Université d'Évry
JUIN 2021
ETUDE DES PARCOURS DE VIE
POLYAMOUREUX
MÉMOIRE PRÉSENTÉ COMME EXIGENCE
PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN SOCIOLOGIE
CLÉMENCE GAY
Remerciements
Je remercie ma directrice de mémoire, Jennifer Deram,
qui a été présente tout au long de cette période
tumultueuse et trouble. Sa disponibilité et ses judicieux conseils ont
contribué à alimenter ma réflexion et à construire
ce mémoire.
Un sincère merci à tou-te-s mes
répondant-es pour leurs témoignages riches et captivants qui ont
pu à la fois donner corps à cette recherche et faire
évoluer ma pensée. Ce fut un plaisir de partager ces moments de
discussion avec vous, que ce soit en ligne ou autour d'un thé.
Je remercie également toute l'équipe
pédagogique de l'université d'Evry ainsi que les intervenants
professionnels responsables de ma formation, pour avoir assuré la partie
théorique de celle-ci. Leurs paroles, leurs écrits, leurs
conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions.
Merci à Annabelle, Sophie, Ange et Aoline pour avoir
relu et corrigé mon mémoire. Vos conseils de rédaction ont
été très précieux.
Enfin, je voudrais exprimer ma reconnaissance envers les
ami-e-s qui m'ont apporté leur soutien moral et intellectuel tout au
long de ma démarche. Votre curiosité et vos questions ont
été une véritable source de motivation pour mener à
bien ce projet.
2
Table des matières
Remerciements 1
Introduction 4
Partie I 5
Cadrage et définition du sujet 6
Éléments de contexte (historique,
politique, économique, juridique) 6
L'origine de la notion de polyamour : cadrage
historique, juridique, ethnographique et
politique 6
Cadrage sociologique et statistique 7
Les sources quantitatives 7
Problématique 11
Conclusion de ces premières recherches
11
Cadrage méthodologique : la notion de
«parcours de vie» 11
Hypothèses 12
Protocole d'enquête 13
Les entretiens «récits de vie»
14
Présentation du terrain 14
Les lieux des entretiens 15
Le problème de l'anonymisation
16
Positionnement du chercheur 16
Partie II 18
Les parcours de vie polyamoureux 18
Les profils des enquêtés 18
Profil et angle mort 18
Des événements déclencheurs de
la non-exclusivité 20
Le premier pas en dehors de la boîte
24
L'influence des groupes 26
Trajectoires et diffusions des valeurs 27
Diffusion du polyamour : internet et la salope
Ethique 27
Comment se rencontrer ? 29
L'apprentissage des codes et des valeurs 32
Comprendre ses limites 32
Construire ses relations 36
Le pilier du polyamour : l'hypercommunication
43
Polycule et métamour : construire son nouveau
cercle de relation 45
Polyamour et stigmates 48
Une déconstruction parfois conflictuelle et
fragilisante 48
Polyamour et intersectionnalité
52
Le coming out 55
Le besoin de se cacher 58
L'intentionnalité du parcours de vie polyamoureux
60
3
La cohésion avec soi-même
60
Pas d'étiquette ! Le polyamour en soi et
pour soi 63
Entre pratique et identité : regard
rétrospectif sur son vécu 66
La vision de l'avenir 68
Conclusion 70
Bibliographie 73
Annexe 80
4
Introduction
Les différentes formes d'expression et d'encadrement
des relations et de la sexualité sont aujourd'hui en profonde et rapide
mutation (Combessie, Mayer, 2013). La part la plus visible de ces
transformations réside, par exemple, dans l'institutionnalisation des
unions entre personnes de même sexe dans un nombre croissant de pays
(Combessie, Mayer, 2013); et à cet égard, le polyamour s'inscrit
également dans cette dynamique des transformations de l'intimité
contemporaine.
Le polyamour se définit comme «l'orientation
relationnelle présumant qu'il est possible [et jugé comme
étant acceptable par les différents partenaires] d'aimer
plusieurs personnes et de maintenir plusieurs relations amoureuses et sexuelles
à la fois, avec le consentement des partenaires impliqués [...]
et qu'il est souhaitable d'être ouvert et honnête à leur
propos» (Barker, 2005). Son existence s'inscrit dans un contexte social
où se libère de plus en plus la parole sur les différentes
orientations sexuelles et relationnelles ainsi que sur l'expression des
identités de genres.
Critique de la rigide injonction à l'amour romantique,
le polyamour remet en cause ce que Mint (2004) nomme «the
monogamy/cheating system». Les personnes polyamoureuses - en favorisant et
expérimentant des cadres relationnelles modulables selon leurs
aspirations (Lévesque, 2019) - sortent de l'arrangement culturel
dominant selon lequel les individus doivent s'identifier à la valeur de
l'exclusivité, et ce même si les conflits et
infidélités sont si courants qu'ils peuvent être
considérés comme une partie institutionnelle du paysage intime et
sexuel. La «dyade traditionnelle» ne serait ainsi plus l'unique
idéal relationnel légitime. Néanmoins, le couple exclusif
dispose toujours d'un parcours strictement fermé et balisé,
s'imposant naturellement aux individus comme étant une orientation
relationnelle allant de soi. S'écarter de ses normes (relationnelles ou
sexuelles) peut donc entraîner des sanctions sociales et être
source de préoccupations quant aux possibles répercussions
stigmatisantes générées par le simple fait d'être
«différent».
En outre, si l'on en parle de plus en plus sur Internet et
dans les médias depuis quelques années, beaucoup de choses
restent encore à définir sur le polyamour. Cette pratique est un
domaine émergent recueillant un nombre assez limité de textes
qui, de surcroît, sont de nature essentiellement pédagogique
plutôt que sociologique ou analytique. Bien que le nombre d'ouvrages et
d'études consacrées au sujet ait fortement augmenté ces
dernières années (Noël, 2006), la majorité des
informations se trouvent avant tout en ligne et les études scientifiques
menées sur le sujet sont dans une écrasante majorité
originaires des États-Unis (Adam, 2020). En outre, le manque de
diversité chez les échantillons de participants composants la
plupart des enquêtes (la plupart des répondants sont blancs,
neurotypiques,
5
cisgenres1, avec un niveau d'éducation
élevé) démontre qu'il existe encore aujourd'hui de
nombreux angles morts dans l'étude de cette orientation (Adam, 2020).
Pourtant, de par sa position anticonformiste, le polyamour est
source de multiples interrogations : comment expliquer son existence ? Comment
se construit-il ? Y a-t-il des similitudes dans les trajectoires de vie des
personnes polyamoureuses ?
Ainsi, il sera intéressant de voir comment cette
orientation relationnelle s'incarne dans les parcours de vie des individus se
revendiquant polyamoureux. Analyser les mécanismes qui sous-tendent la
réalisation du polyamour et observer les manières dont il se
perçoit dans le vécu individuel permettra de répondre
à la problématique suivante: quels sont les parcours de vie des
personnes polyamoureuses ?
Pour répondre à cette question, notre
réflexion se fondera sur une étude qualitative se faisant sur la
base d'entretiens récits de vie semi-directifs réalisés
auprès de douze personnes polyamoureuses. Si le nombre d'entretiens
menés ne permet de facto aucune généralisation
(échantillon non probabiliste), cette limite quantitative se retrouve
néanmoins compensée par la complexité et la richesse des
voix polyamoureuses composant ce mémoire. Notre méthodologie vise
à permettre une compréhension qualitative des trajectoires de vie
polyamoureuses. En enracinant profondément notre étude dans les
récits de vie, nous avons donné une ouverture maximale à
la parole individuelle, afin de permettre une compréhension des modes de
vie de nos enquêtés, tout en respectant les nuances habillant et
enrichissant leur discours.
Après avoir fait les présentations plus
détaillées de la problématique, du cadre théorique
et du protocole d'enquête, nous essaierons de dresser un tableau des
différentes pratiques, approches et configurations polyamoureuses. Par
le biais d'entretiens récits de vie, nous chercherons à
déterminer les mécanismes et trajectoires amenant à
devenir et se revendiquer polyamoureux. Nous porterons ensuite notre regard sur
les manières dont se diffuse l'idéologie polyamoureuse, en nous
attardant sur l'apprentissage des codes, normes et valeurs sous-tendant cette
pratique. S'ensuivra une mise en exergue des stigmates dont est porteuse cette
communauté, ainsi que des différents mécanismes et
dynamiques d'oppression contraignant et invisibilisant son existence. Enfin,
notre étude se portera sur l'analyse des intentionnalités
construisant le regard des personnes polyamoureuses sur leur propre
identité. Nous nous attacherons également à observer la
manière dont nos répondants ancrent leurs expériences et
intègrent rétrospectivement leur vécu dans leur propre
parcours de vie.
1 Soit qui concerne une personne dont
l'identité de genre correspond au sexe qui lui a été
assigné à la naissance (par opposition à transgenre) -
Dictionnaires Le Robert.
6
Partie I
Cadrage et définition du sujet
A. Éléments de contexte (historique,
politique, économique, juridique)
L'origine de la notion de polyamour : cadrage
historique, juridique, ethnographique et politique
Pour débuter notre approche du sujet, il est avant tout
primordial de s'attaquer aux notions que recouvre le terme
«polyamour». «S'il est aisé de décrire la
signification du concept, saisir toute la richesse du phénomène
de cette forme d'amour exigerait une vaste exploration historique, impossible
à aborder dans le cadre d'un mémoire de maîtrise»
(Lévesque, 2019). Nous pouvons néanmoins résumer que son
origine théorique remonterait en 1816, au sein de l'ouvrage
Le Nouveau Monde Amoureux écrit par le
philosophe Charles Fourier, sous l'appellation «d'amour multiple». En
1920 il prendra aussi le nom «d'amour camaraderie» au sein des
mouvements marxistes et libertaires (Kollontaï, 1923), appelant à
se libérer d'une «captivité amoureuse» dictée
par la volonté de concentrer le capital au sein d'une même
famille.
C'est à l'autrice M. G. Zell, fondatrice de la religion
néo-païenne Church of All Worlds qu'est accordée le plus
souvent l'invention du terme. Au sein de son article Bouquet of
Lovers, paru en 1990, elle proposera le terme
«poly-amorous» en réponse à la recherche d'une
alternative au terme de «responsible non-monogamy» (Klesse, 2011;
Anapole, 2010). Ainsi, l'histoire de la naissance du terme
«polyamory» - teintée de néo-paganisme et de
théorie marxiste - aurait influencé l'orientation politique des
communautés polyamoureuses actuelles (Aviram, 2010). La critique de la
monogamie traditionnelle est au coeur de nombreux mouvements progressistes
depuis les années 1960, tels que les mouvements socialistes
anticapitalistes, anarchistes, féministes et LGBT (Anapole, 2010). En
outre, selon les travaux ethnographiques d'Elisabeth Sheff publiés en
2005 sur une communauté polyamoureuse de la côte
ouest-américaine, les polyamoureux sont en grande majorité des
personnes blanches2, diplômées d'université,
appartenant à la classe moyenne ou moyenne supérieure et ayant
entre 30 et 50 ans (Klesse, 2011).
2 Il est néanmoins important de nuancer ces
propos car en effet la plupart de la littérature recensée
«provient des États-Unis et concerne un échantillon de
participant·e·s peu diversifié : la plupart sont
blanc·he·s et ont un niveau d'éducation élevé.
Il serait pertinent d'approfondir ces recherches afin de déterminer si
la pratique du polyamour est plus répandue parmi ces groupes»
(Adam, 2020).
7
En France, la popularisation du polyamour coïncide
également avec la dépénalisation progressive de
l'adultère ainsi qu'avec la valorisation progressive de l'affichage des
sentiments. Auparavant «l'association entre pluripartenariat et secret
était cohérente avec le cadre légal des unions à
l'époque où, le mariage étant considéré
comme une institution primordiale, l'adultère était un
délit - plus sévèrement sanctionné pour les
femmes»3. (Combessie, 2013). Ainsi, à la disparition de
l'adultère comme «cause péremptoire de divorce» au sein
du code civil, s'ajouta la montée progressive des courants de
pensées préférant l'écoute et l'introspection au
respect strict des règles.
Progressivement, les théories polyamoureuses se
démocratiseront avec des oeuvres phares, par exemple la parution du
livre manifeste du polyamour, The Ethical Slut, A Guide to Infinite
Sexual Possibilities coécrit par la thérapeute
familiale Dossies Easton et la sexologue Catherine A. Litz, souvent cité
par les communautés polyamoureuses comme étant une des pierres
angulaires du polyamour moderne. En France, une des figures du polyamour est
incarnée par la journaliste Françoise Simpère, autrice de
l'ouvrage Aimer plusieurs hommes (2002) et
Guide des amours plurielles
(2009).
Au coeur de ces ouvrages, le polyamour représenterait
la possibilité de nouer des relations amoureuses avec plusieurs
personnes simultanément et consensuellement. À la
différence d'autres types de relations non-monogames - comme les
relations échangistes ou libertines qui elles se caractérisent
avant tout par «leur permissivité au niveau de la sexualité
récréative» (Adam, 2020) - les personnes polyamoureuses
«mettent de l'avant leur habileté à s'engager
émotionnellement avec plusieurs partenaires, tout en prônant la
communication ouverte et honnête dans ces engagements» (Cook,
2005).
B. Cadrage sociologique et statistique Les sources
quantitatives
À l'origine de ce mémoire, ma question
était la suivante : «comment devient-on polyamoureux ?» voir
dans une dimension plus qualitative : «quand commence-t-on à se
décrire comme étant polyamoureux ?». Nous verrons au cours
de ce document que cette question de départ s'est précisée
à mesure de l'étude de ces recherches et du cadrage de ce
mémoire.
3 «Dans le code pénal français,
jusqu'en 1975, les femmes encouraient jusqu'à deux ans de prison pour
une relation qui pouvait se produire n'importe où, alors que les hommes
n'encouraient qu'une peine d'amende et n'étaient
considérés comme en situation d'adultère que si l'acte
avait été commis au domicile conjugal.» (Combessie,
2013).
8
Au cours de mes recherches, j'ai pu trouver différentes
sources quantitatives mobilisables pour ce mémoire. Elles me furent
utiles dans la conception de ma problématique, le cadrage de mon champ
de recherche, ainsi que dans l'élaboration de mes hypothèses. Il
est possible de regrouper les sources quantitatives exploitées en deux
grandes catégories. La première a trait à une de mes
hypothèses traitant du thème de l'infidélité, la
deuxième s'attache à faire une estimation du nombre de personnes
polyamoureuses au sein de nos sociétés.
Selon Sébastien Schehr, l'infidélité se
rapporte directement à la trahison en ce sens qu'elle implique une
«violation de la confiance et de la loyauté escomptées dans
toutes les relations ou liens qui constituent le Nous». Dans le cadre de
ce mémoire, nous pouvons également parler
d'infidélité conjugale, voire d'adultère, soit le fait
qu'un individu entretienne des relations sexuelles avec une personne autre que
son conjoint envers qui il a affirmé le serment de
fidélité. Dans la plupart des enquêtes qualitatives, il est
noté que le polyamour est considéré comme un moyen de
répondre à un problème d'infidélité au sein
de son couple (Lévesque, 2019). Mon objectif était de voir ici
s'il y avait une corrélation entre le profil des personnes
infidèles et le profil des personnes polyamoureuses. Pour ce faire, je
me suis appuyée sur trois enquêtes.
La première est issue d'un article de Blow, A.J. &
Hartnett, K. paru en 2005 et ayant pour titre «Infidelity in Committed
Relationships II: A Substantive Review».
Contexte : issu du Journal of Marital and
Family Therapy, une revue académique qui couvre et analyse les sciences
sociales et politiques, cet article résume en soi les difficultés
méthodologiques rencontrées au cours de mes recherches. En effet,
il s'accompagne d'un avertissement précisant que les données
présentées doivent être interprétées à
la lumière des critiques portées sur les problèmes
méthodologiques dont souffrent la plupart des recherches sur
l'infidélité. Les auteurs précisent néanmoins que
leurs données sont une méta-analyse de différentes
études empiriques. L'infidélité, comme le polyamour,
souffre d'un problème de définition.
La deuxième source est issue d'une enquête
quantitative réalisée par YouGov, une société
internationale d'étude de marché dont le siège se situe au
Royaume-Uni. Cette enquête fut publiée sur leur site sous le nom
de «Young Americans are less wedded to monogamy than their
elders».
Contexte : Les répondants, choisis via
le principe de l'opt-in4, étaient tous membres du panel
YouGov. Un échantillon aléatoire (stratifié par sexe,
âge, ethnicité, éducation, l'idéologie politique,
identification du parti, région géographique et inscription des
électeurs) fut sélectionné à partir d'une
l'étude communautaire américaine datant de 2014. Toutes les
données furent recueillies via des entretiens en ligne menés
auprès des 1000 participants.
4 Se dit d'un fichier de données personnelles
dans lequel un internaute ne peut être inscrit que s'il exprime
explicitement son consentement. (
legifrance.gouv.fr)
9
La troisième source, elle, traite de la notion de la
Serial Infidelity à travers une enquête menée par Kayla
Knopp aux États-Unis et dont l'article, «Once a Cheater, Always a
Cheater? Serial Infidelity Across Subsequent
Relationships», a été
publié au sein du journal officiel de l'Académie internationale
de recherche sur la sexualité «Archives of Sexual
Behavior».
Contexte : Cette étude
s'intéresse ici à la question de «l'infidélité
dans une relation antérieure comme un facteur de risque
d'infidélité dans une relation ultérieure». Ici,
c'est 484 adultes américains, sélectionnés à
travers une série d'échantillonnages ciblés, qui ont
été suivis à travers une étude longitudinale d'au
moins deux relations amoureuses. Ils devaient signaler leur «propre
implication sexuelle extradyadique (ou ESI, c'est-à-dire avoir des
relations sexuelles avec quelqu'un d'autre que leur partenaire). Les
participants devaient avoir vécu des relations amoureuses non
mariées pendant au moins deux mois au départ [...]. Ceux qui
étaient admissibles et intéressés pour s'inscrire (N = 1
294) ont rempli des sondages par la poste tous les quatre à six mois
pour onze vagues de collecte de données, s'étalant sur environ 5
années. Les sondages duraient 75 minutes et les participants gagnaient
40 $ par sondage rempli. L'échantillon de la présente
étude (N = 484) était composé de tous les participants qui
ont répondu à des questions sur au moins deux relations
amoureuses différentes au cours de l'étude.» (Knopp,
2017)
Les autres ressources mobilisées pour ce mémoire
sont ici relatives à la proportion du nombre de personnes polyamoureuses
dans une société. Malheureusement, aucune étude
statistique fiable n'a été réalisée en France
à ce jour. Parmi les différentes sources que j'ai pu trouver,
j'ai retenu ici une étude américaine (que je détaillerai
plus bas), et une étude canadienne : «Perceptions of Polyamory in
Canada: Preliminary Data». Elle fut menée en 2016 par John-Paul
Boyd et Alysia Wright appartenant au CRILF (Canadian Research Institute for Law
and the Family) et en partenariat avec la Canadian Polyamory Advocacy
Association pour la Canadian Research Institute for Law and the Family,
institution affiliée à l'University of Calgary.
Contexte: cette étude visait à
mener une enquête publique sur 3 mois, afin de recueillir des
données sur les visions du polyamour par les Canadiens. Au total 547
personnes répondirent à l'enquête en détaillant leur
mode de vie ainsi que leur perception du polyamour. Il s'agit à ce jour
de l'étude la plus récente et la plus complète à
laquelle j'ai pu accéder sur internet.
La deuxième étude américaine se nomme
«Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an
under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête
visait à définir en premier lieu une définition plurielle
du polyamour afin de pouvoir par la suite interroger la population sur
«les différents styles de relations que les gens ont».
Contexte : Au cours de l'été
2013 ce sont 972 participants qui furent interrogés via la plateforme
web de crowdsourcing Amazon's Mechanical Turk (MTurk). Pour cette enquête
d'une durée de 10 minutes, ils furent payés 0.75$. Il est
intéressant de noter les différentes justifications
employées par l'auteur pour utiliser de MTurk comme source de
données : bien que non représentatif de la population
américaine, sa population est démographiquement
diversifiée et les échantillons peuvent être
pondérés pour se rapprocher d'un échantillon
10
représentatif. En plus de cela, cette plateforme est
«rentable» selon l'auteur, permettant de mener une enquête
à grande échelle pour un moindre coût. Enfin, le fait
d'avoir des données anonymisées est un gage de qualité non
négligeable, d'autant plus lorsqu'il s'agit d'interroger une population
stigmatisée (ce qui est le cas des personnes polyamoureuses).
Résultat des sources
A la lumière de toutes ces enquêtes, plusieurs
pistes d'études peuvent-être identifiées. Une des
premières pistes s'interroge sur l'existence d'une corrélation
entre les origines de l'infidélité avec la configuration des
couples polyamoureux.
Une autre raison de mon interrogation sur
l'infidélité est qu'elle nous fait poser la question de la
construction de la fidélité traditionnelle en tant que norme
structurante du couple. Il s'agit d'un des piliers que remet en question le
polyamour de par sa redéfinition de l'exclusivité et de la
hiérarchie relationnelle (Lévesque, 2019, p.75).
Résultat : à la lecture de ces
enquêtes, on remarque qu'il y a bien corrélation au niveau de
l'âge : l'enquête du CRILF menée par Jean-Paul Boyd indique
qu'il y a une surreprésentation des polyamoureux chez les plus jeunes
par rapport à la population globale du pays, 75% d'entre eux ayant entre
25 et 44 ans (voir la Figure 2.1 en annexe). Cette donnée se retrouve
aussi chez les personnes infidèles, car plus une personne est jeune
lorsqu'elle se met en couple, plus elle sera susceptible d'avoir des
comportements ou expériences infidèles (Amato & Rogers, 1997;
Atkins, Baucom, & Jacobson, 2001).
Le niveau d'étude a aussi un impact sur les
comportements polyamoureux et infidèles. En effet, il existe une
relation directe et positive entre le niveau d'éducation et
l'infidélité (Atkins, Baucom & Jacobson, 2001). En
parallèle de cela, Boyd indique dans son enquête qu'il y a une
surreprésentation des personnes ayant un haut niveau d'étude
vis-à-vis de la population globale : 37% des répondants ayant un
diplôme universitaire de premier cycle, contre 17% de la population
canadienne globale (voir Figure 3.1). Cela suggérerait que
l'enseignement supérieur pourrait être associé à des
attitudes plus libérales à l'égard de sa sexualité
(Forste and Tanfer, 1996).
Après avoir brossé un tableau très
succinct de ces enquêtes, nous pouvons néanmoins souligner qu'en
définitive, il nous est pour le moment impossible de dire s'il existe
une réelle corrélation entre ces différentes
données. Pour l'heure, aucune étude quantitative n'a fait de lien
direct entre les origines de l'infidélité et du polyamour.
Cependant la redondance des données amène à se questionner
sur ce potentiel travail d'analyse. D'autant plus que la vision de la
fidélité change et pas uniquement chez les personnes
polyamoureuses. En effet l'étude menée par YouGov montre (entre
autres) que les jeunes sont davantage enclins à avoir des relations
extra conjugales avec le consentement de leur partenaire (17% chez les moins de
45 ans contre 3% chez les plus de 65 ans). Les catégories de moins de 30
ans sont les moins enclines à avoir des relations totalement monogames
(voir tableau 2) et à les envisager en temps que relation
idéalisée (voir tableau 1). Les enquêtés de moins de
45 ans seraient
11
également moins réfractaires à ce que
leur partenaire ait des relations extraconjugales (voir tableau 5).
Ainsi, les nouvelles générations seraient plus
enclines à repenser la structure traditionnelle du couple monogame
exclusif.
Enfin, une dernière source quantitative que je compte
mobiliser pour ce mémoire se trouve au sein de l'enquête
«Counting polyamorists who count: Prevalence and definitions of an
under-researched form of consensual nonmonogamy». Cette enquête,
au-delà du fait qu'elle a fait un travail d'élaboration d'une
donnée quantitative sur le nombre de polyamoureux aux États-Unis
(qui serait ici de 1,44 million en 2014), permet aussi et surtout de donner
différentes définitions du polyamour5. Ce qui sera
très utile étant donné qu'un des objets d'étude de
ce mémoire cherche à définir le moment où une
personne se «définit» comme polyamoureuse.
C. Problématique
Conclusion de ces premières recherches
À travers la lecture de ces différentes
enquêtes, j'ai remarqué que peu de recherches détaillaient
les raisons amenant à devenir polyamoureux. La plupart des études
sont de nature plutôt pédagogique qu'analytique ou sociologique,
et traitent de la manière dont s'organisent les modes de vie
polyamoureux, des différentes formes de polyamour, ou de la perception
du polyamour par la société ou les polyamoureux eux-mêmes.
Il existe très peu de données quantitatives fiables, que ce soit
pour le polyamour (ce qui est assez compréhensible au vu de la
"nouveauté" du sujet et du fait qu'il ne concerne aujourd'hui qu'une
part très réduite de la population) ou encore pour
l'infidélité (paradoxalement ici de par sa conception assez tabou
et universellement connue de tous, posant la problématique de la
pertinence de sa définition exacte).
En outre, il n'y a quasiment aucune donnée qualitative
scientifique traitant des raisons et des trajectoires de vie amenant à
devenir et se revendiquer polyamoureux, alors que le polyamour est avant tout
une réflexion résultant de trajectoires de vie et
d'expériences significatives (Sheff, 2014 : «Polyamory is not
usually the first step outside of the box», soit la première
«sortie de la norme» pour un individu). Ainsi l'objectif de mes
recherches sera d'enrichir et consolider l'investigation scientifique de cette
mouvance en étudiant les trajectoires de vie et les raisons amenant
à devenir polyamoureux; soit répondre à la
problématique suivante : quels sont les parcours de vie des personnes
polyamoureuses ?
5 «We estimated the prevalence of polyamory when
it was defined as: 1) an identity, 2) relationship beliefs/preferences, 3)
relationship status, and 4) relationship agreements.» (Rubel, 2018)
12
Cadrage méthodologique : la notion de
«parcours de vie»
Une notion importante se dégage de cette
problématique : celle du «parcours de vie». Cette notion
définit ici un concept sociologique étudiant les
événements, les étapes et transitions vécues par
les personnes dans différents domaines de la vie. Le déroulement
de la vie humaine s'inscrit dans un cadre socio-économique, historique
et culturel; s'intéresser aux trajectoires et aux transitions
biographiques permet de penser le parcours de vie en temps que fait social,
«un ensemble de règles qui organise une dimension clé de la
vie dans une société et un temps historique donnés»
(Cavalli, 2013). Ainsi, se questionner sur l'existence d'»un»
parcours de vie polyamoureux permettra de comprendre le façonnement de
cette identité chez les individus, et ce à travers 5 axes
principaux qui articulent notre conception et récolte des données
:
- Le temps historique et le
contexte
Les individus sont issus d'un contexte, évoluant au
sein de structures sociales et institutionnelles. En fonction de l'âge et
des générations, les facteurs socio-historiques et les normes
n'auront pas le même impact. Les normes et injonctions dites
«mononormatives» impacteront et marqueront différemment les
discours et les trajectoires individuelles en fonction de l'époque de
leur injonction.
- La temporalité des
événements
Un événement ne sera pas perçu et
vécu de la même manière en fonction de l'âge des
sujets. Par exemple, se mettre en couple (qu'il soit ouvert ou non d'ailleurs)
à 15 ou 30 ans n'aura pas le même sens et la même
portée sur la personne concernée.
- Les vies liées
L'Homme, en temps qu'animal social, évolue au sein d'un
réseau de relations sociales interdépendantes. L'existence de ce
réseau implique la naissance de nouvelles opportunités ou au
contraire, de nouvelles contraintes, pouvant se répercuter sur le
parcours de vie des personnes. Cette composante est d'autant plus capitale
étant donné que le polyamour se construit avant tout à
travers ses rencontres.
- Le développement tout au long de la
vie
Le polyamour, tout comme les autres formes d'orientation
relationnelle, est un apprentissage. Celui-ci peut se construire notamment
à travers la socialisation secondaire d'un individu, au fil de ses
expériences et de ses déconstrutions de la norme (bien que nous
le verrons, le polyamour prend également ses racines dans l'enfance des
individus). Cette partie nous mène d'ailleurs au dernier axe d'analyse :
l'intentionnalité.
- L'intentionnalité
Nous le verrons, le parcours d'un polyamoureux se compose de
longues phases introspectives, de remise en question de sa destinée et
de ses agissements. L'agentivité des
13
polyamoureux renvoie ici à une dimension plus
individualiste des parcours de vie, où les individus disposent en
eux-mêmes d'une certaine marge de manoeuvre leur permettant d'agir
au-delà des structures sociales et sociétales
déterminantes.
D. Hypothèses
Différentes hypothèses se sont construites au
cours de mes recherches. Elles structureront ce mémoire ainsi que ma
grille d'entretien pour permettre d'amorcer des pistes de réflexion
répondant à ma problématique.
Le polyamour est, entre autres, une façon
de répondre à la question de l'infidélité et de la
jalousie. Cette hypothèse se base notamment sur le fait
que les partisans du polyamour croient que cette orientation relationnelle peut
résoudre de nombreuses contradictions dans les relations intimes se
posant dans la conjoncture historique actuelle (Anapol, 2010).
La définition de soi comme «personne
polyamoureuse» n'est pas centrale dans la trajectoire des individus du
fait d'une absence de référentiel au départ des
parcours.
J'avais auparavant dans l'idée que les personnes
polyamoureuses avaient une conscience forte de leur identité, ainsi
qu'un véritable sentiment d'appartenir à une communauté
polyamoureuse (répondant ainsi à leur sentiment de
marginalité). Cependant, au fil du cadrage de ce sujet et des entretiens
exploratoires, j'ai pu remarquer que les individus avaient de grandes
difficultés à se représenter comme étant
polyamoureux; par méconnaissance du terme, ignorance de ce qu'est le
polyamour, voire par volonté de ne pas s'enfermer dans une
catégorie trop fermée.
Les communautés polyamoureuses sont
généralement d'abord liées à une ou plusieurs
communautés LGBT et/ou ayant des idéologies religieuses et/ou
politiques dites alternatives (paganistes, féministes,
anticapitalistes), qui influeront la structure de leur orientation
relationnelle.
En effet, il existe à ce jour plusieurs analyses liant
les communautés polyamoureuses et d'autres identités, notamment
BDSM, asexuelles, transgenres, queer, anarchistes ou féministes (Bauer,
2010). Deux explications majeures sont alors avancées. L'une avance que
le fait de remettre en question certaines normes, telles que
l'hétéronormativité, rend plus facile la remise en
question de la monogamie obligatoire. L'autre explication souligne qu'il existe
un certain nombre de valeurs culturelles partagées entre ces
communautés - l'accent mis sur la communication et la négociation
par exemple (Bauer, 2010). Mon hypothèse ici s'inscrit donc directement
dans un courant déterministe, en affirmant que les structures sociales
dans lesquelles s'inscrivent les personnes vont déterminer le type
d'orientation polyamoureuse qu'elles adopteront et revendiqueront (anarchie
relationnelle, polyamour solo,
14
polyamour hierarchique, triade... Nous définirons
également ces notions au cours de ce mémoire).
E. Protocole d'enquête
Comme nous avons pu l'annoncer précédemment,
nous allons, dans le cadre de ce mémoire, nous intéresser
à la réalisation d'entretiens récit de vie afin de pouvoir
répondre à notre problématique. Afin de permettre une
bonne approche de ce sujet, nous allons au cours de cette partie définir
notre terrain d'enquête, les notions et approches que recouvre le terme
de «récit de vie» ainsi que les moyens mobilisés pour
contacter et rencontrer les enquêtés (lieu, anonymisation et moyen
de contact). Enfin, je définirai dans un dernier temps mon
positionnement au sein de ce sujet de recherche.
Les entretiens «récits de
vie»
Étant donné la nature de notre
problématique, traitant de la notion de parcours de vie, les entretiens
réalisés sont des entretiens dits «semi directif» ou
«narratif» (Bertaux, 1997). Ces entretiens sont des interactions au
cours desquels mes interrogations se sont adaptées à
l'échange en cours, permettant de faire émerger des thèmes
précis au fil de la conversation. Les reformulations et «relances
miroir» (Demazière, 2007) permettent de reprendre les propos de
l'enquêté sans pour autant réorienter de façon trop
abrupte les récits en cours en imposant aux personnes des
catégorisations du monde préconçues.
Ma position théorique se rapproche de ce que Passeron
définit comme un cadre d'analyse «ni déterministe ni
individualiste», cherchant à « saisir la structuration des
biographies à la fois comme un effet des structurations longitudinales
» déterminantes sous-jacentes « et comme le produit [...] que
l'action sociale des individus inscrit, en aval, dans [...] ces structures
longitudinales » (Nossik, 2011; Passeron, 1990). Cette opposition aux
approches purement déterministes et individualistes permet de saisir les
éventuelles récurrences biographiques des parcours de vie, tout
en les inscrivant comme étant le produit des interactions sociales des
individus au sein de ces structures : «Le fait que ces récits
servent à mettre en relation trajectoires individuelles et structures
sociales apparaît comme acquis : la fonction des récits de vie est
de permettre un recueil d'informations sur le parcours social des
enquêtés.» (Nossik, 2011).
La direction de ces entretiens consista à croiser les
positions objectives des enquêtés, leurs points de vue subjectifs
exprimés, ainsi que leurs pratiques observées (Beaud, 1996). Il
ne faut en effet pas oublier que «les récits de vie sont des
«produits collectifs» (Mondada 2001) : co-construits par les
interactants en présence, ils s'élaborent autour des
«relations que la personne construit sous nos yeux, avec nous et pour
nous, entre elle-même et son univers
15
social» (Deprez, 1996). En bref, «recueillir la
parole de l'interview, c'est recueillir une parole façonnée par
l'interaction des l'interview» (Bres, 1999). En permettant à
l'enquêté de ré-évaluer et de se réapproprier
son histoire, en le co-construisant avec l'action et l'interrogation du
chercheur, «le récit de vie nous rappelle tout simplement que
subjectivité et lien social sont les deux pôles d'une dialectique
fondatrice de l'individu.» (Nossik, 2011).
Présentation du terrain
Notre terrain d'enquête s'est concentré sur
l'étude des communautés polyamoureuses en France
métropolitaine, majoritairement situées à Paris. La
limitation de l'enquête à cette ville n'était pas stricte,
il s'agit surtout d'une limitation technique due à la survenue de la
crise sanitaire et à ma condition d'étudiante. Au total 12
entretiens récit de vie ont pu être réalisés, d'une
durée de 1h30 à 2h30 pour le plus long. Initialement, il
était également question de réaliser une enquête de
terrain au sein d'un «café poly» (réunion
organisée généralement dans des cafés, où
sont conviés polyamoureux ou simple curieux). L'idée aurait
été de suivre les organisateurs de ces évènements,
et d'observer les interactions, discussions et relations se tissant entre les
individus. Malheureusement, la situation sanitaire n'a pas semblé
très prompte à me laisser accéder à ce terrain
là. J'ai donc concentré la base de mon travail d'enquête
uniquement sur les entretiens narratifs. De part l'attachement de ma
problématique à la notion de parcours de vie, j'eus à
effectuer un nombre significatif d'entretiens permettant une analyse
transversale des données qualitatives.
La prise de contact avec les enquêtés, du fait de
la pandémie, s'est faite majoritairement en ligne, via les sites de
rencontre (mon choix c'est porté sur Ok Cupid, choix que je
détaillerai par la suite) ou des contacts de proches (étant
souvent des «amis d'amis», ils constituent un réseau
intéressant, même si peu diversifié sur le plan
sociologique) ou des contacts d'enquêtés (qui constituent un
réseau intéressant et riche de personnes
interconnectées).
Ok Cupid est une application de rencontre américaine
existant depuis 2004. La raison du choix de cette application réside
dans sa grande diversité dans le choix des orientations sexuelles,
relationnelles et des identités de genres, permettant ainsi de cibler
plus facilement les personnes ayant des profils «non-monogamous»
auto-identifiés. En outre, sa popularité grandissante -elle
accueillait en 2020 plus de 50 millions d'utilisateurs- permet une plus grande
diversité dans les profils rencontrés.
A l'image de l'étude «Perceptions of primary and
secondary relationships in polyamory» réalisée par Rhonda N.
Balzarini, l'utilisation de cette méthode de collecte de données
m'a permis d'atteindre des personnes vivant dans des communautés et des
relations marginalisées. Si la taille de cet échantillon ne peut
permettre de justifier méthodologiquement des
généralisations radicales, rappelons que «de sept à
douze entrevues permettent généralement d'atteindre la saturation
des données pour une étude exploratoire et qualitative (Mongeau,
2011, p. 92) comme la nôtre» (cf Lévesque, 2019).
16
Les lieux des entretiens
Sur les 12 entretiens réalisés, 5 d'entre eux
ont été réalisés en présentiel, sur Paris
(soit au domicile des personnes, soit à mon domicile), les autres se
sont fait en distanciel via la plateforme de discussion Zoom. Si le fait de
mener les entretiens au domicile des personnes était un idéal, la
conduite d'entretiens en ligne n'a pas constitué en soi un obstacle
conséquent pour saisir la parole des enquêtés dans leur
intimité6. Il faut rappeler également que si
l'exercice de l'entretien peut être difficile en soi, il l'est encore
plus lorsqu'il s'agit de dévoiler certains détails, parfois
intimes, de son parcours de vie (d'autant plus sur un sujet aussi sensible que
celui du polyamour) d'où l'importance de l'anonymisation.
Le problème de
l'anonymisation
Une des problématiques fondamentales qui se pose pour
tout entretien, c'est la question de l'anonymisation. À la fois
catalyseur et inhibiteur, le chercheur tient un rôle ambivalent au sein
des entretiens : il permet de libérer la parole tout en risquant
l'écueil de l'autocensure. Or cette autocensure est d'autant plus forte
lorsque les groupes ou personnes interrogés sont marginalisés et
que le risque que la parole ait des répercussions néfastes est
grand, ce qui est le cas des personnes polyamoureuses (souffrant de ce qu'on
appelle la polyphobie). Ces craintes ont néanmoins été
tempérées avant et pendant les entretiens en précisant que
ceux-ci seraient anonymisés et que l'enregistrement de la prise de
parole ne profitera qu'au chercheur. Il a été également
très rassurant pour les enquêtés de pouvoir répondre
à leurs éventuelles questions en leur assurant un total anonymat
dans ce mémoire, ainsi définissant clairement auprès d'eux
les objectifs de l'entretien (par téléphone ou par mail). Ainsi,
tous les noms composant ce mémoire ont été modifiés
afin de garantir l'anonymat des individus. Le choix des prénoms de
substitution a été pensé en respectant les contraintes de
générations, d'origine sociale et ethnique. De plus, certains
enquêtés ont des prénoms d'origine volontairement mixtes
(par volonté de ne pas s'enfermer dans un genre binaire
«homme/femme»), j'ai donc respecté cette volonté en
choisissant également des prénoms attribuables aux
«deux» genres.
Positionnement du chercheur
Enfin, avant de débuter l'analyse de ces
données, il me semble primordial de définir ici
l'intérêt que je porte à ce sujet. Notamment du fait que
dans le cas de la littérature polyamoureuse, les frontières entre
les genres sont souvent floues. Si les premières
6 Bien que le fait d'interroger les personnes chez
elles nous permet d'avoir un aperçu de leur univers, et que le cadre
assez chaleureux et familier permet aussi une mise en confiance et une
introspection plus facile et sereine.
17
publications sur le polyamour étaient
généralement fortement militantes, avec des écrits
basés sur l'expérience (Anderlini-D'Onofrio, 2004), les oeuvres
sociologiques plus académiques apparues ces dernières
années sont, elles aussi, rédigées en majorité par
des auteurs ayant personnellement des liens étroits avec les
communautés polyamoureuses (Barker et Landgridge, 2010).
Étant moi aussi polyamoureuse et ayant appris
l'existence de ce terme assez récemment, je m'inscris également
dans cette mouvance tendant à comprendre les mécanismes qui
animent ces relations. Bien que mon mémoire ne soit en aucun cas une
oeuvre militante, il est nécessaire de souligner qu'il fut l'objet d'un
long travail introspectif pour définir le plus justement possible ma
place au sein de ce projet de recherche. Notamment du fait que mon travail
d'enquête sera exclusivement composé d'entretien narratif,
s'inscrivant dans un dialogue auprès des enquêtés, il
était important pour moi de ne pas teinter mes questions et mon analyse
de biais de jugement ou de raisonnement. Mon travail exploratoire et de cadrage
fut d'ailleurs un ressort primordial pour affiner non seulement ma
compréhension du sujet et ma problématique, mais aussi ma
position en tant que chercheuse et que personne polyamoureuse.
Pour autant, comme l'a souligné Laplantine (1996), le
premier outil de l'enquête ne peut être que le chercheur. Mon
influence sur mon terrain était donc inévitable, mais c'est ce
qui donna, à mon avis, de la richesse à cette enquête. Une
des caractéristiques importantes de mes entretiens est qu'ils
n'étaient pas unilatéraux : un véritable dialogue
s'instaurait entre moi et l'enquêté. Mes questions, mes
réflexions et mes expériences ont non seulement permis de
dégager une parole plus libérée, mais aussi de faire
naître de nouveaux thèmes et de nouvelles questions qui ne se
seraient pas posés si je n'avais pas fait part de mes expériences
et interrogations personnelles. D'un point de vue purement éthique, je
trouve également que les entretiens narratifs, en cela qu'ils impliquent
que l'enquêté se «mette à nu» -en racontant aussi
bien ses expériences que ses échecs, ses doutes et ses erreurs-
gagnent en intérêt et en profondeur lorsque l'enquêteur est
capable d'atteindre le même niveau d'introspection. Il ne s'agit pas ici
de remplacer ou de supplanter le discours ou la réflexion de
l'enquêté, ni de se forcer à se dévoiler
entièrement à lui, mais j'ai pu constater qu'ouvrir sa parole et
dévoiler mon regard de «chercheuse polyamoureuse» a permit non
seulement de rassurer les personnes sur les véritables intentions de mon
enquête, mais aussi de creuser davantage «ensemble» nos
réflexions et nos interrogations qui, même si elles divergeaient
dans leur nature et sur leur origine, trouvaient néanmoins en leur sein
des horizons communs.
18
Partie II
Les parcours de vie polyamoureux
A. Les profils des enquêtés Profil et
angle mort
Pour débuter cette analyse, intéressons-nous
d'abord au profil des enquêtés7. Les 12 personnes
interrogées sont de nationalité française, et ont entre 25
et 47 ans (parmi lesquelles
6 ont entre 29 et 32 ans). Ce fait est d'ailleurs un des
angles morts que je détaillerai un peu plus loin dans cette partie.
Le niveau d'étude des personnes interrogées est
globalement élevé. 4 des personnes interrogées ont ou sont
en train d'effectuer une thèse et 7 d'entre elles ont entre le BAC+3 et
le BAC+5. Une personne a elle commencé à travailler après
un BAC+2.
Les professions des enquêtés sont d'ailleurs
assez similaires, ayant pour la plupart des affinités avec les secteurs
créatifs, littéraires et des nouvelles technologies. 3 personnes
exercent ou ont exercé le métier d'infographiste dans le secteur
du jeu vidéo (à noter que ces profils n'ont pas de liens entre
eux). Il est intéressant de noter aussi que 4 des personnes
interrogées ont été ou sont actuellement pleine
reconversion et sont donc à ce jour dans une redéfinition de leur
profession et de leur perspective d'avenir (permaculture, charpentier de
marine, professeur de musique et gestionnaire d'un café rural
itinérant).
Les origines familiales des enquêtés sont
également diverses. Relevons quand même que leurs parents sont en
grande majorité en couple monogame exclusif, sinon divorcés,
issus pour la quasi-totalité de la classe moyenne. Les pratiques
religieuses et affinités politiques sont, elles, très
variées (allant de «catholique pratiquant» à
«athée»; «d'anarchiste» à
«concervateur»).
Sur les 12 personnes interrogées, 8 personnes se
déclarent cisgenres (5 hommes et 3 femmes), 2 transgenres (1 femme et 1
homme), et deux se disent explicitement non-binaires, préférant
être genrées au masculin neutre dans les deux cas, l'un
privilégiant l'utilisation du pronom «iel» que j'utiliserai
donc pour ce mémoire. L'orientation sexuelle définit est
hétéroclique : 8 personnes se revendiquent bisexuelles, 1
pansexuelle et 3 hétérosexuelles (à noter que ces trois
dernières personnes sont tous des hommes cisgenres). En outre, deux des
enquêtées se déclarent ouvertement neuroatypiques, l'une
ayant été diagnostiquée avec un TSA (trouble du
7 Voir en annexe le document «Présentation
Sociodémographique» pour une présentation plus exhaustive du
parcours relationnel et sociodémographique des enquêtés.
19
spectre autistique) et l'autre avec un TDAH (troubles de
l'attention avec ou sans hyperactivité). La revendication de ces
troubles cognitifs différant de la norme aura d'ailleurs un lien tout
particulier avec l'expression du polyamour. Nous le verrons dans la suite de ce
mémoire.
Au niveau géographique, 6 des profils interrogés
résident à Paris, ce fait étant directement en lien avec
l'utilisation du site de rencontre Ok Cupid comme moyen de prise de contact. Au
total, 4 des enquêtés parisiens ont été
rencontrés via ce site de rencontre (qui se base sur le positionnement
géographique de ses utilisateurs), les deux autres profils sont
respectivement une des relations d'un des enquêtés parisiens et un
contact personnel issu de mon entourage. Les 6 autres répondants quant
à eux sont des «amis d'amis» ou des «relations d'amis
d'amis» que j'ai pu rencontrer au cours de mon enquête. L'avantage
amusant qu'il y a à étudier cette communauté étant
que les personnes polyamoureuses ont généralement plusieurs
autres connaissances polyamoureuses dans le cercle de leur relation, facilitant
ainsi les prises de contact :
Nicolas : «Si tu as besoin d'un entretien
avec eux, ils ont vraiment beaucoup bossé sur la question. C'est
sûr que ce qui est pratique c'est que si tu as besoin
d'échantillons il y en a !
Tu en vois un tu en as plein !»
Ce qui nous conduit à un autre point qu'il me semble
important d'aborder ici : les liens présents entre les différents
participants. Certains des enquêtés interrogés sont,
à la base, des contacts qui m'ont été transmis lors de mes
entretiens. Ainsi, afin de clarifier le statut de chacun de ses
enquêtés, voici une présentation succincte des relations
établies : Lilou, Jérémy et Camille sont dans une relation
à trois, ou «trouple», Léna et Nicolas relationnent
ensemble, et Roxane et Antoine relationnent ensemble. Au-delà de ces
relations, les personnes interrogées ne se connaissent pas entre elles.
Ainsi, de par l'existence de ces différents liens, certains discours et
vécus entrent en résonance les uns avec les autres, bien que la
proximité relationnelle ne soit pas la seule cause de ce fait.
En outre, ce panel, bien qu'exploitable dans le cadre de ce
mémoire, reste réduit vis-à-vis de la population
étudiée et contient certains angles morts. Bien que cela
n'invalide pas l'intégralité de ces recherches, il est
nécessaire de replacer cette étude dans son contexte. Soulever
ses limites permettra de clarifier l'interprétation de ces
données tout en offrant un cadre de réflexion clair et
explicite.
Trois angles morts sont discernables dans cette enquête.
L'un étant lié à l'âge des enquêtés (se
regroupant entre 25 et 47 ans), l'autre à leur race8 (quasi
exclusivement caucasienne) l'autre à leur orientation sexuelle
(majoritairement hétérosexuelle ou bisexuelle). Au cours de
8 L'utilisation ici de la notion de race n'est bien
évidemment pas liée au sens biologique du terme, mais comme
étant une construction sociale ayant des effets sociaux, notamment en
termes d'inégalités sociales et de discriminations (Fassin D.,
Fassin E.).
20
mon enquête, j'eu beaucoup de difficultés
à contacter des polyamoureux sortants de ces différents cadres,
la situation sanitaire n'ayant pas facilité les choses, m'obligeant
à ne prendre contact que par le biais des réseaux sociaux. Pour
autant, la tenue de «cafés poly racisés» ainsi que
d'une littérature consacrée à l'aspect intersectionnel du
polyamour et la racisation (Patterson, 2018) montre bien l'existence de ce fait
:
Camille : «Je comprends très bien
pourquoi il y a des groupes non mixtes hein, c'est pas un mystère. C'est
le même racisme systémique qui s'implique, j'imagine que ça
évite aussi d'être
objectifié. [...]. Après j'imagine
que les gens qui ressentent ça sont probablement les gens qui auront pas
particulièrement envie de parler à une chercheuse blanche (rire)
!»
Bien que selon Lévesque (2019) la communauté
polyamoureuse soit décrite comme regroupant une majorité
d'individus « white, well-educated, and middle to upper-middle class
» (Sheff, 2014), en plus de n'être que faiblement
représentée par ceux « in exclusive/y same-sex relationships
» et les « working-class people » -ce qui pourrait en soi
expliquer la récurrence de certains profils- l'étude des parcours
de vie polyamoureux sera donc nécessairement à confronter
à ces différentes limites.
Des événements déclencheurs de
la non-exclusivité
L'apparition du polyamour s'inscrit dans une époque
marquée par de nombreux bouleversements : «la
désynchronisation entre le début de la vie sexuelle, celui de la
vie en couple et l'arrivée d'enfants [ne cesse] de se renforcer depuis
plusieurs décennies au profit de l'apparition de relations plus ou moins
inédites : cohabitations de courtes durées, relations amoureuses
non cohabitantes, polyamour, déclaration croissante de rapports avec des
personnes de même sexe, etc.» (Rault et Régnier-Loilier,
2019). Pourtant si les nouvelles générations semblent plus
mouvantes et moins déterminées dans la réalisation de leur
identité (amoureuse, sexuelle, relationnelle), elles évoluent
néanmoins dans une société encore très fortement
marquée par des normes hétéronormatives et mononormatives,
que ce soit via les anciennes générations ou d'autres instances
de socialisation comme la familles, les médias ou l'école (on
remarquera d'ailleurs que dans deux entretiens Benjamin et Soan citeront les
dessins animés (et notamment les Walt Diney) comme étant vecteurs
de normes). Le contexte actuel français invite à penser et
construire son avenir amoureux à travers ces normes :
Soan : «Que ce soit conscient ou inconscient
ça reste compliqué, et de toute façon culturellement tu
peux le voir. Le truc c'est que même en ayant pas connu mes parents
ensemble, bah j'ai regardé les Walt Disney comme beaucoup. J'ai grandi
avec « Quand Harry rencontre Sally », les comédies romantiques
et tout ça qui idéalisent beaucoup le... «Ouais c'est cette
personne avec qui on est destiné». Donc j'ai grandi avec ces
idées en tête.»
Benjamin : «Ily a 10 ans je découvrais
le couple. Y'a 10 ans j'étais en couple depuis 2 ans. J'avais appris ce
que papa maman m'avait dit, ce qu'on m'a appris dans les films à
l'école et
21
c'est tout. Mais je connaissais rien du couple en
fait. [...] Moi on m'a dit «un couple c'est deux personnes c'est comme
ça», bon bah je me suis dit «ben c'est comme ça, je
vais faire ça»
Pourtant, c'est aussi au cours de l'enfance que se posent pour
la première fois des questions sur la pertinence de certaines normes qui
pouvaient, parfois, entrer en contradiction avec certaines
réalités vécues :
Soan : «Quand j'étais petit, donc
c'était un peu avant d'être adolescent, dans les années 80,
j'avais vu une émission à la télé sur les couples,
et j'avais entendu un témoignage qui m'avait vachement marqué. Le
gars racontait qu'il n'avait plus de désir pour sa femme, et qu'il
était allé voir ailleurs, et quand il est allé voir
ailleurs en fait son désir pour sa femme est revenu. Et ça,
ça m'est arrivé ce truc, et franchement... je ne comprends pas.
Mais c'est une réalité.»
Pour Agathe, il s'agissait surtout de ne pas croire à
«l'amour éternel, à une relation qui restera toujours la
même jusqu'au mariage, jusqu'aux enfants, jusqu'à la
retraite». Bien que ses parents soient mariés et qu'il n'y ait
«quasiment aucun divorce dans la famille», elle ne s'est jamais
sentie proche de cette orientation relationnelle.
La construction de cette morale polyamoureuse semble prendre
racine jusque dans l'enfance. Pourtant, c'est à la suite d'un
événement bien défini que va se définir le
«nouveau couple». Un des points communs existant chez un part des
enquêtés (7 profils sur les 12 interrogés), c'est que leur
polyamour s'est construit alors qu'ils étaient en situation de couple.
Ces couples, auparavant définit comme étant une relation
«classique» (c'est-à-dire monoamoureuse exclusive : être
en relation avec un seul partenaire) vont connaître plusieurs
événements majeurs qui vont transformer leur relation et impacter
durablement leur vision des relations amoureuses, voire des relations en
général.
Pour Soan et Léna, l'ouverture du couple va arriver
à un moment bien précis de leur relation, à savoir
l'arrivée d'un enfant.
Soan : «Notre sexualité après
l'accouchement a vraiment chuté. C'est quelque chose qui est assez
répandu, mais elle le vivait pas bien. Et donc c'est elle qui a
amené le sujet. Il était pas évident à amener, mais
c'est aussi parce qu'on a pu en parler avant qu'elle m'a dit «ça
peut pas continuer comme ça, j'ai besoin d'air, j'aimerais qu'on puisse
être libre d'aller voir où on veut»... Et puis j'ai dit oui
!»
Léna :
«Quand j'ai été enceinte, j'ai
éprouvé un besoin de ouf de me sentir désirée, de
me
sentir aimée de bla-bla-bla. J'avais un
copain qui me disait «hey ça peut-être cool qu'on ouvre
ensemble» et moi je me disais «ah bah ouais ça serait
franchement cool que je découvre quelqu'un
d'autre».
Ici, c'est la paternité et la maternité qui a
été le moteur de l'ouverture. Dans les deux cas, il s'agit dans
un premier temps d'ouvrir son couple à une non-exclusivité
sexuelle uniquement, afin de pallier un besoin ou un manque affectif et
sexuel.
22
L'ouverture du couple peut également être
liée à la mise en place (volontaire ou non) d'une relation
à distance, liée au travail ou aux études. Pour
Benjamin9, Alex et Antoine, l'ouverture du couple s'est faite avec
la mise à distance du couple. Commencer cette ouverture à
distance a «facilité» la non-exclusivité pour Antoine.
Le fait que de nombreux étudiants entretiennent des liens avec des
partenaires amoureux ne vivant pas dans la même zone géographique
(Waterman, 2017) pourrait également corréler avec le fait que la
plupart des personnes polyamoureuses interrogées aient fait de longues
études. Cette «obligation» de la relation à distance se
retrouve également au niveau professionnel, notamment au niveau
académique :
Jérémy : «Au niveau
académique c'est assez fréquent les relations à distance
parce qu'il a des problèmes de trouver du travail et ne pas avoir de
postes permanents forcément et de ne pas choisir forcément
où il sera, si tu l'as un jour.»
Privilégier la relation à distance est
également une première expression d'une volonté
d'autonomie, mettant en avant la carrière plutôt que le couple, en
ne faisant «jamais de concessions [...] surtout pour les
études» (Agathe). Pour elle, la construction d'une relation
non-exclusive s'est également faite à distance, mais cette
fois-ci à travers la rencontre par son partenaire d'une tierce personne.
De la même manière, la rencontre d'une nouvelle relation pour un
des membres du couple «toucha à l'essor du polyamour» pour
Camille, car cela l'a ammené à se questionner sur la notion
d'infidélité :
Camille : «J'avais fini par lui dire
«mais écoute finalement ça fait plus d'un an qu'on est
ensemble que ça marche bien et que en fait tu flirtes avec d'autres
personnes quoi donc si tu veux on dit que c'est ok. On décide qu'est-ce
que c'est la limite pour nous et puis on dit que c'est ok parce que de toute
façon c'est ça qu'on fait! Finalement pour moi ce sera moins de
stress de savoir que c'est ok.»
Ainsi, on remarque qu'il y a toujours pour les couples une
raison, un élément déclencheur -la parentalité, la
relation à distance ou la rencontre d'un autre partenaire- justifiant
cette décision, sans que pour autant le couple soit obligatoirement dans
une mauvaise passe, car comme l'a précisé Benjamin, son
libertinage a été pensé alors que «tout allait bien
dans [son] couple».
Selon Conley et Moors (2014), cette configuration
relationnelle permettrait d'alléger le couple, puisque la
responsabilité de combler les besoins sexuels et affectifs d'une
personne n'incomberait plus seulement à un·e partenaire. Pour
Roxane, cette réflexion s'est posée avant sa rencontre avec
Antoine, car cela «faisait un petit moment que d'un point de vue sexuel
[elle] ne s'y retrouvait pas» avec son partenaire. Elle a donc
commencé par lui parler de «relations libres d'un point de vue
sexuel». Pour Soan, accepter l'ouverture du couple était un moyen
pour sa partenaire de «chercher ailleurs ce qu'elle n'avait pas avec
[lui]».
9 Le fait «d'avoir une vie sexuelle avec
d'autres gens» a d'ailleurs été pour Benjamin le
début de ce qu'il nomme le «libertinage».
23
Lilou : «J'ai un peu déconstruit ce
truc de «je dois être absolument parfaite pour cette personne, lui
apporter tout». Donc là du coup je pense que tout ça m'a un
peu libéré. Je ne peux pas lui apporter tout, mais en fait je
peux lui apporter «moi», et c'est bien moi en fait
!»
D'ailleurs dans le cas de Soan, la décision du couple
libre vient d'une réflexion assez profonde qu'il a pu mener bien avant
cette prise de décision, à la fois personnellement, mais aussi
avec sa partenaire :
Soan : «Donc en fait quand j'ai
rencontré ma compagne, assez rapidement -je pensais que j'étais
discret, que ça se voyait pas- mais elle me disait «ouais tu mattes
beaucoup quand même». Je me suis dit «oh merde! Pourtant je
fais beaucoup d'effort», et bah du coup je lui ai dit «je vais
être sincère avec toi», on était pas du tout encore en
mode couple libre mais je lui ai dit: «je trouve que c'est normal de mater
et en fait tu devrais faire pareil». Parce que si t'y
réfléchi bien est-ce que tu crois que quand tu te mets avec
quelqu'un toutes les autres personnes vont devenir moches ? [...] le fait que
je trouve d'autres personnes belles, mais que je sois avec toi, c'est aussi
ça qui te donne ta valeur.»
Les premières réflexions amorçant le
polyamour peuvent donc se réaliser en couple. Mais ce n'est pas pour
autant une constante. Il peut s'agir également de rencontrer un autre
partenaire qui, lui, est déjà polyamoureux. Lorsque
Jérémy, puis plus tard Lilou, feront la connaissance de Camille,
celui-ci se présentera à eux «très tôt»
comme étant non-exclusif (en «gardant ses amants») ou
polyamoureux. Pour Jérémy la mise en place du couple libre n'a
«pas posé de problème» et n'a «jamais vraiment
[été] remis en cause», bien qu'il désirait
«rapidement une relation qui était romantique». Lilou s'est
aussi rapidement «sentie à l'aise avec ça». La mise en
place d'une relation ouverte peut également être le fruit d'une
réflexion théorique, en accédant à un certain
«savoir» qui permettra de construire une relation «en
expérimentant et en se donnant beaucoup de marges et en
réadaptant les normes» (Vincent). Si sa construction se fait
à contre-courant des normes et valeurs «dominantes», elle est
également le fruit de rencontres qui vont amener l'individu à
repenser son système de normes et de valeurs, ainsi que les
règles construisant au préalable sa relation ouverte. Pour
Benjamin, cela se fera par la rencontre avec des «filles avec qui
ça a collé beaucoup beaucoup plus», ce qui lui fera
comprendre qu'il n'y a «pas de barrières strictes» entre
l'amitié et l'amour et «qu'il n'y a que des curseurs». Cette
réflexion fera également prendre conscience à Soan qu'il
agissait contre sa façon de penser :
Soan : «J'ai effectivement rencontré
une personne, et ça a été assez perturbant pour moi parce
que ça a changé beaucoup de choses dans ma vision
d'amitié. Bon je vais être un peu cru là mais au
début j'étais dans le délire «je vais tirer mon coup
ouais yes !» (rire). Mais en fait quand j'ai rencontré la personne
je me suis rendu compte que c'était impossible pour moi. Je me suis
dis... je suis pas comme ça en fait.»
Ainsi, ici le polyamour est le fruit d'une
déconstruction par étape. Tout d'abord, avec la mise en place
d'une relation libre, faisant généralement suite à un
événement ou rencontre venant bouleverser le couple et/ou les
normes de l'individu. Puis, suite à cette remise en question de
l'exclusivité sexuelle, s'impose petit à petit l'idée
d'une non-exclusivité relationnelle, en ne
24
cherchant pas ou plus à «essayer de décider
ce qui est romantique et ce qui n'est pas romantique» (Camille). Ici la
pensée «polyamoureuse» succède à la
pensée «libre». :
Agathe : «J'ai l'impression qu'à
chaque fois le début du polyamour c'est un peu un truc un peu
bouleversant. [...] Le polyamour, ça arrive très tard je trouve
dans l'expression d'un type relation. On va toujours dire au début que
c'est genre un couple ouvert.»
Le premier pas en dehors de la
boîte
Une étude guida une partie de mes recherches sur le
polyamour et alimentera même l'une de mes hypothèses.
Réalisée par Elisabeth Sheff et publiée en 2014, cette
recherche affirme la chose suivante : «polyamory is not the first step
outside of the box». En effet, il existe à ce jour plusieurs
analyses liant les communautés polyamoureuses à d'autres
identités, notamment BDSM, asexuelles, transgenres, queer, anarchistes
ou féministes (Bauer, 2010). Cette «affinité» pour les
modes de vie, relations et orientations «hors normes» semble ici
complètement se retrouver à travers le discours des
enquêtés.
Ainsi, pour Léna, la déconstruction des
différentes normes liées au genre, à la sexualité
et au couple a commencé très tôt au lycée. La
découverte de sa bisexualité en «tombant amoureux d'une
fille» a été «une espèce de bouleversement»
et a «peut-être marqué la première
réflexion». Pour Lilou, le hors norme serait la norme dans le
polyamour : les véganes et bisexuels étant «plutôt
majoritaires». L'influence du véganisme dans le choix de vie
polyamoureux est «assez clair» pour Camille, car pour lui «le
végétarisme a été la première grosse sortie
de la norme» en l'invitant à «repenser [sa] relation à
la norme en général» et à se «politiser».
Il renchérit d'ailleurs en expliquant avec ironie que c'est
«peut-être aujourd'hui le truc le moins bizarre chez [lui]» :
«C'est le végétarisme qui m'a fait me poser des questions
sur le féminisme, aussi bizarre que ce soit dit comme
ça.»
Pour Agathe, les premières déconstructions
furent liées à son rapport à son corps et à sa
féminité. Ayant «fait du vaginisme10 pendant des
années», elle apprit à «construire la relation sans
forcément penser à la sexualité». Cette «sorte
d'asexualité» l'a fait délier «très
tôt» sexe et amour. Pour autant, le polyamour est arrivé
«un peu plus tard après ces démarches de
déconstruction». Il s'agissait, là aussi, d'une
«réflexion sur [elle-même]». Les réflexions
féministes sont également vectrices de nouvelles normes pour
Camille, en cela qu'elles engagent «une réflexion et un processus
pour essayer de changer et de mieux comprendre les choses», ce qui
impactera de fait «toutes [les] relations amoureuses et amicales, et
donc
10 Le vaginisme est une contraction involontaire des
muscles qui entourent l'orifice vaginal chez la femme ne présentant
aucune malformation des organes génitaux. La contraction des muscles
rend le rapport sexuel ou toute activité sexuelle impliquant une
pénétration douloureuse ou impossible. (
msdmanuals.com)
25
forcément aussi les relations polyamoureuses».
Nicolas, lui, inscrit comme premier palier dans ses étapes de
déconstruction le «moment où [il a] fait sauter cette
première relation normée», «dynamitant»
l'idée de construire une relation «en couple standard".
En suivant cette logique, la remise en question d'une norme
revient alors pour Léna à mettre le doigt dans l'engrenage et
à «se questionner sur ces normes là, au fur et à
mesure». Son questionnement sur son «genre» est très
«lié à [son] polyamour et au fait [qu'iel] soit bisexuel,
car «tout s'imbrique quand tu questionnes toutes les normes
sociétales qui sont là de base. Tu finis par te questionner sur
tout». Ce qui d'ailleurs amène pour Camille à un
«cumul» de l'hors-norme : «je me dis «mais il peut pas y
avoir un truc où je rentre bien dans la norme quoi !» [...] la
personne trans, végan avec deux +1 !» :
Camille: «En fait, une fois que tu as remis
en cause un truc des grosses normes de la société et que tu as
fait tout ce boulot, tu es vachement plus enclin à envisager de remettre
en question d'autres trucs. Et donc tu peux prendre plein de choses dans ta
vie, peut-être des choses qui te contraignent ou des choses où tu
ressens de la dissonance cognitive, ou des choses dont tu as l'impression que
ça mérite réexamen.»
Cette déconstruction est perçue d'ailleurs comme
étant «de plus en plus facile» pour Agathe. Même s'il ne
semble pas y avoir pour elle de «cause primordiale" venant se placer avant
toutes les autres :
Agathe: «Par exemple moi je suis pas
spécialement végétarienne, j'ai découvert le BDSM
après le polyamour. Ce que je veux dire c'est que c'est pas
forcément des causes qui m'ont amenée là, mais plus une
déconstruction de notre société.»
Pourtant, bien qu'il ne soit perçu pour beaucoup comme
étant le premier engrenage de cette chaine de déconstruction,
Roxane et Lilou perçoivent le polyamour comme un espace
privilégié d'exploration des normes, qu'elles soient sexuelles ou
de genres. Pour Roxane, son attirance pour les femmes s'est toujours
vécue «de manière assez ténue et
refoulée» du fait de son éducation. Mais le fait de
n'être plus coincée «dans une relation monogame exclusive
hétérosexuelle» l'invite à penser que «c'est
quelque chose [qu'elle va] pouvoir explorer par la suite». Lilou
décrit ses questionnements sur son «expression de genre» comme
«une révolution dans [son] cerveau», expliquant que le
polyamour a eu «un énorme rôle à jouer» du fait
qu'une «relation à trois est souvent une relation
bisexuelle».
Toutefois, ces réflexions semblent avoir certaines
exigences en termes de temps et de motivation notamment. Pour Roxane, il est
primordial d'avoir des «convictions fortes pour pouvoir s'assumer et se
lancer dans ce schéma du polyamour qui n'est pas du tout
cautionné par notre société actuelle». Il y aurait
donc «un lien», «pas forcément direct», avec les
autres idéologies et convictions, comme le fait «d'avoir une
sexualité qui est justement aussi hors norme». Nicolas insiste,
lui, sur la notion de «temps» et de «motivation» pour
«développer toutes ces idées floues qui traînent dans
la tête».
26
Ainsi, la remise en question de certaines normes -que ce soit
sur les pratiques alimentaires, l'hétéronormativité, les
normes de genres ou de cisnormativité- peuvent rendre plus facile la
remise en question de la monogamie obligatoire (Bauer, 2010). De plus,
l'existence d'un certain nombre de valeurs culturelles partagées entre
ces différentes communautés conduisent plus facilement à
repenser cette norme.
L'influence des groupes
L'existence de groupes de socialisation
«alternatifs» dans lesquels s'inscrivent les individus a une
réelle influence sur leur orientation relationnelle. Barker (2005) et
Bauer (2010) ont ainsi suggéré que les communautés
polyamoureuses et BDSM partagent des valeurs similaires de
consensualité, de communication et de sécurité, ainsi que
des transgressions similaires des modes de relation standard. Carlström et
Andersson (2019) nous le résument ainsi : «cela constitue des
espaces queer -des pratiques de création de lieux et de
communautés étroitement liées aux sujets queer- mais pas
de manière essentielle». Dans une culture fortement marquée
par les normes monogames, ces communautés peuvent signifier une plus
grande liberté car leurs activités ne sont pas
considérées comme de la monogamie (Carlström, Andersson,
2019). Nicolas précise également que de par sa rencontre avec les
communautés féministes, gays et BDSM, il commencera à
«avoir accès à un savoir» qui lui permettra de
«commencer une relation avec une personne qui est ok [...] pour une
relation ouverte».
En outre, la métaphore de Benjamin liant polyamour et
végétarisme est particulièrement intéressante,
puisqu'il en vient à lier deux normes différentes qui pourtant
disposent des mêmes contradictions (avoir de l'affection pour un animal
mais pourtant manger de la viande; devoir exprimer ses sentiments et être
honnête avec soi même mais se forcer à n'avoir de
désir que pour une seule et même personne) :
Benjamin : Pour le végétarisme y'a
pas d'expérience particulière qui m'ont poussé à
être végétarien, si ce n'est que quand j'étais petit
je regardais des Disney et que j'avais du mal à me dire qu'on pouvait
aimer «Rox et Rouky» et qu'en fait Rox et Rouky on les a
peut-être bouffé à midi quoi. Et c'est pareil en fait, moi
dans la vie on m'a appris que c'était bien d'aimer les gens, que il faut
pas se cacher des choses et enfouir des choses tout au fond de soi, et bien ces
principes de base m'ont amené à devenir
polyamoureux.
Pour Lilou, l'arrivée du végétarisme est
d'ailleurs directement liée à son arrivée dans un
«groupe de potes où tout le monde était
végétarien, où il y avait plein de trucs en dehors de la
norme». La présence d'un «fond écologique très
très fort» et le fait de partager des repas ensemble -«c'est
un truc très social»- l'ont conduite à changer ses normes
:
D'autres fois, l'influence vient directement de la rencontre
avec une personne qui sera porteuse de nouvelles normes et de nouveaux mots.
C'est par exemple l'amie d'enfance de Camille qui lui a introduit de nouvelles
idées «improbables» dans lesquelles il se «retrouvait
bien». C'est elle qui lui parla en premier du végétarisme et
de la non-exclusivité :
Camille : «On a une dynamique un peu comme
ça où elle a toujours une idée à la con, et
après moi ça me tombe dessus et au début je me dis
«c'est quoi ce truc, n'importe quoi !» et
trois ans plus tard je suis à fond dedans six
fois plus qu'elle ne l'a jamais été.»
Ces rencontres vectrices de nouvelles normes sont
également rassurantes pour les personnes car elles rendent tangibles et
valides leurs ressenties et leurs expériences. Agathe décrit
ainsi son premier pas dans le «milieu des relations libres»
grâce à une discussion avec un ami et son «copain». Ce
fut pour elle une prise de conscience qu'il «existait vraiment une
communauté dans les relations libres, dans le libertinage», et que
«la sexualité n'était effectivement pas forcément
liée à l'amour et [qu'elle] n'était pas la seule à
le penser»: « En fait il y avait vraiment une histoire du «tu
n'es pas seule».
Pour Léna, ce fut sa relation avec son conjoint (mari
et père de son enfant) qui lui a permis de «beaucoup grandir»
en «déconstruisant plein de choses tous les deux en même
temps», comme «le couple, les relations, les rapports
hétéronormés, le genre».
Léna : «En l'accompagnant dans ce
mouvement-là moi aussi je me fluidifie; du coup y'a vraiment ce truc
où on se renvoie en miroir assez facilement. Je pense que ma
construction
elle s'est beaucoup faite avec lui en
fait.»
Lilou quant à elle, soutient que le fait de sortir avec
deux hommes «qui sortaient déjà ensemble» l'a
«complètement libéré au niveau de la
déconstruction de genre».
L'influence des groupes pourrait également être
étendue à un niveau plus large. Ainsi, l'arrivée dans la
ville de Paris a progressivement permis à Agathe de se créer un
réseau polyamoureux. Elle voit la capitale comme étant le foyer
des luttes «tous milieux militants confondus», permettant une grande
mixité sociale et culturelle, notamment du fait de la multitude de sites
de rencontres : «alors que quand il n'y a que des petits bourgs à
des centaines de kilomètres à la ronde bah pour date c'est pas
facile». Sa première approche du terme «polyamour» se fit
d'ailleurs à Paris, au travers de discussions.
27
B. Trajectoires et diffusions des valeurs
28
Diffusion du polyamour : Internet et La salope
Ethique
Ce n'est un secret pour personne, l'influence d'internet sur
notre quotidien et notre rapport au monde est colossale. «Internet a
bouleversé la vie quotidienne et la gestion des entreprises, a
transformé les relations économiques et sociales, a
modifié les rapports entre les pays et les hommes, il est devenu le
média qui a connu la plus forte croissance de l'histoire de tous les
moyens de communication» (Niel, Roux, 2012). En outre, il changea
profondément notre accès à l'information, au savoir et
à notre rapport aux autres. L'analyse de Sheff fait écho à
ce phénomène en arguant que «The Internet has revolutionised
things for sexual minorities in general. It offers people a way to find out
about it, and it offers people a way to find partners.» (citation dans
Pappas, 2013).
Ainsi, si avant le début des années 90, le
manque de repères polyamoureux pouvait mener des individus non-monogames
à se revendiquer sous une pluralité de termes11, ce
manque semble aujourd'hui comblé «avec le développement
d'Internet ainsi que l'émergence d'une multitude de plateformes
d'échange (sites, blogs, groupes de discussion, etc.) ayant
contribué à la consolidation de l'identité et de la
communauté polyamoureuse». (Lévesque, 2019).
Au cours de notre enquête, au-delà de l'usage
d'internet, la moitié des personnes interrogées citèrent
également au cours de leur entretien, le nom de «La
Salope Éthique». Co-écrit par Dossie Easton et
Catherine A. Liszt, l'ouvrage parut en anglais en 1997 sous le nom
«The Ethical Slut: A Guide to Infinite Sexual
Possibilities» et ne fit son entré en France qu'en
2013, sous le titre «La Salope Éthique : Guide pratique
pour des relations libres sereines». L'ouvrage,
destiné aux néophytes, explique comment fonctionnent les
relations non exclusives à long terme, tout en donnant des conseils pour
les mettre en pratique. Décrit comme étant «le» livre
de référence (Noël, 2006), ou tout du moins, la
première étape vers la découverte et la
théorisation du polyamour, son utilisation s'observe de
différentes manières à travers les témoignages des
répondants.
Pour Léna par exemple, la lecture de
«La Salope Éthique» fut une mine
d'information, leur permettant d'apprendre l'existence de différents
mots de l'univers polyamoureux, tels que la
«compersion12». C'est aussi ce livre qui amorça la
mise en place d'un nouveau mode de relation, passant du
«libertinage»13 et de «l'échangisme»
à l'expérimentation de relations «chacun de [son]
côté». Nicolas s'intéressa au polyamour «à
force de discussions politiques» et de côtoyer les milieux BDSM,
gays et féministes. La combinaison de cet ouvrage et de forums de
discussions polyamoureux a constitué les bases de sa documentation. Pour
Océane,
11 Tels que «utopian swinging»,
«modern polygamy», «waterbrotherhood» (Alan, 2007) ou
«camaraderie amoureuse» pour citer un exemple francophone.
12 La communauté
«Compersion» présente sur le site internet
«Livejournal» définit cette émotion comme étant:
«Le sentiment de ressentir de la joie dans la joie que les personnes que
vous aimez partagent entre elles. Surtout le fait d'apprécier savoir que
vos bien-aimés expriment leur amour les uns pour les autres»
(modérateurs, Livejournal, 2003)
13 Le mot «polyamour»
lui fut révélé pour la première fois par des amis
avec lesquels iel et son conjoint avaient libertiné.
29
l'apprentissage de la non-exclusivité se construisit
à travers la lecture et les discussions qu'elle avait sur le sujet avec
une de ses relations :
Océane: «On avait un peu un fantasme,
on lisait un peu trop de Simone de Beauvoir et du coup il y avait des histoires
d'amour multiples, des relations transatlantiques et des trucs comme ça
qui flottaient dans l'air. C'est elle qui m'a parlé de «La Salope
Éthique» par exemple, en disant qu'il y avait des ressources et
qu'on pouvait réfléchir dessus.»
Pour Antoine, l'ouvrage a également eu un usage
pratique pour diffuser et faire connaître le polyamour à ses
proches. Transmis d'abord par une amie ouverte sur le couple libre, il en fit
la lecture avant de le transmettre à son tour à Roxane pour lui
faire connaître l'existence de ce type de relation. Plus tard, il
partagea aussi ce livre à sa famille, notamment à sa mère,
afin qu'elle puisse le comprendre, même si selon ses mots, «elle
n'est pas du tout dans le délire». Dans le cas d'Alex, c'est son
colocataire qui apporta ce livre pour pouvoir «entre autres parler de
relations amoureuses autres qu'exclusives». Le livre fait alors ici figure
de point d'accroche pour ne pas aborder le sujet de but en blanc. Il est
d'ailleurs amusant de noter que cet entretien lui-même a servi d'amorce
pour de potentielles futures discussions.
Alex: «J'ai aussi fait : «bon alors j'ai
mon entretien c'est sur le polyamour !». Du coup ça va aussi lancer
des conversations (rire) !»
Alex utilisa également ce savoir théorique pour
construire son rapport à la sexualité et aux relations. C'est par
l'intermédiaire d'un «blogs BD» qu'il se rendit compte qu'il y
avait un mot pour dire «je suis non binaire» et qu'il n'était
pas «anormale par rapport à tout ce qu'on dit». La lecture des
différents articles et témoignages où l'auteur expliquait
comment iel vivait le polyamour, la non-binarité et l'exploration dans
le genre et dans les relations, lui a fait prendre conscience de l'existence de
ces termes et de ces normes alternatives :
Alex : «Je ne savais pas que pour d'autres
personnes j'existais. Quand je me suis rendu compte de ça, je n'avais
pas de relation amoureuse car je n'avais pas le droit, je me suis dit que
c'était le modèle relationnel qui me correspondait le mieux. Je
ne comprenais pas la manie de l'exclusivité alors que pour moi l'amour
il est très communicatif et vraiment ça ne s'arrête pas
à une seule personne.»
Comment se rencontrer ?
Au cours de mes recherches, très peu d'études
faisaient l'analyse des modes de rencontre polyamoureux. De fait, ceux-ci sont
assez variés et les besoins en termes de rencontre sont également
divers. L'usage des outils numériques semble néanmoins
très poussé pour organiser des rencontres, que ce soit via les
sites de rencontre, les réseaux sociaux (comme facebook) ou les forums
de discussions. Des myriades de sites deviennent le point de
30
rassemblement de communautés diverses et contribuent
à asseoir la reconnaissance sociale d'orientations sexuelles et
relationnelles alternatives et réprouvées (Combessie, Mayer,
2013). Même si il est assez difficile de mesurer l'évolution de la
pratique polyamoureuse (restant très marginale), le développement
de ces sites permet aux individus -souvent isolés- de se faire
connaître, de se découvrir, voire d'organiser des rencontres
collectives ou individuelles. Internet permet ainsi le développement de
«pratiques marginales qui peinent à asseoir leur
légitimité» (Combessie, Mayer, 2013).
Parmi les réseaux sociaux utilisés, un site de
rencontre semble avoir une prépondérance chez les
enquêtés désirant faire des rencontres polyamoureuses : Ok
Cupid. Bien que ce site soit également celui qui a servi à
contacter plusieurs enquêtés, force est de constater que quasiment
tous les enquêtés (10 sur tous les entretiens) connaissent voir
utilisent ce site. L'utilisation privilégiée de ce site est due
pour Camille à la grande diversité «d'options», ce qui
permet de facilement préciser ses préférences ainsi que
son identité. Parmi les répondants, Antoine, Océane et
Agathe en sont les utilisateurs les plus assidus. Antoine voit dans ce site de
rencontre un moyen d'avoir «des conversations de ouf avec des gens»,
même si cela a «très rarement concrétisé»
sur des relations «qu'elles soient sexuelles ou juste romantiques».
Océane, elle, a «beaucoup de relations rencontrées sur Ok
Cupid», tout en multipliant les autres formes de réseaux en ligne
tels que l'application de messagerie instantanée Discord ou les groupes
sur Facebook. Agathe utilisa ce site de rencontre «pour voir»:
«des fois ça passait pour le sexe et y'a juste des fois c'est juste
comme ça entre potes». Elle se constitua ainsi petit à petit
un groupe d'amis sur Paris. Jérémy considère de la
même manière Ok Cupid avec un «côté plus social
qu'un côté date». L'utilisation d'Ok Cupid peut même
avoir un but «pédagogique», comme pour Roxane, qui y chercha
avant tout un moyen de «discuter avec des personnes, plutôt que pour
rencontrer des gens». Il s'agissait d'assouvir une «curiosité
personnelle», mais également de recueillir des informations, des
«best practice» : «comment je dois faire moi, comment vous
faites avec tous vos partenaires, est-ce qu'il y a des choses à
éviter...».
Un autre lieu est également cité pour rencontrer
et discuter avec des personnes polyamoureuses : les cafés poly. Beaucoup
moins cités cette fois-ci14 dans les entretiens, les
cafés poly sont des espaces de rencontres et de discussions
organisés dans différents lieux publics (restaurant, bar, local
associatif). Pour Léna, il s'agit également d'une activité
militante, étant donné qu'iel est l'organisateur de
différents cafés poly ou des «collectifs sex-positive».
Cela lui a permis de «côtoyer des personnes qui avaient les
mêmes problématiques» et «avec qui iel pouvait
communiquer en toute bienveillance», ce qui l'a «beaucoup
aidé». Selon Daniel Welzer-Lang (2018) ce ne serait donc pas un
hasard «si des multiples groupes polyamoureux ou « cafés poly
» sont apparus. Ils assurent une interface
14 La crise sanitaire due au Covid 19 a très
certainement eu un impact considérable sur l'utilisation de ce moyen de
rencontre, même si depuis les premiers confinements liés au Covid
19, ces rencontres se font généralement en ligne.
31
publique permettant que tout-e un-e chacun-e puisse se
renseigner, intégrer ses expériences dans une possible
problématique polyamoureuse».
Cependant, beaucoup de critiques se sont fait entendre
vis-à-vis d'Ok Cupid et des sites de rencontres en
général. Tout d'abord, du fait de ne pas avoir d'affinités
particulières avec les réseaux de discussions en ligne, comme
l'avoue Nicolas :
Nicolas: «Déjà je suis pas
très bon en internet. Genre j'ai pas facebook, les applis et sites de
rencontre genre Ok Cupid tout ça... je suis pas très bon. Je suis
quand même vachement plus à l'aise avec un concert, un café
poly, un «munch BDSM», mon groupe d'amis qui faisaient des
soirées S+. Et du coup ça ça sort, l'internet
n'était pas une bonne ressource pour moi.»
Cette difficulté à utiliser les réseaux
sociaux comme vecteur de rencontres et de discussions est également
partagée par Alex. Expliquant qu'il a «du mal» pour rencontrer
des gens sur Ok Cupid, il lui préfère «le hasard et
l'aléatoire» : «Je vais sur une appli pour aller rencontrer
des gens alors que des gens il y en a de l'autre côté de ma porte
du coup je peux aller les rencontrer en direct». Pour Camille, Ok Cupid
est «pas mal pour les trucs poly», mais il «n'arrivait pas
à rencontrer des gens avec qui [il] pouvait avoir des atomes
crochus». A cette difficulté de se lier avec de nouvelles personnes
s'ajoute parfois les échecs cuisants de certaines rencontres :
Camille: «Il y a une relation que j'ai un peu
essayé quelques mois et ça a été une cata en fait
parce que tu peux dire tout ce que tu veux dans ton profil Ok Cupid, tu vends
tout ce que tu aimerais être, mais ça veut pas du tout dire que tu
vis tes relations comme ça.»
Les cafés poly ne sont également pas exempts de
critiques. Ici c'est la difficulté à exprimer sa parole au sein
d'un groupe qui fait défaut. Agathe souligne par exemple la
complexité des dispositifs mis en place pour générer un
espace «de communication non violente», un «safe space»
qu'elle trouve «très chargé et très lourd». Pour
elle qui «aime bien avoir des discussions spontanées», ces
dispositifs ont été «beaucoup d'infos d'un coup», car
elle «n'avait pas l'éducation qui venait avec» du fait que
dans son précédent lieu de résidence (qui n'était
pas Paris) «on a pas du tout la culture poly». Alex est
également peu enclin à fréquenter les cafés poly
car il a «un peu de mal à parler en public de base».
Ainsi, même si l'utilisation d'Ok Cupid est très
marquée parmi les enquêtés15, ce sont
majoritairement les rencontres via les réseaux d'amis qui sont avant
tout privilégiées. Cette conception des rencontres polyamoureuses
ressemble d'ailleurs à celle valorisée par Veaux et Rickert
(2017) qui semble suivre les schémas du développement des
relations amicales.
15 Ce qui peut également être due
à leur âge, La tranche d'âge la plus
représentée sur le site étant celle des 25-34 ans, suivis
par les 18-25 ans, selon le site
stat-rencontres.fr.
32
Léna : «Ce sont toujours des personnes
de mon entourage en fait. Tu as toujours un poly qui connaît un poly qui
connaît un poly... 1...] Typiquement Nicolas c'est le meilleur pote de
toute ma bande de potes.
Pour Camille, de son expérience, rencontrer une
personne via un site de rencontre «ce n'est pas du tout pareil que de
construire une relation avec quelqu'un que tu connais déjà un
peu». Pour lui, «tous les trucs qui ont marché
c'étaient toujours des gens [qu'il connaissait] déjà un
peu, qui étaient déjà des amis et avec qui [il se rendait]
compte qu'il y avait une attirance ou un truc un peu plus fort». Lilou,
elle, n'a jamais cherché à «rencontrer des gens» et ne
s'est jamais «mise sur une appli de rencontre». Pour Alex, les
rencontres polyamoureuses ne sont d'ailleurs «pas forcément
conscientes". Elles se font au fil des discussions à travers des
réseaux de relations :
Alex : «Ouais en fait j'ai des potes dont une
était l'une de mes relations amie/amour entre mes deux relations
longues, qui elles sont en couple fixe depuis des années mais avec des
amants/amantes autour. 1...] Du coup ça fait aussi rencontrer pas mal de
personnes dans le milieu polyamoureux et qui connaissent au moins le polyamour.
Et du coup on devient tous potes et on a de plus en plus de potes qui se
connaissent et qui sont déjà dedans.»
Ainsi, les rencontres polyamoureuses se font surtout via des
réseaux de relations plus ou moins fermés. Ce qui est
privilégié ici, c'est avant tout d'avoir d'un niveau minimal
d'entente mutuelle et de partage de valeurs et de normes, polyamoureuses ou non
(d'où le fait d'utiliser Ok Cupid, réseau
privilégié par les communautés polyamoureuses pour la
potentielle précision de ses profils de rencontre).
C. L'apprentissage des codes et des valeurs
Comprendre ses limites
Les normes polyamoureuses sont plurielles. Elles regroupent la
non-exclusivité (alliée avec la notion de «compersion»)
(Barker, 2005), la liberté (Pieper and Bauer, 2005), l'engagement sur le
long terme (Klesse, 2006), la transparence et l'honnêteté (Klesse,
2006). L'apprentissage de ces normes dépend des besoins du couple ainsi
que de l'évolution des valeurs polyamoureuses. Néanmoins, elles
requièrent toutes un travail introspectif constant, ainsi qu'une
réelle remise en question de ses codes et de ses agissements. De cette
manière, «les partisans du polyamour parviennent à
représenter une éthique supérieure qui remplace
l'hédonisme banal de la simple recherche du plaisir» (Klesse,
2006).
33
Soan : «On a
toujours eu la volonté de communiquer, mais on ne se comprend pas
toujours. Donc y'a un travail sur ça. Moi depuis que je suis sur mon
projet je m'affirme vraiment en tant que personne. Je prends plus conscience de
mes responsabilités en tant que personne sur plein de plans. Et elle,
dans ses introspections, elle part à la rencontre
d'elle-même.»
Cette introspection est d'autant plus nécessaire qu'un
des obstacles internes majeurs à la réalisation du polyamour
réside dans le sentiment de jalousie. Car loin d'étouffer ce
sentiment, l'expérience de la non-exclusivité met les individus
face à leurs failles, leurs peurs de l'abandon, leurs
possessivités, etc.
Benjamin : «Oui, et ça m'arrive encore
d'être jaloux. En fait j'ai déjà entendu le truc du
«c'est quoi un polyamoureux ? C'est quelqu'un qui est pas jaloux.»
Déjà j'aime pas parce qu'on revient à l'aspect biologique
de la chose, et en plus c'est faux.»
Dans une étude parue en 1993, le psychologue Paul
Stenner remet par ailleurs en question la notion d'une jalousie qui
proviendrait d'une «pré-programmation
génétique». Pour les constructivistes sociaux (Ritchie &
Barker, 2006) les émotions comme la jalousie sont
générées dans un «espace interactif» et
fonctionnent comme une «monnaie culturelle» permettant une
compréhension sociale partagée.
Les émotions ont de ce fait une fonction sociale, elles
peuvent opérer une forme de contrôle sociale sur les individus
(Harré, Parrott 1996). Ainsi, représenter la jalousie comme
étant une émotion négative tout en la décrivant
comme une réponse «naturelle» à
l'infidélité servirait à «maintenir la domination de
la monogamie, qui à son tour a été argumentée pour
maintenir des systèmes de patriarcat» (Ritchie & Barker, 2006).
Et comme notre capacité à décrire et ressentir une
émotion peut être accrue ou limitée par notre vocabulaire
culturel (Gergen, 1999), déconstruire la jalousie revient à en
déconstruire le sens et à déconstruire la monogamie.
Antoine : «Au niveau de la gestion de la
jalousie, c'est un mot-valise un peu j'ai l'impression de découvrir que
le dedans y'a plusieurs trucs. Je suis en train de le décomposer
là. Qu'est-ce qui compose cette petite boule qu'il y a un an j'aurais
appelé «jalousie» sans réfléchir.
Déjà un peu d'anxiété, et peut-être de la
peur. J'essaie un peu d'apprivoiser ça.»
La gestion de la jalousie est un des points primordiaux
abordés dans l'apprentissage du «mode de vie polyamoureux». Sa
déconstruction est une des pierres angulaires sur lesquelles se fonde la
stabilité relationnelle. Pour Camille, se décrivant comme
étant «hyper jaloux» lorsqu'il était dans «des
relations monogames», le mot jalousie «recoupe plein de choses
différentes» : «je pense que c'est pas mal de découper
qu'est-ce que c'est vraiment le machin en dessous». Ainsi, selon son
analyse, plusieurs formes de jalousie peuvent être
décortiquées. Parfois cela peut-être «l'envie,
c'est-à-dire qu'on voit quelqu'un avoir quelque chose et on voudrait
avoir pareil, ou bien on voudrait quelque chose d'aussi bien. On veut pas
particulièrement que cette personne n'ai pas ça, on est juste
triste de pas l'avoir». Cela peut-être aussi lié à une
forme «d'insécurité» :
34
Camille : «Je pense que c'était
ça la jalousie que j'avais mais hyper forte dans les relations
monogames. C'est-à-dire que n'importe qui qui plaisait à mon
partenaire ça voulait dire
potentiellement une menace pour notre couple. Et
donc forcément c'était inquiétant puisque c'était
structurel que si jamais il s'intéressait à quelqu'un
c'était mauvais pour moi.»
Cependant, même si cette forme de jalousie a
été ressentie «vraiment très fort» dans ses
précédentes relations, cela «s'est complètement
évaporé juste avec la structure de la relation
[polyamoureuse]». L'insécurité peut également
être ressentie lorsqu'il «y a de la nouveauté». Ainsi le
commencement ou la transformation d'une relation entre des partenaires peut
«être inquiétant» pour lui, du fait que les relations
fonctionnent «en réseau» et que «n'importe quel
changement dans ce réseau [...] a des effets secondaires». Le fait
de n'avoir en plus «aucun contrôle» lorsque cette relation
n'est pas directement liée à la personne peut alors susciter un
sentiment d'insécurité. Enfin la dernière forme de
jalousie énoncée consiste à «vouloir voler quelque
chose à quelqu'un» :
Camille : «c'est vraiment un sentiment assez
laid, et je pense pas avoir eu vraiment ce sentiment là dans des
relations amoureuses. C'est quasiment vouloir du mal à
quelqu'un.»
De façon assez similaire, Agathe exposa aussi lors de
l'entretien les différents ressorts et les différentes formes de
jalousies exprimables. Elle liste plus ou moins de la même manière
la jalousie liée à «un sentiment d'insécurité
[...] due à la peur que l'autre nous remplace»16, ainsi
que la jalousie due à «l'envie», qu'elle juge être une
forme de «jalousie toxique beaucoup liée à l'aspect qu'on a
des relations, où une personne est un objet». Dans son ouvrage
«Polysecure», Fern décrit ainsi 4
«styles d'attachements» envers ses partenaires
(générant différentes formes de jalousie), dont les
origines prennent racine jusque dans l'enfance: «the avoidant/dismissive
attachment style» (évitant et dédaigneux), «the
anxious/preoccupied attachment style» (anxieux et
préoccupé), «the disorganised/fearful-avoidant attachment
style» (désorganisé et peureux-évitant), «the
secure attachment» (sécurisé).
Derrière le mot jalousie se cachent donc de multiples
facettes et diverses origines. Pour Léna par exemple, sa jalousie
s'exprimait dans ce que son partenaire «pouvait vivre
émotionnellement avec d'autres personnes», alors qu'au contraire
«lui est très heurté par la sexualité [qu'elle peut]
avoir avec d'autres personnes». Lilou, elle, dissocie la jalousie à
une «peur de l'exclusion» : «On est trois et dès qu'il y
en a deux qui sont ensemble faut avoir une grosse confiance sur le fait que
c'est juste qu'on n'a pas tous les mêmes activités et qu'on ne
veut pas tous les faire au même moment».
Pour Antoine, le mode de vie polyamoureux fonctionne comme un
catalyseur. Citant le livre «Polysecure»,
il explique que «tous les problèmes que l'on peut avoir dans une
relation monogame» ne vont pas être «forcément
ressentis» du fait d'être «dans un contexte de
16 La peur de l'abandon semble être
partagée par de nombreux enquêtés, Roxane décrivant
ce sentiment comme étant «intrinsèque à toutes les
personnes, que ce soit des hommes ou des femmes ou quel que soit le
genre».
35
sécurité». Tandis que le polyamour, lui, au
contraire, n'aura pas cette «sécurité imposée par le
fait de dire «on est en couple», ce qui fait que les peurs vont
venir».
Cette mise à nue des peurs et anxiétés
refoulées va cependant s'appréhender différemment au sein
des relations. La jalousie, prenant un nouveau sens, perd le statut de honte et
de tabou qui lui était associé et ne se condamne plus.
Océane a choisi de se détacher du sens culturel très fort
lié au mot «jalousie» pour lui préférer le terme
de «détresse». «Faire ce pas de côté»
vis-à-vis de son ressenti lui permet de ne plus être
"heurtée" que son ou sa partenaire «ressente de la
jalousie».
Océane : «Ce qui me gêne le plus
c'est quand mes partenaires n'arrivent pas à comprendre qu'il puisse y
avoir de la jalousie, et que ça les inquiète. Parce que pour moi
c'est pas en soi un problème. Ce qui est un problème c'est qu'on
ne prenne pas en compte les choses qui nourrissent le sentiment de
jalousie.»
Lutter contre la jalousie se fait donc via la discussion.
Même si cela peut parfois rendre la communication difficile lorsque les
ressentis ne sont pas similaires.
Antoine : «Roxane n'en a pas [de jalousie] tu
vois, et je pense que c'est un peu pour ça qu'elle comprend pas tout ce
que je traverse et qu'elle est un peu perdue. C'est pour ça qu'il y a un
peu ce discours dissonant entre nous et qu'il n'y avait pas avant. Parce que je
pense qu'elle n'a pas compris ce que j'ai ressenti et j'ai pas su lui exprimer
correctement.»
La communication devient également un véritable
«jeu d'équilibriste» pour Agathe, tentant de jongler entre
l'envie d'avoir des informations sur les relations de ses partenaires pour ne
pas être «trop angoissée», et la dévalorisation
de soi en craignant que «les autres soient meilleurs». Cela
«commence à s'améliorer justement avec la
communication» et le fait d'être entourée de «gens
très bienveillants». En outre, de nouveaux systèmes de
communication et d'organisation sont pensés via ces discussions, afin de
limiter les «angoisses» :
Agathe: «On a un peu changé notre
système pour se voir, pour pouvoir mieux prévoir. Et là
par exemple le système qu'on a trouvé c'est juste que quand on se
voit on définit à la fin la prochaine fois où on va se
voir. Et ça permet d'éviter les angoisses de «nan, mais il
faut que je te demande, mais d'un côté j'ai peur de demander parce
que j'ai peur d'être trop relou...»
Au-delà de la communication, trois différents
facteurs permettent, selon les enquêtés, de mieux gérer ces
angoisses. Pour Océane, il est primordial de ne pas gérer ses
problèmes de jalousie en s'isolant. Elle dénonce les
méthodes de gestion de jalousie visant à «isoler une
personne jusqu'à ce qu'elle ait résolu son problème»,
les jugeant «hyper carcérales» en plus «d'aggraver»
le problème. Cette vision très individualiste de la gestion de la
jalousie n'est pas en accord avec «sa politique», car «dans les
milieux anarchistes de solidarité mutuelle c'est pas ça qu'on
fait». La gestion du sentiment de jalousie se fait alors via la
création d'un «réseau communautaire». Ceci est un
aspect important de ce que Fern (2021) nomme «secure attachment» (que
l'on traduira ici «attachement sécurisé»). Ainsi, dans
un système
36
d'attachement sécurisé, une personne peut,
lorsqu'elle est en détresse, à la fois s'autoréguler
émotionnellement, et se co-réguler en recevant le soutien de ses
partenaires. Pour Agathe, un des moteurs lui permettant de gérer sa
jalousie vient aussi des réactions positives de son partenaire. En
constatant qu'il «avait beaucoup de compersion envers [elle]», elle
commença petit à petit à «exprimer la même
chose, par mimétisme» ce qu'elle juge beaucoup plus
«sain». Alex partage la même idée en expliquant que
«la jalousie, ça s'accompagne et ça se formule pour se
désenclencher» : «Si ça vient envenimer quelque chose
dans la relation, pour moi il y a un besoin qui est d'avoir de la communication
là-dessus pour qu'on puisse travailler ensemble et se soutenir».
Alex : Méditer pour ne plus jalouser.
Avec mon coloc et cette meuf, j'ai fait ce travail sur moi sur
la compersion et sur la jalousie très très récemment. Sur
les deux semaines qu'on est là je l'ai travaillé sur les deux
semaines. Je me suis mis en méditation pendant 2h30 pour justement aller
travailler le mécanisme de réaction de les voir les deux
ensemble. Parce qu'au début ça me faisait du mal et franchement
j'ai pas envie que ça me fasse du mal parce que je les kiffe tous les
deux et du coup si ils se kiffent et ils sont contents, j'ai envie d'être
content pour eux. Et du coup je suis allé travailler ça en mode
« alors, c'est quoi qui fait que ça me fait mal ? On va aller
explorer tout ça, mettre tout à plat, débrancher les trucs
qui ont besoin d'être débranchés ». Et vraiment j'ai
vu ça comme les prises Ethernet avec un petit clips ce qui se
plug/unplug. Et je suis allé unplug plein de trucs et me dire "j'ai
plein de câbles maintenant qu'est-ce que je vais faire de tous ces
câbles ? Ça pourrait être pratique pour plus tard ? Non. Je
suis dans ma tête, je peux en créer d'autres. Je vais juste les
brûler pour signifier à mon inconscient que ces liens ne sont plus
là et que je suis OK avec la situation telle qu'elle est». Et
ça m'a libéré mais d'une force.»
|
Enfin, pour Alex, la déconstruction des
«réflexes de jalousie enseignés par une
représentation normative d'hétéro-patriarcat
exclusif» est un processus qui prend du temps. Même si cela est
«encore en travail» pour lui, il se sent malgré tout
«bien dans sa peau et dans sa façon d'aimer».
Construire ses relations
Nous l'avons vu, le polyamour demande certaines exigences dans
sa réalisation, et implique de se confronter à diverses limites.
L'engagement polyamoureux réside avant tout dans la mise en place
«d'accords» entre les partenaires (accords qu'ils choisiront
librement en
37
fonction de leur besoin) (Wosik-Correa, 2010). Cependant, les
accords et les règles imposent de fait des lignes de conduite, voire des
«restrictions» (Klesse, 2011). L'accent est mis sur la
négociation entre les partenaires, ainsi que sur le «travail»
fait autour de cette négociation. Cette notion revient d'ailleurs dans
pratiquement tous les guides de polyamour (Petrella, 2007). Cette
«éthique du travail» peut être interprétée
comme une stratégie «d'auto-responsabilisation» (Petrella,
2007) : une relation polyamoureuse ne peut fonctionner que s'il y a un travail
entre les partenaires, ainsi qu'un travail sur soi. Très souvent le
terme de «travail» et «d'effort» est revenu dans les
entretiens, se mêlant à celui de «liberté :
Soan : «Prôner «ouais la
liberté la liberté !» c'est bien, mais elle a quand
même un prix. Dans ta liberté, qu'est-ce que tu es prêt
à sacrifier pour l'avoir, parce que ça se fait pas sans
sacrifice.»
Pour Léna le fait d'être «dans la même
équipe» permet de souligner à l'autre que la volonté
de construire une relation est commune et qu'elle implique dans un même
temps les partenaires concernés :
Léna : «Petit à petit on a
appris à poser le truc, à se dire «qu'est-ce qui est
difficile pour toi ?», «comment je peux faire pour que ça
aille bien ?», «tu as du mal avec un truc, donc OKje vais pas le
faire, mais j'aimerais bien que tu travailles dessus parce que pour moi c'est
important». [...] C'est pas évident, mais on est tous les deux dans
la même équipe et on veut prendre le temps de
faire.»
De plus, selon Kesse (2011) en démontrant qu'ils
entreprennent tout ce travail dans le but de maintenir des relations complexes
et émotionnellement exigeantes, les personnes polyamoureuses sont en
mesure de prouver leur dévouement, que ce soit envers leurs partenaires
ou leur «mode de vie». Cette équation «amour =
travail» se retrouve aussi dans le pragmatisme affiché par les
enquêtés pour justifier leurs décisions et leurs choix de
vie polyamoureux. Pour Roxane, le fait que son partenaire (avec lequel elle
était dans une relation monogame) ait choisi le polyamour est à
la fois un choix rationnel et une preuve d'amour :
Roxane: «C'est quelqu'un de très
rationnel et très factuel donc d'un point de vue conceptuel il a vu tout
de suite tous les avantages du polyamour. Et c'est aussi parce qu'il m'aime
beaucoup et c'est vraiment une très belle preuve d'amour qu'il m'a fait,
il m'a dit «je sais pas si ça me correspond, mais je vais tenter
cette aventure avec toi.»
Cette vision pragmatique et utilitariste du polyamour se
retrouve aussi chez Océane, dans son choix de «fabriquer des
relations polyamoureuses» résultant de sa volonté de
travailler sur «la jalousie», afin de ne plus construire de
codépendance vis-à-vis de ses partenaires. Antoine y voit aussi
«un moyen» dual «d'être avec une personne [qu'il] aime
beaucoup» et de se «pousser hors de [sa] zone de confort» et de
travailler sur «ses problèmes d'attachement». Le polyamour
«l'oblige» à «faire attention» à lui pour ne
pas faire «qu'attention à l'autre». Choisir rationnellement de
devenir polyamoureux est d'autant plus important que ce choix de
38
vie peut sembler «gratifiant» (Agathe), avec une
«belle théorie» (Lilou). Pour Agathe, il ne faut pas oublier
que «derrière ce côté gratifiant on est juste des
humains avec des sentiments qui ne veulent pas se faire briser en deux par un
manque d'implication» : «Mine de rien c'est sérieux !»
:
Lilou : «J'ai attendu que
Jérémy revienne, parce que je le connaissais pas et donc je
trouve ça vachement facile d'être d'accord «en
théorie», mais c'était bien de voir si j'étais
d'accord en pratique. Pour voir si le soir si Camille rentrait avec
Jérémy est ce que ça me mettait mal à l'aise ou
pas. Parce que je trouvais que la théorie elle était belle, y'a
plein de gens qui aiment cette théorie, mais après est-ce que les
gens sont confortables avec en pratique, je pense que ça vaut le coup de
vérifier.»
Ainsi, le polyamour n'engage pas qu'une simple recherche du
plaisir personnel, c'est un choix relationnel murement réfléchi
impliquant diverses réflexions, un apprentissage sur le long terme,
voire quelquefois, des échecs.
Apprendre par l'erreur est un point commun que partagent de
nombreux enquêtés. Mais derrière ce mot «erreurs»
se cachent de nombreuses interprétations. Que ce soit par les
maladresses, les difficultés à communiquer, les
incompréhensions, l'ignorance de certaines normes, l'exploration de ses
propres limites ou les mauvaises expériences, le polyamour n'est pas
toujours facile à mettre en place et de nombreuses situations
polyamoureuses ont des débuts plus ou moins chaotiques.
L'échec n'est cependant pas péjoratif pour
Antoine, car pour lui, l'apprentissage se fait aussi et surtout sur le tard :
«de mes expériences le meilleur apprentissage que j'ai pu avoir
c'est malheureusement quand je me suis cassé la gueule». Les
premiers pas sont également difficiles pour Nicolas : «Ça se
politise, ça se conscientise, mais c'était les premiers pas et du
coup j'ai fait des conneries. C'était une relation qui n'a pas
été très correcte et du coup qui s'est
arrêtée». Pour Roxane, l'exploration empirique du polyamour
se fait sous la forme d'une courbe d'apprentissage. Son ouverture au polyamour
étant assez récente, elle voit dans ces difficultés une
«phase» à surmonter :
Roxane: «Parfois tu te dis que c'est
compliqué. Parfois tu te dis «je me suis lancée dans le
polyamour pour me simplifier la vie et en fait ça fait que la compliquer
la compliquer la compliquer !». Enfin après c'est peut-être
mon ressenti actuel parce que je dois gérer les
insécurités de mes trois partenaires, et trois partenaires
ça fait beaucoup.»
Pour Alex, ces insécurités font «partie de
l'exploration» et «de la confiance qu'on peut accorder dans une
relation non exclusive, surtout avec un partenaire principal et d'autres
partenaires occasionnels autour». Quelquefois cependant, ces
difficultés deviennent trop importantes et coupent court à la
relation, notamment lorsque la personne se rend compte que le polyamour
«ne lui convient pas» ou «qu'elle n'a pas tous les codes»
(Nicolas). Pour lui, ces échecs se «font à deux», car
il juge de son côté n'avoir «pas été assez
clair, donné suffisamment de billes et protégé [ses]
autres relations»: «Du coup il y a un peu ce truc du «ah ouais
tu as rencontré quelqu'un. Alors niveau polyamour sa ceinture c'est quel
niveau ?»
39
(rire)». Ces échecs ne sont pour autant pas
l'apanage du polyamour, Alex ayant vécu ce genre d'exploration au cours
de relations monogames :
Alex : «C'était de l'exploration, il
fallait bien que j'apprenne ce dans quoi je ne veux pas retomber. C'est bien de
commencer pas trop haut, trop bas. C'était pas non plus le pire des
beaufs, il n'était pas violent, juste un peu con. Ça m'a fait
apprendre que finalement l'exclusivité... bof, et surtout
l'exclusivité avec un gros beauf comme ça,
non.»
Ainsi, les notions «d'erreur» ou
«d'échec» ne sont pas à considérer dans une
dimension purement négative, car cette démarche d'exploration
empirique permet de reconsidérer ses propres limites et de trouver son
équilibre. C'est à travers ces différentes rencontres
qu'Agathe s'est «formée et forgée un avis» sur les
«types» de relations dans lesquelles elle se sentait à l'aise.
Ces différentes explorations sont également le terreau des futurs
«accords» qui organiseront les relations. En ce sens, le polyamour
est en construction permanente et évolue au fil des réflexions et
des déconstructions des normes. Apprendre de ses «erreurs» est
possible précisément parce que les normes sont flexibles et sans
cesse redéfinies.
Des règles strictes aux
«accords»
Dans le cas où un couple choisit de devenir
«ouvert» ou «libertin» (comme pour Soan, Benjamin ou
Aurélie), la mise en place d'un certain nombre de règles
explicites est souvent réalisée, ceci afin de consolider le
retrait de l'ancienne règle implicite structurant la vie de couple :
l'exclusivité. L'acceptation de partager son partenaire est un processus
long et demande au préalable de répondre à
différentes normes, afin de s'assurer de la fidélité de
son ou sa partenaire, au-delà de l'exclusivité :
Agathe : «C'est arrivé à des
potes à moi, c'est arrivé à plein de gens. Surtout en fait
des
couples qui commencent à s'ouvrir aux
relations multiples et qui commencent toujours avec des règles
très strictes qui sont pas forcément très très
juste des fois aussi pour la troisième personne.»
Ces «règles», peuvent aller de l'interdiction
d'avoir certains agissements avec ses partenaires17, à ce que
Cook (2005) nomme le «don't ask don't tell». Souvent, les partenaires
qui ont ces types d'ententes adoptent le principe du « ce qu'on ne sait
pas ne fait pas de mal », en vertu duquel les partenaires ne se divulguent
pas tous les détails de leurs aventures (Cook, 2005). Sur ce point Soan
semble avoir adopté ce mode de communication, même si cela
n'engage pas pour autant une fermeture hermétique à la discussion
:
Soan : «On est pas supposé mentir, si
par exemple un soir [...] je vais au cinéma avec un pote, c'est que je
vais vraiment au cinéma avec un pote. Ça c'est une règle.
Mais par contre on est dans une situation où la personne est pas
supposée être au courant on en parle pas.»
17 Antoine : «On avait pas encore eu
l'accord de Mattéo pour dormir ensemble.»
Soan : «dans les règles qu'on a on ne
ramène personne à la maison. Parce qu'on a quand même une
fille tu vois ce que je veux dire.»
40
Ici pourtant, on voit à travers ce discours la
dimension paradoxale et encore en construction du polyamour vécu par
Soan : on ne doit pas mentir, mais on peut ne pas dire. Cela est
peut-être dû au fait que Soan et sa partenaire se sont mis en
relation libre il y a peu de temps («à peu près
4 ans») et que leur relation polyamoureuse est toujours en
construction, étant avant tout un couple libre avec des tendances
polyamoureuses :
Soan : «oui c'est toujours en train
d'être processé, en plus il se passe beaucoup de choses dans nos
vies qui sont difficiles à gérer dans le cadre de ce mode
polyamoureux. Parce qu'elle aussi elle se pose la question si elle est
polyamoureuse ou pas.»
Pour autant, en écoutant le point de vue de Benjamin,
on s'aperçoit que ces normes visant à renforcer ou conserver la
stabilité du couple libre deviennent petit à petit
obsolètes et supprimées par les partenaires :
Benjamin : Alors ça ce sont des choses que
j'ai créé à l'époque où j'étais
libertin, où j'étais en couple et que dans notre couple on
s'autorisait à aller voir ailleurs. [...] Toutes ces règles ont
été déconstruites petit à petit. Au début on
a toutes ces règles, et puis finalement on se dit «ben pourquoi en
fait», et on les fait sauter une part une. C'est des règles qui
sont plus rassurantes qu'autre chose, pour être sûr que la personne
va pas se barrer avec quelqu'un d'autre, bah voilà il faut que ça
reste «protocolaire».
Pour Antoine, ce processus de déconstruction des
règles est encore à venir, du fait de la
«nouveauté» de leur relation. L'existence de ces règles
«ajoute une petite sécurité au début»,
même s'il ne doute pas «qu'un jour [il] n'aura plus besoin de
règles ou que les règles deviendront autre chose». C'est
d'ailleurs pour cette raison aussi que Roxane préfère utiliser le
terme «accord» que «règle», car «ce sont des
choses qui sont amenées à évoluer» alors que
«les règles c'est vraiment quelque chose de très
dur».
S'adapter à chaque
partenaire
En plus d'être évolutifs, les accords
édictés sont également adaptables entre les
différents partenaires. Dans le cas de Roxane par exemple l'accord
concernant la transparence dans la communication n'est pas le même pour
deux de ses partenaires, l'un voulant tout savoir, tandis que l'autre non. La
manière dont va s'exprimer la relation dans la vie publique n'est
également pas la même, notamment du fait qu'un de ses partenaires
préfère ne pas annoncer sa situation polyamoureuse à sa
famille: «Pour l'instant il est pas prêt en fait, il y va petit
à petit, il dit qu'il met à jour son logiciel en fait et que pour
l'instant il tâtonne». Pour Nicolas, cet ajustement des accords se
règle comme une forme de «curseur», entre ceux voulant une
communication «supra exhaustive" pour «être
rassurés» et ceux que l'abondance de données «met mal
à l'aise». Au-delà de la communication, certaines
règles peuvent être liées à la vie sexuelle des
partenaires :
41
Agathe: «Des fois c'est pas forcément
moi qui mets des règles. J'ai une de mes relations, de mes amireux, qui
fait en sexualité aucune pénétration, pour des raisons
personnelles. C'est une limite qu'il a mis, c'est pas un truc qui me
dérange, c'est une communication de ses besoins.»
La sexualité positive
Une des règles les plus importantes et les plus
«formelles» énoncées dans les relations polyamoureuses
concerne la sexualité de ses membres. Très fortement
inspirée du mouvement sexpositif18, la sexualité des
partenaires semble répondre à plusieurs exigences liées
à la sécurité, à la communication et à la
prophylaxie, bref à ce que l'on appelle «safe sex». Pour
Léna par exemple, la gestion de la sexualité au sein du
polycule19 est une véritable organisation au quotidien :
«dans un polycule ça devient vite monstrueux [...] tous ces
gens-là il suffit qu'il y ait une MST dans l'histoire et tout le monde
la chope quoi». Multiplication des partenaires sous-entend multiplication
des risques. Camille explique que l'ouverture à une sexualité
sans protection se fait par étape et à travers des discussions
:
Camille : «Donc l'idée c'est que quand
t'as un amant ça va être protection pour tous. Si jamais ça
dure depuis longtemps et que c'est un truc dont vous avez envie bon bah... vous
avez la discussion sur ce sujet puisque le fait de se protéger surtout
ça permet de ne pas demander à des personnes avec qui tu es
peut-être moins en lien de respecter tes propres règles. Et donc
si la personne dit «ok moi ça me va de faire ça aussi avec
mes partenaires» et bah vous vous faites tester tous les deux et puis
ensuite ça permet de pouvoir poser ça.»
La gestion de la prophylaxie n'est cependant pas
forcément facile à gérer, voir «un peu
pénible» pour Léna, très sensibilisé à
ce sujet, car «tous les partenaires n'ont pas forcément la
même rigueur» sur le sujet : «La prophylaxie ça me
saoule, faut toujours une énergie folle en fait pour poser les bails,
c'est quelque chose sur lequel j'aimerais être inflexible, et j'ai pas
toujours l'énergie de pouvoir le faire.»
Avec qui relationner
Une autre règle formulée entre les
différents membres du polycule s'enquiert des relations pouvant
être tissées (ou non) avec de nouveaux partenaires. Ici, une
règle est notamment présente chez le trouple interrogé :
celle de ne pas relationner avec des personnes monogames ou dans une relation
de type «don't ask, don't tell».
Lilou : «La seule règle explicite dont
Camille m'avait parlé c'était le fait qu'on ne crée pas de
relations avec des gens qui sont pas ouvertement polyamoureux, ou qui n'en
parlent pas à leurs partenaires. Pas de relations adultères.
Enfin on n'a pas envie c'est bizarre, tu es caché tu sais pas...
Ça se répercuterait et puis même y'a une importance morale
quand même.»
18 Le mouvement sexpositif est un
mouvement social et philosophique promouvant la sexualité et
l'expression sexuelle, en portant une attention toute particulière sur
les rapports protégés et le consentement.
19 Toutes les personnes liées
par une relation, habituellement romantique et/ou sexuelle, avec un ou
plusieurs membres d'un groupe polyamoureux. (
wiktionary.org)
42
Quoi qu'il en soit, la règle est
généralement de prévenir la ou les relations lorsqu'une
rencontre se profile. Cela peut être fait avant qu'elle se
concrétise comme pour Antoine: «si on a un date ça sera rien
le premier date». Mais cela peut également être plus flexible
comme pour Léna : «s'il y a quelqu'un d'autre qui débarque
dans le polycule [...] l'idée c'est de se tenir au courant quand
même. C'est pas grave si ça ne se fait pas «au moment»,
ça peut se faire après, mais juste prendre le temps de se checker
dans notre vie».
La place de l'enfant
Dans le cas où un enfant entre dans l'équation,
sa place au sein des dynamiques polyamoureuses est primordiale. Pour
Léna, mère d'une enfant de 4 ans, le message est clair: «si
tu veux m'aimer il faut que tu aimes ma fille». La dimension familiale
liant ses différentes relations polyamoureuses lui «plaît
énormément» car elle permet à sa fille d'être
«toujours prise en compte» dans tous les choix de vie des membres du
polycule.
Léna : J'ai des personnes qui ne peuvent
pas saquer les enfants et c'est hyper compliqué pour moi d'être en
relation avec ces personnes-là. Moi je vis avec une enfant et... ben
elle est
là en fait.
Nos répondants semblent ainsi suivre les observations
rapportées par Sheff (2012) concernant les parents polyamoureux :
«multiple adults provide children with more attention and meet more of
their needs than in two or fewer parents families» (Lévesque,
2019), bien qu'il ne faille pas pour autant édifier ce contexte en un
fait absolu. Taormino (2008) indique pour sa part que dans le contexte
familial, la chose la plus importante pour l'enfant est d'avoir accès
à une certaine stabilité de vie, et pour les parents,
d'être honnête avec eux à propos de leurs relations.
La segmentation du temps
La segmentation du temps est également une dimension
essentielle du vécu polyamoureux. Savoir trouver sa limite souligne la
difficulté qu'ont les personnes à partager et organiser leur
temps en fonction de chaque partenaire. Pour Antoine, si dans le polyamour
«l'amour est inépuisable, le temps, lui, l'est». Cette
difficulté à gérer le temps passé entre chaque
partenaire peut d'ailleurs être source d'insécurité et de
«gêne» pour Antoine : «Je me suis senti un petit peu
lésé et je n'ai pas trop su lui expliquer cette boule de
jalousie».
Cette segmentation va cependant différer en fonction
des besoins des partenaires et de leurs «bails relationnels». Pour
Alex, le fait d'avoir des «amants et amours qui sont loin» rend ses
«amours très ponctuels dans l'espace-temps» et annule toute
problématique de «codépendance».
Cette problématique ne semble pour autant pas si
éloignée des «problématiques d'amitié»
selon Léna : «Si tu veux moi je me sens pas plus différent
parce que j'aime plusieurs personnes en fait. Parce que finalement c'est les
mêmes problématiques avec tes potes
43
qu'avec tes proches». Cette problématique prit
d'autant plus d'importance avec l'arrivée du Covid-19. Car en plus
d'imposer des relations à distance entre les partenaires, la crise
sanitaire força les individus à «couper» leur cercle de
relation (Léna), les amenant à «privilégier»
certaines personnes plutôt que d'autres, afin de limiter les risques de
transmission du virus.
Polysaturé
Les difficultés liées à partager son
temps entre chaque partenaire nous amènent à la limite
extrème du polyamour : la polysaturation. Multiplier les partenaires
peut rapidement déborder la personne. Pour Roxane par exemple, son plus
gros «challenge» consiste aujourd'hui à donner «100% de
son attention et de son énergie à chacun de [ses]
partenaires». Cette «charge mentale» peut être difficile
à gérer et lui demande parfois «d'avoir du temps pour
[elle]». La limite à partir de laquelle une personne est
polysaturée dépend de différents facteurs liés
à l'individu ainsi qu'au contexte dans lequel il relationne. Ainsi, pour
Océane, les conditions spécifiques de temps liées à
ses études lui ont permis de fréquenter jusqu'à 5 ou 6
personnes sans que cela ne lui «mette la pression»; à elle,
mais aussi à ses partenaires. Aujourd'hui cependant cette configuration
serait totalement impossible à tenir avec son activité
professionnelle :
Océane : «Je me dis que 3 relations
vraiment importantes pour moi ça fonctionne relativement bien. Ca permet
de faire de la place, ça permet de me sentir reliée, de savoir
qu'il ya des choses supers belles que je peux cultiver, que j'ai pas besoin de
me mettre la pression, de mettre la pression aux partenaires, où je mets
la pression quand j'ai vraiment envie de ça à certains
moments.»
Le pilier du polyamour :
l'hypercommunication
D'une façon générale, la communication
est l'élément majeur permettant une connaissance et une
proximité intime mutuelle (Klesse, 2011). C'est également cet
engagement à l'honnêteté et à la transparence qui
permet au polyamour de sortir des cadres mononormatifs (Mint, 2004).
L'éloge de l'hypercommunication est à la base de tous les
entretiens de ce mémoire. Il se retrouve dans le discours de Benjamin,
expliquant que pour «pouvoir vivre une relation polyamoureuse ou libertine
sainement», la norme «la plus importante» est celle de la
«sincérité», voire de la transparence. Cette norme,
qu'il décrit comme étant primordial dans les autres types de
relation, est tout simplement nécessaire pour toutes personnes se disant
polyamoureuses :
Benjamin : «Déjà je pense que
c'est ultra malsain d'avoir une relation monoamoureuse si
t'es pas sincère avec la personne, mais
alors dans une relation polyamoureuse je pense que c'est même pas
possible. A partir du moment où tu brises cette norme et que tu as
plusieurs
44
relations avec plusieurs personnes, faut que tu
sois sincère dans tes sentiments et dans ce que tu transmets aux gens,
sinon ça va pas bien finir.»
Le fait que la communication soit plus
«nécessaire» (Benjamin) pour les relations polyamoureuses que
monoamoureuses est justifié de la manière suivante par
Léna :
Léna : «Quand on est dans un
schéma monogame souvent tu communiques pas donc en fait tu poses pas les
limites, et là si il y a bien un truc dont on n'a pas le choix en tant
que polyamoureux c'est de poser des limites.»
Cette emphase sur la communication se retrouve aussi dans tous
les ouvrages et «guides» sur le polyamour. Des chapitres entiers
livrent des conseils sur la façon de parvenir à des accords et
à communiquer en cas de conflit entre partenaires (par exemple Easton,
Liszt, 1997). Ainsi, la mise en pratique d'une communication claire et efficace
permet d'arriver à différents objectifs pour les
enquêtés. Pour Lilou, elle permet de faire évoluer la
relation et de pouvoir avancer au même rythme :
Lilou : «Maintenant on est sur une relation
à 3 et on a équilibré un peu la relation. Et ça je
pense que si on n'avait pas fait ce travail j'aurais pu me sentir longtemps en
décalage en me disant jusqu'où je peux aller, qu'est ce que je
peux construire et à quel moment.»
Ce qui a permis à cette relation de «vraiment bien
marcher» pour elle, c'est aussi cette volonté commune
«d'appuyer là où ça fait mal», et de «ne
pas laisser de zones sombres dans la relation». Cette communication
relève parfois de «l'effort» car elle doit s'imposer
«même quand c'est pas agréable» : «parce que des
fois t'as pas envie parce que ça te met mal à l'aise et ça
te met dans l'angoisse». Ensuite, à ces phases de communications
intensives où «on essaye vraiment de comprendre les points de vue
et de comprendre ce qui fait le malaise», se succèdent toujours des
«moments de bienveillance» afin de signifier aux autres et à
soi «qu'on est heureux d'être ensemble».
Pour Océane, la communication est un
élément essentiel de la construction de ses relations, notamment
du fait de sa neuroatypie :
Océane : «Je suis neuroatypique et ce
n'est pas facile pour moi d'interpréter exactement ce que les gens
ressentent. Je le fais beaucoup par inférence et j'arrive à m'en
sortir avec des verbalisations très riches et complexes de ce qu'il se
passe et de ce que je peux vivre.»
La création d'un «espace d'intimité
où il est possible de communiquer» permet de «savoir quels
sont les ressentis de l'autre» et de ne pas ressentir de la
«détresse». La règle «implicite» de
l'hypercommunication est aussi pour Agathe ce qui lui permet
«d'éviter d'avoir des moments d'insécurité ou de
jalousie». Selon l'adage «l'inconnu fait plus peur que ce qu'on
connaît», la possibilité pour elle de pouvoir
«analyser» et «comprendre ses émotions» et de
n'avoir «aucun tabou» est «plus simple» que de
«projeter ses angoisses sur quelque chose
45
qu'on ne connaît pas». Pour Antoine, la
transparence et le fait de «tout dire» lui permet d'être
«rassuré» car cela permet d'être «inclus dans
l'expérience de l'autre».
La communication est aussi un apprentissage. Pour Léna,
il est essentiel d'apprendre à bien communiquer plutôt que
beaucoup :
Léna : «Ça, on a appris
à le poser: on a toujours été très transparents
donc on se dit tout, mais on a appris à se dire les choses au bon
moment. À pas arriver avec ses gros sabots, à cracher son bonheur
à l'autre, mais aussi de sonder quand l'autre est en capacité de
recevoir les choses.»
La sincérité et la communication peuvent aussi se
retrouver vis-à-vis de son enfant :
Léna : «On a souvent ces
questions-là, comment se gère le polyamour avec des enfants. Nous
on en fait on le fait le plus naturellement possible, c'est-à-dire que
Elie elle sait qu'on a des amoureux et des amoureuses. Elle a pas vraiment
besoin de poser la question parce qu'en fait c'est clair et net que moi je me
cache pas pour embrasser son père devant elle, donc bah je me cache pas
non plus pour embrasser Nicolas ou autre devant elle, ou donner la main quand
on se balade dans la rue.»
Avec certaines limites cependant :
Nicolas: «C'est un peu délicat dans le
sens ou si tu donnes les termes il y a un peu de peur
que l'enfant se balade avec des termes d'adulte et
qu'il les balance comme ça et du coup que ça soit
compliqué pour lui. C'est plutôt que la réflexion sur le
couple et la famille a déjà été bien
poussée.»
Selon les termes de Nicolas, il est essentiel de pouvoir
«donner les mêmes outils» de communication à un enfant,
«pour qu'il puisse mener lui-même ses désirs et qu'il puisse
dire s'il y a un problème» : «C'est incroyable là, la
petite elle s'appelle Elie et elle fait des trucs de connexion, de
communication, d'exprimer ses sentiments de façon vraiment très
claire quoi.»
La volonté de travailler à la résolution
des conflits et l'accent mis sur la communication sont autant de
démonstrations d'un profond engagement dans les relations en question
(Klesse, 2011). Pour Agathe, ne pas communiquer revient donc à tromper
et à «une espèce d'immense manque de respect» :
Agathe: «La communication c'est simplement la
chose que je demande le plus, et ça n'a pas
été fait [...]. On dit que quand on
est poly on ne peut pas tromper, mais moi je pense que si parce que pour moi il
m'a trompé en fait, c'est vraiment le même feeling que s'il
m'avait trompé.»
46
Polycule et métamour : construire son nouveau
cercle de relation
L'application d'une communication claire et transparente
s'étend au-delà de la relation intime, en se mettant en place
entre tous les membres d'une relation polyamoureuse, ou «polycule».
Cette communication se fait tout d'abord par la volonté de faire se
rencontrer les différents partenaires (appelés aussi
métamours) d'une relation. Cette décision peut même
être à l'initiative des métamours eux-mêmes :
Roxane: «En fait c'est pas moi qui l'ai
demandé du tout, mais c'est eux qui l'ont décidé pour
essayer de désamorcer un peu la gêne qui pourrait s'installer
sinon. Donc comment mieux connaître l'autre, comment apprendre à
connaître l'autre en ayant en commun une personne.»
La construction d'un polycule peut également se passer
en ligne via les applications de messagerie instannée comme Signal (pour
Camille) ou Discord (pour Agathe) :
Agathe: «On a un espèce de serveur
Discorde où on a un peu ce groupe-là. Ce qui fait que maintenant
mon mec les connaît tous et il s'entend très bien avec eux. C'est
vraiment un espèce de groupe d'amis soudés avec lequel on a des
relations, quoi tout simplement. Les affinités sont plus ou moins
fortes, des fois c'est juste on se connaît, et des fois c'est genre pur
potes, ça dépend vraiment des gens et des
affinités.»
La volonté que tous les partenaires «se
connaissent et aient un certain degré de lien» et de construire un
polycule fonctionnant «de manière très très
intense» est un idéal relationnel» pour Océane.
Même si cette cohésion peut être difficile à mettre
en place lorsque les «dynamiques sont très différentes»
entre les partenaires. Cette volonté d'avoir «sa»
communauté polyamoureuse est d'ailleurs un sentiment partagé par
beaucoup de personnes selon Agathe :
Agathe : «Je devais mettre un euro à
chaque fois qu'il y a un nouveau poly qui me dit «j'aimerais trop ouvrir
un village poly en France en mode éco quartier, éco village
où tout le monde a ses maisons»... Ils ont tous la même
idée (rire) !»
Le polycule ne s'arrête d'ailleurs pas aux relations
intimes et proches entre partenaires, mais peut s'élargir à
différents membres éloignés du polycule, faisant partie de
la «famille étendue»
:
Léna : «Elie considère Nicolas
comme un membre de sa famille qu'elle chérit plus que tout, et Caroline,
la maman de Nicolas qui désespère de ne jamais avoir de
petits-enfants, voit Elie comme une petite fille de
substitution.»
Le polycule souligne donc l'aspect communautaire que peuvent
avoir certaines relations polyamoureuses. Pour Océane, «l'amour
intracommunautaire a une force remarquable» car il génère
des dynamiques de solidarité, de «soins mutuels, d'attention, de
réflexion», permettant de «faire croître les personnes
dans leur relation». La forte proximité de chacun des
47
partenaires investis dans le polycule peut
générer des bienfaits, mais aussi de l'insécurité
lors de la survenue de conflits :
Camille : «Finalement tu vois la rupture
entre Ethan et Ria, qui sont deux personnes avec qui j'étais pas du
tout, a eu un impact sur ma relation à moi. Quand tu dis à
quelqu'un que tu es poly les gens te demandent «ah bon mais vous
êtes pas jaloux ?», ils te demandent pas «ah bon mais comment
vous gérez quand il y a quelqu'un qui se sépare
?»
Ce qui nous fait revenir à la notion suivante: dans le
polyamour, il vaut mieux savoir «bien» communiquer que
«beaucoup». Il est tout aussi primordial d'être transparent et
honnête vis-à-vis de ses partenaires que de connaître le
potentiel impact de ses paroles ainsi que la situation et le ressenti de la
personne en face : «il m'a dit ça comme tu en parles à un
pote tu vois [...] je pense qu'à ce moment-là il était
dans un truc où il se confiait tu vois, il a pas du tout pensé
à ce qu'il était en train de me dire.» (Camille).
Garder ses amours, quitter ses
amis
La renégociation permanente au sein des relations
polyamoureuses puise ses racines dans la volonté de ses membres de
conserver durablement leurs relations. Léna par exemple, nous explique
que le polyamour lui a appris à poser ses «bails
émotionnels» afin de «ne plus rompre». Il lui semble par
exemple «aberrant de rompre» du fait de la distance. Poser ses
besoins est donc un moyen de garder une certaine stabilité
relationnelle, que ce soit pour iel ou pour ses proches :
Léna : «Avant j'avais peur pour Elie,
que ce soit difficile pour elle si jamais on rompait avec nos relations
amoureuses. Et en fait c'est quelque chose pour laquelle j'ai plus peur. Parce
qu'en fait maintenant on sait qu'on est capable de communiquer et que
finalement rompre une amitié c'est pareil que pour rompre en amour si
jamais ça arrive.»
Cette volonté d'inscrire une relation amoureuse dans le
temps long «s'éloigne beaucoup de l'idée de ce que c'est que
de relationner» pour Océane: «un jour ça
s'arrête, et après je suis censée me sentir moins
confortable et maladroite à chaque fois que je reparle ou que je
recroise la personne». Elle utilise souvent d'ailleurs la métaphore
de l'arbre et du jardin pour penser dans le temps :
Océane : «J'emploie pas mal, quand
j'essaie de penser à mes relations, l'idée de
faire
«croître» ou de
«nourrir», comme si je parlais d'un jardin, et je le vois beaucoup
comme ça. Un jardin avec ces différents arbres, ces
différents végétaux, ces différentes plantes.
L'arbre c'est une bonne image parce que tu peux voir des arbres croître
l'un à côté de l'autre et durer pendant très
très longtemps et mêler leurs branchages et il y a plein
d'espèces d'animaux qui vont habiter entre les deux. Ça permet de
penser dans le temps.»
Pour Nicolas, ce n'est «pas la peine de vouloir dynamiter
une relation parce que untel aura décidé de changer de vie».
Ces relations ne sont donc pas «un grand adieu à jamais».
L'éloignement géographique ou le changement de situation d'une
personne n'empêche pas de
48
tenir «toujours beaucoup l'un à l'autre» pour
Camille, sans pour autant considérer ces relations comme des
«ex». Cette «potentielle évolution» des relations
permet à Agathe de «ne pas revenir à zéro» si
«ça casse», brisant ainsi ce qu'elle nomme «l'escalator
relationnel» lui indiquant «vers où elle doit aller»:
«c'est pas parce que tu ne veux plus d'un type de relation avec une
personne que tu peux pas te dire que cette personne elle va devenir une amie ou
un proche».
A l'inverse, questionner le lien que l'on peut garder avec ses
partenaires amène aussi à remettre en question la
durabilité des relations amicales. Léna par exemple, a appris
à «rompre avec des amis» car le polyamour lui a aussi appris
à «poser des amitiés».
Léna : «Avec les amis on ne rompt pas
parce que voilà c'est des amis depuis toujours. Mais en fait on a
vraiment appris nous à rompre avec des amis et à dire «On va
se faire du mal parce que je suis pas dans tes valeurs et t'es plus dans les
miennes, et du coup bah viens on arrête de se voir en fait». Donc on
a appris à rompre nos relations d'amitié, et à changer
l'intensité de nos relations amoureuses.»
Les questionnements sur l'amour déteignent ainsi sur
l'amitié, et questionnent sur la priorité de fait d'un type de
relation sur un autre. Certains polyamoureux, selon Ferne (2020), cherchent
à démanteler les hiérarchies sociales dictant comment les
relations sexuelles et romantiques sont prioritaires sur les autres formes
d'amour. «En exprimant la possibilité d'aimer plus d'un individu
simultanément, le polyamour peut atténuer cette dichotomie
apparente entre amour et amitié, effriter cette distinction conceptuelle
conventionnelle, la rendre, pour le dire avec Barker (2005), plus floue»
(Lévesque, 2019).
Océane: «il y a eu une période
très heureuse dans ma vie où ma relation la plus importante
c'était une amie. Et souvent je considère que dans ma
constellation polyamoureuse la personne principale c'était ma meilleure
amie. Ça a été un aspect important parce que souvent ces
amitiés là elles montraient des aspects de qui j'étais,
bien plus que mes relations amoureuses en fait. C'était les relations
les plus fusionnelles ou les plus nues, qui faisaient le plus
grandir.»
D. Polyamour et stigmates
Une déconstruction parfois conflictuelle et
fragilisante
Encore aujourd'hui, le fait de prendre de la distance
vis-à-vis de la normativité relative au mode de vie relationnel
peut-être source de préoccupations (Lévesque, 2019). Les
répercussions potentiellement stigmatisantes occasionnées par
cette remise en question de la norme peuvent être source de
préoccupations et fragiliser les individus stigmatisés.
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Le stigmate tel qu'il est défini par Goffman (2007),
revient à subir le «discrédit profond» des
«normaux» lorsque l'on diverge de ces normes et attentes
particulières, ce qui semble bien cerner le «sentiment de
déviance expérimenté par plusieurs polys»
(Lévesque, 2019). Le type de stigmate associé aux polyamoureux
«constituerait plus précisément une «tare de
caractère», pouvant apparaître comme une forme de
malhonnêteté ou encore de passions irrépressibles ou
antinaturelles» (Lévesque, 2019). La neuroatypie ainsi que
l'homosexualité ou la bisexualité sont également inscrites
dans cette catégorie. Pour Agathe, parler de ses soucis à des
«gens monos et hétéros» n'est pas forcément
possible car «ils ne sont pas forcément capables de l'entendre. Les
jugements liés au polyamour - «ce sont des gros pervers !»
(Agathe) - ne sont pas dénués de performativité. Lorsqu'en
plus y sont amalgamés des comportements d'infidélités
et/ou de tromperie, ces stéréotypes permettent de
dénaturer ou d'altérer la signification propre du polyamour. Il
devient donc de fait plus ardu de s'identifier et de se revendiquer comme
polyamoureux.
Se découvrir et surtout se revendiquer polyamoureux
prend donc généralement du temps. En plus de cela, s'additionnent
au polyamour d'autres questionnements liés aux genres et à la
sexualité qui fragilisent d'autant plus le vécu des individus.
Ces premiers écarts à la norme (ici, la bisexualité)
engendrent des «dynamiques un peu compliquées» pour
Océane.
Océane: «C'est pas évident de
clarifier ce qui se passe pour toi, ce qui fait ton expérience. D'une
part dans l'adolescence je pensais même pas que ça existait
vraiment. C'était simple et évident d'être amoureuse d'un
garçon et d'une fille quand j'étais petite et dans l'adolescence
ça n'avait plus aucun sens. C'était tellement pas avouable que
j'aurais pas pu le dire.»
Parfois ces prises de conscience engendrent des conflits
très violents vis-à-vis des proches et de la famille, même
si le polyamour n'est pas encore consciemment dans l'équation. Pour
Léna, qui se décrit comme ayant été
élevé «par une famille bourgeoise catholique
puritaine», la prise de conscience de ne pas partager les mêmes
normes a été très brutale :
Léna : «Alors en fait j'ai eu un
déclic assez tard, car quand on a une éducation comme ça
on ne se rend pas forcément compte de ces valeurs-là, car on
baigne dedans. Le moment où je me suis rendu compte que c'était
pas normal j'avais 17-18 ans; quand j'ai eu mon premier partenaire j'ai
capté que c'était pas normal ce qu'il se passait. Quand j'ai
commencé à partir de la maison on a rompu les liens quasi direct
et j'ai repris contact quand j'ai eu ma fille.»
Un des autres obstacles pouvant entraver l'évolution du
couple polyamoureux est qu'en contrepartie de ce rejet, les individus
polyamoureux se construisent souvent sans avoir de figure de
référence à laquelle ils pourraient se rattacher. Le fait
que le polyamour soit peu connu encore aujourd'hui rend son exploration
laborieuse et chaotique.
Benjamin: «Des exemples de couple
monoamoureux tout ce que tu veux j'en ai plein, mais à côté
de ça, des exemples de couple polyamoureux j'en ai zéro. Donc je
sais pas comment ça fonctionne.»
50
Cette pauvreté dans les représentations de mode
de vie polyamoureux se retrouve aussi dans les médias. Il est
«vraiment très rare» pour Jérémy de tomber sur
des représentations «plus ou moins poly» dans les
«séries ou les films». Et lorsqu'elles sont montrées,
ces représentations sont assez «frustrantes» parce qu'elles ne
sont «pas forcément bien amenées". Il est difficile pour
Agathe de diffuser «l'image du polyamour» car cela reviendrait
à parler de «sexualité» pour les gens conservateurs. En
outre, ces représentations sont souvent
stéréotypées à travers l'image type du
«triangle amoureux» où «ça se passe toujours mal
pour les couples poly». Le fait de ne pas avoir d'exemple de
«relations poly sur le long terme» engendre même la «peur
de ne pas avoir de repères» :
Agathe : «Là en fait j'ai l'impression
de naviguer sans radar. [...] L'avantage des relations mono c'est qu'on a un
espèce de phare qui fait qu'on sait où on va. Et on sait ce qui
est une
réussite et ce qui est un échec.
Dans une relation poly on sait pas trop ce qui est réussi ou un
échec. C'est un peu le côté effrayant de la
liberté.»
La découverte du polyamour est également
très déstabilisante lorsqu'un couple est déjà dans
l'équation. Pour Agathe, certains voit dans le polyamour une
«espèce de rustine, d'alternative sur un couple qui fonctionne
mal» alors qu'à l'inverse le polyamour «exacerbe tout» et
«met une énorme loupe sur tous tes problèmes de
couple», d'où l'idée d'avoir un couple «solide».
Le fait de se retrouver confronté à ses
«insécurités» - « je ne pensais pas être
jaloux à ce point là en fait», «est-ce que c'est pour
me remplacer ?» - demande d'avoir une «sacré stabilité
de vie pour se lancer». Sa construction est d'ailleurs souvent
étalée sur plusieurs relations, avec une remise en question
progressive au fur et à mesure des relations et des échecs
notamment.
Nicolas : première relation et première
désillusion
Ma première relation c'est à 22 ans et du coup
avant ça il y avait vraiment pas grand-chose, peut-être des
enfantillages à l'école quoi mais pas plus que ça. Du coup
j'ai eu première relation où très rapidement on s'est
installé en couple pendant deux ans et à cette
période-là j'étais encore un petit peu dans l'idée
de... genre c'est super tu es technicien du spectacle, tu rencontres quelqu'un
à 22 ans c'est bon tu as l'intermittence, la maison, les gamins tout !
Donc j'y ai cru, et puis j'ai rencontré sur mon temps de travail
quelqu'un d'autre et du coup je voyais bien que j'étais coincé
parce que cette personne avait plus le style de vie qui me plaisait et que
j'avais plus envie de vivre un peu comme cette personne vivait, quitte à
vivre un peu avec cette personne. Et du coup c'était dur et ça ne
m'empêchait d'avoir autant de sentiments pour la personne avec qui
j'étais à ce moment-là. C'était la première
fois que j'étais confronté à ce truc genre «mais en
fait il y a les deux qui me plaisent et je peux pas vraiment faire un
choix» du coup je me suis barré de la relation avec qui
j'étais et ça a pas plus accroché avec la relation qui me
donnait envie. Mais au moins ça cassait tout le truc du «22 ans je
faisais des gamins et clac».
|
51
Le témoignage de Nicolas pourrait faire
référence à ce fameux «escalator relationnel»
décrit par Agathe. À l'inverse des cadres solides et strictes de
l'exclusivité amoureuse donnant une trajectoire prédéfinie
par la forme même du couple, le polyamour se délimite par des
contours «flexibles et poreux» (Lévesque, 2019), qui imposent
inévitablement une reconfiguration des frontières de la relation
qui étaient auparavant mises en place «par défaut».
Cette reprogrammation, bien que déstabilisante et fragilisante pour les
relations établies, se fait idéalement par le biais d'une
«dynamique communicationnelle réciproque sans cesse
renouvelée par les partenaires et favorisant l'agencement de leurs
désirs respectifs» (Lévesque, 2019). Pour Nicolas,
l'apprentissage concret du polyamour a d'abord été le fruit d'un
«travail» à deux avec la rencontre d'une relation
«d'accord pour partir là-dessus» : «si en face de toi tu
as une personne qui est pas tout à fait chaude c'est vraiment
casse-gueule». Dans le cas de Jérémy, le fait de ne pas
avoir de normes mises d'emblée à déconstruire a rendu plus
facile la mise ne place du mode de vie polyamoureux :
Jérémy : «Je pense qu'avant
d'avoir rencontré Camille je savais pas si je voulais dans ma vie un
couple exclusif standard. Le prototype du couple. C'était quelque chose
qui était vraiment très agréable dans la rencontre avec
Camille, c'est que y'avait pas les schémas classiques d'emblée et
du coup c'était vraiment très facile de construire autre
chose.»
La déconstruction des normes associées à
l'exclusivité et au couple change également la
compréhension du «normal». La prise de conscience qu'il existe
«plusieurs normatifs, parfois contradictoires» permet de comprendre
et d'accepter que son vécu (et même celui des autres)
«peut-être différent» (Océane).
Nicolas : «Ça m'a aussi permis de
pardonner à mon père d'avoir quitté ma mère. En me
disant que «ah oui la vie c'est un peu plus compliqué que ce que tu
penses» parce que jusqu'à présent je pense que je
m'étais un peu mis sur ce rail en me disant que je ne ferai pas vivre
une séparation à mes gamins ou un truc dans le
genre.»
Le vocabulaire polyamoureux
À nouvelles normes, nouveaux mots. Le vocabulaire
polyamoureux ne cesse de s'enrichir et beaucoup de termes furent
inventés pour désigner son «vécu poly» depuis
les années 90 et l'utilisation massive d'internet (Ritchie, Barker,
2006). Comme nous l'avons vu précédemment, la culture dans
laquelle nous vivons façonne les relations, les émotions, les
désirs et l'identité des individus (Ritchie, Barker, 2006). La
compréhension que nous avons de notre identité sexuelle
dépend de la richesse du langage de la sexualité à
laquelle nous avons accès (Week, 2014). Cela est visible par exemple
chez les personnes non hétérosexuelles qui
développèrent leurs propres langages pour exprimer leurs
identités, revendiquer leurs communautés et légitimer
leurs droits et leurs reconnaissances (Ritchie, Barker, 2006). Cette
construction d'un nouveau langage pour se désigner est également
visible chez les polyamoureux et notamment dans les discours des
enquêtés.
52
En outre, le fait d'avoir eu accès aux vocabulaires
polyamoureux permit la théorisation et surtout la réalisation de
ce mode de vie. Pour Lilou, le mot «polyamour» lui a permis de
«se poser les bonnes questions», de voir «ce qu'il
existait» en ayant accès à «d'autres expériences
d'autres personnes». De plus, il y a pour Océane «une forme de
sécurité dans le fait de se sentir la possibilité de
nommer les choses complexes». Ce que Nicolas appelle aussi
«l'empowerment du langage». Reconnaître et repositionner une
relation dans son terme à elle, permet aussi de ne pas la voir comme une
menace (Ritchie, Barker, 2006).
Pourtant, ce nouveau langage contient encore de nombreuses
failles, et il est parfois difficile de savoir comment nommer les choses :
Léna : «Alors c'est hyper
compliqué parce qu'en fait j'ai tendance à dire
«amoureux», mais je le dis parce que c'est plus le truc le plus
facile. Mais maintenant j'ai arrêté de nommer en fait je dis
plutôt «je suis en relation avec». Sauf qu'en fait ça
veut rien dire, tu m'as déjà entendu dire «oui Nicolas a une
super relation avec Elie !» du coup bah ça veut rien dire en fait.
Du coup ce que je dis maintenant c'est «relation engageante et
impactante.»
Pour Agathe, certains mots utilisés sonnent encore faux
lorsqu'ils sont prononcés, ce qui empêche d'inscrire une relation
dans un cadre explicite et nommable :
Agathe: «Yannis ça fait
déjà presque six mois qu'on est ensemble et j'ai pas de mots
(rire)! Et c'est terrible parce que niveau relation y'a tout pour dire que
c'est mon mec, mais ça fait ultra bizarre dans la bouche de dire
ça.»
Même si, selon ses mots «on a fait du chemin depuis
ces dernières années», le vocabulaire polyamoureux reste
«pauvre pour désigner les choses». Ce qui lui impose de
prendre «des tournures de communication extrêmement
compliquées» : «Par exemple si je dois parler de ma
façon de vivre le polyamour j'ai l'impression que je dois en parler
pendant une demi-heure avant que les gens comprennent.» Lilou, elle,
n'utilise «jamais» le mot métamour car «de toute
façon personne sait ce que ça veut dire».
Ainsi, la «mise en mot» du vécu polyamoureux
semble être aujourd'hui davantage au bénéfice de ceux qui
le vivent. Pour autant, cette incompréhension pourra finir par
s'estomper graduellement à mesure que sa diffusion se fera auprès
des individus. Selon les mots de Lévesque (2019),
«l'élaboration d'un cadre commun d'appartenance et de
référence permettra ainsi de favoriser leur reconnaissance sur le
plan sociétal, minimisant ainsi les risques de stigmatisation relatifs
à la revendication d'une identité relationnelle
minoritaire». Il est d'ailleurs, pour Océane, assez frappant de
constater que les générations les plus jeunes utilisent et ont
accès beaucoup plus facilement à ce nouveau langage, construisant
et revendiquant un vécu de façon bien plus précoce qu'elle
:
Océane: «C'est intéressant
parce que j'ai deux petites soeurs et j'en est une qui a quinze ans
d'écart avec moi -et qui maintenant du coup à 15 ans- et qui
lesbienne agenre, qui utilise des prénoms féminins et des pronoms
neutres et a un rapport d'intelligence à la complexité de
ses
53
ressentis que j'aurais vraiment aimé voir
comme une possibilité quoi. Quinze ans ça fait une énorme
différence culturellement sur ce qu'il s'est passé et sur ce qui
est devenu acceptable et possible.»
Polyamour et
intersectionnalité
L'intimité au sein des relations amoureuses sous-tend
encore aujourd'hui la coexistence d'inégalités et de rapports de
domination structurellement déterminés (classe, race,
identité de genre, orientation sexuelle, etc.) (Jamieson, 1999). La
volonté de s'orienter vers une «relation pure»20,
telle que conceptualisée par Giddens, se fait toutefois en
négligeant les rapports de domination qui transcendent l'individu et le
contraignent dans sa liberté de décision (Belleau, 2012). La non
prise en compte de ces discriminations se retrouve également dans la
construction des relations polyamoureuses, ce qui amènent à
reconsidérer ces relations en termes de privilège et
d'intersectionnalité :
Léna : «T'as beau penser qu'entre
polyamoureux ça va le faire parce qu'on est poly, y'a toujours ces
problématiques de privilège en fait. Typiquement dans mes
cafés poly j'ai des personnes qui sont des hommes cis et des femmes cis,
et quand au milieu y'a des personnes queer qui arrivent, ou des personnes
neuroatypiques, il faut faire attention quoi. Les personnes sont pas
forcément déconstruites là-dessus en fait. C'est pas parce
que t'es déconstruit sur un sujet que t'es déconstruit sur tous
les sujets.»
Ainsi, nous observerons au sein de cette partie les
différentes manières dont peut se vivre le polyamour en fonction
de ces identités. Bien que l'étude de l'intersectionnalité
au sein du polyamour ne soit pas le sujet de ce mémoire (et qu'il
pourrait faire à lui tout seul l'objet d'une étude approfondie),
l'existence de ces différents rapports de domination s'ancre
profondément dans les parcours de vie des personnes polyamoureuses et
structure le discours des différents enquêtés.
Ainsi, à la question «pensez-vous que le polyamour
se vit différemment selon le genre ?» Camille répondit :
Camille : «D'une façon triviale oui,
parce que toutes les relations romantiques forcément se vivent
différemment selon le genre, parce qu'on n'est pas dans une
société où le genre n'existe pas, donc on est tous
élevés avec plein de choses liées au genre. Donc ce serait
assez illusoire d'imaginer que être une femme, être un homme ou
même être une personne agenrée ou non binaire c'est la
même chose.»
20 Une «relation pure» est une relation
dans laquelle les critères externes se sont dissous : la relation
n'existe que pour les récompenses qu'elle peut apporter. Dans le cadre
de la relation pure, la confiance ne peut être mobilisée que par
un processus de divulgation mutuelle. (Giddens, 1991)
54
Certains aspects des relations amoureuses se vivent
différemment en fonction du genre. Pour Léna, la charge mentale
semble se partager inéquitablement dans ses relations en fonction de ses
partenaires féminins ou masculins : «typiquement si je te dis
là que j'en ai ras le cul de relationner avec des hommes, c'est qu'en
fait j'en ai ras le cul de faire le boulot émotionnel de la relation en
fait». Iel dénonce également les relations qu'iel a pu avoir
avec des hommes hétérosexuels lors de ses premières
expériences polyamoureuses :
Léna : «J'ai commencé à
coucher avec mes potes, et comme j'ai eu une éducation
hétéronormée c'est beaucoup plus facile de sortir avec mes
copains hommes. Donc ça c'est cassé la gueule comme pas possible
parce c'était franchement nul et que j'étais vu en
général comme la super pote avec qui tu baises et du coup ben
c'était pas OK parce que j'avais des sentiments avec ces personnes
là donc ça m'a fait du mal.»
Des «patterns» de jalousie semblent aussi, pour
Roxane, se retrouver chez ses trois partenaires masculins: «le fait que je
couche avec des femmes ça les dérange absolument pas, le fait que
je couche avec des hommes ça les titille...». Agathe dénonce
également le «slutshaming» qui peut être présent
lorsqu'une femme polyamoureuse «revendique» le fait d'avoir des
relations : «Là où les gars vont plus pouvoir passer pour
des champions s'ils pêchos, ben les nanas c'est des salopes
évidemment». Pour Alex, il est certain que «les mecs ont pas
les mêmes trucs à déconstruire que les meufs». Les
façons «d'aimer» et «d'exprimer de l'amour»
diffèrent en fonction des «genres assignés» et de
«l'éducation stéréotypée et genrée
féminine et masculine».
Alex : «Du coup le complexe de
dominant/dominé il n'est pas le même, le contexte
d'expression/non-expression il n'est pas le même, et il y a vraiment un
truc pour moi très marqué car les mecs ont pas les mêmes
trucs à déconstruire que les meufs. Ça se voit dans la vie
de tous les jours et du coup pour le polyamour c'est pas forcément les
mêmes référentiels de trucs à explorer et à
travailler.»
Invisibilisation et
privilège
L'étude de la non-monogamie consensuelle est un domaine
relativement récent. Aujourd'hui encore, selon Noël (2006) une
grande majorité des écrits basent leurs analyses sur
l'étude d'un «certain type» de polyamoureux (blancs, issus de
la classe moyenne, ayant fait des études supérieures, cisgenres,
neurotypiques). Toujours selon l'auteure, «cette tendance à ne pas
prendre en compte ces privilèges culturels fait probablement du
polyamour un choix plus réalisable pour certains que pour
d'autres». Cela conduit à fractionner le parcours de vie
polyamoureux en invisibilisant certains types de vécu, mais aussi
à empêcher une connexion et une collaboration significative avec
d'autres personnes ayant un intérêt commun :
Océane: «Les ressources sur le
polyamour sont souvent très hétérocentrées et
cisgenres. Ces ressources ne sont pas mauvaises, mais leur utilité est
limitée. [...] Parce qu'en termes de
ressources, en termes de dépendance
économique mutuelle, en termes de dépendance interpersonnelle, le
registre est complètement différent en
fait.»
Pour Océane, femme trans, bisexuelle et neuroatypique,
il est très difficile de s'y «retrouver» lorsqu'elle
«essaye de lire des bouquins sur le polyamour» : «ça
parle beaucoup de couples monogames qui s'ouvrent, et j'ai pas du tout cette
expérience là». Les façons et les raisons de
relationner vont être totalement différentes également, une
des raisons pour lesquelles Océane a choisi le polyamour étant
liée à la volonté de «se sentir beaucoup plus en
sécurité dans [ses] relations avec des hommes», ou de
construire des relations sécurisantes, détachées des
mécanismes de codépendance et d'exclusivité.
Les communautés asexuelles ou aromantiques sont aussi
en dehors de l'équation, alors que pour Océane ce sont des
communautés dans lesquelles le polyamour est un thème très
important, «entre autres parce que tu peux avoir un ou une partenaire qui
n'est pas sexuel et qui a envie d'avoir des partenaires pour vivre sa
sexualité». D'un point de vue inverse, les représentations
médiatiques du polyamour dépeignent généralement
son concept en termes d'intimité sexuelle et/ou romantique, ce qui
exclue les personnes s'identifiant comme aromantiques ou asexuelles cherchant
des «attachements interpersonnels ou sécurisés à
travers des formes d'intimité émotionnelle plutôt que
romantiques ou érotiques» (Ansara, 2020).
Pour Agathe aussi, le polyamour se pense et
s'expérimente différemment selon la «transidentité et
la cisidentité», et selon la «neuroatypie» et la
«neurotypie». Pour elle, le fait d'avoir toujours «pensé
différemment des gens autour de toi» rend peut-être
«plus facile» le fait de «pouvoir remettre en question les
questions de société» :
Agathe: «Dans mon cercle de poly y'a
énormément de gens neuroatypiques. [...] je connais plusieurs
personnes sur le spectre autistique qui se disent non binaires ou
agenrées et aussi qui sont poly parce que justement ils gèrent
leur relation de façon beaucoup plus en phase avec leurs
troubles.»
Ainsi, il sera intéressant dans les futures
études de s'intéresser davantage à
l'intersectionnalité au sein du polyamour; en posant les bases d'une
réflexion sur les rapports de domination et d'oppression
systémique présents au sein des relations polyamoureuses. La
visibilisation de ces vécus permettra d'inscrire le polyamour dans une
perspective globale de mutation relationnelle, et non plus comme un
privilège de classe, réservé à une frange
très réduite de la population (Noël, 2006).
55
Le coming out
56
C'est un fait, les communautés polyamoureuses sont
stigmatisées (Sheff, 2005) et évoluer en temps que polyamoureux
entraîne des réactions plus ou moins virulentes de la part des
proches. C'est d'ailleurs une des difficultés à laquelle a pu
pallier l'usage des sites de rencontre et les réunions types
«cafés poly» : rencontrer et discuter avec des personnes
polyamoureuses dans un cadre anonymisé et distancié permet de
rassurer et de mettre en confiance. Mais lorsque la divulgation de son
identité, le «coming out», se fait auprès de ses
proches, les réactions peuvent-être très diverses, pour le
meilleur et pour le pire.
Pour plusieurs enquêtés par exemple, parler de
son polyamour à ses proches a été plutôt bien
accepté. Benjamin n'a «jamais eu de rejet» en en parlant
autour de lui, Antoine aussi «n'a pas eu trop de problèmes à
leur expliquer» - « Je pense que ma mère elle est un brin
hippie sur les bords !» - malgré le fait qu'ils ne soient «pas
si proches» : «Quand je découvre un truc j'ai besoin d'en
parler à tout le monde !». Pour Lilou aussi, l'annonce d'être
en trouple polyamoureux a été «vraiment super simple»
pour ses «potes». Cela engendra même des «discussions sur
le polyamour» très «bienveillantes» avec «plein de
gens», même si parfois «un peu malhabiles» avec «un
peu d'incompréhension». Pour Nicolas, l'annonce de son polyamour
fut très bien acceptée par sa mère, mais un peu plus
«délicat» avec son père: «ça a
été pris à moitié sur la blague du genre «ah
elle te dit ça mais c'est pour te quitter dans pas longtemps !». En
ce qui concerne Camille, le coming out a aussi été très
facile «dans le sens où pour [son] père ce n'était
pas le premier». Ayant déjà fait son coming out bi, trans et
même végan auparavant, «il a déterminé que bon
je serai pas dans la norme et que finalement j'étais heureux comme
ça». Faire plusieurs coming out est quelque chose d'assez
fréquent, la plupart des enquêtés étant
également bisexuels et/ou pansexuels et/ou trans et/ou non binaire.
C'est d'ailleurs le vécu de Alex, qui fit trois coming out -non binaire,
pansexuel et polyamoureux-en même temps :
Alex : «Je pense que le premier truc que je
leur ai dit c'est que j'étais non binaire, et que je
préfère qu'on me genre au masculin. Ensuite je me dis que
j'étais pansexuel et que c'était un peu lié à la
nonbinarité car si je ne me ressens pas d'un genre en particulier, les
attirances ne sont pas d'un genre particulier non plus. Ensuite je suis
polyamoureux, parce qu'en plus que mes attirances ne soient pas
spécifiques à un genre, elles ne sont pas spécifiques
à une seule personne (rires). C'était un peu les trois trucs qui
allaient ensemble pour moi, c'est une triade dans la perception du monde
très présent très important pour
moi.»
Faire son coming out peut avoir différents impacts sur
la dynamique des relations vis-à-vis de ses proches. Pour Lilou par
exemple, le coming out polyamoureux a changé sa position de «petite
dernière» au sein de sa fratrie - «Je me suis retrouvée
dans une position où c'était moi qui avais un peu des choses
à leur partager que eux n'avaient pas vécu.» - mais a
généré aussi des discussions «au sein de couples de
[son] entourage» sur «ce dont ils avaient envie» :
Lilou : «Ils ont pris le temps de
réfléchir à pourquoi ils avaient envie d'être
monogame, ce que ça leur apportait. Donc ça a permis de discuter
de choses qui étaient un peu implicites et dont personne ne se rendait
compte parce que c'était pas discuté tout
simplement.»
57
Faire son coming out trans, bi et polyamoureux a permis pour
Océane de créer de nouveaux liens avec sa famille :
Océane : les nouveaux liens
J'étais celle qui a introduit ça dans ma famille
sous différents angles. Dans ma relation avec ma plus jeune petite soeur
parce que toutes les deux on parle de diversité de genres et
d'expériences non hétérosexuelles comme étant notre
normalité. Mais par exemple de plus en plus comprendre des choses sur
mon expérience des troubles psy, je finis par comprendre des choses que
ma mère n'avait jamais comprise sur elle-même. Et j'ai fini par
réaliser qu'en fait je peux avoir une relation d'intimité et de
compréhension mutuelle avec ma mère sur ça. Réparer
des choses pour moi et réparer des choses pour elles, ou au moins
être là à côté d'elle quand elle apprend des
choses pour elle. Et c'est vachement intéressant en fait. Et ça
pour moi ça intervient après dix ans de thérapie et pour
ma mère quelque chose comme 25 ans de thérapie. J'ai vu des
vulnérabilités émerger quand j'ai commencé à
faire mon coming out dans ma famille. En particulier mon père, j'ai vu
des trucs de vulnérabilité super intenses et je me suis dit
«OK. Là il y a un rapport au genre qui est super fragile et
compliqué». Je suis très triste qu'il soit pas capable de le
travailler, qu'il ait pas les ressources, qu'il ait vécu telle et telle
chose dans son milieu familial qui faisaient que c'était tellement pas
une option de commencer à envisager certaines choses. Ça me rend
très triste, mais en même temps je sais qu'il y a un type de lien
qui ne peut pas être proprement parlé, nommé,
partagé, mais il existe.
|
Parler de son orientation relationnelle à ses proches
n'a pas pour autant été facile pour tous les
enquêtés, pouvant être très bien accepté chez
les uns, mais source de confrontation chez les autres :
Lilou : «Par contre c'était
compliqué pour ma maman. Y'a eu vraiment beaucoup de trucs très
durs, on se parle un petit peu maintenant, mais pas beaucoup. [...] Mais c'est
hyper dur pour elle, ça a été super dur pour moi, on n'a
pas parlé pendant deux mois. Elle m'a vraiment dit des choses
très dures, c'était beaucoup sur la bisexualité parce que
pour elle la bisexualité c'est pas possible.»
La confrontation de son mode de vie à ses proches a
été également difficile pour Soan, qui «n'ose plus en
parler» avec un de ses «amis les plus proches» suite à sa
réaction: «il m'a fait «ah ouais ok... bon bah chacun sa vie
hein...». Les réactions à l'annonce de l'ouverture du couple
ont été difficiles pour sa conjointe aussi :
Soan : «Elle avait commencé à
en parler à sa meilleure amie, et là ouais c'était chaud
quoi. Elle s'est sentie ultra jugée et sa pote lui disait «ouais
Soan le pauvre quand même !» [...]. Et franchement ça m'a
fait de la peine, ça m'a fait chier pour elle.»
58
Selon la psychologue Meg Barker (2005), plusieurs
phénomènes peuvent expliquer ce rejet, notamment la remise en
question des catégories «ami» et «amant» qui, si
elles sont bien définies en situation monoamoureuse, sont
brouillées par l'arrivée du polyamour. Les normes pesant sur
l'infidélité et les normes définissant la binarité
«mâle/femelle» et «homo/hétéro» sont
aux racines de l'obligation de la monogamie exclusive
hétérosexuelle. Selon une enquête de Table (2017), le
polyamour serait davantage stigmatisé que l'infidélité, du
fait que la notion d'infidélité sous-entend une volonté
d'adhérer à la monogamie. Le seul langage possible à
utiliser serait donc binaire : monogame ou infidèle. Et alors que la
vision de l'infidélité comme forme de non-monogamie (non
consensuelle) est possible au sein de l'Occident, le polyamour, lui, ne l'est
pas (Ritchie, Barker, 2006).
Cette difficulté à s'exposer fut
également présente lors des entretiens, le fait que les
entretiens soient anonymisés et non filmés a pu
singulièrement rassurer (pour Soan notamment) : il y a une peur de
l'exposition et des conséquences de cette exposition (auprès de
ses proches, ses amis, ses collègues de travail). Les personnes
polyamoureuses doivent donc jongler entre l'envie de parler et le besoin de se
protéger des éventuelles conséquences de leur parole. Pour
Roxane par exemple, l'idée de faire son coming out «a longuement
mûri» dans le sens où elle a attendu d'être
«sûr [d'elle]» et d'être «vraiment certaine et
stable» : «en sondant le terrain avec ma mère je me suis dis
qu'il y a pas de raisons que ça se passe mal quoi». Alex n'avait
lui «aucune envie de faire ça» mais le «besoin de
[s'exprimer] et de rendre ça visible» a pris le dessus. D'où
l'utilisation de l'écriture et de la lettre comme média, afin
d'éviter une «confrontation physique et orale» :
Alex : «Je leur ai écrit une lettre
[...] qu'ils ont reçu très rapidement juste avant Noël.
C'était
le premier Noël ou je ne voyais ni mes
frères, ni mes parents, je suis loin de chez moi, j'ai plus de maison,
et je viens de faire mon coming out à mes parents... wouhou !
C'était une période compliquée émotionnellement
pour moi, mais j'avais vraiment besoin de leur exprimer et de mettre ça
au clair.»
Ce jeu d'équilibriste trouve parfois sa finalité
dans le fait de préférer cacher son mode de vie polyamoureux
plutôt que de prendre le risque d'être rejeté.
Le besoin de se cacher
Selon Anapol (2010), la situation de vie des personnes
polyamoureuses est caractérisée par l'invisibilité, le
risque de discrimination et l'exclusion de toute protection juridique de leurs
relations et de leurs familles (Carlström, 2019). La crainte de poursuites
judiciaires, le harcèlement et la stigmatisation sociale de la part de
la famille, des amis et des proches, font qu'une majorité des familles
polyamoureuses préfèrent dissimuler leur structure familiale
(Pallotta-Chiarolli, 2010). En outre, l'ignorance de l'existence des relations
non exclusives
59
dans le monde professionnel (écoles, soins de
santé, services sociaux) précarise d'autant plus ces
communautés (Carlström, 2019).
Cette crainte de la discrimination et de l'exclusion se
retrouve aussi dans le discours des enquêtés à travers
leurs difficultés à parler de leur situation polyamoureuse, voir,
de leur ferme résolution à la dissimuler :
Agathe : «Ma famille ils le savent pas du
tout parce que je viens aussi d'une famille assez assez tradi. Enfin mes
parents ça va, mais par exemple du côté de mon père
ce sont des catholiques traditionalistes. Disons que j'ai toujours dit que si
je voulais me faire déshériter je parle de ma vie actuelle. [...]
Peut-être qu'à terme j'en parlerai, mais pour l'instant disons que
c'est vraiment pas le but. Parce que c'est très compliqué de
devoir expliquer à mes parents.»
Le fait qu'Agathe ne se sente «pas du tout capable»
de faire son coming out est très fortement lié aussi à
cette «peur du jugement» et cette «anticipation» qui rend
difficile le fait de parler de son mode de vie polyamoureux «en dehors du
cercle poly [qu'elle s'est] créée". Jérémy lui n'a
pas eu encore l'occasion d'en parler avec ses parents du fait d'une
difficulté à communiquer :
Jérémy : «Mes parents ne sont
pas au courant, mais c'est juste que l'on n'a pas une relation où on
parle avec mes parents. Ils ont du mal à communiquer et du coup moi
aussi, et du coup c'est assez rare qu'on se dise des choses personnelles.
J'aimerais bien qu'ils soient au courant mais pour l'instant c'est jamais
venu.»
Soan, lui, décida de ne pas parler de son mode de vie
polyamoureux à sa fille, même s'il pense qu'elle «doit le
sentir quand même quelque part». La prudence est également de
mise dans le monde professionnel pour Nicolas : «Pendant longtemps j'ai eu
tendance à faire un peu trop confiance aux gens et maintenant je le fais
moins même si c'est cordial». Camille prit aussi la décision
d'y aller «petit à petit» dans son travail, notamment du fait
qu'il n'ait «toujours pas de poste permanent», ce qui le rend
«assez précaire».
Plus que sa propre protection, la discrétion sur son
identité polyamoureuse se fait aussi pour protéger l'autre.
Léna par exemple, ne parle pas de son polyamour chez iel :
Léna : «En fait on est dans un village
de 200 habitants, et autant je m'en foutrais de ce que
peuvent dire les gens, autant il y a quand
même Elie qui est scolarisée ici et du coup j'ai pas envie que
ça lui retombe dessus. Du coup je le cache pas non plus, mais je le
divulgue pas quand même.»
Lilou se garde également d'en parler au travail par
crainte des répercussions que pourrait avoir cette nouvelle sur ces deux
partenaires étant donné qu'ils ne sont «pas si loin dans
[leur] domaine de travail». D'autres fois encore, c'est à la
demande de l'autre que la personne va cacher son mode de vie. Léna par
exemple, ne parle pas de sa situation aux parents de son
mari, ce qu'iel trouve «un peu problématique»
car «ça ne [lui] plaît pas trop d'être obligé de
mentir», mais d'un autre côté iel juge qu'il ne serait pas
acceptable de «lui imposer de faire un coming out».
Une des raisons avancées pour choisir de ne pas parler
de son polyamour à son entourage relève du conflit
générationnel :
Agathe : «C'est un peu l'expression du
«on n'apprend pas au vieux singe à faire des grimaces». Je ne
me verrai pas changer politiquement et socialement mes parents alors qu'ils ont
passé plus de 50 ans à croire aux valeurs du mariage et de la
famille.»
L'apparition et la revendication du polyamour étant
relativement récente dans nos sociétés occidentales,
certains enquêtés, comme Antoine, préférèrent
ne pas «faire s'effondrer [le] petit château de cartes» des
personnes plus âgées. Lilou, elle, profite du «flou»
engendré par sa situation pour ne pas faire de coming out :
Lilou : «Dans ma famille, je me suis
arrêtée à un certain cercle de proches. Et donc notamment
mes grands-parents, je ne leur en parle pas. Là elle commence tout juste
à accepter que je suis végétarienne, et ça m'a pris
un an ! C'est vraiment une autre
génération.»
Décider de ne pas faire son coming out n'est pas un
choix facile car il revient à mentir (par omission ou non) à une
partie de ses proches pour sa propre sécurité. Agathe trouve
«ridicule» le fait que l'utilisation de certains termes,
volontairement flou comme «c'est mon pote» épargne
«tellement de problèmes de vie». Pour Antoine, cela revient
aussi à devoir travestir ses comportements en fonction de la
présence de certaines personnes : «on s'est baladé tous les
trois pendant peut-être une ou deux heures et moi je pouvais pas trop la
prendre dans mes bras. C'est un peu frustrant». Camille lui, ressent de la
frustration de ne pas pouvoir assumer ouvertement son polyamour :
Camille : «Des fois c'est un peu tendu. [...]
Donc ça je le fais mais je ne suis pas à un stade dans ma vie
où je suis capable d'assumer plus que ça. Ça me fait
chier, des fois je me dis que j'aimerais bien être la personne qui dit
«ben voilà c'est comme ça j'en ai rien à
foutre», qui est tellement sûr de lui, tellement en confiance dans
le fait que c'est ok d'assumer ça socialement, que tout le monde est
obligé d'aller avec. J'aimerais bien, mais j'y suis pas. Donc
j'espère qu'un jour j'y serai.»
60
E. L'intentionnalité du parcours de vie
polyamoureux
61
La cohésion avec
soi-même
Si le polyamour soutient un ensemble de normes et de
règles (principalement tournées justement vers une absence de
«règles strictes»), il répond à des valeurs
primordiales hautement valorisées au cours des entretiens : la
cohésion avec soi-même et la quête de la liberté.
Benjamin : «J'ai vécu en essayant
d'être en adéquation avec mes principes. [...] moi j'ai
vécu comme je pensais que c'était bien de vivre,
c'est-à-dire en étant sincère en ne se
réfrénant pas sur ses pulsions en me disant «ah mais
là je sens que je ressens quelque chose pour cette personne mais
ça peut pas exister je suis déjà en couple c'est pas
possible». Donc j'ai vécu ça en étant sincère,
et les gens appellent ça polyamour.»
Le type d'amour traditionnel «romantique» tel qu'il
peut-être théorisé dans nos sociétés
actuelles (monogame, exclusif, hétéro) ne suffit plus aujourd'hui
à représenter la pluralité des formes d'intimité
relationnelle et amoureuse vécues concrètement par les individus
(Lévesque, 2019). Selon Luhmann (1990) la vision d'un amour romantique
et ascétique ne saurait être combinée avec une
«tolérance croissante envers les relations sexuelles
prémaritales et le nivellement considérable des
différences de rôles entre les sexes». Les nouvelles attentes
des partenaires sont hautement individualisées et moins propices au
consensus (Giddens, 2004), faisant de «l'amour» non plus un
sentiment, mais un médium ayant pour «tâche
spécifique» de «permettre de cultiver et de favoriser le
traitement communicationnel de l'individualité (Luhman, 1990).
La libération et l'émancipation des moeurs face
aux contraintes de la tradition donnent la possibilité aux individus de
négocier leurs différents désirs, de poser leurs besoins
et d'exprimer leurs intérêts propres, tout en ayant cette
volonté d'agir en permanence en accord avec sa morale et ses principes
(Lévesque, 2019). Loin d'être un frein à leur
liberté, Soan considère ces réflexions comme étant
un moyen de parvenir à cette dernière. Le polyamour n'est donc
pas une fin, mais un moyen de parvenir à cette cohésion, et
serait alors à considérer avant tout comme étant
l'application de cette quête de liberté à la sphère
intime et amoureuse :
Soan : «Et donc ce dont je te parlais, c'est
la quête de la liberté, et de qui tu es. Et donc
au
milieu de tout ça il y a une
réflexion c'est « qui tu es » et « qui se permet de
décider à ta place », et c'est valable pour toi: tu
n'appartiens à personne et personne ne t'appartient. Et donc c'est
là où ça rejoint l'idée du polyamour, c'est que si
c'est valable dans tes choix de vie, c'est valable aussi dans ta vie amoureuse
dans ta vie amicale, dans les personnes avec qui t'es en partenariat pour
travailler. Et donc y'a cette quête de soi.»
Cette volonté d'affirmer ses besoins et ses
désirs caractérisant les relations polyamoureuses se retrouve
également dans les valeurs et combats féministes. Pour
Léna, «tout a été joué au moment où on
a vraiment voulu me remettre à une place». Sa
non-exclusivité et son féminisme sont nés alors qu'iel
cherchait à se libérer de sa condition de «mère»
:
62
Léna : «Mon féminisme il est
né -même s'il était sous-jacent depuis très
longtemps- quand je suis devenue mère et quand en fait on a voulu mettre
très fort ma fille dans une case, et moi on a voulu très fort me
mettre dans une case de «femme de» et de «mère
de»[...]. J'ai vraiment revendiqué mon féminisme, et c'est
pas un hasard si c'est là où j'ai ouvert mon couple ! Y'a tout
qui a joué au moment où on a vraiment voulu me remettre à
une place ouais.»
Pour Roxane, le choix du polyamour s'est
précisément fait pour qu'on ne lui «impose pas un choix qui
ne serait pas sain pour [elle]». La déconstruction progressive des
«repères» qu'elle avait construit «sur les relations
amoureuses et en général» lui ont appris à
«savoir dire non» et à se «placer toujours en
priorité, tant que c'est dans le respect des autres». Ce jonglage
entre «ce besoin de liberté» et «l'amour
éprouvé pour [son] copain» ressemble pour Agathe à un
«jeu d'équilibriste». En plaçant constamment une
«distinction entre «[eux]» en temps qu'individus et [leur]
relation», elle critique «ce que beaucoup de gens font quand ils se
mettent en couple», à savoir devenir «un espèce de
symbiote de deux personnes» : «C'est vraiment pas du tout une vision
que j'aime parce que j'ai trop d'affects pour mon individualité et ma
liberté.»
Cet impératif de ne pas «chosifier» autrui se
combine ainsi avec «la subordination du relationnel par l'individuel»
(Lévesque, 2019). Les liens affectifs et amoureux se construisent en
congruence avec ce besoin d'autonomie, jugé nécessaire à
la conduite d'une relation épanouissante et sécurisante. Un des
points important pouvant souligner ce fait est la volonté pour la
plupart des enquêtés de disposer de leur propre espace et de leur
territoire propre, à travers la garde de leur appartement :
Roxane : «Ouais pour l'instant j'ai mon
appartement, c'est vraiment quelque chose qui est important pour moi d'avoir
mon espace et ma liberté. [...] Ça, c'est quelque chose dont on
discute avec plusieurs de mes partenaires; de l'éventualité
d'emménager ensemble. Mais pour le moment c'est pas quelque chose que je
souhaite, je suis trop bien toute seule chez moi et c'est un peu mon cocon pour
recharger mes batteries donc c'est vraiment super important que j'aie cet
espace.»
Pour Roxane, le fait d'avoir son propre espace est quelque
chose qu'elle «voulait depuis toujours», mais qu'elle s'était
toujours refusée avec ses précédentes relations, ce qui ne
la rendait ni «heureuse» ni «épanouie». Pour Lilou
aussi, le fait «d'habiter en couple» a été «un
truc plutôt compliqué» dans sa dernière relation.
C'est pourquoi sa volonté première aujourd'hui est
d'emménager avec ses partenaires, tout en faisant en sorte «que
chacun garde sa chambre» : «Après moi je me ferme pas la
porte, si jamais je me rends compte qu'en fait j'ai pas envie d'habiter
ensemble». Pour Nicolas, le fait de vouloir «garder deux
domiciles» est aussi antérieur à son polyamour. Cette
séparation physique était pour lui «une étape»
pour éviter que «ça se fusionne trop» et qu'il y ait
«trop de tensions pour des petites choses» ce qui donnerait
«moins de liberté».
63
Selon les mots de Lévesque (2019)
«l'insécurité dont est porteuse la relation -
particulièrement lorsqu'elle débute - qui dépend
maintenant uniquement de ressources purement individuelles est toutefois
largement compensée par la promesse d'intimité et de
démocratisation de la vie personnelle qu'elle laisse anticiper».
Cette libération sexuelle, relationnelle et émotionnelle
s'observe à travers le sentiment de complétude décrit par
les enquêtés dans ce que le polyamour permet de réaliser
:
Océane : «Le fait que tout ça
existe dans un système de non-exclusivité et bien moi ça
me donne l'impression d'arriver à faire sens de mon expérience en
fait. Un exemple, ce serait qu'il y a des relations d'amitié et des
relations amoureuses dans lesquelles je ne peux parler que de certains aspects
de mes passions en littératures, et d'autres avec lesquelles je ne peux
parler que de certains autres aspects de ma passion en littérature. Et
j'ai l'impression que si j'avais pas ces différentes relations-là
je serais coupée avec quelque chose qui existe en moi. J'ai même
l'impression que j'oublierais que ça fait partie de moi en
fait.»
Pour Alex, le polyamour lui permet de ressentir «encore
plus de liberté pour aimer mes amis de la manière la plus
complète et amoureuse possible» :
Alex: «Il y a des amis que j'aime comme des
frères et soeurs et pour qui j'ai un amour qui est vraiment très
codifié comme «familiale». Il y a des amis que j'aime avec une
pointe d'érotisme. Il y a des amours romantiques que j'ai qui sont
absolument platoniques et où il n'y a absolument aucune tension
sexuelle. Et pour moi le polyamour il permet aussi ça, il permet aussi
de chercher à ressentir différents plein de formes et plein de
manières d'aimer.»
Cette quête de la liberté et de la
cohésion avec soi-même demande un double effort, car cette
réflexion doit nécessairement se faire entre tous les membres du
couple. Remettre en question ses normes et ses valeurs est un processus
nécessaire pour s'affirmer en temps que personne, mais aussi pour
affirmer la légitimité et l'intégrité de son couple
:
Soan : «Avec l'histoire d'ex là c'est
pas passé loin. Parce que cette espèce de déni par rapport
aux responsabilités qu'elle avait assumé ben je me disais qu'elle
avait pas maturé le truc. Prôner «ouais la liberté la
liberté !» c'est bien, mais la liberté elle a quand
même un prix.»
La souveraineté nouvelle ne rend donc pas l'individu
libre de faire ce qu'il veut. La notion de destin collectif pourrait avoir
à priori un caractère paradoxal à la réalisation de
soi, à la mise en scène de soi (Beck, 1998). Ainsi, le couple
polyamoureux ne s'est pas «défait» des institutions : il le
serait juste autrement. (Cavalli, 2007).
Pas d'étiquette ! Le polyamour en soi et pour
soi
Être polyamoureux ne signifie pas nécessairement
s'en revendiquer. Si les entretiens effectués se sont fait auprès
de personnes ayant une certaine connaissance du concept, il ressort
64
néanmoins une certaine distance prise par rapport
à «l'étiquette polyamoureuse» pour certains
enquêtés. Derrière cette distance, il y a aussi le
désir de ne pas s'enfermer derrière une définition. Le
fait de s'être construit sans avoir de référence
polyamoureuse peut également rendre peu enclins à se donner cette
étiquette :
Benjamin : «Non y'a pas eu... enfin, y'a des
origines à tout, mais j'ai commencé des relations multiples sans
vraiment poser des mots dessus en fait. Sans vraiment me dire «ah bah
c'est du polyamour» ou quoi que ce soit. [...] D'ailleurs je me
définis pas spécialement comme poly personnellement, je dis pas
aux gens que je suis polyamoureux je suis... rien de spécial en fait,
«normal» finalement. Et du coup c'est venu naturellement on va
dire.»
Pour Jérémy, le fait que le polyamour soit
«défini différemment par beaucoup de personnes» fait
qu'il ne tient «pas spécialement» à cette
étiquette, même s'il reconnaît l'existence «de
facto» de ce «statut», étant donné qu'il est
«dans une relation où il y a plus de deux personnes». Pour ces
enquêtés, il n'y aurait donc pas réellement de polyamour
«en soi». Cette orientation relationnelle étant issue d'une
conception très individualiste de son parcours de vie fait que la
volonté de s'affranchir des normes qu'ils jugent obsolètes ou
inutiles symbolise à elle seule ce désir d'individualité.
Ainsi, le polyamour s'inscrirait dans nos sociétés occidentales
modernes de part les réponses qu'il apporte à une population en
quête d'identité. Bien plus que n'être «que»
l'idée d'avoir plusieurs partenaires simultanément, le polyamour
semble embrasser des horizons et des définitions bien plus larges :
Soan : «Et c'est là que pour moi le
terme polyamour est plus large que ça parce que poly c'est plusieurs si
je me trompe pas, et c'est plusieurs amours au sens large. L'amour pour la vie,
l'amour pour tes amis, l'amour pour ce que tu fais et ce que tu as envie de
faire, c'est l'amour libéré en fait. C'est un terme plus puissant
que couple libre.»
En ce sens, encadrer son discours derrière une
étiquette polyamoureuse trop stricte reviendrait à se
défaire de normes pour en suivre d'autres aveuglément. Ce qui
nous amène à la deuxième critique
prépondérante dans ces entretiens : la critique des
étiquettes liées aux différentes formes de polyamour.
Dans les façons de vivre de polyamour, certaines
personnes se définissent comme étant en situation de
«hiérarchie relationnelle», soit comme son nom l'indique, de
hiérarchiser les relations entre les partenaires, les classant soit en
«relations principales», soit en «relations secondaires».
À l'inverse, les polyamoureux en situation «d'anarchie
relationnelle» se refusent à hiérarchiser leurs relations,
préférant examiner ces dernières individuellement, au cas
par cas. Dans ces entretiens, Agathe se ressent ouvertement «anarchiste
relationnelle», car pour elle «ce n'est pas parce que j'ai une
relation depuis dix ans avec quelqu'un que une personne va pas être
importante dans ma vie non plus». Pour elle par exemple, «ses
meilleurs potes» sont «aussi importants» que son «mec»
:
65
Agathe: «Mais même au-delà de
ça je crée des relations et je vais pas dire «bon bah toi tu
es secondaire, toi peut-être troisième, toi le
quatrième». Genre vous poireautez au fond du tiroir parce que faut
prendre un ticket comme chez le boucher.»
Léna, pour sa part, ne veut pas avoir à se
mettre dans une case et préfère donc prioriser sans avoir
à hiérarchiser ses relations, parlant plutôt de
«contraintes» liées au fait qu'iel vit avec un de ses
partenaires :
Léna : «Moi j'ai toujours dit «je
veux pas qu'on soit prioritaire parce qu'on vie ensemble depuis 14 ans»,
je veux aussi pouvoir faire équipe avec des personnes qui rentrent dans
ma vie aussi, qu'elles soient aussi importantes qu'elles soient prises en
compte et qu'il n'y ait pas de hiérarchie, même si de fait je vis
avec Raphaël donc on va avoir des priorités. [...] Tu seras pas
secondaire, mais par contre je vis avec lui et ça veut dire que j'ai des
contraintes.»
Cela suggère, comme l'ont affirmé Ritchie et
Barker (2006) qu'il est difficile d'échapper complètement
à la notion conventionnelle qu'une personne avec qui on est
impliqué amoureusement et intimement sera, en fin de compte, plus
importante que les autres. Ainsi, certaines expériences de l'anarchie
relationnelle sont même critiquées pour leur «manque
d'engagement». Lilou par exemple, ne s'est pas «reconnue» dans
les expériences des anarchistes relationnelles :
Lilou : «C'est bien de faire ce qui te
correspond, mais une relation, ça se construit quand même avec une
autre personne. Donc je trouve que souvent ces réflexions qui sont pas
trop présentes dans l'anarchie relationnelle.»
Pour autant, elle ne s'identifie pas non plus à la
hiérarchie relationnelle du fait que son trouple laissa «chaque
relation faire ce qu'elle voulait faire», en
«équilibrant» les choses «au fur et à
mesure». Pour elle, la hiérarchie était plus «de
fait» étant donné que ses deux partenaires étaient
déjà en couple auparavant, mais elle ne considère pas cela
comme étant une réelle «hiérarchie
relationnelle» dans le sens ou «il n'y a pas eu de
problème» pour faire évoluer leur relation. Or, pour que la
hiérarchie puisse se réaliser, il faut rigidifier certains
aspects de la relation en rendant inamovibles certaines dynamiques.
L'existence même de ces étiquettes ne semble pas
être du goût de tout le monde cependant. La plupart des
enquêtés critiquent le fait que ces statuts polyamoureux
reviennent à négliger la complexité des relations, en
plaçant les individus dans des cases qui ne sont, au final, qu'une
caricature de leur vécu. Pour Léna, qui se dit tendre vers
l'anarchie relationnelle, cette étiquette est «un espèce
d'idéal». Le fait de se «prôner» anarchiste
relationnelle relève donc plus de l'utopie que de la
réalité. Si pour iel il est important de pouvoir «en
parler» et «savoir poser des mots», le fait de se «foutre
des trucs là-dessus» ne sert à rien. Nicolas avance plus ou
moins le même discours, car si le polyamour lui a fait «péter
des dogmes», il est donc «complètement
pété» de «fabriquer une alternative et de rajouter des
dogmes par dessus».
66
Plutôt que d'utiliser les étiquettes duales
«polyamour anarchique» et «polyamour hiérarchique»,
Veaux et Rickert (2014) proposèrent de synthétiser les dynamiques
polyamoureuses en les décomposant en quatre grands modèles
partagés sur deux axes (voir annexe). Le premier axe aligne le
modèle de «l'orientation communautaire» et celui de
«l'agent libre» à ces extrémités. Le
deuxième axe relie le polyamour «solo» au polyamour
«entrelacé». Le premier axe se réfère au
processus décisionnel sur le plan relationnel: «Alors que le poly
communautaire oriente principalement sa conduite en regard de son impact sur le
groupe compris dans son entièreté, l'agent libre valorise
grandement l'autonomie personnelle, cette capacité à faire ses
propres choix indépendamment de l'accord d'un tiers, mais aussi la
responsabilisation relative aux conséquences de ses décisions qui
sont individuellement assumées» (cf Lévesque, 2019). Le
deuxième axe, lui, se réfère à la «forme
relationnelle» : un polyamoureux «solo» s'identifiera par
exemple comme étant seul, même en ayant plusieurs partenaires, et
sera souvent enclin à habiter seul dans son propre lieu de
résidence. (Lévesque, 2019).
Au-delà de cette illustration, force est de constater
que pour beaucoup d'enquêtés, le polyamour gagne malgré
tout à ne pas être résumé à ces simples
étiquettes. Roxane préfère d'ailleurs définir
«sa» vision du polyamour sans forcément la catégoriser,
jugeant que le définition «varie beaucoup selon les personnes avec
qui tu es». Pour Camille, cela reviendrait finalement à
«calquer des choses de la monogamie sur des relations où c'est un
peu à géométrie variable dans le polyamour». Il
ajoute cependant qu'il existe bel et bien «des effets hiérarchiques
qui se construisent» et souligne qu'il est «super important d'en
parler» :
Camille : «Il y a eu une conversation
explicite sur le fait que jusque là il y avait implicitement une
hiérarchie dans notre relation qui n'était plus
d'actualité et qui n'avait plus
de sens. Une hiérarchie qu'il fallait
revoir et dont il fallait même faire spécifiquement attention pour
qu'elle perdure pas parce qu'elle allait faire du mal
sinon.»
Ainsi, il est important de reconnaître que ce n'est pas
le statut qui détermine la qualité d'une relation au sein d'un
polycule, mais plutôt la manière dont vont être
traités et hiérarchisés les différents besoins
d'attachement de tous ces membres. Selon Fern (2020), l'état de
«polysécurité» ne peut être atteint que si les
membres du polycule se situent dans un système de relations
multipartenariales sécurisé et prenant en compte les
différentes relations d'attachement.
Entre pratique et identité : regard
rétrospectif sur son vécu
Le polyamour recouvre une multitude de significations et de
sens variant selon les individus (Klesse, 2011). S'il semble être un
comportement pour certains (Barker, 2005), il peut aussi être un style de
vie et une identité, une orientation relationnelle, une position
politique ou une
67
philosophie relationnelle (Ansara, 2020). Pour Barker (2004),
le terme «polyamour» confère aux individus une
étiquette identitaire : il s'agit de quelque chose qu'on «est»
plutôt que quelque chose qu'on «fait». Ce ressenti a
été exprimé à de nombreuses reprises au cours des
entretiens; pour Léna par exemple, le polyamour est quelque chose qu'iel
a «toujours vécu» :
Léna : «Je suis pas devenu
polyamoureux. Typiquement c'est quelque chose que j'ai toujours vécu,
mais j'en avais pas conscience, car je savais pas que ça existait. J'ai
toujours aimé plusieurs personnes en même
temps.»
Faire l'expérience du polyamour sans avoir les moyens
de le théoriser le mettait d'ailleurs dans une «espèce de
trahison constante envers Raphaël», ce qui a été
«très compliqué à gérer». Pour Roxane, la
révélation du terme et du concept de polyamour - à travers
la lecture de «La Salope Ethique» - a
d'ailleurs été un choc:
Roxane : «C'était un peu un choc parce
que les deux premières parties que j'ai lues résonnaient avec
tout ce que je sentais, tout ce que je vivais depuis que j'ai commencé
à avoir des relations amoureuses. Vraiment quelque chose qui
était inhérent à moi. Et ça m'a fait un bien fou en
fait, c'était vraiment comme un déclic de me dire que le
polyamour c'est quelque chose qui existe alors que j'en avais jamais vraiment
entendu parler. Et en fait c'est pas moi qui suis bizarre, il y a des gens qui
sont comme moi.»
De la même manière que pour Léna, Roxane a
elle aussi «ressenti plusieurs fois», au cours de ses relations
amoureuses, le fait d'éprouver «des sentiments très forts
pour quelqu'un» qu'elle devait «refouler parce que ça se fait
pas». Pour Alex, la découverte du polyamour a aussi
été une évidence. Il était «très
contre-intuitif» pour lui de se dire «je vais aimer qu'une seule
personne et me focaliser que sur elle» :
Alex : «Quand j'étais en
troisième section de maternelle j'avais deux amoureux, deux ou trois
même. Et y'avait vraiment cette liberté de « bah, je les aime
tous ! Du coup pourquoi je dirais toi je t'aime et toi je n'ai pas droit de
t'aimer ? ». C'était absolument naturel que j'en aime plusieurs et
c'était absolument naturel pour eux car on n'avait pas encore
intégré les codes de l'exclusivité dans nos façons
d'aimer.»
À l'inverse, certains considèrent que le
polyamour relève plus du choix et ne se définissent pas
spécifiquement comme étant d'identité polyamoureuse. Pour
Lilou, le polyamour n'a pas «remis en question» son identité,
elle considère cela plus comme étant une «situation»,
«un truc auquel [elle a] réfléchi qui [lui] convient
bien». Même si elle considère qu'aujourd'hui il serait plus
simple pour elle d'avoir une «relation poly» qu'une «relation
monogame», il s'agit avant tout d'une pratique choisie.
Pour Camille aussi, le polyamour relève d'une
préférence de relation, même si elle peut être
«forte et pour des raisons très élaborées». Il
se sent de fait «un peu gêné» car si il considère
sa bisexualité et sa transidentité comme «des faits de son
identité clair». Pour lui le polyamour «n'est pas plus mon
identité que si je vivais dans une ville et que c'était la ville
dans laquelle
68
je veux absolument vivre parce que c'est là que je me
sens bien». Le fait que les gens vivent «la découverte du
polyamour comme une révélation» et le fait d'en «parler
à des gens comme un coming out LGBT»21 ne fait pas pour
autant du polyamour une identité à part entière.
Il est aussi intéressant de noter que certains
événements sont apparus comme révélateurs plusieurs
années après en avoir fait l'expérience. Aborder le
thème de l'enfance pour remettre en question des normes et valeurs
aujourd'hui montre la dimension structurelle du couple monogame exclusif.
Lorsque Soan parle de son expérience du désir retrouvé
pour sa partenaire, cela lui a fait repenser à un témoignage
avait entendu enfant, mais qu'il personnellement n'a expérimenté
que bien plus tard :
Soan : «Et donc... des années
après je me suis dis... quand même... y'a tellement de couples qui
divorcent, y'a tellement de séparation, y'a un tel mal être entre
l'idéalisation du couple et
le fait qu'il y ait des gens qui se trompent...
y'a forcément un problème quelque part. Y'a un truc qui va
pas.»
Identiquement, les premières réflexions sur la
construction de la non-exclusivité se retrouvent aussi lorsque Camille
revient sur la première relation amoureuse qu'il eut au lycée
:
Camille : regard sur sa première relation
lycéenne
Il ya un autre truc qu'il faut que je te dise sur ma relation
au lycée, c'est que je suis bisexuel et en fait je pense que
c'était déjà le cas dans ma première relation
amoureuse; j'ai toujours durant cette période eu des relations
amoureuses avec des hommes, et puis j'étais aussi amoureux de femmes.
Mais en fait ça me posait pas trop de problèmes parce que j'avais
pas trop réalisé que j'étais bi ou pas aussi clairement
que ça, donc je me rendais pas trop compte quoi ou je pouvais me le
cacher suffisamment. Et comme j'étais dans une relation
hétéro bien cadrée en même temps ça me
permettait de ne pas trop m'en rendre compte. Mais je pense que
déjà à l'époque j'étais complètement
capable d'être amoureux de plusieurs personnes en même temps et je
le faisais systématiquement. Et je pense que ça s'organisait
comme ça principalement parce qu'il y avait un gros tabou sur le fait de
développer des sentiments amoureux pour un autre mec, mais pour une
autre meuf c'était pas encore régulé.
|
21 Halpern (1999) nota d'ailleurs que les craintes
concernant le polyamour peuvent être intériorisées d'une
manière similaire à l'homophobie.
69
La vision de l'avenir
La vision de l'avenir des polyamoureux est marquée par
la déconstruction des deux piliers du couple traditionnel que sont le
mariage et la parentalité. Cependant, déconstruction ne veut pas
dire destruction, car ce qui marque le vécu polyamoureux est la
volonté de se réapproprier et de faire évoluer les codes
régissant les relations. D'un point de vue purement factuel, le parcours
de vie de Léna s'ancre dans la plus pure tradition du couple :
marié à 24 ans avec un enfant. Pour autant,
l'intentionnalité et la forme de ces deux événements ont
été totalement remodelées pour correspondre aux besoins et
envies du couple :
Léna : «Je veux qu'on se marie et je
change de nom pour vraiment arrêter d'être avec cette famille
là, pour ne plus avoir le nom de mes parents. Et comme ça si
jamais il m'arrive quoi que ce soit c'est toi qui prends en charge ça et
pas mes parents. Du coup on a quand même ce schéma assez normatif
de «on s'est marié à 24 ans», même si les raisons
sont moins conventionnelles et que c'était pas du tout un mariage
classique.»
Le polyamour serait pour Lévesque (2019) un concept
plus «inclusif, séculier et égalitaire» dans le fait
qu'il n'insinue pas nécessairement le mariage et qu'il reconnaît
l'accès à de multiples partenaires. Pour ces partisans,
l'existence du mariage traditionnel est à réinventer en faveur de
construction et d'élaboration de communautés plus ouvertes. Le
refus des rôles et de l'enfermement étant intrinsèquement
liés aux aspirations individuelles contemporaines22 (de
Singly, 2014). Ainsi, au mariage s'est succédé la volonté
de bâtir sa propre communauté :
Océane: «Ouais ouais évidemment
l'esprit communautaire et la vie collective c'est des trucs qui font parti de
comment je pense mes relations c'est sûr. Mais j'ai l'impression que en
fait dans le polyamour la majorité des gens avec qui j'ai
relationné voulaient inventer une communauté. Mais ce sont pas
les seuls, les queer parlent de la même chose, évidemment les
sorcières elles sont toutes dans ce truc là
aussi.»
En ce qui concerne les aspirations du trouple, Lilou,
Jérémy et Camille ne désirent pas avoir d'enfant. Le
mariage n'est également pas envisagé car il «instaurerait de
facto une structure de plus dans une relation à trois, ce qui serait
assez bizarre» (Jérémy). Camille et Jérémy
étant pacsés (le pacs datant d'avant leur rencontre avec Lilou),
ce dernier ne se ferme pas de porte quant à une potentielle
reconnaissance juridique de leur situation polyamoureuse, ce qui pour l'instant
n'est pas le cas en France :
Jérémy : «Si d'ici 30 ans il y
a des pro activistes poly qui vont faire en sorte que le mariage à 3
soit autorisé. Mais s'il y avait n'importe quel statut juridique qui
serait protecteur pour trois personnes au lieu de deux, ce serait très
chouette. S'il y avait un mariage à 3 peut-être que se poserait la
question d'ici 30 ans. S'il y avait un pacs à 3... pourquoi
pas.»
22 Ce fait peut être aussi relié aux
revendications du mouvement féministes : « les femmes ne veulent
plus être définies d'abord en tant qu'épouses et
mères» (De Singly, 2014).
70
Pour Nicolas, à l'idéal du couple et de la
paternité se succèdent le concubinage et la parentalité
plurielle :
Nicolas: «Je crois que je suis ok avec le
truc d'avoir son propre foyer et du coup de ne pas être en couple dedans.
Après si le foyer est grand ben c'est un peu comme avoir des chambres
séparées quoi. Ça pourrait être ok, avec plaisir
même ! Même pour la paternité, même si bon là
j'ai pas trop fait mes devoirs, mais la parentalité plurielle,
être à plusieurs pour élever un gamin, ça c'est un
truc où j'aimerais bien aller.»
Pour Neyrand (2002), les liens qui soutenaient le
modèle de famille traditionnel tel que la formalise la «fiction
juridique»23 sont défaits. Il s'observe aujourd'hui la
«désimbrication conceptuelle entre la famille d'une part et
l'organisation généalogique de la parenté d'autre part,
deux sphères dotées d'une autonomie relative dont les relations
réciproques ont changé.» (Ouellette, 2000, cf Neyrand,
2002). L'horizon polyamoureux semble s'ancrer dans cette évolution.
L'augmentation du nombre de relations polyamoureuses exigera des changements
importants qui demanderont à repenser aussi bien nos institutions
sociales que nos coutumes. Cette évolution exigera de revoir la
conception traditionnelle de la parentalité et de remodeler les
frontières des relations entre adultes afin de déterminer les
obligations et les privilèges qui devront s'appliquer (ou non) en vertu
d'un cadre législatif, et de «définir leurs modalités
d'application au sein d'une relation comptant plus de deux personnes»
(Boyd, 2017).
Conclusion
Le polyamour, loin d'être la simple redéfinition
d'une orientation relationnelle, sous-entend dans son expression et dans sa
réalisation un grand nombre de dynamiques. Si l'amour non exclusif
provient d'une réalité relationnelle dont les origines
dépassent la période contemporaine, la conceptualisation et la
diffusion du terme «polyamour» n'est que très récente
(dans les années 90). Auparavant, les années 60-70 ont elles
aussi été marquées par l'émergence de
préoccupations éthiques de ce type. Le choix
«éthique» du polyamour pourrait donc être
considéré comme une réponse aux failles de l'union
conjugale traditionnelle; car contrairement à la «morale», se
fermant à un système établi de normes et de valeurs, la
considération du polyamour en des termes «éthiques»
permet d'une part de remettre en question les fondements des conventions
monogames traditionnelles, et d'autre part, de justifier la reconnaissance et
la légitimité de cette orientation relationnelle.
Contrairement aux pressions des diktats mononormatifs
enjoignant les individus à être «tout» l'un pour
l'autre, la non-exclusivité prône la complémentarité
(Lévesque, 2019). Les
23 Soit une famille fondée sur le mariage, avec
des enfants socialement reconnus comme issus de l'union de leur parents
(Neyrand, 2002)
71
différents besoins, aspirations, attentes ou
désirs peuvent être davantage comblés dès lors que
la satisfaction relationnelle ne se base plus sur une seule personne. En outre,
ces considérations rendent obsolète l'objectif d'une adaptation
relationnelle maximale. En invitant à apprécier ses
différents partenaires pour ce qu'ils sont, les personnes polyamoureuses
n'auraient plus à taire «certaines dimensions de leur
individualité». (Lévesque, 2019).
Pensé en des termes purement pratiques (faire face
à la distance, à la jalousie, au manque de désir), ou
faisant écho aux désirs d'autonomie et de liberté des
individus (avoir son propre espace, s'écarter des logiques de
codépendence...), le polyamour tend à devenir progressivement, au
fil des rencontres et des expériences, une quête profonde de son
identité. En redéfinissant la notion de fidélité,
d'exclusivité, puis d'amitié, cette quête mélange
désir de liberté et introspection, épanouissement et
désir de cohésion avec son partenaire. Dans leurs
diversités, les vécus polyamoureux se réfèrent
à des idéaux de liberté, d'autonomie et
d'égalité étroitement liés à une
éthique de la transparence, de l'honnêteté, et de
l'engagement sur le long terme.
La construction du couple polyamoureux, de part son absence de
normes de références et sa décrédibilisation de la
part des médias et des institutions, se fait sans conscience de porter
l'étiquette polyamoureuse. Si certains enquêtés prennent de
la distance par rapport à cette étiquette, il s'y dissimule aussi
le désir de ne pas s'enfermer derrière une définition. La
tenue d'une étiquette polyamoureuse à une visée
performative, les individus cherchant avant tout à construire un
système de relations sécurisé permettant de prendre en
compte les différentes relations d'attachement (Fern, 2020).
Pour autant, les trajectoires polyamoureuses ne sont pas moins
sociales ou institutionnalisées : elles le sont autrement. En cela les
relations polyamoureuses ne sont pas fondamentalement distinctes des relations
monoamoureuses dans un ordre qualitatif (en termes de satisfaction sexuelle et
relationnelle, d'intimité communicationnelle, de confiance) mais la
réalisation de ces besoins exigent une refonte globale des
manières d'envisager ses relations. Ce désir de liberté
semble totalement s'inscrire dans notre conception moderne de destinée
individuelle: «la notion de projet a acquis un caractère normatif:
non seulement les hommes et les femmes ont le droit de choisir leur vie, mais
le fait de construire son propre parcours biographique se transforme en
injonction.» (Cavalli, 2007). Cet impératif de ne pas
«chosifier» autrui se combine ainsi avec «la subordination du
relationnel par l'individuel» (Lévesque, 2019).
Le parcours de vie des personnes polyamoureuses,
marginalisé et stigmatisé, prend racine dès l'enfance, en
se questionnant sur l'existence de valeurs morales entrant en contradiction
avec certaines pratiques. Ces questionnements sont en quelque sorte le terreau
identitaire qui permettra aux individus de faire face à des
événements majeurs en renégociant les normes de leurs
relations. L'existence de groupes de socialisation «alternatifs» dans
lesquels s'inscrivent les personnes a également une réelle
influence sur leur orientation relationnelle. Le partage
72
d'un certain nombres de valeurs similaires entre
différentes communautés dissidentes (polyamoureuses et BDSM,
communautés homosexuelles) ainsi que les transgressions similaires des
modes de relation standard, permettent une plus facile remise en question de
certaines normes dominantes. Déconstruire son rapport à une norme
donnée (pratique alimentaire, hétéronormativité,
normes de genres, cisnormativité, mononormativité) entraîne
dans son sillon la déconstruction d'autres normes. Le rapport à
ce qui «devrait être» ne va, de fait, plus
nécessairement de soi.
Pour autant, malgré ces déconstructions et les
liens profonds tissés entre ces différentes communautés,
l'intimité au sein des relations amoureuses sous-tend encore aujourd'hui
la coexistence d'inégalités et de rapports de domination
structurellement déterminés (classe, race, identité de
genre, orientation sexuelle, etc.) (Jamieson, 1999). La négligence de
ces rapports de domination transcendant les individus se retrouve dans la
construction des relations polyamoureuses, ce qui amènent à
reconsidérer ces relations en termes de privilège et
d'intersectionnalité. Les recherches liées à
l'étude des communautés polyamoureuses sont également
marquées par ces inégalités : l'invisibilisation de
certains types de vécu ainsi que la non prise en compte de ces
privilèges culturels rendent le polyamour inaccessible ou
déconnecté pour les populations marginalisées (personnes
de couleur, neuroatypique, transgenre, avec un faible niveau d'étude,
par exemple).
Ainsi, il ressort de notre analyse que l'orientation
relationnelle polyamoureuses s'incarne dans des parcours de vie riches et
complexes. Produit des volontés d'individualisation et d'autonomisation
des individus, le polyamour s'incarne aujourd'hui comme le témoin et
l'adjuvant d'une mouvance globale posant de nouveaux cadres et de nouvelles
réflexions sur la conception idéologique des relations. Notre
étude, basée sur l'expérience de 12 participants
appartenant à l'univers polyamoureux, ne saurait être
globalisée (ce n'était pas son but), mais permet de faire sens de
l'expérience d'un certains type de vécu, et de contribuer
à la vulgarisation de ce mode de vie marginal et encore méconnu.
Il pourrait ainsi être intéressant d'aborder différents
angles de recherches au sein de nouvelles études, en cherchant par
exemple à positionner le discours polyamoureux en termes d'analyse
intersectionnelle (race, genre, neurodivergence, classe sociale, etc.). En
outre, la réalisation d'enquête quantitative plus large
permettrait de saisir l'étendu du vécu polyamoureux aujourd'hui.
La faible quantité d'études françaises
s'intéressant au sujet du polyamour mérite d'être enrichie
afin que se construise une analyse et une véritable connaissance du
phénomène polyamoureux.
73
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80
Annexe
Présentation
Sociodémographique
Soan a 47 ans et se définit comme un
homme cisgenre et hétérosexuel. Anciennement infographiste dans
le jeu vidéo, il s'est reconverti en travaillant en tant que musicien et
professeur de piano. Il est présentement en couple marié depuis
14 ans avec une femme également mère de son enfant de 10 ans.
D'abord en relation exclusive, il s'est progressivement défini comme
étant en couple libre, puis polyamoureux, et n'a pour le moment pas de
relation autre que sa compagne.
Benjamin a 30 ans et se définit comme
un homme cisgenre et hétérosexuel. Il détient une
thèse ainsi qu'un diplôme d'ingénieur informatique et
travaille en tant que développeur. Après avoir été
en couple monogame, puis libertin avec la même partenaire pendant 10 ans
avant de se séparer, il est aujourd'hui engagé dans «deux
relations sérieuses avec deux filles» entre lesquelles il n'y a pas
de hiérarchie autre que celle imposée par la distance
géographique. Il habite seul et n'est pas vraiment attaché
à l'étiquette «polyamoureux».
Nicolas a 32 ans et se définit comme
un homme cisgenre et bisexuel. Détenteur d'un BTS, il a travaillé
dans le spectacle et est actuellement en pleine reconversion pour devenir
charpentier de marine. Après avoir mis fin à une première
relation monoamoureuse à 22 ans, il entra progressivement dans les
milieux «féministes, gays, des gens du BDSM». Il est
maintenant en relation avec deux partenaires, dont Léna, une des
enquêtés de ce mémoire. Il ne se dit pas en couple, n'a pas
d'enfant, et vit seul tout en étant très impliqué dans la
vie de famille de Léna.
Agathe a 25 ans et se définit comme
une femme cisgenre et bisexuelle. Diplômée d'une école
d'infographie, elle exerce ce métier dans le secteur du jeu
vidéo. Elle est en couple et vit avec son compagnon depuis
«pratiquement 10 ans». Leur relation fut d'abord exclusive, avant de
devenir libre (à l'initiative de son compagnon) puis progressivement
polyamoureuse lorsqu'elle est arrivée sur Paris. Aujourd'hui elle se dit
dans une situation proche de l'anarchie relationnelle avec plusieurs
partenaires.
Antoine a 31 ans et se définit comme
un homme cisgenre et hétérosexuel. Ingénieur et
développeur à Paris, il expérimenta une relation monogame,
puis plusieurs relations libres avant d'être aujourd'hui en relation
polyamoureuse avec Roxane, une des répondantes de ce mémoire. La
jeunesse de son orientation polyamoureuse et de sa relation fait que son
discours est en pleine construction.
Océane a 29 ans et se définit
comme une femme trans bisexuelle. Diplômée d'un master, elle
exerce aujourd'hui les professions de travailleuse du sexe et d'éditrice
en freelance. S'il est difficile pour elle de dater le début de son
polyamour, elle indique que cela fait sept ans qu'elle vit des relations
explicitement nommées comme polyamoureuses. Elle vit seule et a
aujourd'hui trois partenaires principaux, plus d'autres relations qu'elle voit
«moins fréquemment». Neurodivergente, elle est
diagnostiquée autiste.
81
Léna a 30 ans et se définit
comme non-binaire et bisexuel, utilisant le pronom «iel».
Détenteur d'un master, iel travaille dans l'audiovisuel et est
aujourd'hui en reconversion. Marié et vivant avec un partenaire avec qui
iel est depuis 14 ans, ils ont également un enfant de 4 ans. Leur
orientation polyamoureuse s'est construite petit à petit, passant d'une
relation exclusive à libertine, puis à polyamoureuse. Iel est
aujourd'hui en relation avec plusieurs partenaires dont Nicolas, un de nos
répondants.
Roxane a 28 ans et se définit comme
une femme cisgenre et bisexuelle. Après avoir obtenu un master, elle
travaille aujourd'hui en tant que freelance dans la communication marketing. Se
décrivant plus de l'anarchie relationnelle, elle habite seule et est en
relation avec 3 partenaires, dont Antoine. Polyamoureuse depuis peu de temps,
il s'agit de ses premières expériences polyamoureuses. Elle est
le «point central» de ces différentes relations qui, pour
l'instant, n'ont «qu'elle» en temps que partenaires.
Alex a 27 ans et se définit comme
non-binaire et pansexuel. Disposant d'un diplôme d'animation 3D, il
travailla quelque temps dans ce secteur et est aujourd'hui en pleine
reconversion dans la permaculture. Il est aujourd'hui en relation avec
plusieurs partenaires avec qui il considère qu'il n'a pas «un gros
engagement émotionnel». Il se dit approcher un modèle de
polyamour qui se réfère à l'anarchie relationnelle. Sa
découverte du polyamour, de la pansexualité et de la
non-binarité s'est faite de manière théorique sur
internet, alors que ses parents lui avaient interdit de développer des
relations amoureuses avec qui que ce soit jusqu'à ses 18 ans.
Lilou a 27 ans et se définit
plutôt comme une femme cisgenre et bisexuelle. Diplômée d'un
master, elle est aujourd'hui en préparation d'une thèse. Elle est
en trouple avec deux autres personnes, interrogées aussi pour ce
mémoire (Camille et Jérémy) et n'est en relation avec
personne d'autre. Ayant d'abord débuté une relation avec Camille,
elle se rapprocha petit à petit de Jérémy avant de
finalement débuter une relation à trois avec ses partenaires.
Elle habite pour le moment seule même si le trouple a collectivement le
désir d'emménager ensemble.
Camille a 32 ans et se définit comme
un homme transgenre et bisexuel. Détenteur d'une thèse, il est
aujourd'hui chercheur. Après avoir eu plusieurs échecs amoureux
dans des relations exclusives, il fit le choix de ne développer que des
relations non exclusives. Il est actuellement en situation de trouple avec
Jérémy (qu'il rencontra durant son master et avec qui il est
pacsé) et Lilou (qu'il rencontra quelques années plus tard par
l'intermédiaire de groupes d'amis), et a également plusieurs
relations avec d'autres partenaires. Il habite aujourd'hui en concubinage avec
Jérémy.
Jérémy a 33 ans et se
définit comme un homme cisgenre et bisexuel. Comme Camille, il est
également diplômé d'une thèse et est chercheur dans
le même domaine que Camille. Il est aujourd'hui en trouple avec Lilou et
Camille et ne cherche pas spécialement à rencontrer d'autres
personnes en dehors. Il n'attache pas trop d'importance à
l'étiquette polyamoureuse et cherche moins à le théoriser
que Camille «dans la mesure où [il est] assez à l'aise avec
ce qu'il se passe».
82
Enquête YouGov (tableaux)
YouGov
September 23 - 25, 2016
1. Relationships 1 Ideal Relationship
On ascale where O Is completely monogamous and h is completely
non-monogamous, what would your Real relationship be?
|
YouGov
|
|
Total
|
|
Gender
|
|
Age(4 category)
|
|
|
Race (4 category)
|
|
Male
|
Female
|
Under 313
|
30-44
|
45-54
|
65+
|
White
|
Black
|
Hispanic
|
Other
|
0 - Completely
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
monogamous
|
61%
|
52%
|
69%
|
51%
|
58%
|
63%
|
70%
|
69%
|
43%
|
35%
|
65%
|
1
|
7%
|
8%
|
7%
|
8%
|
4%
|
8%
|
9%
|
8%
|
3%
|
10%
|
3%
|
2
|
2%
|
3%
|
1%
|
2%
|
5%
|
1%
|
2%
|
2%
|
3%
|
1%
|
--
|
3
|
9%
|
12%
|
6%
|
10%
|
9%
|
10%
|
6%
|
6%
|
21%
|
12%
|
11%
|
4
|
5%
|
6%
|
3%
|
9%
|
7%
|
2%
|
1%
|
4%
|
4%
|
8%
|
9%
|
5
|
4%
|
6%
|
2%
|
7%
|
5%
|
3%
|
1%
|
2%
|
12%
|
3%
|
4%
|
6 - Completely non-monogamous
|
7%
|
8%
|
7%
|
7%
|
9%
|
9%
|
4%
|
5%
|
9%
|
18%
|
6%
|
Not sum
|
5%
|
4%
|
5%
|
7%
|
3%
|
3%
|
8%
|
4%
|
5%
|
13%
|
2%
|
Totals
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
(Unweighted N)
|
(994)
|
(488)
|
(506)
|
1180)
|
1247)
|
(406)
|
(181)
|
(701)
|
(125)
|
(110)
|
(58)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Party ID (3 category)
|
|
Family Income (3 category)
|
|
|
Census Region
|
|
|
Total
|
Democrat
|
Independent
|
Republican
|
Under $50K
|
$50-100K
|
$100K or more
|
Prefer not to say
|
Northeast
|
Midwest
|
South
|
West
|
0 - Completely monogamous
|
61%
|
48%
|
67%
|
69%
|
56%
|
69%
|
59%
|
64%
|
70%
|
61%
|
58%
|
57%
|
1
|
7%
|
8%
|
7%
|
8%
|
4%
|
9%
|
14%
|
8%
|
11%
|
6%
|
7%
|
6%
|
2
|
2%
|
2%
|
1%
|
4%
|
1%
|
1%
|
7%
|
5%
|
1%
|
2%
|
3%
|
2%
|
3
|
9%
|
14%
|
8%
|
3%
|
13°%
|
5%
|
10%
|
2%
|
2%
|
9%
|
9%
|
14°%
|
4
|
5%
|
6%
|
2%
|
6%
|
8%
|
2%
|
2%
|
1%
|
2%
|
5%
|
7%
|
3%
|
5
|
4%
|
6%
|
3%
|
2%
|
5%
|
4%
|
3%
|
1%
|
3%
|
3%
|
6%
|
2%
|
6 - Completely non-monogamous
|
7%
|
11%
|
5%
|
5%
|
10%
|
3%
|
4%
|
10%
|
7%
|
11%
|
6%
|
7%
|
Not sure
|
5%
|
5%
|
6%
|
2%
|
3%
|
7%
|
1%
|
9%
|
3%
|
4%
|
5%
|
8%
|
Totals
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
(Unweighted N)
|
(9941
|
(359)
|
(392)
|
(293)
|
(471)
|
(259)
|
(141)
|
(123)
|
(t87)
|
(213)
|
(366)
|
(220)
|
YouGov
September 23 - 25, 2016
2. Relationships 1 Current Relationship
On a scale where 0 is complete$ monogamous 045 6 is completely
non-monogamous, how would you describe your current romantic relationship?
Asked o/thos0 currently ,r3 a romanticrounonshlp
|
YouGov
|
|
Total
|
|
Gender
|
|
Age (4 category)
|
|
|
Race (4 category)
|
|
Male
|
Female
|
Under30
|
30-44
|
45-64
|
65+
|
White
|
Black
|
Fispanic
|
Other
|
0 - Completely monogamous
|
71%
|
66%
|
76%
|
60%
|
67%
|
73%
|
80%
|
81%
|
50%
|
32%
|
82%
|
1
|
5%
|
5%
|
5%
|
2%
|
4%
|
6%
|
7%
|
4%
|
4%
|
11%
|
--
|
2
|
2%
|
3%
|
1%
|
3%
|
3%
|
1%
|
2%
|
2%
|
4%
|
2%
|
2%
|
3
|
6%
|
6%
|
5%
|
8%
|
5%
|
7%
|
2%
|
5%
|
1%
|
13%
|
2%
|
4
|
5%
|
6%
|
3%
|
14%
|
7%
|
1%
|
3%
|
3%
|
7%
|
13%
|
1%
|
5
|
3%
|
5%
|
1%
|
3%
|
4%
|
2%
|
1%
|
1%
|
11%
|
4%
|
8%
|
6 - Completely non-monogamous
|
6%
|
6%
|
6%
|
7%
|
8%
|
7%
|
1%
|
2%
|
19%
|
18%
|
4%
|
Not sum
|
2%
|
2%
|
3%
|
2%
|
2%
|
2%
|
4%
|
1%
|
4%
|
8%
|
0%
|
Totals
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
(Unweighted N)
|
(663)
|
(322)
|
(341)
|
(83)
|
(170)
|
(279)
|
(131)
|
(474)
|
(76)
|
(77)
|
(36)
|
|
Total
|
Party 10 (3 category)
|
|
Family Income (3 category)
|
|
|
Census Region
|
|
Democrat
|
Independent
|
Republican
|
Under $50K
|
$50-100K
|
$100K or more
|
Prefer not to say
|
Northeast
|
Midwest
|
South
|
West
|
0 - Completely
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
monogamous
|
71%
|
53%
|
78%
|
84%
|
65%
|
79%
|
74%
|
69%
|
79%
|
70%
|
69%
|
69%
|
1
|
5%
|
7%
|
4%
|
5%
|
4%
|
7%
|
3%
|
6%
|
3%
|
7%
|
6%
|
3%
|
2
|
2%
|
3%
|
1%
|
3%
|
1%
|
1%
|
7%
|
1%
|
1%
|
2%
|
2%
|
4%
|
3
|
6%
|
9%
|
5%
|
2%
|
8%
|
3%
|
7%
|
0%
|
--
|
9%
|
7%
|
6%
|
4
|
5%
|
5%
|
7%
|
2%
|
5%
|
7%
|
2%
|
5%
|
8%
|
1%
|
4%
|
7%
|
5
|
3%
|
5%
|
1%
|
3%
|
5%
|
1%
|
3%
|
1%
|
1%
|
1%
|
5%
|
3%
|
6 - Completely non-monogamous
|
6%
|
15%
|
2%
|
1%
|
11%
|
1%
|
1%
|
8%
|
7%
|
8%
|
4%
|
8%
|
Not sure
|
2%
|
4%
|
2%
|
1%
|
2%
|
1%
|
1%
|
10%
|
1%
|
3%
|
3%
|
2%
|
Totals
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
(Unweighted N)
|
(663)
|
(235)
|
(253)
|
(175)
|
(268)
|
(199)
|
(119)
|
(77)
|
(126)
|
(144)
|
(241)
|
(152)
|
2
YouGov
September 23 - 25, 2016
YouGov
3. Relationships I With Consent
Have you ever engaged in sexual activities with someone else,
with the consent of your main romantic partner?
|
Total
|
|
Gender
|
|
Age (4 category)
|
|
|
Race (4 category)
|
|
Male
|
Female
|
Under 30
|
30-44
|
45-64
|
65+
|
White
|
Black
|
Hispanic
|
Other
|
Yes
No
Prefer not to say
|
11%
83%
6%
|
16%
80%
4%
|
6%
86%
8%
|
17%
74%
10%
|
17%
78%
5%
|
9%
85%
7%
|
3%
95%
1%
|
10%
87%
4%
|
14%
79%
8%
|
21%
67%
12%
|
5%
86%
9%
|
Totals (Unweighted N)
|
100%
(997)
|
100%
(487)
|
100%
(510)
|
100%
(161)
|
100%
(248)
|
100%
(407)
|
100%
(181)
|
100%
(702)
|
100% (t25)
|
100% (11 t)
|
100%
(59)
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Party ID (3 category)
|
|
Family Income (3 category)
|
|
|
Census Region
|
|
|
Total Democrat Independent Republican
|
Under $50K $50-100K
|
$100K or more
|
Prefer not to say
|
Northeast Midwest South West
|
Yes
|
11% 16% 9%
|
8% 13% 9%
|
11%
|
7%
|
13% 15% 8% 11%
|
No
|
83% 78% 86%
|
85% 81% 88%
|
81%
|
83%
|
83% 80% 85% 82%
|
Prefer not to say
|
6% 6% 5%
|
7% 6% 3%
|
8%
|
9%
|
4% 5% 6% 7%
|
Totals
|
100% 100% 100%
|
100% 100% 100%
|
100%
|
100%
|
100% 100% 100% 100%
|
(Unweighted N)
|
(997) (361) (395)
|
(241) (472) (259)
|
(142)
|
(124)
|
(185) (215) (367) (230)
|
|
|
|
|
|
3
|
YouGov
September 23 - 25,
|
2016
|
|
|
|
YouGov
|
4. Relationships Without Consent
|
|
|
Have you ever engaged in sexual activities with someone else,
WITHOUT the consent of your main romantic partner?
|
|
|
|
Gender
|
Age (4 category)
|
|
|
Race (4 category)
|
|
Total Male Female
|
Under 30 30-44 45-64
|
65+
|
White
|
Black Hispanic Other
|
Yes
|
19% 25% 13%
|
21% 17% 19%
|
21%
|
17%
|
30% 26% 12%
|
No
|
75% 70% 79%
|
74% 77% 75%
|
73%
|
77%
|
62% 66% 87%
|
Prefer not to say
|
6% 4% 8%
|
6% 6% 6%
|
6%
|
6%
|
8% 8% 1%
|
Totals
|
100% 100% 100%
|
100% 100% 100%
|
100%
|
100%
|
100% 100% 100%
|
(Unweighted N)
|
(998) (487) (511)
|
(161) (248) (408)
|
(181)
|
(702)
|
(t26) (111) (59)
|
|
|
|
|
|
|
|
Party 113 (3 category)
|
Family Income (3 category)
|
|
Census Region
|
|
Total
|
Democrat
|
Independent
|
Republican
|
Under $50K
|
$50-100K
|
$100K or more
|
Prefer not to say
|
Northeast
|
Midwest
|
South
|
West
|
Yes
|
19%
|
21%
|
18%
|
18%
|
20%
|
18%
|
24%
|
13%
|
20%
|
23%
|
17%
|
19%
|
Na
|
75%
|
72%
|
76%
|
77%
|
73%
|
79%
|
68%
|
77%
|
76%
|
72%
|
76%
|
75%
|
Prefer not to say
|
6%
|
7%
|
6%
|
5%
|
6%
|
3%
|
8%
|
10%
|
5%
|
6%
|
7%
|
6%
|
Totals
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
(Unweighted N)
|
(998)
|
(361)
|
(395)
|
(242)
|
(474)
|
(259)
|
(142)
|
(123)
|
(186)
|
(214)
|
(368)
|
(230)
|
83
4
84
85
The opening of American relationships
How would you react If your partner wanted to engage in sexual
activities with someone else?
68
19
5
|
|
56
|
|
6o
|
|
74
17
4
|
|
78
11
3
|
n I would not be OK with it
n It depends on the sitaution
n I would be OK with it
n Not sure
|
|
|
|
|
|
|
AGE
YouGaii yougovcom September 23-25.2016
Cheating and open relationships
Have you ever engaged in sexual activities with someone eLse.
[with/without] the consent of your main romantic parter? % answering 'yes'
n With consent of partner Without consent of partner
TotaL
|
18-2g 30-44
|
45-64 65+
|
|
|
|
|
AGE
86
Polyamorous Families in Canada: Early Results of New
Research from CRILF
Figure 3
Educational attainment
Post-graduate degree Undergraduate degree Some university
College diploma
Some college
Trade school diploma high school diploma Some high school
0 20 40 60 80 100 120 140 160
Figure 3.1
Distribution of educational attainment among respondents and
general population
Post-graduate degree Undergraduate degree College diploma high
school diploma or equivalent No certificate, degree or diploma
0 5 10 15 20 25 30 35 40
Percent
· Canada · Respondents
al 25 v
a 20
15 10 5 0
Figure 2
Age
250 200 150 100 50
0
|
|
18 to 24 25 to 34 35 to 44 45 to 54 55 or older
|
Figure 2.1
Distribution of age of respondents and general population
50
45
40
35
30 C
1
87
25 to 34 35 to 44 45 to 54 55 or older
n Respondents Canada
Axe des approches relationnelles
88
89
Grille d'entretien
L'objectif de cet entretien est de répondre à la
problématique suivante : quels sont les parcours de vie des personnes
polyamoureuses ?
Présentation :
- Pouvez-vous vous présenter ?
- Quel âge avez-vous ?
- Où habitez-vous ?
- Que faites-vous dans la vie ?
Parcours :
- Pourriez-vous me décrire votre parcours (scolaire, pro)
?
- Dans quel environnement familial avez-vous grandi ?
(travail/relation de vos parents, fratrie, situation familiale, PCS, famille
religieuse)
- Et votre parcours relationnel ? (Avez vous connu
d'autres configuration dans vos
relations tel que le couple exclusif, le couple
libertin, échangiste (etc) ? Si le polyamour s'est construit en couple,
comment as-tu discuté de ça avec ton partenaire ? Avez-vous
déjà été en relation polyamoureuse avant cette
relation ?) Comment se sont-elles finies ?
- Comment avez-vous compris que vous étiez polyamoureux
?
- Comment avez-vous rencontré vos partenaires ? (appli
de rencontre ? Soirée...) - A quels obstacles vous êtes-vous
confronté au cours de votre relation ?
- Comment s'est construit votre ménage ? Comment votre
foyer en est venu à
s'organiser de cette manière ? Cette organisation est-elle
définitive selon vous ?
- Comment/quand avez-vous entendu parler du mot polyamour ?
90
- Connaissez-vous d'autres personnes ayant des orientations
dites «alternatives» ? (polyamoureux, libertins, échangistes
?)
Avez-vous rencontré ces personnes avant d'être
polyamoureux ? Pensez-vous que ces rencontres ont pu vous amener à
repenser votre orientation ?
Vision du polyamour :
- Vous décririez-vous comme étant polyamoureux ?
Comment décririez-vous votre relation ?
- Quel avenir envisagez-vous dans vos relations ?
- Une étude (Sheff, 2014) démontre que le
polyamour n'est généralement pas le «first step outside of
the box», soit, que les personnes polyamoureuses ont
généralement au préalable d'autres idéologies/modes
de vies que l'on pourrait dire «hors normes»
(végétarisme, bisexualité, BDSM etc), qu'en pensez-vous
?
- Avez-vous déjà expérimenté les
relations à distance ?
- Qu'est-ce que le mode de vie polyamoureux a pu changer dans
votre vision des relations ?
- Le polyamour a-t-il un lien avec le féminisme selon
vous ? Si oui, lequel ? Etes-vous vous-même féministe ?
- Pensez-vous que le polyamour se vit différement selon
le genre? (homme, femme) ou la couleur de peau ?
Organisation :
- Y a-t-il des règles et des normes précises pour
articuler votre relation ?
Si oui : quelles sont-elles ? Comment les avez-vous
construites ? Sont-elles formelles ? Informelles ?
- Comment se gèrent vos relations polyamoureuses au
quotidien ?
- Avez-vous déjà été jaloux ? /
Vos partenaires ont-ils déjà été jaloux ? Comment
cela s'est manifesté ?
91
- Comment gérez-vous, envisagez-vous la jalousie dans
votre couple ? - Le polyamour a-t-il déjà été
source de tension ?
Regard des autres :
- Parlez-vous de votre relation avec vos proches ? Si oui comment
ont-ils réagi ?
- Cachez-vous votre polyamour ? Est-ce quelque chose que vous
pouvez dire facilement
?
- Le regard de vos proches sur vous a-t-il changé depuis
qu'ils connaissent votre situation ?
|