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L'alerte et la prévention des limites et dangers d'Instagram


par Maëlle De Coninck
Université Lille - Infocom Roubaix - Master Communication Interne et Externe  2020
  

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Chapitre 1 : contextualisation générale

L'avènement des réseaux sociaux

Historique des réseaux sociaux

Depuis le début des années 1990, les chercheurs en sciences de l'information et de la communication étudient les réseaux sociaux numériques. Il s'agit à l'époque des mails, des forums de discussion et des blogs. L'apparition de nouveaux réseaux sociaux aussi qualifiée de « tournant web 2.0 » a entraîné de nouvelles recherches qui se sont fortement développées depuis 2010 dans le domaine info-com.

Le réseau social Classmates en 1995 et Six Degrees en 1996 ouvrent la voie au web grand public. Classmates créé par Randy Conrads avait pour objectif de permettre aux inscrits de retrouver leurs anciens camarades de classe, collègues et anciens combattants. Aujourd'hui renommé MemoryLane.ai, il permet à ses utilisateurs de partager des contenus et souvenirs dont ils sont nostalgiques. Six degrees ancêtre de Face-book et LinkedIn est considéré quant à lui comme l'un des premiers site internet de type réseau social. Imaginé par Andrew Weinreich, il permettait à ses utilisateurs d'en-trer en relation avec leurs proches, amis, familles et collègues, et de se développer un réseau en ligne. Il y était possible d'envoyer des messages à ses contacts, aux contacts de ses contacts, et de publier des informations. Les membres pouvaient envoyer des invitations pour proposer à des tierces personnes de les rejoindre et de s'y inscrire. A défaut de popularité, le site internet ferme en 2001.

Figure 5 Page d'accueil de Six degrees en 1997 Source : agence90.fr

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En 1999, la plateforme Livejournal voit le jour et permet à ses utilisateurs de poster des mises à jour écrites sous forme de blog et de journal. Ses membres peuvent créer des groupes et se suivre.

En 2002, Friendster permet à ses usagers de se créer une communauté virtuelle et facilite la recherche de contacts.

En 2003, Hi5 rend possible la diffusion d'informations personnelles, et ajoute une nouveauté : la possibilité de créer des albums photos, d'installer un lecteur de musique sur son profil et d'y recevoir des commentaires.

Cette même année, LinkedIn est le premier réseau social professionnel à faire son apparition. Il a pour objectif de se créer un réseau professionnel en ligne, de trouver du travail et d'échanger entre professionnels.

Figure 6 Page d'accueil de LinkedIn en 2005. Source : agence90.fr

Site le plus populaire du monde en 2006, MySpace est créé en 2003 et est le premier réseau social à être autant utilisé. Il reprend les fonctionnalités de base des réseaux sociaux cités ci-dessus tout en se centrant sur le partage de création musicale, une personnalisation développée des profils, et la création de la liste des huit meilleurs amis de chaque utilisateur.

Le géant Facebook fait son apparition en 2004. Dans son ouvrage « The Accidental Billionnaires » (2009) adapté au cinéma, Ben Mezrich raconte l'histoire de la start-up et de son créateur. Mark Zuckerberg, étudiant de 19 ans développe le site internet

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Facemash en 2003 suite à une déception amoureuse. Le jeune homme pirate le réseau d'Harvard pour en récupérer le trombinoscope. L'objectif de Facemash est alors de permettre aux étudiants de sélectionner entre deux photos la plus « sexy ». L'Uni-versité ordonne la fermeture du site mais Mark Zuckerberg continue ses expériences sur le net. Un an après, aidé de quatre camarades, il développe Thefacebook pour que les étudiants du campus puissent communiquer entre eux en ligne et partager des informations. Son utilisation se répand aux campus de Stanford, Columbia et Yale avant de s'étendre au monde. Le réseau social est propulsé par les investisseurs Sean Parker (créateur de Napster) et Peter Thiel (co-fondateur de Paypal). Ses utilisateurs disposent d'un profil ainsi que d'un mur où s'affichent leur activité et celle de leurs amis, provoquant un flux d'informations constant qui défilent en continu. Marck Zuck-erberg se dit alors convaincu que le rendu de nos vies publiques et le partage de nos données est un progrès « les gens veulent partager et rester connectés avec leurs amis et les gens autour d'eux (...) si les gens partagent plus, le monde deviendra plus ouvert et plus connecté. Et un monde qui est plus ouvert et plus connecté est un monde meilleur ».

En 2005, le site web Reddit propose le concept inédit de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs. Un algorithme met alors en avant le contenu le plus voté soit le plus populaire.

En 2007, le célèbre oiseau bleu alias Twitter naît et prend son envol. Il permet à ses utilisateurs d'envoyer des courts messages nommés « tweets » (dans la limite de 140 caractères, aujourd'hui allongée à 280). Pour la première fois, un réseau social est accessible depuis mobile. Par sa spécificité et son côté pratique, Twitter fut rapidement utilisé par les journalistes afin de transmettre l'information en direct et de couvrir des événements. Annonces publicitaires, tags, hashtags, retweets, bouton j'aime... Twitter et Facebook se développent largement et étendent leurs fonctionnalités.

En mars 2010, Pinterest de l'anglais « pin » épingle, et « interest » intérêt, est lancé et mélange le concept de réseau social et de banque d'images. Ses utilisateurs peuvent partager leurs passions et centres d'intérêt au travers du partages d'albums photos.

La même année en octobre le premier réseau social uniquement sur mobile fait son apparition, c'est Instagram permettant le partage de photographies suivant la logique

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« mobile only »21 durant deux ans puis « mobile first »22. L'application mobile est suivie en 2011 par Snapchat dont le concept est l'envoi de photographies à des personnes ciblées sur un temps limité, jusqu'à son étendue vers les « stories ».

Vine créé en 2012 lance la publication et personnalisation de courtes vidéos de six secondes sur smartphone. En avril 2013 elle est l'application gratuite la plus téléchar-gée de l'App Store23. Concept qui inspirera les grandes tendances des réseaux sociaux concurrents malgré la fermeture de ce dernier par son rachat par Twitter.

En 2015, Musical.ly est le premier réseau social où ne se partagent que des vidéos. Les membres y publient leurs chorégraphies sur fond musical. En 2016, l'application mobile est rachetée par le groupe chinois Beijing ByteDance et fusionne avec Tik Tok qui étend le partage de contenu au-delà de la danse.

Véritables concurrents, les réseaux sociaux s'influencent entre eux et n'hésitent pas à reprendre les concepts les uns des autres. Facebook et Instagram ont par exemple repris le concept phare de Snapchat « les stories » au détriment de ce dernier qui voit aujourd'hui sa popularité baisser. Du début des années 1990 à nos jours, de nombreux réseaux sociaux ont fait leur apparition, certains ont connu un succès fulgurant tandis que d'autres ont disparu par manque de popularité et une concurrence accrue.

Selon une étude technologique de Morgan Stanley24 en 2008, les sites les plus consultés en 2005 étaient des sites marchands de vente en ligne comme e-Bay et Amazon. En 2008, ils ont disparu du classement des sites à plus forte audience au profit de MySpace, YouTube, Facebook, Hi5, et Wikipédia.

Aujourd'hui, 12 ans après, Facebook domine toujours le marché des réseaux sociaux avec 2,6 milliards d'utilisateurs dans le monde pour 38 millions en France. En 2ème position se trouve WhatsApp que nous considérons davantage comme application de messagerie que comme réseau social, suivi par Instagram en France et dans le monde. Au niveau mondial c'est Tik Tok qui arrive en quatrième position, suivi de

21 « Stratégie par laquelle une organisation fait le choix de n'être présente à travers son offre commerciale que sur mobiles. Dans les faits, une stratégie "mobile only" consiste donc à être présent quasi-exclusivement par le biais d'une application proposée sur smartphones. » ( Définitions-marketing.com)

22 « Le mobile first place le mobile au coeur des stratégies digitales : au lieu de décliner un site web pour tablettes et smartphones, on conçoit tout d'abord une version mobile, et on construit ensuite le site pour ordinateur autour de cette version ». ( journaldunet.com)

23 Aaron Souppouris, « The Verge - Vine is now the number one free app in the US App Store » [archive], theverge.com

24 Banque américaine dont le siège social est situé à New-York.

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Pinterest, Twitter, LinkedIn et Snapchat. Il est intéressant de noter qu'au niveau national le classement n'est pas le même. Ainsi après Instagram et ses millions d'utilisa-teurs, Snapchat est le quatrième (troisième si on ne comptabilise pas WhatsApp) réseau social en matière d'utilisateurs, suivi de Twitter, du réseau professionnel LinkedIn, de Pinterest puis de Tik Tok. Ces réseaux sociaux sont internationaux et ont une présence sur la scène mondiale25 mais sont caractérisés par des différences de popularité en fonction des pays.

Figure 7 Infographie présentant le classement des réseaux sociaux en France et dans le monde en 2020

Source : Agence Tiz

Définition du terme « réseau social »

Après avoir établi un historique de l'apparition d'une multitude de réseaux sociaux et leur évolution, il nous apparaît maintenant crucial de définir ce terme dont il est amplement question dans ce mémoire de recherche.

Dans son ouvrage « Réseaux sociaux, théories et pratiques », Michel Forsé reprend la définition de Lemieux : « Un réseau social est un ensemble de relations entre un ensemble d'acteurs. Cet ensemble peut être organisé (une entreprise, par exemple) ou non (comme un réseau d'amis) et ces relations peuvent être de nature fort diverse

25 Facebook est le réseau social numéro 1 dans 129 pays répartis sur tous les continents (source blog.digimind.com)

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(pouvoir, échanges de cadeaux, conseil, etc.), spécialisées ou non, symétriques ou non » (1999)

A une époque où les géants Facebook, Instagram et Twitter n'existent pas encore, le chercheur définit le réseau social comme ce qui unit les individus à l'extérieur, avec une distinction liens forts (proches, amis et famille) et liens faibles (connaissances). Puis, la définition de ce terme évolue comme des « des services web qui permettent aux individus de construire un profil public ou semi-public dans le cadre d'un système délimité, d'articuler une liste d'autres utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations ainsi que de voir et de croiser leurs listes de relations et celles faites par d'autres à travers la plateforme » (Boyd et Ellison, 2007, cités par Cardon, 2011, vol. 13, n° 1) ou encore comme « un groupe d'applications en ligne qui se fondent sur la philosophie et la technologie du net et permettent la création et l'échange du contenu généré par les utilisateurs » (Kaplan et Haenlein, 2010, vol. 53, issue 1, p. 61).

Ainsi, si autrefois le terme « réseau social » définissait notre réseau d'amis, nos proches et notre entourage, sa définition se réfère maintenant aux applications et sites internet qui permettent une mise en relation virtuelle avec d'autres utilisateurs sur une plateforme numérique. La définition des réseaux sociaux a donc évolué. Pour certains chercheurs, la définition d'autrefois et celle d'aujourd'hui sont en contradiction et à l'origine d'un paradoxe. C'est ce qu'expliquent Alain Lefebvre et François Liénart dans leur ouvrage « Le miroir brisé des réseaux sociaux », « les réseaux sociaux, fondamentalement, ce sont les liens que nous tissons avec nos proches, nos relations professionnelles ou amicales. » (Lefebvre, Lienart, 2013, p16).

Or les réseaux sociaux tendent aujourd'hui à dissocier ce que le sociologue Granovet-ter nomme « liens forts » (nos proches) au profit d'une course au liens faibles (connaissances). Lefebvre et Liénart leur préfèrent ainsi le terme « logiciels sociaux ».

Question de la liberté d'expression

Facebook, Twitter, Instagram et autres réseaux sociaux sur lesquels les individus peuvent s'exprimer librement ont une date de création. L'expression de l'opinion dans l'es-pace public remonte quant à elle à bien des années auparavant.

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Quelques siècles plus tôt, durant la période des Lumières, il est mis en avant cette idée que la société devrait s'organiser sur l'usage public de la raison, renvoyant à la faculté de penser et donc de raisonner de l'Homme ainsi qu'à sa faculté de débattre. A partir de cette dernière, un nouveau mode d'organisation de la société est mis en place qui ne base plus uniquement sur l'existence d'une parole divine que représentaient le roi et le Pape. L'Homme peut apprendre en dehors de toute hiérarchie humaine de pouvoir. Les méthodes empiriques et scientifiques sont par ailleurs mises en valeur. En cela réside une rupture culturelle qui va nourrir des revendications. Une nouvelle culture politique commence à se faire voir, ce sont les prémices de la révolution française. La déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 est un tournant majeur. La liberté d'opinion devient un droit fondamental.

« Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » « Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »26

Ainsi, tous les citoyens ont le droit d'exprimer leur propre opinion librement, ce qui est toujours le cas en France. Si l'émergence d'internet a élargi la liberté d'expression, l'émergence des talk-shows a également contribué au repositionnement des figures emblématiques de la démocratie par une redéfinition du processus de délibération publique. Le talk-show serait « la première manifestation à grande échelle du déplacement des frontières entre la sphère privée et la sphère publique » (Mouchon, 2005, p.12), engendrant un débordement de la parole ordinaire par des personnes « lambdas » ainsi qu'une scénarisation du réel.

Auparavant la discrétion, la pudeur et le quant-à-soi étaient définis par les institutions, les moralistes, penseurs, idéologues et pédagogues et les contours du débat public étaient codifiés par le corps social. La séparation entre espace public et espace privé demeurait un principe d'organisation du débat public. Il y a eu grâce aux talk-shows une redistribution de la légitimité, qui est maintenant accordée à différents acteurs. La distinction privé/public est subjectivement définie et non plus socialement.

26 Extraits de la « Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen », 1789.

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L'individu lambda n'est plus uniquement spectateur, tout comme sur les réseaux sociaux il interagit, il aime, il partage, il commente.

Peter Dahlgren27 effectue une distinction entre les sites internet permettant uniquement au créateur ou à un groupe de personnes restreint de s'exprimer en faisant une communication « one-to-many », aux réseaux sociaux qui présentent un mode de communication interactif « many-to-many ». Les réseaux sociaux sont accessibles au plus grand nombre et sont un espace libre non discriminant quant à la prise de parole. Ils offrent un nouveau moyen de s'exprimer dans l'espace public, ici numérique.

Chacun peut librement y produire du contenu, créer une page pour partager des opinions qui à leur tour peuvent être commentées. Des communautés peuvent se créer librement engendrant des contre-publics subalternes selon la thèse de Nancy Fraser28, « Les contre-publics subalternes constituent des arènes discursives dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins » (Fraser, 2005, p. 126)

La chercheuse appliquait cette définition au temps de l'espace public bourgeois, mais cette dernière est toujours utilisable aujourd'hui pour qualifier le phénomène de regroupements sur les réseaux sociaux afin de produire un contre-discours vers des arènes plus larges. Ce fut le cas lors du mouvement des « gilets jaunes », formé sur les réseaux sociaux avant de devenir visible dans l'espace public. En 2019 sur Twitter, le hashtag « gilets jaunes » était l'un des plus utilisés. Effectuer une recherche par son biais permettait de trouver rapidement toutes les revendications individuelles et collectives.

Les réseaux sociaux forment ainsi un espace libre. Exceptés pour les personnes les plus âgées et éloignées du numérique, ils ne sont pas discriminants quant à la prise de parole dans l'espace public. Ils permettent l'expression de points de vue contestataires minoritaires dont l'expression ne peut pas toujours justement avoir lieu dans l'espace public traditionnel. Cette production nouvelle de contenu fait émerger des

27 Peter Dahlgren est professeur à l'Université de Lund en Suède où il enseigne les médias de la communication. Il est spécialisé dans l'analyse de l'espace public.

28 Nancy Fraser est professeure de philosophie et de politique à la New School for Social Research à New York.

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questions qui ne se posaient pas forcément, et pour lesquelles il n'y avait pas forcément de place. Les réseaux sociaux ont donc joué un rôle majeur en rendant possible l'expression et le partage d'opinions en dehors des frontières terrestres et temporelles de manière instantanée, permettant à tout un chacun de donner son avis sur n'importe quelle question et de rendre ses convictions personnelles publiques. De surcroît, ce sont de nouveaux outils précieux pour les entreprises qui s'en servent pour communiquer sur leur activité. De nouvelles problématiques communicationnelles ont fait leur apparition.

Contextualisation Instagram

Histoire et temps fort du réseau social

« Ce n'est pas un triomphe technologique. C'est un triomphe du design et de la psy-

chologie. »29

Juste après minuit, le 6 octobre 2010, Instagram est mis en ligne par son créateur Kévin Systrom et son associé Mike Krieger, sur la plate-forme IOS et est alors télé-chargeable uniquement sur iPhones. Il faut attendre 2012 pour que l'application soit disponible sur Android, puis 2016 pour la version Windows mobile.

24 heures après son lancement, l'application mobile compte déjà 25 000 utilisateurs. En un mois, elle passe le cap du million d'inscrits. Mais qui est donc à l'origine de ce réseau social que plus d'un milliard de personnes dans le monde utilisent aujourd'hui quotidiennement ?

Etudiant, Kevin Systrom est passionné par la photographie et est président du club de photo de son lycée. En 2002, il rejoint l'Université de Stanford où il est encouragé dans sa passion par ses professeurs. Ses camarades se souviennent de lui comme d'un élève aux présentations brillantes, doué pour le design et la photographie. L'un de ses camarades Alex Gurevich se remémore « Mr. Systrom had his eyes on mobile phones

29 Citation de Clifford Ivar Nass dans le New York Times, professeur à l'Université de Stanford en communication.

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as the wave of the future.»30 Après avoir obtenu son diplôme, il est embauché chez Google où il travaille trois ans. Puis il rejoint Nextstop, site de recommandation de voyage fondé par quelques-uns de ses anciens collègues de Google. Ayant établi de nombreux contacts avec des investisseurs, Systrom a alors une idée derrière la tête, la création d'un nouveau business. Lors d'une fête au Madrone Bar en janvier 2010, il rencontre Steve Anderson investisseur auprès du réseau social Twitter. Il lui montre alors le projet sur lequel il travaille en secret, nommé « Burbn » en référence à son alcool préféré le bourbon. Systrom n'avait alors encore qu'un prototype et des idées : construire un service via lequel les utilisateurs peuvent partager leur localisation avec leurs amis et des photos.

Par la suite et à la recherche d'un partenaire, il rencontre Mike Krieger ingénieur et immigrant brésilien. Ce dernier apporte ses compétences au service du projet, en alliant le codage à la psychologie et la linguistique à la philosophie. Ils travaillent tous les deux sur l'application dans les moindres détails en ce qui concerne son design. Ils considèrent que « Burbn » ne fonctionnera pas car dispose de trop de fonctionnalités et se rapproche de ce que propose Foursquare31. A l'époque où la sortie de l'Iphone 4 est annoncée avec une qualité d'appareil photo améliorée, ils décident que le concept de leur application sera le partage de photographies. Ce qui semble être apprécié des quelques utilisateurs auxquels Kevin Systrom fait tester « Burbn ».

« Burbn » est alors renommé « Instagram » en comparaison à un télégramme instantané. Les fondateurs sont alors rejoints par de nouveaux collaborateurs (dont des diplômés de Stanford) et des investisseurs intéressés. Ce n'est alors que le début d'une success story. En 2011 Instagram est élu « application de l'année » par Apple32.

En 2012, assistant à son succès foudroyant, Marck Zuckerberg voit en Instagram une menace, ced'un concurrent qui connaît une croissance fulgurante, mais aussi la peur d'un rachat par Google et Twitter. Le fondateur de Facebook annonce alors à Kévin Systrom vouloir acheter sa création. Durant 48 heures les deux hommes négocient et les deux sociétés mettent en place une transaction d'un milliard de dollars en espèces

30 The New York Times « Behind Instagram's Success, networking the Old Way ». Systrom imaginait un grand futur pour le téléphone portable. https://www.nytimes.com/2012/04/14/technology/instagram-founders-were-helped-by-bay-area-connections.html

31 « Foursquare permet à l'utilisateur d'indiquer où il se trouve grâce à un système de géolocalisation et de recommander des lieux de sorties » (Wikipédia).

32 «Apple names Instagram top app of the year» (Washington post, 2011)

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et actions. Kevin Systrom et Mike Krieger occuperont les postes de directeur général et de directeur de la technologie jusqu'à leur démission en 2018.

Zuckerberg publie un long post sur sa page Facebook personnelle pour expliquer ce rachat. Si l'application reste indépendante, il souhaite néanmoins durcir les conditions d'utilisation en permettant d'exploiter et de partager les données d'Instagram avec Fa-cebook et réciproquement. Des associations de consommateurs et des millions d'uti-lisateurs déjà inscrits ont protesté. Les nouveaux responsables d'Instagram sont alors revenus sur leur décision et essayent de se racheter auprès de la communauté en étant de plus en plus transparents.

Le rachat d'Instagram par Facebook pour une valeur d'un million de dollars paraît être une somme colossale. Pour autant, l'agence de presse américaine Bloomberg News estime dans une étude datant de 2018 que l'application vaut aujourd'hui plus de 100 milliards de dollars. La valeur de la célèbre application mobile se serait ainsi multipliée par 100. Zuckerberg avait vu juste.

Caractéristiques et fonctionnalités d'un réseau social basé sur l'image

Pour une bonne compréhension du réseau social Instagram mais aussi une définition de son lexique et vocabulaire spécifique, nous allons étudier et définir les différentes caractéristiques et fonctionnalités de ce média social.

Nous avons déjà évoqué le nom original « Burbn » pensé par le créateur, qui sera finalement mis de côté au profit d'« Instagram » mot valise comprenant « Insta » de l'anglais « instant camera » (appareil photographie instantané) et « gram » pour « telegram ».

En tant que média social basé sur l'image et l'esthétisme, il nous apparaît également intéressant de s'attarder sur la charte graphique33 de ce dernier. La version originale de son logo était un polaroïd comprenant une bande arc-en-ciel verticale en son milieu réalisé par Kévin Systrom lui-même. Jugé trop vintage par les deux co-fondateurs, ces derniers délèguent la réflexion au photographe et designer Cole Rise. Le nouveau logo

33 La charte graphique désigne les différents éléments graphiques (logos, polices, couleurs, symboles...) utilisés par une marque afin de garantir l'homogénéité et la cohérence de sa communication en son sein et auprès d'un public externe.

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en flat design est alors une icône carrée (symbole du format des publications sur le réseau social) comprenant un appareil photo inspiré des années 50 avec la même bande arc-en-ciel situé en haut à gauche de l'appareil avec l'inscription « Inst ». Logo qui sera repris et légèrement modifié en 2011 pour une version encore plus moderne avec l'ajout du « a » pour une inscription « Insta ».

En 2016 une grande évolution au niveau de la charte graphique est entreprise en interne. Instagram se dote d'une nouvelle identité visuelle.

Figure 8 Evolution du logo de l'application Instagram
Source : Canva

Son logo représente maintenant un appareil photo blanc sur un fond arc-en-ciel tricolore dégradé, pour une nouvelle modernité. Le réseau social qui avait effectué diverses études auprès de ses utilisateurs, explique « cette nouvelle apparence reflète à quel point la narration est devenue riche et variée sur Instagram. Inspirée par l'ancienne icône, cette forme simplifiée représente un appareil photo plus évolutif avec l'arc-en-ciel prenant vie dans sa version dégradée. »34

Suivant la même évolution que son logo, l'interface de l'application a elle aussi évolué avec la volonté de mettre davantage en avant et en valeur les photographies et vidéos partagées par les utilisateurs.

34 « Instagram dévoile son nouveau logo et sa nouvelle identité visuelle » (Agence presse-citron.net, 2016). https://www.presse-citron.net/instagram-devoile-son-nouveau-logo-et-sa-nouvelle-identite-vi-suelle/

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Figure 9 Evolution de l'interface de l'application entre 2010 et 2019

Source : vidéo « Evolution of Instagram 2010-2020» («World Evolution» sur Youtube, 2020)

Ce changement d'identité très rapide (effectué en une mise à jour) n'a pas fait l'unani-mité. Beaucoup d'utilisateurs ont critiqué et commenté cette nouvelle charte graphique. Certains commentaires sont portés sur la disparition de l'arc-en-ciel élément phare, bien que ce dernier se retrouve dans le dégradé coloré.

Le principe d'Instagram consiste à partager ses contenus images et audiovisuels aux autres utilisateurs en quelques clics et quelques secondes seulement, à aimer les publications d'autres membres, à laisser des commentaires, et à dialoguer avec eux via une boite de message « Instagram direct ».

A la création de leur compte, les utilisateurs disposent d'une page Instagram personnelle : leur mur également appelé « feed », grille ou galerie photos. Toutes leurs publications sont ainsi regroupées au même endroit. En descendant dans la page, les photos les plus anciennes se chargent et apparaissent. Sur cette même page se trouvent le nom de l'utilisateur ainsi que sa photo de profil cliquable pour accéder aux dernières stories de ce dernier s'il en a posté, ainsi que d'autres renseignements comme le nombre de publications, d'abonnés (personnes qui suivent le compte) et d'abonnements (les personnes que le compte suit). En dessous un espace est réservé à une courte description que chacun peut personnaliser, il est possible d'y ajouter des liens cliquables.

Figure 10 Capture d'écran du compte de la Figure 10 Capture d'écran du compte de la

Youtubeuse et influenceuse Lena Mahfouf Youtubeuse et influenceuse Lena Mahfouf

alias Lena Situations sur mobile alias Lena Situations sur mobile

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Chaque utilisateur a la possibilité d'ouvrir son compte à tout public ou de le mettre en privé. Dans le premier cas, ses publications seront visibles par tous et n'importe qui pourra s'y abonner. Dans le deuxième cas elles ne seront visibles que par les abonnés dont l'abonnement devra être accepté.

Les personnalités et entités connues ainsi que les organisations peuvent demander une certification. Un badge bleu apparaît alors à côté du nom de l'utilisateur, témoigne de l'authenticité du compte et permet d'éviter l'usurpation d'identité. Il faut respecter un certain nombre de conditions pour être certifié : avoir une biographie sur son compte et publier un contenu régulier qui respecte les conditions d'utilisation. Toute demande est étudiée et des certifications peuvent être refusées, il faut qu'il y ait un intérêt, tout le monde ne peut pas l'obtenir.

Enfin, sur la page personnelle se trouve le bouton call to action35 « s'abonner », qui se transforme en « contacter » une fois que l'abonnement a été réalisé.

35 Les « call to action » sont des boutons qui appellent l'usager à cliquer dessus et ainsi à passer à l'action (acheter, s'abonner...)

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Quand les membres souhaitent poster, la démarche est simple. Il suffit de cliquer sur le carré « + » en bas et au centre de l'interface. A ses débuts l'application n'acceptait que les formats carrés pour un affichage en 640x640 pixels. Caractéristique alors gênante pour les utilisateurs qui étaient souvent amenés à devoir rogner leurs photos. En 2015, Instagram élargit la possibilité aux photos portrait et paysage. Les membres sont invités à choisir la ou les photos (ou vidéos) qu'ils veulent publier. Si à l'origine quinze filtres étaient disponibles, une quarantaine de filtres aux appellations différentes est proposée aujourd'hui afin de sublimer ses photos.

Figure 11 Les premiers filtres proposés par Instagram, appliqués à la même photo Source : agence de communication digitale Kinday

En plus de cette sélection, de nombreuses applications mobiles comme « Facetune » « Lomographe » et « Caméra HD » proposent des certaines de filtres, la sélection est alors infinie. Les filtres vont d'une simple coloration de l'image selon un réglage de paramètres définis, jusqu'à la modification du visage et des effets particuliers. Les utilisateurs peuvent également modifier eux même la luminosité, le contraste, la chaleur, la saturation, la couleur, les ombres, la netteté, l'ajout d'un cadre, et d'autres paramètres de base.

Les filtres ont été à l'origine de la particularité d'Instagram. Certains influenceurs partagent leurs astuces pour des filtres réussis tandis que des milliers de conseils regorgent sur le net à ce sujet. Canva a même étudié un million de post afin de déterminer les filtres les plus populaires.

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Puis les utilisateurs sont invités à ajouter une légende à leur publication. Il s'agit d'un court texte de maximum 2200 caractères pour accompagner le(s) photographie(s) qui vont être mises en ligne. Les usagers sont totalement libres d'y écrire ce qu'ils veulent et d'y « taguer »36 d'autres utilisateurs.

A cette étape, il est également proposé d'identifier des personnes (qui recevront une notification et dont la photo rejoindra leur profil dans la catégorie « identification »). Il est possible d'ajouter la localisation de l'endroit où la photo a été réalisée de manière automatique si la géolocalisation du téléphone est active, ou manuelle. Les utilisateurs ont le choix de remplir eux-mêmes cette information en renseignant n'importe quel endroit. Une option permet également de publier le contenu sur Facebook, Twitter ou Tumblr. Enfin, l'ajout de hashtags est une pratique courante qui a été popularisée par le Twitter. Grâce à leur utilisation, les membres peuvent cibler leurs recherches en fonction d'un thème en particulier et avoir accès au contenu qui y est associé. Il est courant que les hashtags et les légendes soient en anglais afin de toucher un plus grand panel d'utilisateurs, Instagram étant une application à échelle mondiale. Metri-cool a publié la liste des dix hashtags les plus populaires en 2019 sur le réseau social. Les voici « love », « instagood », « photooftheday », « fashion », « beautiful », « happy », « like4like », « picoftheday», «art» et «photography».

Des hashtags qui tournent autour de l'amour, de la prise de photo au quotidien, de la mode, de la beauté, de la volonté d'obtenir de nouveaux abonnés et un appel aux likes (à aimer une publication).

Depuis 2013, l'application propose le partage de vidéos limitées à 15 secondes. En 2015, elle crée l'application indépendante « Boomerang » qui permet de faire des boucles de vidéos qui reviennent à leur début infiniment. Les créations réalisées sont directement importables depuis Instagram pour les partager depuis son compte personnel. En 2016, Instagram constate une hausse de la consommation de contenus audiovisuels sur l'application, annonce vouloir davantage développer ce partage en allongeant leur durée maximum à 60 secondes. Quelques années après en 2018, le réseau social va plus loin en créant les « IGTV » nouvelle application entièrement dédiée à la vidéo mobile en format vertical et avec une interface conçue spécialement.

36 Taguer consiste à identifier un autre utilisateur sous une publication. Ce dernier recevra alors une notification et aura alors la possibilité de garder l'identification ou non.

Instagram complète « D'ici 2021, la vidéo mobile représentera 78 % du trafic de données mobiles total. Nous avons vu que les audiences plus jeunes passent plus de temps avec les créateurs de contenu amateurs, et moins de temps avec les professionnels »37. Application à part entière, la fonctionnalité IGTV est également directement présente sur le réseau social.

Pour concurrencer Tik Tok qui est de plus en plus populaire38 notamment auprès du jeune public, Instagram crée un nouveau format de vidéos d'une durée de 15 secondes (équivalent au format des vidéos présentes sur le réseau social concurrent). La fonctionnalité « Reels » est mise en place le 24 juin 2020 sur le marché français. Elle inclut du contenu visuel, audio et propose des outils créatifs ainsi que des effets de réalité augmentée (des effets similaires à ce que propose TikTok) et a pour objectif de « révéler une nouvelle génération de talents ». Sur le même principe que les IGTV, les vidéos Reels sont ajoutées sur l'espace personnel de chaque utilisateur.

Ce n'est pas la première fois qu'Instagram crée une nouvelle fonctionnalité en s'inspi-rant d'un concurrent. En 2016, le réseau social met en place les « stories », concept phare dont Snapchat est à l'origine. Les utilisateurs peuvent mettre en avant des vidéos et photos pour un contenu éphémère (24 heures), sous la forme d'un diaporama qui apparaît en haut du fil d'actualité et également en haut du profil personnel de l'usa-ger (s'il souhaite conserver sa story pour la mettre à la une). En ouvrant cette nouvelle fonctionnalité, Instagram a écrasé Snapchat et renforce sa supériorité. Kévin Systrom s'est exprimé « Tout le mérite revient à Snapchat (...) La question n'est pas qui a inventé quoi. La question, c'est le format et la façon dont nous l'amenons à notre réseau en y injectant notre esprit. »

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37 « Présentation d'IGVT - L'avenir de la vidéo » ( business.instagram.com)

38 En 2020 TikTok enregistre 800 millions d'utilisateurs par mois ( blogdumodérateur.com)

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Figure 12 Quelques nombres à propos de la consommation quotidienne de stories
sur les différents réseaux sociaux. Source :
techcrunch.com

Typologie des utilisateurs

Sur Instagram, chaque utilisateur peut produire du contenu et en consommer. Mais qui sont ces récepteurs et consommateurs tant particuliers ?

La société Wibbitz39 a réalisé en 2019 une étude relative aux tendances d'utilisation d'Instagram et les comportements de son audience. 1000 personnes ont été interrogées aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. Cette étude sur un panel restreint a mis en avant certaines préférences d'utilisation d'Instagram : 95% de la génération Z40 et 86% de la génération Y41 alias les Millenials utiliseraient Instagram.

Une autre étude menée en 2014 et publiée en 2015 par le Pew Research Center sur un échantillon de 2000 internautes américains, révèle que 29% des femmes interrogées utilisent Instagram contre 22% des hommes interrogés. En matière d'âge, 53% des 18-25 ans questionnés sont présents sur le réseau social pour 25% des 30-49 ans, 11% des 50-64 ans et 6% pour les plus de 65 ans.

Qu'en est-il des moins de 18 ans ? En 2015 Piper Jaffray42 mène une étude auprès de 9 400 américains âgés de 13 à 19 ans, l'objectif étant de connaître leur réseau social

39 Entreprise qui propose des solutions de création de vidéo en ligne

40 La génération Z désigne les personnes nées à la fin des années 90 et à partir de l'an 2000 alors que le numérique était déjà bien développé.

41 La génération Y désigne les personnes nées entre le début des années 80 et la fin des années 90.

42 Banque d'investissement américaine basée à Minneapolis qui exerce aussi une activité de gestion d'actifs au service des PME.

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préféré. Instagram obtient 33% des votes, Twitter 20%, Snapchat 19% et Facebook 15%.

Instagram a ainsi particulièrement du succès auprès des jeunes qui ont investi massivement l'espace proposé par les réseaux sociaux dès leur création. Nous rappelons que la limite d'âge est de 13 ans conformément à la « Children's Online Privacy Protection Act ». Cependant, l'âge d'une personne qui s'inscrit n'est pas vérifié et nombreux sont ceux qui mentent en se donnant quelques années de plus. Toutefois une option (peu utilisée) permet aux autres utilisateurs de signaler la présence des membres d'Instagram qui n'ont pas l'âge requis.

Le concept de « digital natives » (natifs du numérique ou encore enfants du numérique) a été cité pour la première fois par le chercheur Marc Prensky dans son article « Digital natives, Digital immigrants ». Il entend par cette appellation désigner toutes les personnes nées après les années 80 à l'ère du numérique et qui ont intégré son langage. Il se distingue en opposition aux « Digital immigrants » qui eux sont issus des générations antérieures et ont dû s'adapter au numérique. Les termes sont nombreux, la génération Y en particulier est qualifiée de génération C pour « connectée ». En réalité c'est davantage un état d'esprit relatif aux technologies du numérique qui qualifie cette génération plutôt qu'une date de naissance.

La génération C peut se définir par quatre C43 : le C de connexion car cette dernière est quasi permanente, le C de créativité pour la création de contenu issu de leur quotidien, le C de communauté pour le besoin de s'intégrer et de se sentir faire part d'un même groupe, et le C de curation44 pour leur sélection et mise en valeur de certains contenus.

43 « Instagram ou la dictature consentie. Genre, sexualisation et marketing sur le réseau de l'image carrée », mémoire de recherche de Sarah Marchand, 2016

44 La curation désigne la pratique qui consiste à effectuer une veille sur un sujet ou domaine d'activité, à sélectionner l'information et la partager à une audience. Aujourd'hui nombreux sont les utilisateurs qui font de la curation de contenu sans même le savoir. Avec les réseaux sociaux tout le monde peut prendre la parole sur un sujet particulier.

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Concernant les pratiques des utilisateurs, l'étude « Etude Instagram : de l'utilisateur à l'influenceur »45, publiée en mars 2014 par Kindai, agence de communication digitale est menée sur un échantillon de 689 utilisateurs français d'Instagram de plus de 16 ans. Elle dresse un portrait de l'utilisateur moyen. En 2014, ce dernier suit en moyenne 134 autres comptes. Il suit des marques liées au tourisme et au voyage ainsi que dans une moindre dimension des marques de mode et vêtements. 76% des utilisateurs français se connecteraient au moins une fois par jour, mais 56% se connecteraient moins de 3 fois par jour. 85% des utilisateurs français publient un minimum de deux photos par semaine, pour 66% qui publient moins de 5 photos par semaine.

Deux typologies d'utilisateurs se distinguent : les personnalités publiques (ou « people ») et les influenceurs. Instagram a connu un succès fulgurant grâce à la présence d'un bon nombre de personnalités (acteurs, chanteur, sportifs etc.) Ce fut le cas de Justin Bieber qui dès la création du réseau social, s'y est inscrit attirant avec lui des milliers de fans. Instagram permet à ces derniers de se sentir proches des célébrités qu'ils admirent, et de suivre leur quotidien.

En 2020 les comptes Instagram les plus suivis sont le sportif Cristiano Ronaldo (235 millions d'abonnés), la chanteuse Ariana Grande (197 millions), l'acteur The rock alias Dwayne Johnson, Kylie Jenner personnalité de la télé réalité américaine et influen-ceuse (189 millions), la chanteuse, actrice et productrice Selena Gomez (187 millions), Kim Kardashian (184 millions), Leo Messi (162 millions), Beyoncé (152 millions) et Neymar (140 millions).

Les personnalités postent des photos de leur quotidien, d'elles même, souvent en rapport avec leur domaine d'activité, et laissent parfois entrevoir ses coulisses. Certains « people » peuvent aussi être des influenceurs et diffuser leur opinion auprès de leur communauté et parfois même influencer leur acte d'achat. Nous tenons à faire la distinction entre les deux termes car un bon nombre d'influenceurs deviennent célèbres grâce aux médias sociaux, tandis que la majorité des célébrités sont connues pour une activité qui est extérieure à Instagram. La frontière entre les deux est néanmoins poreuse car de nombreux Youtubeurs connus à l'origine pour leurs vidéos sont

45 Nous n'avons pas trouvé d'études plus récentes dressant les caractéristiques de l'utilisateur moyen. Seules des études tournées vers les marques à des fins stratégiques indiquent quelques comportements des utilisateurs. Il est fort probable que le comportement de l'utilisateur moyen est évolué depuis 2014. https://fr.slideshare.net/AgenceKindai/tude-instagram-de-lutilisateur-linfluenceur

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considérés et se considèrent aussi comme des influenceurs. Certains revendiquent l'appellation « créateur de contenu ». Dans le cadre de leur production audiovisuelle, ils développent des partenariats et des placements de produits avec certaines marques, business qui s'est étendu à Instagram. Squeezie (6,4 millions d'abonnés), Enjoyphoenix (5 millions), Norman Thavaud (6,2 millions) et Natoo (3,8 millions) en sont des parfaits exemples.

Les influenceurs deviennent prescripteurs d'un ou plusieurs domaines d'activité, c'est-à-dire qu'ils ont acquis de la notoriété ainsi qu'une certaine légitimité à recommander à leurs abonnés l'achat d'un produit ou d'un service, et à partager d'une opinion.

Ces influenceurs peuvent apporter de la visibilité à une organisation, un produit ou un service, renforcer une image de marque, faire vendre. C'est une grande responsabilité car ils sont suivis par des milliers ou des millions de personnes. De plus en plus d'in-fluenceurs se servent de leur notoriété pour faire passer des messages, mettre en avant une cause ou une association sans contrepartie, ou encore sensibiliser leur communauté autour de thématique comme l'écologie ou le féminisme.

Analyse sémio-pragmatique

Comme développé dans la partie méthodes et approches, la base de l'analyse sémio-pragmatique d'une production spécifique dans un contexte unique consiste à émettre l'hypothèse qu'un acte de communication ne se fait pas dans un seul espace commu-nicationnel mais bien dans deux espaces distants.

Sur Instagram, les émetteurs sont les utilisateurs qui publient du contenu. Les publications après avoir été postées vont être vues par les autres membres, qui deviennent alors des récepteurs (tout en pouvant être également émetteurs).

L'espace de l'émetteur

Les personnes derrière les comptes dénonciateurs sont à l'origine de la création de ces derniers et de leurs publications. Elles prennent part à une libération de la parole, dans un nouveau contexte lié au phénomène qu'est aujourd'hui Instagram (et le fait de se montrer soi et sa propre vie, de s'exposer et de se mettre en avant). Il peut s'agir de personnes seules qui prennent l'initiative de créer un compte ou de publier à ce sujet, ou d'un groupe de personnes, partageant une même vision et un objectif

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commun. Ces individus ont décidé de prendre la parole soit par constatation, ou parce qu'ils ont eux même vécu, ressenti et subit ce phénomène.

L'espace du récepteur

Les récepteurs sont les utilisateurs qui vont voir ces comptes et leurs publications. Ils peuvent tomber dessus par hasard sur le réseau social ou à la suite d'une recherche volontaire. Ils peuvent ensuite décider de s'abonner s'ils sont intéressés. Ils doivent être présents sur Instagram pour voir le contenu des émetteurs sauf dans les cas où les publications sont reprises et relayées par d'autres médias.

Sur le réseau social, les récepteurs ne sont pas obligés de s'abonner, cependant ils peuvent tomber dessus par hasard dans l'espace découverte d'Instagram (où l'on voit des publications suggérées en fonction de nos amis, de ce que l'on aime etc.) Le contenu vient au récepteur, mais libre à lui d'y accorder de l'importance ou non.

De manière plus générale, les récepteurs sont les utilisateurs qui reçoivent un contenu en fonction de leurs abonnements et de leur centre d'intérêt (ou bien parce qu'ils « tombent dessus »)

Il est intéressant de notifier qu'en fonction de ces paramètre la posture n'est pas la même. Il y a une grande différence entre aller chercher l'espace de communication déjà créé ou qu'il vienne à nous. En suivant un compte Instagram, les utilisateurs sont amenés à prendre connaissance d'un « avant » et sont maintenant dans l'attente de l'après.

Emetteurs et récepteurs partagent le même support de communication mais n'ont pas les mêmes intentions. D'un côté, l'émetteur veut faire passer un message conscient ou non derrière ses publications (dans le cas des comptes dénonciateurs oui), d'autre part le récepteur est mis face à un contenu qu'il a choisi (dans le cas des abonnements) ou non (dans l'espace découverte). La frontière entre les deux est mince, d'autant plus qu'un utilisateur peut-être à la fois émetteur et récepteur. Sur ce réseau les publications des uns sont le contenu des autres et vice-versa.

Il s'agit généralement d'une communication différée, émetteur et récepteur ne sont pas toujours en coprésence.

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- Le récit

Derrière chaque publication, il y a une histoire, celle de l'utilisateur. Ce dernier peut décider de partager des « bouts » de vie et ainsi réaliser une narration de son quotidien. Dans le cadre de notre sujet, les comptes dénonciateurs veulent faire passer un message à l'aide de publications, de photographies ou d'illustrations et d'une légende.

- La perception visuelle et interprétation

La perception visuelle est propre à chacun. Les récepteurs peuvent interpréter différemment le contenu auxquels ils font face selon leur à priori, leur niveau de connaissances etc. De même, sur Instagram les émetteurs d'un message peuvent « embellir » ce qu'ils partagent (en montrant une « autre » réalité, en l'exagérant, la mettant en avant). Pour illustrer ce propos prenons l'exemple d'une personne qui partage une vidéo d'une soirée à laquelle elle s'est ennuyée, et était avec des personnes qu'elle n'appréciait pas. Pour autant, les individus qui vont la voir peuvent penser qu'elle a passé un super moment, et ressentir alors différentes émotions comme de la joie pour la personne, ou même de la tristesse ou de la jalousie (si le récepteur se sent mal à ce moment-là et que lui n'est pas sorti par exemple.) Ils se créent une représentation à partir du contenu transmis et du message sous-entendu.

- Quels moyens d'expression ?

Si le langage permet de se faire comprendre, la langue n'est pas la même pour tous. Sur Instagram, tout le monde ne peut pas se comprendre et se faire comprendre.

La langue universelle utilisée sur ce réseau social est l'anglais, mais encore faut-il le maîtriser (néanmoins une traduction automatique est proposée). Il y a ainsi généralement des comptes dénonciateurs dans chaque pays conformément à la nationalité de leur créateur, et d'autres qui préfèrent utiliser l'anglais pour s'exprimer afin d'avoir une portée internationale.

En plus de la langue, la culture est à prendre en compte. Les membres peuvent ne pas comprendre ou saisir l'enjeu d'une publication d'un individu s'ils ne sont pas de la même culture.

Parfois si une photographie est présente sans texte, l'interprétation peut être faussée. Les utilisateurs peuvent également décrire une autre « réalité », nous développerons largement ce phénomène dans les chapitres qui vont suivre.

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Les actants (émetteurs et récepteurs) mobilisent différents processus de communication appelés « compétences communicationnelles ».

Les contraintes liées à ce réseau social semblent être les suivantes :

- Contrainte discursive : les utilisateurs transmettent des messages en se basant sur leur expérience vécue. Les comptes dénonciateurs appellent à la réflexion et invitent à se rendre compte des dérives et dangers d'Instagram. En partageant leur point de vue, ils ont la volonté de « faire ouvrir les yeux ».

- Sémiolinguistique : la maîtrise des langages et du réseau social est nécessaire.

- Socioculturelle : les interactions varient selon les intentions, les cultures des utilisateurs et leur dimension personnelle, mais aussi du contexte dans lequel elles s'inscrivent.

- Référentielle : nécessité de maîtriser Instagram et de suivre ses évolutions (mises à jour). Chaque utilisateur dispose de sa propre expérience de vie, et d'une certaine expérience en tant que membre de ce réseau social.

Discours critique et manipulation des images

Le phénomène de manipulation des images n'a pas attendu Photoshop pour exister. En tout temps et notamment au XXème siècle, de nombreux dirigeants politiques manipulaient les images à des fins de propagande. Les dirigeants soviétiques effaçaient sur les photos, les responsables politiques discrètement éliminés par le régime, de manière à ce que ce soit comme s'ils n'avaient jamais existé.

Ce qui est différent aujourd'hui, c'est que la manipulation des images est rendue accessible à tous depuis les réseaux sociaux qui sont devenus le terrain de diffusion des fake news, de désinformations, et de théories du complot. Cette manipulation passe par la retouche et la modification des images mais aussi par l'utilisation d'images en dehors de leur contexte.

Sur Instagram la manipulation des images peut encore avoir un autre sens. Pour n'im-porte quelle photographie postée, se cachent un point de vue, un cadrage, un contexte ainsi qu'une intention de l'auteur. Grâce aux images, les utilisateurs peuvent s'inventer une « fake life », mais aussi des fausses émotions.

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L'influenceuse Natalia Taylor a par exemple fait croire à ses abonnés qu'elle était en voyage à Bali alors qu'elle faisait ses courses chez Ikea. La jeune femme a posté des photos d'elle mise en scène dans le magasin afin de provoquer l'illusion. Elle prend la pose dans une baignoire et devant un miroir avec un décor en bois brut et des palmiers. La localisation des publications indique alors « Bali Indonesia », et ses légendes sont les suivantes : « La reine est arrivée #bali », « Où devrais-je voyager la prochaine fois ? Commente ci-dessous et j'irai peut-être ».

Le couple image/texte et localisation fonctionne à tel point que les abonnés de l'in-fluenceuse sont trompés et croient à la supercherie. La jeune femme avait tout de même laissé certains indices sur les photos comme les feuilles de caractéristiques des meubles.

Figure 13 Captures d'écran de deux publications Instagram de Natalia Taylor

Dans une vidéo46, Natalia Taylor explique la supercherie. Elle souhaitait montrer à ses abonnés qu'il ne faut pas se fier à tout ce qu'ils peuvent voir sur le réseau social, et qu'il faut être vigilant.

46 « I FAKED a vacation at IKEA», Natalia Taylor, février 2020 https://www.youtube.com/watch?v=sz42PrqWq-g

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Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les dangers et limites d'Instagram

L'appropriation de la plateforme par les utilisateurs : une activité détournée de celle originairement pensée par le créateur.

La création d'un étudiant passionné et la sortie du schéma traditionnel de la photographie

Comme nous l'avons vu précédemment, Instagram a été pensé par un passionné de photographie qui a mis en ligne une plateforme permettant à tout un chacun de partager des photos prises sur son téléphone de manière instantanée au reste du monde. Avec ce concept phare, le réseau social a largement contribué à la sortie du schéma traditionnel de la photographie vers une pratique de la photographie numérique. Ce phénomène aussi nommé « phonéographie », consiste à prendre des photos avec son téléphone portable.

Les appareils photos des téléphones mobiles sont sans cesse améliorés, de plus en plus puissants et deviennent de véritables arguments de vente, au détriment des appareils photo traditionnels dont la vente est en baisse depuis 2009.

Dans une interview menée par l'investisseur Josh Constine47, Kevin Systrom explique « Nous n'avons jamais planifié de changer la photographie. Pour nous l'idée était que poster une photo était simplement le meilleur moyen de transmettre un message. » Le fondateur d'Instagram confie également que les filtres n'étaient pas prévus dans la première version d'Instagram. L'objectif avant tout était de pouvoir partager des photographies en quelques secondes en toute simplicité et facilité d'utilisation.

Nous insistons sur le fait que la particularité du réseau social était originairement de permettre un partage de photos instantané (et de vidéos par la suite). N'importe qui, professionnels et amateurs, peuvent poster leurs photos et leurs vidéos en ligne, dans grand le nuage informatique.

47 «Kevin Systrom & Mile Krieger on Creating Instagram | SXSW», Josh Constine pour SXSW, 2019 https://www.youtube.com/watch?v=ZkOEajMcICo

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Pour Vincent Lavoie, professeur et historien à l'Université du Québec « L'usager devient maître de toute la chaîne, de la prise de photo à sa diffusion, en passant par son édition. »48 L'historien complète « On a toujours capturé des photographies en partie pour le lien social qu'elles génèrent. La carte postale, l'album de famille qui produit le récit d'intégration des générations. Mais la fonction première de la photo est devenue l'établissement d'un contact. On envoie un cliché dans l'attente d'une réactivité des destinataires. La volonté de créer une mémoire devient donc moins importante. On le voit bien avec l'application Snapchat quand les images disparaissent quinze secondes après leur ouverture. La fonction esthétique de la photo est parfois évacuée aussi. L'indifférence esthétique est valorisée comme un crédit d'authenticité »

Un succès rapide et une appropriation des codes de l'application par les utilisateurs

Si à l'origine le concept d'Instagram était le partage de photo en ligne de manière instantanée, les usages de l'application ont changé. Les publications sont davantage réfléchies, calculées et travaillées avec des applications de retouche.

La plateforme est également devenue un véritable business, ainsi qu'un atout dans le monde de la communication et de la publicité. Ces dernières années la qualité des publications sur le réseau social a augmenté car les marques, maisons de production, photographes et studios de design se sont appropriés les codes de l'application. Les entreprises y sont ainsi très présentes et une partie du fil Instagram est sponsorisé. Peut-on encore parler de spontanéité et de rapidité de publication quand les utilisateurs font attention aux moindres détails, à l'uniformité de leur page personnelle ?

Il ne s'agit plus de prendre une photo avec son téléphone et de la publier dans la foulée. De nouveaux codes ont fait leur apparition. Il y a toute une démarche de réflexion du contenu, de mise en scène de l'objet photographié et/ou de soi, parfois à l'aide d'outils (boites à lumières et anneaux lumineux) puis tout un procédé de retouche. « Ce n'est plus la photo qui reflète la vie du photographe, mais la vie du

48 « Comment le téléphone mobile a détrôné l'appareil photo en vingt ans », Nicolas Six pour lemonde.fr, 2020 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/07/09/comment-le-telephone-mobile-a-detrone-l-appa-reil-photo-en-vingt-ans 6045653 4408996.html

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photographe qui s'adapte et se soumet aux contraintes photographiques. » (Marchand, 2016, p 59)

De même, de nombreux utilisateurs notamment les influenceurs utilisent des appareils photo professionnels pour effectuer des shooting photos qu'ils postent ensuite sur le réseau social, outrepassant la pratique de la phonéographie.

Dans son travail de recherche, Sarah Marchand prend également l'exemple de l'in-fluenceuse Coralie à l'origine du blog « Ellesenparlent.com ». La jeune femme investit beaucoup pour que sa page Instagram soit harmonieuse. Elle a ainsi acheté plusieurs planches de bois qu'elle a peint en différentes couleurs pour servir de fond à ses photos. Côté retouche, elle n'utilise pas moins de cinq applications différentes. L'insta-grammeuse Claudiasulewski va quant à elle jusqu'à acheter des vêtements qui correspondent aux couleurs de son feed Instagram. D'autres avouent sélectionner leurs meubles et décoration en fonction du contenu qu'elles prévoient de publier.

Certains utilisateurs s'imposent donc une ligne éditoriale ainsi qu'une charte graphique à respecter. Les usagers du média social créent eux-mêmes les occasions de prendre des photos, imaginent du contenu à l'avance et adaptent leur emploi du temps en fonction. Dans une interview réalisée par France Info, le chercheur Dominique Cardon échange avec la journaliste Clara Beaudoux à ce sujet et cette nouvelle narration de vie sur les réseaux sociaux « Ce qui est nouveau, c'est que ça veut dire que dans nos vies, et surtout dans l'univers juvénile, on vit l'évènement tout en pensant au récit de l'évènement qu'on va en faire. Il y a une sorte de petit dédoublement des individus, ça rend les individus un peu plus calculateurs, rationnels ou réflexifs dans leur manière de vivre les choses. »49

Les utilisateurs cherchent ainsi à avoir un profil valorisant, un contenu attractif et harmonieux. Ils développent un style artistique basé sur un savoir-faire nouveau s'acqué-rant par soi-même ou en suivant les conseils des autres. Certaines poses deviennent populaires au détriment de la spontanéité. Les membres d'Instagram se basent sur les photos publiées par les « digital influencers » et autres utilisateurs. Les contenus s'uni-formisent en fonction de ce qui fonctionne ou non sur le média social.

49 https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/reseaux-sociaux-plus-belle-la-vie-parta-gee 1653041.html

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Instagram et les réseaux sociaux, reflets des problématiques contemporaines

Dans une interview menée par The New York Times en novembre 2019, le journaliste Andrew Ross Sorkin échange avec le créateur d'Instagram et lui cite une étude réalisée en 2017 par la Royal Society for Public Health au Royaume-Uni. Cette dernière indique que ce réseau social entraîne de l'anxiété et cause d'autres effets sur la santé mentale des utilisateurs (notamment de la tranche d'âge 12-24 ans). Au travers de ses propos de réponse, Kevin Systrom est conscient des dérives que peut avoir un média social d'une telle ampleur. Néanmoins, il explique que les réseaux sociaux sont le reflet de la société, et que c'est aussi aux utilisateurs et notamment aux entreprises d'avoir un comportement positif sur ces réseaux dans l'objectif de rendre le monde meilleur. Il s'agirait d'une responsabilité qui incombe à chacun. Pour le fondateur d'Instagram, ce réseau social est donc en tant que reflet de l'évolution de la société, le reflet des problématiques contemporaines.

Un terrain publicitaire et ses dérives

« Quant aux masses consommatrices, elles doivent demeurer naturellement dans
l'ignorance grâce à la connexion permanente
» (Flichy de la Neuville, 2020, p.15)

Si originairement Instagram a été pensé pour que ses utilisateurs puissent partager des photographies sans aucun but lucratif, cette époque est révolue.

Selon Flichy de la Neuville dans son ouvrage « Les esclaves psychiques d'internet », les nouvelles technologies et les réseaux sociaux qui en font partie ont pour objectif d'entraîner l'achat de biens de consommation. Le professeur et chercheur compare ainsi les utilisateurs à des victimes de « la fièvre acheteuse », qui deviendraient des « oniomanes »50. Ce trouble causé par un besoin de reconnaissance sociale se caractériserait par un achat compulsif suscitant l'euphorie, puis un sentiment de culpabilité quand cette dernière retombe. Le chercheur évoque également le terme « captologie »

50 L'oniomanie est un trouble entraînant des achats compulsifs. Le psychiatre allemand Emil Kraeplin a étudié cette pathologie à la fin du XIXème siècle.

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pour désigner la manière dont les utilisateurs seraient manipulés par les nouvelles technologies qui modifieraient leurs comportements.

Le scientifique et écrivain Jaron Lanier ayant travaillé à la Silicon Valley rejoint cette théorie. Selon l'auteur de « Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now », les utilisateurs d'Instagram au même titre que ceux des autres réseaux sociaux, sont traqués en permanence par des algorithmes51. Ces derniers seraient « adaptatifs », c'est-à-dire qu'ils évolueraient en fonction de notre comportement sur les médias sociaux. « Supposons qu'un algorithme nous montre une publicité pour une paire de bas ou de chaussettes environ cinq secondes après que nous ayons visionné une vidéo de chats qui nous rend de bonne humeur. Un algorithme adaptatif effectuera de temps en temps un test automatique pour voir ce qu'il se passe si l'intervalle passe, par exemple à quatre secondes et demi. Cela augmente t'-il la probabilité d'achat ? Si tel est le cas, l'ajustement de l'intervalle sera appliqué non seulement à notre futur fil d'actualité mais également à celui de milliers d'autres utilisateurs dont le comportement semble corrélé au nôtre, sur la base de données allant des couleurs préférées aux habitudes de conduite » (Lanier, 2020, p.21)

De ce fait, « L'algorithme essaye de déterminer les paramètres parfaits pour manipuler le cerveau, tandis que le cerveau toujours en quête d'un sens plus profond, change en réaction aux expériences de l'algorithme » (Lanier, 2020, p23)

Les algorithmes enregistrent toutes les données qui nous concernent, jusqu'à notre vitesse de lecture et expressions faciales selon Lanier.

Mais peut-on blâmer Instagram alors que l'utilisation de la plateforme est totalement gratuite et permet à tout un chacun de s'exprimer librement ? Lanier s'interroge sur cette problématique. Au XXème siècle les informaticiens et « hackers »52 revendiquent le partage gratuit des avancées technologiques et l'open source, or cette catégorie de personnes a pour objectif aujourd'hui de faire du bénéfice grâce aux réseaux sociaux. Ce débat est résolu par la mise en place de la publicité comme modèle économique. Cette dernière permet la gratuité des moteurs de recherche ainsi que des médias sociaux et parait être la seule solution. Pour autant, Lanier défend l'idée qu'il serait

51 « Un algorithme est composé d'instructions et d'opérations réalisées, dans un ordre précis, sur des données afin de produire un résultat, et souvent résoudre un problème plus ou moins complexe » ( journaldunet.fr)

52 « Communauté, culture partagée, de programmeurs expérimentés et de spécialistes des réseaux, dont l'histoire remonte aux premiers mini-ordinateurs multi-utilisateurs, il y a quelques dizaines d'années, et aux premières expériences d'Internet » (Wikipédia).

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judicieux de monétiser les réseaux sociaux par le biais d'un abonnement mensuel qui inclurait la possibilité de recevoir soi-même de l'argent en fonction de la portée de nos publications. Le chercheur voit cette rétribution comme une solution afin de pallier la destruction d'emplois liée à la robotisation et à l'intelligence artificielle. Il développe également l'idée qu'il est injuste que les données des utilisateurs soient prélevées sans aucune contrepartie. « Nous sommes face à un secteur d'activité qui est composé des entreprises les plus riches de l'histoire, et qui repose entièrement sur des données qui sont produites par des gens à qui l'on rabâche qu'ils sont inutiles » (Lanier, 2020, p.118). L'auteur prend l'exemple des traductions effectuées gratuitement par des internautes volontaires (émissions, vidéos etc.) que les réseaux sociaux reprennent sans même qu'ils en soient conscients. En effet, tout ce qui est posté sur Instagram appartient à Instagram. Face à tous les traducteurs automatiques, les nouvelles technologies font ainsi croire aux traducteurs qu'ils ne sont pas utiles, alors que les données de ces derniers (traductions en ligne) sont récupérées au service d'une intelligence artificielle (les traducteurs automatiques). Lanier évoque le fait que ces individus sont dépossédés et qu'ils devraient être rémunérés, et ainsi que les utilisateurs devraient être payés pour la valeur que leurs données apportent. Il prend l'exemple de Netflix pour lequel il faut payer un abonnement : les réalisateurs, acteurs et toutes les personnes apparaissant sur les bandes annonces des films et séries sont rémunérés en partie grâce à l'argent versé par les utilisateurs de la plateforme.

L'autre aspect économique d'Instagram réside en la création d'un nouveau type de valeur économique : le marketing d'influence. Les influenceurs en tant que véritables leaders d'opinion capables d'influencer le comportement de leurs abonnés sont fortement sollicités par les marques. Ce nouveau métier est tantôt adulé tantôt critiqué. En effet, beaucoup d'utilisateurs jugent que ce n'est pas une profession, qu'ils sont en dehors de la réalité et qu'ils font la promotion d'une consommation abusive et non écologique. Ils ne seraient pas légitimes de toute la fortune qu'ils amassent. De l'exté-rieur, les influenceurs sont souvent vus comme chanceux et ayant une vie de rêve car ils effectuent de nombreux voyages, reçoivent de nombreux produits et services gratuitement et font de leurs réseaux sociaux leur gagne-pain. En échangeant autour de nous dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons souvent entendu des remarques concernant les influenceurs en ce sens.

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Ainsi, ces dernières années nous avons constaté une arrivée en masse des marques, des publications sponsorisées, des partenariats et placements de produit sur Insta-gram. Les marques choisissent les influenceurs en fonction de la taille de leur communauté et ses valeurs, l'image qu'ils reflètent mais aussi le taux d'engagement de cette même communauté53.

Certaines entreprises choisissent un influenceur en particulier qui sera leur égérie. C'est par exemple le cas de L'Oréal et l'influenceuse Horia aux 2 millions d'abonnés. Tandis que d'autres enseignes misent sur de nombreuses collaborations avec divers instagrammeurs. Ici, nous pensons par exemple à la marque de montres Daniel Wellington qui a contourné la publicité par les médias traditionnels pour se concentrer exclusivement sur les réseaux sociaux, avec une présence massive sur Instagram. Leur stratégie de communication consiste à avoir recours à « l'user Generated Content », c'est-à-dire à reposter des publications des utilisateurs et se servir du réseau social comme une base d'images afin de promouvoir leurs montres. L'autre aspect consiste à proposer aux influenceurs de recevoir une montre gratuitement avec parfois une rémunération, en échange du partage d'un retour positif ainsi que d'un code promotionnel à leur communauté. Daniel Wellington a ainsi ciblé des influenceurs du monde entier et a été mentionné plus de 500 000 fois54 sur Instagram via un hashtag dédié. Si cette stratégie a été fructueuse pour la marque, certains utilisateurs ont été lassés de son omniprésence sur le réseau social, ce qui a quelque peu entaché son image de marque. En plus de voir des dizaines d'influenceurs en faire la promotion, les utilisateurs sont amenés à apercevoir ces montres dans des publications sponsorisées qu'ils n'ont pas choisies. Cette communication de masse peut provoquer l'effet inverse : l'envie de boycotter la marque.

Les influenceurs sont également accusés de recommander des produits et services qu'en réalité ils n'apprécient pas. Comment à travers son écran se rendre compte du mensonge ? Quelle crédibilité ont-ils quand ils font la publicité tour à tour de marques concurrentes ? Certains ne mentionnaient pas le caractère publicitaire de leurs posts, mention rendue aujourd'hui obligatoire par l'article 20 de la loi pour la confiance en

53 Le taux d'engagement se calcule en divisant le nombre de likes et commentaires aux nombres de followers, et en multipliant le résultat par 100.

54 https://medium.com/@ThomasMongin/daniel-wellington-une-marque-qui-doit-son-succ%C3%A8s-aux-influenceurs-3441ea9b9efb

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l'économie numérique. D'autres problématiques restent en suspens dans le débat public, les influenceurs se font-ils de l'argent sur leur dos de leur communauté ?

Le chercheur Lanier a un positionnement négatif sur la question. L'auteur développe dans son ouvrage incitant à se désinscrire des réseaux sociaux, l'hypothèse d'une altération de la vérité. Il mentionne en particulier les faux commentaires et avis positifs laissés en dessous de certaines publications de marques. Ces derniers sont réalisés par des personnes artificielles qui effectuent de fausses recommandations. C'est aussi le cas de certaines vidéos dont les vues sont générées automatiquement et des publications partagées en masse par des bots55.

Ces faux profils seraient composés de multiples données récupérées auprès de différents utilisateurs qui n'en sont pas conscients.

Instagram est également confronté à une autre problématique, le drop shipping. Ce terme anglais désigne la pratique qui consiste à revendre des produits achetés à un fournisseur, à des prix généralement plus élevés. Si cette pratique est légale, elle est néanmoins encadrée. Il y de nombreux abus effectués par des influenceurs qui ont déçu leur communauté, comme Emma Cakecup et son petit ami Oltean Vlad. Le couple effectuait la promotion de produits vendus à des prix dérisoires sur le site e-commerce chinois Aliexpress, qu'ils revendaient jusqu'à plus de 70 fois leur prix, ou encore ont vendu de faux écouteurs de la marque Apple56 Instagram cherche à combattre les pratiques frauduleuses qui est un fléau pour l'application.

Pour autant selon Lanier, le média social en tire un bénéfice, les comptes artificiels, bots et influenceurs créent du contenu et de l'activité sur Instagram et influencent malgré tout le comportement des autres utilisateurs. Les utilisateurs bien que de moins en moins dupes sont toujours là pour consommer. Consommer du contenu, acheter, li-ker... Sommes-nous alors les pions d'un système auquel nous contribuons ?

55 « Un bot est un petit programme ou robot logiciel qui "parcourt" Internet pour collecter différents types d'informations ou réaliser automatiquement certaines tâches. Certains bots "illégitimes" appelés bad bots correspondent à des activités ou pratiques le plus souvent frauduleuses ou non éthiques » ( défi-nitions-marketing.com)

56 https://www.youtube.com/watch?v=V6VbkCvaPI0 (Qu'est-ce que le dropshipping, le business qui envahit le web ? 2019, LeHuffPost)

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La question de l'image du corps et la démarche d'esthétisation de la vie

Les acquis autour de la généralisation des réseaux sociaux comme outils de partage et d'exposition de soi sont majeurs dans l'accomplissement de notre recherche, afin d'une part de montrer la spécificité d'Instagram, et ce nouveau rapport à l'esthétisme,

et d'autre part, de réfléchir à la question de l'illusion et des dérives de ce réseau social. Nous nous inspirons ici largement de l'article : « Représentations du corps et réseaux

sociaux : réflexion sur l'expérience esthétique contemporaine » d'Elisabeth Eglem. La Maître de Conférences en Marketing et Stratégies à l'Université du Havre s'intéresse à la publication massive de photographies sur Instagram.

Comme expliqué dans la partie sur la manipulation des émotions sociales, derrière de nombreuses publications se cacherait une dimension d'acceptation et d'appartenance au groupe. Il s'agit d'être reconnu, de recevoir l'approbation d'autrui sur ce que nous sommes et ce que nous vivons au travers de réactions (commentaires et likes).

Si cette valorisation de soi, et la mise en avant de nous même sur Instagram relève parfois du narcissisme, elle peut aussi être la recherche d'une vie « meilleure » que

l'on met en scène sur les réseaux à travers une narration de nous-même et notre vie. Rappelons-le, l'Homme est un être social qui pour évoluer a besoin de l'interaction avec les autres membres de la société.

La chercheuse se base sur l'expérience ici entendue comme la recherche d'émotions, d'esthétisme et de performance (sportive, artistique etc.) qu'elle définit comme dépen-

dante de la présence d'un récepteur (les autres utilisateurs du réseau social), et d'un

objet (le contenu) « Travailler son apparence, être satisfait du résultat, prendre la photo et la publier, voir l'effet produit ; admirer le corps de quelqu'un, ressentir une certaine

émotion, publier un commentaire. Les réseaux sociaux amplifient la capacité à exposer l'individu et son corps, et les possibilités de le contempler, déclenchant ainsi admiration, désir, dégoût, identification, etc. Ces ressentis se manifestent par des réactions concrètes et visibles par celui qui s'expose : likes, commentaires, décision de « suivre » ou non le profil d'un individu. » (Eglem, 2017, paragr.17)

Le contact visuel d'une multitude et variété de corps déclencherait selon elle une émotion directement liée à la propre perception que chacun a de l'apparence.

Mais peut-on réellement assister à la publication d'une grande variété de corps sur Instagram ?

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Les images de corps publiées permettent de s'insérer dans un courant esthétique, de susciter des émotions entraînant l'identification et la reconnaissance d'autrui. Eglem met en avant des pratiques de travail concrètes et non concrètes quand il y a des retouches ou un maquillage virtuel. Il y aurait ainsi une évolution de la consommation relayée par Instagram, l'apparition de nouvelles tendances esthétiques et de valeurs vers lesquelles les individus tendent, cherchent à s'y retrouver, à se faire une place et ainsi faire partie du groupe.

Les médias et réseaux sociaux véhiculent dans la société, des normes, des modèles, et réalisent une standardisation du modèle idéal du corps. Un discours auquel les individus s'identifient est également standardisé. Il tourne généralement autour de la musculation et des attributs mis en avant dans une démarche de « séduction ».

Des conceptions du corps sont reliées à son esthétisme. Par exemple une conception d'un corps « naturel » est corrélée à l'esthétisme d'un corps fin et souple, d'une bonne alimentation et de la sérénité qui peut par exemple être trouvée par le footing ou le yoga, ou encore une alimentation bio et végane.

De nombreux utilisateurs sont au coeur d'une véritable quête d'un corps correspond aux normes sociétales. Le selfie57, venant de « self », a fait son apparition. L'individu cherche à maitriser son image et recherche la meilleure de toutes. Il y a une sortie du schéma traditionnel de la photographie et l'apparition de nouvelles techniques de modification de l'apparence. Les utilisateurs cherchent à avoir un profil valorisant, un contenu attractif et harmonieux et peuvent utiliser pour ce faire, un maquillage digital, des filtres et d'autres gadgets technologiques.

Les utilisateurs sont mis face à des photos de « vie parfaite » publiées par des autres membres recherchant consciemment ou non l'admiration. Il y a une nouvelle mise en avant de soi, une narration et théâtralisation par une démarche d'esthétisme. Les individus cherchent à sortir du quotidien qui peut être banal par un procédé de mise en avant et de sublimation. Les likes, commentaires, vues sont pour eux une validation d'autrui, une reconnaissance et leur procure ainsi le sentiment d'exister, le sentiment qu'eux-même et leur vie sont assez attractifs pour susciter l'intérêt. Le banal devient donc un naturel amélioré, un nouveau style de vie.

57 Pratique consistant à se prendre soi-même en photo.

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L'individu produit des émotions par ses publications (voulues ou non) comme la fascination, le désir, la jalousie, le dégoût, la frustration ou bien encore l'identification.

Il y a une véritable recherche de performance entraînant une vulnérabilité de l'utilisa-teur liée à sa dépendance de l'avis et le regard d'autrui.

Les publications sur Instagram banalisent la pratique photographique. Les individus par ce biais recherchent le contrôle d'eux-même, et notamment de leur image, il y a un désir d'expression de soi, et de se façonner afin de recevoir l'approbation des autres et de se sentir appartenir au groupe.

Mais qu'en est-il du moment présent ? Il ne semble plus nous appartenir. Ces jeux sociaux et mises en scène nous déconnectent de la réalité et de ce que nous vivons. Nous voulons nous montrer toujours sous notre meilleur jour et ce que nous postons est parfois bien loin de la réalité que nous vivons.

L'engagement ou l'addiction et la modification du comportement

« Depuis qu'il est accro à Twitter, Trump a changé. Il reproduit les schémas comportementaux (...) et il perd parfois les pédales. En dépit de tout ce qu'il peut commettre, Trump est aussi une victime » (Lanier, 2020, p.53)

« Si Twitter cessait ses activités demain, non seulement Trump ne pourrait évidem-
ment plus envoyer de tweets, mais il deviendrait aussi, j'en suis persuadé, quelqu'un
de plus courtois et de meilleur à toute heure du jour, du moins jusqu'à ce qu'il se
rabatte sur une autre plateforme
» (Lanier, 2020, p.66)

Trump, une victime ? C'est ce qu'écrit Lanier dans son ouvrage qui incite à se libérer des réseaux sociaux qu'il appelle « empires de modification du comportement ». Le scientifique et chercheur dénonce le terme « engagement » si souvent utilisé pour qualifier le comportement des individus sur Instagram, qui cache selon lui une dépendance. Serait-elle l'explication du fait qu'une majorité des enfants des informaticiens et développeurs de la Silicon Valley (berceau des nouvelles technologies), soient inscrits dans des écoles où les appareils électroniques sont formellement interdits ? Le premier président de Facebook, Sean Parker s'est confié dans une interview pour Axios, site web d'information américain. « On doit en quelque sorte vous donner une petite dose de dopamine de temps en temps, parce que quelqu'un a aimé ou commenté une photo, une publication ou que quoi que ce soit d'autre. (...) C'est une boucle

51

de rétroaction de validation sociale, exactement le genre de chose qu'un hackeur comme moi imaginerait, parce que ça exploite une vulnérabilité de la psychologie humaine. (...) Les inventeurs, les créateurs - c'est moi, c'est Mark Zuckerberg, c'est Kevin Systrom sur Instagram. (...) Dieu seul sait ce que ça fait aux cerveaux de nos enfants »58. Des aveux inquiétants de la part d'une personne qui a été au coeur de la direction du premier réseau social mondial.

Au travers de leurs travaux de recherche Lanier et Flichy de la Neuville abordent le mouvement scientifique du behaviorisme comme « dressage des temps moderne ». « Le behaviorisme, variante de la recherche comportementale, part du principe que tout être humain peut être dressé à l'aide d'impulsions positives, donc de récompenses, à se comporter de manière appropriée dans ses capacités pratiques » (Flichy de la Neuville, 2020, p.12) Ivan Pavlov est l'un des premiers chercheurs de ce courant, célèbre pour son expérience avec des chiens. Le scientifique a montré qu'à force d'une répétition quotidienne et d'un conditionnement, le chien salivait rien qu'au son de la cloche qui annonçait le repas. Il n'y avait plus besoin de nourriture pour le faire saliver, mais seulement avoir recours à un symbole pour que celui-ci soit excité.

En 1971, le psychologue Philipp Zimbardo s'est rendu célèbre en réalisant l'expérience de Stanford dont l'objectif majeur était de comprendre l'origine des conflits au sein des prisons. Le professeur et chercheur avait donné aléatoirement deux types de rôles à des élèves, celui des prisonniers et celui des gardiens, le tout dans un environnement adapté. Zimbardo jouait le rôle de superviseur et cherchait à augmenter la désorientation, dépersonnalisation et désindividualisation de ses élèves en adoptant des comportements particuliers. L'expérience dura près d'une semaine et fut marquée par des situations réellement violentes et psychologiquement dangereuses. Les étudiants étaient entrés dans leur rôle, un gardien s'est notamment comporté de manière extrêmement sadique, et deux prisonniers ont été traumatisés. Cette expérience est enrichissante du point de vue du conditionnement humain dans un court laps de temps. Dans cet exemple, la situation prédomine sur la personnalité de l'individu.

Aujourd'hui il est possible de comparer ces deux expériences à ce que beaucoup d'uti-lisateurs vivent vis-à-vis des médias sociaux. Ces derniers envoient des stimuli semblables aux friandises pour récompenser ses membres et les rendre toujours plus ac-cro. Un schéma de récompense se manifeste dans leurs cerveaux ainsi qu'un plaisir

58 https://www.axios.com/sean-parker-unloads-on-facebook-2508036343.html

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addictif qui donne toujours envie de retourner sur Instagram, d'avoir des likes, d'être reconnu, de voir la vie des autres. Les utilisateurs à l'image des chiens de Pavlov sont conditionnés à coup de renforcement positif et incités en permanence à aller sur Ins-tagram (on reçoit une notification car un ami a posté une photo, on reçoit une alerte car quelqu'un a posté dans sa story, on est averti si quelqu'un fait un live, on nous incite à aimer et partager, on nous dirige vers un certain type de contenu...) et sont ensuite récompensés par du plaisir qui n'en est pas moins addictif.

Nous, utilisateurs sommes-nous devenus alors des zombies dépourvus de libre-arbitre ? Instagram nous suggère des comptes à suivre, des publications à regarder selon nos centres d'intérêts interprétés par le réseau social en fonction de notre activité. Le média social décide pour nous et nos actions sur l'application ne dépendent pas que nous.

De ce fait, les utilisateurs ont accès à ce qu'Instagram veut bien leur montrer, phénomène amplement discuté dans l'espace public qui nous rappelle immédiatement le scandale lié à Cambridge Analytica59. Sur les réseaux sociaux en général les utilisateurs sont mis face à un contenu qui vient confronter leur opinion. Il s'agit là de la théorie des « bulles de filtre » développée par le militant internet américain Eli Pariser dans son ouvrage « The Filter Bubble : What The Internet Is Hinding From You » paru en 2011, qui rejoint la logique des « bulles communicationnelles » développées par le professeur de sociologie et chercheur Patrice Flichy, phénomène auquel Instagram n'échappe pas. Les algorithmes renvoient des informations qui nous confortent dans ce que l'on est, notre identité sociale. Certains de ses utilisateurs ont accès en continu à un même type de contenu, ce qui peut parfois entretenir des théories du complot et des avis tranchés. Ces bulles de filtrage représentent un danger pour la démocratie dans le sens où elles influencent les utilisateurs et modifient ou entretiennent leur comportement sur des questions et des enjeux politiques et sociétaux.

Pour lutter contre ce phénomène, des plateformes comme Gobo et VICE ont vu le jour. Gobo permet aux utilisateurs d'avoir un contrôle sur les paramètres de filtrage des algorithmes, tandis que VICE propose des contenus que les utilisateurs sont susceptibles de ne pas aimer, afin que les algorithmes soient déséquilibrés et que la bulle soit

59 Ce scandale fait référence aux données que cette entreprise a collecté sur des millions d'utilisateurs de Facebook afin d'influencer les intentions de vote de quelques politiques.

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cassée. Une autre solution consiste à s'abonner à des personnes avec qui nous avons des liens faibles (à l'inverse des liens forts) pour avoir un réseau plus étendu et permettre d'éviter cet enfermement.

Pourquoi les utilisateurs acceptent-ils tout ça ? Sont-ils avertis ? Lanier reprend la théorie des « effets de réseau » ou « effets de club » pour expliquer pourquoi les utilisateurs acceptent d'être présents sur Instagram malgré les limites du réseau social. Quand une application a du succès, il est difficile de la quitter si toutes nos relations y sont. Il n'est alors plus possible ou compliqué de transférer ses données et de partir sur une autre application avec toutes ses connaissances déjà présentes sur le premier réseau social. Ces effets conduisent à l'empire de monopoles mondiaux que représentent les géants Instagram, Facebook, Twitter.

Le chercheur développe également l'hypothèse que les utilisateurs « perdent de vue la réalité de leur activité » tant les luttes de pouvoir sur le réseau social floutent leur vision de la réalité. Il compare l'Homme à un loup qui seul pense par lui-même, crée, chasse, se cache et ressent davantage de joie. En meute, le loup est enfermé dans la et ses interactions avec les autres canidés deviennent primordiales et suscitent toute son attention. Par analogie, il en est de même pour l'Homme. Le groupe entraîne une focalisation de l'utilisateur envers ses pairs et l'ordre hiérarchique.

Thomas Flichy de La Neuville lui, développe la théorie de la « compliance without pressure » ou « soumission librement consentie ». Les utilisateurs ont l'impression d'être l'auteur de leurs décisions sur le réseau social et modifient leur comportement tout en ayant le sentiment d'en être responsable. Les individus acceptent en quelque sorte la domination et se soumettent au réseau social.

L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing Out»

« Comme lorsque, pendant un concert, on passe plus de temps à se filmer et à pos-
ter qu'à profiter du moment présent. Mettre en scène nos vies nous met à distance.
On finit par n'être plus que le sujet de nos représentations
» Elsa Godart60

60 https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619

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Dans son ouvrage « Les nouveaux Bovary », Lewi établit une comparaison pertinente de Madame Bovary aux utilisateurs d'Instagram et des réseaux sociaux en général. Les caractéristiques du bovarysme étant de se penser autre que l'on est, d'avoir un comportement de fuite dans le rêve, lié à l'insatisfaction éprouvée dans la vie, ou bien encore, d'être en attente de la surprise de l'instant selon le principe d'espérance.

L'héroïne du roman de Flaubert dans le monde d'aujourd'hui : serait-elle une influente blogueuse ? Une « instragrammeuse » partageant ses joies et ses peines ? Se servirait-elle de ce média social pour créer son « moi idéal » ?

L'héroïne du roman de Flaubert était à la recherche d'un idéal inatteignable transmis par ses nombreuses lectures. Elle était ainsi toujours déçue de son époux Charles, qui pensait que son mal-être était physique, et ne comprenait pas qu'il s'agissait d'un profond désespoir moral. Ne retrouve-t-on pas les mêmes cas de figures sur Instagram ? Les individus peuvent en effet s'en servir pour échapper à une réalité qui ne les satisfait pas ou plus et se créer une vie sur mesure, à leur image, ou encore s'y réfugier face à la désillusion du monde réel. Avec nos téléphones aujourd'hui, nous sommes pratiquement connectés en continu à ce monde virtuel. N'attendons pas quelque fois que quelque chose s'y passe ? Que quelque chose se passe en général dans notre vie ? Un nouvel acronyme a fait son apparition dans les médias « FoMo » pour « the Fear of Missing out » qui désigne la peur ressentie par un utilisateur des réseaux sociaux à l'idée de manquer un événement intéressant (ou même une publication) sur un média social. Cette anxiété est accompagnée de l'envie de toujours rester en contact avec les autres sur internet, de connaître ce qu'ils font, associée à l'idée qu'ils mènent une vie plus passionnante.

Par exemple, un utilisateur peut se connecter régulièrement pour vérifier les publications et stories de ses proches par peur qu'ils se voient sans lui et d'être exclu. Cette peur se manifeste également par l'envie d'être au courant de tout et de consulter son fil d'actualité, sa messagerie, de peur de manquer une opportunité, un événement, de passer à côté d'une tendance. Ce qui est épuisant tant le flux d'informations sur Insta-gram est important et quasi infini (quand l'utilisateur a fini de parcourir le fil d'actualité contenant les publications des comptes auxquels il est abonné, des publications lui sont suggérées).

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Nous subissons ce que l'écrivaine Linda Stone appelle « continuous partial attention »61 soit l'attention partielle continue. En cherchant à être connectés en permanence et présents sur un maximum de supports différents, nous dispersons notre concentration et ainsi notre attention. Les individus se désinvestissent de leur vie « réelle » au profit de leur vie « virtuelle » et notamment sur Instagram. Ce phénomène est observable dans la rue, où de nombreuses personnes sont focalisées sur leur téléphone. Elles semblent ainsi être présentes physiquement mais déconnectées de la vie « réelle ».

L'anxiété sociale et la manipulation des émotions

Nous l'avons vu dans les parties développées ci-dessus, Instagram permet un monde plus connecté, mais pour autant pas un monde plus heureux.

Les likes, les commentaires et autres paramètres sont des véritables sucres pour l'égo, et l'obtention de ces derniers se transforme en une source d'anxiété. Les utilisateurs d'Instagram cherchent à soigner leur image et se créent une identité propre au réseau social : une identité virtuelle. Le sociologue Dominique Cardon y privilégie le terme « identité potentielle »62 car les utilisateurs cherchent à ce que les autres aient une certaine image d'eux.

En plus de manipuler nos émotions avec ses algorithmes et les publications sponsorisées, Instagram est un espace qui permet de juger et d'être jugé en permanence et qui pousse ainsi à la comparaison. Nous comparons nos nombres d'abonnés, de likes, et l'anxiété d'être moins bien, en bas du « classement » renforce encore notre dépendance. Nous pouvons presque nous demander si les individus suivent les autres pour leur contenu ou pour ce qu'ils sont.

Beaucoup d'utilisateurs se fabriquent de toute pièce un « idéal du moi » à atteindre, correspondant également à une « façade sociale ». L'écart entre le réel (ce qu'ils vivent) et cet idéal du moi (ce qu'ils mettent en scène) est source de tension et de mal-être. Il demande à être alimenté constamment par un effort constant.63

61 https://lindastone.net/2009/11/30/beyond-simple-multi-tasking-continuous-partial-attention/

62 Ouvrage « Culture numérique » (2019) et retranscription de la conférence « Image de soi sur le net et les réseaux sociaux » sur le blog marieguillaumet.com https://marieguillaumet.com/conference-image-de-soi-sur-le-net-et-les-reseaux-sociaux-de-dominique-cardon/

63 https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619

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La psychanalyste Geneviève Morel évoque le phénomène de démultiplication à l'infini de l'image idéale de soi. Instagram devient plus qu'un simple outil de communication64, l'image que nous cherchons à renvoyer est d'autant plus difficile à atteindre que les utilisateurs interprètent les publications en fonction de leur contexte. Lanier évoque également un phénomène lié à la « théorie de l'esprit ». Cette dernière consiste à faire des hypothèses sur ce que les autres vivent, et à se mettre à leur place. Sur Instagram nous avons accès aux publications des usagers sans pour autant avoir beaucoup d'in-formations sur eux et les expériences qu'ils vivent, il est alors parfois plus difficile de faire preuve d'empathie, et l'interprétation peut être biaisée. Instagram permet un monde certes plus connecté mais aussi paradoxalement plus isolé.

Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de soi ?

Si dans cette partie sur les problématiques liées à Instagram, nous avons étudié les dérives du réseau social, il nous tient à coeur tout de même de mettre en avant les aspects positifs de la plateforme. Instagram permet à chacun de s'exprimer sur un quelconque sujet et de prendre la parole. Tout comme Twitter a été au coeur du mouvement « Me too », c'est un moyen de contourner l'espace public traditionnel qui ne permet pas toujours la mise en lumière de certains sujets. Nous pensons par exemple aux nombreux comptes militants féministes qui ont été créés ces dernières années et qui ont pour objectif de prendre la parole sur de nombreuses thématiques comme les inégalités sexuelles, la charge mentale, les féminicides, mais aussi la masculinité toxique, le viol masculin etc.65 Ces comptes ont pour objectif d'informer, de partager des réflexions, de sensibiliser mais aussi de briser des tabous. Instagram permet aussi de rassembler les individus qui ont des caractéristiques en commun et partagent leurs expériences. Par exemple, de nombreux comptes sur l'in-troversion ont été créés.66 Ces derniers partagent des anecdotes sur la vie en tant qu'introverti, donnent des conseils, rassurent, et permettent l'échange entre toute une communauté d'individus qui s'y identifient, se reconnaissent et qui se disent heureux de pouvoir partager leur expérience auprès de personnes qui comprennent.

64 « Pièges-à-jeunes », Morel, 2015

65 Nous pensons à de nombreux comptes comme @tasjoui, @taspensea, @a_voixhaute, @tubandes, @realmanbabies, @la_b.a.s.e, @pay_ton_mansplaining, @preparez_vous_pour_la_bagarre, @phrasesassassines, @pepitesexiste, @dans_la_bouche_dune_femme, @jemenbatsleclito

66 Nous pensons à @gangintrovertis, @theintrovertnation, @les_introverti.es

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Certains indiquent alors se sentir moins seuls et rassurés. Instagram a ainsi été investi massivement par les comptes de ce genre et les comptes militants sur divers sujets.

En matière d'écologie, nous pouvons citer « L'affaire du siècle » portée par quatre organisations de protection de l'environnement et de solidarité67. Ce collectif a décidé de saisir la justice pour que « les droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques ». Il fait appel à tous les citoyens français et a partagé une pétition qui a collecté plus de deux millions de signataires. De nombreux influenceurs ont fait le relai de l'opération sur Instagram, ce qui lui a permis d'obtenir une plus grande ampleur, c'est notamment le cas de Mcfly et Carlito deux youtubeurs qui ont amplement participé à la communication et diffusion du message.

Figure 14 Capture d'écran d'une story du compte Instagram "L'af-
faire du siècle" où l'on voit Macfly et Carlito

67 Notre Affaire à Tous, La Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, Greenpeace France et Oxfam France.

58

Les actions réalisées par Instagram

Le réseau social fait face à des problématiques et présente des dérives. Le chercheur Lanier que nous avons largement sollicité au travers du développement des limites de ce média social, pense qu'il est possible d'améliorer ce dernier en montrant notre désaccord et en désinstallant l'application, afin que les développeurs et informaticiens comprennent le message et ait de l'espace pour changer. Le chercheur connu de la Silicon Valley explique que ce serait même une chance et une libération pour eux car même si certains se sont rendus compte de ce qu'ils engendraient en développant les réseaux sociaux, le phénomène a pris une ampleur incroyable très rapidement.

Lanier effectue une analogie des réseaux sociaux dont Instagram fait partie avec les peintures qui contenaient autrefois du plomb. Les effets négatifs du plomb ont été mis en avant et pourtant la peinture a continué à être utilisée. Les pressions sociales ont permis la création de lois instaurant des normes pour des peintures qui n'en contiennent pas « Les gens intelligents ont tout simplement attendu que des peintures inoffensives soient mises sur le marché pour en acheter. De la même manière, les gens intelligents devraient supprimer leurs comptes en attendant que des plateformes non toxiques soient disponibles » (Lanier, 2020, p.38)

Nous avons déjà vu qu'Instagram est conscient des dérives et de la toxicité du réseau social au travers notamment des paroles de Kevin Systrom au cours d'une interview. Instagram a la volonté d'agir pour remédier aux phénomènes indésirables qu'il engendre. Le réseau social investit également dans l'intelligence artificielle au service de la lutte contre le harcèlement en ligne. En juillet 2019, l'application a annoncé mettre en place de nouveaux outils pour réduire ce fléau. Un nouveau dispositif généré par un logiciel d'intelligence artificiel est censé envoyé un avertissement aux utilisateurs sur le point de commenter des propos injurieux. Les utilisateurs peuvent également approuver les commentaires des autres utilisateurs et les masquer, s'ils jugent que ces derniers ont une influence négative. Les personnes indiquées comme « restreintes » ne peuvent plus voir si l'utilisateur en question est en ligne et s'il a vu leurs messages.

Dans une volonté de rendre l'application plus agréable à utiliser, et moins socialement anxiogène, les dirigeants d'Instagram ont supprimé la page « abonnée » qui permettait

59

aux utilisateurs d'avoir accès aux contenus likés et commentés par les personnes qu'ils suivent. Les utilisateurs n'ont ainsi plus de fil d'actualité dédié à ce que les personnes qu'ils suivent aiment et commentent.

Instagram lance également une phase de test de suppression des likes. Cette expérience testée d'abord au Canada, étendu aux Etats-Unis puis à une partie des utilisateurs français, a pour objectif de diminuer la dépendance qui en découle, et de mettre en valeur le contenu. Systrom insistait sur la volonté du réseau social de réduire cette pression. Instagram y voit ainsi un changement fondamental afin de rendre son espace plus sain et de le délester de certaines dérives de l'égo. Un porte-parole s'est exprimé à ce sujet « Nous ne voulons pas qu'Instagram donne l'impression d'être dans une compétition »68. Les influenceurs et comptes professionnels peuvent tout de même en avoir un aperçu.

Pour pallier aux craintes des utilisateurs et suite à de nombreux scandales et notamment la fuite des données personnelles de 49 millions d'influenceurs en 201969, Insta-gram mise sur davantage de transparence en permettant aux utilisateurs d'avoir accès à toutes les informations et données collectées, via une nouvelle fonctionnalité. Depuis 2020, chaque profil comprend dans ses paramètres une page « sécurité » permettant à chacun d'accéder à ses données et voir les sujets sur lesquels il est ciblé à des fins publicitaires, en fonction de ses centres d'intérêt détectés par l'application. Cette rubrique de mots-clés provoque parfois des surprises chez les usagers, car il suffit que l'on aille voir un compte rattaché à une thématique pour que l'on soit ciblé en rapport à cette dernière.

68 https://www.mouv.fr/nation/societe/instagram-ca-y-est-l-application-cache-le-nombre-de-likes-en-france-355480

69 https://www.tomsguide.fr/instagram-donnees-personnelles-49-millions-dinfluenceurs-fuite/

60

Figure 15 Capture écran extrait des thématiques sur lesquelles je suis ciblée sur mon
propre compte personnel

Il est également possible de télécharger le dossier concernant ses données personnelles, en respect à l'article 20.1 du RGPD70. Les utilisateurs peuvent donc avoir accès aux données qu'ils délivrent à leur insu à Instagram et que ce dernier exploite à des fins publicitaires et marchandes.

En 2020, Instagram a annoncé d'autres mesures. L'application cherche à réduire la propagation des fakes news et des photos trop retouchées.71 Son intelligence artificielle dote ainsi les publications jugées trop retouchées ou non réelles de l'étiquette « Information fausse ». Mais un souci se pose : les robots ne prennent pas en compte l'aspect artistique et de nombreuses photos d'art sont qualifiées ainsi de fausses.

A l'approche des élections présidentielles aux Etats-Unis, Instagram a annoncé en avril 2020 une nouvelle fonctionnalité. Les utilisateurs étatsuniens peuvent connaître l'emplacement des comptes Instagram en fonction de leurs publications afin qu'ils

70 Règlement Général sur la Protection des Données

71 https://arts.konbini.com/instagram/instagram-censure-desormais-les-photos-trop-retouchees/

61

puissent s'assurer de leur fiabilité et authenticité72. Cette mesure devrait s'étendre dans le reste du monde.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore