Groupes armés et conditions socioéconomiques de la population de Shabunda au sud-Kivu.par Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Licence en sciences politiques et administratives 2020 |
2.2. Les causes de l'émergence des groupes armés à ShabundaLa persistance des groupes armés dans la Province du Sud - Kivu se justifie par la désintégration sociale, politique et économique des certaines catégories de la population du Territoire de Shabunda. L'usage des armes à Shabunda semble s'inscrire dans le corpus mouvant et sans cesse réinventé des pratiques de débrouille au quotidien en contexte incertain. Cette activité à Shabunda n'est pas conçue selon une logique d'accumulation structurelle. La capacité d'adaptation des groupes armés aux évolutions du paysage social dans le territoire, leurs fréquentes et rapides recompositions et la reproduction constante de certains d'entre eux tiennent sans doute au fait que les membres de ce mouvement considèrent leur participation à la lutte comme une pratique ordinaire de survie. Les modes d'entrée dans le mouvement présentent une certaine diversité. Pour certains éléments, c'est le fruit des contingences locales qui résulte d'un désoeuvrement. Les facteurs exerçant le plus d'influence sur l'éclatement des guerres civiles se trouvent dans le coût d'opportunité qui s'appuie sur la prévision des revenus futurs par les individus. Nous avons retenu les indicateurs suivants : le revenu moyen par habitant, le taux d'analphabétisme de la population masculine et le taux de croissance de l'économie. Ces indicateurs facilitent le recrutement de la population dans les groupes rebelles. C'est par exemple, lorsque le taux d'éducation secondaire de la population masculine, le revenu par habitant et le taux de croissance augmentent, les risques de conflits diminuent. Donc les faibles revenus et un accès difficile à la scolarisation sont fortement susceptibles d'attiser la frustration de la population envers le gouvernement. Là, il est question des griefs réels et légitimes. La faillite de l'Etat a poussé la population à créer des groupes d'autodéfenses pour faire face aux attaques des éléments de Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) qui se sont vus être mis hors territoire suite à des opérations lancées par de Raïa Mutomboki lorsque toute l'étendue du Territoire de Shabunda était restée sans force loyaliste pour assurer la sécurité des personnes et des biens. L'intégration dans les groupes armés à Shabunda des jeunes est une opportunité d'atteindre un statut social plus élevé, car cela a favorisé plusieurs jeunes Ex-combattants de bénéficier des formations dans les différents centres de formation socioprofessionnelle installés soit à Kitona dans la Province du Kongo - central, soit à Kamina dans la Province du Haut - Lomani. Suite aux revendications de l'amélioration du bien - être de la population par les différents éléments des groupes armés, il s'est observé la présence, dans le Territoire de Shabunda, des plusieurs organismes humanitaires oeuvrant dans le domaine social qui sont venus construire et équiper les écoles sur toute l'étendue du territoire. Qu'il découle d'une contrainte physique ou d'un impératif social, le recours aux armes à Shabunda n'est conçu ni comme une vocation ni comme un acte exceptionnel. Fruits des contingences, il répond à des considérations s'inscrivant dans le « temps court marqué par l'improvisation »(67(*)), et ce, dans un contexte où « la distinction entre les luttes pour la subsistance proprement dite et les luttes pour la survie tout court s'est estompée » et « où la vie au quotidien est de plus en plus définie à partir du paradigme de la menace, du danger et de l'incertitude ». Les groupes armés à Shabunda mettent en oeuvre une action collective violente lorsqu'ils considèrent que la situation d'inégalité horizontale, face à la population ou la société où ils évoluent, est devenue intolérable. C'est pourquoi, plusieurs auteurs perçoivent la défaillance étatique comme le facteur le plus significatif pour expliquer l'éclatement des groupes armés. Le terme Etat défaillant est utilisé pour désigner un Etat dont le degré de faiblesse institutionnelle a atteint un point critique. C'est-à-dire lorsqu'il y a une rupture générale du corpus de règles formelles et informelles gouvernant une société, accompagnée d'une disparition ou d'une érosion de l'autorité formelle »(68(*)). Les Etats défaillants sont incapables de remplir leurs fonctions traditionnelles. Dans une telle situation, les conditions de vie se détériorent (la réduction des services publics (voir leur disparition), la dégradation des infrastructures physiques, etc.). Par conséquent, ce vide politique mène souvent à l'anarchie et à la formation des différents groupes armés sous prétexte de l'autodéfense. Il est remarqué que les groupes armés à Shabunda sont formés de jeunes (la plupart issus des milieux ruraux) qui ont observé que les actions de l'Etat n'ont pas un impact considérable sur les conditions de vie de la population. L'analphabétisme, le manque d'instruction et aussi le manque d'emploi sont autant de facteurs qui contribuent à la persistance des groupes armés. Nous sommes sans ignorer que la fréquence des groupes armés est déterminée par des opportunités et des incitations économiques qui agissent en interaction avec des revendications politiques et sociales, des disputes interethniques et des dilemmes sécuritaires. Selon nos observations, nous constatons qu'aucune des guerres civiles ne peut éclater à cause de facteurs strictement économiques. Les motivations politiques ont été, et ce dans tous les cas, à l'origine de la création des mouvements de rébellion. Il nous faut insister sur le fait qu'à de multiples reprises, les facteurs économiques se sont combinés à des facteurs politiques. Et cette combinaison a facilité l'éclatement des hostilités. Pour de nombreux combattants, la surveillance des axes de communication, l'approvisionnement en vivres, le prélèvement de taxes sur les marchandises et la protection de groupes viennent combler de longues périodes d'oisiveté dans les villages occupés par eux. Certaines de pratiques des groupes armés à Shabunda s'insèrent dans le tissu économique local et associent des acteurs qui leur sont proches sans toutefois faire partie du groupe armé. Ainsi, les combattants arrivent à tirer profit de leur statut et de leurs armes pour protéger le petit commerce de leurs proches, notamment dans les zones d'exploitation minière. La protection du commerce, des fermes et des carrés miniers d'opérateurs économiques proches des groupes maï - maï à Shabunda est devenue une activité routinière pour ces derniers qui assurent ainsi une forme de maintien de l'ordre à leur propre bénéfice. * 67 MBEMBE, A., Sortir de la grande nuit. Essai sur l'Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2010, p.194 * 68 FOREST, D., Op. Cit, p.8 |
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