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La multiplication de l'usage unilatéral du recours à  la force par les membres de l'O.N.U


par Candice Perier
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2ème Année Droit International et Européen 2020
  

Disponible en mode multipage

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Université Toulouse 1 Capitole Année universitaire 2019/2020

Master 2 Droit international et droit européen

Mémoire

LA MULTIPLICATION DE L'USAGE UNILATERAL DU RECOURS A LA FORCE PAR LES MEMBRES DE L'ONU

Réflexion sur les justifications juridiques du recours discrétionnaire à la force malgré le cadre multilatéral onusien prévu à cet effet.

Présenté par Candice Perier

Sous la direction de M. Saïd Hamdouni, Maître de conférences

1

2

L'Université n'entend ni approuver, ni désapprouver les opinions particulières émises dans cette thèse. Ces opinions sont considérées comme propres à leur auteur.

3

Remerciements

Mes remerciements vont tout d'abord à M. Saïd Hamdouni, mon enseignant-référent pour son encadrement et ses précieux conseils.

Cette gratitude s'étend également à l'Université de Toulouse 1 Capitole pour la possibilité donnée aux étudiants résidents à l'étranger de poursuivre des études à distance en France, et ce, dans de bonnes conditions. Je tiens à témoigner dans le même temps, mes remerciements à l'équipe pédagogique de ce Master 2 pour avoir assuré ma formation.

Enfin, je tiens aussi à remercier mes proches pour leur soutien indéfectible, leur encouragement, et leur aide dans la rédaction de ce mémoire.

4

Liste des abréviations, des acronymes et des sigles

A.F.D.I Annuaire Français de Droit International

A.G Assemblée Générale des Nations Unies

A.J.I.L American Journal of International Law

Art. Article

A.S.I.L American Society of International Law

C.D.I Commission de Droit International

C.E.D.E.A.O Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest

Cf. Confer

C.I.C.R Comité International de la Croix-Rouge

C.I.I.S.E Commission Internationale de l'Intervention et de la Souveraineté des

Etats

C.I.J Cour Internationale de Justice

C.N.U Charte des Nations Unies

C.P.I Cour Pénale Internationale

C.P.J.I Cour Permanente de Justice Internationale

C.S Conseil de sécurité des Nations Unies

D.I Droit International

Dir. Direction, sous la direction de

Doc. Document

E.C.O.M.O.G.Economic Community of West African States Cease-Fire Monitoring Group

Ed. Editeur/Editions

5

Ibid. Ibidem (même endroit)

I.D.I Institut du Droit International

J.O Journal Officiel

L.D Légitime Défense

L.G.D.J Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

M.I.N.U.A.R Mission des Nations Unies pour l'Assistance au Rwanda

M.I.N.U.S.I.L Mission des Nations Unies en Sierra-Leone

M.O.N.U.L Mission d'Observation des Nations Unies au Liberia

O.I Organisation Internationale

O.M.C Organisation Mondiale du Commerce

O.M.S Organisation Mondiale de la Santé

O.M.P Opération de Maintien de la Paix

O.N.G Organisation des Nations Unies

O.N.U.C.I Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire

O.N.U.R.C Opérations des Nations Unies pour le Rétablissement de la Confiance

O.N.U.S.O.M.Opération des Nations Unies en Somalie

Op.cit. Opum citatum (oeuvre citée)

O.T.A.N Organisation du Traité de l'Atlantique Nord

O.U.A Organisation de l'Unité Africaine

p. Page

P.S.E.I Paix et Sécurité Européenne et Internationale

P.U.F Presses Universitaires de France

R.C.A.D.I Recueil des Cours de l'Académie de Droit International de La Haye

R.G.D.I.P Revue Générale de Droit International Public

S.D.N Société Des Nations

6

S.F.D.I Société Française de Droit International

S.G Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies

T.P.I.R Tribunal Pénal International pour le Rwanda

T.P.I.Y Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie

U.A Union Africaine

U.E Union Européenne

U.N.I.T.A Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola

Vol. Volume

7

Sommaire

Introduction 9

Première partie : La détérioration du système instauré par la Charte

des Nations unies 15

Chapitre I- La réglementation de l'usage de la force par la Charte

des Nations Unies remise en cause par une pratique contraire 17

Section 1 - Le principe fondamental de l'interdiction

du recours à la force dans la Charte des Nations Unies 18

Section 2 - Un principe tempéré par des exceptions

strictement encadrées 21

Section 3- La montée de l'unilatéralisme au sein de

l'institution multilatérale par excellence 27

Chapitre II- Les violations du principe de l'interdiction du recours

à la force facilitées par les défaillances du système onusien 33

Section 1- La mutation de la notion de menace contre

la paix telle que représentée dans la Charte des Nations Unies 34

Section 2- Le manque de rigueur juridique dans les

résolutions du Conseil de sécurité 39

Section 3- Le déséquilibre fonctionnel du Conseil de sécurité

des Nations unies 42

Conclusion de la première partie 48

Seconde partie : Des justifications étatiques contraires à l'esprit et la

lettre de la Charte des Nations Unies 49

Chapitre I- La dénaturation par les Etats souverains des principes

du système de sécurité collective de l'ONU 51

Section 1- L'élargissement illicite de la notion de

légitime défense 52

Section 2- L'utilisation abusive du concept d'intervention

humanitaire 58

Section 3- L'échec flagrant dans l'application de la

responsabilité de protéger 62

8

Chapitre II- Des arguments juridiques incompatibles avec

l'esprit de la Charte et le Droit international 67

Section 1- La conception hégémonique de l'argumentaire

« illégal mais légitime » lors d'une action coercitive 68

Section 2- L'absence de fondement légal pour

la théorie de l'autorisation implicite du recours à la force 71

Section 3- L'inadmissibilité en droit international

de la légalisation à posteriori d'un recours à la force 75

Conclusion de la seconde partie 79

Conclusion générale 80

9

Introduction

«Nul homme n'est assez dénué de raisons pour préférer la guerre à la paix » Hérodote

Pierre Hassner dans le Dictionnaire de philosophie politique à l'article Guerre et paix réfute cette formule en déclarant qu'il est difficile de trouver une déclaration plus erronée. Il continue en expliquant qu'à toutes les époques, les hommes ont considéré la guerre soit, d'abord comme l'activité normale de la société, soit, ensuite, comme le dernier recours des gouvernants. En cela, la guerre serait alors inhérente à la condition de l'homme ou à la nature de la politique.

La guerre a en effet constitué jusqu'à la fin du XIXe siècle, la procédure ordinaire de règlement des différends. Les sociétés se sont donc construites autour de conflits variés et c'est grâce à ces dernières qu'elles ont obtenues leur « indépendance, leur assise et leur puissance sur la scène internationale1». Ainsi, la guerre, avant le XXe siècle, était considérée comme le mode principal de régulation des rapports inter-étatiques et, pour Karl Von Clausewitz, comme « la continuation de la politique par d'autres moyens2 ».

Selon Albane Geslin3, l'histoire du droit de la guerre peut être divisée en trois périodes différentes. La première comprend la période antique jusqu'au XIXe siècle où apparaît la notion de « guerre juste ». Dans cette doctrine, l'usage de la force armée était légalement justifié par les Etats car nécessaire pour se défendre ou pour la conquête d'un territoire. Ces guerres se présentent ainsi comme légitime et, encore aujourd'hui, cet argument est utilisé par certaines grandes puissances, à l'instar des Etats-Unis, comme justification au recours à la force armée. La seconde période décrite par Monsieur Geslin apparaît au XIXe siècle ou la guerre est utilisée comme un instrument politique par les Etats souverains. La dernière classification est celle où une solution normative au recours à la force est apparue avec la Première Guerre mondiale ce qui in fine a donné naissance au jus ad bellum4. Une évolution radicale de la réglementation juridique du recours à la force a de ce fait eu lieu à partir du dernier tiers du XIXe siècle. À cette époque, les premières notions limitatives du droit de recourir à la guerre furent incorporées dans le droit positif et toute utilisation de la force n'est plus juridiquement

1 Aron R, Paix et Guerre entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 8ème édition, Collection Liberté de l'esprit, 1984, p. 573-578

2 La-Philo. (2013, février 1). La Guerre. Consulté le 3 juin 2020, à l'adresse https://la-philosophie.com/guerre

3 Geslin A., Du justum bellum au jus ad bellum : glissements conceptuels ou simples variations sémantiques ? Dans Revue de métaphysique et de morale 4/2009 (n°64), p.459-468, cité par Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. Droit. Normandie Université, Université de Lomé (Togo), 2019, p.20

4 Le jus ad bellum (droit de faire la guerre) ou jus contra bellum (droit de prévention de la guerre) cherche à limiter le recours à la force entre les Etats. Ce terme se distingue au jus in bello (droit dans la guerre) qui a pour but de limiter les souffrances causées par la guerre en assurant, autant que possible, protection et assistance aux victimes (droit international humanitaire). Définitions à l'article du Comité international de la Croix-Rouge. (2010, octobre 29). Jus ad bellum et jus in bello. Consulté le 4 juin 2020, à l'adresse https://www.icrc.org/fr/doc/war-and-law/ihl-other-legal-regmies/jus-in-bello-jus-ad-bellum/overview-jus-ad-bellum-jus-in-bello.htm

10

synonyme de guerre5.

Cependant, si aujourd'hui la perception de la guerre a changé dans les mentalités comme dans la réglementation internationale, la société n'a elle nullement cessée d'être violente. Les guerres, certes, ne se ressemblent pas mais de nouveaux conflits continuent d'émerger et de se matérialiser malgré la création d'une organisation internationale universelle ayant pour but d'être « un modérateur de puissance et un recours ouvert contre les fatalités de la guerre »6 réglementant de manière stricte le recours à la force. Ainsi, loin de mettre fin à la barbarie, comme l'imaginait le philosophe utopiste français Charles Fourier, « la civilisation contemporaine s'est donc non seulement accommodée de survivances de plus en plus meurtrières et de plus en plus massives des tragédies guerrières, mais elle est aujourd'hui en passe d'inventer un nouveau type de conflit : la guerre humanitaire ou guerre éthique »7. En effet, les conditions dont le recours à la force a été utilisé lors de la crise du Kosovo (1999), en Afghanistan après les événements du 11 septembre 2001 ou encore lors de l'action militaire américano-britannique contre l'Irak en 2003 interpellent par le développement d'un nouveau discours de guerre. Ces nouvelles justifications imposent de prendre du recul afin de considérer leur légitimité notamment au niveau du Droit international. Le caractère moral d'une action militaire semble alors surpasser celui légal du droit. Ainsi, à l'instar du concept de « guerre juste » décrit pendant la période antique, la justification « du légitime » aspire à légaliser le recours à la force contemporain. L'histoire semble ainsi se répéter et les justifications pour l'utilisation de la force armée se réitérer. Par conséquent, il est difficile d'accepter la formule d'Hérodote tant les guerres semblent attachées à la condition même de l'être humain. En cela, la citation de Voltaire aurait peut-être été plus juste : « Tous les animaux sont perpétuellement en guerre les uns avec les autres »8.

Bref historique de l'émergence de la réglementation du recours à la force

Le recours à la force a donc connu une évolution qui a amené à partir du XXe siècle à en restreindre progressivement son emploi par les Etats. La première tentative moderne de limitation du recours à la force apparaît à la Convention Drago-Porter de 19079 dont la portée est extrêmement modeste puisqu'elle limitait seulement l'emploi de la force au recouvrement des dettes contractuelles10. Par la suite, le Pacte de la Société

5 Brownlie I., International Law and the Use of force by States, Oxford: Oxford University Press, 1963, pp. 40 et ss.

6 Gerbert P. Virally M.- L'O.N.U. d'hier à demain. In: Revue française de science politique, 14? année, n°2, 1964. p. 359. www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1964_num_14_2_418412_t1_0359_0000_000

7 Fourier C. cité par Spire A. De l'urgence de ne plus concevoir la paix comme une simple absence de guerre, Communication XXVIIIe congrès international de l'Association des Sociétés de philosophie

de Langue française, Université de Bologna (Italie) (2000, aout 29). à l'adresse :
https://www.institutidrp.org/contributionsidrp/absence%20de%20guerre.pdf

8 La-Philo. (2013, février 1) La Guerre, op. cit.

9 La deuxième Convention de La Haye du 18 octobre 1907 concernant la limitation de l'emploi de la force pour le recouvrement des dettes contractuelles (dite Convention II ou Convention Drago Porter ; Schindler B., et Toman J., Droit des conflits armés. Recueil des conventions, résolutions et autres documents, Genève, 1996, CICR

10 Garcia T. (2018) Introduction au droit de la sécurité internationale et au droit international humanitaire, Faculté de Droit, Université Grenoble-Alpes

11

des Nations (SDN)11 distingue les guerres illicites d'agression12 des guerres licites13 c'est-à-dire toutes celles qui n'entrent pas dans cette catégorie. Le 27 août 1928 à Paris, le Pacte Briand-Kellog14 met fin à la compétence discrétionnaire des Etats (hormis le cas de légitime défense) sans interdire pour autant de manière générale et absolue le recours à la force. Ainsi, les parties « déclarent solennellement qu'elles condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu'instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles »15. À l'issu de la Deuxième Guerre mondiale, les violations répétées du Pacte Briand-Kellog et l'échec de la SDN ont poussé les Etats a créer une institution qui concilie « le principe de majorité et celui d'unanimité, la démocratie des peuples et les rapports de puissance »16.

La Charte des Nations Unies17 signée le 26 juin 1945 à San Francisco a ainsi été conçue afin de fonder un processus constitutif vraiment efficace ne permettant pas l'utilisation unilatérale de la force par ses Membres. Comme le décrit Sigvard Jarvin18, le but de créer une organisation de cette envergure est de réprimer par l'action collective toute violation par force militaire de l'indépendance politique ou de l'intégrité territoriale d'un Etat. Ainsi, dans ce processus, l'Etat national s'est dépourvu du droit de décider de l'usage de la force au profit de l'ONU de la même manière que l'individu renonce à ses droits personnels afin de faire partie d'un groupe social (le peuple) au sein d'un même corps politique (l'Etat) selon la théorie du pacte social de Rousseau19.

L'ONU est instituée le 24 octobre 1945 par cinquante Etats membres. Aujourd'hui, elle constitue une Organisation internationale universelle puisqu'elle compte 193 Etats membres sur les 197 Etats répertoriées dans le monde. Cette universalité lui permet également de détenir une grande légitimité sur le rang international puisque l'Organisation bénéficie d'une représentativité presque totale au sein de la communauté internationale. De par cette représentativité, l'ONU représente l'institution multilatérale par excellence. En plus de cette légitimité, depuis l'avis consultatif de la CIJ du 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies20, l'ONU détient la qualité de sujet de droit international distinct de ses membres constitutifs. La reconnaissance de cette personnalité juridique internationale fait donc de l'ONU un sujet à part entière de droit international, non seulement destinataire d'obligations, mais également titulaire de droit que l'Organisation peut elle-même faire valoir.

11 « Pacte de la Société des Nations» dans Annuaire de la Société des Nations, Genève, Édition de l'Annuaire, 1939.

12 Selon l'article 10 du Pacte de la Société des Nations op. cit

13 Selon l'article 25 du Pacte de la Société des Nations op.cit

14 « Pacte général de renonciation à la guerre » ; texte dans la RGDI publ. 1928. 683 et s.

15 Selon l'article 1er du Pacte Briand-Kellog op.cit

16 Gerbet P. Virally M, op.cit.

17 Charte de San Francisco du 26 juin 1945, JO 13 janv. 1946

18 Jarvin S., The Quest for World Order and Human Dignity in the Twenty-first Century: Constitutive Process and Individual Commitment, General course on Public International Law - Journal du droit international (Clunet) n° 1, Janvier 2015, biblio. 4

19 La théorie du pacte social de Rousseau est présenté dans le Chapitre VI du Du contrat social (1762). Cette conception repose sur un pacte garantissant l'égalité et la liberté entre tous les citoyens. Ce pacte est contracté entre tous les participants, ainsi, chacun renonce à sa liberté naturelle pour gagner une liberté civile. Il s'agit alors d'une souveraineté populaire indivisible et à la recherche de l'intérêt général.

20 CIJ, Avis consultatif du 11 avril 1949, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies.

12

Au sein de la Charte, la guerre est désormais conçue comme un mode de règlement illicite (Article 2.421) et les recours aux procédures pacifiques de règlement deviennent une nécessité incontournable (Article 3322). La question du recours à la force est au coeur des débats de la construction de l'ONU. Le principe de l'interdiction du recours à la force constitue de ce fait la clé de voûte de tout le système réglementaire de la Charte. Jean Charpentier soulignait dans ce même esprit que « Tout le système de la Charte est construit autour de l'interdiction du recours à la force. L'obligation faite aux Etats par l'Article 2§3 de régler pacifiquement leurs différends internationaux n'apparaît que comme un corollaire logique de cette interdiction»23.

Délimitation du sujet et précisions terminologiques

La définition du droit de la sécurité internationale s'entend comme un « ensemble des règles et des pratiques qui appréhendent la sécurité internationale»24 définie, selon le Dictionnaire de droit international public, comme la « situation dans laquelle la communauté internationale jouit d'un état de tranquillité par l'absence de menace contre la paix ou de rupture de celle-ci»25. Afin de préserver la sécurité collective, l'ONU établie une interdiction générale du recours à la force. La notion de recours à la force n'est cependant pas définie dans la Charte. Elle peut néanmoins être abordée comme la « possibilité de faire appel aux différents moyens mis à disposition d'une armée régulière d'un Etat pour mener à bien une quelconque action »26.

Ainsi, comme présenté auparavant, l'ONU représente l'institution garante du maintien de la paix internationale. En cela, le cadre réglementaire de la Charte est celui dont se base l'analyse afin d'en exposer les faiblesses et affirmer qu'au sein de cette Organisation multilatérale, le recours unilatéral à la force est présent et s'y développe continuellement. De plus, comme la recherche prend appui sur l'ONU, l'étude ne se borne pas au domaine géographique d'un seul Etat, mais s'applique plutôt à tous les Etats membres de l'Organisation.

L'ONU représente ainsi l'institution multilatérale par excellence. En effet, le multilatéralisme est un concept utilisé dans le champ des relations internationales et « se définit comme un mode d'organisation des relations inter-étatiques 27». Concrètement, il se traduit par la coopération d'au moins trois Etats dans le but d'instaurer « des règles

21 L'article 2.4 de la CNU dispose que « Les membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».

22 L'article 33.1 de la CNU dispose que : «Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix ».

23 Commentaire de l'Article 2 § 3 par Cot J., Pellet A., Forteau M., La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, Paris, Economica, 3ème Ed. Mise à jour, revue et augmentée dans le cadre du Centre de Droit international de Nanterre à l'occasion du 60ème anniversaire des Nations Unies, 2005, p.103

24 Salmon, J. (2001, Decembre 10). Dictionnaire de droit international public, Bruylant, 1198 p.

25 Ibid.

26 Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. Droit. Normandie Université, Université de Lomé (Togo), 2019, p.38

27 Morelle, F. (2013). definition de multilatéralisme. Consulté 6 juin 2020, à l'adresse https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/multilateralisme.html

13

communes 28». C'est durant le XXe siècle que le multilatéralisme s'institutionnalise avec notamment la création de la SDN et plus encore avec celle de l'ONU ou de l'OMC. Le multilatéralisme devient alors un projet politique visant à favoriser les échanges et la coopération inter-étatique et s'installant comme une valeur de référence pour la conduite des affaires internationales. Le début du XXIe siècle marque cependant une remise en cause du système multilatéral notamment au sein de l'OMC et de l'ONU au profit d'actions bilatérales, régionales ou unilatérales29.

En effet, l'antonyme du multilatéralisme est l'unilatéralisme qui s'entend comme une « tendance à agir en fonction de sa volonté et de ses intérêts propres, sans égard pour la souveraineté d'autres Etats et à l'extérieur des cadres multilatéraux 30». Ainsi, l'unilatéralisme des Etats tend à évincer le cadre multilatéral de l'ONU créé afin de sauvegarder la paix et la sécurité internationale.

L'intérêt du sujet réside en grande partie dans l'évolution du recours à la force en droit international. En effet, il est indéniable que le droit international établi en 1945 n'est plus celui appliqué aujourd'hui. Il s'adapte et se module constamment aux nombreuses mutations de la société. En cela, les nouvelles justifications étatiques du recours à la force peuvent être considérées comme l'évolution du droit au sein de la société contemporaine. Même si ces dernières ne disposent pas toutes de fondements légaux, il est possible de les penser comme intégrant la pratique internationale. Après tout le Conseil de sécurité de l'ONU lui-même interprète la Charte et autorise les Etats à user de la force lorsqu'il l'estime nécessaire. Ainsi, le débat consiste également à savoir comment interpréter ces nouvelles justifications du recours à la force unilatéral.

Il semble néanmoins important de délimiter temporellement cette analyse afin de recentrer le sujet. L'étude se concentre donc sur les actions unilatérales ayant pris place à la suite des années 1990. En effet, la période post-Seconde Guerre mondiale jusqu'à 1990 est caractérisée par une série de blocages partiels dus à l'accroissement des rivalités entre les deux blocs de la Guerre froide. La fin du bloc soviétique a marqué une relance de l'action de l'ONU qui s'est accompagnée de nombreux nouveaux conflits émergents sur la scène internationale. Le début du XXIe siècle et les attentats du 11 septembre 2001 marque également le franchissement d'un nouveau palier avec une mutation de la notion de menace contre la paix et de très nombreuses transgressions du principe d'interdiction du recours à la force. Dans un discours prononcé devant la 58ème Assemblée générale des Nations Unies, le 23 septembre 200331, le Secrétaire général de l'ONU de l'époque, Monsieur Kofi Annan, a mis en exergue cette multiplication de l'usage unilatéral de la force qui remet en cause le fondement même de l'Organisation.

Ainsi, d'un point de vue méthodologique, le travail de recherche se concentre sur

28 Ibid.

29 Ces dernières années marquent en effet un rejet massif du système multilatéral au sein des organisations internationales universelles notamment de l'OMC et de l'ONU. Grégory Vanel dans son article publié le 19 juin 2018 dans le journal académique The Conversation (VANEL G., Commerce international : le multilatéralisme était mort-vivant, Trump l'achève, The Conversation, 19 juin 2018) remet en cause l'utilité du multilatéralisme en le qualifiant de « zombie institutionnel, un corps mort possédant l'apparence de la vie ». Il prend alors exemple sur l'OMC complètement paralysée dans ses négociations du fait du mode multilatéral de décision (1 Etat= 1 vote).

30 Morelle F. Définition de multilatéralisme op.cit

31 Cité par Garcia T. (2018) Introduction au droit de la sécurité internationale et au droit international humanitaire, op.cit. p. 44

14

la multiplication de l'usage unilatéral du recours à la force par les membres de l'ONU après les années 1990. Il s'agit d'une réflexion sur les justifications juridiques du recours discrétionnaire à la force malgré le cadre multilatéral onusien prévu à cet effet. Ces dernières montrent l'existence d'une tendance à la mise à l'écart du cadre réglementaire de la Charte au profit d'une action unilatérale. Cet évincement est renforcé par les argumentations étatiques privilégiant une action coercitive légitime et donc subjective à un recours à la force légal. La recherche prend de ce fait position et part du postulat que ces justifications étatiques représentent un danger pour le but ultime de l'ONU, la sécurité collective, et par conséquent également pour l'ensemble du droit international. L'étude s'évertue ainsi à dépeindre cette menace tout en rappelant par la même occasion que le système réglementaire onusien en place est loin d'être sans défaut. En effet, L'ONU de par ses failles fonctionnelles et les atteintes fréquentes à sa réglementation semble alors menacé d'obsolescence. L'objectif principal est donc de démontrer dans quelle mesure le système de sécurité collectif onusien est aujourd'hui menacé de caducité par le recours unilatéral à la force des Etats et les justifications juridiques qu'ils font naître.

Il semble alors indispensable de présenter le cadre légal du principe de l'interdiction du recours à la force établi par la Charte de l'ONU et son fonctionnement en pratique. Tout en décrivant les règles applicables, il est également nécessaire de présenter ses faiblesses et lacunes afin de comprendre, en partie, pourquoi le principe de l'interdiction du recours à la force est constamment transgressé. Le système de l'ONU est ainsi décrit dans cette étude comme en pleine détérioration (PREMIERE PARTIE). Une fois les défaillances du cadre réglementaire de l'interdiction du recours à la force présenté, les violations à ce principe par les Etats sont décryptées afin d'en exposer les dangerosités. Ainsi, les arguments viseront à exposer pourquoi les justifications étatiques fournies sont contraires à la fois à l'esprit et également à la lettre de la Charte des Nations Unies (SECONDE PARTIE).

PARTIE I

15

La détérioration du système instauré par la Charte des Nations unies

16

Dans le système mis en place par les Nations unies, une certaine cohérence régit le recours à la force. Le principe d'interdiction du recours à la force revêt un caractère fondamental néanmoins ponctué par des exceptions, des dérogations à la règle générale. En effet, l'article 2§4 de la Charte interdit le recours à la force contre « l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Ainsi, il est sous-entendu que dans certaines circonstances, la Charte admet que le recours à la force puisse être licite. Ces exceptions sont néanmoins strictement définies. Le cadre législatif entourant le recours à la force apparaît cependant comme remis en cause par l'unilatéralisme récurrent. Une partie de la doctrine considère ainsi que la pratique contraire efface ou tout du moins, rend obsolète la Charte. Par conséquent, force est de constater que la réglementation de l'usage de la force par la Charte des Nations Unies est remise en cause par une pratique contraire (CHAPITRE I). Cette remise en cause conduit à s'interroger sur la nature des défaillances de l'ONU. Le système de sécurité collective ne revêt plus uniquement un caractère conjoncturel mais également structurel. De la même façon qu'est contesté le monde multilatéral de règlement des différends, l'ONU en tant qu'institution présente des failles certaines. Ces faiblesses s'allient avec une mutation du concept de menace contre la paix telle qu'il est défini par la Charte. Ainsi, il est indubitable que les atteintes au principe de l'interdiction du recours à la force sont facilitées par les défaillances du système onusien (CHAPITRE II).

17

CHAPITRE I

La réglementation de l'usage de la force par la Charte des Nations
Unies remise en cause par une pratique contraire

La notion de sécurité collective a été empruntée par la Charte au Pacte de la Société des nations en corrigeant néanmoins ses défaillances et imperfections. L'organe principal de l'ONU, le Conseil de sécurité a été investi du rôle de gardien de cette sécurité. L'interdiction du recours à la force en droit international représente la clé de voûte du système onusien. La doctrine, les autres organes onusiens et les Etats membres de l'ONU affirment et réaffirment continuellement ce principe. Pourtant, la doctrine est divisée en ce qui concerne la valeur de l'interdiction et de l'article 2§4 en droit international. Il est néanmoins indéniable qu'il s'agit d'un principe fondamental (Section 1). La règle générale étant définie, il est également important de rappeler les exceptions à la règle. En effet, l'usage de la force est autorisé seulement dans les cas expressément prévus par la Charte comme exceptions à l'article 2§4. Ainsi, en son article 51, la Charte conçoit le cas de légitime défense individuelle ou collective et au sein de son Chapitre VII elle encadre l'action coercitive du CS en cas de menace ou de rupture de la paix. Par ce dernier biais, le CS détient de nombreux pouvoirs discrétionnaires notamment pour ce qui est de la qualification d'un conflit et également pour décider des mesures de sanction à l'encontre d'un Etat ayant agi dans l'illégalité de la Charte. Ainsi le principe défini à l'article 2§4 est tempéré par deux exceptions strictement encadrées (Section 2). Néanmoins, la pratique contraire au principe questionne une partie de la doctrine sur la caducité de la Charte face à ses nombreuses transgressions. Le modèle unilatéral semble ainsi se développer dans les années 1990, à l'instar des Etats-Unis avec l'élection de Bill Clinton en 1993, au sein même de l'institution multilatéral par excellence (Section 3).

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Section 1 : Le principe fondamental de l'interdiction du recours à la force dans la
Charte des Nations Unies

Le recours à la force n'a pas été défini par la Charte des Nations Unies malgré son interdiction au sein de l'article 2§4. Il ne s'agit toutefois pas d'une interdiction totale au vu des deux exceptions présentes dans la Charte. Monsieur Alassani, dans sa thèse, décrit une « plutôt une réduction du droit pour les Etats de recourir à la force»32, une réglementation. Ce principe bénéficie d'une constante réaffirmation tant par les institutions internationales que par les Etats (Paragraphe I). Cependant, il est difficile d'affirmer qu'il représente une norme impérative du droit international tant les transgressions au principe sont courantes et les justifications invoquées nombreuses (Paragraphe II).

Paragraphe I- La réaffirmation constante du principe de l'interdiction du recours à la force

Le principe de l'interdiction du recours à la force est la pièce maîtresse de toute la structure de sécurité collective de la Charte dans la mesure où tout le système est construit autour de cette interdiction. En ce sens, Christian Tomuschat considère que «without any exaggeration, it may be stated that non-use of force is the most important cornerstone of the present-day edifice of international law33». Le caractère impératif du principe est confirmé par des dispositions conventionnelles, des traités multilatéraux et par l'acte constitutif de la plupart des organisations régionales. À titre d'exemple, il est possible de citer l'article 4 (f) de l'Acte constitutif de l'Union africaine qui rappelle « l'interdiction de recourir à la force ou de menacer de recourir à l'usage de la force entre les Etats membres de l'Union africaine »34. Il en est également ainsi pour l'article 1er du Traité de l'Atlantique du Nord35. Le principe de l'interdiction du recours à la force est ainsi bien ancré dans la pratique conventionnelle.

Au sein même des Nations Unies, le principe du non recours à la force a été maintes fois réaffirmé notamment par l'Assemblée Générale de l'ONU. L'AG détient des compétences en matière de sécurité internationale au titre des articles 12 et 14 de la Charte36 que l'on pourrait qualifier de subsidiaire. En effet, l'article 12 prévoit que «

32 Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.67.

33 Tomuschat C., Cours général de droit international public., Académie de droit international de La Haye, Recueil des cours, vol.281, 1999, p.206.

34 Acte constitutif de l'Union Africaine, 9 juillet 2002. Disponible à l'adresse :
https://au.int/sites/default/files/pages/34873-file-constitutive_act_french-1.pdf consulté le 08/06/2020

35 Article 1er du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) (4 avril 1949) : « Les parties s'engagent, ainsi qu'il est stipulé dans la Charte des Nations Unies, à régler par des moyens pacifiques tous différends internationaux dans lesquels elles pourraient être impliquées, de telle manière que la paix et la sécurité internationales, ainsi que la justice, ne soient pas mises en danger, et à s'abstenir dans leurs relations internationales de recourir à la menace ou à l'emploi de la force de toute manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » Disponible à l'adresse : https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/stock_publications/20120822_nato_treaty_fr_light_20 09.pdf Consulté le 08/06/2020.

36 L'article 14 de la CNU dispose que: « Sous réserve des dispositions de l'Article 12, l'Assemblée générale peut recommander les mesures propres à assurer l'ajustement pacifique de toute situation,

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Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande37». Les actes pris par l'AG dans ce domaine ne sont que des recommandations cependant, ses résolutions peuvent aider dans l'interprétation et la clarification des portées de la Charte. Ainsi, dans la Déclaration relative à la décolonisation de 196038, l'AG prohibe le recours à la force contre les peuples dépendant ou encore dans la Déclaration sur les relations amicales de 197039 qui énonce l'interdiction de la menace ou de l'emploi de la force. La Cour internationale de justice rappelle également dans beaucoup de ses arrêts l'importance du principe notamment dans la célèbre affaire Nicaragua v. Etats-Unis de 1986. La Cour juge dans le paragraphe 189 que « le principe de non-emploi de la force peut être considéré comme un principe de droit international coutumier, non conditionné par les dispositions relatives à la sécurité collective »40. Il est également possible de citer l'arrêt Detroit de Corfou de 194941, l'avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires42 ou encore l'affaire des Plate formes pétrolières de 200343.

Ainsi, il ne fait aucun doute que la plupart des normes conventionnelles rejettent le recours à la force au profit de la souveraineté du territoire, de l'indépendance des Etats membres ainsi que des recours pacifiques. Cependant, au regard des nombreuses transgressions à ce principe cette étude prend position et considère que le non-recours à la force n'est pas considéré comme une norme impérative du droit international malgré l'avis principalement opposé de la doctrine (Paragraphe II).

Paragraphe II- La valeur juridique du principe de l'interdiction du recours à la force

Le principe de non-recours à la force est de manière indubitable une norme fondamentale du droit international comme le premier paragraphe le prouve de par ses confirmations récurrentes au sein des normes conventionnelles internationales. Cependant, il est difficile de le considérer comme un principe de jus cogens44, un

quelle qu'en soit l'origine, qui lui semble de nature à nuire au bien général ou à compromettre les relations amicales entre nations, y compris les situations résultant d'une infraction aux dispositions de la présente Charte où sont énoncés les buts et les principes des Nations Unies ».

37 Article 12 de la CNU disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-iv/index.html consulté le 08/06/2020

38 8A1RES/l514 (XV), 14 décembre 1960, adoptée par 89 voix et 9 abstentions

39 AlRES/2625 (XXV), 24 octobre 1970

40 Eisemann P-M., L'arrêt de la CIJ dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis) fond arrêt du 27 juin 1986. In: Annuaire français de droit international, volume 32, 1986. pp. 153-191. Dans le cas d'espèce, la CIJ a considéré que les Etats-Unis ont agi en violation des obligations que leur impose le droit international coutumier de ne pas recourir à la force contre un autre Etat.

41 Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c. Albanie) Arrêt du 9 avril 1949, disponible à l'adresse: https://www.icj-cij.org/files/case-related/1/1646.pdf

42 Perrin de Brichambaut M., Les avis consultatifs rendus par la CIJ le 8 juillet 1996 sur la licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé (O.M.S.) et sur la licéité de la menace et de l'emploi d'armes nucléaires (A.G.N.U.). In: Annuaire français de droit international, volume 42, 1996. pp. 315-336.

43 Jos E. L'arrêt de la C.I.J. du 12 décembre 1996 (exception préliminaire) dans l'affaire des plate-formes pétrolières (Rép. islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique). In: Annuaire français de droit international, volume 42, 1996. pp. 387-408.

44 Le concept de Jus cogens renvoi à la Convention de Vienne (23 mai 1969) sur le droit des traités ou il

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principe intransgressible, malgré les avis opposés de nombreuses institutions à l'instar de la Commission du droit international (CDI). L'organe de codification de droit international des Nations Unies, considère en effet que « le droit de la Charte concernant l'interdiction du recours à la force constitue en soi un exemple frappant d'une règle de droit international qui relève du jus cogens »45. De plus, une grande partie de la doctrine considère également que le principe du non-recours à la force représente une norme impérative du droit international. Pierre-Marie Dupuy par exemple, appréhende les principes du jus cogens comme « dans le prolongement historique, logique et idéologique de la Charte des Nations Unies»46.

Néanmoins, il ne suffit pas de déclarer la Charte des Nations Unies comme étant au « même niveau » que le jus cogens puisque ce dernier renvoi à « une norme impérative » précise et définie. Par conséquent, il ne semble pas légitime de considérer tous les principes de la Charte comme une norme impérative sans les étudier un par un. Ainsi, en observant le principe de l'interdiction du recours à la force consacré à l'article 2§4, il ne semble pas que ce dernier puisse être considéré comme une norme impérative.

En effet, le premier critère du jus cogens est d'être une norme largement reconnue et acceptée dans le droit international en général et, comme le prouve le paragraphe précédent, cette condition est bien remplie. Le second critère correspond à l'acceptation et la reconnaissance du principe par la communauté internationale dans son ensemble. En cela, il semble que la très grande majorité des Etats acceptent et reconnaissent le statut de norme impérative de l'interdiction générale du recours à la force. En effet, afin de prouver l'ampleur de cette reconnaissance par la communauté internationale, Olivier Corten a relevé lors de la résolution 42/22 de l'AG en 198747, qu'aucun Etat (62) n'a manifesté de contestation, ni n'a fourni d'autres détails à ce sujet48. Le 3ème critère en revanche, et d'un point de vue subjectif, n'est pas rempli car il correspond au caractère non-dérogatoire d'une telle norme. Ainsi, ce n'est pas à cause des dérogations prévues dans la Charte que ce critère n'est pas accepté, mais plutôt en raison de la multiplication des nouvelles justifications aux transgressions du principe. En effet, pour n'en citer que quelques-uns, la légitime défense préventive, le recours à la force unilatéral pour lutter contre le terrorisme ou intervenir dans un but humanitaire sans l'aval du CS n'est pas considéré aujourd'hui comme relevant du droit positif. Ainsi, et pour cette raison, l'interdiction du recours à la force n'est pas considérée comme relevant du jus cogens.

Toutefois, quelle que soit la valeur de ce principe dans le droit international, il

est défini dans l'article 53 comme « une norme impérative de droit international général acceptée et reconnue par la communauté internationale dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise ».

45 Annuaire CDI, 1966-II, p. 270. Dans son arrêt de l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, la CIJ a cité in extenso ce passage en rajoutant que les représentants des Etats mentionnent

ce principe comme étant un principe fondamental ou essentiel du droit international: Rec. CIJ, p. 100101, § 190. La CIJ s'est cependant abstenue de prendre partie sur la question : ibid. La doctrine, dans sa grande majorité, admet que le principe de l'interdiction du recours à la force relève du jus cogens. Verhoeven J., Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, 856 p., p. 671 ; Daillier P., Pellet A., Droit international public, Paris, LGDJ, 7e éd., 2002, 1510 p., p. 967

46 Dupuy P-M., « L'unité de l'ordre juridique international », Académie de droit international, Recueil des cours, vol. 297, 2002, à la page 192.

47 Comité spécial pour le renforcement de l'efficacité du principe de non-recours à la force dans les relations internationales, AG, 42ème sess, Suppl. N°41 (A/42/41), 20 mai 1987, p.22, par 56.

48 Corten O., Le droit contre la guerre, Paris, Pedone, 2014, 2ème édition, p.345.

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est indéniable qu'il s'agit d'une norme fondamentale afin de garantir la paix et la sécurité internationale. Par ailleurs, Joe Verhoeven dans son manuel soutient que l'interdiction « revêt un caractère d'ordre public, ce qui entache de nullité toute convention qui la méconnaîtrait (...) et sa violation est constitutive d'un crime international»49. Toutefois, bien que l'interdiction du recours à la force soit fondamentale, la Charte y admet toutefois deux exceptions strictement encadrées (Section 2).

Section 2 : Un principe tempéré par des exceptions strictement encadrées

Hormis l'inusité de l'article 107 de la Charte50 concernant le recours à la force contre les anciens Etats ennemis de la Seconde Guerre mondiale, deux types d'exceptions sont légalement prévues par la Charte. Ainsi, de nombreux auteurs ne considèrent pas l'article 2§4 de la Charte comme une interdiction, mais plutôt comme réglementation du recours à la force armée51. En interprétant de cette façon la Charte cela signifie alors que les Etats sont libres de recourir à l'emploi de la force armée sous certaines conditions. Cependant, la Charte prend bien soin de préciser dans son article 2 que le recours à la force armée est prohibée sauf dans des circonstances strictes. Ainsi, cette interprétation n'est pas légitime, les Etats, ne peuvent pas licitement déclencher un conflit sauf en cas de légitime défense comme décrit à l'article 51 (Paragraphe I) ou lors de l'action du CS en cas de menace, rupture de la paix et d'acte d'agression (Paragraphe II).

Paragraphe I- L'exception de la légitime défense conditionnée

La légitime défense dans la Charte des Nations unies est présentée comme une exception légale au recours à la force et par conséquent, son interprétation se veut restrictive. En cela, elle est conditionnée à la fois dans son contenu (ratione materiae) et dans le temps (ratione temporis).

L'article 51 définit l'exception de la légitime défense comme un droit naturel, inaliénable : «Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales »52. Toutefois, de nombreuses incertitudes pèsent sur cet article. En effet, seulement l'agression armée constitue le fondement à la légalité de la légitime défense et peut déclencher le mécanisme de réponse de manière individuelle ou collective. Seulement, la notion de légitime défense est confuse au sein de la Charte car il manque certaines définitions vitales à sa compréhension.

49 Verhoeven J. Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p.671

50 Article 107 Charte des Nations Unies qui dispose : « Aucune disposition de la présente Charte n'affecte ou n'interdit, vis-à-vis d'un État qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, a été l'ennemi de l'un quelconque des signataires de la présente Charte, une action entreprise ou autorisée, comme suite de cette guerre, par les gouvernements qui ont la responsabilité de cette action ».Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-xvii-0/index.html Consulté le 08/06/2020

51 Kreipe N., Les autorisations données par le Conseil de sécurité des Nations Unies à des mesures militaires, Paris, Ed. LGDJ, 2009, p.16

52 Article 51 Charte des Nations Unies, disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html Consulté le 09/06/2020

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En premier lieu, la Charte ne définit pas les conditions d'exercice d'une légitime défense collective. Un Etat n'ayant pas été agressé peut donc intervenir au nom d'accords de défense le liant à un Etat victime d'agression ? Il n'y a aucune précision au sein de la Charte concernant cette possibilité même si en pratique elle a été utilisée de nombreuses fois notamment par les Etats-Unis au Liban en 1958, mais également par l'URSS pour justifier ses interventions à Prague en 1968 et en Afghanistan en 1979. La légitime défense individuelle a elle été utilisée par exemple lors de la guerre des Malouines en 1982 par le Royaume-Uni contre l'Argentine. En droit, il est difficile de légitimer la possibilité d'une légitime défense si l'agression n'a pas eu lieu sur le territoire de l'Etat en question. Cependant, la Charte l'autorise de manière claire au sein de la première partie de l'article 51, le droit de LD collective représente donc un « droit naturel » inhérent aux Etats, au même titre que la légitime défense individuelle.

Ensuite, la Charte ne précise pas non plus ce qu'elle entend par « agression ». En effet, il a fallu attendre près de trente ans après l'entrée en vigueur de la Charte afin que le terme « agression » soit clarifié par la résolution 3314 de l'AG en 1974 : « L'emploi par un Etat de la force armée contre la souveraineté, l'intégrité territoriale, ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies »53. Dans l'arrêt de la CIJ, Nicaragua c. Etats-Unis54, la Cour a considéré que l'agression pouvait être accomplie par un autre sujet de droit que l'Etat. Ces autres sujets peuvent être des groupes insurrectionnels, des mouvements de libération nationale ou même un groupe terroriste basé sur le territoire d'un Etat souverain comme l'ont confirmé les résolutions du CS 136855 et 137356 du 12 et 28 septembre 2001.

L'article 51 n'a fait que reconnaître l'existence de ce droit de manière conventionnelle, mais il détient également une valeur coutumière comme le rappelle encore l'affaire Nicaragua c. Etats-Unis 57: « La Charte n'en réglemente pas directement la substance dans tous ses aspects (...) et ne comporte pas la règle spécifique, pourtant bien établie en droit international coutumier, selon laquelle la légitime défense ne justifierait que des mesures proportionnées à l'agression armée subie, et nécessaires pour y mettre fin ». Ainsi, bien que la Charte ne mentionne pas des conditions matérielles, la jurisprudence internationale elle, le fait, et soumet la LD à un caractère de nécessité et de proportionnalité. Ce précèdent a ensuite été confirmé en 2003 dans l'affaire des plate formes pétrolières58, et également dans l'affaire des activités armées sur le territoire du Congo en 2005 59. Ces arrêts déclarent ainsi que les caractères de nécessité et de proportionnalité sont des conditions sine qua non dans l'exercice de la

53 Jaroslav Z., Enfin une définition de l'agression. In: Annuaire français de droit international, volume 20, 1974. pp. 9-30.

54 Eisemann P-M., L'arrêt de la CIJ dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis) fond arrêt du 27 juin 1986. op.cit

55 Résolution 1368 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l'unanimité le 12 septembre 2001 lors de la séance n°4370. S/RES/1368

56 Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptée le 28 septembre 2001. CS/2197 communiqué de presse à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2001/CS2197.doc.htm consulté le 09/06/2020

57 Eisemann P-M., L'arrêt de la CIJ dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis) fond arrêt du 27 juin 1986. op.cit

58 Jos E. L'arrêt de la C.I.J. du 12 décembre 1996 (exception préliminaire) dans l'affaire des plate-formes pétrolières (Rép. islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique). op.cit.

59 Affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) arrêt du 19 décembre 2005 CIJ, vue d'ensemble de l'affaire disponible à l'adresse : https://www.icj-cij.org/fr/affaire/116 Consulté le 09/06/2020

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légitime défense. Par nécessité, la CIJ entend le fait pour l'Etat de ne pas pouvoir réagir autrement, qu'il n'y ait aucun autre moyen de se soustraire au danger. La proportionnalité, quant à elle, est définie comme le fait de ne pas avoir d'excès dans la riposte. Le risque sans cette condition de proportionnalité est de voir l'Etat victime se transformer en Etat agresseur. L'appréciation de cette condition se fait au cas par cas selon les circonstances en espèce.

La légitime défense est également conditionnée dans le temps comme le démontre la suite de l'article 51 : «Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Ainsi, le droit de légitime défense apparaît comme un droit subsidiaire dans la mesure où il ne peut être invoqué aussi longtemps que le Conseil de sécurité le décide60. Il n'est également que temporaire si tant est que la liberté d'action dont les Etats jouissent après une agression armée ne subsiste pas dans le temps, il s'agit uniquement d'une parenthèse avant que le CS ne prenne le relais. La LD se termine ainsi dès l'intervention du CS selon la 2ème partie de l'article 51. Si le Conseil se retrouve bloqué par le veto d'un Etat membre permanent, la LD prend fin dès que son but est atteint. De plus, l'article 51 exige que la réaction armée soit immédiate, condition qui n'est pas vraiment respectée en pratique puisque certaines circonstances rendent parfois impossible la réaction immédiate. Ainsi, par exemple, la Grande-Bretagne n'est intervenue pendant le conflit des Malouines qu'après la résolution du CS demandant à l'Argentine de retirer ses troupes. Les hostilités armées n'ont débuté que plusieurs jours après l'occupation argentine des îles. Il est possible ainsi d'argumenter que la Grande-Bretagne n'a pas respecté les conditions énoncées par la Charte et a donc perpétré un recours à la force illicite61. Le CS et l'AG des Nations unies n'ont toutefois pas évoqué une quelconque transgression en ce sens, les conditions de proportionnalité et de nécessité étant respectées selon eux. Le CS comme précisé dans l'article 51 souhaite également contrôler la mise en place de la LD et demande à ce que l'Etat lors de l'exercice de ce droit prévienne immédiatement le CS de son intention.

Ainsi, cet exercice du droit de LD est encadré à la fois par des conditions matérielles et temporelles contrôlées par le CS. Toutefois, la Charte dans son article 51 présente des incertitudes quant à la qualification de l'agression, la nature de la LD et dans son encadrement et limitation dans le temps. Ces nombreuses hésitations facilitent en partie les transgressions et interprétations de ce droit par les Etats comme il l'est indiqué au sein du second chapitre. La LD, en tant qu'action provisoire, est arrêtée lorsque le CS prend des mesures collectives d'action coercitive afin d'arrêter cette agression et de rétablir la paix. Dans ces conditions, la sécurité collective se substitue l'action de l'Etat (Paragraphe II).

Paragraphe II- L'action collective du Conseil de sécurité en cas de menace ou rupture de la paix et d'acte d'agression

60 Salmon J., Dictionnaire de droit international public, Bruxelles: Bruylant, 200l, à la page 642.

61 Voir Garcia T. (2018) Introduction au droit de la sécurité internationale et au droit international humanitaire, op.cit. p. 14

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Le Conseil de sécurité détient un rôle primordial dans le maintien de la paix et la sécurité internationale. Faisant l'objet des Chapitres V, VI et VII de la Charte, le CS agit au nom des Etats membres de l'ONU par une délégation de pouvoirs. Tandis que le Chapitre VI de la Charte donne la possibilité au CS de favoriser le règlement pacifique des différends. Le Chapitre VII en revanche, l'autorise à prendre des mesures contraignantes lorsqu'il constate une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression afin de rétablir la paix et la sécurité internationale. Le CS détient le pouvoir d'activation du Chapitre VII en qualifiant une situation et de mettre en place la procédure à suivre conformément à l'article 39 : «Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Le pouvoir discrétionnaire du CS comprend ainsi un mécanisme en deux temps : il utilise en premier ses pouvoirs institutionnels afin de lui permettre de prendre des mesures opérationnelles.

Comme décrit auparavant, l'article 39 permet au CS de qualifier juridiquement une situation. En ce sens, le professeur Dominicé considère que cette compétence constitue «le sésame » sans lequel il n'y a pas d'accès au pouvoir de sanction découlant du Chapitre VII62. Il n'y a cependant aucune définition précise de ces notions ce qui accroît indubitablement la marge de manoeuvre et le pouvoir discrétionnaire du CS. Pour le professeur Jean Combacau, il ne « constate » pas ces situations, mais « décide »63 de leur existence dans la mesure où il choisit la qualification la plus opportune. Ainsi, le CS a la double faculté de qualifier une situation et d'agir en conséquence afin de résoudre la menace. Il ne fait cependant aucun doute que la qualification d'une situation par le CS dépend des mesures qu'il veut prendre. Il n'est de ce fait pas légitime pour un organe politique d'adopter une mesure avant d'examiner le moyen de droit l'autorisant à le mettre en oeuvre. La procédure est ainsi biaisée et le fait qu'un seul organe dispose d'un si grand pouvoir discrétionnaire est inquiétant.

Le CS peine de ce fait à utiliser toute autre qualification que « menace contre la paix » puisqu'il s'agit de la moins contraignante du point de vue du droit et de la diplomatie. En effet, elle ne représente pas forcément un constat d'illégalité puisque le droit international ne semble interdire dans aucun texte de menacer la paix ou la sécurité internationale, mais seulement d'user de la force armée ce qui est plus restreint64. Cette qualification sert également de compromis s'il y a un doute sur le caractère international du conflit comme dans l'affaire de la Palestine (résolution 54 en 194865). Plus récemment, les actes terroristes ont également été qualifiés de menace contre la paix comme lors de la résolution 1373 de 2001 qui considère « tout acte de terrorisme comme une menace à la paix et à la sécurité internationale »66.

Les deux autres qualifications en revanche font le constat d'une transgression de

62 Dominicé C., L'ordre juridique international entre tradition et innovation, Nouvelle édition (en ligne), Genève, Graduate Institute Publications, 1997, 538 p.

63 Combacau J., Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies : résurrection ou métamorphose ? , in Ben Achour R., Laghmani S., Les nouveaux aspects du droit international, Rencontres internationales de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, Colloque des 14, 15 et 16 avril 1994, Paris, Pedone, 1994, p.145

64 Sorel J-M., L'élargissement de la notion de menace contre la paix, in Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Colloques SFDI de Rennes, Paris, Pedone, 1995, p.3-57, p.41-42

65 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU n°54 du 15 juillet 1948 S/RES/54 (1948)

66 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU n°1373 du 28 septembre 2001. S/RES/1373 (2001) communiqué de presse disponible à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2001/CS2197.doc.htm consulté le 09/06/2020

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la Charte et de son article 2§4. L'acte d'agression représente la forme la plus grave de l'emploi illicite de la force et le Conseil est très réticent à user de cette qualification. C'est pourquoi il qualifie, sans constater au sens de l'article 39 de la Charte, des situations d'actes d'agression comme ce fut le cas lors de la résolution 577 en 198567 afin de constater les attaques de l'Afrique du Sud contre Angola ou encore les raids israéliens contre le quartier général de l'Organisation de Libération de la Palestine dans une résolution 573 en 198568. Le CS utilise également des termes qui ne correspondent à aucune catégorie comme « l'acte agressif » pour qualifier les violences commises par l'Irak contre le personnel diplomatique du Koweït dans une résolution 667 en 199069, ou encore « d'attaques militaires » pour condamner les attaques d'Israël contre le Liban (résolution 332 en 197370). La notion de rupture de la paix est elle aussi très peu utilisée ou tout du moins employée lorsqu'il s'agit réellement d'un acte d'agression comme lors de l'annexion du Koweït par l'Irak en 1990. Ainsi, en utilisant le terme rupture de la paix, le CS n'a pas à désigner un Etat agresseur et un Etat agressé, il n'a pas non plus à se prononcer sur d'éventuelles sanctions afin de privilégier un règlement pacifique des différends. Cette notion détient une valeur diplomatique et politique forte, le but initial de l'ONU étant de préserver la paix et la sécurité internationale plutôt que respecter le droit international. Il est inutile de préciser que cette logique peut être très dangereuse d'un point de vue juridique et peut mener à de nombreuses transgressions comme c'est le cas depuis une vingtaine d'années.

Une fois la qualification juridique effectuée, le CS peut prendre des mesures provisoires comme le décrit l'article 40 de la Charte : « Afin d'empêcher la situation de s'aggraver, le Conseil de sécurité, avant de faire les recommandations ou de décider des mesures à prendre conformément à l'Article 39, peut inviter les parties intéressées à se conformer aux mesures provisoires qu'il juge nécessaire ou souhaitable. Ces mesures provisoires ne préjugent en rien les droits, les prétentions ou la position des parties intéressées. En cas de non-exécution de ces mesures provisoires, le Conseil de sécurité tient dûment compte de cette défaillance ». Ces mesures ont donc une finalité neutre et l'absence de respect par les Etats de ces dernières sera apprécié par le CS dans l'enclenchement des mesures opérationnelles. La nature juridique de ces mesures n'est pas très claire puisque le CS demande aux parties de « se conformer » à ces dernières.

Les mesures opérationnelles sont prises à la suite de la qualification du CS ou en constatation du non-respect des mesures provisoires. L'article 41 de la Charte71 propose un panel de mesures d'abord non-coercitives et, quant à l'article 4272, il autorise l'emploi

67 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU n°577 du 6 décembre 1985. S/RES/577 (1985) disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/577(1985) consulté le 09/06/2020

68 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU du 4 octobre 1985 n°573. S/RES/573 (1985) disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/573(1985) consulté le 09/06/2020

69 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU du 16 septembre 1990 n° 667. S/RES/667 (1990) disponible à l'adresse: https://undocs.org/fr/S/RES/667(1990) consulté le 09/06/2020

70 Résolution du Conseil de sécurité de l'ONU du 21 avril 1973 n°332. S/RES/332 (1973) disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/332(1973) consulté le 09/06/2020

71 Article 41 de la Charte des Nations Unies : «Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques ». Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html consulté le 09/06/2020

72 Article 42 de la Charte des Nations unies : « Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues

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de la force armée de manière collective par le CS. Le pouvoir du Conseil pour adopter des mesures de sanction, comme lors de la qualification, est discrétionnaire dans le sens ou il décide librement de l'entrée en vigueur des sanctions, de leur levée ou de leur suspension. Toutefois, l'AG, sur la base de l'article 12§173, peut recommander aux Etats membres d'adopter des mesures n'impliquant par l'emploi de la force à condition que la question soit encore inscrite à l'ordre du jour du CS ou, lorsqu'il est saisi, mais, dans l'incapacité d'exercer son pouvoir de décision74. Le CS privilégie l'adoption de mesures graduelles selon que l'Etat ou l'entité visée se conforme aux injonctions.

Les mesures coercitives à l'article 42 de la Charte ont été créées afin de corriger les insuffisances de la SDN. L'article 42 constitue le cadre juridique de la légalité des opérations militaires multinationales. Toutes les menaces, ruptures de la paix et actes d'agression peuvent justifier l'utilisation de cet article. Cependant, il n'y a aucun encadrement légal autour de ce dernier. En effet, il n'y a pas de conditions matérielles ou de limite dans le temps. Les critères d'emploi laissent entendre que les principes d'effectivité et de proportionnalité jouent un rôle dans le choix du moment, de la durée et de l'intensité des mesures coercitives prises mais il n'y a rien d'écrit spécifiquement. Chaque membre permanent du Conseil dispose toutefois d'un droit de veto afin de s'opposer à une mesure ou d'y mettre fin. In fine, le CS ne disposant pas d'armée propre, cet article n'est pas très efficace, il sert cependant à légitimer les recours à la force des Etats en pratique comme celles fondées sur la légitime défense.

Ainsi, le pouvoir du CS apparaît comme étendu au sein du Chapitre VII de la Charte. Il détient la prérogative de recourir à la force armée sans avoir réellement à justifier quoi que ce soit aux autres organes de l'ONU. La Charte, en voulant palier à l'inefficacité de la SDN, a admis un pouvoir discrétionnaire au CS qui peut s'avérer dangereux pour un organe politique et diplomatique plus que juridique. En ce sens, il se joue du manque de rigueur de la Charte afin de qualifier des conflits et de prendre des mesures coercitives à sa guise en ne suivant pas toujours le processus juridique adéquat. Ainsi, le CS, dans son rôle principal du maintien de la paix et de la sécurité internationale a tendance à manquer de rigueur juridique et à privilégier la diplomatie au droit.

La LD et le pouvoir d'action du CS en cas de menace contre la paix sont dans la Charte les deux seuls exceptions au principe d'interdiction du recours à la force. Cependant, il est possible d'observer dans la pratique une multiplication d'atteintes au non-recours à la force par les Etats membres de l'ONU sans l'aval du CS. L'unilatéralisme se développe ainsi en plein coeur de l'organisation multilatérale par excellence ce qui questionne une partie de la doctrine sur la caducité de la Charte

à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies. » disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html consulté le 09/06/2020

73 Article 12 paragraphe 1 de la Charte des Nations unies : « Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne le lui demande ». disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-iv/index.html consulté le 09/06/2020

74 Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies dite Dean Acheson du 3 novembre 1950 cité par Leprette J., Le Conseil de sécurité et la Résolution 377 A (1950). In: Annuaire français de droit international, volume 34, 1988. pp. 424-435.

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(SECTION 3).

Section 3 : La montée de l'unilatéralisme au sein de l'institution multilatérale par

excellence

Linos-Alexandre Scicilianos dans sa thèse se pose la question, reprise dans le titre de cette section, de savoir s'il n'est pas contradictoire de parler « d'unilatéralisme au sein de l'institution multilatérale par excellence ? »75. La réponse apparaît négative puisque cette tendance a émergé durant la période de paralysie du système onusien pendant la guerre froide ce qui a favorisé les actions militaires unilatérales et particulièrement venant des Etats-Unis. Ainsi, il est intéressant d'étudier cette doctrine et de remarquer comment elle s'insère au sein de l'ONU censé reposer sur le principe du multilatéralisme (Paragraphe I). Néanmoins, une partie de la doctrine considère que l'unilatéralisme et les transgressions du principe phare de l'ONU, l'interdiction du recours à la force, rend la Charte obsolète. Ce point de vue et son bien-fondé sont, de ce fait, étudiés au sein du second paragraphe (Paragraphe II).

Paragraphe I- L'unilatéralisme proclamé des Etats-Unis au sein de l'ONU

Le droit international et la judiciarisation des rapports inter-étatiques dissimulent un profond paradoxe. En effet, si tout sujet de droit international s'engage volontairement par le moyen d'accords multilatéraux, nombreux sont ceux qui cherchent aussitôt à éluder leurs nouvelles responsabilités auxquelles ils ont librement souscrites. Hagen Rooke étudie ce paradoxe au sein de sa thèse L'autoprotection et le droit de l'OMC76. Il dénonce ainsi les tentations fréquentes des Etats de dévier de l'ordre juridique international afin de faire valoir des rapports de force. L'engagement volontaire en droit international apparaît alors comme fragile car basé sur un système de réciprocité constant. Bien que son étude se situe au niveau de l'OMC, de grandes similitudes apparaissent dans ses réflexions avec l'unilatéralisme des Etats membres de l'ONU. La volonté des Etats apparaît, en effet, fluctuante et capricieuse et des schémas semblables se profilent dès lors qu'un Etat se retrouve dans une situation de crise qu'elle soit économique, politique ou militaire. La tendance dans ces cas est d'opter pour un repli sur le territoire national, un protectionnisme engagé afin de préserver le groupe social avec le plus de similitudes. Il s'agit en réalité d'un réflexe primitif et inhérent à la condition humaine, le besoin pour un groupe social d'être rassuré, recentré sur lui-même et de désigner un ennemi commun « responsable » de la crise en cours. C'est un fait humain puisque face à une menace, le groupe va réagir en se serrant les coudes et ses membres vont renforcer leur fierté d'appartenir à un ensemble. On affiche alors les symboles et on souligne tout ce qui fait l'identité du groupe. Le plus souvent, cette appartenance est mise en exergue quand l'ensemble est opposé à un groupe qui présente des critères différents, étrangers.

C'est ainsi que la Grande-Bretagne a décidé de se retirer de l'Union Européenne

75 Christakis, O. Corten, P. Klein (dir.), thèse : L'intervention en Irak et le droit international, Paris, Pedone, 2004, p. 105-128.

76 Rooke Hagen, L'autoprotection et le droit de l'OMC. Réflexions sur les implications juridiques des comportements unilatéraux des membres de l'Organisation mondiale du commerce. (2007). Thèse pour obtenir le grade de docteur de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Droit international public. Editions universitaires européennes. p.665

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en désignant l'immigration comme principal facteur de leur difficulté économique77, et que presque dans le même temps, les Etats-Unis adoptent une stratégie commerciale protectionniste et rejettent la politique de l'OMC78. La crise sanitaire mondiale due au COVID-19 entraîne déjà un repli identitaire et une remise en cause de la mondialisation, des chaînes mondiales d'approvisionnement ainsi que de l'OMS, critiquée pour son manque d'efficacité79. Les comportements unilatéraux se retrouvent souvent favorisés du fait du champ réglementaire de l'organisation internationale. Pour ce qui est de l'ONU, la période 1945-1989 est un exemple probant.

La période de la Guerre Froide est marquée par une grande latence de la part de l'ONU et du CS comme l'explique Pierre-Marie Dupuy dans son manuel80. Ce blocage partiel est dû à l'accroissement des rivalités entre les deux blocs ce qui provoqua des déformations qui ont largement réduit l'efficacité du CS. Le silence de l'ONU durant cette période a de ce fait favorisé les actions militaires unilatérales et particulièrement celles des Etats-Unis. La carence de l'autorité centrale censée assurer le monopole de la contrainte peut constituer « la raison d'être de la survivance du recours à la justice privée dans la société internationale »81 comme l'exprime Christiane Alibert. Ces comportements unilatéraux ont ensuite été confortés par le silence du CS en la matière. Les Etats-Unis à la fin de la bipolarisation du monde se sont donc sentis investis de la mission d'être le gardien mondial de la paix, depuis peu devenus l'unique superpuissance comme le démontre la Généalogie de l'unilatéralisme82. L'unilatéralisme étasunien se développe en particulier sous l'égide de Bill Clinton en 1993 et la signature de la directive de décision présidentielle établissant la politique de réforme des opérations multilatérales des Etats-Unis. La Presidential Decision Directive 25 83 marque ainsi la fin du multilatéralisme affirmatif et entame une ère d'action sélective des Etats-Unis, c'est à dire que ces derniers choisiront les actions les plus pertinentes et profitables aux intérêts américains qu'elles soient unilatérales ou collectives comme le conseiller à la sécurité nationale de l'époque, Anthony Lake, l'affirme84. Les Etats-Unis

77 Pour plus d'informations sur ce sujet là voir l'article du Monde diplomatique: Mason, P. (2016, 1 août). « Brexit » , les raisons de la colère. Consulté 10 juin 2020, à l'adresse https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/MASON/56082

78 Bouissou, J. (2019, 11 décembre). Face au blocage des Etats-Unis, l'Organisation mondiale du commerce dépose les armes.

Consulté 10 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/10/l-organisation-mondiale-du-commerce-depose-les-armes_6022296_3234.html

79 Le retour au protectionnisme après la crise du COVID-19 : à l'instar des Pays-Bas connus pour leur

attachement au libre-échange, qui viennent tout juste de rejeté le traité d'échange avec le
MERCOSUR par peur que l'accord commercial ne pénalise les travailleurs néerlandais. Voir l'article complet : Bouissou, J. (2020, 6 juin). Vers une nouvelle ère du protectionnisme.

consulté 10 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/06/06/vers-une-nouvelle-ere-du-protectionnisme_6041959_3234.html

80 Dupuy, P. M., & Kerbrat, Y. (2016). Droit international public (13e éd.). Paris, France : Dalloz. p.659

81 Alibert C., Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945, Paris, LGDJ, 1983, p.467.

82 Delphy C., Levy C., Anderson N., Généalogie de l'unilatéralisme, L'humanité ,14 avril 2003.

Disponible à l'adresse : http://collectifantiguerre.org/IMG/pdf/genealogie_de_l.pdf Consulté le
10/06/2020

83 Presidential Decision Directive 25 . Mai 1 9 9 4 . Disponible à l'adresse : https://fas.org/irp/offdocs/pdd/pdd-25.pdf consulté le 10/06/2020

84 Déclaration d'Anthony Lake, conseiller à la sécurité nationale, lors d'un compte rendu de la Presidential Decision Directive 25, cité par Delphy C., Levy C., Anderson N., Généalogie de l'unilatéralisme. op.cit.

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prouvent leur nouvelle manière de fonctionner avec le cas rwandais en décidant de ne pas intervenir malgré les massacres perpétrés. Madame Albright, alors Secrétaire d'Etat sous Bill Clinton avait commenté : « On ne peut pas nous obliger à être d'accord avec une mission qui n'est pas dans notre intérêt »85 . Elle déclarait ensuite que les Etats-Unis sont multilatéraux quand ils le peuvent et unilatéraux quand ils le doivent86.

L'élection de George W. Bush et son idéologie « d'hégémonie américaine »87 fut mise en oeuvre à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Le 1er juin 2002, l'administration Bush avance la doctrine de légitime défense préventive, terme sur lequel le sujet revient dans la deuxième partie. L'administration alors en place prévient que quel que soit le résultat du vote du CS de l'ONU lors de la résolution 1441 de 200288, « cela n'empêcherait pas les Etats-Unis d'attaquer l'Irak »89. De nombreuses oeuvres cinématographiques ont dénoncé le mensonge d'état de l'administration Bush afin de légitimer le bien-fondé de l'opération en Irak90. Le biopic VICE sorti en 201891 retrace d'ailleurs l'ascension politique du vice-président de G. Bush, Dick Cheney et revient sur la manière dont il a convaincu Colin Powell d'affirmer devant l'ONU que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive et qu'une branche d'Al-Qaida était active en Irak.

Ainsi, il ressort de ces antécédents que le CS n'a pas la mainmise, le monopole sur le principe du recours à la force. Les Etats-Unis en sont l'exemple le plus probant car il s'agit d'un unilatéralisme assumé qui s'est développé depuis les années 1990. Ces derniers proclament en effet haut et fort qu'ils ne demandent pas la permission à l'ONU quand leurs intérêts sont en jeu. Il suffit de constater les actions du président Donald Trump notamment envers l'Iran qui, le 3 janvier 2020 se félicite de l'assassinat du général Soleimani, homme fort de l'Iran en Irak et menace de bombarder 52 sites sur le territoire iranien92. Le CS, suite à ces actions, a préféré multiplier les appels pour préserver la paix en ne qualifiant aucunement les actions des Etats-Unis ou de l'Iran. Le silence de l'ONU face aux transgressions fréquentes des 5 membres permanents du CS est perturbant et lui fait perdre de la légitimité. Une partie de la doctrine considère ainsi que, au vu des violations de la Charte, cette dernière a connu une sorte de révision informelle (Paragraphe II).

Paragraphe II- La doctrine d'une révision informelle de la Charte en raison de sa pratique contraire récurrente

Selon certains universitaires anglo-saxons, les règles de la Charte régissant le

85 Delphy C., Levy C., Anderson N., Généalogie de l'unilatéralisme, op.cit

86 Citée par Hassner P., Vaisse J., Washington et le monde. Dilemmes d'une superpuissance, Paris, Autrement, 2003, p.75

87 Arrighi, G. (2014). Le début de la fin de l'hégémonie américaine: [2005]. Agone, 55(3), 65-110. doi:10.3917/agone.055.0065.

88 Résolution du CS de l'ONU du 8 novembre 2002, n°1441 S/RES/1441 (2002) Disponible à l'adresse : https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/RES/1441(2002) consulté le 10/06/2020

89 Delphy C., Levy C., Anderson N., Généalogie de l'unilatéralisme, op.cit

90 Pour n'en citer que quelques uns : Fahrenheit 9/11 (2004), Le monde selon Bush (2004), Fair Game (2010).

91 Vice (11 décembre 2018) par Adam McKay.

92 Reuters, L. M. A. A. E. (2020, 3 janvier). Les Etats-Unis tuent le puissant général iranien Ghassem Soleimani dans une frappe en Irak. Consulté 10 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/03/le-general-iranien-ghassem-soleimani-aurait-ete-tue-dans-un-bombardement-a-bagdad_6024655_3210.html

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recours à la force dans leur ensemble auraient été effacées par une pratique contraire, une sorte de révision informelle93. La Charte, étant flexible et générale, faciliterait les recours unilatéraux à la force par les Etats souverains. La doctrine anglo-saxonne en vient à la conclusion qu'il y a une impossibilité de soumettre la force au droit sur le fondement d'une approche purement empirique. Cette affirmation est étayée par le fait que depuis 1945 (jusqu'à 2007), deux tiers des membres des Nations unies ont combattu au sein de deux cents quatre-vingt-onze conflits armés. Ainsi, comme Philippe Weckel le remarque, une certaine pratique diplomatique a tendance à prendre le dessus sur la règle de droit en tirant parti d'interprétations facilitées par les incertitudes ou les « fissures » de la Charte et en recherchant des accommodements avec l'illégalité ou en essayant d'en atténuer la portée94. Comme démontré au sein de la deuxième section, la terminologie onusienne ne favorise pas la rigueur juridique pour ce qui est de qualifier un conflit. Le CS tend dans certaines situations délicates à favoriser la diplomatie à la règle de droit.

Il est possible dès lors d'argumenter que le but principal de l'ONU, de « préserver les générations futures du fléau de la guerre »95, se trouve, dans les faits, battu en brèche. Le chef de file de cette argumentation est Michel Glennon, pour qui : «the age-old dream of subjecting the use of force to the rule of law has today gone in smoke »96. Glennon poursuit en considérant qu'un traité perd sa force obligatoire si un nombre suffisant d'Etats s'engagent dans des comportements contraires au traité. Le nombre élevé de conflits qui ont émergé depuis 1945 selon Glennon reflète que la Charte n'a pas réussi à atteindre son objectif principal et que en ce sens, la pratique contraire représente plus le droit en vigueur que la Charte. Ces dernières deviennent donc obsolètes car inutilisées et, par conséquent, Glennon conclut que la Charte est morte, victime de désuétude97. Bien que la majorité de la doctrine soit contre la théorie de la caducité de la Charte de Glennon, ce dernier marque cependant un point. Il est intéressant de se demander à quel moment une règle de droit est considérée comme obsolète par sa pratique contraire ? Une des caractéristiques d'une règle de droit est qu'elle doit présenter un caractère fort de coercition. Cette coercition doit être exercée par le garant de ce principe c'est-à-dire, dans ce cas là par l'ONU, et plus particulièrement le CS. L'impunité des membres permanents du CS lorsqu'ils

93 Voelckel M., Guerre, Répertoire de droit international, Dalloz, Janvier 2007 (actualisation décembre 2017)

94 WECKEL, P., Examen de la licéité du recours à la force : réflexion sur la méthode, dans Les métamorphoses de la sécurité collective, Journées d'étude de Tunis, 2004, SFDI, Pedone

95 Préambule de la Charte des Nations unies : «Nous, peuple des Nations Unies, sommes résolus à à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances, à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international, à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/preamble/index.html Consulté le 11/06/2020

96 Glennon M-J., Self defense in an Age of Terrorism, ASIL Proceedings of the 97th Annual Meeting, 2003, p.152.

97 Glennon explique ses propos en ses termes : A rule's abandonment through nonenforcement or noncompliance is known as desuetude (...) My theory is that excessive violation of a rule, whether embodied in custom or treaty, causes the rule to be replaced by another rule that permits unrestricted freedom of action ». In Glennon M-J, How International rules die, The Georgetown Law Journal vol.93, 2005, p. 939-940. Disponible à l'adresse : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm? abstract_id=752987 consulté le 17/05/2020

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transgressent ce principe représente un argument de plus dans la théorie de la caducité de la Charte.

Néanmoins, force est de constater que la majorité de la communauté internationale dénonce et proteste contre chaque transgression de l'interdiction du recours à la force par un Etat. Ainsi, par exemple, l'emploi de la force par l'OTAN contre la Serbie a été fortement contesté en 1999 lors d'un débat organisé par l'AG des NU à ce sujet98. De la même façon, plusieurs Etats membres de l'OTAN, conscients de leur action en marge de la légalité, n'ont pas souhaité que la guerre du Kosovo serve de précédent pour de futures interventions humanitaires. Ainsi, le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Hubert Védrine, a déclaré qu'il s'agissait «d'une conjonction exceptionnelle qui interdit d'affirmer que la gestion de la crise au Kosovo a été un précédent »99. De même pour ce qui est de la guerre en Irak, à l'exception des Etats-Unis et du Royaume-Uni, les autres membres de la coalition ont reconnu agir en marge de la légalité100.

De plus, l'Etat, qui, sans l'autorisation du CS décide tout de même d'employer la force, cherche la plupart du temps à justifier cette action du point de vue du droit. La CIJ101 considère ainsi que si les Etats commettent des violations à l'égard du principe d'interdiction du recours à la force, ils prennent toutefois toujours le soin de justifier juridiquement ces atteintes, ce qui confirme plus que n'affaiblit sa valeur, et cela que l'attitude de cet Etat puisse ou non se justifier en fait sur cette base. Les Etats cherchent également le soutien des Nations unies dans leur action armée ce qui place l'ONU au centre des rapports inter-étatiques et comme instance de légitimation. En définitive, ces différentes atteintes au principe du recours à la force ne sauraient remettre en cause la positivité de cette règle. Plusieurs auteurs dénoncent ainsi la théorie de la caducité de la Charte de Glennon en rappelant que « la pratique violatrice, même quand elle est persistante, ne défait pas nécessairement la règle, si celle-ci a été consolidée et blindée par la volonté sociale (ou collective) des Etats »102. Comme démontré au sein de la première section, il est vrai que la communauté internationale reconnaît dans son ensemble la règle de l'article 2§4 de la Charte des Nations unies. Certes, il est trop prématuré pour annoncer la mort du principe de l'interdiction du recours à la force mais un juste-milieu peut être trouvé.

Les nombreuses transgressions de la Charte doivent inquiéter et interpeller les internationalistes. La reconnaissance globale au sein de la société internationale ne suffit plus à se conforter dans l'idée que la Charte perdure et représente une norme fondamentale respectée de tous. Il semble indéniable qu'un Etat (surtout un membre permanent du CS à l'instar des Etats-Unis) s'il pense agir afin de défendre ses intérêts, ne réfléchira pas par deux fois afin de transgresser l'interdiction du recours à la force.

98 Ce débat eut lieu du 6 au 11 octobre 1999. V. les documents : A/54/PV.27 à A/54/PV.33 (séances plénières de la 54e session de l'Assemblée générale des Nations Unies). Disponible à l'adresse : https://research.un.org/fr/docs/ga/quick/regular/54 consulté le 11/06/2020

99 Interview réalisé par Le Monde, 25 mars 2000 cité par Nouvel Yves. La position du Conseil de sécurité face à l'action militaire engagée par l'OTAN et ses Etats membres contre la République fédérale de Yougoslavie. In: Annuaire français de droit international, volume 45, 1999. pp. 292-307.

100 Sur ce point : T. Gazzini, The Changing Rules..., op. cit., p. 84 et s. De manière générale pour une analyse détaillée de la pratique et de l'opinio juris des Etats : ibid., p. 82 et s.

101 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, op.cit.

102 Abi-Saab G., intervention in La pratique et le droit international, Colloque SFDI Genève, Paris, Pedone, 2004, 308 p., p. 120.

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Cette transgression sera ainsi confortée par la suite par l'absence de réaction du Conseil de sécurité comme nous pourrons le remarquer au sein du second Chapitre de cette première partie. En ce sens, il semble juste de définir la Charte comme en détérioration de par les transgressions répétées du principe de l'interdiction du recours à la force. Ces violations du principe apparaissent comme facilitées par les défaillances du système onusien (CHAPITRE II).

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CHAPITRE II

Les violations du principe de l'interdiction du recours à la force
facilitées par les défaillances du système onusien

Avec l'effondrement de l'Union soviétique et la disparition d'un climat de guerre froide, le monde a été complètement modifié. Cette nouvelle ère a entraîné l'apparition de nouvelles menaces qui se sont substituées aux anciennes. Selon Pierre Du Bois, il s'agit toutefois plutôt d'anciennes menaces renouvelées103. Les experts de l'Union européenne en distinguent cinq types : le terrorisme, religieux en particulier, la prolifération des armes de destruction massive (armes atomiques, biologiques, chimiques), les conflits régionaux, la déliquescence de l'Etat et la criminalité organisée. En tout état de cause, la réflexion suppose une approche élargie du concept de menace non prévue par la Charte (Section 1). Le Conseil de sécurité, sous la mutation du concept de menace contre la paix, est apparu comme complètement dépassé par les événements. La terminologie utilisée dans ses résolutions favorise le flou et l'incertitude, sans toujours éprouver le besoin de mentionner le fondement de ses actions. La souplesse dont le Conseil fait preuve peut être un point positif afin de pouvoir constamment s'adapter aux nouveautés cependant, le revers de la médaille apparaît comme étant un manque de cohérence total dans l'ensemble des décisions prises. En cela, le Conseil de sécurité fait preuve d'une désinvolture juridique dangereuse (Section 2). Enfin, les nombreuses transgressions au principe de l'interdiction du recours à la force semblent être exacerbées par la paralysie et les défaillances du Conseil de sécurité lors de conflits internationaux. Ce dernier est remis en cause par son manque de représentativité, par ses décisions politiques plus que juridiques et enfin par le droit de veto dont bénéficie les cinq membres permanents du CS. Toutes ces critiques convergent vers une réformation du système de l'ONU afin de palier au déséquilibre fonctionnel du CS (Section 3).

103 Du Bois P., Anciennes et nouvelles menaces : les enjeux de la sécurité en Europe, Relations internationales 2006/1 (n°125) p.5-16, disponible à l'adresse : https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2006-1-page-5.htm#re1no1 consulté le 11/06/2020

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Section 1 : La mutation de la notion de menace contre la paix telle que représentée dans la Charte des Nations unies

Pendant des années, le CS a adopté une approche plutôt classique de la notion de menace contre la paix. Il a utilisé la notion afin d'adresser des situations de véritable conflit international inter-étatique comme lors du conflit armée en Palestine en 1948104, ou l'invasion du nord de Chypre par la Turquie en 1974105. Le concept de menace contre la paix a néanmoins connu une extension par le CS (Paragraphe I) depuis les années 1990 en l'appliquant de plus en plus à des situations qui ne se fondent pas directement sur l'existence d'un conflit armé entre Etats. Sous l'apparition de nouvelles menaces, les limites des textes de la Charte ont également émergé (Paragraphe II). L'ONU s'est ainsi vue obligée de prendre des mesures palliatives qui visent à combler son insuffisance institutionnelle.

Paragraphe I- L'élargissement de la notion de menace contre la paix

Jean Combacau dans le pouvoir de sanction de l'ONU soutenait « qu'une menace pour la paix au sens de l'article 39 est une situation dont l'organe compétent pour déclencher une action de sanctions déclare qu'elle menace effectivement la paix »106. Il poursuit en analysant cette définition comme illustrant « l'entière discrétion du Conseil de sécurité en ce qui concerne l'interprétation du concept de menace à la paix »107. Cependant, comme précisé dans le Chapitre 1, la Charte ne retient pas de définition de la notion de « menace contre la paix ». Cette dernière reste donc très vague ce qui donne à l'organe en charge de l'interpréter, une marge de compétences encore supérieure. Étant donné que les notions de « menace » et de « paix » ne sont nullement définies dans la Charte, il est difficile de conclure à ce que les constituants entendaient par cette notion. Cependant, il est communément admis qu'à l'origine, ses pères fondateurs en avaient une conception essentiellement négative ou restrictive à l'esprit, c'est-à-dire le « silence des armes ».

Dans les années 1990 après l'effondrement du bloc soviétique, le CS décide d'interpréter cette notion de manière beaucoup plus large que ce qui était alors le cas. Le concept de « paix » se dote ainsi d'une dimension large, positive et structurelle, que l'on entend généralement comme « l'établissement de conditions propices au développement politique, économique et social des Etats »108. Cette nouvelle dimension de la paix découle d'une lecture dynamique de la Charte comme l'analyse Pierre-Marie Dupuy109 et comme le confirme l'ONU dans la déclaration commune du 31 janvier 1992. Dans cette

104 Résolution du CS des NU n°54 op.cit

105 Résolution du CS des NU n°353 du 20 juillet 1974 S/RES/353 (1974) disponible à l'adresse : https://digitallibrary.un.org/record/93470?ln=fr consulté le 11/06/2020

106 Combacau J., Le pouvoir de sanction de l'ONU, Pédone, Paris, 1974, p.100

107 Ibid.

108 Rawls J., A Theory of Justice (1971), section 15, tel que cité par Goldmann M., Sovereign Debt Crises as Threat to Peace: Restructuring under Chapter VII of the UN Charter?, Goettingen Journal of International Law, 2012, p. 169 : « basic civil rights and socio-economic conditions which enable a life in self-determination».

109 Dupuy P.-M., Sécurité collective et organisation de la paix R.G.D.I.P., 1993, pp. 617-627

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déclaration, le CS demande au Secrétaire général (SG) de préparer un rapport sur les données nouvelles de la sécurité collective en prenant en considération le fait que : « La paix et la sécurité internationale ne découlent pas seulement de l'absence de guerre et de conflits armés. D'autres menaces de nature non-militaire à la paix et à la sécurité trouve leur source dans l'instabilité qui existe dans les domaines économique, social, humanitaire et écologique»110. C'est ainsi que l'Agenda pour la paix du SG en 1992111 voit le jour. Cette publication inclut dans la sécurité et la paix les notions de respect des droits de l'Homme, l'exercice des libertés fondamentales et le respect des principes démocratiques à tous les niveaux. Comme l'explique Sale Thieraud dans sa thèse112, ces propos sont ensuite confirmés et soutenus par le rapport du groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements du 2 décembre 2004 dans lequel on considère que « Tout événement ou phénomène meurtrier qui compromet la survie et sape les fondements de l'Etat en tant qu'élément de base du système international constitue une menace contre la sécurité internationale»113.

Ainsi, ces différentes volontés d'inclure des domaines autres que les conflits armés dans la notion de menace contre la paix dénote la profonde mutation intervenue dans la période post bipolaire. C'est ainsi que de nombreux cas de conflits internes ont été regardés comme menaces contre la paix. Bien que les troubles qui ont suivi l'indépendance du Congo en 1961 avaient déjà été qualifiés par la résolution 161 de « menace à la paix et la sécurité internationale »114, le début des années 90 et la fin de la guerre froide marque une explosion de conflits internes internationalisés. Le CS a ainsi qualifié les conflits en ex-Yougoslavie115 et Somalie116 de « menaces à la paix ». De plus, en 1993, le CS adopte une résolution dans laquelle il explique que les activités militaires et la situation économique en Angola constituent également une menace contre la paix : le CS « condamne l'UNITA en raison du fait qu'elle continue de mener des actions militaires qui accroissent les souffrances de la population civile angolaise et nuisent à l'économie du pays [...] »117. Ainsi, le CS introduit le caractère économique d'un Etat dans le champ de ses compétences d'intervention. La crise au Burundi au cours des années 2000 est un autre exemple de l'extension de cette notion puisque le CS déclare être « préoccupé par la dégradation de la situation économique au Burundi dans le contexte du conflit, et reconnaît que toute amélioration de la sécurité devrait

110 Ibid.

111 Agenda pour la paix, diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix, ONU, A/47/277 ; S/24111

112 Thieraud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009, France.

113 Rapport du groupe des personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements, 2 décembre 2004, A/59/625 p.2.

114 Résolution du CS des NU n°161 du 21 février 1961. S/RES/161 (1961) disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1961 consulté le 12/06/2020

115 Résolution du CS des NU n°713 du 25 septembre 1991. S/RES/713 (1991) disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1991 consulté le 12/06/2020.

116 Résolution du CS des NU n°751 du 24 avril 1992. S/RES/751 (1992) disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/751 consulté le 12/06/2020. Pour plus d'informations sur la crise Somalienne voir : Gayffier-Bonneville A-C., L'intervention en Somalie 1992-1993, Revue historique des armées, 263 | 2011, 93-103. voir aussi : Sorel J-M., La Somalie et les Nations Unies. In: Annuaire français de droit international, volume 38, 1992. pp. 61-88.

117 Résolution du CS des NU n°864 du 15 septembre 1993. S/RES/864 (1993) disponible à l'adresse : http://unscr.com/en/resolutions/864 consulté le 12/06/2020.

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s'accompagner de progrès économiques et sociaux tangibles pour la population »118. La crise ivoirienne représente un autre exemple de cet élargissement aux considérations économiques d'un Etat par le CS119, tout comme le suivi du CS après le conflit haïtien en 2004120.

Ainsi, comme l'explique Lloyd Axworthy en 1999 dans son article La sécurité humaine : la sécurité des individus dans un monde en mutation121, la sécurité de la majorité des Etats s'est améliorée avec la fin de la guerre froide, mais celle des individus a eu tendance à se détériorer, notamment en raison du nombre grandissant de conflits internes. L'objectif premier de la sécurité collective de l'ONU consistait à préserver l'intégrité territoriale des Etats et la souveraineté politique contre des agresseurs externes. Avec la fin de la guerre froide, les préoccupations ont changé, la menace d'une guerre inter-étatique bien que toujours présente est moindre. L'auteur en 1999 déclarait que « Dans un monde chaque jour plus interdépendant, la vulnérabilité-quoi que inégale-nous est commune. L'ouverture des marchés, la croissance du commerce mondial et la révolution des communications présentent des grands avantages, mais elles rendent aussi les frontières plus perméables à de multiples dangers. Un nombre croissant de menaces pour la santé des populations- du transport de polluants à grande distance aux maladies infectieuses- sont des phénomènes mondiaux, tant par leur origine que par leurs effets. Des bouleversements économiques dans une partie du monde peuvent rapidement provoquer des crises dans une autre, entrainant des conséquences désastreuses pour la sécurité des plus vulnérables »122. Cet auteur ne pouvait pas toucher plus juste, aujourd'hui la notion de menace contre la paix ne représente plus seulement le risque d'une guerre entre différents Etats souverains. En cela, le CS a réagi de manière rapide et a su inclure les menaces post-bipolaires au sein de ses compétences garanties par l'article 39 de la Charte. Cependant, qu'en est il des notions de souveraineté et d'intégrité territoriale ? De nombreux conflits internes ont été qualifiés par le CS comme étant des menaces contre la paix et ont déclenché une intervention coercitive sans le consentement de l'Etat hôte. La ligne entre une intervention légale et légitime a souvent été franchie par le CS malgré le caractère subjectif de chaque intervention légitime. Une pratique dangereuse du Conseil a d'ailleurs émergé lors de l'élargissement de la notion de « menace contre la paix » du fait de certaines limites dans les dispositions de la Charte en matière de recours à la force (Paragraphe II).

Paragraphe II- Les faiblesses textuelles de la Charte des Nations unies en matière de recours à la force

Comme décrit dans le premier chapitre, le CS a la possibilité de prendre des

118 Résolution du CS de l'ONU n°1545. S/RES/1545 (2004), du 21 mai 2004, douzième considérant du préambule.

119 Résolution du CS de l'ONU n°1528 du 9 mars 2004 dans laquelle il se dit « profondément préoccupé par la dégradation de la situation économique en Côte d'Ivoire, qui pèse lourdement sous l'ensemble de la sous région ».

120 Résolution CS de l'ONU N°1542 du 30 avril 2004, il « [p]rend note de l'existence de problèmes qui compromettent la stabilité politique, sociale et économique d'Haïti et estim[e] que la situation en Haïti continue de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales dans la région »

121 Axworthy L., La sécurité humaine : la sécurité des individus dans un monde en mutation. In: Politique étrangère, n°2 - 1999 - 64?année. pp. 333-342.

122 Axworthy. La sécurité humaine : la sécurité des individus dans un monde en mutation. op.cit. p. 334 à 335

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mesures coercitives de type militaire avec l'article 42 de la Charte au moyen de « forces aériennes, navales ou terrestres », « si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles »123. L'article 43124 indique qu'il faut au préalable que le CS ait signé des accords spéciaux avec les Etats en vue de réaliser le contingent militaire nécessaire au maintien de la paix, et de la sécurité internationale. Or, le CS n'a jamais conclu de tels accords lors des différentes actions militaires déployées comme le démontre Monsieur Alassani dans sa thèse125. Ainsi, l'ONU s'est vue obligée de prendre différentes mesures afin de palier cette insuffisance institutionnelle. Le CS a fait le choix de différer ces prérogatives sur les Etats membres en les autorisant à user de tous les moyens nécessaires afin de restaurer la sécurité et la paix internationale. Une partie de la doctrine rejette cette technique de l'autorisation du recours à la force octroyée par le CS aux Etats car elle n'a pas de fondement juridique expresse dans la Charte. Cependant, il est possible d'argumenter le fait que le CS détient la responsabilité principale de maintenir la paix au sein de la communauté internationale et en cela, il peut, s'il l'estime nécessaire, sous-traiter ce rôle à un Etat sous couvert de contrôle adapté. Ainsi, comme le précise Pierre-Marie Dupuy : « Le droit des Nations Unies, certes, c'est avant tout la Charte; mais c'est aussi la façon dont, depuis (...) cinquante ans, elle a été interprétée, appliquée, voire complétée par une pratique particulièrement riche, à laquelle ont participé les organes principaux (...), mais aussi tous les Etats membres »126. Au lieu de créer une armée internationale, la Charte a plutôt prévu en son article 43 que ce soient les Etats membres de l'ONU qui mettent à la disposition du Conseil les contingents militaires nécessaires, sur la base d'accords spéciaux.

Afin d'éviter la paralysie, et bien qu'en dérogeant à la lettre de la Charte, le CS a commencé à déléguer l'usage de la force à des Etats. Il s'agit ainsi de la théorie des « pouvoirs implicites » du CS, traditionnellement appliquée au droit des Etats fédéraux. La notion des pouvoirs implicites s'entend des pouvoirs dont disposent les organes des

123 Article 42 de la Charte des Nations unies : «Si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d'autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies. Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html Consulté le 12/06/2020

124 Article 43 de la Charte des Nations unies :

« §1- Tous les Membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales, s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial ou à des accords spéciaux, les forces armées, l'assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

§2- L'accord ou les accords susvisés fixeront les effectifs et la nature de ces forces, leur degré de préparation et leur emplacement général, ainsi que la nature des facilités et de l'assistance à fournir.

§3- L'accord ou les accords seront négociés aussitôt que possible, sur l'initiative du Conseil de sécurité.. Ils seront conclus entre le Conseil de sécurité et des Membres de l'Organisation, ou entre le Conseil de sécurité et des groupes de Membres de l'Organisation, et devront être ratifiés par les États signataires selon leurs règles constitutionnelles respectives. » Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html Consulté le 12/06/2020

125 Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.149.

126 Dupuy P-M., La souveraineté de l'Etat et le droit des Nations Unies, dans Souveraineté de l'Etat et interventions internationales, Roland DRAGO (dir), Académie des Sciences Morales et Politiques, Fondation Singer-Polignac, ed Dalloz, Paris, 1996, p.23

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organisations internationales qui « n'étant pas expressément énoncés dans le traité, y sont sous-entendus parce qu'ils s'avèrent nécessaires à la réalisation des buts ou à l'exercice des fonctions expressément prévues » 127. La théorie des pouvoirs implicites a été formulée pour la première fois par la jurisprudence constitutionnelle de la Cour Suprême des Etats-Unis dans l'affaire Gibbons vs. Ogden (1824)128. Au niveau des NU, la reconnaissance de cette théorie est née de l'Avis consultatif de la CIJ dans l'affaire de la Réparation des dommages subis au service des Nations Unies129. Du fait de la persistance de cette pratique, le CS a fini par créer une coutume qui en droit international, constitue un mode de formation conventionnel du droit.

En revanche, la technique de l'autorisation implicite est elle plus problématique en ce qu'elle accorde aux Etats de prendre « toutes les mesures nécessaires » afin de rétablir la paix. Cette autorisation est devenue le seul moyen pour le CS de se ré-approprier le Chapitre VII des NU pour obtenir le respect de ses décisions et maintenir la paix et la sécurité internationale. Néanmoins, les conditions de validité de cette autorisation posent problème car le CS se doit de maintenir un certain contrôle dans de telles conditions, ce qui n'est pas toujours le cas. C'est encore à partir des années 1990 qu'une pratique dangereuse apparaît à cause des défaillances de la Charte pour assurer un véritable pouvoir coercitif. Le CS à la suite de la guerre froide prend de l'assurance dans ces autorisations et passe de la formule de « recommande aux Membres de l'Organisation »130 à celle d' « autorise les Etats membres à employer tous les moyens nécessaires »131. Le Conseil dépasse ainsi la simple recommandation et durcit ses décisions. Il généralise également ces autorisations en privilégiant au fur et à mesure des résolutions avec des termes généraux et larges qui apparaissent comme dangereux puisque les Etats peuvent interpréter ses résolutions de la manière dont ils le souhaitent. En effet, notamment lors de la résolution 678 du CS132 concernant l'Irak, le CS autorise les Etats membres des NU à utiliser de « tous les moyens nécessaires si la résolution 660 n'est toujours pas respectée ». Cette résolution ne fixe aucune limite quant aux moyens à employer ce qui pose problème étant donné que le CS délègue son pouvoir de coercition aux Etats membres. En cela, il devrait poser des règles strictes ainsi qu'un cadre réglementaire précis.

Cette autorisation implicite, comme nous le verrons en seconde partie de la recherche, a posé un problème car son usage a ensuite été présumé par les Etats afin de justifier leurs recours unilatéraux à la force. En cela, de par les limites de la Charte de ne pas avoir doté le CS d'un pouvoir coercitif indépendant, une pratique dangereuse a émergé et créé des justifications aux transgressions du principe d'interdiction du recours à la force. Les défaillances de la Charte facilitent ainsi les violations de l'article 2§4 et il en est de même pour le manque de rigueur juridique des résolutions du Conseil de sécurité (Section 2).

127 Salmon J. Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001 p.859

128 Disponible à l'adresse : https://supreme.justia.com/cases/federal/us/22/1/#tab-opinion-1923815 Consulté le 12/06/2020

129 CIJ Affaire de la réparation des dommages subis au service des Nations Unies. 11 avril 1949 op.cit.

130 Comme lors de la guerre de Corée en 1950 avec la Résolution 83 du Conseil de sécurité

131 Comme lors de la guerre du Golfe avec la résolution 665 du Conseil de sécurité

132 Résolution 678 du CS de l'ONU du 29 novembre 1990, S/RES/678 (1990) disponible à l'adresse : https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/RES/678(1990) Consulté le 12/06/2020

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Section 2 : Le manque de rigueur juridique dans les résolutions du Conseil de

sécurité

L'ONU et plus particulièrement le CS sont des institutions politiques produisant des règles juridiques internationales. En cela, ils doivent jongler entre des rapports de force différents, entre des impératifs de sécurité et les normes juridiques du droit international. Comme le décrit parfaitement Michel Voelckel, « le rôle éminent et la responsabilité principale du Conseil n'est cependant pas le respect du droit international mais le maintien de la paix et la sécurité internationale. Celui-ci, peut-il toujours et entièrement se concilier avec celui-là ? (...) Et y a-t-il toujours une équivalence entre maintien de la paix et maintien de la sécurité ? »133. Le CS, afin de réaliser son but de « préserver les générations futures du fléau de la guerre » a ainsi tendance à privilégier une pratique diplomatique à la règle de droit (Paragraphe I). Cette pratique diplomatique est possible grâce aux incertitudes de la Charte et à une souplesse juridique dans les résolutions qui apparaît comme étant à double tranchant pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale (Paragraphe II).

Paragraphe I- Une pratique diplomatique privilégiée à la règle de droit

L'ONU est une institution politique ayant pour but de résoudre de manière la plus pacifique possible les grandes crises que traverse la société internationale et à être utilisée dans les grandes manoeuvres auxquelles se livrent les puissances sur la scène mondiale. Vouloir étudier cette organisation avec un angle strictement juridique serait passer à côté de l'aspect politique de sa fonction et donc aboutir à des conclusions erronées ou trompeuses. Bien que cette section critique le manque de rigueur juridique du CS, il est important de rappeler que cet organe est soumis au jeu intense et anarchique des forces politiques, dans le sens ou la puissance des intérêts en jeu et la gravité de leurs affrontements font que ces forces n'ont guère été apprivoisées par le droit. Celui-ci ne vient ainsi qu'à un rang assez bas dans les motivations des acteurs qui les incarnent134.

Cependant, le droit est constamment présent au sein du CS dans chaque résolution qu'il produit, comme dans tout pouvoir politique. La Chef de Cabinet du Secrétaire général de l'ONU l'a rappelé dans une recommandation adressée en 2018 au CS en vue de passer à une ère de prévention et pour une vraie responsabilisation face aux crimes internationaux les plus graves135. La Chef de cabinet a d'abord rappelé la contribution indéniable du CS à la promotion du droit international, citant notamment la création des deux tribunaux pénaux internationaux TPIY (pour l'ex Yougoslavie) et pour le Rwanda (TPIR). Le Président de la Pologne a ensuite insisté sur la nécessité d'une définition cohérente des concepts du DI applicable face aux défis de la paix : « Si nous appelons un acte d'agression un `conflit' sans déterminer qui est la victime et l'agresseur, si nous appelons une menace un `défi' sans définir sa source, alors nous

133 Voelckel M., Guerre, Répertoire de droit international, op.cit. Paragraphe 9

134 Analyse produite par Virally M., dans L'ONU devant le droit, Le droit international en devenir essais écrits au fil des ans, Journal du droit international, Clunet, vol 99, 1972, Ed. Techniques, Paris p.241270

135 Lettre datée du 3 mai 2018, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente de la Pologne auprès de l'Organisation des Nations Unies (S/2018/417/Rev.1) Disponible à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2018/cs13344.doc.htm Consulté le 14/06/2020

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serons incapables d'adopter les mesures juridiques adéquates pour y remédier»136. Ce dernier remémore ainsi le paradoxe des Etats dans le Droit international en considérant que coexistent à la fois un système juridique international solide et dans le même temps, la tentation de placer la « force au-dessus du droit ».

Même si toute intervention militaire à l'initiative de la Communauté internationale reste le fruit d'intenses tractations menées au sein du CS, ces dernières restent tributaires du bon vouloir des grandes puissances. Le CS semble ainsi n'agir que lorsque les intérêts propres de ses membres permanents sont en jeu. Philippe Moreau Desfarges affirmait à ce propos : « Le Conseil de sécurité, qui pourrait être l'enceinte de la mise en oeuvre du droit d'ingérence, rassemble des Etats avec leurs intérêts propres de puissance ; toute décision du Conseil est un compromis entre ces intérêts et reflète plus ou moins l'équilibre politique du moment »137. En effet, comme l'inaction choquante du CS pour les crises du Kosovo ou pour le génocide rwandais le prouvent, lorsque l'intervention armée sur un territoire met en péril les intérêts d'un membre permanent du CS, ce dernier se retrouve complètement bloqué par un veto ou par la pression politique et diplomatique qu'il reçoit.

Ainsi, on peut douter du bien-fondé de chaque intervention ou non-intervention en ce que les grandes puissances ne mettent pas la nécessité de ces dernières au premier plan. Au lieu de cela, ils effectuent plutôt un calcul rationnel des intérêts politiques en jeu. De nombreux conflits meurtriers (comme au Congo) ont eu lieu sans provoquer la moindre réaction de la communauté internationale, et donc du Conseil de Sécurité. Cela atteste que l'action de celui-ci est presque uniquement dictée par les intérêts économiques des cinq permanents. Les conflits intervenant dans les régions pauvres de la planète auraient moins d'importance que ceux du Moyen-Orient riche en pétrole. En ce sens, l'intervention libyenne de 2011 et la résolution 1973 du CS138, d'abord perçues comme une avancée majeure dans le fonctionnement du CS à cause du non-usage du veto, a été ensuite largement critiqué, à juste titre, à cause du dépassement du mandat par les Etats coalisés. Au lieu de se limiter à la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne comme demandé par le CS, les Etats coalisés ont fini par engager des hélicoptères de guerre pour se rapprocher du sol libyen et les forces de l'OTAN se sont appliquées à assister militairement les insurgés au lieu de protéger la population civile. Il en est de même pour la résolution 1975 du CS139 et l'intervention en Côte d'Ivoire du 30 mars 2011. Cette résolution autorise notamment l'ONUCI (Organisation des Nations Unies en Côte d'Ivoire) à « prendre toutes les mesures nécessaires » et donc employer la force afin de restaurer la paix et de protéger la population civile de la guerre civile. Le mandat du CS a de la même façon qu'en Libye, clairement été outrepassé puisque la France a participé à l'attaque menant à l'arrestation de l'ex Président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo aux côtés des troupes du Président Ouattara.

136 M. Andrzej Duda, le Président de la Pologne est venu en personne présider ce débat- 8262E séance du CS 17 mai 2018.

137 Desfarges P-M., L'ordre mondial, Paris, Armand Colin, 2ème édition, 1998, p.168 cité par Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.269.

138 Résolution du CS des NU n°1973 du 17 mars 2011 S/RES/1973 (2011) disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1973 consulté le 14/06/2020

139 Résolution du CS des NU n°1975 du 30 mars 2011. S/RES/1975 (2011) disponible à l'adresse https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1973 consulté le 14/06/2020.

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À l'instar de ces deux exemples, le Droit international est souvent mis de côté au profit de considérations politiques et diplomatiques et des intérêts égoïstes des Etats souverains. Cependant, aucune sanction n'a été émise par le CS au regard de l'interprétation extensive de ces mandats puisque les résolutions en tant que telles n'étaient pas précises et contenaient des dispositions générales afin de laisser une certaine marge de manoeuvre aux Etats. Il s'agit d'une pratique extrêmement dangereuse juridique qui laisse libre champ à la volonté des Etats et aux violations du DI. C'est ainsi que le second paragraphe porte sur la souplesse juridique à double tranchant des résolution du CS (Paragraphe II).

Paragraphe II- Une souplesse juridique à double tranchant

Virally considère que la souplesse juridique dont le CS fait preuve dans ses résolutions permet une adaptation constante aux besoins du maintien de la paix et rend compte de la double nature politique et juridique du CS140. Il n'est, en effet, pas toujours évident de rattacher juridiquement une opération de maintien de la paix à l'un ou l'autre des chapitres de la Charte. Une partie de la doctrine emploie le terme Chapitre VI bis pour décrire ces mesures qui n'appartiennent pas à un fondement spécifique de la Charte. Ces mesures sont, en ce sens, prises en fonction des besoins, de manière pragmatique et dans l'urgence. Le CS ne mentionnant pas systématiquement le fondement juridique de ses actions afin d'accéder à un éventail plus large de possibilités, une même opération peut voir se succéder différents types de mesure dans un temps restreint.

Dans ce sens, Y. Petit identifie trois situations différentes 141:

- La première est l'utilisation combinée et simultanée des deux chapitres VI et VII comme au Liberia, en Haïti, en Angola, au Rwanda ou en ex-Yougoslavie.

- La deuxième situation se réfère à l'utilisation des chapitre VI bis et VII en alternance ou de façon concomitante sous forme de séquence (en Somalie, au Rwanda, en Haïti ou au Timor-Oriental) avec la force multinationale pouvant prendre le relais de l'opération de maintien de la paix comme lors de l'opération « Restore Hope » avec l'Opération des Nations unies en Somalie (ONUSOM) ou de l'opération « Turquoise » avec la Mission des Nations unies d'assistance au Rwanda (MINUAR II et III).

- Enfin, la dernière catégorie dépeint l'utilisation fusionnée des Chapitres VI bis et VII donnant naissance à une opération de maintien de la paix (ONUSOM II, l'Opération des Nations unies pour la restauration de la confiance en Croatie, ONURC, à la suite du refus de la Croatie de prolonger le mandat de la Force de protection des Nations unies en ex-Yougoslavie.

Ces classifications ne sont mentionnées nulle part dans la Charte mais sont dégagées de la pratique du CS. Certes, ainsi le Conseil dispose d'un arsenal de mesures à prendre et d'un champ de compétences élargi mais, il agit également sans fondements juridiques et sans créer de cadre cohérent et récurrent dans leur utilisation. Cet aspect-là pose d'avantage problèmes. Étant donné que le CS détient un pouvoir discrétionnaire de qualification des crises et de choix dans les mesures à prendre suite à cette qualification,

140 Virally M., L'ONU d'hier à demain, 1961, Seuil, p. 21

141 Petit Y., Droit international du maintien de la paix, 2000, LGDJ, p. 56 et 57

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il semble important qu'il s'en tiennent aux dispositions de la Charte. Sans cela, le pouvoir que détient le CS, un organe politique plaçant la diplomatie avant la règle de droit, est trop important pour être entre les mains d'un seul organe. Il semble que le fonctionnement de l'ONU est bien trop dépendant du CS et de ses membres permanents disposant d'un pouvoir discrétionnaire pour l'ensemble des mesures ayant attrait au recours à la force. Il serait alors préférable qu'un organe juridique et indépendant soit chargé de la mission de qualification du conflit international ou que ce dernier détienne un certain pouvoir de contrôle sur les mesures que prend le CS.

La terminologie du CS dans ses résolutions favorise le flou et l'incertitude préférant des périphrases aux mots d'« agression » ou de « recours à la force » jugés trop lourds de sens et trop rigoureux dans leurs effets142. Ainsi, comme mentionné dans le premier Chapitre, l'invasion de l'Irak en 2003 a été qualifiée « d'illégale » par le secrétaire général des Nations unies (Kofi Annan)143 au sens de la Charte sans pour autant que celui-ci ou le CS l'ait qualifié « d'agression ». Les contours de chacune des situations sont relativement flous et la pratique du Conseil manque sans doute de cohérence. Toutefois, ce manque de rigueur juridique dans les résolutions du CS entraîne également une pratique dangereuse de la part des Etats puisqu'ils se nourrissent du caractère trop général de la terminologie du Conseil pour interpréter à leur manière les résolutions. Comme il le sera expliqué dans la deuxième partie, la plupart des actes unilatéraux des Etats sont tirés d'interprétation de la Charte ou surtout des résolutions vagues du CS. Il semble qu'une rigueur juridique plus marquée avec des champs d'action clairement définis pour les Etats et pour une mission spécifique diminuerait les abus d'interprétation des Etats. Bien sûr, il est aussi possible qu'avec un changement dans les termes employés, les Etats qui veulent s'adonner à des pratiques unilatérales trouveront tout de même un moyen tiré d'un autre fondement juridique. Cependant, les défaillances à la fois de la Charte et du CS semblent renforcer ces comportements illégaux.

En plus, des faiblesses juridiques de l'ONU, le déséquilibre fonctionnel et institutionnel de l'Organisation représente une énième lacune facilitant les comportements unilatéraux de ses Etats membres (Section 3). En effet, le droit de veto représente une pratique incapacitant l'ONU et qui doit être modifiée. Une meilleure représentativité entre les Etats membres doit ainsi apparaître afin de créer une réelle Organisation universelle.

Section 3 : Le déséquilibre fonctionnel du Conseil de sécurité des Nations unies

L'efficacité du CS repose sur l'entente et la volonté d'intervenir des cinq membres permanents, en cela, le CS est complètement déséquilibré et peut, devenir totalement inefficace dans certaines situations comme lors du conflit syrien. Le pouvoir donné aux membres permanents par le biais du veto représente une menace pour le

142 Il s'agit également du point de vue de Voelckel M., dans Guerre, Répertoire de droit international, op.cit. Et de celui de SAAB A., La deuxième génération des Opérations de maintien de la paix: quelques réflexions préliminaires, Le trimestre du monde 1992, no 20. 87.

143 Semo, M. (2003, 19 mars). « Une guerre illégitime et illégale ». Consulté 14 juin 2020, à l'adresse https://www.liberation.fr/planete/2003/03/19/une-guerre-illegitime-et-illegale_459029

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système entier de l'ONU (Paragraphe I). Le Conseil de sécurité qui dispose normalement de tous les moyens nécessaires pour autoriser une intervention coercitive et rétablir la paix se retrouve bloqué par des intérêts étatiques égoïstes. En cela, le pouvoir des cinq membres permanents apparaît comme tout-puissant, et l'autorisation du recours à la force en pratique, semble détenu par les « vainqueurs » de la seconde guerre mondiale. De nombreuses propositions de réforme ont vu le jour au fil des blocages, cependant le vote positif des cinq membres permanents du CS est indispensable pour une révision du texte de la Charte. Par conséquent, il semble difficile d'imaginer une telle réalisation. Il semble cependant intéressant d'étudier les possibilités de réforme et de les comparer à l'état d'avancement actuel du CS (Paragraphe II).

Paragraphe I- La paralysie du CS par le biais du droit de veto

Afin d'assurer l'engagement et l'investissement des grandes puissances au sein de la sécurité collective, le droit de veto proposé par le président américain Franklin D. Roosevelt à Yalta a été accepté par les « petits » Etats. Serge Sur souligne que sans veto, l'ONU n'aurait probablement jamais vu le jour, en cela, il le décrit comme un « principe fondateur de la Charte »144 et non comme une anomalie. Ainsi, au sein même de l'ONU qui représente déjà un contrat social entre les Etats pour créer l'Organisation, un second contrat a émergé afin de garantir aux « vainqueurs » de la Seconde Guerre mondiale un droit de blocage en échange d'une responsabilité de garantir la sécurité collective. Ce contrat semble aujourd'hui très déséquilibré puisque les cinq membres permanents (USA, Royaume-Uni, Fédération de Russie, Chine, France) utilisent leur veto à la moindre contrariété et ne semblent pas placer la sécurité collective au centre de leur processus de décision. Ce droit de veto apparaît comme anti-démocratique comme le dénonce Mr Zambelli dans son article : « Un vestige d'une époque révolue » qui n'a que « déjà trop longtemps survécu au coeur même de l'architecture institutionnelle de l'ONU »145. Serge Sur considère également ce droit de veto comme une « prérogative exorbitante reconnue aux seuls membres permanents, qui fait du Conseil leur otage tout en les plaçant au-dessus de la Charte »146. Les intérêts égoïstes des Etats membres n'ont rien à faire au centre du processus décisionnel d'une Organisation internationale garantissant la sécurité collective.

Les Etats se tourneront toujours vers leur propre intérêt sur le plan international et garantir l'autorisation du recours à la force à cinq d'entre eux représente un blocage inévitable. Si, à l'époque il s'agissait de la seule solution pour les 51 Etats membres afin d'inclure les grandes puissances dans la création de l'ONU, aujourd'hui, au sein des 193 Etats membres, ce droit doit être révoqué de toute urgence. La situation géopolitique actuelle ne justifie en effet plus la reconnaissance d'un tel droit147. En effet, dans les relations internationales contemporaines, certains membres permanents bloquent systématiquement toute résolution en défaveur des Etats qui sont sous leur protection qu'elle que soit la raison ou les violations du droit international. Ainsi, les Etats-Unis opposent toujours leurs droits de veto lorsqu'il s'agit de voter une résolution à l'encontre d'Israël148. A l'opposée du globe, la Russie et la Chine posent leur veto de manière quasi-

144 Sur S., Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, Pouvoirs, 109, 2004, p.62

145 Z a m b e l l i M . , L e temps, 2 8 avril 2 0 0 5 , disponible à l'adresse : https://www.letemps.ch/opinions/privilege-droit-veto-conseil-securite-aboli consulté le 14/06/2020

146 Sur S., Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, Pouvoirs, op.cit.

147 Voy. B. Fassbender, UN Security Council reform and the Right of Veto, La Haye, Kluwer, 1998, pp. 263-266.

148 A titre d'exemple, le CS lors de sa 5565ème séance avait soumis un projet de résolution du Qatar en

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systématique lorsqu'il faut adopter une résolution concernant ses alliés comme lors de la situation au Myanmar qui faisait subir des « attaques armées contre les civils »149. Outre la paralysie problématique du système de sécurité collective, l'impunité des Membres permanents s'avère également dangereuse. Lorsque l'un des Big five viole les règles du droit international et recours à la force de manière unilatérale comme les Etats-Unis en Irak ou la Russie en Syrie, aucune mesure de sanction ne peut être prise à son encontre puisqu'elle nécessiterait un vote du CS. En cela, il est indéniable que les membres permanents détiennent en pratique la prérogative de l'autorisation du recours à la force.

Depuis la création de l'ONU en 1945, le recours au droit de veto « a été utilisé de façon extensive, et par tous les membres permanents même si c'est de façon inégale »150. Selon Chloé Maurel151, il aurait été utilisé plus de 265 fois depuis 1945 jusqu'à 2017. Le conflit syrien représente un exemple probant de la paralysie du CS à cause du droit de veto des membres permanents. Selon l'ONU152, le conflit en Syrie a fait plus de 310 000 morts, des centaines de milliers de blessés et douze millions de réfugiés et déplacés. Pourtant, l'ONU, en sept ans de guerre et avec le veto constant de la chine et de la Russie protégeant leur allié syrien, n'a pas pu intervenir malgré « les besoins humanitaires urgents »153. En effet, la Russie a opposé au moins huit fois son veto au CS et la Chine au moins six fois. Cette situation a plus que jamais mis en lumière l'incapacité de l'ONU dans de telles circonstances. Certes, tout au long de la crise, il y a eu quelques succès occasionnels comme la résolution 2118 concernant l'élimination de l'arsenal d'armes chimiques154, mais le fait de se réjouir de la mise en place d'une résolution qui devrait être le fonctionnement normal de l'ONU est inquiétant. Les actions unilatérales représentent alors le seul moyen pour répondre à de telles violations des droits de l'homme et du droit international.

Ainsi, le droit de veto ne pourrait être remis en cause que si les deux tiers des

2006 qui condamnait les opérations militaires menées par Israel dans la bande de Gaza. Les opérations militaires en question ayant fait des morts au sein de la population civile et causé des destructions massives d'infrastructures essentielles et de biens palestiniens, n'ont pas permis de faire adopter ledit projet à cause des Etats-Unis ayant voté contre (véto). Information figurant sur le site du Centre d'actualité de l'ONU, 2007, disponible à l'adresse : https://news.un.org/fr/story/2006/07/94992 Consulté le 14/06/2020. Cité par Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.262.

149 Communiqué de presse du CS/8939 du 12 janvier 2007 : Le conseil de sécurité rejette le projet de résolution sur le Myanmar à la suite d'un double vote négatif de la Chine et de la Fédération de Russie, 5619ème séance, disponible à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2007/CS8939.doc.htm consulté le 14/06/2020. Cité par Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.263

150 Sur S., Le Conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir, op.cit.

151 Maurel, C. (2017, 19 mars). Suspendre le droit de veto à ; l&rsquo ; ONU lors des discussions sur les crimes de masse. Consulté 14 juin 2020, à l'adresse http://www.slate.fr/story/140321/suspendre-le-droit-de-veto-lonu-lors-des-discussions-sur-les-crimes-de-masse

152 Point.Fr, L. (2020, 14 mars). Syrie : plus de 380 000 morts en neuf ans de conflit. Consulté 14 juin 2020, à l'adresse https://www.lepoint.fr/monde/syrie-plus-de-380-000-morts-en-neuf-ans-de-conflit-14-03-2020-2367140_24.php

153 Reuters, L. M. A. A. E. (2016, 6 décembre). Moscou et Pékin mettent leur veto à une résolution de l'ONU sur une trêve à Alep. Consulté 14 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2016/12/05/syrie-veto-de-moscou-et-pekin-a-une-resolution-de-l-onu-demandant-une-treve-a-alep_5043852_3218.html

154 Résolution 2118 du CS de l'ONU adoptée le 27 septembre 2013 en séance n°7038. S/RES/2118 (2013) disponible à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2013/CS11135.doc.htm consulté le 14/06/2020

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membres de l'AG donnaient leur accord en plus des cinq membres permanents du CS, il est de ce fait peu probable que cela se fasse puisque ces derniers perdraient leur privilège sur la scène internationale. Plusieurs possibilités de réforme ont néanmoins émergé à la suite des nombreux blocages (Paragraphe II).

Paragraphe II- Les différentes possibilités de réforme afin d'aboutir à une meilleure efficacité du Conseil de sécurité

Les propositions de réforme n'ont pas manqué depuis 1965. Il s'agit sûrement de l'un des sujets qui est resté le plus longtemps à l'ordre du jour mais par intermittence. Le débat sur la réforme du CS a réapparu plus particulièrement dans les années 80-90 alors que l'ONU subit une nouvelle augmentation du nombre de ses membres. En 1992, le débat a été relancé par la résolution A/47/62 intitulé « Question de représentation équitable et d'augmentation de la composition du Conseil de sécurité »155. L'AG dans cette résolution se déclare « consciente du rôle de plus en plus crucial qui revient au Conseil de sécurité dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, (...) Consciente également que la situation internationale a changé et que le nombre de Membres de l'Organisation des Nations unies a considérablement augmenté, atteignant désormais cent-soixante-dix-neuf au total (...) estimant qu'il faut poursuivre le processus de revitalisation et de restructuration de certains organes de l'Organisation »156. Suite à cette résolution, le SG des NU produit un rapport le 20 juillet 1993 ce qui amena à une nouvelle résolution A/48/26157 par laquelle l'AG créa un groupe de travail chargé d'étudier la problématique en 1994 et tenter de résoudre la problématique qui permettrait un consensus entre tous les Etats membres sur cette question. Les travaux de ce groupe de travail n'ont cependant guère fait avancer la question. Le SG en 2002 relance une nouvelle fois le débat et met en place un groupe de personnalités de haut niveau chargé de rendre un rapport sur la question de la réforme de l'ONU dans son ensemble. Ce dernier a rendu son rapport à l'AG le 8 décembre 2004158 consacrant un chapitre entier à la réforme du Conseil de sécurité159. Le rapport décrit un certain nombre de réforme envisageable, comme par exemple élargir le Conseil de sécurité en tenant compte de deux critères160 :

- « Associer davantage à la prise de décision ceux qui contribuent le plus à

l'Organisation sur les plans financier, militaire et diplomatique (...) ». Ce premier critère semble viser le Japon (premier donateur au monde d'aide publique au développement et deuxième contributeur du budget des Nations Unies) et l'Allemagne (troisième contributeur du budget des Nations Unies) ;

155 Résolution de l'Assemblée Générale des Nations unies du 11 décembre 1992, A/47/62, Disponible à l'adresse : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N93/082/53/IMG/N9308253.pdf? OpenElement Consulté le 15/06/2020

156 Ibid. page 1.

157 Résolution de l'Assemblée Générale des Nations unies du 10 décembre 1993, A/48/26, Disponible à l'adresse : https://www.un.org/french/documents/ga/res/48/fres48.shtml consulté le 15/06/2020

158 Résolution de l'Assemblée Générale des Nations unies du 2 décembre 2004, A/59/565 (2 décembre 2004) : Rapport du Groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement. Voir article de l'auteur, « L'ONU ou la réforme perpétuelle », Annuaire français de droit international, 2004, p. 535-544.

159 Chapitre XIV, points 244-260 Disponible à l'adresse : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/602/32/PDF/N0460232.pdf?OpenElement consulté le 15/06/2020

160 Vincent, P. (2005, 1 janvier). Pour une meilleure gouvernance mondiale : la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.

consulté 15 juin 2020, à l'adresse https://journals.openedition.org/pyramides/365#ftn22

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- « faire une place dans la prise des décisions à des pays qui soient plus représentatifs de l'ensemble des membres, et en particulier du monde en développement ». Ce deuxième critère ouvre la voie à un élargissement à des pays du Sud (Brésil, Inde et groupe africain).

Sur la base de ces deux critères, le Rapport fait deux propositions de réforme avec une division du monde en quatre pôles géographiques : Afrique, Amérique, Asie et Pacifique, Europe. La composition du CS serait ainsi de 34 membres, six par groupe géographique, suivant deux modalités différentes :

- Formule A : Création de six sièges permanents (deux pour l'Afrique, deux pour l'Asie, un pour l'Europe et un pour l'Amérique) sans droit de veto et de trois nouveaux sièges non permanents (Un pour l'Afrique, un pour l'Asie, deux pour l'Amérique, l'Europe en perdant un) :

Tableau 1: Illustration de la Formule A, proposition de réforme du Rapport des

personnalités du 8 décembre 2004. Créé par Vincent, P. (2005, 1 janvier). Pour une meilleure gouvernance mondiale : la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.

- Formule B : Création de huit sièges avec des mandats de quatre ans, deux pour chaque continent. Le nombre de sièges avec un mandat de deux ans passerait de dix à onze (quatre pour l'Afrique, trois pour l'Asie et l'Amérique, un pour l'Europe) :

Tableau 2: Illustration de la Formule B, proposition de réforme du Rapport des personnalités du 8 décembre 2004 créé par Vincent, P. (2005, 1 janvier). Pour une meilleure gouvernance mondiale : la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.

La première formule semble être la plus réaliste et réalisable, elle tend de ce fait, depuis des années à être la base des négociations. Cependant, ce Rapport ne répond pas à de nombreuses questions telles que les procédures de vote au CS. Le rapport ne

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préconise pas l'octroi du droit de veto aux nouveaux membres permanents, dans l'hypothèse ou la première solution serait suivie. Le deuxième critère ouvre la voie à un élargissement des pays du Sud. Pour limiter l'emploi du veto aux membres permanents actuels, le Rapport propose l'institution d'un « vote indicatif ». Un membre du CS pourrait alors demander à chaque membre de prendre position avant un vote. Le Rapport espère ainsi qu'un Etat souhaitant faire usage de son droit de veto, se voyant ainsi isolé, y renoncerait à l'occasion du vote officiel. Ce dernier point de vue semble néanmoins irréaliste, la pression diplomatique n'apparaît pas comme fonctionnant sur les membres permanents actuels lorsque leurs intérêts sont mis en jeu. De plus, l'attribution de nouveaux sièges permanents ne ferait -il pas que repousser la problématique ? En cela, la seconde formule est peut-être plus souple que la première puisqu'elle évite la question de l'octroi du droit de veto aux nouveaux permanents et rétablit un semblant de représentativité.

Comme le propose Chloé Maurel161, il faudrait plutôt suspendre le droit de veto lors de certaines discussions comme lors des discussions sur les crimes de masse. Cette alternative semble plus réalisable et également elle pourrait être d'avantage acceptée par les membres permanents. Cette solution avait déjà été proposée par Kofi Annan en 2006 et 2013 et par la France162 au vu des nombreux vetos et constatant l'inertie de l'ONU en Syrie. Le Conseil de sécurité représente aujourd'hui, par sa composition, moins de 8 % des 192 Etats membres de l'Organisation163. Le manque de représentativité et son corollaire, le trop-plein de pouvoir entre les cinq Etats, ne sont plus adaptés à la configuration internationale du XXIe siècle.

Quoi qu'il en soit pour qu'un projet de réformation aboutisse, il faudrait l'aval des cinq membres permanents actuels ce qui apparaît comme peu probable. Si ces derniers venaient à accepter un quelconque changement ce serait car ils ne perdraient pas en pouvoir de décision et donc la réforme ne serait pas efficace puisqu'il s'agit du premier problème. À l'instar de la crise en Syrie, la paralysie du CS entraîne une remise en cause certaine de cet organe. Il est compréhensible alors que certains comportements unilatéraux apparaissent.

161 Maurel C., Suspendre le droit de veto à l'ONU lors des discussions sur les crimes de masse, op.cit.

162 La France a porté cette résolution elle-même depuis 2013, l'a réitérée en 2015, puis en 2016. Cette initiative est également soutenue aujourd'hui par une centaine de pays, soit la majorité des Etats Membres de l'ONU.

163 Novosseloff, A. (2006). L'élargissement du Conseil de sécurité : enjeux et perspectives. Relations internationales, 128(4), 3-14. doi:10.3917/ri.128.0003.

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Conclusion première partie

La première partie a pour but de décrire le système onusien à la fois de par son texte fondateur (La Charte des Nations unies) et de par sa pratique actuelle. De nombreuses faiblesses émergent et expliquent en partie la montée de l'unilatéralisme du recours à la force.

La Charte pose un principe fort, fondamental et respecté par la grande majorité des Etats et de la doctrine d'interdiction du recours à la force. Dans les textes, les exceptions au principe (la légitime défense et la sécurité collective) sont strictement encadrées malgré l'absence de certaines définitions des termes au sein de la Charte, tel que la notion d'agression. De plus, la Charte, lors de sa création aurait pu être présentée comme un document résumant les principes coutumiers et les regroupant au sein d'un même texte de telle façon que les conditions d'exercice autour de la légitime défense collective et individuelle auraient par exemple pu être décrits et éclaircis une bonne fois pour toute.

Le pouvoir de qualification et la possibilité de sanctionner les transgressions du recours à la force données au CS doivent être appliqués de manière récurrente, cohérente, et plus rigoureuse lorsqu'une situation de crise apparaît. En ce sens, il semble intéressant de créer un organe juridique de contrôle afin de garantir cela et de transférer une partie du pouvoir discrétionnaire du CS à un organe autre que politique.

De plus, les mesures du CS qui tendent à autoriser à un Etat membre de recourir à la force afin de palier les faiblesses de la Charte concernant les moyens coercitifs dont dispose l'ONU, doivent être strictement encadrés et définis. Le CS doit expliquer clairement les missions et le mandat à l'Etat en question et y appliquer un suivi régulier. Beaucoup d'Etats ont profité du caractère trop général de ces résolutions afin d'outrepasser les mandats et de transgresser ses missions.

De manière positive, le CS a élargi sa notion de menace contre la paix afin de se plier aux changements de la société, l'ONU devrait ainsi continuer sur cette lancée et abroger le droit de veto anachronique et antidémocratique des membres permanents du CS. Il semble s'agir cependant d'une peine perdue étant donné que les détenteurs d'un tel droit n'accepteront jamais une telle révision.

Ainsi, le système de sécurité collective créé par la Charte des Nations unies apparaît comme dégradé et remis en cause. Une partie de la doctrine déclare même que le principe d'interdiction du recours à la force est mort en raison d'une pratique contraire récurrente. Même si nos propos ne sont pas si véhéments, le système des Nations unies semble réellement à bout de souffle. Des révisions de la Charte doivent être apportées prochainement afin d'éviter que le système onusien ne devienne complètement obsolète dans les futures crises mondiales. L'ONU peut peser dans la balance en tant qu'organisation universelle disposant de la personnalité juridique internationale. Elle doit ainsi se séparer de l'influence des Etats qui l'ont créés pour réaliser les missions qui lui ont été confiées. En pratique, les nombreux blocages et défaillances facilitent l'unilatéralisme des Etats membres qui se servent de l'incertitude juridique de la Charte et des résolutions pour justifier leurs actions. Cependant, la seconde partie de l'analyse prouve que ces justifications étatiques sont contraires à l'esprit et la lettre de la Charte des Nations unies et donc illégales en droit international (SECONDE PARTIE).

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PARTIE II

Des justifications étatiques contraires à l'esprit et la lettre de la Charte des Nations Unies

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Les conflits de ce XXIe siècle, notamment les guerres d'Afghanistan et d'Irak, et celle de la fin du XXe siècle au Kosovo ont soulevé des questions quant à leur légalité en vertu des dispositions de la Charte des Nations unies et du recours à la force. Les justifications données par les Etats afin de légitimer leurs actions ne s'inscrivent pas selon la légalité de la Charte et du droit international. Nombreux sont les Etats membres de l'ONU qui ont tiré parti d'interprétations facilitées par les incertitudes de la Charte et ont recherché des accommodements avec la légalité ou tout du moins ont essayé d'atténuer la portée de leurs actions. Ainsi, l'une des exceptions au principe d'interdiction du recours à la force, la légitime défense, a été interprétée extensivement et illicitement par les Etats souverains. Ces derniers ont également invoqué les notions d'intervention humanitaire et de responsabilité de protéger afin de justifier leurs interventions coercitives. Ces justifications étatiques dénaturent ainsi les principes fondamentaux portés par le système de sécurité collective de l'ONU (CHAPITRE I). Les Etats transgressant le principe de l'interdiction du recours à la force ont fondé des techniques juridiques qui visent soit à étendre soit à créer des modalités exceptionnelles du recours à la force. Ainsi, l'argument des interventions illégales mais légitime a été soumis devant la communauté internationale lors de l'intervention au Kosovo ou en Irak. Ce genre de registre fragilise et dilue le droit dans une sorte de justification à dominante émotionnelle en vue de créer ou de consolider une adhésion à une intervention illégale. Il en est de même pour la théorie de l'autorisation implicite ou celle de la légalisation à postériori. Ainsi, les Etats interprètent les règles de la Charte à leur manière avec des argumentations bancales et créent de nouvelles pratiques quasi -normatives dans le but de dissimuler leurs interventions unilatérales et illégales. Dans ce contexte, il est important de prouver que ces pratiques et justifications ne s'insèrent pas dans le cadre de la Charte, de son esprit et dans le Droit international (CHAPITRE II).

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CHAPITRE I

La dénaturation par les Etats souverains des principes du système de
sécurité collective de l'ONU

Les conflits armés sont omniprésents dans l'actualité, pour autant, tout recours à la force n'implique pas forcément une violation de l'article 2§4 de la Charte des Nations unies. Le principe de légitime défense est une exception acceptée en droit international et dans la Charte comme décrit en son article 51. Cependant, depuis notamment les attentats du 11 septembre 2001, certains Etats se prévalent de leur droit de légitime défense afin d'engager des actions armées contre un autre Etat. Il s'agit ainsi d'un élargissement illicite de la notion de légitime défense tel que défini dans la Charte (Section 1). Le terme illicite est employé car la notion de légitime défense a été dénaturée par les Etats afin de justifier leur transgression du recours à la force et de les faire rentrer dans un cadre légal légitime. Depuis le début des années 1990, la doctrine de l'intervention humanitaire s'est érigée en principe fondamental et les actions au nom de ce principe se sont également multipliés. À titre d'exemple, les frappes aériennes menées par l'OTAN en 1999 afin de répondre à la catastrophe humanitaire au Kosovo représentent une intervention de type humanitaire. La légalité de ces interventions repose sur leur légitimité ce qui peut paraître dangereux d'un point de vue du droit puisque la légitimité est subjective et donc ce qui est légitime pour un Etat peut apparaître comme une agression pour un autre. En cela, certains Etats se sont engouffrés dans cette zone grise afin de justifier des interventions dans leur propre intérêt mais au nom du droit d'intervention humanitaire. Il s'agit dans ces cas d'une utilisation abusive du concept d'intervention humanitaire (Section 2). Enfin, un concept de substitution est donc apparu à la suite de l'intervention humanitaire devenue trop controversée à la suite de graves déconvenues sur le terrain. Cette nouvelle approche devait permettre « d'établir un équilibre entre la souveraineté de l'Etat et la protection des droits de l'Homme qui, depuis la fin des années 1990, fait figure de référence pour l'action collective en cas de menaces massives contre les populations civiles »164. Cependant, le nouveau principe de la responsabilité de protéger, apparaît comme étant un échec flagrant en pratique (Section 3).

164 Kherad R., La souveraineté de l'Etat et l'émergence d'une conception globale de la sécurité, SFDI, dans l'Etat dans la mondialisation, Paris, Pedone, 2013, p.223

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Section 1: L'élargissement illicite de la notion de légitime défense

Au lendemain des attaques du 11 septembre 2001, le CS adopte deux résolutions déterminantes pour la suite des évènements. Ces deux résolutions associent le droit inhérent de légitime défense aux attaques terroristes commis par Al-Qaïda et qualifie ces actes de menace à la paix et à la sécurité internationale. En partant de ces résolutions et du principe de légitime défense de la Charte des Nations unies, les Etats-Unis, à la suite des attentats, vont adopter une interprétation extensive de ce droit (Paragraphe I) en attaquant l'Afghanistan. Juridiquement, le postulat de cette recherche place l'intervention militaire en Afghanistan comme des représailles armées et non un exercice de légitime défense. Dans le sillage de la lutte contre le terrorisme, de nombreux Etats vont s'appuyer sur l'après 11 septembre pour justifier leur recours unilatéral à la force. Certains iront même jusqu'à argumenter le droit à une légitime défense préventive ou préemptive afin de justifier de la force armée contre un autre Etat (Paragraphe II).

Paragraphe I- L'interprétation extensive du droit de légitime défense à la suite des attentats du 11 septembre 2001

En raison de leur ampleur, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York et le pentagone de Philadelphie ont posé avec acuité les questions de la définition et de la prise en compte du terrorisme par la communauté internationale. S'il n'existe pas de définition unanimement acceptée, selon G. Guillaume165, trois éléments la caractérisent : un élément matériel consistant en des actes de violence de nature à provoquer la mort ou à causer des dommages corporels importants, un élément intentionnel qui consiste à créer la terreur dans le public et un élément méthodologique puisque les actes terroristes nécessitent une entreprise individuelle ou collective pour la perpétration de ces actes. Au lendemain des actes terroristes commis par Al-Qaida, une entité non-étatique, le CS adopte une résolution 1368 qui assimile « tout acte de terrorisme international » à « une menace à la paix et à la sécurité internationales », tout en reconnaissant « le droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective conformément à la Charte »166 . Ces termes sont encore une fois trop généraux et imprécis, puisque invoquer le droit à la légitime défense implique que les Etats-Unis ont été victimes d'une agression armée (condition sine qua non de ce droit167). Toutefois, le CS choisit la qualification « menace contre la paix » et non « agression armée » puisque dans le cadre onusien, l'agression s'applique seulement à l'action menée par un Etat contre un autre Etat168. Ainsi, cette qualification juridique des faits soulève des interrogations puisque le CS semble avoir effectué une application hybride du Chapitre VII. Le débat ne se porte pas ici sur le caractère de l'agression armée en tant que telle puisqu'une attaque d'une telle ampleur sur le sol

165 Guillaume G., Terrorisme et droit international, RCADI, t.215 (1989-III) p.299

166 Résolution 1368 du CS des NU du 12 septembre 2001, séance n°4370, S/RES/1368 (2001) Disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-2001 Consulté le 15/06/2020

167 Cf Article 51 de la Charte des Nations unies op.cit.

168 Pour qu'il y ait agression, plusieurs conditions doivent être remplies, notamment celles dictées par la résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 (op.cit) à savoir l'emploi de la force armée par un Etat agissant le premier contre un autre Etat.

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américain constitue sans le douter un acte d'agression, comme le décrivent Eisemann169 ou Dupuy170. Seulement, le droit international oblige l'imputation d'une agression armée à une autorité étatique uniquement. En cela, si le CS considère dans sa résolution que la légitime défense peut être utilisée par les Etats-Unis et donc qu'une agression armée a bien eu lieu, cela dégage deux hypothèses :

- La première est qu'Al-Qaida est un Etat car seulement un Etat peut agresser un autre Etat dans le droit international.

- La seconde est que cet acte terroriste a été orchestré par l'Afghanistan (autorité étatique) qui contrôle les Taliban ou se fait contrôler par les Taliban (Etat défaillant).

Il est intéressant d'analyser cette résolution car il s'agit de savoir si les Etats-Unis étaient dans leur droit de répliquer et d'effectuer une intervention armée en Afghanistan (opération « liberté immuable » 6 octobre 2001) ou s'il s'agit d'une transgression du principe d'interdiction du recours à la force et d'une sur-interprétation de cette notion de légitime défense. Ainsi, il convient d'analyser la première hypothèse en accord avec les règles de droit international. Même s'il n'existe aucune définition conventionnelle et universellement acceptée de l'Etat en droit international, la doctrine de manière quasi-unanime considère que l'Etat est une personne morale et dispose d'une population permanente, d'un territoire défini et d'une autorité politique ayant la capacité d'entrer en relation avec d'autres Etats171. Pour répondre à la qualité d'Etat, l'entité doit également bénéficier de la souveraineté. Ainsi, sans pousser l'analyse plus loin, il est évident qu'Al-Qaida est uniquement une organisation avec des groupuscules présents dans différents Etats du monde (Afghanistan, Irak, Etats du Maghreb, Yémen, Somalie, Inde et Arabie Saoudite...) et non uniquement sur un territoire donné. De plus, Al-Qaida ne dispose d'aucune population permanente puisqu'en 2001 leur nombre d'adeptes était estimé en 500 et 1000. Enfin, aucun autre Etat du monde ne reconnaît Al-Qaida comme une entité étatique ce qui conclut et réfute la première hypothèse énoncée.

La seconde hypothèse n'est pas non plus juridiquement recevable en raison du manque de preuves d'un lien de rattachement entre Al-Qaida et le régime des Taliban. Or, selon la Commission du droit international, l'imputabilité de l'action d'une personne ou d'un groupe de personnes à un fait de l'Etat ne peut être admise que « si cette personne ou ce groupe de personnes, en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de cet Etat »172. De ce fait, le soutien apporté par le régime des Taliban au réseau Al-Qaida ne peut pas avoir le caractère d'une agression, confirmant la jurisprudence de la CIJ dans Nicaragua c/ Etats-Unis173. Il

169 Eisemann considère dans son article qu'il « serait oiseux de contester qu'un aéronef aux réservoirs remplis de kérosènes utilisé pour provoquer le maximum de destruction n'ait pas été une arme par destination ». Dans : Eisemann P-M., Attaques du 11 septembre et exercice d'un droit naturel de légitime défense, dans Le droit international face au terrorisme, Paris, Pedone, Cahiers Internationaux, 2002, p.242

170 Dupuy est du même avis que Eisemann puisqu'il écrit « la violence destructrice des attaques terroristes du 11 septembre peut (...) à priori faire penser que les Etats-Unis se sont trouvés, et pour la première fois de leur histoire sur leur propre sol, victimes d'une véritable agression ». Dans Dupuy PM., Droit International Public, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2004, p.617

171 Ailincai M., Cours de Master 1 de Droit international public, Faculté de Droit de Grenoble-Alpes, 2018-2019

172 Daudet Y., La Commission du Droit international des Nations Unies. In: Annuaire français de droit international, volume 21, 1975. pp. 598-615.

173 La CIJ ne pense pas « que la notion d'agression armée puisse recouvrir (...) une assistance à des

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n'est pas non plus admissible de considérer que cette action armée soit justifier par le financement du terrorisme par l'Afghanistan et les autres Etats de la région, en raison du manque de preuves d'une telle opération financière.

Par conséquent, et en application du droit existant au moment des faits, on peut déduire que les attentats du 11 septembre ne peuvent être considérés comme une agression étatique174. Quelle que soit l'hypothèse invoquée, la possibilité pour les Etats-Unis de se prévaloir de la légitime défense ne peut se faire que par une interprétation extensive des différents critères conditionnant cet exercice175.

Pour résumer, le juge Gilbert Guillaume, ancien président de la CIJ déclare : « Après les événements du 11 septembre 2001, de nouvelles théories se sont développées pour démontrer que ces événements marquaient une agression armée contre les Etats-Unis justifiant l'exercice du droit de légitime défense. Que ces événements aient eu la dimension d'une agression armée, j'en conviens volontiers, mais il n'a jamais été établi qu'ils trouvaient leur source dans l'action d'un Etat ; ils trouvaient leur origine dans l'action d'Al-Qaida qui bénéficiait d'un certain soutien, d'une certaine complicité du côté de l'Afghanistan et du régime des Talibans, mais il n'a jamais été prétendu que c'étaient les Talibans qui avaient envoyé les avions dans les tours de New York. Peut-on considérer dans ces conditions qu'on se trouvait en face d'un cas d'application de l'article 51 ? Ce serait, me semble t-il, extrêmement dangereux parce que si l'on considère qu'un événement de ce genre, c'est-à-dire une agression armée par une organisation non gouvernementale - après tout, Al-Qaida est une ONG d'un type particulier - peut justifier l'exercice du droit de légitime défense, cela veut dire que l'Etat qui s'estime agressé a le droit d'intervenir par la force armée sur le territoire d'un autre Etat, ou se trouve éventuellement cette ONG. Ce serait donc justifier l'action unilatérale des Etats par le recours à la force à l'étranger même en l'absence d'agression par un autre Etat dès lors que leur sécurité a été menacée par des organisations de type Al-Qaida. Les dangers d'une telle théorie sont considérables »176.

Ainsi, l'action unilatérale des Etats-Unis en Afghanistan se traduirait plus comme des représailles armées, bannies du champ d'application de l'Article 2§4 de la Charte des Nations unies. En 1980, Roberto Ago distinguait les représailles armées de la légitime défense en expliquant que les représailles armées ont pour but de réprimer et d'obtenir une exécution forcée alors que la légitime défense empêche seulement un acte

rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une menace ou en emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures et extérieures d'autres Etats ». Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, CIJ, 1986 op.cit

174 V. en ce sens : B. Stern, « Rapport introductif. Le contexte juridique de l'après 11 septembre 2001 », in K. Bannelier, Th. Christakis, O. Corten, B. Delcourt (dir.), Le droit international face au terrorisme, Paris, Pedone, 2002, 356 p., p. 3-32, p. 20 ; Th. Garcia, « Recours à la force et droit international », Perspectives internationales et européennes, n° 1, juillet 2005, 14 p., p. 9. [ http://revel.unice.fr/revues/pdf?r2rrep=pie&r2rid=46&r2rname=addslashes

175 Le Floch, G. (2009, 1 juin). Le principe de l'interdiction du recours à la force a-t-il encore v... Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://journals.openedition.org/droitcultures/1218?lang=en#ftn34

176 Guillaume G., L'ONU en 2005, Association Pour la Fondation ResPublica, Colloque du 6 Juin 2005, p.37-38.

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d'agression177. La CIJ178 et la CDI179 bannissent également tout acte de représailles armées. Il apparaît clairement que l'action armée entreprise par les Etats-Unis contre l'Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre se présente sous la forme de représailles armées et non d'une légitime défense. L'intervention en Afghanistan est donc illégale en droit international car contraire à la Charte des Nations unies. En pratique cependant, l'intervention des Etats-Unis n'a guère été contestée, d'autant plus que la résolution du CS du 12 septembre 2001 apparaît comme confuse et trop générale. Aussi, afin de justifier l'opération « liberté immuable », les Etats-Unis et leurs alliés se sont appuyés sur les termes de la résolution « droit inhérent à la légitime défense individuelle ou collective » en interprétant cette résolution comme une extension du concept de légitime défense face à des entités non-étatiques. Cette interprétation est illégale au regard de la lettre de la Charte et du principe de la légitime défense énoncée en son article 51.

Toutefois, si la résolution 1368 du CS entraîne un débat sur l'interprétation de ses termes, la théorie de la légitime défense préventive ou préemptive argumentée en 2003 est elle, complètement illégale (Paragraphe II).

Paragraphe II : La théorie illicite d'une légitime défense préventive ou préemptive

La légitime défense préventive trouve ses fondements dans les résolutions 1368 (2001)180 et 1373 (2001)181 qui ont consacré tout acte de terrorisme international comme une menace à la paix et à la sécurité internationales et aussi réaffirmé le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective des Etats. Pour les défenseurs de cette théorie, en demandant aux Etats de collaborer d'urgence pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme, et ce, par tous les moyens, le CS a autorisé indirectement les Etats à faire usage de la force, même en cas de suspicion de menace. Dans cette optique, les Etats auraient un devoir moral d'intervenir de manière coercitive afin d'empêcher une attaque terroriste, ce qui resterait dans le cadre de la Charte des Nations unies puisque supposément admis par le CS.

En droit international, il existe deux types de défenses principales avant le déclenchement d'un conflit : la défense préventive et celle préemptive. Le qualificatif « préemptif » a rarement été employé par un Etat car il s'agit d'attaquer en premier un Etat qui se prépare à la guerre. En cela, l'action préemptive est déclenchée lorsque la perspective d'une attaque est imminente. En revanche, le qualificatif « préventif » a lui connu une action plus récurrente puisqu'il s'agit d'une attaque initiée avec la croyance qu'un conflit futur est inévitable quoique non-imminent. Ainsi, comme le résume Monsieur Alassani dans sa thèse : « une défense préventive se distinguerait de celle préemptive, par le fait que la préventive est lancée pour détruire une menace naissante et potentiellement incertaine, alors que la préemptive est lancée en prévision d'une

177 Ago R., Intervention au cours de la 1619ème séance de la C.D.I, 1980, à la page 174.

178 Détroit de Corfou, op.cit p.35, Nicaragua c/ Etats-Unis, op.cit, p.127, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, op.cit p.246.

179 Rapport CDI commentaire de l'article 50, Doc A/56/10 aout 2001 Commentaire de la Commission du droit international sur le projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite : « pour pouvoir être admises en tant que circonstances excluant l'illicéité, les contres mesures ne doivent pas impliquer l'emploi de la force ».

180 Résolution 1368 du CS des NU du 12 septembre 2001 op.cit

181 Résolution 1373 du CS des NU du 28 septembre 2001. S/RES/1373 (2001) disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-2001 consulté le 16/06/2020

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agression immédiate »182. Pour autant, comme l'écrit Stephen Van Evera, le choix se fait entre « la guerre maintenant » ou « la guerre plus tard »183. Et quoi qu'il en soit, une action qu'elle soit préventive ou préemptive est toujours un recours à la force qui rompt la paix et donc illégale en droit international.

Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se sont lancés dans une guerre contre le terrorisme, une guerre menée de façon préventive selon la célèbre formule de Machiavel : « Vous ne voulez pas être subjugué ? Alors, subjuguez rapidement votre voisin, tant que sa faiblesse vous en donne l'occasion »184. Le 20 mars 2003, une coalition de 49 Etats, menée par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, est intervenue militairement en Irak afin d'attaquer avant d'être attaquée et d'arrêter les « Etats voyous »185 qui forment « l'axe du mal »186. Le président des Etats-Unis, George W. Bush, lors de son discours à l'AG du 23 septembre 2003 a d'ailleurs déclaré que « The deadly combination of outlaw regimes and terror networks and weapons of mass murder is a peril that cannot be ignored or wished away. If such a danger is allowed to fully materialize, all words, all protests, will come too late. Nations of the world must have the wisdom and the will to stop grave threats before they arrive »187. En cela, il justifie la légitimité d'une attaque sur une autre entité étatique et donc la transgression du recours à la force avec la théorie de la légitime défense préventive. Cependant, l'état du droit positif en ce sens est clair, l'article 51 de la Charte nécessite une agression armée afin d'enclencher le processus de légitime défense d'un Etat.

Pourtant, les Etats-Unis se consacrent le droit de recourir à la force contre tous ceux qui représentent ou pourrait représenter une menace pour leur sécurité sans même l'accord du CS. Afin de justifier cette théorie, les Etats-Unis ont invoqué plusieurs arguments notamment celui du droit coutumier antérieur à la Charte qui consacrerait ce droit de légitime défense préventive. On trouve les fondements de cette argumentation au sein du document intitulé The National Security Strategy of the United States of America publié par la Maison Blanche le 17 septembre 2002188 : « For centuries, international law recognized that nations need not suffer an attack before they cal lawfully take action to defend themselves against forces that present an imminent danger of attack »189. Les partisans de cette doctrine considèrent que les affaires de la

182 Alassani Z., L'évolution du droit de recourir à la force : vers une reconnaissance de l'autorisation implicite. op.cit p.370.

183 Van Evera S., Causes of war- Power and the roots of conlict, Ithaca, Cornell University Press, 1999. Dan Reiter, Exploding the powder keg myth- Preemptive war almost never happen, International Security, Vol. 20, n°2, Fall 1995, p.40

184 Cité par Van Evera S, ibid.

185 Allocation du Président Bush de West Point du 1er Juin 2002. Cette allocution insiste sur les nouveaux dangers et défis de la Communauté internationale après la fin de la guerre froide, ses dangers sont véhiculés par les « rogue states ». Glass, A. (2019, 29 janvier). President Bush cites `axis of evil,' Jan. 29, 2002. Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://www.politico.com/story/2019/01/29/bush-axis-of-evil-2002-1127725

186 Ibid.

187 Discours du président Bush devant la 58ème assemblée des Nations unies le 23 septembre 2003, Disponible à l'adresse : https://www.state.gov/state-gov-website-modernization/ consulté le 16/06/2020

188 The National Security Strategy of the United States of America, 17 septembre 2002 disponible à l'adresse : https://2009-2017.state.gov/documents/organization/63562.pdf consulté le 16/06/2020

189 Ibid p.15

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Caroline de 1837190 et du Virginius de 1873191 représentent des précédents qui autorisent en droit international d'utiliser la légitime défense préventive même si la Charte ne l'admet pas. Cette argumentation ne tient pas la route car au XIXe siècle l'état du droit n'était absolument pas le même que depuis le principe d'interdiction du recours à la force de 1945. Ainsi, à l'époque, la notion de légitime défense n'était qu'un terme générique utilisé en pleine période d'auto préservation et de libre recours à la force comme le décrit Anis Ben Flah dans son mémoire192. La CDI a également souligné que l'incident de la Caroline de 1837 ne représentait pas un cas de légitime défense : « faisant en réalité intervenir l'excuse de nécessité à une époque où le droit régissant l'emploi de la force ne reposait pas du tout sur les mêmes bases qu'aujourd'hui »193. Ainsi, l'argument que le droit coutumier à consacré le principe de légitime défense préventive avant l'entrée en vigueur de la Charte est infondé et ne peut être utilisé afin de justifier le recours à la force contre l'Irak en 2003.

Il n'existe ainsi aucun précédent qui valide la thèse américaine puisque par exemple, le bombardement par l'aviation israélienne du réacteur nucléaire irakien d'Osiraq, le 7 juin 1981, au titre de la légitime défense préventive a été violemment condamné par le CS. Cette conception extensive et illicite de la légitime défense peut encore une fois être assimilée à des représailles armées en raison de son caractère préventif et répressif. Quoi qu'il en soit, cette agression armée contre l'Irak est contraire au droit international tout comme l'argumentaire visant à la légitimer. Une partie de la doctrine considère toutefois que la légitime défense est un droit naturel et en ce sens, peut être utilisée par l'Etat sans autorisation du CS. Cet argument est dangereux car il laisserait la porte ouverte à de nombreux abus et il suffit de rappeler qu'aujourd'hui, l'ONU a la prérogative de l'autorisation du recours à la force et aucune circonstance ne peut lui échapper. Les Etats membres constituants l'ont créée dans ce but et ne peuvent aujourd'hui s'en défaire car ils ont transféré une partie de leur pouvoir discrétionnaire entre les mains de cette Organisation, il n'existe ainsi aucun droit naturel inhérent à l'Etat qui lui permettrait de recourir à la force sans l'autorisation expresse de l'ONU.

Le débat concernant les contours de la notion de légitime défense a poussé le SG de l'ONU de l'époque, Kofi Annan à nommer un groupe de personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, déjà mentionné dans le paragraphe de la mutation de la notion de menaces contre la paix. Dans son Rapport, ce groupe explique que « face à des menaces potentielles apparentes omniprésentes, le risque pour l'ordre mondial et la règle de non-intervention sur laquelle il reste fondé est trop élevé pour que la légalité autorise une action préventive unilatérale, au lieu d'une action collective. Autoriser une action préventive unilatérale de ce type, c'est les autoriser toutes. Nous ne sommes pas partisans d'une révision ou d'une nouvelle interprétation de l'Article 51 »194. Ainsi, il semble dorénavant clair que le droit international actuel n'autorise pas la légitime défense préventive ou préemptive et que les interventions sur cette théorie sont

190 Voir le résumé de l'affaire : Mingashang, I. (2008, 6 mai). DI-fusion Table of Contents : L'actualité de l'affaire de la Caroline... Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/210494/TOC

191 Voir un résumé de l'affaire à l'adresse : The Editors of Encyclopaedia Britannica. Virginius affair | United States history. Consulté à l'adresse https://www.britannica.com/event/Virginius-affair

192 Ben Flah A., Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations unies, mémoire, Université du Québec à Montréal, Juin 2008. p.105

193 Rapport de la CDI, op.cit commentaire de l'article 21 p.209

194 Ibid p.59

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de ce fait toutes illégales. Pourtant, cette notion de légitime défense préventive ne cesse d'être appliquée. L'action armée sans fondement juridique en Irak semble alors avoir créé un précédent dangereux et illégal. Ainsi, à titre d'exemple, le 7 septembre 2015, François Hollande annonçait des vols de reconnaissance sur le territoire syrien pour permettre « des frappes contre Daech »195. Il indiquait également posséder des preuves que Daech préparait des attentats en France et dans d'autres pays. Ces frappes aériennes ont eu lieu sans autorisation explicite du CS ou sans l'autorisation de l'état syrien en question et donc dans la pure illégalité. En plus du cas français, la Turquie a également déclaré avoir exercé son droit de légitime défense en Syrie le 24 juillet 2015 en mettant en exergue le fait que le régime syrien n'était ni capable ni désireux de s'opposer à de telles attaques terroristes émanant de son territoire.

Comme décrit au sein de la première partie de la recherche, force est de constater l'inadaptation du droit international positif face aux attaques terroristes et la nécessité de légiférer dans ce domaine. Les zones grises de la Charte ne devraient néanmoins pas permettre une telle dénaturation du principe de légitime défense et de son article 51. Les grandes puissances utilisent ainsi ce principe dans leur tentative de légitimation de leur guerre contre le terrorisme et leur recours à la force sans l'aval de l'ONU. Le même phénomène est arrivé avec le concept d'intervention humanitaire, faussement utilisé dans de nombreuses interventions illicites et unilatérales (Section 2).

Section 2 : L'utilisation abusive du concept d'intervention humanitaire

L'idée d'une intervention humanitaire est un vieux principe qui a été remis sur le devant de la scène avec l'intervention militaire de l'OTAN au Kosovo en 1999. Il renvoie au concept de « guerre juste »196 décrit en introduction et au caractère légitime d'une intervention. La question était ainsi de connaître de la légalité d'une action armée sur un Etat tiers pour but humanitaire face à l'inaction du CS. Le débat a particulièrement subsisté en raison de l'absence de fondement juridique explicite de l'intervention humanitaire dans la Charte (Paragraphe I). Ce principe a néanmoins connu de nombreux abus par des Etats se targuant d'agir pour des raisons humanitaires alors qu'ils agissaient en réalité pour leur intérêt propre (Paragraphe II).

Paragraphe I- L'absence de cadre légal explicite dans la Charte des Nations unies

Sans s'opposer à l'existence d'un droit d'intervention humanitaire, la Charte n'y fait cependant aucune référence explicite. En cela, les défenseurs de la thèse d'une intervention humanitaire légale dans la Charte considèrent que si elle ne le rejette pas

195 Maligorne, C. (2015, 27 septembre). Frappes en Syrie : comment la stratégie de la France a évolué ; Consulté 16 juin 2020, à l'adresse https://www.lefigaro.fr/international/2015/09/15/01003-20150915ARTFIG00403-frappes-contre-daech-en-syrie-comment-la-strategie-de-la-france-a-evolue.php

196 Cette théorie a été développée depuis l'Antiquité à la Renaissance par de nombreux auteurs, théologiens, juristes et philosophes comme Grotius (Du droit de la nature et des gens, VIII, C. V ), pour lui, un droit d'intervention unilatérale existe lorsqu'un gouvernement viole sur son territoire les droits de l'humanité par des excès de cruauté et d'injustice envers sa propre population. Cité par Rougier A., La théorie de l'intervention d'humanité, dans Revue générale de droit international public, t. XVII (1910) p.468

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expressément, implicitement elle reconnaît donc l'existence d'un tel droit. En l'occurrence, l'article 2§4 de la Charte consacrant le principe d'interdiction du recours à la force indique que « les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies »197. Ainsi, les partisans de la thèse de l'intervention humanitaire considèrent que cette dernière ne viole ni l'intégrité territoriale, ni l'indépendance politique d'un Etat ou encore aucun des objectifs qui sous-tendent l'ONU. De plus, pour des auteurs comme Reisman et McDougal198 la Charte reconnaît comme valeur fondamentale le respect effectif des droits de l'Homme de par ses articles 1199, 55 200et 56201. Ainsi, le droit d'intervention humanitaire serait légalisé par la Charte des Nations unies en ce qu'il servirait à l'un des buts centraux de l'ONU à savoir faire respecter les droits de l'Homme. De plus, ne pas intervenir ne serait-il pas aller à l'encontre de la Charte et ne pas protéger les populations civiles ? Un autre argument avancé par les auteurs favorables à cette théorie est de dire qu'en mettant fin à des violations massives des droits de l'Homme avec une intervention armée, cela éviterait à un conflit de se transformer en menace contre la paix et la sécurité internationales. Ainsi, il serait inexact de dire que l'intervention humanitaire est prohibée par la Charte mais il n'apparaît pas non plus qu'elle y soit légalisée puisqu'aucune provision ne l'admet explicitement. Il s'agit donc d'un entre-deux juridique, une zone grise de la Charte qu'il convient au CS d'interpréter.

Deux résolutions dans les années 1990 vont autoriser le recours à la force armée afin d'acheminer une aide humanitaire nécessaire à des populations en détresse. Il s'agit des résolutions 770 de 1992202 et 794203 de la même année respectivement pour les conflits en ex-Yougoslavie et en Somalie. En 1991, la résolution 688204 pose les prémisses de cette possibilité en insistant pour que l'Iraq permette un accès immédiat

197 Article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations unies disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/#:~:text=Article%202,souveraine%20de%20tous %20ses%20Membres. Consulté le 16/06/2020

198 Reisman Michael W., et McDougal M., Lillich R., Humanitarian Intervention and the United Nations, Charlottesville, University Press of Virginia, 1973 p.177

199 Article 1er de la CNU paragraphe 3 : « Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et

en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion » Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-i/#:~:text=Article%202,souveraine%20de%20tous %20ses%20Membres. Consulté le 16/06/2020

200 Article 55 c. CNU : «En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de

l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion» Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-ix/index.html Consulté le 16/06/2020

201 Article 56 CNU : « Les Membres s'engagent, en vue d'atteindre les buts énoncés à l'Article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l'Organisation ». Disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-ix/index.html Consulté le 16/06/2020

202 Résolution du CS des NU du 13 aout 1992 n°770 concernant la situation en Bosnie-Herzégovine Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/770(1992) consulté le 16/06/2020

203 Résolution du CS des NU du 3 décembre 1992 n°794 concernant la situation en Somalie Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/794(1992) Consulté le 16/06/2020

204 Voir plus d'informations à l'adresse : http://pellet.actu.com/wp-content/uploads/2016/01/PELLET-2012-Grandes_r%C3%A9solutions_CSNU_Res._688.pdf Résolution du CS des NU n°688 concernant la situation en Iraq

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des organisations humanitaires à tous ceux qui ont besoin d'assistance. Lors de la résolution concernant la Bosnie-Herzégovine, le CS a considéré que la situation constituait une menace pour la paix et que l'aide humanitaire représente un élément important pour le rétablissement de cette paix et de la sécurité internationale dans la région. Concerné par cet acheminement de l'aide humanitaire, il enjoint les Etats à prendre toutes les mesures nécessaires pour faciliter la fourniture de l'assistance humanitaire à Sarajevo205. S'agissant de la situation en Somalie, le CS se déclare profondément alarmé par la situation ainsi que les obstacles opposés à l'acheminement de vivres et d'articles médicaux indispensables à la survie de la population civile. Il exige ainsi que toutes les parties prennent toutes les mesures nécessaires pour faciliter les efforts que déploie l'ONU. Ainsi, le CS décide en vertu du Chapitre VII de la Charte, d'autoriser les Etats membres à « employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible les conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaires en Somalie »206.

Le CS considère donc que l'emploi de la force est légal pour les interventions humanitaires qu'il autorise expressément. Comme l'a souligné le SG dans son rapport de 1992 : « Il existe un lien dynamique entre le rétablissement de la paix et l'assistance humanitaire »207.

Les résolutions 770 et 794 ont été novatrices puisqu'elles ont autorisé un recours à la force afin d'acheminer des aides humanitaires aux populations civiles. Le CS prend soin de mentionner le Chapitre VII de la Charte dans chacune d'entre elles, ce qui démontre un souci de rendre les recours à la force légaux comme l'analyse Oliver Corten et Pierre Klein208. Cependant, autoriser le recours à la force afin d'acheminer des aides humanitaires est différent que d'autoriser une intervention coercitive humanitaire par les membres de l'ONU au nom du droit d'intervention humanitaire. Cette intervention peut elle présenter un caractère légal sans l'autorisation expresse du CS ?

Au cours des années 1990, une nouvelle génération d'intervention militaire à but humanitaire est apparue avec les conflits au Kurdistan, en Iraq, en Somalie, en Haïti, en Bosnie-Herzégovine et au Timor-Oriental. Ces interventions apparaissent ainsi comme légales puisque le CS avait donné son accord. En revanche, plusieurs utilisations abusives de cette nouvelle pratique furent dénotées notamment avec l'intervention de l'OTAN au Kosovo ou encore lors de la crise syrienne en 2012 (Paragraphe II).

Paragraphe II- L'utilisation abusive du concept d'intervention humanitaire

Victime de son succès dans les années 1990, le concept de l'intervention humanitaire va être complètement remis en cause à la suite de conflits en Tchétchénie, Tibet et Birmanie qui ont conduit à des massacres, mais également suite à des usages abusifs dans certaines interventions étatiques comme l'intervention de l'OTAN au Kosovo. Dans le cas kosovar, la référence aux droits de l'Homme a été invoquée de manière répétitive afin de justifier l'intervention militaire de la coalition. Ces derniers considéraient que le silence du CS et les violations répétées aux droits de l'Homme, le recours à la force armée pouvait être envisagé. Cependant, intervenir sans l'aval du CS

205 Paragraphe 5 et 7 du préambule de la Résolution et aussi paragraphe 2 de la résolution S/RES/770 du 13 aout 1992 op.cit.

206 Paragraphe 10 de la Résolution n°794 op.cit

207 Rapport du 24 aout 1992 sur la situation en Somalie S/23829, 13

208 Corten O., Klein P., L'autorisation de recourir à la force a des fins humanitaires : droit d'ingérence ou retour aux sources ?, Bruylant Ed, Université de Bruxelles 1992

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et donc en dehors du cadre de l'ONU représente une intervention illégale même si elle peut s'avérer légitime aux yeux de certains. C'est cette légitimité qui a été mise sur le devant de la scène par les membres de l'OTAN, la légitimité de l'action selon eux, entraînerait sa légalité.

Cependant, la légitimité détient un caractère hautement subjectif comme nous le verrons dans le second chapitre. En cela, justifier une action par la morale et son côté émotionnel ne rend pas cette dernière légale. La légalité d'une action est fondée sur une norme juridique qui exclue tout caractère moral, émotionnel et donc subjectif. Yves Sandoz n'est cependant pas de cet avis et, dans son article, souligne que les parties à un conflit ont des obligations qui, lorsqu'elles échappent à leur assurance, doivent accepter les actions d'assistance internationale à destination des territoires qu'elles contrôlent, y compris leur propre territoire, et ce même par recours à la force. De ce fait, l'action militaire, lorsqu'elle n'a pas été engagée sur une base légale, peut donc être justifiée sur la base de la légitimité morale209. C'est aussi l'avis des Membres de l'OTAN qui ont mené une intervention militaire au Kosovo en vue « d'interrompre les violentes attaques perpétrées par les forces armées et les forces de police spéciales serbes et d'affaiblir leur capacité de prolonger la catastrophe humanitaire »210. Bien que cette intervention soit illégale, elle a souvent été jugée nécessaire et légitime. Le représentant du Royaume-Uni à l'ONU parle d'ailleurs d'une nécessité humanitaire, tout comme l'agent Belge devant la CIJ qui mentionne « une intervention humanitaire armée bien légitime et compatible avec l'Article 2§4»211. C'est dans ce sens que cette intervention humanitaire a ensuite été utilisée pour produire à posteriori une doctrine de l'intervention humanitaire. Cependant, seulement le CS peut autoriser des interventions humanitaires et malgré ces nombreux blocages, la légalité d'une intervention ne peut être approuvée autrement. En cela, l'intervention au Kosovo est illégale.

Plus récemment, cette doctrine d'intervention humanitaire a été utilisée afin de légitimer les Etats intervenant en Syrie sans autorisation du recours à la force par le CS. Pourtant, dans une résolution 2042, du 14 avril 2012212, le CS indique de manière expresse qu'il n'autorise pas le recours à la force en Syrie et qu'au contraire, il fallait respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie, même si les droits de l'Homme étaient atteints. En effet, au cours de l'été 2013 le régime de Bachar Al Assad a été suspecté d'avoir utilisé des armes chimiques contre une partie de sa population. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont alors dit qu'ils procéderaient à des frappes contre le gouvernement syrien, et cela, même en l'absence d'une autorisation du CS. Obama annonçait alors en août 2013 que « des intérêts cruciaux des Etats-Unis sont en jeu, et que les pays qui violent les règles internationales sur les armes chimiques doivent rendre des comptes »213. Il en vient à se demander si les intérêts des Etats-Unis

209 Sandoz Y., Limites et conditions du droit d'intervention humanitaire. Droit d'intervention et droit international dans le domaine humanitaire. Vers une nouvelle conception de la souveraineté internationale. Audition publique de la Commission des Affaires étrangères et de la Sécurité du Parlement européen sur le droit d'intervention humanitaire, Bruxelles, 25 janvier 1994

210 Propos du Secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, juste avant le déclenchement de l'attaque : Communiqué de presse (1999) 040 du 23 mars 1999 et Communiqué de presse (1999) 041 du 24 mars 1999 disponibles sur https://www.nato.int/docu/pr/1999/p99-040f.htm Consulté le 17/06/2020

211 CIJ, Demande d'indication de mesures conservatoires faites par la RFY dans l'affaire sur la Licéité de l'emploi de la force, du 9 mai 1999, CR 99/15

212 Résolution du CS des NU du 14 avril 2012 N°2042 disponible à l'adresse : https://onu.delegfrance.org/14-avril-2012-Conseil-de-securite consulté le 17/06/2020

213 Afp, L. M. A. (2013, 30 août). Syrie : après le refus britannique, Washington n'écarte plus une action unilatérale. Consulté 17 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/08/29/le-

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n'étaient pas en jeu dans le conflit, la réaction aurait-elle été si véhémente ?

Le 27 septembre 2013, le CS adopte une résolution214 afin de réaffirmer son autorité et de rappeler que seulement lui pouvait prendre des mesures coercitives dans le cadre du Chapitre VII de la Charte. Pourtant, cela n'a pas convaincu les trois Etats puisqu'en raison d'une « cause juste », ils interviennent militairement en Syrie depuis le 22 septembre 2014 et chaque année jusqu'en 2018 sans l'aval du CS215.

Ainsi, sous couvert d'intervention humanitaire, les Etats interviennent unilatéralement et illégalement à l'intérieur de territoires souverains et afin de protéger leur propre intérêt. Se demander si les conflits sont légitimes n'est pas vraiment la question car légitime ne veut pas dire légal. Au niveau juridique, toutes les interventions militaires produites sans l'autorisation expresse du CS sont illégales en droit international. Les interventions humanitaires ne peuvent être mentionnées comme telles que lorsque le CS donne son aval en amont de la procédure, autrement, il s'agit d'un usage abusif de ce concept. La notion d'intervention humanitaire semblait néanmoins vouée à l'échec bien avant que son utilisation abusive se propage en raison de son cadre légal trop controversé, flou et sans base ni définitions juridiques comme Christian Nadeau le dénonce216. Le concept de « responsabilité de protéger » a émergé dans les années 2000 en réponse aux nombreuses critiques portant sur l'intervention humanitaire. Pourtant, cette dernière connaît un échec flagrant en raison de son efficacité limitée (Section 3).

Section 3 : L'échec flagrant dans l'application du principe de la responsabilité de

protéger

L'intensité des débats entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo et les controverses qu'elle a suscitées sur la scène internationale ont donné naissance à la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) suite à une proposition du Canada. Ses réflexions ont fait émerger un nouveau concept « la responsabilité de protéger » en réalité très semblable à celui de l'intervention humanitaire (Paragraphe I), bien qu'il se définisse comme plus éthique. L'application de ce principe a encore une fois mené à de nombreux abus notamment avec les interventions incontrôlées en Libye et en Côte d'Ivoire avec des Etats intervenants qui ont largement outrepassé les limites de leur mandat. En cela, la mise en oeuvre du principe de protéger s'avère répréhensible (Paragraphe II).

parlement-britannique-debat-d-une-possible-intervention-en-syrie_3468570_3214.html

214 Résolution du CS des NU du 27 septembre 2013 n°2118, pour plus d'informations : https://www.un.org/press/fr/2013/CS11135.doc.htm#:~:text=Les%20Ministres%20am%C3%A9ricain %2C%20britannique%20et,s'est%2Dil%20exclam%C3%A9. Consulté le 17/06/2020

215 F. (2018, 14 avril). Syrie : ce que l'on sait de l'opération militaire menée par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Consulté 17 juin 2020, à l'adresse https://www.francetvinfo.fr/monde/revolte-en-syrie/syrie-ce-que-l-on-sait-de-l-operation-militaire-des-etats-unis-de-la-france-et-du-royaume-uni_2705570.html

216 Christian Nadeau ira jusqu'à dénoncer l'ingérence humanitaire comme un concept « impérialiste, puisqu'elle remet en cause la souveraineté des Etats ». Nadeau C., Ingérence humanitaire et jus post bellum, Aspects, 2008, N°2, p.55

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Paragraphe I- Un nouveau concept semblable à celui d'intervention humanitaire

La Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE) susmentionnée avait comme tâches de réfléchir sur le concept de l'intervention humanitaire et surtout, de le réconcilier avec les dispositions de la Charte relatives au recours à la force. Ses travaux ont abouti à l'adoption d'un rapport intitulé « La responsabilité de protéger »217. Dans ce rapport, la Commission déclare que « L'intervention humanitaire a toujours suscité des controverses, que ce soit par sa présence ou par son absence. Les événements de 1994 au Rwanda ont exposé au grand jour toutes les horreurs auxquelles peut conduire l'inaction »218. Elle poursuit en considérant que « les termes des débats passés opposant partisans et adversaires d'un droit d'intervention par un État sur le territoire d'un autre sont dépassés et de peu d'utilité. Nous préférons parler non pas d'un droit d'intervention, mais plutôt d'une responsabilité de protéger »219. En changeant la terminologie, la Commission espère centrer le débat moral et juridique non plus sur la notion d'intervention mais plutôt de protection. Ainsi, les débats seront toujours les mêmes et resteront controversés car subjectifs seulement, ils seront centrés sur la responsabilité de protéger. Même si les objectifs sont louables, il semble que le problème ne soit pas dans la terminologie de la notion (quoi que le terme d'intervention renvoyait trop à un principe d'ingérence), mais à ce que les Etats en font dans la pratique. En cela et afin de palier à ces abus, il faut que le CS exerce un réel pouvoir de contrôle dans les missions qui sont délégués aux Etats et que ces dernières soient clairement définies en des termes précis, de manière positive (obligation de faire quelque chose...) et négative (interdiction de prendre part au conflit civil et politique d'un Etat).

La Commission ne manque pas cependant de rappeler le rôle majeur que détient le Conseil de sécurité puisqu'il doit se présenter comme l'initiateur de l'autorisation d'un recours à la force car ce dernier détient « une autorité universelle acceptée pour valider ces opérations 220». Toutefois, dans les cas où le Conseil ne « peut pas ou ne veut pas assumer le rôle qu'il était censé jouer, on peut difficilement écarter complètement toute possibilité de recours à d'autres moyens d'assurer la responsabilité de protéger lorsqu'il rejette expressément une proposition d'intervention alors que des questions humanitaires et de droits de l'Homme se posent très clairement, ou qu'il ne donne pas suite à cette proposition dans un délai raisonnable »221. Dans ce cas-là, l'une des solutions proposées par la Commission est de déléguer à une organisation régionale ou sous-régionale le soin de mener l'action collective. Cette proposition est risquée car elle inclut d'autre organismes que l'ONU afin de gérer les actions coercitives et de plus, cela arriverait en dehors du cadre de la Charte de l'ONU censée être le cadre réglementaire en la matière. Le but principal de cette Commission étant de concilier une intervention pour but humanitaire avec les dispositions de la Charte et en cela, elle a échoué car les blocages du CS avec le droit de veto des membres permanents ne peuvent être contournés sans

217 Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, « La responsabilité de protéger », Centre de recherches pour le développement international, Ottawa, décembre 2001. Disponible à l'adresse : https://diplomatie.belgium.be/sites/default/files/downloads/rapport%20intern %20comm%20inzake%20interv%20en%20soev%20staat%20over%20beschermingsver_fr.pdf Consulté le 17/06/2020

218 Ibid p.10

219 Ibid p.12

220 Ibid p.53

221 Ibid p.57

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sortir de ce cadre. Toutefois, la proposition faite par la Commission aux membres permanents du CS de ne pas exercer leur droit de veto lorsque leurs intérêts ne sont pas en jeu est intéressante. Il serait cependant très compliqué d'établir des bases juridiques dans ce sens-là puisque comment jaugerait-on de ce qui représente un intérêt étatique digne ou non de représenter un réel intérêt. La seule solution afin qu'une telle responsabilité de protéger soit utilisée de manière légale par le CS serait de soumettre les membres permanents à un vote à la majorité avec interdiction de veto puisque ces décisions représenteraient un droit supérieur dans un but d'intérêt général mais les Etats occidentaux ne sont pas prêts d'accepter de perdre leur pouvoir si aisément. La Commission précise enfin qu'en aucun cas, un Etat ne peut unilatéralement sous couvert « humanitaire » intervenir unilatéralement sur le territoire d'un autre Etat et aucune intervention militaire ne peut être le fait unilatéral d'un Etat sans être considérée comme un crime d'agression. En effet, seule l'ONU a la responsabilité de défendre les objectifs fondamentaux prévus par la Charte.

Le 16 septembre 2005, dans sa résolution A/RES/60/1222, l'AG consacre la notion de responsabilité de protéger, concept qui est censé mettre un terme à la controverse sur la notion d'intervention humanitaire. Ainsi, il appartient à chaque Etat de faire respecter les droits de l'Homme sur son territoire, mais, en cas de défaillance, la communauté internationale peut intervenir et se substituer à lui pour agir sous le couvert de l'autorisation du CS. Cette résolution a été en grande partie saluée et présentée comme une avancée en droit international public. Pourtant, le bilan de sa mise en oeuvre reste extrêmement mitigé comme l'intervention en Côte d'Ivoire ou en Libye le prouve (Paragraphe II).

Paragraphe II- Une mise en oeuvre répréhensible du principe de la responsabilité de protéger

Afin de démontrer l'application abusive de ce concept de la part des Etats, deux crises seront évoquées, La Libye et la Côte d'Ivoire. Dans les deux cas, le CS a autorisé les Etats à recourir à la force dans le but de protéger les populations civiles et à chaque fois, les Etats ont outrepassé leur mandat et pris part aux conflits internes à l'encontre du gouvernement en place.

La première est l'intervention incontrôlée de Libye en 2011. En février 2011, en écho à la révision tunisienne et au printemps arabe, le soulèvement débute à l'est de la Libye. Cette protestation fut immédiatement réprimée par les autorités du régime de Kadhafi. Selon Human Rights Watch, 173 manifestants ont été tués en seulement quatre jours d'affrontements223. Dès la fin février, les insurgés reçoivent le soutien des puissances occidentales notamment celui de la France qui leur livre ensuite d'importantes quantités d'armes pendant la guerre civile224. Le 26 février, le CS s'empare de la question et dénonce les violations flagrantes et systématiques des droits de

222 Résolution adoptée par l'Assemblée Générale le 16 septembre 2005 Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/a/res/60/1 Consulté le 17/06/2020

223 Point.Fr, L. (2011, 20 février). Une foule énorme enterre les manifestants tués à Benghazi. Consulté 17 juin 2020, à l'adresse https://www.lepoint.fr/monde/une-foule-enorme-enterre-les-manifestants-tues-a-benghazi-20-02-2011-1297503_24.php

224 Afp, L. M. A. (2011, 29 juin). La France aurait livré des armes aux rebelles libyens. Consulté 17 juin 2020, à l'adresse https://www.lemonde.fr/libye/article/2011/06/29/la-france-aurait-livre-des-armes-aux-rebelles-libyens_1542584_1496980.html

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l'Homme225. Il adopte à l'unanimité la résolution 1970226 dans laquelle il rappelle que les autorités libyennes ont la responsabilité de protéger leur peuple. Cela n'arrange rien à la situation qui se dégrade de jour en jour, comme le démontre la seconde résolution du CS adopté moins d'un mois après la première dans laquelle il déplore que les autorités libyennes ne respectent pas la précédente résolution227. Lors de cette résolution Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères s'exprime afin de convaincre le CS de voter une résolution franco-britannico-libanaise permettant le recours à la force afin d'assurer une zone d'exclusion aérienne et de protéger les populations civiles. Cette résolution est adoptée sous le Chapitre VII de la Charte et autorise les Etats membres à « prendre toutes les mesures nécessaires (...) pour protéger les populations et zones civiles menacées »228. Cette résolution marque le baptême de feu de la responsabilité de protéger avec une volonté du CS d'entreprendre une action collective rapide et décisive.

Cependant certains Etats intervenants ont interprété « la protection des populations et zones civiles » comme couvrant des actions visant à faire tomber le régime de Kadhafi et à apporter un soutien aux forces rebelles opposées au régime. En agissant de la sorte, ils ont ainsi outrepassé leur mandat et pris part aux affaires internes d'un Etat souverain ce qui est illégal dans le droit international.

De la même manière, l'intervention en Côte d'Ivoire a été interprétée de façon extensive. L'instabilité de la Côte d'Ivoire remonte aux années 2000 suite à la tentative de coup d'état transformée en rébellion armée en 2002. Le président de l'époque Laurent Gbagbo demande alors de l'aide à la communauté internationale et notamment l'ONU afin de rétablir la paix au sein de l'Etat. Selon le rapport de 2003 sur l'urgence de la situation des droits de l'Homme en Côte d'Ivoire « Tous les Ivoiriens se tournent vers l'ONU dont ils attendent qu'elle joue un rôle central dans le processus de paix »229 . C'est ainsi que l'ONU va être présente sur le terrain, dans un premier temps afin de rétablir la paix puis ensuite de manière à superviser les élections présidentielles et parlementaires de l'Etat. À la suite du second tour le 28 novembre 2010, les deux candidats s'accusent mutuellement d'intimidations envers certains électeurs et revendiquent la victoire. D'un côté Laurent Gbagbo, président sortant et en poste depuis 10 ans et de l'autre, Alassane Ouattara, 1er ministre de la Côte d'Ivoire de 1990 à 1993. La victoire de ce dernier est officiellement reconnue par la Commission électorale indépendante mise en place pour l'occasion et également par la Communauté internationale. Le Conseil constitutionnel du pays, le 5 décembre 2010, déclare néanmoins Laurent Gbagbo vainqueur et est investi par la suite. Un conflit armé débute alors avec d'un côté les Forces Nouvelles pro-Ouattara contre les troupes loyales à Gbagbo. C'est dans ce climat de tension que le CS des NU adopte la résolution 1975 du 30 mars 2011230 afin d'alerter sur les violations du droit international humanitaire en raison de la violence contre les populations civiles. Cette résolution autorise notamment l'ONUCI à recourir à la force afin de restaurer la paix et de protéger la population. Ainsi, le 4 avril 2011 l'ONUCI entame une opération

225 Résolution S/RES/1970 (2011) du 26 février 2011 Conseil de sécurité des NU disponible à l'adresse : https://www.un.org/securitycouncil/fr/s/res/1970-%282011%29 consulté le 17/06/2020

226 Ibid.

227 Résolution du CS de l'ONU S/RES/1973 (2011) du 17 mars 2011, résumé à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2011/CS10200.doc.htm consulté le 17/06/2020

228 Ibid paragraphe 4.

229 Rapport d'une mission d'urgence de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, (S/2003/90) du 24 janvier 2003, pp 27-28

230 Résolution 1975 du CS des NU du 30 mars 2011 résumé à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/2011/CS10215.doc.htm consulté le 17/06/2020

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militaire qui conduit à l'arrestation le 11 avril de l'ex président Laurent Gbagbo par les forces pro-Ouattara, les forces militaires françaises et l'ONUCI. Le mandat a ainsi encore une fois été clairement outrepassé, prendre part aux combats armés afin de procéder à l'arrestation de l'ex président ivoirien ne figuraient pas dans les missions confiées à l'ONUCI ou aux troupes françaises.

Ainsi, la responsabilité de protéger s'est avérée être le même problème que son prédécesseur, l'intervention humanitaire. Les Etats sur place lors du conflit ne respectent pas les missions confiées par le CS et abusent de ce droit. La responsabilité de protéger devrait se cantonner à la protection et non à intervenir pour le camp que les Etats estiment légitime. En cela, le principe porté par le CS a été dénaturé par la pratique étatique. Afin de justifier leur action unilatérale, les Etats interprètent les notions du système de sécurité collective de la Charte tels que la légitime défense, l'intervention humanitaire et plus récemment la responsabilité de protéger. Comme justification juridique, les Etats utilisent l'argument de la légitimité de l'action, d'une autorisation implicite présente dans les résolutions ou encore d'une légalisation à postériori. Ces argumentaires ne correspondent pas à l'esprit de la Charte telle qu'elle fut créée (Chapitre II). Il n'est pas non plus souhaitable qu'elles engendrent une pratique coutumière en raison de leur logique dangereuse.

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CHAPITRE II

Des arguments juridiques incompatibles avec l'esprit de la Charte et le Droit international

Dans sa thèse sur Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945, Sale Tiereaud231 constate qu'après la guerre froide, la communauté internationale et les Etats ont opté pour une interprétation particulière des règles gouvernant l'interdiction du recours à la force. De nombreux arguments légaux ont émergé pour justifier les interventions unilatérales qui apparaissent comme discutables du point de vue du droit positif. La ré-interprétation des règles est aujourd'hui malheureusement devenue une constante dans « la perspective de la recherche d'une sorte de validité normative de comportements juridiquement discutables»232. L'auteur appelle cette tendance la déconstruction, qui intervient sur la validité et la stabilité des structures traditionnelles du droit positif international. La déconstruction force ainsi la règle admise pour lui donner un sens en l'espèce et légitimer un comportement illégal. Cette déconstruction est de plus en plus présente dans l'époque contemporaine en ce que les Etats recourent à la force de manière unilatérale sans se soucier du cadre réglementaire de la Charte. Néanmoins, en essayant de justifier leur comportement par le droit international, ils démontrent tout de même une volonté de légitimer leur action. C'est ce que Serge Sur constatait lors de l'intervention des forces de l'OTAN au Kosovo « Ce que l'on pensait acquis, et confirmé parfois depuis la Charte, a été remis en cause sans être remplacé par une nouvelle interprétation cohérente du droit, ou par une doctrine qui gouvernerait son application »233. Cette remise en cause du droit établi passe par un discours de déconstruction utilisé comme instrument de légalisation des actions unilatérales. Ce discours inclut les arguments tel qu'une intervention « illégale mais légitime » (Section 1), c'est-à-dire la conviction générale d'une majorité distincte de la Communauté qui considère ce recours à la force juste et acceptable. Cette justification admet un facteur subjectif dangereux et une idéologie hégémonique des grandes puissances qui se placent en maîtres du monde. Certains Etats considèrent également que l'acceptation d'un recours à la force peut se trouver dans les résolutions du CS et dans des autorisations implicites de ce dernier. Seulement, la théorie de l'autorisation implicite n'a pas de fondement légale et apparaît comme un alibi dangereux pour recourir à la force (Section 2). Enfin, les Etats afin de légitimer leur action ont également fait émerger la théorie de l'autorisation à posteriori des actions coercitives. Cet argumentaire, en plus d'être dangereux juridiquement car il pourrait mener à anarchie, est inadmissible aussi bien

231 Tiereaud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009. Français

232 Ibid. p.343

233 Sur S., L'affaire du Kosovo et le droit international : points et contrepoints, AFDI, XLV, Paris, 1999, p.286

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dans la Charte qu'en droit international (Section 3). Le but de ce chapitre est de prouver que les arguments juridiques employés ne doivent pas devenir pratique courante car ils vont à l'encontre de l'esprit de la Charte et du droit international. En refusant d'admettre de telles justifications et en les déclarant illégales, l'ONU se replacerait au centre du processus de sécurité collective et permettrait une stabilité et sécurité juridique certaine.

Section 1: La conception hégémonique de l'argumentaire « illégal mais légitime »
lors d'une action coercitive

Comme le fait remarquer Rousseau, en principe, on présuppose que la légalité et la légitimité coïncident, c'est-à-dire que le droit positif est juste, en pratique cependant c'est loin d'être toujours le cas.234 Antigone qui désobéit à la loi de Créon en donnant une sépulture à son frère enfreint le droit au nom de la justice et admet qu'elle a agi de façon illégale mais légitime235. Au sein de la communauté internationale, de nombreux Etats utilisent cet argument et considèrent que si une majorité distincte adhère à l'intervention alors, cette dernière peut être considérée comme légale. Seulement, ce discours de légitimation avec la mise à l'écart de l'argument légal au profit de l'idée de légitimité apparaît comme dangereux dans ses répercussions (Paragraphe I). De plus, le seul organe habilité à considérer une action comme légitime est le CS, lorsque les Etats interviennent unilatéralement et utilisent des arguments de la sorte, ils se placent en position de dictateurs afin de décider du caractère légitime d'une intervention (Paragraphe II). Ils ne voient ainsi les possibilités qu'à travers un prisme hégémonique.

Paragraphe I- la mise à l'écart de l'argument légal au profit de l'idée de légitimité lors d'une intervention armée

Il est considéré comme « légal » ce qui est conforme au droit positif, et comme « légitime » ce qui est en accord avec la justice en tant que norme du droit. La justice comme norme du droit est un ensemble de valeurs fondamentales auxquelles toute législation est supposée se conformer en principe236. Quand les blocages institutionnels du CS apparaissent et que le légitime et le légal ne peuvent plus se superposer, à quel moment est il justement légitime de faire primer ce qu'on doit faire avec ce qui est légal de faire ?

Cette question se rapproche énormément du concept d'intervention humanitaire et celui de la responsabilité de protéger dépeints au sein du Chapitre précédent. En droit international, est défini comme légitime par les Etats « la conviction générale d'une

234 Rousseau J-J., Discours sur l'économie politique, in OEuvres Complètes, t. III (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, 1964, p. 249. Rousseau déclare également ; « la première des lois est de respecter les lois »

235 Antigone , tragédie de Jean Anouilh (1944), résumé disponible à l'adresse : A. Antigone (Anouilh) : Résumé | Superprof. Consulté 18 juin 2020, à l'adresse https://www.superprof.fr/ressources/langues/francais/autres-niveaux-fr1/tout-niveau-fr1/antigone-anouilh.html

236 Auroux S., Weil Y., Nouveau vocabulaire des études philosophiques. Hachette. Et André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie. P.U.F. Cité par Longeart, M. L. (2020). Légal /

Légitime. Consulté 1 8 juin 2 0 2 0 , à l ' a d r e s s e http://www.ac-
grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/reperes/legal.htm

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majorité distincte de la communauté internationale que le recours à la force est juste et acceptable »237. Les Etats se servent de cette légitimité afin de faire adhérer les autres acteurs de la scène internationale à leur action. En se justifiant sur le fondement de valeurs émotionnelles et morales, les Etats placent le droit au même niveau que la nécessité. La justification de la légitimité n'est pas nouvelle puisqu'elle renvoie à l'optique de « guerre juste » de la période antique jusqu'au XIXe siècle définie en introduction.

Cependant, en dépit des critiques, cette argumentation peut être tirée du préambule de la Charte des Nations unies ou les peuples proclament leur foi « dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine »238, l'article 55c de la Charte déjà mentionnée déclare que le respect des droits de l'Homme doit être universel et effectif. Un Etat interventionniste comme la France239 va dès qu'elle le peut dans ses interventions, chercher l'approbation du CS comme le droit international l'exige. En revanche, lorsqu'elle ne peut s'appuyer sur les dispositions de la Charte pour fonder son intervention coercitive, le recours à la légitimité pour conforter l'illégalité de l'attaque est constant. Ainsi, l'argument du légitime n'est pas utilisé à bon escient. Bien sûr, les Etats devraient intervenir avec l'aval du CS lorsqu'il s'agit d'une nécessité mais dans les cas des Etats interventionnistes, ils utilisent cette nécessité comme objet de légitimation de leur illégalité. La France, dans sa lutte contre le terrorisme international, décide de manière discrétionnaire de recourir à la force ou non en dépit du cadre réglementaire de l'ONU. En effet, la légitimité de la lutte antiterroriste est encore plus renforcée par le fait que celle-ci dispose également d'un volet humanitaire. Intervenir afin de repousser les groupes terroristes permet aussi de sauvegarder les droits de l'Homme des citoyens. Ainsi, en Irak et en Syrie, sont dénoncés des actes d'atrocités avec par exemple des destructions culturelles massives dénoncées telles que les manuscrits du Centre Ahmed-Baba240, les mausolées de Tombouctou en 2012241 ou les livres dans les sites de Hatra242 et de Nimrud243 en Irak en

237 Ortega M., L'intervention militaire et l'Union Européenne, Cahier de Chaillot 45, Paris, mars 2001, p.17 cité par Tiereaud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009. Français p.357

238 Préambule de la Charte des Nations unies à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/preamble/index.html consulté le 18/06/2020

239 La France est en effet une puissance interventionniste, elle est intervenue ces dernières années en Côte d'Ivoire avec l'opération Licorne (2011), en Libye (Opération Harmattan), en 2013 au Mali (Opération Serval) et en 2014 en Centrafrique (Opération Sangaris) et en Irak (Opération Chammal). Cité par L. Balmond, « La pratique récente de l'emploi de la force par la France : entre légalité et légitimité », paru dans PSEI, Numéro 1, La pratique récente de l'emploi de la force par la France : entre légalité et légitimité, mis en ligne le 10 juillet 2015, URL : http://revel.unice.fr/psei/index.html? id=89 .

240 Libération. (2013, 30 janvier). « Plus de 90% » des manuscrits de Tombouctou auraient été sauvés. Consulté 18 juin 2020, à l'adresse https://www.liberation.fr/planete/2013/01/30/plus-de-90-des-manuscrits-de-tombouctou-auraient-ete-sauves_877914

241 France Culture. (2019, 12 juillet). Les mausolées de Tombouctou : constructions et déconstruction. Consulté 18 juin 2020, à l'adresse https://www.franceculture.fr/architecture/les-mausolees-de-tombouctou-constructions-et-deconstruction

242 Le Journal des Arts. (2020, 19 mars). Le site d'Hatra en Irak classé patrimoine en péril par l'Unesco - 2 juillet 2015 - lejournaldesarts.fr. Consulté 18 juin 2020, à l'adresse https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/le-site-dhatra-en-irak-classe-patrimoine-en-peril-par-lunesco-126135

243 Sciences et Avenir. (2016, 18 novembre). Nimroud : la stratégie du nettoyage culturel. Consulté 18 juin 2020, à l'adresse https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-paleo/archeologie/la-destruction-du-site-archeologique-de-nimroud-en-irak_108253

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2015. La lutte contre les groupes terroristes apparaît également comme ayant un consensus universel, comme un ennemi commun à abattre et en raison de cela, les Etats interviennent unilatéralement et militairement à la moindre suspicion de menaces terroristes. D'un point de vue juridique, ces nombreux bombardements ou autres interventions ne sont pas légales car elles se déroulent en dehors du cadre admis par l'ONU et la Charte des Nations unies. Il s'agit cependant d'un argument qu'il est difficile de contester au point de vue de la morale. Ce qui est contraire à l'esprit de la Charte est d'utiliser l'argument du légitime afin de justifier une action qui n'avait pas à la base été entamée pour des intérêts solidaires. Il est difficile de trouver une frontière entre des argumentations authentiques et des argumentations du registre de la justification.

Le droit est ainsi utilisé face au légitime car ce dernier est trop controversé, subjectif et à la solde des grandes puissances (Paragraphe II).

Paragraphe II- Les puissances occidentales, dictateurs des interventions légitimes

La légitimité fait appel à des valeurs démocratiques, des valeurs partagés par le plus grand nombre. Cependant, le plus grand nombre représente t-il la norme ? En faisant appel à l'argumentation du légitime, les Etats portent un jugement de valeur sur l'orientation des régimes politiques de certains Etats. Ils hiérarchisent et mettent sur un piédestal la démocratie comme seule forme possible de gouvernance. Comme expliquait Rougier en 1910 : « Toutes les fois qu'une puissance interviendra au nom de l'humanité, elle ne fera qu'opposer sa conception du juste et du bien social à la conception de cette dernière en la sanctionnant au besoin par la force »244. En faisant appel au registre du légitime, cela établit un rapport de force jugé favorable certes par une majorité mais défavorable pour le reste. Ce qui est perçu comme une conduite licite par les uns est qualifié de violation du droit par les autres et comme Hagen Rooke le remarque dans sa thèse, ce que les uns « considèrent comme une contre-mesure visant à restaurer la règle de droit, les autres la qualifie de mesure illicite et déstabilisatrice de l'ordre juridique »245.

Le discours de légitimation, employé le plus souvent par les membres permanents du CS, afin de justifier de leur recours unilatéral à la force apparaît comme ethno-centré. Par une intervention légitime, ils imposent leur vision de la morale, de ce qui est juste au sein des pays en conflit. À ce sujet, l'article de Mansfield et Snyder Democratization in War246 est éloquent. Les auteurs relativisent ainsi le postulat selon lequel la démocratie favoriserait une situation de paix. Il s'agit pourtant d'un principe universel et très consensuel mais les deux professeurs de Columbia considèrent que faire la promotion du modèle démocratique démontre une attitude impérialiste des Etats occidentaux et de l'ONU. Pour eux, la violence et la guerre sont inextricablement liées à l'émergence d'un régime démocratique. Dans leur développement, les auteurs constatent que les Etats en voie de démocratisation ont plus de probabilités d'entrer en guerre que les Etats ne connaissant aucun changement de régime. Selon eux, les probabilités s'expliquent par un sentiment plus poussé de nationalisme. Ils nuancent néanmoins leur

244 Rougier, Les guerres civiles et le droit des gens, Paris, 1910

245 Rooke Hagen, L'autoprotection et le droit de l'OMC. Réflexions sur les implications juridiques des comportements unilatéraux des membres de l'Organisation mondiale du commerce. (2007). Thèse pour obtenir le grade de docteur de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Droit international public. Editions universitaires européennes. p.665

246 Mansfield E., Snyder J., Democratization in War, Foreign Affairs, vol.74, n°3, Mai-Juin 1995, pp. 79-97

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propos en expliquant que la démocratisation des Etats ne mène pas automatiquement à la guerre mais que cela favorise leur propagation. Il est aujourd'hui évident que l'interventionnisme américain de 2003 en Irak a fortement affaibli le pouvoir central en place et a créé une totale autonomie dans certaines parties du territoire aux populations locales. Cette intervention a été justifiée par les Etats-Unis par la défense de la démocratie et la doctrine Bush. Le document de la Maison Blanche intitulé The National Security Strategy of the United States of America mentionne que les Etats-Unis « défendent la paix en combattant les terroristes et les tyrans »247. Ces actions ont créé un véritable vivier pour le développement de l'Etat islamique qui a pu s'emparer des ressources naturelles de ces zones et y imposer son autorité comme le démontre l'article du professeur Rey248.

Ainsi, « sauver les pauvres kosovars qui se font exterminer ou encore les malheureux irakiens qui subissent le régime sanguinaire de Saddam Hussein, apporter la vraie démocratie dans ces Etats, sont autant d'arguments qui relèvent du registre de légitimité »249. Cet argument met en oeuvre « des phénomènes de mobilisation psychique relevant du registre de l'emphase et du pathétique »250. La notion d'intervention « illégale mais légitime » apparaît ainsi comme ethno-centrée, hégémonique, subjective et surtout allant à l'encontre de la Charte des Nations unies et du cadre règlementaire de l'ONU relatif au recours à la force. La légitimité ne s'acquiert que par l'autorisation du Conseil de sécurité et elle va de pair en ce sens avec la légalité. Laisser la liberté aux Etats de définir ce qui est légitime de manière unilatérale est très dangereux pour la stabilité du droit international et la pérennité de la paix. Ainsi, le discours de la légitimité ne doit pas être une coutume et le CS devrait en ce sens interdire de tels arguments afin de justifier des interventions unilatérales. Il en est de même pour la théorie de l'autorisation implicite énoncée par certains Etats. Cette théorie ne dispose d'aucun fondement juridique légal et est utilisée dans l'unique but de rapprocher les actions des Etats avec le droit international (Section 2).

Section 2 : L'absence de fondement légal pour la théorie de l'autorisation implicite du recours à la force

Cet argument a été employé notamment afin de légitimer l'intervention du Kosovo et l'intervention en Irak. Comme il est indiqué au sein de la première partie du devoir, l'autorisation implicite du recours à la force n'a aucun fondement juridique légal ce qui constitue en soit le motif principal de l'impertinence de cet argument. Les Etats au vu de certaines résolutions du CS, argumentent une autorisation implicite du recours à la force (Paragraphe I). Cet argument est bien sûr irrecevable car le CS ne peut donner que des autorisations expresses. Dans certains cas cependant, en raison des zones grises de la Charte et du silence du Conseil, les Etats justifient leur action coercitive par ce biais-là (Paragraphe II).

247 The National Security Strategy of the United States of America, 17 septembre 2002, op.cit.

248 Rey M., Aux origines de l'Etat islamique, La vie des idées, 17 mars 2015, p.8

249 Tiereaud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009. Français p.359

250 Rabault H., Etat et globalisation : vers une cosmopolitique ?, Revue internationale de théorie du droit et de sociologie juridique, Droit et Société, LGDJ, Paris, 59/2005, p.200

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Paragraphe 1 : L'interprétation étatique abusive de certaines résolutions du CS

Comme démontré au sein de la première partie du devoir, le CS manque parfois de rigueur juridique dans ses résolutions et notamment en ce qui concerne la qualification des faits ainsi que les missions déléguées aux Etats lorsqu'il s'agit de recourir à la force. Dans ce sens, le CS peut parfois exprimer explicitement l'autorisation pour les Etats de « recourir à la force » ou de manière plus implicite en demandant aux Etats « d'user de tous les moyens nécessaires ». Cependant, il arrive au Conseil de ne pas utiliser une telle formule et les Etats, lorsque c'est le cas, présument à partir de certains indices, une invitation à recourir à la force dans certaines situations. Il s'agit toutefois d'une justification pour leurs recours illégaux à la force puisqu'il est clair que l'habilitation doit être clairement donnée par le CS avant le conflit comme l'exprime Daniel Dormoy dans son article251. En ce sens, seulement le CS détient la légitimité pour autoriser un quelconque recours à la force et, même s'il n'est pas très rigoureux dans certaines situations. Les Etats ont ainsi toujours reçu et compris l'information lorsque le CS autorise un recours à la force armée. S'il faut déceler des indices qui pourraient indiquer une autorisation, c'est que le CS n'a pas habilité un Etat pour une intervention coercitive. Les Etats en ont clairement conscience et essayent seulement de justifier et légitimer leur action qu'ils savent en illégalité avec le droit international et la Charte.

En ce sens, les Etats intervenants au Kosovo ont utilisé ce registre afin de justifier leur intervention militaire. En effet, entre Mars 1998 et Mars 1999, le CS s'est investi du conflit se déroulant au Kosovo en adoptant de nombreuses résolutions dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies afin d'arrêter les violences à l'encontre des Kosovars albanais. C'est ainsi que certains Etats membres ont essayé de déduire des résolutions 1160252, 1199253 et 1203254, une autorisation implicite du recours à la force. En l'espèce, ces résolutions constataient seulement la menace sur le territoire en question mais elles n'étaient nullement suivi par des mesures coercitives. Comme l'exprime Olivier Corten, la seule référence au Chapitre VII dans une résolution du Conseil ne suffit absolument pas à habiliter les Etats membres à recourir à la force255. De ce fait, il n'est alors pas possible de déduire de l'une des résolutions du CS pour la Serbie, une autorisation implicite de recourir à la force. Cet argument est irrecevable en l'espèce tout comme pour le cas irakien en 2003. George W. Bush, afin de justifier la légalité de son intervention en Irak n'a même pas recouru aux résolutions en l'espèce, il s'est contenté d'énumérer les résolutions 678 et 687256 datant de 1990 et 1991. Ils considèrent ces dernières comme « both still in effect »257 ainsi, les Etats seraient toujours autorisés à intervenir en Irak afin de supprimer les armes de destruction massives. Les Etats-Unis maintiennent cette défense puisque dans un article intitulé

251 Dormoy D., Réflexions à propos de l'autorisation implicite de recourir à la force, dans Les métamorphoses de la sécurité collective, Droit pratique et enjeux stratégiques, pp.223-230

252 Résolution 1160 (1998) du 31 mars 1998 : S/RES/1160. Communiqué de presse à l'adresse : https://www.un.org/press/fr/1998/19980923.cs974.html Consulté le 18/06/2020

253 Résolution 1199 du 23 septembre 1998 : S/RES/1199 Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/1199(1998) consulté le 18/06/2020

254 Résolution 1203 du 24 octobre 1998 : S/RES/1203 Disponible à l'adresse : https://undocs.org/fr/S/RES/1203(1998) Consulté le 18/06/2020

255 Corten O., Dubuisson F., « L'hypothèse d'une règle émergente fondant une intervention militaire sur une `autorisation implicite' du Conseil de sécurité », RGDIP, 2000/4, p. 885

256 Résolutions 678 du 29 novembre 1990 et 687 du 3 avril 1991 op.cit.

257 Discours de George W. Bush sur l'ultimatum du 13 mars 2003 op.cit.

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Preemption, Iraq and International Law 258 le conseiller juridique du département d'Etat de l'époque William Howard Taft déclare que la résolution 678 (lors de l'invasion du Koweït par l'Irak) exige que l'Irak se conforme pleinement à la résolution 660 et à toutes les autres résolutions ultérieurement. Ainsi, plus de dix ans plus tard, cette résolution serait toujours d'actualité et autoriserait les Etats membres du CS à déployer la force armée afin de leur faire respecter ces résolutions. Ces résolutions ne visaient cependant qu'un but précis à l'époque qui était la libération du Koweït et, une fois cet objectif atteint, l'autorisation cesse d'exister. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne considèrent également que la résolution 1441, cette fois adoptée pendant la crise irakienne le 8 novembre 2002259, détient une autorisation implicite du CS afin de recourir à la force sur le territoire. Selon l'Attorney General britannique Lord Goldsmith : « L'autorisation de recourir à la force contre l'Irak existe en raison de l'effet combiné des résolutions 678, 687 et 1441. Toutes ces résolutions ont été adoptées sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies qui autorise le recours à la force afin de restaurer la paix et la sécurité internationales »260. Dans cette résolution, le CS ordonne à l'Irak de respecter les obligations en matière de désarmement sous peine de sanction. Il n'existe cependant pas de recours à la force autorisé, ou même de passage ambigu qui pourrait faire douter les Etats des intentions du CS. Il est donc encore une fois impossible de déduire de la résolution 1441 une quelconque autorisation du recours à la force.

Le CS détient le monopole de l'autorisation du recours à la force en qualifiant le conflit et en décidant des mesures à prendre en l'espèce. Les arguments invoqués à la fois par certains membres de l'OTAN pour le Kosovo ou par le gouvernement britannique et américain pour le cas de l'Irak ne sont nullement pertinents en droit. Il s'agit uniquement d'une tentative bancale de justification en vu de se rapprocher de la légalité et du système réglementaire de la Charte. En plus de chercher une autorisation implicite au sein des résolutions, certains Etats ont considéré que le silence du CS était un gage de consentement et d'autorisation du recours à la force. Cet argument doit également être rejeté en raison du respect du droit de la Charte et du droit international (Paragraphe II).

Paragraphe 2 : L'irrecevabilité de l'argument d'une autorisation implicite du fait du silence du CS

Le silence du CS lorsque des Etats violent les règles du droit international et le principe d'interdiction du recours à la force est problématique. Il ne qualifie pas d'illégal des actions qui, objectivement le sont. Pour Philippe Weckel, l'intervention anglo-américaine en Irak aurait dû être qualifiée d'agression mais au lieu de ça est tombé « dans une sorte de zone grise juridique »261. Pour lui, « ces zones correspondent à des ambiguïtés juridiques volontairement créées par les sujets de droit international »262. Il s'agit d'un entre-deux, « une situation est maintenue entre deux eaux dans un état

258 Taft W., Buchwald T., Preemption, Iraq and International Law, A J I L, vol 97-3, 2003 à la page 557.

259 Résolution du CS des NU n°1441 du 8 novembre 2002. S/RES/1441 (2002) Disponible à l'adresse : https://undocs.org/pdf?symbol=fr/S/RES/1441(2002) Consulté le 19/06/2020

260 Lord Goldsmith, Attorney General's Advice On The Iraq War Iraq : Resolution 1441, ICLQ, 2005, vol. 54/3, p. 767-778. Sur une présentation des différentes interprétations : K. M. Messen, « Le droit au recours à la force militaire : une esquisse selon les principes fondamentaux », in Les nouvelles menaces contre la paix et la sécurité internationales, Paris, Pedone, 2004, 297 p., p. 109-128, p. 119.

261 Weckel P., L'usage déraisonnable de la force, RGDIP, Paris, 2003, p.380

262 Weckel P., Interdiction de l'emploi de la force : De quelques aspects de méthodes » p.191

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intermédiaire parce que les qualifications possibles de cette situation sont considérées comme inadmissibles »263. Serge Sur se demande si le CS ne serait pas voué à l'arbitraire avec des situations dans lesquelles il n'agit pas alors que la sécurité est menacée ou d'autres ou il laisse une résolution de principe inexécutée comme dans les différents conflits remettant en cause Israël264. L'inaction du CS est ainsi plus fréquente que ses débordements. En effet, il a accepté de nombreuses transgressions à ses résolutions comme l'intervention de l'OTAN au Kosovo, l'agression américano-britannique en Irak pour ne citer que les plus « graves ». Il n'a pas cherché à démontrer l'inadmissibilité des arguments employés après coup et à juste accepté l'état de fait. Cette position-là est dangereuse et peut mener à de nombreuses transgressions impunies. Les 5 membres permanents apparaissent ainsi comme décrits au sein de la première partie de la recherche, complètement hors d'atteintes. Ils se justifient avec des arguments juridiques qui n'ont pas de sens ou de pertinence et le CS reste dans le silence. Ainsi, les Etats intervenants tentent le plus souvent de valider l'intervention, de faire passer dans le droit positif des notions comme « zones grises » ou encore « excès de pouvoir dans le recours à la contrainte »265. Encore une fois, ces arguments ne représentent que des tentatives de justification afin d'occulter l'illégalité de leur intervention. Le CS ne devrait pas laisser ses argumentations s'installer durablement dans la pratique. Il doit se replacer en tant que pièce centrale dans le système du recours à la force multilatéral.

Tous les arguments sur lesquels les Etats tendent à faire reposer la légalité de l'intervention sur une autorisation implicite sont problématiques. Il en est de même lorsque le CS ne se prononce pas sur une question. Dans le cas de l'intervention irakienne, cet argument a également fait parti de la défense des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Le silence du CS se réfère le plus souvent à son incapacité d'intervenir dû à utilisation du veto par ses membres et non par une autorisation implicite. Ces interprétations ne tiennent pas debout et rien dans la pratique aurait pu ressembler à des précédents sur ce sujet. De plus, la Charte est très claire en ce sens puisqu'en son article 53 elle énonce « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité »266. Certes, il s'agit d'une disposition spécifique pour les organismes régionaux mais il est certain que cela s'applique aussi aux Etats. De plus, la qualification de menace contre la paix et l'utilisation du Chapitre VII de la Charte par le CS ne veut pas forcément indiquer un recours à la force. Le CS dispose d'un arsenal de mesures non-coercitives et qualifier une situation avec l'article 39 de la Charte ne veut en aucun cas signifier une autorisation de recourir à la force.

Ainsi, l'autorisation implicite ne représente pas un argument juridique valide afin de légitimer l'unilatéralisme des Etats en cas de recours à la force. En suivant l'ordre des choses, l'autorisation devrait précéder une action et non le contraire. L'approbation implicite post facto a également été invoquée dans le cas kosovar afin de justifier les actions de l'OTAN. Il s'agit d'une pratique dangereuse qui pourrait mener à un anarchisme. C'est pourquoi l'argument de la légalisation à posteriori d'un conflit ne peut

263 Ibid.

264 Sur, S. (2004). Le conseil de sécurité : blocage, renouveau et avenir. Pouvoirs, 109(2), 61-74. doi:10.3917/pouv.109.0061.

265 Weckel P., L'usage déraisonnable de la force, op.cit. P .195

266 Article 53 de la Charte des Nations Unies, disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-viii/index.html#:~:text=Article%2053,coercitives%20prises%20sous%20son %20autorit%C3%A9. Consulté le 19/06/2020

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être admissible (Section 3).

Section 3 : L'inadmissibilité en droit international de la légalisation à posteriori
d'un recours à la force

Le CS lors de certaines opérations interventionnistes a pu féliciter des organismes régionaux dans leur comportement et leur action même si ces derniers ont recouru à la force sans l'autorisation expresse du Conseil. Cette application semble très dangereuse et doit être abrogée afin d'éviter d'autres actions unilatérales sur ce fondement. La pratique de la légalisation ex post facto du CS a émergé lors des conflits au Liberia et en Sierra Leone (Paragraphe I). Cependant, l'OTAN a voulu justifier son intervention au Kosovo par une légalisation à posteriori du CS afin de légitimer leur action unilatérale (Paragraphe II). Si la première pratique semble dangereuse, la seconde n'est pas admissible car aucune légalisation n'a eu lieu lors des résolutions du CS après l'intervention.

Paragraphe I- L'émergence de la légalisation ex post facto du CS lors des interventions d'organismes régionaux au Libéria et en Sierra Leone

Le terme ex post facto désigne une loi décrétée après un fait mais qui peut s'appliquer de façon rétroactive. En l'espèce, le CS, après l'intervention de l'ECOMOG267 au Liberia (1990) et en Sierra Leone (1991) félicite la CEDEAO268 « des efforts qu'elle fait pour rétablir la paix, la sécurité et la situation au Libéria »269 et vote un « soutien sans réserve aux efforts faits par le Comité de la CEDEAO pour régler la crise en Sierra Leone et l'encourage à continuer de s'employer à restaurer pacifiquement l'ordre constitutionnel... »270. Ainsi, le conseil de sécurité dans les deux cas ne mentionne rien à propos du recours à la force sans son aval et au contraire, inclut ses opérations dans le système de le Charte puisqu'il félicite clairement les actions prises. Pourtant, conformément à l'article 53 de la Charte déjà mentionné, le Conseil aurait dû donner son autorisation préalable, ce qui n'a pas été fait.

L'ECOMOG a été créé à l'origine pour répondre au conflit du Liberia et maintenir la paix dans la région. Son but initial étant de faire respecter les cessez-le-feu signés au sein des pays membre de la CEDEAO. Elle devient dès 1999, la force armée de l'organisation et mènent des opérations en son nom. La CEDEAO dès 1990 s'investit dans la résolution du conflit de guerre civile au Liberia. Le 9 août 1990, le Nigeria au nom de la CEDEAO prévient le CS de son intention de conduire une opération militaire au Liberia dans le plus strict principe de neutralité271. L'ECOMOG intervient ainsi au Liberia le 24 août 1990 sans autorisation expresse du CS mais avec l'autorisation de la CEDEAO. Plus tard, le CS considère ces opérations post facto comme étant des opérations de maintien de la paix qui constataient simplement la situation en cours. Le

267 Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring

268 Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest

269 Cf les Résolutions 856 (1993) du 9 aout 1993, 866 du 21 septembre 1993, 950 du 21 octobre 1994, 1001 du 30 juin 1995, 1014 du 15 septembre 1995, 1020 du 10 novembre 1995, 1041 du 29 janvier 1996, 1059 du 30 mai 1996, 1071 du 30 aout 1996

270 Cf la Résolution du CS des NU 1132 (1997) S/RES/1132 au paragraphe 3 disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1132(1997) consulté le 19/06/2020

271 Déclaration du 9 aout 1990 adressée au Secrétaire Général par le représentant du Nigéria auprès de l'ONU, S/21485, p.3

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CS dans sa résolution 788 adoptée le 19 novembre 1992272 approuve ainsi l'opération de cette organisation régionale plus de deux ans après qu'elle soit engagée sans son accord. En agissant de la sorte, il a voulu légitimer l'action de la CEDEAO post facto avec un effet rétroactif. De la même façon la situation en Sierra Leone a été légalisée à posteriori de l'intervention.

Dans le cas sierra-léonais, sans être autorisé expressément à recourir à la coercition militaire, la CEDEAO va donner à l'ECOMOG la possibilité « d'user tous les moyens nécessaires »273 pour appliquer les sanctions prises à l'encontre du régime. Cette décision a été prise encore une fois sans autorité quelconque donnée par le CS. Le CS pourtant, lors de sa résolution 1132 déclare soutenir « sans réserve les efforts de la CEDEAO pour régler la crise en Sierra Leone et l'encourage à continuer de s'employer à restaurer pacifiquement l'ordre constitutionnel»274. De plus, le Conseil dans cette résolution autorise clairement post facto la CEDEAO à veiller au bon fonctionnement de l'embargo : « Agissant également en vertu du Chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, autorise la CEDEAO, en coopération avec le gouvernement démocratiquement élu de la Sierra Leone, à veiller à la stricte application des dispositions de la présente résolution touchant la fourniture de pétrole, de produits pétroliers, d'armements et de matériel connexe de tous types (...) »275. Ainsi, le Conseil, par cette résolution, autorise de manière rétroactive l'intervention en Sierra Léone par la CEDEAO. Une fois encore il considère l'opération menée par l'ECOMOG comme une opération de maintien de la paix. Il semble bien dangereux d'accepter la possibilité pour une intervention armée, de rentrer dans le champ réglementaire de la Charte à posteriori. La CEDEAO, jusqu'à ce que le CS intervienne, était en situation d'illégalité avec le droit international et quand bien même le CS, au pied du mur, n'avait pas d'autre choix que d'autoriser l'intervention, ce dernier aurait du rappelé la procédure de l'article 53 de la Charte à l'organisme régional. Le CS, admet par ce biais, une autorisation ex post facto pour les interventions d'organismes régionaux et interprète l'article 53 de la Charte de manière très extensive. Le CS apparaît comme souhaitant reprendre en main une situation qui lui échappe, mais en autorisant un tel comportement, il ne fait qu'ouvrir la porte à d'autres transgressions et abus. Comme le démontre Thieraud dans sa thèse, « la validation ex post vise à réaffirmer la prépondérance du CS dans les questions de paix et de sécurité internationales à travers le rattrapage dont il fait ainsi preuve »276.

Ce comportement apparaît comme irresponsable venant du CS puisqu'il laisse la porte ouverte à toute sorte d'abus et de justifications sur ce principe. Le CS et la CEDEAO ont ainsi justifié ces habilitations par l'autorisation de l'Etat hôte, et le principe de légitime défense. Cependant, l'OTAN s'est servie de ces précédents afin de justifier de son intervention au Kosovo malgré qu'elle soit dans l'illégalité (Paragraphe II).

Paragraphe II- L'inapplicabilité d'une autorisation à postériori dans le cadre de l'intervention au Kosovo et en Irak

272 Résolution du CS des NU du 19 novembre 1992 ; S/RES/788, disponible à l'adresse : https://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/788(1992) consulté le 19/06/2020

273 Cf lettre du représentant nigérien à l'ONU adressée au CS le 8 septembre 1997. S/1997/695. Disponible à l'adresse : https://undocs.org/S/1997/695 consulté le 19/06/2020

274 Résolution 1132 du CS des NU du 8 octobre 1997. S/RES/1132 (1997)

275 Ibid p.3

276 Tiereaud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009. Français p.326

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Dans le cas kosovar, il n'apparaît pas que le Conseil de sécurité ait accepté l'intervention militaire de l'OTAN en l'insérant dans le cadre réglementaire de la Charte. En effet, les Etats argumentent une légalisation à posteriori de l'intervention en raison de la résolution 1244 prise par le Conseil de sécurité du 10 juin 1999277. Le CS prend ainsi note des conséquences de l'intervention mais ne dit rien sur sa légalisation. Pour Philippe Weckel278, la résolution en l'espèce ratifie certes la situation issue de la confrontation militaire, mais elle ne valide pas l'emploi de la force par l'OTAN. Le CS ne fait qu'organiser la suite des évènements et ne commente pas réellement sur l'opération. En effet, il n'y a aucune disposition relative à l'OTAN ou à l'opération effectuée. En ce sens, il n'est pas légitime de considérer cela comme une acceptation à posteriori puisque le CS ne faire que constater la situation telle qu'elle est au moment de la résolution. Il ne qualifie pas l'intervention comme illégal, mais ne la légalise pas non plus afin de rentrer dans cette situation de zone grise. Interpréter cela comme une approbation ne serait pas juste légalement puisqu'à aucun moment le CS a expressément approuvé cette intervention. Créer une pratique en ce sens est dangereux puisque cela reviendrait à mettre le CS au pied du mur pour chaque recours unilatéral à la force. La seule règle qui puisse exister et être pérenne en droit international est celle d'une autorisation expresse et en amont d'une intervention et uniquement de la part du CS. Une intervention différente de celle-ci ruinerait l'esprit de la Charte des Nations unies. Il semblerait ainsi que le CS interprète au cas par cas les situations qu'il souhaite autoriser ex post facto. Il semble encore une fois que les arguments en faveur d'une telle légalisation relèvent de l'ordre de la justification. Serge Sur s'interrogeant sur la légalité de l'intervention au Kosovo, résume a écrit « La question n'est pas ici de savoir si le recours à la notion d'intervention d'humanité était en l'occurrence justifié, mais si l'intervention pourrait servir de précédents dans des hypothèses plus convaincantes. (...) Trois arguments se présentent à l'encontre de cette thèse. D'abord, le Pacte Atlantique, pacte de défense collective de ses membres, ne donne pas compétence à l'OTAN pour décider de telles actions. Ensuite, il ne peut être utilisé pour méconnaître la Charte des Nations Unies, qui l'emporte en vertu de ses propres dispositions sur tout autre traité international (...) Pour que l'OTAN dispose de semblables compétences, comme de la possibilité d'intervenir plus largement hors de l'hypothèse de la légitime défense collective, il faudrait que sa charte constitutive soit modifiée, et qu'elle devienne une organisation de sécurité collective - mais alors que le sens et l'intérêt de l'ONU et du Conseil de sécurité seraient remis en cause et gravement altérés »279.

Cette analyse est aussi valable pour l'intervention en Irak et ses nombreuses tentatives de justification. Les résolutions 1483 du 22 mai 2003280 et 1511 du 16 octobre 2003281 sont les bases juridiques de cette argumentation et pour certains ces dernières

277 Résolution 1244 du 10 juin 1999. S/RES/1244 (1999) Disponible à l'adresse : http://www.operationspaix.net/DATA/DOCUMENT/2478~v~Resolution_1244 __deploiement_de_pre sences_internationales_civiles_et_de_securite_au_Kosovo_-_S_RES_1244__1999_.pdf consulté le 20/06/2020

278 Weckel P cité par Tiereaud S., Le droit international et la pratique de l'ingérence armée démocratique depuis 1945. Droit. Université Nancy 2, 2009. Français p.325

279 Sur S., Le recours à la force dans l'affaire du Kosovo et le droit international, Notes de l'IFRI, Institut Français de relations internationales, 2001, disponible à l'adresse: http://www.sergesur.com/Le-recours-a-la-force-dans-l.html

280 Résolution 1483 du 22 mai 2003. S/RES/1483 Disponible à l'adresse : https://digitallibrary.un.org/record/495555?ln=fr consulté le 20/06/2020

281 Résolution 1511 du 16 octobre 2003. S/RES/1511 Disponible à l'adresse :

procèdent à une légalisation de l'intervention. Pourtant, ces arguments ne semblent pas pertinents car, comme pour le cas kosovar, le CS apparaît comme essayant de reprendre en main la situation en qualifiant uniquement le conflit tel qu'il est au moment de la résolution. L'OTAN et les Etats-Unis utilisent cette pratique flou afin de légitimer leur action et de trouver des justifications au fait qu'ils sont intervenus en dehors du cadre réglementaire de la Charte. En cela, l'intervention en Irak n'a pas été légalisée et apparaît encore comme une action unilatérale, une agression de la souveraineté d'un Etat.

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https://digitallibrary.un.org/record/504316?ln=fr consulté le 20/06/2020

282 Sur, S. S. (2004). Le Conseil de sécurité : blocage et renouveau. Et maintenant ? - Serge SUR.

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Conclusion seconde partie

La seconde partie a pour but de démontrer que les justifications employées par les Etats afin de légitimer leur action unilatérale ne sont pas légales et n'entrent pas dans le cadre réglementaire de la Charte des Nations unies. En ce sens, la dénaturation des principes de la Charte ou les arguments juridiques employés pour justifier ces actions ne peuvent pas être considérés comme une pratique pérenne du droit international, au risque de voir celui-ci complètement désuet.

En effet, pour commencer par la légitime défense, il s'agit de la seule exception autorisée par la Charte des Nations unies qui entraîne pour conséquence la réaction d'un Etat de manière unilatérale pour un temps déterminé. En cela, de nombreux Etats ont essayé de dénaturer ce principe ou en tout cas de l'interpréter de manière à ce qu'il inclut de nombreuses interventions. Cependant, malgré l'incertitude du Conseil de sécurité dans ses résolutions, cela n'est pas suffisant afin d'admettre une intervention de légitime défense en Afghanistan à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Les preuves n'étant pas suffisantes afin de rattacher les crimes d'Al-Qaida à l'Etat afghan et de permettre une intervention de légitime défense aux Etats-Unis et ses alliés.

Il est cependant certain que la menace terroriste suite aux attentats a permis de démontrer que le système de sécurité collective de l'ONU n'était pas à la hauteur afin de répondre adéquatement à de telles attaques d'entité non-étatiques. La Charte a été conçue de manière à répondre à une attaque d'Etat à Etat et non face à des groupuscules terroristes. En cela, l'ONU doit dégager une pratique claire et précise avec peut être un qualificatif propre à ces attaques au lieu de rassembler toutes les menaces dans un même panier « menaces contre la paix et la sécurité collective » qui facilite les interprétations abusives des Etats.

En revanche, la doctrine de la légitime défense préventive ou préemptive représente uniquement une théorie illicite pour le droit international et la Charte des Nations unies. En effet, chaque intervention ne bénéficiant pas d'une habilitation expresse et préalable apparaît comme illégale pour la lettre et l'esprit de la Charte. En ce sens, la légalisation à posteriori et la théorie de l'autorisation implicite n'ont pas non plus leur place au sein du cadre réglementaire de l'ONU. Ces derniers se placent davantage dans le registre de la justification que d'une réelle argumentation d'une nouvelle pratique internationale du recours à la force.

Les concepts d'intervention humanitaire et de responsabilité de protéger sont également controversés car ils présentent un caractère subjectif. En cela, ils apparaissent comme dangereux dans une communauté de droit. La seule possibilité pour qu'ils subsistent est si le CS, seul organe légitime, accepte une intervention armée en ce nom. Cet argument peut paraître difficile à faire entendre d'un point de vue moral puisque si des populations civiles sont en danger, une intervention quelle qu'elle soit, semble bien entendu appropriée. Cependant, trop d'interventions ont eu lieu sur ces considérations et ont créé des instabilités durables au sein des Etats en conflit. Ces actions pour « l'intérêt général » disposent d'un caractère trop ethnocentrées et hégémoniques. En ce sens, laisser le CS décider des interventions humanitaires semble légitime puisqu'il serait le fruit d'intenses discussions et négociations. Comme Serge Sur le décrit, malgré les blocages institutionnels, le « Conseil est à l'image de la société internationale, il est un instrument au service des grandes puissances et non une vigie ou un vigile de la justice et de la légalité internationales. Cela le définit sans l'invalider »282.

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Conclusion générale

La Charte des Nations unies a une importance capitale au sein du système juridique international depuis 1945. L'ONU et surtout le Conseil de sécurité ont été chargé par cette dernière de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationale. La clé de voûte de ce système représente l'interdiction du principe du recours à la force définit à l'article 2§4. Les Etats renoncent ainsi à leur droit souverain d'exercer un recours à la force et transfèrent cette compétence au sein du Conseil de sécurité doté de pouvoirs par la Charte.

Conformément à la Charte et au Droit international, le recours à la force des Etats est donc proscrit mis à part dans l'éventualité de l'autorisation du Conseil de sécurité et de la légitime défense. Mais depuis plusieurs années la pratique de certains Etats et notamment des membres permanents du Conseil de sécurité invite à s'interroger sur une obsolescence de la Charte.

En effet, outre la pratique des Etats dans laquelle nous reviendrons, l'ONU est constamment paralyser par le droit de véto des cinq membres permanents au Conseil de sécurité. Ces blocages, couplés à l'incapacité de l'ONU de disposer d'une force coercitive propre à l'organe influent sur les remises en question de la Charte et du système de sécurité collective. Le modèle multilatéral étant également critiqué dans la société internationale au profit d'un retour à l'Etat et des relations régionales, cela entraine une volonté grandissante de réforme profonde. Le CS de par ses pouvoirs de qualification et de sanction lors de crises internationales, fait privilégier la diplomatie aux règles de droit et manque ainsi de rigueur juridique au sein de ses résolutions. Cela a pour conséquence de créer des zones grises et des faiblesses textuelles que les Etats utilisent à leur avantage dans leur interprétation et leur action.

Cependant, dans la société internationale, les intérêts particuliers l'emportent de loin sur les intérêts collectifs et il n'est alors pas étonnant de remarquer que les Etats utilisent chaque faiblesse de la Charte et de l'ONU afin de tourner la situation à leur avantage et de recourir à la force de manière unilatérale. Toutes les lacunes sont ainsi exploitées et tous les moyens sont bons pour essayer de rapprocher leur action aux règles de la Charte des Nations unies et ainsi les légitimer.

L'apparition de nouveaux concepts tels que la légitime défense préventive, l'intervention humanitaire et la responsabilité de protéger sont utilisés par les Etats uniquement dans un objectif de justification. Il est difficile de trouver ne serait-ce qu'une intervention armée des Etats qui ne soit pas guidée par des considérations égoïstes à l'inverse de ce qu'ils proclament.

C'est pour cette raison que la seule intervention légale réside dans celle acceptée par le Conseil de sécurité. Ce dernier détient des faiblesses certes, mais il est le seul organe universel capable de fédérer et d'interpréter les principes de la Charte. En cela, toute argumentation juridique concernant le recours à la force dans la société internationale doit se faire dans le cadre de la Charte et donc sous l'égide du Conseil de sécurité. Il semble néanmoins impératif de s'activer sur une réforme profonde du système des Nations unies et d'enlever les privilèges de véto d'un temps révolu au risque de bloquer complètement cet organe.

Consulté le 23 juin 2020, à l'adresse http://www.sergesur.com/Le-Conseil-de-securite-blocage-et.html#2

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· Convention de La Haye du 18 octobre 1907 concernant la limitation de l'emploi de la force pour le recouvrement des dettes contractuelles dite Convention II ou Convention Drago Porter

· Pacte de la Société des Nations dans Annuaire de la Société des Nations, Genève, Édition de l'Annuaire, 1939.

· Traité de l'Atlantique Nord du 4 avril 1949. Documents émanant des Nations Unies

Résolutions du CS :

- Résolution du CS de l'ONU n°54 du 15 juillet 1948. S/RES/54

- Résolution du CS de l'ONU n°161 du 21 février 1961. S/RES/161

-

88

Résolution du CS de l'ONU n°332 du 21 avril 1973. S/RES/332

- Résolution de CS de l'ONU n°353 du 20 juillet 1974. S/RES/353

- Résolution du CS de l'ONU n°573 du 4 octobre 1985. S/RES/573

- Résolution du CS de l'ONU n°577 du 6 décembre 1985. S/RES/577

- Résolution du CS de l'ONU n°667 du 16 septembre 1990. S/RES/667

- Résolution du CS de l'ONU n°678 du 29 novembre 1990. S/RES/678

- Résolution du CS de l'ONU n°713 du 25 septembre 1991. S/RES/713

- Résolution du CS de l'ONU n°751 du 24 avril 1992. S/RES/751

- Résolution du CS de l'ONU n° 770 du 13 aout 1992. S/RES/770

- Résolution du CS de l'ONU n°788 du 19 novembre 1992. S/RES/788

- Résolution du CS de l'ONU n°794 du 3 décembre 1992. S/RES/794

- Résolution du CS de l'ONU n°856 du 9 aout 1993. S/RES/856

- Résolution du CS de l'ONU n°864 du 15 septembre 1993. S/RES/864

- Résolution du CS de l'ONU n°866 du 21 septembre 1993. S/RES/866

- Résolution du CS de l'ONU n°950 du 21 octobre 1994. S/RES/950

- Résolution du CS de l'ONU n°1001 du 30 juin 1995. S/RES/1001

- Résolution du CS de l'ONU n°1014 du 15 septembre 1995. S/RES/1014

- Résolution du CS de l'ONU n°1020 du 10 novembre 1995. S/RES/1020

- Résolution du CS de l'ONU n°1041 du 29 janvier 1996. S/RES/1041

- Résolution du CS de l'ONU n°1059 du 30 mai 1996. S/RES/1059

- Résolution du CS de l'ONU n°1071 du 30 aout 1996. S/RES/1071

- Résolution du CS de l'ONU n°1132 du 8 octobre 1997. S/RES/1132

- Résolution du CS de l'ONU n°1160 du 31 mars 1998. S/RES/1160.

- Résolution du CS de l'ONU n° 1199 du 23 septembre 1998. S/RES/1199

- Résolution du CS de l'ONU n°1203 du 24 octobre 1998. S/RES/1203

- Résolution du CS de l'ONU n°1244 du 10 juin 1999. S/RES/1244

- Résolution du CS de l'ONU n°1368 du 12 septembre 2001. S/RES/1368

- Résolution du CS de l'ONU n°1373 du 28 septembre 2001. S/RES/1373

- Résolution du CS de l'ONU n°1441 du 8 novembre 2002. S/RES/1441

- Résolution du CS de l'ONU n°1483 du 22 mai 2003. S/RES/1483

- Résolution du CS de l'ONU n° 1511 du 16 octobre 2003. S/RES/1511

- Résolution du CS de l'ONU n°1528 du 9 mars 2004. S/RES/1528

- Résolution du CS de l'ONU n°1542 du 30 avril 2004. S/RES/1542

- Résolution du CS de l'ONU n°1545 du 21 mai 2004. S/RES/1545

- Résolution du CS de l'ONU n°1970 du 26 février 2011. S/RES/1970

- Résolution du CS de l'ONU n°1973 du 17 mars 2011. S/RES/1973

- Résolution du CS de l'ONU n°1975 du 30 mars 2011. S/RES/1975

- Résolution du CS de l'ONU n°2042 du 14 avril 2012. S/RES/2042

- Résolution du CS de l'ONU n°2118 du 27 septembre 2013. S/RES/2118

Résolution de l'AG :

- Résolution de l'AG de l'ONU n°377 A du 3 novembre 1950. A/RES/377

- Résolution de l'AG de l'ONU n°1514 du 14 décembre 1960. A/RES/1514

- Résolution de l'AG de l'ONU n°2625 du 24 octobre 1970 (XXV). A/RES/2625

- Résolution de l'AG de l'ONU n°3314 du 14 décembre 1974 (XXIX).

A/RES/3314

- Résolution de l'AG de l'ONU du 11 décembre 1992. A/47/62

- Résolution de l'AG de l'ONU du 10 décembre 1993. A/48/26

- Résolution de l'AG de l'ONU du 2 décembre 2004. A/59/565

- Résolution de l'AG de l'ONU du 16 septembre 2005. A/RES/60/1

Autres documents :

· Comité spécial pour le renforcement de l'efficacité du principe de non-recours à la force dans les relations internationales, AG, 42ème sess, Suppl. N°41 (A/42/41), 20 mai 1987.

· Déclaration du 9 aout 1990 adressée au Secrétaire Général par le représentant du Nigéria auprès de l'ONU, S/21485.

· Agenda pour la paix, diplomatie préventive, rétablissement de la paix, maintien de la paix, ONU, A/47/277 ; S/24111, 17 juin 1992.

· Lettre du représentant nigérien à l'ONU adressée au CS le 8 septembre 1997. S/1997/695.

· Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, « La responsabilité de protéger », Centre de recherches pour le développement international, Ottawa, décembre 2001.

· Rapport d'une mission d'urgence de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire, (S/2003/90) du 24 janvier 2003, pp 27-28

· Rapport du groupe des personnalités de haut niveau sur les menaces, les défis et les changements, 2 décembre 2004, A/59/625.

· Communiqué de presse du CS/8939 du 12 janvier 2007 : Le conseil de sécurité rejette le projet de résolution sur le Myanmar à la suite d'un double vote négatif de la Chine et de la Fédération de Russie, 5619ème séance

· Lettre datée du 3 mai 2018, adressée au Secrétaire général par la Représentante permanente de la Pologne auprès de l'Organisation des Nations Unies (S/2018/417/Rev.1)

Jurisprudence internationale

· 89

CIJ, Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du

90

Nord c. Albanie) , Arrêt du 9 avril 1949

· CIJ, Affaire de la réparation des dommages au service des Nations unies, dite « affaire Bernadotte », avis consultatif 11 avril 1949.

· CIJ, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c/ Etats-Unis) Arrêt 27 juin 1986

· CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, 8 juillet 1996

· CIJ, Demande d'indication de mesures conservatoires faites par la RFY dans l'affaire sur la Licéité de l'emploi de la force, du 9 mai 1999, CR 99/15

· CIJ, Affaire des Plates formes pétrolières, (République islamique d'Iran c/ Etats-Unis) arrêt 6 novembre 2003

· CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005

Publications et discours gouvernementaux

· Allocation du Président Bush de West Point du 1er Juin 2002

· The National Security Strategy of the United States of America, 17 septembre 2002

· Discours du président Bush devant la 58ème assemblée des Nations unies le 23 septembre 2003

Webographie

· Site officiel des Nations unies (ONU) : https://www.un.org/fr/

· Site officiel de la Cour internationale de justice : https://www.icj-cij.org/fr

· Site officiel du Comité de la Croix-Rouge : https://www.icrc.org/fr

· Site officiel de l'OTAN : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/index.htm

· Site officiel du journal le Monde : https://www.lemonde.fr/

https://www.lemonde.fr/libye/article/2011/06/29/la-france-

Articles utilisés :

-

aurait-livre-des-armes-aux-rebelles-libyens_1542584_1496980.html

91

- https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/08/29/le-

parlement-britannique-debat-d-une-possible-intervention-en-syrie_3468570_3214.html

- https://www.lemonde.fr/proche-

orient/article/2016/12/05/syrie-veto-de-moscou-et-pekin-a-une-resolution-de-l-onu-demandant-une-treve-a-alep_5043852_3218.html

- https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/06/06/vers-
une-nouvelle-ere-du-protectionnisme_6041959_3234.html

- https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/12/10/l-

organisation-mondiale-du-commerce-depose-les-armes_6022296_3234.html

· Site officiel du journal Libération : https://www.liberation.fr/ Articles utilisés :

- https://www.liberation.fr/planete/2003/03/19/une-guerre-
illegitime-et-illegale_459029

- https://www.liberation.fr/planete/2013/01/30/plus-de-90-
des-manuscrits-de-tombouctou-auraient-ete-sauves_877914

· Site officiel de France culture : https://www.franceculture.fr/ Article utilisé :

- https://www.franceculture.fr/architecture/les-mausolees-
de-tombouctou-constructions-et-deconstruction

· Site officiel du Journal des Arts : https://www.lejournaldesarts.fr/ Article utilisé :

- https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/le-site-dhatra-
en-irak-classe-patrimoine-en-peril-par-lunesco-126135

· Site officiel de Sciences et Avenir : https://www.sciencesetavenir.fr/ Article utilisé :

- https://www.sciencesetavenir.fr/archeo-
paleo/archeologie/la-destruction-du-site-archeologique-de-nimroud-en-irak_108253

· Site officiel du journal Le point :https://www.lepoint.fr/ Articles utilisés :

- https://www.lepoint.fr/monde/une-foule-enorme-enterre-
les-manifestants-tues-a-benghazi-20-02-2011-1297503_24.php

- https://www.lepoint.fr/monde/syrie-plus-de-380-000-
morts-en-neuf-ans-de-conflit-14-03-2020-2367140_24.php

· Site officiel du journal Le Monde Diplomatique : Article utilisé :

- https://www.monde-

diplomatique.fr/2016/08/MASON/56082

· 92

Site officiel du journal Le Temps : https://www.letemps.ch/ Article utilisé :

- https://www.letemps.ch/opinions/privilege-droit-veto-

conseil-securite-aboli

· Site officiel du magazine Slate : http://www.slate.fr/ Article utilisé :

- http://www.slate.fr/story/140321/suspendre-le-droit-de-
veto-lonu-lors-des-discussions-sur-les-crimes-de-masse

93

Table des matières

Introduction 9

Première partie : La détérioration du système instauré par la Charte

des Nations unies 15

Chapitre I- La réglementation de l'usage de la force par la Charte

des Nations Unies remise en cause par une pratique contraire 17

Section 1 - Le principe fondamental de l'interdiction

du recours à la force dans la Charte des Nations Unies 18
Paragraphe I- La réaffirmation constante du principe

de l'interdiction du recours à la force 18
Paragraphe II- La valeur juridique du principe de

l'interdiction du recours à la force 19

Section 2 - Un principe tempéré par des exceptions

strictement encadrées 21
Paragraphe I- L'exception de la légitime défense

conditionnée 21
Paragraphe II- L'action collective du Conseil de sécurité en cas de menace ou rupture de la paix

et d'acte d'agression 23

Section 3- La montée de l'unilatéralisme au sein de

l'institution multilatérale par excellence 27
Paragraphe I- L'unilatéralisme proclamé des

Etats-Unis au sein de l'ONU 27
Paragraphe II- La doctrine d'une révision informelle

de la Charte en raison de sa pratique contraire récurrente 29

Chapitre II- Les violations du principe de l'interdiction du recours

à la force facilitées par les défaillances du système onusien 33

Section 1- La mutation de la notion de menace contre

la paix telle que représentée dans la Charte des Nations Unies 34
Paragraphe I- L'élargissement de la notion de

menace contre la paix 34
Paragraphe II- Les faiblesses textuelles de la

Charte des Nations unies en matière de recours à la force 36

Section 2- Le manque de rigueur juridique dans les

résolutions du Conseil de sécurité 39
Paragraphe I- Une pratique diplomatique privilégiée

à la règle de droit 39
Paragraphe II- Une souplesse juridique à

double tranchant 41

94

Section 3- Le déséquilibre fonctionnel du Conseil de sécurité

des Nations unies 42
Paragraphe I- La paralysie du CS par le biais

du droit de veto 43
Paragraphe II- Les différentes possibilités de

réforme afin d'aboutir à une meilleure efficacité

du Conseil de sécurité 45

Conclusion de la première partie 48

Seconde partie : Des justifications étatiques contraires à l'esprit et la

lettre de la Charte des Nations Unies 49

Chapitre I- La dénaturation par les Etats souverains des principes

du système de sécurité collective de l'ONU 51

Section 1- L'élargissement illicite de la notion de

légitime défense 52
Paragraphe I- L'interprétation extensive du droit de légitime défense à la suite des attentats

du 11 septembre 2001 52
Paragraphe II : La théorie illicite d'une légitime

défense préventive ou préemptive 55

Section 2- L'utilisation abusive du concept d'intervention

humanitaire 58
Paragraphe I- L'absence de cadre légal

explicite dans la Charte des Nations unies 58
Paragraphe II- L'utilisation abusive du concept

d'intervention humanitaire 60

Section 3- L'échec flagrant dans l'application de la

responsabilité de protéger 62
Paragraphe I- Un nouveau concept semblable

à celui d'intervention humanitaire 63
Paragraphe II- Une mise en oeuvre répréhensible

du principe de la responsabilité de protéger 64

Chapitre II- Des arguments juridiques incompatibles avec

l'esprit de la Charte et le Droit international 67

Section 1- La conception hégémonique de l'argumentaire

« illégal mais légitime » lors d'une action coercitive 68
Paragraphe I- la mise à l'écart de l'argument légal au profit de l'idée de légitimité lors d'une

intervention armée 68
Paragraphe II- Les puissances occidentales, dictateurs

des interventions légitimes 70

95

Section 2- L'absence de fondement légal pour

la théorie de l'autorisation implicite du recours à la force 71
Paragraphe 1 : L'interprétation étatique abusive

de certaines résolutions du CS 72
Paragraphe 2 : L'irrecevabilité de l'argument d'une

autorisation implicite du fait du silence du CS 73

Section 3- L'inadmissibilité en droit international

de la légalisation à postériori d'un recours à la force 75
Paragraphe I- L'émergence de la légalisation

ex post facto du CS lors des interventions d'organismes

régionaux au Libéria et en Sierra Leone 75
Paragraphe II- L'inapplicabilité d'une autorisation à postériori dans le cadre de l'intervention

au Kosovo et en Irak 77

Conclusion de la seconde partie 79

Conclusion générale 80

Bibliographie 81

Table des matières 93






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera