles par les professionnels.
En plus de la sensibilisation des équipes, l'enquête a
démontré le besoin d'étayer les apports et les acteurs
présents autour de la famille. En effet, les divers besoins de l'enfant
et sa famille nécessitent parfois l'intervention d'équipe
formée et/ou spécialisée et ayant les moyens humains,
matériels nécessaires à une intervention efficace. Cet
étayage peut donc prendre la forme d'un travail en réseau ou en
partenariat avec des institutions spécialisées sociales,
médicales ou médico-sociales (orthophoniste, CMPI, PMI,
école maternelle/primaire, LAEP, association de famille,
...)8 ou des acteurs culturels comme les Centre Social,
bibliothèques, MJC. Ces acteurs très divers peuvent
répondre notamment à des besoins de socialisation de la famille,
d'éveil pour l'enfant, ou d'accompagnement et de soins en cas de
difficultés ou de troubles de développement.
Lors de cet écrit et au sein des textes scientifiques
ou législatifs cadrant l'accompagnement des enfants et des familles, il
est rappelé la nécessité de placer la famille au coeur des
réflexions et propositions faites par les professionnels. Pour autant,
les études présentées précédemment ont
démontré les difficultés des familles à investir et
prendre place au sein des accompagnements faits pas les structures. Ces
difficultés peuvent venir de
8 Centre Medico Psychologique Infantile (CMPI) ; Protection
Maternelle Infantile (PMI) ; Lieux d'Accueil Enfant Parent (LAEP) ; Maison de
la Jeunesse et du Citoyen (MJC)
40
multiples facteurs : fonctionnement de la structure, situation
familiale, enjeux de l'accompagnement, positionnement des équipes,
représentation des familles sur l'accompagnement fait ou leur
compétences et place en son sein, ... L'interculturalité comme
elle a été citée plutôt peut rendre difficile la
mise en commun entre famille et professionnel autour des objectifs et des
actions éducatives envers l'enfant. J'aborderai donc différentes
stratégies éducatives autour du langage et méthodes de
travail et de réflexion en direction des professionnels lors de
l'accompagnement interculturel.
Dans un premier temps, la notion de translangaging
(TL), ou l'intercompréhension, est une notion utilisée
dans les recherches portant sur le bilinguisme et dans les contextes
éducatifs ou scolaires. Cette notion d'abord pensée au sein des
classes Galloises puis défini en 2001 par Baker et Garcia en 2014, est
en constante évolution et soumis à différentes
compréhensions. L'idée principale reste l'apprentissage ou
l'utilisation de plusieurs langues par un individu dans un même contexte
(compréhension et/ou expression, réceptivité et/ou
production). (Reisner, Christina & Schwender, Philipp. (2020)). Notamment
l'articulation des langues et des apprentissages en en multipliant les
approches. Le changement de code, abordé lors de l'analyse des
observations des familles, est aussi en lien avec cette notion de TL.
L'orientation du TL a évolué vers la pratique linguistique mais
aussi « la construction du sens » chez les enfants ou
personnes bilingues (Reisner, Christina & Schwender, Philipp. (2020).
Translanguaging et intercompréhension -deux approches à la
diversité linguistique?. Page 210). Cette évolution permet donc
l'ouverture de la pratique hors du cadre scolaire (avec l'utilisation de
plusieurs langues au sein d'une même classe) et porte attention aux
processus cognitifs et sociaux en jeu dans ces apprentissages. L'apprentissage
de deux langues en même temps et son efficacité reste un point de
questionnement parmi les chercheurs en linguistique et n'est pas reconnu de la
même manière selon les approches et les modes éducatifs.
Pour autant, la notion de TL peut être observé dans de nombreuses
régions du monde, notamment des pays où plusieurs langues
nationales ou régionales cohabitent (exemple : le Maroc où
l'arabe et le français sont maitrisés conjointement par une
grande majorité de la population). Il est ainsi reconnu que les
personnes bilingues peuvent naviguer entre les langues et leurs
compétences linguistiques, et donc avoir accès à
différentes compétences et modes de communications au sein de
langues différentes et autonomes dans le but de rendre leur
communication plus efficace et d'en augmenter le potentiel. (Garcia, 2009)
41
Maintenant, parmi les différentes pratiques
professionnelles autour de l'interculturalité et de l'accompagnement des
personnes étudiées et réfléchis nous aborderons
d'abord les modèles de travail social selon Bolzman. Claudio
Bolzman9 a identifié différents modèles
d'interventions au sein de la pratique des travailleurs sociaux en lien avec
les populations migrantes (Bolzman, C. Modèles de travail social en
lien avec les populations migrantes : enjeux et défis pour les pratiques
professionnelles. 2009). Il présente ainsi cinq modèles de
travail social, souvent inconscients chez les professionnels. Le modèle
réparateur-assimilationniste : l'idée que les personnes migrantes
ont des manques ou des déficits à combler, avec la perspective
pour le professionnel de venir les réparer et de renforcer les
ressources des familles. Le modèle ethnoculturel, prend en compte la
culture de l'individu ou du groupe, en lien avec son origine et son histoire de
vie et nécessite dans ce cas une bonne connaissance de la culture et du
parcours de vie. Le modèle communautaire se base sur les similitudes du
parcours de vie (origine, événements marquants, traumatismes)
pour expliquer les problématiques communes rencontrées par les
personnes migrantes. Le modèle interculturel prend appui sur la
pluriculturalité et la complexité de l'environnement des
personnes, tout en valorisant le vivre ensemble et les ressemblances.
Et le modèle antidiscriminatoire pointe la discrimination et le
traitement inégal au niveau du statut juridique et de l'accès aux
droits en rapport avec les autochtones, mais s'intéresse moins à
la question culturelle. Chaque modèle aborde l'accompagnement des
personnes migrantes selon différentes perspectives, priorités et
valeurs et sont souvent utilisés conjointement. Ils sont aussi en lien
avec la dynamique de la société dont les politiques
d'immigration, des structures et institutions et l'évolution des
populations et des flux migratoires.
Une autre méthode utilisée pour analyser les
différences culturelles est celle des chocs culturels mise en
place par Margarlit Cohen-Emerique10. Cette méthode s'appuie
sur l'observation et l'analyse lors d'une interaction entre personnes ayant des
cadres de références culturels différents
(Introduction à la méthode de M.Cohen-Emerique & Mdash
; Prismes, 2020). L'observation se base alors sur les manifestations
visibles de la culture chez les professionnels et les usagers, et l'analyse de
la partie invisible de la culture. Elle pour but d'installer une
meilleure compréhension chez les professionnels des réactions,
choix chez les personnes accompagnées. Il y a trois étapes : tout
d'abord la décentration (prendre
9 Claudio Bolzman : sociologue, Professeur à la
Haute école de Travail Social et de sociologie à Genève
10 Margarlit Cohen-Emerique (1932- ) : docteure en
psychologie clinique et sociale, française.
conscience du cadre culturel personnel : codes, valeurs,
croyances) ; la découverte du cadre de référence de
l'autre (prendre connaissance des valeurs, modèles culturels de
l'autre et qui influencent ses comportements et réactions) ; puis la
négociation (dans le but de trouver une solution au
problème concret en ayant conscience des influences du
référentiel culturel de chacun des acteurs). Durant ces
étapes, les compétences clés sont l'observation de soi et
de l'autre et des valeurs en jeu, la curiosité envers une culture qui
est inconnue au professionnel, l'écoute et la communication. Mais aussi
la nécessité pour le professionnel de pouvoir comprendre l'autre,
ce qui est un des buts de cette méthode, comme de se comprendre
soi-même et ses propres blocages et/ou réactions à la
situation présentée. Cette méthode correspond à une
des formes de la négociation culturelle.
Il existe de nombreuses autres méthodes et
stratégies en direction des professionnels pour accompagner les publics
et l'interculturalité. Une autre méthode marquante dans le champ
de la santé et notamment la santé mentale est la
psychothérapie transculturelle, présentée par
Marie Rose Moro11 dans l'ouvrage « Guide de
psychothérapie transculturelle » (2020). Cette
psychothérapie s'inscrit dans les parcours de soins qui peuvent
être proposés aux migrants notamment les enfants et adolescents en
se basant sur l'anthropologie, la psychanalyse et la thérapie familiale.
Elle prend la forme d'échanges et de réflexion commune lors d'une
synthèse réunissant l'usager et sa famille et d'un
groupe pluridisciplinaire composé des professionnels acteur
auprès de l'usager (thérapeutes, professionnels du médical
ou du social). Elle a pour but de rechercher des solutions et comprendre
certaines situations devenues complexes, en lien avec l'interculturalité
(incompréhension, différences de systèmes de croyances,
mise en lien de l'histoire de la personne avec les événements
vécus actuellement, ...). Cette méthode de négociations
culturelle s'appuie sur les travaux de Devereux (1968) portant sur
l'ethnopsychanalyse et utilisé comme base à la perspective
transculturelle.
Par la présentation et la connaissance de ces
méthodes, il est possible d'engager des réflexions
d'équipe sur les accompagnements mis en place, leur efficacité et
les mécanismes inconscients qui se jouent chez les professionnels. Mais
aussi pouvoir réutiliser des principes existants et les adapter en
fonction des besoins de la situation. Ce point peut permettre, à mon
sens, de questionner les accompagnements déjà en place dans le
but d'une meilleur compréhension des enjeux personnels et
institutionnels existants.
42
11 Marie Rose Moro (1961- ) : pédopsychiatre,
professeure en université en psychiatrie de l'enfant,
française.
43
PARTIE V : CONCLUSION
Au terme de cette recherche, je suis convaincue de
l'importance du langage dans le développement des enfants, et de la
nécessité de prendre en compte la particularité de cet
apprentissage chez les enfants bilingues et issus de familles migrantes. Les
résultats de cette enquête auprès des professionnels m'ont
permis de mieux comprendre les défis et les limites des accompagnements
et des actions éducatives mises en place en direction de ces enfants et
de leur famille.
Lors de la première partie de ma recherche,
après avoir présenté la situation et les politiques
d'immigration en France, nous avons évoqué l'importance du
langage dans la société et en particulier dans le
développement cognitif, psycho-social et affectif du jeune enfant. Nous
avons ensuite abordé la notion de bilinguisme précoce et les
défis que cela peut poser pour les professionnels travaillant avec ces
enfants. Ensuite, j'ai examiné la complexité de la
parentalité dans un contexte migratoire et les défis et enjeux
supplémentaires que cela peut poser pour les familles migrantes. Pour
compléter cette recherche, une enquête a été faite
auprès de professionnels travaillant dans le champ du social et de la
petite enfance. Dans l'idée de cerner davantage les accompagnements
possibles lors du soutien au développement du langage chez les enfants
bilingues et au soutien à la parentalité dans un contexte
interculturel. Les résultats ont montré que les professionnels
ont une certaine méconnaissance des particularités du bilinguisme
et de la migration, mais qu'ils reconnaissent l'importance d'inclure la famille
et ses pratiques éducatives dans l'accompagnement de l'enfant en
structure. Après cette réflexion, des idées et pistes
d'accompagnement ont été formulées en direction des
enfants et leurs familles et nous avons pu présenter différentes
stratégies éducatives rentrant en compte dans les pratiques et le
positionnement des professionnels. Comme l'inclusion des familles et de leurs
pratiques et valeurs éducatives dans les actions éducatives
pensé par les professionnels en direction de l'enfant ; l'importance des
échanges familles-professionnels ; la nécessité pour les
professionnels d'être formée et informée des situations des
familles pour assurer un accompagnement cohérent et répondant de
la manière la plus juste aux besoins de l'enfant ; et l'importance de
prendre en compte l'interculturalité, les différences de
système de pensée et de logique culturel.
44
Bien sûr, il y a des limites à cette recherche,
notamment la difficulté de mener l'enquête auprès des
professionnels comme imaginé à l'origine, en raison de la
temporalité et de la réalité de terrain, ainsi que la
nécessité de faire des choix sur les données
utilisés et présentées en raison de la diversité
des sujets (immigration, langage, interculturalité et soutien à
la parentalité) et des nombreuses données et études
existantes. Les limites à la présentation d'un positionnement
professionnel en fin de recherche sont aussi les adaptations nécessaires
lors des accompagnements individuels, chaque enfant et famille n'ayant pas les
mêmes besoins ni la même situation. Ces propositions sont donc
générales et je suis convaincue du besoin d'ajuster les pratiques
en fonction des familles rencontrées et du contexte.
Par cette démarche de recherche, j'ai pu
développer et affiner mes connaissances sur les sujets de
l'interculturalité, du développement du langage et des
spécificités du bilinguisme précoce, et du soutien
à la parentalité. J'ai pu engager une réflexion sur les
pratiques d'accompagnement en tant que professionnelle dans
l'intérêt du public et des accompagnements menés. Cette
recherche m'a permis de développer des compétences d'analyse, de
compréhension et d'organisation nécessaire à son bon
déroulement.
La complexité du sujet et les nombreuses études
en cours sur le bilinguisme précoce ou le soutien à la
parentalité auprès des familles migrantes mériterait des
recherches plus approfondies et notamment une veille sur les dernières
informations et études en cours. Une poursuite de cette étude
possible serait l'étude spécifique des vécus, des souhaits
et des pratiques en lien avec le bilinguisme au sein d'une famille ou d'un
groupe de familles. Avec la mise en place de rencontres et d'échanges,
de temps d'observation, notamment comme abordé lors de l'enquête,
sur l'alternance des langues et leur utilisation, dans le but d'en
dégager les principales caractéristiques et objectifs.
Après m'être penché sur le thème de
l'interculturalité et avoir réfléchi à sa prise en
compte au sein des accompagnements éducatifs, il me semble
nécessaire de pouvoir remettre cette spécificité de la
famille au centre des projets construits par les professionnels. En effet, les
situations d'interculturalité malgré leurs nombreux impacts dans
l'éducation des enfants et la parentalité sont peu prises en
compte. Je pense que les propositions formulées
précédemment lors du positionnement professionnel et en lien avec
le soutien à la parentalité et l'intégration des familles
dans les
45
accompagnements peuvent être adapté et
utilisé dans tous les pans des accompagnements éducatifs
interculturels et non pas seulement lors du soutien au développement du
langage.
En conclusion, cette recherche a été une
expérience enrichissante qui m'a permis de mieux comprendre les enjeux
et les complexités de l'accompagnement du langage chez les enfants
bilingues et issus de familles migrantes. Cette recherche m'aidera à
améliorer les projets d'accompagnements mis en place en direction des
enfants et de leur famille et à ajuster mon positionnement en
connaissance de cause de la situation globale et d'une partie de la
réalité des familles.
46
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· Bouznah, S. (janvier 2023) intervention sur la
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OUVRAGES
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SITES INTERNET
· La Cimade (
https://www.lacimade.org)
· CNRTL : Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales (
https://www.cnrtl.fr)
· Légifrance (
https://www.legifrance.gouv.fr)
· Dictionnaire en ligne Larousse (
https://www.larousse.fr)
· Dictionnaire en ligne Le Robert (
https://dictionnaire.lerobert.com)
· INSEE : Institut National des Statistiques et Etudes
Economiques (
https://www.insee.fr)
· Vie Publique (
https://www.vie-publique.fr)
49
ANNEXES
Annexe 1 : Questionnaire en direction des
professionnels en EAJE
Questionnaire sur l'accompagnement à l'apprentissage
du langage chez les enfants bilingues
Ce questionnaire rentre dans le cadre d'une démarche de
recherche pour ma formation d'éducatrice de jeunes
enfants. Ma recherche pole
sur l'apprentissage du langage par les jeunes enfants au sein des
familles
issues de l'immigration. Je cherche à connaître les
différentes pratiques
professionnelles en EAJE (Etablissement d'Accueil du Jeune
Enfant) et autres stnlctures accompagnant des
jeunes enfants, concernant l'accompagnement
du langage, dans k cas ou la langue maternelle de l'enfant n'est
pas le
français.
Ce questionnaire est anonyme. Si vous souhaitez connaitre
davantage de précisions sur cette recherche, je reste
à disposition pour vous répondre. Vous pouvez me joindre par mail
: minaborelii74@gmai1 eom
Merci de vos réponses !
1. 1 - Dans quel type de structure travaillez vous ?
2. 2 - Quel diplôme avez-vous ?
3. 3 - A quelle fréquence accompagnez vous des familles
issues de l'immigration, ou dont la langue maternelle n'est pas le
français ?
Line seule réponse possible.
( La majorité des familles accompagnées
O Régulièrement CDRarement
Jamais
50
51
52
Annexe 2 : Guide d'entretien complété avec
l'éducatrice spécialisée, formée à
l'interculturalité (A fait référence à
l'éducatrice, et M à moi).
« M- Donc c'est un entretien dans le cadre de ma
démarche de recherche pour ma formation d'EJE. Ma recherche porte sur
l'apprentissage du langage par l'enfant dans des familles issues de
l'immigration, les enjeux du langage au sein des familles et l'accompagnement
fait par les professionnels. Je vous informe que je vais enregistrer
l'entretien pour faciliter l'analyse par la suite. Ça vous convient
comme ça ?
A- Oui.
M- Super merci. Alors ma première question est : Comment
vous-êtes-vous formée à l'interculturalité et
à l'accompagnement des familles ?
A- Alors, moi je me suis vraiment formé sur le terrain
et par la pratique. J'ai vécu à l'étranger donc je me suis
moi-même retrouvée dans des situations d'interculturalité,
où j'ai du m'intégrer, apprendre la langue. Et puis après
avec la mise en place de voyage de rupture pour des jeunes de la protection de
l'enfance là où je vivais pendant un moment : au Mali. Puis le
travail à l'AME et l'accompagnement des familles issues de
l'immigration. Après j'ai fait un DU transculturalité. M-
Okay, et avec ces expériences et ces formations, ça
m'intéresserait d'avoir votre avis sur l'influence que peuvent avoir
l'environnement et la famille sur l'apprentissage du langage par l'enfant ?
A- Alors notamment avec les familles à l'AME on voit
qu'en fonction des origines le langage n'est pas pris en compte et utiliser de
la même manière dans l'éducation des enfants. En tout cas,
on remarque des différences : effectivement en France on verbalise,
même en Europe, on verbalise beaucoup. Alors qu'en Afrique, c'est moins
évident : eux, ils parlent, mais ils verbalisent pas ce qu'ils font. Ils
sont plus dans le toucher dans le kinesthésique. Donc c'est pas tout
à fait les mêmes façons de transmettre : eux ils sont
beaucoup dans le dans le portage dans le massage plus que dans la parole au
niveau du tout petit. Pour autant, dans beaucoup de culture la transmission
elle est orale, donc le langage est aussi super important, mais moins
utilisé durant la petite enfance. M- Ok, et du coup, vous pensez
que les différences de transmission, les différentes
manières de s'adresser à l'enfant, ça a un impact sur son
apprentissage du langage ? Vous disiez qu'il y avait différentes
manières de s'adresser à l'enfant, par le toucher, la parole.
Mais est-ce que vous pensez que ça a un impact sur le langage de
l'enfant et son développement ? De ce que vous en avez observé
?
|
A - Oui Ben je pense que souvent avec nos familles africaines
qui sont moins dans le langage avec les tout petits, on remarque que le
côté rassurant que nous, on donne avec le langage, eux ils donnent
autrement. Et s'il y a cet autrement, ça va. Mais s'il n'y a pas cet
autrement et ben là ça va manquer pour l'enfant et dans son
développement. Enfin, y a des femmes qui ne verbalisent rien avec leurs
enfants et qui sont peu dans le portage, dans le toucher, et cetera. Ben c'est
là où il y a, il y a un déficit de développement ou
de de sécurisation pour l'enfant.
M- Oui, d'accord. Et est-ce que vous pensez qu'un accompagnement
spécifique est nécessaire dans l'accompagnement des familles
issues de l'immigration ou originaire d'une autre culture ? S'il y a d'autres
points d'attention, d'autres enjeux à prendre en compte ?
A - Ah Ben oui. V a des spécificités, parce que
par exemple, nous on va leur demander d'être beaucoup dans le langage et
d'être dans le jeu souvent par exemple. Alors qu'eux ils sont pas
là-dedans, mais si ils sont dans autre chose, qui est aussi porteur. Il
ne faut pas qu'on leur remplisse la tête avec nos attentes, soit faut
qu'on laisse faire selon eux. Nos préoccupations à nous seront
pas forcément les meilleurs pour eux. S'il y a un autre
côté porteur dont on n'a pas l'habitude, mais que il fait partie
de leur culture, il faut respecter ça sans mettre le forcing sur nos
codes à nous. Parce qu'il y a certaines choses qui sont importantes pour
nous, mais pour eux il y en a d'autres. Et si ces autres choses sont bien
là et bien en place, ben voilà, il faut faire avec. On peut
essayer de leur en apporter plus si ils sont preneur tant mieux, mais s'ils le
sont pas, il ne faut pas faire le forcing parce qu'ils n'y mettront pas
forcément de sens. Nous, on met le sens sur la parole, sur le jeu
important avec l'enfant, et cetera. Mais si pour eux ça n'a pas de sens,
ils vont pas le faire ou alors ils vont le faire pour nous faire plaisir. Mais
ça, ça n'apportera rien.
M- Et pour toi justement, comment on peut placer ou
définir ce qui fait sens pour la famille ? A- Le sens tu le vois, tu
le ressens : si la famille tu sens qu'elle prend plaisir, par exemple à
jouer ou à raconter une histoire. Et surtout, elle ne le fait pas parce
que t'es là. Si elle le fait que parce qu'elle le fait devant toi, mais
tu sais qu'à côté elle ne le fait pas, c'est que ça
n'a pas de sens. M- Comment vous arrivez à ajuster vos
propositions, à remarquer ce qui fait sens pour les familles toi, ou
l'équipe ?
A - C'est vraiment au coup par coup. Mais, il y a des fois,
je suis aussi désarmée que n'importe quel membre de
l'équipe. Donc, quand, effectivement, la femme elle met pas de sen dans
nos demandes, à nous on essaye par d'autres par plusieurs chemins. Et si
ça ne marche pas, je suis autant démunie que n'importe quel
professionnel. V a pas de remède miracle. On peut essayer un peu par
plein de façons différentes et puis ce qui peut aider aussi c'est
en parler avec la femme. Quelles sont ses priorités à elle,
comment elle les voit. Essayer de partir d'elle. Comment elle voit
l'éducation, qu'est
|
ce qui est important chez elle, pour ses enfants, dans
l'éducation, comment. Venir questionner ses façons de faire
à elle et puis après, essayer de de lui dire « Ben nous
à des endroits, on fait comme ça pour telle et telle raison
». Et réfléchir ensemble à comment est-ce qu'elle
peut s'en saisir ou pas ? Parce que des fois, toi, t'as des femmes qui ne
connaissent pas et en fait, quand tu fais avec elle, je sais pas : patouiller
dans les pâtes ou dans la farine.
M - Ouais, des limites aussi peut être inconscientes.
A - Oui, puis finalement elles se rendent compte que leur
enfant il fait des trucs, et que ça peut être sympa et elles
peuvent reproduire ça après. Mais à la base elles
n'osaient pas, elles connaissaient pas, elles avaient peur qu'il se salisse. Il
y a des peurs aussi. Qui sont des fois très bêtes.
M - Et dans le cas où justement la famille ne met pas de
sens dans le langage, comment tu penses ou t'arrives à mettre en place
des propositions pour l'enfant dans ce sens avec les mères ?
A - Bah après on sait que la famille, elle ne peut pas
tout faire. Et du coup, les intervenants extérieurs peuvent amener
d'autres choses. Si déjà la famille elle amène des trucs
importants qui portent le bébé et ben nous on peut lui amener des
choses différentes de la famille. L'école va lui donner des
choses différentes de la famille. On voit que chacun amène un peu
sa petite graine à l'édifice. Dans la mesure où l'enfant
n'est pas en danger de déficit ou de choses comme ça. Et des fois
y a des familles qui dans les premières années vont avoir du mal
à faire avec le petit bébé, à parler, à
donner du sens à ces d'habillement, et cetera et cetera. Parce que ce
que pour eux : il ne comprend rien, mais à partir du moment où il
va avoir quelques mots, bah là il va y avoir des choses qui vont se
mettre en place, beaucoup plus, parce qu'il y a une interaction. Et que la
famille là, elle y voit du sens. Donc faut pas non plus s'alarmer tout
de suite, je pense qu'il faut aussi donner le temps. Parce que y a plein
d'enfants : enfin la majorité des Africains, ils ont grandi normalement,
même si on, on ne leur a pas parlé étant enfant comme nous
on y est habitué. Fin moi c'est ma façon de voir les choses
oui.
M- Ok et donc qu'est-ce que vous pensez du fait de
répéter, insister sur certaines pratiques comme on peut le voir
lors d'accompagnement où les professionnels poussent la famille à
faire ceci ou cela ?
A - Si elle n'est pas de sens, je suis pas sûre que de
le répéter, ça va faire bouger les choses. Mais plus
essayer de l'amener à trouver un sens de façon différente.
Déjà donné des exemples ou montrer, quand le
bébé babille et que la mère elle est à
côté, qu'elle n'est pas réceptive, on peut l'amener
à le regarder à décrire ce qui fait, y porter de
l'attention. Et puis montrer les interactions, montrer l'évolution de
l'enfant. Des choses concrètes. Et puis nous, raconter une histoire,
avec la maman à côté pour qu'elle puisse observer. Et puis
que si on voit que l'enfant qui réagit, le signaler,
|
le montrer à la maman. Ouais, donner un autre type
..., un exemple d'un autre type de pratique possible dans l'idée,
Après, juste après répété,
répété si elle n'entend pas, elle entend pas hein.
Ça peut même faire l'effet inverse.
M- Okay, j'ai une dernière question. Est-ce que tu penses
de la place donnée aux familles, à son origine, ses valeurs et se
spécificités dans l'accompagnement qui peut être fait dans
la petite enfance ?
A - La famille elle est beaucoup niée. A mon sens.
Enfin, y a quand même pas beaucoup de services qui sont ouverts à
l'interculturalité. On ne voit pas les différences de
façons de faire ou de penser, et on ne les prend pas en compte. On ne
cherche pas à comprendre non plus. Par exemple t'as surement pu voir les
différents modes de pratique, rien qu'au sein de la PMI ou des
crèches. M- Oui c'est vrai que ça dépend des
structures et des professionnels, la famille et ses spécificités
ne sont pas toujours prises en compte comme elles le pourrait.
C'était ma dernière question, merci beaucoup de vos
réponses ! »
|
56
Annexe 3 : observations des familles à l'AME
concernant l'utilisation des langues premières et secondes entre
mère et enfant.
Observation A :
Contexte : le 2 février 2023 - lors d'un temps
de jeu avec une mère originaire de Madagascar et son enfant accueillis
à l'AME. Nous nommerons son fils de 8 mois, Thomas. Nous sommes dans
leur chambre, Thomas joue sur le tapis au sol, une discussion est
engagée entre Madame et moi.
« Pendant que nous parlons avec Madame, Thomas rampe
hors du tapis et va vers le couloir. Madame se lève, rigole et va le
récupérer dans ses bras en lui parlant en malgache. Elle continue
à lui parler en malgache quand elle le repose, sourit et associe ses
paroles à des gestes : bouge le doigt de gauche à droite pour
signifier le « non ». Nous reprenons notre discussion autour d'un
livre qu'elle a acheté pour son fils. C'est un livre de comptines en
malgache. Quand nous lançons les musiques, l'enfant sourit et bouge les
bras en rythme. Je lui souris lui dit qu'il semble très bien
connaître ces musiques et lui dit que je ne peux pas chanter pour lui car
je ne parle pas malgache alors que sa maman si. Madame sourit, elle continue
à lui parler et chantonne les comptines. Je n'interviens pas durant ce
temps, et reste en position d'observatrice. Une fois la comptine finit j'entame
une discussion autour de la langue malgache et en valorisant l'apprentissage de
cette langue pour son fils. Je lui parle rapidement de ma recherche en cours.
Elle me répond « oui c'est important qu'il parle le malgache.
». La sentant plutôt ouverte à la discussion, je lui demande
pourquoi c'est important pour elle que Thomas parle malgache. Sa réponse
« C'est important car toute sa famille est malgache et si ce n'est pas moi
qui lui apprend, personne ne le fera. » Elle s'adresse ensuite à
son fils d'abord en français « oui Thomas ! c'est important !
» puis en malgache et joue avec lui. »
57
Observation B :
Contexte : 19 janvier 2023 : observation du
départ à l'école d'une famille originaire du Vietnam.
L'enfant, que nous nommerons Gabin, âgé de 3 ans et 4 mois ait
né en France, son père est français, sa mère est
vietnamienne.
« Madame et son fils s'apprête à partir
de la maison pour l'école après la pause du midi de Gabin. Gabin
s'agite et montre son envie de rester avec sa mère à la maison :
il pleur, cri et rejette les adultes qui essayent de l'approcher pour le
calmer. Madame lui explique le déroulement de la journée en
français, soutenu par une éducatrice de l'équipe proche
d'elle. L'enfant cri et tape la main de l'éducatrice. Madame et
l'éducatrice le reprennent fermement en français. L'enfant
continue de crier « non ». Madame l'assoit et le reprend mais cette
fois en vietnamien. On la sent plus à l'aise : elle lie ses paroles
à sa communication non verbale (mouvement de tête, des mains).
L'éducatrice se met en retrait et observe la scène sans
intervenir. L'enfant baisse la tête et se tait. La mère qui criait
au début apaise progressivement son discours et on comprend qu'elle lui
réexplique le déroulé des évènements
à venir : elle lui montre le vélo qu'ils vont prendre, la
météo par la fenêtre. L'enfant regarde ce que sa
mère lui montre. Elle lui caresse la tête et lui pose une question
en vietnamien. L'enfant répond « oui ». Elle le prend par la
main et lui demande en français d'aller chercher ses chaussures. Peu de
temps après, ils partent à l'école. »
Annexe 4 : Partie sur le développement langagier
du tableau d'observation du développement du jeune enfant de 1 à
36 mois, utilisé à l'AME.
58
Mina BORELLI
Diplôme d'Etat d'Educateur de Jeunes
Enfants
Session juin 2023
MEMOIRE DE PRATIQUE PROFESSIONNELLE
« L'apprentissage du langage et le bilinguisme
précoce
chez les jeunes enfants au sein des familles migrantes
»
Cet écrit de recherche sur la pratique professionnelle en
tant qu'Educateur de Jeunes Enfants, s'intéresse à
l'apprentissage du langage par les jeunes enfants issus de familles migrantes
et grandissant dans des contextes multiculturels et plurilingue.
Dans le but de comprendre les enjeux de cette situation et de
cet apprentissage, nous nous pencherons sur les thèmes du langage au
sein de la société et de ses particularités dans la petite
enfance puis sur le bilinguisme précoce et la parentalité dans le
contexte de la migration. Nous nous intéresserons par la suite aux
pratiques professionnelles en place dans différentes structures, cela
à l'aide d'une enquête. Cet écrit de recherche se conclura
par l'ouverture de la réflexion amorcée et sa mise en pratique
dans les accompagnements réalisés auprès des familles.
Famille issue de
Petite enfance
l'immigration
|
Transmission intra- familiale
|
Bilinguisme précoce
|
Accompagnement par les Développement et apprentissage
professionnels du langage