UNIVERSITÉ SORBONNE NOUVELLE - PARIS 3 UFR Arts
& Médias
Département de Médiation
culturelle
LE PATRIMOINE OUVRIER
Entre affirmation et oubli, enjeux d'une reconnaissance
GHONIM Agnès
Mémoire de M2 dirigé par Fabien VAN
GEERT Soutenu à la session de juillet 2020
1
Déclaration sur l'honneur
Je, soussigné(e) GHONIM Agnès, déclare
avoir rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni
sources autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de
textes préexistants, publiés ou non, y compris en version
électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a
été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme
identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger,
à l'université ou dans une autre institution, par moi-même
ou par autrui.
Fait à Paris, le 28 juin 2020
Signature de l'étudiant
2
Remerciements :
Je remercie toutes les personnes qui m'ont accompagnées
dans la préparation de ce mémoire. Plus spécifiquement mon
directeur de recherche, monsieur Fabien Van Geert, qui en confiance m'a
laissé libre d'emprunter tous les chemins de recherche qui s'offraient
à moi. Je remercie également monsieur François Mairesse
qui nous a soutenu mes camarades de promotion et moi-même dans
l'accomplissement de cette dernière année de master.
Plus particulièrement, je remercie Cristiana Pace,
Fanny Bertho et Madeline West pour leur amitié qui m'a fait passer
toutes les difficultés des plus aisées au plus difficiles depuis
5 ans.
Je remercie également Louise Vigner, qui m'encourage
dans tout ce que j'entreprends, et sans qui je n'aurai certainement pas
réussi à m'épanouir autant dans la rédaction de ce
mémoire.
Une très forte pensée à mes camarades et
amis, Sarah, Emeline, Dune, Noémie, Hannah, Camille, Florine, Mathilde
T&R, Benjamin, Manon, Agathe, qui m'ont soutenue avec une réelle
complicité et une profonde bienveillance.
Sans oublier Camille Gavois qui m'a appris à ne pas
avoir peur d'une rédaction de mémoire.
Je remercie Maximilien Pelletier pour son soutien et sa
sagesse.
Je remercie ma mère, Rozenn Fernandez, bien qu'elle ait
souhaité s'échapper à certain moment, a toujours su
revenir vers ma recherche. Je la remercie, sans elle, je n'aurai pu
écrire ce mémoire.
3
Liste des Abréviations
AFP Agence France Presse
CILAC Comité d'Information et de liaison pour
l'archéologie, l'étude et la mise en valeur du patrimoine
industriel
EPV Entreprise du Patrimoine Vivant
FACE Fondation Agir Contre l'Exclusion
ICOM International Council of Museum
INA Institut National de l'Audiovisuel
PCF Parti Communiste Français
TICCIH The International Committee for the Conservation of the
Industrial Heritage
UNESCO Organisation des Nations unies pour l'éducation, la
science et la culture WORKLAB International Association of Labour Museums
4
Résumé :
Le patrimoine ouvrier dans son appellation possède une
dimension politique qui empêche son affirmation. Il est pourtant
présent et s'inscrit dans les patrimoines industriels, urbains et des
sciences et techniques. Une analyse de ces différents patrimoines est
proposée pour comprendre la manière dont il est
réapproprié. Une présentation de lieux et
d'événements vient préciser sa présentation et son
utilisation. En comprenant les obligations auxquelles doit se soumettre tout
objet dans le but d'un qualificatif de patrimoine nous montrerons que le
patrimoine ouvrier s'oppose à certaines étapes, ce qui peut
freiner sa reconnaissance. De plus, la mémoire mise en scène dans
les musées vient nous éclairer quant à la
difficulté de présentation de ce patrimoine. C'est dans cette
continuité que le musée de l'Histoire Vivante à Montreuil
s'inscrit, seul musée à se revendiquer d'une histoire politique
du mouvement ouvrier en France. Aussi, l'Arbejdermuseet à Copenhague
constitue un bon élément de comparaison et fait surgir le
modèle en recherche d'un musée de patrimoine ouvrier. La valeur
économique qui fait surface lors d'une patrimonialisation encourage le
tourisme ce qui fait inscrire le patrimoine ouvrier dans une nouvelle
pratique.
5
Sommaire
Introduction 7
Chapitre 1 - Les fondations d'un patrimoine ouvrier .
17
a- Ouvrier, un groupe particulier . 17
i- Etude de la catégorie socioprofessionnelle 17
ii- La disparition des ouvriers ... 19
iii- Un objet politique 21
b- Le patrimoine et l'ouvrier ... 24
i- Le patrimoine industriel, relation à l'ouvrier . 25
ii- Le patrimoine urbain, zone d'application . 29
iii- Les sciences et techniques, outils théoriques du
patrimoine ouvrier .... 34
Chapitre 2 - Cas Concrets . 43
a- Les réhabilitations des lieux ouvriers .. 43
i- Réhabilitation lucrative (non touristique) : Station
F, magasin Uniqlo .. 44
ii- Réhabilitation lucrative dans un but touristique : Le
Lieu Unique ....... 46
iii- Réhabilitation non lucrative, affirmation du
patrimoine ouvrier . 47
b- Les destructions .. 49
i- Le cas de l'usine de Javel .. 49
ii- Les raisons historiques des destructions ... 51
iii- Détruire pour ne pas affirmer de
propriété .. 53
Chapitre 3 - Histoire d'une notion, description
théorique . 55
a- Une construction culturelle . 55
i- Au prisme politique du patrimoine 55
ii- Les nouveaux patrimoines 57
iii- Une affirmation symbolique de la détention du
pouvoir . 58
iv- L'Unesco et la valeur universelle, rôle
économique et global product . 59
b- Un schéma appliqué 62
i- Le processus de patrimonialisation 62
ii- 6
Une application au patrimoine ouvrier, points de convergence et
limites
65
iii- Le bassin minier du Nord-Pas-De Calais : raisons d'un
classement 68
c - Entre mémoire et esthétique, le difficile
consensus ... 73
i- Fonction du musée et esthétisation du
patrimoine ouvrier 73
ii- Le paradoxe de la mémoire .. 79
iii- L'absence ou la disparition 84
Chapitre 4 - Les musées de patrimoine ouvrier,
limite et compréhension de leur objet 88
a- Un objet en recherche . 88
i- Une culture vivante 88
ii- Un musée de patrimoine ouvrier en mouvement .. 91
iii- Le Workers Museum - Arbejdermuseet (Copenhague), un
confrère
européen 95
b- Architecture d'une structure muséale . 99
i- Une similarité des origines 99
ii- La recherche d'un modèle .. 102
iii- La difficile présentation des collections,
perception et discours ....... 106
Chapitre 5 - Un impact touristique et économique
109
Préambule 109
a- Les nouvelles qualifications du patrimoine ouvrier .. 110
i- Label d'Entreprise du Patrimoine Vivant 110
ii- Le tourisme industriel . 112
b- Tourisme industriel, visite d'entreprise : limites et
obstacles 114
i-Les rapports d'échanges touristique et économique
. 114
ii- Tourisme et territoire : Authenticité et
identification . 119
Conclusion .. 124
Annexes . 130
Bibliographie 168
7
Introduction
« C'est un vaisseau rouillé surgit du fleuve.
Un monstre en sommeil, à moins qu'il ne soit mort. Depuis qu'elle ne
produit plus rien l'usine de
1
Boulogne-Billancourt attend patiemment sa renaissance.
», c'est avec ces mots que s'ouvre le reportage du soir du journal
télévisé de France 3. Nous sommes en 2002 et cela fait
maintenant dix ans que l'île Seguin s'est vidée de ses petites
mains. C'est sur ce petit bout de terre à la limite de Paris que
l'ancienne usine de Renault a accueilli jusqu'à 38 000 ouvriers, de jour
comme de nuit. En ce vendredi matin du 27 mars 1992, une Supercinq sort de
l'usine. C'est la dernière. Plus une voiture ne sortira, plus aucun
ouvrier n'entrera. Il est 11h20, l'usine n'est plus. Comment va-t-elle alors
renaître ? Plusieurs projets font surface. Forte d'un passé
important, elle est un des hauts lieux de contestation de mai 1968, symbole des
ouvriers ayant rejoint le mouvement étudiant. C'est aussi dans cette
usine que les syndicats d'alors, ayant négocié avec le tout jeune
secrétaire d'état à l'emploi, encore inconnu, Jacques
Chirac, font les annonces des négociations ayant menées aux
accords de Grenelle. En arrivant dans l'usine de Billancourt la fleur au fusil,
ils avaient fièrement annoncé l'augmentation des salaires de 35%,
la reconnaissance des sections syndicales et une quatrième semaine de
congés payés. Réaction inattendue, ils se font huer par
les ouvriers. La grève continuera. Que reste-t-il de ce passé
lorsque l'usine ferme ses portes en 1992 ? Un projet de musée d'art
moderne, et finalement la création d'un espace de concert. La «
Seine Musicale » se construira en lieu et place de l'usine. C'était
sans compter sur les ouvriers, qui se battent alors pour que soit encore
présentes sur cette île leur mémoire et leur vie. Quand
l'usine est finalement rasée, on leur confie un container dans lequel
ils présentent des objets, des photographies, quelques outils aussi. Ce
bâti de tôle sera la dernière présence des ouvriers
de l'Usine de Billancourt. Présent durant toute la durée des
travaux, ce petit espace sera enlevé,
1 France 3, 28 mars 2002, Institut National de
l'Audiovisuel (INA), disponible en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=vrl9WZattko
, consulté le 14 décembre 2018
8
et plus rien aujourd'hui sur l'Île Seguin ne raconte
l'histoire de l'usine de Renault et de ses ouvriers.
Pourtant, les mémoires restent vives. En 1998 les
anciens ouvriers ont créé l'ATRIS, l'Association des Anciens
Travailleurs de l'Ile Seguin. Leur but est de collecter des témoignages
vidéos, photographiques, audios, dans le but de faire vivre les
mémoires ouvrières qui ont accompagné ce lieu. Partant du
constat qu'après la destruction de l'usine plus aucun témoignage
du passé n'est resté visible, entretenir ces mémoires et
les collecter apparaissait comme le seul moyen de faire vivre ce lieu et plus
généralement de rendre hommage aux Hommes y ayant
travaillé. Aujourd'hui, le travail sur les mémoires
ouvrières constitue une discipline d'étude assez répandue.
De nombreux livres ou articles portent sur le sujet. Pourtant, il y a quelques
années j'avais été frappée par le principe
d'immatérialité que les mémoires ouvrières
soulevaient. Au détour de lectures je comprenais que la dimension
matérielle s'établissait dans le patrimoine industriel.
Comprenant que l'industrie possédait son appellation de patrimoine, je
me posais la question de l'établissement de ce même type de nom
pour les ouvriers. Partant du constat que les mémoires ouvrières
était un champ établi, la question du patrimoine ouvrier
s'ouvrait alors. Pourquoi n'était-il pas nommé ? Un article
d'Anne-Françoise Garçon nous met sur la voie : «
L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de faire
se rejoindre mémoire du travail et
2
archéologie industrielle » . Plusieurs
pistes sont alors évoquées, la première repose sur le fait
que parler d'un patrimoine ouvrier enfermerait une seule vision, vision qui ne
pourrait être globale. Cette vision particulière
soulèverait en symétrie la question d'une vision patronale, qui
ne pourrait être prise en compte en ce qui concerne l'appellation de
« patrimoine ouvrier ». Une autre raison soulevée dans cet
article repose sur le fait que traditionnellement le patrimoine est
associé à un monument. Le patrimoine ouvrier ne contient pas dans
son
2 Anne-Françoise Garçon,
L'ouvrier ne fait pas patrimoine... De la difficulté en France de
faire se rejoindre mémoire du travail et archéologie industrielle
, L'archéologie industrielle en France, Revue du CILAC n°36,
p.48-59, 2000
9
appellation de référence à du bâti.
Finalement, pas assez englobant, trop particulier, le patrimoine ouvrier ne
saurait faire rassembler. De ce rassemblement naît l'appellation d'un
patrimoine. De fait, dans son essence le patrimoine porte en haut lieu la
reconnaissance d'une spécificité. Il ne saurait être
enfermé. Un patrimoine, pour être qualifié, accueille
toutes les visions afin que chacun puisse se l'approprier. L'appellation de
patrimoine ouvrier ne répondant pas à ces
critères, il ne peut être établi.
Pourtant, les revendications se font de plus en plus forte
comme en témoigne une
3
proposition de loi déposée en 2017 sous
l'appellation « patrimoine ouvrier ». Cet exemple peut nous
interroger quant à l'article d'Anne Françoise Garçon :
peut-être que les raisons d'une non qualification de « patrimoine
ouvrier » sont révélatrices d'une volonté politique
de ne pas le nommer ? A ce titre, Laurajane Smith met en avant l'idée
qu'un patrimoine est patrimoine s'il répond à un
4
discours officiellement admis : authorized heritage
discourse (AHD). Cela montre le caractère politique sous-jacent
quant à la notion et à l'établissement d'un patrimoine.
Par ailleurs, Laurajane Smith, en examinant la liste du patrimoine mondial,
explique que le patrimoine relevant des « lieux de la douleur et de la
honte» (Logan et Reeves 2008) ou de « dissonance » sont en fait
présentés comme un ajout primaire aux merveilles du
patrimoine. Le fait est que le patrimoine consacré relève selon
Laura Jane Smith, de considérations sociales et culturelles propres
à une seule classe. Le patrimoine devient alors un outil de distinction
sociale. Il conforte et répond aux exigences de la classe dominante.
Le patrimoine industriel s'inscrit en lien avec le patrimoine
ouvrier. Les ouvriers et l'industrie s'étant développés en
même temps. En ce sens, il nous faut comprendre précisément
ce qu'il qualifie dans le but d'établir des convergences et des
divergences. Un état des lieux est présenté par Jean-Yves
Andrieux dans son
3« Réhabilitation de l'histoire populaire,
ouvrière et révolutionnaire en tant que patrimoine culturel
» , Alexis Corbière, le 20 septembre 2017
4 Laurajane Smith, Heritage, Labour and the
Working Classes, Routledge, 2011
10
5
ouvrage « Le patrimoine industriel » . On
comprend que sa discipline l'archéologie industrielle a
favorisé son émergence et sa reconnaissance. Nous
développerons précisément ce que définit le
patrimoine industriel par la suite. En ce sens, Laurent Bazin propose dans son
ouvrage « Anthropologie, patrimoine
6
industriel et mémoire ouvrière, vers une
recontextualisation critique » une vision d'ensemble. Nous apprenons
que l'anthropologie industrielle est très développée au
Royaume-Uni avec l'école de Manchester et aux Etats-Unis avec
l'école de Chicago, cependant, en France, son champ d'étude reste
à définir clairement. Cet ouvrage nous permet
d'appréhender la question des mémoires en lien avec le patrimoine
bâti, ce qui pourrait constituer le sens du patrimoine ouvrier.
L'ouvrage
7
« La mémoire de l'industrie » nous
permet de préciser ce lien conflictuel qu'entretiennent mémoires
ouvrières et patrimoine industriel. De nombreux exemples sont
avancés comme le cas de la grue Gusto, qui devait pour les uns
être patrimonialisée car présentant de manière
emblématique les chantiers navals de Saint-Nazaire, et pour d'autres
être éliminée car soulevant des problématiques
financières et posant aussi la question du « beau »
qui doit émaner d'un objet de patrimoine.
Aussi, cette question mémorielle autour de sites pose
des regards conflictuels. Comme précédemment énoncé
par Anne-Françoise Garçon, une patrimonialisation s'accompagne
d'un discours. Or, en ce qui concerne notre objet d'étude, ce discours
est très difficile à appréhender. De fait, le patrimoine
ouvrier propose avant toute chose une manière de voir et donc
une manière de dire . En ce sens, Patrice Béghain
précise que « Le patrimoine peut-être un instrument
de
8
manipulation ou du moins une source de confusion
mémorielle. ». La fonction du
5 Jean-Yves Andrieux, Le patrimoine industriel
, Paris, Presses Universitaires de France, « Que-sais-je ? »
, 1992
6 Bazin Laurent, « Anthropologie, patrimoine
industriel et mémoire ouvrière. Vers une recontextualisation
critique », L'Homme & la Société , 2014/2
(n° 192), p. 143-166.
7 Jean-Claude Daumas, La mémoire de
l'industrie, Introduction - l'Usine, la mémoire et l'histoire, Les
cahiers de la MSH Ledoux, Presses Universitaires de Franche-Comté,
2011
8 Patrice Béghain, Patrimoine, politique
et société , La bibliothèque du citoyen, Presses de
Sciences Po, p.136, 2012
11
discours s'accompagne donc nécessairement d'analyses
historiques mais aussi
9
sociales. Maurice Halbwachs dans Les cadres sociaux
de la mémoire précise même :
« Insistons sur ce point. La porte de l'usine
représente assez exactement aux yeux de l'ouvrier la ligne de
séparation entre les deux parties de sa vie quotidienne. Si elle reste
entr'ouverte, c'est plutôt après la journée de travail
qu'avant : une partie des habitudes de penser ou de ne pas penser,
qu'entraîne le contact exclusif avec la matière, reflue dans la
zone de la société où vit l'ouvrier hors de l'atelier.
Quand il retourne dans les locaux de travail, il sent bien qu'il laisse
derrière lui un monde pour entrer dans un autre, et qu'il n'y a entre
les deux aucune communication. Mais, lorsqu'il entre au Palais, le juge ou
l'avocat ne se sent point exclu et séparé, même pendant les
audiences, pendant toutes les heures directement consacrées à sa
fonction, des groupes au sein desquels se passe le reste de ses
journées. Leur présence réelle n'est pas en effet
nécessaire pour qu'il pense et se comporte encore, même loin
d'eux, comme membre de ces groupes, pour qu'il évoque les jugements
qu'on y porte, les qualités qu'on y apprécie, les personnes, les
actes et les faits auxquels on s'y intéresse. Ainsi, invisiblement, la
fonction, envisagée comme un ensemble d'activités et de
pensées techniques, baigne dans un milieu d'activités et
de
10
pensées non techniques, mais purement sociales.
»
Cela confirme ce que Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs
Leblon développent dans leur article « Au-delà du
consensus patrimonial- Résistances et usages
11
contestataires du patrimoine » . Les questions que
soulèvent les mémoires sont en
12
effet à usage politique .
9 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la
mémoire, Albin Michel, 2011 [première édition 1925]
10 Ibid. p.246
11 Julien Bondaz, Cyril Isnart et Anaïs
Leblon, « Au-delà du consensus patrimonial-Résistances
et usages contestataires du patrimoine » , Civilisations, Revue
Internationale d'anthropologie et de sciences humaines, pp. 9-22, 2012
12 « Toutefois, c'est bien la combinaison entre
patrimoine, identité et territoire comme miroir des enjeux politiques
présents qui fait de ces processus mémoriels des objets de luttes
et de conflits. Depuis quelques décennies déjà, les
collectivités territoriales, les producteurs agricoles, les
comités de tourisme, les acteurs des territoires frontaliers, les
communautés transnationales et certains médias se transforment en
entrepreneurs
12
En considérant ces différentes recherches et
analyse, nous pouvons nous demander s'il existe un patrimoine ouvrier
aujourd'hui en France. Au regard de cette question, comment se constitue-t-il
au sein d'autres sphères patrimoniales ? Dans le but d'y répondre
nous émettons les hypothèses suivantes :
- Le patrimoine ouvrier existe mais n'est pas
conceptualisé tel quel.
- Le patrimoine ouvrier se retrouve dans différentes
sphères patrimoniales, et peut donc être qualifié de
patrimoine diffus.
Pour avancer les premiers éléments de
réponse, nous développerons les éléments officiels
de ce qui fait l'ouvrier. Mais aussi le caractère politique qui
se dégage de cette dénomination. Nous proposerons
également un état des lieux des patrimoines où il est
accueilli. Le deuxième chapitre nous permettra la présentation de
cas existant. Cela nous permettra l'analyse des discours qu'ils soient clairs
ou symboliques. Un accent particulier sera proposé en ce qui concerne
les réhabilitations et destruction des lieux du travail ouvrier. Cela
pour permettre une analyse autour de la propriété que sous-tend
la notion de patrimoine, et les usages qui en sont faits.
Par les patrimoines industriel, urbain, et ceux des sciences
et techniques nous proposerons de premiers éléments de
réponses, tenant à la diffusion du patrimoine ouvrier. Pour cela,
nous nous appuierons sur des ouvrages traitant de manière globale du
patrimoine, mais aussi des articles de presse relatant des faits
d'actualité qui nous permettront de mettre en lumière le
caractère actuel que peut constituer cette recherche. Au travers de
différents lieux institués : La Station F à Paris, le
magasin Uniqlo du Marais, le Lieu Unique à Nantes, le musée de la
Métallurgie Ardennaise à Bogny-sur-Meuse ou encore la station de
métro Javel André-Citroën à Paris, nous proposerons
une description de l'utilisation qui est
culturels susceptibles de proposer eux-mêmes des
contenus patrimoniaux ou d'en contester les versions officielles. »,
Ibid.
13
faite du patrimoine ouvrier, cela dans le but
d'apprécier ou non la manière dont il est
présenté.
Nous remarquons que les patrimoines dit difficiles sont la
plupart du temps source de conflit, conflit dont la reconnaissance patrimoniale
opère quasiment comme excuse historique que les pouvoirs publics doivent
fournir dans le but d'une paix sociale. C'est pourquoi, nous analyserons les
ressorts politiques dans la constitution du patrimoine. Un rapide historique
des politiques patrimoniales en France permettra la compréhension du
patrimoine ouvrier dans ce nouveau paradigme. De plus, l'étude du
processus de patrimonialisation que nous appliquerons au patrimoine ouvrier
nous permettra d'en saisir les points de convergences et de divergences. Le
Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais inscrit sur la liste du patrimoine mondial
nous donnera également un bon aperçu du seul patrimoine ouvrier
admis mondialement, il nous permettra d'observer les limites de cette
inscription à la vue de sa présentation et des critères de
sélection qui ont été retenus pour son classement.
Toujours dans le but d'une analyse globale nous questionnerons
l'esthétique présente dans les musées qui exposent le
patrimoine ouvrier. Cela pour nous permettre d'interroger la notion du beau
, qui, dans notre cas se substitue à la mémoire applicable
aux objets. Cet effacement au profit de l'intérêt visuel semble
problématique dans l'exposition du patrimoine ouvrier.
C'est dans cette continuité que nous poserons le cadre
d'analyse de l'utilisation de la mémoire dans les musées de
façon global, puis dans les musées de patrimoine ouvrier plus
particulièrement. Cela nous permettra d'affirmer la notion de patrimoine
vivant, nous en expliquerons la notion et son application.
Nous poursuivrons avec une analyse plus spécifique des
musées où le patrimoine ouvrier est affirmé et
revendiqué. Pour ce faire, nous étudierons le musée de
l'Histoire Vivante à Montreuil et le Workers Museum - Arberjetmuseet
de
14
Copenhague. Nous y exposerons une similarité des
origines et interrogerons l'idée des prémisses de ces collections
comme génératrice d'une identité muséale. Cela nous
permettra d'évoquer la recherche d'un modèle de patrimoine
ouvrier, nous développerons les deux types qui s'y opposent.
Ces musées s'inscrivent dans une volonté
d'affirmation des territoires dans lesquels ils prennent place, nous exposerons
donc pour finir, l'impact du tourisme qui traduit l'expression de l'utilisation
économique du patrimoine ouvrier. Nous aborderons le tourisme comme
ressource pour les territoires et l'exploitation du patrimoine ouvrier dans ce
domaine, ce qui nous conduira à aborder l'utilisation du patrimoine dans
un but commercial.
Qu'entend-t-on par patrimoine ouvrier
?
Le patrimoine ouvrier, si l'on s'en tient aux objets
matériels, correspond aux biens ayant été détenus
ou utilisés par les ouvriers. Nous pourrions y inclure les objets
matériels dont ils ont eu l'usage, sans forcément la
propriété, mais aussi les coutumes et l'art de vivre qui
correspondent à cette classe sociale. Et pourquoi pas, l'objet fini,
fruit d'un processus de production industrielle ayant été
façonné et construit par des ouvriers. Nous pourrions
également y faire figurer la littérature, les chants, les films,
ayant pour sujet les ouvriers, sans qu'ils en soient les concepteurs ou
créateurs. Nous proposons une liste, non exhaustive, des biens culturels
que nous considérerons constitutifs du patrimoine ouvrier pour la
poursuite de cet écrit.
Biens matériels et immatériels culturels
du patrimoine ouvrier
-les outils intégrés dans le processus de
production industrielle
-les lieux ayant trait à la vie ouvrière :
usines, locaux syndicaux, habitats, jardins ouvriers, cités
ouvrières, mines...
-les objets issus de la production culturelle ayant pour sujet
le monde ouvrier : littérature, films, chants...
-les biens immatériels représentatifs du monde
ouvrier : les mémoires ouvrières, les techniques de production,
les luttes sociales, les habitudes alimentaires, les
13
vêtements, les paysages culturels , les coutumes, les
gestes, les savoirs-faire...
|
15
Certes, nous n'avons pas pour but dans ce mémoire
d'analyser les biens culturels matériels ou immatériels
constitutifs du patrimoine ouvrier. Ce que nous abordons vise à analyser
et comprendre les tensions qui accompagne la notion, et de ce fait, la
narration du patrimoine ouvrier. Nous souhaitons, au travers de la relation
politique-patrimoine, établir et présenter les obstacles à
une reconnaissance pleine et entière du patrimoine ouvrier en
France..
Dans cette continuité et considérant les
critères que nous venons d'exposer, nous proposons de retenir la
définition d'un musée de patrimoine ouvrier faite par l'
International Association of Labour museums (Worklab), seule
référence internationale en matière de musée ayant
pour objet le patrimoine ouvrier, qui agit auprès d'institutions
reconnues : Union-Européenne, ICOM, TICCIH notamment. Dans la
démarche de pouvoir s'ouvrir et généraliser la place du
patrimoine ouvrier et de l'histoire ouvrière dans le monde,
l'International Association of Labour Museums (Worklab) essaient de regrouper
tous les musées en lien avec le patrimoine ouvrier dans le but de
construction d'un véritable réseau international. Ce
réseau vise à créer une entraide sur les contenus, et
souhaite impliquer les chercheurs en organisant un symposium par an. En plus
d'être une journée spécifique de ce réseau, ce
symposium agit comme lieu de rencontre annuelle des professionnels du
patrimoine ouvrier. En intervenant auprès de différentes
13Le bassin minier du Nord-Pas-De-Calais a
été classé patrimoine mondial de l'Unesco sur le
critère de «paysage culturel évolutif vivant» : «
Le Bassin minier est un paysage industriel témoignant de la
façon dont l'homme a façonné son environnement en
exploitant une ressource naturelle, le charbon. C'est en ce sens, qu'il est
« culturel » selon la catégorie en vigueur au Comité du
patrimoine mondial.» , site internet de l'Unesco,
http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/un-paysage-culturel-evolutif-et-vivant/
, [consulté le 16 mars 2020]
16
instances reconnues du patrimoine, le Worklab constitue un
lobby en faveur de la reconnaissance et de l'entretien du patrimoine
ouvrier.
Le Worklab estime musée ouvrier , tout
musée qui :
- adhère aux exigences de l'ICOM (International Council
of Museums)
- est entièrement (ou possède au minimum) 1
département traitant de l'histoire ouvrière, du travail ou/et de
l'histoire industrielle 14
Est donc patrimoine ouvrier ce qui englobe le patrimoine
industriel et les mémoires ouvrières. Le patrimoine industriel
s'attachant principalement au bâti décrit une architecture
particulière et, dans une moindre mesure, aux outils qui y prennent
place. Les mémoires ouvrières agissent, quant à elles,
comme l'incarnation des objets, elles sont leur signifiant. Aussi, les
mémoires ouvrières ne prennent pas uniquement place à
l'intérieur de l'usine mais s'inscrivent dans la vie pleine et
entière d'un ouvrier. En considérant tous ces
éléments, tant dans leur diversité que dans leur
complexité, nous sommes en présence de ce qu'incarne le
patrimoine ouvrier.
14 The International Associations of Labour Museums
(WorkLab), Statuts : « 1. meets the requirements of the International
Council of Museums (ICOM) 1, and
2. is wholly or has at least one department devoted to one
or more subjects in the fields of history of workers, labour and industrial
work. , disponible en ligne :
http://worklab.info/constitution/
, [consulté le 9 avril 2020]
17
Chapitre 1 - Les fondations d'un patrimoine ouvrier
a- Ouvrier, un groupe particulier
i- Etude de la catégorie socioprofessionnelle
Le « patrimoine ouvrier » revêt dans son
appellation une dimension
sociale et économique. Le patrimoine dit « ouvrier
» désigne une condition et signifie que nous sommes au point de
rencontre entre le travail et sa patrimonialisation. Loin d'être
évident, ce patrimoine suppose des points de crispation car il
relève d'une appréciation officielle de ce qu'est un «
ouvrier ». Pour pouvoir l'étudier nous pouvons nous
référer à la catégorie socioprofessionnelle
à laquelle il renvoie. La définition de l'Institut National de la
Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) précise :
« Le groupe ouvrier est structuré par une
série d'oppositions. La qualification instituée dans les
conventions collectives, est en étroite corrélation avec de
nombreuses variables, comme le sexe, l'origine sociale, la formation ou le
salaire. Toutes ces variables permettent d'établir une gradation des
métiers ouvriers, des professionnels d'entretien aux ouvriers non
qualifiés des industries légères et aux ouvriers
agricoles.
Deuxième clivage, l'opposition entre travail
industriel et travail de type artisanal, qui a été introduite
dans la nouvelle nomenclature. La gestion réglée du travail
industriel se traduit par une plus grande stabilité de l'emploi et un
alignement des horaires sur la durée légale.
Si la différence entre ouvriers et employés
parait évidente parce qu'on a en tête les positions
extrêmes, la frontière entre les deux groupes n'est pas facile
à tracer. Ainsi les chauffeurs et les cuisiniers sont aux limites du
groupe ouvrier, et s'opposent aux ouvriers de production de la grande industrie
ou aux ouvriers du bâtiment qui en constituent le noyau.
15
»
15 Institut National de la Statistiques et des Etudes
Economiques, Professions et Catégories Socioprofessionnelles,n°6
,
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/6?c
hampRecherche=false , consulté le 23 janvier 2019
18
Cette définition interroge à la fois la
manière dont est pratiqué le travail et les rapprochements entre
différents critères sociaux qui permettent l'établissement
de groupes précis d'ouvriers, mais aussi le type de structure dans
lequel le travail prend place. Aussi, l'appartenance au groupe « ouvrier
» est en réalité régi et signifié par la
position hiérarchique la plus basse au sein de l'entreprise. Un ouvrier
ne représente donc pas seulement une manière de travailler, mais
une place dans la gradation des métiers d'une entreprise. C'est
d'ailleurs de cette position que découle la manière d'exercer le
travail. Dans cette définition, l'INSEE propose une répartition
plus nette qui se décompose en trois sous-parties. On y trouve les
ouvriers qualifiés , les ouvriers non qualifiés
et les ouvriers
16
agricoles . Nous qualifions l'ouvrier plus
communément comme celui exerçant une tâche physique
répétitive moyennant salaire. L'ouvrier vend donc sa force de
travail, l'entreprise possède les moyens de production et l'ouvrier les
exploite physiquement.
17
Les ouvriers représentent aujourd'hui 20,4% de la
population active (Annexe 1). A priori, ils seraient actuellement moins
nombreux que dans les années 70. Durant
18
ces années ils totalisaient 40% de la population active
. Néanmoins, les groupes des « ouvriers » et des «
employés » sont très poreux et leurs définitions
respectives ne sont pas assez claires. L'Insee précise même :
« Si la différence entre ouvriers et employés parait
évidente parce qu'on a en tête les positions
19
extrêmes, la frontière entre les deux groupes
n'est pas facile à tracer. » L'exemple le plus commun consiste
à souligner le fait qu'une caissière opère des gestes
physiques répétés, en dépit de cela, elle est
considérée par l'Insee comme une employée.
16 Ces catégories d'ouvriers sont elles
même décomposés en plusieurs sous-parties. INSEE,
catégories socio professionnelles
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/6?ch
ampRecherche=false , consulté le 27 février 2019
17 Insee, Catégorie socio-professionnel selon
le sexe et l'âge, 2018,
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2489546#tableau-Donnes
, consulté le 11 mars 2019
18 Perrine Mouterde, Qui sont les
ouvriers d'aujourd'hui ? , Le Monde, 23 mai 2016
19 Insee, op. cit.
19
ii- La disparition des ouvriers
Cette dualité qui s'opère en catégorisant
différemment un travail, qui peut être considéré
comme similaire à un autre, participe à une diminution des
chiffres d'ouvriers par l'Insee. Cette diminution des chiffres n'est pas
anodine car elle justifie la disparition du paysage médiatique de cette
classe sociale. A ce sujet, une récente étude du Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), montre que le temps de passage des
ouvriers à la télévision ne représente que 4% du
temps global de l'antenne, comparativement aux cadres qui eux totalisent 60% du
temps
20
de passage à cette même antenne (Annexe 2).
Cet effacement du paysage audiovisuel montre l'absence plus
générale des ouvriers de la société. Cette
disparition pose un problème car elle ne reflète pas la
réalité sociétale : rappelons que les ouvriers
représentent encore 20,4% de la
21
population active . Cette absence fait planer l'oubli de cette
classe par ceux-là
20 CSA, baromètre de la diversité de
la société française, vague 2018, consulté le 11
mars 2019
21 A ce sujet, Stéphane Beaud et Michel
Pialoux dans leur ouvrage Retour sur la condition ouvrière
(2012, première édition : 1999) , raconte p.27 :
« Une belle illustration de ce phénomène est la
sous-estimation de leur nombre [des ouvriers] notamment par les « jeunes
». L'Histoire suivante, qui se passe dans une faculté parisienne de
sociologie, est, à nos yeux, très significative. Lors d'un cours
de licence, au mois de janvier 1997, après trois mois de cours où
l'on a beaucoup parlé du travail ouvrier, on éprouve le besoin de
faire une petite mise au point statistique. On pose la question : «
Combien y'a-t-il d'ouvriers en France, au sens statistique, à votre avis
? » Après un long silence, une étudiante, courageuse, se
lance : « 200 000. » Plusieurs étudiants protestent : «
Non, ce n'est pas assez. » Un autre renchérit à 2 millions.
Discussion générale. On rappelle qu'on inclut les chômeurs
dans les chiffres de la population active. Après quelques moments de
brouhaha, on transige à 1,5 million. Trois jours plus tard, dans un
enseignement de magistère de sciences sociales (un niveau plus
élevé, plusieurs étudiants ont fait deux ou trois ans de
khâgne ou Science Po), on indique les chiffres recueillis en licence. On
ne cache pas notre étonnement. Lorsqu'on leur demande : « Mais
vous, que diriez-vous ? » Plus assurés, ils répondent plus
vite et aisément. Une étudiante avance le chiffre de 300 000. La
discussion s'ouvre, un autre étudiant monte à 3 millions. La
discussion est confuse mais le chiffre final tourne autours de 2,5 millions.
Ils ont une idée relativement précise de la population totale de
la France et du nombre d'actifs qu'ils situent entre 20 et 25 millions. C'est
lorsqu'on leur fait prendre conscience de ces chiffres qu'ils sont
tentés de remonter le nombre d'ouvriers. Ils minimisent donc
systématiquement. Ils se sentent confus lorsqu'on leur donne les «
vrais » chiffres, ceux du recensement de 1990 (environ 6,5 millions) en
les invitant à réfléchir sur la
20
même qui la composent. Aussi, cela peut en partie
expliquer qu'aujourd'hui un ouvrier ne se reconnaît pas comme tel. Un
article de Perrine Mouterde paru dans Le Monde du 23 mai 2016 et
intitulé « Qui sont les ouvriers d'aujourd'hui ? »
explique :
« Lorsque Martin Thibault, sociologue du travail
à l'université de Limoges, a entamé son enquête,
Ouvriers malgré tout (Raison d'agir éditions, 2013),
auprès des agents de maintenance de la RATP, l'entreprise lui a
répondu qu'il n'y avait pas d'ouvrier chez elle. Souvent, les agents
eux-mêmes ne se disaient pas ouvriers, jusqu'à ce qu'ils soient
rattrapés par la réalité de leur métier - physique,
répétitif, très encadré et exercé dans des
hangars où il fait trop chaud ou trop froid. Dans les entrepôts de
la grande distribution, même constat : ni les préparateurs de
commandes ni les caristes ne se disent ouvriers. Et chez Amazon, les
salariés sont des « associates » » 22
Cette non représentation a pour résultat que les
ouvriers eux-mêmes oublient la classe sociale dont ils sont issus. De ce
fait, la mémoire associée à cette classe tend à
disparaître. C'est au travers de cette mémoire que l'on se
considère comme appartenant à un groupe social. Cela
apparaît d'autant plus problématique que, comme l'a montré
Maurice Halbwachs :
« Il n'est pas de grande administration où,
à côté de la technique, il n'y ait aussi des traditions, et
tout homme qui entre dans une profession doit, en même temps qu'il
apprend à appliquer certaines règles pratiques, se
pénétrer de cet esprit qu'on peut appeler corporatif, et qui est
comme la mémoire collective du groupe professionnel. Qu'un tel esprit se
forme, et se fortifie d'âge en âge, cela résulte de ce que
la fonction qui en est le support dure elle-même depuis longtemps, et que
les hommes qui l'exercent sont en rapports fréquents, de ce qu'ils
accomplissent les mêmes opérations, ou en tout cas des
opérations de
signification sociologique de cette sous-estimations et
notamment sur les discours qui ont été tenus, depuis quinze ou
vingt ans, sur la disqualification du groupe ouvrier et sa relégation
à l'état de survivance, sur la dévalorisation symbolique
dont le groupe a été l'objet et sur la façon dont cette
dévalorisation a été vécue, ressentie.
»
22 Perrine Mouterde, op.cit.
21
même nature, et de ce qu'ils ont le sentiment continu
que leurs activités se
23
combinent en vue d'une oeuvre commune. ».
En se reconnaissant comme partie d'un groupe et en entretenant
la mémoire de ce dernier, on dépasse sa stature individuelle, ce
qui permet de s'affirmer en tant que membre d'une société. Cet
oubli de classe pose donc la question de l'inscription sociale : en ne sachant
plus que l'on est ouvrier, il est difficile de revendiquer un héritage
qui pourrait constituer un patrimoine.
iii- Un objet politique
En effet, ce n'est pas seulement l'oubli de la fonction mais
bien toutes les associations faites avec le terme d' « ouvrier » qui
sont niées. Comme montré par
24
Perrine Mouterde dans son article , lorsque les
salariés d'Amazon sont nommés « associates » on leur
retire toute une culture qu'ils pourraient revendiquer. Le terme d' ouvrier
porte avec lui une série de représentation qui sont aussi ce
pourquoi on ne le destine plus aux métiers actuels. A ce sujet, une
simple recherche d'image sur le sujet permet de se rendre compte du changement
de perception (Annexe 3). Nous y voyons des hommes empreints d'une forte
érotisation, laissant voir une masculinité exacerbée. Ce
qui frappe sont les sourires exagérés, les pouces levés
qui font mine d'une certaine joie, comme si les représentations devaient
convaincre d'un bonheur au travail, bien loin de l'image que l'on a en
tête. Pour s'en assurer, en tapant le mot clé « ouvrier
» et en y ajoutant une année, en l'occurrence 1950 (Annexe
4), on découvre des images d'ouvriers à l'opposé de celles
vues juste auparavant. Il est intéressant de constater qu'une unique
photo est commune à ces deux recherches, une
25
photographie de Lewis Hine prise en 1920 où l'on voit un
ouvrier resserrer les
23 Halbwachs, op.cit., p. 242- 243
24 Ibid.
25 Lewis Hine (1874-1940) est un sociologue et
photographe américain s'étant illustré dans la
photographie dite « sociale »
22
boulons d'une machine à vapeur. Comme si, malgré
tous les efforts faits pour changer la représentation de l'ouvrier, il
restait l'image de travail laborieux.
Dans la première recherche, on remarque une solitude
dans la manière de voir l'ouvrier. A part une seule image où nous
voyons 3 personnes, toutes les photos montrent des individus seuls. Cela est en
total opposition avec la deuxième recherche où les images sont
majoritairement composées de plusieurs personnes, ce qui laisse voir une
vie sociale. Cette vie sociale est inexistante quand on tape « ouvrier
». Dans le panel « ouvrier 1950 » on distingue également
des images de manifestations, cela prouve l'objet politique qui se cache
derrière les représentations. Les associations que l'on fait
quand on pense à l'ouvrier sont absolument opposées à
celles que l'ont fait en pensant à un« associate ». Le terme
« ouvrier » renferme donc un objet politique considérable,
difficile à contenir et qui pousse aujourd'hui à ce qu'on ne le
nomme plus ainsi. En ce sens, un récent manifeste (Annexe 5)
rédigé à l'occasion de l'exposition L'Usine
Extraordinaire 26 , permet de mieux comprendre toutes les
tensions que sous-tend le terme « ouvrier », mais aussi celui
d'usine, auquel nous l'associons. Le terme de « manifeste » pourrait
d'ailleurs, aussi être commenté. Sous l'égide de la
Fondation Agir Contre l'Exclusion (FACE), ce manifeste publié dans
Le Monde déclare :
« L'enjeu primordial est de redonner du sens au
travail. L'industrie d'aujourd'hui et de demain, ce sont des usines, des
ateliers, des centres de
recherche et de design, peuplés de machines et
maillés par de multiples réseaux. Mais avant tout, ce sont des
communautés de femmes et d'hommes qui coopèrent en vue d'oeuvres
utiles et communes. Partout, les modèles de discipline à
l'ancienne et de division du travail entre ceux qui
pensent et ceux qui font deviennent contre-productifs, insupportables. La
recherche d'autonomie,
l'exigence de sens et la volonté de « faire
», d'agir dans le concret, sont les valeurs montantes, notamment pour les
jeunes générations. L'usine, c'est
27
d'abord un monde social en réinvention, inclusif et
porteur de sens. »
26 L'Usine Extraordinaire, Grand-Palais, Paris, du 22
au 25 novembre 2018
27 Manifeste, Cinq défis pour les usines de
demain , Fage, 2018
23
Pour mieux comprendre la volonté politique de ce
manifeste et la teneur militante de son propos il convient de comprendre les
missions de la FACE qui se présente ainsi :
« La Fondation reconnue d'utilité publique a
été créée afin de rassembler le plus grand nombre
de parties prenantes (industriel.le.s, partenaires sociaux, enseignant.e.s,
formateur-ice-s...) et faire changer le regard des
28
Français et surtout celui des jeunes
générations sur l'industrie. »
Le but de cette fondation est clairement énoncé
« [...] faire changer le regard des
29
français et surtout celui des jeunes
générations sur l'industrie » et soulève un
grand nombre d'interrogations. Car changer le regard sur l'industrie constitue
aussi une manière de changer l'Histoire. Non pas que l'Histoire soit
manipulée pour servir le but de cette fondation, mais que ce changement
de vision qui est prôné est dans la droite ligne d'un oubli des
ouvriers pour eux-mêmes. Pour cela, les mots utilisés
revêtent un sens particulier et nous assistons à des changements
de vocables de plus en plus prégnants. Outre les « associates
» d'Amazon, on
30 31
retrouve en bonne et due place les « opérateurs
», « les techniciens », les «
32
salariés de la production ». On pourrait
aisément nous indiquer qu'il ne s'agit pas des mêmes emplois, les
changements de dénomination prendraient alors tout leur sens. Pourtant,
un document disponible lors de cette manifestation « Mutations
33
industrielles et évolution des compétences
» associe le terme « opérateur » au « travail
à la chaîne » ce qui laisse peu de doute quant à la
nature du travail exercé, absolument synonyme de celui d'ouvrier :
« Franck Naro, directeur de l'usine Renault-Douai,
renchérit en indiquant qu'« au-delà de la polyvalence, les
opérateurs devront être capables
28 Fondation Agir Contre l'Exclusion,
https://www.usineextraordinaire.com/la-fondation/
, consulté le 27 mars 2019
29 Ibid.
30Mutations industrielles et
évolution des compétences , Les synthèses de la
Fabrique, Avril 2016
31 Ibid.
32 Ibid.
33 Ibid.
24
d'alterner des phases de travail manuel, à la
chaîne, et des phases plus en amont
34
de la fabrication des véhicules (développement
et industrialisation). »
Cette politisation qui naît de l'idée d'ouvrier
est, de fait, affirmée et reconnue si on lui donne le nom d'un
patrimoine. Cela constitue un des premiers obstacles à la reconnaissance
générale du patrimoine ouvrier. Néanmoins, cela ne saurait
être la seule frontière à sa reconnaissance.
b- Le patrimoine et l'ouvrier
Le patrimoine est depuis de nombreuses années un champ
d'action majeur des politiques culturelles. Il s'établit dans la
définition que propose l'Icom sur les
musées :
« Un musée est une institution permanente sans
but lucratif au service de la société et de son
développement ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie,
expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de
l'humanité et
35
de son environnement à des fins d'études,
d'éducation et de délectation. »
Le patrimoine se définit aussi juridiquement au travers de
la loi relative à la
36
protection du patrimoine . Du point de vue
légal, il est constitué de biens culturels qui comprend : les
biens culturels immobiliers ; les biens culturels
37
mobiliers ; et, les biens culturels
immatériels . Se définissant à l'origine comme
représentant des « Biens de familles, biens que l'on a
hérités de ses ascendants . 38 », il se veut
un héritage de ses aïeuls. En ce sens il renvoie
étymologiquement au pater , le père qui à
l'origine transmet. Cette notion d'héritage est d'autant plus importante
qu'elle suppose une définition de temps, c'est une chose du passé
que l'on donne au présent. Il est une sorte de donation matériel
de mémoire. Au fil des
34 Ibid. , p.5, 2016
35« Définition du musée- ICOM ».
Consulté le 6 mars 2018.
http://icom.museum/la-vision/definition-du-musee/L/2/
36 Unesco, loi 98-04 relative à la
protection du patrimoine du 15 juin 1998, consulté le 13 mars 2019.
37 Ibid.
38 Petit Robert, 2016, « patrimoine »
25
siècles, le terme « patrimoine » est devenu
de plus en plus élastique et peut aujourd'hui qualifier de nombreuses
choses. Les possibilités de sens qui en résultent sont aussi
source de controverses. C'est ainsi que Françoise Choay explique dans
les premières pages de son livre « L'allégorie du patrimoine
» :
« Ce très beau et très ancien mot
était, à l'origine, lié aux structures
familiales, économiques et juridiques d'une
société stable, enracinée dans l'espace et le temps.
Requalifié par divers adjectifs (génétique, naturel,
historique...) qui en ont fait un concept « nomade », il
poursuit aujourd'hui une carrière autre et retentissante. »
39
i- Le patrimoine industriel, relation à l'ouvrier
Cet élargissement des désignations que prend le
patrimoine a vu se développer, au cours du XXème siècle,
la notion de patrimoine industriel. Le patrimoine ouvrier peut, à
raison, être confondu avec celui-ci, tant leurs objets sont liés.
L'industrie étant le domaine dans lequel les ouvriers ont pris place, il
apparaît logique de les associer. Cependant, les dualités sont
dans leurs appellations même. Sans parler pour l'instant de l'objet
architectural qu'il désigne, le patrimoine industriel s'attache à
une période ou en tout cas à un mode de production. Le patrimoine
ouvrier, lui, s'attache à l'être et à une condition. On
pourrait presque associer le patrimoine industriel à un patrimoine
de pierre et le patrimoine ouvrier à un patrimoine de
vivant ce qui change considérablement leur objet. Le patrimoine
industriel étant aujourd'hui un sujet reconnu et un domaine de recherche
établi, nous pouvons y trouver des descriptions précises. Le
TICCIH
40
- Comité international pour la conservation du
patrimoine industriel , définit le patrimoine industriel comme suit,
s'appuyant sur la Charte Nizhny Tagil :
39 Françoise Choay, L'allégorie du
patrimoine , Seuil, 1996, p.9
40 The International Committee For The Conservation
Of The Industrial Heritage, est l'organisation mondiale pour la protection du
patrimoine industriel. Cette organisation est reconnue par l'ICOMOS qu'elle
conseille pour ses recherches autour du patrimoine industriel. « Its
goals are to promote international cooperation in preserving, conserving,
investigating, documenting, researching, interpreting, and advancing education
of the industrial heritage . » , site TICCIH,
http://ticcih.org/about/
,consulté le 25 mars 2019
26
« Le patrimoine industriel comprend les vestiges de
la culture industrielle qui sont de valeur historique, sociale, architecturale
ou scientifique. Ces vestiges englobent : des bâtiments et des machines,
des ateliers, des moulins et des usines, des mines et des sites de traitement
et de raffinage, des entrepôts et des magasins, des centres de
production, de transmission et d'utilisation de l'énergie, des
structures et infrastructures de transport aussi bien que des lieux
utilisés pour des activités sociales en rapport avec l'industrie
(habitations, lieux
41
de culte ou d'éducation). »
Cette définition établit en premier lieu
l'idée de « vestige », soit ce qui demeure (d'une chose
détruite, disparue) , ou, ce qui reste (d'une chose abstraite :
idée,
42
sentiment..., d'un caractère) , donc
l'idée de trace. Or, le « vestige » suppose quelque chose de
terminé. Voilà une différence majeure avec l'idée
de « patrimoine ouvrier ». Comme nous l'avons vu
précédemment, les ouvriers représentent encore 20,4% de la
population active française. Loin d'être du « fini »,
l'idée de « patrimoine ouvrier » est toujours du «
présent ». Aussi, une description très précise de ce
qui compose le patrimoine industriel est énoncé :« [...]
des bâtiments et des machines, des ateliers, des moulins et des
usines, des mines et des sites de traitement et de raffinage, des
entrepôts et des magasins, des centres de production, de transmission et
d'utilisation de l'énergie, des structures et infrastructures de
transport aussi bien que des lieux utilisés pour des activités
sociales en rapport avec l'industrie (habitations, lieux de culte ou
d'éducation) 43 » , ce qui y est
référencé s'attache aux objets, structure et lieux
composant l'industrie. Il ne s'agit donc pas de personnes en soit, les ouvriers
ne sont pas compris dans cette définition de patrimoine industriel. La
mention concernant les habitations, les lieux de cultes ou d'éducation,
est précédée par l'inscription du lieu. On s'attache donc
à un caractère géographique précis, à une
matérialité,
41 Le patrimoine industriel, Charte Nizhny Tagil
pour le Patrimoine industriel, Juillet 2003, TICCIH,
http://ticcih.org/wp-content/uploads/2013/04/NTagilFrench.pdf
, consulté le 25 mars 2019
42 Petit Robert, « vestige », 2016
43 Charte Nizhny Tagil, op.cit.
27
quand il s'agit de définir le patrimoine industriel.
Aussi, le patrimoine industriel en France est étudié par le CILAC
- Comité d'information et de liaison pour l'archéologie,
l'étude et la mise en valeur du patrimoine industriel. Cette association
est l'organe de publication scientifique reconnu portant sur les recherches en
ce qui concerne le patrimoine industriel et son appellation scientifique dite
« de l'archéologie industrielle ».
Aussi le CILAC propose en plus de la Charte Nizhny Tagil pour
le Patrimoine une autre définition qui complète sa qualification
et son objet d'étude en ce qui concerne les territoires. Adopté
en 2011, le document final des Principes conjoints ICOMOS-TICCIH pour la
conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine
industrie ( dits « Principes de Dublin ») par l'ICOMOS
et le TICCIH expose :
« Le patrimoine industriel comprend les sites, les
constructions, les complexes, les territoires et les paysages ainsi que les
équipements, les objets ou
les documents qui témoignent des
procédés industriels anciens ou courants de production par
l'extraction et la transformation des matières premières ainsi
que
des infrastructures énergétiques ou de
transport qui y sont associées. Il exprime une relation étroite
entre l'environnement culturel et naturel puisque les procédés
industriels - anciens ou modernes - dépendent de ressources naturelles,
d'énergie et de voies de communication pour produire et distribuer des
biens sur
les marchés. Ce patrimoine comporte des dimensions
immatérielles comme les savoir- faire techniques, l'organisation du
travail et des travailleurs ou un
héritage complexe de pratiques sociales et
culturelles résultant de l'influence de l'industrie sur la vie des
communautés et sur la mutation des sociétés et du
44
monde en général. »
Nous précisons avant toute chose que cette charte
repose sur la conservation des sites, constructions, aires et paysages du
patrimoine industriel. On comprend
44 Principes conjoints ICOMOS-TICCIH pour la
conservation des sites, constructions, aires et paysages du patrimoine
industriel, 2011, disponible en ligne :
https://www.icomos.org/newsicomos/news1991/july_2011_Vol18-No1/Icomos_18_FR_N
OIR_OK_web.pdf
28
donc que le patrimoine industriel revêt une dimension
spatiale importante. Cette définition complète la
précédente et fait nous interroger sur le lien très fort
entre les lieux d'industrie et leur environnement mais aussi sur le rapport
à la production qui apparaît comme une spécificité
à mettre en avant en ce qui concerne le patrimoine industriel. Aussi,
cette définition est intéressante car, pour la première
fois la dimension immatérielle est prise en compte. À travers son
établissement et la qualification faite de « travailleur » on
peut imaginer qu'il s'agit d'une reconnaissance des ouvriers à la
construction du patrimoine industriel. Pour autant, on remarque l'inscription
de la technique et des moyens pour y arriver bien avant la reconnaissance ayant
pour seul but la mise en avant des hommes y ayant contribué. Ces
principes de Dublin adoptés en 2011 constituent une première
reconnaissance des travailleurs de l'industrie et de la création de mode
de vie particulier qui s'influence d'un côté comme de l'autre. Il
est remarquable que toutes les références faites au travailleurs
de l'industrie sont dirigées exclusivement vers de
l'immatérialité. On ne laisse pas posséder, ce qui de
facto élimine le patrimoine ouvrier construit et consacre, en
quelque sorte, les mémoires ouvrières.
ii- Le patrimoine urbain, zone d'application
Au commencement de mes recherches, à travers les mots
clés « patrimoine ouvrier », je suis dirigée vers un
article du Parisien intitulé « Montreuil :
Stéphane
45
Bern à la rescousse du patrimoine ouvrier
». L'article (Annexe 6) relate la visite de Stéphane Bern,
accompagné du député Alexis Corbière, au
Musée de l'Histoire Vivante de Montreuil. Cette visite visait à
faire la promotion de ce musée, à mettre en avant le patrimoine
ouvrier. Stéphane Bern venait alors d'être chargé de la
dénommée « Mission Stéphane Bern » par Emmanuel
Macron. Cette mission a pour but la protection du patrimoine financé au
travers des désormais célèbres Loto du Patrimoine
(Française des jeux). Dans cet article en date du 13 novembre
45 Aurélie Sipos, Montreuil :
Stéphane Bern à la rescousse du patrimoine ouvrier , Le
Parisien, 17 novembre 2017
29
2017, la journaliste Aurélie Sipos fait état de
l' « Unique musée en France dédié au patrimoine
ouvrier » ;pour autant, quand il s'agit de nommer ce patrimoine,
Stéphane Bern utilise le terme choisi de« Patrimoine urbain »
:
« Unique musée en France dédié
au patrimoine ouvrier, il est financé à plus de 60 % par la
ville. « Le patrimoine du peuple est merveilleux, mais il est aussi rare,
fragile et menacé », a ainsi rappelé Frédérick
Génevée, président de l'association pour l'histoire
vivante. « L'entretien de cette maison dans laquelle la
municipalité investit tant est vital », renchérit-il,
espérant ouvrir un débat sur la conception de l'histoire «
celle des grands hommes, ou celle d'en bas, du peuple et de ses luttes ».
Même si Stéphane Bern le rappelle, « le patrimoine urbain
» ne fait normalement pas partie des attributions de sa mission, le
royaliste devrait se souvenir de sa visite, reparti du musée, avec, en
cadeau... un
46
buste de Robespierre. »
Il est vrai que Stéphane Bern ne représente pas
une source universitaire, cependant, en étant nommé «
Monsieur Patrimoine » du quinquennat de l'actuel président de la
République, il devient l'incarnation de la légitimité du
patrimoine par l'État. En ce sens, et quand on intègre cette
donnée fondamentale, l'utilisation du terme « Patrimoine urbain
» - pour ne pas qualifier le « patrimoine ouvrier » - prend une
connotation majeure. Il convient donc de comprendre et interpréter le
glissement du patrimoine ouvrier ver le patrimoine urbain.
Le terme de « patrimoine urbain » semble
plutôt aisé à appréhender, l'urbain renvoyant
à un territoire géographique, à la ville. La
première utilisation de ce
47
terme est attribuée à Gustavo Giovannoni dans
« Vecchie città ed edilizia nuova » L'urbanisme
face aux villes anciennes , paru en 1931. La volonté de Giovannoni
était de montrer que la ville et l'histoire de l'art était
mêlées, dans un contexte d'entre-deux-guerres où les
questions de reconstruction se posent. Alliant, pour la première fois,
le patrimoine et la ville comme un ensemble cohérent, cette vision
46 Ibid.
47 Architecte et urbaniste italien, 1873-1947
30
influence les nouvelles dispositions encore en vigueur
aujourd'hui, et marqué par la notion d'un espace délimité
comme patrimoine. Cette idée est, à cette époque,
innovante, et révolutionne la notion de patrimoine. Cela a pour impact
historique d'associer le patrimoine à des frontières, il en
découle notamment les « secteurs sauvegardés »
imaginé par Malraux, qui ont permis l'expansion et la reconnaissance du
patrimoine industriel. L'utilisation de ce terme par Stéphane Bern
pourrait venir du simple rapport entre l'industrialisation et l'urbanisation
des territoires. En ce sens, le lien entre patrimoine ouvrier et patrimoine
urbain peut se faire sur des principes économiques. Le
développement de l'industrie a fait grandir considérablement des
zones et ainsi urbanisé des ensembles. Un problème se pose
néanmoins quand on parle de patrimoine urbain, le terme « urbain
» renvoyant à la ville, son utilisation officielle est régie
par des règles strictes disponibles sur le site de l'Insee. On remarque
un changement de désignation
48
depuis 2010, auparavant on distinguait un « espace urbain
», aujourd'hui
49
requalifié en « Zonage en aires urbaines »
(ZAU). L'Observatoire des territoires , affilié au Ministère de
la Cohésion des Territoires précise même que le
qualificatif d'urbain ne peut être employé qu'en
définissant l'espace des « Grandes Aires Urbaines », ces aires
sont-elles-mêmes composées de trois types, les grands
pôles , les couronnes des grands pôles et les
communes multipolarisées des grandes aires
50
urbaines. Les critères institués
correspondent à :
48 Espace Urbain, Insee, « L'espace urbain
est l'ensemble, d'un seul tenant, de plusieurs aires urbaines et des communes
multipolarisées qui s'y rattachent. Dans l'espace urbain multipolaire,
les aires urbaines sont soit contiguës, soit reliées entre elles
par des communes multipolarisées. Cet espace forme un ensemble connexe.
Un espace urbain composé d'une seule aire urbaine est dit monopolaire.
La France compte actuellement 96 espaces urbains. Les aires urbaines
n'étant pas définies dans les départements d'outre-mer
(Dom), les espaces urbains ne le sont pas non plus. » ,
consulté le 25 avril 2019,
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1074
49 Observatoire des territoires, Ministère
de la cohésion des territoires : « L'Observatoire des
Territoires du CGET est à la disposition des acteurs de
l'aménagement, des élus et des citoyens : il donne des
clés pour comprendre nos territoires, et construire leur
développement. Il met à leur disposition une sélection
d'indicateurs cartographiés, de données et de documents
d'analyse. »
50 Ibid.
31
Grands Pôles
|
Couronnes des Grands Pôles
|
Communes
Multipolarisées des Grandes Aires Urbaines
|
10 000 emplois et plus
|
Au moins 40 % des
|
« Communes situées
|
|
actifs travaillent « hors
|
hors des grandes aires
|
|
de leur commune de
|
urbaines dont au moins
|
|
résidence dans un grand
|
40% des actifs occupés
|
|
pôle ou dans des
|
résidents travaillent dans
|
|
communes de sa
|
plusieurs grandes aires
|
|
couronne »
|
urbaines sans atteindre ce seuil avec une seule d'entre elles et
qui forment un ensemble d'un seul tenant. »
|
Une carte de France a pu être tirée de cette
nomenclature (Annexe 7). Cette carte ne regroupe pas seulement les grandes
aires urbaines, elle représente tous les foyers d'influence des villes
françaises. Les foyers rouges, oranges et jaunes peuvent utiliser le
qualificatif d'urbain. Les autres en revanche ne sont pas concernées. Le
principe d'urbanité n'est donc pas l'apanage de tout le territoire.
Parler de patrimoine urbain en revient donc à une partie seulement.
Cette vision correspond à une interprétation géographique
du patrimoine urbain. On distingue également un nombre important d'aires
ne pouvant correspondre à la délimitation que l'on fait à
l'urbain. La prochaine carte distingue les aires considéré comme
non urbaines :
32
Comment, dans ce cas, penser le patrimoine urbain en lien avec
le patrimoine ouvrier ? Toutes ces zones n'étant pas prise en compte, on
enlève une part importante de ce que constitue aussi le patrimoine
ouvrier. En exemple, le Musée
51
du textile et de la vie sociale (MTVS) se trouve à
Fourmies, ville qui n'est pas considéré comme prenant place sur
un territoire urbain. Cet exemple est tout de même assez rare et les
musées, places, lieux, que l'on pourrait considérer comme
appartenant au patrimoine ouvrier restent dans des zones dites urbaines.
Nous
51 Le Musée du textile et de la vie sociale
est installé dans une ancienne filature de laine datant du XIXème
siècle. Un lien particulier est mis sur la technicité du travail
du textile et sur la vie des ouvriers et ouvrières d'alors. Ce
musée est regroupé avec d'autres lieux autour de
l'écomusée de l'avesnois.
33
pouvons donc soulever deux réflexions en ce qui
concerne lien entre patrimoine ouvrier et patrimoine urbain. La première
est qu'il est plutôt logique de retrouver du patrimoine ouvrier
principalement en zone urbaine. Je rappelle que l'industrialisation et le
développement de la condition ouvrière a conditionné la
création de pôle urbanisé, sujet à une extension
croissante entre le XIXème et le XXème siècle. Il est donc
de ce point de vue tout à fait logique et cohérent de parler de
patrimoine urbain pour qualifier le patrimoine ouvrier. Ceci dit,, la question
de la désindustrialisation et ce, en sens de la désurbanisation
de ces territoires, interroge quant à la pérennité du
patrimoine urbain. Ces zones désindustrialisées en étant
vidées de leurs activités sont vouées sur un temps plus ou
moins long à réduire les conditions d'une zone
industrialisée : moins d'activités, moins de travails, moins
d'habitants. Cela prouve qu'un patrimoine peut être
considéré comme urbain à un instant « t » et
disparaître progressivement. Comment est-il alors nommé ? Cette
question soulève, à mon sens, le fait que plusieurs appellations
de patrimoine coexistent, se complètent et se substituent. Le patrimoine
urbain peut donc aussi être industriel ou minier par exemple.
Il est toutefois aussi possible d'appréhender le
patrimoine urbain sous d'autres angles, celui de l'histoire de l'art par
exemple. De ce point de vue, le patrimoine urbain renverrait sans doute
à un bâti, un type de construction, une méthode propre
à une ville ou une zone urbanisée. Car finalement le patrimoine
urbain appelle un objet qui s'articule dans un ensemble, renvoie à une
histoire, une technique, ou tout autre dénomination qui l'inscrit dans
la globalité d'un espace. Le patrimoine urbain est sans doute une notion
générale prête à accueillir des choses, objets qui
s'inscrivent chacune dans des spécificités.
La question reste donc ouverte : Stéphane Bern, en
nommant le patrimoine urbain, interroge presque plus le patrimoine ouvrier que
s'il l'avait nommé. En ayant étudié la
spécificité du patrimoine urbain on comprend que le patrimoine
ouvrier en s'inscrivant dans une dimension politique ferme les portes de sa
34
reconnaissance, tant le patrimoine doit s'inscrire dans une
certaine neutralité. Le patrimoine ouvrier, en distinguant une
catégorie sociale précise, pose les problème, sous-jacent,
à tout ce qui est considéré comme légitime ou non
et interroge d'autant plus les personnes qui choisissent ce qui est patrimoine
ou non. C'est pour cela que qualifier de patrimoine urbain un patrimoine
ouvrier n'est pas tellement surprenant. En utilisant une notion
dénuée d'engagement politique ou en tout cas de reconnaissance
historique, il devient plus aisé d'en parler et de l'appréhender
car on le vide de son contenu sujet à tension.
iii- Les sciences et techniques, outils théoriques du
patrimoine
ouvrier
Le patrimoine ouvrier concerne en partie, comme nous l'avons
vu, le patrimoine bâti. Il ne faudrait cependant pas le cantonner aux
lieux et y intégrer également l'objet : les machines. Elles
constituent une forme importante du patrimoine ouvrier, et sont le symbole
à l'exercice ouvrier. Ces machines sont depuis longtemps un enjeu de
crispation quant à leur devenir. Elles cristallisent aussi la
contradiction de l'idée d'ouvrier : A la fois outils qui permettent
d'exercer le travail de manière moins laborieuse, elles sont aussi
rejetées car induisent la disparition des emplois.
Ce lien ouvrier - machine a évolué au fur et
à mesure de l'histoire. On pense notamment au luddisme qui au
début du XIXème siècle a profondément
bouleversé le rapport à la machine. Tout commence dans une usine
du Lancashire quand il est décidé de privilégier l'achat
de machines à l'emploie d'ouvriers. Un mouvement clandestin se
crée alors et décide de casser les machines. Ce conflit
52
violent fera naître le terme de « briseur de
machine » . Cependant,, ce n'est pas la seule conception, Karl Marx
théorise et préconise un rapport à la machine tout autre.
Il évoque l'idée selon laquelle les travailleurs doivent au
contraire se réapproprier les machines. Une évolution du rapport
ouvrier-machine est en
52 Pour aller plus loin, BOURDEAU V., JARRIGE F.,
VINCENT J. : Le passé d'une désillusion : les luddites et la
critique de la machine, 2006, Actuel Marx 2006/1 (n° 39)
35
marche et, pour beaucoup, cela explique que les luddites
soient restés assez marginalisés du point de vue historique, tant
la conception marxiste du rapport à la machine à fait
autorité. Aujourd'hui on observe encore un rapport différent, un
rapport presque intime à la machine. Rappelons-nous de ces ouvriers de
GM&S qui avaient eux-mêmes détruit leurs machines pour ne pas
qu'elles puissent être exploitées ailleurs et ainsi pesés
dans les négociations à propos de la pérennité de
leurs emplois (Annexe 8). France Bleu rapporte les mots d'un ouvrier d'alors :
« « Ça fait mal au coeur, mais on n'a plus le choix pour
faire pression, si on ne veut
53
pas disparaître comme ça ! » . On
place alors dans la machine ce qu'Halbwachs nommait « valeur
émotionnelle ». A travers ces exemples on comprends qu'elles
occupent un espace fondamental dans la fonction ouvrière. Elles peuvent
être considérées comme l'extension inanimé du bras
de l'ouvrier. Ces événements sont d'autant plus
intéressants que les ouvriers revendiquent une certaine
propriété sur leurs outils de travails dont ils ne
possèdent pas la propriété du point de vue légal.
Le lien entre machine et ouvrier est évident pourtant, quand il s'agit
de présenter les machines lors d'exposition notamment, l'ouvrier y est
complètement absent, plus récemment nous assistons plutôt
à la création d'un nouveau rôle pour l'ouvrier, dont la
première règle est de ne plus le nommer. La machine et l'ouvrier
sont à ces fins montrés et mis en valeur du point de vue des
sciences et techniques. Cette vision de la destruction des machines pose
paradoxalement les jalons d'une certaine réappropriation par les
ouvriers de ce qui constitue leur patrimoine. À travers la destruction
ils pourraient en quelque sorte affirmer une possession de leur capital
historique, leur capital du travail. Cet événement peut
effectivement à première vue laisser perplexe, même s'il
est aussi l'avènement d'un patrimoine ouvrier. Cela peut paraître
étrange, car ils détruisent leur outil de travail et par
conséquent ce qui pourrait être patrimonialisé. Cette
considération s'entend d'un point de vue pratique, pour autant d'un
point de vue théorique on
53 Audrey Tiso, Olivier Estran, Les
salariés du sous-traitant automobile GM&S prêts à faire
sauter l'usines, France Bleue, 11 mai 2017, consulté le 9 avril
2019 :
https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/les-salaries-de-gms-bloquent-le-site-et-d
etruisent-des-machines-1494498073
36
peut aussi penser qu'à ce moment précis, les
destructions font exister le patrimoine ouvrier. Car, en détruisant
l'outil de travail, on l'empêche d'être réapproprié
et réutilisé et pourquoi pas in fine
patrimonialisé selon le point de vue des sciences et techniques
notamment.
54
En ce sens, la récente exposition « L'Usine
Extraordinaire » témoigne de ce type de réappropriation.
Nous l'avons déjà abordé rapidement mais nous allons nous
y consacrer un peu plus longuement. En novembre 2018 a eu lieu la
première édition de l'Usine Extraordinaire au Grand-Palais ;cette
présentation accueillait de grands groupes de l'industrie, dont le parti
pris était de présenter l'usine de demain et son évolution
depuis le XIXème siècle. Cette manifestation sur trois jours
possédait une communication assez importante, en raison notamment
à la présence de membres du gouvernement actuel. Ce ne seront pas
moins de 13 ministres qui se succéderont pendant ces 3 jours de
présentation. Le premier ministre actuel y a même fait un discours
d'une trentaine de minutes présentant les enjeux à venir de
l'usine, et de l'industrie plus généralement. Cette manifestation
occupe donc une place légitime, elle est en ce sens une
représentation accepté de ce qui fait l'usine. Aussi, un grand
effort a été fait sur la scénographie : construite comme
une usine et dans lequel on retrouve les codes plus classiques d'une
exposition. Dès l'entrée dans le Grand-Palais se trouve une
chronologie des événements liée à l'essor de
l'usine et de l'industrie. La faisant débuter en 1851 et
prolongée jusqu'à nos jours, un panneau explicatif (texte
reproduit en Annexe 9) nous indique que la frise retrace aussi les
événements sociaux qui ont accompagnés l'essor de
l'industrie : « Elle replace l'histoire récente de l'industrie
dans un contexte plus large d'innovations, de découvertes
55
scientifiques, d'événements politiques et
sociaux, d'évolutions de la société. ». Cette
première étape, celle du contexte et plus
généralement de vue global dans laquelle va évoluer le
visiteur, est caractéristique des expositions. Cette frise permet aussi
de situer le sujet d'un point de vue historique, ce qui place
54 Le terme d'exposition peut d'ailleurs être
discuté, certains préféreront l'idée de salon
.
55 Panneau à l'entrée dont un
écrit plus clair est proposé en Annexe 9
37
automatiquement le visiteur en récepteur, et en
autorité ce qui y est écrit. Une certaine affirmation historique
est donc à l'oeuvre sans qu'on en ait nécessairement conscience.
Une réserve est cependant émise, il est précisé que
la frise ne saurait retracer tous les événements mais est
seulement pensée dans le but
56
de « proposer des lignes diverses ». Aussi,
n'importe quelle présentation de ce type est quoi qu'il arrive le fruit
de choix et de compromis. Ces « choix » offre une
compréhension dans la manière de se réapproprier le
patrimoine ouvrier et, de l'exposer.
Cette frise chronologique est axée sur les sciences et
techniques, on y voit de grandes bandes de couleurs parsemées de points
faisant penser à un plan de métro. Chacun de ces points renvoient
à une information, accompagnée le plus souvent d'images. A
hauteur d'yeux, cette ligne directrice se voit facilement, construite autour
d'un échafaudage et de manière cylindrique ce qui ajoute à
la mise en espace tout à fait cohérente avec le sujet. Voici une
image générale qui permet de mieux comprendre
l'aménagement de l'espace autour de la frise :
56 Ibid.
38
Crédit photo : L'Usine Extraordinaire, Novembre 2018,
Paris
Nous choisissons de montrer cette image, car on y constate
l'échelle générale de la frise par rapport à une
taille moyenne, le regard est en parfaite alignement avec les
éléments inscrits. De plus près nous pouvons y lire les
grandes avancées techniques, allant de l'invention de matériaux
aux premiers grands événements à portée
industrielle comme les reportages télévisuels par exemple. On
remarque également que les événements inscrits sont
souvent cités avec une « marque », ce qui laisse voir la
volonté de replacer l'objet décrit à un concepteur. Voici
un exemple d'une partie de la frise :
Source : Agnès Ghonim, L'usine extraordinaire, novembre
2018, Paris
39
Après la lecture du panneau explicatif nous aurions pu
nous attendre à voir apparaître les personnes physiques ayant pris
place dans l'avènement industriel : les ouvriers. Après plusieurs
tours, où il était commun de jouer des coudes pour lire ce qui
était présenté, nous ne trouvons aucune mention des
ouvriers. Cela laisse songeur d'autant que la frise, nous le rappelons,
était censée présenter « l'histoire
récente de l'industrie dans un contexte plus large d'innovations, de
découvertes scientifiques, d'événements politiques et
sociaux, d'évolutions de la
57
société. » . En cherchant
attentivement on finit par distinguer quelques références aux
« événements politiques et sociaux » et aux «
évolutions de la société ». Reprenons la photo
précédente, ces événements, en lien direct avec les
ouvriers étaient en fait ici :
Source : Agnès Ghonim, L'Usine Extraordinaire, novembre
2018, Paris
57 Panneau à l'entrée, Annexe 9
40
Nous choisissons dans ces photographies (Annexe 10) de ne pas
modifier la lumière ou l'exposition afin d'avoir un rendu le plus brut
possible de ce que l'on pouvait voir. Pour mieux appréhender cette
manière d'inscrire ce qui relève directement du patrimoine
ouvrier, nous pouvons nous référer de manière plus globale
à notre première image reproduite ci-après et où
est entouré chaque ligne de textes en lien avec une conquête
ouvrière. Le fait est que cette exposition étant
présentée autour de grands noms de l'industrie, la volonté
de ne pas faire figurer les avancées arrachées par les ouvriers
paraît logique, ces acquis ont été le fruit de luttes
menées bien souvent contre les directeurs d'usines, ou plus
généralement, contre les patrons des grandes entreprises d'alors
:
Source : L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris
Les choix fait dans la façon d'exposer les
conquêtes sociales qui ont accompagnées l'évolution des
usines et de l'industrie mais aussi de la société en
générale nous laisse songeur. Les exposer de cette manière
nous fait nous interroger sur la volonté des organisateurs et le message
qui s'échappe d'une telle présentation. Ces photos ne montrent
pas bien le rapport au sol qu'occupent ces quelques lignes, elles sont pourtant
au niveau des pieds des visiteurs.
41
Symboliquement, le visiteur pourrait piétiner ces
informations. Et, s'il souhaite les voir il doit se baisser. Aussi, aucune
couleur, aucune photographie n'est présente pour accompagner ces lignes,
une typographie simple, noire, ce qui explique encore plus que le visiteur ne
les observe pas. Cela pourrait montrer la volonté des organisateurs de
ne pas faire voir ces conquêtes. Cela nous invite à deux
remarques, la première : comme nous l'avons vu le texte explicatif
(Annexe 9), celui qui intervient avant que le visiteur découvre la frise
(Annexe 10), nous laisse entendre qu'il sera fait état des
conquêtes sociales ayant accompagnées l'essor de l'industrie, ce
qui place ces revendications d'un point de vue historique (tout du moins dans
la gradation de ce qui est considéré comme essentiel dans cette
exposition) aussi importante que la découverte du caoutchouc par
exemple. Pourtant, la manière d'exposer est en complète
contradiction avec ces quelques mots de présentation, les placer en
dehors du regard du visiteur amène de facto une non
présentation. On peut néanmoins s'interroger : pourquoi avoir
tout de même fait figurer ces événements historiques ?
Peut-être que cela est en réponse à ce que fait la
fondation qui organise l'exposition. La FACE nous le rappelons souhaite faire
« changer » le regard des Français sur l'industrie, en ce sens
pour faire changer ce regard il doit tout de même faire apparaître
les référentiels communs en lien avec l'usine et l'industrie. Ne
pas présenter ces conquêtes sociales qui constituent aussi un
patrimoine ouvrier aurait pu rendre méfiants les visiteurs. En effet,
l'usine est pensée comme un lieu ou s'exerce le travail laborieux, ne
pas faire figurer ce qui est en lien direct avec cela aurait, on peut supposer,
amené à une réticence des visiteurs vis-à-vis de ce
qui serait montré plus tard au cours de l'exposition. A ce sujet, une
étude statistique avait été mené en amont de
l'Usine Extraordinaire par YouGov (Annexe 11). Cette enquête
commandée par la FACE nous en apprend beaucoup sur le parti pris qui se
dessine dans la conception de cette manifestation. D'ailleurs, le titre et
sous-titre de l'enquête fait déjà comprendre les enjeux qui
amènent les manières de représenter lors de l'Usine
Extraordinaire : « Les Français sont-ils prêts à
changer d'idée sur
42
58
l'Usine ? » , le compte rendu est guidé
autour de deux parties, la première ; «
59
Les préjugés sur l'usine et l'industrie sont
tenaces... » , la seconde : « ... mais
60
un vent de renouveau est en train de souffler ! » .
Cette enquête montre que « 3
61
Français sur 4 n'ont jamais entendus parler de
l'usine du futur » ; l'usine du futur s'oppose donc
nécessairement au principe d'une usine du passé, or ce
passé peut éventuellement être raccroché à la
recherche d'images faite précédemment, en tapant « ouvrier
1950 », par exemple. A priori, c'est bien cette image que la FACE par le
biais de sa manifestation l'Usine Extraordinaire cherche à modifier. On
comprend donc mieux pourquoi ces avancées sociales amené par des
luttes importantes ne sont montrées que très partiellement.
L'exposition l'Usine extraordinaire qui s'est
déroulée au Grand Palais laisse donc apparaître la
réappropriation du patrimoine ouvrier sous le couvert des sciences et
techniques. Les conquêtes des ouvriers acquises au sein de leurs usines y
sont montrées très sporadiquement et quand les hommes y
travaillant sont mis en avant il s'agit avant tout de faire la promotion
d'emplois à pourvoir ou, dans l'autre cas, de faire publicité de
nouveaux noms de métiers, le tout au service de la machine qui constitue
le coeur d'un patrimoine de science et technique. Aussi, le rapport de
l'ouvrier à la machine, comme outil de travail n'est pas abordé,
pourtant cela constitue aussi le coeur du patrimoine ouvrier. Cette
manifestation construite comme une exposition mais présentant les
caractéristiques d'un salon laisse songeur quant à la
finalité recherchée (Remarques et images sur l'Usine
Extraordinaire, Annexe 12).
58 Enquête pour la fondation usine
extraordinaire YouGov, sur un échantillon de 2000 personnes, sondage en
ligne réalisé du 9 au 13 novembre 2018
59 Ibid.
60 Ibid.
61 Ibid.
43
Chapitre 2 - Cas Concrets
a- Les réhabilitations des lieux ouvriers
Préambule
Le patrimoine ouvrier se diffuse dans d'autres sphères
patrimoniales où est même très présent. Comme nous
l'avons vu auparavant, le patrimoine industriel porte le plus
communément cette considération. S'attachant principalement
à un type d'architecture, il est très intéressant de
constater les différentes réhabilitations du bâti
industriel. Quand il est protégé et sauvegardé, une
dénaturalisation se fait presque automatiquement. Cela montre finalement
que le bâtit est protégé mais que son contenu et presque
son identité et son histoire ont disparu tant on en change sa fonction
et sa destination. Le patrimoine ouvrier si l'on s'en tient à la pierre
est sauvegardé mais ce qui fait sa spécificité et quelque
part ce qui fait sa patrimonialisation a disparu. Un bâtiment de type
industriel n'est finalement apprécié que pour ses qualités
esthétiques, ce qui le coupe d'une part importante de ce qui fait sa
portée. On relève plusieurs manières de les
réhabiliter,
62
Jean-Claude Daumas dans son ouvrage « La mémoire
de l'industrie » en dénombre trois. Il distingue
premièrement le bâtiment réhabilité dans le but d'y
reconstruire une activité industrielle ( la question de la
patrimonialisation devient alors plus compliquée à
appréhender, car en activité), deuxièmement l a
création de logement et troisièmement une
réhabilitation dans le but d'un aménagement
63
d'espaces de services et de loisirs . Les
deuxième et troisième cas nous intéressent plus
particulièrement car pouvant soulever le principe de patrimonialisation.
Ces manières de réhabiliter peuvent aussi être
appréciées sous un autre angle, du point de vue lucratif ou non.
La question économique est d'autant plus importante qu'elle intervient
avant même la manière dont va être réhabilité
tels ou tels bâtiments. Nous constatons également les
destructions
62 Jean-Claude Daumas, op.cit.
63 Ibid.
44
comme faisant partie intégrante d'une certaine
négation du patrimoine ouvrier, nous le développerons plus
tard.
i- Réhabilitation lucrative (non touristique) : Station
F, magasin
Uniqlo
Le principe de réhabilitation pourrait se constituer en
fonction d'un avenir que l'on décidera lucratif ou non. Cela est
primordiale car il conditionnera l'aspect et le contenu final du
bâtiment. Pour s'en rendre compte on peut analyser l'utilisation faite de
la mémoire attachée au lieu. Elle peut être
complètement disparue et inexistante comme à la Station F
à Paris, situé dans les anciennes Halles Freyssinet. Cette halle,
attaché à la gare d'Austerlitz était un bâtiment
ferroviaire, utilisé jusqu'à son rachat d'abord par la ville de
Paris, puis par Xavier Niel, qui le renomme Station F. Ce lieu abrite
aujourd'hui des start-ups et ne porte plus de trace de son activité
passée. La mémoire qui lui est associée qui passe des
conditions de travail des ouvriers du fret au service tardif de messageries y
est complètement absent. La seule mise en valeur que l'on constate
rentre dans une logique économique en étant nommé le plus
grand incubateur de start up du monde. Cette réhabilitation, qui a suivi
des logiques économiques, enlève l'origine et la fonction
initiale du lieu. Menacé de destruction par la SNCF et la ville de Paris
elle-même, cette réhabilitation est apparue comme la seule
possibilité de sauvegarde pérenne.
Un autre exemple de réhabilitation d'un point de vue
lucratif se trouve dans l'affirmation de la mémoire du lieu pouvant
servir un intérêt marchand. Le magasin Uniqlo, situé au 39
rue des Franc-Bourgeois à Paris, est un exemple frappant de ce type de
réhabilitation. Ce magasin a élu domicile dans ce qui fut la
dernière usine de vêtement du Marais. On assiste là
à une vision intéressante car les choix de l'architecte et de la
marque ont voulu laisser ce qui faisait cette usine, à savoir une grande
cheminé au centre, et à en garder les attributs : les machines y
sont encore présentes. On assiste là à la mise en valeur
architecturale de la
45
spécificité d'une usine dans le but de promotion
esthétique de l'enseigne. Une plaque est disposée à
l'entrée du magasin qui rappelle le caractère singulier du
bâtiment, elle n'est cependant pas du tout visible. Un problème se
pose, les personnes entrant dans ce magasin ne cherche pas l'histoire du lieu :
ils entrent dans un magasin, pas dans une ancienne usine. Cette méthode
de présentation et de mise en valeur du lieu appelle l'idée d'une
réhabilitation dans un but de consommation. Aussi, lors de ma
première visite, sur la plaque était inscrite la présence
des anciennes machines. Pour les trouver, il fallait encore faire preuve de
patience. Elles étaient en fait reléguées en bas du
bâtiment à l'écart du reste et visibles au travers de
vitre. La conception de cet espace est telle que les machines ne sont pas
visibles à moins d'être à deux mètres des vitres. Un
jeu de lumière autours de cet endroit rend impossible leur visualisation
que l'on pourrait dire « spontanée ». Un fois trouvé,
les machines sont là, toutes au même endroit, presque
parqué dans deux rectangles de quelques mètres carrés. Ce
magasin Uniqlo nous apprend beaucoup quant à la mise en valeur d'une
usine dans un but lucratif : ce qui peut être considéré
comme esthétique, les pierres, la grande cheminée, les
verrières sont mises en avant car valorisante, en revanche le sort
réservé aux éléments relayant la fonction du
travailleur sont cachés et surtout écartés spatialement du
reste, au sous-sol du magasin Uniqlo. Nous pouvons tout de même nous
demander pourquoi ne pas les avoir complètement enlevés ? Il est
probable que la mise en valeur sert des intérêts de communication,
puisque dans
64
un article du Monde en date du 3 décembre 2013, le
journaliste explique même : « Ouverture prévue en avril
2014. Sur place, le géant japonais de l'habillement prend soin de garder
bien visibles les traces du passé. « On ne touche surtout pas
à l'atmosphère de ce lieu, confirme-t-on chez Uniqlo. C'est
ce
65
qui nous a attirés ici ! » »
L'enveloppe de l'usine est encore visible, on peut tout de
même douter d'une protection de ce bâtiment dû seulement
à ce qui s'en dégage. Le fait est que son
64 Denis Cosnard, Uniqlo transforme la
dernière usine du Marais en temple du vêtement, Le Monde, 3
décembre 2013
65 Ibid.
46
implantation en plein centre du Marais génère
une manne foncière importante, aussi, le marais est un secteur
sauvegardé ce qui rend difficile les démolitions et
reconstruction.
ii- Réhabilitation lucrative dans un but touristique : Le
Lieu Unique
Un autre type de réhabilitation est constitué
dans la mise en valeur du lieu, l'affirmation de son identité, dans un
but de promotion touristique. Le Lieu Unique à Nantes se situe dans les
anciennes usines Lu du nom de son fondateur Lefèvre-Utile. Usine
importante par sa taille elle favorisera les emplois de Nantes et sa
région en employant jusqu'à 2 000 ouvriers. Dans les
années 70 sont décidés de grands travaux qui l'ampute
d'une partie de ses deux tours caractéristiques de l'architecture
d'Auguste Bluysen. L'entreprise LU est particulière car elle partage,
jusqu'à son premier rachat en 1968, ses bénéfices avec ses
ouvriers, met en place des caisses en cas de maladie, et imagine au
début du XXème siècle l'élaboration de caisses de
retraite. Cette usine en centre-ville de Nantes est dans un premier temps le
lieu de projet d'un nouveau centre d'affaires. Finalement abandonné, la
ville rachète l'espace dans le but d'y abriter des actions associatives.
Aujourd'hui réhabilité, le site est devenu scène nationale
et accueille de nombreux artistes en résidences, ou des manifestations
à portée internationale. Haut lieu de Nantes et de ses environs,
un accent particulier est mis sur la présentation du passé
industriel. On retrouve une mise en valeur esthétique, où est
fait la promotion d'une certaine authenticité. En revanche,, rien n'est
présenté concernant l'ancienne vie de l'entreprise, les
congés maladies, le système social particulier de cette ancienne
usine n'est pas du tout mis en avant. Le Lieu Unique est un lieu touristique
par excellence en promotion dans la plupart des guides touristiques et
jouissant d'une réputation artistique considérable. En revanche,
l'histoire sociale y est absente, au profit de valorisation esthétique
dans le but de promotion d'authenticité. Cette réhabilitation met
en avant la sauvegarde d'un lieu menacé de destruction dans un but
culturel et artistique. Cette sauvegarde ayant été initiée
par
47
la ville, cela permet de mettre en exergue le
bénéfice qu'elle en retire d'un point de vue économique,
communicationnelle, touristique.
iii- Réhabilitation non lucrative, affirmation du
patrimoine ouvrier
Très peu de réhabilitations ont conduit à
une affirmation claire de patrimoine ouvrier. A chaque fois mené dans un
but non lucratif, le musée de la Métallurgie Ardennaise qui s'est
installé dans l'ancienne usine du même nom en est un des exemples.
Ce musée met en avant l'histoire du travail du fer avec un accent
particulier sur les ouvriers, leur histoire et les luttes sociales qui ont
accompagnées la vie de ce lieu. Sauvé grâce au
président de la Communauté de Communes Meuse et Semoy, elle fut
un temps menacé de destruction. Ce sont les anciens
métallurgistes, accompagnés de l'ethnologue Marc André,
qui ont favorisé sa pérennité. On assiste à une
réhabilitation prenant la forme d'un musée, on remarque que la
volonté des décideurs politiques des communes concernées a
joué un rôle essentiel. Sans leur aval et soutien financier, cette
ancienne usine aurait -on peut le supposer- été détruite
ou au mieux laissée à l'abandon. Situé dans un territoire
où la manne foncière n'est pas la plus importante, on remarque
que les réhabilitations à l'oeuvre comme au Lieu Unique de Nantes
sont beaucoup plus compliquées à mettre en place dans des
territoires reculés. La seule possibilité pour ces territoires de
faire perdurer leur patrimoine ouvrier se résume aux instances
dirigeantes. Cela dit, le fait qu'un bénéfice économique
paraisse difficile à dégager, permet aussi de pouvoir affirmer un
patrimoine ouvrier. La difficulté qui résulte de l'affirmation
politique de ce qui fait ce patrimoine, est beaucoup plus simple à
mettre en avant car non régi à une nécessité de
consensus dans le but d'affirmation d'une neutralité. Pour autant, en
même temps que l'on affirme un patrimoine ouvrier, l'importance des
villes dans ces sauvegardes posent de nombreux problèmes. La
pérennité de protection de ces lieux n'est pas acquise car leurs
financements dépendent aussi de la couleur politique dominante dans ces
territoires. D'une année sur l'autre, ces municipalités peuvent
affirmer
48
leurs soutiens mais aussi le renier, ce qui fait demeurer ces
endroits dans une certaine précarité d'avenir.
Ces réhabilitations montrent que la mémoire des
lieux est très souvent absente, nous retiendrons ce que Jean-Claude
Daumas dit à ce sujet :
« L'action patrimoniale n'est pas davantage uniforme
qu'elle n'est générale. (...) Surtout, elle évolue avec la
situation socio-économique et politique locale, si bien que le moment
où on mobilise le geste héroïque de la classe
ouvrière et les qualités exemplaires des travailleurs
(savoir-faire, courage solidarité...) n'est pas celui de la
requalification qui valorise les lieux et le bâti. 66
»
De ce constat, nous proposons un plan qui instaure le lieu
ouvrier en lien avec les réaffectations en fonction d'un but lucratif ou
non, en précisant qu'une seule flèche part du bas vers le haut,
cela pour représenter l'utilisation de la mémoire du lieu dans un
but lucratif :
Source : Agnès Ghonim, 2019
66 Jean-Claude Daumas, op. cit. p.13
49
b- Les destructions
i- Le cas de l'usine de Javel
Ces différentes réhabilitations ne sauraient
faire oublier les destructions massives auxquelles nous assistons depuis le
début de la désindustrialisation. De nombreux lieux comme les
anciennes usines de Javel, André Citroën, dans le XVème
arrondissement ont été rayé de la carte. Haut lieu de
l'automobile française, cette usine était alors une
véritable ruche ouvrière. Racheté par la Ville de Paris
elle fût détruite pour laisser place à un parc, et un
important programme immobilier. Les traces de ce passé sont dans la
station qui porte le nom de son fondateur Javel-André Citroën, mis
en avant par la ville comme un hommage au passé industriel de ce
quartier. Pour autant, cette destruction et la mémoire qui est
entretenue aujourd'hui peut-être sujette à controverse. Sur le
site de la mairie de Paris, on prône la seule station au nom d'un
industriel. Et sur le site officiel de l'office du tourisme de la Mairie de
Paris, le seul descriptif s'appuie sur le parc André Citroën, en
lieu et place de l'ancienne usine :
« Le parc André Citroën est situé
à l'emplacement de l'ancienne usine parisienne de Citroën.
Inauguré en 1992, d'une superficie de 14 hectares, il est l'un des parcs
les plus récents de la capitale. Cette oeuvre futuriste,
réalisée par des paysagistes et des architectes de renom (Alain
Provost, Gilles Clément, Patrick Berger, Jean-Paul Viguier et
François Jodry), offre une très belle perspective sur la Seine
et, est le seul espace vert parisien directement ouvert sur le fleuve. Le parc
se divise en trois parties thématiques : le jardin Blanc, le jardin Noir
et un grand parc central. Le visiteur découvre de nombreux arbres
exotiques et des plantes rares, deux serres monumentales et bien d'autres
surprises. Les divers équipements du parc sont propices à la
détente ou à la distraction. Les enfants profitent d'une aire de
jeux de ballon, de tables de ping-pong, de jeux à ressorts et de
toboggans. Sans oublier le ballon captif à gaz proposant une ascension
de 150 mètres de hauteur pour petits et grands (selon les conditions
climatiques). »
50
La station de métro est particulièrement
intéressante. Elle a été rénovée en 2018 et
inaugurée en grande pompe par les représentants de la RATP et de
Citroën (Annexe 13). La création d'un musée virtuel et un
accent sur le passé de l'usine est mis en avant. Les supports
apparaissent comme un visuel publicitaire. La chronologie de l'évolution
des voitures fait place à quelque interrogation d'autant plus que
l'usine qui y était présente n'a fabriqué que jusqu'en
1975 ce qui n'empêche pas d'y trouver des photographies de modèles
récents. Aussi, trois écrans tactiles parsèment les murs
de la station, la RATP faisant ainsi la promotion
67
d'un musée virtuel qui retrace l'histoire de la marque,
les modèles phares, et, avant toute chose l'histoire de son fondateur.
Ceci est l'exemple commun touchant au patrimoine ouvrier. Aucune mention n'est
faite des 30 000 ouvriers y ayant travaillé, aucune mention non plus des
grèves de 1936, par lesquelles les ouvriers de Citroën ont promu un
changement social partout en France. C'était une des premières
entreprises de cette taille à céder aux grèves
ouvrières en accordant notamment des augmentations de salaires, une
revalorisation du salaire minimum et des congés payés. Rien, pas
un mot sur ces hommes et ces femmes ayant profondément fait changer
l'aspect social français, dont nous pouvons encore en partie jouir
aujourd'hui. La Une de l'Humanité en date du 31 mai 1936 résume
les avantages arrachés des grèves de 1936 notamment par les
ouvriers de l'Usine de Javel (Annexe 14). Au regard de ces
événements, ne pas présenter cette histoire sur les quais
de la station Javel-André Citroën montre comment le patrimoine
ouvrier est réapproprié sous deux aspects. Le premier du point de
vue des sciences et techniques, à travers l'évolution des
automobiles par exemple. Le deuxième consiste en une sorte d'adoration
du concepteur. Pour aller plus loin on peut aisément imaginer que
l'affirmation d'un patrimoine ouvrier devrait en symétrie
68
appuyer l'affirmation d'un patrimoine dit patronal . Cet
exemple de valorisation de la figure d'André Citroën au
détriment des ouvriers ayant eux largement contribué à la
réussite de cette entreprise prouve cet état de fait : le
patrimoine
67 Musée virtuel André Citroën,
Citroën Origins,
http://www.citroenorigins.fr/fr
68 Voir à ce sujet l'article
d'Anne-Françoise Garçon « L'ouvrier ne fait pas
patrimoine... De la difficulté en France de faire se rejoindre
mémoire du travail et archéologie industrielle » ,
L'archéologie industrielle en France, Revue du CILAC n°36, p.48-59,
2000
51
s'apparentant au patronal existe bel et bien, cela justifie
d'autant plus l'existence d'un patrimoine ouvrier.
ii- Les raisons historiques des destructions
Du point de vue historique, cette absence de reconnaissance
peut amener à la destruction des lieux en rapport avec l'industrie et
donc des ouvriers. Cela s'explique notamment par l'échec qu'a
constitué la fermeture des usines. Dans les années 80 la
désindustrialisation massive (même si la constitution d'un
patrimoine industriel a débuté dès les années 50)
qu'a connue la France a fait perdre leurs emplois à des milliers
d'ouvriers et a constitué un traumatisme important dans la
société française. L'industrie est depuis associée
à des souvenirs douloureux car, en même temps qu'elle fut un
levier d'évolution sur le plan technologique, et sociale par les luttes
qu'elle a fait surgir, elle a fini par sceller au travers de son
décroissement la mise à l'écart des ouvriers. A ce sujet,
Jean-Claude Daumas explique :
« Il existe en matière de patrimoine
industriel une forte demande de
mémoire car, après une période
où on a beaucoup détruit avec le désir plus ou moins
conscient d'effacer jusqu'au souvenir d'une aventure qui s'est achevée
sur
un échec douloureux, on fait aujourd'hui le
rêve impossible de tout conserver, sans souci de tri et de
hiérarchie, parce que les vestiges matériels laissés
derrière
elle par l'industrie sont de plus en plus perçus
comme des éléments constitutifs d'identités
professionnelles ou locales qui méritent d'être respectées,
confortées, valorisées, et que la commémoration pieuse du
passé est vécue comme une sorte de compensation au déclin
de l'industrie et à l'effacement des groupes ouvriers
69
qui lui étaient liés. »
Il s'agit donc de comprendre que les mémoires
ouvrières que décrit Jean-Claude Daumas sont depuis quelques
temps un moteur de patrimonialisation en dépit de critérisations
qui sont nécessaires à l'élaboration d'un patrimoine.
Choix qui
69 Jean-Claude Daumas, op.cit., p.23
52
amène à ne pas patrimonialiser ce qui n'aura su
répondre à différents critères. Bien souvent, la
non patrimonialisation, qui englobe dans notre propos aussi bien les
réhabilitations que les rénovations, mènent bien souvent
à la destruction. Nous pouvons, en ce sens, avancer une interrogation
quant à ces destructions. En effet, si la seule manière de
considérer ces endroits est constituée par du patrimoine
industriel il n'est pas tellement surprenant que les municipalités, qui
ont bien souvent in fine la responsabilité du devenir de ces
lieux, les détruisent. En effet, bien que de nombreuses
réhabilitations aient lieu, les matériaux utilisés
à l'époque et les nouvelles réglementations aujourd'hui en
vigueur exigent un vaste investissement financier des municipalités si
elles se donnent pour mission de les protéger. Or, les
municipalités sont elles-mêmes soumise à une perte
grandissante de leur moyen. Aussi, le fétichisme que peut
entraîner l'idée de patrimoine soulève aussi le principe
d'espace unique. En effet, pour qu'un bâtiment puisse obtenir la stature
patrimoniale qui le protégerait il convient qu'il ne soit pas commun. Si
un type d'architecture ou de bâtiment est présent de
manière très importante sur le territoire cela lui enlève
sa rareté. L'industrie s'étant répandue sur tout le
territoire, de nombreuses usines y ont fleuri. Si elles sont aujourd'hui
menacées de destruction, certaines seront, paradoxalement, grâce
à ces menaces protégées. Cette réflexion est
à considérer si l'on parle de patrimoine industriel, en revanche
si la manière de les mettre en valeur était vue sous l'aspect du
patrimoine ouvrier, il serait beaucoup plus difficile de les détruire
car chacune abriterait une histoire ouvrière différente, ce qui
entrerait dans des critères de lieu unique, principale source de
protection donc de patrimonialisation. Pour cela, une affirmation d'histoire
ouvrière propre à chacune de ces usines serait nécessaire,
on protégerait alors l'histoire ouvrière passé de ces
endroits, véritable mémoire de ces lieux. Cela montre que la
rareté est une condition incontournable de la patrimonialisation.
53
iii- Détruire pour ne pas affirmer de
propriété
Finalement, le patrimoine ouvrier serait-il non affirmé
car impliquant une propriété ? Ce qui distingue le chef
d'entreprise, le patron, est la possession du
70
capital économique . Affirmer un patrimoine ouvrier
viendrait à reconnaître un capital économique, culturel et
historique à la classe sociale qui en est habituellement
dépossédée. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le seul
qualificatif d'ouvrier reconnu du point de vue patrimonial sont les
mémoires ouvrières. Comme si, le patrimoine ouvrier ne concernait
que de l'immatérialité. On dépossède de la pierre
par le patrimoine industriel, des outils de travails par un patrimoine de
sciences et techniques, des lieux et places par le patrimoine urbain, tout ce
dont ils pourraient affirmer une origine de création. Etablir une
propriété à l'ouvrier remettrait en question les
fondements de notre société, de répartition des richesses
et du système de classes sociales. Cela est peut-être une des
raisons de la non existence du patrimoine ouvrier. Le lien entre patrimoine et
propriété doit donc être défini. La
définition littéraire du patrimoine est assez parlante à
ce sujet. Comme nous l'avons vu auparavant il désigne un
héritage, or un héritage suppose de facto une
propriété. On ne peut pas en effet hériter de quelque
chose qui ne nous appartient pas. Cela semble logique, mais peut paraître
plus compliqué à aborder en ce qui concerne le patrimoine sous le
prisme du culturel, pourtant, là aussi, une affirmation de la
propriété pourrait être posée. Comme André
Chastel le
71
rappelle « le patrimoine est moins une possession
qu'une propriété » . Je précise que nous
abordons ce que soulève le patrimoine d'un point de vue purement
économique, nous n'abordons pas dans cette partie les qualités
esthétiques ou le besoin historique de protection. Prenons en exemple
plusieurs types de patrimoines : Le patrimoine mondiale par exemple pourrait
désigner la propriété symbolique d'un bien culturel par
toute l'humanité. Le patrimoine de type
70 Insee, catégorie socio professionnelle,
PCS 2003, nomenclature des Professions et Catégories
Socioprofessionnelles, Artisans, commerçants et chefs d'entreprise
71 Chastel André, « Patrimoine »,
Encyclopédia Universalis, Supplément, Paris, 1980.
54
artisanal, pourrait affirmer une propriété
symbolique dans la possession de savoir-faire à un groupe d'individus
particulier.
Or, la propriété générée
dans la qualification de patrimoine bâtit induit un caractère
pécunier. Le fait est que le patrimoine, sous sa forme
matérielle, génère une fonction économique, au
profit de son bâtit et de son environnement. L'article d'Alfonso
Álvarez Mora, « Le concept de patrimoine bâti, alibi des
modèles
72
urbains soumis à la rente foncière en Europe
» , va même plus loin en expliquant que la manne
foncière qu'opère une patrimonialisation est en fait le moteur
principal à toute reconnaissance. Il évoque même l'
alibi que constitue le culturel dans toute patrimonialisation
du bâti. La rente foncière opère alors une »
73
dépossession de classe » , où la valeur
portée au bâtiment change de contenu émotionnel. Une
réappropriation est en cours qui porte tant sur la possession de
l'espace que sur la « valeur d'estime » (Halbwachs, 1928) . C'est au
travers de ce processus qu'est réapproprier le patrimoine ouvrier dans
d'autres patrimoines : urbain, industriel, technologique.
72 Alfonso Álvarez Mora, Le concept de
patrimoine bâti, alibi des modèles urbains soumis à la
rente foncière en Europe, Espaces et sociétés (n°
152-153), pages 19 à 33, 2013
73 Ibid .
55
Chapitre 3 - Histoire d'une notion, description
théorique
a- Une construction culturelle
i- Au prisme politique du patrimoine
Après avoir analysé ce qu'incarne le patrimoine
ouvrier et son intégration dans d'autres sphères patrimoniales
reconnues, nous devons interroger le chemin de construction politique du
patrimoine. Par quelles instances et quels processus un objet doit-il passer
pour être consacré patrimoine ? Cette question nous
intéresse car elle nous permet in fin e de tenter
d'établir les raisons d'une reconnaissance encore rare du patrimoine
ouvrier. Loin de prétendre retracer toute l'histoire de la notion, nous
nous attacherons à décrire ici les évolutions qui font
date. Plus particulièrement, nous faisons démarrer cette
tentative d'analyse à 1789, date de la Révolution
Française -charnière dans la compréhension de la
construction du patrimoine moderne-. La Révolution Française fait
intégrer l'idée de patrimoine nationale ce qui permet de poser
les jalons d'une histoire commune, le patrimoine sert donc des volontés
politique. C'est la création du Louvre en 1793 qui a favorisé
l'idée de bien commun, véritable notion du patrimoine culturel
aujourd'hui. Le patrimoine devient garant d'une cohésion sociale et un
enjeu de société, car il est primordial de construire une
histoire nationale dans laquelle ses citoyens puissent se reconnaître.
Les années 1830 correspond au moment Guizot et constitue une
étape importante dans la protection du patrimoine. Guizot, ministre de
l'intérieur , s'est empressé de faire voter des lois
ayant pour objectif sa protection, protection subordonnée à
l'état. Il affirmait alors, « C'est un désordre grave et
un grand affaiblissement chez une nation que l'oubli et le dédain de
son
74
passé » . Il obtient la création
du rôle d'Inspecteur général des monuments historiques. Par
conséquent, le patrimoine conforte l'histoire et par là, celui du
discours national.
74 Jacques de Crozals, Guizot , 1858, Bnf
Collection, Paris, 2016, p. 336
56
L'autre charnière du patrimoine en France est
datée à 1913 avec la loi relative au monuments historiques,
votée en pleine nuit, qui synthétise les lois qui tentaient de
protéger le patrimoine jusqu'alors. C'est encore aujourd'hui la loi qui
caractérise les fondations de la protection patrimoniale en France. Elle
est créée dans un contexte particulier dû à la loi
de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905.
Pour faire suite, nous datons la dernière grande
charnière pour le patrimoine en France à 1960 et à Malraux
qui voit naître la naissance de l'inventaire.
Ces grandes étapes du patrimoine en France ont vu
surgir d'autres interrogations que Loïc Vadelorge résume en trois
grands domaines :
75
1- Tensions en l'administration des cultes et des beaux-art
s
2- Tensions entre la politique patrimoniale et la politique
artistique
3- Tensions entre les conceptions scientifiques et celles
des amateurs
Finalement, il s'agit de tensions idéologiques
. Cela nous montre que les politiques du patrimoine occupent une place
centrale dans les politiques en général, et qu'il peut
conditionner l'ensemble des politiques en vigueur sur un territoire.
ii- Les nouveaux patrimoines
Le concept de patrimoine se traduit aujourd'hui par son
existence légale, sont ainsi ordonnées des lois qui le
protège . Des institutions chargées de l'étudier, de le
protéger, de le présenter, dans le but d'une transmission aux
générations futurs sont créées. La méthode
d'analyse du patrimoine, qui en fait un champ particulier hermétique aux
contextes sociales et politiques, n'est aujourd'hui plus la norme.
75 Dufour Stéphane. Philippe Poirrier et
Loïc Vadelorge (sous la direction de), Pour une histoire des politiques du
patrimoine. Comité d'Histoire du Ministère de la Culture,
Fondation Maison des sciences de l'homme, 2003
57
Bien au contraire, on peut penser que le patrimoine porte
aujourd'hui le fardeau de devoir bien souvent apaiser ou soutenir des champs
qui ne relèvent bien souvent pas de son domaine, à savoir, du
culturel. Nous appliquons la transformation contemporaine du patrimoine aux
années 1970-80, de nombreux ouvrages de cet époque
dévoilent alors un champ critique qui interroge le patrimoine et le fait
communiquer avec d'autres disciplines comme l'ethnologie ou même la
philosophie (Henri-Pierre Jeudy sur le séminaire
«Patrimoine»1987-1989). Derrière l'idée de monument se
cache en fait un objet d'étude complexe qui fluctue selon qu'il s'agisse
d'un patrimoine dit naturel , urbain , ou ouvrier
par exemple. Ainsi, tous les types de patrimoines s'étudient
différemment et s'attachent à de nombreux critères
d'analyses. Le changement qui marque le patrimoine dans les années 80 se
situe dans l'affirmation qu'il ne peut s'étudier comme un tout
homogène : Il s'agit au contraire de l'addition de
spécificités. Son étude et sa compréhension doivent
se faire du plus particulier au plus général. L'accumulation de
ces différences forme le tout « patrimoine ».
L'inscription temporelle de ces nouvelles acceptions du patrimoine interroge
alors le rapport à la mémoire et mets en lumière
l'inégalité de traitement en fonction des territoires. Les
grandes politiques de décentralisation d'alors, auxquels s'ajoute les
politiques européennes, instaure un patrimoine mondialisé, en
même temps qu'elles font porter la charge de ce même patrimoine
à de plus petites instances, comme les villes ou les régions.
C'est aussi dans les années 1980 que la volonté d'une
économie sans frontière fait se développer de
manière massive l'économie du tourisme, économie dans
laquelle le tourisme industriel prend aujourd'hui une puissance non
négligeable. A la vue de ces éléments nous comprenons que
le patrimoine est bien plus une notion mouvante qu'un sens figé. Ce
à quoi il renvoie fluctue et se modifie en fonction du temps dans lequel
il
76
s'inscrit .
76 POULOT D., Le patrimoine et les aventures de la
modernité, Patrimoine et modernité, Chemins de la mémoire,
L'Harmattan, 1998, p.9
58
iii- Une affirmation symbolique de la détention du
pouvoir
Le patrimoine est compris et interprété de
nombreuses façons en fonction des époques. Véritable outil
d'influence pour les pouvoirs en place, il s'est illustré dès
l'Antiquité dans le but d'asseoir l'importance des puissants. Comme nous
l'avons vu, à l'origine dépositaire des biens de famille dont
l'on hérite, son sens a évolué pour s'incarner aujourd'hui
dans une multitude d'objet. Le patrimoine, d'un point de vue culturel,
désigne l'héritage du passé pour le présent que
l'on préserve en
77
direction des générations futures . Le
patrimoine dans sa notion culturelle a toujours été source de
conflit dans la mesure où il incarnait les volontés de certains
sur les autres. Si le patrimoine a perduré c'est grâce à sa
mouvance et à l'extrême changement de forme qu'il a su prendre. Un
patrimoine polymorphe, que les puissants adaptent en fonction de l'ambiance
politique du moment, voilà ce qu'il désigne. Car, avant toute
disposition matérielle c'est un mouvement continue qui le
définit. Ce mouvement est initié par ceux qui décident ce
qui est patrimoine ou non. Daniel Elisseeff résume ce fait :
« ... pour s
|
'affirmer, pour durer, pour assurer la domination future de
sa
|
descendance, le chef d'une cité-Etat a besoin de
mythes, d'ancêtres, de traces pérennes d'une histoire qui liera sa
personne au présent, tout en lui donnant une place dans le
passé.» 78
Ce lien qui unit le patrimoine aux dirigeants d'une
époque fait surgir la relation complexe qu'entretienne patrimoine et
politique. Ainsi, le patrimoine sert des intérêts politiques
à des échelles diverses. De ce fait, ce n'est pas l'objet qui
porte le sens de sa reconnaissance, mais bien le sens que l'on choisit de lui
attribuer qui fait de cet objet un objet remarquable. C'est dans l'affirmation
de ce lien politique et patrimoine que l'on peut interroger d'autres
sphères d'études. Par exemple, le
77 Nous précisons cependant que la vision du
patrimoine allant du passé vers le présent est assez
questionné, notamment par Jean Davallon dans son ouvrage, Le don du
Patrimoine. L'auteur pose le regard sur l'utilisation du passé pour
le présent, ce qui amènerait à repositionner le mouvement
du patrimoine, non pas du passé vers le présent mais bien du
présent vers le passé.
78 Daniel Elisseeff in Béghain, Patrice.
« Chapitre 1. Patrimoine et politique : l'affirmation d'un couple »,
, Patrimoine, politique et société. sous la direction de
Béghain Patrice. Presses de Sciences Po, 2012, pp. 11-28.
59
terrain politique ne peut être étudié pour
lui seul, il est mis en relation avec d'autres disciplines : la sociologie,
l'anthropologie, ou même la philosophie. Ces disciplines font que le
patrimoine est désormais aussi étudié dans d'autres
sphères que l'histoire et ont fait surgir de nouveaux terrains de
recherches particulièrement prolifiques. Nous observons donc le passage
d'un cercle restreint, incarné par la sphère familiale, à
une échelle beaucoup plus grande que représente un groupe
d'individus, ou encore un pays. Ces changements d'échelles sont
importants car c'est le sens du patrimoine qui est alors adapté. Ce lien
très fort qu'entretiennent patrimoine et politique permet aussi
d'avancer quelques explications sur la difficile présence du patrimoine
ouvrier en son nom propre. Le patrimoine ouvrier porte avec lui la charge d'une
histoire douloureuse, symbole dans l'actualité de vies difficiles, de
désindustrialisation et de chômage. Cela paraît assez
suffisant, à l'échelle locale ou encore nationale, pour faire
disparaître toutes traces de ce passé. Traces qui pourraient
constituer si elles étaient entretenues, les fondations d'un patrimoine
ouvrier.
iv- L'Unesco et la valeur universelle, rôle
économique et global product
Ce rôle politique de la constitution du patrimoine est,
depuis le milieu du XXème
79
siècle, organisé de manière
globalisée. L'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la
science et la Culture (Unesco) fait autorité en matière de
patrimoine à l'échelle mondiale. C'est au travers de sa liste que
le patrimoine mondial est consacré. Son pouvoir est tel que les
politiques patrimoniales françaises s'inspirent largement de ses
recommandations. L'étude de son rôle et de son action permet une
compréhension de ce qui fait patrimoine aujourd'hui, et de ce fait une
analyse plus précise du patrimoine ouvrier en France. Ce qui
émane de cette institution se traduit par une volonté
universaliste des biens culturels qu'elle met en valeur. Par conséquent,
nous assistons à une uniformisation du discours
79 L'Unesco a été créée le
16 novembre 1945, au sortir de la guerre à Londres, Royaume-Uni.
60
attenant ces biens culturels, ayant pour finalité la
mise en valeur de type précis de biens et relayant les autres à
ce que l'on pourrait nommer une invisibilisation. Cette idée
universaliste qu'entretient l'Unesco avec son patrimoine porte également
le regard sur les intérêts économiques qu'il en
découle. C'est au travers de son label de Patrimoine Mondial qu'est
distingué des biens culturels dit exceptionnels. Cette labellisation
n'est pas sans rappeler à l'échelle nationale celle des monuments
historiques. Or, la manne financière due au tourisme que
soulèvent ces labellisations semble démesuré.
Pour véritablement comprendre sa puissance nous pouvons
analyser les critères d'inscriptions. Depuis sa création en 1945
l'Unesco s'est imposé comme la référence en matière
de patrimoine. La puissance que confère la légitimité
culturelle d'un bien reconnu par cette institution est sans égal
à travers le globe. Voulue initialement par les Etats-Unis, la
ratification par 188 pays de la convention de l'Unesco a imposé
mondialement le patrimoine sans frontières. Pour justifier de sa
puissance, des moyens financiers sont alloués à la protection de
ces patrimoines. Véritable instance de puissance, les biens inscrits sur
la liste du patrimoine mondiale possède un pouvoir économique. En
effet, le patrimoine
80
relève alors du marché touristique, rare secteur
à la croissance exponentielle . L'Unesco ne se contente pas d'inscrire
ces patrimoines sur une simple liste, un véritable accompagnement est
proposé aux garants de ces objets. Il ne s'agit pourtant pas de soutenir
les équipes de professionnels par la formation à des
métiers qui les aideraient à garantir leur entretien pour les
générations futures. Ce qui est proposé vise un
accompagnement économique, les boîtes à outils que propose
l'Unesco est à ce titre une véritable référence.
Nous apprenons les meilleurs moyens de tirer profit du bien classé, ce
qui valide l'intégration de ces patrimoines dans un véritable
marché économique, sans frontières et donc universelle. Le
patrimoine mondial est de toute évidence un agent économique
80 L'actuelle crise du coronavirus est venue
bouleverser ce marché. Les frontières des pays s'étant
fermées les unes après les autres, nous pensons que le secteur
touristique verra ces chiffres 2020 baissés de manière quasi
certaine.
61
d'une forte puissance, sans frontières. De ce fait, les
objets patrimoniaux classés
81
deviennent des global product s . Les revenus financiers
que le patrimoine
82
culturel mondial génère sont tellement
importants qu'on ne peut les chiffrer . L'Unesco serait tout à la fois
garant et créateur d'un marché, un marché mondial et sans
frontière, où le patrimoine est son agent économique
reconnaissable quand lui est apposé son label. Le label de patrimoine
mondial et l'économie qu'il suggère se retrouve dans le
même paradigme que dévoile l'idée de valeur universelle.
Les petits guides, boîtes à outils de références,
rédigés par les équipes de l'Unesco sont tout à
fait significatives : Le guide numéro 1 et intitulé Comprendre
le tourisme dans votre destination, débute de cette manière
.
« Étapes du succès .
Pourquoi c'est important
Toutes les écoles de commerce du monde enseignent .
« ce qui n'est pas
83
mesurable n'est pas gérable ». «
La volonté économique qui se dégage de
l'inscription sur la liste du patrimoine mondial est ici clairement
démontré.
Cela prouve que l'intérêt purement historique
n'est pas suffisant pour une patrimonialisation, il nous faut donc en
comprendre les autres ressorts qui pourraient communiquer avec le patrimoine
ouvrier. Et, l'inscription sur la liste du patrimoine mondial est souvent le
dernier échelon dans la reconnaissance d'un patrimoine, de ce fait une
étude plus globale du processus de patrimonialisation est à
observer.
81 Manale, Margaret. « Le patrimoine
industriel : mémoire sociale ou produit innovant ? », L'Homme &
la Société, vol. 192, no. 2, 2014, pp. 11-14.
82 Ibid.
83 Unesco, World Heritage Convention, Boîte
à outils sur le tourisme durable dans les sites du patrimoine mondial de
l'UNESCO, Guide 1 : Comprendre le tourisme dans votre destination, disponible
en ligne :
http://whc.unesco.org/sustainabletourismtoolkit/fr/guides/guide-1-comprendre-le-tourisme
-dans-votre-destination , [consulté le 12 juin 2020]
62
b- Un schéma appliqué
i- Le processus de patrimonialisation
Ce pouvoir que possède les politiques locales ou
nationales dans la reconnaissance ou l'élévation d'un bien au
rang patrimonial se réfère à un cadre symbolique. Des
étapes sont alors constituées, le passage de l'une à
l'autre permettra de glisser du statut d'objet au statut de patrimoine. Car, le
patrimoine est une notion et non une réalité, un schéma
est donc en place. Il est appliqué de manière politique, pour le
consacrer de manière historique. Les biens patrimoniaux sont
«l'objet d'une construction sociale, édifiée par l'usage
qui les
84
charge de sens » . Le patrimoine est donc un
processus et non pas une nature d'objet. Alois Riegl en son temps (1903)
précisait déjà les valeurs qui sont apposées aux
monuments : La valeur d'ancienneté, la valeur historique et la
85
valeur commémorative . Ces valeurs ont permis
l'émergence d'autres travaux qui distinguent aujourd'hui des
schémas assez précis du processus de patrimonialisation. Le
patrimoine constitue une ressource, ressource qui est elle-même
« un processus relationnel entre un objet et un système de
production 86 ». Le terme de patrimonialisation renvoie
donc à ce processus et au schéma commun que les objets empruntent
pour en faire partie :
84 François, Hugues, Maud Hirczak, et Nicolas
Senil. « Territoire et patrimoine : la co-construction d'une dynamique et
de ses ressources », Revue d'Économie Régionale &
Urbaine, vol. décembre, no. 5, 2006, pp. 683-700.
85 Aloïs Riegl, « Le culte moderne des
monuments », Socio-anthropologie [En ligne], 9 | 2001, mis en ligne le 15
janvier 2003, consulté le 13 juin 2020
86 Kebir, Leïla. « Ressource et
développement régional, quels enjeux ? », Revue
d'Économie Régionale & Urbaine, vol. décembre, no. 5,
2006, pp. 701-723.
63
Source : François, Hugues, Maud Hirczak, et Nicolas
Senil. « Territoire et patrimoine : la co-construction d'une dynamique et
de ses ressources »
Ce schéma établit le processus de
patrimonialisation en 5 étapes par lequel l'objet sera enrichie
d'explication qui lui fera porter le sens de sa patrimonialisation. Nous
précisons que la sélection qui s'opère avant tout le
processus serait la résultante d'un choix provenant d'un moment
porté comme événement, nommé «invention
» (Landel 2004). Ces étapes démontrent que l'objet
patrimonialisé sort de sa nature pour épouser une idée de
culture. C'est pourquoi, nous supposons que les objets ayant une masse
symbolique de sens, ne peuvent être appropriés. Les biens
culturels du patrimoine ouvrier en font partie, selon nous. Ce schéma
n'est
64
87
pas le seul, le processus de patrimonialisation est aussi
théorisé par Di Méo qui détermine 4 étapes :
La prise de conscience patrimoniale ; Jeux d'acteurs et contexte
; La sélection et la justification patrimoniales ; La
conservation, l'exposition, la valorisation des patrimoines . Jean
Davallon a lui aussi théorisé ce
88
qu'il nomme les gestes de patrimonialisation , pour
autant, contrairement au schéma que nous avons présenté,
Jean Davallon semble décrire ce qui fait la sélection de l'objet.
Par cela, ce qui fait entrer l'objet dans le processus patrimonial. Ainsi, nous
remarquons l'idée de «trouvaille», idée
précédemment énoncée sous la forme du moment d
'invention pour Pierre-Antoine Landel. Ce que les gestes de
patrimonialisation de Jean Davallon dévoilent, sont le rapport
qu'entretiennent chacune de ces phases entre elles. Elles ne sont pas
hermétiques les unes aux autres et ne prennent leur sens que si ces
étapes sont pensées en compléments. Pour autant, chaque
phase a son existence propre et l'objet doit lui-même s'incarner
pleinement dans chacune d'entre elles sans quoi il pourrait ne pas satisfaire
aux exigences de ces gestes , ce qui l'exclurait de ce même
processus.
87 Guy DI MEO. Processus de patrimonialisation et
construction des territoires. Colloque »Patrimoine et industrie en
Poitou-Charentes : connaître pour valoriser», Sep 2007,
Poitiers-Châtellerault, France, pp.87-109.
88 Jean DAVALLON, Le Don du patrimoine : une approche
communicationnelle de la patrimonialisation, p.126, Paris, 2006
65
Source : Jean Davallon, Le Don du patrimoine : une
approche communicationnelle de la patrimonialisation, p.126
Cette rapide visualisation des étapes de
patrimonialisation nous montre le processus par lequel un objet doit passer
pour faire partie de la sphère patrimoniale. Cela nous permet
d'établir un lien avec le patrimoine ouvrier. Car, s'il n'est pas
reconnu, peut-être est-ce dû au fait que les objets qui le
concernent ne parviennent pas à passer les étapes de ce
schéma patrimonial. Différents chercheurs se sont penchés
sur la question du processus patrimonial, nous avons choisis d'en exposer
certains, ceux qui nous paraissent emblématiques de ce sujet.
ii- Une application au patrimoine ouvrier, points de convergence
et
limites
Les biens culturels du patrimoine ouvrier ne semblent pas
s'intégrer pleinement à ces schémas ; s'ils y parvenaient,
ils passeraient alors dans la sphère patrimoniale
66
de manière pleine et entière, et, surtout, ils
pourraient exister en leurs noms propres. Pourtant, le patrimoine ouvrier
semble répondre à ces étapes de patrimonialisation. Pour
reprendre le schéma de Jean Davallon, le patrimoine ouvrier
répond au premier critère (A o ), en effet la classe
ouvrière est, comme nous l'avons vu, sous-représenté et
tend à disparaître. Quant aux objets de la classe ouvrière,
les matériaux souvent fragiles favorisent leur disparition. Le
critère (B), est lui aussi applicable, la certification de l'origine de
l'objet peut être assez simplement démontré dans la mesure
où ces objets ont encore des sources exploitables car vivante,
les ouvriers eux-mêmes. Ils peuvent donc encore en transmettre les
récits et certifier leurs origines. Le critère (C) est quant
à lui intrinsèquement lié au critère (B), la
validation de l'origine de l'objet étant possible car les ouvriers les
possédants sont encore vivants, la confirmation d'existence du monde
d'origine se fait automatiquement en ce qui concerne notre objet
d'étude. Le critère (E), soit l'exposition de l'objet
est là aussi appliqué, nous avons pu le constater dans
l'exposition des machines de la dernière usine de
89
vêtement du marais par exemple .
Pour autant, les obstacles à la patrimonialisation
semblent s'incarner dans les
critères (A) , (D) et (F), respectivement :
(A): Découverte de l'objet comme trouvaille
(D) : Représentation du monde d'origine par l'objet
(F) : Obligations de transmettre aux générations
futures
Le critère (A) semble s'opposer à la
mémoire encore vive des ouvriers, ce qui empêchent le moment de
découverte. Aussi, les objets du patrimoine ouvrier sont très
communs car produit en très grandes quantités. Pour autant, nous
précisons que cette idée de trouvaille, pourrait intervenir dans
quelques années, ces objets étant de plus en plus rares car non
entretenus. Ainsi, l'invention du moment de découverte pourrait, le cas
échéant, intervenir dans peu de temps. En revanche, il
89 Voir le magasin Uniqlo, p. 45
67
semble que ce moment de trouvaille s'inscrit dans un type
particulier de personnalité. En effet, pour les ouvriers, revendiquer la
protection de leurs objets ne semble pas suffisant. Nous assistons à ce
que l'on pourrait nommer un déni de trouvaille, car ce qui est mis en
avant n'est pas la nouveauté mais la crainte de la disparition, ce qui
change profondément la façon dont est abordée la
découverte. De fait, la trouvaille est exercée par la classe
ouvrière elle-même, ce qui enferme son objet dans un groupe
particulier auquel la notion de patrimoine ne peut s'accoler car non
représentative de l'ensemble de la population.
Pour autant, nous avons abordé
précédemment le fait que l'objet de patrimoine ouvrier soit
présenté et inclut dans d'autres patrimoines. Cela, s'oppose
fondamentalement au critère (D), car, ce n'est pas le monde ouvrier qui
est présenté à travers ces objets mais bien la
volonté d'existence d'autres patrimoines que ces objets peuvent
également contenir. Nous avons observé notamment les patrimoines
industriels, urbains ou des sciences et techniques. Ainsi, ce n'est pas la
classe ouvrière, l'histoire ouvrière, ou le monde ouvrier qui est
présenté à travers ces objets mais bien d'autres
patrimoines qui trouvent une adaptation de leur sujet à travers ces
objets.
Le critère (F) est, quant à lui, nié voir
totalement absent. Aucune obligation de transmissions aux
générations futures ne semble s'appliquer. Ce que nous observons
au contraire s'incarne dans les destructions communes du patrimoine ouvrier. Au
mieux, nous assistons à des réhabilitations qui en font perdurer
l'enveloppe mais dans lequel le patrimoine ouvrier n'est plus du tout transmis.
Cette absence se reflète même dans une certaine volonté des
autorités de ne pas transmettre. Comme nous l'avons abordé, la
mémoire et l'histoire de ce mouvement ne fait pas consensus et peut le
cas échéant suffire à faire naître des crispations
qui s'opposent à l'idée de patrimoine. Par cela, la transmission
aux générations futures s'en trouve extrêmement
affectée. Aussi, nous nous devons de
68
préciser que cela s'oppose naturellement au fait que
les critères précédents, à savoir (A) et (D),
n'aient pas été comblés.
Pour autant, nous le verrons dans la suite de ce
mémoire, le patrimoine ouvrier est de plus en plus reconnu. La
création de musée de patrimoine ouvrier, et leur succès
grandissant montre l'intérêt des publics pour ces questions.
Aussi, les objets proposés passent de plus en plus les étapes de
patrimonialisation pour en faire partie.
iii- Le bassin minier du Nord-Pas-De Calais : raisons d'un
classement
La fosse d'Arenberg, Wallers (Nord), STEVENS FREDERIC / SIP A,
2002
Dans cette continuité, le bassin minier du Nord- Pas de
Calais, classé sur la liste du patrimoine mondial en 2012 semble avoir
réussi ces étapes de patrimonialisation. Comme nous allons le
voir, cette réussite reste relative car de nombreux points du patrimoine
ouvrier font défaut à cette présentation. Classé
sur la base des critères :
69
(ii) , témoigner d'un échange d'influences
considérable pendant une période donnée ou dans une aire
culturelle déterminée, sur le développement de
l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification
des villes ou de la création de paysages
(iv), offrir un exemple éminent d'un type de
construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage
illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine
;
(vi), être directement ou matériellement
associé à des événements ou des traditions
vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et
littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le
Comité considère que ce critère doit
préférablement être utilisé en conjonction avec
d'autres
90
critères) .
Le bassin minier de Lille peut correspondre sur
différents points à la première reconnaissance du
patrimoine ouvrier, qui plus est par l'instance la plus puissante, l'Unesco.
Nous estimons qu'il s'agit d'un exemple de patrimoine ouvrier dans la mesure
où la vie des ouvriers apparaît en tant que critère
d'inscription (vi) :
«Les événements sociaux, techniques et
culturels associés à l'histoire du Bassin minier eurent une
portée internationale. Ils illustrent de manière unique et
exceptionnelle la dangerosité du travail de la mine et l'histoire de ses
grandes catastrophes (Courrières). Ils témoignent de
l'évolution des conditions sociales et techniques de l'exploitation des
houillères. Ils représentent un lieu symbolique majeur de la
condition ouvrière et de ses solidarités, des années 1850
à 1990. Ils
91
témoignent de la diffusion des idéaux du
syndicalisme ouvrier et du socialisme. »
Pour autant, ce critère (vi) n'est pas
considéré comme motif à part entière. Il
apparaît dans la description des critères officiels qu'il
correspond à un bien culturel qui doit « être directement
ou matériellement associé à des événements
ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres
artistiques et
90 Unesco, Bassin minier du Nord-Pas de Calais,
Description, Valeur universelle
exceptionnelle, Critère (vi), 2012 ,
https://whc.unesco.org/fr/list/1360
, [consulté le 25 mai 2020]
91 Bassin Minier du Nord Pas de Calais, valeurs et
critères d'inscriptions, disponible en ligne :
http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/les-criteres-de-selection/
[consulté le 3 avril 2020]
70
littéraires ayant une signification universelle
exceptionnelle (Le Comité considère que ce critère doit
préférablement être utilisé en conjonction avec
d'autres
92
critères ) », nous précisons que
sur les dix critères de sélection (Annexe 18) le numéro
(vi) est le seul à devoir être mis en relation avec au moins un
autre critère pour être recevable. Par conséquent, nous
observons dans ces quelques lignes toute la tension qu'opère la
reconnaissance du patrimoine ouvrier. Cette dernière phrase, qui plus
est, entre parenthèse : ( Le Comité considère que ce
critère doit préférablement être utilisé en
conjonction avec d'autres critères) incarne la position des
instances de légitimation du patrimoine à l'égard du
patrimoine ouvrier. La seule vie des ouvriers, finalement, ce qui fait la
distinction de ces biens, n'est pas suffisante à une inscription de
patrimoine mondial. Pour autant, ce qui rend ce paysage dit exceptionnel est
façonné par la vie des ouvriers l'ayant occupé. Ce qui le
rend remarquable par les autres critères retenus (ii) et (iv) ne l'est
que par les ouvriers qui y ont travaillé, construit, habité, cela
a pour conséquence d'établir cette aire comme exceptionnelle.
Finalement, que représente un bassin minier s'il n'est pas question en
premier lieu des ouvriers ? De ce fait, il paraissait indispensable de faire
figurer ces ouvriers comme motif de patrimonialisation ; mais, pour autant,
faire figurer leur vie, leurs habitudes comme critère non-autonome d'un
classement, montre encore une fois l'injonction des instances dominantes du
patrimoine à ce que le patrimoine ouvrier n'existe que s'il est soumis
à d'autres domaines dans lesquels les ouvriers n'ont pas l'exercice d'un
pouvoir plein et entier. Car finalement, c'est le rapport de domination
qu'exerce le patrimoine qui est ici présenté. Ces critères
et leur hiérarchie en sont l'exemple le plus probant. Ce classement au
titre de « « paysage culturel évolutif vivant »»
vient encore une fois minimiser voir invisibiliser le patrimoine ouvrier.
Nous remarquons que la mise en valeur de ce patrimoine ne se
fait pas sur la présence des ouvriers. Bien que cela figure comme
critère de classement, cette
92 UNESCO, Bassin Minier Nord-Pas-De-Calais,
Critères de sélection, site de l'Unesco,
https://whc.unesco.org/fr/criteres/
, [consulté le 04 avril 2020]
71
mise en lumière est aujourd'hui exposée sur la
base des critères (ii) et (iv). Le (vi), qui témoigne des
ouvriers est pour le moins assez absent. Le site officiel du bassin minier dans
sa rubrique «les raisons d'une inscription» (Annexe 15) ne
l'évoque pas, ce qui est montré réside dans le statut des
ouvriers, à savoir celui de «mineur» et avance rapidement
à l'idée de bassin minier ayant été très peu
modifié :
Source : Bassin minier du Nord-pas de Calais, Comprendre, Les
raisons d'une inscriptions,
http://www.bassinminier-patrimoinemondial.org/les-raisons-dune-inscription/
Or, cela semble en total opposition à l'image que les
équipes ont choisies de présenter. Nous pouvons observer des
mineurs en activité qui témoigne du travail difficile et
dangereux qu'ils exerçaient. Toutefois, le texte qui accompagne cette
image ne correspond pas du tout au texte silencieux de cette photographie. Bien
que la vie des ouvriers ait été un critère au classement
du bassin, la présentation qui en est faite semble ne pas
présenter les ouvriers en tant que tel, et s'attache principalement
à l'idée de paysage.
Ce que nous pouvons retenir du classement au patrimoine
mondial du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, c'est la mise en avant de
l'histoire sociale comme critère de patrimonialisation. C'est bien la
première fois en 2012 que l'Unesco consacre un objet ayant trait au
patrimoine ouvrier. Le fait que le classement mette
72
en exergue «sa place exceptionnelle dans l'histoire
événementielle et sociale du
93
monde de la mine » constitue un changement de
position des organismes de patrimoine. Nous pouvons lire sur le site de
l'Unesco en critère (vi) :
«Les événements sociaux, techniques et
culturels associés à l'histoire du Bassin minier eurent une
portée internationale. Ils illustrent de manière unique et
exceptionnelle la dangerosité du travail de la mine et l'histoire de ses
grandes catastrophes (Courrières). Ils témoignent de
l'évolution des conditions sociales et techniques de l'exploitation des
houillères. Ils représentent un lieu symbolique majeur de la
condition ouvrière et de ses solidarités, des années 1850
à 1990. Ils témoignent de la diffusion des idéaux du
syndicalisme ouvrier et du socialisme. 94
Cet événement constitue le premier acte d'une
reconnaissance global du patrimoine ouvrier. Pour autant, nous avons
souligné sa difficile présence. Le bassin Minier de Lille est
donc valorisé sur la base d'autres critères que celui de la vie
ouvrière. De ce fait, c'est l'idée de paysage qui est
présentée, et, bien que la vie des ouvriers ait été
intégrée au processus de patrimonialisation, sa
présentation fait aujourd'hui défaut. D'une part le
critère (vi) ne peut exister pour lui seul, ce qui montre son
caractère non autonome, dans notre cas, de la vie des ouvriers, de leur
travail, de leur vie sociale, comme patrimonialisation. Mais aussi, et d'un
point de vue plus factuel, cela amène à la présentation
d'objet sous un discours scientifique et technique traduisant le monde de la
mine. Finalement, cela confirme l'effacement de la mémoire sociale du
lieu. En y apposant une autre histoire que celle des ouvriers, nous assistons
à un changement de paradigme de l'objet présenté. En
l'occurrence, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais pourrait davantage faire
penser à un parc paysager qu'à un lieu de représentation
de la vie minière et du statut de ceux qui l'ont occupé. Pour
autant, on peut penser que le patrimoine ouvrier tient enfin sa place dans la
hiérarchie des biens à reconnaître et à
protéger. Car, même si le patrimoine ouvrier n'est pas
montré dans ce
93Ibid.
94 Unesco, Bassin minier du Nord-Pas de Calais,
Description, Valeur universelle
exceptionnelle, Critère (vi), 2012 ,
https://whc.unesco.org/fr/list/1360
, [consulté le 25 mai 2020]
73
classement, l'inscription du critère (vi) qui met en
avant les ouvriers eux-mêmes, démontre l'intérêt
grandissant vers ce patrimoine.
c - Entre mémoire et esthétique, le difficile
consensus
i- Fonction du musée et esthétisation du patrimoine
ouvrier
Les collections muséales reflètent les
volontés d'acquisition d'une équipe, d'un conservateur, et
répondent à l'image du musée et à son sujet. Tout
à la fois dépositaire du discours transmis aux visiteurs ainsi
qu'à la mission scientifique qu'ils se doivent de respecter, les
collections observent des règles qui leur sont propres et qui sont
guidées par la typologie de musée dans lesquelles elles prennent
place. C'est en analysant les manières de les présenter au public
que le type de muséologie se dégage. Les musées des
Beaux-arts sont le plus souvent représentatifs d'une muséologie
d'objet, tandis que les musées de science développent plus
régulièrement une muséologie de savoir. Dans le cas du
patrimoine ouvrier qui recouvre à la fois le patrimoine industriel et
les mémoires ouvrières, ce sont bien les musées de science
et technique qui sont les héritiers de ce patrimoine. Pour autant, comme
nous l'avons vu ce sont bien souvent l'esthétique des objets qui est
présentée. L'esthétisation des collections n'est pas
nouvelle et nous pouvons dater des années 60 les remises en cause de ce
type de
95
présentation. Certains écrits de Bourdieu ont ainsi
fait émerger les missions
96
sociales des musées, donnant lieu à la
création de la Nouvelle Muséologie . Celle-ci en plaçant
les publics au coeur des missions des musées est venue bouleverser les
représentations. De ce fait, l'esthétique n'est plus seulement le
but des musées, ses adeptes consacrent la place du visiteur qui devient
un nouvel objet de recherche pour de récentes disciplines comme la
médiation culturelle par exemple. Cette question nous intéresse
particulièrement dans la mesure où c'est
95 BOURDIEU Pierre, L'amour de l'art, Les
éditions de minuit, 1966, édition augmentée en 1969
96 Desvallées, André, et François
Mairesse. « L'organisation des musées : une évolution
difficile », Hermès, La Revue, vol. 61, no. 3, 2011, pp. 30-37.
74
bien l'esthétique qui prime en ce qui concerne les
musées de sciences et techniques, musées qui sont dans la grande
majorité dépositaires du patrimoine
97
ouvrier. Gaël Le Bacquer dans son article portant sur la
requalification de l'usine Moulinex d'Alençon écrit à ce
sujet :
«Mais préserver les bâtiments industriels
n'amène pas nécessairement à
conserver la mémoire ouvrière. En fait, les
spécificités de cette dernière, sur le fond
(caractère ambigu de la valeur travail, question de l'évocation
des luttes
sociales et des rapports sociaux) comme sur la forme
(rareté et fragilité des sources, question de l'implication des
anciens ouvriers eux-mêmes dans ce processus de mise en mémoire)
font souvent obstacle à une inscription spatiale de cette
mémoire»
L' esthétique agirait ainsi comme le mot
magique permettant de consacrer l'objet à patrimonialiser, le faisant
entrer dans une hiérarchie de l'exceptionnelle garantissant sa
protection. La gare d'Orsay devenue le Musée d'Orsay en est l'exemple le
plus probant, haut lieu représentatif du patrimoine industriel, le
musée d'Orsay est devenu le temple de l'esthétique consacrant les
impressionnistes et le mobilier d'art. La fonction passée est totalement
absente, l'émotion du sensationnel n'est ici que la seule mémoire
vive de son ancienne fonction. Pour autant, il est réducteur de penser
que l'esthétique soit la seule condition d'une patrimonialisation, bien
au contraire. Comprendre le musée comme lieu du beau n'est que la partie
visible d'un schéma bien plus complexe.
Nous devons nous attacher à inclure le musée et
ses fonctions au sein de la société pour en comprendre les enjeux
et par cela les patrimonialisations. Le musée n'a pas fonction de
déranger ou mettre à mal les symptômes de la
société, au contraire il se présente pour unifier,
rassembler et lisser les espaces rugueux de l'histoire ou de la vie sociale. De
ce fait, il occupe en premier lieu une fonction politique, «Le
musée a toujours et partout entretenu des liens étroits avec
les
97 Le Bacquer Gaël, Détruire le
patrimoine industriel pour effacer la mémoire ouvrière ? ,
Historiens & Géographes, n°405, Le patrimoine industriel Tome
III, 2009
75
entreprises de glorification politique ; leur
dénonciation est d'ailleurs une banalité de la critique de
l'institution, accusée de fournir une vitrine prestigieuse
98
aux pouvoirs » comme le rappelle Dominique
Poulot. Le musée n'est donc pas seulement un lieu de repos d'objets
à protéger, mais un espace de présentation de valeurs et
de pensée. Le musée comme espace de visualisation de la
mémoire est régulièrement abordé, Serge Chaumier
précise en ce sens : «Si nous ne fréquentons pas le
musée, nous tenons à son existence, garantie de
l'entretien
99
d'une mémoire confiée aux
spécialistes de la conservation ». Ainsi, si les musées
sont des lieux d'entretiens de la mémoire, nous devrions pouvoir
observer dans notre cas les mémoires ouvrières. Elles se trouvent
pourtant absentes, la raison invoquée étant l'absence de
collection permettant d'appuyer cette mémoire. Cette raison est pour le
moins limitée dans la mesure où des conservateurs comme Jacques
Hainard ont prouvé à mainte reprise que le discours primait sur
les objets en tout temps et en tout lieu. Aussi, l'avènement de l'art
contemporain tend lui
100
aussi à remettre en question cette réflexion, le
discours primant sur la forme . Ainsi, si le musée permet de faire
passer des mémoires par les objets, il appartient aux professionnels
d'en faire le tri, d'en organiser les récits. En ce sens, une
première vision portant sur le musée comme lieu de
sélection de l'histoire est à expliquer.
Une exposition est avant tout la présentation d'un
choix, d'un criblage d'objets, mis en avant selon un caractère
esthétique, scientifique et/ou de valeur, opéré par les
professionnels de musée. Nous assistons, en ce qui concerne le
patrimoine ouvrier, à une esthétisation poussée,
incarnée par exemple dans la présentation de machines ou
d'architecture ayant comme source l'industrie.
98 Poulot, Dominique. « Introduction. Une
histoire politique des musées »,, Une histoire des musées de
France. XVIIIe - XXe siècle, sous la direction de Poulot Dominique. La
Découverte, 2008, pp. 5-14.
99 CHAUMIER Serge, Le retour de
l'esthétique, baume de la mémoire ouvrière, Art &
Fact, Université de l'Etat, 2003, pp.69-73
100 Nathalie Heinich, Le paradigme de l'art contemporain.
Structures d'une révolution artistique, Paris, Gallimard, coll. «
Bibliothèque des Sciences Humaines », 2014
76
(c) Musée des Arts et Métiers, Cnam / Photo
Michèle Favareille
Le musée des Arts et Métiers en est un des
exemples. Les médiations sont présentes mais nous sommes face
à l'appréciation stricte de la beauté des objets. Serge
Chaumier écrivait à ce sujet : « Le Conservatoire
National des Arts et Métiers n'a pas su suffisamment s'arracher de son
histoire, et maintient une exposition esthétisante des techniques qui
prime sur la compréhension des
101
utilisation s ». Nous pourrions nous
arrêter à ce constat, pour autant ce qui se révèle
à la lumière de cette remarque n'est pas seulement la
présence difficile de médiations mais bien l'absence de
récits accompagnant ces machines. Nous pouvons d'ailleurs nous demander
si la présence de ces objets dans les musées n'a pas finalement
vocation à en effacer leurs contextes. Peut-on imaginer les publics
allant voir la Joconde pour son seul sourire ? Non, c'est le mythe qu'ils
viennent
101 Ibid. , p.70
77
102
observer . Qu'en est-il alors des objets du patrimoine ouvrier
? Les musées des sciences et techniques en concentrant la mise en valeur
des objets du point de vue esthétique a permis de les protéger,
le récit les accompagnant étant bien souvent limité
à leur strict fonctionnement. Quid de leur impact dans la vie des femmes
et hommes les ayant utilisés ? Quid du révélateur des vies
laborieuses qu'ils incarnent ? De leurs luttes ? Des hiérarchies entre
les Hommes qu'ils concentrent ? Tout cela n'est pas montré, ni
expliqué, au profit de compréhension mécanique et de
délectation esthétique. Il ne s'agit pas seulement d'une absence
historique mais d'une occultation voulue et recherchée. Comme nous
l'avons vu, le musée sert à unir et pour cela chacun doit pouvoir
se saisir de ce qui est montré. Car finalement, ce qui est
recherché dans ces présentations de machines, d'outils, ou tout
autres objets du patrimoine ouvrier, est une valeur universelle, celle de
l'esthétique. Elle est ce qui est recherchée en toute
patrimonialisation. Elle est le salut d'objets destinés à la
disparition, mais porte avec elle l'occultation de tout ou partie de l'histoire
de ces biens. L'esthétique est donc ce qui permet l'universalisme
d'objets élevés au rang de patrimoine. A ce sujet, Octave Debary
dans son ouvrage La fin du Creusot ou comment arranger les restes
explique que l'histoire est effacée au profit de
l'esthétique :
«OEuvres d'art, l'origine de l'esthétique
moderne neutralise l'histoire.
Sacralisation artistique qui détruit ce qu'elle
consacre. L'atemporalité esthétique renvoie l'objet dans un
universalisme (le Beau) qui le fait sortir de l'histoire ; la reconnaissance de
l'universalisme devient la possibilité de la neutralisation de
103
l'histoire » .
Nous pouvons à titre d'exemple rappeler la vive
contestation au sujet de la présentation des oeuvres du musée du
Quai Branly. Plusieurs voix s'étaient élevées
102Philippe Minard, historien et universitaire,
EHESS, isole ce fait par cette formule : «En fait, en observant les
visiteurs durant le bref passage devant l'oeuvre, ils ne viennent pas voir la
Joconde, mais immortaliser leur rencontre avec la Joconde. Ainsi, durant les
quelques secondes accordées, le face-à-face prévu se
transforme souvent en «fesse» à face.» , Grosse
pagaille au musée du Louvre : le fléau des selfies devant la
Joconde , La
:
Dépêche, le 1er août 2019, disponible en
ligne
https://www.ladepeche.fr/2019/08/01/les-selfies-de-la-joconde,8341544.php#:~:text=En%
20fait%2C%20en%20observant%20les,en%20%%ABfesse%%BB%20%C3%A0%2 0face .
103 DEBARY Octave, La fin du Creusot ou l'art d'accomoder les
restes , p. 153
78
contre la volonté esthétisante de la
muséographie et de l'architecture de Jean Nouvel. Les collections qui
découlaient directement de la fusion de celles du musée de
l'Homme et du musée de la Porte Dorée avaient déjà
un lourd passif,
104
héritage d'un passé colonial difficile à
absoudre pour les conservateurs d'alors. Le musée du Quai Branly, voulu
par Jacques Chirac devait s'inscrire comme l'écrin d'un renouveau de ces
collections. Aujourd'hui musée incontournable de Paris le Quai Branly a
largement réussi à trouver son public et interroge
régulièrement le regard porté sur ses collections au
travers de ses expositions temporaires notamment. Les critiques ne sont pas
totalement muettes aujourd'hui, mais se sont largement atténuées.
L'esthétisation des collections n'est donc absolument pas nouvelle, en
revanche nous pouvons interroger les discours absents dans ce type de
présentation. Le musée du Quai Branly est seulement un des
exemples de présentation d'objet dans un souci d d'esthétisme.
Elle peut cependant servir l'objet mais aussi son discours et son environnement
comme le rappelle Serge Chaumier : «[...] elle s'actualise dans tous
les secteurs muséaux confondus. Parfois pour le meilleur, quand
l'esthétique ne vient pas en place ou contre d'autres discours, mais en
complément et en juxtaposition, pour de plus
105
amples valorisations, comme cela devraient être
logiquement le cas » Cette esthétisation traduit le rapport
à l'objet qu'entretiennent les institutions culturelles. Les
musées d'Histoire Naturelle paraissent mieux aborder ce rapport complexe
entre l'esthétique et la fonction (qui peut être scientifique ou
encore sociologique). En 1994, lors de l'inauguration de la Grande Galerie de
l'Evolution, les invités
106
ont souligné la réussite de ce double processus
. Nous observons donc une méthode de présentation en fonction de
la typologie de musée. Les musées ayant trait au patrimoine
industriel dont les collections répondent à une utilisation et
une histoire, dans laquelle s'inscrivent des générations d'hommes
et de femmes ne trouvent leur protection qu'à travers un discours
traduisant les techniques de
104 A ce sujet, le musée du Quai Branly fut au centre d'un
vol d'oeuvre dans une volonté de dénonciation politique du
passé coloniale de la France. Article, Le Monde avec AFP,
«Culture : jugés fin septembre pour avoir voulu «
récupérer » une oeuvre africaine au musée du Quai
Branly» , le 15 juin 2020
105 Chaumier Serge, op.cit. , p.70
106 Ibid.
79
l'industrie et l'appréciation de leur beauté.
L'absence de récits peut également traduire la volonté
d'occultation de la mémoire des personnes les ayant utilisés.
ii- Le paradoxe de la mémoire
La mémoire est un concept particulier dont le sens
évolutif et ses compréhensions à la fois social,
scientifique et culturel ne font que complexifier sa définition. Dans
notre cas, ce sont les mémoires ouvrières qu'il nous faut
analyser. L'époque contemporaine place au centre de ses
préoccupations la mémoire collective et a tendance à
reléguer au second plan, voir à renier, la mémoire
individuelle. Pour autant, cette compréhension de la mémoire
collective et son étude sont des domaines assez récents, comme le
rappel Maurice Halbwachs « « On n'est pas
107
encore habitué à parler de la mémoire
d'un groupe, même par métaphore » . Cette
réflexion atteste d'une première difficulté d'étude
de la mémoire. Marie-Claire Lavabre résume ainsi cette
difficulté :
« La question dite de la mémoire revêt
ainsi un double aspect. La «mémoire» est un concept des
sciences sociales ou plus précisément une notion - largement
polysémique et, en tant que telle, objet de controverses -
mobilisée par
108
des observateurs et analystes. »
La mémoire constitue un élément majeur
des sciences sociales et, en matière de patrimoine elle peut en
être le centre dans la mesure où c'est bien sous sa protection que
sera déclaré tel ou tel monument à protéger. La
mémoire est ainsi
109
convoqué par divers acteurs, autours du «devoir de
mémoire » pour les
110
politiques, ou encore de «l'abus de mémoire »
pour les observateurs des phénomènes sociaux. Cette
deuxième tension autour de la mémoire nous interroge quant
à sa pratique. Car, ces concepts et ces compréhensions
amènent à des gestes inscrits spatialement. Le devoir de
mémoire se comprend, à titre d'exemple, dans
107 M. Halbwachs, op.cit.
108 Marie-Claire Lavabre, « Paradigmes de la mémoire
», Transcontinentales, 5 | 2007, 139-147
109 Bazin, Laurent. « Anthropologie, patrimoine industriel
et mémoire ouvrière. Vers une recontextualisation critique
», L'Homme & la Société, vol. 192, no. 2, 2014, pp.
143-166.
110 TODOROV Tzvetan, «Les abus de la mémoire, Paris,
Arléa, 1998
80
l'édification de monuments ou de plaques
commémoratives. L'idée d'un abus de mémoire
amène, quant à elle, à s'interroger sur la
sacralité qui l'entoure, et de ce fait, l'impossibilité de
l'étudier de manière pragmatique tant elle est chargée de
symbolique ? Finalement, la mémoire est le sujet d'un domaine
d'étude important, étant donné qu'elle incarne et
conditionne des choix qui seront portés, paradoxalement, dans le futur.
Elle est une interprétation du passé faite à un temps
donné qui aura pour conséquence un façonnement de
l'avenir. Ainsi, il n'est pas
111
du tout anodin de l'étudier. C'est bien
l'expérience et l'Histoire que la mémoire incarne. L'invoquer ou
l'oublier relève ainsi de choix importants qu'il convient de
considérer totalement. Aussi, il serait plus juste d'évoquer
«les» mémoires et non «la» mémoire.
«La» mémoire semblant s'inscrire dans un strict récit
national, alors que «les» mémoires semblent invoqués
une pluralité de regards sur l'Histoire. Pour prendre l'exemple de
l'Espagne, les tensions mémorielles autours de la
112
dictature de Franco sont incarnées par le
«pacte d'oubli » et met en lumière ce qui peut
être fait, sans forcément le nommer, en ce qui concerne les
mémoires dures ou conflictuelles. Ainsi en va-t-il
régulièrement de l'invocation de «l'oubli
113
|
» de certaines mémoires. Paradoxal,
à plus d'un titre, car cela suppose de s'en
|
souvenir. Aussi, cette résurgence de la mémoire
comme objet politique est, comme le patrimoine, abordée dans tous les
pays du monde, et, comme l'écri t Marie-Claire Lavabre :
«la question de la mémoire (et là
encore, le vocabulaire qui lui est associé) est aujourd'hui largement
internationalisée, au prix peut-être de quelques malentendus. Elle
est posée quasiment partout, en Europe, en Afrique, en Asie, en
Amérique latine, du fait des expériences fascistes et
communistes, des dictatures, des guerres, des massacres et plus
particulièrement des génocides perpétrés au XXe
siècle contre les Arméniens, les Juifs d'Europe, au Rwanda et
ailleurs. Elle est posée aussi du fait des déplacements
contraints de populations, des séquelles de l'esclavage et du
colonialisme, sans parler des fractures plus
111Fiske, Susan T, et Shelley E. Taylor. « La
représentation en mémoire », , Cognition sociale. Des
neurones à la culture, sous la direction de Fiske Susan T, Taylor
Shelley E. Mardaga, 2011, pp. 95-125.
112 Rozenberg, Danielle. « Le « pacte d'oubli
» de la transition démocratique en Espagne. Retours sur un choix
politique controversé » , Politix, vol. 74, no. 2, 2006, pp.
173-188.
113 Baussant Michèle, « Penser les mémoires
», Ethnologie française, 2007/3 (Vol. 37), pp. 389-394.
81
invisibles mais largement partagées que sont les
migrations économiques, des
114
désindustrialisations ou la disparition des mondes
paysans. »
Il est intéressant de constater que les exemples
choisis pour illustrer les questions de mémoire sont des sujets qui
évoque le nouveau courant muséal des Radical Museum. Ainsi,
l'incarnation de ces sujets sensibles trouvent leur salut mémoriel dans
les musées et le courant des Radical Museum prouve dans son
appellation le contre-pied qu'entendent prendre certains musées.
Marie-Claire Lavabre évoque très clairement la
désindustrialisation comme courant mémoriel à
part entière, ce qui nous amène à lier mémoire
conflictuelle et patrimoine ouvrier. Ainsi, les mémoires
ouvrières que l'on rattache au phénomène de
désindustrialisation évoqué précédemment
nous ramène à l'enjeu mémoriel qu'elles invoquent. Car,
les mémoires dures ou conflictuelles interrogent des domaines
variés et amène pour être pleinement présentes dans
le patrimoine de manière plus global, à un consensus des
politiques, de la science et du social. Il en résulte un récit
unifié entre les disciplines et les instigateurs mémoriels de ces
domaines. Le patrimoine ouvrier n'est donc pas un objet mémoriel
accepté, tant les disparités d'opinions entre les acteurs
semblent grandes. Il nous semble que plusieurs raisons peuvent expliquer ce
fait. La première réside dans la pluralité de regards sur
ce passé. Le patrimoine ouvrier convoque plusieurs récits sur
lesquels de nombreux groupes d'individus semblent vouloir imposer leur
vérité. Ainsi, les ouvriers disposent de leur récit, qui
peut s'opposer à celui plus général des patrons, mais
aussi à celui encore plus général des politiques, et pour
finir celui de la population entière, tant ce passé fait partie
d'un ensemble de vécus de manière nationale. On peut penser aussi
aux descendants d'ouvriers, les uns nourris par la volonté d'honorer
l'idée d'un passé glorieux et laborieux d'ancêtre
oublié, les autres par la difficulté de l'ascension sociale,
gravit ardemment, et qui s'oppose à l'idée de fierté de la
classe ouvrière dont ils sont issus. Chacun souhaitant imposer aux
autres la primeur de leur expérience, le patrimoine ouvrier se trouve
dans un conflit mémoriel interne très fort, qui, tant qu'il ne
sera pas totalement investi par les
114 Marie-Claire Lavabre, op. cit. , p.141
82
ouvriers eux-mêmes, sera muet devant les opinions de
chacun. Cette diversité d'histoires porte le regard sur les contenus qui
semblent s'opposer, et prouve que la qualification de patrimoine est
régie par l'idée d'un consensus mémoriel. Ce qui nous
paraît important en ce qui concerne les mémoires ouvrières
est qu'elles constituent, non seulement l'histoire d'un groupe
identifié, mais aussi qu'elle dispose en son sein d'un caractère
social encore actualisé. Ainsi, pour prendre l'exemple de patrimoine
douloureux tel que le massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale, le
consensus peut se faire dans la mesure où il est inscrit dans le temps
et l'espace et est désormais terminé. Ainsi, les regards
portés ne sont pas à discuter à l'orée d'un
présent qui en changeraient leur objet. Les ouvriers, eux, bien que
devenus moins nombreux, existent bel et bien. Ainsi, comment parler de
mémoire qui suppose un passé fini et dont les mémoires
seraient le récit, quand cette classe sociale existe toujours ? Maurice
Halbwachs
115
écrivait, «Toute pensée sociale est une
mémoire », ce qui justifie son existence bien que les ouvriers
soient encore en activité. Ainsi, les mémoires
ouvrières
116
devraient constituer le «tableau des ressemblances
entre le passé et le présent », cela pour amener ce que
Marie-Claire Lavabre nomme «les mémoires
117
«collectives» ou socialement partagées
». Les mémoires ouvrières sont, selon nous, un
élément majeur dans la reconnaissance du patrimoine ouvrier dans
la mesure où il s'agit de la justification de son existence passé
et présent, participant ainsi à une reconnaissance globale, car
elles en deviennent l'incarnation des bâtis, se transformant ainsi en
lieux de mémoire .
118
Le principe des lieux de mémoire de Pierre
Nora constitue l'un des trois piliers d'analyse de la mémoire
aujourd'hui. Les deux autres s'incarnent dans le travail de
115 M. Halbwachs,in Lavabre Marie-Claire. Maurice Halbwachs et la
sociologie de la mémoire. In: Raison présente, n°128, 4e
trimestre 1998. Mémoire et histoire. pp. 47-56., op.cit.
116 M. Halbwachs, La mémoire collective,
op.cit.
117 Marie-Claire Lavabre, op.cit. , p.142
118 Pierre Nora (Sous la direction de), Les lieux de
mémoire, t. II, La nation, 3 vols, Paris, Gallimard, «
Bibliothèque illustrée des histoires », 1986
83
mémoire119 décrit par Paul
Ricoeur, et le dans l'idée de mémoire
collective120 de Maurice Halbwachs. Ces trois axes d'analyses
s'identifient individuellement, relevant de chronologies et de thèmes
différents, mais ils peuvent aussi s'ajouter ou se compléter dans
une même recherche. Les recherches scientifiques en matière de
mémoire sont cependant à distinguer de l'histoire, dans la mesure
où, en France, la distinction entre ces deux disciplines semble inscrite
dans le marbre. Nous nous permettons ce développement car notre analyse
a pour l'instant évoqué la mémoire comme incarnation de
l'histoire. Cela est à plus d'un titre remis en cause, on pense
notamment aux mots de Marie-Claire Lavabre « La mémoire renvoie
aux formes de la présence du passé qui ne relèvent pas de
l'histoire
121
(entendue comme savoir-faire, méthodes et exigences
du métier d'historien) » , ainsi, si les uns sont historiens
il n'existe pas de mémoire qui pourrait en analyser le contenu et
justifier ainsi son étude en tant que telle. C'est peut-être pour
cela que les mémoires ouvrières ne peuvent faire partie d'un
sujet scientifique à proprement parler, il s'agit donc d'un axe
d'étude dont le contenu sera influencé en fonction de la
discipline dans laquelle s'inscrit plus globalement la recherche. Pour autant,
cette reconnaissance de la mémoire comme domaine absolument
extérieur à l'histoire fait apparaître des limites, Pierre
Nora convoque dans les années 70 le « divorce libérateur
entre l'histoire et la mémoire122 » , ainsi la
mémoire peut devenir un sujet en soit, plus seulement décrit
comme de la non-histoire . Pour conclure, les mémoires
ouvrières, sont souvent le terme général qui distingue des
inventaires fait dans des lieux au passé ouvrier. Cependant, pour en
comprendre véritablement l'objet et la teneur politique qui
empêche de l'intégrer au nom d'un patrimoine (patrimoine ouvrier).
Il nous faut en comprendre le sujet, qui parle ? Qui sont ceux habilités
à parler de la mémoire ouvrière ? Qui sont ceux qui
légitimement en produisent le contenu ? A quelle échelle
devons-nous nous
119 Dosse, François. « Travail et devoir
de mémoire chez Paul Ricoeur », Inflexions, vol. 25, no. 1, 2014,
pp. 61-70.
120 Halbwachs, La mémoire collective,
Bibliothèque De L'évolution De L'humanité, Albin Michel,
première édition 1950, Paris, 1997
121 Lavabre Marie-Claire, op.cit. p. 144
122 P. Nora, « la mémoire collective
» in J. Le Goff, La nouvelle histoire, Paris,
Retz-CEPL, 1978, pp.398-401
84
référer pour en affirmer la pertinence ? Locale,
régionale, nationale, internationale ? Par quels moyens, et quelles sont
les exigences pour qu'un passé mémoriel soit instruit par les
chercheurs et puissent ainsi être érigé sur la place
éventuelle du patrimoine ? Comment unifier des récits souvent
conflictuels pour en apaiser le récit national ? Toutes ces questions
sont à mobiliser en ce qui concerne les mémoires
ouvrières. Car, les mémoires ouvrières sont-elles
peut-être insuffisamment reconnues pour pouvoir en faire un sujet
générateur d'identité collective qui pourrait produire le
patrimoine ouvrier. Le simple fait de la qualifier « ouvrière
» créer une discordance avec l'idée
régulièrement invoquée de « La mémoire »
au sens strict. Ainsi, d'un point de vue politique se distingue une classe
sociale précise, qui peut s'opposer au récit plein et entier
qu'est censé recouvrir la mémoire nationale.
iii- L'absence ou la disparition
Le patrimoine ouvrier représente tout à la fois
le patrimoine industriel et les mémoires ouvrières qui ne sont
autres que l'esprit des lieux. Comme nous l'avons vu, les bâtis
protégés sont vidés de leur substance pour ne faire
apparaître que leur qualité esthétique. Les lieux
architecturaux avant d'être patrimonialisés sont d'ailleurs
souvent renvoyés au simple terme de «friches» qui qualifie ni
plus ni moins ces lieux de désordre . Volonté est donc
de remettre de l'ordre quand les autorités décident de
protéger. Les investissements fait dans les friches industrielles
apparaissent d'ailleurs comme concluants du point de vue économique, et
se trouvent salués par les instances décisionnelles en
matière de patrimoine. L'effacement des mémoires devient alors un
motif de sauvegarde des anciens lieux ouvriers. Nous pouvons finalement nous
demander si ce phénomène ne participe pas à la
patrimonialisation de ces lieux. La mémoire sociale est ainsi
123
remplacée au profit d'une mémoire
muséifiée (Davallon, 2000), dans le meilleur des cas,
effacée dans la plupart des cas. Pour autant, de nombreux
123 Mémoire muséifiée
développé par Jean Davallon dans Le patrimoine : "une filiation
inversée" ?,
https://www.persee.fr/doc/espat
0339-3267 2000 num 74 1 4083
85
travaux portant sur l'histoire des ouvriers dans les usines
ont été publiés. Il s'agit de replacer dans ces lieux une
mémoire sensible. Nombreuses sont les initiatives qui concentrent les
sens au sein de parcours urbains cherchant à donner à voir
aux publics l'expérience industrielle. Pour autant, la
mémoire sociale est occultée de
124
ces initiatives voulant porter le regard sur les ouvriers . On
pense notamment à l'application Armeville , qui favorise une
visite de la ville de Saint-Etienne
125
accompagner des anciens bruits industriels . Ou encore au
magasin Uniqlo dans le Marais, comme nous l'avons expliqué
précédemment les anciennes machines sont exposés, mais
c'est le bruit de leur utilisation qui est diffusé autour de leur
exposition. Ce mirage de mémoire permet alors d'authentifier les
bâtis devenus
126
muets, et leur «donne du sens » (Manale,
2014). La mise en scène de la mémoire ouvrière, dans les
musées, interroge. Le musée observe un jeu dangereux qui occulte
l'autre face de cette mémoire et de ce fait, son histoire. Ainsi, le
musée dans ses mises en exposition permet-il l'effacement de la
mémoire absente. Serge Chaumier précise d'ailleurs que :
«Ce qui est présenté vise à occulter ce qui
est
127
absent ». Nous remarquons que les associations
d'anciens travailleurs jouent un rôle essentiel à la valorisation
et à l'entretien de cette mémoire. Pour reprendre le cas de
l'Usine d'Alençon, site historique et maison mère de l'entreprise
Moulinex, ce sont les anciens travailleurs organisés en association qui
ont fait la demande de la préservation d'un des bâtiments en un
«espace mémoire». L'association Moulinex - Jean Mantelet se
présente dans ses statuts comme ayant :
«plusieurs objectifs d'utilité publique
à caractère social ou culturel : entretenir des liens entre
membres d'une même entreprise, valoriser le site témoin de
l'histoire industrielle d'Alençon et y installer un musée vivant,
développer le patrimoine touristique de la ville et de sa région,
transmettre des savoir-faire professionnels au sein des ateliers
d'insertion,
124 Simonnot Nathalie, Siret Daniel, « Héritage
industriel et mémoire sensible : observations sur la constitution d'un
« patrimoine sensoriel » », L'Homme & la
Société, 2014/2 (n° 192)
125 Armeville : une découverte sonore du passé
industriel de Saint-Etienne, France 3 Auvergne Rhône-Alpes, le 30 octobre
2015, disponible en ligne :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/loire/saint-etienne/armeville-d
ecouverte-sonore-du-passe-industriel-saint-etienne-841003.html
[consulté le 18 juin 2020]
126 MANALE MARGARET, Le patrimoine industriel :
mémoire sociale ou produit innovant ? ; L'homme & la
société, 2014, n° 192, pp.11 à 14
127 Chaumier Serge, Op cit , p.69
86
promouvoir la mémoire de l'entreprise vers toutes
organisations d'utilité
128
publique à des fins éducatives. »
L'Association, créée à la fermeture de
l'Usine, a immédiatement demandé à la municipalité
un lieu pouvant accueillir la mémoire des ouvriers de Moulinex, et plus
généralement, de l'industrialisation de la région. A
l'épreuve d'un premier investissement par la communauté urbaine
visant à réveiller la ville économiquement et
démographiquement, l'ancien site fait face à de nombreuses
destructions. La municipalité d'alors semblait entendre les
revendications des anciens ouvriers mais n'a pour autant pas investi de
bâtiment pouvant accueillir leur musée. Suite à cela et
après une succession de dirigeants de ville et de région, certain
en faisant même un argument de campagne, aucun «espace
mémoire» n'a encore vu le jour. Récemment, à
l'occasion des élections municipales de cette année 2020, une
lettre ouverte à été rédigée à
l'attention des candidats à la mairie d'Alençon, rappelant la
volonté des anciens ouvriers, et qui souligne la nécessité
d'un tel espace. Un constat est également fait : celui de la
volonté « d'effacer les
129
traces de l'activité industrielle » des
municipalités successives. Nous sommes donc bien face à un enjeu
politique. Les musées sont aujourd'hui moteurs dans le renouveau
économique de ville ou de région. Pour autant, il est concluant
s'il s'inscrit dans une démarche globale et que d'autres projets ne
portant pas forcément de lien avec la culture sont menés. Et dans
le cas de la ville de Bilbao, son succès n'est pas seulement dû au
musée Guggenheim mais aussi à la construction d'immeubles
d'habitation sur les anciennes friches au bord de la Ria, à la
réhabilitation de nombreux espaces industriels et portuaires et à
la volonté de la ville d'implanter des entreprises secondaires et
tertiaires. Le musée fait donc partie d'un tout et ne peut redynamiser
à lui seul les espaces ; l'exemple du
128 Objectifs de l'Association Moulinex Jean Mantelet,
publié au Journal Officiel, 2002
https://www.gralon.net/mairies-france/orne/association-association-moulinex-jean-mantel
et-alencon W611000625.htm , consulté le 4 avril 2020.
129 Lettre ouverte au candidats des élections municipales
d'Alençon, février 2020, et article Ouest France à ce
sujet :
https://www.ouest-france.fr/elections/municipales/municipales-alencon-les-anciens-moulin
ex-interpellent-les-candidats-6742941 , consulté le 4 avril 2020
87
130
Louvre Lens est parlant à ce sujet . Pour quelle
raison, alors que la ville d'Alençon avait prévu un programme de
reconversion du site et accompagnait une nouvelle politique économique,
pour quelle raison les autorités ne se sont-elles pas saisies de
l'opportunité de la création d'un musée, portant sur
l'histoire industrielle ? Nous remarquons qu'il s'agit là d'un
phénomène assez classique en ce qui concerne le patrimoine
ouvrier. Pour rappel, au moment de la fermeture des usines Renault de l'Ile
Seguin, Serge Chaumier énonçait déjà cette
interrogation, alors que le programme de réhabilitation d'alors avait
consacré la Fondation
Pinault pour y implanter son musée d'art contemporain :
«N'est-il pas emblématique que la France - qui
aurait pu faire le choix d'un grand musée de référence sur
la question industrielle et de la mémoire ouvrière, dans le lieu
le mieux placé pour cela, l'Ile Seguin, à Boulogne-Billancourt -,
ait fait le choix de la destruction de ce patrimoine pour lui
préférer une architecture d'exception, financée par la
fondation privée d'un
131
des capitalistes les plus puissants du pays ?
»
Cet événement nous rappelle avec justesse que
c'est bien souvent la destruction qui est préférée dans
les lieux à l'histoire sociale puissante, emblématique et
reconnue. La volonté d'alors de vouloir y implanter un musée dans
un bâtiment neuf sonne d'ailleurs assez étrangement quand on sait
que les ouvriers s'étant regroupé en association se sont battus,
comme les anciens ouvriers de Moulinex, pour faire subsister un bâti qui
abriterait leur mémoire. L'histoire nous permet de raconter la suite de
l'histoire, comme vu précédemment. Ce musée ne se fera
pas, non parce que les ouvriers auraient finalement eu gain de cause et se
seraient vu reconnaître la légitimité par la justice ou les
instances gouvernantes, mais bien pour un problème de bruit dû aux
travaux, et qui dérangeait le voisinage. Pinault devant les recours
incessant devant la justice, abandonne finalement. La Seine Musicale est
aujourd'hui sur les traces de l'ancienne usine, mais il ne subsiste
130 A ce sujet, Jean-Michel Tobelem a publié dans Le Monde
une tribune où selon lui : «on peut évoquer la
possibilité d'un échec», Tribune, Le Louvre-Lens
n'aura pas « l'effet Bilbao » escompté , le 21 août
2016, disponible en ligne :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/08/21/le-louvre-lens-a-t-il-echoue
4985662 32 32.html
131 Chaumier Serge, Op. Cit. , p.72
rien. François Pinault, pour sa part, a finalement
investi en cette année 2020, l'ancien musée des Arts et
Traditions Populaires pour y monter sa fondation, sans aucune trace, bien
sûr, des coiffes bretonnes. Ces exemples nous montrent à quel
point les destructions sont monnaie courante en ce qui concerne le patrimoine
ouvrier. Nous avons évoqué précédemment la
volonté politique d'effacement de l'histoire/ la mémoire sociale.
Pour autant, nous remarquons pour les associations d'anciens ouvriers, que
cette volonté d'implantation de musées retraçant leur
histoire, est mue par un désir de deuil du passé, le musée
agirait ainsi comme le mausolée de leur recueillement. Finalement, c'est
peut-être faire porter au musée une charge trop lourde que celle
de récolter la peine d'une histoire tragique. Peut-être que le
musée n'a pas à exister s'il n'a comme seul but d'être la
stèle de vies bousculés. Bien que l'on puisse trouver le
musée cimetière des objets, il vit au rythme des changements
politiques et sociaux du temps dans lequel il s'inscrit. Ainsi peut-être
comprenons nous pourquoi l'initiative d'une fermeture d'usine pour une
ouverture de musée n'est pas suffisante. La charge émotionnelle
qui en découle place le bâti comme récepteur d'une histoire
dure et tragique à propos d'un groupe particulier, loin de la
volonté unificatrice de la reconnaissance d'un patrimoine.
Néanmoins, il existe en France un musée de
patrimoine ouvrier. A travers une analyse de son histoire nous verrons les
ressorts qui distinguent les musées de patrimoine ouvrier
aujourd'hui.
Chapitre 4 - Les musées de patrimoine ouvrier, limite
et compréhension de leur objet
a- Un objet en recherche
88
i- Une culture vivante
89
Nous avons soulevé le fait d'une classe sociale
vivante, ce qui s'oppose à une présence dans les musées
lorsqu'ils sont considérés comme lieu de deuil. Nous avons
remarqué au cours de nos recherches que le qualificatif vivant
apparaissait à de nombreuses reprises quand il s'agissait du
patrimoine ouvrier. On pense notamment au Label d'Entreprise du Patrimoine
Vivant, au Paysage
132
Culturel Évolutif Vivant , au Tourisme d'Entreprise
Vivante, et pour finir au musée qui a vocation à devenir la
référence nationale en matière de patrimoine ouvrier en
France, le Musée de l'Histoire Vivante. Mais que cache ce qualificatif
pour qu'il soit employé de la sorte par des institutions aux objectifs
aussi différents ? D'un point de vue strictement factuel, l'idée
de vivant renvoie à quelque chose en activité, qui n'est
pas, par opposition, mort. Du côté patrimonial il semble
s'inscrire dans le patrimoine dit immatériel qui est selon l'Unesco :
«Traditionnel, contemporain et vivant à la fois : le patrimoine
culturel immatériel ne comprend pas seulement les traditions
héritées du passé, mais aussi les pratiques rurales et
urbaines contemporaines, propres à divers groupes culturels.
133
|
» . Le qualificatif de «vivant» renvoie
donc à une immatérialité, ce qui s'oppose
|
au patrimoine ouvrier car, une matérialité s'y
incarne également. Mais, ce qualificatif semble important car il
désigne des individus, or, le patrimoine ouvrier est distinctif d'un
groupe précis. Peut-être est-ce une des raisons qui pousse le
Musée de l'Histoire Vivante, situé à Montreuil,
à vouloir changer son nom. Il devrait être renommé
Musée d'Histoire du Mouvement Ouvrier . En décidant de
supprimer l'idée de vivant , l'affirmation matériel
d'objet ouvrier peut se faire. D'ailleurs, nous lisons dans les
premières lignes justifiant ce futur nom et intitulé «
Le projet : Vers un grand musée d'histoire du mouvement ouvrier»
que :
132 Pour rappel nous avons vu que le Bassin Minier de Lille a
été classé notamment sur la base du critère (iv)
Paysage Culturel Évolutif Vivant : «Les paysages miniers
évolutifs et vivants du Bassin du Nord-Pas de Calais offrent un exemple
éminent du développement à grande échelle de la
mine de houille, aux XIXe et XXe siècles, par les grandes compagnies
industrielles et leurs masses ouvrières. Il s'agit d'un espace
structuré par un urbanisme, des constructions industrielles
spécifiques et les reliquats physiques de cette exploitation (terrils,
affaissements). », op.cit.
133 Unesco, Patrimoine culturel immatériel,
Qu'est-ce que le patrimoine culturel immatériel
? ,
https://ich.unesco.org/fr/qu-est-ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003
, [consulté le 26 mai 2020]
90
«Nous travaillons à un projet de Musée
d'Histoire du Mouvement Ouvrier car à la différence d'autres pays
européens, il n'y a pas en France de musée pour exposer et mettre
en valeur les documents et objets de l'histoire ouvrière.
Les collections actuelles du musée de l'Histoire
vivante pourraient être le fondement d'un musée plus grand, plus
moderne, plus accessible. Si les organisations du mouvement ouvrier conservent
dans de bonnes conditions leurs archives, il en va tout autrement pour les
objets. Et pourtant, les objets sous toutes leurs formes sont au coeur du
militantisme. Nous nous sommes adressés à toutes les
organisations héritières du mouvement ouvrier : partisanes,
syndicales, mutualistes, coopératives, associatives, pour rassembler ces
objets et leur donner toute la place muséographique qu'ils
méritent. La plupart d'entre elles soutient ce
134
projet et a répondu positivement à notre invitation
à réfléchir ensemble. »
Ainsi, c'est bien l'idée d'affirmation d'objet
matériel qui est un des moteurs de cette refonte du musée. Le
fait que l'immatérialité soit aujourd'hui la seule forme de
patrimoine reconnu aux ouvriers amène à des limites, notamment en
matière de musée. Certes, les musées traitant de
patrimoine immatériel sont aujourd'hui légion, mais en ce qui
concerne le patrimoine ouvrier l'immatérialité est la norme.
Ainsi, le seul patrimoine reconnu des ouvriers se situe dans les
mémoires ouvrières . Le fait de se séparer pour
le Musée de l'Histoire Vivante de son qualificatif affirme la
présence d'un patrimoine matériel à reconnaître.
Pour autant, il ne s'agit pas d'affirmer pour le futur musée que cette
histoire ne soit pas encore en mouvement. Ainsi, il est spécifié
que :
«Nous sommes au début de cette réflexion
qui, au-delà du fond scientifique, nécessitera de construire le
lien et la transition entre l'actuel musée - notamment son
bâtiment - et l'espace nouveau. La programmation actuelle doit être
vue comme une préfiguration de ce que nous voulons faire. Et
symétriquement ce grand musée d'histoire sociale et
ouvrière devra conserver ce qui fait l'identité de l'actuel
musée c'est-à-dire « l'Histoire vivante ». Une
135
approche de l'Histoire qui se veut accessible à toutes et
tous. »
L'idée de vivant se base donc sur une
volonté d'identification du lieu. Ce qui prouve que le musée
s'inscrit dans un présent toujours en mouvement. Au-delà de ce
nouveau nom, c'est bien la forme d'un musée concernant le patrimoine
ouvrier
134 Musée de l'Histoire Vivante, Le
projet : Vers un grand musée d'Histoire du
mouvement ouvrier , 2016,
http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/le-projet-vers-un-grand-musee-d-histoire-du-mouvement-ouvrier
, [consulté le 22 avril 2020]
135 Ibid.
91
qui est discutée. Bien que des musées portant
sur les ouvriers soient présents en France, un obstacle se
caractérise dans le contenu et le récit qui les accompagnent.
Cela peut justifier la volonté de l'équipe du musée de
l'Histoire Vivante à la refonte de son objet. Ainsi, les musées
mettant en scène le patrimoine ouvrier semblent guidés, comme
déjà observé, par une histoire des sciences et techniques,
et non pas vers la vie de ces hommes et femmes. L'histoire du Musée de
l'Histoire Vivante nous semble d'ailleurs significative de cette
difficulté. Car, affirmer et développer des propos ayant pour
sujet les luttes du mouvement ouvrier pourrait se confondre avec une
idée de propagande, qui constituerait alors un potentiel
136
frein à leur développement .
ii- Un musée de patrimoine ouvrier en mouvement
Pour continuer, nous nous devons d'interroger le terme
«d'histoire vivante »qui paraît difficile à
définir. Dans le cas du musée de l'Histoire Vivante, un rapide
historique permet de comprendre l'inscription fondamentale de cette notion dans
sa création. Ouvert en 1939, le musée de l'Histoire Vivante doit
sa création à trois personnalités communistes de
l'époque, Jacques Duclos, député, Fernand Soupé,
maire de Montreuil et Daniel Renoult, conseiller général de
Montreuil. Son origine se forge dans la création un an auparavant de la
Société pour l'Histoire Vivante. Le musée avait alors pour
sujet «l'histoire du mouvement populaire et
137
des révolutions » . L'omniprésence
du Parti Communiste Français (PCF) démontre le caractère
politique d'une telle institution qui peut alors être vu comme lieu de
propagande. Ainsi «Le musée se donne pour mission de diffuser
auprès des couches populaires une histoire en mouvement, une histoire
des luttes
138
sociales qu'il inscrit dans le registre d'une histoire
nationale et républicaine ».
136 Sylvain Antichan, Sarah Gensburger et Jeanne Teboul, «
Dépolitiser le passé, politiser le musée ? À la
rencontre des visiteurs d'expositions historiques sur la première guerre
mon diale », Culture & Musées, 28 | 2016, 73-92.
137 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du
Musée,
http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/histoire-du-musee
, [consulté le 27 mai 2020]
138 Ibid.
92
Sa direction est confiée à Jean Bruhat,
historien et spécialiste du mouvement ouvrier. Nous soulignons
également l'absence de conservateur en tant que tel. A l'époque,
le musée est visité par le président de la chambre des
députés, Edouard Herriot, en plus de nombreuses autres
personnalités politiques du moment. Cela témoigne de la
légitimité politique donnée à cette époque
au musée. Rappelons que nous sommes en 1939 et que le Front Populaire
est à la tête du mouvement politique en France, donc il n'est pas
anodin que ce musée ait alors été au centre de visite de
personnages publics de premier plan. Nous assistons aujourd'hui encore au
même phénomène :un musée recherche souvent une
légitimé pour valoriser son objet. Cette légitimité
est souvent donnée grâce à des visites officielles de
politiques. Cela montre le rapport très fort entre les musées et
le pouvoir. Nous pouvons d'ailleurs prendre comme exemple récent de ce
phénomène l'inauguration du Musée National de l'Histoire
de l'Immigration, qui, en 2007, avait été boudée par le
président d'alors, Nicolas Sarkozy. Cette absence s'est fait
défavorablement remarquer car, au-delà de la non venu d'un homme,
c'est bien la légitimité de son objet qui est questionnée,
à savoir l'immigration. D'ailleurs, la présence du
président suivant François Hollande et son inauguration
139
officielle en 2014 montre l'importance politique d'une telle
pratique. A la fois pour le musée qui assoit son importance dans le
paysage muséal, pour son objet qui devient reconnu au plus haut sommet
de l'état, mais aussi pour ces personnalités qui montre
clairement leur orientation politique. Dans notre cas, il convient de souligner
que le musée, même à l'époque des visites des
membres important du PCF, n'a jamais été nationalisé. Il
n'a ainsi jamais été sous la tutelle de l'état bien que
les visites d'alors légitimaient son existence et son objet. La
deuxième Guerre Mondiale marque un coup d'arrêt à
l'expansion du musée et, au lendemain de la libération il est
ouvert au public sous un autre nom «Musée de l'Histoire de
France», sa direction est alors confiée à Anne Leroux, et
marque l'arrivé du statut de conservateur occupé par Jean Bruhat.
Ainsi, le musée se définit clairement comme un musée
d'histoire et son objet change car il ne s'agit
139 BERNARD Marie-Violette, Pourquoi il a fallu attendre sept
ans avant d'inaugurer la Cité nationale de l'histoire de l'immigration,
Franceinfo, 2014
93
plus de tracer les contours du mouvement ouvrier mais d'y
mêler dans le discours l'histoire du parti communiste :
«L'approche de l'histoire populaire liée
140
étroitement à l'histoire du PC domine la
trame muséographique » . Les publics changent et c'est un
ballet de délégations politiques qui s'ensuit. De ce fait, le
musée donne l'impression d'un lieu de rassemblement politique, d'une
section du parti communiste :
«Dès lors, délégations de
l'Union des femmes françaises, des jeunesses communistes, ou des
délégués communistes au congrès du PC croisent les
délégations étrangères en provenance des pays du
bloc soviétique. Des visites guidées sont organisées et
des membres du Conseil d'administration, agrégés d'histoire,
président des conférences populaires tantôt sur la
République de 1848,
141
tantôt sur la Commune de Paris de 1871 »
La légitimité scientifique que le musée
confère est ici clairement remis en cause. Les années 1950
marquent un tournant pour le musée, qui désormais s'ouvre aux
chercheurs et se détache progressivement de l'influence du parti
communiste. Dans cette continuité Daniel Tamanini, résistant et
déporté, remplace Anne Leroux à la tête du
musée. Marcel Auclair y fait des recherches pour sa biographie sur Jean
Jaurès et Jean Maitron y fait également des recherches pour son
livre « Le mouvement anarchiste en France». Pour autant, cette
nouvelle activité marque également une baisse importante de la
fréquentation du musée. Fermé partiellement dans les
années 1960 et 70, Jacques Duclos un des fondateurs du musée
décède en 1975 et c'est le maire d'alors qui prend la tête
de l'association, Marcel Dufriche. Un autre personnage important, Jean-Luc
Barré décide de sensibiliser les personnalités politiques
de la ville à la mise en valeur des collections du musée mais
aussi à sa nécessaire rénovation. Surtout, Jean-Luc
Barré tente de convaincre les autorités de l'informatisation de
l'inventaire. Ainsi, nous remarquons la volonté pour Jean-Luc
Barré de repositionner le lieu comme musée. La volonté
d'un inventaire démontre le nouvel engagement muséal des
professionnels de ce musée. De ce fait, «Des travaux
d'aménagement des salles,
140 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du
musée , op.cit.
141 Ibid.
94
la création d'une réserve et la mise en
place d'une nouvelle présentation de
142
l'exposition permanente sont entrepris » .
En 1988 le nouveau musée ouvre ses portes avec une
exposition Jean Jaurès et la Révolution française
. Aussi, le musée acquiert le statut de Musée de France.
De nouveaux projets sont entrepris comme la création d'une
cafétéria ou d'un atelier de restauration. Pour autant, ces
éléments ne verront pas le jour et s'ensuit une période
assez calme pour le musée. L'année 1992 marque un nouveau
tournant, une programmation est votée par le conseil d'administration
jusqu'en 1998 et la volonté d'un musée pérenne s'affirme.
En 1993 est montée une exposition portant sur le jouet à Paris et
son succès confirme la renaissance du musée. Jusqu'en 2015, des
expositions viendront ponctuellement relancer le musée comme la
rétrospective sur le cinéma russe.
Mais c'est bien l'année 2015 qui marque un réel
renouveau pour le musée. Lors d'une assemblée
générale extraordinaire est affirmée l'implication des
équipes dans le développement du musée ainsi qu'un nouvel
objet, celui d'un musée d'histoire sociale et ouvrière. Depuis,
de nombreuses expositions rencontrent le succès, on pense notamment
à 1948 et l'espoir d'une République universelle,
démocratique et sociale , ou encore à la dernière
exposition en date : Ouvrier.e au musée (#OUVRIER.E.SAUMUSEE).
A travers cet historique nous remarquons que le musée
de l'histoire vivante possède un parcours distinctif des musées
de patrimoine ouvrier. De plus, l'inscription spatiale du Musée de
l'Histoire Vivante paraît fondamentale et dépositaire de son
identité. Par conséquent, le lien avec la ville de Montreuil
guide sa création et le musée se veut reconnaissable dans son
environnement. Dans le but d'éclairer les quelques points qui nous
semblent propre à un musée de patrimoine ouvrier, à savoir
:
142 Ibid.
95
? Une initiative de création politique
? Un fort impact sur le territoire dans lequel il est
implanté
? La volonté de conserver une identité vivante
tout en affirmant une dimension matérielle
Nous poursuivrons avec la description d'un autre musée
de patrimoine ouvrier, le Workers Museum - Arbejdermuseet à
Copenhague.
iii- Le Workers Museum - Arbejdermuseet (Copenhague), un
confrère européen
Nous effectuerons dans ces prochaines pages un comparatif
entre le musée de l'Histoire Vivante et le musée de Copenhague,
le Workers Museum - Arbejdermuseet. Nous analysons ce musée dans le but
d'éclairer la position du musée de l'Histoire Vivante en rapport
à son confrère européen. Notre choix se porte sur ce
musée dans la mesure où, il est au nationalisé, au
Danemark. Le fait que l'équipe du musée de l'Histoire Vivante
souhaite le voir nationalisé nous offre une opportunité de
comparaison. Aussi, le musée de l'Histoire Vivante et le Workers Museum
font tous deux partis de l' International Association of Labour Museum
. Nous souhaitons grâce à cela une compréhension plus
globale d'un musée de patrimoine ouvrier en France.
Inauguré en 1982 dans le lieu historique des
travailleurs danois, Workers' Assembly Hall à Romersgade. A
l'origine le musée était sous la gouvernance de plusieurs
institutions : Le National Museum, Le musée de Copenhague, La
bibliothèques et les archives du parti des travailleurs danois,
L'Université de Copenhague, le National College of the Danish
Confederation of Trade Unions (LO), Les amis du musée, et le conseil
général de la fédération des syndicats. Cette
gouvernance démontre un musée reconnu et une direction pour le
moins exceptionnelle. Il n'existe pas d'autre musée de patrimoine
ouvrier sous la gouvernance d'aussi nombreuses institutions. Cela montre aussi
la volonté de ne
96
pas seulement inscrire le musée comme emblème
politique mais y affirme également la place des chercheurs et de la
science. Néanmoins, la création de ce musée est à
l'origine initiée et voulue par les ouvriers du quartier de N0r Rebo,
par des chercheurs du Trade Unions' Training College ainsi que par des membres
du National Museum et du Musée de la ville de Copenhague. Cela montre,
comme nous l'avons déjà souligné, l'importance dans la
constitution d'un musée de patrimoine ouvrier, de ses premiers
initiateurs, à savoir les ouvriers eux-mêmes. Cela marque une
différence de taille avec le Musée de l'Histoire Vivante, car, il
était quant à lui souhaité par des élus politique
de la ville de
143
Montreuil, des élus communistes . Le fait que ce
musée ait été initié non pas seulement par des
représentants politiques mais par les premiers concernés à
savoir, les ouvriers, constitue une importante place dans l'espace
muséal. En effet, nous avons mentionné en première partie
l'impossibilité pour les seuls initiateurs ouvriers d'obtenir cette
consécration muséale. Nous rappelons le cas des anciens ouvriers
de l'usine Moulinex, qui réclament depuis maintenant plus de 20 ans la
constitution d'un musée. Nous pouvons d'ailleurs souligner l'absence des
organisations syndicales dans le soutien de ce type d'initiative. Ce qui n'est
pas le cas pour le Workers Museum de Copenhague, qui dès l'origine est,
en plus des ouvriers, soutenu par des chercheurs et des organisations
syndicales nationales. Le point de départ dans la revendication du
musée était un musée sur l'habitat ouvrier et la vie
quotidienne. Il n'y avait pas à l'origine d'affirmation politique dans
l'objet traité par le musée. Ce qui semble avoir poussé
les autorités à la création de ce musée
réside dans l'élément dit remarquable constitué par
l'Assembly Hall, et son architecture. Comme nous l'avons mentionné au
cours de ce mémoire, ce qui a guidé en premier lieu la
création de ce musée est la volonté de protection
architecturale voulu pour des raisons esthétiques. Aussi, les
équipes du musée font aujourd'hui remarquer avec fierté
que ce Hall constitue le tout
144
premier élément du patrimoine ouvrier
protégé et reconnu en Europe :
143 A cette époque, de nombreux élus communistes
étaient eux-mêmes ouvriers.
144 Ludvigsen, P. (2009). History of the Workers' Museum in
Denmark. International Labor and Working-Class History, 76(1), 44-53
97
(c) Workers' Assembly Hall, The - Workers Museum
Arbejdermuseet
Classé en 1983, soit près d'un an après
l'ouverture du musée, c'est bien ce lieu qui a lancé le point de
départ de la constitution effective de ce musée. Bien que le
musée soit ouvert en 1982, il est encore à cette époque
à la recherche d'une reconnaissance officielle des autorité,
fondamentale pour traiter et faire reconnaître le statut de musée.
Ainsi, nous assistons dans le cas des musées de patrimoine ouvrier
à un geste politique fort, nécessaire à leur survie. Bien
que la gouvernance du musée ait été assurée par des
institutions reconnues, l'importance des Ministères de la Culture des
pays dans lesquelles prennent place ces musées semble fondamentale
à leur reconnaissance et leur pérennité. Le Workers Museum
de Copenhague nous offre ainsi un exemple distinctif du processus de
reconnaissance d'un musée de patrimoine ouvrier. Alors que les
professionnels de musées poussaient pour sa reconnaissance, le ministre
de la Culture Libéral-Conservateur, prenant la place d'un ministre de la
Culture démocrate, décidait de ne pas reconnaître le
musée et de ce fait de ne pas suivre les recommandations de
l'autorité nationale en la matière. Mais, un
événement
98
exceptionnel et politique eut lieu : Deux politiciens
réussissaient à constituer une majorité parlementaire de
centre gauche et parvinrent à faire reconnaître le musée
car soutenu par une majorité de parlementaire. L'inscription du
musée dans le budget de 1984 a ainsi permis de le faire
reconnaître et protéger de façon pérenne.
«Le Workers Museum était maintenant une réalité,
avec un parlement majoritaire
145
derrière lui et son bâtiment officiellement
protégé », nous observons dans cet exemple la
dualité qui s'opère en matière de patrimoine ouvrier. Car,
bien que des institutions reconnues puissent souhaiter la création d'un
musée de patrimoine ouvrier, elle peut s'opposer à des
volontés politique car non pas reconnu comme objet de patrimoine
à part entière mais bien comme objet politique, guidé par
des considérations démocrate ou conservatrice dans ce cas. Cela
démontre encore une fois la signification politique d'un musée de
patrimoine ouvrier. Les années suivantes ont permis d'asseoir la
légitimité de ce musée, grâce en particulier
à ses expositions où de très nombreux publics se sont
rendus. Le Workers Museum compte dans les années 80, jusqu'à 100
000 visiteurs par an, synonyme du succès de l'institution. Le
musée explique ce succès, « Nous créons des
expositions qui touchent les gens, parlent à leur souvenir, et qui leur
permettent de s'identifier au
146
musée ». La première exposition
montée en 1983 montre le caractère très proche que le
musée a entretenu avec son public dès l'ouverture. Ainsi, le
musée propose une exposition sur la vie quotidienne dans les
années 50 ce qui permet au visiteur d'alors de pouvoir s'identifier au
sujet de l'exposition. Le musée expose des objets donnés par ces
visiteurs, ce qui favorise la venue des publics d'alors. Néanmoins, il
ne s'agissait pas seulement pour les équipes du musée d'une
volonté de lien avec ses visiteurs, en fait, le musée n'ayant pas
de collection, faire une exposition sur les années 50 permettait de
rassembler des objets que les gens possédaient
145 «The Workers' Museum was now a reality, with a
parliamentary majority behind it and its buildings officially protected»,
Ibid.
146 «We created exhibitions that touched people,
spoke to their memories, and led them to identify with the museum»,
Ibid.
99
147
encore . Cela montre donc une autre réalité, la
difficile constitution d'une collection, dans le cas des musées de
patrimoine ouvrier.
b- Architecture d'une structure muséale
i- Une similarité des origines
La difficulté des musées de patrimoine ouvrier
réside dans la constitution d'une collection. Des campagnes de dons sont
régulièrement menées, de façon ponctuelle ou
permanente. Dès la création du musée de l'histoire
vivante, le lien très fort avec le parti communiste français fait
que le musée a possédé une collection dès son
origine. En revanche, le Workers Museum de Copenhague, lui,
148
n'avait aucun objet à présenter, «Il
n'y avait pas de collection ! » . La première mission fut donc
de réunir des artefacts. Nous remarquons que les prémisses des
collections de ces musées sont incarnées dans la donation
d'archive des partis politiques, représentatives des ouvriers. Ainsi, en
France, c'est le parti communiste qui alimente les débuts de la
collection du musée de l'Histoire Vivante. Cela démontre une
participation des parties politiques, assez fondamentale dans leur
création et la constitution de leurs collections. Bien que leurs
objectifs d'origine constituent le point commun de ces deux institutions
(Musée de l'Histoire Vivante et Arbejdermuseet), à savoir, le
traitement et l'exposition du mouvement ouvrier, ils paraissent, depuis avoir
changés d'objectifs.
Le musée de Copenhague présente effectivement le
mouvement ouvrier au Danemark, mais, il affirme son objet dans l'exposition de
la vie quotidienne : «Nous collectons, préservons, explorons,
communiquons et mettons à jour le
147 «Since we had no collection, we had to locate and
acquire everything. There was a good reason for us to have selected the 1950s:
Many people had kept things from this decade, things that were suitable for
exhibition and things we could actually get hold of.», Ibid.
148 «There were no collections!«
, Ibid.
100
patrimoine culturel du mouvement ouvrier et l'histoire des
conditions de travail et
149
de la vie quotidienne au Danemark. » .
Au travers de ces deux musées nous remarquons
l'importance de la constitution d'une collection. Nous le savons, nombreux sont
les musées qui aujourd'hui décident de ne plus posséder
d'objet et préfèrent accueillir des prêts. Car, une
collection, en plus de constituer une matière première pour les
musées, que ce soit en termes de recherche ou pour la préparation
d'exposition, permet d'asseoir son sujet. Toutefois, une collection constitue
un pôle de restauration pour prendre soin des objets montré. Ces
raisons éclairent l'absence de collections de certains musées qui
accueillent, à ce titre, des prêts d'objets ou des expositions
temporaires par exemple. Cela vient d'ailleurs questionner la définition
que fait l'ICOM d'un musée qui «(...) acquiert, conserve,
étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et
immatériel de l'humanité et de son environnement à
des
150
fins d'études, d'éducation et de
délectation ». Dans le cas des musées de patrimoine
ouvrier, la constitution d'une collection semble primordiale, en effet, ils
agissent comme les seules institutions qui protègent et entretiennent
les objets en lien avec la vie ouvrière. Ces collections sont d'ailleurs
en premier lieu le fait des organisations syndicales et ouvrières
elles-mêmes. Les archives qu'elles ont constituées sont souvent la
matière première de ces collections. Ainsi, si la recherche et
l'acquisition d'objets semble primordiale pour conférer le titre de
musée, elle s'incarne tout aussi justement dans les musées de
patrimoine ouvrier. Car, se sont bien les objets qui permettent d'illustrer
leur propos, et par cela, qui justifie l'existence des musées portant
sur les ouvriers. Après avoir expliqué la création de ces
musées, nous soulignons que leur origine n'est pas due à une
donation, comme cela peut être le cas d'autres musées.
149 «We collect, preserve, explore, communicate and
update the cultural heritage of the workers movement and the history of working
conditions and everyday life in Denmark.» , About us, Arbejdermuseet-
The Workers Museum, disponible en ligne :
https://www.arbejdermuseet.dk/en/about-us/
, [consulté le 18 juin 2020]
150 Définition musée Icom, op.cit.
101
Ce que nous remarquons est le point commun dans leurs
créations : la volonté politique de reconnaissance de l'histoire
ouvrière. Si ces musées dès l'origine ont la possession
d'un lieu pour les accueillir, les collections qu'ils abritent font
défaut. Dans le but d'affirmer leur existence muséal et non pas
seulement militante, ces musées sont dans l'obligation de créer
leur propre collection.
Les équipes du Workers Museum de Copenhague ont
très vite compris l'enjeu primordiale de cette question. Leur
première exposition, en 1984, portait sur la vie quotidienne des
ouvriers dans les années 50. Cette exposition a permis de combler
plusieurs objectifs, dont le principal, celui de la constitution d'une
première collection. Bien que des archives leur aient été
fournies par les partis politiques d'alors, une collection créée
et portée par les équipes du musée était à
concevoir. Or, les habitants de Manchester étaient susceptibles de
posséder des objets datant des années 50, cela permettait aux
premiers publics du musée de pouvoir s'identifier au thème
exposé. De ce fait, cette première exposition fut un
véritable succès. Elle constitue aujourd'hui encore, une des
expositions permanentes du Workers Museum. Ce schéma ayant satisfait aux
premières exigences du musée, les équipes
décidèrent de procéder de la même manière
pour l'exposition suivante portant sur la grande dépression de 1930.
Cette technique d'acquisition a permis de faire surgir un moyen de
communication efficace, en plus de la constitution d'une collection
nécessaire à l'institution. Lors de cette deuxième
exposition, les professionnels des musées ont remis en cause ce
procédé : «Cette campagne d'acquisition fut ardemment
questionnée par les professionnels de musées - mais
151
un vrai succès auprès de la population
» . Cette deuxième campagne a également permis au
musée de se détacher du caractère politique et militant
que possédait le musée à son ouverture. Cela a
facilité, pour les publics, le fait de se sentir partie prenante du
musée, ce n'est d'ailleurs pas sans rappeler le modèle des
écomusées. Aussi, ces expositions ont permis d'affirmer le champ
muséal de l'institution :
151 «The campaign was heavily questioned by museum
professional - but very successful with the rest of population» ,
Peter Ludvigsen, History of the Workers Museum in Denmark, International Labor
and Working-Class History, No. 76, Public History And Labor History, 2009, pp.
44-53
102
C'est bien la vie quotidienne que le musée expose de
façon permanente. Depuis, l'exposition permanente du musée s'est
vu enrichir d'une donation portant sur un intérieur entier d'habitat
ouvrier datant de 1915. Cela confirme d'autant plus la volonté
d'inscription de ce musée dans la vie quotidienne des ouvriers. Depuis,
le musée a notamment fait l'acquisition de nombreuses photographies et
en possède une collection importante.
ii- La recherche d'un modèle
Ce que ces deux exemples emblématiques
démontrent est le modèle mouvant d'un musée de patrimoine
ouvrier. Ils interrogent la façon dont le patrimoine ouvrier est
présenté et font poser un regard sur le rôle primordial des
équipes de ces musées. Car, ces musées ne sont pas des
écomusées bien que certaines pratiques s'en inspire directement,
comme dans la constitution des collections notamment. Ce ne sont pas non plus
des musées communautaires bien que leur objet favorise une
identification spécifique des publics qui le visitent. Ils ne sont pas
non, plus des musées de science, car le discours porté ne porte
pas spécifiquement sur les techniques. Il nous semble que les
musées de patrimoine ouvrier sont définis par un ensemble
polymorphe, qui cherche encore un modèle précis. Aussi, leur
gouvernance interroge les discours qui seront transmis aux visiteurs.
D'ailleurs la refonte du musée de l'Histoire Vivante vise à
interroger et mettre en pratique un nouveau modèle possible, encore loin
d'être arrêté.
A la lumière de l'histoire de ces deux musées
nous pouvons tenter d'établir un premier schéma correspondant aux
étapes de construction d'un musée de patrimoine ouvrier :
103
Nous distinguons cinq étapes dans la constitution d'un
musée de patrimoine ouvrier :
- Premièrement, la création de ces musées
se fonde sur des volontés politiques. Comme nous l'avons souligné
ce sont trois élus communistes qui ont initié le Musée de
l'Histoire Vivante à Montreuil. En ce qui concerne le Workers Museum ce
sont les ouvriers habitant autours du hall ainsi que les organisations
syndicales d'alors qui ont initié et émit la demande d'un
musée portant sur les ouvriers.
- Deuxièmement, une fois la revendication d'un
musée traitant des ouvriers exprimée nous assistons à la
recherche de légitimation du musée. Dans le cas du musée
de l'Histoire Vivante à Montreuil la légitimité du
musée s'est faite assez
104
rapidement, le Front Populaire étant alors au pouvoir
en France (1939), le musée a très rapidement accueilli des
personnalités politique de premier plan comme le président de la
chambre des députés. Dans le cas du Workers Museum la
légitimité politique s'est faite plus difficile à
acquérir. Mais, comme nous l'avons vu, la volonté de trois
députés à réussi à créer une
majorité parlementaire a fait inscrire le musée dans le budget
danois de 1984. Cette recherche de légitimité est fondamentale en
matière de musée traitant de patrimoine ouvrier en ce qu'elle
permet de reconnaître l'objet qui y est traité, et par
là-même assure la reconnaissance de cette classe sociale, de
manière plus générale. Plus globalement, les objets du
patrimoine ouvriers sont assez volatiles et sujets à une disparition
facile. En effet, que ce soit les matériaux utilisés pour les
confectionner, qui ne sont pas forcément d'une très bonne
qualité ou encore, de manière plus insidieuse, ces objets n'ayant
pas de valeur historique, ils sont facilement jetés ou détruits.
Les musées de patrimoine ouvrier cherchent cette reconnaissance
politique car ils sont également les institutions qui se chargent de les
collecter et de les protéger, or, pour qu'un bien soit unanimement
reconnus comme ayant de la valeur, la légitimité politique
devient majeure.
- Troisièmement, nous assistons dans
le cas de ces musées à l'importance de la constitution d'une
collection. Bien que cela soit la norme en matière de musée, dans
le cas du patrimoine ouvrier cela devient un enjeu majeur dans le but de
reconnaissance de l'établissement et qui permet de le détacher
d'une vision militante. De fait, ces musées étant
créés sur des volontés politiques, il convient pour leur
pérennité de constituer une collection qui leur permettent
d'affirmer leur rôle. Aussi, et d'un tout autre point de vue, nous
assistons à la volonté de création de ces collections dans
un but historique. Le fait que les objets ayant attrait aux ouvriers semblent
disparaître et ne pas être entretenus encourage ces musées
à les collecter de manière active. De ce fait, le rôle
historique de ces objets est mis en valeur. Dans le cas du Workers Museum nous
avons vu la méthode consistant à inciter les ouvriers aux dons,
et, dans le cas du Musée de l'Histoire Vivante, à
105
proposer directement à ces visiteurs d'investir dans
l'acquisition de certains objets
152
.
- Quatrièmement, nous remarquons
l'importance des premières expositions de ces musées dans
l'affirmation de leur objet. Cela leur permet, en plus de s'ouvrir aux publics,
de pouvoir affirmer leur place dans l'espace muséal. Ainsi, les
premières expositions du Workers Museum constituent aujourd'hui leur
exposition permanente. Cela leur a permis d'ancrer plus spécifiquement
leur collection portant sur la vie quotidienne des ouvriers en premier lieu.
Nous assistons dans le cas du musée de l'Histoire Vivante à un
tout autre processus. Le musée ayant changé de nom et de forme
plusieurs fois au cours de son histoire, la première exposition ne
reflète plus la forme actuelle du musée. En revanche, les
premières expositions depuis 2015, démontrent un musée
traitant de sujet historique varié et d'un regard critique sur ces
anciennes expositions. A titre d'exemple , «1914-2014, l'impossible
oubli» ; «Grandir après la shoah» ;
«Femmes en métiers d'hommes» ; «1936 :
nouvelles images, nouveaux regards sur le front populaire» , sont les
expositions (Annexe 17) qui affirment les contenus nouveaux du musée.
Ces présentations démontrent la volonté pour le
musée de traiter des sujets de société, des sujets
d'histoire mais aussi de poser un regard sur son engagement politique. Ainsi,
les premières expositions constituent véritablement un important
ressort au positionnement du musée, et de façon plus
générale à la manière dont il sera
appréhendé par le public.
C'est pourquoi, en dernière étape de
légitimation d'un musée de patrimoine ouvrier, nous avons choisi
de présenter la légitimation des publics. Il s'agit selon nous de
l'ultime étape de validation du musée et cela permet son
inscription pleine et entière dans le paysage muséal mais aussi
du territoire dans lequel il s'inscrit. Dans le cas de l'histoire vivante
à Montreuil, le succès de ces
152 Actuellement le musée cherche à réunir
des dons pour l'acquisition de bustes de Lafargue, Marx et Jean Longuet. En
plus d'inviter la municipalité ou la région à
réunir les fonds nécessaires, il propose à son public
d'investir.
106
153
expositions et l'influence grandissante de ce musée sur
le territoire . Le Workers Museum - Arbejdermuseet a, quant à lui, assit
définitivement son importance dans le paysage muséal danois. La
première exposition portant sur la vie quotidienne dans les
années 50 a permis aux publics de se sentir investi dans le
musée. Par-delà de comprendre le propos, ils se sont sentis
partie prenante et cela a favorisé le nombre de visites très
importants pour le musée (Ludvigsen 2009). A cette époque pas
moins de 100 000 entrées ont été dénombrées
dans le musée. Les publics ont donc fini de le faire compter parmi les
musées importants du Danemark.
iii- La difficile présentation des collections,
perception et discours
Cette analyse du musée de l'Histoire vivante et plus
généralement d'un musée de patrimoine ouvrier, grâce
à la présentation de l'Arbejdermuseet, nous montre le champ
d'application d'un musée de patrimoine ouvrier aujourd'hui. Bien que ces
deux musées se situent dans deux pays différents, leur points
communs ne font aucun doute : leur origine de création, la recherche de
légitimation de leur objet, l'importante volonté d'acquisition.
Ils mettent également en exergue la difficulté d'un musée
de patrimoine ouvrier : Comment montrer sans être partisan ? Comment
politiser ses collections sans se voir attribuer une notion de propagande ? Ces
deux questions constituent selon nous la principale difficulté d'un
musée de patrimoine ouvrier aujourd'hui. Cependant, ces remarques
s'attachent aux musées d'histoire plus généralement. Elles
prennent une tournure particulière dans les musées de patrimoine
ouvrier car se situant en lien direct avec l'objet qui font leur existence,
à savoir les ouvriers. Ces questions, bien que communes aux
musées
153 On pense notamment aux journées d'étude
régulièrement organisé par le musée et qui
impliquent des acteurs locaux. Nous avons assisté à ce sujet
à la journée d'étude organisé par le musée
et portant sur la désindustrialisation à Montreuil , qui
s'est tenue en octobre 2019, nous avons ainsi constaté l'importance du
musée pour le territoire montreuillois. AInsi, le maire de Montreuil
lui-même est venu ouvrir la journée et à mis la salle des
fêtes de la mairie à la disposition des équipes du
musée. Aussi, les intervenants qui mêlait à la fois des
professionnels, ou des chercheurs, a vu se succéder des habitants de
montreuils, ce qui inscrit le musée dans son territoire et montre
l'importance des publics qui le composent comme «tant parti prenante de la
vie de la ville.
107
d'histoire ne semblent pour l'instant pas avoir obtenu de
réponse admise par tous les membres de la communauté
muséale. Nous avons soulevé les points communs de ces deux
musées, mais dans l'application de ces questions, leurs réponses
semblent fondamentalement opposées. Le Workers Museum trouve sa
légitimité scientifique en proposant l'exposition de la vie
quotidienne, ce qui lui permet de pouvoir justifier son propos quand son objet
est plus engagé politiquement, à savoir les conditions de travail
par exemple. Le Musée de l'Histoire vivante quant à lui, semble
prendre le contrepied de ce type de présentation. En effet, il affirme
dans ces statuts le caractère militant de l'institution «le
musée poursuit sa démarche de livrer au public une histoire
engagée mais indépendante d'objectifs
154
politiques qu'auparavant on lui fixait » et
l'association pour l'Histoire vivante de confirmer «rester
fidèle à une histoire du peuple et des dominés, une
histoire des dominations, une histoire aussi des combats pour
l'émancipation humaine. 155 ». Cela nous paraît la
véritable exposition du patrimoine ouvrier. Car, bien que les objets de
ces deux musées soient similaires, leurs présentations et les
propos qui les accompagnent sont complètement différents. Non pas
qu'ils se contredisent, mais que l'objet de ces musées ne soient
finalement pas les mêmes. Cela nous prouve la recherche nécessaire
d'un modèle muséal dans l'exposition du patrimoine ouvrier. Ces
deux modèles, celle de l'affirmation militante de l'objet du
musée, et, celle de l'affirmation de l'histoire du mouvement ouvrier
dans la vie
156
quotidienne semble être les deux visions qui s'opposent
aujourd'hui en matière de modèle muséal. Car, cette
idée de vie quotidienne cache, selon nous, l'idée de musée
des gens du communs, auxquels les ouvriers sont évidemment
associés. Mais, il ne s'agit pas pour autant d'un musée de
patrimoine ouvrier. Cela constitue selon nous la véritable remarque
à la vue de cette analyse des musées de patrimoine ouvrier. Ces
deux modèles nous semblent en confrontation car ne traitant pas de la
même chose. Aussi, l'idée d'exposition des gens du communs
154 Musée de l'Histoire Vivante, Histoire du musée,
op.cit.
155 Musée de l'Histoire Vivante, L'association, disponible
en ligne :
http://www.museehistoirevivante.fr/le-musee/l-association
[consulté le 15 juin 2020]
156 Un autre exemple se situe dans le musée de Manchester,
People's History Museum, étant auparavant le musée du labour et a
changé son objet pour épouser l'idée de l'exposition de la
vie quotidienne.
108
semblent prendre le pas sur les musées de patrimoine
ouvrier, dans la mesure où le Workers Museum notamment, est à
l'initiative d'une proposition de classement de
157
plusieurs monuments en Europe portant sur le patrimoine
ouvrier . Cette initiative prouve bien l'avance que prend le Workers Museum
dans la représentation du modèle d'un musée de patrimoine
ouvrier. Car, là où le musée de l'Histoire vivante peine
encore à faire reconnaître son sujet dans son propre pays, le
Workers Museum est lui complètement reconnu et nationalisé.
Cela fait changer le sujet d'échelle dans la mesure
où c'est bien sur la liste du patrimoine mondial que le musée
souhaite aujourd'hui affirmer sa légitimité. Mais, pourtant,
comme nous l'avons vu précédemment à travers l'inscription
du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, la vision française du
patrimoine ouvrier peut s'affirmer, bien qu'elle soit encore assez silencieuse.
Ce qui le prouve est constitué dans les éléments
présentés par le Workers Museum pour une inscription, qui
étaient constituée dans les bourses du travail de plusieurs pays
européens ne s'est pas faite contrairement au bassin minier du Nord. Or,
la vision du patrimoine ouvrier que propose le Workers Museum nous paraît
beaucoup plus facilement acceptable, car en présentant la vie
quotidienne, elle répond aux objectifs du patrimoine : Rassembler et
unir. La vision militante du patrimoine ouvrier du musée de l'histoire
vivante qui revendique l'inscription militante de son propos nous paraît
particulièrement intéressante car elle n'empêche pas un
travail scientifique rigoureux .
157 Peter Ludvigsen (2013) Workers' Assembly Halls as a
Proposition for
UNESCO's World Heritage, International Journal of Heritage
Studies, 19:5, 408-438, DOI: 10.1080/13527258.2012.675509
109
Chapitre 5 - Un impact touristique et
économique
Préambule
La présence de plus en plus grande du patrimoine
ouvrier sur le territoire fait surgir une nouvelle manière de le
présenter. Comme nous avons pu l'observer, le tourisme agit
véritablement comme une ressource pour les territoires. Le patrimoine y
occupe une place non négligeable. Le tourisme, au-delà du champ
culturel important qu'il occupe, se révèle un agent
économique de premier ordre. Leïla Kebir propose d'ailleurs un
schéma permettant de comprendre la création d'une ressource de
point de vue touristique :
Source : Ressources, patrimoine, territoires et
développement durable, Kebir, 2004, p.72
L'objet qui se mêlent au système de production,
incarné dans notre cas par les territoires deviennent devient alors une
ressource touristique. C'est pourquoi, le patrimoine occupe aujourd'hui un
champ majeur du développement touristique. Le patrimoine ouvrier est
d'ailleurs particulièrement concerné dans la mesure où les
bâtiments notamment, aux caractéristiques souvent gigantesques
peuvent constituer un espace touristique particulièrement attractif. Le
patrimoine ouvrier,
110
d'un point de vue touristique et économique s'incarne
dans trois domaines particuliers : 1- Le label d'Entreprise du patrimoine
vivant ; 2- Le tourisme industrie l ; 3- La visite
d'entreprise . C'est de ces trois domaines constitutifs d'une
économie particulière du patrimoine ouvrier dont il sera question
dans cette dernière partie. Car, étant un domaine à la
croissance grandissante il nous paraît opportun d'en étudier les
dynamiques et les attributions que chacun de ces domaines se donne afin d'y
faire apercevoir les ressorts liés au patrimoine ouvrier.
a- Les nouvelles qualifications du patrimoine ouvrier i- Label
d'Entreprise du Patrimoine Vivant
Le label d'Entreprise du Patrimoine Vivant s'inscrit dans une
volonté pour les autorités de reconnaissance des entreprises,
dans la même démarche, le tourisme industriel fait se rencontrer
touriste de passage et industrie, à la découverte de sites
majeurs en France. L'inscription du travail dans la sphère patrimoniale
se
158
développe de plus en plus . C'est dans cette
lignée que le label EPV - Entreprise du Patrimoine Vivant a
été créé en 2005, dépendant du
Ministère de l'Economie et des Finances. Il s'agit d'un label
d'état qui récompense les entreprises aux savoir-faire artisanaux
ou industriels distinctifs : «Le label Entreprise du Patrimoine Vivant
(EPV) est une marque de reconnaissance de l'Etat mise en place pour distinguer
des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels
d'excellence.» L'idée d'une «reconnaissance» de la
part des services d'état est donc avancée comme le premier
argument pour les entreprises qui souhaitent en être
créditées. Ce label est décerné pour une
durée de cinq ans et s'accompagne d'avantage économique et d'une
forte communication sur tout le territoire. Ainsi, nous pouvons lire dans la
présentation officielle de ce label : « Ce label peut apporter
une médiatisation nationale voire internationale à votre
158 Nous pouvons notamment penser en 2012 à
l'inscription des compagnons du devoir au patrimoine mondial de l'Unesco. Bien
que cette inscription soit aussi dû aux rites qui accompagnent ces
corporations, c'est bien à l'origine, le travail qu'ils effectuent qui
relève de la création de ces organisations et qui les distinguent
entre-elles.
111
activité, favoriser son développement et
peut s'accompagner d'un régime fiscal
159
avantageux. ». De ce fait, la reconnaissance
qu'apporte ce label amène des avantages économiques et
communicationnelles, avantages que donne également une reconnaissance
patrimoniale. Aussi, nous remarquons que l'utilisation du terme «Label
d'entreprise vivant» semble plutôt un label des
«métiers vivant», car ce sont bien les métiers
qui sont distingués, le site du Ministère de l'Economie et des
Finances au-delà du type d'entreprise, précise bien «les
métiers» qui peuvent relever de ce label. Ainsi, l'idée
d'entreprise n'est pas ce qui guide l'attribution de ce label, ce sont les
métiers qui y prennent place qui sont affirmés, sur le site du
Ministère de l'économie, avant même le descriptif des
intérêts communicationnels ou fiscaux, sont
présentés dans une rubrique «Quels sont les
160
métiers concernés par le label EPV ? »
, plus précisément les métiers en lien à
161
l'art, la gastronomie ou l'industrie . Or, les métiers
de l'industrie concernent, entre autres, les ouvriers, ce qui justifie d'autant
plus que ce label communique de manière privilégiée avec
le patrimoine ouvrier. Être ouvrier n'est pas seulement un statut comme
il est courant de le penser où de le percevoir, c'est aussi une
catégorie de métier comme le confirme l'INSEE.
159 Site du Ministère de l'Economie et des Finances,
Quels sont les métiers concernés par le label EPV ?,
https://www.economie.gouv.fr/entreprises/label-entreprise-patrimoine-vivant-avantage-vot
re-entreprise , [consulté le 19 mars 2020]
160 Ibid.
161 « Les métiers liés à l'art
et à la culture, en raison de leurs méthodes de travail
avancées, de la rareté de leurs
équipements et de leur portée culturelle. Baccarat,
Chaumet ou Hermès figurent notamment parmi les
entreprises récompensées.
Les métiers de la gastronomie, pour la
reconnaissance des tables de prestige comme Dalloyau, Biscuits Fossier,
Chocolaterie de Puyricard, Caviar Petrossian ou encore Champagne Bollinger, les
terroirs et les spécialités.
Les métiers de l'industrie qui développent
et utilisent des technologies de pointe, de la propriété
intellectuelle à très haute valeur ajoutée et qui
sauvegardent des fabrications traditionnelles. Des entreprises de secteurs
aussi divers que l'optique (Thales Angenieux) et la fabrication de gants de
sécurité (Espuna) sont ainsi distinguées.», Site
du Ministère de l'Economie et des Finances, «Quels sont les
métiers concernés par le label EPV ?» ,
https://www.economie.gouv.fr/entreprises/label-entreprise-patrimoine-vivant-avantage-vo
tre-entreprise, [consulté le 19 mars 2020]
112
Aussi, le motif économique occupe une place majeure, ce
qui nous l'indique en premier lieu est le ministère qui guide ces
attributions. Les entreprises représentées occupent une place
prestigieuse dans chacun de leurs domaines. Plus spécifiquement, les
entreprises peuvent prétendre à ce label si elles
possèdent un patrimoine économique spécifique .
Les critères répondant à cette distinction sont
présentés comme suit :
1. Critères indiquant la détention d'un
patrimoine économique spécifique :
- L'entreprise possède des équipements,
outillages, machines, modèles,
documentations techniques rares.
Et/ou
- L'entreprise détient des droits de
propriété industrielle liés à ses produits,
à ses
services ou à ses équipements de production
;
Et/ou
- L'entreprise met en oeuvre une démarche active de
création ou d'innovation
pouvant générer un réseau de
clientèle significatif. 162
Ce label est surtout un outil de communication
phénoménal pour les entreprises qui le décroche. Elles
font ainsi partis d'un véritable réseau qui couvre l'ensemble du
territoire et relayé par les plus hautes instances politiques
françaises. Cela leur permet notamment de s'inscrire dans la nouvelle
tendance du Tourisme Industriel . Véritable outil de mise en
valeur, ce label leur apporte une reconnaissance des instances dirigeantes et
les valorisent. La publicité qui découle d'une telle
labellisation représente des milliers d'euros que beaucoup ne peuvent
pas se permettre d'investir. Il s'agit donc d'un véritable outil de
puissance pour ces entreprises qui se distinguent ainsi de la concurrence qui
peut avoir lieu dans chacun de leurs domaines.
ii- Le tourisme industriel
Le tourisme industriel a été la première
mission de l'Agence de Développement de la Visite d'Entreprise (ADEVE)
conçue comme le lobby des industriels
162 Critères d'appréciation d'un patrimoine
économique spécifique, site officiel EPV - Entreprise du
Patrimoine Vivant,
http://www.patrimoine-vivant.com/fr/criteria
, [consulté le 20 mars 2020]
113
français à la rencontre du marché de
l'économie du tourisme. L'ADEVE s'est beaucoup transformé et se
nomme désormais «Entreprise et Découverte»
avec ce
163
slogan «A la rencontre de nos savoir-faire ».
Or, un savoir-faire ne se rencontre pas, c'est une personne qui le met en
application et le possède. Cette tournure de phrase laisse imaginer que
le savoir-faire pourrait exister sans artisan ou ouvrier, ce qui est bien
sûr impossible. Ainsi, pour observer des savoir-faire, il faut, observer
les personnes le possédant. Dans l'industrie, cette possession se
traduit par les ouvriers. Ainsi, il ne s'agit pas de rencontrer nos
savoir-faire mais bien de rencontrer les personnes qui l'appliquent.
Agissant comme la référence du tourisme industriel en France,
Entreprise et Découverte a lié de nombreux partenariats
et se présente comme suit «Entreprise et Découverte est
l'association nationale de la visite d'entreprise, qui a pour objet la
valorisation et la promotion
164
de la filière visite d'entreprise (ou tourisme de
savoir-faire). » Nous remarquons l'utilisation du terme
«filière visite d'entreprise» (ou tourisme de
savoir-faire)» cette manière de présenter le tourisme
industriel nous éclaire à bien des égards. D'une part, le
tourisme d'entreprise est considéré comme une
«filière» ce qui justifie le fait qu'il fasse partie d'un
marché plus global dans lequel il occupe une position en expansion.
Pensé comme un véritable outil du développement
territorial le tourisme industriel à vocation à dynamiser les
régions. Le très fort pouvoir économique qu'il en ressort
montre que ces entreprises ne sont plus parties de l'économie uniquement
avec les produits qu'elles conçoivent, produisent et vendent, mais bien
avec l'entièreté de ce qui les compose : allant du
bâtiment, à son personnel, en passant par ses machines. Le
tourisme industriel fait devenir agent économique dans un même
ensemble : le bâtiment, les ouvriers, les dirigeants, les produits, les
techniques et les machines. Ainsi les entreprises qui souhaitent s'inscrire
dans les démarches de tourisme industriel deviennent d'une certaine
manière des global au même titre que le patrimoine
classé à l'Unesco. La réussite et l'expansion de ce
modèle est incarné par la sortie récente d'un Guide du
163 Site internet Entreprise et découverte
, https://www.entrepriseetdecouverte.fr/ , consulté le 2
avril 2020,
164 Entreprise et découverte , op.cit ,
page d'accueil
114
Routard sur la visite d'entreprise. Débutée en
2016, cette édition du routard est une réussite car
rééditée tous les ans depuis son lancement. Nous
remarquons également l'utilisation de nombreux termes pour ne pas
qualifier outre mesure le tourisme industriel, nous retrouvons le
«tourisme de savoir-faire», la «visite d'entreprise»,
«le tourisme d'entreprise vivante» etc. Nous pouvons également
notifier que le label d' Entreprise du Patrimoine Vivant et le
développement du tourisme industriel s'inscrivent dans la même
démarche : Les EPV valorisent le produit à la sortie, le tourisme
industriel en valorise le mode de production (par les visites qui y sont
organisées et la valeur de transparence qu'elle insinue).
b- Tourisme industriel, visite d'entreprise : limites et
obstacles
i-Les rapports d'échanges touristique et
économique
Essaie de visualisation des rapports d'échange du
tourisme industriel :
Source : Agnès Ghonim, 2020
Aussi, nous remarquons que de nombreuses entreprises
possédant le label EPV
165
sont également partie du guide du Routard sur
les visites d'entreprises, cela montre la corrélation et le lien
très fort qu'il existe entre ces deux manières de
présenter les entreprises aujourd'hui.
165 Guide du Routard, Visite d'entreprise en France, Hachette,
Paris, 2019
115
(c) Manufacture Bohin , La visite d'entreprise en France avec le
Routard,
routard.com
Cette photographie choisie par les équipes du Guide
du routard pour illustrer les visites d'entreprises montre la mise en
scène des ouvriers qui se pratique. Ils sont alors vu comme des
pièces de musées, nous assistons à la
théâtralisation du travail.
D'un point de vue strictement économique, il s'agit
là d'une véritable plus-value agissant comme un outil de
communication, le tourisme industriel permet de faire connaître des
produits et augmente les possibilités de vente en construisant par
166
ailleurs, une image plus que positive dans le regard du
consommateur . Le
166 Assemblée des chambres de commerces et d'industrie,
La Visite d'entreprise un projet de territoire , : «Pour
l'entreprise, s'ouvrir au public, dans le cadre d'un circuit de visite
programmé, permet de communiquer « autrement », de valoriser
son image, de se différencier, de motiver son personnel, ou encore de
fidéliser sa clientèle. L'entreprise y gagne ainsi en termes de
notoriété et d'attractivité. En outre, dans la plupart des
cas, la vente de produits sur place permet de développer un chiffre
d'affaires parfois non négligeable. », pp.5-6, 2012
116
simple fait que le visiteur passe par le canal du tourisme,
révèle qu'il pense être est vu comme un touriste et non
comme un client, bien que cela ne corresponde pas à la
réalité ; en effet, la plupart des entreprises, soit 69%,
disposent d'un espace de vente par lequel le visiteur termine sa visite, et
où plus de la moitié des visiteurs repartent en ayant
consommé un produit.
Comportement d'achat des visiteurs selon le type de
visite (payante ou gratuite) :
Enquête TDE 2006 - ACFCI / Direction du Tourisme -
Août 2007
Par cela, un modèle en B to C se
développe et est très favorable aux entreprises. Ainsi, le
consommateur se rend directement dans les entreprises qui n'ont pas à
chercher cette clientèle dans la mesure où les guides
touristiques agissent pour eux comme de véritables
intermédiaires. L'entreprise vend ses produits ou un
«souvenir» de la visite et s'offre un formidable outil de
communication. L'enquête réalisé en 2006 par l'
Assemblée des chambres françaises de commerces et d'industrie
ainsi que la Direction du tourisme rapporte que la visite
d'entreprise est à la fois « un produit ou une prestation
touristique , un outil de communication
167
événementielle , un outil de
développement économique » . Nous apprenons
également dans cette enquête que 8,2 millions de personnes ont
visité une entreprise en activité en 2006. D'un point de vue
patrimonial, cela nous semble tout à fait significatif, nous assistons
à une sorte d'inversion du processus patrimonial. D ans la visite
d'entreprise ce sont des produits qui deviennent patrimoine, alors que le
schéma habituel veut que ce soit des patrimoines qui deviennent
économique.
167 Enquête, Assemblée des Chambres
françaises de commerce et d'industrie en partenariat avec la Direction
du tourisme, Le tourisme de découverte économique en France
en 2006 , 2007
117
La visite d'entreprise est en lien très
privilégié avec le patrimoine ouvrier, Entreprise et
découverte annonce ainsi dans son à propos :
«Découvrir les savoir-faire, les hommes derrière les
machines, comprendre comment ça marche, valoriser le made in France ...
autant de valeurs qui nous sont chères et que nous
168
défendons à travers cette pratique de la
visite d'entreprise ! » . Les savoir-faire mis en avant et les
ouvriers qui les produisent montrent que la société leur
reconnaît un patrimoine. Pour autant, ce qui est reconnue est la
technicité qu'ils possèdent dans le mode de production.
L'histoire sociale n'est pas du tout exposée, cela ne peut pour autant
pas agir comme une critique dans la mesure où est mis en avant
l'industrie et la visite d'entreprise, il n'est à aucun moment question
dans la publicité que l'on fait à ce type de visite des ouvriers
et de leur histoire.
L'assemblée des chambres de commerce et d'industrie a
publié un petit
169
guide intitulé «La visite d'entreprise, un
projet de territoire ! » en 2012. Le préambule écrit
par André Marcon est parlant quant au lien très fort avec le
patrimoine ouvrier :
« En 1999, le rapport sur le « Tourisme de
Découverte Économique » publié par l'ACFCI pour le
Conseil National du Tourisme, marquait une étape importante en
conférant à la visite d'entreprise une légitimité
en tant que pratique touristique, au même titre que la visite des
musées techniques et
170
scientifiques, des éco-musées ou des sites
industriels patrimoniaux. »
Le tourisme industriel est donc aussi nommé
«Tourisme de Découverte économique» ce qui appuie
l'intérêt financier qu'il ressort de ce type de pratique. Aussi,
nous remarquons un point commun au patrimoine ouvrier : la recherche de
légitimation. En ce cas précis nous comprenons que
l'écriture de ce rapport en 1999 a encouragé cette pratique par
de très hautes instances ce qui a favorisé que
168 Site Entreprise et découverte, Qui sommes nous ?
,
https://www.entrepriseetdecouverte.fr/qui-sommes-nous/
, [consulté le 7 avril 2020]
169 La visite d'entreprise un projet de territoire !,
op.cit.
170 Ibid. , p.1
118
ce tourisme perdure et se légitimise. Aussi nous
remarquons dans ces quelques lignes la volonté pour l'auteur de
justifier la place qu'occupe de manière patrimoniale cette pratique. Ce
n'est pas un hasard si la justification de cette pratique est mise en
parallèle des musée techniques et scientifiques ,
des éco-musées et des sites industriels patrimoniaux
. Il s'agit donc d'un tourisme à la recherche de justification
patrimoniale, pour cela un comparatif est exprimé afin d'asseoir la
place de cette nouvelle pratique, dans le but, il nous semble, de se
détacher de l'idée très lucrative que l'on peut se faire
de ce type de pratique. De manière plus générale, le
secteur du tourisme représente une manne financière assez
considérable, pour en attester nous pouvons nous référer
à la part croissante qu'occupe ce secteur dans le PI3 français
qui représente 7,4% en 2018.
Ministère de l'économie et des finances,
Direction Générale des Entreprises, Le 4 pages N°91 - La
croissance de la consommation touristique en France se confirme en 2018,
Tableau n°2, Poids de la consommation touristique dans le PI3 en 2018
171
:
Cette place non négligeable dans le PI3 français
n'avait pas été aussi élevé depuis 2014, nous
précisons néanmoins que la crise sanitaire du Covid -19 a mis
à l'arrêt
171 Ministère de l'Economie et des Finances, Le 4 pages de
la DGE, Études Économiques, N°91, Décembre 2019
119
complet et total les entreprises du secteur, les chiffres pour
2020 seront donc nettement en baisse, l'évolution touristique sera
à analyser dans la mesure où les visiteurs étrangers par
leur consommation prenait part à la présence importante de ce
secteur dans le produit intérieur brut. Les habitudes touristiques vont
être très certainement bouleversées et nous assistons
à ce jour (5 mai 2020) à une importante campagne d'encouragement,
voire d'impossibilité d'autres choix, pour les français, de
voyage et de tourisme sur le territoire. Il sera intéressant d'observer
les chiffres du tourisme industriel à la fin de cette période.
ii- Tourisme et territoire : Authenticité et
identification
Au-delà du territoire français le tourisme est un
élément majeur de l'économie
172
mondiale . Le patrimoine représente un
élément clé du secteur touristique, le tourisme industriel
quant à lui permet la mise en valeur du patrimoine industriel
173
notamment. Sa croissance fait porter en bonne place ce nouveau
tourisme . Pour autant, le tourisme industriel ne s'intègre dans le
paysage touristique d'une région que s'il répond à
plusieurs critères, notamment celui d'un partenariat aigu avec les
instances de villes et de régions. En effet, sans l'appui de ces acteurs
locaux les éléments du tourisme industriel ne trouvent pas de
légitimité patrimoniale, dans un paysage bien souvent
façonné par l'absence de patrimoine en dehors des
172 Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE), Poids économique du
tourisme , «Le secteur des services joue un rôle de moteur
dans la croissance de la plupart des pays de l'OCDE ; sa part dans
l'activité économique ne cesse de progresser. Secteur
d'activités vaste, complexe et morcelé, le tourisme reste
très difficile à définir et à mesurer et constitue
une composante majeure de l'économie de services (30 % des
échanges internationaux de services dans la zone OCDE). En termes de
recettes, les pays de l'OCDE génèrent environ 70 % de
l'activité touristique mondiale. Après avoir connu un essor
spectaculaire depuis une trentaine d'années, le tourisme devrait
continuer à se développer parallèlement à
l'accroissement du degré de prospérité et de
mobilité de la société.» ,
https://www.oecd.org/fr/cfe/tourisme/poidseconomiquedutourisme.htm
, [consulté le 4 avril 2020]
173 Ministère de l'Economie et des Finances, Le tourisme
industriel, «13 millions de visites ont eu lieu en 2014 dont plus d'1
million d'étrangers.» , 2017,
https://www.entreprises.gouv.fr/tourisme/tourisme-industriel
, [consulté le 20 avril 2020]
120
174
habituels châteaux ou jardins. Ainsi, Franck Debos
résume dans un tableau les avantages et limites du tourisme industriel
:
174 Franck Debos, Le développement du tourisme :
facteur de valorisation du patrimoine industriel ? Processus,
Problématiques, Enjeux du patrimoine industriel , Séminaire
international 21, 22, 23 et 24 juin 2012 à Baia-Maré (Roumanie)
SALLE DES CONFÉRENCES Centre Des Affaires Millenium III, 2012, Roumanie.
p 1-14.
121
Les avantages et limites décrit par Franck Debos du
tourisme industriel montre différent niveau de compréhension.
Ainsi, nous remarquons que la pérennité d'un site patrimonial
intégré dans un cursus de tourisme industriel ne pourra se faire
que si d'autres acteurs locaux s'y consacrent également. Ainsi,
l'importance des institutions locales et régionales, l'implication des
habitants alentours, ou l'intégration du dit endroit dans un programme
de niveau national notamment, peuvent permettre de pérenniser ce qui
relève du patrimoine industriel. Pour
122
autant, il nous faut souligner l'importance des récits
in situ dans la réussite ou non d'un site patrimonial.
S'inscrire dans une logique patrimoniale dans la seule perspective de relever
du tourisme industriel nous paraît plus que limité. Certes, la
patrimonialisation est sans aucun doute le remède à une
disparition, cependant, à l'échelle d'un territoire, le
patrimoine peut devenir uniquement une ressource, ce qui in fine ,
complique sa sauvegarde si elle n'est pas motivée dans une certaine
quête d'authenticité, ou, dans une moindre mesure, si elle n'est
motivée que par des aspects rentables, l'authenticité qui fait la
valorisation d'un patrimoine peut alors s'en trouver altérée.
L'échec du Parc Minier Tellure du Val d'Argent nous montre les limites
et les faiblesses du tourisme industriel quand la patrimonialisation n'est
pensée que dans le but d'une inscription touristique. Le rapport de la
Cour des Comptes souligne les limites intrinsèques à ce type de
lieu. Le rapport intitulé «Le parc minier Tellure du Val
d'Argent (Haut-Rhin) : un échec annoncé», publié
en 2012 ne laisse aucun doute quant au fiasco qu'a été ce parc.
Ainsi, la seule volonté d'inscription dans un tourisme dit industriel
comme moteur de patrimonialisation et de pérennité de lieux ne
peut se produire : «Porté par la communauté de communes
du Val d'Argent, le projet devait contribuer à redynamiser la
vallée, en favorisant le développement touristique sur un
territoire
175
économiquement sinistré à la suite du
déclin de l'industrie textile. ». Aussi, cela n'est pas sans
rappeler l'importance géographique que prend le patrimoine ouvrier. Le
patrimoine, en devenant comme nous l'avons vu, une ressource pour les
territoires, vient se confronter à des intérêts qu'il ne
peut supporter en son seul nom. Cet échec laisse envisager, comme nous
l'avons remarqué précédemment, la recherche d'un
modèle de présentation et d'intégration dans un projet de
territoire du patrimoine ouvrier. Finalement, nous aurions tort de penser que
le tourisme que soulève le patrimoine ouvrier ne se produise que par
l'intérêt économique qu'il en ressort. En fait, le tourisme
permet une identification des territoires. Cela génère
175 Rapport public annuel 2012, Le parc minier Tellure du Val
d'Argent (Haut-Rhin) : un échec annoncé , disponible en
ligne :
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/Parc
minier tellure val d argent.pd f , consulté le 6 mai 2020
123
alors une identité, et c'est bien cette identité
qui sera facteur de visite touristique. Nous ne sommes donc pas seulement face
à un intérêt économique, nous sommes face à
la défense d'une identité collective. Or, le tourisme industriel
dans cette continuité prend un sens nouveau. Le territoire et ses
acteurs pouvant se référer à ce qui fait
l'attractivité de leur région, à savoir ses industries.
Les ouvriers occupent donc un rôle majeur dans la valorisation de ce
tourisme, ils influent sur le mode de perception des touristes et occupe une
place non négligeable dans la projection d'une identité
commune.
Que ce soit les EPV, ou la visite d'entreprise, toute deux
composante essentielles du tourisme industriel, l'intérêt
financier que soulève ces pratiques n'est pas a négliger. Ainsi,
comme le souligne Di Méo :
«On connaît l'importance des valorisations
touristiques du patrimoine. D'autres formules s'attachent à la livraison
de produits d'origine certifiée, parfois organisés et vendus en
« paniers ». Il s'agit de véritables bouquets de biens de
consommation, enrichis d'une valeur patrimoniale (idéologie) et
constituant une sorte de réseau territorial de production. Ainsi, la
fonction patrimoniale confère une plus-value incontestable aux
ressources territoriales qu'elle tend à constituer. Elle contribue
d'ailleurs, plus largement, à l'édification
176
de territoires qui, à leur tour,
génèrent de la justification patrimoniale. »
De ce fait, la valorisation qu'apporte ce type de tourisme
nourrit un véritable maillage économique, en plus de
crédibiliser une identité territoriale nécessaire au
discernement des régions et lieux pour les futurs visiteurs. Or, les
ouvriers occupent une place majeure dans ce type de pratique, bien qu'ils ne
soient pas nommés en tant que tel, leur travail est
sur-représenté. Que ce soit dans le slogan de l'ADEVE «
À la rencontre de nos savoir-faire ». Dans le Guide du
routard portant sur la visite d'entreprise, ou encore dans le label EPV, dont
la distinction dépend des métiers exercés dans
l'entreprise qui la demande. Par conséquent, le patrimoine ouvrier
«en activité» est approprié par les dirigeants de ces
entreprises et utilisé à des fins économiques.
176 Guy Di Méo. Processus de patrimonialisation et
construction des territoires. Colloque »Patrimoine et industrie en
Poitou-Charentes : connaître pour valoriser», Sep 2007,
Poitiers-Châtellerault, France. pp.87-109
124
Conclusion
Nous avons tenté dans cet écrit de proposer une
vision du patrimoine ouvrier. Les relations qui le sous-tendent avec d'autres
sphères patrimoniales nous semblaient primordiales à aborder car
constitutives d'un cadre théorique général. Le patrimoine
ouvrier, s'il n'est pas nommé, pose question quant à son devenir
propre. Au travers de plusieurs analyses nous avons constaté son absence
autour de trois axes principaux :
. Le premier axe est que le patrimoine ouvrier, dans son
appellation, relève d'attributs politiques. Cette politisation du terme
entre en conflit avec la manière dont est compris et consacré le
patrimoine. Il y a donc collision entre le patrimoine ouvrier et les
prérequis à la qualification de patrimoine.
. Le deuxième axe repose sur des considérations
historiques. Renvoyant à un échec industriel, la volonté
des services d'autorités est de ne pas mettre en valeur ce qui est
considéré comme un traumatisme sociétal. Aussi,
détruire et ne pas nommer invite à l'oubli, ce qui est le
maître mot pour beaucoup d'épisodes traumatiques. Affirmer le
patrimoine ouvrier peut être considéré comme une
acceptation générale de l'échec. A contrario le
détruire ou ne pas le nommer ne fait surgir aucun débat dans la
société.
. Le troisième axe repose sur la valeur
monétaire que soulève les patrimonialisations. Le patrimoine
ouvrier, s'il était affirmé, amènerait avec lui une
série de changements. Les valeurs économiques et foncières
que relève la patrimonialisation enlèveraient une manne
financière extrêmement importante dû à la surface
souvent gigantesque des anciens bâtis ou lieux de vie. Et, s'il
était nommé, on donnerait la qualité de possédant
à un groupe dont la construction sociale est faite sur l'absence de
capital. Cela remettrait en cause les fondements
125
de notre société contemporaine, consacrant
certainement des conflits bien plus vastes.
Ces trois axes constituent les obstacles à la
reconnaissance du patrimoine ouvrier. Pourtant, ce patrimoine est, comme nous
avons tenté de le montrer, bien présent. Au travers du patrimoine
industriel, urbain ou des sciences et techniques, il est utilisé et
montré pour servir l'idée de ces patrimoines. La
réappropriation du patrimoine ouvrier change les discours,
jusqu'à présent existants au travers d'un patrimoine
déjà reconnu et dont les spécificités sont elles
aussi déjà consacrées. Il convient donc pour le patrimoine
ouvrier d'être transformé afin de se fondre dans l'essence
idéologiques (rareté, prestige) de ces différents
patrimoines.
Partant du constat qu'il est de façon
générale le support de la mémoire, il est la trace
matérielle de ce qui est et de ce qui fut . Le
patrimoine ouvrier relevant d'une histoire particulière, son support est
absolument nécessaire, car comme montré
précédemment, il a tendance à disparaître et
à être oublié. L'histoire des ouvriers a besoin d'un
support légitime qui la fasse exister. Pour citer Sartre : «On
ne met pas son passé dans sa poche, il faut avoir une maison pour l'y
ranger. Je ne possède que mon corps, un homme tout seul, avec son seul
corps, ne peut pas
177
arrêter les souvenirs ».
Les pouvoirs publics, quand il s'agit de faire renaître
cette histoire sous le prisme du patrimoine urbain ou industriel, peuvent
consacrer et défendre les bâtis qui apparaissent alors au travers
de leurs qualités architecturales en particulier. Cela permet de les
protéger. Pourtant, nous assistons dans ces réhabilitations
à des changements de destination où seules les qualités
esthétiques sont reconnues. Aussi, nous avons émis l'idée
selon laquelle ces réhabilitations sont principalement pensées en
fonction d'intérêts lucratifs ou politiques.
177 Jean Paul Sartre, p.21 J-P. Sartre, la nausée, Paris,
Gallimard, (l938), 1979, p. 97.
126
Nous sommes revenus sur les ressorts politiques que
soulèvent une patrimonialisation. Pour cela, nous avons retracé
l'histoire de l'inscription patrimoniale en France, et celui de l'UNESCO dont
l'instance représente le patrimoine à l'échelle mondiale.
Cela nous a permis des points de comparaisons qui ont fait émerger le
marché économique qui se révèle d'une telle
pratique.
Aussi, le processus de patrimonialisation,
théorisé par Guy Di Méo, Nicolas Senil et Jean Davallon,
notamment, nous a permis une approche théorique du schéma par
lequel un objet se retrouve intégré à la hiérarchie
des biens dits exceptionnels. De ce fait, nous avons appliqué les
étapes constitutives d'une patrimonialisation élaborées
par Jean Davallon à l'analyse du patrimoine ouvrier, et nous avons ainsi
fait émerger les obstacles à sa reconnaissance pleine et
entière.
De plus, cette attente du «beau» que soulève
les biens culturels se révèle un obstacle pour le patrimoine
ouvrier, car sa mémoire s'en retrouve disparu. Cela a pour
conséquence une invisibilisation du patrimoine ouvrier. Cela explique
l'utilisation politique de la mémoire et la volonté d'effacement
appliquée à ce patrimoine.
Nous avons également remarqué l'utilisation du
patrimoine dans les nouvelles dynamiques de développements territoriaux.
Le patrimoine ouvrier y occupe une place de choix car il y est très
présent. Cela nous a permis d'établir la difficulté de
création de musée de patrimoine ouvrier car souvent vu par la
population locale comme refuge de leur tristesse. Le musée, comme
récepteur de mémoire douloureuse, nous a semblé être
considéré insuffisant à la création de musée
de patrimoine ouvrier.
Cette analyse nous permit de discuter des musées de
patrimoine ouvrier plus généralement. Après avons
établi la difficile présentation des collections, la question qui
se pose est la suivante : Comment montrer sans être partisan
?
127
D'après nous, la présentation du patrimoine
ouvrier relève d'un véritable engagement politique, ce qui
n'empêche pas une rigueur scientifique. Il s'agit d'une question
finalement posée depuis longtemps en ce qui concerne les musées
d'Histoire, néanmoins, cette question semble très importante
concernant le patrimoine ouvrier, son objet relevant d'attribut politique.
Quand on le dépolitise, les musées de patrimoine ouvrier se
retrouvent à porter un modèle d'exposition centré sur la
vie quotidienne. Cela nous amène à établir la
non-présence d'un modèle arrêté en ce qui concerne
le patrimoine ouvrier. Pour autant, deux schémas de musées de
patrimoine ouvrier ont émergé, ils nous paraissent s'opposer :
1 ? L'affirmation de la teneur politique des
musées de patrimoines ouvriers. Le regard porté sur les
collections est alors beaucoup plus engagé.
2 ? L'affirmation d'une histoire quotidienne
populaire et du travail
Les ouvriers y prennent place mais le regard politique
porté sur les collections est bien plus diffus, la vie quotidienne prend
le pas sur l'histoire politique que leurs sujets convoquent.
Nous avons également tenté d'établir un
schéma de constitution d'étapes de création d'un
musée de patrimoine ouvrier, constitué autour de cinq
étapes : la volonté politique ; la recherche de
légitimation ; la constitution d'une collection ; les premières
exposition qui affirment le sujet du musée, et pour finir la
légitimation du musée par les publics.
Cette analyse des musées de patrimoine ouvrier a permis
de mettre en lumière leur inscription territoriale. De ce fait, nous
avons étudié l'impact touristique du patrimoine ouvrier. Il est
exploité de manière importante à travers l'utilisation
commerciale du patrimoine. Nous l'avons établi autour de trois habitudes
touristiques :
128
Le Label d'entreprise du patrimoine vivant Consacre le
patrimoine ouvrier encore en activité
Le tourisme industriel
Favorise la reconnaissance d'un tourisme dans lequel on
développe les visites d'entreprises. Entreprises qui sont
elles-mêmes distinguées des autres par le label des EPV
La visite d'entreprise
Censée consacrer la visite d'espace qui aurait une
valeur patrimoniale, alors qu'il agit selon d'une volonté de
consommation et non sur une idée historique ou politique. C'est une
logique de profit de la part des dirigeants d'entreprise qui se
dégage.
Néanmoins, nous remarquons que les Régions
profitent de cette niche et cela permet de faire reconnaître des
éléments du patrimoine ouvrier. Malgré tout, il
résulte de nos analyses qu'une patrimonialisation dans le seul but
économique ne fonctionne pas.
C'est au discours politique que revient le devoir de hisser le
patrimoine ouvrier à la place éminente qui lui revient au centre
des biens culturels de chaque nation.
Pour finir, nous nous permettons d'évoquer ce qui de
notre avis peut relever de la véritable barrière à la
reconnaissance du patrimoine ouvrier. Finalement, l'héritage des
ouvriers qui constitue un patrimoine ne serait-il pas incarné par les
acquis sociaux ?
Car, le patrimoine ouvrier lui, ne possède pas
uniquement de dimension technique ou productive, ce n'est alors pas seulement
l'importance historique qui est reconnu en affirmant un patrimoine dit
ouvrier , mais bien tous les acquis sociaux qui découlent de la
lutte inhérente à cette classe sociale, et qui s'incarne dans
:
129
les congés payés ; la sécurité
sociale ; la création du code du travail ; la médecine du travail
; le droit syndical ou la réduction du temps de travail par exemple. Par
conséquent, il ne s'agirait plus seulement de reconnaître une
classe sociale, mais bien de porter ces acquis sociaux sur l'autel de
l'exception et par cela de la protection nationale, entretenue et
conservé pour les générations futures.
Ne pas aborder les acquis sociaux comme potentiel source de
tension entre reconnaissance du patrimoine ouvrier et choix politique, serait
se priver d'une possible explication des forts enjeux qui amènent
à la narration aujourd'hui présente en ce qui concerne ce
patrimoine, notamment dans les musées.
130
Annexes
Annexe 1 : Catégorie socioprofessionnelle selon le sexe
et l'âge en 2018, paru le 9 mars 2019, Insee, enquête Emploi
Annexe 2 : CSA, baromètre de la diversité
de la société française, vague 2018
131
Annexe 3 : Recherche Google Image « ouvrier »
, le 14 janvier 2019
Annexe 4 : Recherche Google Image « ouvrier 1950
» , le 14 janvier 2019
132
Annexe 5 : Manifeste du comité de la Fondation Agir
Contre l'exclusion (FACE), Le Monde, 22 septembre 2018
133
Annexe 6 : Article, « Montreuil : Stéphane Bern
à la rescousse du patrimoine ouvrier », Le Parisien, 13 novembre
2017
A l'invitation du député FI Alexis
Corbière, le nouveau chargé de mission patrimoine du
président a visité le Musée de l'histoire vivante,
dédié à l'histoire du mouvement ouvrier.
L'affiche peut étonner. Stéphane Bern et Alexis
Corbière, côte à côte, le temps d'un
après-midi. Pourtant, lundi, le nouveau chargé de mission
patrimoine d'Emmanuel Macron, s'est rendu au musée de l'histoire vivante
de Montreuil, à l'invitation du député de la France
Insoumise.
Dans les allées de ce musée dédié
à l'histoire du mouvement ouvrier au XXe siècle, Stéphane
Bern est à l'aise. Le présentateur de « Secrets d'histoires
» questionne, relance, feuillette les pages d'un livre de caricatures.
« Je ne suis pas un aristocrate, je suis aussi un homme de rien », se
défend-il.
Attaqué par le passé par son voisin de
visite, Alexis Corbière, et Jean-Luc Mélenchon , sur ses
choix d'émissions, trop dédiées « aux rois », et
pas assez aux « républicains », Stéphane Bern essuie
les plâtres. « C'est vrai que Louis XVI et Napoléon font plus
d'audience que Danton », reconnaît-il, avant de rétorquer.
« Je veux servir le patrimoine au sens le plus large ».
Car ce n'est pas en sa seule qualité d'homme d'histoire
que Stéphane Bern est invité, mais également avec sa
nouvelle casquette de chargé de mission patrimoine d'Emmanuel Macron.
L'enjeu est important pour les responsables de ce musée : convaincre
Stéphane Bern de la nécessité de faire figurer
l'établissement dans le recensement du patrimoine fragilisé, que
le Président lui a demandé de dresser. Et ainsi débloquer
des fonds supplémentaires pour faire vivre ce lieu.
Unique musée en France dédié au
patrimoine ouvrier, il est financé à plus de 60 % par la ville.
« Le patrimoine du peuple est merveilleux, mais il est aussi rare, fragile
et menacé », a ainsi rappelé Frédérick
Génevée, président de l'association pour l'histoire
vivante. « L'entretien de cette maison dans laquelle la
municipalité investit tant est vital », renchérit-il,
espérant ouvrir un débat sur la conception de l'histoire «
celle des grands hommes, ou celle d'en bas, du peuple et de ses luttes
».
Même si Stéphane Bern le rappelle, « le
patrimoine urbain » ne fait normalement pas partie des attributions de sa
mission, le royaliste devrait se souvenir de sa visite, reparti du
musée, avec, en cadeau... un buste de Robespierre.
134
Annexe 7 : Observatoire des Territoires, Typologie du zonage
en aire urbaine (ZAU), Insee - CGET, 2010
135
Annexe 8 : Article, Vice, « Avec les ouvriers
français qui menacent de faire sauter leur usine « , Alexandre
Vella et Thomas Leger, 15 mai 2017
Avec les ouvriers français qui menacent de faire sauter
leur usine
En Creuse, 283 salariés de l'entreprise GM&S, un
équipementier automobile, ont piégé leur usine. Ils
promettent de la faire sauter si PSA et Renault, leurs principaux clients, ne
renouvellent pas leurs commandes.
« On va tout péter ! » Sur l'énorme
colonne estampillée Air Liquide, deux bonbonnes de gaz pendant à
un fil surplombent l'inscription en lettres capitales. Ce jeudi 11 mai,
après un combat de plusieurs mois pour sauvegarder leurs emplois, les
salariés de GM&S, un équipementier automobile basé
à la Souterraine (Creuse), sont passés à la vitesse
supérieure. Las, ils ont décidé de piéger leur
usine. « Ça fait six mois qu'on lutte et personne ne nous entend
» , plaide Xavier, 55 ans et plus de 20 ans de
boîte. En s'inspirant de ce qu'il a vu à la télé, il
a proposé ce mode d'action, voté à huis clos en
assemblée générale. « Il y a des trucs qui marchent
dans les usines en difficulté comme la grève de la faim, la
séquestration, ou le sabotage des outils », poursuit-il, en
concédant que les salariés n'étaient « pas
très chauds » pour les deux premières options. Un dispositif
constitué de bonbonnes de gaz, de bidons d'essence et de
détonateurs cerne désormais le site. Stratégiquement, les
explosifs ont d'abord été déposés sous les outils
de fabrication, propriété des constructeurs automobiles.
Car ce sont bien les constructeurs automobiles français
qui sont dans le collimateur des salariés de GM&S. En tête,
PSA et Renault, principaux clients de l'entreprise, qui concentrent à
eux seuls 80 % de l'activité selon une note d'un cabinet
d'experts-comptables daté de février 2017 et rendue publique par
la CGT, le syndicat majoritaire. Alors que l'industrie automobile hexagonale
sort enfin la tête de l'eau , les commandes
passées par les constructeurs n'ont cessé de baisser depuis fin
2016. Un phénomène incompréhensible pour les
salariés autant que pour l'expert-comptable, qui
136
constate « un appauvrissement continu (et volontaire) de
[la] base d'activité, quand la filière a
bénéficié d'un fort rebond ».
Deux bonbonnes de gaz installées sur une cuve
M. Le Youdec, le directeur de transition, se dit quant
à lui « désabusé » par le comportement des
constructeurs. Depuis le mercredi 10 mai, avec son aval, l'usine a
stoppé la production et refuse désormais de livrer les
pièces à PSA et Renault. À ce bras de fer se superpose la
gestion catastrophique des repreneurs du site de production creusois - on en
dénombre quatre depuis 2006. Dernier en date, le groupe italien GM&S
a pris possession de l'usine en décembre 2014 pour la somme symbolique
de trois euros, imposant au passage cinq puis six jours de chômage
partiel par mois aux salariés. En 10 ans, le nombre d'emplois a
été divisé par deux. Si aucun repreneur sérieux
137
n'est trouvé d'ici le 23 mai prochain, date de
l'audience au tribunal de commerce de Poitiers, la liquidation sera
prononcée.
« La moyenne d'âge au sein de l'entreprise est de
49 ans. Dans un territoire aussi peu industrialisé que la Creuse, il n'y
a aucune chance pour nous de retrouver du travail », explique Franck
Carrière, délégué syndical de la CGT. Afin
d'éviter le désastre social dont découlerait la
disparition du deuxième employeur privé du département et
de laisser le temps à de potentiels repreneurs de se manifester,
l'État et la région Nouvelle-Aquitaine se sont engagés
à hauteur de 1,7 million d'euros. Alors qu'ils étaient
destinés au paiement des salaires d'avril et mai, les employés
affirment qu'une partie de ces fonds a été
détournée par la direction. « On s'est aperçu que nos
cotisations à la mutuelle n'avaient pas été versées
depuis deux mois, précise le syndicaliste. On a tous porté
plainte contre X à la gendarmerie. Le procureur a jugé la plainte
recevable et attend désormais la déposition de la mutuelle pour
donner suite. »
138
Les salariés de GM&S détruisent une machine
de l'usine
Michel Vergnier, député de la Creuse,
dénonce pour sa part ce qu'il nomme « une non-assistance à
département en danger ». Et l'élu socialiste de poursuivre :
« On ne demande pas d'argent à PSA et Renault, on demande
simplement qu'ils donnent du travail à des salariés qui disposent
des machines pour le faire, qui savent le faire et qui, nous dit-on, le font
à des prix raisonnables », a-t-il déclaré lors d'un
rassemblement devant la gare de La Souterraine ce samedi 13 mai.
Aujourd'hui, lundi 15 mai, une réunion cruciale doit se
tenir à Guéret, préfecture du département, entre la
délégation syndicale, le potentiel repreneur GMD - un groupe
d'équipementier français - et les constructeurs. Toutefois, M.
Vergnier reste sceptique quant à l'issue de ces négociations et
rappelle que l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, venu sur le site en
février dernier , a échoué
à faire pression sur les constructeurs. Réitérant son
soutien sans réserve aux ouvriers de sa circonscription, le
député a demandé aux salariés « d'être
prudents avec leur santé et de ne pas se mettre physiquement en danger
». « Pour le reste, qu'ils y aillent, il faut que ça plie
», a-t-il conclu.
139
Un salarié de GM&S transporte une machine
détruite
D'ici là, la fédération CGT de la
métallurgie a d'ores et déjà appelé l'ensemble des
syndicats et salariés de la branche à un rassemblement de
solidarité devant l'usine mardi 16 mai. Une action sur Paris est
également prévue pour mercredi et la tension ne devrait pas
redescendre d'ici l'audience de Poitiers, qui fixera définitivement le
sort des 283 salariés de GM&S. En attendant, les ouvriers creusois
rappellent qu'ils iront « jusqu'au bout », et promettent de
détruire de nouvelles machines dès aujourd'hui si les
négociations n'avancent pas suffisamment. Ils envisagent
également d'autres actions, comme le blocage des sites de production des
constructeurs, et n'excluent pas le chantage écologique. « Si rien
ne bouge, on enverra une lettre au préfet et aux constructeurs en
menaçant balancer des produits chimiques dans l'étang voisin
», a promis Franck Carrière.
Le dossier de l'équipementier creusois s'annonce
déjà comme l'un des plus brûlants du futur gouvernement. De
passage à l'usine samedi soir,
140
Jean-Baptiste Moreau, candidat REM aux élections
législatives en Creuse, s'est entretenu quelques minutes avec les
délégués syndicaux de GM&S. « J'en ai
personnellement informé Ismaël Emelien, un des plus proches
conseillers d'Emmanuel Macron, et le dossier est déjà sur le
dessus de la pile du prochain ministre de l'Économie », a-t-il
assuré, en concédant ne pas pouvoir en dire plus tant que le
nouveau gouvernement n'a pas pris ses fonctions. Alors que les syndicats
refusent « tout soutien qui ne serait que du spectacle », ils ont
tenu à répéter face au candidat qu'ils étaient plus
que jamais déterminés. « Nous restons mobilisés et si
le site explose, tous les pompiers de La Souterraine ne suffiront pas à
éteindre le feu », a calmement prévenu Franck
Carrière.
Annexe 9 : Texte du panneau explicatif de la frise
chronologique de L'Usine Extraordinaire, novembre 2018, Paris
« L'Extraordinaire Voyage
Cette frise chronologique propose un certain nombre de
repères qui témoignent des grandes étapes de l'industrie,
de 1851 à aujourd'hui. Elle replace l'histoire récente de
l'industrie dans un contexte plus large d'innovations, de découvertes
scientifiques, d'événements politiques et sociaux,
d'évolutions de la société. Elle est une photographie non
exhaustive et n'entend pas représenter la totalité des
évènements, mais proposer des lignes de lecture diverses. Quels
liens entre recherche scientifique et industrialisation ? Comment l'industrie
noue-t-elle des relations avec le territoire ? Quels changements majeurs
l'industrie a-t-elle accompagnés ou est-elle en train de susciter ? Au
travers de 7 prismes (gérer les matériaux et l'énergie,
transporter le monde, se déplacer, conquérir l'air et l'espace,
connecter et communiquer, prévenir et soigner, automatiser et faire
travailler), 14 parcours proposent des étapes d'évolution de
technologies aujourd'hui « ordinaires » ... et d'objets encore
extraordinaires. Loin d'un regard nostalgique, il s'agit de
révéler des dynamiques et des trajectoires, de comprendre
141
le passé pour se projeter. Chaque visiteur est
invité à créer ses propres panoramas, à tisser ses
propres liens, à raconter ses propres histoires, à choisir le
zoom et l'approche en fonction de ses goûts et intérêts.
Dossier de presse de L'Usine Extraordinaire (Grand Palais, 22-25 novembre 2018)
C'est une invitation au survol, à l'étude, à la
déambulation, voire à la flânerie au coeur de ce parcours
où la petite anecdote croise l'Histoire. A chacun de livrer sa lecture
personnelle de ces 170 ans d'ingéniosité et de passion, toujours,
de confrontation et de questions, inévitablement, de changements de
direction, parfois. »
142
Annexe 10 : Photographies frise chronologique, l'Usine
Extraordinaire, novembre 2018, Paris
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
« L'âge minimum du travail : 12 ans en France
»
143
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
144
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
« Décret instaurant le droit de vote des femmes
» « Mise en place du système de protection sociale »
« Création de l'ONU »
145
Annexe 11 : Enquête YouGov pour la Fondation Usine
Extraordinaire auprès d'un échantillon de 2000 personnes. Sondage
en ligne réalisé du 9 au 13 novembre 2018.
(associées à la menace de chômage
pour 2970
Les délocalisation
sont une peur ancrée dans les esprits de 44% des
Français
·
,
r ·
a ,
·
146
Seul 1 Français sur 3 estime 1111 que
l'usine est {i suffisamment
I tournée vers les femmes »,
et 2 sur 5
qu'elle est synonyme de;{ travail
collaboratif
et d'épanouissement professionnel
».
|
...mais un vent de renouveau
est en train de souffler I
|
Les 1B-24 ans sont pris
dl sur
â juger que ('industrie
est un vecteur d'exportations et un levier de
compétitivité
Ys, 1 Sur 5 pour la moyenne des Français)
1#A
T
147
·
L'usine d'aujourd'hui est synonyme de « dynamisme
territorial » pour 2 Français sur 3,
4
et de « création d'emplois »
pour 1 Français sur 2
-44
La capacité de l'industrie â
« donner sa chance »
accueillir toutes les composantes de la
société,
est une idée partagée
par plus de la moitié des
Français.
*inclusion
r
148
Pour s'ancrer dans le futur,
i l'usine d'aujourd'hui
doit faire rêver les jeunes...
et s'ouvrir davantage aux filles.
|
1 parent sur 3 aimerait que son enfant se tourne
vers l'industrie.
Cette propension â it projeter
une carriére dans l'industrie pur son enfant, est cependant
sensiblement supérieure (-s )a ntsi chez les parents
de
que de .
149
Les hommes /11/11
sont 2 fois plus nombreux nies
que les femmes
considérer avoir été
{i bien informés »
sur les métiers de l'industrie
durant leur scolarité.
0411.0
150
151
Annexe 12 : Remarques et photographies, l'Usine
Extraordinaire
Une fois le tour de la frise fait, on se retrouve entre
plusieurs machines monumentales, un concert au fond de la nef finit de placer
cette manifestation en haut lieu du renouveau de l'image de l'usine. Un grand
stand de la FACE explique à chaque visiteur qui le souhaite les enjeux
des nouvelles usines et ses missions, dans laquelle elle place son label «
d'intérêt général » en bonne et due place. Ce
stand est tenu par une salariée de la fondation qui présente ces
actions au sein d'école dont le but est toujours
réaffirmé, faire changer d'idée les français sur
l'industrie. La Face est, pour cela, présente au niveau des
écoles, collège, lycée, et y fait la promotion de
l'industrie en amenant directement devant les classes des personnes qui y
travaillent. Nous assistons aussi à ce que nous avons décrit plus
haut, aucune mention des ouvriers, leur absence soulève un silence
assourdissant. La dame qui accueille les visiteurs nous présente alors
une série de carte où des métiers sont inscrits,
accompagnée de photographies que nous replaçons ici :
On nous explique que ce sont des cartes que la FACE
amène lors de rencontres dans les écoles afin de présenter
les métiers de l'industrie. En retournant la carte on peut lire «
technicien.ne », les mêmes
exemples sont constatés plusieurs fois :
Source : Agnès Ghonim, l'Usine Extraordinaire, novembre
2018, Paris
152
153
Source : Agnès Ghonim, L'Usine Extraordinaire, novembre
2018, Paris
On y voit une personne devant une chaîne roulante
disposer ce qui ressemble à des sablés dans un bac. Cela rappelle
le principe de travail à la chaîne, pourtant, en retournant la
carte on voit que le terme de « Responsable de production alimentaire
» est préféré à celui d'ouvrier. Ces
changements de perception pourraient paraître désuets, pourtant
ils contribuent à l'oubli de la condition ouvrière, à ce
qui y est attaché pouvant à terme et en étant
revendiqué constituer un patrimoine. Ces nouveaux termes sont finalement
présentés un peu plus tard au détour d'un stand, comme
suit :
C'est à croire que pour les industriels les ouvriers
n'existent plus. En changeant les termes de leur métier on les qualifie
en fonction de compétences, ce qui enferme chaque individu dans sa
tâche. Maurice Halbwachs confirme l'association de mot avec un
système de pensée :
« Il faut donc renoncer à l'idée que le
passé se conserve tel quel dans les mémoires individuelles, comme
s'il en avait été tiré autant d'épreuves distinctes
qu'il y a d'individus. Les hommes vivant en société usent de mots
dont ils comprennent le sens : c'est la condition de la pensée
collective. Or chaque mot compris, s'accompagne de souvenirs, et il n'y a pas
de souvenirs auxquels nous ne puissions faire correspondre des mots. Nous
parlons nos souvenirs avant de les évoquer ; c'est le langage, et c'est
tout le système des conventions sociales qui en sont solidaires, qui
nous permet à chaque instant de reconstruire notre
178
passé »
Il est donc essentiel de comprendre ce cheminement qui, en
oubliant le qualificatif d'ouvrier peut mettre un terme à la
possibilité d'un patrimoine ouvrier. Avec ces nouvelles dispositions on
comprend que le patrimoine ouvrier est utilisé dans le but de servir les
entreprises. Tout au long des stands se dévoile les performances
178 op. cit .
154
des nouvelles machines, grandes, et impressionnante elles
finissent de marquer le visiteur. Les technologies de pointe son
présentées, la technique s'illustre là où les
ouvriers ne servent plus que d'outil à la machine. A ce sujet, une des
grandes lignes qui dirige le parcours de visite est celui de l'emploi. Agissant
comme une sorte de salon de recherche d'emploi il n'est pas rare de croiser des
visiteurs CV en main à la recherche de responsables des ressources
humaines présent sur les différents stands. Les exposants en ont
d'ailleurs fait un outil qui sert leur mise en valeur et leur communication. Le
stand de Michelin par exemple s'illustre dans ce type de pratique :
Le visiteur se balade sur des écrans tactiles à
la recherche d'emploi, jamais il n'est proposé un emploi d'ouvrier.
Avant de se trouver dans les espaces qui y sont consacrés un important
affichage fait apparaître l'état d'esprit de l'entreprise sur ses
équipes :
155
Cette manière de présenter les Hommes qui
constituent le poumon d'une usine est assez surprenante. On y voit en quelque
sorte des injonctions à la responsabilisation, cela place l'entreprise
dans une attitude presque paternaliste qui nie aussi la possibilité pour
ses équipes de pouvoir s'organiser par elle-même. Cette
organisation de groupes sociaux au centre de l'usine est l'essence du mouvement
ouvrier qui mène aujourd'hui à l'affirmation d'un patrimoine
ouvrier.
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
156
157
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
158
Crédit photo : Agnès Ghonim, L'usine
extraordinaire, novembre 2018, Paris
159
Annexe 13 : Photographie de la station de métro
parisienne Javel André-Citroën, photographies prises d'articles de
presses :
« Un nouveau décor pour le métro Javel -
André Citroën » , Le Parisien, 10 juin
2018 :
160
« Citroën investit la station de métro
Javel« , Automoto, 15 juin 2018
161
Annexe 14 : Une de l'Humanité en date du 31 mai
1936, Gallica, BNF
162
Annexe 15 : Les raisons d'une inscription, Bassin Minier du
Nord pas de Calais, Patrimoine Mondial
163
Annexe 16 : La filiation du patrimoine,
parallèle au patrimoine ouvrier
Cette image du patron subsiste encore aujourd'hui et on peut
penser au ouvriers Moulinex dont l'association d'anciens travailleurs qui
perdure se nomme du nom de son fondateur. Cela interroge beaucoup sur la
filiation intrinsèque à la notion de patrimoine car il s'agissait
à l'origine des biens du père. Cela montre également que
lorsque que les ouvriers cherchent à se désolidariser de la
figure du patron pour n'exister et former un patrimoine sur leur seule
existence, cela devient extrêmement compliqué. En fait, c'est
comme si on refusait aux ouvriers la reconnaissance de leur existence propre en
dehors de tout carcan de domination qui s'incarne aujourd'hui notamment dans la
non reconnaissance d'un patrimoine qui leur est propre. Est reconnue : la
figure du patron, on pense notamment à l'exemple cité
précédemment de l'ancienne usine de Citroën, à
l'image de la station de métro qui porte son nom et dont l'exposition du
génie semble sans limite. D'autant plus ironique et cruelle que Monsieur
André Citroën, créateur de voiture était le moins
susceptible d'emprunter les couloirs des transports en commun, contrairement
aux ouvriers qui travaillaient pour lui. Comme si là aussi, les
travailleurs devaient remercier et admirer le travail d'un seul et unique
homme, comme si finalement, ils devaient, même en se déplacant,
admirer le patronat. C'est bien en se libérant de la figure patronale
que le patrimoine ouvrier s'affirme. Il n'est ainsi pas régi à
l'accord symbolique ou à la propriété symbolique de leurs
existences.
164
Annexe 17 : Nous proposons dans le tableau suivant un
récapitulatif des expositions menées par le musée de
l'Histoire Vivante depuis 2001 :
PRÉNOM : LOUISE ; NOM : MICHEL - 1830-1905
|
31 mars - 29 juillet 2001
|
LES FEMMES S'AFFICHENT
|
mars - juillet 2003
|
OCTOBRE 1937 LE MÉTRO ARRIVE À MONTREUIL
|
20 septembre - 9 novembre 2003
|
L'ALGÉRIE
|
septembre 2003 - mars 2004
|
DE L'INDOCHINE AU VIETNAM
|
12 mai - 14 novembre 2004
|
« TOUS AUX BARRICADES » 60ÈME ANNIVERSAIRE DE LA
LIBÉRATION 1944-2004
|
26 septembre 2004 - 21 mars 2005
|
RÉSIDENCITÉ
|
18 mars 2006 - 14 janvier 2007
|
HÔ CHI MINH À PARIS
|
13 octobre 2007 - 13 janvier 2008
|
MAI 68 À LA UNE
|
17 mai 2008 - 11 janvier 2009
|
LES EXCLU(E)S DU SUFFRAGE - 1789-2007
|
28 avril 2007 - 13 janvier 2008
|
JAURÈS ET LA CLASSE OUVRIÈRE
|
17 octobre - 22 novembre 2009
|
LA PAROLE CAPTIVE - LA DÉTENTION POLITIQUE EN FRANCE
|
29 mars 2008 - 11 janvier 2009
|
LE DON DES MILITANTS
|
28 mars 2009 - 18 juillet 2010
|
MENSONGES ET VÉRITÉ : HISTOIRE D'UN INNOCENT
|
18 novembre 2006 - 19 février 2007
|
FIGURES DE MONTREUIL
|
15 octobre 2010 - 17 juillet 2011
|
NAPOLÉON : AIGLE OU OGRE ?
|
11 décembre 2004 - 2 décembre 2005
|
OUVRIER, PATRON
|
15 octobre 2011 - 16 décembre 2012
|
INDOCHINE-FRANCE-VIETNAM
|
Mai 2013 - juillet 2014
|
165
Depuis 2015 :
DÉ-COUVRONS L'INOUBLIABLE
|
12 décembre 2015 - 28 février 2016
|
1914-2014, L'IMPOSSIBLE OUBLI
|
14 juin - 31 décembre 2014
|
GRANDIR APRÈS LA SHOAH
|
8 avril - 30 juin 2015
|
FEMMES EN MÉTIERS D'HOMMES
|
17 janvier - 31 décembre 2015
|
1936 : NOUVELLES IMAGES, NOUVEAUX REGARDS SUR LE FRONT
POPULAIRE
|
9 avril - 31 décembre 2016
|
L'HISTOIRE DES SOLDATS RUSSES EN FRANCE ET LA MUTINERIE DU CAMP
DE LA COURTINE
|
X
|
LES RÉVOLUTIONS RUSSES VUES DE FRANCE 1917-1967
|
29 avril - 31 décembre 2017
|
1848 ET L'ESPOIR D'UNE RÉPUBLIQUE UNIVERSELLE,
DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE
|
24 mars - 30 décembre 2018
|
LE CAMP D'INTERNEMENT DES TOURELLES 1940-1944
|
5 octobre 2019 - 26 janvier 2020
|
VIE ET COMBATS DE JULES DURAND, DOCKER CHARBONNIER 1880-1926
|
18 mai - 28 juillet 2019
|
#OUVRIER.E.SAUMUSÉE
|
23 mars 2019 - 26 janvier 2020
|
A venir :
Exposition consacré au Congrès de Tours
|
automne 2020
|
Exposition sur le Commune de Paris
|
mars 2021
|
166
Annexe 18 : Critères de sélection,
patrimoine mondial, Unesco
(i) représenter un chef-d'oeuvre du génie
créateur humain ;
(ii) témoigner d'un échange d'influences
considérable pendant une période donnée ou dans une aire
culturelle déterminée, sur le développement de
l'architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification
des villes ou de la création de paysages ;
(iii) apporter un témoignage unique ou du moins
exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou
disparue ;
(iv) offrir un exemple éminent d'un type de
construction ou d'ensemble architectural ou technologique ou de paysage
illustrant une ou des périodes significative(s) de l'histoire humaine
;
(v) être un exemple éminent
d'établissement humain traditionnel, de l'utilisation traditionnelle du
territoire ou de la mer, qui soit représentatif d'une culture (ou de
cultures), ou de l'interaction humaine avec l'environnement,
spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l'impact
d'une mutation irréversible ;
(vi) être directement ou matériellement
associé à des événements ou des traditions
vivantes, des idées, des croyances ou des oeuvres artistiques et
littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (Le
Comité considère que ce critère doit
préférablement être utilisé en conjonction avec
d'autres critères) ;
(vii) représenter des phénomènes
naturels ou des aires d'une beauté naturelle et d'une importance
esthétique exceptionnelles ;
(viii)
167
être des exemples éminemment
représentatifs des grands stades de l'histoire de la terre, y compris le
témoignage de la vie, de processus géologiques en cours dans le
développement des formes terrestres ou d'éléments
géomorphiques ou physiographiques ayant une grande signification ;
(ix) être des exemples éminemment
représentatifs de processus écologiques et biologiques en cours
dans l'évolution et le développement des
écosystèmes et communautés de plantes et d'animaux
terrestres, aquatiques, côtiers et marins ;
(x) contenir les habitats naturels les plus
représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la
diversité biologique, y compris ceux où survivent des
espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du
point de vue de la science ou de la conservation.
168
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Jean-Michel LENIAUD, France Culture, France Culture Plus, première
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https://www.franceculture.fr/histoire/droit-de-cite-pour-le-patrimoine-par-jean-mi
chel-leniaud
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