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Etude des parcours de vie polyamoureux


par Clémence Gay
Université d'Evry - Maîtrise de sociologie parcours Image et Société: documentaire et sciences sociales 0000
  

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Conclusion

Le polyamour, loin d'être la simple redéfinition d'une orientation relationnelle, sous-entend dans son expression et dans sa réalisation un grand nombre de dynamiques. Si l'amour non exclusif provient d'une réalité relationnelle dont les origines dépassent la période contemporaine, la conceptualisation et la diffusion du terme «polyamour» n'est que très récente (dans les années 90). Auparavant, les années 60-70 ont elles aussi été marquées par l'émergence de préoccupations éthiques de ce type. Le choix «éthique» du polyamour pourrait donc être considéré comme une réponse aux failles de l'union conjugale traditionnelle; car contrairement à la «morale», se fermant à un système établi de normes et de valeurs, la considération du polyamour en des termes «éthiques» permet d'une part de remettre en question les fondements des conventions monogames traditionnelles, et d'autre part, de justifier la reconnaissance et la légitimité de cette orientation relationnelle.

Contrairement aux pressions des diktats mononormatifs enjoignant les individus à être «tout» l'un pour l'autre, la non-exclusivité prône la complémentarité (Lévesque, 2019). Les

23 Soit une famille fondée sur le mariage, avec des enfants socialement reconnus comme issus de l'union de leur parents (Neyrand, 2002)

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différents besoins, aspirations, attentes ou désirs peuvent être davantage comblés dès lors que la satisfaction relationnelle ne se base plus sur une seule personne. En outre, ces considérations rendent obsolète l'objectif d'une adaptation relationnelle maximale. En invitant à apprécier ses différents partenaires pour ce qu'ils sont, les personnes polyamoureuses n'auraient plus à taire «certaines dimensions de leur individualité». (Lévesque, 2019).

Pensé en des termes purement pratiques (faire face à la distance, à la jalousie, au manque de désir), ou faisant écho aux désirs d'autonomie et de liberté des individus (avoir son propre espace, s'écarter des logiques de codépendence...), le polyamour tend à devenir progressivement, au fil des rencontres et des expériences, une quête profonde de son identité. En redéfinissant la notion de fidélité, d'exclusivité, puis d'amitié, cette quête mélange désir de liberté et introspection, épanouissement et désir de cohésion avec son partenaire. Dans leurs diversités, les vécus polyamoureux se réfèrent à des idéaux de liberté, d'autonomie et d'égalité étroitement liés à une éthique de la transparence, de l'honnêteté, et de l'engagement sur le long terme.

La construction du couple polyamoureux, de part son absence de normes de références et sa décrédibilisation de la part des médias et des institutions, se fait sans conscience de porter l'étiquette polyamoureuse. Si certains enquêtés prennent de la distance par rapport à cette étiquette, il s'y dissimule aussi le désir de ne pas s'enfermer derrière une définition. La tenue d'une étiquette polyamoureuse à une visée performative, les individus cherchant avant tout à construire un système de relations sécurisé permettant de prendre en compte les différentes relations d'attachement (Fern, 2020).

Pour autant, les trajectoires polyamoureuses ne sont pas moins sociales ou institutionnalisées : elles le sont autrement. En cela les relations polyamoureuses ne sont pas fondamentalement distinctes des relations monoamoureuses dans un ordre qualitatif (en termes de satisfaction sexuelle et relationnelle, d'intimité communicationnelle, de confiance) mais la réalisation de ces besoins exigent une refonte globale des manières d'envisager ses relations. Ce désir de liberté semble totalement s'inscrire dans notre conception moderne de destinée individuelle: «la notion de projet a acquis un caractère normatif: non seulement les hommes et les femmes ont le droit de choisir leur vie, mais le fait de construire son propre parcours biographique se transforme en injonction.» (Cavalli, 2007). Cet impératif de ne pas «chosifier» autrui se combine ainsi avec «la subordination du relationnel par l'individuel» (Lévesque, 2019).

Le parcours de vie des personnes polyamoureuses, marginalisé et stigmatisé, prend racine dès l'enfance, en se questionnant sur l'existence de valeurs morales entrant en contradiction avec certaines pratiques. Ces questionnements sont en quelque sorte le terreau identitaire qui permettra aux individus de faire face à des événements majeurs en renégociant les normes de leurs relations. L'existence de groupes de socialisation «alternatifs» dans lesquels s'inscrivent les personnes a également une réelle influence sur leur orientation relationnelle. Le partage

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d'un certain nombres de valeurs similaires entre différentes communautés dissidentes (polyamoureuses et BDSM, communautés homosexuelles) ainsi que les transgressions similaires des modes de relation standard, permettent une plus facile remise en question de certaines normes dominantes. Déconstruire son rapport à une norme donnée (pratique alimentaire, hétéronormativité, normes de genres, cisnormativité, mononormativité) entraîne dans son sillon la déconstruction d'autres normes. Le rapport à ce qui «devrait être» ne va, de fait, plus nécessairement de soi.

Pour autant, malgré ces déconstructions et les liens profonds tissés entre ces différentes communautés, l'intimité au sein des relations amoureuses sous-tend encore aujourd'hui la coexistence d'inégalités et de rapports de domination structurellement déterminés (classe, race, identité de genre, orientation sexuelle, etc.) (Jamieson, 1999). La négligence de ces rapports de domination transcendant les individus se retrouve dans la construction des relations polyamoureuses, ce qui amènent à reconsidérer ces relations en termes de privilège et d'intersectionnalité. Les recherches liées à l'étude des communautés polyamoureuses sont également marquées par ces inégalités : l'invisibilisation de certains types de vécu ainsi que la non prise en compte de ces privilèges culturels rendent le polyamour inaccessible ou déconnecté pour les populations marginalisées (personnes de couleur, neuroatypique, transgenre, avec un faible niveau d'étude, par exemple).

Ainsi, il ressort de notre analyse que l'orientation relationnelle polyamoureuses s'incarne dans des parcours de vie riches et complexes. Produit des volontés d'individualisation et d'autonomisation des individus, le polyamour s'incarne aujourd'hui comme le témoin et l'adjuvant d'une mouvance globale posant de nouveaux cadres et de nouvelles réflexions sur la conception idéologique des relations. Notre étude, basée sur l'expérience de 12 participants appartenant à l'univers polyamoureux, ne saurait être globalisée (ce n'était pas son but), mais permet de faire sens de l'expérience d'un certains type de vécu, et de contribuer à la vulgarisation de ce mode de vie marginal et encore méconnu. Il pourrait ainsi être intéressant d'aborder différents angles de recherches au sein de nouvelles études, en cherchant par exemple à positionner le discours polyamoureux en termes d'analyse intersectionnelle (race, genre, neurodivergence, classe sociale, etc.). En outre, la réalisation d'enquête quantitative plus large permettrait de saisir l'étendu du vécu polyamoureux aujourd'hui. La faible quantité d'études françaises s'intéressant au sujet du polyamour mérite d'être enrichie afin que se construise une analyse et une véritable connaissance du phénomène polyamoureux.

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