Groupes armés et conditions socioéconomiques de la population de Shabunda au sud-Kivu.par Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Licence en sciences politiques et administratives 2020 |
INTRODUCTION GENERALE1. Présentation de l'objet d'étudeDepuis plus d'une décennie, l'Est de la RD Congo est en proie à une instabilité sécuritaire dont les causes seraient à la fois internes et externes. L'ampleur et les effets de cette situation sont différemment vécus d'un Territoire à un autre. En ce qui concerne le Territoire de Shabunda dans la Province du Sud - Kivu, l'on sait de mémoire que ce Territoire connaît particulièrement une histoire politique instable marquée par des guerres, des crises politiques multiformes, des rébellions et insurrections, des dissidences, bref la violence entrainant ainsi une détérioration de conditions existentielles de la population. Dès lors, des foyers de tensions y ont été régulièrement localisés depuis le mouvement de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo, AFDL, en passant par la guerre du Rassemblement Congolais pour la Démocratie, RCD en sigle, dont l'élan a été fortement bloqué par la résistance des Mai-Mai dans la partie Nord du Territoire de Shabunda, jusqu'au mouvement actuel des Mai-Mai Raïa Mutomboki localisé sur toute l'étendue de ce Territoire. Le Territoire de Shabunda est réputé potentiellement riche grâce à la fertilité de son sol et sous-sol au plan géologique. Par contre, les effets des actions des groupes armés ne permettent pas l'exploitation de ces divers atouts en vue de promouvoir le bien-être de la population ; bien au contraire, ils entraînent ce milieu dans l'enclavement moral et matériel qui conduit à une précarité de la vie sociale et économique de la population qui y vit. Le contexte de cette situation est rendu complexe par la multiplicité des enjeux politiques, économiques, géostratégiques ainsi que par la diversité des acteurs aussi bien nationaux qu'étrangers. L'absence de la volonté manifeste des belligérants de se détacher de leurs unités, armes et munitions constituerait une entrave majeure au processus de la pacification et de l'amélioration de conditions sociales et économiques des habitants de ce Territoire. Les caractéristiques géologiques et géoéconomiques que présente ce Territoire sont importantes et constitueraient des opportunités majeures pour l'amélioration de la situation socioéconomique de sa population alors que cette dernière demeure dans une situation de pauvreté occasionnant ainsi sa misère. Depuis le déclenchement de la guerre dite de « libération » en R.D Congo, l'on assiste à une partition de fait du territoire national. Une partie est contrôlée par le gouvernement central et une autre est partagée entre diverses factions rebelles et bandes armées. Cela démontre que la guerre de 1998 a entraîné la division du pays en zones gouvernementales et rebelles, division qui est loin aujourd'hui d'être réellement résorbée. Il s'observe un phénomène de développement d'espaces semi-autonomes, particulièrement dans les régions frontalières de l'Est du pays. C'est dans ce contexte que les éléments de Raïa Mutomboki, un des groupes armés opérationnel à Shabunda, ont su, par exemple, assurer la gestion de toute l'étendue du Territoire pendant quatre mois et dix - huit jours lorsque les éléments des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, FARDC en sigle, ont abandonné le Territoire, sur ordre du gouvernement congolais, pour se rendre au brassage(2(*)). Pendant cette période, les éléments de Raïa Mutomboki sont arrivés à mettre hors du Territoire, les éléments du groupe armé de Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda, FDLR en sigle, qui commettaient des exactions contre la paisible population. Tirant des leçons des anciennes luttes révolutionnaires de l'Est du pays, les combattants des groupes armés de ce Territoire ne sont plus prêts à servir de main d'oeuvre à un ou plusieurs individus recherchant un profit personnel dans l'exploitation des matières précieuses (allusion faite aux dirigeants du maquis de Kabila de 1967-1986). De même, leurs relations avec les populations locales se sont considérablement améliorées : ils se font remarquer de moins en moins dans les vols, viols, pillages et autres mauvais traitements des paysans. Le cycle récurrent des guerres et de la violence dans l'histoire passée et présente causée par les groupes armés en République Démocratique du Congo nécessite une approche visant non seulement à mettre fin à la violence, mais également à s'attaquer aux causes profondes de l'émergence de groupes armés pour établir l'amélioration des conditions socioéconomiques de la population. Les implications majeures des groupes armés sur les conditions socioéconomiques de la population de Shabunda appellent à une plus grande considération de ce mouvement au sein de la province et à l'échelle nationale. Dans ce contexte, il est essentiel d'approfondir la compréhension des causes de l'émergence des groupes armés dans le Territoire de Shabunda au Sud-Kivu et leurs implications sur les conditions socioéconomiques de la population dudit Territoire par le biais d'un travail d'analyse approfondie qui stimule les débats autour de la question. Les enseignements tirés du travail d'analyse permettront de mettre en lumière la nature de ces groupes armés et leurs implications sur le bien-être de la population, aidant ainsi à la formulation de décisions politiques éclairées au niveau territorial, provincial et national. L'objectif de la présente étude est de contribuer à cette compréhension et d'orienter les débats sur les stratégies visant à parvenir à une solution durable pour la gestion des groupes armés à Shabunda. De tout ce qui vient d'être dit ci - haut, Ernie Regehr3(*), qui s'interroge sur les conditions d'émergence des effets violents des groupes armés, dégage une constante qui peut être isolée : « on peut raisonnablement conclure que les effets des groupes armés sont davantage susceptibles de se produire, lorsque les communautés sont imprégnées de raisons profondes pour rejeter le statu quo, lorsqu'elles ont accès à des ressources matérielles, politiques et sociales de la violence, et lorsqu'elles sont convaincues ou peuvent prétendre de manière crédible que cette violence est leur seul espoir de changement». Les considérations ci - haut évoquées montrent que si les groupes armés peuvent être considérés comme cause de la détérioration des conditions socioéconomiques de la population de Shabunda, ils sont également considérés aux yeux de la population, comme un facteur qui contribue à l'amélioration des conditions existentielles de la population et cela dans divers domaines de la vie sociale, économique et politique. Le choix de ce sujet a été motivé par le souci de comprendre la montée des foyers de tensions au sein du Territoire de Shabunda et son implication sur les conditions socioéconomiques de ses habitants. Voilà pourquoi nous avons intitulé notre sujet : « Groupes armés et conditions socio-économiques de la population de Shabunda au Sud - Kivu ». * 2 Entretien avec l'ex-président de la société civile du Sud-Kivu, Monsieur Descartes MPONGE MALASI, aujourd'hui expert des Nations Unies aux Droits de l'homme, le 03/04/2019 à 18h20' * 3 REGEHR, E., cité par LUNTUMBUE, M., Comprendre la dynamique des conflits. Une lecture synthétique des facteurs de conflits en Afrique de l'Ouest, note d'analyse du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP), Bruxelles, 14 Janvier 2014, p.4 |
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