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Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur tourangeau


par Brice Langlois
Université François-Rabelais de Tours - Master I Histoire de l'art 2016
  

Disponible en mode multipage

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Université François-Rabelais de Tours
Master 1 : Sciences Humaines et sociales
Mention : Sciences Historiques
Spécialité : Histoire de l'art

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe (1790-1862), collectionneur

tourangeau.

Volume de texte.

Dossier de recherche présenté par :
Brice Langlois

2015-2016

Sous la direction de France Nerlich

Professeur d'histoire de l'art contemporain.

2

Brice Langlois 14 rue du petit vouvray 37390 Cérelles 0620110187 brice.langlois@etu.univ-tours.fr

3

Sommaire :

Avant-propos 5

Introduction 7

Chapitre premier : Joseph-Félix Le Blanc de La Combe notable, érudit et collectionneur. L'étude des interactions artistiques et culturelles entre une ville de province et la capitale

artistique du XIXe siècle. 18

I. Un notable tourangeau au contact de l'élite artistique parisienne. 18

A. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, notable tourangeau. 18

B. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, ami des arts et des artistes. 23

C. Un amateur d'art au service de la communauté. La participation du colonel de La Combe

dans les affaires culturelles de Tours. 29

II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, collectionneur d'art vivant à Tours. 33

A. Tours, un terreau fertile pour la constitution d'une telle collection ? 33

B. Le nécessaire approvisionnement à Paris. 37

C. La vente aux enchères de la collection de La Combe, un événement pour les collectionneurs

42

Chapitre deuxième : La collection de La Combe, un ensemble inédit de la production de

l'école de romantique. 47

I. Quelles orientations Joseph-Félix Le Blanc de La Combe a t-il donné pour la constitution de sa

collection ? 47

A. Présentation de la collection du colonel de La Combe. 47

B. Organisation, agencement et sens de la collection dans la demeure du colonel de La Combe.

51

II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, un amateur de l'estampe contemporaine. 56

A. Une collection représentative de la production de l'estampe artistique au XIXe siècle. 56

B. Collection d'estampes ou collection de dessins ? L'originalité de la collection du colonel de

La Combe. 62

C. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe défenseur de la lithographie. 67

4

Chapitre troisième : Joseph-Félix Le Blanc de La Combe « l'historien de Charlet ». 73

I. Un monument à la mémoire de Charlet. L'ouvrage du colonel de La Combe. 73

A. La popularité de Charlet avant la publication de sa biographie par le colonel de La Combe. .

73

B. Les sources à disposition pour le colonel de La Combe. 78

C. « Faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants... » L'ambition du colonel de la

Combe pour la mémoire de Charlet. 83

II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Nicolas-Toussaint Charlet, deux destins

indissociablement liés. 90

A. La réception critique de Charlet sa vie, ses lettres. 90

B. Charlet sa vie, ses lettres. Quels apports pour la réputation du colonel de La Combe et la

renommée de Charlet ? 94

C. La postérité de Charlet et du colonel de La Combe. 99

Conclusion 105

Bibliographie : 111

5

Avant-propos

Si l'étude des objets est au coeur de l'histoire de l'art, il convient également de s'intéresser aux acteurs qui participent à l'écriture de l'histoire sociale des arts, qu'ils soient professionnels à l'instar des marchands, commissaires-priseurs et experts, ou bien amateurs comme c'est le cas du colonel Joseph-Félix Le Blanc de la Combe (1790-1862). Si la collection de ce dernier a retenu l'attention de ses contemporains, elle n'a jusqu'aujourd'hui jamais fait l'objet d'une recherche particulière. Les recherches sur ce personnage et sur sa collection, correspondent à mes intérêts personnels, notamment le collectionnisme et la connaissance du marché de l'art et cela plus particulièrement au XIXe siècle. Si d'un point de vue esthétique cette période éclectique correspond à mes goûts, elle est également pour le commerce de l'art une période charnière.

Proposé par France Nerlich, ma directrice de recherche, pour répondre à mes intérêts scientifiques, ce sujet m'a permis de me familiariser avec la recherche mais aussi avec le marché de l'art. Les recherches menées pour cette monographie sur le colonel de La Combe m'ont amené à traiter des documents d'archives dont je n'étais pas encore coutumier. Après avoir consulté dans les bibliothèques locales la masse bibliographique la plus importante en rapport avec les thèmes généraux de ce sujet, je me suis déplacé aux Archives municipales de Tours et départementales d'Indre-et-Loire. Par la suite, j'ai dû me rendre à plusieurs reprises dans des bibliothèques parisiennes, à l'exemple de la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art (INHA), de la bibliothèque Sainte-Geneviève, et de la bibliothèque nationale de France (BnF). J'ai enfin cherché des informations aux Archives nationales avant de terminer cette enquête aux Archives de la municipalité de Paris.

C'est avec beaucoup de reconnaissance que je tiens à remercier tout d'abord, France Nerlich, sans qui la réalisation de ce dossier de recherche n'aurait pu être possible. Ses conseils judicieux, sa rigueur scientifique constante et le temps qu'elle m'a consacré, m'ont été précieux tout au long de cette année. Je désire adresser également mes remerciements à Marc de Ferrière le Vayer, professeur d'histoire contemporaine à l'Université François-Rabelais de Tours, qui a pris un vif intérêt à mon sujet de recherche, et m'a généreusement donné l'accès à sa base de donnée Orhibio (Origines et histoire de la médecine et des biotechnologies en région Centre). Je désire aussi exprimer ma reconnaissance à Jean-Baptiste Minnaert, professeur d'histoire de l'architecture contemporaine dans cette même université, pour ses conseils méthodologiques

6

très utiles donnés dans le cadre de son séminaire de master. Enfin, je tiens à remercier ma famille et ma conjointe pour leur soutien constant durant toute cette année universitaire.

7

Introduction

Né à Lorient le 18 mars 17901 dans une famille de militaire (ann. 1.1.1), Joseph-Félix Le Blanc de La Combe réunit une collection riche de plus mille oeuvres. Il la débute dans les années 1820 à Paris et la complète durant près de quarante ans jusqu'à sa mort, le 18 mars 18622 (ann. 1.1.2). Un an plus tard, ses héritiers vendent sa collection aux enchères en l'hôtel Drouot à Paris. Bien qu'également composée de tableaux anciens des écoles européennes des XVIIe et XVIIIe siècle et de peintures françaises du XIXe siècle, la collection de La Combe se caractérise avant tout par l'ensemble d'estampes, qui représentent en effet les trois-quarts de la collection et sont signées des artistes les plus fameux du XIXe siècle, à l'instar de Théodore Géricault (1791-1824), Eugène Delacroix (1798-1863), Honoré Daumier (1808-1879) ou encore Horace Vernet (1789-1863). Mais c'est la réunion complète de l'oeuvre lithographique de Nicolas-Toussaint Charlet (1792-1845) qui offre à la collection sa notoriété. Cette partie de la collection semble rendre compte de l'amitié qui unit Charlet et le colonel de La Combe. Ils partagent le même attachement à l'épopée napoléonienne, dont ils ont été acteurs et dont ils gardent chacun un souvenir impérissable en tant que soldat. La Combe a ainsi notamment participé aux campagnes d'Allemagne (1813) et de France (1814).

La Combe entame très jeune une carrière militaire suivant l'exemple de son père et de son oncle. Fils de Jacques-Hyacinthe Le Blanc de La Combe (1750-1807), lieutenant-colonel et inspecteur-adjoint dans l'artillerie de marine, et neveu du vice-amiral Antoine Jean-Marie Thévenard (1733-1815) ministre de la marine sous Louis XVI de mai à septembre 1791, il s'engage sur un navire dès l'âge de neuf ans en tant que mousse, du 15 juin 1799 au 10 novembre 18003. Durant sa carrière militaire de plus de trente ans, La Combe voit défiler les régimes politiques. Il est fait chevalier de la Légion d'Honneur le 17 mai 1813, puis promu au grade d'Officier le 1er septembre 1814. Malgré un renversement politique total par l'avènement de la Restauration, La Combe sert le « nouveau souverain de la France avec la même fidélité et le même dévouement » selon son biographe Henri de Saint-Georges4. De fait, il continue de

1 Acte de naissance de Joseph-Félix le Blanc de la Combe, [en ligne], Lorient, Archives municipales, cote 1E1/2159, consulté le 06/11/2015.

2 Acte de décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, Tours, Archives municipales, cote 5E71.

3 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet peint par lui même : étude biographique, Nantes, imp. Guéraud, 1862, p. 11.

4 Ibid, p. 11.

8

recevoir récompenses et distinctions, parmi lesquelles la promotion au grade de lieutenant-colonel dans l'artillerie à pied de la garde royale, et le titre de Chevalier de l'Ordre de Saint-Louis le 20 août 18245. Si sa carrière militaire s'arrête prématurément en 1830, à la suite des bouleversements de la Révolution de Juillet et des insubordinations des troupes voisines entourant la ville de Besançon où le colonel de La Combe est dépêché, ce dernier en ressort toutefois avec les honneurs de ses pairs : « j'ai pu tirer des larmes de tous les yeux, et à mon départ je fus accompagné par les plus anciens de chaque grade, qui m'ont dit au moment où je montais dans la malle-poste « «Au nom de nos camarades, nous sommes chargés de vous dire, colonel, que vous emportez tous nos regrets, toute notre estime, et que votre place sera toujours vacante au régiment» »6.

Revenu à la vie civile en 1830, le colonel s'installe la même année à Tours, préfecture d'Indre et Loire, avec son épouse Rose Isabelle Cécile Thomassa Mathilde de Mons d'Orbigny7 (1801-1859) (ann. 1.2.1), et ses quatre enfants : Louis Félix (1822-), Victor Christophe (18231893), Cécile Jeanne Louise Mathilde (1825-1893), et Mathilde Marie Joséphine (1829-1882). Originaire de Touraine, la famille de Mons d'Orbigny est présente dans cette région depuis le XIIe siècle, mais aurait pour origine exacte la région de Sainte-Maure, pour se développer par la suite vers Mons, près de Montbazon, ou dans le Poitou à Monts près de Loudun8. Elle possède notamment le fief de la Roche d'Enchaille près de Loches. Toutefois la famille s'est établie aux Antilles depuis deux générations. Mathilde naît ainsi le 29 août 1801 à Cuba9 du comte Louis-Hector de Mons d'Orbigny (1770 - 1867) (ann. 1.1.4)10 et de Cécile-Victoire Basile. L'union du colonel de la Combe avec la fille du comte de Mons d'Orbigny n'est probablement pas étrangère aux relations qu'ont dû entretenir les deux pères avant le mariage de leurs enfants. Effectivement Jacques-Hyacinthe Le Blanc de La Combe était capitaine au bataillon auxiliaire

5 http://www.saint-louis.info/pages/osl.html, consulté le 06/11/2015. 6SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien..., op. cit., p. 12-13.

7 Contrat de mariage de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Mathilde de Mons d'Orbigny, Paris, Minutier central, Archives nationales, cote ML/ET/LV/299.

8 BOISNARD, Luc, Dictionnaire des anciennes familles de Touraine, Mayenne, Éd. Régionales de l'Ouest, 1992 p. 284. Et Pierre-Louis Lainé, « de Mons », dans Archives généalogiques et historiques de la noblesse de France, ou Recueil de preuves, mémoires et notices généalogiques, Paris, imp. de l'auteur, Vol. 6, 1839, p. 1

9 Acte de décès de Rose Isabelle Cécile Thomassa Mathilde de Mons d'Orbigny, Tours, Archives municipales, cote 5E58. Reproduit en annexe 4.

10 Acte de décès de Louis-Hector de Mons d'Orbigny, Tours, Archives départementales d'Indre et Loire, [en ligne], consulté le 06/11/2015, cote 6NUM8/122/008.

9

des Colonies en 1781. Quant à Louis-Hector de Mons d'Orbigny, il naît à Saint-Domingue en 1770, et n'a manifestement pas quitté cette aire géographique avant de revenir en métropole avec son épouse et sa fille. Cela peut expliquer une rencontre précoce des deux familles. La famille de Mons d'Orbigny s'installe par la suite à Joué-lès-Tours au château de l'Épan.

Le colonel de La Combe noue en Touraine des liens avec les élites intellectuelles, scientifiques et politiques. Bien intégré dans la ville, il joue à l'occasion un rôle dans les affaires culturelles pour le compte de la municipalité. Toutefois, La Combe continue d'entretenir des relations avec les artistes parisiens, dont il collectionne activement les oeuvres. Il se déplace ainsi régulièrement à Paris, où la dynamique artistique est plus importante qu'à Tours.

La pratique de la collection du colonel de La Combe fait écho à l'essor du collectionnisme, qui tend à toucher un plus large public entre 1830 et 1860. Pierre Larousse dans son Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, écrit à la notice collection : « Le goût des arts et la manie des collections, qui en est le résultat, sont les privilèges des peuples civilisés et des époques de paix et de prospérité »11. Si la paix n'est pas toujours d'actualité en cette France des révolutions, la pratique de la collection semble toutefois s'apparenter à l'otium des latins. Le terme désigne en effet un loisir studieux12. Cette réunion d'objets d'art ou de curiosité engage le collectionneur à une réflexion permanente. À partir de ses goûts et de ses intérêts, il propose une ligne directrice, à laquelle il se doit de répondre constamment, pour la constitution de sa collection. Plus tard et au fur de ses acquisitions, l'amateur s'engage dans le classement des objets qui composent son intérieur. Cette activité éclairée reçoit un statut privilégié, mais se voit réservée dans les faits aux élites intellectuelles et financières - les deux vont de pair généralement - qui ne composent finalement qu'une part infime de la population.

La presse, et plus particulièrement les revues spécialisées participent à l'émancipation du collectionnisme au XIXe siècle. Ainsi, sont documentées les collections anciennes et contemporaines les plus fameuses. Par ailleurs, l'intérêt de la population pour le collectionnisme devient durant cette période l'un des thèmes favoris de la littérature réaliste. Honoré de Balzac en particulier, brosse le portrait de ce microcosme de la société française. Il livre avec Le Cousin Pons, qu'il publie sous la forme d'un feuilleton dans Le Constitutionnel

11 LAROUSSE, Pierre, « Collection », Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Paris, Administration du Grand dictionnaire Universel, 1869, p. 597.

12 GAFFIOT, Félix, « Otium », Dictionnaire français-latin, Paris, Hachette, 1934, p. 1098.

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en 1847, une étude sur le collectionnisme d'une part et sur les protagonistes qui le constituent d'autre part. Si Sylvain Pons, le personnage principal de l'intrigue, conserve des liens familiaux avec les individus de la société mondaine, ce vieux musicien apparaît néanmoins comme un marginal. De surcroît, Balzac manifeste un esprit d'avant-garde lorsqu'il fait publier son ouvrage en utilisant le terme « collection », pour qualifier la « bric-bracomanie » à laquelle s'adonnent ses contemporains et lui-même 13 . Par ailleurs Balzac participe de ce fait à l'enrichissement de la langue française. Outre la définition du Grand dictionnaire universel du XIXe siècle en date de 1869, celles des dictionnaires plus anciens semblent brèves pour définir ce qu'est une collection, comme le fait remarquer Françoise Hamon14. En somme, le sens du mot collection ne s'avère pas évident pour l'homme de ce milieu du XIXe siècle.

À partir du Cousin Pons, qui s'appréhende comme la première étude sur le collectionnisme, d'autres auteurs se sont essayés à définir sociologiquement les profils des collectionneurs et du marché de l'art dont ils participent. Henri Rochefort15, mais également Jules Champfleury16 analysent ces individus dans deux ouvrages consacrés à l'hôtel des ventes de Paris.

On a conté déjà bien des histoires sur les collectionneurs, leurs manies, leur détachement de toute affection, leur attache au moindre fétiche, leur rapacité, leurs joies particulières, les privations qu'ils s'imposent, leur aveuglement en tant de cas, leur clairvoyance si rare, leur ignorance pour toute chose qui échappe à leur spécialité, leurs profondes connaissances en matières qui n'en valent pas la peine, les voyages qu'ils entreprennent pour des misères, leur contemplation de Siméon Stylite en face d'un objet aimé17.

S'ils se montrent plutôt acerbes à l'égard des acteurs du collectionnisme, ils s'emploient toutefois à mettre en lumière la diversité des profils des personnages qui composent ce milieu en proposant des catégories, à l'exemple des amateurs de gravures, amateurs boutonnés, ou

13 MOZET, Nicole, « Le passé au présent. Balzac ou l'esprit de la collection », Romantisme, n° 112, 2001, p. 8394.

14 HAMON, Françoise, « Collections : ce que disent les dictionnaires », Romantisme, n°112, 2001, p. 95-108.

15 ROCHEFORT, Henri, Les petits mystères de l'hôtel des ventes, Paris, E. Dentu, 1862.

16 CHAMPFLEURY, Jules, L'Hôtel des commissaires-priseurs, [Paris, E. Dentu, 1867], Paris, Hachette Livre BNF, 2013.

17 Ibid, p. 3.

11

encore amateurs enthousiastes18. Il est important de souligner que ces études faites sur les collectionneurs entrent dans une observation plus large qui concerne aussi le commerce de l'art.

Collection et transaction sont en effet intrinsèquement liées. L'amateur ne peut effectivement enrichir sa collection qu'à partir d'oeuvres mises en vente. Il passe pour cela par l'artiste lui-même, par un marchand, ou bien par un commissaire-priseur. Le terme de marché de l'art, au même titre que celui de collection est soumis à une définition mouvante au XIXe siècle. La diffusion se fait autant sinon plus par des réseaux de collectionneurs, par des liens d'amitié entre artistes et amateurs et par les réussites au Salon, que par les marchands promoteurs de l'oeuvre d'un artiste.

Le fonctionnement combiné de ces deux champs, le collectionnisme et le marché de l'art, a engendré une littérature importante et un vaste périmètre bibliographique. Les publications sur le sujet deviennent effectivement pléthoriques dès les années 1990. Ce sont les auteurs anglophones qui sont intervenus les premiers, tels que le couple Harrison et Cynthia White19, Francis Haskell20, ou encore Linda Whitheley son élève21. Ils ont pour l'essentiel consacré leurs recherches à l'exemple français en général, et au marché de l'art parisien en particulier. Dans un premier temps en effet, c'est sur Paris et ses grands collectionneurs que tous les regards se sont portés, et cela durant une quinzaine d'années à partir des années 1990. Les actes du colloque Collections et marché de l'art en France 1789-1848, réunis par Monica Preti-Hamard et Philippe Sénéchal témoignent de cet engouement pour l'étude conjointe du collectionnisme et du commerce de l'art22. On peut noter qu'à cette heure les chercheurs se sont moins intéressés à l'économie de l'art durant la période romantique, soit les années 1820-1860, mais davantage aux périodes qui la précèdent et lui succèdent : la fin du XVIIIe siècle où se développe un véritable marché de la peinture avec notamment l'étude de la communication au travers des

18 Ibid., p. 3-14.

19 WHITE, Harrison et Cynthia, La carrière des peintres au XIX ème siècle : du système académique au marché impressionniste, (s.l., trad. de l'anglais par Antoine Jaccottet, 1991), Paris, Flammarion, 2009.

20 HASKELL, Francis, Rediscoveries in Art : Some Aspects of Taste, Fashion, and Collecting in England and France, 1976 (La Norme et le Caprice : Redécouvertes en art, aspects du goût et de la collection en France et en Angleterre, 1789-1914, trad. de l'anglais par Robert Fohr, Paris, Flammarion, 1986).

21 WHITELEY, Linda, Painters and dealers in Nineteenth-Century France,1820-1878, with special reference to the form of Durand-Ruel, Thèse de doctorat, Université d'Oxford, 1995.

22 PRETI-HANARD, Monica (éd.), SÉNÉCHAL, Philippe (éd.), Collections et marché de l'art en France 17891848, actes de colloque, Rennes, décembre 2003, Presses universitaire de Rennes/Institut national d'histoire de l'art, 2005.

12

premiers catalogues de vente, et la période impressionniste dont la figure de Paul Durand-Ruel a été très étudiée notamment par Linda Whiteley, ou plus récemment par Sylvie Patry, directrice de la publication du catalogue de l'exposition Durand-Ruel, qui s'est tenue au musée du Luxembourg à Paris23.

Il semble que les publications concernant le commerce de l'art durant la période romantique sont moins nombreuses. Elles développent particulièrement les questions de la location de tableaux24 et la perception de la pratique de la collection25 en plus d'études monographiques sur des collectionneurs privés 26 . Elles insistent en particulier sur la démocratisation et l'entichement des bourgeois pour les arts en se fondant notamment sur l'exemple du Cousin Pons27. Si les recherches antérieures sur le marché de l'art et la collection au XIXe siècle ont déjà bien exposé les enjeux et les faits relatifs à ces thèmes, il reste encore du travail pour mieux appréhender par exemple la diffusion des oeuvres, ou les relations entre les collectionneurs avec les autres acteurs du monde de l'art. Il convient également d'ouvrir la focale sur les comportements en province du marché de l'art et du collectionnisme, thèmes que notre étude vise à mettre en lumière. « En province le goût des collections n'est pas moins développé [É] » écrit un rédacteur du Magasin Pittoresque de 184128. Pourtant, ce n'est que récemment, que le commerce de l'art dans les régions françaises a été étudié au cours du colloque Marché(s) de l'art en province29.

23 PATRY, Sylvie (éd.), Paul Durand-Ruel le pari de l'impressionnisme, cat. exp, Paris, musée du Luxembourg, Réunion des Musées Nationaux, 2014.

24 ROTH-MEYER, Clothilde, Les marchands de couleurs à Paris au XIXe siècle, thèse de doctorat, sous la direction de Bruno Foucart, Université de Paris-Sorbonne, 2004.

JACQUINOT, Amélie, « Étudier l'art moderne, les marchands et la location de tableaux dans la pratique de la copie 1820-1850 », BONNET, Alain (éd.), NERLICH, France (éd.), Apprendre à peindre. Les ateliers privés à Paris 1780-1863, Tours, Les Presses Universitaires François-Rabelais, 2013.

25 HAMON, Françoise, « Collections : ce que disent les dictionnaires », Romantisme, n°112, 2001, p. 95-108. POMIAN, Krzysztof, « Collection : une typologie historique », Ibid., 2001, p. 9-22.

VOUILLOUX, Bernard, « Le discours sur la collection », Ibid., p. 95-108.

26 NERLICH, France, La peinture française en Allemagne 1815-1870, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2010, p. 281-287, p. 325-335.

27 PETY, Dominique, « Le personnage du collectionneur au XIXe siècle : de l'excentrique à l'amateur distingué », Romantisme, n°112, 2001, p. 71-81.

28 Le Magasin pittoresque, 1841, p. 381.

29 HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, Marché(s) de l'art en province, actes de colloque, Bordeaux, Bibliothèque municipale, 30 janvier et 1er février 2008, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010.

13

Au cours de nos recherches, nous avons constaté que des études avaient déjà été menées sur le marché de l'art et les collectionneurs de Touraine, surtout dans le cadre de travaux universitaires menés en histoire et histoire de l'art contemporaine à l'université de Tours. C'est ainsi qu'en 1992 Martine Augouvernaire défriche la première le terrain en retraçant les collections d'un ensemble de protagonistes tourangeaux30. Elle s'emploie notamment à définir les motivations et les profils des collectionneurs de Touraine du XIXe siècle, en les classant par catégories sociales. Toutefois, le mémoire ne rend compte qu'à de rares occasions du dynamisme économique de l'art dans la ville. Anne Peltier complète les recherches en 1999 avec un mémoire sur l'histoire des commissaires-priseurs de Tours au XIXe siècle31. Si elle s'efforce de retracer d'une part l'histoire de la profession comme le fait en 2013 Isabelle Rouge-Ducos32, son travail est d'autre part une source importante en ce qui concerne l'état du marché de l'art à Tours.

Malgré son importance, le colonel de La Combe n'est guère cité dans ces mémoires s'intéressant à l'histoire locale. Ce n'est donc pas au travers des ouvrages consultés que les connaissances sur cet individu sont les plus importantes, mais bien à partir des sources primaires à savoir les archives manuscrites et imprimées. La connaissance de la carrière militaire de La Combe repose en partie sur la biographie posthume que livre Henri de Saint-Georges (17991875) en mémoire de son ami. L'historien de Charlet peint par lui-même, qui paraît en 1862, est une succession de lettres du colonel recueillies et publiées par Saint-Georges. L'ouvrage est destiné aux proches du colonel et par conséquent « n'a été imprimé qu'en un petit nombre d'exemplaires, dont aucun n'[a été] mis en vente È33. L'activité de collectionneur n'est que peu renseignée, mais l'auteur présente les liens que La Combe entretenait avec les artistes parisiens, à l'instar de Nicolas-Toussaint Charlet, Hippolyte Bellangé (1800-1866) ou encore Jean-Louis Canon (1809-1892). Si le livre de Saint-Georges est une porte d'entrée facile pour l'étude de la biographie du colonel de La Combe, il est nécessaire de ne pas en rester là. Bien qu'elle offre

30 AUGOUVERNAIRE, Martine, Collectionneurs, Amateurs, et curieux au XIXème siècle en Indre-et-Loire, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction d'Isabelle Brelot, Université François-Rabelais de Tours, 1992.

31 PELTIER, Anne, Les commissaires-priseurs et les ventes à Tours au XIXème siècle, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction de Sylvie Aprile, Université François-Rabelais de Tours, 1999.

32 ROUGE-DUCOS, Isabelle, Le Crieur et le Marteau. Histoire des commissaires-priseurs de Paris (1801-1945), Paris, Belin, 2013.

33 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p.2.

14

des informations intéressantes et souvent de première main, la proximité entre le biographe et son sujet biaise à l'évidence le récit et incite l'historien à l'envisager avec prudence.

Les connaissances que nous avons de cette collection reposent également sur des documents d'archives. Paradoxalement, c'est à la mort de son propriétaire que la collection se fait connaître. Notre première démarche a alors été de retracer l'écho dans la presse de la vente de la collection. Cette recherche s'est révélée féconde, et nous a permis de trouver plusieurs articles faisant référence à la vente de la Combe dans la presse régionale, mais surtout dans la presse nationale spécialisée. En effet si le Journal d'Indre-et-Loire ne publie qu'un seul article sur la vente34, d'autres plus spécialisés dans le domaine des arts, comme L'Artiste35 ou La Chronique des Arts et de la Curiosité36 se révèlent plus loquaces. Ces deux journaux rendent compte de manière circonstanciée, évoquant aussi bien l'ambiance à Drouot lors de la vente, que les résultats d'adjudication des enchères, et l'identité de certains acheteurs. Si seulement un article est publié dans les chroniques de L'Artiste, sept signés par Philippe Burty (18301890), le spécialiste du marché de l'art de l'époque, remplissent les colonnes de la Chronique des Arts et de la Curiosité.

C'est également Philippe Burty qui rédige la préface du catalogue de vente. Réalisé en collaboration avec Me Victorien Louis Jean-Baptiste Delbergue-Cormont (1816-1888), commissaire-priseur, Francis Petit (-1877), expert en tableau ancien et aquarelle, et Louis Clément (-1886), marchand d'estampes de la Bibliothèque impériale, le catalogue est une source importante d'informations sur les objets. Il renseigne notamment sur l'auteur de l'oeuvre, son titre (générique ou non), sa date, ses dimensions, suivis le plus souvent, pour les tableaux, d'une description. Si, à la grande majorité, ces informations sont précises, elles ne permettent

34 BRAINNE, Ch., « Correspondance parisienne, 2 février 1863 », Journal d'Indre et Loire, n°29, 4 février 1863, p. 01, Tours, Archives municipales (cote 121 C48).

35 DAX, Pierre, « Chronique », L'Artiste, t. I, 15 février 1863, p. 95.

36 BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la collection de feu le colonel de la Combe de Tours », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°10, 25 janvier 1863, p. 93-95.

BURTY, Philippe Ibid., p. 117.

BURTY, Philippe, Ibid, p. 122-124. BURTY, Philippe, Ibid., p. 131-134. BURTY, Philippe, Ibid., p. 138.

BURTY, Philippe, Ibid., p. 156-157. BURTY, Philippe, Ibid., p. 163-165.

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pas toujours d'identifier avec certitude les oeuvres mises en vente. Aussi sommes-nous passés par les catalogues raisonnés pour les artistes les plus connus37, l'Inventaire du fonds français38 pour les estampes et par les bases de données Joconde39 et Collections40 qui répertorient les oeuvres conservées dans les collections publiques pour retracer le plus précisément possible les oeuvres qui composent la collection de La Combe.

Rappelons par ailleurs que les catalogues de vente sont édités en grand nombre pour la promotion des objets. Aussi, nous nous sommes employés à collecter plusieurs exemplaires, à l'instar de celui de l'Institut national d'histoire de l'art41 (INHA), de la Bibliothèque nationale de France42 (BnF) et du Rijksmuseum43 afin de comparer les annotations (prix, achats en lots, nom des acquéreurs) et réaliser un catalogue complet, publié dans les annexes de ce dossier de recherche (ann. 2.1). De surcroît, nous avons aussi eu recours aux procès-verbaux de la vente (ann. 1.2.5) qui malgré les difficultés de lecture, nous ont permis de confirmer les prix inscrits dans les différents catalogues de vente44.

Reste à présenter la dernière source la plus importante pour connaître la collection du colonel de La Combe : l'inventaire après décès (ann. 1.2.2)45. Il est « un acte qui a pour but de constater en détail la nature et le nombre des effets mobiliers, titres, papiers dont il importe

37 DELTEIL, LoØs, Eugène Delacroix, The Graphic Work. A Catalogue Raisonne, (Traduit du français et complété par Susan Strauber), San Francisco, Alan Wofsy Fine Arts, 1997.

DELTEIL, LoØs, Théodore Géricault, The Graphic Work. A Catalogue Raisonne, (Traduit du français et complété par Susan Strauber), San Francisco, Alan Wofsy Fine Arts, 2010.

38 LARAN, Jean, ADHÉMAR, Jean, LETHIÈVE, Jacques, GARDEY, Françoise, Inventaire du fonds français après 1800, t. I à XIV, Paris, Bibliothèque nationale, 1939 à 1967.

39 Base de données Joconde : http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm, consulté le 03/03/2016.

40 Base de données Collection : http://www.culture.fr/Ressources/Moteur-Collections, consulté le 03/03/2016.

41 PETIT, Francis et alii, Catalogue des tableaux anciens & modernes, aquarelles & dessins, lithographies, eaux-fortes, estampes et livres à figures, composant le cabinet de feu le colonel De La Combe [Joseph-Félix Le Blanc de la Combe], Paris, Bonaventure et Ducessois, 1863. Exemplaire conservé à Paris, INHA, cote VP 1863/12. Reproduit en annexe 5.

42 PETIT, Francis et alii, Ibid., Exemplaire numérisé du Gallica, [en ligne], http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3802127 , consulté le 12/09/2015.

43 PETIT, Francis et alii, Ibid., exemplaire numérisé sur Art Sales Catalogues Online, http://asc.idcpublishers.info.ezproxy.inha.fr:2048/protected/pdf/14201/ , consulté le 13/09/2015.

44 Procès verbaux de la vente de la collection de tableaux, aquarelles et de dessins après le décès de M. de La Combe, Paris, Archives de la municipalité, cote D60E3 11.

45 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, Tours, Archives départementales, cote 3E4/643.

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d'assurer la conservation au mieux. Cet acte descriptif et estimatif a pour but de constater tous les faits susceptibles d'établir les charges et les valeurs d'une personne, d'une succession, d'une communauté »46. Dressé pour les successions conséquentes, l'inventaire du patrimoine du colonel de La Combe est constitué durant neuf jours à partir du 25 mars 1862, soit une semaine après son décès qui intervient le 18 mars (ann. 1.1.2)47. Ce document nous renseigne sur le mode de vie qu'avait le colonel de La Combe, et s'appréhende en définitive comme la source qui rend le mieux compte du quotidien du collectionneur et de sa relation avec les oeuvres.

Si la biographie du colonel de La Combe reste lacunaire et repose principalement sur des documents d'archives administratives, il convient aussi de s'intéresser à sa pratique d'amateur éclairé et d'auteur. En publiant en 1856 une monographie consacrée à Charlet, Charlet sa vie, ses lettres, suivie d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique, La Combe gagne une notoriété et une autorité certaines dans le monde de l'art48. Avec cet ouvrage, le colonel de La Combe laisse non seulement dernière lui un hommage à la mémoire de son ami, mais il forge aussi les fondements du catalogue raisonné de l'artiste. Le succès éditorial de ce livre induit une certaine reconnaissance pour La Combe qui se voit durablement associé à Charlet comme en témoigne le récent catalogue de l'exposition Charlet aux origines de la légende napoléonienne de 200849.

Sujet inédit touchant à l'histoire tourangelle, l'étude de la collection de La Combe est à situer également dans un champ géographique, historique et disciplinaire plus vaste. En partant de ce personnage particulier, nous cherchons en effet à fournir une étude aux thématiques plurielles. C'est dans ce sens que nous proposons plusieurs hypothèses auxquelles nous tâcherons de répondre dans la suite du développement. La constitution d'une collection est-elle la conséquence d'une volonté de reconnaissance sociale ? Peut-on envisager cette collection comme une forme de portrait de son propriétaire ? Est-il possible de parler de collection inédite lorsque nous sommes confrontés en majorité à une réunion d'estampes ? Par quels moyens et

46 SCHWEITZ, Arlette, La maison tourangelle au quotidien, façons de bâtir, manière de vivre 1850-1930, Paris, publication de la Sorbonne, 1997, p. 29-30.

47 Acte de décès de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit.

48 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, Charlet, sa vie ses lettres, Tours, imp. J. Bouserze, 1856.

49 BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), Charlet aux origines de la légende napoléonienne 1792-1845, cat. exp., La Roche-sur-Yon, musée municipal, Boulogne-Billancourt, Bibliothèque Paul Marmottan, Paris, B. Giovanangeli, 2008.

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comment La Combe se pose-t-il comme le spécialiste de Charlet ? En quoi se distingue-t-il des autres collectionneurs, dont la mode ne fait qu'accroître le nombre ?

Nous débuterons tout d'abord par l'étude des relations dans le domaine des arts entre Tours et Paris, au travers de la figure du colonel de La Combe. S'il est un notable de Touraine qui entretient des relations avec l'élite intellectuelle de Tours, il est aussi reconnu à Paris, principalement dans le domaine artistique. Ainsi nous présenterons les amitiés qu'il lie avec les artistes de l'école romantique, et particulièrement avec Charlet et les protagonistes de son atelier. À la suite, nous ferons un rapide constat de l'état du commerce de l'art à Tours, et à Paris entre 1830 et 1860. Cela nous permettra de montrer par quels moyens La Combe a pu constituer sa collection. Enfin, nous clôturerons cette partie par la présentation générale de la vente de la collection du colonel de La Combe.

Poursuivant le fil de notre étude, nous nous intéresserons davantage à la collection. Il sera d'abord question de la présenter comme un ensemble, un tout homogène, avant d'imaginer et proposer une interprétation de la relation qui devait unir La Combe à ses objets. Ensuite, nous traiterons plus spécialement la question de la collection d'estampes, en mettant en lumière les spécificités de ce médium. Ceci fait, nous exposerons l'originalité de la collection de La Combe et la participation du colonel dans le débat pour la reconnaissance de la lithographie en tant que véritable médium artistique.

La dernière étape de cette étude sera consacrée à l'activité d'écrivain du colonel de La Combe à travers la publication de son livre sur Charlet. Nous débuterons cette partie par la réalisation d'un bilan historiographique sur Charlet, pour discuter ensuite de l'impact qu'a eu l'ouvrage sur la réception critique de l'artiste. Nous mettrons par la suite son activité d'écrivain, et d'historien en perspective de l'intérêt commun des auteurs de cette période pour les biographies, et spécialement celles consacrées aux artistes. Nous conclurons enfin sur les conséquences que la publication de l'ouvrage a eues sur la notoriété du colonel Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, éminent collectionneur tourangeau aujourd'hui oublié.

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Chapitre premier : Joseph-Félix Le Blanc de La Combe notable, érudit et collectionneur. L'étude des interactions artistiques et culturelles entre une ville de province et la capitale artistique du XIXe siècle.

I. Un notable tourangeau au contact de l'élite artistique parisienne.
A. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, notable tourangeau.

À son arrivée en Touraine en 1830, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe a dû à l'évidence s'installer dans un quartier bourgeois de Tours, en adéquation avec sa fortune et son statut social. L'acte de mariage de sa fille Cécile Jeanne Louise Mathilde mentionne l'adresse du 3, rue de la Préfecture (ann. 1.1.5)50. Il semblerait que le colonel de La Combe ait habité cette maison avant de s'installer au 12, rue Buffon à Tours (ann. 3.1) qu'il loue au violoncelliste Auguste-Joseph Franchomme (1808-1884)51, au plus tard, de janvier 1851 jusqu'à sa mort. Un acte d'obligation passé le 2 janvier 1851 entre La Combe et son épouse avec Louis Pierre Sorin, propriétaire demeurant à Tours, corrobore cette date d'installation rue Buffon52. Le colonel de La Combe s'installe donc dans un quartier en pleine expansion. En effet, la rue Buffon est percée en 1843, sous l'impulsion du général Pommerez, alors préfet du département d'Indre-et-Loire53. Les enfants ayant quitté le domicile familial, Joseph-Félix Le Blanc de la Combe vit seul avec son épouse. Le couple est toutefois assisté de trois domestiques qui logent en leur demeure54. Leur présence témoigne des moyens considérables dont jouit le couple. Retraité de l'armée, le colonel touche 3 114 francs de pension annuelle et 250 francs de traitement de la Légion d'honneur55. Il possède également avec son épouse une ferme à Neuillé-Pont-Pierre,

50 Acte de mariage de Jules Maillard de la Gournerie et de Cécile-Jeanne-Louise-Mathilde Le Blanc de la Combe, Tours, Archives départementales, [en ligne], cote 6NUM8/261/172. Reproduit en annexe 7.

51 Inventaire des biens de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 3 et 43.

52 Obligation passée entre Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Mathilde de Mons d'Orbigny de La Combe et Louis Pierre Sorin, Tours, Archives départementales, cote 3E4/605.

53 GAèSCUEL, Geneviève, Les noms des rues de Tours, Montreuil-Bellay, Editions C. M. D., 1999.

54 Liste nominative de recensement de 1856, Tours, Archives départementales, [en ligne], cote 6NUM5/261/120.

55 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 41

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qui leur rapporte un revenu constant56. Enfin, Mathilde de Mons d'Orbigny détient une rente de 80 000 francs57 (ann. 1.2.4).

Proche des boulevards Béranger et Heurteloup, de la rue Royale et de l'Archevêché - aujourd'hui les rues Nationale et Émile Zola -, la maison des La Combe se situe dans un quartier où réside la bourgeoisie de la ville. À partir de la liste de recensement de l'année 185658, nous avons pu comptabiliser le nombre d'habitants de la rue Buffon et recenser également leur profession (tab. 1). Ainsi sur les 143 habitants qui peuplent la rue, 60% sont des propriétaires ou personnes ayant un statut comparable. À l'inverse, près de 40% des habitants sont des domestiques ou personnes appartenant à la famille de l'un d'eux. Cela représente une moyenne de 0,6 domestiques par propriétaire. Le colonel de La Combe et son épouse sont donc au-dessus de la moyenne, puisqu'ils emploient trois domestiques, ce qui représente 1,5 domestiques par propriétaire.

Le colonel de La Combe entretient des relations avec les notables de la ville. Il fréquente probablement Henry-Armand-Alfred Mame (1811-1893) bien qu'il n'habite pas avant 1872, l'hôtel particulier éponyme situé dans la rue de l'Archevêché (ann. 3.1). L'éditeur semble partager avec le colonel de La Combe l'intérêt pour l'art contemporain, voire un même goût puisqu'il achète à la vente posthume du colonel de La Combe, La voiture du cantinier de Charlet pour 550 francs, et un dessin préparatoire pour le Déluge de Géricault pour 150 francs59. Il est possible que Mame ait vu ses deux oeuvres dans l'intérieur de La Combe. Par ailleurs, Alfred Mame est le cousin et beau-frère d'Ernest Mame (1805-1883), maire de Tours à partir de 1849, qui confie en 1854 à La Combe, une mission pour la municipalité, sur laquelle nous reviendrons dans la suite de ce chapitre. Le colonel fréquente également le docteur Pierre-Fidèle Bretonneau (1778-1862), médecin-chef de l'hospice général de Tours depuis le 15 janvier 1815 60 . Professeur d'Alfred Velpeau (1798-1867) et d'Armand Trousseau (1801-1867),

56 Contrat de vente de la ferme des Cartes par M. de La Combe et ses enfants à M. Robin, Tours, Archives départementales, cote 3E4/641.

57 Tables de successions et absences de l'année 1856, f62, Tours, Archives départementales d'Indre-et-Loire, [en ligne], cote 6NUM3/021/012.

58 Liste nominative de recensement de 1856, op. cit.

59 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 13 et 20. Exemplaire numérisé du Gallica, [en ligne], http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3802127 , consulté le 12/09/2015

60 WATIER, Hervé, « Bretonneau », base de données ORHIBIO,

http://www.orhibio.org/wiki/index.php?title=Bretonneau, consulté le 01/04/2016.

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Bretonneau est un acteur important des progrès de la médecine, notamment par l'invention du tube capillaire appelé aussi « tube Bretonneau ». Avec ses élèves, il s'intéresse particulièrement à la question de la propagation des maladies qui ravagent la population, à l'instar de la fièvre typhoïde et de la diphtérie. Il est par ailleurs l'un des premiers à mettre en évidence les principes de contagion par les germes. Nous avons connaissance de l'amitié qui unit La Combe au docteur Bretonneau, grâce à une lettre du colonel adressée à Hippolyte Bellangé datée de décembre 1855 : « J'ai eu les soins intelligents et affectueux de deux bons chirurgiens, dirigés en partie par mon ami le grand docteur Bretonneau, aujourd'hui le plus habile médecin de France et de Touraine »61. Si les soins dispensés sous la direction de Bretonneau au colonel de La Combe peuvent expliquer leur rencontre, la proximité des habitations des deux hommes peut l'expliquer également. Bretonneau habite en effet en 1846 le 4, rue Buffon (ann. 3.1), qui est perpendiculaire à la rue de la préfecture où réside le colonel de La Combe à cette époque62. Il est donc probable que La Combe fréquente aussi le château de Palluau, la demeure de Bretonneau à St-Cyr sur Loire. Ce château construit au XVe siècle voisine également la petite Grenadière de Pierre-Jean Béranger (1780-1857), le grand chansonnier du XIXe siècle. Béranger se lie d'amitié avec le docteur Bretonneau, son médecin. Si La Combe possède les Sermons et Panégyriques de Béranger63, il est aussi fort probable qu'il ait eu l'occasion de le rencontrer par l'intermédiaire de Bretonneau, même si nous n'avons aucune preuve pour confirmer cette hypothèse. Le biographe de La Combe, Henri de Saint-Georges présente aussi dans sa biographie l'intimité qui lie le colonel avec Claude-René Bacot (1782-1853), un militaire qui a effectué une carrière brillante sous le règne de Napoléon, après avoir effectué le Grand Tour sur les deniers de son père. Néanmoins, c'est à la Restauration que Bacot a véritablement construit sa carrière, nommé dès juillet 1815 préfet du département du Loir-et-Cher, puis d'Indre-et-Loire la même année, à la suite de manipulations politiques contre Alexandre Étienne Guillaume Hersant-Destouches (1773-1826), son collègue alors préfet de Touraine64. En 1821, il est anobli par Louis XVIII (1755-1824 ; 1815-1824) et devient baron

61 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 19.

62 Liste nominative de recensement de population de 1846, Tours, Archives départementales, [en ligne], cote 6NUM5/261/19, f 70.

63 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 22.

64 BERGERON, Louis (éd.), CHAUSSINAND-NOGARET, Guy (éd.) et alii, Grands notables du Premier Empire Loir-et-Cher, Sarthe, Maine-et-Loire, Morbihan, Paris, Éd. du Centre National de la Recherche Scientifique, 1983, p. 63-65.

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de Romand. Bacot réside à Tours au 10, rue du Cygne (ann. 3.1) mais possède également une maison à Vernou-sur-Brenne. Il semble que le colonel de La Combe ait régulièrement séjourné à la campagne dans la demeure de son ami65. De surcroît, les deux hommes paraissent si liés, que La Combe conserve une partie de ses vins dans la cave de Bacot, et que ce dernier prête à La Combe la somme considérable de 20 000 francs66.

Le rayonnement social du colonel de La Combe semble passer également par les unions de ses enfants. Si le fils cadet, Victor Christophe Le Blanc de La Combe, chevalier de la Légion d'honneur67, propriétaire du château de la Bretèche, semble rester célibataire, son frère aîné Louis Félix Victor se marie le 2 mai 1854, avec Isabelle Sidonie de Contades-Gizeux (1831-) fille du marquis Camille Auguste de Contades-Gizeux (1791-1861) et d'Isabelle de Maille de la Tour-Londry (1805-1884)68. Arrière-petite-fille d'un baron de l'Empire, Louis-Gabriel de Contades-Gizeux (1759-1825), et fille d'un officier de cavalerie, elle est un parti intéressant pour le fils du colonel de La Combe. Le couple s'installe à Brion dans le Maine-et-Loire, au château de la Mothaye construit en 1830. La fille aînée du colonel de La Combe, Cécile Jeanne Louise Mathilde se marie le 17 juin 1845 à Tours, avec Jules Antoine René Maillard de la Gournerie (1814-1883), ingénieur des Ponts et Chaussées, fils de Jacques-Antoine Maillard de la Gournerie (1770-1839) et Marie Julie Catherine de Talhou`t-Gratiommaye (1776-1866), originaires de Nantes69. La Combe conserve ainsi des contacts avec l'élite de sa Bretagne natale. D'une famille de militaire, le vicomte Jules Antoine René Maillard de la Gournerie intègre en 1830 l'École navale en tant que major de promotion. Après des différends avec ses supérieurs, il entreprend une carrière d'ingénieur, en intégrant en 1833 l'École Polytechnique. Il sort en 1835 de l'École des Ponts et Chaussées70. Il entame sa carrière par la construction du phare de l'île de Bréhat et prend part également à la construction de la jetée du Croisic et du bassin à flot

65 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien, op. cit., p. 55.

66 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f 42.

67 Procès verbal d'individualité pour servir à l'inscription des membres de l'ordre national de la Légion d'honneur sur les registres matricules, Paris, Archives nationales, [en ligne], base Léonore, dossier LH/1516/23.

68 Acte de mariage de Louis-Félix-Victor Le Blanc de La Combe et d'Isabelle-Sidonie de Contades-Gizeux, Tours, Archives départementales d'Indre-et-Loire, [en ligne], cote 6NUM8/112/049.

69 Acte de mariage de Jules Maillard de la Gournerie et de Cécile-Jeanne-Louise-Mathilde Le Blanc de la Combe, op. cit.

70 LAUSSELADAT, A., « Vicomte Jules-Antoine-René Maillard de la Gournerie », Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1898, [en ligne] : http://ecole.nav.traditions.free.fr/officiers maillard.htm, consulté le 02/04/2016.

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du port de Saint-Nazaire. Maillard de la Gournerie est fait Chevalier de la Légion d'honneur le 21 décembre 1847, puis Officier le 14 août 186571. Avec son épouse, il s'installe à Paris au 36, rue de Varennes, puis au 77, boulevard Saint-Michel. Quant à Mathilde Marie Joséphine, la cadette de La Combe, elle épouse en 1853, Jean-Baptiste Alphonse Eugène de Frévol d'Aubignac (1810-1855), comte de Ribains, mais seulement deux ans après leurs noces, l'époux décède. La veuve habite près de la demeure parentale au 15, rue des Minimes72.

La réputation de La Combe est confirmée à son décès, par la nécrologie qui paraît le lendemain de sa mort dans le Journal d'Indre-et-Loire : « Nous avons le regret d'annoncer la mort de M. de La Combe, colonel d'artillerie en retraite. Noble coeur, esprit distingué et plein de bienveillance, M. de La Combe s'était concilié dans notre ville de nombreuses et vives amitiés, et laisse derrière lui les plus sincères et plus unanimes regrets. Aimant les arts, qu'il cultivait lui-même, il était pour les artistes un protecteur aussi chaleureux qu'éclairé dont l'appui ne manquait pas. M. le colonel de La Combe a publié, il y a peu d'années, sur l'oeuvre de Charlet un volume qui a obtenu un remarquable succès, et au mérite duquel un juge assurément des plus compétents, notre grand peintre, M. Eugène Delacroix, rendait récemment un éclatant hommage » 73.

Au regard de son réseau important, il paraît s'intégrer facilement dans le cercle de l'élite tourangelle74. Le périmètre social, urbain et géographique dans lequel évolue le colonel de La Combe lui permet de tisser des liens avec une part importante de l'élite locale. Il est possible que son grade de colonel participe également à sa reconnaissance sociale au sein de cette société influente. Toutefois, la biographie de La Combe dépasse la micro-histoire tourangelle. En effet, c'est avec les artistes de Paris, que le colonel de La Combe semble entretenir des rapports plus nombreux et plus intéressants pour l'histoire de l'art.

71 Reconstitution des matricules de Jules-Antoine-René Maillard de la Gournerie, Paris, Archives nationales, [en ligne], base Léonore, dossier LH/1693/44.

72 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f° 2.

73 [ANONYME], « Chronique locale », Journal d'Indre et Loire, n°64, 19 mars 1862, p. 01. Tours, Archives municipales, cote 121 C47.

74LAURENCIN, Michel, La vie quotidienne en Touraine au temps de Balzac, Paris, Hachette, 1980, p. 258. Le pourcentage indiqué est valable pour l'année 1849.

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B. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, ami des arts et des artistes.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe manifeste un double intérêt pour la musique et les arts plastiques. Mais à la différence de nombreux amateurs, il participe pleinement de la scène artistique en entretenant des relations amicales avec nombre d'artistes.

S'il ne semble pas avoir une pratique de la peinture, du dessin ou de la gravure, le colonel de La Combe est musicien. En effet, Saint-Georges mentionne la participation du colonel dans les salons de Mme Orfila (-1853) et de Camille Erard (1813-1889), épouse du facteur d'instrument Pierre Erard (1794-1855)75. Toutes deux participent de la vie musicale parisienne, en invitant des musiciens professionnels ou amateurs à venir jouer dans leurs salons76. La pratique musicale du colonel de La Combe est confirmée par l'inventaire après décès (ann. 1.2.2). Il possédait en effet deux cors d'harmonie et une collection importante de partitions de « musique vocale et instrumentale contenant diverses partitions pour piano seul : Don Juan, Figaro, Freschoutz, Gazza-Ladra, Barbier, Osthelle, Marguerite d'Anjou et autres - des trios, des quatuors et de quinttets : de Mozart, Cremont, Reicha, Fescha, Weber, Dauprat, Beethowen et autres »77. Par ailleurs, Paul Scudo (1806-1864) fait référence à la qualité de musicien du colonel de La Combe dans sa revue musicale du 1er novembre 1858 de la Revue des Deux Mondes.

Un de ces hommes de goût et de coeur comme il y en a peu malheureusement, un ami de Charlet, qui a raconté la vie du peintre en un livre plein de faits intéressants et d'une émotion communicative,

M. de Lacombe, ancien colonel d'artillerie, dont le beau talent sur le cor est connu et apprécié depuis longtemps, me disait, en parlant des Noces de Figaro : «Si la musique des plus beaux opéras que nous connaissons est l'oeuvre du génie, celle de Mozart est l'inspiration d'un Dieu»78.

Le colonel de La Combe semble porter un intérêt particulier à la musique de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Néanmoins, ce sont surtout les relations qu'il entretient avec les artistes contemporains qui sont intéressantes. Il fréquente notamment Anton Reicha (17701836) et Eugène Vivier (1817-1900), deux personnalités importantes de la scène musicale de ces années, aujourd'hui en grande partie oubliées. Reicha entame son éducation musicale à

75 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 50.

76 CHANTAVOINE, Jean, GAUDEFROY-DEMONBYNES, Jean, Le Romantisme dans la musique européenne, Paris, Éditions Albin Michel, p. 523.

77 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f27.

78 SCUDO, Paul, « Revue musicale », Revue des Deux Mondes, t. 18, Paris, imp. J. Claye, livraison du 1er novembre 1858, p. 225.

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partir de 1781 à Bonn, où il a pour condisciple Ludwig van Beethoven (1770-1827). Il rejoint Paris en 1808 après s'être établi à Hambourg, puis à Vienne. C'est à l'évidence entre 1808 et 1818, que Reicha fait la connaissance du colonel de La Combe, qui semble devenir sinon son mécène, au moins son protecteur.

Il m'est arrivé pour l'un d'eux de faire quelque chose d'analogue à ce que je fais pour Charlet. Quand je fis sa connaissance, et que je pus apprécier son immense mérite, il était bien malheureux. Successivement, je l'ai fait nommer professeur d'harmonie au Conservatoire [É] Enfin, je l'ai conduit jusqu'à l'Institut79.

Reicha est nommé professeur au Conservatoire en 1818, puis il est élu à l'Institut en 1829 en remplacement de François-Adrien Boildieu (1775-1834)80. En remerciement pour son soutien, Reicha aurait dédié au colonel de La Combe l'un de ses vingt-quatre quintettes à vent81. Malheureusement l'intervention de La Combe n'est pas confirmée par un document d'archives, hormis la lettre publiée dans la biographie de Saint-Georges précédemment citée. Eugène Vivier ne bénéficie pas quant à lui d'une réputation aussi positive, comme en témoigne la notice de la Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, dans laquelle il est mentionné comme un « virtuose excentrique et bruyant »82. Joueur de cor, Vivier est invité à Tours par le colonel de La Combe qui « voul[ait] l'entendre et le juger à [son] aise »83. À l'évidence, La Combe en a fait profiter ses amis Tourangeaux, qui l'élisent ensuite à la tête de la société philharmonique de Tours84.

Si le colonel de La Combe est un mélomane éclairé entretenant des relations avec les musiciens de sa génération, il ne donc pas un hasard qu'il loue sa maison du 12, rue Buffon au compositeur et violoncelliste parisien Auguste Franchomme85. En grande partie oublié de nos jours, Franchomme est pourtant un personnage important de la scène musicale de la génération romantique. Premier prix de violoncelle au Conservatoire de Paris en 1826, puis professeur

79 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 53.

80 HONEGGER, Marc, Dictionnaire de la musique, Paris, Bordas, 1993, p. 1042.

81 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 52.

82 FÉTIS, F.-J., « Vivier Albert-Joseph », Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, Mesnil, Firmin-Didot, 1837, p. 632. L'auteur présente la biographie d'Albert-Joseph Vivier (1816-1903), mais fait référence à Eugène Vivier par ce commentaire.

83 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 53.

84 Ibidem.

85 Inventaire des biens de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 3 et 43.

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vingt ans plus tard, Franchomme entretient également une riche correspondance avec Frédéric Chopin (1810-1849) avec qui il passera en 1833 un séjour à la Croix-en-Touraine chez ses mécènes les Forest. Franchomme et Chopin donnent à l'occasion de leur venue en Touraine un concert à la chapelle des Capucines à Tours, auquel il est probable que le colonel de La Combe ait assisté.

Si la musique rythme le quotidien du colonel de La Combe, les arts plastiques lui sont davantage associés. Par ses correspondances épistolaires et ses voyages à Paris, La Combe entretient de véritables amitiés avec les artistes de l'école romantique, et particulièrement avec Nicolas-Toussaint Charlet. Avec ce dernier, il partage un certain nombre de points communs, à l'instar de sa carrière militaire et son affection pour l'épopée napoléonienne. Les raisons et motivations de leur rencontre sont inconnues, et il est difficile de confirmer à partir de quelle année Charlet et La Combe se fréquentent. Toutefois leur rencontre doit intervenir entre 1824 et 1830. En effet, Francis Petit fait remarquer dans le catalogue de vente, que Charlet avait offert au colonel de La Combe en 1824 l'aquarelle du Chasseur au Moyen-Âge86. Saint-Georges propose pour sa part l'année 1830, en s'appuyant sur une lettre du colonel de La Combe.

Ceci est pour vous faire sentir que j'ai le coeur assez bien placé pour comprendre Charlet, homme de coeur avant tout. Quoique je l'aie connu seulement depuis 1830, et que nos relations aient même été interrompues pendant son paroxysme de juste milieu87.

Né le 20 décembre 1792 d'un père dragon de la République et d'une mère fervente bonapartiste, Charlet étudie au lycée Napoléon avant d'être embauché comme commis dans une mairie de Paris. Licencié pour bonapartisme, il entreprend une formation artistique dans l'atelier de Charles-Jacques Lebel (1772-1830), un ancien élève de Jacques-Louis David (17481825). Il intègre en 1817 l'atelier d'Antoine-Jean Gros (1771-1835) - une pépinière d'artistes romantiques - et y rencontre notamment Paul Delaroche (1797-1856), Richard Parkes Bonnington (1802-1828), Hippolyte Bellangé (1800-1866), Robert Fleury (1797-1890), Camille Roqueplan (1800-1855), Eugène Lami (1800-1890), ou encore Antoine-Louis Barye (1797-1875), qui tous sont représentés dans la collection du colonel de La Combe. Bien que placé sous la tutelle de David, l'atelier de Gros fait émerger les jeunes talents de la génération

86 PETIT, Francis et alii, Catalogue des tableaux anciens & modernes, op. cit, p. 5.

87 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 31.

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des enfants du siècle88. Charlet semble avoir présenté à La Combe l'ensemble des protagonistes de son cercle artistique. Ainsi, La Combe se lie d'amitié avec une partie de ces artistes. Il est particulièrement proche de Bellangé, ce qui ressort de la correspondance publiée en partie par Henri de Saint-Georges. Le portrait du colonel par Bellangé (fig. 1) publié dans l'historien de Charlet peint par lui-même témoigne également de leur amitié. Manifestement l'artiste le réalise à titre posthume, puisqu'il est imprimé chez Aubry en 1862. Cherchant à rendre hommage à son ami, Bellangé met en lumière dans ce portrait l'érudition du colonel de La Combe. Il le représente accoudé sur un livre, qui est probablement un exemplaire de la biographie de Charlet. De surcroît le spécimen de L'historien de Charlet peint par lui-même conservé à l'INHA est dédicacé à l'épouse de Bellangé89, ce qui confirme les liens qui unissaient La Combe à la famille de l'artiste. Rappelons-le, ce livre est avant tout dédié à ceux qui ont partagé l'intimité du colonel de La Combe.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe entretient aussi des liens avec les artistes de la génération suivante et principalement avec les élèves de Charlet. Il les rencontre probablement dans l'atelier du maître lors de ses voyages à Paris. Il fréquente notamment François-Hippolyte Lalaisse (1812-1884) et Jean-Louis Canon (1809-1892). Ces derniers deviennent à la suite de leur formation les amis de Charlet, mais également ses adjoints à l'École polytechnique où il enseigne le dessin depuis 1838. Une certaine complicité semble unir La Combe à ces jeunes artistes. Lalaisse envoie par exemple au colonel de La Combe des lithographies illustrant la Bretagne, qui font probablement allusion aux origines du collectionneur90 . De surcroît, l'épisode du « sauvetage » d'une toile de Charlet rend compte également de la complicité de La Combe et des jeunes artistes : « en même temps que Charlet me présentait le résultat de son coupable enthousiasme, Canon me faisait signe, et me montrait un tableau achevé sur le chevalet du maître, puis me tirant à part : "Emportez-le, me dit-il, car ce soir il n'existerait plus", et je me mis le conseil à profit »91. Il serait trop fort de parler de relation filiale entre les élèves de Charlet et La Combe. Néanmoins il faut considérer que le colonel de La Combe porte une attention particulière à la carrière de Canon. De 1833 à 1835, La Combe accueille Canon en

88 GARCIA, Clémentine, « Jacques-Louis David, Antoine-Jean Gros, Paul Delaroche et Charles Gleyre une généalogie d'atelier ? », in NERLICH, France (éd.), BONNET, Alain (éd.), Apprendre à peindre les ateliers privés à Paris 1780-1863, Tours, Presse Universitaire François-Rabelais, 2013, p. 209-217.

89 Ibid. p.1. Exemplaire conservé à l'INHA sous la cote 8Y253.

90 PETIT, Francis et allii, p. 104.

91 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit. p. 76-77.

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Touraine et informe Charlet des travaux et des progrès de son élève92. Au moins sept oeuvres de Canon - datées, localisées et signées - faisant partie de la collection du colonel de La Combe témoignent de ce séjour en Touraine. Canon continue d'y suivre l'exemple de son maître en réalisant des scènes de genre, à l'instar du Pouilleux, de La mendiante, de L'escalier, et de La prière93. Il s'adonne également à la copie d'oeuvres conservées au musée des Beaux-Arts de Tours, à l'exemple de La vierge tenant l'enfant Jésus dans ses bras94. Néanmoins son activité de copiste ne peut être vérifiée, puisque le musée des Beaux-Arts de Tours ne conserve pas de registre de copistes. Enfin, Canon semble s'intéresser au dessin de paysage sur le motif, en représentant les bords du Cher et de la Loire à la sépia et à l'aquarelle95.

C'est aussi dans le cercle des amateurs de Charlet que La Combe va trouver des amitiés durables, à l'instar de celle qui le lie à Henri de Saint-Georges. Auteur prolifique, Saint-Georges partage avec La Combe des origines bretonnes, mais surtout son goût pour la collection des oeuvres de Charlet. L'origine de leur relation remonte manifestement à l'année 1856, date de la publication de Charlet sa vie, ses lettres suivies d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique, comme le rappelle de manière quelque peu emphatique l'auteur du catalogue de vente après décès d'Henri de Saint-Georges :

Quelques trente ans plus tard, un livre paraît, sans bruit, sans réclames, dont un exemplaire vient tomber dans ses mains. Il le lit ; non il le dévore, prend aussitôt la plume et écrit à l'auteur : - Ò Monsieur, en vous lisant, j'ai senti redoubler l'admiration, je devrais dire le culte, que depuis plus de trente ans je professe pour notre grand, pour notre bon Charlet. [É] Combien d'un autre côté, sous cette écorce rabelaisienne, sous cette sève du vieil esprit gaulois, respire de bonté, de franchise, de sensibilité vraie ! ...» - Cette déclaration à brûle-pourpoint, adressée à M. De La Combe, ne pouvait manquer d'être payée de retour. Dès lors s'établit entre ces deux coeurs une correspondance intime, dont la correspondance par lettres n'était que l'épanchement naturel96.

L'amitié entre La Combe et Saint-Georges paraît presque fraternelle, bien qu'elle soit relativement tardive. Ensemble, ils entreprennent à partir de 1860 la réalisation de la seconde

92 Ibid, p. 69.

93 N°59, 61, 69, 70, in PETIT, Francis et alii, Catalogue des tableaux anciens & modernes, op. cit, p. 8 et 9.

94 N°54, ibid., p. 7.

95 N°55 et 87, ibid., p. 7 et 11.

96 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, CLÉMENT, Louis, Catalogue des dessins et aquarelles, quelques tableaux, lithographies et eaux fortes moderne, OEuvre de Charlet, Estampe ancienne et portrait composant le cabinet de feu M. Henri de Saint-Georges, Paris, 1865, p. 7-8.

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édition de l'ouvrage sur Charlet. Par ailleurs, c'est à l'évidence par l'intermédiaire de Saint-Georges, que le colonel de La Combe est présenté au peintre Eugène Delacroix. Le colonel de La Combe et Delacroix semblent entretenir une courte correspondance à partir de la fin de la décennie 1850. Delacroix partage en effet l'intérêt de La Combe pour les oeuvres de Charlet. Ainsi, il rend honneur à l'ouvrage du colonel de La Combe dans un article sur Charlet, publié dans la Revue des Deux Mondes en janvier 186297. À l'annonce du décès du colonel de La Combe, Delacroix répond ainsi à Saint-Georges.

Mes relations encore récentes avec M. de la Combe ne me donneraient pas le droit de me dire son ami, et il me semble pourtant que je sens briser un de ces liens qui nous attachent au monde. C'est qu'il ne fallait qu'un instant pour apprécier cette riche nature, dans laquelle le coeur et l'esprit allaient de pair. Hier encore, je m'occupais de chercher une pièce rare qui lui manquait et que j'eusse été si heureux de lui offrir : je l'ai trouvé enfin, voilà que ses yeux ne s'ouvriront plus98 !

Si l'on ne peut confirmer le fait que Delacroix ait trouvé la pièce dont le colonel de La Combe était à la recherche, il est intéressant néanmoins de noter que la proximité du collectionneur avec les artistes lui permettait de les missionner pour compléter sa collection ou l'aider dans la constitution de la seconde édition de son catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de Charlet, comme le fait Henri de Saint-Georges depuis Nantes. De surcroît la participation de Delacroix - qui est alors à l'apogée de sa carrière et considéré comme l'un des grands maîtres de l'art vivant - dans la quête du colonel de La Combe confirme le statut important de celui-ci et montre que La Combe se distingue de la majorité des autres amateurs.

Si le colonel de La Combe apparaît comme un personnage intéressant pour la vie musicale du XIXe siècle, l'historiographie retient principalement ses relations avec les artistes du cercle de Charlet. En effet, c'est par l'intermédiaire de cet artiste que La Combe est introduit dans ce milieu artistique, dans lequel il semble s'investir profondément. Il entretient en effet une correspondance importante avec les artistes, qui nous est connue grâce à la transcription d'une partie de ses lettres dans Charlet sa vie, ses lettres et dans L'historien de Charlet peint par lui-même. Il rencontre aussi régulièrement les peintres à Paris. Personnage de confiance, La Combe devient pour certain un véritable mécène et protecteur, en suivant leur carrière et les invitant dans sa demeure tourangelle. La Combe tisse ainsi des liens entre Tours et Paris : Tours profite

97 DELACROIX, Eugène, « Charlet », Revue des Deux Mondes, t. XXXVII, 1er janvier 1862, p. 234-242.

98 DELACROIX, Eugène, lettre du 21 mars 1862 adressée à M. Henri de Saint-Georges, in BURTY, Philippe, Lettres de Eugène Delacroix, Paris, A. Quintin, 1878, p. 353.

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du rayonnement social du colonel de La Combe et les édiles locaux lui confient des missions dans les affaires culturelles de la ville. La Combe entre de cette manière au service de la communauté.

C. Un amateur d'art au service de la communauté. La participation du colonel de La Combe dans les affaires culturelles de Tours.

Il semble que le colonel de La Combe soit connu pour ses relations avec les collectionneurs et les artistes de la capitale. Sa collection - dont l'élite tourangelle a manifestement connaissance - lui donne la qualité d'amateur éclairé dans le domaine des Beaux-Arts. Aussi, la municipalité n'hésite-t-elle pas à lui confier des responsabilités, pour apporter une nouvelle dynamique culturelle.

En 1852, le colonel de La Combe est dépêché à Paris par la municipalité tourangelle pour participer à l'affaire du legs de la collection Clarke de Feltre. Cette collection de soixante-dix-sept tableaux des grands maîtres de l'école française, à l'instar d'Hippolyte Flandrin (18091864) et Paul Delaroche, de quatre dessins et trois bustes en marbre, a été constituée par les frères Alphonse (1806-1850) et Edgar Clarke de Feltre (1799-1852). Fils d'Henry Jacques Guillaume Clarke de Feltre (1765-1818), duc de Feltre et ministre de la guerre de Napoléon Ier de 1807 à 1814, Alphonse et Edgar ainsi que leur frère Arthur (1802-1829) avaient entamé une carrière militaire. À la mort d'Arthur, ses deux frères décident de prendre congé de l'armée et entreprennent ensemble la constitution d'une collection de peinture. Avec leur ami le colonel de La Combe, qu'ils fréquentent depuis leurs carrières militaires passées, ils partagent ce goût pour les oeuvres des artistes vivants. Ils décident qu'à leur mort la collection sera léguée entièrement à un musée pour ne pas la disperser aux enchères. Le comte Alphonse Clarke de Feltre meurt en 1850. Edgar décède deux ans plus tard, le 30 mars 1852. Ils lèguent dans un premier temps leur collection au musée du Louvre.

Conformément au désir que nous avons toujours eu, mon frère et moi, d'éviter la dispersion de notre collection de tableaux, je donne et lègue au Musée national du Louvre, tous les tableaux, sans exception [É] Ce legs n'est fait par moi qu'à la condition expresse pour ledit Musée du Louvre de réunir ces tableaux dans une seule et même salle, ou dans deux salles attenant et bien éclairées, convenables, et jugées comme telles par mon exécuteur testamentaire, et portant l'inscription de Collection Clarke de Feltre. En cas de non-acceptation de la part du dudit Musée de ce legs, ou de non-exécution par lui des conditions ci-dessus, je charge mon exécuteur testamentaire de disposer de tous les tableaux composant le legs ci-dessus en faveur de telle autre collection de tableaux (collection publique) qu'il choisira, soit en France, soit même à l'étranger, pourvu qu'elle accepte

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ce legs avec les conditions formelles et absolues que j'y attache, et les remplisse, sous peine de nullité pour elle du legs.99.

Les dons d'oeuvres d'art faits aux musées de France sont encouragés par la politique culturelle du XIXe siècle. Ils permettent d'enrichir les collections et montrer la vitalité des musées100. Toutefois les exigences des collectionneurs, poussent certains musées à refuser ces legs, à l'instar du musée du Louvre dans le cas de la collection Clarke de Feltre. Le choix de ce musée n'est pourtant pas anodin. Premier musée de France et d'Europe, le Louvre symbolise pour les donateurs la reconnaissance de leur goût, et les pose comme l'élite des collectionneurs d'oeuvres d'art101. Refusée par l'administration du musée, le legs Clarke de Feltre est proposé à l'ensemble des musées de France à partir du 7 juin 1852. Les villes de Nantes, Tours et Nancy se portent volontaires. Malgré les nombreuses exigences du testateur, ce legs est pour ces musées de province une aubaine pour leur réputation et l'enrichissement de leurs collections. Le musée de Nantes conserve déjà un nombre important d'oeuvres de qualité. Il a effectivement bénéficié d'envois de l'État depuis 1801 grâce à l'arrêté Chaptal. Le fonds a également été augmenté par le legs de la collection Fournier102.

Le musée des Beaux-Arts de Tours semble jouir d'une réputation mitigée comme le rappelle Paul Mantz dans ses articles consacrés aux musées de France qui paraissent dans L'Artiste : « malgré tant de fortunes heureuses, le musée ne possède que quelques échantillons des maîtres des écoles étrangères. Seules, l'école française y montre une série de tableaux qui, s'il étaient disposées dans un ordre plus logique, pourraient donner aux Tourangeaux quelques notions sur l'histoire de l'art dans notre pays »103. Sous la direction de Jean-Charles Henri Raverot (1793-1869), conservateur du musée de 1841 à 1859, l'accrochage demeure serré et ne paraît pas suivre un ordre chronologique, malgré l'espace important dont dispose le musée depuis son installation sur les quais de Loire depuis 1828. De surcroît, la municipalité tourangelle ne débourse annuellement que 1 400 à 2 500 francs pour le fonctionnement du

99 Testament d'Edgar Clarke de Feltre du 12 février 1852, in SAINT-GEORGE, Henri de, « Notice historique sur le musée de peinture de la ville de Nantes d'après des documents officiels et inédits », Revue des Provinces de l'Ouest, n°5, 1857, p. 525.

100 BERTINET, Arnaud, Les musées de Napoléon III une institution pour les arts (1849-1872), Paris, Mare et Martin, 2015, p. 473.

101 LONG, Véronique, « Les collectionneurs d'oeuvres d'art et la donation au musée à la fin du XIX siècle : l'exemple du musée du Louvre », Romantisme, n° 112, 2001, p. 45.

102 CLÉMENT DE RIS, Louis, « Le musée de Nantes », L'Artiste, 5ème série, t. III, 1849, p. 180.

103 MANTZ, Paul, « Les musées de France. Tours », L'Artiste, t. II, 15 novembre 1857, p. 170.

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musée, ce qui apparaît relativement peu et n'incite probablement guère sa direction à améliorer le parcours des visiteurs104.

Quant au musée de Nancy, il est jugé très rapidement trop éloigné de Paris pour recevoir cette donation. Les villes de Tours et de Nantes reçoivent chacune les exécuteurs testamentaires : le marquis de Cubières et M. Aubry. Ils sont accueillis à Tours par la comtesse Louise-Mathilde de Flavigny (1811-1883), nièce du testateur, et par le colonel de La Combe105. À l'issue cette visite, la ville de Tours est favorite. Néanmoins, Alphonse François, le président de la Commission de surveillance du musée de Nantes, est missionné à Paris pour retourner la situation. Il obtient le legs en faveur de son musée. M. de Cubières envoie les explications de ce choix au colonel de La Combe dans une lettre du 15 août 1852.

Je viens d'adresser à M. le Maire une lettre par laquelle je lui donne avis de la décision prise relativement à la collection de Feltre, décision qui, malheureusement, n'est pas favorable à la ville de Tours. Cette déclaration n'est irrévocablement arrêtée que depuis quelques jours, c'est à dire depuis que la ville de Nantes et le Préfet de la Loire-Inférieure ont déclaré accepter les conditions dont je leur avais envoyé la note détaillée. L'attachement que vous aviez voué à mes excellents amis, la bienveillance si grande dont vous avez bien voulu m'honorer moi-même, me font un devoir, Monsieur, de vous expliquer les raisons qui m'ont fait donner la préférence à la ville de Nantes ; et cela, je puis le dire, tout fait contre mon attente, j'ajouterai même contre mon inclinaison personnelle. Ceci est tellement vrai, que j'avais déjà annoncé ma décision en faveur de Tours à M. Aubry, et que j'étais occupé à écrire dans ce sens à M. le Maire de votre ville, et à rédiger la série des conditions auxquelles j'attachais mon choix en faveur de Tours. [É] En effet, la ville de Nantes s'engageait (entre autres choses, car il serait trop long de tout énumérer) à faire exécuter en marbre les bustes d'Edgar et d'Alphonse de Feltre, qui seraient placés dans la salle destinée à recevoir la collection. La ville donnera tous les ans un grand concert de bienfaisance, dont le programme sera composé en notable partie d'oeuvres d'Alphonse de Feltre, dont le buste sera placé, en outre, dans la salle de concert de la Société des Beaux-Arts, etc., etc.106.

Cette donation au musée des Beaux-Arts nantais a manifestement bénéficié de l'influence du comte Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892), directeur des Musées impériaux, comme le tend à prouver sa réponse au maire de Nantes au sujet de l'envoi d'un reliquaire d'Anne de

104 BENÂTRE, Nathalie, Un musée de Province au XIXème : le musée des Beaux-Arts de Tours des origines à 1910, mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, sous la direction d'Alain Corbin, Université François Rabelais de Tours, 1988, p. 51.

105 BENÂTRE, Nathalie, ibid. p. 113.

106 Lettre de M. Cubières au colonel de La Combe en date du 15 août 1852, in SAINT-GEORGES, Henri de. « Notice historique sur le musée... », op. cit., p. 531-532.

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Bretagne pour l'aménagement des salles de la colonnade en 1852 : « je vous engage à plaider la cause du musée des souverains comme j'ai plaidé celle du musée de Nantes à propos de la collection Feltre »107. La salle consacrée à la collection de Feltre est inaugurée à Nantes le 15 mai 1854. L'ensemble reçoit un accueil en demi-teinte de la part des Nantais. Le coût considérable de 36 402 francs consacré à l'aménagement de la salle108, l'absence de chefs-d'oeuvre des écoles anciennes et la comparaison avec le don de la collection Urvoy de Saint-Bedan qui intervient deux plus tard, contribuent à jeter une lumière - injustement - défavorable sur la collection Clarke de Feltre.

Plus tard, le colonel de La Combe semble avoir participé à la vie culturelle de Tours en présidant la Société philharmonique à partir de 1858. Un temps inactive, cette société fondée en 1838 est ressuscitée à l'initiative de plusieurs habitants sous la direction de La Combe.

Le besoin se faisait sentir ici de la reconstitution d'une société philharmonique ; et comme on ne l'avait pas satisfait encore, il y a eu comme une émeute musicale. Le peuple s'est rassemblé sur la place publique, et, par acclamation et à l'unanimité, m'a nommé dictateur, me confiant tous les

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pouvoirs d'organisation, de nominations, de commissions, etc.

De manière quelque peu déclamatoire, La Combe fait part à Bellangé de sa nouvelle activité au sein de la cité tourangelle. Il est en effet peu probable que le peuple se soit réuni sur la place publique pour le nommer directeur de la société, comme il l'indique. Néanmoins, hormis cette lettre reproduite dans l'ouvrage de Saint-Georges, aucune archive ne peut confirmer cette déclaration. Ni la bibliothèque musicale de Touraine, ni la société archéologique, ni même les archives départementales d'Indre-et-Loire ne conservent de documents relatifs à cette société110. Seules les Archives municipales de Tours détiennent un règlement de 1870111. Toutefois, il est probable que le colonel de La Combe ait joué un rôle dans cette société savante de Tours, tant sa qualité de musicien devait être connue des amateurs de la ville.

107 Lettre de Ferdinand Fabre à Nieuwerkerke, 1er juillet 1852, note manuscrite de Nieuwerkerke pour réponse dans l'angle en haut à gauche. (AMN, MS2 Administration du musée et restitutions après sa suppression, 18521892, 14 juin 1871, inventaire des envois de 1852) in BERTINET, Arnaud, op. cit, p. 213.

108 SAINT-GEORGES, Henri de. « Notice historique sur le musée... », p. 539.

109 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 54-55.

110 Sociétés savantes de Tours, Tours, Archives départementales d'Indre-et-Loire, cartons T1250 et T1488.

111 Règlement de 1870 de la Société philharmonique de Tours, Tours, Archives municipales, série 2R5 AM.

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À l'évidence, le colonel de La Combe joue un rôle important dans le paysage culturel de Tours. Son caractère dévoué, son réseau et sa connaissance du monde artistique engagent les édiles et les notables de la ville à lui confier des responsabilités. Ses missions semblent participer à accroître sa reconnaissance sociale en Touraine. Cependant, à l'exception de la société philharmonique, La Combe n'est membre d'aucune autre société savante qui pourtant animent la vie intellectuelle de Tours à l'exemple de la société archéologique de Touraine fondée en 1840 à l'initiative de l'abbé Manceau (1805-1855), Noël Champoiseau (1795-1859), Henri Gouïn (1782-1861) et Ernest Giraudet, ou encore la Société d'agriculture, sciences, arts et Belles Lettres créée en 1799. Il semblerait que les préoccupations de ces sociétés ne convergent pas avec les intérêts du colonel de La Combe qui le portent à collectionner l'art vivant et fréquenter les artistes de son temps.

II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, collectionneur d'art vivant à

Tours.

A. Tours, un terreau fertile pour la constitution d'une telle collection ?

À Tours qui fut capitale sous le règne des Valois au XVe siècle puis sous le règne d'Henri III entre 1584 et 1588, l'histoire semble régir l'évolution et la vie des habitants. Malgré ce passé glorieux, Tours souffre en ce milieu du XIXe siècle de la comparaison avec Paris, le siège du pouvoir gouvernemental mais surtout la capitale artistique internationale. Ainsi, à Tours les artistes et les institutions culturelles sont à l'évidence moins nombreux, à l'instar du marché de l'art qui y est moins dynamique. Les moyens d'approvisionnement pour les amateurs y sont en effet moins abondants. En ce sens, il est possible de se demander si cette ville permettait de constituer une collection aussi importante que la collection de La Combe ? Il peut être intéressant de relever ici l'ensemble des pôles d'activités du marché de l'art de la ville que le colonel de La Combe avait à disposition pour alimenter sa collection.

Il est probable que le colonel de La Combe ait fréquenté les ventes aux enchères des commissaires-priseurs tourangeaux. Officiers ministériels, ils sont habilités à tenir la police de leurs ventes directement au domicile des vendeurs, dans les salles des ventes, sur les places publiques ou dans diverses salles pouvant accueillir un public nombreux. Toutefois, le lieu de la vente est révélateur des objets mis aux enchères. En effet, le linge ou les bestiaux sont vendus presque exclusivement en place publique, tandis que les objets d'art sont proposés en salle des ventes. Aucun document ne permet de connaître la date d'installation de la salle des ventes de

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Tours. Néanmoins, sa création est soumise à l'autorisation du procureur du Roi près du tribunal d'instance112. La salle des ventes tourangelle se situe au 3, rue de la Harpe (aujourd'hui rue des Halles, ann. 3.1). Elle est partagée par les trois études de commissaires-priseurs de la ville113. Si la salle des ventes de Tours accueille les objets d'art des notables et des collectionneurs tourangeaux, elle ne peut tenir la comparaison avec l'hôtel des ventes de Paris. Anne Peltier remarque effectivement que les tableaux à Tours ne dépassent que très rarement les 100 francs, et que les grandes ventes réalisant un montant supérieur à 5 000 francs sont minoritaires114. De surcroit, le goût des Tourangeaux semble se porter principalement sur la peinture ancienne des écoles hollandaise et flamande. Bien qu'il en conserve quelques exemples dans sa collection, La Combe s'oriente davantage vers l'art vivant. Chez les commissaires-priseurs tourangeaux, La Combe a pu compléter sa bibliothèque et meubler sa maison. Les bibliomanes sont effectivement nombreux en Touraine. Ils représentent selon Martine Augouvernaire près d'un cinquième des collectionneurs, soit 17% des amateurs qu'elle a recensé dans le cadre de son étude sur les collectionneurs tourangeaux115. Les meubles en acajou que La Combe possède sont aussi assez proches de ceux recensés par Anne Peltier116. Par ailleurs, c'est à Tours et non à Paris que les héritiers de La Combe décident de vendre le mobilier. Me Félix-Alexandre Duboz, qui a réalisé l'inventaire après décès de La Combe, vend en plusieurs sessions de novembre à décembre 1862, les meubles pour une somme totale de 11 908,07 francs117. Vendre le mobilier à Paris n'avait à l'évidence que peu d'intérêt, puisqu'il correspondait finalement au marché tourangeau et que son transport aurait entrainé des coûts importants au contraire de sa collection d'art pour laquelle le marché parisien semblait plus pertinent.

La Combe a cependant acquis à Tours une partie des oeuvres de sa collection, à l'exemple des cinq dessins et aquarelles de l'artiste tourangeau, Gaëtan Cathelineau (1787-1859.) Après des études à Paris sous la direction de David et des expositions au Salon à partir de 1819, Cathelineau était revenu à Tours en 1828, où il enseigna le dessin et la peinture de 1835 à 1848

112 PELTIER, Anne, op. cit, p. 65.

113 Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire 1831, Tours, Ad. Mame, 1831, Paris, BNF, 8 LC30-199, p. 178.

114 PELTIER, Anne, op. cit., p. 37.

115 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit. p. 131.

116 PELTIER, Anne, op. cit. p. 73.

117 Double répertoire des actes reçus par Me Félix Alexandre Duboz commissaire priseur à Tours, au cours de l'année mil huit cent soixante deux, Tours, Archives départementales d'Indre-et-Loire, série 8U154.

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au Collège Royal. À Tours, Cathelineau réalise nombre de portraits de notables comme en témoigne le Portrait du docteur Louis-Eugène Giraudet (1827-1887) (fig. 2) conservé au musée des Beaux-Arts de Tours. Cette pratique du portrait bourgeois lui rapporte des commandes et un revenu régulier. Il s'illustre par ailleurs dans les portraits des classes sociales les plus basses comme en témoigne la Vieille paysanne, le Jeune garçon vêtu de bleu, et les Petits orphelins conservés dans la collection de La Combe118. Il est probable que le colonel de La Combe ait acheté ses cinq oeuvres de Cathelineau directement à Tours dans l'atelier de l'artiste. Il est en effet aussi probable que Cathelineau et le colonel de La Combe se soient connus à Tours, voire qu'ils aient entretenu une relation suivie. Cathelineau est un acteur important des manifestation culturelles locales, à l'instar de l'Exposition des produits des arts et de l'industrie de 1841, ou de l'exposition de tableaux et objets d'art qui se tient dans l'église des Minimes en 1847119. Par ailleurs, Cathelineau tout comme La Combe est collectionneur, même s'il s'intéresse davantage aux maîtres anciens et qu'il fait don de sa collection en 1858 au musée des Beaux-Arts de Tours, à la différence du colonel dont la collection est vendue aux enchères à sa mort. Peut-être que le colonel de La Combe n'avait pas pris la précaution de rédiger un testament à son décès ? À l'évidence, ses héritiers décident de vendre les biens de leur père pour combler les dettes qu'il avait contracté comme semble l'indiquer l'inventaire après décès120.

Parmi d'autres objets de sa collection, le colonel de La Combe a très probablement acheté à Tours son Plat de reptiles de Charles-Jean Avisseau (1796-1861)121. D'origine tourangelle, Avisseau installe son propre atelier rue Saint-Maurice à Tours en 1843 (aujourd'hui rue Lavoisier). Il reçoit malgré les attaques parfois violentes des critiques, de très nombreuses commandes de la part des habitants de la ville mais aussi des souverains européens, à l'exemple de la princesse de Talleyrand (1762-1834) qui lui passe la commande d'une large assiette pour le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV (1795-1861).

Les amateurs tourangeaux peuvent compter également sur les quelques boutiques de marchands de couleurs, dont le plus connu est sans conteste le bazar turonien tenu par Jacques

118 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 11.

119 MIOCHE, Laura, Gaëtan Cathelineau (1787-1859) : Artiste, collectionneur et donateur tourangeau, mémoire de master d'histoire de l'art contemporaine, sous la direction de France Nerlich, Université François-Rabelais de Tours, 2010, p. 24.

120 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, op. cit., f 42-45.

121 Ibid., f 8.

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Delahaye. Situé au 6, rue neuve Saint-Martin (ann. 3.1) - aujourd'hui rue des Halles, le magasin est bâti sur les ruines de l'ancienne abbaye de Saint-Martin démolie en 1797122. Le bazar turonien mêle vente de fournitures pour les artistes et commerce de « quelques centaines de tableaux qui se renouvellent fréquemment, et parmi lesquels les amateurs sont toujours assurés d'y trouver des maîtres des meilleures écoles ; une réunion d'antiquités et de curiosités dans tous les genres, tels que meubles de boule, sculptures en bois, marbres, bronzes, médailles, toutes les productions des trois règnes de la nature, livres, manuscrits et gravures »123. Le magasin semble aussi diversifier ses activités, en proposant des ateliers pour les travaux de restauration, dorures et sculptures sur marbre, en plus d'un théâtre pouvant accueillir jusqu'à 250 spectateurs. La multiplicité des activités de ce magasin s'inscrit dans le courant de diversification des fonctions des marchands de couleurs qui résulte de l'abolition des corporations en 1793. À l'exemple d'Alphonse Giroux (1776-1848) qui se forme dans l'atelier de David, des individus ayant reçu une formation artistique ouvrent des échoppes de fournitures pour les peintres124. Plus que des marchands de couleurs, ils deviennent de véritables galeristes avant l'heure qui développent le commerce de l'art, mais aussi sa location. S'il ne semble pas fournir d'oeuvres à la location, le bazar turonien apparaît néanmoins comme une véritable institution culturelle de Tours, comme en témoigne les quelques références dans la France pittoresque125 ou dans la Suite aux lettres vendéennes ou relation du voyage de S. A. R. Madame la Duchesse de Berry : « S. A. R., accompagnée de M. Giraudeau, maire de la ville, de MM. Bellanger-Cartau et Viot-Prudhomme, ses adjoints, et de plusieurs membres du conseil municipal, est allée visiter le bazar Turonien. Là, S. A. R. a tout examiné avec l'intérêt et l'amour éclairé des arts qui la caractérise ; son attention s'est surtout fixée sur les beaux tapis de la manufacture de MM. Duboy-Bellanger » 126.

122 KILIAN, A.-J., Dictionnaire géographique universel contenant la description de tous les lieux du globe intéressants sous le rapport de la géographie physique et politique, de l'histoire, de la statistique, du commerce, de l'industrie, etc, t. X, Paris, A.-J. Kilian et Ch. Picquet éditeurs, 1833, p. 119.

123 Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire 1831, op. cit., p. 179.

124 ROTH-MEYER, Clothilde, « Le phénomène de la location de tableaux par les marchands de couleurs parisiens au XIX », Histoire de l'art, n°58, 2006, p. 58.

125 HUGO, Abel-Joseph, France pittoresque ou Description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France..., t. II, Paris, Delloye, 1835, p. 103.

126 WALSH, Joseph-Alexis, Suite aux lettres vendéennes ou relation du voyage de S. A. R. Madame Duchesse de Berry dans la Touraine, l'Anjou, la Bretagne, la Vendée et le Midi de la France, Paris, L. F. Hivert, 1829.

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En connaissance de ces quelques exemples, le marché de l'art tourangeau semble finalement insuffisant pour entreprendre une collection aussi importante que celle du colonel de La Combe. De plus, la majorité des objets vendus en cette ville ne correspondent vraisemblablement pas au goût de ce collectionneur. Si La Combe trouve à Tours quelques oeuvres auprès des artistes, des commissaires-priseurs et des marchands de couleurs locaux, il est plus probable qu'il complète en majorité sa collection lors de ses déplacements à Paris.

B. Le nécessaire approvisionnement à Paris.

Distant de 205 kms à vol d'oiseau de Tours, Paris reste relativement accessible pour le colonel de La Combe. Il peut effectuer ses déplacements grâce à un service de diligences qui relie quotidiennement les deux villes à raison de deux trajets par jour au départ de Tours, tandis qu'au départ de Paris la liaison est assurée une seule fois tous les deux jours127. En vue de moderniser les transports, l'État finance l'ouverture d'une ligne de chemins de fer entre Tours et Orléans à partir de 1830. Après des tensions liées aux expropriations et un désintérêt presque général de la part des Tourangeaux, la ligne est inaugurée le 26 mars 1846. L'embarcadère est construit en bordure des boulevards Heurteloup et Béranger par la compagnie des chemins de fer d'Orléans. L'apport de ce nouveau moyen de locomotion est bénéfique, puisque le temps de déplacement entre Tours et Paris est largement réduit. Il passe en effet de plusieurs jours à une moyenne contenue entre 6h40 et 8 heures128. De surcroît, la gare est facilement accessible pour le colonel de La Combe. Elle se trouve à proximité de son habitation.

Comme il le fait probablement à Tours, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe complète sa collection en recourant aux différents acteurs du marché de l'art : les artistes, les marchands et les commissaires-priseurs. Les ateliers des artistes sont effectivement une source importante d'approvisionnement pour La Combe, puisqu'il peut y trouver des oeuvres inédites, qui ne sont encore jamais passées sur le marché. C'est à l'évidence de cette manière que le colonel de La Combe s'est procuré des esquisses et dessins préparatoires des artistes contemporains. En effet, du vivant des artistes ces croquis sont davantage perçus comme des outils de travail que des oeuvres destinées à la vente. Il est possible de citer entre autres la Portière dans sa loge lisant

127 Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire 1831, op. cit., p. 199.

128 LAURENCIN, Michel, op. cit., p. 235.

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son journal de Canon129, la Tête d'un vieux paysan de Charlet130 ou encore le Vieux premier de Lalaisse131. Si La Combe a vraisemblablement acheté dans les ateliers une partie de sa collection, aucune preuve d'achat ne peut à ce jour corroborer cette hypothèse. Il est cependant possible de constater que ce collectionneur reçoit des dons de ses amis artistes à l'occasion de ses déplacements à Paris. Charlet est sans nul doute celui qui a le plus donné au colonel de La Combe. Si le don du Chasseur au Moyen-Âge a déjà été cité précédemment, d'autres oeuvres sont offertes par Charlet au colonel de La Combe. Artiste prolifique, Charlet semble se désintéresser rapidement des oeuvres en cours d'exécution pour se consacrer aux suivantes. C'est probablement ainsi qu'il donne plusieurs oeuvres inachevées au colonel de La Combe, à l'instar de la Voiture du cantinier qu'il lui offre en 1841 : « Tenez, me dit-il, rendez-moi le service de me débarrasser de ceci. Vous le mettrez dans un de vos cartons de rebut. C'eût été un dessin d'artiste, si j'avais pu le terminer. Je vous le donne pour ces enfants et ces arbres du fond » 132. La nonchalance de Charlet pour certaines oeuvres non terminées semble profiter à la collection du colonel de La Combe. En effet, La Combe à l'instar de la Voiture du cantinier conserve quelques oeuvres préparatoires de l'artiste. Le don de Charlet illustre également l'amitié des deux hommes.

S'il est un collectionneur de tableaux et de dessins, le colonel de La Combe est avant tout un amateur d'estampes et particulièrement de lithographies. Ce medium demande la participation d'au moins deux individus : l'artiste et l'imprimeur. La Combe semble avoir noué des liens avec les imprimeurs de Charlet, comme le rappelle Philippe Burty dans le catalogue de la vente de La Combe : « Lié personnellement, non-seulement, avec les artistes et les éditeurs, mais encore avec les imprimeurs, Villain, Motte, Bry, etc., M. de La Combe a pu recueillir de ces pièces qui, par un caprice du maître ou les hasards du tirage, n'ont quelques fois qu'une épreuve »133. Toutefois nous n'avons aucun exemple attesté de ses achats ou « récupérations » chez les imprimeurs. Il paraît probable pourtant qu'une partie des épreuves les plus rares, puisqu'éditées avant la lettre et en petit nombre, proviennent directement de cette source, à l'exemple des Consignés prenant les armes. En effet, ces pièces n'ont été tirées qu'en

129 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 11.

130 Ibid. p. 18.

131 Ibid. p. 24.

132 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 177.

133 BURTY, Philippe, op. cit., p. XII.

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quelques épreuves d'essai selon La Combe dans sa Description raisonnée de l'oeuvre lithographique de Charlet134, et n'ont donc pas reçu une diffusion importante chez les marchands.

Ne pouvant manifestement pas recueillir l'ensemble des pièces de sa collection auprès des sources primaires - les artistes et les imprimeurs -, La Combe a dû probablement se rendre régulièrement chez les marchands et les galeristes parisiens. Les boutiques d'objets d'art sont nombreuses et leur nombre ne fait qu'accroître entre 1830 et 1860 comme le montre Nicholas Green en s'appuyant sur l'Annuaire général du commerce : en 1821, 37 marchands sont répertoriés, alors qu'en 1850 ils sont 67135. En douze ans leur nombre a presque doublé, ce qui explique que le marché de l'art soit en pleine expansion. Installées dans les quartiers bourgeois de la capitale, les boutiques ressemblent à celles de la rue Lafitte décrites par Théophile Gautier en 1858136. Le colonel de La Combe a sans doute fréquenté les magasins d'Alphonse Giroux, des frères Susse, ou de Jean-Marie Fortuné Durand-Ruel (-1865). Ces marchands s'intéressent en particulier à l'école française contemporaine. Ils vendent ainsi des oeuvres de Nicolas-Toussaint Charlet et de ses élèves, mais aussi d'Eugène Delacroix, Honoré Daumier ou encore Antoine-Louis Barye. En sus, ils participent à la diffusion des artistes étrangers, à l'exemple des aquarellistes anglais comme Bonington. La maison Durand-Ruel s'intéresse très tôt à ces artistes qui représentent une manne financière importante, puisque leurs oeuvres se vendent facilement et attirent un large public. En 1845, Durand-Ruel fait publier un Recueil des spécimens les plus brillants de l'école moderne pour montrer le dynamisme de son jeune commerce et confirmer sa réputation137. Ainsi, nous retrouvons dans ce catalogue un certain nombre des artistes de la collection de La Combe. Charlet est représenté notamment par Le maître d'école, Alexandre Gabriel Decamps (1806-1860) par les Mendiants, et Denis Auguste Marie Raffet (1804-1860) par Napoléon en 1813. De surcroît, ce recueil comporte des illustrations que l'on retrouve dans la collection d'estampes du colonel de La Combe, à l'instar d'Hamlet de Delacroix et de la Suissesse (fig. 3) de Léopold Robert (1794-1835). Ainsi, il est

134 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 225.

135 GREEN, Nicholas, « Circuits of Production, Circuits of Consumption: The Case of Mid-Nineteenth-Century French Art Dealing », Art Journal, vol. 48, n° 1, Nineteenth-Century French Art Institutions, 1989, p. 30. Cette information est reprise dans MARTIN-FUGUIER, Anne, La vie d'artiste au XIXe siècle, Paris, Louis Audibert, 2007, p. 173.

136 GAUTIER, Théophile, « La rue Laffitte », L'Artiste, 3 janvier 1858, p. 10.

137 Galerie Durand-Ruel, Spécimens les plus brillants de l'école moderne, Paris, Imprimerie Paul Renouard, 1845.

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fortement probable qu'il ait acquis une partie de sa collection chez les marchands parisiens. Il serait donc intéressant de vérifier si le nom de La Combe apparaît dans les registres et livres de compte de ces marchands pour confirmer ou infirmer les hypothèses que nous venons de proposer.

À Paris, le colonel de La Combe fréquente manifestement l'hôtel des commissaires-priseurs, qui est implanté en différentes localités au cours de la première moitié du XIXe siècle. Les ventes aux enchères se déroulent en l'hôtel Bullion de 1817 à 1832, puis de 1832 à 1854 dans un nouveau bâtiment construit à l'angle de la rue de la Bourse et de la rue Notre-Dame-des-Victoires. L'hôtel des ventes finit par investir sa localisation actuelle en 1852, en raison de l'augmentation constante du public et de l'accroissement des affaires138. La Compagnie des commissaires-priseurs réalise en effet un capital de 16 millions de francs d'adjudication en 1853139. Il est pour les amateurs un pôle capital du marché de l'art, puisqu'il brasse un flux considérable de marchandises. À l'évidence, La Combe suit depuis Tours les ventes parisiennes, grâce aux articles publiés dans la presse, et notamment dans l'Artiste auquel il semble être l'un des plus anciens abonnés comme l'indique Pierre Dax dans son article sur la vente posthume de la collection de La Combe en 1863140. Il est probable que le colonel de La Combe se rende à Paris pour les ventes importantes dans lesquelles il peut compléter sa collection. Il achète par exemple en décembre 1840 à la vente de dessins anciens et modernes de la collection Poterlet, trois sépias de Delacroix représentant l'histoire de Faust : Faust et Wagner devisant assis dans la campagne, Le duel de Faust et de Valentin, et Marguerite à l'église141. Le colonel de La Combe participe également à la vente posthume de l'atelier de Charlet qui se déroule à l'hôtel Drouot en quatre vacations les 30 et 31 mars et 1er et 2 avril 1846 sous la police de Me Bonnefons de Lavialle (1806-) et Me Valéry Auguste Rollin (1816)142. La Combe semble avoir joué à cette occasion un rôle important pour faire monter les

138 ROUGE-DUCOS, Isabelle, op. cit. p. 49-50.

139 BURTY, Philippe, « L'hôtel des ventes et le commerce des tableaux », Paris guide par les principaux écrivains et artistes de la France, t. II, Paris, Librairie internationale/ Bruxelles, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie éditeurs, 1867, p. 954.

140 DAX, Pierre, op. cit. p. 95.

141 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 19.

142 BONNEFONDS DE LAVIALLE, ROLLIN, Valéry Auguste DEFER, Pierre, Catalogue des tableaux, esquisses peintes, dessins, aquarelles croquis de M. Charlet, Paris, Imprimerie et lithographie de Maulde et Renou, 1846.

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enchères et défendre l'oeuvre de son ami Charlet143. Il achète également plusieurs oeuvres parmi lesquelles le Pont de pierre de Charlet pour la somme de 17 francs144, mais aussi des croquis aquarellés de Piotr Michalowsky (1800-1855) pour 25 francs145. Francis Petit fait référence dans le catalogue de vente de la collection de La Combe de ces achats par le colonel à la vente de l'atelier de Charlet146. D'autres oeuvres de la collection de La Combe proviennent peut-être de cette vente à l'instar des Brigands espagnols ou du Philosophe lisant. Toutefois, il n'est pas possible de le confirmer avec certitude puisque le catalogue de 1846 ne livre que des descriptions lacunaires. De surcroît, les titres de ces oeuvres sont souvent génériques et leurs sujets sont fréquemment traités par Charlet et ses élèves. En effet dans la collection de La Combe deux aquarelles de Charlet sont intitulées La drogue147.

Le colonel de La Combe enrichit nécessairement sa collection à Paris. En effet, les moyens d'acquisitions sont plus abondants, les flux plus importants et les opportunités plus récurrentes qu'à Tours. Les ateliers des artistes et les imprimeries sont des sources à ne pas négliger pour La Combe. Il doit y trouver en effet des oeuvres inédites que les artistes réservent à leurs meilleurs collectionneurs. Les marchands sont nombreux et proposent quant à eux une large gamme de marchandises susceptible de plaire au colonel. Enfin, chez les commissaires-priseurs, La Combe peut trouver des oeuvres importantes au noble pedigree lorsqu'elles proviennent de collections fameuses. Ses déplacements à Paris sont pour lui l'occasion d'entretenir son réseau et sa réputation. Il se lie ainsi avec d'autres collectionneurs de Charlet. Il paraît probable que le colonel de La Combe ait effectué des échanges, mais aucune preuve ne permet de corroborer cette hypothèse. À la dispersion de sa collection en 1863, les collectionneurs importants et les amis du colonel de La Combe semblent cependant répondre présents. Cela confirme l'importance du colonel de La Combe dans le domaine de la collection de l'art vivant.

143 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 41-42.

144 BONNEFONDS DE LAVIALLE, ROLLIN, Valéry Auguste, DEFER, Pierre, op. cit., p. 13. Exemplaire consulté sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58428205.r=catalogue%20vente%20Charlet , le 10/04/2016.

145 Ibid, p. 18.

146 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 17 et p. 25.

147 Ibid., p. 14.

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C. La vente aux enchères de la collection de La Combe, un événement pour les collectionneurs

« Il pourra vous arriver, si c'est le jour de vente et surtout d'exposition réservée d'une galerie, d'un cabinet célèbre, de coudoyer, comme à une première représentation, l'élite de la société intelligente de Paris : des ministres du dernier règne, des critiques d'art et de théâtre, des financiers bilionnaires, des chanteurs en disponibilité, des dames du meilleur monde et de l'autre aussi, des marchands arrivés tout exprès de Londres, d'Amsterdam, de Vienne, des amateurs à qui vous offririez une de vos vieilles redingotes et possèdent pour un million de tableaux, des lords du Parlement et des princes allemands médiatisés tout de frais, des membres de l'Institut et des peintres de toutes écoles »148.

L'ambiance décrite par Philippe Burty dans son article sur l'hôtel des ventes parisien semble pouvoir s'appliquer à la vente de la collection du colonel de La Combe en 1863. Et pour cause, cette dispersion est un événement pour le marché de l'art. En effet, 1025 lots de tableaux, aquarelles, dessins, estampes et livres sont proposés à cette vente qui se déroule sur cinq jours, du lundi 2 au vendredi 6 février 1863, à l'hôtel Drouot.

La vente est confiée à des personnalités dominantes du marché de l'art par les héritiers du colonel de La Combe. Me Delbergue-Cormont « qui a une réputation de probité »149 est missionné à partir du 23 juillet 1862150. Ce commissaire-priseur organise assez régulièrement de prestigieuses ventes d'estampes, à l'instar de la vente de la collection Parguez en 1861151. L'arrangement du 31 janvier 1863 mentionne l'expertise de Francis Petit et Louis Clément. Delbergue-Cormont s'entoure ainsi des meilleurs spécialistes, ce qui confirme le prestige de la collection et la qualité des oeuvres proposées à la vente. Le trio est rejoint par Philippe Burty à qui le commissaire-priseur confie la rédaction de la préface du catalogue de vente. Cet ouvrage répertorie l'ensemble des oeuvres mises en vente. S'il renseigne les collectionneurs, il a aussi pour fonction de faire la promotion de la vente. Il est distribué en effet à l'occasion de l'exposition qui se déroule le dimanche 1er février à l'hôtel Drouot. Ami du colonel de La Combe, Burty est connu comme le spécialiste du marché de l'art de l'époque. Sa présence ajoute

148 BURTY, Philippe, « L'hôtel des ventes et le commerce des tableaux », op. cit., p. 954.

149 ROCHEFORT, Henri, op. cit., p. 14.

150 Vente de tableaux, aquarelles, litho à l'hôtel après le décès de M le colonel de La Combe, Minute de Me Delbergue-Cormont, Paris, Archives municipales, cote D60E311.

151 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, Collection Parguez, lithographies, oeuvres complets de Géricault, Charlet, et H. Vernet, Paris, Bonaventure et Ducessois, 1861.

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à la forte médiatisation de la vente. En effet, Burty tient depuis 1861 la Chronique des arts et de la curiosité dans laquelle il publie et analyse les résultats des ventes, signe de l'importance qu'elles ont pris sur le marché de l'art. À l'évidence, c'est par lui que passe le battage médiatique fait sur la collection de La Combe dans ce journal. Pendant deux semaines à partir du 11 janvier 1863, la vente de la collection est en effet annoncée dans les ventes à venir152. Cette publication relativement précoce est le signe d'une vente remarquable. De surcroît, Burty fait paraître le texte de la préface du catalogue de vente dans le numéro du 25 janvier 1863153. La promotion de la vente de La Combe passe également dans un quotidien non spécialisé dans le domaine artistique. En effet, Burty relaie dans la Presse le déroulement et les résultats des oeuvres phares de la vente, tout en faisant la promotion des vacations à venir.

La vacation d'hier, qui ne renfermait que des aquarelles, a été plus brillante encore que la précédente. Les deux vacations réunies ont produit au delà de 22 000 fr. Voici quelques-uns des principaux prix atteints : Louis Canon, le curé de Meudon, 110fr [É] Aujourd'hui, demain et après-demain, les lithographies154.

La vente profite également d'une publicité visuelle. Le commissaire-priseur fait en effet éditer des affiches pour les placarder sur les portes de l'hôtel Drouot (fig. 4). Le nom de la collection est indiqué par des caractères gras surlignés. Les divers médiums réunis dans cette vente sont tous mentionnés suivant l'ordre des vacations : tableaux et dessins modernes, tableaux anciens, aquarelles, eaux-fortes, lithographies, oeuvre complet de Charlet, livres à figures. Cette affiche semble insister sur la vente des tableaux, des aquarelles puis des lithographies. Effectivement, les caractères en gras accentuent leur visibilité. L'information paraît suivre la hiérarchie des genres toujours d'actualité, ainsi que l'intérêt et le goût des collectionneurs. En sus, il faut noter que la vente de l'oeuvre de Charlet est désignée, ce qui indique que la dispersion de cette partie de la collection est l'une des forces et attractions de la vente.

La vente semble intéresser un large éventail de collectionneurs. En effet, ils sont nombreux à faire le déplacement depuis la province, à l'instar des notables tourangeaux Alfred

152 [ANONYME], « Ventes prochaines », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°8, 11 janvier 1863, p. 80.

Ibid, 18 janvier 1863, p. 88.

153 BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la collection de feu le colonel de la Combe de Tours », op. cit., p. 93-95.

154 BURTY, Philippe, « Beaux-Arts », La Presse, 5 février 1863, p. 2.

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et Paul Mame (1833-1903) ainsi que Charles de Langalerie (1806-1870), grand collectionneur orléanais et directeur du musée d'Orléans155. Les Mame achètent en plus du Déluge de Géricault et de la Voiture du cantinier de Charlet, les Deux convalescents pour 410 francs, et L'autoportrait de Charlet dans son atelier (fig. 5) pour 82 francs156. Langalerie achète quant à lui pour sa collection personnelle la Mort du cuirassier de Charlet (fig. 6) pour 520 francs157 et Napoléon en campagne aussi de Charlet pour 500 francs158, dont une lithographie (fig. 7) conservée au château de Malmaison semble donner l'illustration au vu de la description proposée dans le catalogue de vente de la collection de La Combe159.

Les experts de la vente achètent aussi. Philippe Burty achète par exemple les Ânes sous le toit de Decamps pour 26,5 francs, la lithographie de deux prêtres causant dans un jardin de Bonington pour 5,50 francs et des lithographies de Francia pour 3,50 francs160. Francis Petit acquiert par exemple Les petits orphelins Cathelineau161. Quant à Louis Clément, il est l'expert qui achète le plus d'oeuvres à cette vente. Il acquiert notamment l'intégralité des eaux-fortes de Delacroix et une grande partie des lithographies de ce même artiste162. S'il est possible qu'ils achètent pour enrichir leurs propres collections, il est également probable qu'ils acquièrent pour revendre. En effet, nous n'avons pas retrouvé les oeuvres provenant de la collection de La Combe achetées par Burty dans les multiples catalogues de vente de sa collection.

Les artistes ayant partagé l'intimité du colonel de La Combe assiste aussi à la vente. Bellangé achète la Maîtresse d'école de Charlet pour 300 francs et un dessin d'un officier supérieur également de Charlet pour 100 francs. Pierre-Jules Mêne (1810-1879) fait quant à lui l'acquisition de la copie de l'Entrée d'Adelphi (fig. 8) de Géricault par Léon Cogniet (1794-

155 Catalogue des livres, tableaux, estampes, dessins, tableaux et objets de curiosité composant la bibliothèque et le cabinet de feu M. Charles de Langalerie, Orléans, Herluisson, 1870, f 1.

156 Procès-verbal de la vente de La Combe, Paris, Archives municipales, cote cote D60E311.

157 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 12. Exemplaire de la BnF.

158 Procès-verbal de la vente de La Combe, op. cit.

159 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 4.

160 Ibid., p. 83. Exemplaire de la BnF.

161 Procès-verbal de la vente de La Combe, op. cit., f 13.

162 Ibid., f 20-21.

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1880) pour 7 francs et le premier état du Combat du Giaour et du Pacha (fig. 9) de Delacroix pour 50 francs163.

Signalant le caractère exceptionnel de la collection du colonel de La Combe, Philippe Burty interpelle les institutions culturelles dans sa préface du catalogue de vente. Il soumet à l'État l'importance de la collection lithographique de Charlet, et l'incite à l'acquérir. Il demande également au musée du Louvre de prendre conscience de la qualité de certaines pièces.

Espérons que ce bel ensemble [lithographie de Charlet] ne sera pas dispersé : l'expert, avant de le détailler, le mettra sur table dans son entier, à un prix déterminé. Il n'est pas de collection publique ou à l'étranger, qui ne doive tenir à honneur de posséder l'oeuvre de Charlet, du colonel de La Combe. Mais puisque nous venons de prononcer ce mot de « collection nationale, » espérons aussi que le Louvre qui ne possède de Charlet que des croquis insuffisants, voudra exposer dans ses galeries, à côté des aquarelles de Géricault cette aquarelle si noble et si touchante, la Mort du Cuirassier ou cet important paysage, la Voiture du cantinier164.

Le souhait de Philippe Burty semble être à moitié exaucé. L'ensemble lithographique de Charlet est acquis en un lot par le collectionneur Lafaulotte pour la somme de 5 300 francs165. Une vingtaine d'années plus tard, l'oeuvre complet de Charlet est revendu le 12 avril 1886 à l'hôtel Drouot, pour 3 350 francs166. Quelques lithographies ont cependant été extraites à l'évidence de ce lot important à en croire le catalogue de l'exposition Charlet aux origines de la légende napoléonienne. En effet, Marianne Grivel fait remarquer que quelques lithographies de la collection de la Combe entrent dans les collections publiques par l'intermédiaire de certains amateurs. Quelques jours après la vente, le 20 février 1863, Honoré His de La Salle (1796-1878) fait don au cabinet des Estampes de la Forme avant la lettre et du Général Bonaparte à cheval de Charlet167. Muret donne aussi à Bibliothèque nationale le 20 octobre 1865 le Portrait de Denon fils (fig. 10) semblant provenir de la collection de La Combe. Si le musée du Louvre et le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale ne réagissent pas à

163 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 82 et 87. Exemplaire de la BnF

164 BURTY, Philippe, op. cit. p. X.

165 BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la Combe », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°12, 8 février 1863, p. 117.

166 CHEVALLIER, Paul, BOUILLON, Jules, Catalogue des estampes et livres dépendant de la collection Lafaulotte, Paris, Imp. De l'Art E. Ménard et J. Augry, 1886, p. 4. Exemplaire du cabinet des estampes de la BnF, numérisé sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1244088b/f4.item.r=Charlet.

167 GRIVEL, Marianne, « On demande en vain à la Bibliothèque de la nation l'oeuvre de Charlet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 133.

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l'appel de Burty et n'enrichissent à cette occasion leurs collections que grâce aux dons des amateurs, le musée des Beaux-Arts d'Orléans achète quant à lui le Christ en croix d'après Rubens de Cathelineau pour la somme de 60 francs168.

La vente de la collection du colonel de La Combe apparaît donc comme un événement important pour le marché de l'art en 1863. Un public nombreux se déplace pour y assister. Les amateurs y voient notamment l'occasion de compléter leur collection, tandis que les artistes semblent présents pour rendre un dernier hommage et emporter un souvenir de leur ami le colonel de La Combe et du cercle d'amis auquel il appartenait. La vente n'aurait à l'évidence pas eu le même retentissement si elle s'était effectuée à Tours. Les moyens de communication mis en place témoignent du caractère exceptionnel de la vente et des enjeux financiers qui reposent sur elle. L'ensemble des vacations de cette vente réalise un produit de 40 237 francs, soit quatre fois la somme de la vente du mobilier vendu à Tours en novembre et décembre 1859. Complétée à la marge à Tours, principalement à Paris, conservée à Tours, vendue à Paris, la collection du colonel de La Combe s'inscrit finalement dans un rapport de déséquilibre et de complémentarité entre une ville de province française et la capitale, que nous proposions de présenter en début de ce chapitre.

168 BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la Combe », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°14, 22 février 1863, p.131

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Chapitre deuxième : La collection de La Combe, un ensemble inédit de la production de l'école de romantique.

I. Quelles orientations Joseph-Félix Le Blanc de La Combe a t-il donné pour la constitution de sa collection ?

A. Présentation de la collection du colonel de La Combe.

Riche de plus de mille oeuvres, la collection de La Combe est à l'évidence un ensemble rare et peu ordinaire qui mérite d'être étudiée. En effet, peu de collectionneurs réunissent alors autant d'oeuvres d'art et surtout autant de pièces de qualité. Nous avons déjà évoqué au cours du chapitre précédent, cette collection de tableaux, dessins, estampes, livres, instruments et partitions de musique. À partir du catalogue de vente et de l'inventaire après décès, nous nous emploierons dans cette partie à présenter la collection de manière plus précise, pour tenter de discerner les goûts et motivations du colonel de La Combe, sans pour autant entrer dans une lecture psychologique du personnage.

À partir du catalogue de vente, nous avons constitué une base de données recensant l'ensemble des tableaux et oeuvres sur papier de la collection de La Combe vendues aux enchères en 1863. Faute de temps, il n'a pas été possible de recenser les estampes de la même manière. Cette base de données est complétée des oeuvres mentionnées dans l'inventaire après décès non vendues à l'hôtel Drouot. Il est possible que ces oeuvres aient été partagées entre les héritiers, ou qu'elles aient été vendues à Tours en 1862. Nous ne pouvons confirmer cette hypothèse, puisque nous n'avons pas retrouvé le procès-verbal de cette vente, mais seulement le double de répertoire de Me Félix-Alexandre Duboz. La base de données recense environ 214 tableaux et dessins. Il n'est pas possible d'affiner davantage ce chiffre, puisque quelques numéros de la vente sont des lots comprenant plusieurs objets. De surcroît, l'inventaire après décès livre en majorité des descriptions génériques qui ne permettent pas dans bien des cas d'identifier précisément les oeuvres. Enfin, il peut y avoir dans d'autres circonstances des erreurs d'appréciation entre le commissaire-priseur tourangeau et les experts parisiens, à l'exemple du Portrait de Benjamin Franklin. Ce dernier est identifié par Me Duboz comme une copie d'après le Portrait de Franklin (fig. 11) réalisé par Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) en

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1776169. Francis Petit est quant à lui moins précis en l'associant seulement à l'école française sans même mentionner la datation170. À partir de cette base de données, nous nous sommes efforcés de traiter - à des échelles relativement simples - ces données sérielles. Nous avons ainsi constitué des tableaux de pourcentage sur les différentes périodes de création, la répartition du nombre d'oeuvres par artiste, sur les différents médiums conservés dans la collection, les différentes techniques artistiques et sur les genres, qui offre matière à réflexion. Ces tableaux seront mis à profit dans le développement de cette partie.

Comme nous l'avons déjà présenté, le colonel de La Combe porte un intérêt particulier à l'art contemporain. La moyenne des années de naissance de tous les artistes de la collection de La Combe, peintre dessinateur et graveur, se situe autour de 1774 tandis que la moyenne des décès intervient en 1840. Néanmoins, ces chiffres ne sont pas parlants pour montrer la part importante des artistes de la génération romantique. En effet, ces moyennes prennent en compte les artistes des écoles anciennes à l'instar Hendrik Goovaerts (1669-1720) ou Jakob Philip Loutherbourg (1698-1768), ce qui influence considérablement les chiffres. Nous nous sommes donc employés à réaliser des intervalles de naissance (fig. 12). Sur les 110 artistes dont nous avons retrouvés toutes les informations (130 recensés), 11 sont nés avant 1700, 5 entre 1700 et 1750, 12 entre 1750 et 1755, 39 entre 1775 et 1800, 41 entre 1800 et 1815 et 2 après 1815. Ainsi, la plus forte moyenne des naissances se situe entre les années 1800 et 1815 (37,2%). Cet intervalle comprend notamment la naissance d'Hyppolite Bellangé en 1804. Cette première échelle est suivie de très près par l'intervalle 1775-1800 (35,4%), qui inclut par exemple la naissance d'Eugène Delacroix en 1798. Ensuite l'intervalle des naissances entre 1750 et 1775 comprend 11% des effectifs des artistes de la collection du colonel de La Combe. Les artistes nés avant 1700 représentent 10% des effectifs, tandis que ceux nés après 1815 ne représentent que 1,8% de l'effectif total. Ces pourcentages confirment ainsi que le colonel de La Combe collectionne principalement les oeuvres des artistes de sa génération, comme Charlet.

Le colonel de La Combe semble s'intéresser particulièrement aux artistes de l'école française (tab. 2). Pour la seule collection de peintures et de dessins, 193 oeuvres proviennent de l'école française sur les 214 répertoriés. Ainsi, les oeuvres françaises représentent près de 90% de l'effectif total. Elles sont suivies de très loin par les oeuvres des écoles flamandes

169 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit, f29.

170 PETIT, Francis, op. cit, p. 2.

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(6,54%), puis italiennes (1,4%), anglaises (0,9%) et allemande (0,46%) qui toutes pièces anciennes. Faute d'informations biographiques, il reste toutefois un artiste - Ulrich - qui ne rentre dans aucune école. De surcroît, cette répartition des artistes dans des écoles n'est pas forcément facile à définir, en conséquence des parcours personnels et des transferts artistiques. Pour exemple Michalowsky est d'origine polonaise mais s'est formé en France dans l'atelier de Charlet, avant de revenir en Pologne produire la majorité de son oeuvre. Nous avons néanmoins décidé de l'inscrire dans l'école française en connaissance de sa formation dans l'atelier de Charlet. De surcroît, il a manifestement réalisé en France les oeuvres conservées dans la collection de La Combe. Au vu de ces résultats, il semble que les oeuvres des écoles étrangères soient des oeuvres anciennes, tandis que les oeuvres de l'école françaises soient presque exclusivement des pièces réalisées par des artistes vivants.

Sur l'ensemble des artistes français de la collection de La Combe, Charlet est à l'évidence l'artiste le plus représenté (tab. 3). En effet, le colonel de La Combe possède l'oeuvre lithographique complet de Charlet, tandis qu'il ne conserve de certains artistes comme Narcisse Virgile Diaz de la Peña (1807-1876), seulement quelques estampes. Charlet est aussi pour la collection de peintures et de dessins l'artiste le plus présent. La Combe conserve 71 tableaux et dessins de son ami, à l'instar du Donneur d'eau bénite (fig. 13) aujourd'hui conservé au musée des Beaux-Arts de Lille depuis son legs par Mme Rouze-Desoblains en 1909171. Charlet est suivi des ses élèves Canon et Lalaisse. Ensuite, le colonel de La Combe ne possède que quelques oeuvres de chaque artiste, à l'instar de Louis Boulanger (1806-1867) dont il conserve une aquarelle intitulée La chasse à l'ours.

La collection du colonel de La Combe est composée principalement d'estampes. En prenant pour support le catalogue de vente, nous avons déduit que 78% des lots mis en vente en 1863 sont des estampes, contre 22% de tableaux et d'oeuvres sur papier. Faute de temps et au vu d'un corpus trop important, nous n'avons pas fait de distinction entre les différentes techniques d'estampes, comme les eaux-fortes, les lithographies ou encore les aquatintes. De surcroît, il n'aurait pas forcément été opportun de réaliser cette distinction, puisque le colonel de La Combe semble s'intéresser majoritairement à la lithographie plus qu'à toutes autres techniques d'estampes. Nous pouvons observer également une grande disproportion entre le nombre d'oeuvres sur papier et de tableaux (tab. 4). Sur les 214 oeuvres peintes et dessinées, La

171 Base Joconde, http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde fr consulté le 24/05/2016.

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Combe ne possède que 39 tableaux (18,2%), alors qu'il détient au moins 175 oeuvres sur papier, qui représentent 81,7 % de cette partie de la collection. Le coût plus important des tableaux et leur accrochage explique sans doute qu'ils soient moins nombreux dans la collection du colonel de La Combe. Les oeuvres sur papier comprennent diverses techniques (tab. 5) dont le colonel de La Combe semble privilégier les techniques humides à l'instar de l'aquarelle et de la plume. Les techniques humiques représentent 67% de la collection d'oeuvres sur papier contre 33% de techniques sèches. Les aquarelles sont les oeuvres sur papier les plus collectionnées par le colonel de La Combe. Il en possède 98, ce qui représente 56% des oeuvres dessinées de cette collection. Il possède aussi une collection importante de sépias, qui représente 34% des oeuvres sur papier. Il détient par exemple des sépias illustrant l'Histoire de Faust de Delacroix172, une sépia représentant des Membres de chevaux Géricault173, ou encore représentant des Chevaux de halage de Lalaisse174. Il semble aussi porter de l'intérêt aux dessins à la plume, dont il possède une Étude de tête de David175, ou encore une série de croquis par Charlet et Canon.

Le catalogue de vente permet aussi d'appréhender les oeuvres par les courtes descriptions qui y sont proposées, bien qu'une partie considérable des objets n'ait pas été retrouvée. Nous avons donc essayé de comprendre les goûts du colonel de La Combe en nous efforçant de quantifier l'ensemble des genres des tableaux et des dessins. Pour cela, nous avons réalisé un tableau dans lequel les différents genres sont recensés (tab. 6) : historique, religieux, portrait, genre, paysage, animalier, nature-morte. Nous avons aussi ajouté une cellule pour les oeuvres dont les sujets ne peuvent être définis, comme les Divers croquis de Charles Le Courtois176. Il semblerait que La Combe porte un intérêt particulier aux scènes de genre. Elles représenteraient 45% de la collection de peintures et d'oeuvres sur papier. Néanmoins, il faut émettre quelques réserves quant au résultat de ce tableau. Il pose des questions de classification en catégorie. Il est en effet bien difficile à partir de certains titres de définir le genre auxquels les oeuvres appartiennent, à l'instar du Vieux amateur de Canon177, qui peut appartenir soit au genre du portait, soit à la peinture de genre si le personnage est placé dans une scène. Pour notre part,

172 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 19-20.

173 Ibid., p. 20.

174 Ibid., p. 22-24.

175 Ibid., p. 3.

176 Ibid., p. 24.

177 Ibid., p. 10.

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nous avons décidé de l'inscrire dans la seconde proposition. Il semblerait ensuite que le colonel de La Combe collectionne suivant cet ordre : les paysages (10,8%), les représentations militaires (10,7%), les portraits (9,4%), les scènes religieuses (5,6%), les scènes historiques (5,1%) et les représentations animalières (5,1%). En ce sens, ce collectionneur semble suivre la production contemporaine, qui se tourne davantage vers les représentations de genre que les grandes compositions historiques qui ont marqué la Révolution puis l'Empire.

Le catalogue de vente ne mentionne aucune sculpture alors que le colonel de La Combe possède quatre bronzes de Mêne, l'un des grands sculpteurs animaliers de la seconde moitié du XIXe siècle. Ces statuettes représentent une biche couchée (fig. 14), deux levrettes, une jument et un poulain, ainsi qu'un groupe de plusieurs gibiers178. Ces pièces sont alors très à la mode et sont tirées en de nombreux exemplaires à l'instar des estampes. Les éditions à petits tirages et les premières épreuves d'un moule sont à l'évidence de meilleure qualité que celle fondue avec un moule usé. Les exemplaires de la collection du colonel de La Combe sont à l'évidence des premières épreuves, comme peut le faire penser le témoignage de Philippe Burty : « Mêne lui envoyait ses plus jolis bronzes et les signait au burin : Au colonel de La Combe Mêne son élève »179.

Au travers des données sérielles référencées dans notre base de données, nous avons pu étudier la collection du colonel de La Combe dans sa globalité et de manière quantitative. Ainsi, nous avons pu mettre en lumière certains aspects caractéristiques de cette collection, à commencer par le nombre important d'oeuvres d'artistes de l'école française. Si dorénavant, les goûts du colonel de La Combe nous sont plus familiers, il serait intéressant de connaître sa façon d'habiter pour appréhender sa relation avec sa collection.

B. Organisation, agencement et sens de la collection dans la demeure du colonel de La Combe.

Consistant en l'acquisition de nouveaux objets, le collectionnisme est aussi une activité de perpétuel classement qui se déroule en la demeure du collectionneur. Bien que privée, la maison est le cadre privilégié de l'amateur pour y exposer sa collection. À l'évidence l'accrochage ne tient pas du hasard, puisqu'il distingue les parties publiques des parties privées

178 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op.cit. f 7.

179 BURTY, Phlippe, « Préface », in PETIT, Francis, op. cit., p. VIII-IX.

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de la maison. Dans ce sens le collectionneur adapte l'accrochage des oeuvres en fonction des pièces de la maison. Nous nous intéresserons dans cette partie à la vie du colonel de La Combe dans son intérieur, et plus particulièrement à l'organisation de sa collection dans les différentes pièces de la maison. Nous pourrons de cette manière proposer un sens à l'accrochage et à la répartition des oeuvres dans sa demeure. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l'inventaire après décès, qui se présente comme la source la plus révélatrice de l'intimité de ce collectionneur.

La maison des La Combe semble correspondre au statut social de ses habitants. Bien située dans la ville, cette demeure est un cadre agréable pour abriter la collection du colonel de La Combe. En effet, La Combe ne semble pas manquer de place pour exposer son importante collection. Outre les pièces réservées aux domestiques, au service et à l'hygiène ; le cellier, la cuisine, les deux chambres de la mansarde, la cave, et le cabinet de toilette ; la demeure du colonel de La Combe se prête aisément à la mise en scène de sa collection.

Une première partie de sa collection est exposée dans les pièces de sociabilité, qui sont de toute évidence particulièrement adaptées à recevoir une collection d'oeuvres d'art. Le salon et la salle à manger sont en effet des pièces de réception pour le colonel de La Combe. C'est dans ce cadre bourgeois qu'il reçoit ses convives. Le salon est meublé de onze fauteuils, sièges et méridiennes, ainsi que de guéridons et tables de milieu, qui permettent de réunir une petite assemblée. Cet ensemble apparaît néanmoins hétéroclite, puisqu'il mêle les styles et les époques. Un fauteuil de forme gothique côtoie un fauteuil Voltaire ou une chaise gondole caractéristique du style Empire. Quant à la salle à manger, tout semble être organisé autour de la table en acajou et des huit chaises en palissandre. Dans son salon, La Combe présente dix tableaux, dont une majeure partie de sa collection de peinture ancienne. Les tableaux anciens s'appréhendent finalement comme des éléments conventionnels d'un intérieur bourgeois ou aristocratique. Si le foyer des La Combe est socialement composite Ð Mathilde de Mons d'Orbigny est à l'évidence héritière d'une famille nobiliaire plus ancienne Ð il semble que les traditions de représentation soient préservées et qu'elles côtoient des pratiques plus bourgeoises.

Ce sont essentiellement des tableaux de genre qui sont exposés dans le salon. Nous y retrouvons en effet des représentations de joueurs de cartes, ou de scènes de pêche180. Ainsi, La

180 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f27.

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Combe propose à ses visiteurs des représentations plaisantes, qui s'inscrivent dans la tradition picturale des XVIIe siècles français et flamand. Il semble ainsi témoigner d'un goût relativement bourgeois. Outre les deux paysages de Loutherbourg et Balthazar Paul Ommeganck (17551826), La Combe présente également trois oeuvres de Charlet181. Il est le seul artiste du XIXe siècle dont les oeuvres soient accrochées dans cette pièce. De Charlet, le colonel de La Combe expose une scène de genre ; Les brigands espagnols, une représentation militaire ; La marche des cuirassiers, et un portrait, Napoléon Ier à cheval (fig. 7). Au travers de ces trois oeuvres, La Combe semble résumer la carrière de l'artiste. L'atmosphère bourgeoise du salon est renforcée par la présence des statuettes de Mêne, très appréciées pour leur qualité décorative182. Enfin, le salon paraît abriter une collection de porcelaine de Saxe, de Sèvres et de Chine183. Aucun document ne fait référence à cette collection de porcelaine hormis l'inventaire après décès (ann. 1.2.2). Peut-être est-elle la propriété et le loisir de l'épouse du colonel de La Combe ? Nous ne pouvons pas le confirmer. Cela étant, la famille de La Combe a pu fréquenter Charles Gabriel Roux, propriétaire demeurant au 15, place de l'Archevêché (ann. 3.1), et collectionneur important de céramique à Tours ainsi qu'avocat de Victor Christophe Le Blanc de La Combe pour la succession de ses parents. L'intérêt pour la céramique de ce membre de la société archéologique de Touraine184, nous est fourni par le mémoire d'Anne Peltier, qui relate la vente de cette collection à Tours, le 31 mars 1869185.

Pour ses visiteurs les plus intimes, le colonel de La Combe met à disposition une chambre d'amis. Cette pièce qui se trouve à l'ouest de la maison dispose d'un mobilier relativement simple. En effet, l'estimation totale du mobilier de cette pièce est de 459 francs. Il semble que le colonel de La Combe et son épouse n'exposent pas au hasard les oeuvres accrochées dans cette pièce. À l'exception d'une collection de dix médaillons représentants des Césars et deux tableaux d'histoires de l'école d'Antoine Coypel (1661-1722) figurant pour l'un la charité romaine et pour l'autre Arria et Paetus, l'ensemble des oeuvres illustrent des sujets religieux : le jugement de Salomon, les trois croix, un supplice, un portrait de la Vierge, et saint Georges terrassant le dragon, ce dernier traité en émaux limousins par l'un des artistes de la dynastie des

181 Ibid., f 27.

182 Ibid., f 7.

183 Ibid., f 7-9.

184 Mémoire de la société archéologique de Touraine, t. VII, 1855, p. 6.

185 PELTIER, Anne, op. cit., p. 52.

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Laudin186. Il est probable que les hôtes au travers de cette réunion d'objets d'art cherchent à mettre en scène leur hospitalité. Les deux tableaux d'histoire renforcent de surcroît le caractère édifiant de l'ensemble. Si la représentation du suicide d'Arria sauvant son époux Paestus est un symbole de courage, la Charité romaine est aussi une illustration d'une scène exemplaire de l'antiquité. Elle est relatée par Pline l'Ancien (23-79) ou encore Valère Maxime. Emprisonné, Cimon, le père de Péro, est condamné à mourir de faim. Néanmoins, il reçoit la visite de sa fille, qui pour l'empêcher de mourir le nourrit de son sein. Sous la forme d'une métaphore, le colonel de La Combe illustre son hospitalité. Il emploie donc à dessein sa collection pour signifier à ses convives les fonctions des pièces publiques de sa demeure.

Les pièces accueillant les visiteurs comportent finalement un nombre assez limité d'oeuvres d'art en comparaison des pièces privées. Ainsi, La Combe semble réserver sa collection aux pièces de la maison qui lui sont les plus personnelles. Sa chambre et son cabinet abritent en effet près de 97% de la collection187. Ce chiffre exceptionnellement élevé est donné par l'inventaire après décès (ann. 1.2.2). Le colonel de La Combe conserve dans sa chambre la totalité de sa collection d'estampes et de lithographies. Néanmoins, pour des raisons évidentes de place et de conservation, ces oeuvres ne sont pas encadrées, ni même exposées d'une quelconque manière. Les gravures sont rangées dans des portefeuilles et des cartons contenant jusqu'à 94 estampes188. La chambre semble aussi être la pièce réservée à la collection d'oeuvres sur papier. Malgré les problèmes de conservation qu'entraine une exposition des dessins à la lumière, il semble que ces derniers soient plutôt accrochés que déposés dans des portefeuilles. Effectivement, Me Lebaron, le notaire de la succession, signale l'ouverture de meubles, quand des dessins y sont conservés. En conservant ses estampes et ses dessins dans sa chambre, le colonel de La Combe présente des analogies avec les collectionneurs tourangeaux de la fin du XVIIIe siècle, qui réunissent également dans leurs chambres et cabinets leurs collections d'arts graphiques189. Les collectionneurs semblent plus proches de leurs estampes qu'ils ne le sont de leurs tableaux.

186 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 29-30.

187 Ce pourcentage a été obtenu par l'addition de toutes les oeuvres se trouvant dans le salon et la chambre d'amis (28), que nous avons divisé par 1007, le numéro du dernier lot d'oeuvres d'art de la vente de la collection de La Combe.

188 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 32.

189 DIDELOT, Emmanuelle, Les petites heures d'un marché de l'art dans une ville de province à la fin du XVIIIe siècle : vendeurs d'objets de collection, amateurs d'art et collectionneurs à Tours sous le règne de Louis XVI :

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Dans ces pièces plus intimes, le colonel de La Combe confronte les époques et particulièrement dans son cabinet de travail, où il partage à part égale les tableaux anciens et contemporains. Cette pièce comporte en effet quatorze tableaux, dont sept oeuvres anciennes et sept contemporaines. Il expose uniquement dans cette pièce des oeuvres de genre et des scènes religieuses, à l'instar de La tentation de Saint-Antoine de Juhel190, dont Charlet semblait apprécier particulièrement la composition191. Le colonel de La Combe réunit principalement dans sa chambre des tableaux de genres, qui sont pour la plupart des oeuvres de Charlet. Onze oeuvres sur les trente conservées dans cette pièce sont effectivement de l'artiste. Se présentant comme la pièce la plus intime de la maison, la chambre est évidemment destinée à accueillir les oeuvres de Charlet, qui arborent un registre plus populaires. Manifestement, elles n'ont pas la même portée symbolique que les oeuvres anciennes exposée dans le salon, ou les tableaux d'histoires accrochés dans la chambre d'amis. C'est à l'évidence pour des questions de convenance que La Combe réserve à sa chambre les tableaux de Charlet.

Manifestement le colonel de La Combe adapte l'accrochage de sa collection à la destination des pièces de sa maison. Dans les pièces de sociabilité, hormis le Portrait de Napoléon à cheval (fig.7) par Charlet avec lequel il paraît évoquer son affection à l'Empereur, il fond dans un décor bourgeois des oeuvres de genre et de paysage, qui n'ont que peu de valeur symbolique si ce n'est être agréable à ses visiteurs. Il présente alors un goût conventionnel en rapport avec son entourage tourangeau et son statut de notable. La Combe n'affiche finalement aucune prédilection pour une esthétique particulière dans ces pièces de représentation. Néanmoins, il semble adapter l'accrochage de ses oeuvres en fonction des pièces de la maison. Il présente en effet dans la chambre d'amis, qu'il destine à ses visiteurs les plus intimes, des oeuvres à sujets religieux et historique illustrant son caractère vertueux et son hospitalité. Le colonel de La Combe réserve presque entièrement sa collection à sa chambre et son cabinet, ce qui fait dire à Philippe Burty que « l'un des charmes de ce cabinet, c'était qu'au-dessus du carton qui renfermait l'oeuvre gravé à l'eau-forte ou lithographié d'un maître, était accroché au mur quelqu'une de ses peintures ou quelqu'un de ses dessins »192. Conservant l'essentiel de sa

1774-1792, mémoire de master, sous la direction de France Nerlich, Université François-Rabelais de Tours, 2007, p. 120.

190 Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op. cit., f 28.

191 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 30.

192 BURTY, Philippe, op. cit, p. X-XI.

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collection de tableaux et de dessins et la totalité de sa collection d'estampes dans ces deux pièces, le colonel de La Combe semble apprécier l'intimité d'un cabinet d'amateur dans lequel il se réverse le droit de classer, ranger et accrocher les oeuvres qui composent son micro musée de l'art vivant.

II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, un amateur de l'estampe contemporaine.

A. Une collection représentative de la production de l'estampe artistique au XIXe siècle.

Le mot « estampe » a un sens générique qui désigne toute reproduction d'une image sur papier. Étymologiquement, l'estampe implique l'idée de reproduction par pression d'une matrice sur une feuille quelle que soit la technique employée, gravure en creux, lithographie ou sérigraphie193.

Si Joseph-Félix Le Blanc de La Combe collectionne toutes les formes d'estampes, c'est principalement les lithographies qui semblent retenir son attention au vu de leur nombre important. Après avoir rappelé brièvement l'origine de cette technique d'estampe et présenté comment elle devient de plein droit un médium artistique, nous nous focaliserons sur quelques exemples de lithographie de la collection de La Combe. Nous nous emploierons ainsi à montrer comment cette collection est représentative de la production lithographique de la première moitié du XIXe siècle.

Le passage entre le XVIIIe et le XIXe siècle se présente comme une période charnière pour la production de l'estampe en France. L'invention de la lithographie en 1796 est décisive, bien que les premiers essais du munichois AloØs Senefelder (1771-1834) n'aient aucune vocation artistique. Auteur dramaturge, Senefelder cherche un moyen peu coûteux pour imprimer et diffuser sans intermédiaire ses propres écrits. Si la légende veut que la découverte se soit opérée à la suite d'une reproduction involontaire d'une note de blanchisserie sur une pierre calcaire194, l'exécution, bien qu'un peu plus délicate, est somme toute relativement simple. La création d'une lithographie ne demande que trois étapes. D'abord l'auteur dessine à l'encre grasse sur une pierre calcaire parfaitement lisse. Il la plonge ensuite dans un bain d'acide pour fixer le dessin. Enfin, il ne lui reste qu'à encrer la planche pour imprimer la composition.

193 BEDEL, Jean, Dictionnaire des antiquités, Paris, Larousse, 1999, p. 238.

194 ROGER-MARX, Claude, La Gravure originale au XIXe siècle, Paris, Éditons Aimery Somogy, 1962, p. 37.

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Cette nouvelle technique ne tarde pas à s'implanter en France, mais connaît un début difficile. Ayant l'ambition de faire commerce de ce nouveau moyen d'impression, Friedrich André, l'un des associés de Senefelder installe en 1802 à Paris une imprimerie lithographique. Si cette première tentative ne remporte pas l'adhésion du public, elle a toutefois réussi à susciter de l'intérêt et des vocations chez quelques protagonistes. En 1804, Pierre-Nolasque Bergeret (1782-1863) établit à Paris la première imprimerie lithographique française qui ferme cependant rapidement ses portes à cause du peu d'intérêt des amateurs195. Le général Louis-François Lejeune (1775-1848) conseille à Napoléon de participer au développement de la lithographie. Lejeune se rend dans l'atelier de Senefelder en 1806, à l'instar des imprimeurs français Charles Philibert de Lasteyrie (1759-1748), François Séraphin Delpech (1778-1825) et Godefroy Engelmann (1788-1839). À la chute de l'Empire, ce trio installe presque simultanément en 1815 des imprimeries lithographiques à Paris. Ils participent à la démocratisation du procédé, mais surtout invitent les artistes à s'intéresser davantage à la lithographie. Par la possibilité de diffusion offerte par les imprimeurs et les éditeurs ainsi que par l'enthousiasme des artistes, la lithographie devient un médium artistique, qui tend à se développer en cette première moitié du XIXe siècle. L'année 1815 peut être considérée comme l'avènement de la lithographie d'art.

À partir de l'intérêt des artistes peintres, la lithographie s'envisage comme un médium artistique et non plus seulement comme un moyen de reproduction économique. De surcroît, les lithographies de reproduction ne doivent pas être perçues comme des copies formelles, mais bien comme des oeuvres de réinterprétation dont le colonel de La Combe extrait quelques pièces à la fin des numéros de l'Artiste, comme son épreuve de Delacroix représentant un jeune tigre jouant avec sa mère196. Il arrive par ailleurs, que les artistes réinterprètent eux-mêmes les oeuvres qu'ils ont déjà réalisées, à l'instar de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), qui revoit en 1825 (fig. 15) la composition de sa Grande Odalisque, réalisée en 1814 et présentée au Salon en 1819. Il modifie ici quelque peu la composition en remplaçant le fond sombre par des cousins à motifs floraux. La Grande Odalisque semble l'influencer durablement durant sa carrière, puisqu'il la traite une nouvelle fois en grisaille entre 1824 et 1834197.

195 DELTEIL, LoØs, Manuel de l'amateur d'estampes des XIXe et XXe siècles, Paris, Dorbon-Ainé, 1925.

196 PETIT, Francis, op. cit., p. 90.

197 Jean-Auguste Dominique Ingres, La Grande Odalisque, grisaille, 1824-1834, huile sur toile, New-York, Metropolitan Museum of Art.

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L'atelier d'Antoine-Jean Gros est un foyer effervescent de la génération romantique. Une partie des élèves fréquentant son atelier font émerger la technique de la lithographie. Le maître d'ailleurs ne s'y montre pas insensible, en livrant deux épreuves orientalistes ; Un chef mamelouk à cheval et l'Arabe dans le désert (fig. 16), que le colonel de La Combe possède toutes les deux198. La seconde imprimée en 1817, représente un chef guerrier assis à l'ombre de son cheval et donnant de l'eau à un soldat. Elle témoigne de l'intérêt de Gros pour cette technique d'estampe nouvelle. Son élève Charlet, manifeste encore davantage de l'intérêt à la lithographie. Il s'intéresse très tôt à ce nouveau médium, puisqu'il semble correspondre à sa pratique artistique. La lithographie permet en effet, d'obtenir rapidement un résultat à la différence de la peinture ou même de la gravure, qui demandent davantage de travail et de temps. Bénéficiant de la bienveillance de son maître, Charlet impose dès sa formation la figure du dessinateur lithographe.

La Combe collectionne les premières lithographies de Charlet, comme en témoigne cette représentation d'un Hussard à cheval (fig. 17), sortie de la presse de l'imprimeur Lasteyrie en 1817. Charlet se présente dès lors, comme l'un des artistes qui favorise le développement de la lithographie en France. Il semble influencer toute une génération d'artistes lithographes intéressés par les scènes militaires. De tous les sujets d'illustrations compris dans la collection d'estampes du colonel de La Combe, les représentations militaires sont à l'évidence le thème qui ressort le plus abondamment. Les épreuves d'Hyppolite Bellangé ou Auguste Raffet reflètent l'héritage de Charlet. L'un comme l'autre illustrent dans leurs albums des scènes de batailles contemporaines et représentent les costumes des différents corps militaires. Néanmoins, les oeuvres de ces deux artistes ont à l'évidence une valeur plus documentaire que ne le sont celles de Charlet. La Garde de Tranchée (fig. 18) de Raffet conservée dans la collection de La Combe et extraite de l'album du Siège de Rome de 1850 représente l'assaut français de la nuit du 4 au 5 juillet 1849. Allongés au sol, les soldats attendent la charge. Cette scène a manifestement un caractère moins anecdotique que les représentations militaires de Charlet. Celui-ci s'attache généralement davantage à représenter le soldat de façon licencieuse dans ses albums lithographiques, que de montrer une forme vraisemblable de bataille. Le colonel de La Combe collectionne également les représentations militaires d'Horace Vernet,

198 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 100.

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bien qu'il semble attacher une préférence à celles de Charlet, comme semble le signaler cette citation d'une lettre du colonel de La Combe adressée à Bellangé le 29 avril 1849.

J'en suis fâché pour M. VÉ ; mais je suis obligé de dire que lui, comme la plupart des autres, il ne sait pas faire un soldat. Il est spirituellement dessiné, habillé, ficelé ; mais c'est un soldat à la façon d'un Scribe, un comédien en soldat. S'il a mieux réussi dans le troupier moderne, c'est qu'il n'y a plus là de caractère. Notre jeune armée est surtout remarquable dans la régularité de sa tenue199.

Support intéressant pour diffuser à grande échelle les scènes de bataille contemporaine et entretenir la ferveur bonapartiste, la lithographie est également un moyen adapté pour s'amuser des moeurs des contemporains. Le colonel de La Combe possède en effet quelques exemples de caricature sur les moeurs, la politique ou les Beaux-Arts. Outre l'illustration des rapports courtois, La promenade aux Tuileries (fig. 19) de Dominique Bosio (1768-1845) est une critique humoristique envers les petits bourgeois et leurs mondanités. Elle représente des hommes en redingote coiffés de chapeau haut de forme et accompagnés de leurs épouses. Comme l'indique le titre, ils se promènent dans le jardin des Tuileries. Mais seuls la sculpture et le vase permettent de situer la scène. L'homme bedonnant placé au centre de la composition semble observer attentivement la nature dans sa lunette. Cette caricature de la bourgeoisie fait écho à La promenade au bois de Vincennes (fig. 20) de Philibert Louis Debucourt (1755-1832) dont une épreuve est aussi conservée dans la collection du colonel de La Combe. Le thème de la promenade est un sujet aisé pour la critique des loisirs et de la mode bourgeoise. Si la série des Souvenirs d'un flâneur (fig. 21) d'Eugène Forest (1808-) est postérieure de quinze ans, elle rit aussi des loisirs des contemporains, à l'instar du collectionnisme et particulièrement de la bibliomanie. D'autres encore comme Henri Monnier (1799-1877) avec les planches des Six quartiers de Paris ou Jean-Jacques Granville (1803-1847) avec la série Le Dimanche d'un bon bourgeois ou Les tribulations de la petite propriété, s'amusent des moeurs de leurs contemporains. Elles correspondent en somme aux études littéraires des auteurs réalistes, tel la Comédie humaine de Balzac. Si de ces trois exemples nous pouvons retenir une forme de caricature convenue se focalisant sur les moeurs, d'autres lithographies présentes dans la collection du colonel de La Combe se montrent plus féroces.

Sensible à l'épopée napoléonienne et fréquentant des personnalités aux sympathies politiques variées, le colonel de La Combe ne semble pas exprimer d'affection particulière pour

199 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien..., op. cit. p. 33.

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les régimes politiques successifs. C'est en ce sens qu'il paraît collectionner les caricatures lithographiées des maîtres contemporains, dont Alexandre Decamps, Paul Gavarni (18041866), ou plus modestement Honoré Daumier. Le colonel de La Combe réunit ainsi des caricatures contre Charles X (1757-1856 ; 1824-1830), qui supporte en effet une production de caricature soutenue au cours de ses six années de règne. Comme le souligne Annie Duprat, le visage de Charles X est multiforme200. Libertin quand il n'était encore que comte d'Artois, il semble se convertir et devenir puritain une fois couronné roi. Charles X ne cesse en effet de s'entourer de jésuites. Decamps choisit ainsi de le représenter sous sa forme bigote dans sa caricature intitulée Le pieu monarque (fig. 22). Jouant sur les mots, Decamps déguise un pieu en souverain couronné portant deux épaulettes et une épée. Roi des Français, Louis-Philippe (1773-1850 ; 1830-1848) condamne le genre en censurant, puis interdisant le 27 août 1835 la publication du journal La Caricature, fondé seulement cinq ans plus tôt par Charles Philippon (1800-1861). C'est dans ce journal que Daumier fait publier le portrait de Louis-Philippe sous les traits de Gargantua. À la suite de cette publication, Daumier est emprisonné. Le souvenir de Sainte-Pélagie (fig. 23) présente dans la collection de La Combe est une illustration de son emprisonnement. Publiée une première fois dans le Charivari, le 14 mars 1834, cette planche représente trois détenus dans une cellule, dont un lit à haute voix le journal républicain La Tribune. La lithographie entre alors au service de la presse et de l'écrit pour s'opposer au régime politique.

Le colonel de La Combe dispose d'une importante bibliothèque, dont les rayonnages sont composés de plus de cinq cent cinquante ouvrages. À l'évidence, La Combe est un amateur de livres. La bibliophilie semble finalement très proche de son intérêt pour la lithographie. Le bibliophile collectionne les livres soit pour la reliures en maroquin précieux, soit pour les illustrations, qui mettent le texte en images. Plus que les reliures, se sont manifestement les illustrations qui nous intéressent dans le cadre de cette partie. Autour de 1815, la lithographie connaît un développement grâce à l'enthousiasme des artistes, mais aussi grâce à l'intérêt de certains éditeurs et écrivains, qui voient en elle un moyen de diffusion à bas coût ainsi qu'une technique d'illustration de bonne qualité. Les recueils de lithographies qui paraissent annuellement ont un lien direct avec le format codex du livre. Le colonel de La Combe en

200 DUPRAT, Annie, « Le roi a été chassé à Rambouillet », Société et représentation, n 12, 2001, p. 37.

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possède quelques exemplaires de Charlet ou Théodore Gudin201. De ce dernier, il détient deux recueils de marine de 1821 et 1828.

Le colonel de La Combe possède des lithographies de paysages extraites des Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France du baron Isidore Justin Taylor (17891879)202. Entouré des écrivains Charles Nodier (1780-1844) et Alphonse de Cailleux (17881876), Taylor entreprend la description de la province française. Ce succès éditorial débute par la publication en 1820 du premier tome consacré à la Normandie. En tout, ce sont vingt-trois volumes qui paraissent jusqu'à 1878. Dans la collection de La Combe, une grande majorité des estampes de Bonington proviennent de cet ouvrage, à l'instar de la Tour du gros horloge d'Evreux (fig. 24) ou une Vue d'une rue des faubourgs de Besançon (fig. 25). Peintre et dessinateur de paysages anglais, Bonington propose des vues urbaines d'où émergent une expression sentimentale en introduisant notamment de nombreux personnages habillés de costumes traditionnels. Cherchant à mettre en lumière la beauté de ces villes normandes, Bonington applique par exemple dans la Rue du Gros Horloge une atmosphère vaporeuse, qui semble préserver le passé médiéval. D'autres artistes présents dans la collection de La Combe participent aussi à la représentation des villes de provinces décrites par Taylor, Nodier et Cailleux, comme Géricault qui illustre l'Église Saint-Nicolas de Rouen (fig. 26), ou le baron Louis-Baptiste-Jean-Marie Atthalin (1784-1856) qui dessine La maison des Templiers203. Le colonel de La Combe possède d'autres lithographies illustrant des ouvrages littéraires, à l'instar des épreuves de Delacroix. La carrière d'illustrateur de Delacroix débute en 1826. Il commence à cette date l'illustration de la traduction de Faust par Albert Stapfer, qui est publiée en 1828204. Bien que la critique pointe du doigt la physionomie des personnages, ces premières vignettes sont suivies de l'illustration de l'histoire de Goetz de Berlichen en 1836 et de l'histoire d'Hamlet en 1843. Il possède aussi les lithographies d'Horace Vernet qui illustrent Les fables de la Fontaine205, ainsi que des épreuves tirées de La vie politique et militaire de Napoléon d'Antoine-Vincent Arnault publié en 1822.

201 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 100.

202 TAYLOR, Isidore Justin, NODIER, Charles, CAILLEUX, Alphonse de, Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France, t. I-XXIII, Paris, Gide fils, 1820-1878.

203 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 26.

204 GOETHE, Johann Wolfgang von, Faust, [1808, trad. De l'allemand par Albert Stapfer], Paris, Motte, 1828.

205 PETIT, Francis et alii, op. cit., p. 120.

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S'il n'était pas possible de décrire ou seulement faire allusion à toutes les lithographies de cette collection, il nous paraît toutefois que ces quelques pages ont permis de mieux situer et appréhender la collection d'estampes du colonel de La Combe. La plus vieille lithographie de la collection date de 1816. Elle est une représentation d'un lancier de l'ex-garde impériale en vedette par Horace Vernet206. À l'évidence, les plus récentes sont datées de la fin de la décennie 1840. Sa collection répond alors à des barrières chronologiques très strictes. Elle commence au moment de l'appropriation par les artistes de la technique lithographique et se conclut à l'époque de la mise au rebut de la lithographie par les artistes de la génération suivante. C'est la production d'une génération, celle des enfants du siècle, que le colonel de La Combe collectionne assidument. En dépit de l'hétérogénéité du nombre d'épreuves en fonction des artistes, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe semble s'efforcer à réunir les estampes les plus représentatives de cet échantillon d'artistes. C'est en ce sens qu'il est possible d'appréhender la collection du colonel de la Combe comme un recueil de la production lithographique de la première moitié du XIXe siècle, puisque témoignant des courants, des modes et des genres de la création estampée de la période romantique.

B. Collection d'estampes ou collection de dessins ? L'originalité de la collection du colonel de La Combe.

Si d'un côté Joseph-Félix Le Blanc de La Combe s'efforce de former une collection représentative de la production lithographique des artistes du mouvement romantique, de l'autre il paraît attacher un intérêt particulier à la qualité des épreuves qu'il collectionne.

La collection de Monsieur de La Combe était formée à un tout autre point de vue que celle de M. Parguez ; Celui-ci avait essayé de réunir les matériaux figurés d'une histoire de la lithographie ; M. de La Combe n'avait donné droit de séjour dans ses casiers, qu'aux pièces intéressant l'art véritable207.

En comparant la collection de lithographies du colonel de La Combe à celle de François Parguez, payeur de la caisse de Poissy, Philippe Burty souligne dans le catalogue de vente, combien la collection de La Combe est rare et originale. Cette collection de lithographies, qui porte presque exclusivement sur les épreuves réalisées par les artistes de l'école romantique, comprend un peu moins d'une centaine d'artistes - quatre-vingt-seize précisément. À la

206 Ibid., p. 117.

207 BURTY, Philippe, op. cit. p. XIII.

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différence, la collection Parguez est beaucoup plus étendue. Elle se compose des estampes de cent soixante-dix-huit artistes, soit quatre-vingt-deux artistes de plus que dans la collection de La Combe. Seulement quarantaine d'artistes sont identiques entre les deux collections, à l'instar de Charlet, Delacroix, Vernet ou Géricault pour ne citer que les plus connus. S'il manifeste de l'intérêt aux artistes de la génération romantique, Parguez à la différence de La Combe semble constituer une collection représentative de l'ensemble de la production lithographique depuis l'invention de la technique par Senefelder208. Il dispose d'ailleurs d'un autoportrait lithographié par l'inventeur. Il collectionne aussi les lithographies dessinées par les imprimeurs Bergeret, Engelmann et Lasteyrie209, par l'architecte Victor Baltard (1805-1874) ainsi que les illustrations d'artistes secondaires, qui sont diffusées profusément chez les marchands d'estampes. La collection du colonel de La Combe n'est donc pas à appréhender de la même manière et n'a à l'évidence pas la même valeur financière et artistique. Le produit de l'ensemble des vacations de la vente Parguez s'élève à 10 302 francs210. Pour rappel, la vente de la collection de La Combe réalise un produit total de 40 237 francs - en comptant les tableaux et les dessins211. De surcroît, la collection d'estampes romantiques du colonel de La Combe n'est pas seulement à envisager comme un ensemble représentatif d'une partie de l'histoire de la lithographie. Elle est aussi une réunion des meilleures épreuves des artistes de la génération de la décennie 1800. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se distingue ainsi de François Parguez, par l'intérêt qu'il porte aux lithographies d'artistes et par la qualité des épreuves qui forment sa collection.

Le colonel de La Combe semble s'efforcer à rassembler les plus belles épreuves de lithographie, dont des épreuves tirées sur Chine et des premiers états. En effet, la collection de La Combe concentre une proportion importante d'estampes publiées avant l'inscription de la lettre. Cet état ne fait pas mention du nom du dessinateur, de celui de l'éditeur et de l'adresse de l'imprimeur. Par exemple, sur la planche illustrant Méphistophélès dans les airs (fig. 27) de Delacroix conservée dans la collection de la Combe, aucune des informations présentes dans le deuxième état, à savoir en bas à gauche « Delacroix invt et Lithog », en bas à droite « Lith. de Charles Motte Paris », et dans la marge « De temps en temps j'aime à voir le vieux Père, Et je

208 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 65.

209 Ibid., p. 5, p. 30, p. 52.

210 Procès-verbal de la vente de lithographies de la collection Parguez les 22, 23 et 24 avril 1861, Paris, Archives municipales, cote D60E3 9.

211 Procès-verbal de la vente de La Combe, op. cit.

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me garde bien de me rompre en Visière... » 212 ne viennent perturber la lecture de la composition.

[...] la reproduction exacte du dessin du maitre ne peut se retrouver que dans de premières épreuves pures, transparentes, et non dans celles que donne une pierre fatiguée, usée, sur laquelle un crayon a bavé, et ne rend plus la finesse et la couleur du dessin, en supposant même que quelques parties de ce dessin n'aient pas disparu213.

Les épreuves publiées avant la lettre sont aussi et surtout des estampes de très bonne qualité. La pierre n'étant pas usée à cause des impressions répétées, la qualité d'impression des lithographies de premier état n'a pas de comparaison avec celle des épreuves tirées en grande série de deuxième, troisième voire quatrième ou cinquième état. Il arrive également, que le colonel de La Combe possède plusieurs états d'une même représentation, à l'instar du Siège de Saint-Jean d'Acre (fig. 28 et 29) de Charlet214. La Combe détient en effet les trois états différents de la première pierre et les quatre états distincts de la seconde. Le colonel de La Combe peut ainsi fractionner les différentes étapes d'une même représentation. En outre, certaines épreuves rendent compte du travail préparatoire de l'artiste avant la publication, comme les illustrations de Delacroix pour le Faust conservées dans la collection du colonel de La Combe. En marge de la vignette de Faust et Méphistophélès dans les montagnes du Harz (fig. 30) de premier état, Delacroix fait des « croquis de chevaux, de barque à voile, de lézard, etc »215. Ces esquisses renforcent l'impression d'immédiateté et témoignent de la réflexion de l'artiste. Le serpent placé dans la marge se perçoit comme une esquisse préparatoire à celui se tenant dans la scène principale. Les premières épreuves semblent en somme assez proches de l'art du dessin.

La pièce unique est le mirage perpétuel de l'amateur d'estampes. Une pièce unique devient un tableau. Le rêve mille fois caressé du fanatique d'estampes, c'est d'anéantir le tirage entier de toutes les gravures, sauf une seule et unique épreuve, celle qu'ils possèdent bien entendu216.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe détient également quelques épreuves uniques. Selon les auteurs du catalogue de l'exposition Charlet aux origines de la légende napoléonienne, La

212 DELTEIL, LoØs, Eugene Delacroix, op. cit., p. 150.

213 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 133.

214 PETIT, Francis, op. cit., p. 41.

215 PETIT, Francis, op. cit., p. 88.

216 ROCHEFORT, Henri, op. cit., p. 225.

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Combe rassemble une collection de dix unica de l'artiste217, à l'instar de la Charge de chevaux légers218. En dehors de cette pièce, nous n'avons pas relevé dans le catalogue de vente d'autres épreuves uniques de Charlet. Selon Louis Clément, il paraîtrait que le colonel de La Combe affirmait qu'il possédait de Géricault la seule épreuve du Cheval franchissant une barrière : « La pierre originale de Géricault aurait cassé au second tour de la presse, et la pièce aurait été copiée immédiatement par M. Léon Cogniet. Il suffit de la comparer avec celle que l'on rencontre ordinairement pour être frappé par l'inimitable science du modelé dont elle est empreinte »219. Il semble néanmoins que le colonel de La Combe ou les auteurs du catalogue de vente exagèrent quelque peu sur l'unicité de la pièce. En 1924, LoØs Delteil affirme dans le catalogue raisonné de l'oeuvre graphique de Géricault, qu'après quelques impressions la pierre originale s'est brisée et que Courtin en aurait fait une copie à la demande de l'éditeur Charles Villain 220. Il paraît donc vraisemblable que la pierre originale a imprimé plus de deux lithographies contrairement à ce que prétendait le colonel de La Combe et le marchand d'estampes.

La collection d'épreuves de premier état et plus encore d'unica semble paradoxale au regard des spécificités du médium. Par essence, une estampe relève de l'art du multiple, puisque destinée à être imprimée en de nombreux exemplaires. La posture intellectuelle des amateurs d'estampes, paraît finalement ambivalente en connaissance des caractéristiques du format. Ils s'efforcent en effet, à récolter les pièces les plus rares et les moins diffusées d'un format qui au contraire se veut populaire. Cela pousse Henri Rochefort à écrire dans son ouvrage qu'il consacre à l'hôtel des ventes de Paris :

L'amateur d'estampes n'était, dans le principe, qu'un diminutif de l'amateur de tableaux ; il se contentait de la menue monnaie des jouissances artistiques de celui-ci et se résignait au rôle de doublure. Mais peu à peu les ailes lui ont poussé, l'ambition est venue, et, à force de découvrir dans

217 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 132.

218 Ibid, p. 51.

219 PETIT, Francis, op. cit., p. 97-98.

220 DETEIL, Loys, Le peintre graveur illustré : Théodore Géricault, t. XVIII, Paris, Frazier-Soye, 1924, n° 69. Information recueillie sur :

http://www.britishmuseum.org/research/collection online/collection object details.aspx?objectId=1429290&par tId=1&people=104143&peoA=104143-2-61&page=1 consulté le 01/05/2016.

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les estampes des beautés qu'il n'y soupçonnait pas d'abord, il s'est posé peu à peu en rival du tableaumane221.

En recherchant l'estampe originale, le colonel de La Combe présente des analogies avec les collectionneurs de tableaux et de dessins - collectionneur que La Combe est également. - comme le fait remarquer Henri Rochefort. De surcroît, quelques épreuves lithographiques de premier état atteignent des prix équivalents, parfois même supérieurs, à des dessins ou des tableaux. Ainsi la lithographie de Géricault, représentant deux chevaux gris pommelés se mordant au cou et se cabrant au milieu d'une écurie, est adjugée à l'expert Louis Clément pour 220 francs à la vente de la collection du colonel de La Combe222. L'expert indique d'ailleurs dans le catalogue de la vente de La Combe, qu'une seconde épreuve du même état avait été vendu en 1861 à la vente Parguez pour 560 francs223. Il semblerait que François Parguez, selon une note manuscrite dans le catalogue de la vente de sa collection conservé à la BNF, aurait acheté cette épreuve 1 500 francs224. Ces prix considérables s'expliquent parce que « la pierre de cette admirable composition aurait été, suivant l'attestation formelle de l'imprimeur Motte à M. Parguez brisée après la seconde épreuve. »225.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se présente comme un collectionneur de lithographies d'artistes portant un intérêt particulier à la qualité des épreuves formant sa collection. De dix-huit artistes, La Combe collectionne de nombreuses épreuves de premier état et quelques exemples de pièces uniques. Son comportement est relativement proche de celui d'un collectionneur d'oeuvres originales, tels les tableaux ou les dessins, en cherchant à réunir les estampes les plus rares et les moins publiées. Cette quête de l'épreuve unique amène les auteurs satiriques du XIXe siècle à plaisanter sur l'attitude des collectionneurs d'estampes. Champfleury écrit en 1867 dans L'hôtel des commissaires-priseurs : « La furie de la collection mène fatalement à des aberrations, et à des tics. Un amateur de gravures montrant ses portefeuilles, pousse un cri : rre. Il veut dire que l'épreuve est rare. Une estampe plus rare encore amène un : rrrrre. Il passe à une épreuve très rare : rrrrrrrre. L'épreuve est unique :

221 ROCHEFORT, Henri, op. cit., p. 221.

222 PETIT, Francis, op. cit., p. 95. Exemplaire de la BNF.

223 Ibidem.

224 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIéRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 36. Exemplaire de la BNF.

225 PETIT, Francis, op. cit., p. 95

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rrrrrrrrrrrrre ! » 226 . Si Champfleury tourne en dérision le comportement des amateurs d'estampes, d'autres plus virulents s'opposent à la qualification même de la lithographie comme médium artistique. Ainsi naît un débat autour de la lithographie dans lequel le colonel de La Combe semble s'immiscer.

C. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe défenseur de la lithographie.

La rédaction de la biographie de Charlet est une bonne occasion pour le colonel de La Combe de participer au débat sur la lithographie. Né presque concomitamment au développement de la technique en France par les artistes et imprimeurs autour de 1815-1817, le débat repose principalement sur la destination matérielle et la valeur esthétique, voire morale, de ce nouveau médium artistique. Il convient dès lors de rappeler succinctement l'origine de ce débat sur la lithographie pour mieux saisir par la suite, la participation publique du colonel de La Combe.

Si la lithographie connaît un développement rapide en France, grâce au bon accueil des artistes de la jeune génération ; Charlet et Vernet en tête, elle est parallèlement dans la presse un objet de discussion. Comme pour toutes nouveautés des interrogations subviennent et des doutes se posent, quant à l'utilité et la destination de cette nouvelle technique d'estampe. Les rédacteurs se demandent si la lithographie doit véritablement être considérée comme un nouveau support de création pour les artistes, ou plutôt, s'appréhender comme une nouvelle technique de reproduction et publication économique. Cette question est induite par le double visage de la lithographie autour de 1820. D'un côté, les artistes de la jeune école romantique commencent à réaliser leurs premiers dessins lithographiés, de l'autre « une foule d'écoliers, séduits par l'idée de voir leurs oeuvres imprimées et étalées dans les rues, se [mettent] à griffonner sur la pierre tout ce qui leur pass[e] par la tête » 227. Ces derniers incitent finalement les commentateurs à discréditer la lithographie, puisque recherchant davantage le profit commercial que la maîtrise de la technique. Néanmoins, les observateurs ne reconnaissent pas davantage le travail des artistes, qui au contraire envisagent la lithographie comme un support artistique favorable et qui participent à son développement. Effectivement, les thèmes populaires abordés par les dessinateurs tels Charlet, Vernet et Géricault ; les scènes de vie quotidienne et l'évocation d'un souvenir agréable de l'Empire déchu, amènent les critiques à

226 CHAMPFLEURY, Jules, op. cit., p. 11.

227 Anonyme, « Beaux-Arts », Le Journal des Débats, 6 février 1823, p. 1.

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dévaloriser la portée artistique du médium. Au contraire, la lithographie semble soutenue et approuvée par les artistes de la génération néoclassique qui ont acquis un statut important, à l'instar d'Antoine-Jean Gros et Anne-Louis Girodet (1767-1824). Ces derniers s'essaient en effet à la pratique de ce récent procédé créatif. En somme, la lithographie est en quelque sorte victime de sa popularité en 1820228.

« La lithographie n'est point de la gravure, en tant que ce dernier mot indique des traits entaillés en creux »229. Malgré l'article de Quatremère de Quincy publié en 1817 à l'occasion de la présentation de la lithographie par Engelmann à l'Institut de France, il semble que dès le début de la production de ce nouveau médium, une confusion s'installe quant à son appartenance au genre de la gravure. Cette erreur est induite par les ressemblances esthétiques des épreuves des deux techniques. À l'instar de la gravure, la majorité des lithographies sont tirées en noir et blanc. Néanmoins, les commentateurs les plus aguerris ne manquent pas de remarquer des différences entre les deux médiums. De surcroît, certains s'emploient à mettre en lumière la supériorité plastique de la gravure sur la lithographie.

Genre de crayon, esquisses légères, et surtout écritures, plans, géographie et tracés à la plume, voilà le vrai domaine de la lithographie : dans ce cercle très vaste, elles peut avoir des succès bien mérités ; mais si l'amour-propre ou l'ambition l'en font sortir, ce sera pour se discréditer, se perdre sans retour et se noyer dans les ruisseaux, avec les caricatures230.

La spontanéité du dessin rendu possible par l'évolution de la lithographie ne paraît pas remporter la complète adhésion des commentateurs. La lithographie est alors perçue comme un médium artistique de second plan, ne pouvant avoir d'utilité que pour les genres les moins nobles, à l'exemple de la caricature. À l'évidence, cela s'explique par l'ignorance de la technique, mais surtout au conservatisme et à la peur de la mise au rebut de la gravure, comme en témoigne cette citation tirée de La Pandore du 16 février 1824 : « Vous allez ruiner la

228 BROUWERS, Gervaise, « La lithographie passée en revue : entre controverses politiques et enjeux esthétiques », Sociétés et Représentations, n° 40, 2015, p. 188.

229 QUINCY, Quatremère de, « De la lithographie ou Extrait d'un Rapport fait à l'Académie des beaux-arts, par une Commission spéciale, sur un recueil de dessins lithographiés par M. Engelmann », Le journal des sçavants, janvier 1817, p. 23.

230 JOUBERT, François-Étienne, Manuel de l'amateur d'Estampes, Paris, l'auteur, 1821, p. 107-108, in BROUWERS, Gervaise, op. cit., p. 191.

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gravure, disaient les uns; [..] vous empoisonnez le monde de prétendus artistes à qui vous aurez donné trop de facilités, disaient ceux-là »231.

« On ne peut pas dire que la lithographie soit négligée en France »232 écrit un journaliste anonyme dans les colonnes de l'Artiste en 1837, en réponse à la lettre ouverte du lithographe Léon Noël (1807-1884) dans laquelle il se plaint du peu de faveur du public pour la lithographie. Si le rédacteur de la revue se montre bienveillant dans la suite de son article et acquiesce finalement les propos de Noël, il semble néanmoins qu'à cette époque rien ne change et que se poursuit dans la presse un débat autour des qualités et des défauts de la lithographie, qui se prolonge à l'évidence au moment de la rédaction du premier article du colonel de La Combe sur Charlet. Dans cette étude publiée en 1854 dans la Revue Contemporaine, La Combe consacre un chapitre entier à la lithographie, en plus des évocations morcelées dans l'ensemble du texte233. Il reprend et complète ce chapitre dans la première édition de sa biographie sur Charlet en 1856234.

Les propos du colonel de La Combe arrivent à une période charnière et dans une actualité brûlante pour la lithographie. D'un côté la production lithographique romantique s'est essoufflée depuis une dizaine d'années, laissant derrière elle un corpus innombrable d'épreuves, de l'autre les amateurs, les collectionneurs et les critiques semblent prendre conscience de la valeur esthétique et artistique de ces estampes. Les propos sur la lithographie du colonel de La Combe sont prodigués de manière constante à travers la figure de Charlet. Retraçant la carrière de l'artiste, le colonel de La Combe met en évidence son caractère avant-gardiste par son utilisation de la lithographie. La Combe adopte tout d'abord une posture d'historien en cherchant à revaloriser les premières impressions de Charlet, et par conséquent l'art de la lithographie.

Cette oeuvre a pris naissance en quelques sorte avec l'invention de la lithographie. Les pierres alors étaient rares, souvent défectueuses, les procédés incomplets, les tirages imparfaits. Cependant, malgré l'absence de toute encouragement et en dépit du défaut d'intelligence de ses éditeurs et de la

231 La Pandore, journal des spectacles, des lettres, des arts, des moeurs et des modes, 16 février 1824, in BROUWERS, Gervaise, op. cit., p. 196.

232 Anonyme, « De la lithographie », L'Artiste, n° 13, 1837, p. 15.

233 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, « Charlet, sa vie, ses lettres et ses oeuvres », Revue Contemporaine, 31 janvier et 15 février 1854, chp. XXVII, p. 1-54.

234 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit. chp. XXXI, p. 131-135.

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froideur qui accueille toujours les noms nouveaux dans les arts, Charlet a su produire des chefs-d'oeuvre. Peu lui importait qu'il vendît ou ne vendît pas. Pour lui la question n'était pas là235.

Entonnant un ton presque lyrique, le colonel de La Combe s'efforce de montrer combien Charlet a été bénéfique pour la lithographie. Il participe alors en retraçant la micro-histoire de la carrière de dessinateur-lithographe de Charlet, à l'écriture de l'histoire plus large de la lithographie originale. En ce sens, la défense de la lithographie par le colonel de La Combe passe par une revalorisation du médium au regard de l'histoire. Il évoque ainsi l'âge d'or de la lithographie romantique. D'autres avant La Combe ont défendu la lithographie, en publiant notamment des catalogues raisonnés, à l'exemple de Bruzard, qui dès 1826 recense les lithographies d'Horace Vernet236. La Combe s'inscrit néanmoins dans cette démarche de valorisation, que reprend Henri Delaborde (1811-1899) en 1863237, ou plus tardivement Henri Béraldi (1849-1931) en 1901238.

Le colonel de La Combe répond aussi aux critiques de ceux qui regarde la lithographie comme un moyen de reproduction à bas coût et un support artistique de médiocre qualité. Reconnaissant que la production secondaire à polluer l'ensemble de la lithographie, il considère toutefois qu'elle est à envisager comme un véritable médium artistique permettant aux artistes de diffuser plus massivement leurs dessins, bien qu'elle ne puisse rivaliser avec l'eau-forte. La Combe fait donc un consensus en reconnaissant la supériorité de la gravure sur la lithographie.

[É] ne soyons point injustes envers la lithographie. On a eu pour elle beaucoup trop d'engouement à sa naissance ; on en a usé, abusé ; mais comme toujours la réaction a dépassé les bornes. Certes, la lithographie ne peut avoir la prétention de lutter avec l'eau-forte, ni avec le burin, ni même avec la gravure sur bois ; mais elle a l'avantage de mettre à la portée de tous de premières pensées échappées au maitre, et qui souvent n'auraient plus la même énergie, la même naïveté, si elles avaient été réservées pour des oeuvres plus châtiées. Voila la mission artistique de la lithographie. Le reste appartient au commerce. Et félicitons-nous que ce procédé ait pu nous conserver ces dessins si remarquables de Géricault, de Charlet et de quelques autres dont nous eussions été privés si ces grands artistes n'avaient eu ce moyen de transmettre immédiatement leurs pensées.

235 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, « Charlet, sa vie, ses lettres et ses oeuvres », op. cit., p. 36.

236 BRUZARD, L. M., Catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de Mr J. E. Horace Vernet, Paris, Imprimerie de J. Gratiot, 1826.

237 DELABORDE, Henri, « La Lithographie dans ses rapports avec la peinture », Revue des deux Mondes, t. 46, 1863, p. 554-631.

238 BÉRALDI, Henri, Propos d'un bibliophile, Lille, L. Danel, 1901.

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Les propos du colonel de La Combe semblent recueillir l'adhésion des amateurs d'estampes, puisque Delaborbe et Béraldi arrivent en somme aux mêmes conclusions. Au moment de l'écriture de l'ouvrage du colonel de La Combe, la lithographie ne paraît plus recueillir l'affection des artistes, ce qui amène Henri Béraldi à conclure a postiori que : « plus les peintres l'abandonnent, plus les amateurs d'art, les collectionneurs et les critiques s'y attachent »239. Ce dernier a le recul nécessaire pour affirmer que « la situation de la lithographie en 1860 est très compromise »240. Ce désintérêt est à expliquer du fait de la renaissance de la gravure sur cuivre et de la concurrence de la photographie et l'héliogravure sur la lithographie de reproduction241. Il est donc probable qu'en revenant au travers de la biographie de Charlet, sur l'histoire et les progrès du dessin sur pierre, ainsi que sur ses qualités et avantages, le colonel de La Combe cherche à prévenir en 1856 de « l'agonie de la lithographie »242. Peut-être que La Combe s'emploie à susciter l'intérêt des jeunes artistes pour ce médium ? En tout état de cause, les publications de catalogues raisonnés sur les artistes lithographes de la génération romantique - comme le fait le colonel de La Combe - et les expositions de la fin du siècle sur la lithographie participent à redynamiser le médium.

Une première exposition est montée en 1887 à la galerie Georges Petit, suivie d'une deuxième à l'Exposition universelle de 1889 et d'une troisième à l'école des Beaux-Arts de Paris en 1891243. Toutes les trois historicisent la lithographie en présentant la chronologie depuis la production des premiers dessinateurs sous la Restauration, jusqu'aux productions contemporaines. Il est donc possible de penser, que comme le faisait modestement le colonel de La Combe, les commissaires de ces expositions cherchent à redynamiser la production. Cela apparaît encore plus vrai, quand nous savons que la dernière exposition est réalisée à l'initiative de la Société des Artistes lithographes français244. Cela semble porter ses fruits, puisque la lithographie est de nouveau adoptée à la fin du XIXe siècle par des artistes tels Odilon Redon

239 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 18.

240 Ibidem, p. 16.

241 ROGER-MARX, Claude, op. cit., p. 62.

242 BURTY, Philippe, « La gravure et la photographie en 1867 », La Gazette des Beaux-Arts, t. XXIII, 1867, p. 253.

243 BÉRALDI, Henri, Exposition générale de la lithographie au bénéfice de l'oeuvre l'Union Française pour le sauvetage de l'enfance, cat. exp., Paris, École des Beaux-Arts, Paris, typ. De G. Chamerot, 1891.

244 ROBICHON, François, « Fortunes et infortunes de Charlet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 122.

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(1840-1916) ou Jules Chéret (1836-1932). Ainsi, les propos de Clément de Ris sont confirmés : « Je ne vois pas que la lithographie, pas plus que la gravure, aient beaucoup à redouter du voisinage de la photographie. [É] Graveurs, lithographes et photographes peuvent donc vivre en paix à côté les uns des autres »245.

La production lithographique subit la mode artistique lancée par les artistes, mais également les critiques et les amateurs. Si elle connaît une réception rapide par les artistes, elle supporte une critique virulente dans la presse. C'est à contrecoup, après que le mouvement romantique se soit essoufflé que la lithographie est historicisée, puis institutionnalisé grâce aux expositions. Ainsi, la démarche du colonel de La Combe s'inscrit dans un mouvement général de prise de conscience pour la protection et la valorisation de l'oeuvre de ces artistes romantiques. En défendant l'oeuvre de Charlet, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se porte comme un défenseur de la lithographie originale de toute une génération.

245 CLÉMENT DE RIS, Louis, « Salon de 1859. Gravure et lithographie », L'Artiste, nouvelle série, t. VII, 12 juin 1859, p. 100.

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Chapitre troisième : Joseph-Félix Le Blanc de La Combe « l'historien de Charlet ».

I. Un monument à la mémoire de Charlet. L'ouvrage du colonel de La Combe.

A. La popularité de Charlet avant la publication de sa biographie par le colonel de La Combe.

La carrière et l'oeuvre de Charlet sont ambivalentes et reflètent en quelque sorte la personnalité de l'artiste. Peintre, lithographe, graveur, aquarelliste et même imprimeur, Charlet se présente comme le « touche à tout » de l'art du XIXe siècle. Cependant l'historiographie semble retenir principalement de sa carrière, son oeuvre lithographique dans laquelle il représente le folklore français et exprime son patriotisme. Pourtant Charlet connaît aussi une carrière officielle, qui aujourd'hui - peut-être en son heure également - est davantage négligée. Ainsi, nous nous intéresserons dans cette partie à la popularité de Charlet avant la publication de l'ouvrage du colonel de La Combe en nous appuyant sur sa biographie, son oeuvre mais aussi sur quelques exemples de texte qui lui sont consacrés avant 1854.

Charlet débute sa formation artistique sur le tard en 1817, à l'âge de vingt-cinq ans. Très vite cependant, il trouve sa voie et entreprend la publication d'abord chez Lasteyrie, ensuite chez Engelmann, puis Delpech, Motte, Villain, Bry et les frères Gihaut, d'épreuves lithographiques. Si les débuts sont difficiles, il rencontre avec la publication du Grenadier de Waterloo (fig. 31) en mars 1818, son premier succès, attesté par la livraison d'une seconde pierre chez l'imprimeur Lasteyrie 246 . Charlet impose l'iconographie du soldat et particulièrement du grognard, ce qui fait dire à Félix-Sébastien Feuillet de Conches en 1833 que :

C'est lui, en effet, qui a le mieux ravivé cette tradition perdue du grognard de l'empire bronzé sous le soleil d'Egypte, d'Italie et d'Espagne, type du héros à cinq sous par jour, maraudeur par

246 GRIVEL, Marianne, « La modernité de Charlet lithographe », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 39.

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excellence, goguenard, spirituel, insouciant, fier surtout et dominateur, et au demeurant, à ses heures, bon compagnon » 247.

Le grognard est en effet très présent dans l'oeuvre de Charlet en général et dans l'oeuvre lithographique en particulier, conséquence de son attachement à l'empereur Napoléon. Mais très vite l'artiste semble s'intéresser également aux représentations de scènes de genre pour toucher un plus large public. Les publications annuelles d'albums de croquis lithographiques entre 1822 et 1840 confirment cette nouvelle orientation. Prenant la forme de livre à l'italienne, ils sont composés de suite de planches sans texte. Le premier album sort le 9 février 1822 chez Villain, sous le titre de Recueil de croquis, à l'usage des petits enfants, par Charlet. Cette suite de huit planches semble s'adresser aux enfants comme aux parents. Dans cet univers enfantin, Charlet propose d'un côté des représentations bienveillantes pour les enfants où se mêlent les générations, à l'instar de L'école du soldat, de l'autre il propose des images au service de leur éducation comme Le croquemitaine. Charlet devient le dessinateur des familles françaises de la classe moyenne et remporte l'affection des enfants comme celle des parents. Il vise donc un double public, ce qui est confirmé par le titre de l'album de 1835 : Alphabet moral et philosophique, à l'usage des petits et des grands enfants. Charlet s'inscrit dans le contexte de production des livres abécédaires à destination des enfants et des adultes, dont le nombre croît considérablement entre 1830 et 1835, conséquence de l'application de la censure en septembre 1835248. Outre la représentation des mots qui forment son abécédaire, les images suivent un ordre symbolique. Au centre de l'alphabet, Charlet représente « Napoléon » à la lettre N. Il est entouré de « Misères de la guerre » et « Ouragan », suivi de « Regrets » puis « Souvenirs »249. À l'évidence, Charlet fait référence au retour de la campagne de Russie, qui a provoqué pour l'Europe un ouragan géopolitique, ainsi que le retour de la royauté en France et les regrets et souvenirs des anciens soldats.

Charlet trouve son public en représentant Napoléon. Il destine manifestement ses dessins à la population nostalgique de l'Empire et aux anciens soldats de l'empereur, tel le colonel de

247 FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, « Charlet », Encyclopédie des gens du monde répertoire universel des sciences, des lettres et des arts : avec des notices sur les principales familles historiques et sur les personnages célèbres, morts et vivants, par une société de savants, de littérateurs et d'artistes, français et étrangers, t. V, Paris, Treuttel et Würtz, 1833, p. 535.

248 LE MEN, Solène, « Les albums de Charlet et la genèse du réalisme », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 69.

249 FOUCART, Bruno, « Charlet, premier et primaire imagier de la légende napoléonienne », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit, p. 92.

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La Combe et le général Alexandre de Rigny (1790-1873). Le Napoléon illustré par Charlet est loin des canons esthétiques qu'ont développé avant lui David, Gros ou Vernet250. Celui de Charlet est traité de manière plus simple, peut-être plus populaire, manifestement pour plaire aux amateurs à qui il destine ses épreuves. À l'exemple de Napoléon en campagne, Charlet n'hésite pas à le représenter ; en pied certes, mais seul, de manière statique, le regard baissé et les bras croisés sur le champ de bataille. Charlet remporte l'affection du public en jouant manifestement avec sa sensibilité. Aussi, il n'hésite pas à représenter l'empereur dans un environnement domestique ou de manière populaire, tout en accordant également une place non négligeable à ceux qui le soutiennent. Dans Sire c'est à Austerlitz que j'ai été démoli (fig. 32) Charlet s'intéresse davantage à présenter le courage et la fidélité des soldats à Napoléon, qu'à mettre en lumière la bravoure de ce dernier. Il ravive ainsi les mémoires des anciens grognards de l'empereur et remportent leur affection.

Le fait de représenter l'empereur sous la Restauration induit fatalement à entretenir le souvenir de l'âge d'or de l'épopée napoléonienne. Il se présente également comme un acte de résistance, puisque remettant en cause l'hégémonie du pouvoir royal. Dans ce sens Charlet est aussi connu en son temps, comme un artiste engagé. Élevé dans le culte de l'Empire, Charlet n'hésite pas à se rattacher dès 1815 aux idées de l'opposition et détracter par la caricature le régime de Louis XVIII. Si au début, ses attaques sont discrètes en se focalisant plus aux personnalités qui entourent le souverain qu'au souverain lui-même, Charlet finit par s'en prendre directement à la figure du roi, à l'exemple de Mes chers enfants je vous porte tous dans mon coeur (fig. 33)251. Charlet s'emploie par ailleurs à représenter les combats de la Révolution de 1830, qui opposent les civils et les militaires. Cela aurait incité Decamps à écrire dans la Revue républicaine en 1835 : « Prud'hon, Géricault, Charlet, Béranger, Delacroix, tels sont les noms sur lesquels nous appuyons nos doctrines ; ce sont les artistes de la nation, ceux qui ont parlé au peuple et que le peuple a compris »252. Il semblerait que Decamps inscrit Charlet dans le mouvement libéral qui s'oppose au régime de Louis-Philippe. Pourtant, Charlet ne désavouera jamais son attachement à l'Empire. Il profite de surcroît de certains avantages sous le gouvernement du « roi des Français ».

250 Ibid, p. 89.

251 BOUDON, Jacques-Olivier, « Caricature et politique à l'époque de la monarchie constitutionnelle », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 75-77.

252 Ibid, p. 82, in TOUCHARD, Jean, La gloire de Béranger, t. II, Paris, A. Colin, 1968, p. 106.

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C'est effectivement à cette période que Charlet embrasse une originale carrière de peintre. Outre ses nombreuses aquarelles, qui remportent un certain succès du fait de la « fureur aquarello-monomanique » 253 du moment et ses quelques tableaux de petites dimensions, Charlet se présente pour la première fois au Salon, à l'âge de quarante-quatre ans, en 1836 avec La retraite de Russie (fig. 34). Grâce à sa grande composition historique, Charlet reçoit honneur et distinction. Presque à l'unanimité, les critiques s'accordent sur la qualité du tableau, à l'instar d'Alfred de Musset qui lui consacre un long paragraphe dans son article sur le Salon de 1836 de la Revue des Deux Mondes.

La Retraite de Russie, de M. Charlet, est un ouvrage de la plus haute portée. Il l'a intitulé épisode, et c'est une grande modestie ; c'est tout un poème. En le voyant on est d'abord frappé par une horreur vague et inquiète. Que représente donc ce tableau ? Est-ce la Bérésina est-ce la retraite de Ney ? Où est le groupe de l'état-major ? Où est le point qui attire les yeux, et qu'on est habitué à trouver dans les batailles de nos musées ? Rien de tout cela ; c'est la grande armée, c'est le soldat ou plutôt l'homme ; c'est la misère humaine toute seule, sous un ciel brumeux, sur un sol de glace, sans guide, sans chef, sans distinction. [É] C'est bien une oeuvre de ce temps-ci, claire, hardie et originale. Il me semble voir une page d'un poème épique écrit par Béranger254.

Alfred de Musset semble mettre en valeur le réalisme de la scène proposée par Charlet en attirant l'attention sur le traitement du soldat en faisant l'analogie aux poèmes de Béranger. Le succès est attesté par l'achat du tableau par l'État, qui l'envoie au musée des Beaux-Arts de Lyon. Malgré la réussite de cette peinture d'histoire au Salon de 1836, Charlet ne parvient pas à se faire accepter à l'Institut de France cette même année, conséquence sans doute de l'ambivalence de sa carrière. Du gouvernement de Louis-Philippe, Charlet reçoit néanmoins la commande du Passage du Rhin pour le musée historique de Versailles. S'il ne rencontre manifestement pas le même succès que La Retraite de Russie (fig. 34) présentée deux ans auparavant, ce tableau rend compte du caractère officiel qu'aurait pu prendre la carrière de Charlet, si celui-ci avait persévéré dans cette veine. Charlet revient une dernière fois au Salon en 1843, avec le Ravin, qui reçoit une critique favorable.

En comparaison à son oeuvre lithographique innombrable, c'est paradoxalement ce corpus de seulement trois peintures qui permet à Charlet d'obtenir la plus grande reconnaissance de la critique et de l'administration des beaux-arts. En effet, l'État prend conscience de son talent de

253 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 86.

254 MUSSET, Alfred de, « Salon de 1836 », Revue des Deux Mondes, t. VI, 15 avril 1836, p. 153-154.

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peintre en lui confiant en 1838, la charge de professeur à l'école Polytechnique. De surcroît, les succès de Charlet au Salon participent à revaloriser son oeuvre lithographique, qui jusqu'à présent avait été dénigrée, puisqu'aucune épreuve n'était conservée dans les collections nationales. Ainsi, la bibliothèque du roi fait l'acquisition à la vente de la collection Bruzard, en avril 1839, de huit cent dix-neuf lithographies de Charlet pour la somme de 1 600 francs255.

À cette période, Charlet est à l'apogée de sa carrière. Il est aussi populaire auprès du peuple que de l'État, ce qui incite des auteurs à s'intéresser à la question de sa biographie. Néanmoins, la carrière de Charlet est difficile à appréhender, puisque contradictoire. D'un côté, il semble s'efforcer à remporter l'attachement des classes populaires, de l'autre il participe par intermittence à la vie artistique officielle et en obtient quelques succès. À l'évidence, cela induit ses biographes à prendre position pour l'une ou l'autre partie de son oeuvre. Feuillet de Conches semble être l'un des premiers à rédiger une notice individuelle sur Charlet en 1833256. Dans cette dernière, l'auteur s'attarde longuement sur la biographie de l'artiste en présentant sa formation et sa rencontre avec Géricault. Il rend compte également du talent de dessinateur lithographe et d'aquarelliste de Charlet, mais à l'inverse, ne renseigne pas le lecteur sur sa pratique picturale. Si celle-ci reste mineure à cette période, son oubli montre que déjà à cette date l'oeuvre de Charlet est difficile à appréhender. Il semble que l'ambiguïté de son oeuvre s'accentue après sa mort, qui survient le 30 octobre 1845. Si la revue l'Illustration lui consacre le 10 janvier 1846, un frontispice (fig. 35) qui résume exclusivement son oeuvre lithographique en convoquant les thèmes qui lui sont chers ; le maître d'école, les grognards ou Napoléon, d'autres préfèrent à l'inverse s'orienter vers sa carrière d'artiste peintre, comme l'auteur anonyme du Journal des Beaux-Arts et de la littérature, qui titre son article « M. Charlet (Nicolas-Toussaint) peintre d'histoire »257. D'autres encore, à l'instar de A. Solvet préfèrent

255 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 131.

256 FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, « Charlet », Encyclopédie des gens du monde répertoire universel des sciences, des lettres et des arts : avec des notices sur les principales familles historiques et sur les personnages célèbres, morts et vivants, par une société de savants, de littérateurs et d'artistes, français et étrangers, t. V, Paris, Treuttel et Würtz, 1833, p. 532-535.

257 Anonyme, « Biographie des artistes. M. Charlet (Nicolas-Toussaint). Peintre d'histoire », Journal des Beaux-Arts et de la littérature, 1853, p. 121-124, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

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prendre le parti du consensus, en présentant à la fois son parcours de lithographe et de peintre d'histoire258.

« Sa bonté l'a rendu populaire et son talent l'a fait aimer » écrit Jules Janin dans les colonnes de L'Artiste le 4 janvier 1846, quelques mois après la mort de Charlet259. Pourtant, Charlet ne semble pas remporter sa popularité si facilement. Par ailleurs, celle-ci paraît pouvoir s'envisager en deux temps. D'abord, l'artiste est apprécié par les classes populaires pour ses albums et ses caricatures, ainsi que pour ses représentations de Napoléon, qu'il diffuse par la lithographie, ensuite il devient un artiste reconnu par l'État et une grande majorité de la critique, grâce aux grandes compositions historiques qu'il présente au Salon. Finalement c'est après sa mort que sa popularité semble la plus importante et que l'ensemble de son public se rejoint, en reconnaissant la valeur de ses épreuves lithographiques et son talent de peintre d'histoire. Charlet suscite alors une littérature importante. C'est dans ce contexte effervescent autour de la figure de Charlet, que le colonel de La Combe rédige la biographie de l'artiste en opposition « aux idées étroites qui ont dominé ses contemporains »260.

B. Les sources à disposition pour le colonel de La Combe.

Les publications du colonel de La Combe ; d'abord en 1854, ensuite en 1856, interviennent près de dix ans après la mort de Charlet et ne sont donc pas les premières à présenter la carrière de l'artiste. Jusqu'alors, aucun document ne semble proposer une étude aussi complète que Charlet sa vie, ses lettres, suivie d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique dont l'auteur travaille au plus tard depuis 1849261. La Combe consacre en effet à l'artiste un ouvrage de quatre cents pages, quant auparavant Charlet ne faisait l'objet que de courts articles publiés dans la presse spécialisée. Dans ce sens, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe exploite plusieurs sources matérielles pour l'écriture de sa monographie sur Charlet. Outre l'évocation de souvenirs et la transcription de certaines conversations qu'il a pu avoir avec son sujet, le biographe paraît entreprendre une démarche d'historien en tirant parti de la bibliographie, d'un corpus de lettres et des oeuvres de l'artiste pour rédiger son ouvrage. Il sera

258 SOLVET. A., « Charlet », Écho de la littérature et des beaux-arts, 1847, p. 34-36 in Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, ibid.

259 JANIN, Jules, « Charlet », L'Artiste, IVe série, t. V, 4 janvier 1846, p. 154.

260 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5.

261 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 28-29.

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question ici de nous intéresser à l'ensemble des moyens qu'avait à disposition le colonel de La Combe pour la rédaction de Charlet sa vie, ses lettres.

Il semble que la volonté de La Combe à consacrer un ouvrage à Charlet, lui soit venu de la correspondance qu'il possédait de l'artiste262. Aussi comme semble l'indiquer le titre, l'auteur accorde une place importante dans son ouvrage au recueil de lettres de Charlet, comme sa lettre du 23 février 1849 adressée à Hippolyte Bellangé le confirme : « Dans l'ouvrage dont je m'occupe, la partie la plus intéressante, sans doute, et très originale, sera le recueil de lettres et de documents sortis de la plume de notre ami »263. À cette date, le colonel de La Combe ne paraît pas encore avoir constituer son recueil, mais détient déjà probablement un corpus important de lettres de Charlet, conséquence de la correspondance qu'il entretenait avec ce dernier. Marianne Grivel estime à soixante le nombre d'autographes de Charlet que possédait le colonel de La Combe264. Toutefois, celle-ci ne mentionne pas la source de son information. Pour notre part, nous avons relevé dans l'ouvrage du colonel une dizaine de lettres de Charlet lui étant adressées. S'il est probable que La Combe en détient davantage, sa seule correspondance ne lui permet certainement pas de rendre compte de la biographie complète de l'artiste.

Le colonel de La Combe a ainsi récolté des lettres de Charlet auprès de la famille de l'artiste, de ses amis et de ses protecteurs. C'est dans ce sens que La Combe fait part à Bellangé de son intention de faire participer tous ceux qui ont entretenu une correspondance avec Charlet265. Visiblement, La Combe semble avoir remporté l'adhésion du cercle de l'artiste, puisque nous avons distingué au moins vingt-sept destinataires différents. Ce recensement doit probablement être inférieur au nombre d'individus qui ont participé à l'entreprise du colonel de La Combe, puisqu'il semble que l'auteur conserve l'anonymat de certains protagonistes. Les noms les plus récurrents sont sans conteste ceux des protecteurs de Charlet, à l'instar d'Alexandre de Rigny, dont nous avons relevé quatorze lettres ou encore de Musigny, un riche amateur, qui envoie au moins huit lettres de l'artiste au colonel. Au regard de l'ouvrage de La Combe, il semble que Charlet entretenait une correspondance plus dense avec ses amis

262 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 4.

263 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 33.

264 GRIVEL, Marianne, « On demande en vain... », op. cit., p. 132.

265 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 34.

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collectionneurs qu'avec les artistes. Bellangé est semble-t-il l'artiste qui fournit le plus de lettres. En outre, celui-ci livre un portrait de Charlet (fig. 36) pour illustrer l'ouvrage de La Combe, comme il le fera plus tard pour la biographie d'Henri de Saint-Georges en 1862. Eugénie Charlet266, la veuve de l'artiste, est également sollicité par La Combe. Elle lui envoie en effet, quatre lettres de son époux écrites avant leur mariage, ce qui confirme la proximité du colonel avec la famille de Charlet. La Combe transcrit également quelques lettres lui étant adressées par les amis de Charlet, à l'exemple de celle du général de Rigny, dans laquelle celui-ci présente sa rencontre avec l'artiste267. La publication de cette correspondance démontre l'amitié qui lie La Combe aux autres amateurs de l'artiste. Aussi, montre-elle l'effervescence de l'entreprise du colonel autour de la revalorisation de l'oeuvre de Charlet. Si elle est à l'évidence plus modeste, la manière dont procède Henri de Saint-Georges lorsqu'il rédige la biographie posthume du colonel de La Combe paraît analogue. Hippolyte Bellangé, Alexandre de Rigny et François-Joseph Régnier (1807-1885) de la Comédie Française, lui envoient les lettres qu'ils détenaient de La Combe. Néanmoins, c'est principalement les lettres du colonel adressée à Saint-Georges qui sont publiées dans L'historien de Charlet peint par lui-même.

Il est évident que le colonel de La Combe utilise de la bibliographie en plus des informations réunies grâce aux archives manuscrites et à la connaissance des notices publiées précédemment sur Charlet268. Si à l'instar de la grande majorité de ses contemporains, La Combe ne propose pas la liste des ouvrages consultés dans le cadre de ses recherches sur Charlet, il connaît les récentes publications de la littérature artistique en citant ponctuellement quelques références bibliographiques. Il est possible qu'il ait eu usage pour mener ses recherches de la Bibliographie de la France : ou Journal général de l'imprimerie fondé en 1811, qui recense l'ensemble des livres, revues et estampes publiés en France. Plus que pour y trouver des informations sur Charlet, il semble que son utilisation de la bibliographie lui sert à nourrir son propos, en complétant le corps de texte par des citations en note de bas de page. Ainsi, La Combe cite à propos de l'enseignement de Gros, fondé sur la copie des maîtres anciens et placé sous l'autorité de David, la monographie de Feuillet de Conches consacrée à Léopold Robert, dans laquelle l'auteur revient sur la formation de son sujet : « Et cependant David disait à ses élèves : «on peut étudier les grands maîtres ; mais c'est la nature seule qu'il

266 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 39.

267 Ibid., p. 22-23.

268 Ibid., p. 6.

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faut suivre : on se fait toujours soi-même. Je veux vous préparer pour vous, pour votre nature, et non contre nature» »269. La citation de cet ouvrage est à appréhender comme un contre argument à l'obstination académique de Gros avec certains de ses élèves, à l'exemple de Bonington, que présente le colonel de La Combe quand il s'intéresse à la formation de Charlet dans l'atelier de Gros. En effet, La Combe utilise le texte de Feuillet de Conches pour justifier la contradiction de Gros avec les préceptes de l'enseignement de David.

Le colonel de La Combe semble s'aider également de la bibliographie pour organiser la description raisonnée de l'oeuvre lithographique de Charlet. Dans ce sens, il ne paraît pas vouloir reproduire le classement adopté par Bruzard dans le Catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de Mr J. E. Horace Vernet270.

Ce n'était pas chose facile que de classer un oeuvre aussi considérable. Il y a quelques années, M. Buizard [sic.], connu par un malencontreux catalogue de l'oeuvre lithographique d'Horace Vernet, l'avait essayé. Son travail est resté inédit. Il avait adopté un espèce d'ordre par matière. Toutes les suites, toutes les pensées du maître se trouvaient perdues dans telle ou telle catégorie ; les militaires, les bourgeois, les enfants ; puis les militaires et les bourgeois réunis, etc. etc. ; il faisait même figurer dans ces cadres de simples croquis contenant à peine quelques indications271.

Il est probable que le colonel de La Combe ait consulté cet ouvrage en préparation du catalogue de l'oeuvre lithographique de Charlet. En effet, il est un modèle à ne pas reproduire pour La Combe, puisque paraît-il séparant trop les thèmes de représentation et par conséquent ne rendant pas compte de l'oeuvre lithographique complet de Vernet. Ainsi, préfère-il réaliser un catalogue divisé en dix sections, qu'il classe notamment par genre, imprimeur et période de création. À l'intérieur de ces grandes parties, La Combe propose une appréciation de la rareté des épreuves lithographiques, s'inspirant visiblement de la Description des médailles antiques grecques et romaines, avec leur degré de rareté et leur estimation de Théodore-Edme Mionnet (1770-1842), dont les publications s'étendent de 1806 à 1838272. Indiquant cette source bibliographique en préambule273, La Combe cherche vraisemblablement à légitimer son travail

269 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 11 in FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, Léopold Robert, sa vie, ses oeuvre et sa correspondance, Paris, Bureau de la Revue des Deux Mondes, 1848, p. 16.

270 BRUZARD, L. M., op. cit.

271 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 134.

272 MIONNET, Théodore-Edme, Description des médailles antiques grecques et romaines, avec leur degré de rareté et leur estimation, t. I, Paris, impr. De Testu, 1806.

273 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 203.

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en s'appuyant sur un ouvrage de référence. Ainsi, il utilise les signes déjà en usage pour indiquer le degré de rareté de ces diverses pièces : « R désigne une pièce rare ; RR - une pièce plus rare encore ; RRR - une pièce très-rare »274. À l'évidence, l'échelle d'appréciation utilisée par le colonel de La Combe résulte de son expérience de collectionneur. Par ailleurs, elle n'est pas aussi précise que celle employée par Mionnet cinquante ans plus tôt. Ce dernier distingue « jusqu'à R8, qui est la plus grande Puissance, qu'[il a] donné à cette lettre, et qui indique par conséquent que la Médaille est d'une extrême rareté »275. Peut-être que le classement des lithographies de Charlet ne demande pas une échelle de précision aussi fragmentée ou bien le colonel de La Combe ne souhaite pas s'attirer l'ironie de la critique ? La trop grande minutie des amateurs d'estampes pousse notamment Jules Champfleury à se moquer de leur comportement dans l'Hôtel des commissaires-priseurs en 1867276.

Comme Mionnet, La Combe entreprend la constitution de son catalogue à partir de sa propre collection de lithographies de Charlet. Il semble être l'un des rares amateurs à posséder l'oeuvre lithographique complet de l'artiste, ce qui lui permet de l'appréhender dans sa globalité. Néanmoins, la collection du colonel de La Combe est complète à quelques exceptions, comme l'atteste Philippe Burty dans la préface du catalogue de vente de la collection de La Combe : « Et s'il y manquait quelques-unes de ces pièces dont on ne connaît qu'une épreuve, M. de La Combe obtenait de son heureux possesseur la permission d'en faire prendre un calque fidèle par l'un des plus habiles élèves de Charlet, M. L. Canon »277. À l'évidence, le colonel de La Combe jouit d'un réseau de sociabilité assez important pour que les autres amateurs l'autorisent à faire exécuter par Canon, des fac-similés de leurs épreuves les plus rares. Cette pratique semble relativement courante dans le cercle d'amateurs que fréquente La Combe. En effet, François Parguez dispose également de calques de lithographies de Charlet réalisées par son ami le général Pierre Claude Pajol278. De surcroît, certains calques à l'exemple du Jeune garçon qu'on suppose être le fils de M. Vivant Denon (fig. 10), ont été réalisé par Canon sous la direction même de Charlet, comme le confirme Louis Clément dans le catalogue de vente la

274 Ibidem.

275 MIONNET, Théodore-Edme, op. cit., p. ix.

276 CHAMFLEURY, Jules, op. cit., p. 11. Voir p. 66 de notre mémoire.

277 BURTY, Philippe, « Préface », in PETIT, Francis, op. cit., p. X.

278 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 12.

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collection de La Combe279. Ainsi, nous avons relevé quatorze fac-similés de lithographies de Charlet dans la collection d'estampes du colonel de La Combe, à partir du catalogue de vente. Dans son intérieur tourangeau où il conserve l'oeuvre complet de Charlet, La Combe peut donc travailler à son catalogue raisonné de l'oeuvre lithographique de Charlet, sans avoir besoin de se déplacer régulièrement puisque conservant l'ensemble des pièces.

Il semble que La Combe se sert également de sa collection de peintures, aquarelles et dessins de Charlet, pour présenter certaines anecdotes dans sa monographie consacrée à l'artiste. On relève en effet dans Charlet sa vie, ses lettres, au moins quatre oeuvres de Charlet faisant partie de la collection du colonel de La Combe : Une classe en insurrection, Les vieux souvenirs, Un paysage, et La voiture du cantinier. Au travers de ces quatre oeuvres, La Combe présente davantage le caractère et les méthodes de travail de Charlet qu'il ne propose une analyse stylistique. À l'exemple de la Classe en insurrection, La Combe montre la manière dont Charlet lui a fait don de cette oeuvre. Il semble ainsi mettre en lumière son importante collection en s'intéressant ponctuellement à quelques oeuvres lui appartenant et sur lesquelles il peut également livrer à son lecteur une part de l'intimité de Charlet.

À l'évidence, la proximité du colonel de La Combe avec Charlet a facilité son travail de recherche biographique, puisque possédant déjà de nombreuses informations. Toutefois à l'instar d'un historien, le colonel de La Combe semble multiplier les sources d'informations, pour rédiger son ouvrage sur Charlet et « faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants »280.

C. « Faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants... » L'ambition du colonel de la Combe pour la mémoire de Charlet.

En ce milieu du XIXe siècle où une bonne part de la population française ne sait ni lire, ni écrire, l'ouvrage du colonel de La Combe n'est à l'évidence pas destiné à toutes les couches de la société. Priant son lecteur de l'excuser de son « insuffisance, car [il n'est] ni littérateur, ni critique, ni artiste »281, La Combe s'adresse néanmoins à un public éclairé dans le domaine des beaux-arts, à l'exemple d'Eugène Delacroix qui semble avoir connaissance de l'ouvrage dès la

279 PETIT, Francis, op. cit., p. 34.

280 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5

281 Ibidem.

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fin de l'année 1856282, ou encore de François Parguez qui possède un exemplaire de Charlet sa vie ses lettres comme en atteste le catalogue de la vente de sa collection283.

Suivant l'exemple de la biographie de Léopold Robert par Feuillet de Conches et celle de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1779) par Louis de Loménie (1815-1878)284, le colonel de La Combe paraît amorcer en France la mode de la biographie par la publication d'un corpus de lettres. Né en Angleterre au début du siècle comme semble l'indiquer La Combe dans une lettre à Henri de Saint-Georges285, ce parti narratif se développe considérablement autour des années 1860-1870 et remporte un certain succès jusqu'au début du XXe siècle. Ainsi, le récit se présente comme une alternance entre la contextualisation des événements par l'auteur, la citation ou publication de lettres entières en rapport avec les circonstances préalablement exposées et les commentaires de ces dernières. La Combe justifie sa probité intellectuelle en confirmant l'authenticité des lettres de Charlet et en reconnaissant qu'il a dût en omettre quelques parties : « Si parfois, et à notre grand regret nous avons dû y faire des suppressions commandées par divers motifs, jamais nous ne sommes permis d'en modifier la forme ou l'expression »286.

L'introduction de l'ouvrage semble débuter par un court bilan historiographique sur Charlet, dans lequel La Combe montre que jusqu'à présent l'artiste n'a pas été apprécié à sa juste valeur, hormis par un petit nombre d'amateurs.

[É] ce grand artiste a été mal jugé, nous pourrions dire méconnu. Quoique son souvenir soit encore dans toutes les mémoires, on le regarde comme un artiste d'un ordre secondaire, sauf un bien petit nombre de juges d'élites qui, l'ayant vu et étudié de plus près, ont su découvrir en ses ouvrages le sceau du génie. Pour les autres, Charlet est un homme d'esprit, sans aucun doute, mais ce n'est qu'un faiseur de caricature [É]287.

Le colonel de La Combe revient rapidement sur la réception de l'oeuvre de Charlet en distinguant deux opinions : celle des défenseurs, qui voient en Charlet un artiste

282 DELACROIX, Eugène, Journal 1855-1863, t. III, Paris, imp. Plon-Nourrit et Cie, 1895, p. 187.

283 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, op. cit., p. 14.

284 LOMÉLIE, Louis de, Beaumarchais et son temps : études sur la société en France au XVIIIe siècle d'après des documents inédits, Paris, Michel-Lévy Frères, 1855.

285 SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », Revue des provinces de l'ouest, n°4, 1856, p. 215.

286 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. p. 5.

287 Ibid., p. 3.

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pluridisciplinaire de talent, et celle des détracteurs, qui au contraire ne retiennent que ses épreuves lithographiques, mais ne les considèrent pas comme des oeuvres d'art. À l'évidence, La Combe cherche à palier l'incompréhension de l'oeuvre de Charlet par la publication de son ouvrage. La présentation de la formation de l'artiste est l'occasion d'insister sur le fait qu'il est distingué très tôt des autres élèves par son maître. Gros ne lui impose pas en effet un enseignement strict et académique, comme il le fait avec Bonington288 : « Charlet seul, suivant une route à part, fut dès le premier jour jugé et apprécié dignement par son maître, qui prédit son avenir. Aussi avec lui ne fut-il jamais question de grands prix, de concours, de voyages à Rome »289. Dans ce sens, La Combe semble appliquer à la carrière de Charlet une forme de prédestination pour la lithographie. De fait, La Combe cite non sans hasard, les félicitations de Gros à Charlet pour ses premières lithographies qu'il fait éditer chez Delpech : « «J'ai vu tel de vos compositions» lui disait-il, «c'est bien, très bien, continuez...» »290. L'auteur souligne également l'avant-garde des épreuves de jeunesse de Charlet, puisqu'appréciées par les artistes de la jeune génération, à l'instar de Géricault. Avec ce dernier, Charlet partage en 1820 un voyage en Angleterre pour la présentation du Radeau de la Méduse. Au cours de ce séjour Charlet paraît avoir initié son compagnon à la lithographie.

Les premières études lithographiques de Géricault prouvent qu'il avait peu l'usage du crayon sur la pierre ; il a dû consulter Charlet, qui maintes fois lui a apporté sa collaboration. Deux pièces à la plume, entre autres, lui appartiennent presque entièrement, quoiqu'elles soient classées dans l'oeuvre de Géricault, dont, il est vrai, elles en portent pas le nom291.

Pour preuve du talent précoce de lithographe de Charlet, La Combe donne en exemple son enseignement de la technique à Géricault. Néanmoins, il semble difficilement concevable que Charlet ait eu une grande influence sur la maîtrise de la technique lithographique de cet artiste292. En effet, Géricault livre déjà avant son départ pour l'Angleterre des pièces de grande qualité, à l'instar des Boxeurs (fig. 37) en 1818, dont le colonel de La Combe possède par ailleurs une épreuve. Aussi, La Combe protège l'oeuvre lithographique de Charlet en constituant son catalogue, qui recense mille quatre-vingt neuf épreuves. De cette manière, le catalogue vise

288 Ibid., p. 11.

289 Ibid., p. 12.

290 Ibid., p. 12.

291 Ibid., p. 18.

292 JOBERT, Barthélémy, « Charlet. Une carrière de peintre de la Restauration à la Monarchie de Juillet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 31-32.

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à « réveill[er] chez les uns des souvenirs et donn[er] aux autres le désir de connaître »293. En somme, La Combe recherche le consensus entre les défenseurs et les détracteurs des lithographies de Charlet.

La Combe présente aussi les autres médiums dans lesquelles s'est illustré Charlet. S'il passe presque sous silence les quelques dessins à l'eau-forte réalisés en 1828294 ; qui semblent d'ailleurs ne pas avoir été un franc succès, l'auteur s'intéresse particulièrement aux sépias et aux aquarelles de Charlet : « En effet, dans ces magnifiques aquarelles, dans ces sépias si vigoureuses et si transparentes, indépendamment du mérite du procédé, du dessin, de la couleur, se trouve celui de la pensée, à un degré aussi éminent que dans l'oeuvre lithographique »295. Quand il s'intéresse à un autre médium, La Combe ne peut s'empêcher de les comparer aux lithographies. Il insiste notamment sur les thèmes communs des lithographies et des aquarelles de l'artiste. Pourtant les premières sont davantage dépréciées que les secondes, qui au contraire remportent un large succès comme le fait remarquer La Combe296. La manière de valoriser les oeuvres dessinées, aquarelles et sépias paraît finalement assez proche de celle que La Combe emploie pour revaloriser la lithographie. Il fait effectivement de Charlet l'un des grands protagonistes, si ce n'est le plus important, du dessin aquarellé en France de la première moitié du XIXe siècle.

[É] Schroth, un des marchands qui les premiers comprirent si bien le commerce des dessins, fit connaître en France les aquarellistes anglais, presque tous paysagistes, il est vrai. Néanmoins les artistes français eurent à gagner dans ces importations ; ils virent que, même avec de l'aquarelle, on pouvait être vigoureux et coloriste ; alors ils ont osé. Mais déjà Charlet, lui avait osé tout seul : on a pu apprendre beaucoup de lui, il n'a eu à apprendre de personne ; et on peut même dire qu'il a inventé les couleurs à l'eau, il a inventé la véritable aquarelle, et ouvert un chemin dans lequel tant d'autres se sont précipités sans pouvoir l'atteindre297.

La Combe semble attribuer à Charlet le mérite de la rénovation de l'aquarelle en France en le présentant comme le pionnier du dessin aquarellé. Le colonel n'hésite donc pas à le comparer aux aquarellistes anglais, qui développent largement le médium à l'exemple de Bonington ou Samuel Prout (1783-1852), qu'il collectionne également. Charlet manifeste

293 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 135.

294 Ibid., p. 46.

295 Ibid., p. 85.

296 Ibid., p. 90.

297 Ibid., p. 86.

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comme eux un goût pour le paysage. Cependant La Combe accorde aux dessins de Charlet une supériorité dans la précision et dans le rendu du paysage, qui l'incite à les comparer aux oeuvres de Jacob van Ruysdael (1628-1682) à l'évidence pour le légitimer298. Enfin, La Combe fait de Charlet le précurseur des artistes peignant sur le motif299.

Joseph-Félix Le Blanc de La Combe semble accorder une place non négligeable à la carrière picturale de Charlet. Il lui consacre en effet deux chapitres et y fait ponctuellement référence dans les différentes parties de son ouvrage. Néanmoins, le colonel fait remarquer le manque d'expérience et les difficultés de l'artiste dans ce médium.

« Il attribuait principalement son manque d'adresse dans l'exécution, à ce que d'abord chez son maître Gros il avait fait peu d'études peintes d'après nature. Puis il était trop impatient d'arriver immédiatement à un résultat, gâté qu'il était par des procédés de la lithographie, de la sépia et de la l'aquarelle »300.

Il est évident que la pratique de la peinture à l'huile demande de la patience et de la concentration, que Charlet n'a pas à l'évidence. Pourtant La Combe insiste sur le fait que Charlet a du talent dans ce médium, et le justifie principalement dans le chapitre qu'il consacre presque entièrement à la réception de la Retraite de Russie (fig. 34) au Salon de 1836, dans lequel il cite en intégralité l'article élogieux d'Alfred de Musset301. Aussi, La Combe cherche semble-il à montrer la manière dont Charlet envisage la pratique de la peinture à l'huile. C'est dans ce sens que La Combe cite une lettre de Charlet écrite pendant la création de la toile qui l'a rendu célèbre, et dans laquelle il s'interroge sur ses motivations : « «Pourquoi Charlet veut-il faire de la peinture ? il devrait s'en tenir à ses lithographies. Mon coeur se brise à une idée pareille» »302. On comprend dès lors que sa pratique picturale se présente comme un défi. Charlet cherche probablement aussi la reconnaissance officielle de ses contemporains.

L'ouvrage du colonel de La Combe est autant destiné à faire connaître l'oeuvre de Charlet, que sa vie personnelle. En effet, pour l'auteur la vie de son sujet est une perspective aussi intéressante que son oeuvre, puisque les deux semblent finalement s'influencer directement.

298 Ibid., p. 87.

299 Ibid., p. 88.

300 Ibid., p. 74.

301 MUSSET, Alfred de, op. cit., in LE BLANC DE LA COMBE, Josep-Félix, op. cit., p. 91.

302 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 92.

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On a dit à raison que la meilleure biographie d'un artiste était l'histoire de son oeuvre et que c'était là qu'il fallait l'étudier et apprendre à la connaitre. Et, cependant, on peut croire que pour l'artiste qui procède de lui-même, sa vie est un commentaire utile de ses ouvrages. Puis on veut des détails intimes, des anecdotes, des lettres, etc. etc. ; si tout cela se demande pour les autres, à plus forte raison doit-on l'exiger pour Charlet303.

L'oeuvre et la vie de l'artiste sont effectivement très liées. L'ouvrage du colonel de La Combe donne également la possibilité de connaître le contexte de création de certaines oeuvres, mais surtout permet de rendre compte des relations qu'entretenaient Charlet avec ses amis. De nombreux amateurs sont alors cités, à l'exemple de ses plus fidèles protecteurs, dont le général de Rigny, François Parguez, Auguste Moufle, Feuillet de Conches, Hippolyte Lalaisse et évidemment le colonel de La Combe. Le biographe semble de cette façon rendre hommage à l'ami plus qu'au peintre, en évoquant le souvenir de leur amitié par la publication des lettres de Charlet. Cette volonté justifie finalement le parti narratif adopté par le colonel de La Combe. En effet les lettres retranscrivent le comportement de l'artiste avec ses amis et participent à la connaissance de sa personnalité. Grâce au vaste corpus de lettres réuni par La Combe, Charlet est présenté en différentes émotions et sous différents angles. Elles le montrent en effet comme un personnage attentif à ses amis, parfois mélancolique, mais plus souvent volubile, comme en témoigne les quelques vers extraits de la lettre du 7 octobre 1833 adressée au colonel de La Combe lorsque Canon est à Tours.

Pour des rillettes,
Et caetara,
De mauvaises lettres
On écrira ;
Et puis je recevrai tout ça (les rillettes).
Alleluia304.

Par la publication de ces vers en particulier et par l'édition de ses lettres, La Combe présente le caractère de son ami. La publication des lettres de l'artiste est aussi l'occasion pour La Combe de confirmer la qualité d'écrivain de Charlet, qu'il défend dans son introduction305. Il s'appuie également sur la citation d'une partie de l'ouvrage de Charlet écrit à partir de 1839, La Plume causerie artistique, « en guise de préface à son cours de cinquante-deux dessins à la

303 Ibid.., p. 5.

304 Ibid., p. 70.

305 Ibid, P. 4.

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plume »306. L'auteur de Charlet sa vie, ses lettres se distingue ainsi des autres biographes de l'artiste, puisqu'en effet aucun ne l'avait envisagé comme tel auparavant. La forme et l'expression de Charlet semblent lui être effectivement caractéristique. La Combe légitime ainsi le registre de langue avec lequel s'exprime l'artiste. En effet, les lettres de Charlet sont souvent rédigées dans un niveau de langue familier. Pourtant « si c'est être écrivain que de trouver des tours neufs, des formes originales, des expressions incisives, pittoresques, qui enrichissent la langue ; si c'est être écrivain que de créer des proverbes, cette sagesse des nations ; certes à tous ses titres, Charlet peut prendre rang parmi les hommes qui ont écrit »307. Charlet apprécie en effet les jeux de mots et les calembours. Néanmoins, cette tonalité familière se retrouve davantage dans sa correspondance, que dans la Plume ; écrit à destination de ses élèves de l'école Polytechnique, ce qui démontre que ses lettres n'étaient pas vouées à être publiées. À l'évidence, elles relèvent de son intimité.

Charlet sa vie, ses lettres se présente comme l'oeuvre d'un ami consacrée à la mémoire d'un ami. L'auteur paraît avant tout rendre hommage à l'oeuvre, la carrière et au caractère de Charlet. Dans ce sens, la démarche de La Combe est relativement similaire à celle du poète Auguste Moufle, qui en 1839, publie un Épitre à Charlet. L'auteur narre avec solennité l'oeuvre et la vie de Charlet depuis son enfance jusqu'à sa carrière de peintre d'histoire, mais salue aussi le tempérament de l'artiste. En guise de conclusion, Moufle rédige ces quelques vers :

En écrivant ces vers j'ai formé qu'un voeu : Puisses-tu les trouver dignes de ton aveu, Applaudir aux effets de ma muse inquiète, Et du titre d'ami décorer le poète 308!

Si Moufle fait honneur à son sujet en reconnaissant sa qualité d'artiste et d'ami, il semble par ailleurs avoir pour ambition d'obtenir la reconnaissance publique de Charlet et probablement aussi celle de ses lecteurs. Les relations amicales avec les artistes sont en effet valorisantes pour les amateurs. En publiant les lettres de Charlet qui lui étaient adressées, La Combe présente ostensiblement leur amitié. La proximité que révèle leur correspondance permet ainsi à La Combe de se poser comme le biographe incontestable de Charlet, ce qui lui donne la possibilité de garantir au lecteur l'authenticité et la valeur des propos qu'il exprime.

306 Ibid., p. 109.

307 Ibid. p. 4.

308 MOUFLE, Auguste, Épître à Charlet, Paris, Imprimerie de E. Duverget, 1839, p. 24.

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II. Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Nicolas-Toussaint Charlet, deux destins indissociablement liés.

A. La réception critique de Charlet sa vie, ses lettres.

Lorsque le colonel de La Combe envoie son manuscrit à deux éditeurs parisiens en vu de sa publication, il semble que ces mots lui aient été renvoyés: « Cela n'a aucune valeur, n'aura aucun succès, et ne fera pas ses frais »309. Ce refus de faire éditer son ouvrage à Paris, paraît inciter La Combe à entreprendre la publication à ses frais310 chez l'imprimeur tourangeau, J. Bouserez. Toutefois à l'inverse de ce que prévoyait les éditeurs, le livre connaît un succès éditorial dès sa parution en octobre 1856311. En effet, cette publication est fortement médiatisée dans la presse spécialisée, puisqu'au minimum sept articles lui faisant référence sont publiés312. À travers l'ensemble des commentaires parus à l'occasion de la sortie du livre du colonel de La Combe, il serait intéressant de présenter la réception critique de Charlet sa vie, ses lettres pour appréhender dans la suite de la partie, son influence sur la réputation de La Combe et la renommée de Charlet.

L'ensemble des critiques reconnaît la valeur de Charlet sa vie, ses lettres et salue à l'unanimité la démarche de son auteur. Ainsi, Auguste de Belloy écrit dans son article publié dans La Revue Française que cette publication est « l'une des plus intéressantes, des plus neuves, des mieux conduites que l'on ait vues depuis longtemps »313, tandis qu'Henri de Saint-

309 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 35.

310 Ibid., p 35.

311 Bibliographie de la France ou Journal général de l'imprimerie et de la librairie, n° 43, 25 octobre 1856, p. 1079.

312 BELLOY, Auguste de, « Charlet sa vie, ses lettres », Revue Française, s. l. n. d., p. 18-27, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

CLÉMENT DE RIS, Louis, « Toussaint Charlet. Charlet sa vie, ses lettres par M. De Lacombe », L'Artiste, 6ème série, t. II, 2 novembre 1856, p. 262-265.

CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., 9 novembre 1856, p. 275-278.

DELACROIX, Eugène, « Charlet », Revue des Deux Mondes, seconde période, vol. 37, 1er janvier 1862, p. 234242.

GRANDMAISON, Charles de, « Charlet artiste et écrivain », La correspondance littéraire, n° 5, s. l. n. d., p. 101103, in Anonyme, Recueil factice de pièces sur Nicolas-Toussaint Charlet, S. l. n. d.. Conservé à la BnF, cote YB3-601-8.

SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », Revue des provinces de l'ouest, n°4, 1856, p. 193-216.

313 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 19.

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Georges dans la Revue des provinces de l'ouest s'efforce de faire « connaître le puissant intérêt de cette attrayante étude biographique et le remarquable talent de son auteur »314. Si Louis Clément de Ris, le premier à commenter La Vie de Charlet, apprécie le style « simple et naturel »315 du colonel de La Combe, il reconnaît aussi son travail d'historien. Ainsi, le critique semble apprécier le mode de narration épistolaire de l'ouvrage pour l'impartialité qu'elle induit et pour l'apport « d'une masse de faits assez solides pour permettre d'y baser une appréciation équitable »316. Il semble que la transcription de la correspondance de Charlet suscite un intérêt particulier chez tous les critiques, qui découvrent alors le caractère et la vie personnelle de Charlet, mais surtout s'étonnent de sa qualité d'écrivain que La Combe cherchait à mettre en lumière dès son introduction. Tous font référence à ce talent caché et s'attardent plus ou moins longuement à ce sujet, comme Clément de Ris qui lui consacre une partie importante de son étude.

Ce pieux monument révèle un talent caché de Charlet d'autant plus intéressant qu'il était à peu près inconnu jusqu'à ce jour. Je veux dire l'écrivain. Oui, Charlet était un écrivain, un écrivain de talent original. Incorrect, débraillé, plein de taches que le goût réprouve, son style n'est certes pas académique, et je ne le recommande pas aux faiseurs de cours de littérature ; mais il est doué d'une personnalité qui n'a rien de bizarre, et n'en est que plus vive ; il est clair, coloré, non surchargé, animé, rapide. [É] Oui, j'ai pris un vif plaisir à lire ces lettres. Ça a été une heureuse surprise dans un genre où les surprises sont si souvent malheureuse, et à un moment où la pauvre langue française reçoit de si triste accrocs317.

Comme en témoigne cette citation, le critique semble particulièrement sensible à la qualité d'écrivain de Charlet, en défendant ardemment son style littéraire et l'intelligence de ses tournures. Peut-être que dans le contexte de simplification de la langue française, Clément de Ris voit en la verve de Charlet « l'esprit gaulois »318 auquel le colonel de La Combe faisait référence. Si cela venait à être confirmé, il serait probablement envisageable d'appréhender la sensibilité pour le style de Charlet comme une forme de patriotisme.

Dans une majorité des critiques parus à propos de cet ouvrage, il semble que la qualité de peintre, graveur et lithographe de Charlet soit paradoxalement moins retenu que son intimité,

314 SAINT-GEORGES, Henri de, « Charlet et son historien », op. cit., p. 215.

315 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 262

316 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 262

317 Ibid., p. 262-263.

318 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5.

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comme en témoigne ce court passage de l'article de Charles de Grandmaison (1824-1903) publié dans La correspondance littéraire : « On se plaît à étudier ainsi Charlet dans ses lettres, à connaître ses habitudes et ses goûts, et vraiment nous avons été charmé de voir qu'il adorait le bric à brac »319. On constate que ce sont ses activités en marge de sa carrière d'artiste, ici le collectionnisme, qui sont principalement mises en exergue. Dans ce sens, il est possible de s'interroger sur l'ambition du colonel de La Combe à travers la publication de son ouvrage. L'auteur préférait-il revaloriser l'oeuvre ou plutôt mettre en évidence le caractère et la vie quotidienne de Charlet ? Il semble qu'Eugène Delacroix confirme la seconde hypothèse dans son journal à la date du 26 janvier 1859.

Je ne suivrai pas l'auteur de la Vie de Charlet dans la partie anecdotique de son histoire. Cette partie y occupe une grande place ; ami du grand artiste, il a connu une foule de particularités, et il a fait ressortir comme il le doit les parties honorables de son caractère. Il s'en est fait en quelque sorte un pieux devoir, et on ne peut que lui donner des éloges à cet égard, comme pour les parties de son ouvrage où il fait ressortir les qualités de l'illustre dessinateur. Telle n'est pas la tâche d'un contemporain de Charlet, artiste comme lui, qui entreprend de ramener le public à une estime de ses ouvrages égale à leur mérite. En étalant aux yeux la partie intime de sa vie, il se trouve en contradiction avec cette opinion dans laquelle il n'a fait que s'affermir de plus en plus320.

Delacroix reconnaît à l'évidence le travail important mené par le colonel de La Combe et l'en félicite. Mais la « foule de particularités » sur la vie de Charlet proposée par La Combe, paraît polluer quelque peu la valorisation de l'oeuvre de l'artiste et semble entretenir selon Delacroix l'ambivalence de sa carrière et son statut de faiseur de caricature. En 1865, Charles Blanc (1813-1882) rejoint Delacroix sur ce point en reconnaissant également que la première partie de l'ouvrage du colonel de La Combe est à l'évidence trop complète et que les trop nombreuses lettres de Charlet « écrites dans un style qui n'est jamais sérieux, et qui ne sort pas ou presque du jargon des ateliers et de l'argot du soldat, finissent par fatiguer le lecteur, et nuisent à l'idée qu'on se fait de l'esprit du maître »321. Les réflexions de Delacroix interviennent en amont de son article sur Charlet publié le 1er janvier 1862 dans la Revue des Deux Mondes, dans lequel il s'intéresse particulièrement aux questions de la carrière et de l'oeuvre de Charlet. Delacroix met à l'évidence moins de sentiment et paraît plus distant que ne l'était le colonel de

319 GRANDMAISON, Charles de, op. cit., p. 103.

320 DELACROIX, Eugène, Journal 1855-1863, op. cit., p. 371.

321 BLANC, Charles, « Charlet », Histoire des peintres de toutes les écoles. École française, t. III, Paris, Jules Renouard Libraire-Éditeur, p. 210.

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La Combe, puisque ne citant à aucune reprise la correspondance de Charlet. Il insiste sur la qualité de dessinateur et sa facilité à l'exécution, et attire particulièrement l'attention sur le réalisme des physionomies des personnages, peut-être pour trouver l'affection de ses contemporains baignés dans le mouvement réaliste.

À l'instar des autres critiques, Delacroix fait référence dans son article au « catalogue consciencieux et parfaitement raisonné »322 de l'oeuvre lithographique de Charlet dressé par le colonel de La Combe. Tous reconnaissent en effet la qualité du travail et félicitent notamment la « description méthodique aussi claire et bien réussie qu'elle était difficile à mener »323. Toutefois Charles de Grandmaison et Louis Clément de Ris conseillent à La Combe de compléter la seconde partie de son ouvrage. Grandmaison propose par exemple au colonel de La Combe de réaliser le catalogue de l'oeuvre dessiné de Charlet pour compléter son travail remarquable324. Si cette tâche semble difficile à mener en conséquence de la grande dispersion des oeuvres de Charlet, le conseil de Clément de Ris paraît quant à lui plus objectif et plus facilement réalisable, en incitant La Combe à rajouter dans son catalogue les pièces gravées d'après Charlet et une table chronologique qui permettrait « l'étude comparée des débuts, des modifications et des progrès de Charlet »325. Il semble que La Combe ait entrepris cette démarche l'année suivant la publication de la première édition en collaboration avec son ami Henri de Saint-Georges. Ainsi La Combe écrit à Saint-Georges peu de temps avant son décès, le 27 février 1862 :

Je viens de refondre ma première section, les Portraits. J'adopte décidément l'ordre alphabétique. Ceci fait, il ne me reste plus grand'chose [sic.] à dire. Ma table chronologique est terminée. Dans la table des matières, j'ai peu de choses à changer. Ainsi, quoi que vous disiez, j'espère que dans cinq ou six mois je serai prêt, et pourrait commencer l'impression du livre326.

La Combe semble appliquer les conseils de Clément de Ris en modifiant d'une part l'organisation de la première section de son catalogue des lithographies de Charlet, de l'autre en proposant une table chronologique. À cette occasion, il paraît revoir également la partie

322 DELACROIX, Eugène, op. cit., p. 240.

323 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 27.

324 GRANDMAISON, Charles de, op. cit., p. 103.

325 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 278.

326 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de CharletÉ, op. cit., p. 39.

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biographique327. Peut-être que la première édition a permis de découvrir d'autres lettres comme l'espérait La Combe en introduction de son ouvrage328. L'édition revue et corrigée de Charlet sa vie, ses lettres devait probablement être imprimée chez Mame sous la direction d'Henri Fournier (1800-1888), comme semble l'indiquer une lettre du colonel adressée à Saint-Georges329. Cependant cette seconde édition ne sera jamais publiée, puisque le colonel décède le 18 mars 1862, sans que l'ensemble des corrections n'ait été terminé.

Il semble qu'au travers de la publication de Charlet sa vie, ses lettres, le colonel de La Combe gagne son pari de : « faire connaître à la France un de ses plus dignes enfants »330. Les critiques favorables que reçoivent l'ouvrage et son auteur montrent qu'en effet un intérêt particulier pour Charlet est en train d'émerger. Par ailleurs si l'ouvrage avait l'ambition de faire partager la qualité d'écrivain de Charlet, il semble de surcroît que sa publication à fait découvrir également celle du colonel de La Combe, en plus de son talent d'historien et sa pratique de la collection.

B. Charlet sa vie, ses lettres. Quels apports pour la réputation du colonel de La Combe et la renommée de Charlet ?

Les années suivants la parution de Charlet sa vie, ses lettres semblent décisives pour la réputation du colonel de La Combe et celle de Charlet. C'est à partir de cette période en effet que l'on retrouve les premières notices biographiques sur La Combe dans les dictionnaires et encyclopédies, à l'instar de celle publiée dans le Dictionnaire des contemporains de Gustave Vapereau (1819-1909) en 1861331. Dans celle-ci, La Combe est autant présenté pour sa récente carrière d'écrivain, sinon plus que pour sa carrière militaire. Dans ce sens, les contemporains du colonel de La Combe paraissent l'associer irrévocablement à Charlet depuis la publication de son ouvrage. De cette manière, il serait intéressant d'étudier la façon dont se traduit la parution de Charlet sa vie ses lettres sur la réputation du colonel de La Combe de son vivant et sur la renommée de Charlet.

327 Ibid., p. 38.

328 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 4.

329 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 39.

330 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 5.

331 VAPEREAU, Gustave, « LACOMBE (Joseph-Félix LEBLANC DE) », Dictionnaire des contemporains, Paris, Hachette, 1861, p. 996.

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« Le moment où son mérite fut le plus exalté coïncide avec la publication du catalogue de son oeuvre lithographié »332 écrit Henri Béraldi en 1886. En effet, il semble que les critiques et les amateurs soient nombreux à se ré-intéresser à Charlet. Pour preuve, la cote de ses lithographies paraît remonter considérablement pour atteindre des prix jusqu'alors inégalés. Pour exemple, rappelons seulement qu'en 1839 la collection de lithographies de Charlet appartenant à Bruzard est acquise pour 1600 francs par la Bibliothèque du roi 333 . En comparaison les lithographies de Charlet provenant de la collection Parguez sont vendues 2 700 francs334, soit près du double en l'espace de vingt ans, mais surtout peu de temps après la publication de Charlet sa vie, ses lettres. Néanmoins l'intérêt pour Charlet depuis la parution de cet ouvrage paraît irriter certains critiques, à l'instar de Charles Baudelaire (1821-1867) qui reste sévère envers l'artiste.

En résumé : fabricant de niaiseries nationales, commerçant patenté de proverbes politiques, idole qui n'a pas, en somme, la vie plus dure que toute autre idole, il connaîtra prochainement la force de l'oubli, et il ira, avec le grand peintre [Horace Vernet] et le grand poète [Pierre-Jean de Béranger], ses cousins germains en ignorance et en sottise, dormir dans le panier de l'indifférence, comme ce papier inutilement profané qui n'est plus bon qu'à faire du papier neuf335.

Ce n'est probablement pas de manière innocente que Baudelaire publie un réquisitoire cinglant contre Charlet, un an précisément après la parution de l'ouvrage du colonel de La Combe. Cela montre que l'opposition perdure entre les défenseurs et les protecteurs de Charlet. À l'inverse Charlet sa vie, ses lettres paraît susciter chez quelques critiques de l'intérêt pour la carrière de l'artiste. Tel est le cas d'Émile Cantrel, qui en août 1859, publie une chronique sur Charlet dans L'Artiste336. Après avoir introduit son sujet en défendant le renouvellement de l'art, Cantrel donne à Charlet une place considérable dans l'histoire de l'art, peut-être sous l'influence de La Combe et en réponse à Baudelaire : « Dans une histoire raisonnée de la peinture, c'est donc à lui, l'homme de l'Empire et de la révolution de Juillet qu'appartiendrait

332 BÉRALDI, Henri, Les graveurs du XIXe siècle. Guide l'amateur d'estampes modernes, t. IV, Paris, L. Conquet, p. 112.

333 GRIVEL, Marianne, op. cit., p. 131.

334 DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIÈRES, Jean-Eugène, Collection Parguez, op. cit., p. 12. Exemplaire de la Bibliothèque nationale de France, [en ligne] : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k380103z.

335 BAUDELAIRE, Charles, « Quelques caricaturistes français », Présent, octobre 1857. Consulté in : BAUDELAIRE, Charles, OEuvres complètes de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy frères, 1868, p. 397.

336 CANTREL, Émile, « Artiste contemporain : Charlet », L'Artiste, nouvelle série, t. VII, 1859, p. 230-236.

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la première place »337. Il est probable que la lecture de l'ouvrage du colonel de La Combe ait influencé quelque peu son jugement. En effet, avant la publication de cette première monographique sur Charlet, l'artiste souffrait finalement de son manque d'image et de l'ambivalence de sa carrière. Cantrel poursuit son étude sur Charlet en citant de longs extraits de l'ouvrage du colonel de La Combe et particulièrement la correspondance de Charlet. Le critique semble privilégier en ce sens la présentation de la vie personnelle de l'artiste et sa qualité d'écrivain, plus que sa carrière de peintre et de dessinateur. Il débute en effet son étude biographique par la lettre à Ludovic Vitet, dit Louis (1802-1873) dans laquelle Charlet demande un logement à l'école des beaux-arts, avant de poursuivre par la réponse aux renseignements biographiques demandés par Feuillet de Conches338. Ce n'est finalement qu'à la fin de son article que Cantrel donne la source de ses informations :

Un des amis de Charlet, que je n'ai eu qu'une fois l'occasion de nommer, M. de la Combe, ancien colonel d'artillerie, a publié un livre intitulé : Charlet sa vie, ses lettres ; suivi d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique. [É] J'ai fait plus d'un emprunt à ce livre, j'aurai voulu le citer tout entier, - mais M. de la Combe ne peut m'en vouloir : - Il sait que l'on emprunte qu'aux riches339.

Depuis la publication de son ouvrage La Combe se présente comme l'historien et le spécialiste indiscutable de Charlet. Outre la chronique d'Émile Cantrel, un autre article sur Charlet citant aussi longuement l'ouvrage du colonel de La Combe est publié dans le Magasin pittoresque en 1858340. Cependant cet article se distingue par l'intégration d'illustrations d'oeuvres inédites de Charlet conservées dans la collection du colonel de La Combe : Charlet dans son atelier (fig. 5), L'Hôpital (fig. 6), Le Cinq Mai (fig. 38) et Le Paganini de la Grande-Pinte (fig. 39). Si l'article du Magasin pittoresque ne propose pas une analyse stylistique ni même une description de chaque oeuvre, il semble néanmoins que les images n'aient pas été choisies au hasard, puisqu'elles sont caractéristiques de la vie et de la production de Charlet. Ainsi, la première illustre les conditions précaires dans lesquels vivait Chalet et fait écho à la lettre du général de Rigny adressée à La Combe, dans laquelle il raconte sa visite dans le

337 Ibid., p. 231.

338 Ibidem.

339 Ibid., p. 236.

340 Anonyme, « Quatre dessins inédits de Charlet », Magasin Pittoresque, t. XXVI, octobre 1858, p. 321-327.

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modeste atelier de l'artiste341. L'Hôpital ou La mort du cuirassier342 (fig. 6) fait à l'évidence référence à l'attachement de Charlet à la grande armée napoléonienne, à l'instar du Cinq mai (fig. 38) qui représente un vétéran assis dans son fauteuil apprenant à la lecture de son journal la mort de Napoléon à Sainte-Hélène. Placé au dessus du texte présentant la mort de Charlet343, le Paganini de la Grande-Pinte ou Le musicien344 (fig. 39) interprète probablement un requiem à la mémoire de l'artiste. Le fait de présenter des oeuvres ayant un rapport direct avec les éléments exposés dans le texte entretient finalement l'idée du colonel de La Combe, à savoir la proximité entre l'oeuvre et la vie de Charlet. Aussi, il est probable qu'il ait eu un échange - direct ou épistolaire - entre le rédacteur de l'article et le colonel de La Combe pour publier des illustrations d'oeuvres de sa collection. À l'évidence la publication de Charlet sa vie ses lettres a profité à la réputation de la collection du colonel de La Combe, puisque présentée à l'intérieur de ce livre, mais aussi dans les différents articles faisant la critique de l'ouvrage, à l'instar de ceux d'Auguste de Belloy345, de Louis Clément de Ris346, d'Henri de Saint-Georges347 et même d'Eugène Delacroix348.

C'est probablement l'importante médiatisation de la collection dans la presse qui incite Adrien Dauzats (1804-1869), peintre mais aussi jury pour l'admission des oeuvres d'art à l'Exposition universelle de Londres en 1862349, à contacter vers la fin de l'année 1861 le colonel de La Combe pour le prêt de plusieurs oeuvres de Charlet350. À l'évidence, la demande de Dauzats se présente comme une reconnaissance officielle pour La Combe, puisque de cette manière il est consacré comme le spécialiste de Charlet mais aussi comme son plus important collectionneur. La demande de prêt de quelques oeuvres de Charlet se présente également comme une consécration pour l'artiste, car à l'occasion de l'Exposition universelle Charlet

341 Ibid., p. 321 in LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 22.

342 PETIT, Francis, op. cit., p. 12.

343 Anonyme, « Quatre dessins inédits de Charlet », op. cit., p. 327.

344 Ibid., p. 17.

345 BELLOY, Auguste de, op. cit., p. 27.

346 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 278.

347 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit., p. 215-216.

348 DELACROIX, Eugène, « Charlet », op. cit., p. 234.

349 Commission impériale, Rapport de l'administration de la commission impériale sur la section française de l'Exposition universelle de Londres de 1862, Paris, Imprimerie de J. Claye, p. 174.

350 SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet, op. cit., p. 40.

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défend les couleurs de l'art français aux yeux de l'ensemble des européens. La Combe entretient Saint-Georges de cette récente proposition dans sa lettre du 4 janvier 1862 : « il m'en coûtera beaucoup de me séparer de mes dessins pendant huit ou dix mois ; mais puis-je me refuser à la gloire de Charlet ! »351. Il semble que la section française à l'Exposition universelle de Londres réserve en effet une place relativement importante à l'artiste, puisque La Combe prévoit d'envoyer une grande composition de seize aquarelles et dessins352 en plus des Soldats jouant aux cartes dans une auberge sous Louis XV prêtés par « M. Ad. Henee »353 et d'une série de treize lithographies354. Quinze oeuvres de la collection de La Combe sont retenues par la commission officielle pour être exposées dans un même cadre sur la muraille est de l'Albert's Road355 : L'officier invalide et ses deux enfants (Le cinq mai356) (fig. 38), Un paysage, Deux soldats blessés (Les deux convalescents357), Les petits Savoyards, Paysage, La Maitresse d'école358, Le Cuirassier mourant (La mort du cuirassier359) (fig. 6), Dragon d'élite360, Le Mémoirier, Le Cuirassier à pied (Cuirassier à pied en grande tenue361), Un paysage, Les deux ivrognes (Les amis en goguette362), Le Paralytique , La Prière, Le vieux Pâtre. Ce sont manifestement les oeuvres les plus importantes de Charlet qui sont envoyées à Londres. En effet, la majeure partie de ces pièces font partie des oeuvres vendues les plus chers à la vente de la collection du colonel de La Combe, à l'instar de La mort du cuirassier (510 francs) (fig. 6), du Dragon d'élite (1105 francs) ou du Cinq mai (410 francs) (fig. 38), bien qu'il faut considérer également que leur présentation à l'Exposition universelle a probablement eu une influence sur leur cote. La consécration officielle du colonel de La Combe intervient finalement à titre posthume, puisqu'il décède peu de temps avant l'envoi de ses oeuvres à l'Exposition universelle

351 Ibid., p. 41.

352 Ibidem.

353 Commission impériale, Catalogue officiel de la section française à l'Exposition universelle de 1862, Deuxième partie, Paris, Imprimerie Impériale, 1862, p. 24.

354 Ibid., p. 41.

355 Commission impériale, Ibid., p. 30

356 PETIT, Francis, op. cit., p. 13.

357 Ibidem.

358 Ibidem.

359 Ibid., p. 12.

360 Ibidem.

361 Ibid., p. 13.

362 Ibid., p. 17.

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de Londres. Philippe Burty informe les lecteurs de la Chronique des arts et de la curiosité du décès du colonel de La Combe en faisant référence à l'envoi de plusieurs aquarelles de Charlet à l'exposition londonienne.

Une lettre que nous recevons de Tours au moment de mettre sous presse, nous annonce la mort subite de M. le colonel de La Combe. Par une singulière et touchante coïncidence, c'est pendant qu'il s'occupait de l'artiste auquel il avait voué un véritable culte, que l'historien de Charlet a été frappé par la mort : il disposait dans des cadres des aquarelles de Charlet, choisies parmi les plus belles de sa collection, pour les envoyer à l'Exposition de Londres363.

L'expéditeur tourangeau informant Philippe Burty est probablement aussi un amateur d'art. Toutefois à l'inverse de ce que Burty avance, il semble que le colonel de La Combe n'avait pas encore encadré les oeuvres qu'il devait envoyer, puisque elles sont retrouvées dans sa chambre, rangés dans un carton, comme en témoigne l'inventaire de ses biens364. Les oeuvres seront envoyées à Londres par les héritiers du colonel de La Combe.

À l'évidence, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe tient sa réputation de la publication de sa monographie sur Charlet qui se présente comme la référence incontestable sur l'artiste. À l'inverse, Charlet doit son ressaut d'intérêt au colonel de La Combe par la parution de sa biographie. En somme, il semble que les deux hommes soient redevables l'un de l'autre de leur succès. Toutefois, on peut s'interroger sur la postérité des deux amis une fois le colonel de La Combe décédé.

C. La postérité de Charlet et du colonel de La Combe.

En 1856 le colonel de La Combe semblait avoir bon espoir pour la postérité de Charlet : « Nous nous trompons fort, ou Charlet grandira dans la postérité : Il aura transmis la figure vraie, si poétique qu'elle soit, du soldat-héros de cette grande épopée militaire de la République et de l'Empire »365. C'est peut-être justement cela qui peu de temps après la mort du colonel de La Combe participe au désenchantement des amateurs pour la production artistique de Charlet, ajouté à un désintérêt collectif pour la lithographie. Si les représentations de l'épopée napoléonienne héritières du vocabulaire esthétique de Charlet perdurent notamment sous le pinceau d'Hippolyte Bellangé, il semble néanmoins que sous le Second Empire, les peintres

363 BURTY, Philippe, « Nouvelles », Chronique des arts et de la curiosité, n° 17, 23 mars 1862, p. 4.

364 Inventaire après décès de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, op.cit. f° 33.

365 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit., p. 3.

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soient emprunts à de plus hautes ambitions lorsqu'ils illustrent Napoléon Ier, comme le fait remarquer François Robichon366. Ainsi il nous semble intéressant de conclure ce chapitre sur la postérité de Charlet et du colonel de La Combe qui lui est toujours associée.

Peu de temps après la mort de La Combe la popularité de Charlet fléchit, comme semblait le pressentir Louis Clément de Ris dans sa critique sur Charlet sa vie, ses lettres en novembre 1856 :

Charlet, comme artiste, grandira-t-il dans la postérité, ainsi que le dit son biographe ? Je ne le pense pas ; mais il se pourrait qu'ici l'amitié se fût trompé de terme. [É] Charlet est avant tout un artiste sincère, et, c'est, je crois, ce mérite qui le distinguera aux yeux de ce juge sévère invoqué par M. De Lacombe. Il ne grandira pas, du moins je le crois, mais il se séparera de la foule, il aura une place bien à lui, et qui, pour ne pas être au premier rang, n'en sera que plus tranchée dans la foule plus nombreuse qui l'entoure. Charlet a créé un type : il a fait revivre à nos yeux, sous une forme aussi héroïque que vraie, ces hommes de fer qui, pendant vingt ans, ont promené nos drapeaux victorieux sur les routes de trois mondes. Le soldat de la république et de l'empire, le grognard, ce bourru bienfaisant militaire, est un personnage qui, grâce à lui, ne périra plus367.

La pondération de Clément de Ris semble justifiée. En effet, La Combe n'est à l'évidence pas impartial lorsqu'il fait publier Charlet sa vie, ses lettres, dans lequel il présente longuement la vie de Charlet et défend vivement son oeuvre. Toutefois, Clément de Ris reconnaît l'apport de Charlet dans la représentation des soldats et particulièrement des grognards, faisant de ces sujets les thèmes privilégiés de la carrière de l'artiste. En 1865, soit près de dix ans après la publication de l'ouvrage du colonel de La Combe, les soldats de Charlet semblent souffrir également de l'évolution des goûts, comme en témoigne cet extrait de l'Histoire des peintres de l'école française de Charles Blanc.

Ah ! sans doute, il est dans l'oeuvre de Charlet bien des choses qui n'ont point survécu aux circonstances, bien des beautés relatives au temps qui passe, aux idées qui changent, aux sentiments qui se modifient ; et nous même nous n'avons plus ; il s'en faut pour ses grognards et leurs aphorismes que nous n'en avions dans les premières années de notre jeunesse [É] mais il est dans cet oeuvre de Charlet d'une portée humaine, d'une moralité profonde, des traits de satire

366 ROBICHON, François, « Fortunes et infortunes de Charlet », in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 117.

367 CLÉMENT DE RIS, Louis, op. cit., p. 263.

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impérissables, des paysages ravissants, des façons de voir la nature très originales et très vraies, des beautés enfin que l'on peut dire absolues, car elles ne passeront point368.

À l'évidence l'oeuvre de Charlet n'est plus regardé du même oeil par Charles Blanc et ses contemporains. En effet, les grognards qui ont accompagné toute une génération paraissent quelque peu désuets au moment où Blanc rédige sa notice sur l'artiste. Le critique reconnaît alors des qualités à l'oeuvre de Charlet, qui, hormis le colonel de La Combe, n'avaient été relevé par aucun autre commentateur à l'instar du traitement du paysage. Il semble bien toutefois que ce soit les soldats et les grognards qui permettent à Charlet d'entrer dans la postérité, comme le faisait justement remarquer le colonel de La Combe dès les premières lignes de son introduction. À la chute du Second Empire, l'oeuvre militaire de Charlet est effectivement regardée par la nouvelle génération de peintres de bataille, à l'exemple d'Édouard Detaille (1848-1912) ou d'Alphonse de Neuville (1835-1885) comme une source documentaire importante pour la retranscription de la vie du soldat. Si comme le fait remarquer François Robichon l'ouverture de la Troisième République n'est pas favorable à la légende napoléonienne, les soldats de Charlet retrouvent leur public grâce au fort sentiment nationaliste qu'ils dégagent, faisant la « place plus belle au conscrit plutôt qu'au général »369.

Pourtant peu de temps après les débuts de la Troisième République, la popularité de Charlet diminue. À l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, Gustave Goetschy propose le premier l'association de Charlet à son élève Raffet370. Cette filiation devient rapidement un lieu commun qui perdure jusqu'au début du XXe siècle au détriment de Charlet. En effet, la comparaison des deux artistes fait fortune et se voit reprise en 1888 par Henri Béraldi dans son Dictionnaire des graveurs du XIXe siècle écrit à l'intention des amateurs d'estampes modernes : « Les Raffet sont merveilleux, pour ceux qui savent regarder. Les Charlet sautent aux yeux »371. Le caractère populaire et les aphorismes des soldats de Charlet semblent jouer une nouvelle fois au détriment de sa postérité. Ainsi, l'Exposition générale de la lithographie de 1891 montée sous la direction d'Henri Béraldi réserve une place plus importante à Raffet qu'à Charlet.

368 BLANC, Charles, op. cit., p. 225-226.

369 ROBICHON, François, op. cit., p. 119.

370 GOETSCHY, Gustave, Les jeunes peintres militaires, Paris, Ludovic Baschet éditeur, 1878.

371 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 101.

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Soixante-quinze estampes de Raffet sont présentées contre vingt-sept de Charlet372. Une seconde exposition sur Raffet est proposée l'année suivante à la Galerie Georges Petit373. En privilégiant Raffet, les commissaires de ces expositions éveillent l'opposition des défenseurs de Charlet qui s'efforcent de rendre justice à l'oeuvre de cet artiste. C'est ainsi qu'en 1893 s'ouvre une double exposition sur Charlet et les lithographes contemporains sous l'impulsion de la Société des Artistes lithographes français à la Galerie Durand-Ruel (fig. 40), dans l'objectif de récolter des fonds pour la réalisation d'une statue à la mémoire de Charlet. À cette occasion, des estampes, des aquarelles et des tableaux de Charlet sont présentés. Il semblerait que certaines pièces réunies pour l'exposition proviennent de la collection de La Combe, à l'instar de la Belle Françoise et du Cinq Mai (fig. 38) prêtés par Auguste Cain374 (1822-1894) et qui avaient été acheté par Pierre-Jules Mêne en 1863375. Cette exposition est secondée par la publication d'une monographie sur Charlet écrite par Armand Dayot (1851-1934). Dans celle-ci l'auteur interpelle les détracteurs de Charlet :

Jamais artiste ne méritera mieux que Raffet la publique glorification qu'on lui prépare. Mais ne vous semble-t-il pas qu'en cette circonstance il eût été possible, qu'il eût été juste, de joindre au nom de ce grand artiste celui de Charlet, l'auteur du Grenadier de Waterloo et de la la Retraite de Russie... le peintre si gaulois du soldat français, le spirituel humoriste, le profond observateur qu'Eugène Delacroix, un de ses plus fervents admirateurs, place à côté de Molière et de La Fontaine ? L'occasion était belle pour rendre du même coup un public hommage à ces deux glorieux frères d'armes, dont l'un fut le maître et souvent l'inspirateur de l'autre, et qui vouèrent également leur vie entière au culte passionné du même idéal376.

Si Dayot plaide pour l'association des deux artistes et reconnaît incontestablement la qualité de l'oeuvre de Raffet, il semble néanmoins qu'il concède à Charlet une supériorité faisant de Raffet un suiveur. Dans ce sens il répond à François Lhomme qui avait consacré un an auparavant un ouvrage à Charlet, dans lequel il se montrait moins enthousiaste : « Charlet n'est plus aujourd'hui le maître de la lithographie d'art. Comme peintre des armées il est loin d'égaler Raffet ; il dessine le soldat, non la bataille ; il sait admirablement le métier, mais il n'est pas

372 BÉRALDI, Henri, Exposition générale de la lithographie au bénéfice de l'oeuvre l'Union Française pour le sauvetage de l'enfance, op. cit., in ROBICHON, François, op. cit., p. 122.

373 Exposition de l'oeuvre de Raffet, cat. exp., Paris, Galerie Georges Petit, Lille, Imp. De L. Danel, 1892.

374 Société des Artistes lithographes, Charlet et la lithographie moderne, cat. exp., Paris, Galerie Durand-Ruel, s. l., 1893, in BOCHER, Nathalie, FOUCART, Bruno, JAGOT, Hélène (éd.), op. cit., p. 149.

375 Procès-verbal de la vente de la collection de La Combe, op. cit., f 13.

376 DAYOT, Armand, Charlet et son oeuvre, Paris, Librairies-imprimeries réunies, 1893, p. 11.

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poète ; il satisfait le goût et il contente l'esprit, mais il n'ébranle pas l'imagination »377. Cependant un élément rassemble l'une et l'autre publication : le colonel de La Combe. Dayot comme Lhomme prennent pour source Charlet sa vie, ses lettres pour la rédaction de leur ouvrage, dans laquelle ils trouvent la correspondance de Charlet et en empruntent quelques passages. Il semble également que le catalogue des lithographies de Charlet constitué par le colonel de La Combe soit resté une référence à cette époque, puisque Lhomme le reproduit sommairement en annexe de son ouvrage378 tout comme Béraldi, qui quatre ans plus tôt, le reproduisait entièrement379.

Le passage entre le XIXe et le XXe siècle est décisif pour la réputation de Charlet et du colonel de La Combe. Si Charlet est présent à l'Exposition universelle de 1900, à l'Exposition centennale de l'art français et à l'Exposition rétrospective internationale des armées de terre et de mer, l'artiste tombe rapidement dans l'oubli du grand public, à l'instar de son biographe dont la célébrité ne survit que par son ouvrage, comme en témoigne sa notice biographique de l'Encyclopédie universelle du XXe siècle dans laquelle il n'est présenté que très brièvement380. Seul les amateurs d'estampes paraissent porter de l'attention à Charlet et au colonel de La Combe, à l'exemple de LoØs Delteil dans son Manuel de l'amateur d'estampes, où il fait de Charlet l'un des plus importants lithographes du XIXe siècle et présente La Combe comme « l'auteur enthousiaste du Catalogue de l'oeuvre de Charlet, de nos jours encore consulté »381. En 1962, Claude Roger-Marx fait aussi référence au colonel de La Combe, mais cette fois à travers la vente de sa collection, ce qui prouve le succès retentissant qu'elle a pu avoir pour que des auteurs la cite un siècle plus tard dans le cadre d'une présentation générale de la lithographie382.

En somme comme le montre François Robichon, Charlet n'est étudié qu'à de rares reprises au XXe. Ce n'est que beaucoup plus récemment, en 2008 précisément, que Charlet bénéficie d'un travail monographique complet réalisé à l'occasion de deux expositions qui lui

377 LHOMME, François, Charlet, Paris, L. Allison et Cie, 1892, p. 110-111.

378 Ibid., p. 117-118.

379 BÉRALDI, Henri, op. cit., p. 116-134.

380 Anonyme, « LACOMBE, Joseph-Félix LEBLANK [sic.] DE », Encyclopédie universelle du XXe siècle, t. VIII, Paris, Librairie Nationale, 1912, p. 26.

381 DELTEIL, LoØs, op. cit., p. 92.

382 ROGER-MARX, Claude, op. cit., p. 80-81.

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ont été consacrées au musée municipal de la Roche-sur-Yon et à la bibliothèque Paul-Marmottan de Boulogne-Billancourt. Ces deux expositions ont donné lieu à un catalogue sur lequel nous nous sommes souvent reportés. Si ces expositions et ce catalogue avaient pour ambition de remettre en lumière l'oeuvre d'un artiste trop souvent négligé, les auteurs semblent s'être régulièrement appuyés sur l'ouvrage de référence du colonel de La Combe. Ainsi en ce début du XXIe siècle, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe se présente toujours comme « l'historien de Charlet » comme l'avait surnommé son ami Henri de Saint-Georges.

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Conclusion

Si la biographie posthume du colonel de La Combe livrée par Henri de Saint-Georges en 1862 s'est révélée être une source très utile pour l'exécution de ce travail, elle résulte toutefois partiellement de l'épanchement du coeur de son auteur. Dans ce sens, Joseph-Félix Le Blanc de La Combe ne bénéficiait pas jusqu'à ce jour d'une étude impartiale. C'est dans l'objectif de remettre en lumière les qualités et les caractéristiques de cet individu que nous avons entrepris cette étude monographique. À l'évidence, ce n'est pas la carrière militaire du colonel de La Combe qui ici a été la plus documentée. À l'avenir, des historiens pourrons peut-être s'intéresser à la question. Pour notre part, nous avons orienté notre étude sur les relations de La Combe avec l'élite tourangelle et les milieux artistiques parisiens - beaux-arts et musique - ainsi que sur sa pratique de la collection, sa qualité d'écrivain et la vente posthume de sa collection.

Il nous semble que le réseau dans lequel est inscrit le colonel de La Combe à Tours a été bien mis en valeur. En Touraine, La Combe semble nouer des liens solides avec les notables, qu'ils soient scientifiques comme c'est le cas du docteur Pierre-Fidèle Bretonneau, acteurs politique et économique à l'instar d'Alfred Mame ou encore héritiers de familles nobiliaires à l'exemple de son beau-père le comte Louis-Hector de Mons d'Orbigny. Notre travail s'inscrit finalement - à une échelle plus modeste évidemment - dans la même démarche que le projet Orhibio lancé sous la direction de Marc de Ferrière le Vayer et Hervé Wattier, professeur des universités et praticien hospitalier au Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Tours, qui outre le fait de retracer l'histoire de l'Institut Vaccinal de la ville, a permis d'apporter de nombreuses connaissances sur des acteurs médicaux, qui pour certains étaient jusqu'alors oubliés, et retracer l'un des réseaux de l'élite locale du XIXe siècle. Nous avons présenté en effet des relations qu'avaient pu avoir le colonel de La Combe en Touraine et particulièrement à Tours, où il est reconnu par les notables pour sa collection, ses liens avec les artistes parisiens et son ouvrage sur Charlet. Il semblerait que tous ces éléments soient favorables à son rayonnement social.

Si à l'évidence Joseph-Félix Le Blanc de La Combe disposait d'un cercle plus étendu que celui exposé dans le cadre de ce travail, les protagonistes cités semblent représentatifs du réseau de connaissance qu'il avait à sa disposition. Ce serait donc une entreprise intéressante que de continuer à retracer de la manière la plus complète possible le rayonnement social du colonel

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de La Combe en Touraine. Cela permettrait probablement de redécouvrir des personnages qui ne sont pas passés à la postérité et peut-être d'importants collectionneurs à l'instar de La Combe, qui malgré sa réputation au XIXe siècle n'avait été guère cité dans les travaux universitaires s'intéressant à l'histoire du collectionnisme et du marché de l'art en Touraine à cette période383.

Aussi, en prenant l'exemple de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe cette étude se voulait de répondre à l'idée que l'on peut se faire d'un collectionneur de province et de sa collection. Riche de plus de mille oeuvres, la collection du colonel de La Combe n'est en effet pas moins fournie que les plus importantes collections parisiennes de la même époque. Toutefois, pour comprendre comment une telle collection avait pu être formée à Tours, nous avons présenté les différents moyens d'approvisionnement que le colonel de La Combe avait à sa disposition à l'exemple des ventes aux enchères, des magasins et des ateliers d'artistes. S'il est possible que La Combe ait acquis une partie de ses oeuvres à Tours, nous avons conclu qu'il semble plus probable que le marché de l'art parisien répondait davantage à ses exigences. Si nous avons déjà relevé un certain nombre de lieux du marché de l'art parisien que le colonel de La Combe a pu fréquenter, il serait intéressant de les confirmer en consultant les registres et les livres de compte des galeries et marchands de couleurs encore conservés.

Ce champ de recherches nous a permis finalement de tisser des liens entre Paris et Tours, tout comme la question des interactions du colonel de La Combe avec les artistes de la génération romantique qu'il semble fréquenter à partir du début des années 1820. Nicolas-Toussaint Charlet est probablement l'artiste par lequel La Combe s'est introduit dans le cercle des enfants du siècle. Son amitié avec ces artistes se traduit par une correspondance abondante dont nous avons connaissance grâce aux transcriptions publiées dans Charlet sa vie, ses lettres384 et L'historien de Charlet peint par lui-même385. Aussi serait-il intéressant de retrouver la trace d'autres lettres conservées s'il en est dans des archives privées, peut-être même en possession des descendants du colonel de La Combe ou d'Henri de Saint-Georges. Cette correspondance inédite serait une découverte importante pour enrichir les connaissances que

383 AUGOUVERNAIRE, Martine, op. cit. PELTIER, Anne, op. cit.

384 LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, op. cit.

385 SAINT-GEORGES, Henri de, op. cit.

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nous avons des relations qu'entretenait Joseph-Félix Le Blanc de La Combe avec les artistes et les amateurs. Elles permettraient de confirmer sinon réfuter certains points sur lesquels nous avons seulement émis des hypothèses. Outre notre sujet d'étude, on peut imaginer que cette correspondance soit aussi essentielle pour l'enrichissement des connaissances sur les artistes du cercle de Charlet, ainsi que pour l'histoire du collectionnisme et particulièrement des collections d'estampes qui comme le fait remarquer Barthélémy Jobert « est un domaine encore à peu près vierge, et peut-être plus s'agissant du XIXe siècle »386.

Si elle comprend des tableaux anciens des écoles étrangères et des tableaux et dessins des artistes vivants français, c'est particulièrement les estampes françaises contemporaines qui caractérisent la collection du colonel de La Combe, dont l'oeuvre lithographique complet de Charlet participe à sa reconnaissance. En dehors des pièces de cet artiste, il collectionne également les lithographies des maîtres les plus importants de l'école française à l'exemple de Delacroix, Géricault, Vernet ou Raffet. Dans ce sens, la collection de La Combe se présente comme une sélection des lithographies artistiques les plus représentatives du mouvement romantique. La Combe accorde de surcroît une importance considérable à la qualité des pièces qui forme sa collection. Il n'est donc pas anodin de retrouver de nombreuses pièces de premier état et quelques pièces uniques, qui entretiennent le rapport du collectionneur d'estampes avec le collectionneur de tableaux et d'oeuvres sur papier. Si nous avons utiliser une méthode quantitative pour présenter dans sa globalité la collection de La Combe et proposer des axes de réflexion, il semble qu'il serait aussi intéressant - bien que la tâche peut paraître aride - de constituer un recueil sous forme de catalogue raisonné d'un ensemble d'oeuvres provenant de cette collection. À l'évidence ce travail permettrait de mieux appréhender cette réunion d'oeuvres d'artistes vivants dont le nombre conséquent nous a empêché un traitement exhaustif au cours de cette année de master.

Par ailleurs, c'est dans un contexte relativement défavorable à la production de lithographies que La Combe constitue sa collection. En effet depuis son invention et installation en France la lithographie souffre d'un perpétuel désaccord entre ses protecteurs et ses contradicteurs, dont les premiers reconnaissent ses qualités esthétiques et les seconds l'envisagent uniquement comme un moyen de reproduction à bas coût. La publication de

386 JOBERT, Barthélémy, « Collections et collectionneurs d'estampes en France de 1780 à 1880, d'après les catalogues de vente », in PRETI-HAMARD, Monica (éd.), SÉNÉCHAL, Philippe (éd.), op. cit., p. 243.

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Charlet sa vie, ses lettres est alors pour La Combe un moyen de faire entendre sa voix sur le sujet. Il semble qu'en prenant l'exemple de Charlet, le colonel défend l'ensemble de la production de l'estampe artistique.

Toutefois, Charlet sa vie, ses lettres est aussi l'occasion pour le colonel de La Combe de présenter un artiste dont les critiques ont parfois été sévères et dont la carrière paraît confuse pour un certain nombre de ses contemporains. Nous avons donc cherché à établir un bilan de la popularité de Charlet avant la publication du colonel de La Combe. Ainsi, nous avons constaté que Charlet se présente comme un artiste ayant eu à la fois un succès populaire grâce à ses lithographies de genres mettant particulièrement en scène les soldats de l'Empire, mais également une carrière officielle en tant que peintre au Salon et professeur à l'École polytechnique. Dans ce sens, il était question de mettre en évidence la façon dont son biographe s'emploie à revaloriser son oeuvre et sa carrière. Nous nous sommes donc intéressés en amont aux sources que le colonel de La Combe avait à sa disposition pour rédiger sa monographie : correspondance de Charlet et des amateurs, bibliographie et oeuvres d'art provenant de sa collection. C'est donc à un travail d'historien que La Combe s'attèle dès 1849. Si l'auteur semble insister autant sur la carrière de dessinateur lithographe que de peintre alors même que cette dernière est relativement mineure, il présente également le talent d'écrivain de l'artiste par la publication de ses lettres. La transcription des lettres est aussi l'occasion pour La Combe de brosser le portrait psychologique de Charlet et présenter à ses lecteurs le comportement de l'artiste avec ses amis et ses protecteurs. Cette présentation semble susciter la bienveillance et la sympathie du lecteur. Mais la défense de l'oeuvre de Charlet passe également par la rédaction du catalogue raisonné de son oeuvre lithographique pour lequel La Combe a eu principalement recours à sa collection d'estampes.

Charlet sa vie, ses lettres suivi d'une description raisonnée de son oeuvre lithographique reçoit un bon accueil de la part des critiques qui reconnaissent à son auteur des qualités littéraires et félicitent sa probité intellectuelle. L'ensemble des commentaires recueillis dans la presse rend compte également de la nouveauté que représente la publication de lettres pour servir la biographie d'un personnage et salue au passage ce parti narratif. Dès lors, La Combe est à appréhender comme le spécialiste de l'artiste. Il se distingue de fait de la majorité des amateurs par la publication de son livre, puisqu'il ne se présente plus seulement comme un collectionneur mais acquiert un statut d'érudit. Cet ouvrage est donc bénéfique pour la réputation de son auteur comme pour la renommée de Charlet. C'est en effet à la suite de sa

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publication que Charlet semble profiter d'un mouvement de revalorisation faisant atteindre à ses oeuvres des prix jusqu'alors inégalés.

La vente de la collection du colonel de La Combe paraît profiter également de la réputation de son propriétaire. En effet, si les objets d'art proposés sont pour l'ensemble de première qualité, la provenance est à l'évidence un paramètre à prendre en compte dans la réussite de cette vente. De surcroît, la médiatisation dont elle profite dans la presse confirme le caractère inédit de la collection et le statut privilégié qu'a obtenu La Combe dans le champ artistique depuis ses premières relations avec les artistes jusqu'à la publication de son ouvrage. Enfin la présence de ses amis artistes à sa vente posthume confirme combien Joseph-Félix Le Blanc de La Combe était un personnage investi dans le monde de l'art.

À son échelle, cette monographie sur le colonel de La Combe a permis de redécouvrir un personnage quelque peu oublié de l'historiographie en général et des tourangeaux en particulier. Notre étude s'inscrit dans le champ de l'histoire sociale de l'art en montrant un certain nombre d'interactions entre les artistes et les collectionneurs ainsi que les marchands. De manière relativement modeste, nous avons réussi à proposer quelques exemples de transferts entre la province et la capitale, à l'instar de la correspondance que La Combe entretenait avec Charlet, Delacroix ou encore Bellangé. C'est aussi par l'intermédiaire du colonel que d'autres personnages importants de la scène artistique ont fait le déplacement en Touraine. Plus spécialement ce travail cherchait à définir les comportements du marché de l'art et du collectionnisme locaux en s'appuyant sur ce personnage précis, qui plus est joue ponctuellement un rôle pour la municipalité.

Dans une suite logique à cette première étude, il serait peut-être envisageable de mener des recherches sur un commerce de l'art tourangeau, à l'exemple du bazar turonien auquel nous avons fait référence dans le développement de notre étude. En effet cette boutique inqualifiable tant les activités sont diverses, ne semble pas bénéficier jusqu'à ce jour d'une étude particulière. Pourtant au vu des caractéristiques qui ont été présenté, ce magasin joue à l'évidence un rôle dans le commerce de l'art à Tours mais certainement aussi dans l'attraction culturelle de la ville. Dans un même objectif de présentation de la vie culturelle de Tours au XIXe siècle, il pourrait être intéressant également d'étudier le comportement de l'élite locale dans l'organisation d'expositions. Si des études ont été déjà mené sur les sociétés des beaux-arts en

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province, à l'exemple de la société des amis des arts de Nantes387, il nous semble que la ville de Tours n'a bénéficié que de très rares études à ce sujet. Ces deux hypothétiques sujets de recherche se présentent comme le prolongement logique de notre présente étude, puisqu'elles pourraient confirmer ou contester pour le premier l'approvisionnement du colonel de La Combe au bazar turonien et pour le second comprendre davantage le dynamisme culturel dans lequel vivait La Combe.

387 BONNET, Alain, « La société des amis des arts de Nantes : l'action sur le marché de l'art local », in HOUSSAIS, Laurent (éd.), LAGRANGE, Marion (éd.), MOULIN, Raymonde (éd.) et alii, Marché(s) de l'art en province, actes de colloque, Bordeaux, Bibliothèque municipale, 30 janvier et 1er février 2008, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2010, p. 31-42.

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Bibliographie :

I) Sources :

1.1) Sources d'archives :

Lorient, Archives municipales :

Acte de naissance de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, [en ligne], cote 1E1/2159.

Paris, Archives municipales :

- Procès verbal de la vente après décès du colonel Joseph-Félix Le Blanc de La Combe, cote D60E3 11.

- Procès verbal de la vente de la collection Parguez, cote D60E3 9. Paris, Archives nationales :

- Contrat de mariage de Joseph-Félix Le Blanc de La Combe et Mathilde de Mons d'Orbigny, cote ML/ET/LV/299.

Pierrefite, Archives nationales :

- Dossier de nomination à la charge de commissaire-priseur de Me Delbergue-Cormont, cote BB/9/967/1.

Tours, Archives municipales :

- Acte de décès de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, cote 5E71.

- Acte de décès de Rose Isabelle Cécile Thomassa Mathilde de Mons d'Orbigny, cote 5E58.

- Règlement de 1870 de la Société philharmonique de Tours, série 2R5 AM.

Tours, Archives départementales d'Indre-et-Loire :

- Acte de mariage de Louis Félix Victor Leblanc de la Combe et de Isabelle-Sidonie de Contades-Gizeux, [en ligne], cote 6NUM8/112/049.

- Acte de décès de Louis-Hector de Mons d'Orbigny, [en ligne], cote 6NUM8/122/008.

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- Double répertoire des actes reçus par Me Félix Alexandre Duboz commissaire priseur à Tours, au cours de l'année mil huit cent soixante deux, cote 8U154.

- Inventaire après décès des biens de Joseph-Félix Le Blanc de la Combe, cote 3E4/643.

- Tables de successions et absences : Mathilde de Mons d'Orbigny [en ligne], cote 6NUM3/021/012.

- Testament de Mathilde de Mons d'Ordigny, cote 3E4/634.

1.2) Sources imprimées : 1.2.1) Divers

- [ANONYME], Annuaire historique, statistique et commercial du département d'Indre et Loire, Tours, Ad. Mame, 1831 à 1836.

- BÉRALDI, Henri, Propos de bibliophile : gravure et lithographie, Lille, imp. L. Danel,

1901.

- BURTY, Philippe, « L'hôtel des ventes et le commerce des tableaux », Paris guide par les principaux écrivains et artistes de la France, t. II, Paris, Librairie internationale, 1867, p. 949-963.

- CHAMPFLEURY, Jules, L'Hôtel des commissaires-priseurs, (Paris, E. Dentu, 1867), Paris, Hachette Livre BNF, 2013.

- COMMISSION IMPÉRIALE, Catalogue Officiel de l'Exposition universelle de 1862 à Londres. Section française, Paris, imp. Impériale, 1862.

- DELBERGUE-CORMONT, Victorien Louis Jean-Baptiste, VIGNIéRES, Jean-Eugène, Collection Parguez, lithographies, oeuvres complets de Géricault, Charlet, et H. Vernet, Paris, Bonaventure et Ducessois, 1861.

- DELACROIX, Eugène, Journal 1823-1850, t. I, Paris, imp. Plon-Nourrit et Cie, 1893. - DELACROIX, Eugène, Journal 1850-1854, t. II, Paris, imp. Plon-Nourrit et Cie, 1893. - DELACROIX, Eugène, Journal 1855-1863, t. III, Paris, imp. Plon-Nourrit et Cie, 1895. - DELACROIX, Eugène, Lettres de Eugène Delacroix (1815-1863) recueillies et publiées par

M. Philippe Burty, Paris, Quantin, 1878.

113

- FEUILLET DE CONCHES, Félix-Sébastien, « Charlet », Encyclopédie des gens du monde répertoire universel des sciences, des lettres et des arts : avec des notices sur les principales familles historiques et sur les personnages célèbres, morts et vivants, par une société de savants, de littérateurs et d'artistes, français et étrangers, t. V, Paris, Treuttel et Würtz, 1833, p. 532-535.

- GALERIE DURAND-RUEL, Spécimens les plus brillants de l'école moderne, Paris, Imprimerie Paul Renouard, 1845.

- LACROIX, Paul (éd.), « Bio-bibliographie des peintres et des dessinateurs français », Annuaire des artistes et des amateurs, n° 3, 1862, p. 343-357.

- LE BLANC DE LA COMBE, Joseph-Félix, Charlet, sa vie ses lettres, Tours, imp. J. Bouserze, 1856.

- MOUFLE, Auguste, Épître à Charlet, Paris, Imprimerie de E. Duverget, 1839.

- QUINCY, Quatremère de, « De la lithographie ou Extrait d'un Rapport fait à l'Académie des beaux-arts, par une Commission spéciale, sur un recueil de dessins lithographiés par M. Engelmann », Le journal des sçavants, janvier 1817, p. 21-25.

- ROCHEFORT, Henri, Les petits mystères de l'hôtel des ventes, Paris, E. Dentu, 1862.

- SAINT-GEORGES, Henri de, L'historien de Charlet peint par lui même : étude biographique, Nantes, imp. Guéraud, 1862.

- SOULLIÉ, Louis, Les ventes de tableaux, dessins et objets d'arts au XIX ème siècle (18001895), essai de bibliographie, Paris, Librairie des catalogues de ventes, 1896.

1.2.2) Catalogues de vente :

- [ANONYME], Catalogue des livres, tableaux, estampes, dessins, tableaux et objets de curiosité composant la bibliothèque et le cabinet de feu M. Charles de Langalerie, Orléans, Herluisson, 1870.

- BONNEFONDS DE LAVIALLE, ROLLIN, Valéry Auguste DEFER, Pierre, Catalogue des tableaux, esquisses peintes, dessins, aquarelles croquis de M. Charlet, Paris, Imprimerie et lithographie de Maulde et Renou, 1846.

- CHEVALLIER, Paul, BOUILLON, Jules, Catalogue des estampes et livres dépendant de la collection Lafaulotte, Paris, Imp. De l'Art E. Ménard et J. Augry, 1886.

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- PETIT, Francis et alii, Catalogue des tableaux anciens & modernes, aquarelles & dessins, lithographies, eaux-fortes, estampes et livres à figures, composant le cabinet de feu le colonel De La Combe [Joseph-Félix Le Blanc de la Combe], Paris, Bonaventure et Ducessois, 1863.

1.2.3) Périodiques d'époques :

Journal d'Indre-et-Loire (A. M. Tours) :

- [ANONYME], « Chronique locale », Journal d'Indre et Loire, n°64, 19 mars 1862, p. 01, (cote 121 C47).

- [ANONYME], « Faits divers », Journal d'Indre et Loire, n°65, 20 mars 1862, p. 03, (cote 121 C47).

- [ANONYME], « État civil », Journal d'Indre et Loire, n°66, 21 mars 1862, p. 03, (cote 121 C47).

- BRAINNE, Ch., « Correspondance parisienne, 2 février 1863 », Journal d'Indre et Loire, n°29, 4 février 1863, p. 01, (cote 121 C48).

La Chronique des Arts et de la Curiosité :

- [ANONYME], « Ventes prochaines », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°8, 11 janvier 1863, p. 80.

- [ANONYME], « Ventes prochaines », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°9, 18 janvier 1863, p. 88.

- BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la collection de feu le colonel de la Combe de Tours », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°10, 25 janvier 1863, p. 93-95.

- BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la Combe », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°12, 8 février 1863, p. 117.

- BURTY, Philippe, « Mouvement des Arts et de la Curiosité. Vente de la Combe », La Chronique des Arts et de la Curiosité, t. I, n°13, 15 février 1863, p. 122-124.

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- BERTINET, Arnaud, Les musées de Napoléon III une institution pour les arts (1849-1872), Paris, Mare et Martin, 2015.

- BÉNÉZIT, Emmanuel, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, Paris, Gründ, 1949.

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- WHITELEY, Linda, « Art et commerce d'art en France avant l'époque impressionniste », Romantisme, n°40, 1983, p. 65-76.






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