2020 - Université de Lille, département Infocom
Mémoire de recherche de Master 2
Présenté par Maëlle De Coninck Sous la
direction de Stéphane Benassi
L'alerte et la prévention des limites et dangers
d'Instagram
Remerciements
A l'issue de la réalisation de ce mémoire et de
la réflexion menée autour de mon sujet, il me tient à
coeur de remercier mon professeur Monsieur Stéphane Benassi pour son
accompagnement, ses explications claires concernant les attentes
universitaires, ainsi que sa gentillesse et sa disponibilité. Je tiens
également à remercier Madame Renata Varga pour ses interventions
durant les séminaires de recherche « Images et
Représentations » et son apport en tant qu'enseignante chercheuse
en sciences de l'infor-mation et de la communication.
Je remercie les enseignants d'Infocom pour les cours et
enseignements dispensés qui m'ont permis l'acquisition de connaissances
solides, de savoirs et savoir-faire qui m'ont été utiles dans la
réalisation de ce mémoire et qui le seront dans le monde
professionnel.
Je tiens également à témoigner ma
reconnaissance aux personnes qui ont accepté de répondre à
mes questions et de partager leur expérience relative à
l'utilisation d'Insta-gram.
En n'oubliant pas mes amis d'Infocom pour le soutien et
l'entraide au sein de notre groupe, et notamment Imane et Louanne membres du
même séminaire de recherche que moi. Ainsi que ma maman, Anne
Lavallart pour la relecture de ce mémoire de recherche et sa
bienveillance.
Table des matières
Introduction 1
Préambule 1
Questionnements et problématique 4
Hypothèses et articulation du travail de recherche 5
Corpus 6
Réseau social Instagram et comptes Instagram 6
Les quatre comptes sélectionnés 6
Méthodes et approches 10
Analyse sémio-pragmatique 10
Analyse du discours 12
Confrontation et rapport texte/image 13
Chapitre 1 : contextualisation générale
15
L'avènement des réseaux sociaux 15
Historique des réseaux sociaux 15
Définition du terme « réseau social »
19
Question de la liberté d'expression 20
Contextualisation Instagram 23
Histoire et temps fort du réseau social 23
Caractéristiques et fonctionnalités d'un
réseau social basé sur l'image 25
Typologie des utilisateurs 32
Analyse sémio-pragmatique 35
Discours critique et manipulation des images 38
Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les
dangers et limites d'Instagram . 40 L'appropriation de la plateforme
par les utilisateurs : une activité détournée de celle
originairement pensée par le créateur. 40
La création d'un étudiant passionné et la
sortie du schéma traditionnel de la
photographie 40
Un succès rapide et une appropriation des codes de
l'application par les utilisateurs 41
Instagram et les réseaux sociaux, reflets des
problématiques contemporaines 43
Un terrain publicitaire et ses dérives 43
La question de l'image du corps et la démarche
d'esthétisation de la vie 48
L'engagement ou l'addiction et la modification du comportement
50
L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing Out»
53
L'anxiété sociale et la manipulation des
émotions 55
Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de soi ?
56
2
Les actions réalisées par Instagram 58
Chapitre 3 : l'alerte et la prévention
effectuées par les instagrammeurs 61
Les différents modes de prévention 61
La prévention par le détournement du rapport
texte/image 61
La prévention comparative « Instagram » versus
« Réalité » 67
La prévention par l'ironie et la publication de posts dits
non « conventionnels » 73
La prévention par la création d'un mouvement 79
Caractéristiques et résultats de la
prévention 86
Les échecs et difficultés de la prévention
86
L'apparition d'un paradoxe général 91
Conclusion : évaluation de la démarche
92
Conclusion : résultats 93
Annexes 95
Références bibliographies 105
1
Introduction
Préambule
Mon mémoire de recherche a été
réalisé durant mes deux années de master en Information
Communication parcours Communication Interne et Externe à
l'Université de Lille. Il s'inscrit dans le séminaire «
Images et Représentations » et s'appuie sur la prévention
effectuée par certains instagrammeurs concernant les limites et les
dangers du réseau social Instagram.
Cet attrait pour ce sujet réside dans plusieurs
facteurs. Appartenant à la génération Y, les
réseaux sociaux font partie de mon quotidien depuis quelques
années.
Je me suis inscrite sur Facebook en 2012, j'avais alors 14
ans. L'amie avec qui j'étais, me guidait dans les démarches
à réaliser. Il était tout d'abord important de mettre une
photo de soi puis de demander les personnes plus ou moins proches en ami. Un
nouveau monde s'était ouvert à moi, un univers virtuel et sans
frontière. Je me souviens du sentiment que j'ai éprouvé
face à mon arrivée sur ce réseau social, de l'excitation
mais aussi de l'appréhension.
Tout au long de mes années d'adolescence, j'ai
constaté une corrélation entre l'évo-lution de mon humeur,
de la perception que j'avais d'autrui, ou encore de ma propre perception, et
cette plateforme. J'étais à un âge où je me
comparais beaucoup aux autres, et Facebook a particulièrement
contribué à ce phénomène. J'ai très vite
pensé que ce n'était pas tant le réseau social en
lui-même qui pouvait avoir un impact sur mes perceptions, mais sa
communauté et le contenu qu'elle crée, c'est-à-dire nos
« amis », leurs publications, leurs partages, et le contenu qu'ils
aiment. Facebook sans en être directement à l'origine, avait tout
de même sa part de responsabilité en donnant un cadre de
publication et en engendrant des codes. L'apparition des réseaux sociaux
dans notre quotidien n'est pas sans influence sur notre pensée, nos
émotions et notre ressenti. Je crois que tout le monde peut être
amené à un moment de sa vie, à se questionner, à
ressentir une modification de l'image qu'il a de lui-même ou des autres,
en rapport à un réseau social quel qu'il soit.
2
Je réfléchissais quant à l'impact de ces
derniers dans notre quotidien, c'était un sujet qui me passionnait et
m'interpellait. Mes camarades de classe s'en servaient comme une vitrine de
leur vie et exposaient à la vue de tous, les événements
les plus excitants qu'ils vivaient. Leurs photographies étaient
esthétiques et parfois mises en scène. Ils exprimaient leur
opinion à travers des statuts divers et variés. Je me demandais
ainsi s'ils avaient conscience de cette mise en scène. J'aimais ainsi me
perdre sur Face-book, et dans mes réflexions.
En 2013, j'ai rejoint Instagram, plateforme de partage de
photographies et vidéos, créée en 2010 et disponible sur
Smartphone et ordinateur. L'âge minimum requis pour en devenir membre est
de 13 ans, j'en avais 15.
J'ai tout de suite apprécié cette nouvelle
application sur laquelle je me sentais libre. Libre de poster des
clichés de mon quotidien, de mes amis, de mes animaux et des paysages
que j'admirais. Je publiais pour me faire plaisir et partager du contenu qui me
plaisait, et qui me ressemblait, sans aucune arrière-pensée.
J'adorais particulièrement ce concept, jusqu'à
ce qu'il évolue. Au fil de la popularité croissante de
l'application, les marques ont vu en elle un moyen incontournable pour
effectuer leur communication et se mettre en avant sous un format
inédit, tandis que les influenceurs1 ont fait leur
apparition.
De nouvelles problématiques communicationnelles ont
fait leur apparition. Le réseau social est devenu un outil, et ne permet
plus un partage « innocent » de photographies. Il y a maintenant un
travail important de préparation, et de mise en scène, qui
enlève toute spontanéité. En utilisant et « surfant
» sur cette application devenue commerciale, de nombreux questionnements
et observations me sont alors venus en tête, tout comme quand je me
rendais sur Facebook autrefois. Instagram présentait maintenant des
effets « secondaires » similaires à cet autre réseau
social. Je ressentais ces derniers à la fois en tant que
créatrice de contenu, mais aussi en tant que réceptrice. En
effet, les publications de certains changeaient la perception que j'avais
d'eux, et surtout, en me poussant à la comparaison, avait un impact sur
la perception que j'avais
1 Le terme influenceur fait référence aux
« leaders d'opinion digitaux qui, à travers un post
d'Insta-gram ou une vidéo sur YouTube, peuvent affecter les
comportements d'achat de plus de gens qu'une dizaine de magazines
réunis. Le mot est une arme à double tranchant, tour à
tour brandi comme une clef pour ouvrir la porte -souvent verrouillée- de
la planète mode, ou énoncé sur un ton moqueur, voire
méprisant. » (Marta Represa, 2016, paragr. 3).
3
de moi-même, et ainsi sur le rapport à soi. Quant
à ce que je publiais, je pouvais m'in-quiéter par exemple de
n'avoir aucune réaction ou très peu de la part de mes
abonnés.
Aujourd'hui je suis toujours présente sur Instagram et
m'y rends quotidiennement, davantage dans une posture de réceptrice
plutôt qu'émettrice de contenu (j'ai par ailleurs supprimé
la majorité des photographies que j'avais postées étant
plus jeune).
Je suis abonnée à mes proches mais aussi
à des personnalités publiques que j'appré-cie, qui me font
rire, réfléchir et m'inspirent. Je suis abonnée
également à de nombreux comptes engagés envers
différentes causes : le féminisme, la lutte contre le sexisme et
l'acceptation de soi. Je sens grâce à ces comptes dont
l'activité est dédiée à une cause en particulier
que je m'ouvre à la réflexion, sors de mes idées
reçues et m'enri-chis intellectuellement. C'est ce que je
préfère sur Instagram aujourd'hui et ce qui pourrait me manquer
si un jour je décidais de ne plus être présente sur le
réseau social.
En échangeant avec mon entourage et des tierces
personnes sur la thématique de mon mémoire, j'ai remarqué
que je n'étais pas la seule à me questionner et à
ressentir des effets sur mon humeur et ma perception en me rendant sur ce
réseau social. Ce dernier renvoie une réalité qui ne nous
plaît pas forcément. Constater que ses proches se voient sans
nous, que certains sont en vacances au soleil alors que nous n'avons pas cette
chance, sont des exemples déplaisants parmi tant d'autres qui peuvent
entraîner des émotions négatives et pousser à la
comparaison.
Il m'arrive fréquemment d'être avec des amies qui
prennent des photos de leur quotidien afin d'alimenter leurs
stories2 Instagram. Il faut les prendre en photo ou les attendre
quand elles le font. Le naturel s'efface pour laisser place à une mise
en scène de l'instant présent. Mon choix de sujet de
mémoire s'est ainsi porté sur ce réseau social car il est
davantage porté sur l'image que Facebook. Je trouve le
phénomène d'autant plus intéressant à
étudier qu'il présente une multitude de facettes et d'aspects,
entre mises en scène et interprétations, émetteurs et
récepteurs.
2 « Les stories sont des contenus mobiles
mêlant à la fois des photos et des vidéos
éphémères disponibles en ligne pendant 24h seulement
après leur diffusion sur les réseaux sociaux. Un savant
mélange de « rich media » façon blog et de post
éphémère façon Snapchat. En anglais, le mot «
story » était associé à des histoires courtes, des
récits fictionnels. Mais l'ensemble des internautes internationaux se
sont rapidement appropriés ce terme. » (La mobylette jaune,
2018, paragr.1)
4
Questionnements et problématique
En écho aux questions venues durant l'adolescence
vis-à-vis des réseaux sociaux, et qui sont encore
d'actualité, nous nous sommes d'abord questionnés sur le ressenti
des utilisateurs d'Instagram (qu'ils soient en position d'émetteurs
et/ou de récepteurs), et l'impact de ce réseau social sur
l'humeur. Nous nous sommes ensuite interrogés sur la question du rapport
à soi et du rapport aux autres véhiculés et entretenus par
le média social. Nous avons identifié un certain nombre de
phénomènes3 et d'effets sur la santé mentale
engendrés par le réseau social. En constatant qu'il s'agissait
d'effets ressentis et partagés par une grande majorité des
utilisateurs de la plateforme, ainsi qu'un sujet débattu dans l'espace
public, nous nous sommes demandés s'il s'agissait de
phénomènes préexistants ou qui ont fait leur apparition
avec Instagram et plus largement la création des réseaux
sociaux.
Nous avons alors orienté dans un premier temps le sujet
de ce mémoire de recherche sur l'influence d'Instagram sur l'image que
les jeunes ont d'eux même. Puis, dans un deuxième temps sur la
thématique d'Instagram en tant que monde de l'illusion4.
Au cours de nos recherches, nous avons découvert des
comptes Instagram qui critiquent son utilisation telle qu'elle est aujourd'hui.
Ces derniers, chacun à leur manière, invitent les utilisateurs
à cesser de se comparer aux autres, à s'aimer tels qu'ils sont et
expliquent que nous disposons d'une certaine image qui n'est pas
forcément la « réalité ». D'autres comptes
décident de se monter sans filtre, sans retouche, tels qu'ils sont dans
« la vraie vie » en dehors de leur identité virtuelle.
A ce niveau-là, les axes d'orientation de ce
mémoire de recherche étaient encore très larges et
difficilement traitables. Par intérêt pour le sujet et souci de
structuration, nous avons donc fait le choix de nous concentrer sur ces comptes
qui effectuent de la prévention vis-à-vis des dangers et limites
d'Instagram auprès des autres utilisateurs de la plateforme.
3 Ici nous entendons la standardisation des critères de
publication, la recherche de la validation d'autrui, la démarche
d'esthétisation de la vie et autres phénomènes
discutés dans le chapitre 2.
4 L'illusion ici entendue comme une
interprétation tronquée : ce que l'on perçoit est faux,
nous pouvons ainsi être « victime d'une illusion ».
Deuxièmement comme une « apparence dépourvue de
réalité ».
5
Nous avons constaté un paradoxe, les utilisateurs
d'Instagram que nous allons mettre en évidence utilisent ces mêmes
réseaux sociaux pour dénoncer et prévenir de ses
limites.
Nous avons ainsi dirigé la problématique de ce
travail de recherche autour de ce paradoxe avant de nous rendre compte qu'il
était plus judicieux de l'articuler directement autour de la
prévention effectuée par les comptes mis en évidence.
Un long parcours de cheminement et de réflexion nous a
ainsi mené vers la problématique suivante : «
Comment les instagrammeurs alertent les autres utilisateurs sur les
limites et dangers d'Instagram ? »
Une problématique bien centrée et
structurée qui permet toutefois d'aborder tous les points cités
et questionnements situés ci-dessus.
Hypothèses et articulation du travail de
recherche
Au travers de ce mémoire de recherche, nous
répondrons à l'hypothèse que les effets sur la
santé mentale provoqués par les réseaux sociaux et plus
précisément Insta-gram, sont à l'origine de la
prévention effectuée par quelques utilisateurs. Il ne s'agit pas
de discuter et de questionner la véracité de ces effets, mais de
montrer qu'ils sont à l'origine d'un travail d'alerte et de
prévention. Nous chercherons à montrer que certains utilisateurs
au travers de leur compte personnel ou d'un compte dédié,
mènent des activités de prévention sur le réseau
social lui-même et prennent d'eux même ce rôle qui leur tient
à coeur. Nous chercherons à en comprendre l'objectif et à
étudier la manière utilisée pour alerter.
Ainsi, afin de mener à bien notre réflexion,
nous effectuerons dans un premier temps une contextualisation
générale des réseaux sociaux avec un point précis
sur Instagram et ses particularités. Ce cadrage argumenté d'une
réflexion sur la manipulation des images nous permettra d'ancrer notre
réflexion et d'effectuer un cheminement naturel vers notre
deuxième partie consacrée à l'origine de la
prévention. Il s'agira dans ce second temps de mener une
réflexion sur le dispositif Instagram, son appropriation par les
utilisateurs et son reflet des problématiques contemporaines, mais aussi
d'évoquer les actions réalisées par Instagram pour lutter
contre ses effets indésirables sur la santé mentale de ses
utilisateurs. Nous montrerons que les points abordés ci-dessus sont
à l'origine de ce besoin de prévention.
6
Enfin, nous analyserons la prévention effectuée
par les comptes sélectionnés, et les différentes
manières employées pour alerter. Nous en étudierons les
caractéristiques et les résultats.
Corpus
Réseau social Instagram et comptes
Instagram
Au début de notre réflexion vis-à-vis de
ce travail de recherche, nous nous étions dans un premier temps
orientés vers le réseau social Facebook. Nous avons finalement
choisi de nous concentrer sur Instagram, média social et service de
partage de photographies et vidéos. Pour cause, ce géant à
plus d'un milliard d'utilisateurs à travers le monde est basé sur
l'image et correspond davantage à la thématique de notre
séminaire « Images et Représentations ». Par ses
spécificités, il nous paraît intéressant à
étudier. Notre étude se base sur des recherches menées au
travers de la lecture d'ar-ticles scientifiques et d'ouvrages, mais aussi sur
une navigation quotidienne permettant une observation davantage
interprétative. Des échanges et des entretiens avec des
utilisateurs du réseau social viennent également enrichir notre
réflexion.
Les quatre comptes sélectionnés
Nous avons sélectionné quatre comptes Instagram
qui effectuent une alerte sur les limites du réseau social auprès
des autres utilisateurs. Par leurs différences et diverses
manières d'effectuer la prévention, ils sont très
enrichissants pour notre travail de recherche.
Le premier compte sélectionné est en
réalité un compte qui n'existe plus mais dont les publications
ont été repostées à l'identique par d'autres
comptes.
En 2015, Essena O'Neill est une jeune femme de 19 ans avec
plus d'un demi-million5 d'abonnés, star d'Instagram.
L'instagrammeuse véritable influenceuse a des contrats avec des grandes
marques qui la paient pour promouvoir leurs produits ou leurs services. Elle
travaille également avec des agences de mannequins prestigieuses
à Los Angeles.
5 720 000 abonnés selon le journal
madamefigaro.fr
Une vie parfaite en apparence qui fait rêver ses
nombreux abonnés auprès desquels elle partage son quotidien
depuis quelques années.
Le 27 octobre 2015, la jeune femme supprime subitement 2000
photos de son mur Instagram. Puis, elle annonce quelques jours plus tard dans
une vidéo YouTube6 et sur les réseaux sociaux qu'elle
souffre de dépression et va quitter YouTube, Tumblr et Instagram. Elle
raconte les coulisses d'un quotidien aux apparences trompeuses « J'ai
passé des heures à observer des filles parfaites sur Internet, en
rêvant d'être l'une d'entre elles. Puis je suis enfin devenue l'une
d'entre elles, et j'ai réalisé que je n'étais toujours pas
heureuse ni en paix avec moi-même. »
L'influenceuse change les légendes de certaines
publications toujours présentes sur son compte. Elle y écrit des
phrases qui correspondent davantage à son quotidien tel qu'elle le
vivait et non tel qu'elle le montrait, afin d'évoquer le malheur
causé par une vie centrée sur sa propre image.
Aujourd'hui, son compte n'existe plus mais de nombreux
utilisateurs ont reposté les publications d'origine. Nous nous baserons
notamment sur celui intitulé « es-sena.oneiil ».
Figure 1 Compte reprenant les publications
détournées d'Essena O'Neil
7
Nous avons choisi de travailler sur l'histoire de cette jeune
femme bien qu'elle ait supprimé son compte car son témoignage est
en concordance avec notre travail de recherche et notre réflexion. Il
nous paraît intéressant de travailler sur cet exemple de «
burn-out numérique » et la prévention qui a suivi qui est
d'autant plus percutante qu'elle confronte le rapport texte/image et la
manipulation des images par un changement de discours.
6 «Essena o'neill - why i really am quitting social
media»
https://www.youtube.com/watch?v=heHBcUOf
sA
Le deuxième compte sélectionné est celui
de la finlandaise Sara Puhto alias « saggysara » qui compte en 2020
plus de 350 000 abonnés. La jeune femme de 23 ans dédie ce compte
qui n'est pas son compte personnel7 à la prévention
des limites et dangers d'Instagram.
Figure 2 Compte de "saggysara" alias Sara Puhto
8
La jeune femme montre au travers de ses publications combien
il est facile de mettre en avant son corps en jouant avec l'angle de la photo,
l'éclairage ou encore la posture. Elle démontre au travers de
comparaison « Instagram » versus « réalité »,
« bonne photo de corps » versus « mauvaise photo de corps
», ou encore « posée » versus « au naturel »,
comment chacun peut donner l'image qu'il souhaite sur les réseaux
sociaux par un processus de sublimation de la réalité. Sa
méthode de prévention principale a pour objectif de montrer la
mise en scène derrière les publications mais aussi les
méthodes de retouche et de filtres que certains utilisent pour obtenir
des clichés dits esthétiques selon les normes de la
société.
Saggysara prône le « self love »8
et partage ainsi sa conviction de la nécessité d'ap-prendre
à s'aimer sans artifice et à ne pas se comparer. La
prévention passe par ses photos et ses légendes qui se veulent
informatives, éducatives, bienveillantes et qui poussent à la
réflexion.
Nous avons choisi ce compte pour son originalité et la
remise en question qu'il effectue sur le rapport à l'image.
7 Son compte personnel « Sarapuhto » compte un peu
plus de 3 900 abonnés. Dessus elle y partage des photos de son quotidien
sans effectuer de prévention sur les limites et dangers d'Instagram.
8 Mouvement qui incite à s'aimer
soi-même.
Le troisième compte choisi est celui de Juliette Katz,
chanteuse, Youtubeuse, actrice et autrice française, sur son compte
« coucoulesgirls » suivi par plus de 529 000 abonnés.
Figure 3 Compte de "coucoulesgirls" alias Juliette
Katz
9
La Youtubeuse détourne le dispositif en publiant des
photos non conventionnelles qui sortent des critères de publication.
L'ancienne chanteuse casse ainsi les codes esthétiques mais emploie
également l'ironie et l'auto dérision au travers de ses
légendes qui sont ainsi parfois en total décalage avec les
photographies associées.
En 2020, elle se met au nu artistique et poste
régulièrement des photos d'elle dénudée,
régulièrement censurées par Instagram. Elle dénonce
alors la suppression de nus par le réseau social sous prétexte
que l'on y voit des attributs féminins. L'instagram-meuse dénonce
aussi la grossophobie9 qu'elle-même subit dans son quotidien
en tant que femme en surpoids. Nous avons choisi ce compte Instagram car il
effectue de la prévention indirecte sur les dangers et limites du
réseau social en passant par l'humour et l'ironie. Ce qui nous
interpelle surtout est que les publications de Juliette Katz sont en totale
rupture avec les codes de publication conventionnels, et le rapport texte/image
est souvent décalé. La Youtubeuse utilise ce média social
également pour traiter des sujets forts tels le féminisme, la
grossophobie, la censure du corps féminin.
Le quatrième et dernier compte
sélectionné est le compte « onveut du vrai »
créé en mai 2019 par les deux Youtubeuses « Mybetterself
» alias Louise Aubery et « Douzefévrier » alias Julie
Bourges.
9 « Hostilité envers les personnes grosses ou
obèses, position qui se manifeste par des comportements stigmatisant et
discriminant à l'égard des personnes ne surpoids » (
linternaute.fr)
Figure 4 Compte "On veut du vrai" tenu par Louise Aubery et
Julie Bourges
10
Face à la standardisation et la banalisation des
publications sur Instagram, les deux jeunes femmes dédient une partie de
leur activité à des fins de prévention sur le média
social. « onveutduvrai » est suivi par plus de 35 000 abonnés
et vient contrer les diktats du parfait sur Instagram. On y trouve des photos
envoyées par les abonnés, de nombreuses réflexions, et les
initiatives de personnalités10 sur le réseau
social.
Louise et Julie s'expriment d'un ton éducatif et
sensibilisateur au travers de leurs publications.
Nous avons choisi ce compte car il est clairement
spécialisé sur la prévention des dangers et limites des
réseaux sociaux et en particulier Instagram. La légende du
premier post est d'ailleurs la suivante : « Sur ce compte, on vous
partagera uniquement des photos qui nous font sentir BIEN. » L'alerte
se fait ici par la sensibilisation directe.
Méthodes et approches
Tout au long de ce travail de recherche, nous avons
mobilisé les approches qui nous paraissaient les plus pertinentes
vis-à-vis de l'analyse du réseau social Instagram et de certains
de ses comptes.
Analyse sémio-pragmatique
Dans un premier temps afin de réaliser une approche
générale et globale des réseaux sociaux et en particulier
de ce média social, nous nous sommes servis de l'analyse
sémio-pragmatique.
10 Pour exemple les posts de la Youtubeuse Jujufitcats en juin
2019, et Demi Lovato en septembre 2019 ont été partagés
car les photos des deux femmes étaient sans retouche et laissaient
apparaître leur cellulite.
11
L'approche pragmatique est développée en
même temps que la sémiologie classique entre les années
1950 et 1970 dans le cadre des « cultural studies ». Elle consiste
à montrer que les messages ont une infinité de sens possibles, et
qu'au-delà du contenu des dispositifs, il est judicieux de
s'intéresser à la façon dont ces derniers sont
perçus. Pour exemple, dans « La culture du pauvre », Hogardt
montre que les classes populaires ont eu malgré le dispositif dans
lequel elles étaient impliquées, une interprétation
différente de ce que ces derniers auraient voulu leur imposer. Elles se
sont appropriées les produits culturels et médiatiques.
L'approche pragmatique se centre sur le sens donné par
le public, mais ne tient pas compte du dispositif. L'analyse
sémio-pragmatique va donc plus loin en étudiant les dispositifs
et leur contenu en contexte. Elle a été pensée et
largement développée par le professeur et chercheur Roger
Odin11. Ce dernier part de l'hypothèse qu'un acte de
communication ne se fait pas dans un seul espace communicationnel mais deux
espaces distants. Il effectue ainsi une distinction entre l'émetteur (E)
et le récepteur (R) que constituent les actants, et le texte (T), et
identifie une séparation entre « l'espace d'émission »
et « l'espace de réception ». Selon cette approche, le sens
d'un élément de communication ne dépend ni essentiellement
du texte, ni des lecteurs, mais tire son origine des facteurs
extérieurs12 qui exercent une influence sur les actants, et
notamment sur leur mode de production de sens. Ces facteurs extérieurs
ou « contraintes contextuelles » seraient ainsi à l'origine de
différentes interprétations de lecture et de
compréhension. Roger Odin va plus loin en introduisant la notion de
« mode13 » qui peuvent être de différentes
natures : artistique, documentarisant, moralisant, specta-cularisant etc.
Cette analyse nous a paru essentielle et pertinente dans le
cadre de ce mémoire de recherche. En effet sur les réseaux
sociaux et notamment Instagram, différents acteurs interagissent entre
eux tour à tour en tant qu'émetteurs, récepteurs, et
produisent du
11 Professeur à l'université Sorbonne
Nouvelle Paris 3 et chercheur à l'Institut de recherche sur le
cinéma et l'audiovisuel, reconnu pour ses travaux sur le film de famille
et l'approche sémio-pragmatique du cinéma.
12 Les facteurs extérieurs ici entendus comme
les contraintes « qui régissent la construction des actants de
la communication et la façon dont ils sont conduits à produire du
sens » (Odin, 2011, p.21)
13 Construction théorique visant à
structurer en « ensembles fonctionnels les processus de production de
sens » (Odin, 2011, p.46)
12
texte et des images qui engendrent du sens auprès des
autres utilisateurs. L'analyse sémio-pragmatique s'avère ainsi un
élément clé pour analyser les espaces de communication qui
y sont présents et la communication effectuée par les
instagrammeurs. Cette méthode nous permettra de nous interroger sur les
éléments composants Insta-gram, ses contraintes et son
fonctionnement, et ainsi de contextualiser et ancrer le réseau social
dans un cadrage théorique. Puis dans un deuxième temps, nous
réutiliserons cette approche en la centrant sur les quatre comptes de
notre corpus choisis dans le cadre de ce mémoire de recherche. Cette
approche sera un outil précieux afin d'analyser leur méthode de
communication sur le réseau social et d'en étudier tous les
aspects et l'interprétation qu'en font les autres utilisateurs. Il
s'agira également de se questionner sur les différents modes
employés par les comptes au travers de leurs publications sur le
réseau social.
Analyse du discours
« Narrativiser sa vie privée et en marquer des
épisodes par des commentaires et des changements de statut, ou plus
généralement entrer puis quitter un monde « virtuel »,
apparaissent désormais comme des pratiques banales pour beaucoup
» (Burger, Thornborrow, Fitzgerald, 2017, p.7)
Comme l'ont écrit ces trois chercheurs dans leur
ouvrage « Discours des réseaux sociaux, enjeux publics, politiques
et médiatiques », les réseaux sociaux sont des nouveaux
environnements interactifs qui permettent de nouvelles rencontres et types
d'échanges. Ces derniers sont entrés dans la routine d'une grande
majorité d'entre nous, qui s'exprime et produit du contenu. Les usagers
d'Instagram sont à l'origine de la production d'un discours14
écrit et oral (production de contenus audiovisuels), qu'ils diffusent
aux autres utilisateurs et qui va les impacter.
Adopter une démarche d'analyse du discours dans le
cadre de ce travail de recherche nous paraît ainsi indispensable afin de
comprendre les enjeux du discours produit par les instagrammeurs, et se pencher
sur la complexe relation sujet (l'individu qui élabore la
représentation), objet (la réalité
représentée), contexte15 (la réalité
sociale où le sujet
14 Le discours comprend une dimension performative qui a pour
objectif d'agir sur autrui.
15 Le contexte est déterminant et à prendre en
compte pour comprendre la situation de communication et
l'énoncé.
13
vit et où la représentation se
forme)16. Nous entendons ici la représentation que les
utilisateurs ont d'eux même, la représentation qu'ils ont des
autres et sur le monde au travers du réseau social Instagram, et du
contexte dans lequel les utilisateurs se trouvent.
Le discours a donc une dimension informative avec pour
objectif de transmettre un message mais il comprend également une
dimension persuasive, « La fonction argumentative a des marques dans
la structure même de l'énoncé [...] : la phrase peut
comporter divers morphèmes, expressions ou tournures qui, en plus de
leur contenu informatif, servent à donner une orientation argumentative
à l'énoncé, à l'entraîner dans telle ou telle
direction. » (Ducrot,1980, p. 56)
Nous analyserons la production de discours des instagrammeurs
et notamment des comptes sélectionnés, à l'aide d'une
grille de lecture.
Nous nous inspirerons de la méthode d'analyse
proposée par Amélie Seignour17 dans la Revue
française de gestion édition 2011/2 (n°211). Nous nous
baserons en particulier sur une analyse du système d'énonciation
auprès des deux actants, qui consiste à observer comment
l'émetteur se définit, et inscrit le récepteur. Nous
analyserons également la dimension référentielle du
discours en analysant les représentations conscientes ou inconscientes
que construisent les usagers en publiant sur Instagram, et qui vont avoir une
influence sur le destinataire. Nous adopterons enfin une analyse globale du
discours en reprenant les éléments identifiés grâce
aux méthodes ci-dessus et entrerons dans une phase davantage
interprétative.
Confrontation et rapport texte/image
Au-delà des mots et du langage écrit, les
réseaux sociaux et Instagram en particulier sont basés sur le
visuel. L'apparence y joue un rôle majeur. Les utilisateurs se
construisent leur identité virtuelle par l'image, en disposant d'un
« mur »18 qu'ils sont libres de personnaliser en fonction
de leurs envies.
16 Reprise et inspiration de certains éléments
de cours « Situations de communication - représentation »
dispensé par l'enseignante chercheuse en sciences de l'information et de
la communication Renata Varga, appliqué ici aux réseaux sociaux
et notamment Instagram.
17 Amélie Seignour est maître de
conférences en sciences Humaines et Sociales à
l'université de Montpellier II.
18 Soit une page personnelle sur le réseau social sur
laquelle est affichée l'ensemble de leurs photos et vidéos
postées.
14
Les utilisateurs ont la possibilité de pouvoir
accompagner leurs photographies de légendes et de s'y exprimer en 2200
caractères. Ces dernières sont généralement
utilisées afin de donner du contexte à l'image postée et
viennent donc en complémentarité.
Internet regorge de conseils à destination des
entreprises mais également des particuliers qui souhaitent adopter la
meilleure stratégie de communication sur ce média social. En
matière d'image, il est par exemple recommandé d'appliquer la
règle de photographie des 1/3, d'utiliser les filtres proposés
par l'application et d'autres règles appartenant au registre du code de
la photographie.
En matière de légende, il est conseillé
de mettre en avant un style de vie19, de travailler la mise en forme
de son texte avec l'utilisation de smileys et d'adopter la bonne longueur pour
ne pas décourager la lecture, de poser des questions pour encourager le
« feedback » et l'engagement, et d'utiliser les bons
hashtags20. De nombreux conseils qui montrent toute la
stratégie autour d'une publication sur Instagram, tant pour les
entreprises qui ont un objectif commercial et/ou un enjeu d'image de marque,
que pour certains utilisateurs qui souhaitent se faire une place sur le
réseau social. Il s'agit tout au long de ce mémoire de recherche
d'analyser les contenus postés par les instagram-meurs,
c'est-à-dire leurs photos mais aussi les textes qui les accompagnent, et
de confronter le rapport texte/image. Une image et sa légende peuvent
permettre une interprétation différente si on ne regarde que
l'une des deux. Ainsi, adopter une telle approche nous paraît judicieux
afin d'observer le mécanisme de publication conscients ou inconscients
des usagers, et notamment effectuer une analyse auprès des comptes
sélectionnés.
19 Aussi appelé « lifestyle » il s'agit de
montrer et mettre en avant son mode de vie et « art de vivre ».
20 « Mot-clé précédé du
symbole # que les internautes utilisent dans leurs publications sur les
réseaux sociaux. Ils permettent aux autres utilisateurs d'accéder
au contenu qui contient ledit mot-clé, sans nécessairement
être « ami » ou « follower de la personne qui en fait
usage » (
solocal.com)
15
Chapitre 1 : contextualisation
générale
L'avènement des réseaux sociaux
Historique des réseaux sociaux
Depuis le début des années 1990, les chercheurs
en sciences de l'information et de la communication étudient les
réseaux sociaux numériques. Il s'agit à l'époque
des mails, des forums de discussion et des blogs. L'apparition de nouveaux
réseaux sociaux aussi qualifiée de « tournant web 2.0 »
a entraîné de nouvelles recherches qui se sont fortement
développées depuis 2010 dans le domaine info-com.
Le réseau social Classmates en 1995 et Six Degrees en
1996 ouvrent la voie au web grand public. Classmates créé par
Randy Conrads avait pour objectif de permettre aux inscrits de retrouver leurs
anciens camarades de classe, collègues et anciens combattants.
Aujourd'hui renommé
MemoryLane.ai, il permet à ses
utilisateurs de partager des contenus et souvenirs dont ils sont nostalgiques.
Six degrees ancêtre de Face-book et LinkedIn est considéré
quant à lui comme l'un des premiers site internet de type réseau
social. Imaginé par Andrew Weinreich, il permettait à ses
utilisateurs d'en-trer en relation avec leurs proches, amis, familles et
collègues, et de se développer un réseau en ligne. Il y
était possible d'envoyer des messages à ses contacts, aux
contacts de ses contacts, et de publier des informations. Les membres pouvaient
envoyer des invitations pour proposer à des tierces personnes de les
rejoindre et de s'y inscrire. A défaut de popularité, le site
internet ferme en 2001.
Figure 5 Page d'accueil de Six degrees en 1997 Source :
agence90.fr
16
En 1999, la plateforme Livejournal voit le jour et permet
à ses utilisateurs de poster des mises à jour écrites sous
forme de blog et de journal. Ses membres peuvent créer des groupes et se
suivre.
En 2002, Friendster permet à ses usagers de se
créer une communauté virtuelle et facilite la recherche de
contacts.
En 2003, Hi5 rend possible la diffusion d'informations
personnelles, et ajoute une nouveauté : la possibilité de
créer des albums photos, d'installer un lecteur de musique sur son
profil et d'y recevoir des commentaires.
Cette même année, LinkedIn est le premier
réseau social professionnel à faire son apparition. Il a pour
objectif de se créer un réseau professionnel en ligne, de trouver
du travail et d'échanger entre professionnels.
Figure 6 Page d'accueil de LinkedIn en 2005. Source :
agence90.fr
Site le plus populaire du monde en 2006, MySpace est
créé en 2003 et est le premier réseau social à
être autant utilisé. Il reprend les fonctionnalités de base
des réseaux sociaux cités ci-dessus tout en se centrant sur le
partage de création musicale, une personnalisation
développée des profils, et la création de la liste des
huit meilleurs amis de chaque utilisateur.
Le géant Facebook fait son apparition en 2004. Dans son
ouvrage « The Accidental Billionnaires » (2009) adapté au
cinéma, Ben Mezrich raconte l'histoire de la start-up et de son
créateur. Mark Zuckerberg, étudiant de 19 ans développe le
site internet
17
Facemash en 2003 suite à une déception
amoureuse. Le jeune homme pirate le réseau d'Harvard pour en
récupérer le trombinoscope. L'objectif de Facemash est alors de
permettre aux étudiants de sélectionner entre deux photos la plus
« sexy ». L'Uni-versité ordonne la fermeture du site mais Mark
Zuckerberg continue ses expériences sur le net. Un an après,
aidé de quatre camarades, il développe Thefacebook pour que les
étudiants du campus puissent communiquer entre eux en ligne et partager
des informations. Son utilisation se répand aux campus de Stanford,
Columbia et Yale avant de s'étendre au monde. Le réseau social
est propulsé par les investisseurs Sean Parker (créateur de
Napster) et Peter Thiel (co-fondateur de Paypal). Ses utilisateurs disposent
d'un profil ainsi que d'un mur où s'affichent leur activité et
celle de leurs amis, provoquant un flux d'informations constant qui
défilent en continu. Marck Zuck-erberg se dit alors convaincu que le
rendu de nos vies publiques et le partage de nos données est un
progrès « les gens veulent partager et rester connectés
avec leurs amis et les gens autour d'eux (...) si les gens partagent plus, le
monde deviendra plus ouvert et plus connecté. Et un monde qui est plus
ouvert et plus connecté est un monde meilleur ».
En 2005, le site web Reddit propose le concept inédit
de voter pour les liens proposés par les autres utilisateurs. Un
algorithme met alors en avant le contenu le plus voté soit le plus
populaire.
En 2007, le célèbre oiseau bleu alias Twitter
naît et prend son envol. Il permet à ses utilisateurs d'envoyer
des courts messages nommés « tweets » (dans la limite de 140
caractères, aujourd'hui allongée à 280). Pour la
première fois, un réseau social est accessible depuis mobile. Par
sa spécificité et son côté pratique, Twitter fut
rapidement utilisé par les journalistes afin de transmettre
l'information en direct et de couvrir des événements. Annonces
publicitaires, tags, hashtags, retweets, bouton j'aime... Twitter et Facebook
se développent largement et étendent leurs
fonctionnalités.
En mars 2010, Pinterest de l'anglais « pin »
épingle, et « interest » intérêt, est
lancé et mélange le concept de réseau social et de banque
d'images. Ses utilisateurs peuvent partager leurs passions et centres
d'intérêt au travers du partages d'albums photos.
La même année en octobre le premier réseau
social uniquement sur mobile fait son apparition, c'est Instagram permettant le
partage de photographies suivant la logique
18
« mobile only »21 durant deux ans puis
« mobile first »22. L'application mobile est suivie en
2011 par Snapchat dont le concept est l'envoi de photographies à des
personnes ciblées sur un temps limité, jusqu'à son
étendue vers les « stories ».
Vine créé en 2012 lance la publication et
personnalisation de courtes vidéos de six secondes sur smartphone. En
avril 2013 elle est l'application gratuite la plus
téléchar-gée de l'App Store23. Concept qui
inspirera les grandes tendances des réseaux sociaux concurrents
malgré la fermeture de ce dernier par son rachat par Twitter.
En 2015,
Musical.ly est le premier réseau
social où ne se partagent que des vidéos. Les membres y publient
leurs chorégraphies sur fond musical. En 2016, l'application mobile est
rachetée par le groupe chinois Beijing ByteDance et fusionne avec Tik
Tok qui étend le partage de contenu au-delà de la danse.
Véritables concurrents, les réseaux sociaux
s'influencent entre eux et n'hésitent pas à reprendre les
concepts les uns des autres. Facebook et Instagram ont par exemple repris le
concept phare de Snapchat « les stories » au détriment de ce
dernier qui voit aujourd'hui sa popularité baisser. Du début des
années 1990 à nos jours, de nombreux réseaux sociaux ont
fait leur apparition, certains ont connu un succès fulgurant tandis que
d'autres ont disparu par manque de popularité et une concurrence
accrue.
Selon une étude technologique de Morgan
Stanley24 en 2008, les sites les plus consultés en 2005
étaient des sites marchands de vente en ligne comme e-Bay et Amazon. En
2008, ils ont disparu du classement des sites à plus forte audience au
profit de MySpace, YouTube, Facebook, Hi5, et Wikipédia.
Aujourd'hui, 12 ans après, Facebook domine toujours le
marché des réseaux sociaux avec 2,6 milliards d'utilisateurs dans
le monde pour 38 millions en France. En 2ème position se trouve WhatsApp
que nous considérons davantage comme application de messagerie que comme
réseau social, suivi par Instagram en France et dans le monde. Au niveau
mondial c'est Tik Tok qui arrive en quatrième position, suivi de
21 « Stratégie par laquelle une organisation
fait le choix de n'être présente à travers son offre
commerciale que sur mobiles. Dans les faits, une stratégie "mobile only"
consiste donc à être présent quasi-exclusivement par le
biais d'une application proposée sur smartphones. » (
Définitions-marketing.com)
22 « Le mobile first place le mobile au coeur des
stratégies digitales : au lieu de décliner un site web pour
tablettes et smartphones, on conçoit tout d'abord une version mobile, et
on construit ensuite le site pour ordinateur autour de cette version
». (
journaldunet.com)
23 Aaron Souppouris, « The Verge - Vine is now
the number one free app in the US App Store » [archive],
theverge.com
24 Banque américaine dont le siège
social est situé à New-York.
19
Pinterest, Twitter, LinkedIn et Snapchat. Il est
intéressant de noter qu'au niveau national le classement n'est pas le
même. Ainsi après Instagram et ses millions d'utilisa-teurs,
Snapchat est le quatrième (troisième si on ne comptabilise pas
WhatsApp) réseau social en matière d'utilisateurs, suivi de
Twitter, du réseau professionnel LinkedIn, de Pinterest puis de Tik Tok.
Ces réseaux sociaux sont internationaux et ont une présence sur
la scène mondiale25 mais sont caractérisés par
des différences de popularité en fonction des pays.
Figure 7 Infographie présentant le classement des
réseaux sociaux en France et dans le monde en 2020
Source : Agence Tiz
Définition du terme « réseau social
»
Après avoir établi un historique de l'apparition
d'une multitude de réseaux sociaux et leur évolution, il nous
apparaît maintenant crucial de définir ce terme dont il est
amplement question dans ce mémoire de recherche.
Dans son ouvrage « Réseaux sociaux,
théories et pratiques », Michel Forsé reprend la
définition de Lemieux : « Un réseau social est un
ensemble de relations entre un ensemble d'acteurs. Cet ensemble peut être
organisé (une entreprise, par exemple) ou non (comme un réseau
d'amis) et ces relations peuvent être de nature fort diverse
25 Facebook est le réseau social
numéro 1 dans 129 pays répartis sur tous les continents (source
blog.digimind.com)
20
(pouvoir, échanges de cadeaux, conseil, etc.),
spécialisées ou non, symétriques ou non »
(1999)
A une époque où les géants Facebook,
Instagram et Twitter n'existent pas encore, le chercheur définit le
réseau social comme ce qui unit les individus à
l'extérieur, avec une distinction liens forts (proches, amis et famille)
et liens faibles (connaissances). Puis, la définition de ce terme
évolue comme des « des services web qui permettent aux
individus de construire un profil public ou semi-public dans le cadre d'un
système délimité, d'articuler une liste d'autres
utilisateurs avec lesquels ils partagent des relations ainsi que de voir et de
croiser leurs listes de relations et celles faites par d'autres à
travers la plateforme » (Boyd et Ellison, 2007, cités par
Cardon, 2011, vol. 13, n° 1) ou encore comme « un groupe
d'applications en ligne qui se fondent sur la philosophie et la technologie du
net et permettent la création et l'échange du contenu
généré par les utilisateurs » (Kaplan et
Haenlein, 2010, vol. 53, issue 1, p. 61).
Ainsi, si autrefois le terme « réseau social
» définissait notre réseau d'amis, nos proches et notre
entourage, sa définition se réfère maintenant aux
applications et sites internet qui permettent une mise en relation virtuelle
avec d'autres utilisateurs sur une plateforme numérique. La
définition des réseaux sociaux a donc évolué. Pour
certains chercheurs, la définition d'autrefois et celle d'aujourd'hui
sont en contradiction et à l'origine d'un paradoxe. C'est ce
qu'expliquent Alain Lefebvre et François Liénart dans leur
ouvrage « Le miroir brisé des réseaux sociaux »,
« les réseaux sociaux, fondamentalement, ce sont les liens que
nous tissons avec nos proches, nos relations professionnelles ou amicales.
» (Lefebvre, Lienart, 2013, p16).
Or les réseaux sociaux tendent aujourd'hui à
dissocier ce que le sociologue Granovet-ter nomme « liens forts »
(nos proches) au profit d'une course au liens faibles (connaissances). Lefebvre
et Liénart leur préfèrent ainsi le terme « logiciels
sociaux ».
Question de la liberté d'expression
Facebook, Twitter, Instagram et autres réseaux sociaux
sur lesquels les individus peuvent s'exprimer librement ont une date de
création. L'expression de l'opinion dans l'es-pace public remonte quant
à elle à bien des années auparavant.
21
Quelques siècles plus tôt, durant la
période des Lumières, il est mis en avant cette idée que
la société devrait s'organiser sur l'usage public de la raison,
renvoyant à la faculté de penser et donc de raisonner de l'Homme
ainsi qu'à sa faculté de débattre. A partir de cette
dernière, un nouveau mode d'organisation de la société est
mis en place qui ne base plus uniquement sur l'existence d'une parole divine
que représentaient le roi et le Pape. L'Homme peut apprendre en dehors
de toute hiérarchie humaine de pouvoir. Les méthodes empiriques
et scientifiques sont par ailleurs mises en valeur. En cela réside une
rupture culturelle qui va nourrir des revendications. Une nouvelle culture
politique commence à se faire voir, ce sont les prémices de la
révolution française. La déclaration des Droits de l'Homme
et du Citoyen de 1789 est un tournant majeur. La liberté d'opinion
devient un droit fondamental.
« Art. 10. Nul ne doit être inquiété
pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne
trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » « Art.
11. La libre communication des pensées et des opinions
est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc
parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la
Loi. »26
Ainsi, tous les citoyens ont le droit d'exprimer leur propre
opinion librement, ce qui est toujours le cas en France. Si l'émergence
d'internet a élargi la liberté d'expression, l'émergence
des talk-shows a également contribué au repositionnement des
figures emblématiques de la démocratie par une
redéfinition du processus de délibération publique. Le
talk-show serait « la première manifestation à grande
échelle du déplacement des frontières entre la
sphère privée et la sphère publique » (Mouchon,
2005, p.12), engendrant un débordement de la parole ordinaire par des
personnes « lambdas » ainsi qu'une scénarisation du
réel.
Auparavant la discrétion, la pudeur et le
quant-à-soi étaient définis par les institutions, les
moralistes, penseurs, idéologues et pédagogues et les contours du
débat public étaient codifiés par le corps social. La
séparation entre espace public et espace privé demeurait un
principe d'organisation du débat public. Il y a eu grâce aux
talk-shows une redistribution de la légitimité, qui est
maintenant accordée à différents acteurs. La distinction
privé/public est subjectivement définie et non plus
socialement.
26 Extraits de la « Déclaration des Droits
de l'Homme et du Citoyen », 1789.
22
L'individu lambda n'est plus uniquement spectateur, tout comme
sur les réseaux sociaux il interagit, il aime, il partage, il
commente.
Peter Dahlgren27 effectue une distinction entre les
sites internet permettant uniquement au créateur ou à un groupe
de personnes restreint de s'exprimer en faisant une communication «
one-to-many », aux réseaux sociaux qui présentent un mode de
communication interactif « many-to-many ». Les réseaux sociaux
sont accessibles au plus grand nombre et sont un espace libre non discriminant
quant à la prise de parole. Ils offrent un nouveau moyen de s'exprimer
dans l'espace public, ici numérique.
Chacun peut librement y produire du contenu, créer une
page pour partager des opinions qui à leur tour peuvent être
commentées. Des communautés peuvent se créer librement
engendrant des contre-publics subalternes selon la thèse de Nancy
Fraser28, « Les contre-publics subalternes constituent des
arènes discursives dans lesquelles les membres des groupes sociaux
subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours afin de
formuler leur propre interprétation de leurs identités, leurs
intérêts et leurs besoins » (Fraser, 2005, p. 126)
La chercheuse appliquait cette définition au temps de
l'espace public bourgeois, mais cette dernière est toujours utilisable
aujourd'hui pour qualifier le phénomène de regroupements sur les
réseaux sociaux afin de produire un contre-discours vers des
arènes plus larges. Ce fut le cas lors du mouvement des « gilets
jaunes », formé sur les réseaux sociaux avant de devenir
visible dans l'espace public. En 2019 sur Twitter, le hashtag « gilets
jaunes » était l'un des plus utilisés. Effectuer une
recherche par son biais permettait de trouver rapidement toutes les
revendications individuelles et collectives.
Les réseaux sociaux forment ainsi un espace libre.
Exceptés pour les personnes les plus âgées et
éloignées du numérique, ils ne sont pas discriminants
quant à la prise de parole dans l'espace public. Ils permettent
l'expression de points de vue contestataires minoritaires dont l'expression ne
peut pas toujours justement avoir lieu dans l'espace public traditionnel. Cette
production nouvelle de contenu fait émerger des
27 Peter Dahlgren est professeur à
l'Université de Lund en Suède où il enseigne les
médias de la communication. Il est spécialisé dans
l'analyse de l'espace public.
28 Nancy Fraser est professeure de philosophie et de politique
à la New School for Social Research à New York.
23
questions qui ne se posaient pas forcément, et pour
lesquelles il n'y avait pas forcément de place. Les réseaux
sociaux ont donc joué un rôle majeur en rendant possible
l'expression et le partage d'opinions en dehors des frontières
terrestres et temporelles de manière instantanée, permettant
à tout un chacun de donner son avis sur n'importe quelle question et de
rendre ses convictions personnelles publiques. De surcroît, ce sont de
nouveaux outils précieux pour les entreprises qui s'en servent pour
communiquer sur leur activité. De nouvelles problématiques
communicationnelles ont fait leur apparition.
Contextualisation Instagram
Histoire et temps fort du réseau
social
« Ce n'est pas un triomphe technologique. C'est un
triomphe du design et de la psy-
chologie. »29
|
Juste après minuit, le 6 octobre 2010, Instagram est
mis en ligne par son créateur Kévin Systrom et son associé
Mike Krieger, sur la plate-forme IOS et est alors télé-chargeable
uniquement sur iPhones. Il faut attendre 2012 pour que l'application soit
disponible sur Android, puis 2016 pour la version Windows mobile.
24 heures après son lancement, l'application mobile
compte déjà 25 000 utilisateurs. En un mois, elle passe le cap du
million d'inscrits. Mais qui est donc à l'origine de ce réseau
social que plus d'un milliard de personnes dans le monde utilisent aujourd'hui
quotidiennement ?
Etudiant, Kevin Systrom est passionné par la
photographie et est président du club de photo de son lycée. En
2002, il rejoint l'Université de Stanford où il est
encouragé dans sa passion par ses professeurs. Ses camarades se
souviennent de lui comme d'un élève aux présentations
brillantes, doué pour le design et la photographie. L'un de ses
camarades Alex Gurevich se remémore « Mr. Systrom had his eyes
on mobile phones
29 Citation de Clifford Ivar Nass dans le New York Times,
professeur à l'Université de Stanford en communication.
24
as the wave of the future.»30
Après avoir obtenu son diplôme, il est embauché chez Google
où il travaille trois ans. Puis il rejoint Nextstop, site de
recommandation de voyage fondé par quelques-uns de ses anciens
collègues de Google. Ayant établi de nombreux contacts avec des
investisseurs, Systrom a alors une idée derrière la tête,
la création d'un nouveau business. Lors d'une fête au Madrone Bar
en janvier 2010, il rencontre Steve Anderson investisseur auprès du
réseau social Twitter. Il lui montre alors le projet sur lequel il
travaille en secret, nommé « Burbn » en
référence à son alcool préféré le
bourbon. Systrom n'avait alors encore qu'un prototype et des idées :
construire un service via lequel les utilisateurs peuvent partager leur
localisation avec leurs amis et des photos.
Par la suite et à la recherche d'un partenaire, il
rencontre Mike Krieger ingénieur et immigrant brésilien. Ce
dernier apporte ses compétences au service du projet, en alliant le
codage à la psychologie et la linguistique à la philosophie. Ils
travaillent tous les deux sur l'application dans les moindres détails en
ce qui concerne son design. Ils considèrent que « Burbn » ne
fonctionnera pas car dispose de trop de fonctionnalités et se rapproche
de ce que propose Foursquare31. A l'époque où la
sortie de l'Iphone 4 est annoncée avec une qualité d'appareil
photo améliorée, ils décident que le concept de leur
application sera le partage de photographies. Ce qui semble être
apprécié des quelques utilisateurs auxquels Kevin Systrom fait
tester « Burbn ».
« Burbn » est alors renommé « Instagram
» en comparaison à un télégramme instantané.
Les fondateurs sont alors rejoints par de nouveaux collaborateurs (dont des
diplômés de Stanford) et des investisseurs
intéressés. Ce n'est alors que le début d'une success
story. En 2011 Instagram est élu « application de l'année
» par Apple32.
En 2012, assistant à son succès foudroyant,
Marck Zuckerberg voit en Instagram une menace, ced'un concurrent qui
connaît une croissance fulgurante, mais aussi la peur d'un rachat par
Google et Twitter. Le fondateur de Facebook annonce alors à Kévin
Systrom vouloir acheter sa création. Durant 48 heures les deux hommes
négocient et les deux sociétés mettent en place une
transaction d'un milliard de dollars en espèces
30 The New York Times « Behind Instagram's
Success, networking the Old Way ». Systrom imaginait un grand futur pour
le téléphone portable.
https://www.nytimes.com/2012/04/14/technology/instagram-founders-were-helped-by-bay-area-connections.html
31 « Foursquare permet à l'utilisateur
d'indiquer où il se trouve grâce à un système de
géolocalisation et de recommander des lieux de sorties »
(Wikipédia).
32 «Apple names Instagram top app of the
year» (Washington post, 2011)
25
et actions. Kevin Systrom et Mike Krieger occuperont les
postes de directeur général et de directeur de la technologie
jusqu'à leur démission en 2018.
Zuckerberg publie un long post sur sa page Facebook
personnelle pour expliquer ce rachat. Si l'application reste
indépendante, il souhaite néanmoins durcir les conditions
d'utilisation en permettant d'exploiter et de partager les données
d'Instagram avec Fa-cebook et réciproquement. Des associations de
consommateurs et des millions d'uti-lisateurs déjà inscrits ont
protesté. Les nouveaux responsables d'Instagram sont alors revenus sur
leur décision et essayent de se racheter auprès de la
communauté en étant de plus en plus transparents.
Le rachat d'Instagram par Facebook pour une valeur d'un
million de dollars paraît être une somme colossale. Pour autant,
l'agence de presse américaine Bloomberg News estime dans une
étude datant de 2018 que l'application vaut aujourd'hui plus de 100
milliards de dollars. La valeur de la célèbre application mobile
se serait ainsi multipliée par 100. Zuckerberg avait vu juste.
Caractéristiques et fonctionnalités d'un
réseau social basé sur l'image
Pour une bonne compréhension du réseau social
Instagram mais aussi une définition de son lexique et vocabulaire
spécifique, nous allons étudier et définir les
différentes caractéristiques et fonctionnalités de ce
média social.
Nous avons déjà évoqué le nom
original « Burbn » pensé par le créateur, qui sera
finalement mis de côté au profit d'« Instagram » mot
valise comprenant « Insta » de l'anglais « instant camera »
(appareil photographie instantané) et « gram » pour «
telegram ».
En tant que média social basé sur l'image et
l'esthétisme, il nous apparaît également intéressant
de s'attarder sur la charte graphique33 de ce dernier. La version
originale de son logo était un polaroïd comprenant une bande
arc-en-ciel verticale en son milieu réalisé par Kévin
Systrom lui-même. Jugé trop vintage par les deux co-fondateurs,
ces derniers délèguent la réflexion au photographe et
designer Cole Rise. Le nouveau logo
33 La charte graphique désigne les
différents éléments graphiques (logos, polices, couleurs,
symboles...) utilisés par une marque afin de garantir
l'homogénéité et la cohérence de sa communication
en son sein et auprès d'un public externe.
26
en flat design est alors une icône carrée
(symbole du format des publications sur le réseau social) comprenant un
appareil photo inspiré des années 50 avec la même bande
arc-en-ciel situé en haut à gauche de l'appareil avec
l'inscription « Inst ». Logo qui sera repris et
légèrement modifié en 2011 pour une version encore plus
moderne avec l'ajout du « a » pour une inscription « Insta
».
En 2016 une grande évolution au niveau de la charte
graphique est entreprise en interne. Instagram se dote d'une nouvelle
identité visuelle.
Figure 8 Evolution du logo de l'application
Instagram Source : Canva
Son logo représente maintenant un appareil photo blanc
sur un fond arc-en-ciel tricolore dégradé, pour une nouvelle
modernité. Le réseau social qui avait effectué diverses
études auprès de ses utilisateurs, explique « cette
nouvelle apparence reflète à quel point la narration est devenue
riche et variée sur Instagram. Inspirée par l'ancienne
icône, cette forme simplifiée représente un appareil photo
plus évolutif avec l'arc-en-ciel prenant vie dans sa version
dégradée. »34
Suivant la même évolution que son logo,
l'interface de l'application a elle aussi évolué avec la
volonté de mettre davantage en avant et en valeur les photographies et
vidéos partagées par les utilisateurs.
34 « Instagram dévoile son nouveau logo et sa
nouvelle identité visuelle » (Agence
presse-citron.net, 2016).
https://www.presse-citron.net/instagram-devoile-son-nouveau-logo-et-sa-nouvelle-identite-vi-suelle/
27
Figure 9 Evolution de l'interface de l'application entre
2010 et 2019
Source : vidéo « Evolution of Instagram
2010-2020» («World Evolution» sur Youtube, 2020)
Ce changement d'identité très rapide
(effectué en une mise à jour) n'a pas fait l'unani-mité.
Beaucoup d'utilisateurs ont critiqué et commenté cette nouvelle
charte graphique. Certains commentaires sont portés sur la disparition
de l'arc-en-ciel élément phare, bien que ce dernier se retrouve
dans le dégradé coloré.
Le principe d'Instagram consiste à partager ses
contenus images et audiovisuels aux autres utilisateurs en quelques clics et
quelques secondes seulement, à aimer les publications d'autres membres,
à laisser des commentaires, et à dialoguer avec eux via une boite
de message « Instagram direct ».
A la création de leur compte, les utilisateurs
disposent d'une page Instagram personnelle : leur mur également
appelé « feed », grille ou galerie photos. Toutes leurs
publications sont ainsi regroupées au même endroit. En descendant
dans la page, les photos les plus anciennes se chargent et apparaissent. Sur
cette même page se trouvent le nom de l'utilisateur ainsi que sa photo de
profil cliquable pour accéder aux dernières stories de ce dernier
s'il en a posté, ainsi que d'autres renseignements comme le nombre de
publications, d'abonnés (personnes qui suivent le compte) et
d'abonnements (les personnes que le compte suit). En dessous un espace est
réservé à une courte description que chacun peut
personnaliser, il est possible d'y ajouter des liens cliquables.
Figure 10 Capture d'écran du compte de la Figure 10
Capture d'écran du compte de la
Youtubeuse et influenceuse Lena Mahfouf Youtubeuse et
influenceuse Lena Mahfouf
alias Lena Situations sur mobile alias Lena Situations sur
mobile
28
Chaque utilisateur a la possibilité d'ouvrir son compte
à tout public ou de le mettre en privé. Dans le premier cas, ses
publications seront visibles par tous et n'importe qui pourra s'y abonner. Dans
le deuxième cas elles ne seront visibles que par les abonnés dont
l'abonnement devra être accepté.
Les personnalités et entités connues ainsi que
les organisations peuvent demander une certification. Un badge bleu
apparaît alors à côté du nom de l'utilisateur,
témoigne de l'authenticité du compte et permet d'éviter
l'usurpation d'identité. Il faut respecter un certain nombre de
conditions pour être certifié : avoir une biographie sur son
compte et publier un contenu régulier qui respecte les conditions
d'utilisation. Toute demande est étudiée et des certifications
peuvent être refusées, il faut qu'il y ait un
intérêt, tout le monde ne peut pas l'obtenir.
Enfin, sur la page personnelle se trouve le bouton call to
action35 « s'abonner », qui se transforme en «
contacter » une fois que l'abonnement a été
réalisé.
35 Les « call to action » sont des
boutons qui appellent l'usager à cliquer dessus et ainsi à passer
à l'action (acheter, s'abonner...)
29
Quand les membres souhaitent poster, la démarche est
simple. Il suffit de cliquer sur le carré « + » en bas et au
centre de l'interface. A ses débuts l'application n'acceptait que les
formats carrés pour un affichage en 640x640 pixels.
Caractéristique alors gênante pour les utilisateurs qui
étaient souvent amenés à devoir rogner leurs photos. En
2015, Instagram élargit la possibilité aux photos portrait et
paysage. Les membres sont invités à choisir la ou les photos (ou
vidéos) qu'ils veulent publier. Si à l'origine quinze filtres
étaient disponibles, une quarantaine de filtres aux appellations
différentes est proposée aujourd'hui afin de sublimer ses
photos.
Figure 11 Les premiers filtres proposés par Instagram,
appliqués à la même photo Source : agence de communication
digitale Kinday
En plus de cette sélection, de nombreuses applications
mobiles comme « Facetune » « Lomographe » et «
Caméra HD » proposent des certaines de filtres, la sélection
est alors infinie. Les filtres vont d'une simple coloration de l'image selon un
réglage de paramètres définis, jusqu'à la
modification du visage et des effets particuliers. Les utilisateurs peuvent
également modifier eux même la luminosité, le contraste, la
chaleur, la saturation, la couleur, les ombres, la netteté, l'ajout d'un
cadre, et d'autres paramètres de base.
Les filtres ont été à l'origine de la
particularité d'Instagram. Certains influenceurs partagent leurs astuces
pour des filtres réussis tandis que des milliers de conseils regorgent
sur le net à ce sujet. Canva a même étudié un
million de post afin de déterminer les filtres les plus populaires.
30
Puis les utilisateurs sont invités à ajouter une
légende à leur publication. Il s'agit d'un court texte de maximum
2200 caractères pour accompagner le(s) photographie(s) qui vont
être mises en ligne. Les usagers sont totalement libres d'y écrire
ce qu'ils veulent et d'y « taguer »36 d'autres
utilisateurs.
A cette étape, il est également proposé
d'identifier des personnes (qui recevront une notification et dont la photo
rejoindra leur profil dans la catégorie « identification »).
Il est possible d'ajouter la localisation de l'endroit où la photo a
été réalisée de manière automatique si la
géolocalisation du téléphone est active, ou manuelle. Les
utilisateurs ont le choix de remplir eux-mêmes cette information en
renseignant n'importe quel endroit. Une option permet également de
publier le contenu sur Facebook, Twitter ou Tumblr. Enfin, l'ajout de hashtags
est une pratique courante qui a été popularisée par le
Twitter. Grâce à leur utilisation, les membres peuvent cibler
leurs recherches en fonction d'un thème en particulier et avoir
accès au contenu qui y est associé. Il est courant que les
hashtags et les légendes soient en anglais afin de toucher un plus grand
panel d'utilisateurs, Instagram étant une application à
échelle mondiale. Metri-cool a publié la liste des dix hashtags
les plus populaires en 2019 sur le réseau social. Les voici « love
», « instagood », « photooftheday », « fashion
», « beautiful », « happy », « like4like »,
« picoftheday», «art» et «photography».
Des hashtags qui tournent autour de l'amour, de la prise de
photo au quotidien, de la mode, de la beauté, de la volonté
d'obtenir de nouveaux abonnés et un appel aux likes (à aimer une
publication).
Depuis 2013, l'application propose le partage de vidéos
limitées à 15 secondes. En 2015, elle crée l'application
indépendante « Boomerang » qui permet de faire des boucles de
vidéos qui reviennent à leur début infiniment. Les
créations réalisées sont directement importables depuis
Instagram pour les partager depuis son compte personnel. En 2016, Instagram
constate une hausse de la consommation de contenus audiovisuels sur
l'application, annonce vouloir davantage développer ce partage en
allongeant leur durée maximum à 60 secondes. Quelques
années après en 2018, le réseau social va plus loin en
créant les « IGTV » nouvelle application entièrement
dédiée à la vidéo mobile en format vertical et avec
une interface conçue spécialement.
36 Taguer consiste à identifier un autre
utilisateur sous une publication. Ce dernier recevra alors une notification et
aura alors la possibilité de garder l'identification ou non.
Instagram complète « D'ici 2021, la
vidéo mobile représentera 78 % du trafic de données
mobiles total. Nous avons vu que les audiences plus jeunes passent plus de
temps avec les créateurs de contenu amateurs, et moins de temps avec les
professionnels »37. Application à part
entière, la fonctionnalité IGTV est également directement
présente sur le réseau social.
Pour concurrencer Tik Tok qui est de plus en plus
populaire38 notamment auprès du jeune public, Instagram
crée un nouveau format de vidéos d'une durée de 15
secondes (équivalent au format des vidéos présentes sur le
réseau social concurrent). La fonctionnalité « Reels »
est mise en place le 24 juin 2020 sur le marché français. Elle
inclut du contenu visuel, audio et propose des outils créatifs ainsi que
des effets de réalité augmentée (des effets similaires
à ce que propose TikTok) et a pour objectif de «
révéler une nouvelle génération de talents
». Sur le même principe que les IGTV, les vidéos Reels
sont ajoutées sur l'espace personnel de chaque utilisateur.
Ce n'est pas la première fois qu'Instagram crée
une nouvelle fonctionnalité en s'inspi-rant d'un concurrent. En 2016, le
réseau social met en place les « stories », concept phare dont
Snapchat est à l'origine. Les utilisateurs peuvent mettre en avant des
vidéos et photos pour un contenu éphémère (24
heures), sous la forme d'un diaporama qui apparaît en haut du fil
d'actualité et également en haut du profil personnel de l'usa-ger
(s'il souhaite conserver sa story pour la mettre à la une). En ouvrant
cette nouvelle fonctionnalité, Instagram a écrasé Snapchat
et renforce sa supériorité. Kévin Systrom s'est
exprimé « Tout le mérite revient à Snapchat (...)
La question n'est pas qui a inventé quoi. La question, c'est le format
et la façon dont nous l'amenons à notre réseau en y
injectant notre esprit. »
31
37 « Présentation d'IGVT - L'avenir de la
vidéo » (
business.instagram.com)
38 En 2020 TikTok enregistre 800 millions
d'utilisateurs par mois (
blogdumodérateur.com)
32
Figure 12 Quelques nombres à propos de la
consommation quotidienne de stories sur les différents réseaux
sociaux. Source :
techcrunch.com
Typologie des utilisateurs
Sur Instagram, chaque utilisateur peut produire du contenu et
en consommer. Mais qui sont ces récepteurs et consommateurs tant
particuliers ?
La société Wibbitz39 a
réalisé en 2019 une étude relative aux tendances
d'utilisation d'Instagram et les comportements de son audience. 1000 personnes
ont été interrogées aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en
France. Cette étude sur un panel restreint a mis en avant certaines
préférences d'utilisation d'Instagram : 95% de la
génération Z40 et 86% de la génération
Y41 alias les Millenials utiliseraient Instagram.
Une autre étude menée en 2014 et publiée
en 2015 par le Pew Research Center sur un échantillon de 2000
internautes américains, révèle que 29% des femmes
interrogées utilisent Instagram contre 22% des hommes interrogés.
En matière d'âge, 53% des 18-25 ans questionnés sont
présents sur le réseau social pour 25% des 30-49 ans, 11% des
50-64 ans et 6% pour les plus de 65 ans.
Qu'en est-il des moins de 18 ans ? En 2015 Piper
Jaffray42 mène une étude auprès de 9 400
américains âgés de 13 à 19 ans, l'objectif
étant de connaître leur réseau social
39 Entreprise qui propose des solutions de
création de vidéo en ligne
40 La génération Z désigne les personnes
nées à la fin des années 90 et à partir de l'an
2000 alors que le numérique était déjà bien
développé.
41 La génération Y désigne les
personnes nées entre le début des années 80 et la fin des
années 90.
42 Banque d'investissement américaine
basée à Minneapolis qui exerce aussi une activité de
gestion d'actifs au service des PME.
33
préféré. Instagram obtient 33% des votes,
Twitter 20%, Snapchat 19% et Facebook 15%.
Instagram a ainsi particulièrement du succès
auprès des jeunes qui ont investi massivement l'espace proposé
par les réseaux sociaux dès leur création. Nous rappelons
que la limite d'âge est de 13 ans conformément à la «
Children's Online Privacy Protection Act ». Cependant, l'âge d'une
personne qui s'inscrit n'est pas vérifié et nombreux sont ceux
qui mentent en se donnant quelques années de plus. Toutefois une option
(peu utilisée) permet aux autres utilisateurs de signaler la
présence des membres d'Instagram qui n'ont pas l'âge requis.
Le concept de « digital natives » (natifs du
numérique ou encore enfants du numérique) a été
cité pour la première fois par le chercheur Marc Prensky dans son
article « Digital natives, Digital immigrants ». Il entend par cette
appellation désigner toutes les personnes nées après les
années 80 à l'ère du numérique et qui ont
intégré son langage. Il se distingue en opposition aux «
Digital immigrants » qui eux sont issus des générations
antérieures et ont dû s'adapter au numérique. Les termes
sont nombreux, la génération Y en particulier est
qualifiée de génération C pour « connectée
». En réalité c'est davantage un état d'esprit
relatif aux technologies du numérique qui qualifie cette
génération plutôt qu'une date de naissance.
La génération C peut se définir par
quatre C43 : le C de connexion car cette dernière est quasi
permanente, le C de créativité pour la création de contenu
issu de leur quotidien, le C de communauté pour le besoin de
s'intégrer et de se sentir faire part d'un même groupe, et le C de
curation44 pour leur sélection et mise en valeur de certains
contenus.
43 « Instagram ou la dictature consentie. Genre,
sexualisation et marketing sur le réseau de l'image carrée
», mémoire de recherche de Sarah Marchand, 2016
44 La curation désigne la pratique qui
consiste à effectuer une veille sur un sujet ou domaine
d'activité, à sélectionner l'information et la partager
à une audience. Aujourd'hui nombreux sont les utilisateurs qui font de
la curation de contenu sans même le savoir. Avec les réseaux
sociaux tout le monde peut prendre la parole sur un sujet particulier.
34
Concernant les pratiques des utilisateurs, l'étude
« Etude Instagram : de l'utilisateur à l'influenceur
»45, publiée en mars 2014 par Kindai, agence de
communication digitale est menée sur un échantillon de 689
utilisateurs français d'Instagram de plus de 16 ans. Elle dresse un
portrait de l'utilisateur moyen. En 2014, ce dernier suit en moyenne 134 autres
comptes. Il suit des marques liées au tourisme et au voyage ainsi que
dans une moindre dimension des marques de mode et vêtements. 76% des
utilisateurs français se connecteraient au moins une fois par jour, mais
56% se connecteraient moins de 3 fois par jour. 85% des utilisateurs
français publient un minimum de deux photos par semaine, pour 66% qui
publient moins de 5 photos par semaine.
Deux typologies d'utilisateurs se distinguent : les
personnalités publiques (ou « people ») et les influenceurs.
Instagram a connu un succès fulgurant grâce à la
présence d'un bon nombre de personnalités (acteurs, chanteur,
sportifs etc.) Ce fut le cas de Justin Bieber qui dès la création
du réseau social, s'y est inscrit attirant avec lui des milliers de
fans. Instagram permet à ces derniers de se sentir proches des
célébrités qu'ils admirent, et de suivre leur
quotidien.
En 2020 les comptes Instagram les plus suivis sont le sportif
Cristiano Ronaldo (235 millions d'abonnés), la chanteuse Ariana Grande
(197 millions), l'acteur The rock alias Dwayne Johnson, Kylie Jenner
personnalité de la télé réalité
américaine et influen-ceuse (189 millions), la chanteuse, actrice et
productrice Selena Gomez (187 millions), Kim Kardashian (184 millions), Leo
Messi (162 millions), Beyoncé (152 millions) et Neymar (140
millions).
Les personnalités postent des photos de leur quotidien,
d'elles même, souvent en rapport avec leur domaine d'activité, et
laissent parfois entrevoir ses coulisses. Certains « people » peuvent
aussi être des influenceurs et diffuser leur opinion auprès de
leur communauté et parfois même influencer leur acte d'achat. Nous
tenons à faire la distinction entre les deux termes car un bon nombre
d'influenceurs deviennent célèbres grâce aux médias
sociaux, tandis que la majorité des célébrités sont
connues pour une activité qui est extérieure à Instagram.
La frontière entre les deux est néanmoins poreuse car de nombreux
Youtubeurs connus à l'origine pour leurs vidéos sont
45 Nous n'avons pas trouvé d'études
plus récentes dressant les caractéristiques de l'utilisateur
moyen. Seules des études tournées vers les marques à des
fins stratégiques indiquent quelques comportements des utilisateurs. Il
est fort probable que le comportement de l'utilisateur moyen est
évolué depuis 2014.
https://fr.slideshare.net/AgenceKindai/tude-instagram-de-lutilisateur-linfluenceur
35
considérés et se considèrent aussi comme
des influenceurs. Certains revendiquent l'appellation « créateur de
contenu ». Dans le cadre de leur production audiovisuelle, ils
développent des partenariats et des placements de produits avec
certaines marques, business qui s'est étendu à Instagram.
Squeezie (6,4 millions d'abonnés), Enjoyphoenix (5 millions), Norman
Thavaud (6,2 millions) et Natoo (3,8 millions) en sont des parfaits
exemples.
Les influenceurs deviennent prescripteurs d'un ou plusieurs
domaines d'activité, c'est-à-dire qu'ils ont acquis de la
notoriété ainsi qu'une certaine légitimité à
recommander à leurs abonnés l'achat d'un produit ou d'un service,
et à partager d'une opinion.
Ces influenceurs peuvent apporter de la visibilité
à une organisation, un produit ou un service, renforcer une image de
marque, faire vendre. C'est une grande responsabilité car ils sont
suivis par des milliers ou des millions de personnes. De plus en plus
d'in-fluenceurs se servent de leur notoriété pour faire passer
des messages, mettre en avant une cause ou une association sans contrepartie,
ou encore sensibiliser leur communauté autour de thématique comme
l'écologie ou le féminisme.
Analyse sémio-pragmatique
Comme développé dans la partie méthodes
et approches, la base de l'analyse sémio-pragmatique d'une production
spécifique dans un contexte unique consiste à émettre
l'hypothèse qu'un acte de communication ne se fait pas dans un seul
espace commu-nicationnel mais bien dans deux espaces distants.
Sur Instagram, les émetteurs sont les utilisateurs qui
publient du contenu. Les publications après avoir été
postées vont être vues par les autres membres, qui deviennent
alors des récepteurs (tout en pouvant être également
émetteurs).
L'espace de l'émetteur
Les personnes derrière les comptes dénonciateurs
sont à l'origine de la création de ces derniers et de leurs
publications. Elles prennent part à une libération de la parole,
dans un nouveau contexte lié au phénomène qu'est
aujourd'hui Instagram (et le fait de se montrer soi et sa propre vie, de
s'exposer et de se mettre en avant). Il peut s'agir de personnes seules qui
prennent l'initiative de créer un compte ou de publier à ce
sujet, ou d'un groupe de personnes, partageant une même vision et un
objectif
36
commun. Ces individus ont décidé de prendre la
parole soit par constatation, ou parce qu'ils ont eux même vécu,
ressenti et subit ce phénomène.
L'espace du récepteur
Les récepteurs sont les utilisateurs qui vont voir ces
comptes et leurs publications. Ils peuvent tomber dessus par hasard sur le
réseau social ou à la suite d'une recherche volontaire. Ils
peuvent ensuite décider de s'abonner s'ils sont
intéressés. Ils doivent être présents sur Instagram
pour voir le contenu des émetteurs sauf dans les cas où les
publications sont reprises et relayées par d'autres médias.
Sur le réseau social, les récepteurs ne sont pas
obligés de s'abonner, cependant ils peuvent tomber dessus par hasard
dans l'espace découverte d'Instagram (où l'on voit des
publications suggérées en fonction de nos amis, de ce que l'on
aime etc.) Le contenu vient au récepteur, mais libre à lui d'y
accorder de l'importance ou non.
De manière plus générale, les
récepteurs sont les utilisateurs qui reçoivent un contenu en
fonction de leurs abonnements et de leur centre d'intérêt (ou bien
parce qu'ils « tombent dessus »)
Il est intéressant de notifier qu'en fonction de ces
paramètre la posture n'est pas la même. Il y a une grande
différence entre aller chercher l'espace de communication
déjà créé ou qu'il vienne à nous. En suivant
un compte Instagram, les utilisateurs sont amenés à prendre
connaissance d'un « avant » et sont maintenant dans l'attente de
l'après.
Emetteurs et récepteurs partagent le même support
de communication mais n'ont pas les mêmes intentions. D'un
côté, l'émetteur veut faire passer un message conscient ou
non derrière ses publications (dans le cas des comptes
dénonciateurs oui), d'autre part le récepteur est mis face
à un contenu qu'il a choisi (dans le cas des abonnements) ou non (dans
l'espace découverte). La frontière entre les deux est mince,
d'autant plus qu'un utilisateur peut-être à la fois
émetteur et récepteur. Sur ce réseau les publications des
uns sont le contenu des autres et vice-versa.
Il s'agit généralement d'une communication
différée, émetteur et récepteur ne sont pas
toujours en coprésence.
37
- Le récit
Derrière chaque publication, il y a une histoire, celle
de l'utilisateur. Ce dernier peut décider de partager des « bouts
» de vie et ainsi réaliser une narration de son quotidien. Dans le
cadre de notre sujet, les comptes dénonciateurs veulent faire passer un
message à l'aide de publications, de photographies ou d'illustrations et
d'une légende.
- La perception visuelle et interprétation
La perception visuelle est propre à chacun. Les
récepteurs peuvent interpréter différemment le contenu
auxquels ils font face selon leur à priori, leur niveau de connaissances
etc. De même, sur Instagram les émetteurs d'un message peuvent
« embellir » ce qu'ils partagent (en montrant une « autre »
réalité, en l'exagérant, la mettant en avant). Pour
illustrer ce propos prenons l'exemple d'une personne qui partage une
vidéo d'une soirée à laquelle elle s'est ennuyée,
et était avec des personnes qu'elle n'appréciait pas. Pour
autant, les individus qui vont la voir peuvent penser qu'elle a passé un
super moment, et ressentir alors différentes émotions comme de la
joie pour la personne, ou même de la tristesse ou de la jalousie (si le
récepteur se sent mal à ce moment-là et que lui n'est pas
sorti par exemple.) Ils se créent une représentation à
partir du contenu transmis et du message sous-entendu.
- Quels moyens d'expression ?
Si le langage permet de se faire comprendre, la langue n'est
pas la même pour tous. Sur Instagram, tout le monde ne peut pas se
comprendre et se faire comprendre.
La langue universelle utilisée sur ce réseau
social est l'anglais, mais encore faut-il le maîtriser (néanmoins
une traduction automatique est proposée). Il y a ainsi
généralement des comptes dénonciateurs dans chaque pays
conformément à la nationalité de leur créateur, et
d'autres qui préfèrent utiliser l'anglais pour s'exprimer afin
d'avoir une portée internationale.
En plus de la langue, la culture est à prendre en
compte. Les membres peuvent ne pas comprendre ou saisir l'enjeu d'une
publication d'un individu s'ils ne sont pas de la même culture.
Parfois si une photographie est présente sans texte,
l'interprétation peut être faussée. Les utilisateurs
peuvent également décrire une autre « réalité
», nous développerons largement ce phénomène dans les
chapitres qui vont suivre.
38
Les actants (émetteurs et récepteurs) mobilisent
différents processus de communication appelés «
compétences communicationnelles ».
Les contraintes liées à ce réseau social
semblent être les suivantes :
- Contrainte discursive : les utilisateurs
transmettent des messages en se basant sur leur expérience vécue.
Les comptes dénonciateurs appellent à la réflexion et
invitent à se rendre compte des dérives et dangers d'Instagram.
En partageant leur point de vue, ils ont la volonté de « faire
ouvrir les yeux ».
- Sémiolinguistique : la maîtrise des
langages et du réseau social est nécessaire.
- Socioculturelle : les interactions varient selon
les intentions, les cultures des utilisateurs et leur dimension personnelle,
mais aussi du contexte dans lequel elles s'inscrivent.
- Référentielle :
nécessité de maîtriser Instagram et de suivre ses
évolutions (mises à jour). Chaque utilisateur dispose de sa
propre expérience de vie, et d'une certaine expérience en tant
que membre de ce réseau social.
Discours critique et manipulation des images
Le phénomène de manipulation des images n'a pas
attendu Photoshop pour exister. En tout temps et notamment au XXème
siècle, de nombreux dirigeants politiques manipulaient les images
à des fins de propagande. Les dirigeants soviétiques
effaçaient sur les photos, les responsables politiques
discrètement éliminés par le régime, de
manière à ce que ce soit comme s'ils n'avaient jamais
existé.
Ce qui est différent aujourd'hui, c'est que la
manipulation des images est rendue accessible à tous depuis les
réseaux sociaux qui sont devenus le terrain de diffusion des fake news,
de désinformations, et de théories du complot. Cette manipulation
passe par la retouche et la modification des images mais aussi par
l'utilisation d'images en dehors de leur contexte.
Sur Instagram la manipulation des images peut encore avoir un
autre sens. Pour n'im-porte quelle photographie postée, se cachent un
point de vue, un cadrage, un contexte ainsi qu'une intention de l'auteur.
Grâce aux images, les utilisateurs peuvent s'inventer une « fake
life », mais aussi des fausses émotions.
39
L'influenceuse Natalia Taylor a par exemple fait croire
à ses abonnés qu'elle était en voyage à Bali alors
qu'elle faisait ses courses chez Ikea. La jeune femme a posté des photos
d'elle mise en scène dans le magasin afin de provoquer l'illusion. Elle
prend la pose dans une baignoire et devant un miroir avec un décor en
bois brut et des palmiers. La localisation des publications indique alors
« Bali Indonesia », et ses légendes sont les suivantes :
« La reine est arrivée #bali », « Où
devrais-je voyager la prochaine fois ? Commente ci-dessous et j'irai
peut-être ».
Le couple image/texte et localisation fonctionne à tel
point que les abonnés de l'in-fluenceuse sont trompés et croient
à la supercherie. La jeune femme avait tout de même laissé
certains indices sur les photos comme les feuilles de caractéristiques
des meubles.
Figure 13 Captures d'écran de deux publications
Instagram de Natalia Taylor
Dans une vidéo46, Natalia Taylor explique la
supercherie. Elle souhaitait montrer à ses abonnés qu'il ne faut
pas se fier à tout ce qu'ils peuvent voir sur le réseau social,
et qu'il faut être vigilant.
46 « I FAKED a vacation at IKEA», Natalia Taylor,
février 2020
https://www.youtube.com/watch?v=sz42PrqWq-g
40
Chapitre 2 : l'origine de la prévention sur les
dangers et limites d'Instagram
L'appropriation de la plateforme par les utilisateurs
: une activité détournée de celle originairement
pensée par le créateur.
La création d'un étudiant passionné
et la sortie du schéma traditionnel de la photographie
Comme nous l'avons vu précédemment, Instagram a
été pensé par un passionné de photographie qui a
mis en ligne une plateforme permettant à tout un chacun de partager des
photos prises sur son téléphone de manière
instantanée au reste du monde. Avec ce concept phare, le réseau
social a largement contribué à la sortie du schéma
traditionnel de la photographie vers une pratique de la photographie
numérique. Ce phénomène aussi nommé «
phonéographie », consiste à prendre des photos avec son
téléphone portable.
Les appareils photos des téléphones mobiles sont
sans cesse améliorés, de plus en plus puissants et deviennent de
véritables arguments de vente, au détriment des appareils photo
traditionnels dont la vente est en baisse depuis 2009.
Dans une interview menée par l'investisseur Josh
Constine47, Kevin Systrom explique « Nous n'avons jamais
planifié de changer la photographie. Pour nous l'idée
était que poster une photo était simplement le meilleur moyen de
transmettre un message. » Le fondateur d'Instagram confie
également que les filtres n'étaient pas prévus dans la
première version d'Instagram. L'objectif avant tout était de
pouvoir partager des photographies en quelques secondes en toute
simplicité et facilité d'utilisation.
Nous insistons sur le fait que la particularité du
réseau social était originairement de permettre un partage de
photos instantané (et de vidéos par la suite). N'importe qui,
professionnels et amateurs, peuvent poster leurs photos et leurs vidéos
en ligne, dans grand le nuage informatique.
47 «Kevin Systrom & Mile Krieger on Creating
Instagram | SXSW», Josh Constine pour SXSW, 2019
https://www.youtube.com/watch?v=ZkOEajMcICo
41
Pour Vincent Lavoie, professeur et historien à
l'Université du Québec « L'usager devient maître
de toute la chaîne, de la prise de photo à sa diffusion, en
passant par son édition. »48 L'historien
complète « On a toujours capturé des photographies en
partie pour le lien social qu'elles génèrent. La carte postale,
l'album de famille qui produit le récit d'intégration des
générations. Mais la fonction première de la photo est
devenue l'établissement d'un contact. On envoie un cliché dans
l'attente d'une réactivité des destinataires. La volonté
de créer une mémoire devient donc moins importante. On le voit
bien avec l'application Snapchat quand les images disparaissent quinze secondes
après leur ouverture. La fonction esthétique de la photo est
parfois évacuée aussi. L'indifférence esthétique
est valorisée comme un crédit d'authenticité
»
Un succès rapide et une appropriation des codes
de l'application par les utilisateurs
Si à l'origine le concept d'Instagram était le
partage de photo en ligne de manière instantanée, les usages de
l'application ont changé. Les publications sont davantage
réfléchies, calculées et travaillées avec des
applications de retouche.
La plateforme est également devenue un véritable
business, ainsi qu'un atout dans le monde de la communication et de la
publicité. Ces dernières années la qualité des
publications sur le réseau social a augmenté car les marques,
maisons de production, photographes et studios de design se sont
appropriés les codes de l'application. Les entreprises y sont ainsi
très présentes et une partie du fil Instagram est
sponsorisé. Peut-on encore parler de spontanéité et de
rapidité de publication quand les utilisateurs font attention aux
moindres détails, à l'uniformité de leur page personnelle
?
Il ne s'agit plus de prendre une photo avec son
téléphone et de la publier dans la foulée. De nouveaux
codes ont fait leur apparition. Il y a toute une démarche de
réflexion du contenu, de mise en scène de l'objet
photographié et/ou de soi, parfois à l'aide d'outils (boites
à lumières et anneaux lumineux) puis tout un
procédé de retouche. « Ce n'est plus la photo qui
reflète la vie du photographe, mais la vie du
48 « Comment le téléphone mobile a
détrôné l'appareil photo en vingt ans », Nicolas Six
pour
lemonde.fr, 2020
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/07/09/comment-le-telephone-mobile-a-detrone-l-appa-reil-photo-en-vingt-ans
6045653 4408996.html
42
photographe qui s'adapte et se soumet aux contraintes
photographiques. » (Marchand, 2016, p 59)
De même, de nombreux utilisateurs notamment les
influenceurs utilisent des appareils photo professionnels pour effectuer des
shooting photos qu'ils postent ensuite sur le réseau social,
outrepassant la pratique de la phonéographie.
Dans son travail de recherche, Sarah Marchand prend
également l'exemple de l'in-fluenceuse Coralie à l'origine du
blog «
Ellesenparlent.com ». La
jeune femme investit beaucoup pour que sa page Instagram soit harmonieuse. Elle
a ainsi acheté plusieurs planches de bois qu'elle a peint en
différentes couleurs pour servir de fond à ses photos.
Côté retouche, elle n'utilise pas moins de cinq applications
différentes. L'insta-grammeuse Claudiasulewski va quant à elle
jusqu'à acheter des vêtements qui correspondent aux couleurs de
son feed Instagram. D'autres avouent sélectionner leurs meubles et
décoration en fonction du contenu qu'elles prévoient de
publier.
Certains utilisateurs s'imposent donc une ligne
éditoriale ainsi qu'une charte graphique à respecter. Les usagers
du média social créent eux-mêmes les occasions de prendre
des photos, imaginent du contenu à l'avance et adaptent leur emploi du
temps en fonction. Dans une interview réalisée par France Info,
le chercheur Dominique Cardon échange avec la journaliste Clara Beaudoux
à ce sujet et cette nouvelle narration de vie sur les réseaux
sociaux « Ce qui est nouveau, c'est que ça veut dire que dans
nos vies, et surtout dans l'univers juvénile, on vit
l'évènement tout en pensant au récit de
l'évènement qu'on va en faire. Il y a une sorte de petit
dédoublement des individus, ça rend les individus un peu plus
calculateurs, rationnels ou réflexifs dans leur manière de vivre
les choses. »49
Les utilisateurs cherchent ainsi à avoir un profil
valorisant, un contenu attractif et harmonieux. Ils développent un style
artistique basé sur un savoir-faire nouveau s'acqué-rant par
soi-même ou en suivant les conseils des autres. Certaines poses
deviennent populaires au détriment de la spontanéité. Les
membres d'Instagram se basent sur les photos publiées par les «
digital influencers » et autres utilisateurs. Les contenus s'uni-formisent
en fonction de ce qui fonctionne ou non sur le média social.
49
https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/reseaux-sociaux-plus-belle-la-vie-parta-gee
1653041.html
43
Instagram et les réseaux sociaux, reflets des
problématiques contemporaines
Dans une interview menée par The New York Times en
novembre 2019, le journaliste Andrew Ross Sorkin échange avec le
créateur d'Instagram et lui cite une étude réalisée
en 2017 par la Royal Society for Public Health au Royaume-Uni. Cette
dernière indique que ce réseau social entraîne de
l'anxiété et cause d'autres effets sur la santé mentale
des utilisateurs (notamment de la tranche d'âge 12-24 ans). Au travers de
ses propos de réponse, Kevin Systrom est conscient des dérives
que peut avoir un média social d'une telle ampleur. Néanmoins, il
explique que les réseaux sociaux sont le reflet de la
société, et que c'est aussi aux utilisateurs et notamment aux
entreprises d'avoir un comportement positif sur ces réseaux dans
l'objectif de rendre le monde meilleur. Il s'agirait d'une
responsabilité qui incombe à chacun. Pour le fondateur
d'Instagram, ce réseau social est donc en tant que reflet de
l'évolution de la société, le reflet des
problématiques contemporaines.
Un terrain publicitaire et ses dérives
« Quant aux masses consommatrices, elles doivent
demeurer naturellement dans l'ignorance grâce à la connexion
permanente » (Flichy de la Neuville, 2020, p.15)
Si originairement Instagram a été pensé
pour que ses utilisateurs puissent partager des photographies sans aucun but
lucratif, cette époque est révolue.
Selon Flichy de la Neuville dans son ouvrage « Les
esclaves psychiques d'internet », les nouvelles technologies et les
réseaux sociaux qui en font partie ont pour objectif d'entraîner
l'achat de biens de consommation. Le professeur et chercheur compare ainsi les
utilisateurs à des victimes de « la fièvre acheteuse »,
qui deviendraient des « oniomanes »50. Ce trouble
causé par un besoin de reconnaissance sociale se caractériserait
par un achat compulsif suscitant l'euphorie, puis un sentiment de
culpabilité quand cette dernière retombe. Le chercheur
évoque également le terme « captologie »
50 L'oniomanie est un trouble entraînant des
achats compulsifs. Le psychiatre allemand Emil Kraeplin a étudié
cette pathologie à la fin du XIXème siècle.
44
pour désigner la manière dont les utilisateurs
seraient manipulés par les nouvelles technologies qui modifieraient
leurs comportements.
Le scientifique et écrivain Jaron Lanier ayant
travaillé à la Silicon Valley rejoint cette théorie. Selon
l'auteur de « Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts
Right Now », les utilisateurs d'Instagram au même titre que
ceux des autres réseaux sociaux, sont traqués en permanence par
des algorithmes51. Ces derniers seraient « adaptatifs »,
c'est-à-dire qu'ils évolueraient en fonction de notre
comportement sur les médias sociaux. « Supposons qu'un
algorithme nous montre une publicité pour une paire de bas ou de
chaussettes environ cinq secondes après que nous ayons visionné
une vidéo de chats qui nous rend de bonne humeur. Un algorithme
adaptatif effectuera de temps en temps un test automatique pour voir ce qu'il
se passe si l'intervalle passe, par exemple à quatre secondes et demi.
Cela augmente t'-il la probabilité d'achat ? Si tel est le cas,
l'ajustement de l'intervalle sera appliqué non seulement à notre
futur fil d'actualité mais également à celui de milliers
d'autres utilisateurs dont le comportement semble corrélé au
nôtre, sur la base de données allant des couleurs
préférées aux habitudes de conduite » (Lanier,
2020, p.21)
De ce fait, « L'algorithme essaye de
déterminer les paramètres parfaits pour manipuler le cerveau,
tandis que le cerveau toujours en quête d'un sens plus profond, change en
réaction aux expériences de l'algorithme » (Lanier,
2020, p23)
Les algorithmes enregistrent toutes les données qui
nous concernent, jusqu'à notre vitesse de lecture et expressions
faciales selon Lanier.
Mais peut-on blâmer Instagram alors que l'utilisation de
la plateforme est totalement gratuite et permet à tout un chacun de
s'exprimer librement ? Lanier s'interroge sur cette problématique. Au
XXème siècle les informaticiens et « hackers
»52 revendiquent le partage gratuit des avancées
technologiques et l'open source, or cette catégorie de personnes a pour
objectif aujourd'hui de faire du bénéfice grâce aux
réseaux sociaux. Ce débat est résolu par la mise en place
de la publicité comme modèle économique. Cette
dernière permet la gratuité des moteurs de recherche ainsi que
des médias sociaux et parait être la seule solution. Pour autant,
Lanier défend l'idée qu'il serait
51 « Un algorithme est composé d'instructions
et d'opérations réalisées, dans un ordre précis,
sur des données afin de produire un résultat, et souvent
résoudre un problème plus ou moins complexe » (
journaldunet.fr)
52 « Communauté, culture partagée, de
programmeurs expérimentés et de spécialistes des
réseaux, dont l'histoire remonte aux premiers mini-ordinateurs
multi-utilisateurs, il y a quelques dizaines d'années, et aux
premières expériences d'Internet » (Wikipédia).
45
judicieux de monétiser les réseaux sociaux par
le biais d'un abonnement mensuel qui inclurait la possibilité de
recevoir soi-même de l'argent en fonction de la portée de nos
publications. Le chercheur voit cette rétribution comme une solution
afin de pallier la destruction d'emplois liée à la robotisation
et à l'intelligence artificielle. Il développe également
l'idée qu'il est injuste que les données des utilisateurs soient
prélevées sans aucune contrepartie. « Nous sommes face
à un secteur d'activité qui est composé des entreprises
les plus riches de l'histoire, et qui repose entièrement sur des
données qui sont produites par des gens à qui l'on rabâche
qu'ils sont inutiles » (Lanier, 2020, p.118). L'auteur prend
l'exemple des traductions effectuées gratuitement par des internautes
volontaires (émissions, vidéos etc.) que les réseaux
sociaux reprennent sans même qu'ils en soient conscients. En effet, tout
ce qui est posté sur Instagram appartient à Instagram. Face
à tous les traducteurs automatiques, les nouvelles technologies font
ainsi croire aux traducteurs qu'ils ne sont pas utiles, alors que les
données de ces derniers (traductions en ligne) sont
récupérées au service d'une intelligence artificielle (les
traducteurs automatiques). Lanier évoque le fait que ces individus sont
dépossédés et qu'ils devraient être
rémunérés, et ainsi que les utilisateurs devraient
être payés pour la valeur que leurs données apportent. Il
prend l'exemple de Netflix pour lequel il faut payer un abonnement : les
réalisateurs, acteurs et toutes les personnes apparaissant sur les
bandes annonces des films et séries sont rémunérés
en partie grâce à l'argent versé par les utilisateurs de la
plateforme.
L'autre aspect économique d'Instagram réside en
la création d'un nouveau type de valeur économique : le marketing
d'influence. Les influenceurs en tant que véritables leaders d'opinion
capables d'influencer le comportement de leurs abonnés sont fortement
sollicités par les marques. Ce nouveau métier est tantôt
adulé tantôt critiqué. En effet, beaucoup d'utilisateurs
jugent que ce n'est pas une profession, qu'ils sont en dehors de la
réalité et qu'ils font la promotion d'une consommation abusive et
non écologique. Ils ne seraient pas légitimes de toute la fortune
qu'ils amassent. De l'exté-rieur, les influenceurs sont souvent vus
comme chanceux et ayant une vie de rêve car ils effectuent de nombreux
voyages, reçoivent de nombreux produits et services gratuitement et font
de leurs réseaux sociaux leur gagne-pain. En échangeant autour de
nous dans le cadre de ce travail de recherche, nous avons souvent entendu des
remarques concernant les influenceurs en ce sens.
46
Ainsi, ces dernières années nous avons
constaté une arrivée en masse des marques, des publications
sponsorisées, des partenariats et placements de produit sur Insta-gram.
Les marques choisissent les influenceurs en fonction de la taille de leur
communauté et ses valeurs, l'image qu'ils reflètent mais aussi le
taux d'engagement de cette même communauté53.
Certaines entreprises choisissent un influenceur en
particulier qui sera leur égérie. C'est par exemple le cas de
L'Oréal et l'influenceuse Horia aux 2 millions d'abonnés. Tandis
que d'autres enseignes misent sur de nombreuses collaborations avec divers
instagrammeurs. Ici, nous pensons par exemple à la marque de montres
Daniel Wellington qui a contourné la publicité par les
médias traditionnels pour se concentrer exclusivement sur les
réseaux sociaux, avec une présence massive sur Instagram. Leur
stratégie de communication consiste à avoir recours à
« l'user Generated Content », c'est-à-dire à reposter
des publications des utilisateurs et se servir du réseau social comme
une base d'images afin de promouvoir leurs montres. L'autre aspect consiste
à proposer aux influenceurs de recevoir une montre gratuitement avec
parfois une rémunération, en échange du partage d'un
retour positif ainsi que d'un code promotionnel à leur
communauté. Daniel Wellington a ainsi ciblé des influenceurs du
monde entier et a été mentionné plus de 500 000
fois54 sur Instagram via un hashtag dédié. Si cette
stratégie a été fructueuse pour la marque, certains
utilisateurs ont été lassés de son omniprésence sur
le réseau social, ce qui a quelque peu entaché son image de
marque. En plus de voir des dizaines d'influenceurs en faire la promotion, les
utilisateurs sont amenés à apercevoir ces montres dans des
publications sponsorisées qu'ils n'ont pas choisies. Cette communication
de masse peut provoquer l'effet inverse : l'envie de boycotter la marque.
Les influenceurs sont également accusés de
recommander des produits et services qu'en réalité ils
n'apprécient pas. Comment à travers son écran se rendre
compte du mensonge ? Quelle crédibilité ont-ils quand ils font la
publicité tour à tour de marques concurrentes ? Certains ne
mentionnaient pas le caractère publicitaire de leurs posts, mention
rendue aujourd'hui obligatoire par l'article 20 de la loi pour la confiance
en
53 Le taux d'engagement se calcule en divisant le
nombre de likes et commentaires aux nombres de followers, et en multipliant le
résultat par 100.
54
https://medium.com/@ThomasMongin/daniel-wellington-une-marque-qui-doit-son-succ%C3%A8s-aux-influenceurs-3441ea9b9efb
47
l'économie numérique. D'autres
problématiques restent en suspens dans le débat public, les
influenceurs se font-ils de l'argent sur leur dos de leur communauté
?
Le chercheur Lanier a un positionnement négatif sur la
question. L'auteur développe dans son ouvrage incitant à se
désinscrire des réseaux sociaux, l'hypothèse d'une
altération de la vérité. Il mentionne en particulier les
faux commentaires et avis positifs laissés en dessous de certaines
publications de marques. Ces derniers sont réalisés par des
personnes artificielles qui effectuent de fausses recommandations. C'est aussi
le cas de certaines vidéos dont les vues sont
générées automatiquement et des publications
partagées en masse par des bots55.
Ces faux profils seraient composés de multiples
données récupérées auprès de
différents utilisateurs qui n'en sont pas conscients.
Instagram est également confronté à une
autre problématique, le drop shipping. Ce terme anglais désigne
la pratique qui consiste à revendre des produits achetés à
un fournisseur, à des prix généralement plus
élevés. Si cette pratique est légale, elle est
néanmoins encadrée. Il y de nombreux abus effectués par
des influenceurs qui ont déçu leur communauté, comme Emma
Cakecup et son petit ami Oltean Vlad. Le couple effectuait la promotion de
produits vendus à des prix dérisoires sur le site e-commerce
chinois Aliexpress, qu'ils revendaient jusqu'à plus de 70 fois leur
prix, ou encore ont vendu de faux écouteurs de la marque
Apple56 Instagram cherche à combattre les pratiques
frauduleuses qui est un fléau pour l'application.
Pour autant selon Lanier, le média social en tire un
bénéfice, les comptes artificiels, bots et influenceurs
créent du contenu et de l'activité sur Instagram et influencent
malgré tout le comportement des autres utilisateurs. Les utilisateurs
bien que de moins en moins dupes sont toujours là pour consommer.
Consommer du contenu, acheter, li-ker... Sommes-nous alors les pions d'un
système auquel nous contribuons ?
55 « Un bot est un petit programme ou robot logiciel
qui "parcourt" Internet pour collecter différents types d'informations
ou réaliser automatiquement certaines tâches. Certains bots
"illégitimes" appelés bad bots correspondent à des
activités ou pratiques le plus souvent frauduleuses ou non
éthiques » (
défi-nitions-marketing.com)
56
https://www.youtube.com/watch?v=V6VbkCvaPI0
(Qu'est-ce que le dropshipping, le business qui envahit le web ? 2019,
LeHuffPost)
48
La question de l'image du corps et la démarche
d'esthétisation de la vie
Les acquis autour de la généralisation des
réseaux sociaux comme outils de partage et d'exposition de soi sont
majeurs dans l'accomplissement de notre recherche, afin d'une part de montrer
la spécificité d'Instagram, et ce nouveau rapport à
l'esthétisme,
et d'autre part, de réfléchir à la
question de l'illusion et des dérives de ce réseau social. Nous
nous inspirons ici largement de l'article : « Représentations
du corps et réseaux
sociaux : réflexion sur l'expérience
esthétique contemporaine » d'Elisabeth Eglem. La Maître
de Conférences en Marketing et Stratégies à
l'Université du Havre s'intéresse à la publication massive
de photographies sur Instagram.
Comme expliqué dans la partie sur la manipulation des
émotions sociales, derrière de nombreuses publications se
cacherait une dimension d'acceptation et d'appartenance au groupe. Il s'agit
d'être reconnu, de recevoir l'approbation d'autrui sur ce que nous sommes
et ce que nous vivons au travers de réactions (commentaires et
likes).
Si cette valorisation de soi, et la mise en avant de nous
même sur Instagram relève parfois du narcissisme, elle peut aussi
être la recherche d'une vie « meilleure » que
l'on met en scène sur les réseaux à
travers une narration de nous-même et notre vie. Rappelons-le, l'Homme
est un être social qui pour évoluer a besoin de l'interaction avec
les autres membres de la société.
La chercheuse se base sur l'expérience ici entendue
comme la recherche d'émotions, d'esthétisme et de performance
(sportive, artistique etc.) qu'elle définit comme dépen-
dante de la présence d'un récepteur (les autres
utilisateurs du réseau social), et d'un
objet (le contenu) « Travailler son apparence,
être satisfait du résultat, prendre la photo et la publier, voir
l'effet produit ; admirer le corps de quelqu'un, ressentir une certaine
émotion, publier un commentaire. Les réseaux
sociaux amplifient la capacité à exposer l'individu et son corps,
et les possibilités de le contempler, déclenchant ainsi
admiration, désir, dégoût, identification, etc. Ces
ressentis se manifestent par des réactions concrètes et visibles
par celui qui s'expose : likes, commentaires, décision de « suivre
» ou non le profil d'un individu. » (Eglem, 2017, paragr.17)
Le contact visuel d'une multitude et variété de
corps déclencherait selon elle une émotion directement
liée à la propre perception que chacun a de l'apparence.
Mais peut-on réellement assister à la
publication d'une grande variété de corps sur Instagram ?
49
Les images de corps publiées permettent de
s'insérer dans un courant esthétique, de susciter des
émotions entraînant l'identification et la reconnaissance
d'autrui. Eglem met en avant des pratiques de travail concrètes et non
concrètes quand il y a des retouches ou un maquillage virtuel. Il y
aurait ainsi une évolution de la consommation relayée par
Instagram, l'apparition de nouvelles tendances esthétiques et de valeurs
vers lesquelles les individus tendent, cherchent à s'y retrouver,
à se faire une place et ainsi faire partie du groupe.
Les médias et réseaux sociaux véhiculent
dans la société, des normes, des modèles, et
réalisent une standardisation du modèle idéal du corps. Un
discours auquel les individus s'identifient est également
standardisé. Il tourne généralement autour de la
musculation et des attributs mis en avant dans une démarche de «
séduction ».
Des conceptions du corps sont reliées à son
esthétisme. Par exemple une conception d'un corps « naturel »
est corrélée à l'esthétisme d'un corps fin et
souple, d'une bonne alimentation et de la sérénité qui
peut par exemple être trouvée par le footing ou le yoga, ou encore
une alimentation bio et végane.
De nombreux utilisateurs sont au coeur d'une véritable
quête d'un corps correspond aux normes sociétales. Le
selfie57, venant de « self », a fait son apparition.
L'individu cherche à maitriser son image et recherche la meilleure de
toutes. Il y a une sortie du schéma traditionnel de la photographie et
l'apparition de nouvelles techniques de modification de l'apparence. Les
utilisateurs cherchent à avoir un profil valorisant, un contenu
attractif et harmonieux et peuvent utiliser pour ce faire, un maquillage
digital, des filtres et d'autres gadgets technologiques.
Les utilisateurs sont mis face à des photos de «
vie parfaite » publiées par des autres membres recherchant
consciemment ou non l'admiration. Il y a une nouvelle mise en avant de soi, une
narration et théâtralisation par une démarche
d'esthétisme. Les individus cherchent à sortir du quotidien qui
peut être banal par un procédé de mise en avant et de
sublimation. Les likes, commentaires, vues sont pour eux une validation
d'autrui, une reconnaissance et leur procure ainsi le sentiment d'exister, le
sentiment qu'eux-même et leur vie sont assez attractifs pour susciter
l'intérêt. Le banal devient donc un naturel
amélioré, un nouveau style de vie.
57 Pratique consistant à se prendre
soi-même en photo.
50
L'individu produit des émotions par ses publications
(voulues ou non) comme la fascination, le désir, la jalousie, le
dégoût, la frustration ou bien encore l'identification.
Il y a une véritable recherche de performance
entraînant une vulnérabilité de l'utilisa-teur liée
à sa dépendance de l'avis et le regard d'autrui.
Les publications sur Instagram banalisent la pratique
photographique. Les individus par ce biais recherchent le contrôle
d'eux-même, et notamment de leur image, il y a un désir
d'expression de soi, et de se façonner afin de recevoir l'approbation
des autres et de se sentir appartenir au groupe.
Mais qu'en est-il du moment présent ? Il ne semble plus
nous appartenir. Ces jeux sociaux et mises en scène nous
déconnectent de la réalité et de ce que nous vivons. Nous
voulons nous montrer toujours sous notre meilleur jour et ce que nous postons
est parfois bien loin de la réalité que nous vivons.
L'engagement ou l'addiction et la modification du
comportement
« Depuis qu'il est accro à Twitter, Trump a
changé. Il reproduit les schémas comportementaux (...) et il perd
parfois les pédales. En dépit de tout ce qu'il peut commettre,
Trump est aussi une victime » (Lanier, 2020, p.53)
« Si Twitter cessait ses activités demain, non
seulement Trump ne pourrait évidem- ment plus envoyer de
tweets, mais il deviendrait aussi, j'en suis persuadé, quelqu'un de
plus courtois et de meilleur à toute heure du jour, du moins
jusqu'à ce qu'il se rabatte sur une autre plateforme »
(Lanier, 2020, p.66)
Trump, une victime ? C'est ce qu'écrit Lanier dans son
ouvrage qui incite à se libérer des réseaux sociaux qu'il
appelle « empires de modification du comportement ». Le scientifique
et chercheur dénonce le terme « engagement » si souvent
utilisé pour qualifier le comportement des individus sur Instagram, qui
cache selon lui une dépendance. Serait-elle l'explication du fait qu'une
majorité des enfants des informaticiens et développeurs de la
Silicon Valley (berceau des nouvelles technologies), soient inscrits dans des
écoles où les appareils électroniques sont formellement
interdits ? Le premier président de Facebook, Sean Parker s'est
confié dans une interview pour Axios, site web d'information
américain. « On doit en quelque sorte vous donner une petite
dose de dopamine de temps en temps, parce que quelqu'un a aimé ou
commenté une photo, une publication ou que quoi que ce soit d'autre.
(...) C'est une boucle
51
de rétroaction de validation sociale, exactement le
genre de chose qu'un hackeur comme moi imaginerait, parce que ça
exploite une vulnérabilité de la psychologie humaine. (...) Les
inventeurs, les créateurs - c'est moi, c'est Mark Zuckerberg, c'est
Kevin Systrom sur Instagram. (...) Dieu seul sait ce que ça fait aux
cerveaux de nos enfants »58. Des aveux inquiétants
de la part d'une personne qui a été au coeur de la direction du
premier réseau social mondial.
Au travers de leurs travaux de recherche Lanier et Flichy de
la Neuville abordent le mouvement scientifique du behaviorisme comme «
dressage des temps moderne ». « Le behaviorisme, variante de la
recherche comportementale, part du principe que tout être humain peut
être dressé à l'aide d'impulsions positives, donc de
récompenses, à se comporter de manière appropriée
dans ses capacités pratiques » (Flichy de la Neuville, 2020,
p.12) Ivan Pavlov est l'un des premiers chercheurs de ce courant,
célèbre pour son expérience avec des chiens. Le
scientifique a montré qu'à force d'une répétition
quotidienne et d'un conditionnement, le chien salivait rien qu'au son de la
cloche qui annonçait le repas. Il n'y avait plus besoin de nourriture
pour le faire saliver, mais seulement avoir recours à un symbole pour
que celui-ci soit excité.
En 1971, le psychologue Philipp Zimbardo s'est rendu
célèbre en réalisant l'expérience de Stanford dont
l'objectif majeur était de comprendre l'origine des conflits au sein des
prisons. Le professeur et chercheur avait donné aléatoirement
deux types de rôles à des élèves, celui des
prisonniers et celui des gardiens, le tout dans un environnement adapté.
Zimbardo jouait le rôle de superviseur et cherchait à augmenter la
désorientation, dépersonnalisation et désindividualisation
de ses élèves en adoptant des comportements particuliers.
L'expérience dura près d'une semaine et fut marquée par
des situations réellement violentes et psychologiquement dangereuses.
Les étudiants étaient entrés dans leur rôle, un
gardien s'est notamment comporté de manière extrêmement
sadique, et deux prisonniers ont été traumatisés. Cette
expérience est enrichissante du point de vue du conditionnement humain
dans un court laps de temps. Dans cet exemple, la situation prédomine
sur la personnalité de l'individu.
Aujourd'hui il est possible de comparer ces deux
expériences à ce que beaucoup d'uti-lisateurs vivent
vis-à-vis des médias sociaux. Ces derniers envoient des stimuli
semblables aux friandises pour récompenser ses membres et les rendre
toujours plus ac-cro. Un schéma de récompense se manifeste dans
leurs cerveaux ainsi qu'un plaisir
58
https://www.axios.com/sean-parker-unloads-on-facebook-2508036343.html
52
addictif qui donne toujours envie de retourner sur Instagram,
d'avoir des likes, d'être reconnu, de voir la vie des autres. Les
utilisateurs à l'image des chiens de Pavlov sont conditionnés
à coup de renforcement positif et incités en permanence à
aller sur Ins-tagram (on reçoit une notification car un ami a
posté une photo, on reçoit une alerte car quelqu'un a
posté dans sa story, on est averti si quelqu'un fait un live, on nous
incite à aimer et partager, on nous dirige vers un certain type de
contenu...) et sont ensuite récompensés par du plaisir qui n'en
est pas moins addictif.
Nous, utilisateurs sommes-nous devenus alors des zombies
dépourvus de libre-arbitre ? Instagram nous suggère des comptes
à suivre, des publications à regarder selon nos centres
d'intérêts interprétés par le réseau social
en fonction de notre activité. Le média social décide pour
nous et nos actions sur l'application ne dépendent pas que nous.
De ce fait, les utilisateurs ont accès à ce
qu'Instagram veut bien leur montrer, phénomène amplement
discuté dans l'espace public qui nous rappelle immédiatement le
scandale lié à Cambridge Analytica59. Sur les
réseaux sociaux en général les utilisateurs sont mis face
à un contenu qui vient confronter leur opinion. Il s'agit là de
la théorie des « bulles de filtre » développée
par le militant internet américain Eli Pariser dans son ouvrage «
The Filter Bubble : What The Internet Is Hinding From You » paru en 2011,
qui rejoint la logique des « bulles communicationnelles »
développées par le professeur de sociologie et chercheur Patrice
Flichy, phénomène auquel Instagram n'échappe pas. Les
algorithmes renvoient des informations qui nous confortent dans ce que l'on
est, notre identité sociale. Certains de ses utilisateurs ont
accès en continu à un même type de contenu, ce qui peut
parfois entretenir des théories du complot et des avis tranchés.
Ces bulles de filtrage représentent un danger pour la démocratie
dans le sens où elles influencent les utilisateurs et modifient ou
entretiennent leur comportement sur des questions et des enjeux politiques et
sociétaux.
Pour lutter contre ce phénomène, des plateformes
comme Gobo et VICE ont vu le jour. Gobo permet aux utilisateurs d'avoir un
contrôle sur les paramètres de filtrage des algorithmes, tandis
que VICE propose des contenus que les utilisateurs sont susceptibles de ne pas
aimer, afin que les algorithmes soient déséquilibrés et
que la bulle soit
59 Ce scandale fait référence aux
données que cette entreprise a collecté sur des millions
d'utilisateurs de Facebook afin d'influencer les intentions de vote de quelques
politiques.
53
cassée. Une autre solution consiste à s'abonner
à des personnes avec qui nous avons des liens faibles (à
l'inverse des liens forts) pour avoir un réseau plus étendu et
permettre d'éviter cet enfermement.
Pourquoi les utilisateurs acceptent-ils tout ça ?
Sont-ils avertis ? Lanier reprend la théorie des « effets de
réseau » ou « effets de club » pour expliquer pourquoi
les utilisateurs acceptent d'être présents sur Instagram
malgré les limites du réseau social. Quand une application a du
succès, il est difficile de la quitter si toutes nos relations y sont.
Il n'est alors plus possible ou compliqué de transférer ses
données et de partir sur une autre application avec toutes ses
connaissances déjà présentes sur le premier réseau
social. Ces effets conduisent à l'empire de monopoles mondiaux que
représentent les géants Instagram, Facebook, Twitter.
Le chercheur développe également
l'hypothèse que les utilisateurs « perdent de vue la
réalité de leur activité » tant les luttes de pouvoir
sur le réseau social floutent leur vision de la réalité.
Il compare l'Homme à un loup qui seul pense par lui-même,
crée, chasse, se cache et ressent davantage de joie. En meute, le loup
est enfermé dans la et ses interactions avec les autres canidés
deviennent primordiales et suscitent toute son attention. Par analogie, il en
est de même pour l'Homme. Le groupe entraîne une focalisation de
l'utilisateur envers ses pairs et l'ordre hiérarchique.
Thomas Flichy de La Neuville lui, développe la
théorie de la « compliance without pressure » ou «
soumission librement consentie ». Les utilisateurs ont l'impression
d'être l'auteur de leurs décisions sur le réseau social et
modifient leur comportement tout en ayant le sentiment d'en être
responsable. Les individus acceptent en quelque sorte la domination et se
soumettent au réseau social.
L'angoisse du temps vide et « The Fear of Missing
Out»
« Comme lorsque, pendant un concert, on passe plus de
temps à se filmer et à pos- ter qu'à profiter
du moment présent. Mettre en scène nos vies nous met à
distance. On finit par n'être plus que le sujet de nos
représentations » Elsa Godart60
60
https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619
54
Dans son ouvrage « Les nouveaux Bovary », Lewi
établit une comparaison pertinente de Madame Bovary aux utilisateurs
d'Instagram et des réseaux sociaux en général. Les
caractéristiques du bovarysme étant de se penser autre que l'on
est, d'avoir un comportement de fuite dans le rêve, lié à
l'insatisfaction éprouvée dans la vie, ou bien encore,
d'être en attente de la surprise de l'instant selon le principe
d'espérance.
L'héroïne du roman de Flaubert dans le monde
d'aujourd'hui : serait-elle une influente blogueuse ? Une «
instragrammeuse » partageant ses joies et ses peines ? Se servirait-elle
de ce média social pour créer son « moi idéal »
?
L'héroïne du roman de Flaubert était
à la recherche d'un idéal inatteignable transmis par ses
nombreuses lectures. Elle était ainsi toujours déçue de
son époux Charles, qui pensait que son mal-être était
physique, et ne comprenait pas qu'il s'agissait d'un profond désespoir
moral. Ne retrouve-t-on pas les mêmes cas de figures sur Instagram ? Les
individus peuvent en effet s'en servir pour échapper à une
réalité qui ne les satisfait pas ou plus et se créer une
vie sur mesure, à leur image, ou encore s'y réfugier face
à la désillusion du monde réel. Avec nos
téléphones aujourd'hui, nous sommes pratiquement connectés
en continu à ce monde virtuel. N'attendons pas quelque fois que quelque
chose s'y passe ? Que quelque chose se passe en général dans
notre vie ? Un nouvel acronyme a fait son apparition dans les médias
« FoMo » pour « the Fear of Missing out » qui
désigne la peur ressentie par un utilisateur des réseaux sociaux
à l'idée de manquer un événement intéressant
(ou même une publication) sur un média social. Cette
anxiété est accompagnée de l'envie de toujours rester en
contact avec les autres sur internet, de connaître ce qu'ils font,
associée à l'idée qu'ils mènent une vie plus
passionnante.
Par exemple, un utilisateur peut se connecter
régulièrement pour vérifier les publications et stories de
ses proches par peur qu'ils se voient sans lui et d'être exclu. Cette
peur se manifeste également par l'envie d'être au courant de tout
et de consulter son fil d'actualité, sa messagerie, de peur de manquer
une opportunité, un événement, de passer à
côté d'une tendance. Ce qui est épuisant tant le flux
d'informations sur Insta-gram est important et quasi infini (quand
l'utilisateur a fini de parcourir le fil d'actualité contenant les
publications des comptes auxquels il est abonné, des publications lui
sont suggérées).
55
Nous subissons ce que l'écrivaine Linda Stone appelle
« continuous partial attention »61 soit l'attention
partielle continue. En cherchant à être connectés en
permanence et présents sur un maximum de supports différents,
nous dispersons notre concentration et ainsi notre attention. Les individus se
désinvestissent de leur vie « réelle » au profit de
leur vie « virtuelle » et notamment sur Instagram. Ce
phénomène est observable dans la rue, où de nombreuses
personnes sont focalisées sur leur téléphone. Elles
semblent ainsi être présentes physiquement mais
déconnectées de la vie « réelle ».
L'anxiété sociale et la manipulation des
émotions
Nous l'avons vu dans les parties développées
ci-dessus, Instagram permet un monde plus connecté, mais pour autant pas
un monde plus heureux.
Les likes, les commentaires et autres paramètres sont
des véritables sucres pour l'égo, et l'obtention de ces derniers
se transforme en une source d'anxiété. Les utilisateurs
d'Instagram cherchent à soigner leur image et se créent une
identité propre au réseau social : une identité virtuelle.
Le sociologue Dominique Cardon y privilégie le terme «
identité potentielle »62 car les utilisateurs cherchent
à ce que les autres aient une certaine image d'eux.
En plus de manipuler nos émotions avec ses algorithmes
et les publications sponsorisées, Instagram est un espace qui permet de
juger et d'être jugé en permanence et qui pousse ainsi à la
comparaison. Nous comparons nos nombres d'abonnés, de likes, et
l'anxiété d'être moins bien, en bas du « classement
» renforce encore notre dépendance. Nous pouvons presque nous
demander si les individus suivent les autres pour leur contenu ou pour ce
qu'ils sont.
Beaucoup d'utilisateurs se fabriquent de toute pièce un
« idéal du moi » à atteindre, correspondant
également à une « façade sociale ».
L'écart entre le réel (ce qu'ils vivent) et cet idéal du
moi (ce qu'ils mettent en scène) est source de tension et de
mal-être. Il demande à être alimenté constamment par
un effort constant.63
61
https://lindastone.net/2009/11/30/beyond-simple-multi-tasking-continuous-partial-attention/
62 Ouvrage « Culture numérique »
(2019) et retranscription de la conférence « Image de soi sur le
net et les réseaux sociaux » sur le blog
marieguillaumet.com
https://marieguillaumet.com/conference-image-de-soi-sur-le-net-et-les-reseaux-sociaux-de-dominique-cardon/
63
https://www.lesechos.fr/2018/07/narcissisme-20-1020619
56
La psychanalyste Geneviève Morel évoque le
phénomène de démultiplication à l'infini de l'image
idéale de soi. Instagram devient plus qu'un simple outil de
communication64, l'image que nous cherchons à renvoyer est
d'autant plus difficile à atteindre que les utilisateurs
interprètent les publications en fonction de leur contexte. Lanier
évoque également un phénomène lié à
la « théorie de l'esprit ». Cette dernière consiste
à faire des hypothèses sur ce que les autres vivent, et à
se mettre à leur place. Sur Instagram nous avons accès aux
publications des usagers sans pour autant avoir beaucoup d'in-formations sur
eux et les expériences qu'ils vivent, il est alors parfois plus
difficile de faire preuve d'empathie, et l'interprétation peut
être biaisée. Instagram permet un monde certes plus
connecté mais aussi paradoxalement plus isolé.
Un outil de partage, d'exposition, et d'affirmation de
soi ?
Si dans cette partie sur les problématiques
liées à Instagram, nous avons étudié les
dérives du réseau social, il nous tient à coeur tout de
même de mettre en avant les aspects positifs de la plateforme. Instagram
permet à chacun de s'exprimer sur un quelconque sujet et de prendre la
parole. Tout comme Twitter a été au coeur du mouvement « Me
too », c'est un moyen de contourner l'espace public traditionnel qui ne
permet pas toujours la mise en lumière de certains sujets. Nous pensons
par exemple aux nombreux comptes militants féministes qui ont
été créés ces dernières années et qui
ont pour objectif de prendre la parole sur de nombreuses thématiques
comme les inégalités sexuelles, la charge mentale, les
féminicides, mais aussi la masculinité toxique, le viol masculin
etc.65 Ces comptes ont pour objectif d'informer, de partager des
réflexions, de sensibiliser mais aussi de briser des tabous. Instagram
permet aussi de rassembler les individus qui ont des caractéristiques en
commun et partagent leurs expériences. Par exemple, de nombreux comptes
sur l'in-troversion ont été créés.66 Ces
derniers partagent des anecdotes sur la vie en tant qu'introverti, donnent des
conseils, rassurent, et permettent l'échange entre toute une
communauté d'individus qui s'y identifient, se reconnaissent et qui se
disent heureux de pouvoir partager leur expérience auprès de
personnes qui comprennent.
64 « Pièges-à-jeunes », Morel, 2015
65 Nous pensons à de nombreux comptes comme
@tasjoui, @taspensea, @a_voixhaute, @tubandes, @realmanbabies, @la_b.a.s.e,
@pay_ton_mansplaining, @preparez_vous_pour_la_bagarre, @phrasesassassines,
@pepitesexiste, @dans_la_bouche_dune_femme, @jemenbatsleclito
66 Nous pensons à @gangintrovertis,
@theintrovertnation, @les_introverti.es
57
Certains indiquent alors se sentir moins seuls et
rassurés. Instagram a ainsi été investi massivement par
les comptes de ce genre et les comptes militants sur divers sujets.
En matière d'écologie, nous pouvons citer «
L'affaire du siècle » portée par quatre organisations de
protection de l'environnement et de solidarité67. Ce
collectif a décidé de saisir la justice pour que « les
droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques
». Il fait appel à tous les citoyens français et a
partagé une pétition qui a collecté plus de deux millions
de signataires. De nombreux influenceurs ont fait le relai de
l'opération sur Instagram, ce qui lui a permis d'obtenir une plus grande
ampleur, c'est notamment le cas de Mcfly et Carlito deux youtubeurs qui ont
amplement participé à la communication et diffusion du
message.
Figure 14 Capture d'écran d'une story du compte
Instagram "L'af- faire du siècle" où l'on voit Macfly
et Carlito
67 Notre Affaire à Tous, La Fondation
Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, Greenpeace France et Oxfam France.
58
Les actions réalisées par
Instagram
Le réseau social fait face à des
problématiques et présente des dérives. Le chercheur
Lanier que nous avons largement sollicité au travers du
développement des limites de ce média social, pense qu'il est
possible d'améliorer ce dernier en montrant notre désaccord et en
désinstallant l'application, afin que les développeurs et
informaticiens comprennent le message et ait de l'espace pour changer. Le
chercheur connu de la Silicon Valley explique que ce serait même une
chance et une libération pour eux car même si certains se sont
rendus compte de ce qu'ils engendraient en développant les
réseaux sociaux, le phénomène a pris une ampleur
incroyable très rapidement.
Lanier effectue une analogie des réseaux sociaux dont
Instagram fait partie avec les peintures qui contenaient autrefois du plomb.
Les effets négatifs du plomb ont été mis en avant et
pourtant la peinture a continué à être utilisée. Les
pressions sociales ont permis la création de lois instaurant des normes
pour des peintures qui n'en contiennent pas « Les gens intelligents
ont tout simplement attendu que des peintures inoffensives soient mises sur le
marché pour en acheter. De la même manière, les gens
intelligents devraient supprimer leurs comptes en attendant que des plateformes
non toxiques soient disponibles » (Lanier, 2020, p.38)
Nous avons déjà vu qu'Instagram est conscient
des dérives et de la toxicité du réseau social au travers
notamment des paroles de Kevin Systrom au cours d'une interview. Instagram a la
volonté d'agir pour remédier aux phénomènes
indésirables qu'il engendre. Le réseau social investit
également dans l'intelligence artificielle au service de la lutte contre
le harcèlement en ligne. En juillet 2019, l'application a annoncé
mettre en place de nouveaux outils pour réduire ce fléau. Un
nouveau dispositif généré par un logiciel d'intelligence
artificiel est censé envoyé un avertissement aux utilisateurs sur
le point de commenter des propos injurieux. Les utilisateurs peuvent
également approuver les commentaires des autres utilisateurs et les
masquer, s'ils jugent que ces derniers ont une influence négative. Les
personnes indiquées comme « restreintes » ne peuvent plus voir
si l'utilisateur en question est en ligne et s'il a vu leurs messages.
Dans une volonté de rendre l'application plus
agréable à utiliser, et moins socialement anxiogène, les
dirigeants d'Instagram ont supprimé la page « abonnée »
qui permettait
59
aux utilisateurs d'avoir accès aux contenus
likés et commentés par les personnes qu'ils suivent. Les
utilisateurs n'ont ainsi plus de fil d'actualité dédié
à ce que les personnes qu'ils suivent aiment et commentent.
Instagram lance également une phase de test de
suppression des likes. Cette expérience testée d'abord au Canada,
étendu aux Etats-Unis puis à une partie des utilisateurs
français, a pour objectif de diminuer la dépendance qui en
découle, et de mettre en valeur le contenu. Systrom insistait sur la
volonté du réseau social de réduire cette pression.
Instagram y voit ainsi un changement fondamental afin de rendre son espace plus
sain et de le délester de certaines dérives de l'égo. Un
porte-parole s'est exprimé à ce sujet « Nous ne voulons
pas qu'Instagram donne l'impression d'être dans une compétition
»68. Les influenceurs et comptes professionnels peuvent
tout de même en avoir un aperçu.
Pour pallier aux craintes des utilisateurs et suite à
de nombreux scandales et notamment la fuite des données personnelles de
49 millions d'influenceurs en 201969, Insta-gram mise sur davantage
de transparence en permettant aux utilisateurs d'avoir accès à
toutes les informations et données collectées, via une nouvelle
fonctionnalité. Depuis 2020, chaque profil comprend dans ses
paramètres une page « sécurité » permettant
à chacun d'accéder à ses données et voir les sujets
sur lesquels il est ciblé à des fins publicitaires, en fonction
de ses centres d'intérêt détectés par l'application.
Cette rubrique de mots-clés provoque parfois des surprises chez les
usagers, car il suffit que l'on aille voir un compte rattaché à
une thématique pour que l'on soit ciblé en rapport à cette
dernière.
68
https://www.mouv.fr/nation/societe/instagram-ca-y-est-l-application-cache-le-nombre-de-likes-en-france-355480
69
https://www.tomsguide.fr/instagram-donnees-personnelles-49-millions-dinfluenceurs-fuite/
60
Figure 15 Capture écran extrait des
thématiques sur lesquelles je suis ciblée sur mon propre
compte personnel
Il est également possible de télécharger
le dossier concernant ses données personnelles, en respect à
l'article 20.1 du RGPD70. Les utilisateurs peuvent donc avoir
accès aux données qu'ils délivrent à leur insu
à Instagram et que ce dernier exploite à des fins publicitaires
et marchandes.
En 2020, Instagram a annoncé d'autres mesures.
L'application cherche à réduire la propagation des fakes news et
des photos trop retouchées.71 Son intelligence artificielle
dote ainsi les publications jugées trop retouchées ou non
réelles de l'étiquette « Information fausse ». Mais un
souci se pose : les robots ne prennent pas en compte l'aspect artistique et de
nombreuses photos d'art sont qualifiées ainsi de fausses.
A l'approche des élections présidentielles aux
Etats-Unis, Instagram a annoncé en avril 2020 une nouvelle
fonctionnalité. Les utilisateurs étatsuniens peuvent
connaître l'emplacement des comptes Instagram en fonction de leurs
publications afin qu'ils
70 Règlement Général sur la
Protection des Données
71
https://arts.konbini.com/instagram/instagram-censure-desormais-les-photos-trop-retouchees/
61
puissent s'assurer de leur fiabilité et
authenticité72. Cette mesure devrait s'étendre dans le
reste du monde.
Chapitre 3 : l'alerte et la prévention
effectuées par les insta-
grammeurs
Les différents modes de
prévention
Face à une standardisation des critères de
publication et d'autres dérives d'Instagram que nous avons
précédemment évoquées, certains utilisateurs
décident de prendre la parole à ce sujet, et dédient une
partie de leur activité à des fins de prévention et
d'alerte sur Instagram. C'est le cas des comptes que nous étudions dans
le cadre de ce travail de recherche : Essena O'Neil, coucoulesgirls,
onveutduvrai et saggysara. Tous sont des comptes connus qui ont ainsi du poids,
leur prévention est ainsi cruciale car elle a pour objectif de faire
évoluer les normes.
La prévention par le détournement du
rapport texte/image
Comme expliqué en début de ce travail de
recherche, Essena O'Neill ancienne influen-ceuse australienne présente
sur Instagram depuis l'âge de 15 ans, a subitement quitté
l'application à ses 19 ans. A l'origine complexée, l'adolescente
s'était inscrite sur le réseau social pour trouver un peu de
réconfort. Très vite, elle s'approprie les codes de
l'application, et reproduit le même type de publications
standardisées et popularisées par les
célébrités et influenceurs qu'elle admire. La jeune femme
publie alors régulièrement sur le média social et devient
de plus en plus connue. Alors qu'elle réalise son rêve en devenant
influenceuse et en ayant la vie dont elle a toujours rêvé et a
toujours aspiré, la jeune femme rentre dans un engrenage malsain qui ne
la rend pas heureuse. Elle cache son mal-être à ses
abonnés.
En effet, après avoir passé son adolescence
à se construire une identité virtuelle, Es-sena est perdue et
ressent une pression constante relative à la conservation de l'image
qu'elle s'est donnée de jeune femme parfaite ainsi que d'idéal
féminin. L'écart entre le
72
https://siecledigital.fr/2020/04/23/une-touche-de-transparence-supplementaire-sur-les-pages-face-book/
62
réel et l'idéal du moi qu'elle s'est construit
en ligne devient de plus en plus difficile à vivre. Essena est
piégée dans un type de contenu auquel elle a habitué ses
abonnés. En 2015, l'influenceuse supprime alors de nombreuses photos sur
son compte et va se servir des publications restantes pour y décrire la
réalité cachée. Pour ce faire, elle garde les
photographies d'origine mais en change les légendes. Ces
dernières transmettent maintenant un message en opposition aux images
d'une vie parfaite et de rêve. Ce qui était autrefois des textes
vantant et mettant en avant une vie heureuse, se transforment en
dénonciation. La jeune femme met en avant les limites d'Instagram et ses
dangers en fonction de son expérience personnelle sur le réseau
social. Elle publie également une vidéo YouTube73,
dans laquelle elle raconte son histoire.
Depuis, la jeune femme a totalement supprimé son
compte. Quelques-unes de ses publications détournées ont
été reprises et repostées à l'identique par
d'autres comptes Instagram qui ont été créés
spécialement à cet effet. Nous nous basons sur le compte «
essena.oneiil » que nous avons contacté afin de connaître la
raison d'être, mais nous n'avons pas obtenu de réponses. Les
publications que nous allons présenter reprennent donc à
l'identique les publications originales de la jeune femme mais n'étant
pas postées sur son compte, les réactions (commentaires et likes)
sont à prendre en compte différemment.
L'instagrammeuse Essena O'Neill a ainsi réalisé
une alerte par le biais d'un détournement du rapport texte
(légendes) et image (photographies). Elle a néanmoins
ajouté une photo pour annoncer sa démarche.
Figure 16 Publication D'Essena O'Neill annonçant son
départ d'Instagram
73
https://www.youtube.com/watch?v=heHBcUOf
sA
63
Légende : « Je quitte Instagram, YouTube et
Tumblr. J'ai supprimé plus de 2000 photos aujourd'hui qui n'ont servi
à rien d'autre que faire mon auto-promotion. Sans m'en rendre compte,
j'ai passé la majeure partie de ma vie d'adolescente à être
accro aux médias sociaux, à l'approbation sociale, au statut
social et à mon apparence physique. Les médias sociaux, en
particulier la façon dont je les ai utilisés, ne sont pas «
réels », ce n'est pas la réalité. Ce sont des images
artificielles et retouchées. C'est un système basé sur
l'approbation sociale, les likes, la validation de soi par les vues, le
succès en nombre d'abonnés. C'est un jugement parfaitement
orchestré par soi-même. Je me suis consumée. Je passais la
majorité de mes journées sur Instagram à faire
défiler mon fil d'actualité et des publications sans but, des
heures sur YouTube... Comment pouvons-nous nous voir et se concentrer sur nos
objectifs, nos talents, si nous regardons constamment les autres ? Beaucoup
d'entre nous sont si profondément ancrés dans le système
qu'ils ne réalisent pas que ce sont des pouvoirs
désillusionnaires et l'impact qu'ils ont sur nos vies. J'ai
laissé quelques photos, la moitié avec des légendes que je
crois être pédagogiques, l'autre moitié sont des photos qui
vous ont trompé. Ce n'était jamais mon intention consciente, mais
j'ai trompé beaucoup de gens ... Appelez cela duperie, de la
manipulation, du mensonge. J'étais à la fois accro à
l'approbation sociale et terrifiée que personne ne m'apprécie
pour moi-même. J'ai donc réécrit les légendes de ces
fausses photos avec la réalité. »
Cette publication révèle la
réalité telle que la jeune femme la vivait et non plus comment
elle la montrait. En abordant la publication du point de vue de l'approche
sémio-pragmatique, nous constatons que cette dernière
relève du mode moralisant. Suite à une prise de conscience
drastique, Essena se libère et alerte ses abonnés qui peuvent eux
aussi être victimes. En cela, elle produit et partage des valeurs. La
jeune femme a elle-même alimenté le système qu'elle
dénonce, en véhiculant un idéal et en participant à
la standardisation des critères de publication.
64
Figure 17 Publication détournée d'Essena
O'Neill, originairement à la recherche d'une photo désirable
pour être connue
Légende : « J'ai forcé ma petite-soeur
à prendre la photo avant de partir à mon déjeuner
d'anniversaire. (...) Je voulais juste être connue. Pour cela, j'avais
besoin d'une nouvelle photo de profil sexy. Alors j'ai vraiment essayé
d'en avoir une. Je voulais une image de moi sexy, « likeable » qui
engendrerait plus de 100 likes. (...) Les gens m'ont dit que j'étais
sexy. Donc je devais rester sexy. Les gens m'ont dit que j'étais
drôle. Donc je continuais à être sarcastique et drôle
aux dépens des autres. (...) J'étais obsédée par le
fait d'être aimée. Donc je suis devenue obsédée par
moi-même, narcissique. Et croyez-moi ça vous rend incroyablement
seule. (...) » #gamechangers #so-cialmediaisnotreal #socialmedia
#bethechange #movement #essenaoneill
Au travers de cette publication détournée, la
jeune femme explique qu'elle était prisonnière d'un
système dans lequel elle n'était plus vraiment elle-même.
Elle cherchait avant tout à plaire aux autres avant de s'aimer. Cette
publication à l'origine d'un mode esthétique car répondant
aux normes des corps esthétiques et normes de publication, devient
sensibilisatrice grâce à la légende modifiée. La
jeune femme a changé également les hashtags qu'elle avait mis
originairement et compte bien impulser un nouveau mouvement sur les
réseaux sociaux comme ces derniers le montrent.
65
Figure 18 Publication détournée d'Essena
O'Neill alertant sur la mise en scène derrière les
publications
Légende : « S'il vous plaît, aimez cette
photo, j'ai mis du maquillage, bouclé mes cheveux, mis une robe
serrée, de gros bijoux inconfortables... Pris environ 50 photos
jusqu'à ce que je trouve une qui pourrait vous plaire, puis j'ai
édité ce selfie durant longtemps sur diverses applications, juste
pour recevoir de l'approbation sociale de votre part. IL N'Y A RIEN DE REEL A
TOUT CELA. » #celebrityconstruct #gamechangers
#socialmediaisnotreal #socialmedia #bethechange #movement
#es-senaoneill
Ici, le selfie de la jeune femme répond
également aux critères esthétiques. Sa nouvelle
légende dénonce la mise en scène derrière les
photos et la perte totale de spontanéité. Tout est calculé
et orchestré dans le but d'avoir un cliché parfait. La photo est
le résultat d'un processus de scénarisation, et a demandé
un investissement en temps mais aussi en vêtements et maquillage. La
jeune femme aborde un sourire radieux. Sans le texte, beaucoup d'utilisateurs
pourraient se dire qu'elle est heureuse, et c'est ce que l'influenceuse faisait
croire à ses abonnés. Elle jouait un rôle.
66
Figure 19 Publication détournée d'Essena
O'Neill dénonçant la mise en scène de sa vie sur Instagram
et la démarche d'esthétisation
Légende : « Il n'y a rien de zen à
essayer de paraitre zen, ni de prendre une photo de soi en train d'essayer
d'être zen pour le prouver sur Instagram »
Comme une grande majorité des publications de la jeune
femme, celle-ci correspond aux modes esthétique et artistique. Ici,
l'influenceuse montre qu'elle vivait par procuration, qu'elle se mettait en
scène dans la vie réelle afin d'alimenter sa vie virtuelle.
Nous avons choisi ces publications pour leur diversité
(l'explication du départ de l'in-fluenceuse, un selfie et la mise en
avant de la scénarisation des photos, une photo artistique, et une photo
esthétique de la mise en avant du corps). Après le changement de
la légende, ces publications deviennent sensibilisatrices,
éducatrices et préventives. Vous trouverez en annexes d'autres
publications détournées d'Essena O'Neill accompagnées de
leurs légendes modifiées, traduites en français.
Nous avons demandé à Maureen Bourgois, une jeune
femme de 23 ans très active sur Instagram (publications très
régulières de photos, et story quotidienne) de nous parler de son
activité sur le réseau social. Nous l'avons également
confronté à une publication d'Essena O'Neill en maillot de bain
sur la plage, sans lui montrer la légende. Vous pourrez retrouver cet
échange en annexes. Maureen nous a expliqué dans un premier temps
qu'elle ne poste des publications que quand elle est de bonne humeur, car
« ça ne sert à rien de faire semblant ». Ainsi
à première vue, elle ne se sent pas concernée par les
phénomènes que dénoncent les comptes que nous
étudions. L'étudiante se rend quotidiennement sur le média
social pour échanger du
67
contenu avec ses abonnés (dont nous faisons partie), et
en consommer à son tour. Elle explique toutefois que les
réactions qu'elle suscite grâce à ses posts ont un impact
sur elle, et que c'était notamment le cas lorsqu'elle était
adolescente. Elle nous en parle en positif, en évoquant le fait que
lorsqu'il y a en a c'est flatteur, d'autant plus qu'elle n'a pas
entièrement confiance en elle. Les réactions ont ainsi un impact
sur elle, elle n'en ressort pas neutre. La jeune femme est tout à fait
consciente des dérives pouvant avoir lieu sur ce média social
mais en échappe pourtant selon elle. Nous lui avons ensuite
montré l'une des photos esthétique d'Essena O'neil et lui avons
demandé ce qu'elle pensait de cette jeune femme à première
vue. La réponse fut très intéressante. Elle nous a
expliqué la trouver jolie et nous a signifié que ça se
voit que c'est une personne qui a confiance en elle, qui se sent bien et passe
un bon moment. Or, comme développé ci-dessus, l'ancienne
influenceuse était loin d'avoir confiance en elle et dit avoir «
menti » en se mettant en scène. Puis, quand nous lui avons lu la
légende accompagnant la photo et présentant une tout autre
réalité, Maureen a répondu que ça ne
l»étonnait pas, confiant à son tour que finalement parfois
ça lui arrive de ne pas poster un contenu de peur de recevoir des
critiques sur son physique.
La prévention comparative « Instagram »
versus « Réalité »
A ses 17 ans en 2015, Sara Puhto se crée un compte
Instagram intitulé saggysara, où elle partage son parcours
sportif et l'évolution de son corps. Elle poste alors de nombreuses
photos d'elle et de son corps.
Par sa présence sur le réseau social, la jeune
finlandaise y constate une uniformité des corps et la standardisation
des critères de beauté, avec une sur-représentation des
corps sculpturaux. Elle se reconnaît elle-même également
dans ce phénomène et en prend conscience. A ses 20 ans, elle
poste alors une première publication sur la représentation des
corps sur le média social et continue la sensibilisation sur le sujet,
jusqu'à en faire la mission de son compte. Elle confie également
à ses abonnés avoir traversé une période difficile
de 2012 à 2014 durant laquelle elle se faisait du mal physiquement. Elle
transmet un message d'espoir et de positivité. En complément,
elle s'empare de la thématique de la représentation des corps sur
Instagram pour transmettre le message qu'il ne faut pas croire tout ce que l'on
voit sur internet. Afin de montrer combien il est simple de transformer et
sublimer une photo, sa spécialité est de publier deux photos
d'elle côte à côte en opposition. Ces dernières
ont
68
généralement pour objectif de montrer la
différence entre une photo spontanée prise sur le fait, et une
photo mise en scène, sélectionnée, et
retravaillée.
Figure 20 Capture écran d'une publication de
saggysara Instagram versus Reality / décembre 2018
Légende : « Instagram n'est pas la
réalité. Je sais que la plupart de nous sont au courant
qu'Instagram peut-être incroyablement faux mais nous ne nous en souvenons
pas tout le temps. J'ai mis du maquillage, cette robe et je me tiens dehors
à 7°C pour prendre une photo de Noël où j'étais
en train de geler. Ensuite, j'ai enlevé mon maquillage et je me suis
changée pour mettre un survêtement agréable. On choisit les
meilleures photos sur des centaines et on montre seulement les moments forts
sur le média social. (....) Vous êtes valides et incroyables comme
vous êtes, la façon dont vous vous comparez aux autres va vous
faire sentir que vous n'êtes pas assez bien. Ce qui n'est pas vrai. Alors
continue d'être toi bb, tu es incroyable. »
#instagramvsreality #socialmediaisnotreallife
#positiveaffirmations #selfempower-ment
Sur cette publication, la jeune femme met en opposition deux
photos d'elle dehors dans un paysage enneigé. Sur la première
intitulée « Instagram », elle porte un chapeau de père
Noël, un manteau rouge et une robe noire ce qui laisse supposer qu'elle
est en train de célébrer les fêtes de fin d'année.
Elle sourit et semble ainsi heureuse. S'il n'y avait eu que cette photo sans la
légende explicative, c'est la représentation que se seraient fait
ses abonnés. Sur la photo de droite nommée «
réalité », elle grimace et se tient dans une position qui
montre qu'elle a froid, on ne voit plus sa robe. A travers cette opposition et
la légende qui l'accompagne (le texte et l'image sont ici
complémentaires), saggysara montre le manque d'authenticité de
certaines publications sur
69
Instagram et la mise en scène. Elle sourit et prend une
pause qui n'est pas naturelle, elle détourne la réalité
(celle d'avoir froid et de se mettre naturellement dans une position pour se
réchauffer), pour se mettre en scène et réaliser une photo
« instagram-mable ». La première photo relève du mode
esthétique, et l'assemblage des deux photos avec la légende en
font une publication relevant du mode sensibilisateur, préventif.
Figure 21 Capture écran d'une publication de
saggysara "good" body photo/"bad body photo" février 2020
Légende : « Pourquoi nous jugeons-nous si
durement ? ça nous est tous déjà arrivé lorsque
nous avons laissé une « mauvaise photo » de changer notre
image. Mais ce à quoi vous ressemblez sur une photo ne devrait pas
changer votre perspective de vous-même. (...) C'est parfois si dur de
s'accepter. (...) En réalité nous sommes des individus si
magnifiquement uniques. Nous ne devrions pas avoir ce besoin de prendre des
« photos parfaites », et quand nous ne les obtenons pas, nous sentir
tristes. Cette pression d'être « parfait » résulte des
choses que nous voyons constamment dans notre société, et
soudainement nous voulons être ce que la société promeut
pour obtenir de l'approbation. Réalisez que les « bonnes photos
» relayées par les médias sont une construction de ce qui
est « censé être beau ». Trouvez l'approbation en
vous-même, votre corps n'a pas besoin d'être « approuvé
par la société ». (...) » #mentalhealthawareness
#effyourbeautystandards #lovewhoyouare #beconfi-
dent #iambeautiful #flawsandall #bodypositive
#nobodyshame
Ici, Sara Puhto confronte une photo intitulée «
bonne photo de corps » sur laquelle elle se tient droite, la tête
légèrement penchée et brandit en souriant une coupe de
champagne, avec une deuxième photo « mauvaise photo de corps »
où elle est assise et semble avoir été prise sur le fait
et est ainsi davantage naturelle. Selon les critères
70
d'esthétisme présents sur Instagram, la jeune
femme y est moins à son avantage. Si l'on fait attention, nous pouvons
même remarquer des traces d'automutilation sur son bras. Saggysara montre
ainsi comment la mise en scène, mais aussi des paramètres comme
l'angle de prise de vue et la lumière peuvent sublimer et transformer
une photo. Elle alerte ses abonnés sur les dessous des photos Instagram,
et les invite à s'accepter tels qu'ils sont et à ne pas rentrer
dans la spirale du culte des « photos parfaites ».
Figure 22 Capture écran d'une publication de saggysara
"naturel"/ "photoshop" Mars 2020
Légende : « Photoshop cause des
insécurités (...) Il est facile de perdre confiance en soi en
comparant son corps à celui de quelqu'un d'autre sur une photo dont on
ne sait même pas qu'elle a été retouchée. (...) Je
ne vais pas mentir, la version de la photo non éditée n'est pas
celle qui me rendait heureuse à propos de mon corps, j'en avais
d'ailleurs honte. Mais j'ai réalisé que ce n'était pas
grave, il s'agit juste de ce à quoi ressemble mon corps sous cet angle
et je peux l'accepter, je n'ai pas besoin d'en avoir honte. Je n'ai pas besoin
de me retoucher ou de paraître d'une certaine manière pour avoir
confiance en moi. Je sais qu'il est impossible pour moi de ressembler au corps
de la version éditée et cela me convient. Je sais que ce la
manière dont mon corps a été construit. Comparer son corps
avec un corps impossible à atteindre est contrepro-ductif et va
seulement vous faire sentir mal. (...) vous êtes dignes, confiants et
beaux. Ne changez pas votre corps, changez votre façon de voir votre
corps.
#photoshop #selfdoubt #forgiveyourself #positiveenergy
#selfesteem #loveyour-
body #iambeautiful #bodypositive #allbodiesaregoodbodies
#instagramvsreality
Saggysara a été à la plage et a
demandé à une tierce personne de la prendre en photo. Elle a
ensuite retouché cette photo en affinant son corps (ses épaules,
son ventre et ses hanches) et l'a publiée à côté de
la photo d'origine. Il semble qu'un filtre ait également
été ajouté car la mer est un peu plus claire sur la
version éditée. La photo retouchée correspond aux corps et
poses que nous avons l'habitude de voir sur Instagram et qui sont mises en
avant et plébiscitées. Sara confie qu'elle aussi doute parfois de
son corps et a du mal à l'accepter. Elle explique sa démarche
d'acceptation de soi et cherche à s'assumer telle qu'elle est. La jeune
finlandaise développe l'une des problématiques rencontrées
par de nombreux utilisateurs sur le réseau social. Ces derniers se
comparent et s'identifient à des corps retouchés, donc
inatteignables même en faisant du sport. Surtout qu'il n'est pas toujours
possible de deviner qu'une photo est retouchée, aucune mention n'est
obligatoire à ce sujet.
La jeune finlandaise explique dans son texte qui vient en
complément de la confrontation des deux photos, que chaque corps est
différent et qu'on ne peut pas tous avoir le même, alors que
justement les utilisateurs cherchent à converger vers un même type
de corps dit esthétique, pour correspondre aux normes sociétales
véhiculées sur Instagram. Les retouches sur Instagram sont un
réel sujet de débat aujourd'hui sur internet. Il y a une prise de
conscience de la part de nombreux utilisateurs ainsi que la volonté
d'avoir accès à un contenu authentique et transparent. Sous les
publications de certaines influenceuses, nous avons constaté des
floppées de commentaires s'in-dignant de l'utilisation de Photoshop. Sur
google se trouve une multitude d'articles concernant des personnalités
accusées de trop retoucher leurs photos, et même des tops 10 des
comptes Instagram les moins authentiques74.
71
74 Nous pensons par exemple à l'article « 10
influenceuses qui ne ressemblent pas du tout à leurs photos Instagram
» publié par madmoizelle en août 2020.
https://www.madmoizelle.com/influenceuses-ressemblent-pas-photos-instagram-1029082
72
Figure 23 Capture écran d'une publication de
saggysara "ce à quoi je ressemble en bikini sur Instagram"/"Ce
à quoi je ressemble en bikini en réalité" Avril
2018
Légende : « (...) Les réseaux sociaux
ne sont pas une version réaliste de nous-mêmes. J'essayais
tellement de ressembler à d'autres personnes sur Instagram dans la vraie
vie, jusqu'à ce que je réalise que vous ne pouvez pas poser et
contracter tout le temps. Personne ne ressemble à ce à quoi ils
ressemblent sur Instagram 24/7. Les photos ne sont qu'une fraction de seconde
de la vie de quelqu'un. Pourtant, nous nous efforçons constamment
d'être ces extraits. (...) Je vois cela dans les commentaires tout le
temps, quand les gens ont des choses normales comme les vergetures, les poils,
la cellulite, la graisse corporelle, les gens commentent instantanément
négativement ces choses. Nous sentons que nous ne pouvons plus
être simplement nous-mêmes. Nous sommes conditionnés
à être si critiques envers nous-mêmes. (...) Je ne comprends
pas pourquoi les gens peuvent être si horribles les uns envers les autres
et eux-mêmes. (...) Ne vous changez pas, surtout pour ressembler à
des mises en scène de la perfection qui n'existent même pas. Ne
vous changez pas pour impressionner les autres, cela n'en vaut pas la peine. Ne
soyez pas si dur avec vous-même. (...) Arrêtons de nous juger les
uns les autres et nous-mêmes pour des choses insignifiantes. Soyez
à l'aise dans votre corps tel qu'il est !! » #mybody #flatstomach
#lo-veyourbody #selfesteem #lawofattraction #thankyourbody #youareworthit
#youareu-nique #flaws #insecurities
Ici, saggysara poste une photo « A quoi je ressemble en
bikini sur Instagram » où elle prend une pose populaire sur le
réseau social (main sur la cuisse et l'autre derrière la
73
tête, jambes écartées pour paraître
plus mince, ventre rentré et posture cambrée), qu'elle confronte
à une photo qu'elle intitule « à quoi je ressemble en bikini
dans la réalité ». Sur cette dernière, sa posture est
plus naturelle et son corps relâché. Au travers de ces deux photos
et de la légende, elle cherche à montrer que les photos ne
représentent pas forcément la réalité, qu'elles
sont sélectionnées parmi une grande quantité de
clichés pris, et que les publications ne sont que des extraits de la vie
des utilisateurs. Ces derniers ne montrent que ce qu'ils souhaitent, et ce qui
les met en avant, en valeur. Nous ne voyons pas et ne pouvons pas imaginer les
coulisses de ces photos et le contexte dans lequel elles ont été
prises. Enfin, tout comme dans notre société, les poils, les
vergetures et la graisse sont jugés non esthétiques notamment
chez les femmes, la jeune finlandaise rappelle que ce sont des
phénomènes naturels et qu'une grande majorité en a aussi,
mais néanmoins fait en sorte qu'on ne les voit pas. Une grande
mobilisation et vague d'appel à s'accepter voit d'ailleurs le jour sur
Instagram ces dernières années.
Nous avons mis en avant ces quatre publications en particulier
car elles couvrent les différentes thématiques que nous voulions
aborder et sur lesquelles saggysara effectue une alerte et de la
sensibilisation. Sur ces publications sélectionnées, la jeune
femme évoque en effet les dérives d'Instagram en se basant sur
son propre vécu : la mise en scène derrière les photos, le
manque d'authenticité, les retouches, la recherche de l'approbation
d'autrui et encourage l'acceptation de soi.
La prévention par l'ironie et la publication de
posts dits non « conventionnels »
Juliette Katz est passionnée par la musique dès
son plus jeune âge. A 16 ans, elle se lance dans une école de
musique et signe quelques années plus tard un contrat avec Universal
Music France. Après avoir sorti son premier single en 2011, un album en
2012, et eu différents projets musicaux, elle se sent à la fin de
sa carrière dans la musique. Elle enchaîne alors des petits
boulots et vit des périodes de chômage. Alors qu'elle se filme en
train de parodier les Youtubeuses beauté pour s'amuser, une amie lui
donne alors l'idée de poster ses vidéos sur Facebook. En 2016
Juliette se crée une page Facebook et Youtube coucoulesgirls où
elle poste un contenu décalé, et se met en scène en
faisant preuve d'auto-dérision et de beaucoup d'ironie. Quelques mois
plus tard, elle se crée un compte Instagram en plus de son compte
personnel, dédié à
74
cet amusement. Les abonnés sont de plus en plus
nombreux jusqu'à être plus de 530 000 en 2020. Juliette fait alors
de sa nouvelle activité son métier. Là où les
instra-grammeurs postent leur petit déjeuner healthy75,
coucoulesgirls se poste compléte-ment décoiffée et mal
réveillée, quand les influenceurs postent des photos d'eux sous
leur meilleur jour, elle montre son double menton et fait une grimace. Juliette
se prend en photo au naturel et se montre sous toutes les coutures.
L'objectif derrière ces publications
décalées ? Dénoncer les standards de beauté
présents sur Instagram. Si autrefois, la jeune femme s'amusait à
imiter les Youtubeuses beauté, les instagrammeurs et influenceurs n'y
échappent pas.
La youtubeuse est également animée par d'autres
combats, le féminisme, le harcèlement en ligne et la grossophobie
en tant que femme en surpoids. Elle a d'ailleurs joué le premier
rôle dans le téléfilm « Moi, grosse ».
Figure 24 Capture d'écran du compte de
coucoulesgirls "Instagram"/"reality" Janvier 2019
Légende : « Instagram VS Reality
»
Ce premier post que nous avons voulu mettre en avant montre
toute l'ironie dont fait preuve coucoulesgirls au travers de ses publications.
Tout comme saggysara, la jeune femme reprend le format « Instagram »
versus « réalité ». Cependant, on ne voit aucune
différence entre les deux photos présentées ci-dessus.
Juliette fait ainsi passer le message qu'elle se montre comme elle est dans la
« vraie vie », sans retouche et artifice. La jeune femme en rit.
75 Nourriture saine et naturelle accompagnée d'un mode de
vie sain, devenu une véritable tendance sur les réseaux
sociaux.
75
Figure 25 Capture d'écran du compte de
coucoulesgirls août 2019
Légende : « Est-il encore nécessaire de
rappeler qu'un corps quel qu'il soit, mérite de ne pas être
photoshopé ? Visiblement oui. »
Suivant la même logique que la publication
précédente, la jeune femme présente deux photos d'elle,
son corps retouché et son corps authentique. A travers ce post,
cou-coulesgirls dénonce les critères de beauté
présents sur Instagram. Nous pouvons d'ail-leurs apercevoir ses
vergetures et sa cellulite, des caractéristiques corporelles qu'on ne
voit que très rarement sur le réseau social tant ils sont
camouflés.
Dans une interview réalisée par
Brut76, la jeune femme se confie sur sa démarche. Elle
explique vouloir casser l'image de la femme parfaite et les injonctions autour
de la beauté : non une femme n'est pas obligée de se maquiller,
non elle ne doit pas souffrir pour être belle, tous les corps sont
acceptables et la différence est belle. Cou-coulesgirls évoque
également les dangers du « culte du parfait » : beaucoup de
jeunes utilisateurs s'identifient aux instagrammeurs et cherchent à leur
ressembler.
Or, les publications de ces derniers étant
généralement retouchées et mises en scène, ils se
confrontent à un idéal inatteignable.
76
https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/video-coucou-les-girls-un-compte-instagram-en-guerre-contre-les-diktats-de-beaute
2976327.html
76
Figure 26 Capture d'écran du compte de coucoulesgirls
au nouvel an 2019
Légende : « En direct de ma meilleure vie pour
le réveillon. Tapez 1 si le vôtre est pareil. Dans le rôle
du canapé le plus confortable du monde (et tout le reste de la
déco) : @madedotcom. Dans le rôle du chien @guizmothethug
»
Alors que la majorité des instagrammeurs se montrent
sous leur meilleur jour, heureux en train de vivre des moments excitants,
coucoulesgirls se montre affalée dans son canapé en pyjama, un 31
décembre. Bien entendu, il est fort probable que la jeune femme ne
passait pas réellement le nouvel an ainsi et qu'il s'agissait d'une
blague. Quoi qu'il en soit il est peu courant de voir des influenceurs se
montrer ainsi. La jeune femme apporte une touche d'humour et ne se prend pas au
sérieux. Nous pouvons constater qu'elle conserve la même ligne
éditoriale pour effectuer des partenariats, puisque cette publication
est en lien avec la marque de décoration Madedotcom.
Figure 27 Capture d'écran du compte de
coucoulesgirls en Belgique, Juin 2019
77
Légende : « Hier j'étais en direct de
Washington à côté du Lac Leman devant la Joconde »
La publication ci-dessus est totalement ironique tant au niveau de la
photo que la légende et la localisation. Cette dernière indique
la Grèce, la légende Washington et la Joconde, tandis que la
photo a été prise en Belgique devant le Manneken-Pis.
Coucoulesgirls poste devant la statue en faisant une grimace et imite la
célèbre pose que font les touristes devant les monuments quand
ils se prennent en photo. C'est justement par les grimaces et la parodie, ses
deux marques de fabrique, que la jeune femme dénonce les diktats de la
beauté. Elle détourne les standards de publication et met en
ligne sur le réseau social un contenu non conventionnel. Cou-coulesgirls
alerte ainsi indirectement sur un problème de société
lié à l'injonction de la beauté (notamment auprès
des femmes), et bouleverse les critères esthétiques. Elle montre
ce qui ne faut habituellement pas montrer sur Instagram.
Figure 28 Capture d'écran du compte de
coucoulesgirls posant nue, Juillet 2020
Légende : « Une semaine et 150 000 likes
après, ces photos ont été supprimées pour cause
d'« actes sexuels ». 4 ans que mon compte Instagram existe, 4 ans que
je poste des photos de moi nue, 1ère fois que cela arrive.
Est-ce le petit bout marron de mon téton qui est considéré
comme un « acte sexuel » ? Ma peau trop présente ou encore le
fait que mon corps prenne trop de place en photo ? C'est vrai quoi, un corps nu
ça dérange mais vidéos/photos/commentaires qui incitent
à la haine, la violence, qui discriminent... Ce n'est pas bien grave.
Où avais-je la tête ? »
Coucoulesgirls pose nue et publie des photos de son corps
où elle se trouve jolie afin de s'accepter telle qu'elle est. Dans de
nombreuses interviews, elle explique le faire pour elle et insiste sur le fait
de ne faire aucune retouche. Elle montre son corps de manière
authentique. Les posts de nu lui permettent de s'assumer et de prendre
78
pleinement conscience de son corps de femme, et d'aider les
autres utilisateurs à faire ce dont ils ont envie. Il s'agit en
réalité d'un re-post puisque la jeune femme avait
déjà posté cette photo qui a été
censurée par Instagram (d'où la présence d'un carré
flou pour ne pas montrer l'entièreté de sa poitrine). Elle
critique Instagram qui censure des corps nus mais ne réagit pas assez au
harcèlement en ligne et laisse passer des commentaires haineux et du
contenu insultant. La trentenaire fait également référence
à son poids et questionne le fait que les corps des personnes en
surpoids soient généralement davantage censurés, ce qui
est une réalité. Ce phénomène s'explique par
l'algorithme d'Instagram qui supprime les photos en calculant automatiquement
le pourcentage de peau découverte. Au-delà d'une certaine limite
le contenu est classé comme pornographique. Les utilisateurs de grandes
tailles se voient ainsi davantage sanctionnés. L'algorithme du
réseau social est discriminant.
Nous avons choisi ces diverses publications qui ne sont que
quelques-unes parmi tant d'autres intéressantes à étudier,
pour leur diversité. Tantôt la jeune femme alerte les autres
utilisateurs des dérives d'Instagram en postant des photos d'elle dans
un contexte décalé et en faisant des grimaces, tantôt elle
est davantage sérieuse et aborde de réelles questions autour de
la représentation du corps féminin et de la grossophobie sur le
réseau social, mais dénonce également toutes les mises en
scène derrière les publications.
En janvier 2020, Juliette Katz s'est créé un
nouveau compte Instagram intitulé « cou-coulescons » qui
cumule un peu plus de 30 000 abonnés.
Elle y poste les nombreux commentaires insultants qu'elle
reçoit, afin de dénoncer le cyberharcèlement qui a lieu
sur Instagram.
Elle le décrit comme « Un compte de
dénonciation qui témoigne de la violence (en toute
impunité) de ce que je reçois quotidiennement », des
commentaires rabaissant, grossophobes. » La trentenaire
souhaite montrer la violence de ce type d'agressions en ligne et partage
maintenant également des messages que d'autres utilisateurs ont
reçu et qu'ils lui partagent.
79
Figure 29 Commentaire qu'a reçu coucoulesgirls,
partagé sur son compte cou-
coulescons
La jeune femme met en lumière les messages
désobligeants qu'elle reçoit de la part d'utilisateurs
cachés derrière leur écran. En commentaires, les
abonnés de ce nouveau compte réagissent en s'indignant de la
cruauté.
La prévention par la création d'un
mouvement
Louise Aubery est étudiante à Sciences Po Paris.
En dehors de ses cours, elle est Youtubeuse et créatrice de contenu sur
les réseaux sociaux.
En 2016, la jeune femme âgée de 18 ans se
crée en plus de son compte personnel (ouvert en 2013), un compte
Instagram nommé « mybetterself ». Elle y partage des conseils
santé et fitness. Au fils des mois, elle se rend compte que
malgré le fait qu'elle soit mince (voire très mince), elle ne se
sent pas à l'aise dans son corps et ressent le besoin toujours de mincir
et de se muscler davantage. Un déclic a lieu et la jeune femme
décide de communiquer sur les injonctions que subissent les femmes,
autour du poids mais pas que. Aujourd'hui, elle a gagné en kilos et en
confiance en elle. Mybetterself n'est plus un compte où elle partage ses
conseils sportifs, mais un espace où elle partage ses idées sur
le féminisme, la représentation des femmes sur les réseaux
sociaux et les dérives d'Instagram, et encourage les femmes à
prendre le pouvoir de leur vie. Elle s'exprime ainsi notamment sur les sujets
de société auprès de sa communauté de plus de 395
000 abonnés, de laquelle elle est très proche.
Tout comme Louise, Julie Bouges est Youtubeuse et
créatrice de contenu. En 2013, alors qu'elle a 16 ans, elle participe
à un carnaval qui tourne au drame. Son costume
80
prend feu et elle est emmenée en urgence à
l'hôpital où elle sera plongée dans un coma artificiel
durant trois mois. A son réveil, la jeune fille se rend compte que son
corps est brûlé à 40% et doit réapprendre à
manger, boire et se déplacer. Un an après son accident, elle
ouvre un compte Instagram appelé « Douze février » en
rapport à la date auquel ce dernier a eu lieu. Elle y partage dans un
premier temps son histoire puis s'étend à partager de la
positivité et à s'exprimer sur des faits de société
à sa communauté de 506 000 utilisateurs.
En mai 2019, Mybetterself publie une photo (voir en annexes)
avec l'instagrammeuse « Pausitiveworld » qui est en surpoids. Toutes
les deux sont en sous-vêtements et tiennent une pancarte sur laquelle est
écrit « All bodies are good bodies » soit « Tous les
corps sont des bons corps ». A la suite de ce post, Louise est
retirée de la liste d'invités d'un voyage presse auquel elle
devait participer. Elle comprend que ses valeurs ne correspondent pas à
l'entreprise avec laquelle elle devait partir et décide quelques jours
après, de poster une photo d'elle seule en sous-vêtement, sans
artifice et en ne posant pas (voir annexes). Elle tient à nouveau une
pancarte avec le message « #OnVeutDuVrai » et lance un hashtag
appelant à faire de même. Elle explique en légende de la
publication qu'elle en a assez de ne voir sur Instagram que des photos qui font
complexer. Elle appelle ses abonnés à créer un mouvement
pour provoquer un changement et contrer les publications des marques,
médias et publicités qui ne mettent en avant qu'un seul type de
physique.
Julie Bourges rejoint rapidement l'initiative. Sur son compte
Douzefévrier elle publie une photo similaire avec une légende
appelant à briser les codes et les stéréotypes. Fin mai
2019, les deux jeunes femmes décident ensemble de créer le compte
Onveut-duvrai ayant pour devise « Pour que les réseaux sociaux nous
fassent sentir bien ». Un peu plus d'un an après, ce compte est
suivi par 36 600 utilisateurs d'Instagram. Pour alerter et sensibiliser, Louise
et Julie y partagent des publications publiées par leurs abonnés
avec l'hashtag #OnVeutDuVrai, des illustrations sensibilisatrices
créées
81
par divers comptes, créent elles-mêmes leur
propre contenu et partagent les initiatives de certaines Influenceuses
(toujours en écrivant leur propre texte comme légende).
Figure 30 Capture écran d'une publication sur le
compte on- veutduvrai montrant une photo de roro_le_costaud
Légende : « #OnVeutDuVrai, c'est ça. Ce
sont des personnes de tout bord, de tous horizons, de tout sexe. Ce sont des
personnes, qui ont connu des épreuves plus ou moins difficiles, mais qui
se battent pour s'en sortir. Ce sont des personnes vraies, authentiques, qui
ont réalisé que leur soi NATUREL était plus que suffisant.
Et qu'il fallait en être fier.e. Ces personnes, en fait, c'est vous. Et
avec Julie, qu'est-ce qu'on est fières de vous. »
#OnVeutDuVrai #PhenixArmy #MyBetterSquad
Cette publication est un partage d'une photo de Romain alias
roro_le_costaud qui a suivi le mouvement lancé par Louise et Julie.
Cette publication est intéressante à étudier car c'est la
première à représenter un homme. Suite à un
accident de ski ce dernier est tétraplégique et se déplace
en fauteuil roulant. Celui qui était autrefois pompier présente
aussi une légère dépigmentation de la peau au niveau des
bras. Ici Instagram est utilisé pour partager l'histoire d'un homme qui
a rencontré une épreuve douloureuse dans sa vie et qui partage de
manière authentique une grande positivité et des messages
d'encouragements auprès de sa propre communauté. Dans un univers
basé sur l'image, le handicap était jusqu'à ces deux
dernières années peu représenté. Cette publication
renforce le mouvement visant à briser la représentation du
handicap sur Instagram et montre une diversité des utilisateurs, et
ainsi des histoires et des corps.
82
Figure 31 Capture écran d'une publication sur le
compte onveutduvrai partageant une photo publiée par
jujufitcat
Légende : « BRAVO et MERCI à
jujufitcats d'utiliser les réseaux sociaux comme on aimerait qu'ils
soient : pour qu'ils nous fassent du bien. Avouez, on se sent beaucoup mieux
avec ce genre de photos sur notre feed, non ?! #OnVeutDuVrai »
Justine Becattini alias jujufitcats est une Youtubeuse et
créatrice de contenu spécialisée dans le fitness, qui
prône l'acceptation de soi. En mai 2019, elle partage deux photos d'elle
mises côte à côté, dont l'une laisse apparaître
sa cellulite. Suivie par plus de deux millions d'utilisateurs, elle lève
le tabou sur un phénomène naturel en montrant que même une
grande sportive peut avoir de la cellulite. Selon la position du corps, l'angle
et la lumière d'une photo cette dernière est visible ou non.
Le compte onveutduvrai a reposté cette publication que
ses deux gérantes trouvent positive et utile pour rappeler que la
cellulite, les boutons et les vergetures (tous largement
considérés comme des imperfections) sont normaux et
présents chez de nombreuses personnes bien que camouflés sur
Instagram.
83
Figure 32 Capture d'écran d'une publication du
compte onveutduvrai / août
Légende : « Tu es là. Plongée
dans les réseaux. Tu es là et tu vois tout. Les Kylie Jenner. Les
Nanas de télé-réalité. Ces corps passés sous
les couteaux de la chirurgie. Ces photos parfaitement photoshopées. Et
toutes les marques qui savent si bien le gérer. Tu vois chaque jour ce
que tu n'atteindras jamais. Tu vois chaque jour tout ce qui est fait pour te
faire complexer. Tout ce qui est fait pour te faire croire que tu n'es pas un
idéal de beauté. S'il te plaît ne crois pas en cette fausse
réalité. Le virtuel c'est facile tu sais. Aujourd'hui on peut te
faire croire ce qu'on veut, avec n'im-porte quoi. Et je vais te dire... La
vérité c'est qu'on y a tous accès. C'est tellement facile.
On nous met à disposition des outils qui ne nécessitent
même plus d'être professionnels pour retoucher une photo. Tant
c'est devenu à la mode... À la mode d'être faux. Un simple
coup sur Facetune permet de blanchir les dents. Un autre permet de masquer la
cellulite, les vergetures, les cicatrices, les boutons. Tandis que le dernier
sert à réduire la taille des cuisses ou la largeur de ton ventre.
Ne crois pas tout ce que tu vois. Tu sais la beauté est partout autour
de toi. Tout ça, c'est les diktats de la société. Et les
stéréotypes des réseaux sociaux. Faits pour te donner une
fausse idée de toi. Faits pour te faire dépenser et acheter, ce
corps que tu n'auras jamais. Ne te laisse pas avoir. Ouvre les yeux... Et
dis-moi, dans la rue, combien de femmes vois-tu comme ça ? Nous sommes
là tu sais. Tout autour de toi. Et nous sommes comme toi. Nous aussi
nous avons nos complexes. Nous sommes grandes, petites, minces, maigres,
rondes, brunes, rousses, blondes, chauves. Nous connaissons les cuisses qui se
touchent autant que celles qui ne se
84
touchent pas. Nous avons toutes nos complexes. Un nez
qu'on trouve tordu, des dents qu'on trouve trop grandes, de la cellulite, un
double menton, des vergetures, des poignets d'amour. Nous sommes joyeuses,
tristes, spontanées, impulsives, créatives, idéalistes.
Nous sommes des femmes. Des vraies. Celles auxquelles tu peux t'identi-fier.
Promets-moi de ne plus te tromper. » Julie #onveutduvrai
Julie alias Douzefévrier a créé cette
illustration portée sur la comparaison, qu'elle a posté sur son
compte Onveutduvrai et qu'elle accompagne d'un texte portant un discours sur la
diversité des corps. Elle évoque la retouche comme une «
fausse réalité » et explique qu'il ne faut pas se comparer
à ce à quoi on ne peut pas ressembler, d'au-tant plus que chacun
est unique et ne devrait pas ressentir ce besoin. Son message fait écho
à la sortie du schéma traditionnel de la photographie et l'apport
des filtres par Instagram et les autres applications de retouche qui ont suivi.
Il invite à se détourner des codes de publications et à
s'identifier à la communauté #Onveutduvrai plutôt
qu'à des comptes Instagram non authentiques et transparents.
Figure 33 Capture d'écran d'une illustration
réalisée par le compte miss_happy_c partagée par le compte
onveutduvrai / Janvier 2020
Légende : « Évidemment qu'on a une
vision déformée de notre corps. Depuis notre enfance on a eu
droit à Barbie et aux mannequins maigres comme référence
de ce que la société appelle « norme » et
définit comme « attirants ». Évidemment qu'on a des
troubles du comportement alimentaire quand on nous a vanté depuis 20 ans
le mérite des diètes et régimes, ces pancakes sans
goût, ces shakers dégeulasses.
85
Évidemment que le reflet du miroir est une torture
quand à coup de Photoshop on nous fait croire que les gens « sains
» n'ont pas de cellulite ou de stretch marks ou de cicatrices ou
même de grain de peau. Évidemment. Ne nous étonnons pas de
l'héca-tombe. Sous couvert de nous « inspirer » les marques,
les magazines, les réseaux continuent de projeter cette vision
déformée d'un corps idéal. Mais tu sais ce que c'est le
corps idéal ?! Celui qui a vécu. Celui qui porte les traces de la
vie, celui qui change, celui qui n'est pas lisse, et par dessous tout, le corps
idéal c'est TOI qui le définit. Et ce qui m'inspire ? Le VRAI. Je
ne veux pas du parfait, je veux la réalité, le bon angle et
l'angle mort, je veux des DES corps, de la diversité, et encore plus :
des gens qui rayonnent peu importe leurs corps. La RÉUSSITE m'inspire.
Le DÉPASSEMENT de soi m'inspire. La perfection m'emmerde. Ce post
c'était juste pour vous dire: 1) vous n'êtes pas seul(e)s. 2) ce
n'est pas de votre faute donc arrêtez de culpabiliser. 3) on continue le
combat pour s'accepter et pour une meilleure représentation de tous les
corps. On veut du vrai ! »
Cette image représentant une barbie avec de la
cellulite a été réalisée par le compte danaemercer
et partagée par onveutduvrai. Les barbies étant des jouets avec
lesquels les enfants et notamment les petites filles jouent, des normes
physiques et des codes esthétiques sont inculqués dès
l'enfance. Les barbies ont des mensurations irréalistes ne
représentant pas la réalité du corps féminin et ne
présentant aucune « imperfection ». Ainsi, ajouter de la
cellulite à une barbie est un message fort qui a pour objectif de mettre
fin aux diktats de la beauté. En complémentarité, la
légende de la publication véhicule elle aussi un message fort en
rapport à la standardisation des normes de beauté dans la
société, et l'industrie qui s'enrichit sur les
insécurités des femmes. Véritable coup de gueule, ce texte
n'épargne pas Instagram puisque le réseau social participe
largement à la standardisation d'un corps idéal.
Les deux jeunes femmes partagent leur point de vue sans tabou
sur ce qui aujourd'hui est un phénomène de société
et qui est l'une des grandes problématiques d'Instagram.
Ainsi le compte onveutduvrai a été
créé suite à l'annulation d'un voyage de presse auquel
Louise Aubery devait participer. La jeune femme a été
désinvitée à la suite d'une publication postée sur
son compte Mybetterself où elle était en sous-vêtement au
côté d'une femme en surpoids. Rejointe par Julie Bourges, elle a
alors lancé un mouvement prônant l'authenticité et la
diversité des corps sur Instagram. Les
86
thématiques abordées sur Onveutduvrai ont
également rapport au féminisme et à la place des femmes
dans la société et par écho sur Instagram.
Comme pour les précédents comptes, nous avons
sélectionné ces quatre photos pour la diversité des points
de vue traités, des messages et des supports (deux photos et deux
illustrations). Vous trouverez davantage de publications en annexes.
Caractéristiques et résultats de la
prévention
Les échecs et difficultés de la
prévention
Des utilisateurs passent à côté
du discours d'alerte d'Essena O'Neill
L'alerte effectuée par Essena O'Neill par un changement
de ses légendes amenant à une confrontation du rapport
texte/image a résonné auprès de ses abonnés et de
milliers d'utilisateurs. La prévention est d'autant plus forte qu'elle a
été l'une des premières à mettre en avant les
dérives d'Instagram. De plus, les personnes qui suivaient la jeune femme
sont notamment des jeunes en pleine construction d'eux-même, qui
pouvaient avoir pris l'influenceuse comme modèle pour la
représentation que cette dernière véhiculait.
La jeune femme est sortie des codes présents sur
l'application pour redéfinir un nouvel espace de communication avec de
nouvelles contraintes. Malgré le décalage entre les photos, nous
avons constaté que certains utilisateurs passent totalement à
côté du discours de prévention et d'alerte en continuant de
commenter les publications par de nombreux compliments sur son physique (que
vous trouverez en annexes).
Des messages comme « tu es vraiment trop belle et
magnifique, je rêve d'être comme toi » montrent que
certains utilisateurs s'arrêtent aux photos et ne lisent pas les
légendes, donc n'ont pas compris le message transmis par la jeune femme
et ont mal interprété sa démarche. Ces utilisateurs ne
respectent pas l'espace de communication redéfini par la jeune femme. Il
y a ainsi un décalage étonnant entre le discours de la
publication et certains commentaires, ces utilisateurs ont le comportement que
la jeune femme dénonce. Cet exemple nous amène à nous
demander si Instagram en tant que média n'est pas l'énonciateur
et crée l'espace de communication. Il n'y aurait pas plusieurs espaces
de communication mais un seul espace engendré par Instagram.
87
Cette réflexion nous amène également
à nous demander si les utilisateurs suivent une personne sur Instagram
pour son contenu ou pour ce qu'elle est. Ici, trop habitués à un
type de contenu, certains utilisateurs passent à côté du
message de la jeune femme.
EssenaO'Neil, accusée d'avoir voulu faire le
buzz
La démarche de la jeune femme en dehors d'Instagram,
n'a pas été acceptée par tous. L'ancienne influenceuse a
par la suite créé un site internet « Let's be game
changers »77 de type blog, ayant pour objectif de
dénoncer les dérives des médias sociaux, d'informer, et de
se reconnecter à la « vraie » vie, tout en proposant des
discussions autour de ses nombreux centres d'intérêts. Dessus se
trouvait une catégorie « support me » supprimée par la
suite, proposant aux gens de lui faire des dons pour qu'elle puisse continuer
à vivre et à proposer un nouveau type de contenu. Elle est alors
accusée de mener une stratégie marketing et de vouloir susciter
le buzz. Quelques mois après son lancement, le site internet est
désactivé subitement alors que des personnes avaient
effectué un don. Ce qui est considéré par certains comme
du vol.
De plus, de nombreux utilisateurs mettent en évidence
le paradoxe que nous avons développé dans la partie
précédente, à savoir que la jeune femme se sert
d'Instagram pour dénoncer Instagram, tandis que d'autres critiques sont
tournées vers la promotion de son nouveau site internet, et le fait que
l'influenceuse n'a jamais été aussi
médiati-sée.78
Figure 34 Capture d'écran 1 d'un tweet critiquant la
démarche d'Essena O'Neill Source : compte Twitter d'Ophélie
Duvillard via un article de L'express
77 Le site n'est plus accessible aujourd'hui.
78
https://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/instagram-la-strategie-bien-ficelee-d-essena-o-neill
1732544.html
88
Figure 35 Capture d'écran 2 d'un tweet critiquant la
démarche d'Essena O'Neill Source : compte Twitter d'Olivier Clairouin
via un article de L'express
La jeune femme a recréé un site internet
nommé « authority within »79 afin de partager ses
opinions sur divers sujets, des essais sur le néolibéralisme, aux
podcasts, en passant par le partage de photos au design particulier. Essena
s'est également réinscrite sur Twitter, Tumblr et Pinterest, et a
changé son comportement sur les médias sociaux. Elle ne met plus
sa vie en avant mais s'en sert plutôt pour partager des opinions et
réflexions. Dans un échange vidéo avec la Youtubeuse
Tiffany Ferb80 elle explique n'avoir finalement pas
réinstallé Instagram et que les réseaux sociaux ne sont ni
bons ni mauvais, que tout dépend de l'utilisation que l'on en fait.
Coucoulesgirls : quand l'on est soi-même
victime de ce que l'on dénonce
Dans le livre qu'elle a écrit intitulé «
T'es bonne bébé ! », coucoulesgirls revient sur son parcours
et témoigne de son expérience sur Instagram.
« Pour être honnête encore une fois,
parfois je poste des photos pour venir rassurer mon manque d'amour en moi, ou
juste parce que j'ai envie qu'on me dise que je suis belle. Mais ça,
ça relève encore du regard des autres, de leur approbation, et
d'un besoin d'exister aux yeux des autres... ce qui est très paradoxal.
(....) Rentrer dans la vie des gens sur Instagram ou partout ailleurs, n'est
pas très compliqué, il suffit de deux clics pour avoir
accès à l'autre. (...) Mais n'oublions pas que c'est purement du
voyeurisme de notre part, que l'autre met en place et que nous validons. »
(Juliette Katz, 2019, p.133)
79 https://www.authoritywithin.com/
80
https://www.youtube.com/watch?v=Ce5kkO
urHE
89
La trentenaire confie qu'elle-même a un rapport parfois
compliqué avec Instagram, et fait face à certaines
problématiques que nous avons développées dans la partie
« Ins-tagram et les réseaux sociaux, reflets des
problématiques contemporaines ». Ce qu'elle livre dans cet
écrit est en contradiction avec son discours et sa position
affirmée sur son compte coucoulesgirls. La jeune femme dénonce ce
dont elle-même est victime et alerte des dangers d'Instagram sur la
santé mentale, mais trouve en ce média un moyen de se sentir
aimée et de combler un manque. Elle parodie le comportement de nombreux
utilisateurs et notamment les Youtubeuses beautés et influenceurs, alors
que peut-être, elle ressent le même besoin qu'eux.
Nous observons également que certaines de ses
publications sont beaucoup travaillées et relèvent d'un effort de
mise en scène. Nous ne pouvons pas savoir combien de photos la jeune
femme a prises avant d'en poster une, nous n'avons pas accès à
l'en-vers du décor de ses publications, mais nous pouvons
néanmoins constater qu'elle produit un contenu atypique en contradiction
avec les standards de publication présents sur le réseau social,
et se tourne en auto-dérision.
La jeune femme réalise une mise en scène
quotidienne d'elle-même en suivant une ligne éditoriale
tournée autour de l'humour, peut-être pour elle une manière
de se libérer. Par la parodie et l'humour, coucoulesgirls alerte les
autres utilisateurs des dérives d'Instagram, mais c'est aussi un moyen
pour elle d'y trouver une place.
La mise en scène de soi pour
alerter
Les quatre comptes que nous avons sélectionnés
dénoncent les dérives d'Instagram et alertent les autres
utilisateurs sur ces thématiques. Parmi elles figurent la question de
l'authenticité et de la mise en scène. A cette fin, la
finlandaise Sara Puhto effectue de nombreuses confrontations de son corps
version « Instagram » et version « réalité ».
Les photos associées au réseau social sont esthétiques et
travaillées tandis que les photos représentant la
réalité sont davantage naturelles et ne répondent pas aux
standards de beauté. Cependant, il est intéressant de noter que
nous ne connaissons pas la façon de faire de la jeune femme. Se
prend-elle en photo en prenant une pose particulière pour Instagram,
puis ensuite relâche son corps et se prend en photo sans poser pour
représenter ce qui est supposé être la
réalité ? Ou bien, les différentes photos sont prises
à la suite sans arrière-pensée et classées ensuite
dans la catégorie « instagrammable » ou non ? Dans le premier
cas, la jeune femme se met elle-même
en scène pour alerter les autres utilisateurs à
propos de la mise en scène sur Insta-gram. Elle même choisit les
photos qu'elle va mettre en confrontation. Comment être certains que les
photos qu'elle juge non conformes au média social ne sont pas elles
même sélectionnées, et qu'elle choisit celle avec laquelle
elle se sent le plus à l'aise ? Rappelons qu'à ses débuts,
la jeune femme publiait des photos de son corps musclé, en adoptant
certains angles de vues et poses particulières et populaires. Ce n'est
que par la suite qu'elle se confie sur les injonctions qu'elle ressent
vis-à-vis des standards et des critères de publication. Nous
pouvons nous demander aujourd'hui si elle est réellement sortie de ce
schéma-là.
Parmi les publications que nous avions
sélectionnées de saggysara, cette dernière en avait
publié une « Instagram » versus « réalité
» dans son jardin en plein hiver pour montrer que la réalité
est qu'elle avait très froid et que la photo pour le réseau
social n'était donc pas authentique. Quatre jours avant, la jeune femme
a publié une photo qui semble issue de la même séance
photo. Elle y souhaite un joyeux Noël à ses abonnés et
sourit dans son jardin enneigé. Quand l'on compare cette publication
à celle publiée quelques jours après et sa légende,
nous comprenons que la jeune femme s'est mise en scène dans cette
publication, ce qui est assez surprenant étant donné que c'est ce
qu'elle dénonce et un sujet sur lequel elle alerte les autres
utilisateurs.
Figure 36 Capture d'écran du compte de saggysara
décembre 2018
90
Légende : « Joyeux Noël. Bonnes vacances !!!
J'espère que vous passez tous un
91
super Noël et mangez plein de délicieuses
choses et que vous passez du bon temps avec vos amis et votre famille. Je vous
aime et apprécie !
#merrychristmas #happyholidays #eatallthefood #thiccmas
#gettingfestive
Nous pensons également aux publications de
Coucoulesgirls, qui elle aussi se met en scène pour faire rire ses
abonnés et passer des messages.
L'apparition d'un paradoxe
général
Etudier ces comptes de prévention qui alertent les
utilisateurs des dérives et dangers d'Instagram, nous a amené
à constater un paradoxe. En effet, il est assez contradictoire
d'utiliser Instagram comme plateforme de dénonciation et d'alerte au
sujet du réseau social lui-même. Les dangers de ce média
social sont ainsi évoqués sur Insta-gram par des utilisatrices
qui l'utilisent au quotidien. En cela, les comptes de prévention
détournent le réseau social et son objectif initial. Instagram
impose un certain cadre de communication que ces comptes cherchent à
contourner, parfois en vain comme nous l'avons évoqué au travers
du cas d'Essena O'Neill.
Nous pouvons ainsi nous demander si le réseau social
n'est pas un seul espace de communication, et remettre ainsi en doute
l'existence de multiples espaces de communication sur la plateforme.
Ainsi, des personnalités suivies sur Instagram
avertissent leurs abonnés sur les dangers des réseaux sociaux qui
les ont pourtant faits connaître et grâce auxquels elles vivent
principalement aujourd'hui. C'est le cas notamment de coucoulesgirls,
Douzefévrier, mybetterself (dans une moindre mesure puisqu'elle est
encore étudiante), Essena O'Neill (qui s'est lancé dans des
études et qu'elle a ensuite arrêté au profit de son nouveau
site) qui sont dépendantes d'Instagram par leur activité sur
cette plateforme, génératrice d'un revenu. Nous avons
constaté également que se montrer sans filtre, sans artifice et
sans retouche devient de plus en plus populaire.
Nous pensons directement aux hashtags #nofilter ou
#iwokeuplikethis81 qui ont pour objectif d'indiquer à ses
utilisateurs que la photo n'a pas été retravaillée et
qu'elle est authentique.
81 Ce hashtag lancé par la reprise des
paroles de Beyoncé dans sa chanson « Flawless » avait
originairement pour objectif de lutter contre les injonctions de beauté
qui pèsent sur les femmes, en les invitant
92
Mais cette nouvelle tendance ne représente-elle pas
elle aussi une dérive ? N'est-ce pas un nouveau moyen de se montrer et
de se mettre en avant ?
Néanmoins cette prévention est une très
bonne initiative de la part de ces utilisatrices très présentes
sur le réseau social qui font passer des messages importants et
bienveillants à leur communauté « En
désacralisant les stars du net et en incitant les utilisateurs à
s'apprécier et à se montrer tels qu'ils sont et non tels qu'ils
aimeraient être, les influenceurs ont une chance de devenir ce qu'ils ne
faisaient qu'aspirer à passer pour : des leaders d'opinion respectables
et respectés, capables de bouleverser les normes établies.
» (Marchand, 2016, p.131)
Conclusion : évaluation de la démarche
Nous avons parfois remis en question notre démarche et
avons fait preuve d'adapta-tion au cours de ce travail de recherche en fonction
de l'évolution de notre réflexion. Dans un premier temps, nous
sommes partis d'une thématique très large qu'il a alors fallu
recadrer. De plus, nous avons dû réorienter l'angle de ce
mémoire car il est impossible à notre niveau de répondre
de manière formelle à la problématique d'Insta-gram en
tant que monde de l'illusion et d'affirmer pleinement la véracité
de ses dérives qui restent de l'ordre des expériences et
ressentis personnels.
Concernant l'articulation de ce mémoire, deux
possibilités s'offraient à nous : mixer la partie sur les
problématiques et dérives d'Instagram (chapitre 2) en la reliant
à la prévention effectuée par les différents
comptes (chapitre 3), ou les séparer en parties bien distinctes. Nous
avons opté pour la séparation mais sommes conscients des
potentielles répétitions engendrées. Toutefois nous avons
souhaité, après avoir réalisé un cadrage
théorique sur les réseaux sociaux puis sur Instagram,
développer l'origine de la prévention afin d'expliquer ce besoin
et sa genèse. Cet acheminent nous a semblé pertinent et
cohérent pour une bonne compréhension du travail qu'effectuent
les comptes sélectionnés avant même d'étudier les
moyens utilisés.
à se montrer au naturel. Aujourd'hui de nombreuses
utilisatrices utilisent ce message alors qu'elles sont maquillées
discrètement et qu'elles se mettent en scène. De nombreux
articles donnant des conseils pour réussir ce type de photos se sont
propagées sur internet. Ils conseillent tel masque à appliquer la
veille pour ne pas avoir l'air trop fatigué le lendemain, et d'autres
préparations qui dénaturent le message original de ce hashtag.
93
Nous avons constaté que les ouvrages et articles
scientifiques sur la thématique de notre mémoire sont encore
généralement centrés sur les réseaux sociaux en
général ou sur Facebook. Il y a ainsi encore peu de travaux
basés uniquement sur Instagram. D'où une nécessité
d'effectuer une sélection et un recentrage sur Instagram, ainsi que
d'avoir recours parfois à des sources moins scientifiques.
Enfin, si nous étions persuadés d'obtenir au
moins une réponse de la part des gérantes des quatre comptes
sélectionnés, ce ne fut pas le cas. Nos messages sur Instagram et
mails semblent ne pas avoir suscités leur attention et s'être
noyés dans la masse. Toutefois, ce n'est pas dommageable pour notre
travail de recherche, car il s'agissait d'avoir un complément sur des
informations déjà accessibles. Pour autant cela aurait
été enrichissant d'obtenir au-delà de leur discours, des
ressentis personnels sur leur activité de prévention.
Conclusion : résultats
Malgré certaines croyances, beaucoup de réseaux
sociaux se sont succédés et Face-book n'était pas le
premier. Leur apparition a marqué un tournant en permettant à des
personnes lambdas de prendre la parole dans l'espace public et de
détourner les médias traditionnels. La liberté
d'expression se trouve ainsi facilitée et enrichie. Face à une
concurrence accrue, certains réseaux sociaux ont disparu au profit
d'autres qui se sont développés jusqu'à devenir de
véritables puissances économiques.
Nous l'avons vu, Instagram s'est démarqué en
innovant et lançant un concept basé sur le visuel, dans une
société où l'image est importante. L'application mobile
créée par Kevin Systrom a développé la pratique de
la phonéographie et a popularisé l'ajout de filtres,
entraînant une sortie du schéma traditionnel de la photographie.
Très vite, Instagram a connu un succès fulgurant et ses millions
d'utilisateurs se sont appropriés les codes de l'application. Les normes
qui y sont présentes seraient le reflet de notre société
actuelle, auxquelles le réseau social répond en s'adaptant et en
proposant de nouvelles fonctionnalités allant dans ce sens. Certains
utilisateurs désapprouvent la standardisation des critères de
publication et toutes les dérives relatives à ce média
social qui devient un terrain publicitaire, entraîne une addiction,
pousse à la
94
comparaison et à la conformité de normes
esthétiques etc. Les usagers sont en effet de plus en plus nombreux
à ressentir des émotions négatives et de
l'anxiété en rapport avec leur activité sur Instagram.
Même le réseau social est conscient de ses dérives puisque
ses dirigeants se sont exprimés à ce sujet et ont agi en
conséquence en adoptant de nouvelles règles.
En réponse, certains comptes se démarquent et
dédient une partie de leur activité à alerter leur
communauté, c'est-à-dire les autres utilisateurs, des dangers
d'Instagram sur la santé mentale. Cette prévention est
effectuée par divers moyens : le détournement du rapport image
(photo) et texte (légende), la comparaison de photos insta-grammables et
de photos davantage naturelles, l'ironie et la sortie des schémas de
publication traditionnels et la création d'un mouvement incitant
à l'authenticité et à la transparence. La
prévention de ces comptes tenus ici par des femmes connues sur le
réseau social est cruciale car elle peut permettre de faire
évoluer les normes et bouger les lignes. Toutefois, cette alerte
soulève un paradoxe, cette sensibilisation critique vis-à-vis
d'Instagram est réalisée sur le réseau social
lui-même. Les cinq jeunes femmes ont une certaine sensibilité sur
ce sujet, puisqu'elles-mêmes ont été victimes de ces
dérives et en ont ressenti les effets négatifs. Certaines
dénoncent ce qu'elles subissent encore sur Instagram. Ce positionnement
en tant que leadeuses d'opinion et lanceuses d'alerte est aussi un moyen pour
elles d'exister et de trouver une place sur le réseau social. Elles
appellent à revenir à la genèse d'Instagram et
l'activité qu'il y avait à sa création, avant que celui-ci
ne se transforme en plateforme publicitaire et espace codifié et
normatif.
Ces comptes d'alerte appellent à un retour à
l'authenticité et à l'acceptation de soi et ainsi à sortir
du fantasme pour un retour à l'humain. Cet appel à renouer
à la nature humaine et ses imperfections est encouragé par ces
comptes, et devient un phénomène qui connaît une hausse de
popularité et une nouvelle mode sur Instagram. Est-ce la future nouvelle
tendance d'Instagram de se montrer sans filtre et sans tabou ? En contournant
les codes instaurés, ces comptes de prévention ne risquent-ils
pas d'en créer de nouveaux orientés vers une authenticité
mise en scène ? Ne risquent-ils pas de créer une nouvelle norme
?
95
Annexes
Autres publications D'Essena O'Neill
Figure 37 Annexe 1 capture écran publication du
compte d'Essena O'Neill
Légende : « J'étais misérable.
Coincée. Sans inspiration. En colère. Je n'aimais plus l'art de
créer de l'art, écrire u toute autre forme d'expression de soi
comme autrefois lorsque j'étais enfant. Quand personne ne le jugeait, je
créais sans limitation ni filtres. Quand ce n'était pour personne
d'autre que moi, j'adorais ça. Et ça m'a adoré en retour.
Cela m'a fait me sentir vivante. C'était comme capturer et exprimer la
vraie vie, le vrai sentiment, la vraie beauté - cela m'a donné
cette joie que je ne peux toujours pas expliquer. Vous connaissez ce sentiment
d'inspiration, de passion et d'objectif que vous ressentez lorsque vous faites
quelque chose que vous aimez tout simplement ? C'est pourquoi je fais ce que je
fais. Je ne veux plus d'ap-probation, cela me mettait dans un piège me
faisant penser que j'en avais de plus en plus besoin. Je veux un endroit
où je peux donner sans attente ni résultat. Je ne veux plus
d'abonnés. #gamechangers #socialmediaisnotreal #socialmedia #bethechange
#movement #esse-naoneill
Figure 38 Annexe 2 capture écran publication du
compte d'Essena O'Neill
Légende : « La seule chose qui m'a fait du
bien ce jour-là, c'est cette photo. Comme c'est profondément
déprimant. Avoir un corps tonique ne représente pas tout ce que
les Etres-Hu-mains sont capables de faire.
96
Figure 39 Annexe 3 capture écran publication du compte
d'Essena O'Neill
Légende : « Je commence à me
débarrasser des distractions, enfin au moins je suis en train d'essayer.
J'ai passé la dernière semaine sans maquillage, avec une
utilisation minimale de mon téléphone, de la lecture quotidienne,
de l'écriture, du dessin, de l'exercice et de la méditation
(j'avais l'habitude de trouver cela impossible et horrible - maintenant, c'est
pourquoi je n'en faisais pas avant ?!)
Je pense que me débarrasser de toutes ces
distractions avec lesquelles je vis depuis si longtemps (entraînant un
temps de défilement inutile sur les réseaux sociaux, une
obsession de l'apparence, des formes hyper sexualisées) m'a forcé
à vraiment m'ou-vrir. C'est effrayant et accablant à quel point
ma vie n'était pas « vraie ». Je remplissais la majeure partie
de mes journées avec des idées artificielles de la vie. Je
n'avais pas réalisé que j'étais dépendante des
médias sociaux ainsi qu'à mon apparence. (...) Maintenant,
j'écoute davantage, les idées créatives éclatent,
je suis plus calme. Je veux être avec ma famille. Je veux faire attention
auprès de qui j'investis mon énergie. Je pense que je
m'apprécie davantage sans maquillage. (...) Avec mon
téléphone éteint ou hors de portée, je vis plus.
J'observe des parties de la vie auxquelles je n'avais jamais pensé
auparavant. J'ai l'impression de commencer à me voir et non plus
à travers le prisme des distractions. (...). Les photos posées
dans le seul but de "paraître bien" me rabaissent. Je suis plus que mon
image. Je pense que nous avons oublié des parties de nous-mêmes
qui sont réelles.
Nos visions, nos peurs, nos véritables
désirs d'appartenance et de solidarité, nos idées
créatives individuelles, nos capacités d'innovation. Nous
recherchons des distractions parce que changer une partie du monde et de nous
que nous n'aimons pas est trop difficile. Débarrassez-vous des
distractions. »
Les commentaires complimentant Essena O'Neill
97
Figure 40 Annexe 4 captures écran de quelques
commentaires laissés sous les publications détournées
d'Essena O'Neill
98
Autres publications relatives au compte
onveutduvrai
Figure 41 Capture d'écran de la publication suite
à laquelle Louise été désinvitée d'un voyage
de
presse
Légende : « « Elle n'a pas le bon corps
» Voilà le commentaire qu'une personne a jugé bon de laisser
sur la vidéo YouTube que j'ai réalisé contre les
complexes. Mis à part le fait que je ne comprendrais jamais quel est
l'intérêt de répandre de la méchanceté
gratuite ; il fallait que je prenne la parole sur cette notion de « bon
» corps. Soyons clair. « Bon » ou « mauvais », c'est
un jugement. On peut trouver un croissant bon. Ou on peut trouver un croissant
mauvais. Personne ne t'a demandé de le faire avec le corps humain. Le
corps d'une femme n'est pas là pour recueillir TON jugement. Le corps
d'une femme n'est pas là pour satisfaire TON bon vouloir. La seule
à qui ce corps doit plaire, c'est à cette femme. Qu'elle soit
épanouie. Qu'elle se sente bien. Qu'elle soit heureuse. Et cela, tous
les corps le permettent. Alors oui, tous les corps sont des « bons »
corps. Arrêtons de les hiérarchiser. #feelgood #bodypositive
#body-positivity #selflove #loveyourself #bbg #tbc #confidence
#confianceensoi
Figure 42 Première publication #onveutduvrai de
Mybetterself alias Louise Aubery
99
Légende : « ON VEUT DU VRAI. Parce qu'il y en
a marre de scroller sur son feed et de ne voir que des photos qui font
complexer. Ça t'es arrivé de regarder le profil d'une fille en te
demandant pourquoi tu ne lui ressemblais pas ? Et te sentir mal à propos
de ton corps ou de ton physique ? C'est parce que les marques, les
médias, les publicités, ne mettent en avant qu'un certain type de
physique. Sauf que cette industrie, elle n'existe PAS sans nous tous. C'est
nous qui les faisons vivre. Alors on va leur dire ce qu'on veut. On va leur
dire qu'on en a marre de voir des photos parfaites sur nos feed. On va leur
dire qu'on ne veut plus voir des femmes qui nous font complexer, mais des
femmes qui nous font sentir BIEN. Et c'est comme ça que les choses vont
évoluer. C'est de nous que va venir le changement. Alors, à
partir d'aujourd'hui, je vous invite pour qu'on puisse se faire entendre
à partager VOS photos #On-VeutDuVrai, comme vous le voulez, comme vous
l'interpréter, et on va leur montrer »
Figure 43 Capture écran de la publication de
douzefevrier alias Julie Bourges rejoignant le mouve- ment
#onveutduvrai
Légende : « ON VEUT DU VRAI » Si on cassait
les stéréotypes ? Si on se montrait et si on NOUS montrait,
telles que nous sommes ? Si on brisait les codes ? Si on se sentait
libérées, si on se se sentait fières ? ON VEUT DU VRAI. On
ne veut pas être complexées. On veut être
représentées. Si tu veux qu'on se fasse entendre plus fort,
partage TA photo avec le #OnVeut-DuVrai ! LET'S CHANGE THE RULES.
100
Echange avec Maureen Bourgois, étudiante en
communication, Youtubeuse et « Instagrammeuse ».
Que trouves tu intéressant sur Instagram ?
Pourquoi utilises-tu ce réseau social ? J'aime beaucoup le fait
que tout le monde puisse partager ce dont il a envie librement. J'utilise ce
réseau car j'aime partager également.
Y passes-tu beaucoup de temps ? Quotidiennement ?
Hebdomadairement ? J'y passe beaucoup de temps, je me connecte
régulièrement, chaque jour.
As-tu déjà publié une photo (avec
ou sans légende) qui était en contradiction avec ton ressenti sur
le moment présent ? (exemple : poster une photo d'un moment joyeux alors
que l'on est triste etc.)
Non jamais, quand je poste une photo, c'est toujours parce que je
me sens bien.
Est-ce que le nombre de réactions à tes
publications (j'aime et commentaires) a un impact sur toi ? Ton humeur
?
Adolescente beaucoup, maintenant moins. Comme je n'ai pas
forcément hyper confiance en moi, avoir des « j'aime » et des
commentaires, c'est toujours flatteur.
Est-ce que tu as déjà été
affectée par des réactions à tes publications ? Est-ce que
ces réactions ont eu un impact sur ton humeur et ton ressenti personnel
? Encore plus loin, sur ta confiance en toi ? J'ai déjà
eu des messages privés irrespectueux concernant certaines de mes photos,
comme « t'es bonne » « je te baise » et j'en passe. Au
début ça m'éner-vait beaucoup, maintenant je n'y fais plus
attention.
|
Question ciblée : te souviens-tu du moment
où tu as publié cette photo ? Comment te sentais-tu ? Avais-tu
pris la photo le jour même ou bien avant ? Quelle était ton humeur
?
Oui j'ai pris cette photo le jour où j'ai tourné
une vidéo pour YouTube. J'aimais bien ma tenue et mon rouge à
lèvres. Je me sentais jolie. J'ai
|
posté la photo le lendemain. J'étais contente.
|
Est-ce que le fait de poster cette photo sur Instagram
t'a affectée d'une quelconque manière ? (Changement d'humeur,
satisfaction, préoccupation etc.)
J'étais contente car j'aimais bien cette photo !
Qu'est-ce que t'évoques ces illustrations
?
101
Qu'Instagram permet à beaucoup d'utilisateurs de «
sauver les apparences » et de montrer une image qui n'est pas
réelle juste pour obtenir des likes.
T'es-tu déjà sentie dans ce cas sur
Instagram ?
Personnellement non. Je ne poste pas de photos quand je suis
triste car je considère que ça ne sert à rien de faire
semblant.
Des comptes sur Instagram invitent les utilisateurs
à arrêter de se comparer aux autres et expliquent qu'Instagram
peut-être un monde de l'illusion dont nous n'avons qu'une certaine image
ne représentant pas forcément la « réalité
». Nous voyons les publications mais pas ce qui se cache derrière.
Ces comptes dénonciateurs sont corrélés à une
réelle prise de conscience et de parole.
Qu'en penses-tu ? Es-tu d'accord ?
Je suis totalement d'accord. Les gens vivent dans l'illusion
d'un monde parfait et commencent à douter d'eux même et de leur
vie qui ne l'est pas. Or, chacun est différent et devrait s'aimer comme
il est.
As-tu quelques comptes en tête ?
Je pense à « Acacia Kersey » qui
s'était montrée avec des poils sous les bras pour dire qu'elle se
sentait mieux comme ça. Et coucoulesgirls qui diffuse un message de
tolérance en étant elle-même.
102
|
Cette photo a été publiée sur
Instagram par une jeune femme. A première vue qu'en penses-tu
?
Je pense qu'elle est bien dans son corps et s'assume assez
pour le divulguer sur Instagram. Je pense qu'elle était à la
plage et a voulu prendre une jolie photo d'elle pour la partager avec ses
abonnés.
|
Cette photo est maintenant accompagnée de cette
légende : « PAS LA VRAIE VIE - pris au moins 100 photos dans des
poses similaires afin d'essayer que mon ventre ait l'air bien et plat. Je n'ai
presque pas mangé ce jour-là. J'ai crié sur ma soeur pour
qu'elle continue à prendre des photos jusqu'à ce que je sois
fière d'une. S'il vous plaît aimez ma photo, j'ai mis du
maquillage, j'ai bouclé mes cheveux (...) pris beaucoup de photos
jusqu'à ce que j'ai la bonne, celle que vous devriez aimer, ensuite je
l'ai éditée sur une application. Comme ça je pouvais
sentir une approbation sociale de votre part. Il n'y a rien de réel
autour de ça. » Est-ce que ta perception de la photo change
maintenant que je t'ai lu ce texte qui accompagnait la photo ? Qu'en penses-tu
? T'es du déjà sentie dans cette situation ?
Ça ne m'étonne pas, elle fait comme beaucoup de
personnes sur Instagram, juste pour plaire à la société.
Bien sûr dès fois je n'ai pas posté certaines photos car
j'avais peur du jugement des autres, de leurs réactions, sur mon corps
notamment.
Enfin, te sens-tu sur Instagram encadrée par
des normes ? Penses-tu qu'il y a sur ce réseau social plusieurs espaces
de communication ? Ou bien un seul qui définit tous les comptes et qui
impose des contraintes ?
Il y a des normes mais c'est à nous d'essayer de ne pas y
penser et de poster librement !
Capture écran datant du mois de juin 2019 d'un
nouveau compte que j'ai créé à des fins
expérimentales
103
Expérience arrêtée en décembre 2019
car n'apportant rien de particulier à mon travail de recherche.
104
Extraits de mes prises de notes lors de
l'expérimentation avec la création d'un nouveau compte
Instagram
105
Références bibliographies
Ouvrages
Alloing C. (2016). (E)réputation sur les
réseaux sociaux. Paris : CNRS Edition
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The Return of Essena O'Neill - interview with the instagram
model who quit social media, Tiffany Ferg, le 14 novembre 2019
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urHE
VIDEO. "Coucou les Girls", un compte Instagram en guerre contre
les diktats de beauté, Brut, le 8 octobre 2018
https://www.francetvinfo.fr/sante/alimentation/video-coucou-les-girls-un-compte-instagram-en-guerre-contre-les-diktats-de-beaute
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Kevin Systrom & Mike Krieger on Creating Instagram, SXSW, le
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Les quatres comptes Instagram
sélectionnés
· Compte reprenant les publications
détournées d'Essena O'Neill
https://www.instagram.com/essena.oneiil/
· Compte de saggysara
https://www.instagram.com/saggysara/
· Compte de coucoulesgirls
https://www.instagram.com/coucoulesgirls/
· Compte onveutduvrai
https://www.instagram.com/onveutduvrai/
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