UNIVERSITÉ SORBONNE PARIS NORD
LES OPÉRATIONS D'AMÉNAGEMENT OLYMPIQUE :
INTÉRÊT GÉNÉRAL OU
INTÉRÊT DE CLASSE
?
LE CAS DE LA COMPLÉTUDE DE L'ÉCHANGEUR PLEYEL EN VUE DES
JEUX
OLYMPIQUES DE PARIS EN 2024
MÉMOIRE
PRÉSENTÉ
COMME EXIGENCE
PARTIELLE
DU M1 POLITIQUES PUBLIQUES ET TERRITOIRE
PAR ARISTIDE MIGUEL
SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR JULIEN
VITORES
MAI 2022
2
SOMMAIRE
LISTE DES FIGURES
|
6
|
LISTES DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYME
|
7
|
RÉSUMÉ
|
.8
|
INTRODUCTION
|
..10
|
- L'intérêt général comme notion
abstraite
|
10
|
- Retour historique sur la problématique du projet
d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel .12
- Définition des opérations d'aménagement
olympique 14
CHAPITRE 1 : L'ÉCHANGEUR PLEYEL OU LES
OPÉRATIONS D'AMÉNAGEMENT OLYMPIQUE COMME CONCEPTION UTILITARISTE
DE L'INTÉRÊT GÉNÉRAL.....18
Partie 1 : A la recherche de l'intérêt
général
|
20
|
- Section 1 : Du bien commun à l'intérêt
général : histoire de l'intérêt
général
|
20
|
L'émergence de l'intérêt
général au XVIIIe siècle
|
.20
|
Définition et redéfinition de
l'intérêt général
|
..21
|
De l'intérêt général à
l'intérêt des classes : courte introduction à la
définition
marxienne de l'intérêt générale 22
- Section 2 : L'intérêt général : la
légitimité comme fondement de l'action publique 23
Légitimité et autorité 23
Vers une nouvelle redéfinition de la
légitimité 24
L'intérêt général étudié
sous le prisme de la domination rationnelle légale 24
Partie 2 : La légitimation des opérations
d'aménagement olympique : des Jeux Olympiques
d'intérêt général à des
opérations d'aménagement d'intérêt
général ..25
- Section 1 : La conception française du
caractère d'intérêt général des
événements sportifs : Les Jeux Olympiques comme
événements « d'ampleur exceptionnelle »...25
Le caractère d'intérêt général
du sport en France 25
3
L'intérêt général des
événements sportifs : le cas des Jeux Olympiques de
Paris en 2024 27
- Section 2 : L'intérêt
général des projets d'aménagement olympique comme
reconnaissance de la portée publique des enceintes
sportives 29
De la légitimité du sport à
l'intérêt général des infrastructures sportives
29
La complétude de l'échangeur Pleyel : les projets
d'aménagement olympique
consacrés juridiquement ..30
Partie 3 : Les Jeux Olympiques comme levier de transformation
urbaine : l'intérêt général des
opérations d'aménagement olympique
étudié sous le prisme utilitariste 30
- Section 1 : Les JO
comme fenêtre d'opportunité pour le projet d'aménagement
du
système d'échangeur Pleyel 30
Les Jeux Olympiques comme accélérateur
d'investissement .30
Les Jeux Olympiques comme moyen de financement des
opérations
d'aménagement de l'échangeur Pleyel 32
- Section
2 : L'intérêt général des opérations
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel par son
insertion au sein d'un processus de développement urbain: le cas du
Grand Paris
|
..33
|
L'échangeur Pleyel comme réponse à un besoin
urbain
|
.33
|
L'échangeur Pleyel dans une perspective de Grand Paris
|
36
|
CHAPITRE 2 : LES OPÉRATIONS D'AMÉNAGEMENT
D'AMÉNAGEMENT DU SYSTÈME D'ÉCHANGEUR PLEYEL:
INTÉRÊT GÉNÉRAL OU INTÉRÊT DE CLASSE
? 39
Partie 1 : Délégitimation du projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel :
l'intérêt
général étudié sous le prisme marxien
41
- Section 1 : Vers une remise en question de l'intérêt
général des opérations d'aménagement olympique: le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
comme un intérêt de classe ? 41
L'intérêt de classe chez Marx ..41
Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel comme un intérêt de classe
? 42
4
- Section 2 : Critique rationnelle de la légitimité
de l'action publique ..46
Questionnement des prétentions de légitimité
de l'action publique 46
Vers une illégitimité du projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
? 47
Partie 2 : Les opérations d'aménagement olympique
face aux limites de la rationalité 51
- Section 1 : Les Jeux Olympiques de Montréal comme
traduction d'opérations
d'aménagement pensées à court terme ? 51
Les Jeux Olympiques de Montréal : stratégie de
régénération urbaine ..51
L'échec des
perspectives post-olympiques des aménagements de Montréal: le
cas du Stade olympique 52
- Section 2 : Les opérations
d'aménagement olympique face aux limites de la
perception et du calcul 53
Limites financières et écologiques ..53
Les limites du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel 56
Partie 3 : Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel comme traduction
d'intérêts inconciliables ? 58
- Section 1 : Le
projet d'aménagement du système d'échangeurs Pleyel : La
conception
utilitariste de l'intérêt général face
aux objectifs de développement durable .58
L'adoption des mesures de développement durable 58
Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel : les opérations
d'aménagement olympique à l'épreuve du
développement durable 60
- Section 2 : Le projet d'aménagement
du système d'échangeur Pleyel : responsabilités
sociales des Jeux Olympiques ou limites du développement
durable ? 62
La question sociale comme fondement récent du
développement durable 62
Les limites de la durabilité sociale : le projet
d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel comme exemple d'une injustice sociale ?
64
CHAPITRE 3 : LA COMPLÉTUDE DE L'ÉCHANGEUR
PLEYEL : VERS
L'ÉMERGENCE D'UN INTÉRÊT
GÉNÉRAL INDIVIDUEL ? 67
Partie 1 : L'intérêt général
territorialisé 69
- Section 1 : Vers une définition de
l'intérêt général territorialisé 69
5
A la genèse de l'intérêt
général territorialisé 69
De l'intérêt général
territorialisé au développement durable territorialisé
70
- Section 2 : La complétude de l'échangeur Pleyel
comme outil de construction d'un
intérêt général
territorialisé ? 72
La territorialisation de l'intérêt
général : la complétude de l'échangeur Pleyel
comme compromis entre des intérêts
généraux et des intérêts territoriaux ? 72
La complétude de l'échangeur Pleyel : entre
opposition et ajustement ? 73
Partie 2 : De l'intérêt général «
local» à l'intérêt général «
individuel » 75
- Section 1 : La notion d'intérêt
général local comme partie prenante du discours des
militants de la démocratie locale
|
.75
|
L'intérêt général local comme
réponse à une crise de l'intérêt
général
|
..75
|
L'intérêt général local : porte
d'entrée sur la démocratie de proximité
|
..76
|
- Section 2 : L'expérience individuelle comme nouvel
outil de légitimation de l'intérêt
général « individuel » .78
La
complétude de l'échangeur Pleyel : l'intérêt
général « individuel» comme
traduction des limites de l'intérêt
général local ? 78
L'expérience de l'injustice comme
outil de délégitimation de l'intérêt
général
|
79
|
CONCLUSION
|
81
|
BIBLIOGRAPHIE
|
..83
|
ANNEXE
|
90
|
6
LISTES DES FIGURES
Figure 1 - Carte de l'emplacement du groupe scolaire Anatole
France entre le Boulevard de la Libération, l'A86 et le Boulevard
Anatole France
Figure 2 - Estimation de l'impact économique des JO de
Paris en milliard pour la période 2017 à 2034
Figure 3 - Carte du projet d'aménagement des
échangeurs Pleyel et de la Porte de Paris à Saint-Denis
Figure 4 - Carte des travaux de fermeture des bretelles de
l'échangeur de la Porte de Paris Figure 5 - Croquis des nouveaux
aménagements autour de l'échangeur Pleyel
Figure 6 - Carte de l'enclavement du groupe scolaire Anatole
France
Figure 7 - Projet citoyen de variant au projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel Figure 8 -
Evolution des impacts urbains structurels des Jeux Olympiques
d'été depuis 1896 Figure 9 - Tableau du coût ex ante
comparé de la ville olympique sélectionnée
Figure 10 - Tableau des cinq finalités majeures du
développement durable
Figure 11 - Les étapes d'un agenda 21 local
7
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
DIRIF Direction des routes d'Île-de-France
OMS Organisation mondiale de la santé
FCPE PLEYEL Fédérations des Conseils de Parents
d'Élèves Pleyel
CAAP Cour Administrative d'Appel de Paris
ADEME Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie
Ae Autorité environnementale
NO2 Dioxyde d'azote
CO2 Dioxyde de carbone
A86 Autoroute A86
A1 Autoroute A1
JO Jeux Olympiques
UNICEF Fonds des Nations Unies pour l'enfance
SOLIDEO Société de livraison des ouvrages
olympiques
CIO Comité international olympique
ZAD Zone à défendre
8
Remerciements
Si en effet cette étude vient achever une année
dans le supérieur remplie de doutes, d'incertitudes et de remises en
questions, ce n'est pas sans fierté que je vous remets dès
à présent ce mémoire dont le sujet me portait
extrêmement à coeur.
Aussi, comme à chaque fois, j'ai une pensée
particulière pour tous ces étudiants dont les espoirs d'un avenir
radieux auront été balayés par le contexte sanitaire que
nous avons vécu ces deux dernières années.
Mes premiers remerciements seront à l'endroit de
Monsieur Julien Vitores, enseignant en Politiques de
développement durable, dont les précieux
conseils m'auront permis de produire un mémoire cohérent et
pertinent.
Ensuite, je tenais à remercier Monsieur Manuel
Roland, enseignant de Méthodologie de Recherche, sans qui je
n'aurais pu trouver et définir un sujet de recherche qui soit à
la fois attrayant et convaincant.
Enfin, j'aimerais remercier l'ensemble des
enquêtés, dont les propos m'auront permis de constituer un stock
d'informations nécessaires à la réalisation de mon
étude.
Résumé
En 2021 débutent les travaux d'aménagement de
l'échangeur Pleyel à Saint-Denis après qu'un recours, qui
avait été déposé en 2020, et qui avait permis la
suspension de l'autorisation de travaux déposé par préfet
de la région Île-de-France en 2019, ait été
définitivement rejeté par la Cour Administrative d'Appel de
Paris.
Alors que l'intérêt général du
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel est
confirmé, les habitants dyonisiens n'en démordent pas et
s'inquiètent de la situation sanitaire dans laquelle pourrait se
retrouver les enfants du groupe scolaire Anatole France suite à la
complétude de l'échangeur Pleyel.
Ainsi, cette situation invite à entamer une
réflexion autour de l'intérêt général des
opérations d'aménagement olympique, qui, malgré leur
portée générale, ne font pas l'unanimité.
L'étude portera alors sur une critique de la notion
d'intérêt général en tentant de comprendre en quoi
ce dernier peut-il se présenter comme l'intérêt d'une
classe au détriment d'une autre.
9
10
INTRODUCTION
L'article 28 de la loi relative au développement et la
modernisation des services touristiques dispose que « les enceintes
sportives figurant sur une liste fixée par arrêté du
ministre chargé des sports, destinées à permettre
l'organisation en France d'une compétition sportive internationale
(...), ainsi que les équipements connexes permettant le fonctionnement
de ces enceintes, sont déclarés d'intérêt
général, quelle que soit la propriété privée
ou publique de ces installations, après avis de l'ensemble des conseils
municipaux des communes riveraines directement impactées par leur
construction »1.
Si mon étude aurait pu s'arrêter à la
simple confirmation de l'intérêt général des
opérations d'aménagement olympique, les définitions
multiples que revêt cette notion m'ont poussé à questionner
ce concept de manière plus profonde.
L'intérêt général comme notion
abstraite
L'intérêt général est un concept
relativement complexe. Dans son étude, Sylvie Trosa a défini
l'intérêt général comme étant « un
processus descendant à partir des objectifs nationaux
»2. Aussi, en 1999, le Conseil d'Etat a, dans un rapport
public, défini l'intérêt général comme «
la capacité des individus à transcender leurs appartenances
et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de
former ensemble une société politique »3.
Concept ancien autrefois analysé par Saint Thomas
d'Aquin dans une analogie théologico-politique du « Bien commun
»4, l'intérêt général se
concevait alors comme la paix résultant de la sociabilisation de l'Homme
- à laquelle est opposée la recherche de son intérêt
personnel. Alors que la notion - qui est une particularité
française - est historiquement imputable au droit administratif et s'est
diffusée en France pendant la période révolutionnaire, sa
définition est restée, au fil des siècles,
particulièrement discutée.
1 Article 28 - Loi n° 2009-888
du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services
touristiques.
2 Trosa, Sylvie. «
L'intérêt général : une réalité
introuvable ? », Gestion & Finances Publiques, vol. 3, no. 3,
2017, pp. 82-87.
3 Rapport public du Conseil d'Etat,
1999, Considérations générales : Réflexion sur
l'intérêt général (EDCE n°50), 1999.
4 Barlier, Antoine. « Thomas
d'Aquin et l'analogie théologico-politique du bien commun »,
Transversalités, vol. 138, no. 3, 2016, pp. 13-31.
11
Si David Truchet - agrégé de droit public -
affirme qu'à sa connaissance, « personne n'y est jamais parvenu
»5, ce dernier précise toutefois que deux
éléments tendent à nous aider à concevoir la notion
d'intérêt général. Premièrement, la
qualification juridique, dans laquelle l'objet étudié entre,
soit, dans la catégorie juridique d'intérêt
général, soit, en est refusé.
Secondement, la qualification sociologique, dans laquelle
l'objet étudié est perçu comme une réponse à
un besoin de la population.
C'est le débat autour de la qualification de
l'intérêt général qui m'a poussé à
étudier la question de l'intérêt général des
opérations d'aménagement olympique, à travers une analyse
portant sur la complétude de l'échangeur Pleyel à
Saint-Denis. En effet, s'il est difficile de contester juridiquement la
qualité d'intérêt général de ces
opérations d'aménagement, il n'en demeure pas moins possible de
la questionner en partant d'une part, sur une critique sémantique de la
notion, puis, d'autre part, sur une critique sociologique.
Effectivement, deux conceptions divergentes de
l'intérêt général sont nées des débats
tentant d'en faire émerger une définition. Premièrement,
la conception utilitariste de l'intérêt général, qui
conçoit l'intérêt général comme « (...)
la somme des intérêts particuliers, laquelle se déduit
spontanément de la recherche de leur utilité par les agents
économiques »6 . C'est ainsi que l'on comprend que
l'intérêt général des opérations
d'aménagement olympique repose, comme je le démontrerai plus
tard, sur l'insertion de ces dernières au sein d'un processus qui
soulève des intérêts économiques. Toutefois, la
conception utilitariste, en justifiant l'intérêt
général par un motif essentiellement économique,
crée alors « une méfiance de principe envers l'Etat
». C'est de cette méfiance que découle l'analyse
marxiste de l'intérêt général comme «
l'intérêt de la classe dominante »
7, et de laquelle partira ma réflexion sur
l'intérêt général des opérations
d'aménagement olympique.
La seconde conception de l'intérêt
général est la conception d'essence volontariste. Cette
conception soulève l'incapacité à fonder une
société durable qui reposerait sur des intérêts
économiques. Dans cette logique - qui se rapproche de « la
conception rousseauiste »8 de l'intérêt
général -, la mission de l'Etat serait d'assurer l'expression de
la volonté générale, par le dépassement -
obligatoire et coercitif - de l'intérêt particulier.
5 Truchet, Didier. « La notion
d'intérêt général : le point de vue d'un professeur
de droit », LEGICOM, vol. 58, no. 1, 2017, pp. 5-11.
6 « L'intérêt général, instrument
efficace de protection des droits fondamentaux ? » Conseil
constitutionnel,
www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-interet-general-instrument-efficac
e-de-protection-des-droits-fondamentaux. Consulté le 12 juin 2022.
7 Stéphanie ROZA, « Intérêt
général, intérêt de classe, intérêt
humain chez le jeune Marx », Astérion [En ligne], 17 |
2017, mis en ligne le 20 novembre 2017, consulté le 12 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/asterion/3057.
8 Rousseau, Jean-Jacques, and Edmond-Paul
Dreyfus-Brisac. Du contrat social. Alcan, 1896.
12
Toutefois, le dépassement de l'intérêt
particulier est-il nécessairement justifié par une perspective
économique de l'intérêt général ? C'est ce
à quoi je tenterai de répondre au fil de mon analyse.
Retour historique sur la problématique du
projet d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel
Alors que le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel vient répondre à certain nombre de
besoins, notamment à « (...) améliorer la desserte du
quartier Pleyel » et les « conditions de circulation
»9, et en dépit de son insertion au sein d'un
processus de développement urbain post-olympique, son caractère
de projet « pour le bien public
»10 est largement remis en cause. Pour
cause, le projet entend se déployer près d'une école - le
groupe scolaire Anatole France - dans un quartier dans lequel les niveaux de
pollution en NO2 - dioxyde d'azote - sont près cinq fois
supérieurs aux seuils de l'OMS.
Figure 1 - Carte de l'emplacement du groupe scolaire
Anatole France entre le Boulevard de
la Libération, l'A86 et le
Boulevard Anatole France
9 Entretien avec la Maire de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
10 Dans son rapport de 1999, le Conseil d'Etat fait
part d'une action étatique pour le bien public. Le bien public renvoie
ici aux besoins de la société politique.
13
Source : Comité de vigilance JO 2024 (2019)
C'est en 2017 - du 20 novembre au 22 décembre - que
débutent les premières concertations entre la Direction
Interdépartementale des Routes d'Ile-de-France (DiRIF) - qui porte le
projet d'aménagement de l'échangeur Pleyel - et le public
dionysien, dans l'idée de recueillir des avis et des propositions devant
faire émerger un projet qui satisfasse toutes les parties.
Toutefois, malgré le prolongement des concertations,
aucun accord ne parvient à être trouvé et une autorisation
de travaux - par laquelle est déclaré le caractère
d'intérêt général des opérations
d'aménagement du système échangeur de Pleyel - est soumise
par le préfet de la région Ile-de-France le 22 novembre 2019.
Le 22 janvier 2020, un recours en justice est
déposé devant de la Cour Administrative d'Appel de Paris par
Géo Avocats - un groupe d'avocats spécialisés dans le
droit environnemental - à l'initiative du FCPE Pleyel et de certains
élus locaux pour contester l'intérêt général
du projet d'aménagement du système échangeur de Pleyel. Si
en effet, le 5 mai 2020, la CAAP rend sa décision et suspend
l'arrêté préfectoral, notamment au motif d'une
irrégularité de la concertation publique, le 22 octobre 2020, la
Cour Administrative d'Appel de Paris rejette définitivement le recours
et confirme « l'intérêt général des
échangeurs Pleyel et Porte de Paris des autoroutes A86 et A1 au niveau
de la commune de Saint-Denis »11.
Cette décision de la CAAP pose un certain nombre de
questions. Premièrement, parce que le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel avait été soumis
à l'avis de l'Autorité environnementale qui avait rendu sa
décision le 23 janvier 2019. Alors, plusieurs éléments
avaient été notifiés par l'Ae, notamment des cas
d'incohérences « (...) dans les données utilisées
par les différentes études dont l'étude d'impact fait
état, en particulier les données de trafic », ou encore
« (...) entre les objectifs affichés par le projet et le projet
lui-même »12. L'avis de l'Ae avait alors
appuyé l'argumentaire en défaveur de l'intérêt
général et le juge des fédérées avait
estimé que d'une part les « (...) arguments étaient de
nature à remettre en cause l'intérêt général
du projet » et d'autre part, que « (...) les
inconvénients du projet, notamment d'un point de vue sanitaire,
étaient supérieurs à ses avantages ».
Pourtant, malgré ces évidences, par son rejet
définitif du recours, la CAAP « (...) a estimé que les
inconvénients résultant du projet, bien que non contestés,
ne remettaient pas en cause
11 Décision n°20PA00219 du 22 octobre 2020
de la Cour administrative d'appel de Paris.
12 Avis n°2019-N06 du 23 janvier 2019 de
l'Autorité environnementale sur les projets d'infrastructures de
transport routier.
14
l'intérêt général du projet
compte tenu de « ces avantages socio-économiques» »,
et que plus encore, malgré les « (...) les effets «
incertains » des mesures prévues pour limiter les impacts
sanitaires du projet, (...) l'intérêt de l'opération,
notamment pour l'organisation des JO, prévalait
»13.
De fait, la décision de la CAAP met en exergue le
problème soulevé plus tôt concernant les multiples
conceptions imputées à l'intérêt
général. Le cas de la complétude du système
d'échangeur Pleyel s'insère dans une conception utilitariste de
l'intérêt général parce qu'il fait reposer
l'intérêt général de l'opération
d'aménagement sur des perspectives économiques visant à
faire du quartier Pleyel un « (...) noeud de communication avec le
lien aux lignes 13, 14, 15, 16 du Grand Paris Express », ou encore un
quartier « (...) attractif, mais aussi très facile
d'accès »14.
Aussi, deux choses sont à noter. En premier lieu, le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel est
cité dans un rapport de l'UNICEF concernant l'impact de la
pauvreté sur l'exposition à un air pollué15.
Ensuite, le fait que le projet soit « (...) porté par une
délégation ministérielle »16,
pourrait contribuer, conformément à la pensée marxienne de
l'intérêt général, à créer d'une part,
une méfiance vis-à-vis de l'administration étatique, mais
aussi, d'autre part, à penser le projet d'aménagement du
système Pleyel, conformément au rapport de l'UNICEF, comme
l'intérêt d'un groupe au détriment d'un autre.
Définition des opérations
d'aménagement olympique
Les opérations d'aménagement olympique sont
l'ensemble des procédures de transformations urbaines amenant à
la construction d'infrastructures olympiques ou à la restructuration du
paysage urbain dans une logique olympique. L'article 28 de la loi sur le
développement et la modernisation des services touristiques les
présente comme étant les « (...) ouvrages et
équipements nécessaires au fonctionnement et à la desserte
des installations (...) ».
Dans la littérature, ces opérations
d'aménagement olympique sont communément définies en tant
que « rénovation de l'espace urbain » et leurs
études tendent principalement, soit, à analyser des
phénomènes - tels que les régulations urbaines de
population ou les dégradations environnementales - résultant de
leurs constructions, soit, à comprendre les logiques relatives
13 Entretien écrit avec
Géo Avocats, réalisé le 3 mai 2022.
14 Entretien avec la Mairie de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
15 En 2021, l'UNICEF et le
Réseau Action Climat ont coécrit un rapport sur l'exposition des
enfants pauvres à un air pollué.
16 Entretien avec la Mairie de
Saint-Denis, réalisé le 21 mars 2022.
15
à leur insertion dans un processus post-olympique
souvent conceptualisé à travers la notion «
d'héritages olympiques ».
Toutefois, de manière générale, la
question de l'héritage olympique renvoie davantage aux infrastructures
sportives qu'aux équipements nécessaires à leur
fonctionnement et à leur desserte.
Thomas Maloutas et Nicos Souliotis se sont penchés sur
la question de cet « héritage olympique» en prenant comme cas
d'étude les Jeux Olympiques d'Athènes en 200417. Si
les JO d'Athènes ont été perçus,
préalablement, comme l'occasion d'offrir à la Grèce une
forte visibilité, le lendemain des Jeux a aussi été
l'occasion de revenir sur « l'absence de réflexion sérieuse
» concernant l'exploitation future des aménagements olympiques. La
Grèce a alors été confrontée à un
échec de sa stratégie politico-économique,
couronnée par la privatisation de certaines infrastructures olympiques
et par l'abandon entier de deux d'entre elles.
Claudio Zanotelli, quant à lui, s'est
intéressé à l'éviction des populations les moins
favorisés suite aux Jeux Olympiques de Rio en 201618. Son
étude est intéressante dans sa manière de faire
émerger le concept de « politique de l'espace », par
lequel il est possible d'observer les rapports inégaux en matière
de « droit à la ville »19. Ainsi,
l'étude de Claudio Zanotelli nous invite à comprendre comment les
projets d'Etat, bien que porteur d'un intérêt
général, tendent à exclure les populations les moins
favorisés, non seulement par leur éviction géographique,
mais aussi à travers la minoration de leur voix au sein des
concertations publiques précédant l'amorçage des
opérations d'aménagement.
Dès lors, le questionnement de l'intérêt
général des opérations d'aménagement olympique se
trouve à la jonction entre une réflexion portant d'une part, sur
les opérations d'aménagement comme besoin du public, et d'autre
part, sur le public visé par ces opérations d'aménagement
d'intérêt général.
L'objectif de ce mémoire est de parvenir à
comprendre, à travers l'étude du projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel, dans quelle mesure le
caractère d'intérêt
17 Souliotis, Nicos, and Thomas
Maloutas. "Jeux olympiques d'Athènes: quel héritage après
dix ans de crise?.".
18 Zanotelli, Cláudio.
"L'espace du politique ou la politique de l'espace: l'éviction des
quartiers populaires et les Jeux olympiques de Rio de Janeiro."
EchoGéo 41 (2017).
19 Le droit à la ville est une notion
développée par Henri Lefebvre. La notion renvoie à
l'idée de la ville comme bien commun à tous les habitants.
16
général des opérations
d'aménagement olympique peut-il être critiqué à
travers une lecture marxienne de l'intérêt général
en tant qu'intérêt de classe.
Pour ce faire, j'ai décidé d'utiliser la
méthode qualitative pour différentes raisons. En premier lieu,
parce que comme présenté par Laurence Kohn et Wendy Christiaens,
la méthode qualitative permet d'étudier la réalité
sociale de manière objective via « des processus subjectifs
actifs »20. Ensuite, parce que l'analyse
et la compréhension des différents concepts soulevés plus
tôt dans l'introduction n'a été rendue possible que
grâce à la collecte d'informations et grâce aux
différents entretiens menés auprès de la DIRIF, de la
Mairie de Saint-Denis et de Géo Avocats.
Le premier chapitre de ma réflexion fondera les bases
de mon étude. Il commencera par une analyse portant sur la notion de
l'intérêt général, en opérant d'abord un
retour historique sur sa construction, puis sur sa consécration comme
fondement du droit public français.
Ensuite, je tenterai d'expliquer comment les politiques
publiques françaises ont consacré l'intérêt
général des infrastructures sportives, ainsi que les
équipements nécessaires à leur fonctionnement, par une
légitimation du sport.
Le dernier point de ce premier chapitre étudiera
comment la perspective économique des Jeux Olympiques fonde
l'intérêt général des opérations
d'aménagement olympique, notamment par l'insertion du système
d'échangeur Pleyel au sein du projet du Grand Paris.
Le deuxième chapitre de ce mémoire visera
à interroger la question de l'intérêt général
des opérations d'aménagement olympique. Il s'attardera à
critiquer le caractère d'intérêt général de
l'opération d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel à travers une lecture essentiellement marxienne. Je commencerai
ainsi par interroger, grâce à une lecture marxienne de
l'intérêt général, la légitimité de
l'action publique.
Ensuite, dans un deuxième point, je tenterai
d'expliquer en quoi l'intérêt général de la
complétude de l'échangeur Pleyel - sous-entendu l'insertion du
projet d'aménagement dans un processus post-olympique - peut-il
être contesté par les contraintes imposées par les limites
de la rationalité.
Enfin, le dernier volet du deuxième chapitre portera
sur une analyse de la difficile conciliation des intérêts
soulevés par le projet d'aménagement de l'échangeur
Pleyel.
20 Kohn, Laurence, and Wendy Christiaens. "Les
méthodes de recherches qualitatives dans la recherche en soins de
santé: apports et croyances." Reflets et perspectives de la vie
économique 53.4 (2014): 67-82.
17
Le dernier chapitre du mémoire constituera un
dépassement des deux problématiques sur lesquelles nous nous
serons penchés préalablement. Je tenterai de présenter en
quoi la complétude de l'échangeur Pleyel est-elle un exemple de
la territorialisation de l'intérêt général.
Puis, j'essaierai d'analyser comment une opposition entre
différentes revendications tend à faire émerger un
intérêt général local initié par les
tentatives de décentralisation amorcées par l'Etat.
Enfin, l'étude sera donnée à l'analyse
d'un nouvel intérêt général : l'intérêt
général individuel, phénomène reposant sur
l'expérience personnelle des individus comme d'un instrument de
délégitimation de l'intérêt
général.
18
CHAPITRE 1 : L'ÉCHANGEUR PLEYEL OU LES
OPÉRATIONS D'AMÉNAGEMENT OLYMPIQUE COMME CONCEPTION UTILITARISTE
DE L'INTÉRÊT GÉNÉRAL
19
Le premier chapitre de mon mémoire constitue la base de
ma réflexion. Il vise à nous permettre de comprendre en quoi
l'histoire particulière de la construction de la notion
d'intérêt général rend cette dernière
à la fois incertaine et imprécise.
Nous allons voir ici comment la période
révolutionnaire a façonné l'intérêt
général jusqu'à en faire un fondement du droit
français.
Ensuite, nous observerons comment l'amorce du processus de
légitimation du sport au début du XXe siècle a non
seulement permis de construire l'identité du sport autour de
l'intérêt général, mais aussi de construire ses
représentations - notamment les évènements sportifs - et
les moyens par lesquels ces dernières s'accomplissent, autour de ce
même concept.
Enfin, l'établissement de cette base de
réflexion nous amènera à comprendre comment la conception
utilitariste des Jeux Olympiques vient conforter le caractère
d'intérêt général du projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel.
20
Partie 1 : A la recherche de l'intérêt
général
Section 1 : Du bien commun à
l'intérêt général : histoire de
l'intérêt général
L'émergence de l'intérêt
général au XVIIIe siècle
Comme énoncé plus tôt dans l'introduction,
l'intérêt général demeure un concept abstrait,
ancien, et parfois contesté. Vera Bolgar dira que de « tous les
les concepts sociaux, celui d'intérêt général est
l'un des plus anciens, des moins précis, et de ceux qui se laissent le
moins aisément définir »21.
Si aujourd'hui l'intérêt général
renvoie à l'intérêt du peuple, la notion n'a, elle, pas
toujours revêtie cette définition, et a été
façonnée par son temps et par les différents auteurs de
tradition, libérale, égalitariste ou républicaine qui ont
tenté de la saisir.
La notion d'intérêt général
apparaît au XVIIIe siècle - bien qu'existante, par exemple, sous
l'appellation de « commun profit »22 depuis le
Moyen-Âge - en se substituant à la notion de bien commun. Si le
bien commun, comme défini par Saint Thomas d'Aquin, représentait
la propension naturelle de la Création à tendre vers le Bien, qui
est Dieu; l'intérêt général vient, quant à
lui, désigner, conformément à la pensée
Rousseauiste, l'intérêt d'une nation qui « transcende
celui de ses membres ». Mais la désignation de
l'intérêt général ne revient pas de manière
récurrente dans le Contrat Social de Rousseau. Bien au
contraire, cette dernière est souvent remplacée par le concept de
« volonté générale », qui, lui, renvoie
à la somme de la volonté de tous les individus.
Parfois définie en tant que volonté
générale, intérêt public, ou encore bien commun, la
question de l'intérêt général va peu à peu
irriguer le milieu des penseurs politiques avant de connaître un essor
majeur sous la Révolution française. Il va devenir un point de
divergence entre les monarchistes et les défenseurs de la
République, partisans d'une égalisation des conditions. Le
concept, bien que contesté et parfois incertain, revêt une
fonction majeure dans l'élaboration d'une rhétorique
révolutionnaire. Il va endosser un rôle critique par la
dénonciation de la noblesse comme d'une altératrice de
l'intérêt général à des fins personnelles, et
vient aussi redéfinir la conception usuelle de l'Etat. L'Etat, qui
était jusque-là l'expression de l'ordre militaire, va devenir
l'incarnation de l'intérêt du peuple, et
21 Bolgar, Vera. "L'Intérêt
général dans la théorie et dans la pratique." Revue
internationale de droit comparé 17.2 (1965): 329-363.
22 Le commun profit était autrefois la
conception royale du bien commun, principalement entre le XIIIe et XVIIIe
siècle.
21
l'avènement du peuple en tant que personne politique va
alors consacrer le concept de l'intérêt général.
L'intérêt général vient ainsi poser
les fondements de l'Etat moderne ; l'idée d'un État
caractérisant le « peuple en corps » dont le pouvoir
et la légitimité reposent sur le dépassement de la «
pure considération des intérêts d'ordres ou de corporations
»23.
Définition et redéfinition de
l'intérêt général
Ce que nous expliquent Pierre Crétois et
Stéphanie Roza, c'est que l'intérêt général a
pendant très longtemps été un outil de contournement des
difficultés liées à la conceptualisation de la formation
de la volonté générale. En effet, l'usage de
l'intérêt général a constitué un moyen de
mettre en perspective l'idée qu'il existe un intérêt
impartial et neutre - qui est l'expression du peuple tout entier - sans avoir
à représenter cet intérêt de manière
concrète. Ainsi, dans un contexte révolutionnaire,
l'intérêt général reposait sur l'idée d'un
« accord substantiel du peuple » pour un renouvellement de
la société, chose que critiquera par la suite Proudhon en
dénonçant la « fausse unité »24.
Les auteurs tendent aussi à démontrer comment le
concept s'est construit par le débat constant. C'est ainsi
qu'au-delà de renvoyer à un réalité sociale ou
à un concept juridique précis, l'intérêt
général renvoyait en premier lieu à une position
philosophico-politique dont la mission portait sur une critique de l'ordre
social. Derrière la désignation de l'intérêt
général reposait d'abord le projet d'une nouvelle
société fondée sur une reconception de l'Homme et de ses
droits.
C'est d'ailleurs cette idée que présente
Florence Perrin dans son ouvrage L'intérêt
général et le libéralisme politique. Selon
elle, l'émergence d'une pensée libérale a conduit à
la reformulation de l'intérêt général à
partir des droits et des intérêts particuliers. Mais cette
redéfinition se détache de la conception rousseauiste faisant de
l'intérêt général - présenté en tant
que volonté générale - la somme des volontés des
individus. Parce qu'en effet, alors que la volonté
générale chez Rousseau soulève l'idée d'une
société qui se serait mise d'accord pour que la volonté de
tous soit la volonté de chacun, Florence Perrin nous invite, elle,
à questionner la formation de la volonté générale
non pas comme un consensus, mais plutôt
23 Pierre CRÉTOIS et
Stéphanie ROZA, « De l'intérêt général :
introduction », Astérion [En ligne], 17 | 2017, mis en
ligne le 20 novembre 2017, consulté le 12 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/asterion/2996.
24 Proudhon estimait que
l'unité de l'ordre social était un mythe servant à
justifier l'autorité hétéronome de l'Etat.
22
comme la convergence conflictuelle, mais nécessaire,
des intérêts particuliers pour créer l'intérêt
commun.
De l'intérêt général
à l'intérêt des classes : courte introduction à la
définition marxienne de l'intérêt
générale
Plusieurs interprétations de l'intérêt
général ont conduit à repenser le rôle
prétendu de l'Etat comme celui d'une entité assurant la
primauté de l'intérêt collectif sur l'intérêt
particulier. En effet, la pensée proudhonienne reposant sur le
fédéralisme intégrale25 - bien
que la notion d'intérêt général n'y soit
explicitement présentée - conçoit l'intérêt
général comme décentralisée d'un État, qui,
lui, serait à l'origine d'un ordre social établi.
Dans Intérêt général,
intérêt de classe, intérêt humain chez le jeune
Marx, Stéphanie Roza explique comment une lecture
classique de Marx tend à délégitimer le rôle de
l'Etat dans sa mission de convergence des intérêts particuliers
vers un intérêt général. Chez Marx,
l'intérêt général est indissociable de
l'intérêt du prolétariat. Toutefois, la pensée
marxienne définit l'intérêt général comme un
intérêt ayant été accaparé par une classe
dominante, et qui serait porté par une entité faussement
fédératrice et convergente que serait l'État.
La définition marxienne de l'intérêt
général diffère très largement des
définitions qui lui ont été imputées plus tôt
dans l'histoire, parce qu'en effet, si précédemment
l'intérêt général était conçu comme
l'intérêt de tous, chez Marx, l'intérêt
général représente avant tout un concept visant à
mettre en évidence le conflit des classes. Aussi, l'intérêt
général a de si particulier que c'est un concept français
n'ayant pas d'équivalent en allemand. De fait, si le nom de Marx sonne
comme un questionnement visant à comprendre comment se présente
l'intérêt d'une classe au détriment d'une autre, toute la
difficulté de l'analyse des ses travaux résidait dans la
capacité à faire émerger la notion d'intérêt
général au sein de son oeuvre.
L'intérêt général, qui a
participé à faire émerger une rhétorique
révolutionnaire, à inspiré les auteurs de la
Révolution qui auront eux-mêmes insufflé leurs idées
au sein de la pensée de Karl Marx. Dès lors, si pendant son
séjour en France Karl Marx s'inspire des grands historiens
français pour conceptualiser sa théorie de la lutte des classes,
son oeil se porte particulièrement sur l'émergence d'une
bourgeoisie qui est celle de « (...) l'intérêt
particulier
25 Dans la pensée proudhonienne, le
fédéralisme intégral est perçu comme la
réalisation du principe de souveraineté populaire.
23
en opposition à l'universel » et qui
aspire à promouvoir par la défense de chaque individu ses propres
intérêts.
La définition marxienne de l'intérêt
général constitue alors une nouvelle manière de penser
l'intérêt général. Elle entend non seulement
critiquer la légitimité de l'Etat - et son appareil juridique qui
produit la loi et son interprétation de l'intérêt
général - en tant qu'institution prétendument convergente,
mais aussi contester la légitimité de son action - publique.
Section 2 : L'intérêt général
: la légitimité comme fondement de l'action publique
Légitimité et autorité
Si la légitimité se conçoit comme la
capacité d'une personne ou d'un groupe à asseoir sa domination
sur une communauté ou sur une société, elle constitue par
ailleurs le fondement de l'action publique effectuée au nom d'une
entité plus large que l'individu lui-même.
Max Weber explique, dans Les trois types purs de la
domination légitime, que non seulement la
légitimité du pouvoir repose sur la raison, mais aussi que
l'individu n'accepte de soumettre à l'autorité que parce qu'il la
juge conforme à son intérêt et à
l'intérêt du collectif.
Le concept d'intérêt général se
détache par son ambivalence et par sa faculté à saisir
à la fois la politique mais aussi le droit. Politiquement parlant,
l'intérêt général entend, selon Guillaume Merland,
« (...) renforcer le sentiment d'unité entre des membres de la
société »26. D'un point de vue juridique, il
légitime l'action des pouvoirs publics menés au nom d'un
intérêt qui dépasserait celui du simple citoyen.
Devenu partie prenante du discours des gouvernants,
l'intérêt général constitue le moyen par lequel ces
derniers tentent d'asseoir leur autorité. Le droit administratif, qui a
fait de l'administration l'instrument d'expression de l'intérêt
général - par son action, a consacré
l'intérêt général non seulement comme le «
but de l'action de l'administration », mais aussi comme «
sa limite »27.
L'intérêt général revêt alors
deux missions dans le contrôle de légalité.
Premièrement, un contrôle de l'administration : il entend
contrôler la légalité des actions effectuées en son
nom.
26 Merland, Guillaume. L'intérêt
général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Vol. 121. LGDJ, 2004.
27 « L'intérêt général,
instrument efficace de protection des droits fondamentaux ? » Conseil
constitutionnel,
www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-interet-general-instrument-efficac
e-de-protection-des-droits-fondamentaux. Consulté le 12 juin 2022.
24
Secondement, il constitue la base de la légitimité
de l'action administrative qui restreint les droits et libertés si
l'intérêt général le justifie : c'est le
dépassement de l'intérêt particulier. Instauré
depuis deux siècles au sein de la pensée politique et juridique
française, l'intérêt général est alors
défini par le Conseil d'Etat comme la « finalité ultime de
l'action publique
».
Vers une nouvelle redéfinition de la
légitimité
Brigitte Bouquet nous explique, dans La
légitimité en questions, que l'avènement
de l'Etat de droit et l'émergence des démocraties modernes ont
nécessité l'imposition d'une légitimité venant
compléter la légalité. Alors que Brigitte Bouquet
définit la légalité comme étant la
conformité d'une action à la loi, sa définition de la
légitimité diffère de la conception
wébérienne de cette dernière. En effet, chez Bouquet, la
légitimité revêt une définition davantage
rousseauiste que weberienne, puisqu'elle se présente comme la
conformité d'une action aux lois écrites « (...) par les
représentants du peuple, votant en son nom, selon le principe de
démocratie ». Ainsi, l'intérêt
général, en tant qu'outil de l'action publique mais aussi comme
finalité de cette dernière, oriente l'action collective. L'action
collective, motivée par l'intérêt général,
est alors légitime pour deux raisons. Premièrement, parce qu'elle
est le fruit d'une coproduction entre les gouvernants et les gouvernés :
l'élaboration de l'action publique se fait conformément aux
revendications spécifiques des différentes parties. Ensuite,
l'action publique, parce qu'étant finalité de
l'intérêt général, est consentie et approuvée
par la communauté. C'est ainsi dire qu'il ne saurait exister d'action
publique sans légitimité.
L'intérêt général
étudié sous le prisme de la domination rationnelle
légale
Patrick Duran indique que le développement d'une
sociologie politique de l'action a conduit à une meilleure
compréhension du pouvoir politique28. Si effectivement les
réflexions autour du pouvoir nous invite à analyser les rapports
de domination entre l'autorité, qui dispose du pouvoir, et le
gouverné, qui est se meut sous la contrainte du pouvoir ; la
conception
28 Sylvie Biarez, « Patrice Duran, Penser
l'action publique », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 43 -
n° 2 | Avril-Juin 2001, mis en ligne le 14 juin 2001, consulté le
12 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/sdt/34962.
25
wébérienne du pouvoir soulève
l'idée d'une légitimité du pouvoir assise sur la «
réalité de sa puissance
»29.
Si chez Weber la domination rationnelle légale - qui
fait partie des trois types de domination légitime - renvoie à la
croyance de la légitimité du droit et des ses règles,
plusieurs éléments contribuent à rendre cette conception
pour le moins intéressante.
Premièrement, parce que le développement de la
domination rationnelle légale s'est opéré dans les
sociétés occidentales au moment de la rationalisation de ces
dernières. Cette rationalisation des sociétés occidentales
- principalement européennes - est alors ce que nous avons
présenté plus tôt comme l'avènement de l'Etat
moderne de droit. Dès lors, l'on peut comprendre que la rationalisation
des sociétés occidentales a consacré
l'intérêt général comme l'outil rationnel et
légitime d'expression de la puissance publique au nom du collectif. Mais
si finalement la pensée wébérienne est si
particulière, c'est parce qu'elle fonde la légitimité sur
la croyance. La croyance, par les gouvernés - ici les individus de la
société politique - en une administration bureaucratique
légale - donc reposant sur leur propre consentement conformément
au Contrat Social - et agissant de manière rationnelle
en dépassant les aspirations particulières des individus dans un
but commun : l'intérêt général.
Partie 2 : La légitimation des
opérations d'aménagement olympique : des Jeux
Olympiques
d'intérêt général à des opérations
d'aménagement d'intérêt
général
Section 1 : La conception française du
caractère d'intérêt général des
événements sportifs : Les Jeux Olympiques comme
événements « d'ampleur exceptionnelle »
Le caractère d'intérêt
général du sport en France
En France, l'intérêt général du
sport est présenté dans diverses lois qui lui sont relatives.
Selon la loi du 4 mars 2022 relative à l'organisation des
activités physiques et sportives30, le « (...)
développement du sport pour tous et le soutien aux sportifs de haut
niveau et aux équipes de France dans les compétitions
internationales sont d'intérêt général
».
29 Weber, Max. « Les trois types
purs de la domination légitime (Traduction d'Elisabeth Kauffmann)
», Sociologie, vol. 5, no. 3, 2014, pp. 291-302.
30 Article 7 - Loi n°2022-296 du
2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.
26
Comme expliqué par Jean-Paul Callède, la France
a été marquée par le dessin d'une trajectoire des
politiques sportives visant à ériger un « modèle
singulier »31 reposant sur l'uniformisation des logiques
cognitives et des expériences culturelles. Sous la Vème
République, la notion d'intérêt général du
sport s'est construite autour de la fonction de l'Etat, alors même que ce
dernier amorçait une délégation de ses missions de service
public aux « instances fédérales du Mouvement
sportifpréalablement agréées ». C'est ainsi
qu'en France, la particularité du sport repose sur le rapport entretenu
entre le sport et la puissance publique.
Si effectivement Badie et Birnbaum nous indique que
l'État n'a cessé, au fil du temps, d'asseoir son contrôle
sur la société civile en développant une administration
touchant à « toutes les périphéries
»32, on comprend que la qualification du sport comme
d'intérêt général résulte d'une saisie par
l'Etat - dès le début du XXè siècle - de la
question du sport dans la société.
L'analyse de Jean-Paul Callède permet de comprendre
comment s'est opérée la construction historique du sport en tant
qu'intérêt général en France. En effet, les
prestations décevantes des français lors des JO de Stockholm - en
1912 - ont soulevé la question d'une intervention de l'Etat dans le
sport. Alors que les événements sportifs internationaux
émergent et se multiplient dès la fin du XIXè
siècle - comme les JO d'Athènes en 1896 -, le sport devient un
engagement du prestige de la nation. Au lendemain du revers subi aux JO de
Stockholm, Georges Rozet - journaliste agrégé de
l'Université - affirme que « (...) désormais la valeur
sportive d'une nation ajoutera, d'une façon qui n'est point
négligeable, à ses autres prestiges, à sa valeur sociale
proprement dite ».
Dès lors, les pouvoirs publics vont donner au sport une
attention particulière, et les années 1920 vont voir se
multiplier les compétitions sportives.
Si pendant longtemps la dimension éducative du sport
est discutée par les enseignants, la période qui suit la
Première Guerre Mondiale voit le sport se détacher du
ministère de la Guerre pour se rattacher, en premier lieu, au
ministère de l'Instruction publique, puis ensuite, au ministère
de la Santé. Un questionnement se pose sur le statut ministériel
du sport ainsi que sur sa légitimité. Finalement, en dix ans, le
sport est investi d'une légitimité publique
31 Callède, Jean-Paul. "Les politiques du sport
en France." L'Année sociologique 52.2 (2002): 437-457.
32 Coutau-Bégarie, Hervé. "Bertrand
Badie et Pierre Birnbaum. Sociologie de l'Etat." Politique
étrangère 48.3 (1983): 765-766.
27
résultant du travail conjoint entre Henry Paté -
sous secrétaire d'Etat à l'Education physique - et les
parlementaires. En effet, c'est dès 1929 que se décide
l'augmentation du budget alloué au sport - bien qu'il eût
déjà été le premier budget de l'éducation -
ainsi que l'augmentation des effectifs.
Aujourd'hui, la loi consacre l'intérêt
général du sport pour plusieurs raisons. Premièrement,
parce que le sport « participe à la réalisation des
objectifs de développement durable »33. Et
Deuxièmement, parce que le sport est facteur «
d'intégration sociale» et parce qu'il tend à
créer une solidarité citoyenne indépendant du sexe, de la
condition sociale ou des opinions politiques.
L'intérêt général des
événements sportifs : le cas des Jeux Olympiques de Paris en
2024
Aujourd'hui, accueillir un événement sportif
constitue une opportunité économique non négligeable pour
bon nombre de villes. Selon Célestin Merlin, ces
évènements sont aussi un moyen de « prendre une avantage
décisif sur des villes concurrentes
»34. Cette idée rejoint alors
l'idée soulevée plus tôt du sport comme l'engagement du
prestige de la nation.
Aussi, les retombées économiques attendues et
les perspectives de transformations du paysage urbain s'insèrent au sein
du discours de légitimation des JO en tant qu'événement -
sportif - d'intérêt général.
Alors qu'en 1984 les JO de Los Angeles avait permis de
générer un bénéfice d'environ 232 millions de
dollars, il semblerait alors que les enjeux socio-économiques
soulevés par les JO aient conforté la volonté
d'organisation des villes candidates.
En 2018, un projet de loi relatif à l'organisation des
Jeux Olympiques de 2024 avait fait état des Jeux Olympiques de Paris
comme de l'événement sportif « le plus important jamais
organisé en France »35. Si
effectivement ce projet de loi présentait l'aspect victorieux de
l'organisation d'un événement sportif d'une « telle
ampleur », il n'a cependant pas manqué d'affirmer que cette
organisation incombe « une grande responsabilité
».
33 Article 7 - Loi n°2022-296 du 2 mars 2022
visant à démocratiser le sport en France.
34 Merlin, Célestin, and Nathalie Gilson.
"L'impact sur l'économie domestique de l'organisation de grands
événements sportifs: le cas des Jeux Olympiques.".
35 LOI n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative
à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
28
Alors que Thomas Junod nous invite à relativiser
l'intérêt général des JO - notamment fondé
sur un bilan financier parfois surévalué36 -, le
projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques de 2024
expose en quoi les JO de Paris de 2024 constitue un «
événement d'ampleur exceptionnelle ».
En effet, 11 millions de spectateurs sont attendus. A titre de
comparaison, c'est près de 5 fois le nombre de spectateurs ayant
assisté à l'Euro 2016 de football. Plus encore, l'argument
économique est largement évoqué. Si le coût des JO
est évalué à 6.7 milliards d'euros - 3.7 milliards pour
l'organisation et 3 milliards pour la confection des infrastructures -, les
organisateurs estiment que les JO - dans le meilleur des scénarios -
pourraient générer près de 10.6 milliards d'euros et
créer 250 000 emplois pérennes d'ici 2034.
Figure 2 - Estimation de l'impact économique des JO
de Paris en milliard pour la période
2017 à 2034
Source : static.cnews (2018)
Les JO ne s'affichent pas seulement comme une fenêtre
d'exposition pour la ville de Paris, ils viennent aussi s'affirmer comme les
initiateurs d'une transformation urbaine.
36 Junod, Thomas. "Grands événements
sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007):
92-98.
29
En effet, alors que les JO de Paris sont un moyen pour la
capitale française de se montrer sur la scène internationale, le
projet de loi relatif à l'organisation des Jeux Olympiques de 2024
entend faire de la Seine-Saint-Denis le territoire majeur de ces Jeux
Olympiques. Outre le village des athlètes situé à
Saint-Ouen et le centre aquatique à Saint-Denis, ce sont près de
100 000 m2 de bureaux et 20 000 m2 de commerces qui vont s'y implanter.
Cette transformation urbaine repose alors en premier lieu sur
des motifs économiques. C'est d'ailleurs ce qu'explique Patrice Bouvet,
qui affirme que les arguments avancés par les organisateurs des
événements sportifs sont essentiellement économiques.
C'est ainsi qu'apprécier « (...) l'impact économique de
ces événements est présenté comme une
nécessité absolue » puisque que l'argument
économique - sur lequel repose l'intérêt
général dans sa conception utilitariste -, « (...)
permet de construire la légitimité de telles opérations
»37.
Section 2 : L'intérêt
général des projets d'aménagement olympique comme
reconnaissance de la portée publique des enceintes sportives
De la légitimité du sport à
l'intérêt général des infrastructures
sportives
L'intérêt général des projets
d'aménagement olympique provient de cette longue histoire ayant conduit
la puissance publique française a consacré l'intérêt
général du sport. En effet, c'est par la construction de la
légitimité du sport que les moyens de son exercice - donc des
opérations d'aménagement nécessaires à la tenue
d'événements sportifs - ont aussi été
consacrés comme étant légitimes et d'intérêt
général.
Cette reconnaissance de l'intérêt
général des infrastructures sportives a été
amorcé dans les années 1920. Jean-Paul Callède
précise que les élections municipales de 1925 ont
été majeures dans l'impulsion donnée à la mise en
place des politiques sportives à l'échelle de la
municipalité. C'est à cette période que d'ambitieux
projets sportifs émergent et que sont confectionnés les premiers
stades municipaux, gymnases couverts et salles d'éducation physique.
L'infrastructure sportive devient alors « (...) un domaine
d'innovation architecturale, technique et technologique aux retombées
symboliques immédiates » qui dépasse radicalement
l'usage pratique qui lui était jusque-là imputé.
37 Patrice Bouvet, « Les « retombées
» des évènements sportifs sont-elles celles que l'on croit ?
», Revue de la régulation [En ligne], 13 | 1er semestre /
Spring 2013, mis en ligne le 25 juin 2013, consulté le 12 juin 2022. URL
:
http://journals.openedition.org/regulation/10215.
La complétude de l'échangeur Pleyel :
les projets d'aménagement olympique consacrés
juridiquement
Comme expliqué plus tôt, les projets
d'aménagement olympique, conçus comme le moyen par lequel
l'activité sportive d'intérêt général peut se
tenir, ont été revêtus d'un caractère
d'intérêt général grâce leur insertion au sein
d'un processus estimé de notoriété publique.
C'est ainsi que la question de l'intérêt
général des opérations d'aménagement a
été précisée dès 2009 par l'article 28 de la
loi sur le développement et la modernisation des services touristiques.
Cet article reconnaît alors que les « (...) enceintes sportives
figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre
chargé des sports, destinées à permettre l'organisation en
France d'une compétition sportive internationale ou à recevoir,
à titre habituel, des manifestations sportives organisées par une
fédération sportive (...), ainsi que les équipements
connexes permettant le fonctionnement de ces enceintes, sont
déclarés d'intérêt général, quelle que
soit la propriété privée ou publique de ces installations,
après avis de l'ensemble des conseils municipaux des communes riveraines
directement impactées par leur construction ». Plus encore,
l'article précise que les « (...) collectivités
territoriales peuvent réaliser ou concourir à la
réalisation des ouvrages et équipements nécessaires au
fonctionnement et à la desserte des installations mentionnées
».
Ainsi, l'article 28 de la loi sur le développement et
la modernisation des services touristiques n'entend pas seulement faciliter la
construction d'infrastructures sportives « (...) par la reconnaissance
de leur intérêt général », il
déclare d'intérêt général l'ensemble des
constructions et rénovations qui doivent permettre la tenue d'un
événement sportif quelconque.
C'est de cette manière que la complétude de
l'échangeur Pleyel, parce qu'elle doit permettre la tenue des Jeux
Olympiques de Paris en 2024, revêt un caractère
d'intérêt général.
Partie 3 : Les Jeux Olympiques comme levier de
transformation urbaine : l'intérêt général des
opérations d'aménagement olympique étudié sous le
prisme utilitariste
Section 1 : Les JO comme fenêtre
d'opportunité pour le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel
30
Les Jeux Olympiques comme accélérateur
d'investissement
31
Horne et Manzenreiter décrivent les
évènements sportifs comme permettant « (...) une forte
attractivité touristique, une possible influence sur l'image du pays, un
effet dynamisant pour le commerce local, un effet accélérateur
pour la construction d'équipements locaux » et «
(...) une importante couverture médiatique
»38. Pour Thomas Junod, ces
événements s'insèrent dans une logique « (...)
d'objectifs de long terme ».
En effet, les dépenses peuvent conduire à des
investissements durables. Ainsi, l'on peut observer qu'en Ile-de-France,
certaines enceintes sportives - notamment le stade de Colombes - qui avaient
été érigées pour les Jeux Olympiques de Paris en
1924, sont encore utilisées aujourd'hui. D'ailleurs, cette idée
est d'autant plus confirmée par Valérie Fourneyron qui
évoque l'importance des événements sportifs dans leurs
capacités à être des accélérateurs «
(...) de développement intérieur et de rayonnement pour le
pays (...) »39.
Le projet de loi relatif à l'organisation des Jeux
Olympiques a fait de la question des investissements un axe majeur de son
argumentaire. En effet, l'on y apprend que les JO seront des
accélérateurs d'investissements, notamment de par leur mission
consistant à « valoriser leur apport pour les territoires
concernés ». Selon le projet de loi, les JO seront l'occasion
de créer « 17 000 lits répartis sur 51 hectares, qui
seront ensuite reconvertis en 2 200 appartements familiaux, 900 chambres de
résidence étudiante », à Saint-Denis. Plus
encore, le village des médias situés sur les communes du Bourget
et de Dugny sera reconverti en « (...) 1 500 logements, dont 20 % de
logements sociaux, et en un établissement d'hébergement pour
personnes âgées dépendantes, EHPAD », et le
centre aquatique à Saint-Denis deviendra une « (...) piscine
municipale à visée récréative et sportive ayant
vocation à accueillir le centre d'entraînement de la
fédération française de natation ».
Outre le fait que les infrastructures seront
réhabilitées en logements - dont 30% à caractère
social -, les Jeux Olympiques sont perçus comme une «
opportunité à saisir pour la Seine-Saint-Denis »,
puisque près de 2 milliards d'euros devraient y être investis, et
permettraient non seulement de créer des milliers d'emplois - Plaine
Commune a pour objectif d'en créer 1000 en vue des JO -, mais aussi
d'améliorer, par le même biais, les « services publics
».
38 Horne, John, and Wolfram Manzenreiter. "An
introduction to the sociology of sports mega-events." The sociological
review54.2_suppl (2006): 1-24.
39 Fourneyron, Valérie. "Faire du sport un
levier de croissance pour la France." Revue internationale et
stratégique 2 (2014): 81-87.
32
Les Jeux Olympiques comme moyen de financement des
opérations d'aménagement de l'échangeur Pleyel
En 2010, l'article 21 de la loi du 3 juin relative au Grand
Paris instituait la création du Contrat de Développement
Territorial (CDT). Ces contrats de développement territorial sont alors
conçus comme des « (...) projets de territoires
élaborés par les collectivités locales et l'Etat afin de
dynamiser les territoires du Grand Paris ».
Alors que les travaux d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel ont commencé en 2021 et que les
premières concertations avaient été amorcées en
2017, et outre le fait le projet d'aménagement ait été
inscrit au sein du CDT de Plaine Commune - Etablissement public territorial
comprenant 9 communes de Seine-Saint-Denis - en 2014, Monsieur Mathieu Hanotin
- maire de Saint-Denis et président de Plaine Commune - avait
déclaré lors d'une allocution télévisée que
le projet avait été pensé depuis bien avant, mais
était jusque-là resté dans les cartons.
En 2018, le projet de loi relatif à l'organisation des
JO de Paris en 2024 faisait déjà mention de la volonté de
Plaine Commune de mobiliser « l'événement olympique et
paralympique pour améliorer ses services publics avec la création
de deux parcs de 2 à 3 hectares, l'aménagement des berges de
Seine, la restructuration de l'échangeur autoroutier Pleyel,
l'enfouissement d'une ligne électrique haute tension et la construction
d'un mur antibruit au bord de l'autoroute A 86 ».
D'ailleurs, ces affirmations ont été
confirmées lors d'un entretien mené auprès de la
municipalité de Saint-Denis. En effet, si le projet d'aménagement
du système d'échangeur Pleyel « (...) n'a pas
avancé plus tôt, c'est très certainement pour des questions
financières (...) ». Alors que beaucoup font de
l'échangeur Pleyel « un projet olympique », la Maire
de Saint-Denis précise que le projet d'aménagement «
(...) a été accéléré par les
financements olympiques, puisque c'est la SOLIDEO qui finance ce projet
», mais qu'il a comme principale mission de « (...)
rectifier (...) un contexte un peu historique avec des difficultés de
branchement» entre l'autoroute A1 et l'A8640.
C'est la Société de livraison des ouvrages
olympiques (SOLIDEO) - créée par la loi du 28 février 2017
relative au statut de Paris et à l'aménagement
métropolitain41 - qui prend en
40 Entretien téléphonique avec la DiRIF,
réalisé le 23 février 2022.
41 La SOLIDEO est chargée de la livraison des
ouvrages et des opérations d'aménagement olympique. Son conseil
d'administration est présidé par la mairie de Paris.
charge l'entièreté des coûts
d'opérations. En effet, la DiRIF a affirmé lors d'un entretien
que lorsque « (...) la candidature de la France a été
mise et lorsqu'il a été décidé que le village
olympique viendrait s'installer à Saint-Denis et sur l'Ile-Saint-Denis,
à proximité de l'échangeur Pleyel, cette opération
qui (...) rentrait dans le cadre (...) du schéma de développement
de la zone et du secteur (...) était vue comme importante »
puisque c'était « (...) une opportunité pour le village,
pour assurer, faciliter la desserte du village ». De fait le projet
d'aménagement de l'échangeur Pleyel « (...) a
trouvé son financement pour un usage plus large à priori, une
vocation hors village, hors Jeux initial »42.
Section 2 : L'intérêt
général des opérations d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel par son insertion au sein d'un
processus de développement urbain : le cas du Grand Paris
L'échangeur Pleyel comme réponse à
un besoin urbain
L'aménagement du système d'échangeur
Pleyel, avant d'être un outil facilitant la desserte du village
olympique, est avant tout un projet devant répondre à la question
d'un échangeur qui « (...) ne marche pas » et qui
poussent les véhicules à « (...) faire des circuits
beaucoup plus longs que nécessaires ». Ainsi, les
opérations d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel visent à réduire « (...) le nombre de
kilomètres des voitures, donc de gaz à effet de serre et de
polluants »43.
Figure 3 - Carte du projet d'aménagement des
échangeurs Pleyel et de la Porte de Paris à
Saint-Denis
33
42 Entretien téléphonique avec la DiRIF,
réalisé le 23 février 2022.
43 Entretien avec la Maire de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
34
Source : ville-saint-denis (2017)
En effet, l'A86 ne dispose pas d'échangeur complet,
« (...) historiquement, elle a eu un demi-échangeur sur l'A86
au niveau de Pleyel, (...) qui a rendu, finalement, les échanges assez
compliqués », et certaines connexions impossibles.
Alors que la configuration actuelle des échangeurs
Pleyel et Porte de Paris conduit à une intensification du trafic sur le
boulevard Anatole France, les opérations d'aménagement de
l'échangeur Pleyel porté par la DiRIF tendent à «
(...) améliorer la desserte du quartier Pleyel»
à « (...) offrir aux usagers des conditions optimales de
circulation (...) » et à « (...) permettre le
développement des offres de déplacement
»44.
Pour ce faire, la DiRIF entend supprimer l'échangeur de
la Porte de Paris et libérer « le foncier nécessaire aux
projets menés par Plaine Commune pour repenser les liaisons entre le
centre-ville et le sud de la ville ».
La fermeture des bretelles de l'échangeur de la Porte
de Paris en 2023 et leur déconstruction en 2025, auront pour objectif de
réduire le trafic sur le boulevard Anatole France, et la suppression de
l'échangeur de la Porte de Paris amorcera une restructuration de
l'échangeur Pleyel.
44 « Aménagement du système
d'échangeurs Pleyel (A86) et Porte de Paris (A1) | Ville de Saint-Denis
». Ville de Saint-Denis | Accueil,
ville-saint-denis.fr/aménagement-du-système-déchangeurs-pleyel-a86-et-porte-de-paris-a1.
Consulté le 12 juin 2022.
35
Figure 4 - Carte des travaux de fermeture des bretelles de
l'échangeur de la Porte de Paris.
Source : DiRIF (2017)
Alors que jusqu'à aujourd'hui seules l'entrée et la
sortie depuis et vers Nanterres étaient possible, les opérations
d'aménagements vont rendre possible l'entrée et la sortie de
l'A86 depuis le quartier Pleyel.
Les perspectives environnementales seront majeures et la DiRIF
entend « (...) limiter l'impact de la qualité de l'air sur
l'école Anatole France ».
Au surplus, 41 000 m2 d'espaces végétalisés
vont être créés et près de 7000 m2 de sols vont
être rendus perméables dans un territoire historiquement
marqué par une forte pollution et une importante bétonisation.
Figure 5 - Croquis des nouveaux aménagements autour
de l'échangeur Pleyel
36
Source: DiRIF (2017)
L'échangeur Pleyel dans une perspective de Grand
Paris
Thomas Junod nous indique que « (...) l'accueil d'un
méga-événement sportif constituerait aujourd'hui une bonne
affaire pour la ville hôte, la région, voire pour le pays entier
», notamment parce que « (...) les transformations urbaines
que nécessitent l'organisation d'un méga-événement
sportif sont extrêmement rapides »45.
La littérature a montré comment les Jeux
Olympiques ont constitué un moyen d'initier de grands projets urbains
pour les villes qui les accueillent. En effet, en 1992, se déroulent les
Jeux Olympiques dans la ville de Barcelone. Alors que le front de mer avait
jusque-là été délaissé, les JO ont
été l'occasion d'une transformation majeure pour la capitale de
la Catalogne, notamment suite à l'agrandissement des plages,
l'enfouissement de l'autoroute ou encore l'ouverture du quartier sur la mer.
Plus encore, les retombées économiques ont été
importantes puisque le tourisme s'est considérablement
développé, entraînant dans son élan l'augmentation
du nombre d'hôtels et la rénovation de l'aéroport de
Barcelone ainsi que des nombreuses gares qui parsèment la ville.
45 Junod, Thomas. "Grands événements
sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007):
92-98.
Boris Lebeau s'est intéressé à comprendre
en quoi les Jeux Olympiques de Paris constituerait une chance pour le Grand
Paris. Alors que les Jeux Olympiques semblent être une aubaine
inespérée d'impulser une dynamique pour une banlieue «
(...) largement défavorisée de ses problèmes
», ces derniers seraient aussi un moyen d'accélérer le
développement économique des territoires du Grand
Paris46.
La région Ile-de-France entend faire des JO un outil
devant à la fois « (...) léguer un héritage
matériel» et mettre en valeur « (...) les innovations
et les emplois nourris et créés (...) »47.
Ainsi, l'échangeur Pleyel, en plus de répondre à un besoin
en matière de mobilité et développement urbain,
s'insère dans une logique de transformation urbaine visant à
faire du quartier Pleyel un « (...) noeud de communication avec le
lien aux lignes 13, 14, 15, 16 du Grand Paris Express (...) », ainsi
qu'un quartier « (...) attractif
»48.
Outre la volonté affichée par la région
Ile-de-France d'utiliser les JO de paris comme d'un tremplin économique,
notamment via une accélération de l'internationalisation et via
l'accroissement de l'attractivité régionale, la région
entend aussi créer le réseau de transport le plus performant et
durable au monde. C'est ainsi que l'entretien auprès de la Mairie de
Saint-Denis a fait émerger l'idée d'un quartier Pleyel «
(...) connecté en termes de transport en commun ».
37
46 Lebeau, Boris. "Une «banlieue
créative» dans le Grand Paris ?." EchoGéo 27
(2014).
47 « Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 |
Région Île-de-France ». Région
Île-de-France,
www.iledefrance.fr/jeux-olympiques-et-paralympiques-paris-2024.
Consulté le 12 juin 2022.
48 Entretien avec la Maire de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
38
Le premier chapitre de ce mémoire a constitué un
moyen de comprendre comment la notion d'intérêt
général est née en France et a été
élaborée suite aux différentes approches ayant
tenté de la définir.
La première partie a mis en évidence toute la
difficulté qui se trouvait dans la définition de
l'intérêt général, notamment du fait de l'opposition
entre une conception utilitariste et une conception volontariste de ce dernier.
Aussi, d'autres auteurs, tels que Karl Marx et Proudhon, ont tenté de
critiquer l'approche faisant de l'Etat, l'acteur garantissant l'expression de
la volonté générale. Ce retour historico-sémantique
nous a permis d'entrevoir en quoi les opérations d'aménagement
olympique sont d'intérêt général.
En effet, la France a, par ses politiques publiques,
institué la légitimité du sport et des enceintes
nécessaires à son exercice. Dès lors, cette construction
de la légitimité du sport et des événements
sportifs - notamment les Jeux Olympiques -, a permis la consécration
juridique du sport, des événements sportifs et des moyens
nécessaires à leurs tenues. C'est ainsi que le projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
s'insère dans une logique d'intérêt général
résultant d'un processus historique d'utilisation du sport - et des
événements sportifs - non seulement comme des outils sociaux -
d'intégration et de lutte contre les discriminations -, mais aussi comme
des accélérateurs de transformation urbaine.
On peut ainsi comprendre que les opérations
d'aménagement olympique reposent sur une conception utilitariste de
l'intérêt général comme d'un intérêt
reposant avant tout sur des motifs économiques.
39
CHAPITRE 2 : LES OPÉRATIONS
D'AMÉNAGEMENT D'AMÉNAGEMENT DU SYSTÈME D'ÉCHANGEUR
PLEYEL: INTÉRÊT GÉNÉRAL OU INTÉRÊT DE
CLASSE ?
40
Le deuxième chapitre de mon mémoire entend
questionner l'intérêt général des opérations
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel.
Pour ce faire, la première partie du chapitre sera
consacrée à une étude de l'intérêt
général du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel à travers le point de vue marxien de la notion
d'intérêt général. Ainsi, nous observerons en quoi,
au-delà de son fondement juridique, le concept d'intérêt
général peut être critiqué sur différents
points qui tendent à faire émerger l'idée
d'opérations d'aménagement olympique davantage
d'intérêt de classe que d'intérêt
général.
Ensuite, nous analyserons comment la question de
l'intérêt général des opérations
d'aménagement peut être remise en question, notamment suite aux
contraintes imposées par les limites de la rationalité.
Enfin, la dernière partie tentera de présenter
comment le projet d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel traduit une limite de la conception utilitariste de
l'intérêt général, et dans quelle mesure cette
limite de la conception utilitariste de l'intérêt
général révèle toute la difficulté qui
réside dans la mise en place d'une politique de développement
durable à l'échelle nationale.
41
Partie 1 : Délégitimation du projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel :
l'intérêt général étudié sous le
prisme marxien
Section 1 : Vers une remise en question de
l'intérêt général des opérations
d'aménagement olympique : le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel comme un intérêt de
classe ?
L'intérêt de classe chez Marx
La première partie du premier chapitre du
mémoire avait brièvement introduit la question de
l'intérêt général chez Karl Marx. Ainsi, nous avons
pu comprendre comment Karl Marx percevait l'intérêt
général comme étant l'intérêt d'une classe
dominante portée par l'Etat.
L'étude de la conception marxienne de
l'intérêt général est intéressante pour
plusieurs raisons. Premièrement, parce que comme nous l'indique
Stéphanie Roza, l'intérêt général en tant que
« (...) besoins propres à la société en tant que
collectif unifié » est étranger à une oeuvre
marxienne fondée sur une lutte des intérêts par les classes
sociales. En effet, outre la particularité faisant de
l'intérêt général une conception essentiellement
française et rendant peu visible les équivalences allemandes dans
l'oeuvre de Karl Marx, Stéphanie Roza précise que la
pensée marxienne ne fait pas émerger une notion
d'intérêt général à proprement dite. En
effet, l'oeuvre marxienne tend plutôt à critiquer la
définition qui lui a été imputée pendant la
Révolution française avant qu'elle ne finisse par
s'insérer au sein de l'oeuvre juridique.
Alors que dans la pensée marxienne le
prolétariat renvoie à cette classe sociale qui s'oppose à
la classe capitaliste, l'opposition d'une bourgeoisie minoritaire à un
prolétariat majoritaire semble presque suivre la logique initiée
par Emmanuel Sieyès, dans laquelle la Noblesse, minoritaire, se
confronte à un Tiers-état majoritaire, et formant le « Tout
de la Nation »49. Dans les deux pensées, l'on retrouve
un rapport de domination dans lequel le dominé, qu'il soit le
prolétariat ou le Tiers-état, est perçu comme «
(...) politiquement légitime » parce qu'il «
(...) produit la totalité de la richesse nationale et remplit
l'ensemble des missions et des services ».
49 Quiviger, Pierre-Yves. "Sieyès et
l'État." Tumultes 1 (2015): 27-35.
42
L'intérêt de classe, chez Karl Marx, est
particulier en ce sens que l'appartenance à une classe ne dépend
pas du revenu mais du rapport entretenu aux moyens de la production sociale. La
dénomination de classe dominante - établie par Marx et
Engels50 - devient alors l'outil permettant de dépeindre
l'ordre social du fait que « (...) les conditions à
l'intérieur desquelles des forces productives déterminées
peuvent être employées sont les conditions de la domination d'une
classe déterminée de la société, dont la puissance
sociale, qui est issue de ce qu'elle possède, trouve son expression
idéaliste pratique dans chaque forme d'État ». Ainsi,
l'intérêt de classe, en plus de renvoyer à la possession
des moyens de la production sociale, met aussi en exergue la saisie des
instances « (...) idéologico-culturelles et
étatico-politiques » à des fins personnels. C'est en ce
sens que l'intérêt de classe diffère de la conception
usuelle de l'intérêt général. Parce qu'en effet, si
l'Etat est conçu - conformément à la pensée
wébérienne - comme étant un « groupement de
domination de caractère institutionnel qui a cherché - avec
succès - à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la
violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce
but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels
de gestion »51, et qu'en plus de cela il
est l'outil d'une classe dominante - bourgeoise - qui, « (...) promeut
la défense par chaque individu de ses propres prérogatives,
différentes, voire contraires à celles de tout autre »
; il paraît évident, dans la pensée marxienne, que la
définition de l'intérêt général en tant que
« (...) besoins propres à une société en tant que
collectif unifié », quand bien même elle trouverait ses
fondements dans la loi, soit finalement malléable aux grés des
intérêts d'une classe dominante.
Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel comme un intérêt de classe ?
L'introduction du mémoire avait été
l'occasion de soulever une question visant à comprendre à qui le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel est
destiné. Si effectivement la Mairie de Saint-Denis affirme que la
volonté des opérations d'aménagements est avant tout de
faire du quartier Pleyel un quartier « (...) très facile
d'accès (...) pour ceux qui y vivent », la
problématique du groupe scolaire Anatole France vient quelque peu
contrarier ces affirmations.
50 Marx et Engels voient dans la classe dominante une
classe à laquelle est subordonné le pouvoir politique de
l'Etat.
51 Genet, Jean-Philippe. "La genèse de
l'État moderne." Actes de la recherche en sciences sociales
118.1 (1997): 3-18.
43
En effet, selon le Comité de vigilance JO 2024, le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
prévoit de prendre en étau l'école Anatole France entre
deux boulevards « (...) qui accroitront la pollution sonore et de
l'air, sans compter l'insécurité à laquelle seront
confrontés les enfants lors de la traversée de ces larges axes de
circulation »52.
De fait, cette reconfiguration du quartier entend approcher
l'axe routier du groupe scolaire composé de 600 enfants.
Figure 6 - Carte de l'enclavement du groupe scolaire
Anatole France
Source : FCPE Saint-Denis (2020)
Alors que la municipalité précédente
avait décider de doubler « (...) la capacité de
l'école» dans un moment où « (...) le niveau
de pollution était plus élevé qu'il ne l'est aujourd'hui
»53, la question de l'exposition des enfants du groupe
scolaire Anatole France à un air pollué, qui, selon le collectif
Pleyel - collectif de citoyens dyonisiens - risque de l'être davantage
à cause de la nouvelle configuration qui « (...) engendrerait
environ 30% de trafic supplémentaire », ne cesse d'alimenter
les débats.
Effectivement, les réflexions autour de l'exposition
des enfants à un air pollué ont donné lieu à une
multitude d'études scientifiques. En 2021, l'UNICEF avait
déclaré qu'en France, entre
52 « Enquête publique : réagissez contre les
pollutions à venir ». Comité de vigilance JO 2024
Saint-Denis,
vigilancejo93.com/2019/06/09/enquete-publique-reagissez-contre-les-pollutions-a-venir.
Consulté le 12 juin 2022.
53 Entretien avec la Maire de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
44
47 000 et 100 000 décès prématurés
survenaient chaque année à cause de la pollution de l'air. Ainsi,
alors que 3 enfants sur 4 respirent un air pollué, le projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel soulève
l'idée d'un intérêt de classe, conformément à
la pensée marxienne, pour plusieurs raisons.
Premièrement, parce qu'en 2019, l'Etat français
avait été condamné par la Cour de justice de l'Union
européenne en raison de la pollution de l'air au
microparticules54. Si cette condamnation peut sembler anodine,
l'étude de Christian Nicourt et Jean Max Girault sur les
problèmes environnementaux comme facteur de régulation sociale
nous permet de mieux saisir les enjeux soulevés par le projet
d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel55.
En effet, Christian Nicourt et Jean Max Girault expliquent
qu'il existe une relation inégalitaire à la qualité de
l'environnement dans laquelle les populations les plus pauvres des banlieues
ouvrières souffrent « (...) des contraintes
d'environnement», notamment des « (...) nuisances sonores et
la pollution atmosphérique typiques des transports urbains contemporains
».
Ainsi, alors que l'Etat français - défenseur du
besoin de la société en tant que collectif unifié - a
été condamné pour ne pas protéger ses citoyens de
la pollution de l'air de manière suffisante, et alors que le projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, qui avait en
premier lieu été suspendu, a par la suite été
conforté, l'interrogation d'un projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel porteur d'un intérêt de
« groupe » qui diffèrerait de l'intérêt
général, et notamment de l'intérêt des groupes les
moins favorisés, semble être légitime.
En effet, alors que le taux de pauvreté dans le
quartier Pleyel s'élève à environ 37 %, ici,
l'intérêt de classe ne résiderait pas dans la possession
d'un moyen de production, mais plutôt dans l'usage de l'appareil «
étatico-politique » dans un intérêt qui ne
favoriserait pas les groupes les moins favorisées.
C'est d'ailleurs une logique propre à l'opposition
entre la conception utilitariste de l'intérêt
général et la conception volontariste. En effet, l'espace public
est perçu, soit, comme un espace dans lequel coexiste les
intérêts particuliers, soit, un espace caractérisé
par la « (...) capacité des individus à transcender
leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la
suprême liberté de former ensemble une société
politique »56. L'intérêt de classe du
projet
54 Dans un arrêt rendu le 24 octobre 2024, la
Cour de justice de l'Union Européenne a condamné la France suite
à ses manquements vis-à-vis de la directive sur la qualité
de l'air de 2008.
55 Nicourt, Christian, and Jean Max Girault.
"Environnement et relégation sociale, l'exemple de la ville de
Saint-Denis du début du XIXe siècle à nos jours."
Natures Sciences Sociétés 5.4 (1997): 23-33.
56 Rapport public du Conseil d'Etat, 1999,
Considérations générales :
Réflexion sur l'intérêt
général (EDCE n°50), 1999.
45
d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel serait alors le renoncement - par la transcendance - à un
intérêt sanitaire et environnemental pour un intérêt
économique à portée générale.
Mais finalement, ne serait-ce pas, suivant l'analyse de
Jean-François Calmette, la question d'un intérêt
privé face à l'intérêt général ? En
effet, Jean-François Calmette précise qu'alors que la protection
de l'environnement a toujours été perçu comme un
intérêt collectif majeur, l'activité économique,
telle que conçue par les utilitaristes, s'est toujours heurté au
respect de « l'ordre public environnemental ». Ainsi, alors
que « (...) la finalité environnementale risque d'aller
à l'encontre de l'intérêt général
», Jean-François Calmette affirme que c'est « (...)
recherchant la maximisation de son profit que l'entrepreneur
génère des émissions polluantes
»57.
Mais dans notre étude, qui serait l'entrepreneur
voulant maximiser son profit ? La municipalité de Saint-Denis,
Plaine-Commune ou le département de Seine-Saint-Denis ?
Ce questionnement autour de l'intérêt
général des opérations d'aménagement olympique est
d'autant plus pertinent lorsque l'on se plonge dans l'historique des
précédents Jeux Olympiques.
En effet, alors que Claudio Zanotelli évoquait
l'éviction des quartiers populaires suite aux JO de Rio en 2016, Pascal
Gillon s'est lui aussi intéressé à savoir à qui
profite l'héritage des Jeux Olympiques.
Si les Jeux Olympiques de Rio ont été une
occasion pour la ville de transformer son image, d'apporter de nouveaux
logements, ou d'entamer des rénovations urbaines, les
spéculations immobilières ont aussi largement chassé les
populations les plus pauvres. Ainsi, Pascal Gillon explique que «
(...) des pans entiers de l'agglomération ne profiteront pas des
Jeux et il se trouve que ce sont les zones les plus pauvres» et que
plus encore, le coût élevé des JO tient en l'idée
« (...) des expropriations pas toujours justifiées par les
travaux, à un montant d'indemnisation largement
sous-évalué et à la politique de relogement qui a
rejeté des familles à la périphérie» de
Rio58.
57 Calmette, Jean-François. "Le droit de
l'environnement: un exemple de conciliation de l'intérêt
général et des intérêts économiques
particuliers." Revue juridique de l'Environnement 33.3 (2008):
265-280.
58 « Les Jeux Olympiques de Rio 2016 : un héritage
mais au profit de qui ? -- Géoconfluences ». Ressources de
géographie pour les enseignants -- Géoconfluences,
geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/jo-rio-2016.
Consulté le 12 juin 2022.
46
Ces différentes expériences questionnent non
seulement les Jeux Olympiques, mais aussi les opérations
d'aménagements nécessaires à leur déroulement.
Ainsi, le rapport entre les prétendus bénéficiaires des JO
et les véritables bénéficiaires met en lumière la
possible portée non générale d'opérations
d'aménagement pourtant baptisées d'intérêt
général.
Section 2 : Critique rationnelle de la
légitimité de l'action publique
Questionnement des prétentions de
légitimité de l'action publique
L'intérêt général se
présente comme la finalité de l'action publique et occupe une
place importante dans l'oeuvre juridique française.
Alors que nous avons vu dans la première partie du
Chapitre 1 comment l'intérêt général institue la
légitimité de l'action publique, Patrick Pharo, lui, pose une
réflexion portant sur les conditions de légitimité de
l'action publique59. En effet, Patrick Pharo indique que la
prétention à la légitimité est « (...)
soumise à des contraintes de cohérence normative » par
lesquelles l'on vérifie la « (...) cohérence et
vérité des énoncés ». Son analyse rompt
avec la pensée rousseauiste telle que décrite dans le
Contrat Social et dépeignant un ordre civil
légitime et reposant sur des « (...) structures
régulatives librement et antérieurement consenties ».
Pour ainsi dire, la légitimité d'une action publique ne saurait
uniquement se fonder sur la loi ou la morale, mais aussi sur la capacité
de l'individu de raison à critiquer sa cohérence. Cette
cohérence est alors définie par Patrick Pharo comme étant
une action publique qui « (...) se montre vraie, dans un sens
très large du terme ».
Si un questionnement portant uniquement sur la
légitimité ne permet pas de définir une action publique
comme légitime ou illégitime, la réflexion autour de la
légitimité peut être étudiée en portant
l'attention sur le rapport qu'entretiennent les actions publiques entre-elles,
notamment en observant la manière dont elles s'imposent à elles
mêmes des contraintes de légitimité qu'elles respectent ou
non. Ainsi, c'est dans la dichotomie entre le discours affiché et l'acte
public que l'on peut critiquer la légitimité de l'action
publique, qui, parce que porteuse d'un intérêt
général, se doit d'être cohérente.
Jean-Philippe Bras et Gérald Orange se sont aussi
penchés sur la légitimité de l'intervention publique dans
l'idée de comprendre quels éléments confèrent
à l'action publique sa légitimité
59 Pharo Patrick. Les conditions de
légitimité des actions publiques. In: Revue française
de sociologie, 1990, 31-3. pp. 389-420.
47
60. Si effectivement la
légitimité économique d'une opération peut se
remarquer dans la capacité à rendre le territoire attractif, elle
ne saurait toutefois se dépourvoir des principes démocratiques
visant à informer les citoyens et à incorporer des
mécanismes participatifs dans la prise de décision.
La question de la légitimité de l'action
publique est d'autant plus intéressante qu'elle a été
critiquée par Marx et Engels, qui définissaient l'État
comme une entité au service d'une classe capitaliste. Chez Marx,
l'action publique est alors foncièrement illégitime puisqu'elle
est le fruit d'une administration politique dont l'illégitimité
découle d'une subordination à un groupe - classe - plutôt
qu'à la société politique. Mais cette conception tient ses
limites dans la démocratie moderne - que Marx n'a que très peu
observer - dans laquelle l'action publique est l'expression de tous, parce que
volonté générale, et de chacun, parce que sommes des
volontés particulières.
Malgré tout, alors que la démocratie,
fondée sur le suffrage universel, a, semble-t-il,
équilibré le jeu du pouvoir politique, la thèse
générale marxienne continue à présenter
l'État comme inévitablement enclin à servir les
intérêts d'une classe dominante.
Vers une illégitimité du projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel ?
Alors que la réflexion de Patrick Pharo invite à
questionner la légitimité de l'action publique par la
capacité de cette dernière à se montrer vraie, les limites
de la rationalité nous empêchent de pouvoir évaluer la
cohérence d'une intervention publique. Alors, pour ce faire, c'est par
l'analyse de la dissemblance entre le discours étatique - notamment le
discours juridique - et l'action publique, que sera pensée la possible
illégitimité du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel.
L'article L. 103-2 du code de l'urbanisme indique que la
concertation avec le public est requise lorsque le Schéma de
Cohérence Territoriale (SCoT) est révisé, lorsqu'une zone
d'aménagement concerté (ZAC) est créée, pour
certains projets d'aménagement modifiant la cadre de vie - notamment
ceux susceptibles d'affecter l'environnement, et pour les projets de
renouvellement urbain. Dès lors, l'article précise que
l'autorité compétente en charge des
60 Bras, Jean-Philippe, et Gérald Orange.
"Risques et légitimité de l'action publique locale: heurs et
malheurs d'une collectivité territoriale dans ses interventions
économiques." Politiques et management public 23.4 (2005):
53-72.
48
concertations doit « (...) préciser les
objectifs poursuivis dans le cadre du projet, (...) déterminer les
modalités de concertation, (...) rendre les informations accessibles aux
publics » et « (...) enregistrer et conserver les
observations ».
Alors que des concertations ont eu lieu en 2017 puis en 2018
entre la DiRIF et les citoyens dyonisiens, dans laquelle ces derniers ont
proposé plusieurs variantes au projet, sans succès, le
préfet de la région Ile-de-France a déposé une
autorisation de travaux le 22 novembre 2019.
Plusieurs variantes avaient déjà
été préparées par la DiRIF et les variantes
proposées par le public « (...) apportaient des
éléments intéressants » mais ne permettaient pas
de répondre aux objectifs fixés. Alors que la DiRIF affirme
qu'elle a « (...) récupéré la variante B, (...)
l'a améliorée, (...) l'a modifiée, (...) en a fait une
variante B (...) optimisée (...) qui a été choisie,
derrière »61, les habitants du quartier Pleyel
indiquent, eux, qu'ils ont « (...) proposé plusieurs solutions,
comme le déplacement de l'entrée de la bretelle vers la
périphérie du quartier, mais les élus n'ont pas
donné suite »62. La Mairie de Saint-Denis explique
quant à elle que « (...) leurs propositions ont
été écoutées, et évaluées mais
écartées par la direction des routes d'Ile-de-France,
maître d'ouvrage du projet ».
La question de la concertation est importante puisqu'elle est
encadrée par le code de l'environnement et permet « (...) la
participation du public en amont de la finalisation d'un projet, afin de
l'élaborer en associant les habitants/ associations / personnes
publiques et autres parties prenantes »63.
Figure 7 - Projet citoyen de variant au projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
61 Entretien téléphonique avec la DiRIF,
réalisé le 23 février 2022.
62 « Seine-Saint-Denis : le futur échangeur Pleyel
épinglé par l'Unicef ». Les Echos,
www.lesechos.fr/pme-regions/ile-de-france/seine-saint-denis-le-futur-echangeur-pleyel-epingle-par-lunicef-1365
276. Consulté le 12 juin 2022.
63 Entretien écrit avec Géo Avocats,
réalisé le 3 mai 2022.
49
Source : Pleyel à venir (2017)
En 2020, bien qu'elle ait rejeté le recours
déposé par le FCPE Pleyel par la suite, la CAAP a suspendu les
travaux d'aménagement du système d'échangeur Pleyel en
relevant notamment « une irrégularité de la concertation
» ou encore une « (...) erreur manifeste
d'appréciation compte tenu des conséquences sanitaires
négatives du projet et son impact sur la dégradation de la
qualité de l'air au niveau des sites sensibles
»64. Plus encore, alors que selon le
code de l'urbanisme l'autorité compétente en charge des
concertations doit « (...) préciser les objectifs poursuivis
dans le cadre du projet », l'Ae avait, elle, relevé des cas
d'incohérences « (...) dans les données utilisées
par les différentes études », mais aussi «
(...) entre les objectifs affichés par le projet et le projet
lui-même ».
De fait, alors que le projet a été
confirmé par un rejet du recours par la CAAP en octobre 2020,
l'illégitimité du projet de l'échangeur ne
résiderait non pas dans sa mission, qui est
64 Décision n°20PA00254 du 5 mai 2020 de
la Cour administrative d'appel de Paris
50
jugé nécessaire par les requérants
eux-mêmes65, mais plutôt dans son adoption « non
démocratique » qui met en exergue une dichotomie au sein du
discours juridique.
En effet, on observe d'une part, la nécessité de
concertation avec le public conformément à la législation
et dans un souci de démocratie, et d'autre part, la validation d'un
projet qui, lui, ne respecterait pas les dispositions exigées par cette
même législation.
La loi du 30 décembre relative à l'air et
l'utilisation rationnelle de l'énergie dispose à son Article 1er
que « L'Etat et ses établissements publics (...) concourent
(...) à la mise en oeuvre du droit reconnu à chacun à
respirer un air qui ne nuise pas à sa santé », et
précise que cette « (...) action d'intérêt
général consiste à prévenir, à surveiller,
à réduire ou à supprimer les pollutions
atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et,
à ces fins, à économiser et à utiliser
rationnellement l'énergie ». Aussi, l'article 3 indique que
« L'Etat (...) confie à l'Agence de l'environnement et de la
maîtrise de l'énergie la coordination technique de la surveillance
de la qualité de l'air ». Mais toutefois, alors que l'avis de
l'Ae avait recommandé que la variante du projet soit expliquée,
conformément au code de l'environnement qui impose de donner «
une indication des principales raisons du choix effectué, notamment
une comparaison des incidences sur l'environnement et la santé humaine
», la variante retenue, bien qu'étant « (...) la plus
préjudiciable à la qualité de l'air déjà
dégradée de cette zone »66, n'a pas
empêché la CAAP de valider les travaux d'aménagement
malgré une reconnaissance des « (...) effets « incertains
» des mesures prévues pour limiter les impacts sanitaires
du projet (...) ».
Ceci étant dit, cette dissemblance dans l'oeuvre
juridique qui tend à discréditer la légitimité de
l'action publique, n'est-elle pas simplement la conséquence d'un «
désordre normatif »67? Un désordre
résultant d'une loi comme outil de gestion des politiques publiques
soumise à diverses tentatives de déréglementation et de
privatisation ?
65 Le projet est perçu comme nécessaire
par les habitants du quartier, ce sont les variantes proposées -
notamment celle retenue -, qui, elles, se heurtent aux contestations.
66 Entretien écrit avec
Géo Avocats, réalisé le 3 mai 2022.
67 Le Conseil constitutionnel avait
mis en évidence la désorganisation qui pouvait exister dans
l'édiction des normes, notamment quand ces dernières tendent
à se confronter.
51
Partie 2 : Les opérations d'aménagement
olympiques face aux limites de la rationalité
Section 1 : Les Jeux Olympiques de Montréal
comme traduction d'opérations d'aménagement pensées
à court terme ?
Les Jeux Olympiques de Montréal : stratégie
de régénération urbaine
C'est au cours de la 69e session du CIO - Comité
international olympique - le 12 mai 1970 à Amsterdam que l'organisation
des Jeux olympiques d'été est confiée ville de
Montréal.
Roman Roult, Sylvain Lefebvre et Jean-Marc Adjizian ont
étudié la question du développement territorial par le
sport à travers le cas du Parc olympique de Montréal.
Malgré un coût des opérations 3 fois supérieur au
montant estimé, Montréal est parvenu à devenir une ville
majeure dans le domaine du sport68.
Alors que depuis plusieurs années la tendance est
à un usage des événements sportifs comme des leviers de
transformation urbaine, Montréal n'a pas échappé à
cette orientation.
Figure 8 - Evolution des impacts urbains structurels des Jeux
Olympiques d'été depuis 1896
68 Romain Roult, Sylvain Lefebvre et Jean-Marc
Adjizian, « Régénération urbaine et
développement territorial par le sport : Le cas du Parc olympique de
Montréal », Norois [En ligne], 230 | 2014, mis en ligne le
30 juin 2016, consulté le 12 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/norois/5020
52
Source : Romain Roult, Sylvain Lefebvre, Le Stade olympique
comme vecteur de
développement urbain (2012)
La construction du stade olympique de Montréal a
été perçue comme un vecteur de développement
urbain. Elle a généré le développement d'une
économie des espaces d'accueil par laquelle les territoires en
périphérie du stade se sont retrouvés
insérés dans une dynamique «
événementielle ». Ainsi, le stade n'était
plus uniquement conçu comme le lieu dans lequel se tiennent les
événements sportifs, mais il est devenu la place des spectacles
urbains.
La régénération urbaine de
Montréal s'est alors construite autour de ce stade dont l'existence a
participé au « (...) processus de branding» de la
ville. Mais cette régénération urbaine tient en
plusieurs points. Premièrement, à l'installation du stade en
périphérie de la ville de manière à impulser
l'émergence d'une activité commerciale, à
l'amélioration des voies de communications et à l'augmentation de
la valeur du foncier.
Ensuite, la construction du stade a permis de transformer un
territoire relativement peu attractif en un pôle majeur du sport.
Enfin, la performance architecturale notable a
contribué à changer l'image de la ville en lui conférant
une dimension nouvelle et moderne.
L'échec des perspectives post-olympiques des
aménagements de Montréal : le cas du Stade olympique
Si plusieurs études ont démontré
l'importance des Jeux Olympiques dans leurs capacités à «
(...) régénérer et reconvertir des quartiers entiers
»69, plusieurs exemples ont malgré tout
présenté les limites de ces capacités.
Outre le déficit acquitté près de 30
après la fin des JO de Montréal, la question des
aménagements olympiques s'est rapidement heurtée à des
grands enjeux relatifs à leur gestion et à leur reconversion.
Effectivement, malgré une dynamique post-olympique qui laissait
présager une planification à long terme concluante, le contexte
de crise et d'urgence dans lequel s'est décidée la construction
du Stade olympique de Montréal a empêché la planification
d'un programme d'insertion post-olympique.
69 Roult, Romain, et Sylvain Lefebvre. «
Reconversion des héritages olympiques et rénovation de l'espace
urbain : le cas des stades olympiques », Géographie,
économie, société, vol. 12, no. 4, 2010, pp.
367-391.
53
En 1980, la Commission d'enquête sur le coût des
JO de Montréal avait révélé que l'échec de
la reconversion des infrastructures était notamment dû à un
problème de « (...) surveillance des travaux défectueux
», aux « (...) absences d'un budget global établi
dès le début», ou encore à « (...)
l'acquisition d'installations superflues et luxueuses (...) »
ayant « (...) conduit à l'augmentation exponentielle des
coûts et à la difficile reconversion de ces équipements
». Ainsi, les problèmes de reconversion sont nés d'une
dichotomie évidente entre les besoins de la ville et la construction
d'un stade davantage de nature artistique que sportive.
Alors que la non-étude de l'insertion des
infrastructures olympiques a été dévoilée en 1977
suite à un rapport élaboré à la demande du
Gouvernement du Québec, toutes les stratégies visant à sa
réutilisation ont échoué. Plus encore, en 2008,
André Gourd, président de la RIO - Régie des Installations
Olympiques du Québec - avait déclaré que la
priorité ne résidait plus dans la mise en place d'une
stratégie de reconversion du stade, mais plutôt dans une
atténuation de l'impact économique de ce dernier (environ 25
millions par an).
Section 2 : Les opérations d'aménagement
olympique face aux limites de la perception et du calcul
Limites financières et
écologiques
Thomas Junod a étudié les impacts des
événements sportifs et si bon nombre de villes candidates
s'imaginent pouvoir utiliser les JO comme des outils de transformation urbaine,
plusieurs exemples - notamment Athènes en 2004 ou Pékin en 2008 -
ont permis de révéler que les retombées attendues
étaient parfois bien loins de celles
espérées70.
En premier lieu, Thomas Junod indique que le bilan financier
est largement à relativiser. En effet, les villes candidates ne sont pas
assurées de récupérer les sommes investies, et la question
de la rentabilité et du bénéfice économique - sur
lequel repose l'intérêt général - n'est pas
nécessairement évidente. Ainsi, en 2007, alors que le projet des
Jeux d'hiver de Sotchi annonçait un coût d'organisation d'environ
1,2 milliard de dollars, le montant final approchait, lui, près de 12
milliards de dollars.
70 Junod, Thomas. "Grands événements
sportifs: des impacts multiples." Finance Bien Commun 1 (2007):
92-98.
54
Cette question de dépassement des coûts semble
revenir de manière récurrente et Wladimir Andreff avait
déjà tenté de comprendre pourquoi le coût des JO
était nécessairement sous-estimé71.
De Londres à Sotchi en passant Turin et Salt Lake City,
toutes ces villes ont été marquées par une augmentation du
budget initial d'organisation des JO.
Si Thomas Junod nous indique que « (...)
l'héritage d'un événement, notamment sur les dimensions
économiques, urbaines, infrastructurelles, sociales et sportives du
territoire organisateur, ne peut pas être visible au moment des
festivités », Wladimir Andreff précise, lui, que le
déficit entre les « (...) coûts anticipés ex ante
et coûts observés ex post est inhérent au processus
d'enchères lui-même ». La question de la «
malédiction du vainqueur de l'enchère »72 serait
alors davantage liée à un acte délibéré
visant à conforter l'organisation des JO en écartant les
études d'impact économique portant sur une phase post-olympique
caractérisée par un ralentissement de l'activité
économique, qu'à une réelle limite dans le calcul des
retombées économiques.
Figure 9 - Tableau du coût ex ante comparé de
la ville olympique sélectionnée
Source : Wladimir Andreff, Pourquoi le coût des jeux
olympiques est-il toujours sous-estimé ?
la « malédiction
du vainqueur de l'enchère » (2012)
71 Andreff, Wladimir. "Pourquoi le coût des Jeux
Olympiques est-il toujours sous-estimé? La «malédiction du
vainqueur de l'enchère»(winner's curse)." Papeles de
Europa 25 (2012): 3-26.
72 La malédiction du vainqueur des
enchères ou malédiction du gagnant est une
phénomène par lequel le gagnant d'une vente aux enchères
propose davantage que la valeur réelle de l'offre.
55
Patrice Bouvet s'est lui aussi penché sur la question
des retombées des événements sportifs. Selon lui, les
études d'impact ex ante des événements sportifs sont
fondées sur le principe de multiplication73.
Si le principe est pour le moins compliqué, je le
résumerai ici de manière à ce qu'il soit entendu par le
plus grand nombre.
Le principe de multiplication porte sur l'étude de
trois phénomènes résultant de l'organisation des
événements sportifs par les économistes : « (...)
les conséquences sur l'emploi, les conséquences sur la demande et
les conséquences en termes de revenu ». Ainsi, on part du
principe que l'organisation d'un événement nécessite des
dépenses supplémentaires qui s'ajoutent aux dépenses
courantes d'un territoire donné. Le phénomène qui engendre
des dépenses supplémentaires repose sur l'idée que les
dépenses relatives à l'organisation entraînent
elles-mêmes d'autres dépenses : c'est le principe de
multiplication.
Si Bouvet reconnaît que ce principe est quelque peu
confus pour les « non économistes» et bien le
principe ait été critiqué, notamment à cause de sa
logique qui ne définit pas d'où provient l'épargne
initiale permettant de procéder à la première
dépense relative à l'organisation d'un événement,
la logique du principe de multiplication vise à présenter
l'organisation d'événements sportifs comme nécessairement
encline à une augmentation significative des coûts
d'opération d'aménagement.
Outre l'aspect économique qui laisse percevoir la
limite de la rationalité dans la mise en place des opérations
d'aménagements olympiques, la question écologique est aussi une
question relativement peu étudiée.
Jean-Jacques Gouguet a étudié la
nécessité de penser les événements sportifs
autrement. Selon lui, plusieurs problèmes environnementaux sont
déjà à déplorer: « (...)
réchauffement climatique, perte de biodiversité, pénurie
d'eau, effondrement des stocks halieutiques, déforestation,
épuisement et destruction des sols arables, diffusion de produits
toxiques »74. Ainsi, l'obligation de penser les
événements sportifs autrement découle d'une analyse
effectuée par Jean-Jacques Gouget sur l'impact environnemental des
grands événements sportifs. Ainsi, par exemple, en 2010, «
(...) l'empreinte de la coupe du monde de football en
73 Patrice Bouvet, « Les « retombées
» des évènements sportifs sont-elles celles que l'on croit ?
», Revue de la régulation [En ligne], 13 | 1er semestre /
Spring 2013, mis en ligne le 25 juin 2013, consulté le 12 juin 2022. URL
:
http://journals.openedition.org/regulation/10215.
74 Gouguet, Jean-Jacques. « L'avenir des
grands événements sportifs : La nécessité de penser
autrement », Revue juridique de l'environnement, vol. , no. HS15,
2015, pp. 95-115.
56
Afrique a été estimée à 2,8
millions de tonnes équivalent CO2 » - dont la plupart
émise par les mobilités - , presque 8,5 fois celle de la coupe du
monde de 2006.
Dès lors, on comprend que malgré une
volonté des Jeux Olympiques de Paris de considérablement
réduire les émissions de CO2, la question de la mobilité
risque de très largement conduire à une empreinte carbone
très largement au-dessus des estimations.
Les limites du projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel
Dans son avis du 6 février 2019, l'Ae a fait part d'un
certain nombre de limites concernant le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel. La première limite portait sur
une faible intégration de la question de la transition
énergétique, et notamment celle relative à la
pollution atmosphérique. En effet, selon l'Ae, alors que la France s'est
engagée par l'accord de Paris75 à limiter ses
émissions de gaz à effet de serre, l'Ae a indiqué qu'il
semblerait que « (...) les maîtres d'ouvrages (...)
éludent ou minorent régulièrement le rôle de la
modification dans l'induction de trafic par rapport à la tendance dite
naturelle» et qu'ils « (...)arguent (...) l'absence d'effet
de l'infrastructure sur le trafic évoqué plus haut (...) pour
justifier la neutralité de l'infrastructure en matière
d'émissions de gaz à effet de serre »76.
Une deuxième limite notifiée par l'Ae porte sur
la question de la compensation des impacts sur les milieux
naturels. Par ses mots, l'Ae précise que « (...) les
justifications du choix des sites de compensation ne sont que trop peu
explicitées dans les études d'impact», que «
(...) les raisons du choix final n'étaient pas fournies »
et que plus encore, « (...) le ratio de compensation retenu par le
maître d'ouvrage a semblé dans certains cas inférieur
à ceux fixés par le schéma directeur d'aménagement
et de gestion des eaux applicable ».
Enfin, la dernière limite présentée par
l'Ae concerne des réflexions trop limitées sur
l'intermodalité et l'urbanisme. Alors que les projets routiers
visent à répondre à des problèmes de
mobilité, l'Ae précise qu'il est nécessaire pour la
maîtrise d'ouvrage de « (...) définir des mesures
coordonnées pour maîtriser et structurer les développements
urbains et l'intermodalité » afin d'éviter de faire
accroître « (...) le nombre de personnes qui subissent les
risques sanitaires liés aux pollutions et aux nuisances sonores du
trafic routier ».
75 En 2015, 55 pays ratifient le traité de
Paris relatif au réchauffement climatique. Par cette signature, les
États signataires se sont engagés à atténuer les
effets du changement climatique.
76 Avis n°2019-N06 du 23 janvier 2019 de
l'Autorité environnementale sur les projets d'infrastructures de
transport routier.
57
Aujourd'hui, d'autres questionnements vis-à-vis des
limites du projet d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel commencent peu à peu à émerger.
En effet, alors que le dépassement des coûts des
Jeux Olympiques a déjà été l'objet de plusieurs
études, notamment celles de Wladimir Andreff77, la question
du dépassement des coûts des JO de Paris semble plus que jamais
d'actualité.
Si en effet le budget de 6,2 milliards d'euros avait
été un atout dans l'attribution des JO à Paris, en 2021,
l'Inspection général des finances a souligné qu'un risque
de dépassement de près de 500 millions d'euros était
à prévoir. Aussi, en avril 2022, la Chambre régional de la
Cour des comptes d'Ile-de-France a publié un rapport faisant part d'une
bonne gestion des fonds publics par Plaine Commune, mais soulignant un danger
résultant, d'une part, de la convention de 35 millions d'euros
signé avec la SOLIDEO pour contribuer au financement des infrastructures
olympiques, et d'autre part, du projet de Franchissement urbain Pleyel d'un
montant de 221 millions d'euros - dont près de 57 million encore
à payer. La Chambre régionale de la Cour des comptes
d'Ile-de-France a aussi mentionné le risque d'écart qui pourrait
se creuser après les Jeux Olympiques de Paris entre les communes
limitrophes de Paris et celles plus en marge, non seulement suite à
l'implantation des commerces dans les communes du sud, mais aussi grâce
qu'une meilleure desserte assurée par le Grand Paris Express.
Mais cette question de dépassement de budget pousse
d'autant plus à la réflexion dans le cas du projet
d'aménagement d'échangeur Pleyel.
En effet, l'on pourrait se retrouver, comme l'indique Wladimir
Andreff, dans une situation dans laquelle le contribuable se retrouve, tout
comme l'a été le contribuable canadien, a payé le
déficit des Jeux Olympiques, notamment via un impôt local.
Alors, à l'image de leurs homologues canadiens, les
habitants dyonisiens - du quartier Pleyel - seraient amenés à
payer le déficit de Jeux Olympiques, qui leur coûteraient non
seulement d'un point de vue sanitaire et environnementale, mais aussi d'un
point de vue social, avec des retombées économiques et des
aménagements olympiques qui ne leur profiteraient pas.
77 Andreff, Wladimir. "Les dépassements de
coût des Jeux Olympiques: Paris doit-elle candidater à n'importe
quel prix?." Quel Sport? 27 (2015).
58
Partie 3 : Le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel comme
traduction
d'intérêts inconciliables ?
Section 1 : Le projet d'aménagement du
système d'échangeurs Pleyel : La conception utilitariste de
l'intérêt général face aux objectifs de
développement durable
L'adoption des mesures de développement
durable
C'est en 1987 qu'est popularisé l'objectif du
développement durable suite au rapport de la Commission mondiale sur
l'environnement et le développement dirigée par Gro Harlem
Brundtland. Cette notion est rapidement devenue un qualificatif renvoyant
à développement contrôlé et écologiquement
responsable tel qu'il avait déjà été pensé
à la fin des années 60. Alors que le développement durable
s'articule autour de la « (...) viabilité économique,
(...) la viabilité environnementale (...) et l'équité
sociale» et que son objectif est de « répondre aux
besoin du présent sans compromettre la capacité des
générations à répondre à leurs propres
besoin »78, le bilan depuis la conférence de Rio en
1992 - lors de laquelle est adopté l'Agenda 21 - reste malgré
tout bien en-dessous des objectifs préalablement fixés.
En 1992, la France, tout comme 183 autres pays signataires,
adopte l'Agenda 21. Cet Agenda, composé de 27 principes visant à
mettre en place un développement durable d'ici la fin du XXIe
siècle, a par la suite été consacré juridiquement
suite à l'intégration des objectifs de développement
durable au sein du code de l'environnement.
Le chapitre 28 de l'Agenda 21 accorde une place
particulière aux collectivités territoriales dans la mise en
oeuvre de plans d'actions visant à répondre aux objectifs de
développement durable. Ainsi, comme nous l'indique Guillaume Danneels,
on a pu observer l'émergence d'un Agenda 21 local au début des
années 200079. En France, c'est à la suite d'une
réunion interministérielle en juillet 2006 qu'est définie
la base sur laquelle s'appuieront les Agenda 21 locaux (voir tableau
ci-dessous).
Figure 10 - Tableau des cinq finalités majeures du
développement durable
78 Godard, Olivier. "Le développement durable:
paysage intellectuel." Natures Sciences Sociétés 2.4
(1994): 309-322.
79 Danneels, Guillaume. « L'Agenda 21, outil du
développement durable local », I2D - Information,
données & documents, vol. 53, no. 1, 2016, pp. 32-33.
59
Lutte contre le changement climatique et protection de
l'atmosphère
|
Préservation de la biodiversité, protections des
milieux et des ressources
|
Epanouissement de tous les êtres humains
|
Cohésion sociale et solidarité entre territoires
et entre générations
|
Dynamiques de développement suivant des modes de
production et de consommation
responsables
|
Source : Guillaume Danneels, L'Agenda 21, outil du
développement durable local (2016)
Toutefois, alors que les collectivités territoriales
sont perçues comme une déclinaison permettant au mieux de
répondre aux objectifs de développement durable à une
échelle moindre, Christine Gagnon, dans son étude portant sur la
question de l'Agenda 21 local dans les collectivités territoriales
québécoises, indique que ce dernier, en tant qu'outil de
développement durable, reste très largement sous-utilisé
par les collectivités. Plus encore, alors que la stratégie locale
doit être le résultat d'une réflexion collective impliquant
les habitants, les associations et les acteurs politiques et
économiques, la question de démocratie locale et participative
reste encore aujourd'hui sujette à de nombreux manquements.
La question des Jeux Olympiques et du développement
durable a été pensée dès 1992, comme l'indique
Séverine Niel80. En effet, à la suite de la
conférence de Rio, le CIO a reconnu la responsabilité
environnementale et écologique peu après la conférence de
Rio, et en 1995, l'environnement devient le troisième pilier de
l'Olympisme avec l'institution de la commission « sport et environnement
» du CIO. Ceci étant dit, l'adoption de ces principes n'auront pas
empêché les scandales environnementaux des JO de Pékin, ou
encore les évictions des classes populaires suite aux JO de Rio.
80 Niel, Séverine. "Les relations entre le
mouvement olympique et sportif et le développement durable." Cahiers
de l'INSEP 37.1 (2006): 23-26.
60
Figure 11 - Les étapes d'un agenda 21 local
Source : tarn.educagri (2008)
Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel : les opérations d'aménagement
olympique à l'épreuve du développement durable
En 2013, « (...) consciente de la
nécessité d'une transition écologique et sociale
», la municipalité de Saint-Denis a adopté son Agenda
21. Par cette initiative, la ville entendait alors agir sur la mobilité,
le logement, la pollution de l'air ou encore la pauvreté. D'après
ses propres mots, 5 enjeux prioritaires étaient à traiter :
l un espace public partagé et respecté
l un développement endogène et
solidaire
l un environnement de qualité, favorable à la
santé, au bien-être et à l'autonomie
l une ville en transition énergie
l
61
une administration exemplaire81
Cependant, la question du projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel vient quelque peu présenter le
difficile alliage entre un projet d'ordre économique et des motivations
de transition écologique et respect de l'environnement.
En effet, si la municipalité de Saint-Denis n'a, depuis
2013, publié aucun rapport annuel de développement durable -
alors que la rédaction du Rapport Annuel de Développement durable
est une obligation pour les collectivités de plus 50 000 habitants dans
un souci de transparence de l'action publique -, le département de
Seine-Saint-Denis a, quant à lui, publié son rapport annuel en
matière de développement durable pour l'année 2020 (seul
rapport disponible au moment de l'étude). Dans ce rapport, plusieurs
points tendent à nous pousser à la réflexion quant au
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel et
à la situation du groupe scolaire Anatole France, dans un contexte
pourtant orienté autour de la mise en place de mesures de
développement durable.
En effet, alors que le conseil départemental de
Seine-Saint-Denis indique avoir développé, conjointement avec
l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
(ADEME), un dispositif de lutte contre les nuisances sonores dont les objectifs
visaient à notamment à « (...) sensibiliser les publics
vulnérables au risque auditif, dans les collèges notamment
»82, le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel prévoit, lui, de
s'étendre à quelques mètres du groupe scolaire, et bien
qu'un écran végétal soit prévu pour isoler
l'école et la circulation piétonne du trafic routier, la DiRIF
avait malgré tout reconnu que cette proposition n'avait fait l'objet
d'aucune étude et que plus encore, son efficacité n'était
pas garantie83.
Ensuite, le second point intéressant porte sur la
garantie d'un « (...) environnement sain dans les structures
accueillant des enfants ». Le département de
Seine-Saint-Denis, qui est à « (...) la charge des
crèches et des collèges », a affirmé la
responsabilité de la collectivité « (...)
vis-à-vis de ses usager.e.s afin que ceux-ci.celle-ci ne soient pas
exposés à des polluants qui peuvent avoir un impact
négatif sur leur santé ». C'est ainsi que le
département « (...) est (...) logiquement engagé dans un
certain nombre d'actions visant à (...) améliorer l'environnement
intérieur et extérieur ». Pourtant, alors que le
département a adopté la Charte
81 « Agenda 21 | Ville de Saint-Denis ». Ville
de Saint-Denis | Accueil,
ville-saint-denis.fr/agenda-21.
Consulté le 12 juin 2022.
82 Rapport annuel de développement durable du
12 novembre 2020 du département de Seine-Saint-Denis
83 Entretien avec la DiRIF, réalisé le
23 février 2022.
62
Villes et territoires sans perturbateurs
endocriniens84 visant « (...) en particulier (...)
les tout-petits, population la plus exposée et la plus sensible aux
perturbateurs endocriniens », et alors qu'une récente
étude menée par l'association Générations
Futures85 a indiqué que l'air pollué - aussi bien en
ville qu'en campagne - contenait des pesticides dont les 2/3 sont des
perturbateurs endocriniens, le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel pourrait très largement augmenter la pollution
aux abords du groupe scolaire Anatole France. En 2021, Airparif - organisme
agréé par le ministère de l'Environnement sur la
surveillance de la qualité de l'air en Île-de-France - avait
affirmé que les niveaux de pollution dans le quartier Pleyel
étaient élevés mais « (...) similaires à
l'ensemble du territoire en Île-de-France ».
Alors que Ralph Epaud - pédiatre pneumologue au CHU de
Créteil - indiquait que « (...) la pollution est une menace
sanitaire à long terme » et que « (...) les enfants
sont plus vulnérables parce qu'ils sont à un moment où les
voies aériennes se développent », le maire de
Saint-Denis déclarait quant à lui que si « (...) l'on
devait respecter les nouvelles normes de l'OMS, il n'y aurait plus
d'école à Saint- Denis ».
Section 2 : Le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel : responsabilités sociales des
Jeux Olympiques ou limites du développement durable ?
La question sociale comme fondement récent du
développement durable
Jean-Luc Dubois et François-Régis Mahieu
expliquent que la dimension sociale du développement durable est
particulièrement récente. Elle provient notamment d'une
réflexion portant sur la pérennisation de la pauvreté et
de l'accroissement des inégalités dans une période
caractérisée par une dynamique de croissance relativement
perceptible. Si en effet la durabilité du développement repose
sur « (...) l'accessibilité aux biens et services, la
constitution des capacités, et l'équité intra et
intergénérationnelle »86, Jean-Luc Dubois et
François-Régis Mahieu précisent que l'action publique ne
respecte pas toujours ces paramètres, entraînant ainsi un certain
nombre de dysfonctionnements. Plus encore, alors qu'aujourd'hui l'intervention
publique tend principalement à réduire la pauvreté,
l'éviction
84 En 2017, à la suite d'un colloque
européen, une charte est proposée aux collectivités afin
de réduire l'exposition aux perturbateurs endocriniens.
85 En 2022, l'association des
médecins contre les pesticides et Générations Futures ont
publié un rapport concernant la teneur de l'air pollué en
perturbateurs endocriniens.
86 Dubois, Jean-Luc, et
François-Régis Mahieu. "La dimension sociale du
développement durable: réduction de la pauvreté ou
durabilité sociale?." Développement durable (2002):
73-94.
63
de la question de l'évolution des
inégalités ne fait que croître le risque de «
non-durabilité sociale »87.
Léa Sébastien et Christian Brodhag ont eux aussi
tenté de comprendre la profondeur sociale du développement
durable. Si l'une des propositions du rapport Brundtland entendait dans ses
objectifs « (...)favoriser un état d'harmonie entre les
êtres humains et entre l'homme et la nature », la
réalité a semble-t-il quelque peu effacé la question de
l'harmonie entre les humains des grandes lignes du développement
durable88. En effet, Léa Sébastien et Christian
Brodhag expliquent que la question sociale s'est heurtée à deux
oppositions : la première privilégiant une approche portant sur
la protection de tous les êtres vivants - écocentrée - et
la seconde portant sur la protection exclusive des êtres humains -
anthropocentrée.
Toutefois, la question sociale, intimement liée
à la question économique, a piégé les acteurs
politiques dans une conception du développement durable, soit, en tant
que modernisation écologique, soit, en tant que croissance
économique raisonnable. Parce qu'en effet, le développement
durable a longtemps renvoyé à deux problématiques :
l'environnement et l'économie. La question de l'insertion du social au
sein du triptyque a alors été minoré à la fois par
les anthropocentristes et les écocentristes.
Si la dimension sociale au sein d'objectifs de
développement durable souligne la nécessité d'une
développement soutenable reposant sur une structure sociale à
même de trouver « (...) des solutions aux tensions nées
d'un développement déséquilibré », elle
s'est heurté à une logique voulant, soit, l'intégrer au
sein d'une dimension environnementale du développement durable, soit,
l'insérer au sein d'une dimension économique.
Alors que partout la pauvreté et les
inégalités croissent et que ces croissances contribuent à
exacerber les tensions sociales, et alors que les objectifs du
développement durable visent à pacifier les rapports humains,
l'incapacité des politiques publiques à répondre aux
déséquilibres sociaux tend à favoriser la création
de structures solidaires extra-étatiques tels que les associations, ou
les collectifs citoyens.
Au surplus, l'objectif principal de la dimension sociale du
développement durable tend davantage à prévenir le conflit
social qu'à répondre aux dysfonctionnements sociales
résultant d'un développement économique
dévergondé.
87 La durabilité sociale renvoie à une
harmonie entre les individus entre eux.
88 Sébastien, Léa, et Christian Brodhag.
"A la recherche de la dimension sociale du développement durable."
Développement durable et territoires. Économie,
géographie, politique, droit, sociologie Dossier 3 (2004).
64
Les limites de la durabilité sociale : le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel comme
exemple d'une injustice sociale ?
Les Jeux Olympiques ont fait de la question sociale et
environnementale un des piliers de leur pensée, et d'ailleurs, le CIO en
a même fait son faire-valoir.
En effet, la dimension sociale des JO portent sur de multiples
aspects. Premièrement, elle porte sur une organisation et une tenue des
Jeux Olympique qui doit se faire conformément au respect des grands
principes sociaux et environnementaux érigés comme
nécessaires à la mise en place d'un développement durable
- notamment par le sport - et à l'amorçage d'un
développement urbain.
Secondement, elle touche à la question de
l'héritage des aménagements olympiques. En effet, alors que
Cécile Collinet et Pierre-Olaf-Schut nous apprennent que la question de
l'héritage social des JO a longtemps été effacé au
détriment d'une étude portant sur l'héritage
économique des Jeux Olympiques89, l'étude de la
dimension sociale des JO a permis d'observer des changements dans la pratique
sportive, « (...) l'adhésion des populations à
l'événement (...) » ou encore l'inclusion sociale.
La question de l'inclusion sociale se situe au coeur de
l'étude du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel puisqu'elle vise à comprendre comment une
partie de la population se trouverait évincée d'une
problématique à laquelle est pourtant rattachée.
En octobre 2021, paraît un rapport rédigé
par l'UNICEF et le Réseau Action Climat concernant l'impact de la
pauvreté dans l'exposition à un air pollué, et dans lequel
est mentionné le cas du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel. Ce rapport nous indique qu'en France, près de
3/4 des enfants respirent un air pollué et que le trafic routier
constitue une des principales sources de pollution atmosphérique. On y
apprend aussi que les enfants sont exposés de manière
hétérogène à la pollution à l'air. Ainsi, le
constat de l'UNICEF est que 21 % des enfants vivent en situation de
pauvreté et que la majorité des populations pauvres logent dans
des villes où les niveaux de pollution atmosphérique sont les
plus élevés.
89 Collinet, Cécile, et al. "L'articulation des
temporalités dans les politiques de prévention du vieillissement.
La prise en compte des activités physiques et sportives comme outil
d'anticipation du bien vieillir." Temporalités. Revue de sciences
sociales et humaines 19 (2014).
65
Mais la question sanitaire de la complétude de
l'échangeur Pleyel révèle aussi un manquement dans la
politique de développement durable. En effet, alors que la
durabilité sociale invite à la recherche de consensus entre les
acteurs, le rapport de l'UNICEF, à travers le cas du projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel, mentionne la
difficulté des catégorie socio-économiques les moins
favorisés à « (...) rendre visible et à faire
connaître aux décideurs publics une situations d'injustice sociale
en matière d'exposition de l'air »90.
Daniel Cefaï avait étudié la question des
difficultés dans la construction des problèmes publics et avait
notamment fait part de la méconnaissance des mécanismes
institutionnels91. Cette méconnaissance des mécanismes
institutionnels par les groupes les moins favorisés est d'autant plus
notable si l'on se penche sur les JO de Rio où des familles contraintes
de quitter leur propriété n'avaient pu obtenir gain de cause
essentiellement suite à leur incapacité à user de
l'appareil juridique.
Ainsi, alors que les objectifs du développement durable
visent essentiellement à l'équité intra et
intergénérationnelle, le projet d'aménagement du
système d'échangeur Pleyel, notamment par la qualification des
revendications citoyennes comme « (...) excessif par rapport à
l'intérêt de l'opération », participe en quelque
sorte à l'accroissement des inégalités sociales et
environnementales des générations présentes et futures.
90 UNICEF et Réseau Action
Climat. De l'injustice sociale dans l'air : pauvreté des enfants et
pollution de l'air. Unicef France, oct. 2021.
91 Cefaï, Daniel. "La
construction des problèmes publics. Définitions de situations
dans des arènes publiques." Réseaux.
Communication-Technologie-Société 14.75 (1996): 43-66.
66
Le deuxième chapitre a été l'occasion
pour nous d'opérer une critique de l'intérêt
général du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel en partant d'une analyse marxienne de la notion. En
effet, alors que l'intérêt général est
consacré juridiquement, la critique marxienne nous a permis d'observer
les oppositions conceptuelles qui continuent de persister dans qualification de
cette notion. Ainsi, on a pu, en retournant au fondement sémantique de
l'intérêt général, penser ce concept comme
étant davantage la réponse aux besoins d'un groupe précis
- présenté comme une classe dominante - qu'à la
satisfaction des besoins de la société en tant que collectif
unifié.
Ensuite, notre interrogation a consisté à
réfléchir sur la légitimité de l'action publique
à travers des procédés de questionnement issus notamment
des études de Pharo. Ces outils nous ont permis de remettre en question
la légitimité du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel de manière objective, en faisant reposer notre
analyse sur la dissemblance entre la législation étatique et son
application concrète suivant une problématique donnée.
Enfin, le dernier point de ce chapitre consistait à
comprendre les limites de l'intérêt général du
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel,
notamment suite à une difficile conciliation entre la conception
utilitariste de ce dernier et la nécessité de répondre aux
objectifs de développement durable pourtant fondement de la
pensée olympique.
67
CHAPITRE 3 : LA COMPLÉTUDE DE
L'ÉCHANGEUR PLEYEL : VERS L'ÉMERGENCE D'UN INTÉRÊT
GÉNÉRAL INDIVIDUEL?
68
Le dernier chapitre de ce mémoire vise à
comprendre comment la complétude de l'échangeur Pleyel traduit
l'émergence d'un nouveau type d'intérêt
général. Alors que nous avons vu précédemment que
l'intérêt général était la réponse
à un besoin de la société, nous verrons que cette
réponse aux besoins peut aussi renvoyer à un pan donné de
la société. Alors, cette fragmentation de l'intérêt
général peut être déclinée à un
territoire, à une localité ou même à l'individu.
Le premier point de ce chapitre portera sur une étude
de l'intérêt général « territorialisé
», et notamment la compréhension de la manière dont la
complétude de l'échangeur tend à le faire
émerger.
Ensuite, nous verrons comment la déclinaison local de
l'intérêt général traduit une volonté de
mettre en place des mécanismes démocratiques de proximité,
et comment les limites de cette déclinaison locale tendent à
produire un intérêt général « individuel »
légitimé par l'expérience personnelle des individus.
69
Partie 1 : L'intérêt général
territorialisé
Section 1 : Vers une définition de
l'intérêt général territorialisé
A la genèse de l'intérêt
général territorialisé
Comme expliqué par Jean-Eudes Beuret,
l'intérêt général territorialisé est
né d'une opposition dans laquelle des intérêts
environnementaux se confrontaient à des projets économiques. Mais
cette territorialisation ne met pas nécessairement en exergue une
dichotomie entre des velléités environnementales et
velléités économiques92. Elle
révèle aussi des manières différentes de concevoir
l'intérêt général au sein d'une échelle
territoriale donnée.
L'exemple qui suit va nous permettre de mieux saisir le
concept évoqué: imaginons que sur un territoire donné, la
volonté d'un groupe d'individus s'articule autour de la défense
d'une espèce animale - quelconque, dans ce même territoire, la
volonté d'un autre groupe d'individus viserait, quant à elle,
à préserver le territoire en question. De fait, les
différentes conceptions de l'intérêt général
au sein de même territoire crée une opposition qui réside
dans l'idée, soit, de préserver une espèce au
détriment du territoire, soit, de préserver le territoire au
détriment d'une espèce. Mais cet exemple n'est qu'une approche
permettant de saisir le concept de l'intérêt général
territorialisé.
L'intérêt général
territorialisé est ainsi défini comme étant «
(... ) un compromis entre des intérêts généraux
et des intérêts territoriaux représentés au sein du
territoire (...) construit via des processus visant l'adaptation, l'ajustement
de l'intérêt général aux enjeux territoriaux
».
Alors que l'intérêt général
constitue en partie le discours des élus, différentes
observations ont permis de relever que l'intérêt
général qu'ils défendent diffère parfois des
perceptions que l'on peut en avoir à différentes échelles
du territoire.
92 Beuret, Jean-Eudes. "La confiance est-elle
négociable? La construction d'un intérêt
général territorialisé pour l'acceptation des parcs
éoliens offshore de Saint Brieuc et Saint Nazaire."
Géographie, économie, société 18.3 (2016):
335-358.
70
Lascoumes et Le Bourhis avaient déjà
évoqué l'idée d'un « bien commun territorial
»93. En effet, ces derniers nous expliquent que la
confrontation des modèles d'actions par les différentes parties
d'un territoire tend à faire émerger une conception territoriale
de l'intérêt général dans laquelle « (...)
la prise en compte des intérêts supra-territoriaux reste peu
considérée (...) ». Les élus se retrouvent
alors, soit, porteurs d'un intérêt général national,
soit, porteurs d'un intérêt général à une
échelle territoriale moindre.
Mais cette question de territorialisation de
l'intérêt général est sous-jacente à la
question de la légitimité de l'action publique, et plus encore,
à la légitimité des définitions imputées
à l'intérêt général.
En effet, Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et
Hélène Rey-Valette ont pris comme exemple celui de l'installation
des éoliennes pour tenter de comprendre en quoi la
légitimité de l'Etat dans la définition de
l'intérêt général était parfois largement
remise en doute94.
Alors que l'Etat a initié des projets de parcs
éoliens pour amorcer une transition énergétique et lutter
efficacement contre le réchauffement climatique, l'installation des
parcs éoliens s'est fortement heurtée au rejet des populations
locales. Ainsi, bien que l'intérêt général, tel que
conçu par la législation, légitime l'installation des
éoliennes dans une volonté de lutter contre le
dérèglement climatique, la perception du caractère
d'intérêt général de ces éoliennes à
l'échelle du territoire n'est pas absolument pas admise. Plus encore, ce
type d'oppositions pose à la fois la question de la territorialisation
de l'intérêt général, mais aussi celle de la
territorialisation du développement durable.
En effet, si Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et
Hélène Rey-Valette indiquent que l'intérêt
général territorialisé résulte d'une opposition
entre des enjeux environnementaux et globaux, cette appropriation de
l'intérêt général à différents niveaux
du territoire n'est pas singulière et s'accompagne aussi d'une
territorialisation du développement durable.
De l'intérêt général
territorialisé au développement durable
territorialisé
Puisque la lutte contre le dérèglement
climatique crée, au sein d'une société, un certain nombre
de divergences concernant la manière de répondre aux
différentes problématiques
93 Lascoumes, Pierre, et
Jean-Pierre Le Bourhis. "Le bien commun comme construit territorial.
Identités d'action et procédures." Politix. Revue des
sciences sociales du politique 11.42 (1998): 37-66.
94 Beuret, Jean-Eudes, Anne Cadoret,
et Hélène Rey-Valette. "Développement durable en zones
côtières: comment territorialiser l'intérêt
général environnemental? Un cadre d'analyse."
Développement durable et territoires. Économie,
géographie, politique, droit, sociologie 7.3 (2016).
71
soulevées, le développement d'un programme de
développement durable à l'échelle des territoires et
répondant aux spécificités des territoires en question, a
été perçu comme une réponse pertinente au
problème énoncé plus tôt.
Alors que la question du développement durable est
aujourd'hui largement admise par le champ politique national et international,
la conciliation entre une croissance économique soutenue et une
protection de l'environnement suffisante reste malgré tout relativement
complexe.
Cette difficile conciliation est d'autant plus forte qu'elle
vient mettre en opposition une conception utilitariste de
l'intérêt général face à la
nécessité de répondre, dans une urgence socio-climatique,
à un certain nombre d'objectifs adossés au développement
durable.
La question de la territorialisation du développement
durable est particulière parce qu'elle soulève un paradoxe. Alors
que le développement durable est le résultat d'un consensus qui
entend répondre à une urgence climatique globale, qu'entend-on
réellement par sa territorialisation ? La territorialisation du
développement durable est l'idée selon laquelle les objectifs du
développement durable ne sont atteignables que par une
déclinaison des moyens pouvant y répondre à
différentes échelles territoriales. Cette déclinaison met
en exergue l'évidence présentée plus tôt, à
savoir l'application d'une politique publique générale dans au
sein d'une société hétérogène. Cette
territorialisation permet alors la prise en compte de la multiplicité
des actions locales.
Au surplus, la territorialisation du développement
durable exige un certain nombre de précautions, notamment la
nécessité d'adopter un compromis à l'échelle des
territoires par la participation d'acteurs divers, qu'ils soient des habitants
ou des élus. La territorialisation du développement durable
entend alors répondre aux spécificités locales tout en
tenant compte des objectifs globaux.
Toutefois, ce débat autour de la territorialisation,
alors même qu'il supposait une réflexion sur la
légitimité de la définition de l'intérêt
général, pousse aussi à interroger les mécanismes
par lesquels les acteurs expriment leurs opinions. Parce qu'en effet, la
territorialisation interroge le rapport entre développement durable,
intérêt général et démocratie, alors
même que
72
Tapie-Grime souligne l'existence de phénomènes
performatifs favorisant l'expression des acteurs les plus habitués
à ces pratiques95.
Section 2 : La complétude de l'échangeur
Pleyel comme outil de construction d'un intérêt
général territorialisé ?
La territorialisation de l'intérêt
général : la complétude de l'échangeur Pleyel comme
compromis entre des intérêts généraux et des
intérêts territoriaux ?
L'entretien avec la Mairie de Saint-Denis avait permis de
révéler toute la complexité qui existe dans la mise en
place d'un projet d'une telle ampleur.
En effet, le milieu urbain se confronte « (...) en
permanence à des conjonctions multiples d'ambitions, d'objectifs qui,
parfois, sont difficiles à conjuguer »96. C'est
d'ailleurs cette problématique des intérêts
environnementaux face à des projets économiques que Jean-Eudes
Beuret a présentée dans son étude.
Dans notre cas, la territorialisation de
l'intérêt général est d'autant plus affirmée
par la confirmation du projet du système d'échangeur Pleyel
malgré « (...) des insuffisances tendant à l'absence de
prise en compte de l'ensemble du projet d'aménagement de Saint-Denis
(...)
»97.
La complétude de l'échangeur Pleyel
témoigne d'un compromis entre des intérêts
généraux et des intérêts territoriaux pour plusieurs
raisons. Premièrement, parce que conformément à la
décision de justice de la CAAP du 22 octobre 2020, il est possible de
constater ce que Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et Hélène
Rey-Valette avaient dénommé « (...) l'ajustement de
l'intérêt général aux enjeux territoriaux
».
En effet, le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel, bien qu'inscrit au sein du « (...)contrat
de développement territorial 2014-2020 conclu le 22 janvier 2014 entre
l'État et l'établissement public territorial Plaine Commune
», était en quête de financement depuis plusieurs
années. L'opportunité des Jeux Olympiques a alors
constitué un moyen de financer un projet qui « (...) qui
préexistait et dont la finalité n'est pas l'accueil des Jeux
olympiques
95 Blatrix, C., Patrick Moquay, et M. Tapie Grime.
"Développement durable et démocratie participative: la dynamique
performative locale." (2007): 174.
96 Entretien avec la Maire de Saint-Denis,
réalisé le 21 mars 2022.
97 Décision n°20PA00254 du 5 mai 2020 de
la Cour administrative d'appel de Paris
73
et paralympiques de 2024 »98. De
fait, la tenue d'un événement sportif porteur d'un
intérêt général a permis de financer et d'ajuster le
projet d'aménagement du système d'échangeur Pleyel
à la problématique urbaine du quartier Pleyel, longtemps
marquée par des problèmes de trafic routier.
Ensuite, la question de l'opposition entre des
intérêts environnementaux et des projets économiques est
d'autant plus visible au regard de la décision de la CAAP qui affirme
qu'en tenant compte des avantages socio-économiques du projet, «
(...) les inconvénients relevés par les requérants, en
particulier en ce qui concerne les nuisances sonores et la qualité de
l'air pour certains riverains, qui sont inhérents à de tels
travaux de voiries, ne peuvent être regardés comme excessifs par
rapport à l'intérêt que l'opération présente
et ne lui retirent pas son caractère d'intérêt
général ».
Mais cette décision est d'autant plus
intéressante qu'elle nous invite à comprendre comment s'effectue
le passage d'une territorialisation de l'intérêt
général à une acceptabilité du projet. Parce qu'en
effet, au coeur de l'acceptation se trouve d'abord l'idée d'un «
contrat social territorial »99 par lequel les projets sont
consentis par les individus puisqu'ils sont portés par une
administration composée de représentants qu'ils ont élus
conformément aux dispositions démocratiques.
La complétude de l'échangeur Pleyel : entre
oppositions et ajustements ?
La territorialisation de l'intérêt
général est basculée entre une opposition au projet et des
ajustements devant permettre de rendre ce dernier acceptable par la
communauté.
En effet, la question de territorialisation s'insère
dans une logique dans laquelle les questions de l'intérêt
général et du développement durable reposent sur des
principes démocratiques. C'est ainsi que la participation constitue un
des principales caractéristiques de l'action publique territoriale.
Dans le cas du projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel, la décision de justice de la CAAP du 22
octobre 2020 présente plusieurs éléments témoignant
de l'opposition et des ajustements ayant permis de faire naître un projet
construit par les différents acteurs du
98 Décision n°20PA00219 du 22 octobre 2020
de la Cour administrative d'appel de Paris
99 Farah avait défini le contrat social
territorial comme la convention tacite consentie entre les individus d'un
territoire. Sa définition entend alors faire émerger
l'administration territoriale comme l'organe suprême d'une
société à l'échelle territoriale.
74
territoire conformément à l'idée de bien
commun territorial développé par Lascoumes et Le Bourhis .
Premièrement, la CAAP indique que « (...)
l'avis relatif à la concertation publique sur le projet a
été publié sur Internet le 16 novembre 2017 et
modifié le 23 novembre 2017, que cette concertation s'est
déroulée du 20 novembre au 22 décembre 2017 et que le
public a pu accéder aux informations relatives au projet, notamment au
travers d'un site Internet dédié au projet, de 650 exemplaires du
dossier du maître d'ouvrage, 5 500 plaquettes d'information, 4 500 tracts
distribués en boîtes aux lettres quelques jours avant les
réunions publiques, 40 affiches et 3 jeux de panneaux d'exposition
». Elle ajoute aussi que les « (...) circonstances que le
calendrier d'une partie des travaux ait évolué entre la phase de
concertation et l'enquête publique et que les études relatives
à la qualité de l'air n'aient été
communiquées au public que dans le cadre de l'étude d'impact ne
suffisent pas à priver la concertation d'un effet utile» .
Ensuite, alors que Jean-Eudes Beuret, Anne Cadoret et
Hélène Rey-Valette nous parlent de la nécessité du
compromis entre les revendications locales et l'intérêt
général d'un projet donné, la décision de la CAAP
affirme que « (...) deux réunions d'ouverture, deux ateliers,
une réunion thématique sollicitée par les habitants afin
de présenter les variantes portées par le collectif des habitants
(...) ont été organisées» et que «
(...) conformément aux engagements pris par le maître
d'ouvrage et les partenaires du territoire, les variantes proposées par
les riverains au cours de la concertation ont été
étudiées au cours du premier trimestre 2018 et ont
été l'objet de deux ateliers les 23 janvier et 8 mars 2018, avant
la réunion de restitution du 27 mars 2018 »100.
Ainsi, alors que la CAAP défend que les concertations
ont été menées conformément aux dispositions
juridiques « (...) pendant une période suffisante »,
il est possible de retrouver, au sein du projet du système
d'échangeur Pleyel, des éléments d'oppositions et
d'ajustements caractéristiques d'une territorialisation de
l'intérêt général.
100 Décision n°20PA00219 du 22 octobre 2020 de la
Cour administrative d'appel de Paris
75
Partie 2 : De l'intérêt
général « local » à l'intérêt
général « individuel »
Section 1 : La notion d'intérêt
général local comme partie prenante du discours des militants de
la démocratie locale
L'intérêt général local comme
réponse à une crise de l'intérêt
général
Dès la fin du XXe siècle commencent les premiers
questionnements à propos de l'intérêt général
et le Conseil d'Etat tentera d'expliquer la crise de l'Etat par la crise de cet
intérêt. Si cette explication fait suite à l'interrogation
des professionnels du droit quant à l'existence de cette notion,
l'ensemble du corps étatique ne paraît pas moins douter de cette
existence.
Cette crise de l'intérêt général
est le fruit d'une construction sémantique reposant sur le rôle
central de l'Etat dans l'exercice de l'intérêt
général. Alors que pendant longtemps l'intérêt
général a justifié l'action de l'Etat, il en est aussi
devenu un instrument de légitimation. Toutefois, ce monopole
étatique dans la définition de l'intérêt
général a quelque peu été critiqué,
notamment suite à la mise en exergue de la réelle capacité
de l'Etat à définir efficacement et de manière objective
l'intérêt général. Plus encore, l'intégration
européenne a introduit une approche concurrentielle de
l'intérêt général alors même que la
décentralisation invitait les acteurs locaux à développer
une action publique d'intérêt locale en concertation avec les
citoyens. Cette crise de l'intérêt général a ainsi
d'autant plus été affirmée par les oppositions contre
certains projets d'aménagements - la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, par
exemple - pourtant jugés d'intérêt
général.
Aujourd'hui, l'intérêt général
local semble revêtir une légitimité qu'il n'avait pourtant
pas quelques années auparavant. Effectivement, François Rangeon
nous explique que la notion d'intérêt général local
aurait été perçue comme un « contresens » il y a
quelques années de cela101. En effet, alors que
l'intérêt général garanti par l'Etat est de l'ordre
du national, la question d'un intérêt général local
renvoie, elle, à l'intérêt de l'individu. Mais cette
déclinaison locale de l'intérêt général n'est
pas si récente. Si elle trouve certainement ses racines dans la
territorialisation de l'intérêt général
évoquée plus tôt dans le chapitre, c'est avant tout
l'émergence d'un pouvoir local résultant des volontés de
décentralisation qui a permis son développement.
101 Rangeon, François. "Peut-on parler d'un
intérêt général local?." (2005): p-45.
76
Toutefois, cette construction est lente et près de
vingt ans sont nécessaires pour que la notion devienne partie prenante
du discours des professionnels du droit, des élus locaux ou des
militants de la démocratie locale.
Alors qu'au départ la notion se confondait avec
d'autres concepts tels que « le bien commun local », «
l'intérêt général territorialisé », ou
encore « l'intérêt public territorial », elle devient au
fil des approches tentant de la définir, une notion à part
entière.
Les tentatives de décentralisation n'ont pas seulement
accru le pouvoir des collectivités, elles leur ont aussi permis de
revendiquer la légitimité de leur définition de
l'intérêt général. Ainsi, alors qu'historiquement
l'intérêt général est du ressort de l'Etat, les
collectivités ont pu, se saisir d'un intérêt
général national qui « (...) ne récapitule pas
tous les intérêts généraux qui peuvent exister dans
notre pays »102.
Le développement de l'intérêt
général local s'explique par une crise de l'intérêt
général principalement marqué par une
délégitimation de l'action publique centralisée et
technocratique. Mais cette délégitimation n'est pas le seul
facteur de cette émergence puisque la consécration de la France
en tant que « République décentralisée » suite
à la révision constitutionnelle de 2003 a considérablement
effrité le principe de suprématie de l'Etat sur ses
collectivités locales.
C'est de cette manière que l'intérêt
général local diffère de l'intérêt
général territorialisé. L'intérêt
général local ne renvoie pas à une « (...) une
fraction territorialement située de l'intérêt
général tel que défini par le pouvoir central
», puisque la décentralisation « (...)
consacre juridiquement l'existence d'intérêts locaux distincts de
l'intérêt de la généralité des citoyens
».
L'intérêt général local :
porte d'entrée sur la démocratie de proximité
L'intérêt général local, en tant que
résultat de la décentralisation, a participé à
promouvoir « (...) les vertus d'écoute démocratique et
d'efficacité de la gestion locale de la proximité ».
François Rangeon explique que l'intérêt
général local et la proximité sont liés en
plusieurs points. Premièrement, parce que l'intérêt
général local diffère de l'intérêt
général « national
102 Rangeon, François. «2. Peut-on
parler d'un intérêt général local ?». Le Bart,
Christian, et Rémi Lefebvre. La proximité en politique :
Usages, rhétoriques, pratiques.Rennes : Presses universitaires de
Rennes, 2005. (pp. 45-65) Web. <
http://books.openedition.org/pur/9692>.
77
»103, qui, lui, renvoie davantage à la
transcendance et la hauteur. Ainsi, l'intérêt
général local, par sa proximité au citoyen, se voit
conférer davantage de légitimité de par son rapport aux
réalités locales. Cette relation contiguë se présente
alors comme la caution d'une intervention publique non seulement juste, mais
aussi légitime.
Hélène Bertheleu et Catherine Neveu se sont
elles aussi penchées sur la question de la proximité au sein de
la démocratie. Elles indiquent que c'est la loi de février 2002
relative à la démocratie de proximité qui a introduit le
développement de mécanisme participatif au niveau des
localités104. Mais cette introduction d'outils de
participation n'est pas anodine puisqu'elle vient façonner la
démocratie à une échelle relativement plus restreinte que
celle nationale. Alors que la localité n'est historiquement pas encline
à une action collective, l'institution de mécanismes
participatifs - notamment les Conseil de la vie locale - traduit une
volonté des collectivités locales de consacrer
l'intérêt général à travers
l'intérêt particulier. C'est ainsi que François Rangeon
affirme que « (...) légitimant l'intérêt
général local, la proximité est en retour
légitimée par l'intérêt général local
qui lui retire son caractère étriqué et particulariste, et
lui permet d'opérer une montée en généralité
».
Aujourd'hui, l'idée de débat démocratique
est centrale dans les dogmes de l'aménagement urbain, puisqu'il doit
permettre de dépasser ce que Tapie-Grime présentait comme
étant les biais en faveur des groupes dominants.
Alors que les principes de délibération ont
été importés suite à la crise de la
légitimité de la décision technocratique,
l'intérêt général local était vu comme le
moyen de faire émerger un « aménagement urbain
participatif» dans lequel seraient exprimées les opinions des
groupes dominés. C'est cette idée même qui fondait
l'intérêt général territorialisé comme la
recherche d'un consensus résultant d'une opposition, puis de la
recherche de mesures d'ajustement devant faire naître une action
collective.
Mais finalement, en plus d'avoir présenté ses
limites, l'idée d'un aménagement participatif a aussi mis en
lumière la mésentente entre la justice et la démocratie,
créant ainsi une dichotomie dans le discours étatique et faisant
émerger l'expérience personnelle des individus comme un
instrument de délégitimation de l'intérêt
général.
103 L'intérêt général national n'est
nul autre que l'intérêt général. Le terme
«national» vise à différencier l'intérêt
général - tel que porté par l'Etat pour l'ensemble de la
société - de l'intérêt général
local.
104 Bertheleu, Hélène, et
Catherine Neveu. "De petits lieux du politique: individus et collectifs dans
des instances de «débat public» à Tours." Espaces
et sociétés 4 (2005): 37-51.
78
Section 2 : L'expérience individuelle comme
nouvel outil de légitimation de l'intérêt
général « individuel»
La complétude de l'échangeur Pleyel :
l'intérêt général « individuel » comme
traduction des limites de l'intérêt général local
?
Le projet d'aménagement du système
d'échangeur Pleyel permet non seulement de comprendre les limites dans
la conception de l'intérêt général, mais aussi
d'observer les limites dans l'émergence d'un intérêt
général local dont la mission principale est de concourir
à la satisfaction d'un besoin propre à la localité.
Si nous avons vu plus tôt que l'intérêt
général local ne s'exclut pas d'un intérêt
général plus global, nous verrons ici que l'intérêt
général individuel, lui, tend à s'évincer des deux
concepts auxquels il devrait normalement se rattacher.
La première partie de ce chapitre avait
été l'occasion de comprendre en quoi l'échangeur Pleyel
témoignait d'une territorialisation de l'intérêt
général, notamment par une opposition entre des
intérêts environnementaux et des projets économiques.
Alors que l'intérêt général local
renvoyait davantage à une idée de co-construction avec les
citoyens, la question d'une indissociabilité de ce dernier à un
intérêt général national, défini par l'Etat,
a largement effrité le principe par lequel l'intérêt
général local entendait pourtant tirer sa
légitimité par son approche plus accessible.
Parce qu'en effet, alors que originellement le contresens de
l'intérêt général résidait notamment dans son
identification à l'intérêt particulier - contrairement
à l'intérêt général national qui
dépasse l'intérêt particulier -, la déclinaison
locale de l'intérêt général n'aura pas
empêché de faire émerger des oppositions à des
projets pourtant « d'intérêt général local
».
La complétude de l'échangeur Pleyel met en
exergue, par la construction d'un intérêt général
individuel, la délégitimation de l'appareil étatique dans
son entièreté - les collectivités locales incluses - dans
la qualification de l'intérêt général. Cette
délégitimation est d'autant plus certaine que le FCPE Pleyel
avenir déclarait que « (...) Paris 2024 est une manifestation
extra-légale et extra-démocratique » et plus encore,
que le projet d'aménagement démontre « (...) à
quel point les habitants de Saint-Denis sont négligeables face à
un « intérêt général» qui reste
totalement à démontrer ».
79
Mais cette remise en question de l'intérêt
général est d'autant plus intéressante qu'elle vient aussi
remettre en question les mécanismes démocratiques par lesquels
sont décidés les projets. Ainsi, auprès de qui l'Etat
est-il garant de l'intérêt général si le bien commun
auquel l'action publique aspire à répondre n'est lui-même
pas reconnu par les individus sur lesquels repose toute la
légitimité de l'intervention publique ?
L'expérience de l'injustice comme outil de
délégitimation de l'intérêt
général
Pierre Zémor avait présenté au combien il
est difficile de parvenir à une concorde dans l'intérêt
général, parce qu'en effet, l'opposition à
l'intérêt général n'est pas simplement une simple
critique d'une définition qui lui serait imputée, mais aussi la
traduction d'un « (...) conflit (...) de plus en plus
intériorisé dans chaque individu, entre intérêt
personnel et intérêt collectif »105.
Alors que l'intérêt général
individuel semble être la réponse aux limites de
l'intérêt général national et local, il est aussi,
par l'expérience à laquelle il renvoie, porteur d'une certaine
légitimité.
En effet, puisque le rôle de la nation est d'assurer
à l'individu les conditions de son développement et puisque la
frustration de l'intérêt de l'individu ne peut s'opérer que
dans l'utilité publique, l'individu ne peut-il pas contester
l'utilité publique quand cette dernière met en péril les
conditions de son développement ? C'est la toute l'idée de
l'expérience de l'injustice comme d'un outil de
délégitimation de l'intérêt
général.
Proudhon présentait les limites de la pensée
rousseauiste dans sa conception des individus comme subordonnés à
la loi qui serait, elle, légitimée par une volonté
générale. En effet, cette conception de la loi comme
volonté de tous les individus, et de l'action publique comme expression
de la volonté des individus, légitimerait alors
l'intérêt général par son fondement reposant sur le
contrat social.
Mais la critique proudhonienne nous intéresse pour une
raison principale : parce qu'elle affirme que la légitimité se
trouve « (...) dans l'individu dont la volonté est
déjà entièrement déterminée et qui a fait
son choix »106.
105 Zémor, Pierre. La communication publique.
Presses Universitaires de France, 2008
106 Édouard JOURDAIN, «
Intérêt général, intérêt individuel et
raison collective : perspectives à partir de l'oeuvre de Proudhon
», Astérion [En ligne], 17 | 2017, mis en ligne le 20
novembre 2017, consulté le 12 juin 2022. URL :
http://journals.openedition.org/asterion/3050
Par cette logique, l'expérience d'injustice tient sa
légitimité n'ont pas dans l'individu dont la volonté
aurait été déterminée, mais plutôt dans
l'individu dont la volonté n'a pas été
déterminée.
L'expérience de l'injustice entend alors questionner la
justice dans son rapport à une action publique perçue comme
étant injuste. Mais la question d'injustice ne renvoie pas seulement
à une situation qui serait perçue comme injuste, elle porte aussi
sur un contenu cognitif permettant à l'individu de qualifier une
situation comme étant injuste107.
Dans le cas de la complétude de l'échangeur
Pleyel, l'expérience d'injustice résulte d'une part, de la
capacité des individus à identifier les attentes normatives - ici
l'annulation du projet pour des motifs environnementaux et sanitaires -, et
d'autre part, de la dérogation de la décision finale - confirmant
le caractère d'intérêt général du projet
d'aménagement de l'échangeur Pleyel - aux principes de justices
établis.
C'est en ce sens que l'expérience de l'injustice
constitue un outil de délégitimation de l'intérêt
général, parce qu'elle soulève une situation injuste non
seulement à partir d'une appréciation personnelle, mais aussi
à partir d'une série d'attentes normatives découlant de la
loi, qui constitue, elle, le fondement de la justice.
80
107 Renault, Emmanuel.
L'expérience de l'injustice: reconnaissance et clinique de
l'injustice. La découverte, 2013
81
CONCLUSION
Notre réflexion visait à comprendre, à
travers une étude portant sur la complétude de l'échangeur
Pleyel, dans quelle mesure le caractère d'intérêt
général des opérations d'aménagement olympique
peut-il être critiqué à travers une lecture marxienne de
l'intérêt général en tant qu'intérêt de
classe.
Pour répondre à la problématique
formulée ci-dessus, nous avons premièrement effectué un
retour historique sur la notion d'intérêt général.
Ce retour nous a permis de saisir à quel point la notion, bien
qu'existante sous des appellations différentes, n'a jamais revêtu
de définition unique. En effet, alors même que
l'intérêt général a été
consacré juridiquement, de nombreuses critiques ont émergé
en remettant en cause la légitimité de l'Etat à
définir la notion de manière objective.
Au-delà des divergences conceptuelles opposant une
conception utilitariste et volontariste de l'intérêt
général, le débat sémantique autour de la notion a
aussi servi comme matière pour la pensée proudhonienne ou
marxienne.
La pensée marxienne a été le fondement de
notre questionnement sur l'intérêt général de
l'opération d'aménagement du système d'échangeur
Pleyel. En effet, alors que Marx critiquait la légitimité de
l'Etat dans sa définition de l'intérêt
général, notamment parce qu'il le concevait comme porteur de
l'intérêt d'une classe, son point de vue a permis de penser la
complétude de l'échangeur Pleyel comme l'usage des instruments
institutionnels étatiques dans un intérêt qui
différerait de celui des classes les moins favorisés. Parce
qu'effectivement, Chez Marx, l'intérêt général est
avant tout l'intérêt du prolétariat. Mais si notre
réflexion est intéressante, c'est avant tout parce qu'ici,
l'intérêt de classe ne réside pas dans la possession des
moyens de productions, mais dans l'utilisation des appareils étatiques
dans un intérêt autre que celui d'une classe à qui ne
profite pas l'intérêt général tel que pensé
par l'Etat.
Enfin, après avoir repensé la
légitimité de l'action publique et de l'intérêt
général de la complétude de l'échangeur Pleyel, le
dernier chapitre a été l'occasion de comprendre comme le projet
d'aménagement du système d'échangeur Pleyel exprime une
territorialisation de l'intérêt général. Alors que
cette territorialisation a conduit, tout en étant appuyée par les
actes de décentralisation, à l'émergence d'un
intérêt général local, nous avons pu constater en
quoi cette intérêt général local présentait
un certain nombre de limites, qui, elles, contribuent
82
à l'identification des individus à un
intérêt général individuel. Cet intérêt
général individuel, par l'expérience individuelle de
l'injustice, devient alors un instrument de délégitimation de
l'intérêt général.
Si la question de l'intérêt général
semble aujourd'hui de plus en plus au coeur des débats, c'est en
réalité parce qu'elle témoigne de la crise
démocratique que traversent un grand nombre de démocratie
européenne.
Ainsi, tout l'intérêt d'une prochaine
réflexion serait alors de comprendre en quoi la crise de
l'intérêt général témoigne-t-elle des limites
de la démocratie.
83
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90
ANNEXE
Entretiens réalisés
Entité
|
Date
|
Modalités
|
DiRIF
|
23 février 2022
|
Téléphonique
|
Mairie de Saint-Denis
|
21 mars 2022
|
Présentiel
|
Géo Avocats
|
3 mai 2022
|
Écrit
|