Groupes armés et conditions socioéconomiques de la population de Shabunda au sud-Kivu.par Jacques LUTALA KATAMBWE Université de Lubumbashi - Licence en sciences politiques et administratives 2020 |
Chapitre I. CONSIDERATIONS GENERALESLa production d'une recherche qui se veut scientifique fait l'objet des exigences précises et rigoureuses. Elle requiert, non seulement le respect logique entre expression, démarche méthodologique et théories référentielles, mais recommande aussi l'emploi conséquent et cohérent des concepts y relatifs. Dans ce chapitre, il sera question, d'abord de définir les concepts (concepts de base et concepts connexes) de notre thème de recherche, ensuite nous allons présenter notre milieu d'étude, qui est le Territoire de Shabunda qui appartient dans un sous ensemble la Province du Sud - Kivu. Section 1. Définition des conceptsPour tout travail scientifique, définir les concepts s'avère indispensable en vue d'éviter l'incompréhension et de clarifier ainsi le travail, car certains termes ont souvent un sens ambigu, ou peut-être l'usage vulgaire de ces termes en donne un sens non scientifique. En effet, en sciences sociales, chaque chercheur s'efforce de définir un concept selon la formation subie, selon son objet d'études et selon ses convictions personnelles et l'approche de l'investigation. La présente section analyse les concepts clés de notre étude qui sont le groupe armé et les conditions socioéconomiques. Mais, étant donné qu'on ne peut mieux comprendre ces deux concepts sans passer par leurs antipodes qui sont le développement, le sous-développement, la pauvreté et la paix, nous avons préféré réserver à ces derniers une attention particulière pour rendre intelligible cette étude. 1.1. Groupe arméLe groupe armé est un acteur non étatique qui poursuit généralement ou prétend poursuivre des objectifs politiques contre un gouvernement ou pouvoir en recourant à la violence(22(*)). La plupart des groupes armés combattent le pouvoir en place, mais il arrive aussi qu'ils se battent entre eux. Certains groupes armés sont affiliés à des mouvements politiques tandis que d'autres opèrent indépendamment des partis politiques. Ces différentes représentations des groupes armés renvoient à l'idée d'extranéité et à l'individu en tant que combattant. De ce fait, on parle de groupe armé étranger qui est un groupe qui réalise ses actions dans un Etat autre que son Etat d'origine. Et le combattant est un individu portant des armes pour le compte d'un groupe armé. Les combattants peuvent soit adhérer aux idéaux politiques ou servir au sein des groupes armés en tant que mercenaires(23(*)). Les groupes armés sont ceux dont la rébellion ou la résistance menace explicitement l'autorité de l'Etat. Les groupes armés considèrent que l'action violente est justifiée par des actions de légitime défense contre les violations de leurs droits (24(*)). Pour STEARNS, J., VERWEIJEN, J. et BAAZ, E.B., le groupe armé est souvent considéré comme des voyous qui s'en prennent aux civils innocents et sans défense(25(*)). Certains sont toutefois des prédateurs plus avides que d'autres, et certains bénéficient du large soutien des communautés locales dans lesquelles ils sont recrutés. Quant à International Council on Human Rights(26(*)), le concept groupe armé désigne un groupe d'individus qui sont armés, faisant usage de la force pour atteindre leurs objectifs tout en échappant au contrôle de l'Etat. En général, il fait allusion à des groupes qui s'opposent au pouvoir en place, mais il est parfois difficile de distinguer clairement les groupes ayant des visées politiques de ceux ayant des objectifs criminels. Cependant, les groupes armés, en tant qu'acteurs nouveaux de la géopolitique, ont des formes et des dénominations multiples. Qu'on parle de guérillas, de milices, de mouvements révolutionnaires, leurs objectifs peuvent être différents mais leurs méthodologies souvent semblables. C'est ainsi qu'il est difficile de distinguer leurs motivations réelles et prétendues et cela rend difficile un classement. Certains groupes armés prétendent avoir une dimension religieuse. Cette justification peut soit servir à couvrir un intérêt purement personnel soit à légitimer un objectif politique. Cela fait peu de différence. La religion est un argument de recrutement et de légitimité, mais les méthodes sont tout aussi nuisibles aux populations victimes de leurs exactions. D'autres groupes sont des bras armés de partis politiques qui, soit n'obtiennent pas la représentativité qu'ils requièrent (parce qu'ils représentent des minorités), soit correspondent à la branche dure, radicale d'un mouvement. Si l'Etat en vient à transiger, le groupe se dissout intégralement ou partiellement. Dans d'autres cas, si le groupe le peut, il renversera le pouvoir. Il peut arriver que le groupe diminue ses actions et se pose comme le justicier lorsque les choses ne vont pas/plus dans son sens. Certains de ces groupes portent des revendications indépendantistes. D'autres agissent comme des « Robin des Bois (Héros) » en reversant aux populations ce qui leur revenait de droit, selon eux et qui leur avait été volé par le pouvoir politique ou économique. Tour à tour considérés comme des héros, des terroristes ou des simples bandits, ils mettent sous pression les Etats et les affaiblissent. Leur terreau de recrutement est parfois l'idéologie, mais plus souvent les frustrations, la pauvreté et le désoeuvrement, quand il ne s'agit pas tout bonnement de l'enlèvement de mineurs. Leurs ressources, quelle que soit la nature de leur mouvement, sont assez similaires et comme ils vivent dans la clandestinité, souvent illégales. Ils prélèvent l'impôt révolutionnaire sur l'argument que les populations doivent soutenir l'effort de guerre, procèdent au pillage et organisent la contrebande, enlèvent et demandent des rançons, etc. ils disposent en effet d'une bonne connaissance du terrain et d'une puissance armée. Aussi sont-ils actifs dans la contrebande de produits illicites (comme la drogue) ou licites, mais habituellement contrôlés. On les retrouve dès lors dans les régions riches en ressources naturelles et particulièrement en minerais. Ils bénéficient cependant souvent du soutien financier des Etats voisins ou de ceux dont l'objectif géopolitique est servi par la déstabilisation du pays où ils opèrent. Le fait qu'ils soustraient un territoire à l'autorité de l'Etat, qu'ils provoquent l'insécurité résultant du déplacement de populations, de la destruction des structures sociales et de l'appauvrissement de la population, a des implications sur la politique de l'Etat. Perçu comme affaibli, l'Etat n'offrira pas de bonnes perspectives aux investissements. Il devra par contre consacrer une partie de ses efforts à contenir ces groupes et les combattre ou à les démanteler en acceptant parfois la réintégration de leurs membres au sein de l'armée régulière, ce qui risque de faire rentrer le ver dans la pomme à moyen ou à long terme. Politique à l'origine, même si elle est parfois menée de manière criminelle, l'action armée est considérée comme un moyen pour parvenir à une fin politique. Une pression militaire ou une action des forces de sécurité peuvent être nécessaires pour la contrecarrer, mais dans la plupart des cas, une résolution durable du conflit dépendra d'un compromis ou d'un accord politique. Les groupes armés sont caractérisés par leur très grande diversité et peuvent représenter différents degrés de menace pour un Etat. Les forces rebelles organisées sous la forme d'une armée en mesure de contrôler un territoire, sont différentes de mouvements politico-militaires de résistance. Il existe aussi d'autres groupes de taille plus réduite, organisés en structures cellulaires pour faciliter la planification d'actes de violence ciblés, mais en lien avec des représentants politiques ; la vaste gamme de groupes armés à base ethnique en Afrique et en Asie combattant pour obtenir le contrôle de populations, de territoires et/ou de ressources ; ou encore des groupes liés entre eux comme les militants islamistes actifs. De telles différences accentuent le danger de toute généralisation ou d'énonciation de principes généraux. Les groupes armés varient beaucoup comme le soulignait Paul Staniland (27(*)) en 2014. Il peut y avoir des différences spectaculaires entre les groupes armés, même entre ceux qui se battent contre le même gouvernement, pour ce qui est de leurs stratégies, de leurs capacités et de leurs bases sociales. Ainsi, les groupes armés peuvent être considérés comme des acteurs qui : 1. mettent en question le monopole exercé par l'État sur la force coercitive ; 2. opèrent en dehors du contrôle effectif de l'État ; ou 3. sont capables de faciliter ou d'entraver et compromettre des actions humanitaires ou des initiatives de paix. Les études de cas présentées dans différentes recherches adoptent une manière de comprendre les groupes armés plus fluide et complexe. Parmi eux, figurent des groupes dotés de liens robustes avec les communautés locales, des groupes qui ont recours à la violence extrême et ont des ordres du jour transnational et des groupes qui ont des ambitions politiques confuses et qui sont les auteurs de violences aveugles à l'encontre de populations civiles. Dans le cadre de cette étude, nous considérons les groupes armés comme une organisation politico-militaire et civile qui fonde son discours ou son action sur des motifs multiples, notamment la lutte contre la répression politique ou l'atténuation des injustices socio-économiques. Cette considération nous ramène à épouser les idées de Ernie Regehr(28(*)) qui stipule : « on peut raisonnablement conclure que les groupes armés sont davantage susceptibles de se produire, lorsque les communautés sont imprégnées de raisons profondes pour rejeter le statu quo, lorsqu'elles ont accès à des ressources matérielles, politiques et sociales de la violence, et lorsqu'elles sont convaincues ou peuvent prétendre de manière crédible que cette violence est leur seul espoir de changement ». Les études de cas examinent l'incidence qu'ont les groupes armés sur la relation entre la communauté locale et le groupe armé les aspects suivants : la nature du conflit, la réponse de l'État, le type et le caractère du groupe armé et l'aptitude de la communauté à se mobiliser. Ainsi, cette observation nous pousse à faire une analyse sur le lien qui existerait entre communautés et groupes armés. 1.1.1. Communautés et groupes armésLa relation entre un groupe armé et la population locale est souvent décrite comme soit prédatrice (le groupe armé inflige des violations des droits de l'homme, pille et détruit les biens, et la population locale met au point des mécanismes d'adaptation et des techniques de survie), soit symbiotique (les populations locales laissent les groupes armés commettre des violences et entravent les efforts contre-insurrectionnels). Il faudrait faire remarquer que les attitudes des communautés ou des groupes dotés de liens étroits avec un groupe armé peuvent exercer une influence considérable sur ce dernier, en particulier lorsqu'ils ont des connexions familiales, de clan, de tribu ou de classe. Des médiateurs internes peuvent bénéficier d'une « partialité relationnelle » avec un groupe armé ; des liens étroits avec un groupe particulier basés sur des connexions personnelles, politiques ou économiques. Or, jusqu'ici, on ne comprend pas de manière précise quelle est la valeur de la partialité dans des efforts efficaces d'établissement de la paix. Les groupes armés jouent par ailleurs des rôles importants sur le plan de la sécurité et du développement. Par exemple, pour ce qui est de la prestation de services quotidiens, les acteurs communautaires doivent établir la confiance avec un groupe armé, exigence souvent mal comprise ou largement ignorée par les acteurs tant nationaux que venus de l'extérieur. Même si les acteurs locaux peuvent ne pas identifier immédiatement une fonction d'établissement de la paix dans leur contact avec des groupes armés, la mobilisation communautaire peut contribuer à réduire la violence ou à inciter les groupes armés à prendre part à un dialogue politique dans la recherche d'une paix au milieu de la communauté. C'est pourquoi une analyse particulière mérite d'être faite pour comprendre comment la communauté se mobilise pour le retour de la paix dans les groupes armés. * 22 HUGO, P., Géopolitique de l'Afrique, Paris, Ed. SEDES, 2007, p.130 * 23 ROMME, H., Opportunité et contrainte relatives au désarmement et au rapatriement des groupes armés étrangers en RDC. Cas de FDLR, FNL et ADF/NALU, Washington, MDRA, 2007, p.4 * 24WHITFIED, T., « Pratique de la médiation. Entrer en contact avec les groupes armés. Défis & options pour les médiateurs », Centre pour le Dialogue Humanitaire (hd centre), 2012, p. 17 * 25 STEARNS, J., et alii, Armée nationale et groupes armés dans l'Est du Congo : Trancher le noeud gordien de l'insécurité, RVI Projet Usalama, 2014, p.14 * 26 International Council on Human Rights, « les fins et les moyens, agir pour les droits de l'homme auprès des groupes armés », in ICHR, juin 2014, p.14. * 27 STANILAND, P., cité parHASPESLAGH, S. et ZAHBIA, Y., « Dialogue local avec les groupes armés. Au milieu de la violence », in Accord Insight 2, Londres, 2015, p. 13 * 28REGEHR, E., cité par LUNTUMBWE, M., Op. cit, p. 4 |
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