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L'alerte et la prévention des limites et dangers d'Instagram


par Maëlle De Coninck
Université Lille - Infocom Roubaix - Master Communication Interne et Externe  2020
  

Disponible en mode multipage

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2020 - Université de Lille, département Infocom

Mémoire de recherche de Master 2

Présenté par Maëlle De Coninck
Sous la direction de Stéphane Benassi

L'alerte et la prévention des limites et dangers d'Instagram

Remerciements

A l'issue de la réalisation de ce mémoire et de la réflexion menée autour de mon sujet, il me tient à coeur de remercier mon professeur Monsieur Stéphane Benassi pour son accompagnement, ses explications claires concernant les attentes universitaires, ainsi que sa gentillesse et sa disponibilité. Je tiens également à remercier Madame Renata Varga pour ses interventions durant les séminaires de recherche « Images et Représentations » et son apport en tant qu'enseignante chercheuse en sciences de l'infor-mation et de la communication.

Je remercie les enseignants d'Infocom pour les cours et enseignements dispensés qui m'ont permis l'acquisition de connaissances solides, de savoirs et savoir-faire qui m'ont été utiles dans la réalisation de ce mémoire et qui le seront dans le monde professionnel.

Je tiens également à témoigner ma reconnaissance aux personnes qui ont accepté de répondre à mes questions et de partager leur expérience relative à l'utilisation d'Insta-gram.

En n'oubliant pas mes amis d'Infocom pour le soutien et l'entraide au sein de notre groupe, et notamment Imane et Louanne membres du même séminaire de recherche que moi. Ainsi que ma maman, Anne Lavallart pour la relecture de ce mémoire de recherche et sa bienveillance.

Table des matières

Introduction 1

Préambule 1

Questionnements et problématique 4

Hypothèses et articulation du travail de recherche 5

Corpus 6

Réseau social Instagram et comptes Instagram 6

Les quatre comptes sélectionnés 6

Méthodes et approches 10

Analyse sémio-pragmatique 10

Analyse du discours 12

Confrontation et rapport texte/image 13

Chapitre 1 : contextualisation générale 15

L'avènement des réseaux sociaux 15

Historique des réseaux sociaux 15

Définition du terme « réseau social » 19

Question de la liberté d'expression 20

Contextualisation Instagram 23

Histoire et temps fort du réseau social 23

Caractéristiques et fonctionnalités d'un réseau social basé sur l'image 25

Typologie des utilisateurs 32

Analyse sémio-pragmatique 35

Discours critique et manipulation des images 38

Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les dangers et limites d'Instagram . 40 L'appropriation de la plateforme par les utilisateurs : une activité détournée de celle

originairement pensée par le créateur. 40

La création d'un étudiant passionné et la sortie du schéma traditionnel de la

photographie 40

Un succès rapide et une appropriation des codes de l'application par les utilisateurs 41

Instagram et les réseaux sociaux, reflets des problématiques contemporaines 43

Un terrain publicitaire et ses dérives 43

La question de l'image du corps et la démarche d'esthétisation de la vie 48

L'engagement ou l'addiction et la modification du comportement 50

L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing Out» 53

L'anxiété sociale et la manipulation des émotions 55

Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de soi ? 56

2

Les actions réalisées par Instagram 58

Chapitre 3 : l'alerte et la prévention effectuées par les instagrammeurs 61

Les différents modes de prévention 61

La prévention par le détournement du rapport texte/image 61

La prévention comparative « Instagram » versus « Réalité » 67

La prévention par l'ironie et la publication de posts dits non « conventionnels » 73

La prévention par la création d'un mouvement 79

Caractéristiques et résultats de la prévention 86

Les échecs et difficultés de la prévention 86

L'apparition d'un paradoxe général 91

Conclusion : évaluation de la démarche 92

Conclusion : résultats 93

Annexes 95

Références bibliographies 105

1

Introduction

Préambule

Mon mémoire de recherche a été réalisé durant mes deux années de master en Information Communication parcours Communication Interne et Externe à l'Université de Lille. Il s'inscrit dans le séminaire « Images et Représentations » et s'appuie sur la prévention effectuée par certains instagrammeurs concernant les limites et les dangers du réseau social Instagram.

Cet attrait pour ce sujet réside dans plusieurs facteurs. Appartenant à la génération Y, les réseaux sociaux font partie de mon quotidien depuis quelques années.

Je me suis inscrite sur Facebook en 2012, j'avais alors 14 ans. L'amie avec qui j'étais, me guidait dans les démarches à réaliser. Il était tout d'abord important de mettre une photo de soi puis de demander les personnes plus ou moins proches en ami. Un nouveau monde s'était ouvert à moi, un univers virtuel et sans frontière. Je me souviens du sentiment que j'ai éprouvé face à mon arrivée sur ce réseau social, de l'excitation mais aussi de l'appréhension.

Tout au long de mes années d'adolescence, j'ai constaté une corrélation entre l'évo-lution de mon humeur, de la perception que j'avais d'autrui, ou encore de ma propre perception, et cette plateforme. J'étais à un âge où je me comparais beaucoup aux autres, et Facebook a particulièrement contribué à ce phénomène. J'ai très vite pensé que ce n'était pas tant le réseau social en lui-même qui pouvait avoir un impact sur mes perceptions, mais sa communauté et le contenu qu'elle crée, c'est-à-dire nos « amis », leurs publications, leurs partages, et le contenu qu'ils aiment. Facebook sans en être directement à l'origine, avait tout de même sa part de responsabilité en donnant un cadre de publication et en engendrant des codes. L'apparition des réseaux sociaux dans notre quotidien n'est pas sans influence sur notre pensée, nos émotions et notre ressenti. Je crois que tout le monde peut être amené à un moment de sa vie, à se questionner, à ressentir une modification de l'image qu'il a de lui-même ou des autres, en rapport à un réseau social quel qu'il soit.

2

Je réfléchissais quant à l'impact de ces derniers dans notre quotidien, c'était un sujet qui me passionnait et m'interpellait. Mes camarades de classe s'en servaient comme une vitrine de leur vie et exposaient à la vue de tous, les événements les plus excitants qu'ils vivaient. Leurs photographies étaient esthétiques et parfois mises en scène. Ils exprimaient leur opinion à travers des statuts divers et variés. Je me demandais ainsi s'ils avaient conscience de cette mise en scène. J'aimais ainsi me perdre sur Face-book, et dans mes réflexions.

En 2013, j'ai rejoint Instagram, plateforme de partage de photographies et vidéos, créée en 2010 et disponible sur Smartphone et ordinateur. L'âge minimum requis pour en devenir membre est de 13 ans, j'en avais 15.

J'ai tout de suite apprécié cette nouvelle application sur laquelle je me sentais libre. Libre de poster des clichés de mon quotidien, de mes amis, de mes animaux et des paysages que j'admirais. Je publiais pour me faire plaisir et partager du contenu qui me plaisait, et qui me ressemblait, sans aucune arrière-pensée.

J'adorais particulièrement ce concept, jusqu'à ce qu'il évolue. Au fil de la popularité croissante de l'application, les marques ont vu en elle un moyen incontournable pour effectuer leur communication et se mettre en avant sous un format inédit, tandis que les influenceurs1 ont fait leur apparition.

De nouvelles problématiques communicationnelles ont fait leur apparition. Le réseau social est devenu un outil, et ne permet plus un partage « innocent » de photographies. Il y a maintenant un travail important de préparation, et de mise en scène, qui enlève toute spontanéité. En utilisant et « surfant » sur cette application devenue commerciale, de nombreux questionnements et observations me sont alors venus en tête, tout comme quand je me rendais sur Facebook autrefois. Instagram présentait maintenant des effets « secondaires » similaires à cet autre réseau social. Je ressentais ces derniers à la fois en tant que créatrice de contenu, mais aussi en tant que réceptrice. En effet, les publications de certains changeaient la perception que j'avais d'eux, et surtout, en me poussant à la comparaison, avait un impact sur la perception que j'avais

1 Le terme influenceur fait référence aux « leaders d'opinion digitaux qui, à travers un post d'Insta-gram ou une vidéo sur YouTube, peuvent affecter les comportements d'achat de plus de gens qu'une dizaine de magazines réunis. Le mot est une arme à double tranchant, tour à tour brandi comme une clef pour ouvrir la porte -souvent verrouillée- de la planète mode, ou énoncé sur un ton moqueur, voire méprisant. » (Marta Represa, 2016, paragr. 3).

3

de moi-même, et ainsi sur le rapport à soi. Quant à ce que je publiais, je pouvais m'in-quiéter par exemple de n'avoir aucune réaction ou très peu de la part de mes abonnés.

Aujourd'hui je suis toujours présente sur Instagram et m'y rends quotidiennement, davantage dans une posture de réceptrice plutôt qu'émettrice de contenu (j'ai par ailleurs supprimé la majorité des photographies que j'avais postées étant plus jeune).

Je suis abonnée à mes proches mais aussi à des personnalités publiques que j'appré-cie, qui me font rire, réfléchir et m'inspirent. Je suis abonnée également à de nombreux comptes engagés envers différentes causes : le féminisme, la lutte contre le sexisme et l'acceptation de soi. Je sens grâce à ces comptes dont l'activité est dédiée à une cause en particulier que je m'ouvre à la réflexion, sors de mes idées reçues et m'enri-chis intellectuellement. C'est ce que je préfère sur Instagram aujourd'hui et ce qui pourrait me manquer si un jour je décidais de ne plus être présente sur le réseau social.

En échangeant avec mon entourage et des tierces personnes sur la thématique de mon mémoire, j'ai remarqué que je n'étais pas la seule à me questionner et à ressentir des effets sur mon humeur et ma perception en me rendant sur ce réseau social. Ce dernier renvoie une réalité qui ne nous plaît pas forcément. Constater que ses proches se voient sans nous, que certains sont en vacances au soleil alors que nous n'avons pas cette chance, sont des exemples déplaisants parmi tant d'autres qui peuvent entraîner des émotions négatives et pousser à la comparaison.

Il m'arrive fréquemment d'être avec des amies qui prennent des photos de leur quotidien afin d'alimenter leurs stories2 Instagram. Il faut les prendre en photo ou les attendre quand elles le font. Le naturel s'efface pour laisser place à une mise en scène de l'instant présent. Mon choix de sujet de mémoire s'est ainsi porté sur ce réseau social car il est davantage porté sur l'image que Facebook. Je trouve le phénomène d'autant plus intéressant à étudier qu'il présente une multitude de facettes et d'aspects, entre mises en scène et interprétations, émetteurs et récepteurs.

2 « Les stories sont des contenus mobiles mêlant à la fois des photos et des vidéos éphémères disponibles en ligne pendant 24h seulement après leur diffusion sur les réseaux sociaux. Un savant mélange de « rich media » façon blog et de post éphémère façon Snapchat. En anglais, le mot « story » était associé à des histoires courtes, des récits fictionnels. Mais l'ensemble des internautes internationaux se sont rapidement appropriés ce terme. » (La mobylette jaune, 2018, paragr.1)

4

Questionnements et problématique

En écho aux questions venues durant l'adolescence vis-à-vis des réseaux sociaux, et qui sont encore d'actualité, nous nous sommes d'abord questionnés sur le ressenti des utilisateurs d'Instagram (qu'ils soient en position d'émetteurs et/ou de récepteurs), et l'impact de ce réseau social sur l'humeur. Nous nous sommes ensuite interrogés sur la question du rapport à soi et du rapport aux autres véhiculés et entretenus par le média social. Nous avons identifié un certain nombre de phénomènes3 et d'effets sur la santé mentale engendrés par le réseau social. En constatant qu'il s'agissait d'effets ressentis et partagés par une grande majorité des utilisateurs de la plateforme, ainsi qu'un sujet débattu dans l'espace public, nous nous sommes demandés s'il s'agissait de phénomènes préexistants ou qui ont fait leur apparition avec Instagram et plus largement la création des réseaux sociaux.

Nous avons alors orienté dans un premier temps le sujet de ce mémoire de recherche sur l'influence d'Instagram sur l'image que les jeunes ont d'eux même. Puis, dans un deuxième temps sur la thématique d'Instagram en tant que monde de l'illusion4.

Au cours de nos recherches, nous avons découvert des comptes Instagram qui critiquent son utilisation telle qu'elle est aujourd'hui. Ces derniers, chacun à leur manière, invitent les utilisateurs à cesser de se comparer aux autres, à s'aimer tels qu'ils sont et expliquent que nous disposons d'une certaine image qui n'est pas forcément la « réalité ». D'autres comptes décident de se monter sans filtre, sans retouche, tels qu'ils sont dans « la vraie vie » en dehors de leur identité virtuelle.

A ce niveau-là, les axes d'orientation de ce mémoire de recherche étaient encore très larges et difficilement traitables. Par intérêt pour le sujet et souci de structuration, nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur ces comptes qui effectuent de la prévention vis-à-vis des dangers et limites d'Instagram auprès des autres utilisateurs de la plateforme.

3 Ici nous entendons la standardisation des critères de publication, la recherche de la validation d'autrui, la démarche d'esthétisation de la vie et autres phénomènes discutés dans le chapitre 2.

4 L'illusion ici entendue comme une interprétation tronquée : ce que l'on perçoit est faux, nous pouvons ainsi être « victime d'une illusion ». Deuxièmement comme une « apparence dépourvue de réalité ».

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Nous avons constaté un paradoxe, les utilisateurs d'Instagram que nous allons mettre en évidence utilisent ces mêmes réseaux sociaux pour dénoncer et prévenir de ses limites.

Nous avons ainsi dirigé la problématique de ce travail de recherche autour de ce paradoxe avant de nous rendre compte qu'il était plus judicieux de l'articuler directement autour de la prévention effectuée par les comptes mis en évidence.

Un long parcours de cheminement et de réflexion nous a ainsi mené vers la problématique suivante : « Comment les instagrammeurs alertent les autres utilisateurs sur les limites et dangers d'Instagram ? »

Une problématique bien centrée et structurée qui permet toutefois d'aborder tous les points cités et questionnements situés ci-dessus.

Hypothèses et articulation du travail de recherche

Au travers de ce mémoire de recherche, nous répondrons à l'hypothèse que les effets sur la santé mentale provoqués par les réseaux sociaux et plus précisément Insta-gram, sont à l'origine de la prévention effectuée par quelques utilisateurs. Il ne s'agit pas de discuter et de questionner la véracité de ces effets, mais de montrer qu'ils sont à l'origine d'un travail d'alerte et de prévention. Nous chercherons à montrer que certains utilisateurs au travers de leur compte personnel ou d'un compte dédié, mènent des activités de prévention sur le réseau social lui-même et prennent d'eux même ce rôle qui leur tient à coeur. Nous chercherons à en comprendre l'objectif et à étudier la manière utilisée pour alerter.

Ainsi, afin de mener à bien notre réflexion, nous effectuerons dans un premier temps une contextualisation générale des réseaux sociaux avec un point précis sur Instagram et ses particularités. Ce cadrage argumenté d'une réflexion sur la manipulation des images nous permettra d'ancrer notre réflexion et d'effectuer un cheminement naturel vers notre deuxième partie consacrée à l'origine de la prévention. Il s'agira dans ce second temps de mener une réflexion sur le dispositif Instagram, son appropriation par les utilisateurs et son reflet des problématiques contemporaines, mais aussi d'évoquer les actions réalisées par Instagram pour lutter contre ses effets indésirables sur la santé mentale de ses utilisateurs. Nous montrerons que les points abordés ci-dessus sont à l'origine de ce besoin de prévention.

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Enfin, nous analyserons la prévention effectuée par les comptes sélectionnés, et les différentes manières employées pour alerter. Nous en étudierons les caractéristiques et les résultats.

Corpus

Réseau social Instagram et comptes Instagram

Au début de notre réflexion vis-à-vis de ce travail de recherche, nous nous étions dans un premier temps orientés vers le réseau social Facebook. Nous avons finalement choisi de nous concentrer sur Instagram, média social et service de partage de photographies et vidéos. Pour cause, ce géant à plus d'un milliard d'utilisateurs à travers le monde est basé sur l'image et correspond davantage à la thématique de notre séminaire « Images et Représentations ». Par ses spécificités, il nous paraît intéressant à étudier. Notre étude se base sur des recherches menées au travers de la lecture d'ar-ticles scientifiques et d'ouvrages, mais aussi sur une navigation quotidienne permettant une observation davantage interprétative. Des échanges et des entretiens avec des utilisateurs du réseau social viennent également enrichir notre réflexion.

Les quatre comptes sélectionnés

Nous avons sélectionné quatre comptes Instagram qui effectuent une alerte sur les limites du réseau social auprès des autres utilisateurs. Par leurs différences et diverses manières d'effectuer la prévention, ils sont très enrichissants pour notre travail de recherche.

Le premier compte sélectionné est en réalité un compte qui n'existe plus mais dont les publications ont été repostées à l'identique par d'autres comptes.

En 2015, Essena O'Neill est une jeune femme de 19 ans avec plus d'un demi-million5 d'abonnés, star d'Instagram. L'instagrammeuse véritable influenceuse a des contrats avec des grandes marques qui la paient pour promouvoir leurs produits ou leurs services. Elle travaille également avec des agences de mannequins prestigieuses à Los Angeles.

5 720 000 abonnés selon le journal madamefigaro.fr

Une vie parfaite en apparence qui fait rêver ses nombreux abonnés auprès desquels elle partage son quotidien depuis quelques années.

Le 27 octobre 2015, la jeune femme supprime subitement 2000 photos de son mur Instagram. Puis, elle annonce quelques jours plus tard dans une vidéo YouTube6 et sur les réseaux sociaux qu'elle souffre de dépression et va quitter YouTube, Tumblr et Instagram. Elle raconte les coulisses d'un quotidien aux apparences trompeuses « J'ai passé des heures à observer des filles parfaites sur Internet, en rêvant d'être l'une d'entre elles. Puis je suis enfin devenue l'une d'entre elles, et j'ai réalisé que je n'étais toujours pas heureuse ni en paix avec moi-même. »

L'influenceuse change les légendes de certaines publications toujours présentes sur son compte. Elle y écrit des phrases qui correspondent davantage à son quotidien tel qu'elle le vivait et non tel qu'elle le montrait, afin d'évoquer le malheur causé par une vie centrée sur sa propre image.

Aujourd'hui, son compte n'existe plus mais de nombreux utilisateurs ont reposté les publications d'origine. Nous nous baserons notamment sur celui intitulé « es-sena.oneiil ».

Figure 1 Compte reprenant les publications détournées d'Essena O'Neil

7

Nous avons choisi de travailler sur l'histoire de cette jeune femme bien qu'elle ait supprimé son compte car son témoignage est en concordance avec notre travail de recherche et notre réflexion. Il nous paraît intéressant de travailler sur cet exemple de « burn-out numérique » et la prévention qui a suivi qui est d'autant plus percutante qu'elle confronte le rapport texte/image et la manipulation des images par un changement de discours.

6 «Essena o'neill - why i really am quitting social media» https://www.youtube.com/watch?v=heHBcUOf sA

Le deuxième compte sélectionné est celui de la finlandaise Sara Puhto alias « saggysara » qui compte en 2020 plus de 350 000 abonnés. La jeune femme de 23 ans dédie ce compte qui n'est pas son compte personnel7 à la prévention des limites et dangers d'Instagram.

Figure 2 Compte de "saggysara" alias Sara Puhto

8

La jeune femme montre au travers de ses publications combien il est facile de mettre en avant son corps en jouant avec l'angle de la photo, l'éclairage ou encore la posture. Elle démontre au travers de comparaison « Instagram » versus « réalité », « bonne photo de corps » versus « mauvaise photo de corps », ou encore « posée » versus « au naturel », comment chacun peut donner l'image qu'il souhaite sur les réseaux sociaux par un processus de sublimation de la réalité. Sa méthode de prévention principale a pour objectif de montrer la mise en scène derrière les publications mais aussi les méthodes de retouche et de filtres que certains utilisent pour obtenir des clichés dits esthétiques selon les normes de la société.

Saggysara prône le « self love »8 et partage ainsi sa conviction de la nécessité d'ap-prendre à s'aimer sans artifice et à ne pas se comparer. La prévention passe par ses photos et ses légendes qui se veulent informatives, éducatives, bienveillantes et qui poussent à la réflexion.

Nous avons choisi ce compte pour son originalité et la remise en question qu'il effectue sur le rapport à l'image.

7 Son compte personnel « Sarapuhto » compte un peu plus de 3 900 abonnés. Dessus elle y partage des photos de son quotidien sans effectuer de prévention sur les limites et dangers d'Instagram.

8 Mouvement qui incite à s'aimer soi-même.

Le troisième compte choisi est celui de Juliette Katz, chanteuse, Youtubeuse, actrice et autrice française, sur son compte « coucoulesgirls » suivi par plus de 529 000 abonnés.

Figure 3 Compte de "coucoulesgirls" alias Juliette Katz

9

La Youtubeuse détourne le dispositif en publiant des photos non conventionnelles qui sortent des critères de publication. L'ancienne chanteuse casse ainsi les codes esthétiques mais emploie également l'ironie et l'auto dérision au travers de ses légendes qui sont ainsi parfois en total décalage avec les photographies associées.

En 2020, elle se met au nu artistique et poste régulièrement des photos d'elle dénudée, régulièrement censurées par Instagram. Elle dénonce alors la suppression de nus par le réseau social sous prétexte que l'on y voit des attributs féminins. L'instagram-meuse dénonce aussi la grossophobie9 qu'elle-même subit dans son quotidien en tant que femme en surpoids. Nous avons choisi ce compte Instagram car il effectue de la prévention indirecte sur les dangers et limites du réseau social en passant par l'humour et l'ironie. Ce qui nous interpelle surtout est que les publications de Juliette Katz sont en totale rupture avec les codes de publication conventionnels, et le rapport texte/image est souvent décalé. La Youtubeuse utilise ce média social également pour traiter des sujets forts tels le féminisme, la grossophobie, la censure du corps féminin.

Le quatrième et dernier compte sélectionné est le compte « onveut du vrai » créé en mai 2019 par les deux Youtubeuses « Mybetterself » alias Louise Aubery et « Douzefévrier » alias Julie Bourges.

9 « Hostilité envers les personnes grosses ou obèses, position qui se manifeste par des comportements stigmatisant et discriminant à l'égard des personnes ne surpoids » ( linternaute.fr)

Figure 4 Compte "On veut du vrai" tenu par Louise Aubery et Julie Bourges

10

Face à la standardisation et la banalisation des publications sur Instagram, les deux jeunes femmes dédient une partie de leur activité à des fins de prévention sur le média social. « onveutduvrai » est suivi par plus de 35 000 abonnés et vient contrer les diktats du parfait sur Instagram. On y trouve des photos envoyées par les abonnés, de nombreuses réflexions, et les initiatives de personnalités10 sur le réseau social.

Louise et Julie s'expriment d'un ton éducatif et sensibilisateur au travers de leurs publications.

Nous avons choisi ce compte car il est clairement spécialisé sur la prévention des dangers et limites des réseaux sociaux et en particulier Instagram. La légende du premier post est d'ailleurs la suivante : « Sur ce compte, on vous partagera uniquement des photos qui nous font sentir BIEN. » L'alerte se fait ici par la sensibilisation directe.

Méthodes et approches

Tout au long de ce travail de recherche, nous avons mobilisé les approches qui nous paraissaient les plus pertinentes vis-à-vis de l'analyse du réseau social Instagram et de certains de ses comptes.

Analyse sémio-pragmatique

Dans un premier temps afin de réaliser une approche générale et globale des réseaux sociaux et en particulier de ce média social, nous nous sommes servis de l'analyse sémio-pragmatique.

10 Pour exemple les posts de la Youtubeuse Jujufitcats en juin 2019, et Demi Lovato en septembre 2019 ont été partagés car les photos des deux femmes étaient sans retouche et laissaient apparaître leur cellulite.

11

L'approche pragmatique est développée en même temps que la sémiologie classique entre les années 1950 et 1970 dans le cadre des « cultural studies ». Elle consiste à montrer que les messages ont une infinité de sens possibles, et qu'au-delà du contenu des dispositifs, il est judicieux de s'intéresser à la façon dont ces derniers sont perçus. Pour exemple, dans « La culture du pauvre », Hogardt montre que les classes populaires ont eu malgré le dispositif dans lequel elles étaient impliquées, une interprétation différente de ce que ces derniers auraient voulu leur imposer. Elles se sont appropriées les produits culturels et médiatiques.

L'approche pragmatique se centre sur le sens donné par le public, mais ne tient pas compte du dispositif. L'analyse sémio-pragmatique va donc plus loin en étudiant les dispositifs et leur contenu en contexte. Elle a été pensée et largement développée par le professeur et chercheur Roger Odin11. Ce dernier part de l'hypothèse qu'un acte de communication ne se fait pas dans un seul espace communicationnel mais deux espaces distants. Il effectue ainsi une distinction entre l'émetteur (E) et le récepteur (R) que constituent les actants, et le texte (T), et identifie une séparation entre « l'espace d'émission » et « l'espace de réception ». Selon cette approche, le sens d'un élément de communication ne dépend ni essentiellement du texte, ni des lecteurs, mais tire son origine des facteurs extérieurs12 qui exercent une influence sur les actants, et notamment sur leur mode de production de sens. Ces facteurs extérieurs ou « contraintes contextuelles » seraient ainsi à l'origine de différentes interprétations de lecture et de compréhension. Roger Odin va plus loin en introduisant la notion de « mode13 » qui peuvent être de différentes natures : artistique, documentarisant, moralisant, specta-cularisant etc.

Cette analyse nous a paru essentielle et pertinente dans le cadre de ce mémoire de recherche. En effet sur les réseaux sociaux et notamment Instagram, différents acteurs interagissent entre eux tour à tour en tant qu'émetteurs, récepteurs, et produisent du

11 Professeur à l'université Sorbonne Nouvelle Paris 3 et chercheur à l'Institut de recherche sur le cinéma et l'audiovisuel, reconnu pour ses travaux sur le film de famille et l'approche sémio-pragmatique du cinéma.

12 Les facteurs extérieurs ici entendus comme les contraintes « qui régissent la construction des actants de la communication et la façon dont ils sont conduits à produire du sens » (Odin, 2011, p.21)

13 Construction théorique visant à structurer en « ensembles fonctionnels les processus de production de sens » (Odin, 2011, p.46)

12

texte et des images qui engendrent du sens auprès des autres utilisateurs. L'analyse sémio-pragmatique s'avère ainsi un élément clé pour analyser les espaces de communication qui y sont présents et la communication effectuée par les instagrammeurs. Cette méthode nous permettra de nous interroger sur les éléments composants Insta-gram, ses contraintes et son fonctionnement, et ainsi de contextualiser et ancrer le réseau social dans un cadrage théorique. Puis dans un deuxième temps, nous réutiliserons cette approche en la centrant sur les quatre comptes de notre corpus choisis dans le cadre de ce mémoire de recherche. Cette approche sera un outil précieux afin d'analyser leur méthode de communication sur le réseau social et d'en étudier tous les aspects et l'interprétation qu'en font les autres utilisateurs. Il s'agira également de se questionner sur les différents modes employés par les comptes au travers de leurs publications sur le réseau social.

Analyse du discours

« Narrativiser sa vie privée et en marquer des épisodes par des commentaires et des changements de statut, ou plus généralement entrer puis quitter un monde « virtuel », apparaissent désormais comme des pratiques banales pour beaucoup » (Burger, Thornborrow, Fitzgerald, 2017, p.7)

Comme l'ont écrit ces trois chercheurs dans leur ouvrage « Discours des réseaux sociaux, enjeux publics, politiques et médiatiques », les réseaux sociaux sont des nouveaux environnements interactifs qui permettent de nouvelles rencontres et types d'échanges. Ces derniers sont entrés dans la routine d'une grande majorité d'entre nous, qui s'exprime et produit du contenu. Les usagers d'Instagram sont à l'origine de la production d'un discours14 écrit et oral (production de contenus audiovisuels), qu'ils diffusent aux autres utilisateurs et qui va les impacter.

Adopter une démarche d'analyse du discours dans le cadre de ce travail de recherche nous paraît ainsi indispensable afin de comprendre les enjeux du discours produit par les instagrammeurs, et se pencher sur la complexe relation sujet (l'individu qui élabore la représentation), objet (la réalité représentée), contexte15 (la réalité sociale où le sujet

14 Le discours comprend une dimension performative qui a pour objectif d'agir sur autrui.

15 Le contexte est déterminant et à prendre en compte pour comprendre la situation de communication et l'énoncé.

13

vit et où la représentation se forme)16. Nous entendons ici la représentation que les utilisateurs ont d'eux même, la représentation qu'ils ont des autres et sur le monde au travers du réseau social Instagram, et du contexte dans lequel les utilisateurs se trouvent.

Le discours a donc une dimension informative avec pour objectif de transmettre un message mais il comprend également une dimension persuasive, « La fonction argumentative a des marques dans la structure même de l'énoncé [...] : la phrase peut comporter divers morphèmes, expressions ou tournures qui, en plus de leur contenu informatif, servent à donner une orientation argumentative à l'énoncé, à l'entraîner dans telle ou telle direction. » (Ducrot,1980, p. 56)

Nous analyserons la production de discours des instagrammeurs et notamment des comptes sélectionnés, à l'aide d'une grille de lecture.

Nous nous inspirerons de la méthode d'analyse proposée par Amélie Seignour17 dans la Revue française de gestion édition 2011/2 (n°211). Nous nous baserons en particulier sur une analyse du système d'énonciation auprès des deux actants, qui consiste à observer comment l'émetteur se définit, et inscrit le récepteur. Nous analyserons également la dimension référentielle du discours en analysant les représentations conscientes ou inconscientes que construisent les usagers en publiant sur Instagram, et qui vont avoir une influence sur le destinataire. Nous adopterons enfin une analyse globale du discours en reprenant les éléments identifiés grâce aux méthodes ci-dessus et entrerons dans une phase davantage interprétative.

Confrontation et rapport texte/image

Au-delà des mots et du langage écrit, les réseaux sociaux et Instagram en particulier sont basés sur le visuel. L'apparence y joue un rôle majeur. Les utilisateurs se construisent leur identité virtuelle par l'image, en disposant d'un « mur »18 qu'ils sont libres de personnaliser en fonction de leurs envies.

16 Reprise et inspiration de certains éléments de cours « Situations de communication - représentation » dispensé par l'enseignante chercheuse en sciences de l'information et de la communication Renata Varga, appliqué ici aux réseaux sociaux et notamment Instagram.

17 Amélie Seignour est maître de conférences en sciences Humaines et Sociales à l'université de Montpellier II.

18 Soit une page personnelle sur le réseau social sur laquelle est affichée l'ensemble de leurs photos et vidéos postées.

14

Les utilisateurs ont la possibilité de pouvoir accompagner leurs photographies de légendes et de s'y exprimer en 2200 caractères. Ces dernières sont généralement utilisées afin de donner du contexte à l'image postée et viennent donc en complémentarité.

Internet regorge de conseils à destination des entreprises mais également des particuliers qui souhaitent adopter la meilleure stratégie de communication sur ce média social. En matière d'image, il est par exemple recommandé d'appliquer la règle de photographie des 1/3, d'utiliser les filtres proposés par l'application et d'autres règles appartenant au registre du code de la photographie.

En matière de légende, il est conseillé de mettre en avant un style de vie19, de travailler la mise en forme de son texte avec l'utilisation de smileys et d'adopter la bonne longueur pour ne pas décourager la lecture, de poser des questions pour encourager le « feedback » et l'engagement, et d'utiliser les bons hashtags20. De nombreux conseils qui montrent toute la stratégie autour d'une publication sur Instagram, tant pour les entreprises qui ont un objectif commercial et/ou un enjeu d'image de marque, que pour certains utilisateurs qui souhaitent se faire une place sur le réseau social. Il s'agit tout au long de ce mémoire de recherche d'analyser les contenus postés par les instagram-meurs, c'est-à-dire leurs photos mais aussi les textes qui les accompagnent, et de confronter le rapport texte/image. Une image et sa légende peuvent permettre une interprétation différente si on ne regarde que l'une des deux. Ainsi, adopter une telle approche nous paraît judicieux afin d'observer le mécanisme de publication conscients ou inconscients des usagers, et notamment effectuer une analyse auprès des comptes sélectionnés.

19 Aussi appelé « lifestyle » il s'agit de montrer et mettre en avant son mode de vie et « art de vivre ».

20 « Mot-clé précédé du symbole # que les internautes utilisent dans leurs publications sur les réseaux sociaux. Ils permettent aux autres utilisateurs d'accéder au contenu qui contient ledit mot-clé, sans nécessairement être « ami » ou « follower de la personne qui en fait usage » ( solocal.com)

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Chapitre 1 : contextualisation générale

L'avènement des réseaux sociaux

Historique des réseaux sociaux

Depuis le début des années 1990, les chercheurs en sciences de l'information et de la communication étudient les réseaux sociaux numériques. Il s'agit à l'époque des mails, des forums de discussion et des blogs. L'apparition de nouveaux réseaux sociaux aussi qualifiée de « tournant web 2.0 » a entraîné de nouvelles recherches qui se sont fortement développées depuis 2010 dans le domaine info-com.

Le réseau social Classmates en 1995 et Six Degrees en 1996 ouvrent la voie au web grand public. Classmates créé par Randy Conrads avait pour objectif de permettre aux inscrits de retrouver leurs anciens camarades de classe, collègues et anciens combattants. Aujourd'hui renommé MemoryLane.ai, il permet à ses utilisateurs de partager des contenus et souvenirs dont ils sont nostalgiques. Six degrees ancêtre de Face-book et LinkedIn est considéré quant à lui comme l'un des premiers site internet de type réseau social. Imaginé par Andrew Weinreich, il permettait à ses utilisateurs d'en-trer en relation avec leurs proches, amis, familles et collègues, et de se développer un réseau en ligne. Il y était possible d'envoyer des messages à ses contacts, aux contacts de ses contacts, et de publier des informations. Les membres pouvaient envoyer des invitations pour proposer à des tierces personnes de les rejoindre et de s'y inscrire. A défaut de popularité, le site internet ferme en 2001.

Figure 5 Page d'accueil de Six degrees en 1997 Source : agence90.fr

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En 1999, la plateforme Livejournal voit le jour et permet à ses utilisateurs de poster des mises à jour écrites sous forme de blog et de journal. Ses membres peuvent créer des groupes et se suivre.

En 2002, Friendster permet à ses usagers de se créer une communauté virtuelle et facilite la recherche de contacts.

En 2003, Hi5 rend possible la diffusion d'informations personnelles, et ajoute une nouveauté : la possibilité de créer des albums photos, d'installer un lecteur de musique sur son profil et d'y recevoir des commentaires.

Cette même année, LinkedIn est le premier réseau social professionnel à faire son apparition. Il a pour objectif de se créer un réseau professionnel en ligne, de trouver du travail et d'échanger entre professionnels.

Figure 6 Page d'accueil de LinkedIn en 2005. Source : agence90.fr

Site le plus populaire du monde en 2006, MySpace est créé en 2003 et est le premier réseau social à être autant utilisé. Il reprend les fonctionnalités de base des réseaux sociaux cités ci-dessus tout en se centrant sur le partage de création musicale, une personnalisation développée des profils, et la création de la liste des huit meilleurs amis de chaque utilisateur.

Le géant Facebook fait son apparition en 2004. Dans son ouvrage « The Accidental Billionnaires » (2009) adapté au cinéma, Ben Mezrich raconte l'histoire de la start-up et de son créateur. Mark Zuckerberg, étudiant de 19 ans développe le site internet

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Facemash en 2003 suite à une déception amoureuse. Le jeune homme pirate le réseau d'Harvard pour en récupérer le trombinoscope. L'objectif de Facemash est alors de permettre aux étudiants de sélectionner entre deux photos la plus « sexy ». L'Uni-versité ordonne la fermeture du site mais Mark Zuckerberg continue ses expériences sur le net. Un an après, aidé de quatre camarades, il développe Thefacebook pour que les étudiants du campus puissent communiquer entre eux en ligne et partager des informations. Son utilisation se répand aux campus de Stanford, Columbia et Yale avant de s'étendre au monde. Le réseau social est propulsé par les investisseurs Sean Parker (créateur de Napster) et Peter Thiel (co-fondateur de Paypal). Ses utilisateurs disposent d'un profil ainsi que d'un mur où s'affichent leur activité et celle de leurs amis, provoquant un flux d'informations constant qui défilent en continu. Marck Zuck-erberg se dit alors convaincu que le rendu de nos vies publiques et le partage de nos données est un progrès « les gens veulent partager et rester connectés avec leurs amis et les gens autour d'eux (...) si les gens partagent plus, le monde deviendra plus ouvert et plus connecté. Et un monde qui est plus ouvert et plus connecté est un monde meilleur ».

En 2005, le site web Reddit propose le concept inédit de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs. Un algorithme met alors en avant le contenu le plus voté soit le plus populaire.

En 2007, le célèbre oiseau bleu alias Twitter naît et prend son envol. Il permet à ses utilisateurs d'envoyer des courts messages nommés « tweets » (dans la limite de 140 caractères, aujourd'hui allongée à 280). Pour la première fois, un réseau social est accessible depuis mobile. Par sa spécificité et son côté pratique, Twitter fut rapidement utilisé par les journalistes afin de transmettre l'information en direct et de couvrir des événements. Annonces publicitaires, tags, hashtags, retweets, bouton j'aime... Twitter et Facebook se développent largement et étendent leurs fonctionnalités.

En mars 2010, Pinterest de l'anglais « pin » épingle, et « interest » intérêt, est lancé et mélange le concept de réseau social et de banque d'images. Ses utilisateurs peuvent partager leurs passions et centres d'intérêt au travers du partages d'albums photos.

La même année en octobre le premier réseau social uniquement sur mobile fait son apparition, c'est Instagram permettant le partage de photographies suivant la logique

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« mobile only »21 durant deux ans puis « mobile first »22. L'application mobile est suivie en 2011 par Snapchat dont le concept est l'envoi de photographies à des personnes ciblées sur un temps limité, jusqu'à son étendue vers les « stories ».

Vine créé en 2012 lance la publication et personnalisation de courtes vidéos de six secondes sur smartphone. En avril 2013 elle est l'application gratuite la plus téléchar-gée de l'App Store23. Concept qui inspirera les grandes tendances des réseaux sociaux concurrents malgré la fermeture de ce dernier par son rachat par Twitter.

En 2015, Musical.ly est le premier réseau social où ne se partagent que des vidéos. Les membres y publient leurs chorégraphies sur fond musical. En 2016, l'application mobile est rachetée par le groupe chinois Beijing ByteDance et fusionne avec Tik Tok qui étend le partage de contenu au-delà de la danse.

Véritables concurrents, les réseaux sociaux s'influencent entre eux et n'hésitent pas à reprendre les concepts les uns des autres. Facebook et Instagram ont par exemple repris le concept phare de Snapchat « les stories » au détriment de ce dernier qui voit aujourd'hui sa popularité baisser. Du début des années 1990 à nos jours, de nombreux réseaux sociaux ont fait leur apparition, certains ont connu un succès fulgurant tandis que d'autres ont disparu par manque de popularité et une concurrence accrue.

Selon une étude technologique de Morgan Stanley24 en 2008, les sites les plus consultés en 2005 étaient des sites marchands de vente en ligne comme e-Bay et Amazon. En 2008, ils ont disparu du classement des sites à plus forte audience au profit de MySpace, YouTube, Facebook, Hi5, et Wikipédia.

Aujourd'hui, 12 ans après, Facebook domine toujours le marché des réseaux sociaux avec 2,6 milliards d'utilisateurs dans le monde pour 38 millions en France. En 2ème position se trouve WhatsApp que nous considérons davantage comme application de messagerie que comme réseau social, suivi par Instagram en France et dans le monde. Au niveau mondial c'est Tik Tok qui arrive en quatrième position, suivi de

21 « Stratégie par laquelle une organisation fait le choix de n'être présente à travers son offre commerciale que sur mobiles. Dans les faits, une stratégie "mobile only" consiste donc à être présent quasi-exclusivement par le biais d'une application proposée sur smartphones. » ( Définitions-marketing.com)

22 « Le mobile first place le mobile au coeur des stratégies digitales : au lieu de décliner un site web pour tablettes et smartphones, on conçoit tout d'abord une version mobile, et on construit ensuite le site pour ordinateur autour de cette version ». ( journaldunet.com)

23 Aaron Souppouris, « The Verge - Vine is now the number one free app in the US App Store » [archive], theverge.com

24 Banque américaine dont le siège social est situé à New-York.

19

Pinterest, Twitter, LinkedIn et Snapchat. Il est intéressant de noter qu'au niveau national le classement n'est pas le même. Ainsi après Instagram et ses millions d'utilisa-teurs, Snapchat est le quatrième (troisième si on ne comptabilise pas WhatsApp) réseau social en matière d'utilisateurs, suivi de Twitter, du réseau professionnel LinkedIn, de Pinterest puis de Tik Tok. Ces réseaux sociaux sont internationaux et ont une présence sur la scène mondiale25 mais sont caractérisés par des différences de popularité en fonction des pays.

Figure 7 Infographie présentant le classement des réseaux sociaux en France et dans le monde en 2020

Source : Agence Tiz

Définition du terme « réseau social »

Après avoir établi un historique de l'apparition d'une multitude de réseaux sociaux et leur évolution, il nous apparaît maintenant crucial de définir ce terme dont il est amplement question dans ce mémoire de recherche.

Dans son ouvrage « Réseaux sociaux, théories et pratiques », Michel Forsé reprend la définition de Lemieux : « Un réseau social est un ensemble de relations entre un ensemble d'acteurs. Cet ensemble peut être organisé (une entreprise, par exemple) ou non (comme un réseau d'amis) et ces relations peuvent être de nature fort diverse

25 Facebook est le réseau social numéro 1 dans 129 pays répartis sur tous les continents (source blog.digimind.com)

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(pouvoir, échanges de cadeaux, conseil, etc.), spécialisées ou non, symétriques ou non » (1999)

A une époque où les géants Facebook, Instagram et Twitter n'existent pas encore, le chercheur définit le réseau social comme ce qui unit les individus à l'extérieur, avec une distinction liens forts (proches, amis et famille) et liens faibles (connaissances). Puis, la définition de ce terme évolue comme des « des services web qui permettent aux individus de construire un profil public ou semi-public dans le cadre d'un système délimité, d'articuler une liste d'autres utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations ainsi que de voir et de croiser leurs listes de relations et celles faites par d'autres à travers la plateforme » (Boyd et Ellison, 2007, cités par Cardon, 2011, vol. 13, n° 1) ou encore comme « un groupe d'applications en ligne qui se fondent sur la philosophie et la technologie du net et permettent la création et l'échange du contenu généré par les utilisateurs » (Kaplan et Haenlein, 2010, vol. 53, issue 1, p. 61).

Ainsi, si autrefois le terme « réseau social » définissait notre réseau d'amis, nos proches et notre entourage, sa définition se réfère maintenant aux applications et sites internet qui permettent une mise en relation virtuelle avec d'autres utilisateurs sur une plateforme numérique. La définition des réseaux sociaux a donc évolué. Pour certains chercheurs, la définition d'autrefois et celle d'aujourd'hui sont en contradiction et à l'origine d'un paradoxe. C'est ce qu'expliquent Alain Lefebvre et François Liénart dans leur ouvrage « Le miroir brisé des réseaux sociaux », « les réseaux sociaux, fondamentalement, ce sont les liens que nous tissons avec nos proches, nos relations professionnelles ou amicales. » (Lefebvre, Lienart, 2013, p16).

Or les réseaux sociaux tendent aujourd'hui à dissocier ce que le sociologue Granovet-ter nomme « liens forts » (nos proches) au profit d'une course au liens faibles (connaissances). Lefebvre et Liénart leur préfèrent ainsi le terme « logiciels sociaux ».

Question de la liberté d'expression

Facebook, Twitter, Instagram et autres réseaux sociaux sur lesquels les individus peuvent s'exprimer librement ont une date de création. L'expression de l'opinion dans l'es-pace public remonte quant à elle à bien des années auparavant.

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Quelques siècles plus tôt, durant la période des Lumières, il est mis en avant cette idée que la société devrait s'organiser sur l'usage public de la raison, renvoyant à la faculté de penser et donc de raisonner de l'Homme ainsi qu'à sa faculté de débattre. A partir de cette dernière, un nouveau mode d'organisation de la société est mis en place qui ne base plus uniquement sur l'existence d'une parole divine que représentaient le roi et le Pape. L'Homme peut apprendre en dehors de toute hiérarchie humaine de pouvoir. Les méthodes empiriques et scientifiques sont par ailleurs mises en valeur. En cela réside une rupture culturelle qui va nourrir des revendications. Une nouvelle culture politique commence à se faire voir, ce sont les prémices de la révolution française. La déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 est un tournant majeur. La liberté d'opinion devient un droit fondamental.

« Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » « Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »26

Ainsi, tous les citoyens ont le droit d'exprimer leur propre opinion librement, ce qui est toujours le cas en France. Si l'émergence d'internet a élargi la liberté d'expression, l'émergence des talk-shows a également contribué au repositionnement des figures emblématiques de la démocratie par une redéfinition du processus de délibération publique. Le talk-show serait « la première manifestation à grande échelle du déplacement des frontières entre la sphère privée et la sphère publique » (Mouchon, 2005, p.12), engendrant un débordement de la parole ordinaire par des personnes « lambdas » ainsi qu'une scénarisation du réel.

Auparavant la discrétion, la pudeur et le quant-à-soi étaient définis par les institutions, les moralistes, penseurs, idéologues et pédagogues et les contours du débat public étaient codifiés par le corps social. La séparation entre espace public et espace privé demeurait un principe d'organisation du débat public. Il y a eu grâce aux talk-shows une redistribution de la légitimité, qui est maintenant accordée à différents acteurs. La distinction privé/public est subjectivement définie et non plus socialement.

26 Extraits de la « Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen », 1789.

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L'individu lambda n'est plus uniquement spectateur, tout comme sur les réseaux sociaux il interagit, il aime, il partage, il commente.

Peter Dahlgren27 effectue une distinction entre les sites internet permettant uniquement au créateur ou à un groupe de personnes restreint de s'exprimer en faisant une communication « one-to-many », aux réseaux sociaux qui présentent un mode de communication interactif « many-to-many ». Les réseaux sociaux sont accessibles au plus grand nombre et sont un espace libre non discriminant quant à la prise de parole. Ils offrent un nouveau moyen de s'exprimer dans l'espace public, ici numérique.

Chacun peut librement y produire du contenu, créer une page pour partager des opinions qui à leur tour peuvent être commentées. Des communautés peuvent se créer librement engendrant des contre-publics subalternes selon la thèse de Nancy Fraser28, « Les contre-publics subalternes constituent des arènes discursives dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours afin de formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs intérêts et leurs besoins » (Fraser, 2005, p. 126)

La chercheuse appliquait cette définition au temps de l'espace public bourgeois, mais cette dernière est toujours utilisable aujourd'hui pour qualifier le phénomène de regroupements sur les réseaux sociaux afin de produire un contre-discours vers des arènes plus larges. Ce fut le cas lors du mouvement des « gilets jaunes », formé sur les réseaux sociaux avant de devenir visible dans l'espace public. En 2019 sur Twitter, le hashtag « gilets jaunes » était l'un des plus utilisés. Effectuer une recherche par son biais permettait de trouver rapidement toutes les revendications individuelles et collectives.

Les réseaux sociaux forment ainsi un espace libre. Exceptés pour les personnes les plus âgées et éloignées du numérique, ils ne sont pas discriminants quant à la prise de parole dans l'espace public. Ils permettent l'expression de points de vue contestataires minoritaires dont l'expression ne peut pas toujours justement avoir lieu dans l'espace public traditionnel. Cette production nouvelle de contenu fait émerger des

27 Peter Dahlgren est professeur à l'Université de Lund en Suède où il enseigne les médias de la communication. Il est spécialisé dans l'analyse de l'espace public.

28 Nancy Fraser est professeure de philosophie et de politique à la New School for Social Research à New York.

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questions qui ne se posaient pas forcément, et pour lesquelles il n'y avait pas forcément de place. Les réseaux sociaux ont donc joué un rôle majeur en rendant possible l'expression et le partage d'opinions en dehors des frontières terrestres et temporelles de manière instantanée, permettant à tout un chacun de donner son avis sur n'importe quelle question et de rendre ses convictions personnelles publiques. De surcroît, ce sont de nouveaux outils précieux pour les entreprises qui s'en servent pour communiquer sur leur activité. De nouvelles problématiques communicationnelles ont fait leur apparition.

Contextualisation Instagram

Histoire et temps fort du réseau social

« Ce n'est pas un triomphe technologique. C'est un triomphe du design et de la psy-

chologie. »29

Juste après minuit, le 6 octobre 2010, Instagram est mis en ligne par son créateur Kévin Systrom et son associé Mike Krieger, sur la plate-forme IOS et est alors télé-chargeable uniquement sur iPhones. Il faut attendre 2012 pour que l'application soit disponible sur Android, puis 2016 pour la version Windows mobile.

24 heures après son lancement, l'application mobile compte déjà 25 000 utilisateurs. En un mois, elle passe le cap du million d'inscrits. Mais qui est donc à l'origine de ce réseau social que plus d'un milliard de personnes dans le monde utilisent aujourd'hui quotidiennement ?

Etudiant, Kevin Systrom est passionné par la photographie et est président du club de photo de son lycée. En 2002, il rejoint l'Université de Stanford où il est encouragé dans sa passion par ses professeurs. Ses camarades se souviennent de lui comme d'un élève aux présentations brillantes, doué pour le design et la photographie. L'un de ses camarades Alex Gurevich se remémore « Mr. Systrom had his eyes on mobile phones

29 Citation de Clifford Ivar Nass dans le New York Times, professeur à l'Université de Stanford en communication.

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as the wave of the future.»30 Après avoir obtenu son diplôme, il est embauché chez Google où il travaille trois ans. Puis il rejoint Nextstop, site de recommandation de voyage fondé par quelques-uns de ses anciens collègues de Google. Ayant établi de nombreux contacts avec des investisseurs, Systrom a alors une idée derrière la tête, la création d'un nouveau business. Lors d'une fête au Madrone Bar en janvier 2010, il rencontre Steve Anderson investisseur auprès du réseau social Twitter. Il lui montre alors le projet sur lequel il travaille en secret, nommé « Burbn » en référence à son alcool préféré le bourbon. Systrom n'avait alors encore qu'un prototype et des idées : construire un service via lequel les utilisateurs peuvent partager leur localisation avec leurs amis et des photos.

Par la suite et à la recherche d'un partenaire, il rencontre Mike Krieger ingénieur et immigrant brésilien. Ce dernier apporte ses compétences au service du projet, en alliant le codage à la psychologie et la linguistique à la philosophie. Ils travaillent tous les deux sur l'application dans les moindres détails en ce qui concerne son design. Ils considèrent que « Burbn » ne fonctionnera pas car dispose de trop de fonctionnalités et se rapproche de ce que propose Foursquare31. A l'époque où la sortie de l'Iphone 4 est annoncée avec une qualité d'appareil photo améliorée, ils décident que le concept de leur application sera le partage de photographies. Ce qui semble être apprécié des quelques utilisateurs auxquels Kevin Systrom fait tester « Burbn ».

« Burbn » est alors renommé « Instagram » en comparaison à un télégramme instantané. Les fondateurs sont alors rejoints par de nouveaux collaborateurs (dont des diplômés de Stanford) et des investisseurs intéressés. Ce n'est alors que le début d'une success story. En 2011 Instagram est élu « application de l'année » par Apple32.

En 2012, assistant à son succès foudroyant, Marck Zuckerberg voit en Instagram une menace, ced'un concurrent qui connaît une croissance fulgurante, mais aussi la peur d'un rachat par Google et Twitter. Le fondateur de Facebook annonce alors à Kévin Systrom vouloir acheter sa création. Durant 48 heures les deux hommes négocient et les deux sociétés mettent en place une transaction d'un milliard de dollars en espèces

30 The New York Times « Behind Instagram's Success, networking the Old Way ». Systrom imaginait un grand futur pour le téléphone portable. https://www.nytimes.com/2012/04/14/technology/instagram-founders-were-helped-by-bay-area-connections.html

31 « Foursquare permet à l'utilisateur d'indiquer où il se trouve grâce à un système de géolocalisation et de recommander des lieux de sorties » (Wikipédia).

32 «Apple names Instagram top app of the year» (Washington post, 2011)

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et actions. Kevin Systrom et Mike Krieger occuperont les postes de directeur général et de directeur de la technologie jusqu'à leur démission en 2018.

Zuckerberg publie un long post sur sa page Facebook personnelle pour expliquer ce rachat. Si l'application reste indépendante, il souhaite néanmoins durcir les conditions d'utilisation en permettant d'exploiter et de partager les données d'Instagram avec Fa-cebook et réciproquement. Des associations de consommateurs et des millions d'uti-lisateurs déjà inscrits ont protesté. Les nouveaux responsables d'Instagram sont alors revenus sur leur décision et essayent de se racheter auprès de la communauté en étant de plus en plus transparents.

Le rachat d'Instagram par Facebook pour une valeur d'un million de dollars paraît être une somme colossale. Pour autant, l'agence de presse américaine Bloomberg News estime dans une étude datant de 2018 que l'application vaut aujourd'hui plus de 100 milliards de dollars. La valeur de la célèbre application mobile se serait ainsi multipliée par 100. Zuckerberg avait vu juste.

Caractéristiques et fonctionnalités d'un réseau social basé sur l'image

Pour une bonne compréhension du réseau social Instagram mais aussi une définition de son lexique et vocabulaire spécifique, nous allons étudier et définir les différentes caractéristiques et fonctionnalités de ce média social.

Nous avons déjà évoqué le nom original « Burbn » pensé par le créateur, qui sera finalement mis de côté au profit d'« Instagram » mot valise comprenant « Insta » de l'anglais « instant camera » (appareil photographie instantané) et « gram » pour « telegram ».

En tant que média social basé sur l'image et l'esthétisme, il nous apparaît également intéressant de s'attarder sur la charte graphique33 de ce dernier. La version originale de son logo était un polaroïd comprenant une bande arc-en-ciel verticale en son milieu réalisé par Kévin Systrom lui-même. Jugé trop vintage par les deux co-fondateurs, ces derniers délèguent la réflexion au photographe et designer Cole Rise. Le nouveau logo

33 La charte graphique désigne les différents éléments graphiques (logos, polices, couleurs, symboles...) utilisés par une marque afin de garantir l'homogénéité et la cohérence de sa communication en son sein et auprès d'un public externe.

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en flat design est alors une icône carrée (symbole du format des publications sur le réseau social) comprenant un appareil photo inspiré des années 50 avec la même bande arc-en-ciel situé en haut à gauche de l'appareil avec l'inscription « Inst ». Logo qui sera repris et légèrement modifié en 2011 pour une version encore plus moderne avec l'ajout du « a » pour une inscription « Insta ».

En 2016 une grande évolution au niveau de la charte graphique est entreprise en interne. Instagram se dote d'une nouvelle identité visuelle.

Figure 8 Evolution du logo de l'application Instagram
Source : Canva

Son logo représente maintenant un appareil photo blanc sur un fond arc-en-ciel tricolore dégradé, pour une nouvelle modernité. Le réseau social qui avait effectué diverses études auprès de ses utilisateurs, explique « cette nouvelle apparence reflète à quel point la narration est devenue riche et variée sur Instagram. Inspirée par l'ancienne icône, cette forme simplifiée représente un appareil photo plus évolutif avec l'arc-en-ciel prenant vie dans sa version dégradée. »34

Suivant la même évolution que son logo, l'interface de l'application a elle aussi évolué avec la volonté de mettre davantage en avant et en valeur les photographies et vidéos partagées par les utilisateurs.

34 « Instagram dévoile son nouveau logo et sa nouvelle identité visuelle » (Agence presse-citron.net, 2016). https://www.presse-citron.net/instagram-devoile-son-nouveau-logo-et-sa-nouvelle-identite-vi-suelle/

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Figure 9 Evolution de l'interface de l'application entre 2010 et 2019

Source : vidéo « Evolution of Instagram 2010-2020» («World Evolution» sur Youtube, 2020)

Ce changement d'identité très rapide (effectué en une mise à jour) n'a pas fait l'unani-mité. Beaucoup d'utilisateurs ont critiqué et commenté cette nouvelle charte graphique. Certains commentaires sont portés sur la disparition de l'arc-en-ciel élément phare, bien que ce dernier se retrouve dans le dégradé coloré.

Le principe d'Instagram consiste à partager ses contenus images et audiovisuels aux autres utilisateurs en quelques clics et quelques secondes seulement, à aimer les publications d'autres membres, à laisser des commentaires, et à dialoguer avec eux via une boite de message « Instagram direct ».

A la création de leur compte, les utilisateurs disposent d'une page Instagram personnelle : leur mur également appelé « feed », grille ou galerie photos. Toutes leurs publications sont ainsi regroupées au même endroit. En descendant dans la page, les photos les plus anciennes se chargent et apparaissent. Sur cette même page se trouvent le nom de l'utilisateur ainsi que sa photo de profil cliquable pour accéder aux dernières stories de ce dernier s'il en a posté, ainsi que d'autres renseignements comme le nombre de publications, d'abonnés (personnes qui suivent le compte) et d'abonnements (les personnes que le compte suit). En dessous un espace est réservé à une courte description que chacun peut personnaliser, il est possible d'y ajouter des liens cliquables.

Figure 10 Capture d'écran du compte de la Figure 10 Capture d'écran du compte de la

Youtubeuse et influenceuse Lena Mahfouf Youtubeuse et influenceuse Lena Mahfouf

alias Lena Situations sur mobile alias Lena Situations sur mobile

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Chaque utilisateur a la possibilité d'ouvrir son compte à tout public ou de le mettre en privé. Dans le premier cas, ses publications seront visibles par tous et n'importe qui pourra s'y abonner. Dans le deuxième cas elles ne seront visibles que par les abonnés dont l'abonnement devra être accepté.

Les personnalités et entités connues ainsi que les organisations peuvent demander une certification. Un badge bleu apparaît alors à côté du nom de l'utilisateur, témoigne de l'authenticité du compte et permet d'éviter l'usurpation d'identité. Il faut respecter un certain nombre de conditions pour être certifié : avoir une biographie sur son compte et publier un contenu régulier qui respecte les conditions d'utilisation. Toute demande est étudiée et des certifications peuvent être refusées, il faut qu'il y ait un intérêt, tout le monde ne peut pas l'obtenir.

Enfin, sur la page personnelle se trouve le bouton call to action35 « s'abonner », qui se transforme en « contacter » une fois que l'abonnement a été réalisé.

35 Les « call to action » sont des boutons qui appellent l'usager à cliquer dessus et ainsi à passer à l'action (acheter, s'abonner...)

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Quand les membres souhaitent poster, la démarche est simple. Il suffit de cliquer sur le carré « + » en bas et au centre de l'interface. A ses débuts l'application n'acceptait que les formats carrés pour un affichage en 640x640 pixels. Caractéristique alors gênante pour les utilisateurs qui étaient souvent amenés à devoir rogner leurs photos. En 2015, Instagram élargit la possibilité aux photos portrait et paysage. Les membres sont invités à choisir la ou les photos (ou vidéos) qu'ils veulent publier. Si à l'origine quinze filtres étaient disponibles, une quarantaine de filtres aux appellations différentes est proposée aujourd'hui afin de sublimer ses photos.

Figure 11 Les premiers filtres proposés par Instagram, appliqués à la même photo Source : agence de communication digitale Kinday

En plus de cette sélection, de nombreuses applications mobiles comme « Facetune » « Lomographe » et « Caméra HD » proposent des certaines de filtres, la sélection est alors infinie. Les filtres vont d'une simple coloration de l'image selon un réglage de paramètres définis, jusqu'à la modification du visage et des effets particuliers. Les utilisateurs peuvent également modifier eux même la luminosité, le contraste, la chaleur, la saturation, la couleur, les ombres, la netteté, l'ajout d'un cadre, et d'autres paramètres de base.

Les filtres ont été à l'origine de la particularité d'Instagram. Certains influenceurs partagent leurs astuces pour des filtres réussis tandis que des milliers de conseils regorgent sur le net à ce sujet. Canva a même étudié un million de post afin de déterminer les filtres les plus populaires.

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Puis les utilisateurs sont invités à ajouter une légende à leur publication. Il s'agit d'un court texte de maximum 2200 caractères pour accompagner le(s) photographie(s) qui vont être mises en ligne. Les usagers sont totalement libres d'y écrire ce qu'ils veulent et d'y « taguer »36 d'autres utilisateurs.

A cette étape, il est également proposé d'identifier des personnes (qui recevront une notification et dont la photo rejoindra leur profil dans la catégorie « identification »). Il est possible d'ajouter la localisation de l'endroit où la photo a été réalisée de manière automatique si la géolocalisation du téléphone est active, ou manuelle. Les utilisateurs ont le choix de remplir eux-mêmes cette information en renseignant n'importe quel endroit. Une option permet également de publier le contenu sur Facebook, Twitter ou Tumblr. Enfin, l'ajout de hashtags est une pratique courante qui a été popularisée par le Twitter. Grâce à leur utilisation, les membres peuvent cibler leurs recherches en fonction d'un thème en particulier et avoir accès au contenu qui y est associé. Il est courant que les hashtags et les légendes soient en anglais afin de toucher un plus grand panel d'utilisateurs, Instagram étant une application à échelle mondiale. Metri-cool a publié la liste des dix hashtags les plus populaires en 2019 sur le réseau social. Les voici « love », « instagood », « photooftheday », « fashion », « beautiful », « happy », « like4like », « picoftheday», «art» et «photography».

Des hashtags qui tournent autour de l'amour, de la prise de photo au quotidien, de la mode, de la beauté, de la volonté d'obtenir de nouveaux abonnés et un appel aux likes (à aimer une publication).

Depuis 2013, l'application propose le partage de vidéos limitées à 15 secondes. En 2015, elle crée l'application indépendante « Boomerang » qui permet de faire des boucles de vidéos qui reviennent à leur début infiniment. Les créations réalisées sont directement importables depuis Instagram pour les partager depuis son compte personnel. En 2016, Instagram constate une hausse de la consommation de contenus audiovisuels sur l'application, annonce vouloir davantage développer ce partage en allongeant leur durée maximum à 60 secondes. Quelques années après en 2018, le réseau social va plus loin en créant les « IGTV » nouvelle application entièrement dédiée à la vidéo mobile en format vertical et avec une interface conçue spécialement.

36 Taguer consiste à identifier un autre utilisateur sous une publication. Ce dernier recevra alors une notification et aura alors la possibilité de garder l'identification ou non.

Instagram complète « D'ici 2021, la vidéo mobile représentera 78 % du trafic de données mobiles total. Nous avons vu que les audiences plus jeunes passent plus de temps avec les créateurs de contenu amateurs, et moins de temps avec les professionnels »37. Application à part entière, la fonctionnalité IGTV est également directement présente sur le réseau social.

Pour concurrencer Tik Tok qui est de plus en plus populaire38 notamment auprès du jeune public, Instagram crée un nouveau format de vidéos d'une durée de 15 secondes (équivalent au format des vidéos présentes sur le réseau social concurrent). La fonctionnalité « Reels » est mise en place le 24 juin 2020 sur le marché français. Elle inclut du contenu visuel, audio et propose des outils créatifs ainsi que des effets de réalité augmentée (des effets similaires à ce que propose TikTok) et a pour objectif de « révéler une nouvelle génération de talents ». Sur le même principe que les IGTV, les vidéos Reels sont ajoutées sur l'espace personnel de chaque utilisateur.

Ce n'est pas la première fois qu'Instagram crée une nouvelle fonctionnalité en s'inspi-rant d'un concurrent. En 2016, le réseau social met en place les « stories », concept phare dont Snapchat est à l'origine. Les utilisateurs peuvent mettre en avant des vidéos et photos pour un contenu éphémère (24 heures), sous la forme d'un diaporama qui apparaît en haut du fil d'actualité et également en haut du profil personnel de l'usa-ger (s'il souhaite conserver sa story pour la mettre à la une). En ouvrant cette nouvelle fonctionnalité, Instagram a écrasé Snapchat et renforce sa supériorité. Kévin Systrom s'est exprimé « Tout le mérite revient à Snapchat (...) La question n'est pas qui a inventé quoi. La question, c'est le format et la façon dont nous l'amenons à notre réseau en y injectant notre esprit. »

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37 « Présentation d'IGVT - L'avenir de la vidéo » ( business.instagram.com)

38 En 2020 TikTok enregistre 800 millions d'utilisateurs par mois ( blogdumodérateur.com)

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Figure 12 Quelques nombres à propos de la consommation quotidienne de stories
sur les différents réseaux sociaux. Source :
techcrunch.com

Typologie des utilisateurs

Sur Instagram, chaque utilisateur peut produire du contenu et en consommer. Mais qui sont ces récepteurs et consommateurs tant particuliers ?

La société Wibbitz39 a réalisé en 2019 une étude relative aux tendances d'utilisation d'Instagram et les comportements de son audience. 1000 personnes ont été interrogées aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France. Cette étude sur un panel restreint a mis en avant certaines préférences d'utilisation d'Instagram : 95% de la génération Z40 et 86% de la génération Y41 alias les Millenials utiliseraient Instagram.

Une autre étude menée en 2014 et publiée en 2015 par le Pew Research Center sur un échantillon de 2000 internautes américains, révèle que 29% des femmes interrogées utilisent Instagram contre 22% des hommes interrogés. En matière d'âge, 53% des 18-25 ans questionnés sont présents sur le réseau social pour 25% des 30-49 ans, 11% des 50-64 ans et 6% pour les plus de 65 ans.

Qu'en est-il des moins de 18 ans ? En 2015 Piper Jaffray42 mène une étude auprès de 9 400 américains âgés de 13 à 19 ans, l'objectif étant de connaître leur réseau social

39 Entreprise qui propose des solutions de création de vidéo en ligne

40 La génération Z désigne les personnes nées à la fin des années 90 et à partir de l'an 2000 alors que le numérique était déjà bien développé.

41 La génération Y désigne les personnes nées entre le début des années 80 et la fin des années 90.

42 Banque d'investissement américaine basée à Minneapolis qui exerce aussi une activité de gestion d'actifs au service des PME.

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préféré. Instagram obtient 33% des votes, Twitter 20%, Snapchat 19% et Facebook 15%.

Instagram a ainsi particulièrement du succès auprès des jeunes qui ont investi massivement l'espace proposé par les réseaux sociaux dès leur création. Nous rappelons que la limite d'âge est de 13 ans conformément à la « Children's Online Privacy Protection Act ». Cependant, l'âge d'une personne qui s'inscrit n'est pas vérifié et nombreux sont ceux qui mentent en se donnant quelques années de plus. Toutefois une option (peu utilisée) permet aux autres utilisateurs de signaler la présence des membres d'Instagram qui n'ont pas l'âge requis.

Le concept de « digital natives » (natifs du numérique ou encore enfants du numérique) a été cité pour la première fois par le chercheur Marc Prensky dans son article « Digital natives, Digital immigrants ». Il entend par cette appellation désigner toutes les personnes nées après les années 80 à l'ère du numérique et qui ont intégré son langage. Il se distingue en opposition aux « Digital immigrants » qui eux sont issus des générations antérieures et ont dû s'adapter au numérique. Les termes sont nombreux, la génération Y en particulier est qualifiée de génération C pour « connectée ». En réalité c'est davantage un état d'esprit relatif aux technologies du numérique qui qualifie cette génération plutôt qu'une date de naissance.

La génération C peut se définir par quatre C43 : le C de connexion car cette dernière est quasi permanente, le C de créativité pour la création de contenu issu de leur quotidien, le C de communauté pour le besoin de s'intégrer et de se sentir faire part d'un même groupe, et le C de curation44 pour leur sélection et mise en valeur de certains contenus.

43 « Instagram ou la dictature consentie. Genre, sexualisation et marketing sur le réseau de l'image carrée », mémoire de recherche de Sarah Marchand, 2016

44 La curation désigne la pratique qui consiste à effectuer une veille sur un sujet ou domaine d'activité, à sélectionner l'information et la partager à une audience. Aujourd'hui nombreux sont les utilisateurs qui font de la curation de contenu sans même le savoir. Avec les réseaux sociaux tout le monde peut prendre la parole sur un sujet particulier.

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Concernant les pratiques des utilisateurs, l'étude « Etude Instagram : de l'utilisateur à l'influenceur »45, publiée en mars 2014 par Kindai, agence de communication digitale est menée sur un échantillon de 689 utilisateurs français d'Instagram de plus de 16 ans. Elle dresse un portrait de l'utilisateur moyen. En 2014, ce dernier suit en moyenne 134 autres comptes. Il suit des marques liées au tourisme et au voyage ainsi que dans une moindre dimension des marques de mode et vêtements. 76% des utilisateurs français se connecteraient au moins une fois par jour, mais 56% se connecteraient moins de 3 fois par jour. 85% des utilisateurs français publient un minimum de deux photos par semaine, pour 66% qui publient moins de 5 photos par semaine.

Deux typologies d'utilisateurs se distinguent : les personnalités publiques (ou « people ») et les influenceurs. Instagram a connu un succès fulgurant grâce à la présence d'un bon nombre de personnalités (acteurs, chanteur, sportifs etc.) Ce fut le cas de Justin Bieber qui dès la création du réseau social, s'y est inscrit attirant avec lui des milliers de fans. Instagram permet à ces derniers de se sentir proches des célébrités qu'ils admirent, et de suivre leur quotidien.

En 2020 les comptes Instagram les plus suivis sont le sportif Cristiano Ronaldo (235 millions d'abonnés), la chanteuse Ariana Grande (197 millions), l'acteur The rock alias Dwayne Johnson, Kylie Jenner personnalité de la télé réalité américaine et influen-ceuse (189 millions), la chanteuse, actrice et productrice Selena Gomez (187 millions), Kim Kardashian (184 millions), Leo Messi (162 millions), Beyoncé (152 millions) et Neymar (140 millions).

Les personnalités postent des photos de leur quotidien, d'elles même, souvent en rapport avec leur domaine d'activité, et laissent parfois entrevoir ses coulisses. Certains « people » peuvent aussi être des influenceurs et diffuser leur opinion auprès de leur communauté et parfois même influencer leur acte d'achat. Nous tenons à faire la distinction entre les deux termes car un bon nombre d'influenceurs deviennent célèbres grâce aux médias sociaux, tandis que la majorité des célébrités sont connues pour une activité qui est extérieure à Instagram. La frontière entre les deux est néanmoins poreuse car de nombreux Youtubeurs connus à l'origine pour leurs vidéos sont

45 Nous n'avons pas trouvé d'études plus récentes dressant les caractéristiques de l'utilisateur moyen. Seules des études tournées vers les marques à des fins stratégiques indiquent quelques comportements des utilisateurs. Il est fort probable que le comportement de l'utilisateur moyen est évolué depuis 2014. https://fr.slideshare.net/AgenceKindai/tude-instagram-de-lutilisateur-linfluenceur

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considérés et se considèrent aussi comme des influenceurs. Certains revendiquent l'appellation « créateur de contenu ». Dans le cadre de leur production audiovisuelle, ils développent des partenariats et des placements de produits avec certaines marques, business qui s'est étendu à Instagram. Squeezie (6,4 millions d'abonnés), Enjoyphoenix (5 millions), Norman Thavaud (6,2 millions) et Natoo (3,8 millions) en sont des parfaits exemples.

Les influenceurs deviennent prescripteurs d'un ou plusieurs domaines d'activité, c'est-à-dire qu'ils ont acquis de la notoriété ainsi qu'une certaine légitimité à recommander à leurs abonnés l'achat d'un produit ou d'un service, et à partager d'une opinion.

Ces influenceurs peuvent apporter de la visibilité à une organisation, un produit ou un service, renforcer une image de marque, faire vendre. C'est une grande responsabilité car ils sont suivis par des milliers ou des millions de personnes. De plus en plus d'in-fluenceurs se servent de leur notoriété pour faire passer des messages, mettre en avant une cause ou une association sans contrepartie, ou encore sensibiliser leur communauté autour de thématique comme l'écologie ou le féminisme.

Analyse sémio-pragmatique

Comme développé dans la partie méthodes et approches, la base de l'analyse sémio-pragmatique d'une production spécifique dans un contexte unique consiste à émettre l'hypothèse qu'un acte de communication ne se fait pas dans un seul espace commu-nicationnel mais bien dans deux espaces distants.

Sur Instagram, les émetteurs sont les utilisateurs qui publient du contenu. Les publications après avoir été postées vont être vues par les autres membres, qui deviennent alors des récepteurs (tout en pouvant être également émetteurs).

L'espace de l'émetteur

Les personnes derrière les comptes dénonciateurs sont à l'origine de la création de ces derniers et de leurs publications. Elles prennent part à une libération de la parole, dans un nouveau contexte lié au phénomène qu'est aujourd'hui Instagram (et le fait de se montrer soi et sa propre vie, de s'exposer et de se mettre en avant). Il peut s'agir de personnes seules qui prennent l'initiative de créer un compte ou de publier à ce sujet, ou d'un groupe de personnes, partageant une même vision et un objectif

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commun. Ces individus ont décidé de prendre la parole soit par constatation, ou parce qu'ils ont eux même vécu, ressenti et subit ce phénomène.

L'espace du récepteur

Les récepteurs sont les utilisateurs qui vont voir ces comptes et leurs publications. Ils peuvent tomber dessus par hasard sur le réseau social ou à la suite d'une recherche volontaire. Ils peuvent ensuite décider de s'abonner s'ils sont intéressés. Ils doivent être présents sur Instagram pour voir le contenu des émetteurs sauf dans les cas où les publications sont reprises et relayées par d'autres médias.

Sur le réseau social, les récepteurs ne sont pas obligés de s'abonner, cependant ils peuvent tomber dessus par hasard dans l'espace découverte d'Instagram (où l'on voit des publications suggérées en fonction de nos amis, de ce que l'on aime etc.) Le contenu vient au récepteur, mais libre à lui d'y accorder de l'importance ou non.

De manière plus générale, les récepteurs sont les utilisateurs qui reçoivent un contenu en fonction de leurs abonnements et de leur centre d'intérêt (ou bien parce qu'ils « tombent dessus »)

Il est intéressant de notifier qu'en fonction de ces paramètre la posture n'est pas la même. Il y a une grande différence entre aller chercher l'espace de communication déjà créé ou qu'il vienne à nous. En suivant un compte Instagram, les utilisateurs sont amenés à prendre connaissance d'un « avant » et sont maintenant dans l'attente de l'après.

Emetteurs et récepteurs partagent le même support de communication mais n'ont pas les mêmes intentions. D'un côté, l'émetteur veut faire passer un message conscient ou non derrière ses publications (dans le cas des comptes dénonciateurs oui), d'autre part le récepteur est mis face à un contenu qu'il a choisi (dans le cas des abonnements) ou non (dans l'espace découverte). La frontière entre les deux est mince, d'autant plus qu'un utilisateur peut-être à la fois émetteur et récepteur. Sur ce réseau les publications des uns sont le contenu des autres et vice-versa.

Il s'agit généralement d'une communication différée, émetteur et récepteur ne sont pas toujours en coprésence.

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- Le récit

Derrière chaque publication, il y a une histoire, celle de l'utilisateur. Ce dernier peut décider de partager des « bouts » de vie et ainsi réaliser une narration de son quotidien. Dans le cadre de notre sujet, les comptes dénonciateurs veulent faire passer un message à l'aide de publications, de photographies ou d'illustrations et d'une légende.

- La perception visuelle et interprétation

La perception visuelle est propre à chacun. Les récepteurs peuvent interpréter différemment le contenu auxquels ils font face selon leur à priori, leur niveau de connaissances etc. De même, sur Instagram les émetteurs d'un message peuvent « embellir » ce qu'ils partagent (en montrant une « autre » réalité, en l'exagérant, la mettant en avant). Pour illustrer ce propos prenons l'exemple d'une personne qui partage une vidéo d'une soirée à laquelle elle s'est ennuyée, et était avec des personnes qu'elle n'appréciait pas. Pour autant, les individus qui vont la voir peuvent penser qu'elle a passé un super moment, et ressentir alors différentes émotions comme de la joie pour la personne, ou même de la tristesse ou de la jalousie (si le récepteur se sent mal à ce moment-là et que lui n'est pas sorti par exemple.) Ils se créent une représentation à partir du contenu transmis et du message sous-entendu.

- Quels moyens d'expression ?

Si le langage permet de se faire comprendre, la langue n'est pas la même pour tous. Sur Instagram, tout le monde ne peut pas se comprendre et se faire comprendre.

La langue universelle utilisée sur ce réseau social est l'anglais, mais encore faut-il le maîtriser (néanmoins une traduction automatique est proposée). Il y a ainsi généralement des comptes dénonciateurs dans chaque pays conformément à la nationalité de leur créateur, et d'autres qui préfèrent utiliser l'anglais pour s'exprimer afin d'avoir une portée internationale.

En plus de la langue, la culture est à prendre en compte. Les membres peuvent ne pas comprendre ou saisir l'enjeu d'une publication d'un individu s'ils ne sont pas de la même culture.

Parfois si une photographie est présente sans texte, l'interprétation peut être faussée. Les utilisateurs peuvent également décrire une autre « réalité », nous développerons largement ce phénomène dans les chapitres qui vont suivre.

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Les actants (émetteurs et récepteurs) mobilisent différents processus de communication appelés « compétences communicationnelles ».

Les contraintes liées à ce réseau social semblent être les suivantes :

- Contrainte discursive : les utilisateurs transmettent des messages en se basant sur leur expérience vécue. Les comptes dénonciateurs appellent à la réflexion et invitent à se rendre compte des dérives et dangers d'Instagram. En partageant leur point de vue, ils ont la volonté de « faire ouvrir les yeux ».

- Sémiolinguistique : la maîtrise des langages et du réseau social est nécessaire.

- Socioculturelle : les interactions varient selon les intentions, les cultures des utilisateurs et leur dimension personnelle, mais aussi du contexte dans lequel elles s'inscrivent.

- Référentielle : nécessité de maîtriser Instagram et de suivre ses évolutions (mises à jour). Chaque utilisateur dispose de sa propre expérience de vie, et d'une certaine expérience en tant que membre de ce réseau social.

Discours critique et manipulation des images

Le phénomène de manipulation des images n'a pas attendu Photoshop pour exister. En tout temps et notamment au XXème siècle, de nombreux dirigeants politiques manipulaient les images à des fins de propagande. Les dirigeants soviétiques effaçaient sur les photos, les responsables politiques discrètement éliminés par le régime, de manière à ce que ce soit comme s'ils n'avaient jamais existé.

Ce qui est différent aujourd'hui, c'est que la manipulation des images est rendue accessible à tous depuis les réseaux sociaux qui sont devenus le terrain de diffusion des fake news, de désinformations, et de théories du complot. Cette manipulation passe par la retouche et la modification des images mais aussi par l'utilisation d'images en dehors de leur contexte.

Sur Instagram la manipulation des images peut encore avoir un autre sens. Pour n'im-porte quelle photographie postée, se cachent un point de vue, un cadrage, un contexte ainsi qu'une intention de l'auteur. Grâce aux images, les utilisateurs peuvent s'inventer une « fake life », mais aussi des fausses émotions.

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L'influenceuse Natalia Taylor a par exemple fait croire à ses abonnés qu'elle était en voyage à Bali alors qu'elle faisait ses courses chez Ikea. La jeune femme a posté des photos d'elle mise en scène dans le magasin afin de provoquer l'illusion. Elle prend la pose dans une baignoire et devant un miroir avec un décor en bois brut et des palmiers. La localisation des publications indique alors « Bali Indonesia », et ses légendes sont les suivantes : « La reine est arrivée #bali », « Où devrais-je voyager la prochaine fois ? Commente ci-dessous et j'irai peut-être ».

Le couple image/texte et localisation fonctionne à tel point que les abonnés de l'in-fluenceuse sont trompés et croient à la supercherie. La jeune femme avait tout de même laissé certains indices sur les photos comme les feuilles de caractéristiques des meubles.

Figure 13 Captures d'écran de deux publications Instagram de Natalia Taylor

Dans une vidéo46, Natalia Taylor explique la supercherie. Elle souhaitait montrer à ses abonnés qu'il ne faut pas se fier à tout ce qu'ils peuvent voir sur le réseau social, et qu'il faut être vigilant.

46 « I FAKED a vacation at IKEA», Natalia Taylor, février 2020 https://www.youtube.com/watch?v=sz42PrqWq-g

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Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les dangers et limites d'Instagram

L'appropriation de la plateforme par les utilisateurs : une activité détournée de celle originairement pensée par le créateur.

La création d'un étudiant passionné et la sortie du schéma traditionnel de la photographie

Comme nous l'avons vu précédemment, Instagram a été pensé par un passionné de photographie qui a mis en ligne une plateforme permettant à tout un chacun de partager des photos prises sur son téléphone de manière instantanée au reste du monde. Avec ce concept phare, le réseau social a largement contribué à la sortie du schéma traditionnel de la photographie vers une pratique de la photographie numérique. Ce phénomène aussi nommé « phonéographie », consiste à prendre des photos avec son téléphone portable.

Les appareils photos des téléphones mobiles sont sans cesse améliorés, de plus en plus puissants et deviennent de véritables arguments de vente, au détriment des appareils photo traditionnels dont la vente est en baisse depuis 2009.

Dans une interview menée par l'investisseur Josh Constine47, Kevin Systrom explique « Nous n'avons jamais planifié de changer la photographie. Pour nous l'idée était que poster une photo était simplement le meilleur moyen de transmettre un message. » Le fondateur d'Instagram confie également que les filtres n'étaient pas prévus dans la première version d'Instagram. L'objectif avant tout était de pouvoir partager des photographies en quelques secondes en toute simplicité et facilité d'utilisation.

Nous insistons sur le fait que la particularité du réseau social était originairement de permettre un partage de photos instantané (et de vidéos par la suite). N'importe qui, professionnels et amateurs, peuvent poster leurs photos et leurs vidéos en ligne, dans grand le nuage informatique.

47 «Kevin Systrom & Mile Krieger on Creating Instagram | SXSW», Josh Constine pour SXSW, 2019 https://www.youtube.com/watch?v=ZkOEajMcICo

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Pour Vincent Lavoie, professeur et historien à l'Université du Québec « L'usager devient maître de toute la chaîne, de la prise de photo à sa diffusion, en passant par son édition. »48 L'historien complète « On a toujours capturé des photographies en partie pour le lien social qu'elles génèrent. La carte postale, l'album de famille qui produit le récit d'intégration des générations. Mais la fonction première de la photo est devenue l'établissement d'un contact. On envoie un cliché dans l'attente d'une réactivité des destinataires. La volonté de créer une mémoire devient donc moins importante. On le voit bien avec l'application Snapchat quand les images disparaissent quinze secondes après leur ouverture. La fonction esthétique de la photo est parfois évacuée aussi. L'indifférence esthétique est valorisée comme un crédit d'authenticité »

Un succès rapide et une appropriation des codes de l'application par les utilisateurs

Si à l'origine le concept d'Instagram était le partage de photo en ligne de manière instantanée, les usages de l'application ont changé. Les publications sont davantage réfléchies, calculées et travaillées avec des applications de retouche.

La plateforme est également devenue un véritable business, ainsi qu'un atout dans le monde de la communication et de la publicité. Ces dernières années la qualité des publications sur le réseau social a augmenté car les marques, maisons de production, photographes et studios de design se sont appropriés les codes de l'application. Les entreprises y sont ainsi très présentes et une partie du fil Instagram est sponsorisé. Peut-on encore parler de spontanéité et de rapidité de publication quand les utilisateurs font attention aux moindres détails, à l'uniformité de leur page personnelle ?

Il ne s'agit plus de prendre une photo avec son téléphone et de la publier dans la foulée. De nouveaux codes ont fait leur apparition. Il y a toute une démarche de réflexion du contenu, de mise en scène de l'objet photographié et/ou de soi, parfois à l'aide d'outils (boites à lumières et anneaux lumineux) puis tout un procédé de retouche. « Ce n'est plus la photo qui reflète la vie du photographe, mais la vie du

48 « Comment le téléphone mobile a détrôné l'appareil photo en vingt ans », Nicolas Six pour lemonde.fr, 2020 https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/07/09/comment-le-telephone-mobile-a-detrone-l-appa-reil-photo-en-vingt-ans 6045653 4408996.html

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photographe qui s'adapte et se soumet aux contraintes photographiques. » (Marchand, 2016, p 59)

De même, de nombreux utilisateurs notamment les influenceurs utilisent des appareils photo professionnels pour effectuer des shooting photos qu'ils postent ensuite sur le réseau social, outrepassant la pratique de la phonéographie.

Dans son travail de recherche, Sarah Marchand prend également l'exemple de l'in-fluenceuse Coralie à l'origine du blog « Ellesenparlent.com ». La jeune femme investit beaucoup pour que sa page Instagram soit harmonieuse. Elle a ainsi acheté plusieurs planches de bois qu'elle a peint en différentes couleurs pour servir de fond à ses photos. Côté retouche, elle n'utilise pas moins de cinq applications différentes. L'insta-grammeuse Claudiasulewski va quant à elle jusqu'à acheter des vêtements qui correspondent aux couleurs de son feed Instagram. D'autres avouent sélectionner leurs meubles et décoration en fonction du contenu qu'elles prévoient de publier.

Certains utilisateurs s'imposent donc une ligne éditoriale ainsi qu'une charte graphique à respecter. Les usagers du média social créent eux-mêmes les occasions de prendre des photos, imaginent du contenu à l'avance et adaptent leur emploi du temps en fonction. Dans une interview réalisée par France Info, le chercheur Dominique Cardon échange avec la journaliste Clara Beaudoux à ce sujet et cette nouvelle narration de vie sur les réseaux sociaux « Ce qui est nouveau, c'est que ça veut dire que dans nos vies, et surtout dans l'univers juvénile, on vit l'évènement tout en pensant au récit de l'évènement qu'on va en faire. Il y a une sorte de petit dédoublement des individus, ça rend les individus un peu plus calculateurs, rationnels ou réflexifs dans leur manière de vivre les choses. »49

Les utilisateurs cherchent ainsi à avoir un profil valorisant, un contenu attractif et harmonieux. Ils développent un style artistique basé sur un savoir-faire nouveau s'acqué-rant par soi-même ou en suivant les conseils des autres. Certaines poses deviennent populaires au détriment de la spontanéité. Les membres d'Instagram se basent sur les photos publiées par les « digital influencers » et autres utilisateurs. Les contenus s'uni-formisent en fonction de ce qui fonctionne ou non sur le média social.

49 https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/reseaux-sociaux-plus-belle-la-vie-parta-gee 1653041.html

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Instagram et les réseaux sociaux, reflets des problématiques contemporaines

Dans une interview menée par The New York Times en novembre 2019, le journaliste Andrew Ross Sorkin échange avec le créateur d'Instagram et lui cite une étude réalisée en 2017 par la Royal Society for Public Health au Royaume-Uni. Cette dernière indique que ce réseau social entraîne de l'anxiété et cause d'autres effets sur la santé mentale des utilisateurs (notamment de la tranche d'âge 12-24 ans). Au travers de ses propos de réponse, Kevin Systrom est conscient des dérives que peut avoir un média social d'une telle ampleur. Néanmoins, il explique que les réseaux sociaux sont le reflet de la société, et que c'est aussi aux utilisateurs et notamment aux entreprises d'avoir un comportement positif sur ces réseaux dans l'objectif de rendre le monde meilleur. Il s'agirait d'une responsabilité qui incombe à chacun. Pour le fondateur d'Instagram, ce réseau social est donc en tant que reflet de l'évolution de la société, le reflet des problématiques contemporaines.

Un terrain publicitaire et ses dérives

« Quant aux masses consommatrices, elles doivent demeurer naturellement dans
l'ignorance grâce à la connexion permanente
» (Flichy de la Neuville, 2020, p.15)

Si originairement Instagram a été pensé pour que ses utilisateurs puissent partager des photographies sans aucun but lucratif, cette époque est révolue.

Selon Flichy de la Neuville dans son ouvrage « Les esclaves psychiques d'internet », les nouvelles technologies et les réseaux sociaux qui en font partie ont pour objectif d'entraîner l'achat de biens de consommation. Le professeur et chercheur compare ainsi les utilisateurs à des victimes de « la fièvre acheteuse », qui deviendraient des « oniomanes »50. Ce trouble causé par un besoin de reconnaissance sociale se caractériserait par un achat compulsif suscitant l'euphorie, puis un sentiment de culpabilité quand cette dernière retombe. Le chercheur évoque également le terme « captologie »

50 L'oniomanie est un trouble entraînant des achats compulsifs. Le psychiatre allemand Emil Kraeplin a étudié cette pathologie à la fin du XIXème siècle.

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pour désigner la manière dont les utilisateurs seraient manipulés par les nouvelles technologies qui modifieraient leurs comportements.

Le scientifique et écrivain Jaron Lanier ayant travaillé à la Silicon Valley rejoint cette théorie. Selon l'auteur de « Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now », les utilisateurs d'Instagram au même titre que ceux des autres réseaux sociaux, sont traqués en permanence par des algorithmes51. Ces derniers seraient « adaptatifs », c'est-à-dire qu'ils évolueraient en fonction de notre comportement sur les médias sociaux. « Supposons qu'un algorithme nous montre une publicité pour une paire de bas ou de chaussettes environ cinq secondes après que nous ayons visionné une vidéo de chats qui nous rend de bonne humeur. Un algorithme adaptatif effectuera de temps en temps un test automatique pour voir ce qu'il se passe si l'intervalle passe, par exemple à quatre secondes et demi. Cela augmente t'-il la probabilité d'achat ? Si tel est le cas, l'ajustement de l'intervalle sera appliqué non seulement à notre futur fil d'actualité mais également à celui de milliers d'autres utilisateurs dont le comportement semble corrélé au nôtre, sur la base de données allant des couleurs préférées aux habitudes de conduite » (Lanier, 2020, p.21)

De ce fait, « L'algorithme essaye de déterminer les paramètres parfaits pour manipuler le cerveau, tandis que le cerveau toujours en quête d'un sens plus profond, change en réaction aux expériences de l'algorithme » (Lanier, 2020, p23)

Les algorithmes enregistrent toutes les données qui nous concernent, jusqu'à notre vitesse de lecture et expressions faciales selon Lanier.

Mais peut-on blâmer Instagram alors que l'utilisation de la plateforme est totalement gratuite et permet à tout un chacun de s'exprimer librement ? Lanier s'interroge sur cette problématique. Au XXème siècle les informaticiens et « hackers »52 revendiquent le partage gratuit des avancées technologiques et l'open source, or cette catégorie de personnes a pour objectif aujourd'hui de faire du bénéfice grâce aux réseaux sociaux. Ce débat est résolu par la mise en place de la publicité comme modèle économique. Cette dernière permet la gratuité des moteurs de recherche ainsi que des médias sociaux et parait être la seule solution. Pour autant, Lanier défend l'idée qu'il serait

51 « Un algorithme est composé d'instructions et d'opérations réalisées, dans un ordre précis, sur des données afin de produire un résultat, et souvent résoudre un problème plus ou moins complexe » ( journaldunet.fr)

52 « Communauté, culture partagée, de programmeurs expérimentés et de spécialistes des réseaux, dont l'histoire remonte aux premiers mini-ordinateurs multi-utilisateurs, il y a quelques dizaines d'années, et aux premières expériences d'Internet » (Wikipédia).

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judicieux de monétiser les réseaux sociaux par le biais d'un abonnement mensuel qui inclurait la possibilité de recevoir soi-même de l'argent en fonction de la portée de nos publications. Le chercheur voit cette rétribution comme une solution afin de pallier la destruction d'emplois liée à la robotisation et à l'intelligence artificielle. Il développe également l'idée qu'il est injuste que les données des utilisateurs soient prélevées sans aucune contrepartie. « Nous sommes face à un secteur d'activité qui est composé des entreprises les plus riches de l'histoire, et qui repose entièrement sur des données qui sont produites par des gens à qui l'on rabâche qu'ils sont inutiles » (Lanier, 2020, p.118). L'auteur prend l'exemple des traductions effectuées gratuitement par des internautes volontaires (émissions, vidéos etc.) que les réseaux sociaux reprennent sans même qu'ils en soient conscients. En effet, tout ce qui est posté sur Instagram appartient à Instagram. Face à tous les traducteurs automatiques, les nouvelles technologies font ainsi croire aux traducteurs qu'ils ne sont pas utiles, alors que les données de ces derniers (traductions en ligne) sont récupérées au service d'une intelligence artificielle (les traducteurs automatiques). Lanier évoque le fait que ces individus sont dépossédés et qu'ils devraient être rémunérés, et ainsi que les utilisateurs devraient être payés pour la valeur que leurs données apportent. Il prend l'exemple de Netflix pour lequel il faut payer un abonnement : les réalisateurs, acteurs et toutes les personnes apparaissant sur les bandes annonces des films et séries sont rémunérés en partie grâce à l'argent versé par les utilisateurs de la plateforme.

L'autre aspect économique d'Instagram réside en la création d'un nouveau type de valeur économique : le marketing d'influence. Les influenceurs en tant que véritables leaders d'opinion capables d'influencer le comportement de leurs abonnés sont fortement sollicités par les marques. Ce nouveau métier est tantôt adulé tantôt critiqué. En effet, beaucoup d'utilisateurs jugent que ce n'est pas une profession, qu'ils sont en dehors de la réalité et qu'ils font la promotion d'une consommation abusive et non écologique. Ils ne seraient pas légitimes de toute la fortune qu'ils amassent. De l'exté-rieur, les influenceurs sont souvent vus comme chanceux et ayant une vie de rêve car ils effectuent de nombreux voyages, reçoivent de nombreux produits et services gratuitement et font de leurs réseaux sociaux leur gagne-pain. En échangeant autour de nous dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons souvent entendu des remarques concernant les influenceurs en ce sens.

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Ainsi, ces dernières années nous avons constaté une arrivée en masse des marques, des publications sponsorisées, des partenariats et placements de produit sur Insta-gram. Les marques choisissent les influenceurs en fonction de la taille de leur communauté et ses valeurs, l'image qu'ils reflètent mais aussi le taux d'engagement de cette même communauté53.

Certaines entreprises choisissent un influenceur en particulier qui sera leur égérie. C'est par exemple le cas de L'Oréal et l'influenceuse Horia aux 2 millions d'abonnés. Tandis que d'autres enseignes misent sur de nombreuses collaborations avec divers instagrammeurs. Ici, nous pensons par exemple à la marque de montres Daniel Wellington qui a contourné la publicité par les médias traditionnels pour se concentrer exclusivement sur les réseaux sociaux, avec une présence massive sur Instagram. Leur stratégie de communication consiste à avoir recours à « l'user Generated Content », c'est-à-dire à reposter des publications des utilisateurs et se servir du réseau social comme une base d'images afin de promouvoir leurs montres. L'autre aspect consiste à proposer aux influenceurs de recevoir une montre gratuitement avec parfois une rémunération, en échange du partage d'un retour positif ainsi que d'un code promotionnel à leur communauté. Daniel Wellington a ainsi ciblé des influenceurs du monde entier et a été mentionné plus de 500 000 fois54 sur Instagram via un hashtag dédié. Si cette stratégie a été fructueuse pour la marque, certains utilisateurs ont été lassés de son omniprésence sur le réseau social, ce qui a quelque peu entaché son image de marque. En plus de voir des dizaines d'influenceurs en faire la promotion, les utilisateurs sont amenés à apercevoir ces montres dans des publications sponsorisées qu'ils n'ont pas choisies. Cette communication de masse peut provoquer l'effet inverse : l'envie de boycotter la marque.

Les influenceurs sont également accusés de recommander des produits et services qu'en réalité ils n'apprécient pas. Comment à travers son écran se rendre compte du mensonge ? Quelle crédibilité ont-ils quand ils font la publicité tour à tour de marques concurrentes ? Certains ne mentionnaient pas le caractère publicitaire de leurs posts, mention rendue aujourd'hui obligatoire par l'article 20 de la loi pour la confiance en

53 Le taux d'engagement se calcule en divisant le nombre de likes et commentaires aux nombres de followers, et en multipliant le résultat par 100.

54 https://medium.com/@ThomasMongin/daniel-wellington-une-marque-qui-doit-son-succ%C3%A8s-aux-influenceurs-3441ea9b9efb

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l'économie numérique. D'autres problématiques restent en suspens dans le débat public, les influenceurs se font-ils de l'argent sur leur dos de leur communauté ?

Le chercheur Lanier a un positionnement négatif sur la question. L'auteur développe dans son ouvrage incitant à se désinscrire des réseaux sociaux, l'hypothèse d'une altération de la vérité. Il mentionne en particulier les faux commentaires et avis positifs laissés en dessous de certaines publications de marques. Ces derniers sont réalisés par des personnes artificielles qui effectuent de fausses recommandations. C'est aussi le cas de certaines vidéos dont les vues sont générées automatiquement et des publications partagées en masse par des bots55.

Ces faux profils seraient composés de multiples données récupérées auprès de différents utilisateurs qui n'en sont pas conscients.

Instagram est également confronté à une autre problématique, le drop shipping. Ce terme anglais désigne la pratique qui consiste à revendre des produits achetés à un fournisseur, à des prix généralement plus élevés. Si cette pratique est légale, elle est néanmoins encadrée. Il y de nombreux abus effectués par des influenceurs qui ont déçu leur communauté, comme Emma Cakecup et son petit ami Oltean Vlad. Le couple effectuait la promotion de produits vendus à des prix dérisoires sur le site e-commerce chinois Aliexpress, qu'ils revendaient jusqu'à plus de 70 fois leur prix, ou encore ont vendu de faux écouteurs de la marque Apple56 Instagram cherche à combattre les pratiques frauduleuses qui est un fléau pour l'application.

Pour autant selon Lanier, le média social en tire un bénéfice, les comptes artificiels, bots et influenceurs créent du contenu et de l'activité sur Instagram et influencent malgré tout le comportement des autres utilisateurs. Les utilisateurs bien que de moins en moins dupes sont toujours là pour consommer. Consommer du contenu, acheter, li-ker... Sommes-nous alors les pions d'un système auquel nous contribuons ?

55 « Un bot est un petit programme ou robot logiciel qui "parcourt" Internet pour collecter différents types d'informations ou réaliser automatiquement certaines tâches. Certains bots "illégitimes" appelés bad bots correspondent à des activités ou pratiques le plus souvent frauduleuses ou non éthiques » ( défi-nitions-marketing.com)

56 https://www.youtube.com/watch?v=V6VbkCvaPI0 (Qu'est-ce que le dropshipping, le business qui envahit le web ? 2019, LeHuffPost)

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La question de l'image du corps et la démarche d'esthétisation de la vie

Les acquis autour de la généralisation des réseaux sociaux comme outils de partage et d'exposition de soi sont majeurs dans l'accomplissement de notre recherche, afin d'une part de montrer la spécificité d'Instagram, et ce nouveau rapport à l'esthétisme,

et d'autre part, de réfléchir à la question de l'illusion et des dérives de ce réseau social. Nous nous inspirons ici largement de l'article : « Représentations du corps et réseaux

sociaux : réflexion sur l'expérience esthétique contemporaine » d'Elisabeth Eglem. La Maître de Conférences en Marketing et Stratégies à l'Université du Havre s'intéresse à la publication massive de photographies sur Instagram.

Comme expliqué dans la partie sur la manipulation des émotions sociales, derrière de nombreuses publications se cacherait une dimension d'acceptation et d'appartenance au groupe. Il s'agit d'être reconnu, de recevoir l'approbation d'autrui sur ce que nous sommes et ce que nous vivons au travers de réactions (commentaires et likes).

Si cette valorisation de soi, et la mise en avant de nous même sur Instagram relève parfois du narcissisme, elle peut aussi être la recherche d'une vie « meilleure » que

l'on met en scène sur les réseaux à travers une narration de nous-même et notre vie. Rappelons-le, l'Homme est un être social qui pour évoluer a besoin de l'interaction avec les autres membres de la société.

La chercheuse se base sur l'expérience ici entendue comme la recherche d'émotions, d'esthétisme et de performance (sportive, artistique etc.) qu'elle définit comme dépen-

dante de la présence d'un récepteur (les autres utilisateurs du réseau social), et d'un

objet (le contenu) « Travailler son apparence, être satisfait du résultat, prendre la photo et la publier, voir l'effet produit ; admirer le corps de quelqu'un, ressentir une certaine

émotion, publier un commentaire. Les réseaux sociaux amplifient la capacité à exposer l'individu et son corps, et les possibilités de le contempler, déclenchant ainsi admiration, désir, dégoût, identification, etc. Ces ressentis se manifestent par des réactions concrètes et visibles par celui qui s'expose : likes, commentaires, décision de « suivre » ou non le profil d'un individu. » (Eglem, 2017, paragr.17)

Le contact visuel d'une multitude et variété de corps déclencherait selon elle une émotion directement liée à la propre perception que chacun a de l'apparence.

Mais peut-on réellement assister à la publication d'une grande variété de corps sur Instagram ?

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Les images de corps publiées permettent de s'insérer dans un courant esthétique, de susciter des émotions entraînant l'identification et la reconnaissance d'autrui. Eglem met en avant des pratiques de travail concrètes et non concrètes quand il y a des retouches ou un maquillage virtuel. Il y aurait ainsi une évolution de la consommation relayée par Instagram, l'apparition de nouvelles tendances esthétiques et de valeurs vers lesquelles les individus tendent, cherchent à s'y retrouver, à se faire une place et ainsi faire partie du groupe.

Les médias et réseaux sociaux véhiculent dans la société, des normes, des modèles, et réalisent une standardisation du modèle idéal du corps. Un discours auquel les individus s'identifient est également standardisé. Il tourne généralement autour de la musculation et des attributs mis en avant dans une démarche de « séduction ».

Des conceptions du corps sont reliées à son esthétisme. Par exemple une conception d'un corps « naturel » est corrélée à l'esthétisme d'un corps fin et souple, d'une bonne alimentation et de la sérénité qui peut par exemple être trouvée par le footing ou le yoga, ou encore une alimentation bio et végane.

De nombreux utilisateurs sont au coeur d'une véritable quête d'un corps correspond aux normes sociétales. Le selfie57, venant de « self », a fait son apparition. L'individu cherche à maitriser son image et recherche la meilleure de toutes. Il y a une sortie du schéma traditionnel de la photographie et l'apparition de nouvelles techniques de modification de l'apparence. Les utilisateurs cherchent à avoir un profil valorisant, un contenu attractif et harmonieux et peuvent utiliser pour ce faire, un maquillage digital, des filtres et d'autres gadgets technologiques.

Les utilisateurs sont mis face à des photos de « vie parfaite » publiées par des autres membres recherchant consciemment ou non l'admiration. Il y a une nouvelle mise en avant de soi, une narration et théâtralisation par une démarche d'esthétisme. Les individus cherchent à sortir du quotidien qui peut être banal par un procédé de mise en avant et de sublimation. Les likes, commentaires, vues sont pour eux une validation d'autrui, une reconnaissance et leur procure ainsi le sentiment d'exister, le sentiment qu'eux-même et leur vie sont assez attractifs pour susciter l'intérêt. Le banal devient donc un naturel amélioré, un nouveau style de vie.

57 Pratique consistant à se prendre soi-même en photo.

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L'individu produit des émotions par ses publications (voulues ou non) comme la fascination, le désir, la jalousie, le dégoût, la frustration ou bien encore l'identification.

Il y a une véritable recherche de performance entraînant une vulnérabilité de l'utilisa-teur liée à sa dépendance de l'avis et le regard d'autrui.

Les publications sur Instagram banalisent la pratique photographique. Les individus par ce biais recherchent le contrôle d'eux-même, et notamment de leur image, il y a un désir d'expression de soi, et de se façonner afin de recevoir l'approbation des autres et de se sentir appartenir au groupe.

Mais qu'en est-il du moment présent ? Il ne semble plus nous appartenir. Ces jeux sociaux et mises en scène nous déconnectent de la réalité et de ce que nous vivons. Nous voulons nous montrer toujours sous notre meilleur jour et ce que nous postons est parfois bien loin de la réalité que nous vivons.

L'engagement ou l'addiction et la modification du comportement

« Depuis qu'il est accro à Twitter, Trump a changé. Il reproduit les schémas comportementaux (...) et il perd parfois les pédales. En dépit de tout ce qu'il peut commettre, Trump est aussi une victime » (Lanier, 2020, p.53)

« Si Twitter cessait ses activités demain, non seulement Trump ne pourrait évidem-
ment plus envoyer de tweets, mais il deviendrait aussi, j'en suis persuadé, quelqu'un
de plus courtois et de meilleur à toute heure du jour, du moins jusqu'à ce qu'il se
rabatte sur une autre plateforme
» (Lanier, 2020, p.66)

Trump, une victime ? C'est ce qu'écrit Lanier dans son ouvrage qui incite à se libérer des réseaux sociaux qu'il appelle « empires de modification du comportement ». Le scientifique et chercheur dénonce le terme « engagement » si souvent utilisé pour qualifier le comportement des individus sur Instagram, qui cache selon lui une dépendance. Serait-elle l'explication du fait qu'une majorité des enfants des informaticiens et développeurs de la Silicon Valley (berceau des nouvelles technologies), soient inscrits dans des écoles où les appareils électroniques sont formellement interdits ? Le premier président de Facebook, Sean Parker s'est confié dans une interview pour Axios, site web d'information américain. « On doit en quelque sorte vous donner une petite dose de dopamine de temps en temps, parce que quelqu'un a aimé ou commenté une photo, une publication ou que quoi que ce soit d'autre. (...) C'est une boucle

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de rétroaction de validation sociale, exactement le genre de chose qu'un hackeur comme moi imaginerait, parce que ça exploite une vulnérabilité de la psychologie humaine. (...) Les inventeurs, les créateurs - c'est moi, c'est Mark Zuckerberg, c'est Kevin Systrom sur Instagram. (...) Dieu seul sait ce que ça fait aux cerveaux de nos enfants »58. Des aveux inquiétants de la part d'une personne qui a été au coeur de la direction du premier réseau social mondial.

Au travers de leurs travaux de recherche Lanier et Flichy de la Neuville abordent le mouvement scientifique du behaviorisme comme « dressage des temps moderne ». « Le behaviorisme, variante de la recherche comportementale, part du principe que tout être humain peut être dressé à l'aide d'impulsions positives, donc de récompenses, à se comporter de manière appropriée dans ses capacités pratiques » (Flichy de la Neuville, 2020, p.12) Ivan Pavlov est l'un des premiers chercheurs de ce courant, célèbre pour son expérience avec des chiens. Le scientifique a montré qu'à force d'une répétition quotidienne et d'un conditionnement, le chien salivait rien qu'au son de la cloche qui annonçait le repas. Il n'y avait plus besoin de nourriture pour le faire saliver, mais seulement avoir recours à un symbole pour que celui-ci soit excité.

En 1971, le psychologue Philipp Zimbardo s'est rendu célèbre en réalisant l'expérience de Stanford dont l'objectif majeur était de comprendre l'origine des conflits au sein des prisons. Le professeur et chercheur avait donné aléatoirement deux types de rôles à des élèves, celui des prisonniers et celui des gardiens, le tout dans un environnement adapté. Zimbardo jouait le rôle de superviseur et cherchait à augmenter la désorientation, dépersonnalisation et désindividualisation de ses élèves en adoptant des comportements particuliers. L'expérience dura près d'une semaine et fut marquée par des situations réellement violentes et psychologiquement dangereuses. Les étudiants étaient entrés dans leur rôle, un gardien s'est notamment comporté de manière extrêmement sadique, et deux prisonniers ont été traumatisés. Cette expérience est enrichissante du point de vue du conditionnement humain dans un court laps de temps. Dans cet exemple, la situation prédomine sur la personnalité de l'individu.

Aujourd'hui il est possible de comparer ces deux expériences à ce que beaucoup d'uti-lisateurs vivent vis-à-vis des médias sociaux. Ces derniers envoient des stimuli semblables aux friandises pour récompenser ses membres et les rendre toujours plus ac-cro. Un schéma de récompense se manifeste dans leurs cerveaux ainsi qu'un plaisir

58 https://www.axios.com/sean-parker-unloads-on-facebook-2508036343.html

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addictif qui donne toujours envie de retourner sur Instagram, d'avoir des likes, d'être reconnu, de voir la vie des autres. Les utilisateurs à l'image des chiens de Pavlov sont conditionnés à coup de renforcement positif et incités en permanence à aller sur Ins-tagram (on reçoit une notification car un ami a posté une photo, on reçoit une alerte car quelqu'un a posté dans sa story, on est averti si quelqu'un fait un live, on nous incite à aimer et partager, on nous dirige vers un certain type de contenu...) et sont ensuite récompensés par du plaisir qui n'en est pas moins addictif.

Nous, utilisateurs sommes-nous devenus alors des zombies dépourvus de libre-arbitre ? Instagram nous suggère des comptes à suivre, des publications à regarder selon nos centres d'intérêts interprétés par le réseau social en fonction de notre activité. Le média social décide pour nous et nos actions sur l'application ne dépendent pas que nous.

De ce fait, les utilisateurs ont accès à ce qu'Instagram veut bien leur montrer, phénomène amplement discuté dans l'espace public qui nous rappelle immédiatement le scandale lié à Cambridge Analytica59. Sur les réseaux sociaux en général les utilisateurs sont mis face à un contenu qui vient confronter leur opinion. Il s'agit là de la théorie des « bulles de filtre » développée par le militant internet américain Eli Pariser dans son ouvrage « The Filter Bubble : What The Internet Is Hinding From You » paru en 2011, qui rejoint la logique des « bulles communicationnelles » développées par le professeur de sociologie et chercheur Patrice Flichy, phénomène auquel Instagram n'échappe pas. Les algorithmes renvoient des informations qui nous confortent dans ce que l'on est, notre identité sociale. Certains de ses utilisateurs ont accès en continu à un même type de contenu, ce qui peut parfois entretenir des théories du complot et des avis tranchés. Ces bulles de filtrage représentent un danger pour la démocratie dans le sens où elles influencent les utilisateurs et modifient ou entretiennent leur comportement sur des questions et des enjeux politiques et sociétaux.

Pour lutter contre ce phénomène, des plateformes comme Gobo et VICE ont vu le jour. Gobo permet aux utilisateurs d'avoir un contrôle sur les paramètres de filtrage des algorithmes, tandis que VICE propose des contenus que les utilisateurs sont susceptibles de ne pas aimer, afin que les algorithmes soient déséquilibrés et que la bulle soit

59 Ce scandale fait référence aux données que cette entreprise a collecté sur des millions d'utilisateurs de Facebook afin d'influencer les intentions de vote de quelques politiques.

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cassée. Une autre solution consiste à s'abonner à des personnes avec qui nous avons des liens faibles (à l'inverse des liens forts) pour avoir un réseau plus étendu et permettre d'éviter cet enfermement.

Pourquoi les utilisateurs acceptent-ils tout ça ? Sont-ils avertis ? Lanier reprend la théorie des « effets de réseau » ou « effets de club » pour expliquer pourquoi les utilisateurs acceptent d'être présents sur Instagram malgré les limites du réseau social. Quand une application a du succès, il est difficile de la quitter si toutes nos relations y sont. Il n'est alors plus possible ou compliqué de transférer ses données et de partir sur une autre application avec toutes ses connaissances déjà présentes sur le premier réseau social. Ces effets conduisent à l'empire de monopoles mondiaux que représentent les géants Instagram, Facebook, Twitter.

Le chercheur développe également l'hypothèse que les utilisateurs « perdent de vue la réalité de leur activité » tant les luttes de pouvoir sur le réseau social floutent leur vision de la réalité. Il compare l'Homme à un loup qui seul pense par lui-même, crée, chasse, se cache et ressent davantage de joie. En meute, le loup est enfermé dans la et ses interactions avec les autres canidés deviennent primordiales et suscitent toute son attention. Par analogie, il en est de même pour l'Homme. Le groupe entraîne une focalisation de l'utilisateur envers ses pairs et l'ordre hiérarchique.

Thomas Flichy de La Neuville lui, développe la théorie de la « compliance without pressure » ou « soumission librement consentie ». Les utilisateurs ont l'impression d'être l'auteur de leurs décisions sur le réseau social et modifient leur comportement tout en ayant le sentiment d'en être responsable. Les individus acceptent en quelque sorte la domination et se soumettent au réseau social.

L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing Out»

« Comme lorsque, pendant un concert, on passe plus de temps à se filmer et à pos-
ter qu'à profiter du moment présent. Mettre en scène nos vies nous met à distance.
On finit par n'être plus que le sujet de nos représentations
» Elsa Godart60

60 https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619

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Dans son ouvrage « Les nouveaux Bovary », Lewi établit une comparaison pertinente de Madame Bovary aux utilisateurs d'Instagram et des réseaux sociaux en général. Les caractéristiques du bovarysme étant de se penser autre que l'on est, d'avoir un comportement de fuite dans le rêve, lié à l'insatisfaction éprouvée dans la vie, ou bien encore, d'être en attente de la surprise de l'instant selon le principe d'espérance.

L'héroïne du roman de Flaubert dans le monde d'aujourd'hui : serait-elle une influente blogueuse ? Une « instragrammeuse » partageant ses joies et ses peines ? Se servirait-elle de ce média social pour créer son « moi idéal » ?

L'héroïne du roman de Flaubert était à la recherche d'un idéal inatteignable transmis par ses nombreuses lectures. Elle était ainsi toujours déçue de son époux Charles, qui pensait que son mal-être était physique, et ne comprenait pas qu'il s'agissait d'un profond désespoir moral. Ne retrouve-t-on pas les mêmes cas de figures sur Instagram ? Les individus peuvent en effet s'en servir pour échapper à une réalité qui ne les satisfait pas ou plus et se créer une vie sur mesure, à leur image, ou encore s'y réfugier face à la désillusion du monde réel. Avec nos téléphones aujourd'hui, nous sommes pratiquement connectés en continu à ce monde virtuel. N'attendons pas quelque fois que quelque chose s'y passe ? Que quelque chose se passe en général dans notre vie ? Un nouvel acronyme a fait son apparition dans les médias « FoMo » pour « the Fear of Missing out » qui désigne la peur ressentie par un utilisateur des réseaux sociaux à l'idée de manquer un événement intéressant (ou même une publication) sur un média social. Cette anxiété est accompagnée de l'envie de toujours rester en contact avec les autres sur internet, de connaître ce qu'ils font, associée à l'idée qu'ils mènent une vie plus passionnante.

Par exemple, un utilisateur peut se connecter régulièrement pour vérifier les publications et stories de ses proches par peur qu'ils se voient sans lui et d'être exclu. Cette peur se manifeste également par l'envie d'être au courant de tout et de consulter son fil d'actualité, sa messagerie, de peur de manquer une opportunité, un événement, de passer à côté d'une tendance. Ce qui est épuisant tant le flux d'informations sur Insta-gram est important et quasi infini (quand l'utilisateur a fini de parcourir le fil d'actualité contenant les publications des comptes auxquels il est abonné, des publications lui sont suggérées).

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Nous subissons ce que l'écrivaine Linda Stone appelle « continuous partial attention »61 soit l'attention partielle continue. En cherchant à être connectés en permanence et présents sur un maximum de supports différents, nous dispersons notre concentration et ainsi notre attention. Les individus se désinvestissent de leur vie « réelle » au profit de leur vie « virtuelle » et notamment sur Instagram. Ce phénomène est observable dans la rue, où de nombreuses personnes sont focalisées sur leur téléphone. Elles semblent ainsi être présentes physiquement mais déconnectées de la vie « réelle ».

L'anxiété sociale et la manipulation des émotions

Nous l'avons vu dans les parties développées ci-dessus, Instagram permet un monde plus connecté, mais pour autant pas un monde plus heureux.

Les likes, les commentaires et autres paramètres sont des véritables sucres pour l'égo, et l'obtention de ces derniers se transforme en une source d'anxiété. Les utilisateurs d'Instagram cherchent à soigner leur image et se créent une identité propre au réseau social : une identité virtuelle. Le sociologue Dominique Cardon y privilégie le terme « identité potentielle »62 car les utilisateurs cherchent à ce que les autres aient une certaine image d'eux.

En plus de manipuler nos émotions avec ses algorithmes et les publications sponsorisées, Instagram est un espace qui permet de juger et d'être jugé en permanence et qui pousse ainsi à la comparaison. Nous comparons nos nombres d'abonnés, de likes, et l'anxiété d'être moins bien, en bas du « classement » renforce encore notre dépendance. Nous pouvons presque nous demander si les individus suivent les autres pour leur contenu ou pour ce qu'ils sont.

Beaucoup d'utilisateurs se fabriquent de toute pièce un « idéal du moi » à atteindre, correspondant également à une « façade sociale ». L'écart entre le réel (ce qu'ils vivent) et cet idéal du moi (ce qu'ils mettent en scène) est source de tension et de mal-être. Il demande à être alimenté constamment par un effort constant.63

61 https://lindastone.net/2009/11/30/beyond-simple-multi-tasking-continuous-partial-attention/

62 Ouvrage « Culture numérique » (2019) et retranscription de la conférence « Image de soi sur le net et les réseaux sociaux » sur le blog marieguillaumet.com https://marieguillaumet.com/conference-image-de-soi-sur-le-net-et-les-reseaux-sociaux-de-dominique-cardon/

63 https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619

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La psychanalyste Geneviève Morel évoque le phénomène de démultiplication à l'infini de l'image idéale de soi. Instagram devient plus qu'un simple outil de communication64, l'image que nous cherchons à renvoyer est d'autant plus difficile à atteindre que les utilisateurs interprètent les publications en fonction de leur contexte. Lanier évoque également un phénomène lié à la « théorie de l'esprit ». Cette dernière consiste à faire des hypothèses sur ce que les autres vivent, et à se mettre à leur place. Sur Instagram nous avons accès aux publications des usagers sans pour autant avoir beaucoup d'in-formations sur eux et les expériences qu'ils vivent, il est alors parfois plus difficile de faire preuve d'empathie, et l'interprétation peut être biaisée. Instagram permet un monde certes plus connecté mais aussi paradoxalement plus isolé.

Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de soi ?

Si dans cette partie sur les problématiques liées à Instagram, nous avons étudié les dérives du réseau social, il nous tient à coeur tout de même de mettre en avant les aspects positifs de la plateforme. Instagram permet à chacun de s'exprimer sur un quelconque sujet et de prendre la parole. Tout comme Twitter a été au coeur du mouvement « Me too », c'est un moyen de contourner l'espace public traditionnel qui ne permet pas toujours la mise en lumière de certains sujets. Nous pensons par exemple aux nombreux comptes militants féministes qui ont été créés ces dernières années et qui ont pour objectif de prendre la parole sur de nombreuses thématiques comme les inégalités sexuelles, la charge mentale, les féminicides, mais aussi la masculinité toxique, le viol masculin etc.65 Ces comptes ont pour objectif d'informer, de partager des réflexions, de sensibiliser mais aussi de briser des tabous. Instagram permet aussi de rassembler les individus qui ont des caractéristiques en commun et partagent leurs expériences. Par exemple, de nombreux comptes sur l'in-troversion ont été créés.66 Ces derniers partagent des anecdotes sur la vie en tant qu'introverti, donnent des conseils, rassurent, et permettent l'échange entre toute une communauté d'individus qui s'y identifient, se reconnaissent et qui se disent heureux de pouvoir partager leur expérience auprès de personnes qui comprennent.

64 « Pièges-à-jeunes », Morel, 2015

65 Nous pensons à de nombreux comptes comme @tasjoui, @taspensea, @a_voixhaute, @tubandes, @realmanbabies, @la_b.a.s.e, @pay_ton_mansplaining, @preparez_vous_pour_la_bagarre, @phrasesassassines, @pepitesexiste, @dans_la_bouche_dune_femme, @jemenbatsleclito

66 Nous pensons à @gangintrovertis, @theintrovertnation, @les_introverti.es

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Certains indiquent alors se sentir moins seuls et rassurés. Instagram a ainsi été investi massivement par les comptes de ce genre et les comptes militants sur divers sujets.

En matière d'écologie, nous pouvons citer « L'affaire du siècle » portée par quatre organisations de protection de l'environnement et de solidarité67. Ce collectif a décidé de saisir la justice pour que « les droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques ». Il fait appel à tous les citoyens français et a partagé une pétition qui a collecté plus de deux millions de signataires. De nombreux influenceurs ont fait le relai de l'opération sur Instagram, ce qui lui a permis d'obtenir une plus grande ampleur, c'est notamment le cas de Mcfly et Carlito deux youtubeurs qui ont amplement participé à la communication et diffusion du message.

Figure 14 Capture d'écran d'une story du compte Instagram "L'af-
faire du siècle" où l'on voit Macfly et Carlito

67 Notre Affaire à Tous, La Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, Greenpeace France et Oxfam France.

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Les actions réalisées par Instagram

Le réseau social fait face à des problématiques et présente des dérives. Le chercheur Lanier que nous avons largement sollicité au travers du développement des limites de ce média social, pense qu'il est possible d'améliorer ce dernier en montrant notre désaccord et en désinstallant l'application, afin que les développeurs et informaticiens comprennent le message et ait de l'espace pour changer. Le chercheur connu de la Silicon Valley explique que ce serait même une chance et une libération pour eux car même si certains se sont rendus compte de ce qu'ils engendraient en développant les réseaux sociaux, le phénomène a pris une ampleur incroyable très rapidement.

Lanier effectue une analogie des réseaux sociaux dont Instagram fait partie avec les peintures qui contenaient autrefois du plomb. Les effets négatifs du plomb ont été mis en avant et pourtant la peinture a continué à être utilisée. Les pressions sociales ont permis la création de lois instaurant des normes pour des peintures qui n'en contiennent pas « Les gens intelligents ont tout simplement attendu que des peintures inoffensives soient mises sur le marché pour en acheter. De la même manière, les gens intelligents devraient supprimer leurs comptes en attendant que des plateformes non toxiques soient disponibles » (Lanier, 2020, p.38)

Nous avons déjà vu qu'Instagram est conscient des dérives et de la toxicité du réseau social au travers notamment des paroles de Kevin Systrom au cours d'une interview. Instagram a la volonté d'agir pour remédier aux phénomènes indésirables qu'il engendre. Le réseau social investit également dans l'intelligence artificielle au service de la lutte contre le harcèlement en ligne. En juillet 2019, l'application a annoncé mettre en place de nouveaux outils pour réduire ce fléau. Un nouveau dispositif généré par un logiciel d'intelligence artificiel est censé envoyé un avertissement aux utilisateurs sur le point de commenter des propos injurieux. Les utilisateurs peuvent également approuver les commentaires des autres utilisateurs et les masquer, s'ils jugent que ces derniers ont une influence négative. Les personnes indiquées comme « restreintes » ne peuvent plus voir si l'utilisateur en question est en ligne et s'il a vu leurs messages.

Dans une volonté de rendre l'application plus agréable à utiliser, et moins socialement anxiogène, les dirigeants d'Instagram ont supprimé la page « abonnée » qui permettait

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aux utilisateurs d'avoir accès aux contenus likés et commentés par les personnes qu'ils suivent. Les utilisateurs n'ont ainsi plus de fil d'actualité dédié à ce que les personnes qu'ils suivent aiment et commentent.

Instagram lance également une phase de test de suppression des likes. Cette expérience testée d'abord au Canada, étendu aux Etats-Unis puis à une partie des utilisateurs français, a pour objectif de diminuer la dépendance qui en découle, et de mettre en valeur le contenu. Systrom insistait sur la volonté du réseau social de réduire cette pression. Instagram y voit ainsi un changement fondamental afin de rendre son espace plus sain et de le délester de certaines dérives de l'égo. Un porte-parole s'est exprimé à ce sujet « Nous ne voulons pas qu'Instagram donne l'impression d'être dans une compétition »68. Les influenceurs et comptes professionnels peuvent tout de même en avoir un aperçu.

Pour pallier aux craintes des utilisateurs et suite à de nombreux scandales et notamment la fuite des données personnelles de 49 millions d'influenceurs en 201969, Insta-gram mise sur davantage de transparence en permettant aux utilisateurs d'avoir accès à toutes les informations et données collectées, via une nouvelle fonctionnalité. Depuis 2020, chaque profil comprend dans ses paramètres une page « sécurité » permettant à chacun d'accéder à ses données et voir les sujets sur lesquels il est ciblé à des fins publicitaires, en fonction de ses centres d'intérêt détectés par l'application. Cette rubrique de mots-clés provoque parfois des surprises chez les usagers, car il suffit que l'on aille voir un compte rattaché à une thématique pour que l'on soit ciblé en rapport à cette dernière.

68 https://www.mouv.fr/nation/societe/instagram-ca-y-est-l-application-cache-le-nombre-de-likes-en-france-355480

69 https://www.tomsguide.fr/instagram-donnees-personnelles-49-millions-dinfluenceurs-fuite/

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Figure 15 Capture écran extrait des thématiques sur lesquelles je suis ciblée sur mon
propre compte personnel

Il est également possible de télécharger le dossier concernant ses données personnelles, en respect à l'article 20.1 du RGPD70. Les utilisateurs peuvent donc avoir accès aux données qu'ils délivrent à leur insu à Instagram et que ce dernier exploite à des fins publicitaires et marchandes.

En 2020, Instagram a annoncé d'autres mesures. L'application cherche à réduire la propagation des fakes news et des photos trop retouchées.71 Son intelligence artificielle dote ainsi les publications jugées trop retouchées ou non réelles de l'étiquette « Information fausse ». Mais un souci se pose : les robots ne prennent pas en compte l'aspect artistique et de nombreuses photos d'art sont qualifiées ainsi de fausses.

A l'approche des élections présidentielles aux Etats-Unis, Instagram a annoncé en avril 2020 une nouvelle fonctionnalité. Les utilisateurs étatsuniens peuvent connaître l'emplacement des comptes Instagram en fonction de leurs publications afin qu'ils

70 Règlement Général sur la Protection des Données

71 https://arts.konbini.com/instagram/instagram-censure-desormais-les-photos-trop-retouchees/

61

puissent s'assurer de leur fiabilité et authenticité72. Cette mesure devrait s'étendre dans le reste du monde.

Chapitre 3 : l'alerte et la prévention effectuées par les insta-

grammeurs

Les différents modes de prévention

Face à une standardisation des critères de publication et d'autres dérives d'Instagram que nous avons précédemment évoquées, certains utilisateurs décident de prendre la parole à ce sujet, et dédient une partie de leur activité à des fins de prévention et d'alerte sur Instagram. C'est le cas des comptes que nous étudions dans le cadre de ce travail de recherche : Essena O'Neil, coucoulesgirls, onveutduvrai et saggysara. Tous sont des comptes connus qui ont ainsi du poids, leur prévention est ainsi cruciale car elle a pour objectif de faire évoluer les normes.

La prévention par le détournement du rapport texte/image

Comme expliqué en début de ce travail de recherche, Essena O'Neill ancienne influen-ceuse australienne présente sur Instagram depuis l'âge de 15 ans, a subitement quitté l'application à ses 19 ans. A l'origine complexée, l'adolescente s'était inscrite sur le réseau social pour trouver un peu de réconfort. Très vite, elle s'approprie les codes de l'application, et reproduit le même type de publications standardisées et popularisées par les célébrités et influenceurs qu'elle admire. La jeune femme publie alors régulièrement sur le média social et devient de plus en plus connue. Alors qu'elle réalise son rêve en devenant influenceuse et en ayant la vie dont elle a toujours rêvé et a toujours aspiré, la jeune femme rentre dans un engrenage malsain qui ne la rend pas heureuse. Elle cache son mal-être à ses abonnés.

En effet, après avoir passé son adolescence à se construire une identité virtuelle, Es-sena est perdue et ressent une pression constante relative à la conservation de l'image qu'elle s'est donnée de jeune femme parfaite ainsi que d'idéal féminin. L'écart entre le

72 https://siecledigital.fr/2020/04/23/une-touche-de-transparence-supplementaire-sur-les-pages-face-book/

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réel et l'idéal du moi qu'elle s'est construit en ligne devient de plus en plus difficile à vivre. Essena est piégée dans un type de contenu auquel elle a habitué ses abonnés. En 2015, l'influenceuse supprime alors de nombreuses photos sur son compte et va se servir des publications restantes pour y décrire la réalité cachée. Pour ce faire, elle garde les photographies d'origine mais en change les légendes. Ces dernières transmettent maintenant un message en opposition aux images d'une vie parfaite et de rêve. Ce qui était autrefois des textes vantant et mettant en avant une vie heureuse, se transforment en dénonciation. La jeune femme met en avant les limites d'Instagram et ses dangers en fonction de son expérience personnelle sur le réseau social. Elle publie également une vidéo YouTube73, dans laquelle elle raconte son histoire.

Depuis, la jeune femme a totalement supprimé son compte. Quelques-unes de ses publications détournées ont été reprises et repostées à l'identique par d'autres comptes Instagram qui ont été créés spécialement à cet effet. Nous nous basons sur le compte « essena.oneiil » que nous avons contacté afin de connaître la raison d'être, mais nous n'avons pas obtenu de réponses. Les publications que nous allons présenter reprennent donc à l'identique les publications originales de la jeune femme mais n'étant pas postées sur son compte, les réactions (commentaires et likes) sont à prendre en compte différemment.

L'instagrammeuse Essena O'Neill a ainsi réalisé une alerte par le biais d'un détournement du rapport texte (légendes) et image (photographies). Elle a néanmoins ajouté une photo pour annoncer sa démarche.

Figure 16 Publication D'Essena O'Neill annonçant son départ d'Instagram

73 https://www.youtube.com/watch?v=heHBcUOf sA

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Légende : « Je quitte Instagram, YouTube et Tumblr. J'ai supprimé plus de 2000 photos aujourd'hui qui n'ont servi à rien d'autre que faire mon auto-promotion. Sans m'en rendre compte, j'ai passé la majeure partie de ma vie d'adolescente à être accro aux médias sociaux, à l'approbation sociale, au statut social et à mon apparence physique. Les médias sociaux, en particulier la façon dont je les ai utilisés, ne sont pas « réels », ce n'est pas la réalité. Ce sont des images artificielles et retouchées. C'est un système basé sur l'approbation sociale, les likes, la validation de soi par les vues, le succès en nombre d'abonnés. C'est un jugement parfaitement orchestré par soi-même. Je me suis consumée. Je passais la majorité de mes journées sur Instagram à faire défiler mon fil d'actualité et des publications sans but, des heures sur YouTube... Comment pouvons-nous nous voir et se concentrer sur nos objectifs, nos talents, si nous regardons constamment les autres ? Beaucoup d'entre nous sont si profondément ancrés dans le système qu'ils ne réalisent pas que ce sont des pouvoirs désillusionnaires et l'impact qu'ils ont sur nos vies. J'ai laissé quelques photos, la moitié avec des légendes que je crois être pédagogiques, l'autre moitié sont des photos qui vous ont trompé. Ce n'était jamais mon intention consciente, mais j'ai trompé beaucoup de gens ... Appelez cela duperie, de la manipulation, du mensonge. J'étais à la fois accro à l'approbation sociale et terrifiée que personne ne m'apprécie pour moi-même. J'ai donc réécrit les légendes de ces fausses photos avec la réalité. »

Cette publication révèle la réalité telle que la jeune femme la vivait et non plus comment elle la montrait. En abordant la publication du point de vue de l'approche sémio-pragmatique, nous constatons que cette dernière relève du mode moralisant. Suite à une prise de conscience drastique, Essena se libère et alerte ses abonnés qui peuvent eux aussi être victimes. En cela, elle produit et partage des valeurs. La jeune femme a elle-même alimenté le système qu'elle dénonce, en véhiculant un idéal et en participant à la standardisation des critères de publication.

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Figure 17 Publication détournée d'Essena O'Neill, originairement à
la recherche d'une photo désirable pour être connue

Légende : « J'ai forcé ma petite-soeur à prendre la photo avant de partir à mon déjeuner d'anniversaire. (...) Je voulais juste être connue. Pour cela, j'avais besoin d'une nouvelle photo de profil sexy. Alors j'ai vraiment essayé d'en avoir une. Je voulais une image de moi sexy, « likeable » qui engendrerait plus de 100 likes. (...) Les gens m'ont dit que j'étais sexy. Donc je devais rester sexy. Les gens m'ont dit que j'étais drôle. Donc je continuais à être sarcastique et drôle aux dépens des autres. (...) J'étais obsédée par le fait d'être aimée. Donc je suis devenue obsédée par moi-même, narcissique. Et croyez-moi ça vous rend incroyablement seule. (...) » #gamechangers #so-cialmediaisnotreal #socialmedia #bethechange #movement #essenaoneill

Au travers de cette publication détournée, la jeune femme explique qu'elle était prisonnière d'un système dans lequel elle n'était plus vraiment elle-même. Elle cherchait avant tout à plaire aux autres avant de s'aimer. Cette publication à l'origine d'un mode esthétique car répondant aux normes des corps esthétiques et normes de publication, devient sensibilisatrice grâce à la légende modifiée. La jeune femme a changé également les hashtags qu'elle avait mis originairement et compte bien impulser un nouveau mouvement sur les réseaux sociaux comme ces derniers le montrent.

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Figure 18 Publication détournée d'Essena O'Neill alertant sur la mise en scène derrière les publications

Légende : « S'il vous plaît, aimez cette photo, j'ai mis du maquillage, bouclé mes cheveux, mis une robe serrée, de gros bijoux inconfortables... Pris environ 50 photos jusqu'à ce que je trouve une qui pourrait vous plaire, puis j'ai édité ce selfie durant longtemps sur diverses applications, juste pour recevoir de l'approbation sociale de votre part. IL N'Y A RIEN DE REEL A TOUT CELA. » #celebrityconstruct #gamechangers #socialmediaisnotreal #socialmedia #bethechange #movement #es-senaoneill

Ici, le selfie de la jeune femme répond également aux critères esthétiques. Sa nouvelle légende dénonce la mise en scène derrière les photos et la perte totale de spontanéité. Tout est calculé et orchestré dans le but d'avoir un cliché parfait. La photo est le résultat d'un processus de scénarisation, et a demandé un investissement en temps mais aussi en vêtements et maquillage. La jeune femme aborde un sourire radieux. Sans le texte, beaucoup d'utilisateurs pourraient se dire qu'elle est heureuse, et c'est ce que l'influenceuse faisait croire à ses abonnés. Elle jouait un rôle.

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Figure 19 Publication détournée d'Essena O'Neill dénonçant la mise en scène de sa vie sur Instagram et la démarche d'esthétisation

Légende : « Il n'y a rien de zen à essayer de paraitre zen, ni de prendre une photo de soi en train d'essayer d'être zen pour le prouver sur Instagram »

Comme une grande majorité des publications de la jeune femme, celle-ci correspond aux modes esthétique et artistique. Ici, l'influenceuse montre qu'elle vivait par procuration, qu'elle se mettait en scène dans la vie réelle afin d'alimenter sa vie virtuelle.

Nous avons choisi ces publications pour leur diversité (l'explication du départ de l'in-fluenceuse, un selfie et la mise en avant de la scénarisation des photos, une photo artistique, et une photo esthétique de la mise en avant du corps). Après le changement de la légende, ces publications deviennent sensibilisatrices, éducatrices et préventives. Vous trouverez en annexes d'autres publications détournées d'Essena O'Neill accompagnées de leurs légendes modifiées, traduites en français.

Nous avons demandé à Maureen Bourgois, une jeune femme de 23 ans très active sur Instagram (publications très régulières de photos, et story quotidienne) de nous parler de son activité sur le réseau social. Nous l'avons également confronté à une publication d'Essena O'Neill en maillot de bain sur la plage, sans lui montrer la légende. Vous pourrez retrouver cet échange en annexes. Maureen nous a expliqué dans un premier temps qu'elle ne poste des publications que quand elle est de bonne humeur, car « ça ne sert à rien de faire semblant ». Ainsi à première vue, elle ne se sent pas concernée par les phénomènes que dénoncent les comptes que nous étudions. L'étudiante se rend quotidiennement sur le média social pour échanger du

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contenu avec ses abonnés (dont nous faisons partie), et en consommer à son tour. Elle explique toutefois que les réactions qu'elle suscite grâce à ses posts ont un impact sur elle, et que c'était notamment le cas lorsqu'elle était adolescente. Elle nous en parle en positif, en évoquant le fait que lorsqu'il y a en a c'est flatteur, d'autant plus qu'elle n'a pas entièrement confiance en elle. Les réactions ont ainsi un impact sur elle, elle n'en ressort pas neutre. La jeune femme est tout à fait consciente des dérives pouvant avoir lieu sur ce média social mais en échappe pourtant selon elle. Nous lui avons ensuite montré l'une des photos esthétique d'Essena O'neil et lui avons demandé ce qu'elle pensait de cette jeune femme à première vue. La réponse fut très intéressante. Elle nous a expliqué la trouver jolie et nous a signifié que ça se voit que c'est une personne qui a confiance en elle, qui se sent bien et passe un bon moment. Or, comme développé ci-dessus, l'ancienne influenceuse était loin d'avoir confiance en elle et dit avoir « menti » en se mettant en scène. Puis, quand nous lui avons lu la légende accompagnant la photo et présentant une tout autre réalité, Maureen a répondu que ça ne l»étonnait pas, confiant à son tour que finalement parfois ça lui arrive de ne pas poster un contenu de peur de recevoir des critiques sur son physique.

La prévention comparative « Instagram » versus « Réalité »

A ses 17 ans en 2015, Sara Puhto se crée un compte Instagram intitulé saggysara, où elle partage son parcours sportif et l'évolution de son corps. Elle poste alors de nombreuses photos d'elle et de son corps.

Par sa présence sur le réseau social, la jeune finlandaise y constate une uniformité des corps et la standardisation des critères de beauté, avec une sur-représentation des corps sculpturaux. Elle se reconnaît elle-même également dans ce phénomène et en prend conscience. A ses 20 ans, elle poste alors une première publication sur la représentation des corps sur le média social et continue la sensibilisation sur le sujet, jusqu'à en faire la mission de son compte. Elle confie également à ses abonnés avoir traversé une période difficile de 2012 à 2014 durant laquelle elle se faisait du mal physiquement. Elle transmet un message d'espoir et de positivité. En complément, elle s'empare de la thématique de la représentation des corps sur Instagram pour transmettre le message qu'il ne faut pas croire tout ce que l'on voit sur internet. Afin de montrer combien il est simple de transformer et sublimer une photo, sa spécialité est de publier deux photos d'elle côte à côte en opposition. Ces dernières ont

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généralement pour objectif de montrer la différence entre une photo spontanée prise sur le fait, et une photo mise en scène, sélectionnée, et retravaillée.

Figure 20 Capture écran d'une publication de saggysara Instagram
versus Reality / décembre 2018

Légende : « Instagram n'est pas la réalité. Je sais que la plupart de nous sont au courant qu'Instagram peut-être incroyablement faux mais nous ne nous en souvenons pas tout le temps. J'ai mis du maquillage, cette robe et je me tiens dehors à 7°C pour prendre une photo de Noël où j'étais en train de geler. Ensuite, j'ai enlevé mon maquillage et je me suis changée pour mettre un survêtement agréable. On choisit les meilleures photos sur des centaines et on montre seulement les moments forts sur le média social. (....) Vous êtes valides et incroyables comme vous êtes, la façon dont vous vous comparez aux autres va vous faire sentir que vous n'êtes pas assez bien. Ce qui n'est pas vrai. Alors continue d'être toi bb, tu es incroyable. »

#instagramvsreality #socialmediaisnotreallife #positiveaffirmations #selfempower-ment

Sur cette publication, la jeune femme met en opposition deux photos d'elle dehors dans un paysage enneigé. Sur la première intitulée « Instagram », elle porte un chapeau de père Noël, un manteau rouge et une robe noire ce qui laisse supposer qu'elle est en train de célébrer les fêtes de fin d'année. Elle sourit et semble ainsi heureuse. S'il n'y avait eu que cette photo sans la légende explicative, c'est la représentation que se seraient fait ses abonnés. Sur la photo de droite nommée « réalité », elle grimace et se tient dans une position qui montre qu'elle a froid, on ne voit plus sa robe. A travers cette opposition et la légende qui l'accompagne (le texte et l'image sont ici complémentaires), saggysara montre le manque d'authenticité de certaines publications sur

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Instagram et la mise en scène. Elle sourit et prend une pause qui n'est pas naturelle, elle détourne la réalité (celle d'avoir froid et de se mettre naturellement dans une position pour se réchauffer), pour se mettre en scène et réaliser une photo « instagram-mable ». La première photo relève du mode esthétique, et l'assemblage des deux photos avec la légende en font une publication relevant du mode sensibilisateur, préventif.

Figure 21 Capture écran d'une publication de saggysara "good" body
photo/"bad body photo" février 2020

Légende : « Pourquoi nous jugeons-nous si durement ? ça nous est tous déjà arrivé lorsque nous avons laissé une « mauvaise photo » de changer notre image. Mais ce à quoi vous ressemblez sur une photo ne devrait pas changer votre perspective de vous-même. (...) C'est parfois si dur de s'accepter. (...) En réalité nous sommes des individus si magnifiquement uniques. Nous ne devrions pas avoir ce besoin de prendre des « photos parfaites », et quand nous ne les obtenons pas, nous sentir tristes. Cette pression d'être « parfait » résulte des choses que nous voyons constamment dans notre société, et soudainement nous voulons être ce que la société promeut pour obtenir de l'approbation. Réalisez que les « bonnes photos » relayées par les médias sont une construction de ce qui est « censé être beau ». Trouvez l'approbation en vous-même, votre corps n'a pas besoin d'être « approuvé par la société ». (...) » #mentalhealthawareness #effyourbeautystandards #lovewhoyouare #beconfi-

dent #iambeautiful #flawsandall #bodypositive #nobodyshame

Ici, Sara Puhto confronte une photo intitulée « bonne photo de corps » sur laquelle elle se tient droite, la tête légèrement penchée et brandit en souriant une coupe de champagne, avec une deuxième photo « mauvaise photo de corps » où elle est assise et semble avoir été prise sur le fait et est ainsi davantage naturelle. Selon les critères

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d'esthétisme présents sur Instagram, la jeune femme y est moins à son avantage. Si l'on fait attention, nous pouvons même remarquer des traces d'automutilation sur son bras. Saggysara montre ainsi comment la mise en scène, mais aussi des paramètres comme l'angle de prise de vue et la lumière peuvent sublimer et transformer une photo. Elle alerte ses abonnés sur les dessous des photos Instagram, et les invite à s'accepter tels qu'ils sont et à ne pas rentrer dans la spirale du culte des « photos parfaites ».

Figure 22 Capture écran d'une publication de saggysara "naturel"/ "photoshop" Mars 2020

Légende : « Photoshop cause des insécurités (...) Il est facile de perdre confiance en soi en comparant son corps à celui de quelqu'un d'autre sur une photo dont on ne sait même pas qu'elle a été retouchée. (...) Je ne vais pas mentir, la version de la photo non éditée n'est pas celle qui me rendait heureuse à propos de mon corps, j'en avais d'ailleurs honte. Mais j'ai réalisé que ce n'était pas grave, il s'agit juste de ce à quoi ressemble mon corps sous cet angle et je peux l'accepter, je n'ai pas besoin d'en avoir honte. Je n'ai pas besoin de me retoucher ou de paraître d'une certaine manière pour avoir confiance en moi. Je sais qu'il est impossible pour moi de ressembler au corps de la version éditée et cela me convient. Je sais que ce la manière dont mon corps a été construit. Comparer son corps avec un corps impossible à atteindre est contrepro-ductif et va seulement vous faire sentir mal. (...) vous êtes dignes, confiants et beaux. Ne changez pas votre corps, changez votre façon de voir votre corps.

#photoshop #selfdoubt #forgiveyourself #positiveenergy #selfesteem #loveyour-

body #iambeautiful #bodypositive #allbodiesaregoodbodies #instagramvsreality

Saggysara a été à la plage et a demandé à une tierce personne de la prendre en photo. Elle a ensuite retouché cette photo en affinant son corps (ses épaules, son ventre et ses hanches) et l'a publiée à côté de la photo d'origine. Il semble qu'un filtre ait également été ajouté car la mer est un peu plus claire sur la version éditée. La photo retouchée correspond aux corps et poses que nous avons l'habitude de voir sur Instagram et qui sont mises en avant et plébiscitées. Sara confie qu'elle aussi doute parfois de son corps et a du mal à l'accepter. Elle explique sa démarche d'acceptation de soi et cherche à s'assumer telle qu'elle est. La jeune finlandaise développe l'une des problématiques rencontrées par de nombreux utilisateurs sur le réseau social. Ces derniers se comparent et s'identifient à des corps retouchés, donc inatteignables même en faisant du sport. Surtout qu'il n'est pas toujours possible de deviner qu'une photo est retouchée, aucune mention n'est obligatoire à ce sujet.

La jeune finlandaise explique dans son texte qui vient en complément de la confrontation des deux photos, que chaque corps est différent et qu'on ne peut pas tous avoir le même, alors que justement les utilisateurs cherchent à converger vers un même type de corps dit esthétique, pour correspondre aux normes sociétales véhiculées sur Instagram. Les retouches sur Instagram sont un réel sujet de débat aujourd'hui sur internet. Il y a une prise de conscience de la part de nombreux utilisateurs ainsi que la volonté d'avoir accès à un contenu authentique et transparent. Sous les publications de certaines influenceuses, nous avons constaté des floppées de commentaires s'in-dignant de l'utilisation de Photoshop. Sur google se trouve une multitude d'articles concernant des personnalités accusées de trop retoucher leurs photos, et même des tops 10 des comptes Instagram les moins authentiques74.

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74 Nous pensons par exemple à l'article « 10 influenceuses qui ne ressemblent pas du tout à leurs photos Instagram » publié par madmoizelle en août 2020. https://www.madmoizelle.com/influenceuses-ressemblent-pas-photos-instagram-1029082

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Figure 23 Capture écran d'une publication de saggysara "ce à quoi je ressemble
en bikini sur Instagram"/"Ce à quoi je ressemble en bikini en réalité" Avril 2018

Légende : « (...) Les réseaux sociaux ne sont pas une version réaliste de nous-mêmes. J'essayais tellement de ressembler à d'autres personnes sur Instagram dans la vraie vie, jusqu'à ce que je réalise que vous ne pouvez pas poser et contracter tout le temps. Personne ne ressemble à ce à quoi ils ressemblent sur Instagram 24/7. Les photos ne sont qu'une fraction de seconde de la vie de quelqu'un. Pourtant, nous nous efforçons constamment d'être ces extraits. (...) Je vois cela dans les commentaires tout le temps, quand les gens ont des choses normales comme les vergetures, les poils, la cellulite, la graisse corporelle, les gens commentent instantanément négativement ces choses. Nous sentons que nous ne pouvons plus être simplement nous-mêmes. Nous sommes conditionnés à être si critiques envers nous-mêmes. (...) Je ne comprends pas pourquoi les gens peuvent être si horribles les uns envers les autres et eux-mêmes. (...) Ne vous changez pas, surtout pour ressembler à des mises en scène de la perfection qui n'existent même pas. Ne vous changez pas pour impressionner les autres, cela n'en vaut pas la peine. Ne soyez pas si dur avec vous-même. (...) Arrêtons de nous juger les uns les autres et nous-mêmes pour des choses insignifiantes. Soyez à l'aise dans votre corps tel qu'il est !! » #mybody #flatstomach #lo-veyourbody #selfesteem #lawofattraction #thankyourbody #youareworthit #youareu-nique #flaws #insecurities

Ici, saggysara poste une photo « A quoi je ressemble en bikini sur Instagram » où elle prend une pose populaire sur le réseau social (main sur la cuisse et l'autre derrière la

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tête, jambes écartées pour paraître plus mince, ventre rentré et posture cambrée), qu'elle confronte à une photo qu'elle intitule « à quoi je ressemble en bikini dans la réalité ». Sur cette dernière, sa posture est plus naturelle et son corps relâché. Au travers de ces deux photos et de la légende, elle cherche à montrer que les photos ne représentent pas forcément la réalité, qu'elles sont sélectionnées parmi une grande quantité de clichés pris, et que les publications ne sont que des extraits de la vie des utilisateurs. Ces derniers ne montrent que ce qu'ils souhaitent, et ce qui les met en avant, en valeur. Nous ne voyons pas et ne pouvons pas imaginer les coulisses de ces photos et le contexte dans lequel elles ont été prises. Enfin, tout comme dans notre société, les poils, les vergetures et la graisse sont jugés non esthétiques notamment chez les femmes, la jeune finlandaise rappelle que ce sont des phénomènes naturels et qu'une grande majorité en a aussi, mais néanmoins fait en sorte qu'on ne les voit pas. Une grande mobilisation et vague d'appel à s'accepter voit d'ailleurs le jour sur Instagram ces dernières années.

Nous avons mis en avant ces quatre publications en particulier car elles couvrent les différentes thématiques que nous voulions aborder et sur lesquelles saggysara effectue une alerte et de la sensibilisation. Sur ces publications sélectionnées, la jeune femme évoque en effet les dérives d'Instagram en se basant sur son propre vécu : la mise en scène derrière les photos, le manque d'authenticité, les retouches, la recherche de l'approbation d'autrui et encourage l'acceptation de soi.

La prévention par l'ironie et la publication de posts dits non « conventionnels »

Juliette Katz est passionnée par la musique dès son plus jeune âge. A 16 ans, elle se lance dans une école de musique et signe quelques années plus tard un contrat avec Universal Music France. Après avoir sorti son premier single en 2011, un album en 2012, et eu différents projets musicaux, elle se sent à la fin de sa carrière dans la musique. Elle enchaîne alors des petits boulots et vit des périodes de chômage. Alors qu'elle se filme en train de parodier les Youtubeuses beauté pour s'amuser, une amie lui donne alors l'idée de poster ses vidéos sur Facebook. En 2016 Juliette se crée une page Facebook et Youtube coucoulesgirls où elle poste un contenu décalé, et se met en scène en faisant preuve d'auto-dérision et de beaucoup d'ironie. Quelques mois plus tard, elle se crée un compte Instagram en plus de son compte personnel, dédié à

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cet amusement. Les abonnés sont de plus en plus nombreux jusqu'à être plus de 530 000 en 2020. Juliette fait alors de sa nouvelle activité son métier. Là où les instra-grammeurs postent leur petit déjeuner healthy75, coucoulesgirls se poste compléte-ment décoiffée et mal réveillée, quand les influenceurs postent des photos d'eux sous leur meilleur jour, elle montre son double menton et fait une grimace. Juliette se prend en photo au naturel et se montre sous toutes les coutures.

L'objectif derrière ces publications décalées ? Dénoncer les standards de beauté présents sur Instagram. Si autrefois, la jeune femme s'amusait à imiter les Youtubeuses beauté, les instagrammeurs et influenceurs n'y échappent pas.

La youtubeuse est également animée par d'autres combats, le féminisme, le harcèlement en ligne et la grossophobie en tant que femme en surpoids. Elle a d'ailleurs joué le premier rôle dans le téléfilm « Moi, grosse ».

Figure 24 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls "Instagram"/"reality" Janvier 2019

Légende : « Instagram VS Reality »

Ce premier post que nous avons voulu mettre en avant montre toute l'ironie dont fait preuve coucoulesgirls au travers de ses publications. Tout comme saggysara, la jeune femme reprend le format « Instagram » versus « réalité ». Cependant, on ne voit aucune différence entre les deux photos présentées ci-dessus. Juliette fait ainsi passer le message qu'elle se montre comme elle est dans la « vraie vie », sans retouche et artifice. La jeune femme en rit.

75 Nourriture saine et naturelle accompagnée d'un mode de vie sain, devenu une véritable tendance sur les réseaux sociaux.

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Figure 25 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls août 2019

Légende : « Est-il encore nécessaire de rappeler qu'un corps quel qu'il soit, mérite de ne pas être photoshopé ? Visiblement oui. »

Suivant la même logique que la publication précédente, la jeune femme présente deux photos d'elle, son corps retouché et son corps authentique. A travers ce post, cou-coulesgirls dénonce les critères de beauté présents sur Instagram. Nous pouvons d'ail-leurs apercevoir ses vergetures et sa cellulite, des caractéristiques corporelles qu'on ne voit que très rarement sur le réseau social tant ils sont camouflés.

Dans une interview réalisée par Brut76, la jeune femme se confie sur sa démarche. Elle explique vouloir casser l'image de la femme parfaite et les injonctions autour de la beauté : non une femme n'est pas obligée de se maquiller, non elle ne doit pas souffrir pour être belle, tous les corps sont acceptables et la différence est belle. Cou-coulesgirls évoque également les dangers du « culte du parfait » : beaucoup de jeunes utilisateurs s'identifient aux instagrammeurs et cherchent à leur ressembler.

Or, les publications de ces derniers étant généralement retouchées et mises en scène, ils se confrontent à un idéal inatteignable.

76 https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/video-coucou-les-girls-un-compte-instagram-en-guerre-contre-les-diktats-de-beaute 2976327.html

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Figure 26 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls au nouvel an 2019

Légende : « En direct de ma meilleure vie pour le réveillon. Tapez 1 si le vôtre est pareil. Dans le rôle du canapé le plus confortable du monde (et tout le reste de la déco) : @madedotcom. Dans le rôle du chien @guizmothethug »

Alors que la majorité des instagrammeurs se montrent sous leur meilleur jour, heureux en train de vivre des moments excitants, coucoulesgirls se montre affalée dans son canapé en pyjama, un 31 décembre. Bien entendu, il est fort probable que la jeune femme ne passait pas réellement le nouvel an ainsi et qu'il s'agissait d'une blague. Quoi qu'il en soit il est peu courant de voir des influenceurs se montrer ainsi. La jeune femme apporte une touche d'humour et ne se prend pas au sérieux. Nous pouvons constater qu'elle conserve la même ligne éditoriale pour effectuer des partenariats, puisque cette publication est en lien avec la marque de décoration Madedotcom.

Figure 27 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls en Belgique, Juin 2019

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Légende : « Hier j'étais en direct de Washington à côté du Lac Leman devant la Joconde » La publication ci-dessus est totalement ironique tant au niveau de la photo que la légende et la localisation. Cette dernière indique la Grèce, la légende Washington et la Joconde, tandis que la photo a été prise en Belgique devant le Manneken-Pis. Coucoulesgirls poste devant la statue en faisant une grimace et imite la célèbre pose que font les touristes devant les monuments quand ils se prennent en photo. C'est justement par les grimaces et la parodie, ses deux marques de fabrique, que la jeune femme dénonce les diktats de la beauté. Elle détourne les standards de publication et met en ligne sur le réseau social un contenu non conventionnel. Cou-coulesgirls alerte ainsi indirectement sur un problème de société lié à l'injonction de la beauté (notamment auprès des femmes), et bouleverse les critères esthétiques. Elle montre ce qui ne faut habituellement pas montrer sur Instagram.

Figure 28 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls posant nue, Juillet 2020

Légende : « Une semaine et 150 000 likes après, ces photos ont été supprimées pour cause d'« actes sexuels ». 4 ans que mon compte Instagram existe, 4 ans que je poste des photos de moi nue, 1ère fois que cela arrive. Est-ce le petit bout marron de mon téton qui est considéré comme un « acte sexuel » ? Ma peau trop présente ou encore le fait que mon corps prenne trop de place en photo ? C'est vrai quoi, un corps nu ça dérange mais vidéos/photos/commentaires qui incitent à la haine, la violence, qui discriminent... Ce n'est pas bien grave. Où avais-je la tête ? »

Coucoulesgirls pose nue et publie des photos de son corps où elle se trouve jolie afin de s'accepter telle qu'elle est. Dans de nombreuses interviews, elle explique le faire pour elle et insiste sur le fait de ne faire aucune retouche. Elle montre son corps de manière authentique. Les posts de nu lui permettent de s'assumer et de prendre

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pleinement conscience de son corps de femme, et d'aider les autres utilisateurs à faire ce dont ils ont envie. Il s'agit en réalité d'un re-post puisque la jeune femme avait déjà posté cette photo qui a été censurée par Instagram (d'où la présence d'un carré flou pour ne pas montrer l'entièreté de sa poitrine). Elle critique Instagram qui censure des corps nus mais ne réagit pas assez au harcèlement en ligne et laisse passer des commentaires haineux et du contenu insultant. La trentenaire fait également référence à son poids et questionne le fait que les corps des personnes en surpoids soient généralement davantage censurés, ce qui est une réalité. Ce phénomène s'explique par l'algorithme d'Instagram qui supprime les photos en calculant automatiquement le pourcentage de peau découverte. Au-delà d'une certaine limite le contenu est classé comme pornographique. Les utilisateurs de grandes tailles se voient ainsi davantage sanctionnés. L'algorithme du réseau social est discriminant.

Nous avons choisi ces diverses publications qui ne sont que quelques-unes parmi tant d'autres intéressantes à étudier, pour leur diversité. Tantôt la jeune femme alerte les autres utilisateurs des dérives d'Instagram en postant des photos d'elle dans un contexte décalé et en faisant des grimaces, tantôt elle est davantage sérieuse et aborde de réelles questions autour de la représentation du corps féminin et de la grossophobie sur le réseau social, mais dénonce également toutes les mises en scène derrière les publications.

En janvier 2020, Juliette Katz s'est créé un nouveau compte Instagram intitulé « cou-coulescons » qui cumule un peu plus de 30 000 abonnés.

Elle y poste les nombreux commentaires insultants qu'elle reçoit, afin de dénoncer le cyberharcèlement qui a lieu sur Instagram.

Elle le décrit comme « Un compte de dénonciation qui témoigne de la violence (en toute impunité) de ce que je reçois quotidiennement », des commentaires rabaissant, grossophobes. » La trentenaire souhaite montrer la violence de ce type d'agressions en ligne et partage maintenant également des messages que d'autres utilisateurs ont reçu et qu'ils lui partagent.

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Figure 29 Commentaire qu'a reçu coucoulesgirls, partagé sur son compte cou-

coulescons

La jeune femme met en lumière les messages désobligeants qu'elle reçoit de la part d'utilisateurs cachés derrière leur écran. En commentaires, les abonnés de ce nouveau compte réagissent en s'indignant de la cruauté.

La prévention par la création d'un mouvement

Louise Aubery est étudiante à Sciences Po Paris. En dehors de ses cours, elle est Youtubeuse et créatrice de contenu sur les réseaux sociaux.

En 2016, la jeune femme âgée de 18 ans se crée en plus de son compte personnel (ouvert en 2013), un compte Instagram nommé « mybetterself ». Elle y partage des conseils santé et fitness. Au fils des mois, elle se rend compte que malgré le fait qu'elle soit mince (voire très mince), elle ne se sent pas à l'aise dans son corps et ressent le besoin toujours de mincir et de se muscler davantage. Un déclic a lieu et la jeune femme décide de communiquer sur les injonctions que subissent les femmes, autour du poids mais pas que. Aujourd'hui, elle a gagné en kilos et en confiance en elle. Mybetterself n'est plus un compte où elle partage ses conseils sportifs, mais un espace où elle partage ses idées sur le féminisme, la représentation des femmes sur les réseaux sociaux et les dérives d'Instagram, et encourage les femmes à prendre le pouvoir de leur vie. Elle s'exprime ainsi notamment sur les sujets de société auprès de sa communauté de plus de 395 000 abonnés, de laquelle elle est très proche.

Tout comme Louise, Julie Bouges est Youtubeuse et créatrice de contenu. En 2013, alors qu'elle a 16 ans, elle participe à un carnaval qui tourne au drame. Son costume

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prend feu et elle est emmenée en urgence à l'hôpital où elle sera plongée dans un coma artificiel durant trois mois. A son réveil, la jeune fille se rend compte que son corps est brûlé à 40% et doit réapprendre à manger, boire et se déplacer. Un an après son accident, elle ouvre un compte Instagram appelé « Douze février » en rapport à la date auquel ce dernier a eu lieu. Elle y partage dans un premier temps son histoire puis s'étend à partager de la positivité et à s'exprimer sur des faits de société à sa communauté de 506 000 utilisateurs.

En mai 2019, Mybetterself publie une photo (voir en annexes) avec l'instagrammeuse « Pausitiveworld » qui est en surpoids. Toutes les deux sont en sous-vêtements et tiennent une pancarte sur laquelle est écrit « All bodies are good bodies » soit « Tous les corps sont des bons corps ». A la suite de ce post, Louise est retirée de la liste d'invités d'un voyage presse auquel elle devait participer. Elle comprend que ses valeurs ne correspondent pas à l'entreprise avec laquelle elle devait partir et décide quelques jours après, de poster une photo d'elle seule en sous-vêtement, sans artifice et en ne posant pas (voir annexes). Elle tient à nouveau une pancarte avec le message « #OnVeutDuVrai » et lance un hashtag appelant à faire de même. Elle explique en légende de la publication qu'elle en a assez de ne voir sur Instagram que des photos qui font complexer. Elle appelle ses abonnés à créer un mouvement pour provoquer un changement et contrer les publications des marques, médias et publicités qui ne mettent en avant qu'un seul type de physique.

Julie Bourges rejoint rapidement l'initiative. Sur son compte Douzefévrier elle publie une photo similaire avec une légende appelant à briser les codes et les stéréotypes. Fin mai 2019, les deux jeunes femmes décident ensemble de créer le compte Onveut-duvrai ayant pour devise « Pour que les réseaux sociaux nous fassent sentir bien ». Un peu plus d'un an après, ce compte est suivi par 36 600 utilisateurs d'Instagram. Pour alerter et sensibiliser, Louise et Julie y partagent des publications publiées par leurs abonnés avec l'hashtag #OnVeutDuVrai, des illustrations sensibilisatrices créées

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par divers comptes, créent elles-mêmes leur propre contenu et partagent les initiatives de certaines Influenceuses (toujours en écrivant leur propre texte comme légende).

Figure 30 Capture écran d'une publication sur le compte on-
veutduvrai montrant une photo de roro_le_costaud

Légende : « #OnVeutDuVrai, c'est ça. Ce sont des personnes de tout bord, de tous horizons, de tout sexe. Ce sont des personnes, qui ont connu des épreuves plus ou moins difficiles, mais qui se battent pour s'en sortir. Ce sont des personnes vraies, authentiques, qui ont réalisé que leur soi NATUREL était plus que suffisant. Et qu'il fallait en être fier.e. Ces personnes, en fait, c'est vous. Et avec Julie, qu'est-ce qu'on est fières de vous. » #OnVeutDuVrai #PhenixArmy #MyBetterSquad

Cette publication est un partage d'une photo de Romain alias roro_le_costaud qui a suivi le mouvement lancé par Louise et Julie. Cette publication est intéressante à étudier car c'est la première à représenter un homme. Suite à un accident de ski ce dernier est tétraplégique et se déplace en fauteuil roulant. Celui qui était autrefois pompier présente aussi une légère dépigmentation de la peau au niveau des bras. Ici Instagram est utilisé pour partager l'histoire d'un homme qui a rencontré une épreuve douloureuse dans sa vie et qui partage de manière authentique une grande positivité et des messages d'encouragements auprès de sa propre communauté. Dans un univers basé sur l'image, le handicap était jusqu'à ces deux dernières années peu représenté. Cette publication renforce le mouvement visant à briser la représentation du handicap sur Instagram et montre une diversité des utilisateurs, et ainsi des histoires et des corps.

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Figure 31 Capture écran d'une publication sur le compte onveutduvrai partageant une
photo publiée par jujufitcat

Légende : « BRAVO et MERCI à jujufitcats d'utiliser les réseaux sociaux comme on aimerait qu'ils soient : pour qu'ils nous fassent du bien. Avouez, on se sent beaucoup mieux avec ce genre de photos sur notre feed, non ?! #OnVeutDuVrai »

Justine Becattini alias jujufitcats est une Youtubeuse et créatrice de contenu spécialisée dans le fitness, qui prône l'acceptation de soi. En mai 2019, elle partage deux photos d'elle mises côte à côté, dont l'une laisse apparaître sa cellulite. Suivie par plus de deux millions d'utilisateurs, elle lève le tabou sur un phénomène naturel en montrant que même une grande sportive peut avoir de la cellulite. Selon la position du corps, l'angle et la lumière d'une photo cette dernière est visible ou non.

Le compte onveutduvrai a reposté cette publication que ses deux gérantes trouvent positive et utile pour rappeler que la cellulite, les boutons et les vergetures (tous largement considérés comme des imperfections) sont normaux et présents chez de nombreuses personnes bien que camouflés sur Instagram.

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Figure 32 Capture d'écran d'une publication du compte onveutduvrai / août

Légende : « Tu es là. Plongée dans les réseaux. Tu es là et tu vois tout. Les Kylie Jenner. Les Nanas de télé-réalité. Ces corps passés sous les couteaux de la chirurgie. Ces photos parfaitement photoshopées. Et toutes les marques qui savent si bien le gérer. Tu vois chaque jour ce que tu n'atteindras jamais. Tu vois chaque jour tout ce qui est fait pour te faire complexer. Tout ce qui est fait pour te faire croire que tu n'es pas un idéal de beauté. S'il te plaît ne crois pas en cette fausse réalité. Le virtuel c'est facile tu sais. Aujourd'hui on peut te faire croire ce qu'on veut, avec n'im-porte quoi. Et je vais te dire... La vérité c'est qu'on y a tous accès. C'est tellement facile. On nous met à disposition des outils qui ne nécessitent même plus d'être professionnels pour retoucher une photo. Tant c'est devenu à la mode... À la mode d'être faux. Un simple coup sur Facetune permet de blanchir les dents. Un autre permet de masquer la cellulite, les vergetures, les cicatrices, les boutons. Tandis que le dernier sert à réduire la taille des cuisses ou la largeur de ton ventre. Ne crois pas tout ce que tu vois. Tu sais la beauté est partout autour de toi. Tout ça, c'est les diktats de la société. Et les stéréotypes des réseaux sociaux. Faits pour te donner une fausse idée de toi. Faits pour te faire dépenser et acheter, ce corps que tu n'auras jamais. Ne te laisse pas avoir. Ouvre les yeux... Et dis-moi, dans la rue, combien de femmes vois-tu comme ça ? Nous sommes là tu sais. Tout autour de toi. Et nous sommes comme toi. Nous aussi nous avons nos complexes. Nous sommes grandes, petites, minces, maigres, rondes, brunes, rousses, blondes, chauves. Nous connaissons les cuisses qui se touchent autant que celles qui ne se

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touchent pas. Nous avons toutes nos complexes. Un nez qu'on trouve tordu, des dents qu'on trouve trop grandes, de la cellulite, un double menton, des vergetures, des poignets d'amour. Nous sommes joyeuses, tristes, spontanées, impulsives, créatives, idéalistes. Nous sommes des femmes. Des vraies. Celles auxquelles tu peux t'identi-fier. Promets-moi de ne plus te tromper. » Julie #onveutduvrai

Julie alias Douzefévrier a créé cette illustration portée sur la comparaison, qu'elle a posté sur son compte Onveutduvrai et qu'elle accompagne d'un texte portant un discours sur la diversité des corps. Elle évoque la retouche comme une « fausse réalité » et explique qu'il ne faut pas se comparer à ce à quoi on ne peut pas ressembler, d'au-tant plus que chacun est unique et ne devrait pas ressentir ce besoin. Son message fait écho à la sortie du schéma traditionnel de la photographie et l'apport des filtres par Instagram et les autres applications de retouche qui ont suivi. Il invite à se détourner des codes de publications et à s'identifier à la communauté #Onveutduvrai plutôt qu'à des comptes Instagram non authentiques et transparents.

Figure 33 Capture d'écran d'une illustration réalisée par le compte miss_happy_c partagée par le compte onveutduvrai / Janvier 2020

Légende : « Évidemment qu'on a une vision déformée de notre corps. Depuis notre enfance on a eu droit à Barbie et aux mannequins maigres comme référence de ce que la société appelle « norme » et définit comme « attirants ». Évidemment qu'on a des troubles du comportement alimentaire quand on nous a vanté depuis 20 ans le mérite des diètes et régimes, ces pancakes sans goût, ces shakers dégeulasses.

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Évidemment que le reflet du miroir est une torture quand à coup de Photoshop on nous fait croire que les gens « sains » n'ont pas de cellulite ou de stretch marks ou de cicatrices ou même de grain de peau. Évidemment. Ne nous étonnons pas de l'héca-tombe. Sous couvert de nous « inspirer » les marques, les magazines, les réseaux continuent de projeter cette vision déformée d'un corps idéal. Mais tu sais ce que c'est le corps idéal ?! Celui qui a vécu. Celui qui porte les traces de la vie, celui qui change, celui qui n'est pas lisse, et par dessous tout, le corps idéal c'est TOI qui le définit. Et ce qui m'inspire ? Le VRAI. Je ne veux pas du parfait, je veux la réalité, le bon angle et l'angle mort, je veux des DES corps, de la diversité, et encore plus : des gens qui rayonnent peu importe leurs corps. La RÉUSSITE m'inspire. Le DÉPASSEMENT de soi m'inspire. La perfection m'emmerde. Ce post c'était juste pour vous dire: 1) vous n'êtes pas seul(e)s. 2) ce n'est pas de votre faute donc arrêtez de culpabiliser. 3) on continue le combat pour s'accepter et pour une meilleure représentation de tous les corps. On veut du vrai ! »

Cette image représentant une barbie avec de la cellulite a été réalisée par le compte danaemercer et partagée par onveutduvrai. Les barbies étant des jouets avec lesquels les enfants et notamment les petites filles jouent, des normes physiques et des codes esthétiques sont inculqués dès l'enfance. Les barbies ont des mensurations irréalistes ne représentant pas la réalité du corps féminin et ne présentant aucune « imperfection ». Ainsi, ajouter de la cellulite à une barbie est un message fort qui a pour objectif de mettre fin aux diktats de la beauté. En complémentarité, la légende de la publication véhicule elle aussi un message fort en rapport à la standardisation des normes de beauté dans la société, et l'industrie qui s'enrichit sur les insécurités des femmes. Véritable coup de gueule, ce texte n'épargne pas Instagram puisque le réseau social participe largement à la standardisation d'un corps idéal.

Les deux jeunes femmes partagent leur point de vue sans tabou sur ce qui aujourd'hui est un phénomène de société et qui est l'une des grandes problématiques d'Instagram.

Ainsi le compte onveutduvrai a été créé suite à l'annulation d'un voyage de presse auquel Louise Aubery devait participer. La jeune femme a été désinvitée à la suite d'une publication postée sur son compte Mybetterself où elle était en sous-vêtement au côté d'une femme en surpoids. Rejointe par Julie Bourges, elle a alors lancé un mouvement prônant l'authenticité et la diversité des corps sur Instagram. Les

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thématiques abordées sur Onveutduvrai ont également rapport au féminisme et à la place des femmes dans la société et par écho sur Instagram.

Comme pour les précédents comptes, nous avons sélectionné ces quatre photos pour la diversité des points de vue traités, des messages et des supports (deux photos et deux illustrations). Vous trouverez davantage de publications en annexes.

Caractéristiques et résultats de la prévention

Les échecs et difficultés de la prévention

Des utilisateurs passent à côté du discours d'alerte d'Essena O'Neill

L'alerte effectuée par Essena O'Neill par un changement de ses légendes amenant à une confrontation du rapport texte/image a résonné auprès de ses abonnés et de milliers d'utilisateurs. La prévention est d'autant plus forte qu'elle a été l'une des premières à mettre en avant les dérives d'Instagram. De plus, les personnes qui suivaient la jeune femme sont notamment des jeunes en pleine construction d'eux-même, qui pouvaient avoir pris l'influenceuse comme modèle pour la représentation que cette dernière véhiculait.

La jeune femme est sortie des codes présents sur l'application pour redéfinir un nouvel espace de communication avec de nouvelles contraintes. Malgré le décalage entre les photos, nous avons constaté que certains utilisateurs passent totalement à côté du discours de prévention et d'alerte en continuant de commenter les publications par de nombreux compliments sur son physique (que vous trouverez en annexes).

Des messages comme « tu es vraiment trop belle et magnifique, je rêve d'être comme toi » montrent que certains utilisateurs s'arrêtent aux photos et ne lisent pas les légendes, donc n'ont pas compris le message transmis par la jeune femme et ont mal interprété sa démarche. Ces utilisateurs ne respectent pas l'espace de communication redéfini par la jeune femme. Il y a ainsi un décalage étonnant entre le discours de la publication et certains commentaires, ces utilisateurs ont le comportement que la jeune femme dénonce. Cet exemple nous amène à nous demander si Instagram en tant que média n'est pas l'énonciateur et crée l'espace de communication. Il n'y aurait pas plusieurs espaces de communication mais un seul espace engendré par Instagram.

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Cette réflexion nous amène également à nous demander si les utilisateurs suivent une personne sur Instagram pour son contenu ou pour ce qu'elle est. Ici, trop habitués à un type de contenu, certains utilisateurs passent à côté du message de la jeune femme.

EssenaO'Neil, accusée d'avoir voulu faire le buzz

La démarche de la jeune femme en dehors d'Instagram, n'a pas été acceptée par tous. L'ancienne influenceuse a par la suite créé un site internet « Let's be game changers »77 de type blog, ayant pour objectif de dénoncer les dérives des médias sociaux, d'informer, et de se reconnecter à la « vraie » vie, tout en proposant des discussions autour de ses nombreux centres d'intérêts. Dessus se trouvait une catégorie « support me » supprimée par la suite, proposant aux gens de lui faire des dons pour qu'elle puisse continuer à vivre et à proposer un nouveau type de contenu. Elle est alors accusée de mener une stratégie marketing et de vouloir susciter le buzz. Quelques mois après son lancement, le site internet est désactivé subitement alors que des personnes avaient effectué un don. Ce qui est considéré par certains comme du vol.

De plus, de nombreux utilisateurs mettent en évidence le paradoxe que nous avons développé dans la partie précédente, à savoir que la jeune femme se sert d'Instagram pour dénoncer Instagram, tandis que d'autres critiques sont tournées vers la promotion de son nouveau site internet, et le fait que l'influenceuse n'a jamais été aussi médiati-sée.78

Figure 34 Capture d'écran 1 d'un tweet critiquant la démarche d'Essena O'Neill
Source : compte Twitter d'Ophélie Duvillard via un article de L'express

77 Le site n'est plus accessible aujourd'hui.

78 https://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/instagram-la-strategie-bien-ficelee-d-essena-o-neill 1732544.html

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Figure 35 Capture d'écran 2 d'un tweet critiquant la démarche d'Essena O'Neill
Source : compte Twitter d'Olivier Clairouin via un article de L'express

La jeune femme a recréé un site internet nommé « authority within »79 afin de partager ses opinions sur divers sujets, des essais sur le néolibéralisme, aux podcasts, en passant par le partage de photos au design particulier. Essena s'est également réinscrite sur Twitter, Tumblr et Pinterest, et a changé son comportement sur les médias sociaux. Elle ne met plus sa vie en avant mais s'en sert plutôt pour partager des opinions et réflexions. Dans un échange vidéo avec la Youtubeuse Tiffany Ferb80 elle explique n'avoir finalement pas réinstallé Instagram et que les réseaux sociaux ne sont ni bons ni mauvais, que tout dépend de l'utilisation que l'on en fait.

Coucoulesgirls : quand l'on est soi-même victime de ce que l'on dénonce

Dans le livre qu'elle a écrit intitulé « T'es bonne bébé ! », coucoulesgirls revient sur son parcours et témoigne de son expérience sur Instagram.

« Pour être honnête encore une fois, parfois je poste des photos pour venir rassurer mon manque d'amour en moi, ou juste parce que j'ai envie qu'on me dise que je suis belle. Mais ça, ça relève encore du regard des autres, de leur approbation, et d'un besoin d'exister aux yeux des autres... ce qui est très paradoxal. (....) Rentrer dans la vie des gens sur Instagram ou partout ailleurs, n'est pas très compliqué, il suffit de deux clics pour avoir accès à l'autre. (...) Mais n'oublions pas que c'est purement du voyeurisme de notre part, que l'autre met en place et que nous validons. » (Juliette Katz, 2019, p.133)

79 https://www.authoritywithin.com/

80 https://www.youtube.com/watch?v=Ce5kkO urHE

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La trentenaire confie qu'elle-même a un rapport parfois compliqué avec Instagram, et fait face à certaines problématiques que nous avons développées dans la partie « Ins-tagram et les réseaux sociaux, reflets des problématiques contemporaines ». Ce qu'elle livre dans cet écrit est en contradiction avec son discours et sa position affirmée sur son compte coucoulesgirls. La jeune femme dénonce ce dont elle-même est victime et alerte des dangers d'Instagram sur la santé mentale, mais trouve en ce média un moyen de se sentir aimée et de combler un manque. Elle parodie le comportement de nombreux utilisateurs et notamment les Youtubeuses beautés et influenceurs, alors que peut-être, elle ressent le même besoin qu'eux.

Nous observons également que certaines de ses publications sont beaucoup travaillées et relèvent d'un effort de mise en scène. Nous ne pouvons pas savoir combien de photos la jeune femme a prises avant d'en poster une, nous n'avons pas accès à l'en-vers du décor de ses publications, mais nous pouvons néanmoins constater qu'elle produit un contenu atypique en contradiction avec les standards de publication présents sur le réseau social, et se tourne en auto-dérision.

La jeune femme réalise une mise en scène quotidienne d'elle-même en suivant une ligne éditoriale tournée autour de l'humour, peut-être pour elle une manière de se libérer. Par la parodie et l'humour, coucoulesgirls alerte les autres utilisateurs des dérives d'Instagram, mais c'est aussi un moyen pour elle d'y trouver une place.

La mise en scène de soi pour alerter

Les quatre comptes que nous avons sélectionnés dénoncent les dérives d'Instagram et alertent les autres utilisateurs sur ces thématiques. Parmi elles figurent la question de l'authenticité et de la mise en scène. A cette fin, la finlandaise Sara Puhto effectue de nombreuses confrontations de son corps version « Instagram » et version « réalité ». Les photos associées au réseau social sont esthétiques et travaillées tandis que les photos représentant la réalité sont davantage naturelles et ne répondent pas aux standards de beauté. Cependant, il est intéressant de noter que nous ne connaissons pas la façon de faire de la jeune femme. Se prend-elle en photo en prenant une pose particulière pour Instagram, puis ensuite relâche son corps et se prend en photo sans poser pour représenter ce qui est supposé être la réalité ? Ou bien, les différentes photos sont prises à la suite sans arrière-pensée et classées ensuite dans la catégorie « instagrammable » ou non ? Dans le premier cas, la jeune femme se met elle-même

en scène pour alerter les autres utilisateurs à propos de la mise en scène sur Insta-gram. Elle même choisit les photos qu'elle va mettre en confrontation. Comment être certains que les photos qu'elle juge non conformes au média social ne sont pas elles même sélectionnées, et qu'elle choisit celle avec laquelle elle se sent le plus à l'aise ? Rappelons qu'à ses débuts, la jeune femme publiait des photos de son corps musclé, en adoptant certains angles de vues et poses particulières et populaires. Ce n'est que par la suite qu'elle se confie sur les injonctions qu'elle ressent vis-à-vis des standards et des critères de publication. Nous pouvons nous demander aujourd'hui si elle est réellement sortie de ce schéma-là.

Parmi les publications que nous avions sélectionnées de saggysara, cette dernière en avait publié une « Instagram » versus « réalité » dans son jardin en plein hiver pour montrer que la réalité est qu'elle avait très froid et que la photo pour le réseau social n'était donc pas authentique. Quatre jours avant, la jeune femme a publié une photo qui semble issue de la même séance photo. Elle y souhaite un joyeux Noël à ses abonnés et sourit dans son jardin enneigé. Quand l'on compare cette publication à celle publiée quelques jours après et sa légende, nous comprenons que la jeune femme s'est mise en scène dans cette publication, ce qui est assez surprenant étant donné que c'est ce qu'elle dénonce et un sujet sur lequel elle alerte les autres utilisateurs.

Figure 36 Capture d'écran du compte de saggysara décembre 2018

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Légende : « Joyeux Noël. Bonnes vacances !!! J'espère que vous passez tous un

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super Noël et mangez plein de délicieuses choses et que vous passez du bon temps avec vos amis et votre famille. Je vous aime et apprécie !

#merrychristmas #happyholidays #eatallthefood #thiccmas #gettingfestive

Nous pensons également aux publications de Coucoulesgirls, qui elle aussi se met en scène pour faire rire ses abonnés et passer des messages.

L'apparition d'un paradoxe général

Etudier ces comptes de prévention qui alertent les utilisateurs des dérives et dangers d'Instagram, nous a amené à constater un paradoxe. En effet, il est assez contradictoire d'utiliser Instagram comme plateforme de dénonciation et d'alerte au sujet du réseau social lui-même. Les dangers de ce média social sont ainsi évoqués sur Insta-gram par des utilisatrices qui l'utilisent au quotidien. En cela, les comptes de prévention détournent le réseau social et son objectif initial. Instagram impose un certain cadre de communication que ces comptes cherchent à contourner, parfois en vain comme nous l'avons évoqué au travers du cas d'Essena O'Neill.

Nous pouvons ainsi nous demander si le réseau social n'est pas un seul espace de communication, et remettre ainsi en doute l'existence de multiples espaces de communication sur la plateforme.

Ainsi, des personnalités suivies sur Instagram avertissent leurs abonnés sur les dangers des réseaux sociaux qui les ont pourtant faits connaître et grâce auxquels elles vivent principalement aujourd'hui. C'est le cas notamment de coucoulesgirls, Douzefévrier, mybetterself (dans une moindre mesure puisqu'elle est encore étudiante), Essena O'Neill (qui s'est lancé dans des études et qu'elle a ensuite arrêté au profit de son nouveau site) qui sont dépendantes d'Instagram par leur activité sur cette plateforme, génératrice d'un revenu. Nous avons constaté également que se montrer sans filtre, sans artifice et sans retouche devient de plus en plus populaire.

Nous pensons directement aux hashtags #nofilter ou #iwokeuplikethis81 qui ont pour objectif d'indiquer à ses utilisateurs que la photo n'a pas été retravaillée et qu'elle est authentique.

81 Ce hashtag lancé par la reprise des paroles de Beyoncé dans sa chanson « Flawless » avait originairement pour objectif de lutter contre les injonctions de beauté qui pèsent sur les femmes, en les invitant

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Mais cette nouvelle tendance ne représente-elle pas elle aussi une dérive ? N'est-ce pas un nouveau moyen de se montrer et de se mettre en avant ?

Néanmoins cette prévention est une très bonne initiative de la part de ces utilisatrices très présentes sur le réseau social qui font passer des messages importants et bienveillants à leur communauté « En désacralisant les stars du net et en incitant les utilisateurs à s'apprécier et à se montrer tels qu'ils sont et non tels qu'ils aimeraient être, les influenceurs ont une chance de devenir ce qu'ils ne faisaient qu'aspirer à passer pour : des leaders d'opinion respectables et respectés, capables de bouleverser les normes établies. » (Marchand, 2016, p.131)

Conclusion : évaluation de la démarche

Nous avons parfois remis en question notre démarche et avons fait preuve d'adapta-tion au cours de ce travail de recherche en fonction de l'évolution de notre réflexion. Dans un premier temps, nous sommes partis d'une thématique très large qu'il a alors fallu recadrer. De plus, nous avons dû réorienter l'angle de ce mémoire car il est impossible à notre niveau de répondre de manière formelle à la problématique d'Insta-gram en tant que monde de l'illusion et d'affirmer pleinement la véracité de ses dérives qui restent de l'ordre des expériences et ressentis personnels.

Concernant l'articulation de ce mémoire, deux possibilités s'offraient à nous : mixer la partie sur les problématiques et dérives d'Instagram (chapitre 2) en la reliant à la prévention effectuée par les différents comptes (chapitre 3), ou les séparer en parties bien distinctes. Nous avons opté pour la séparation mais sommes conscients des potentielles répétitions engendrées. Toutefois nous avons souhaité, après avoir réalisé un cadrage théorique sur les réseaux sociaux puis sur Instagram, développer l'origine de la prévention afin d'expliquer ce besoin et sa genèse. Cet acheminent nous a semblé pertinent et cohérent pour une bonne compréhension du travail qu'effectuent les comptes sélectionnés avant même d'étudier les moyens utilisés.

à se montrer au naturel. Aujourd'hui de nombreuses utilisatrices utilisent ce message alors qu'elles sont maquillées discrètement et qu'elles se mettent en scène. De nombreux articles donnant des conseils pour réussir ce type de photos se sont propagées sur internet. Ils conseillent tel masque à appliquer la veille pour ne pas avoir l'air trop fatigué le lendemain, et d'autres préparations qui dénaturent le message original de ce hashtag.

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Nous avons constaté que les ouvrages et articles scientifiques sur la thématique de notre mémoire sont encore généralement centrés sur les réseaux sociaux en général ou sur Facebook. Il y a ainsi encore peu de travaux basés uniquement sur Instagram. D'où une nécessité d'effectuer une sélection et un recentrage sur Instagram, ainsi que d'avoir recours parfois à des sources moins scientifiques.

Enfin, si nous étions persuadés d'obtenir au moins une réponse de la part des gérantes des quatre comptes sélectionnés, ce ne fut pas le cas. Nos messages sur Instagram et mails semblent ne pas avoir suscités leur attention et s'être noyés dans la masse. Toutefois, ce n'est pas dommageable pour notre travail de recherche, car il s'agissait d'avoir un complément sur des informations déjà accessibles. Pour autant cela aurait été enrichissant d'obtenir au-delà de leur discours, des ressentis personnels sur leur activité de prévention.

Conclusion : résultats

Malgré certaines croyances, beaucoup de réseaux sociaux se sont succédés et Face-book n'était pas le premier. Leur apparition a marqué un tournant en permettant à des personnes lambdas de prendre la parole dans l'espace public et de détourner les médias traditionnels. La liberté d'expression se trouve ainsi facilitée et enrichie. Face à une concurrence accrue, certains réseaux sociaux ont disparu au profit d'autres qui se sont développés jusqu'à devenir de véritables puissances économiques.

Nous l'avons vu, Instagram s'est démarqué en innovant et lançant un concept basé sur le visuel, dans une société où l'image est importante. L'application mobile créée par Kevin Systrom a développé la pratique de la phonéographie et a popularisé l'ajout de filtres, entraînant une sortie du schéma traditionnel de la photographie. Très vite, Instagram a connu un succès fulgurant et ses millions d'utilisateurs se sont appropriés les codes de l'application. Les normes qui y sont présentes seraient le reflet de notre société actuelle, auxquelles le réseau social répond en s'adaptant et en proposant de nouvelles fonctionnalités allant dans ce sens. Certains utilisateurs désapprouvent la standardisation des critères de publication et toutes les dérives relatives à ce média social qui devient un terrain publicitaire, entraîne une addiction, pousse à la

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comparaison et à la conformité de normes esthétiques etc. Les usagers sont en effet de plus en plus nombreux à ressentir des émotions négatives et de l'anxiété en rapport avec leur activité sur Instagram. Même le réseau social est conscient de ses dérives puisque ses dirigeants se sont exprimés à ce sujet et ont agi en conséquence en adoptant de nouvelles règles.

En réponse, certains comptes se démarquent et dédient une partie de leur activité à alerter leur communauté, c'est-à-dire les autres utilisateurs, des dangers d'Instagram sur la santé mentale. Cette prévention est effectuée par divers moyens : le détournement du rapport image (photo) et texte (légende), la comparaison de photos insta-grammables et de photos davantage naturelles, l'ironie et la sortie des schémas de publication traditionnels et la création d'un mouvement incitant à l'authenticité et à la transparence. La prévention de ces comptes tenus ici par des femmes connues sur le réseau social est cruciale car elle peut permettre de faire évoluer les normes et bouger les lignes. Toutefois, cette alerte soulève un paradoxe, cette sensibilisation critique vis-à-vis d'Instagram est réalisée sur le réseau social lui-même. Les cinq jeunes femmes ont une certaine sensibilité sur ce sujet, puisqu'elles-mêmes ont été victimes de ces dérives et en ont ressenti les effets négatifs. Certaines dénoncent ce qu'elles subissent encore sur Instagram. Ce positionnement en tant que leadeuses d'opinion et lanceuses d'alerte est aussi un moyen pour elles d'exister et de trouver une place sur le réseau social. Elles appellent à revenir à la genèse d'Instagram et l'activité qu'il y avait à sa création, avant que celui-ci ne se transforme en plateforme publicitaire et espace codifié et normatif.

Ces comptes d'alerte appellent à un retour à l'authenticité et à l'acceptation de soi et ainsi à sortir du fantasme pour un retour à l'humain. Cet appel à renouer à la nature humaine et ses imperfections est encouragé par ces comptes, et devient un phénomène qui connaît une hausse de popularité et une nouvelle mode sur Instagram. Est-ce la future nouvelle tendance d'Instagram de se montrer sans filtre et sans tabou ? En contournant les codes instaurés, ces comptes de prévention ne risquent-ils pas d'en créer de nouveaux orientés vers une authenticité mise en scène ? Ne risquent-ils pas de créer une nouvelle norme ?

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Annexes

Autres publications D'Essena O'Neill

Figure 37 Annexe 1 capture écran publication du compte d'Essena O'Neill

Légende : « J'étais misérable. Coincée. Sans inspiration. En colère. Je n'aimais plus l'art de créer de l'art, écrire u toute autre forme d'expression de soi comme autrefois lorsque j'étais enfant. Quand personne ne le jugeait, je créais sans limitation ni filtres. Quand ce n'était pour personne d'autre que moi, j'adorais ça. Et ça m'a adoré en retour. Cela m'a fait me sentir vivante. C'était comme capturer et exprimer la vraie vie, le vrai sentiment, la vraie beauté - cela m'a donné cette joie que je ne peux toujours pas expliquer. Vous connaissez ce sentiment d'inspiration, de passion et d'objectif que vous ressentez lorsque vous faites quelque chose que vous aimez tout simplement ? C'est pourquoi je fais ce que je fais. Je ne veux plus d'ap-probation, cela me mettait dans un piège me faisant penser que j'en avais de plus en plus besoin. Je veux un endroit où je peux donner sans attente ni résultat. Je ne veux plus d'abonnés. #gamechangers #socialmediaisnotreal #socialmedia #bethechange #movement #esse-naoneill

Figure 38 Annexe 2 capture écran publication du compte d'Essena O'Neill

Légende : « La seule chose qui m'a fait du bien ce jour-là, c'est cette photo. Comme c'est profondément déprimant. Avoir un corps tonique ne représente pas tout ce que les Etres-Hu-mains sont capables de faire.

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Figure 39 Annexe 3 capture écran publication du compte d'Essena O'Neill

Légende : « Je commence à me débarrasser des distractions, enfin au moins je suis en train d'essayer. J'ai passé la dernière semaine sans maquillage, avec une utilisation minimale de mon téléphone, de la lecture quotidienne, de l'écriture, du dessin, de l'exercice et de la méditation (j'avais l'habitude de trouver cela impossible et horrible - maintenant, c'est pourquoi je n'en faisais pas avant ?!)

Je pense que me débarrasser de toutes ces distractions avec lesquelles je vis depuis si longtemps (entraînant un temps de défilement inutile sur les réseaux sociaux, une obsession de l'apparence, des formes hyper sexualisées) m'a forcé à vraiment m'ou-vrir. C'est effrayant et accablant à quel point ma vie n'était pas « vraie ». Je remplissais la majeure partie de mes journées avec des idées artificielles de la vie. Je n'avais pas réalisé que j'étais dépendante des médias sociaux ainsi qu'à mon apparence. (...) Maintenant, j'écoute davantage, les idées créatives éclatent, je suis plus calme. Je veux être avec ma famille. Je veux faire attention auprès de qui j'investis mon énergie. Je pense que je m'apprécie davantage sans maquillage. (...) Avec mon téléphone éteint ou hors de portée, je vis plus. J'observe des parties de la vie auxquelles je n'avais jamais pensé auparavant. J'ai l'impression de commencer à me voir et non plus à travers le prisme des distractions. (...). Les photos posées dans le seul but de "paraître bien" me rabaissent. Je suis plus que mon image. Je pense que nous avons oublié des parties de nous-mêmes qui sont réelles.

Nos visions, nos peurs, nos véritables désirs d'appartenance et de solidarité, nos idées créatives individuelles, nos capacités d'innovation. Nous recherchons des distractions parce que changer une partie du monde et de nous que nous n'aimons pas est trop difficile. Débarrassez-vous des distractions. »

Les commentaires complimentant Essena O'Neill

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Figure 40 Annexe 4 captures écran de quelques commentaires laissés sous les publications détournées d'Essena O'Neill

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Autres publications relatives au compte onveutduvrai

Figure 41 Capture d'écran de la publication suite à laquelle Louise été désinvitée d'un voyage de

presse

Légende : « « Elle n'a pas le bon corps » Voilà le commentaire qu'une personne a jugé bon de laisser sur la vidéo YouTube que j'ai réalisé contre les complexes. Mis à part le fait que je ne comprendrais jamais quel est l'intérêt de répandre de la méchanceté gratuite ; il fallait que je prenne la parole sur cette notion de « bon » corps. Soyons clair. « Bon » ou « mauvais », c'est un jugement. On peut trouver un croissant bon. Ou on peut trouver un croissant mauvais. Personne ne t'a demandé de le faire avec le corps humain. Le corps d'une femme n'est pas là pour recueillir TON jugement. Le corps d'une femme n'est pas là pour satisfaire TON bon vouloir. La seule à qui ce corps doit plaire, c'est à cette femme. Qu'elle soit épanouie. Qu'elle se sente bien. Qu'elle soit heureuse. Et cela, tous les corps le permettent. Alors oui, tous les corps sont des « bons » corps. Arrêtons de les hiérarchiser. #feelgood #bodypositive #body-positivity #selflove #loveyourself #bbg #tbc #confidence #confianceensoi

Figure 42 Première publication #onveutduvrai de Mybetterself alias Louise Aubery

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Légende : « ON VEUT DU VRAI. Parce qu'il y en a marre de scroller sur son feed et de ne voir que des photos qui font complexer. Ça t'es arrivé de regarder le profil d'une fille en te demandant pourquoi tu ne lui ressemblais pas ? Et te sentir mal à propos de ton corps ou de ton physique ? C'est parce que les marques, les médias, les publicités, ne mettent en avant qu'un certain type de physique. Sauf que cette industrie, elle n'existe PAS sans nous tous. C'est nous qui les faisons vivre. Alors on va leur dire ce qu'on veut. On va leur dire qu'on en a marre de voir des photos parfaites sur nos feed. On va leur dire qu'on ne veut plus voir des femmes qui nous font complexer, mais des femmes qui nous font sentir BIEN. Et c'est comme ça que les choses vont évoluer. C'est de nous que va venir le changement. Alors, à partir d'aujourd'hui, je vous invite pour qu'on puisse se faire entendre à partager VOS photos #On-VeutDuVrai, comme vous le voulez, comme vous l'interpréter, et on va leur montrer »

Figure 43 Capture écran de la publication de douzefevrier alias Julie Bourges rejoignant le mouve-
ment #onveutduvrai

Légende : « ON VEUT DU VRAI » Si on cassait les stéréotypes ? Si on se montrait et si on NOUS montrait, telles que nous sommes ? Si on brisait les codes ? Si on se sentait libérées, si on se se sentait fières ? ON VEUT DU VRAI. On ne veut pas être complexées. On veut être représentées. Si tu veux qu'on se fasse entendre plus fort, partage TA photo avec le #OnVeut-DuVrai ! LET'S CHANGE THE RULES.

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Echange avec Maureen Bourgois, étudiante en communication, Youtubeuse et « Instagrammeuse ».

Que trouves tu intéressant sur Instagram ? Pourquoi utilises-tu ce réseau social ? J'aime beaucoup le fait que tout le monde puisse partager ce dont il a envie librement. J'utilise ce réseau car j'aime partager également.

Y passes-tu beaucoup de temps ? Quotidiennement ? Hebdomadairement ? J'y passe beaucoup de temps, je me connecte régulièrement, chaque jour.

As-tu déjà publié une photo (avec ou sans légende) qui était en contradiction avec ton ressenti sur le moment présent ? (exemple : poster une photo d'un moment joyeux alors que l'on est triste etc.)

Non jamais, quand je poste une photo, c'est toujours parce que je me sens bien.

Est-ce que le nombre de réactions à tes publications (j'aime et commentaires) a un impact sur toi ? Ton humeur ?

Adolescente beaucoup, maintenant moins. Comme je n'ai pas forcément hyper confiance en moi, avoir des « j'aime » et des commentaires, c'est toujours flatteur.

Est-ce que tu as déjà été affectée par des réactions à tes publications ? Est-ce que ces réactions ont eu un impact sur ton humeur et ton ressenti personnel ? Encore plus loin, sur ta confiance en toi ? J'ai déjà eu des messages privés irrespectueux concernant certaines de mes photos, comme « t'es bonne » « je te baise » et j'en passe. Au début ça m'éner-vait beaucoup, maintenant je n'y fais plus attention.

 

Question ciblée : te souviens-tu du moment où tu as publié cette photo ? Comment te sentais-tu ? Avais-tu pris la photo le jour même ou bien avant ? Quelle était ton humeur ?

Oui j'ai pris cette photo le jour où j'ai tourné une vidéo pour YouTube. J'aimais bien ma tenue et mon rouge à lèvres. Je me sentais jolie. J'ai

posté la photo le lendemain. J'étais contente.

Est-ce que le fait de poster cette photo sur Instagram t'a affectée d'une quelconque manière ? (Changement d'humeur, satisfaction, préoccupation etc.)

J'étais contente car j'aimais bien cette photo !

Qu'est-ce que t'évoques ces illustrations ?

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Qu'Instagram permet à beaucoup d'utilisateurs de « sauver les apparences » et de montrer une image qui n'est pas réelle juste pour obtenir des likes.

T'es-tu déjà sentie dans ce cas sur Instagram ?

Personnellement non. Je ne poste pas de photos quand je suis triste car je considère que ça ne sert à rien de faire semblant.

Des comptes sur Instagram invitent les utilisateurs à arrêter de se comparer aux autres et expliquent qu'Instagram peut-être un monde de l'illusion dont nous n'avons qu'une certaine image ne représentant pas forcément la « réalité ». Nous voyons les publications mais pas ce qui se cache derrière. Ces comptes dénonciateurs sont corrélés à une réelle prise de conscience et de parole.

Qu'en penses-tu ? Es-tu d'accord ?

Je suis totalement d'accord. Les gens vivent dans l'illusion d'un monde parfait et commencent à douter d'eux même et de leur vie qui ne l'est pas. Or, chacun est différent et devrait s'aimer comme il est.

As-tu quelques comptes en tête ?

Je pense à « Acacia Kersey » qui s'était montrée avec des poils sous les bras pour dire qu'elle se sentait mieux comme ça. Et coucoulesgirls qui diffuse un message de tolérance en étant elle-même.

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Cette photo a été publiée sur Instagram par une jeune femme. A première vue qu'en penses-tu ?

Je pense qu'elle est bien dans son corps et s'assume assez pour le divulguer sur Instagram. Je pense qu'elle était à la plage et a voulu prendre une jolie photo d'elle pour la partager avec ses abonnés.

Cette photo est maintenant accompagnée de cette légende : « PAS LA VRAIE VIE - pris au moins 100 photos dans des poses similaires afin d'essayer que mon ventre ait l'air bien et plat. Je n'ai presque pas mangé ce jour-là. J'ai crié sur ma soeur pour qu'elle continue à prendre des photos jusqu'à ce que je sois fière d'une. S'il vous plaît aimez ma photo, j'ai mis du maquillage, j'ai bouclé mes cheveux (...) pris beaucoup de photos jusqu'à ce que j'ai la bonne, celle que vous devriez aimer, ensuite je l'ai éditée sur une application. Comme ça je pouvais sentir une approbation sociale de votre part. Il n'y a rien de réel autour de ça. » Est-ce que ta perception de la photo change maintenant que je t'ai lu ce texte qui accompagnait la photo ? Qu'en penses-tu ? T'es du déjà sentie dans cette situation ?

Ça ne m'étonne pas, elle fait comme beaucoup de personnes sur Instagram, juste pour plaire à la société. Bien sûr dès fois je n'ai pas posté certaines photos car j'avais peur du jugement des autres, de leurs réactions, sur mon corps notamment.

Enfin, te sens-tu sur Instagram encadrée par des normes ? Penses-tu qu'il y a sur ce réseau social plusieurs espaces de communication ? Ou bien un seul qui définit tous les comptes et qui impose des contraintes ?

Il y a des normes mais c'est à nous d'essayer de ne pas y penser et de poster librement !

Capture écran datant du mois de juin 2019 d'un nouveau compte que j'ai créé à des fins expérimentales

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Expérience arrêtée en décembre 2019 car n'apportant rien de particulier à mon travail de recherche.

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Extraits de mes prises de notes lors de l'expérimentation avec la création d'un nouveau compte Instagram

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Références bibliographies

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Instagram censure désormais les photos trop retouchées le 14 janvier 2020 sur le site internet de Konbini

https://arts.konbini.com/instagram/instagram-censure-desormais-les-photos-trop-retouchees/

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Présentation d'igtv, l'avenir de la vidéo sur business.instagram.com https://business.instagram.com/a/igtv?locale=fr FR

Comment le téléphone mobile a détrôné l'appareil photo en vingt ans, le 9 juillet 2020 par le site internet du Monde https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/07/09/comment-le-telephone-mobile-a-detrone-l-appareil-photo-en-vingt-ans 6045653 4408996.html

Marketing d'influence : retour sur la success-story de Daniel Wellington sur le site internet ciliabule.fr

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Essena O'Neill, reine d'Instagram, raconte l'enfer derrière ses photos parfaites, le 3 novembre 2015 sur le site internet vanityfair.fr https://www.vanityfair.fr/actualites/articles/essenaoneill-essena-oneill-reine-dinstagram-ra-conte-lenvers-du-dcor/29499

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Comment Instagram censure les corps des femmes grosses, le 13 février 2020 sur le site internet marieclaire.fr https://www.marieclaire.fr/pourquoi-instagram-censure-plus-les-corps-des-femmes-grosses,1327220.asp

Il ne faut pas croire tout ce que vous voyez sur instagram, le 28 juillet 2017 par le site internet fredzone.org

https://www.fredzone.org/il-ne-faut-pas-croire-tout-ce-que-vous-voyez-sur-instagram-554

10 influenceuses qui ne ressemblent pas du tout à leurs photos Instagram, le 11 août 2020 sur le site internet madmoizelle.com

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My Better Self, la youtubeuse feel good qui nous aide à aimer notre corps, 19 octobre 2018 sur le site internet flair.be https://www.flair.be/fr/mode-beaute/my-better-self-la-blogueuse-feel-good-qui-nous-aide-a-ai-mer-notre-corps/

Grande brûlée à 16 ans, Julie Bourges nous parle de son parcours sur le site internet cosmo-politan.fr https://www.cosmopolitan.fr/grande-brulee-a-16-ans-julie-bourges-nous-parle-de-son-par-cours,2026936.asp

Le retour du « vrai » sur Instagram, juillet 2019 sur le site internet komunity-web.com https://www.komunity-web.com/on-veut-du-vrai-instagram

Des influenceuses avertissent leurs abonnés sur les dangers d'Instagram, 23 août 2019 sur le site internet madmoizelle.com

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« Avec le temps, Instagram ressemble de plus en plus à Facebook », le 6 août 2020 sur le-monde.fr https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/08/06/avec-le-temps-instagram-ressemble-de-plus-en-plus-a-facebook 6048289 4408996.html

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Vidéos

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The Return of Essena O'Neill - interview with the instagram model who quit social media, Tiffany Ferg, le 14 novembre 2019

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VIDEO. "Coucou les Girls", un compte Instagram en guerre contre les diktats de beauté, Brut, le 8 octobre 2018 https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/video-coucou-les-girls-un-compte-instagram-en-guerre-contre-les-diktats-de-beaute 2976327.html?fbclid=IwAR3-zzIBuf8LrvwVbMDFbv73FsHzwVQrFbgKrstqjsPkFxP09tr4afx5MS0

Kevin Systrom & Mike Krieger on Creating Instagram, SXSW, le 15 mars 2019 https://www.youtube.com/watch?v=ZkOEajMcICo

Qu'est-ce que le dropshipping, le business qui envahit le web, LeHuffPost, le 9 août 2019 https://www.youtube.com/watch?v=V6VbkCvaPI0

i FAKED a vacation at IKEA, Natalia Taylor, le 10 février 2020 https://www.youtube.com/watch?v=sz42PrqWq-g

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Les quatres comptes Instagram sélectionnés

· Compte reprenant les publications détournées d'Essena O'Neill https://www.instagram.com/essena.oneiil/

· Compte de saggysara https://www.instagram.com/saggysara/

· Compte de coucoulesgirls https://www.instagram.com/coucoulesgirls/

· Compte onveutduvrai

https://www.instagram.com/onveutduvrai/






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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon