Chapitre 4. La médiation numérique : une
réponse à la révolution numérique
Comme nous l'avons vu précédemment, les
politiques publiques, avec leur souhait de transformation numérique du
service public, poussent de plus en plus vers différents portails en
ligne. Néanmoins, il ne faudrait pas que cela pousse vers la porte de
l'exclusion.
L'e-inclusion, comme le rappelle la CNNum (Meyer, 2014, p.
126), désigne la manière dont les technologies de l'information
et de la communication contribuent à développer la participation
de tous à la société. Cette dernière devient un
objectif qui reste marginal dans les politiques publiques : l'insertion par le
numérique semble confiée aux mains des territoires locaux. C'est
dans ce mouvement initié par la transition numérique que se situe
la médiation numérique.
4.1. La médiation numérique : une
pratique mise en place au travers de dispositifs
« La médiation numérique
désigne la mise en capacité de comprendre et de
maîtriser les technologies numériques, leurs enjeux et leurs
usages, c'est-à-dire développer la culture numérique de
tous pour pouvoir agir dans la société numérique. »
(MedNum, 2015). En ce sens, elle est au service de l'inclusion numérique
et met en avant la dynamique d'empowerment. La médiation
numérique permettrait un apprentissage axée sur la pratique et
les usages des TIC. Cet apprentissage augmenterait la capacité des
citoyens à agir dans la société.
Dans son article, Gervais (2017, p. 29), médiateur
numérique, nous précise que « l'utilisation en
conscience des outils numériques devient une condition indispensable
pour exercer sa citoyenneté et renforcer sa capacité d'agir. Il
n'est plus seulement question de former des publics aux outils, aux usages et
aux enjeux numériques, mais de les accompagner en tant que citoyens dans
la société numérique. ».
Précédemment, nous avons vu que l'empowerment des citoyens
pouvait être réduit en raison d'un manque de connaissances et de
compétences numériques. La médiation numérique
apparait comme une réponse adaptée à ce nouveau besoin.
Cette dernière se pratique au sein de lieux dédiés tel que
les Espaces Public Numérique (EPN).
Les EPN sont nés en France au milieu des années
1990. Ils avaient pour objectif de rompre avec la fracture sociale du
numérique. En effet, parmi les enjeux des années 90 se posait la
question de l'accès aux technologies multimédias
connectées. Le matériel était onéreux, d'une
utilisation complexe et la connexion aussi rare que chère. L'idée
des EPN était, avant tout, de rendre
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accessible le numérique et internet car leur
accès n'était pas démocratisé. Cette fracture s'est
en partie amplifiée en 2004 avec l'arrivée du Web 2.0 et son
florilège d'outils et services web plus interactifs et collaboratifs.
(TILIOS Initiatives, 2020). Entre temps, le PAGSI a permis d'aboutir à
la charte des EPN qui a fait émerger des centaines d'espaces en France.
Cette émergence a permis des recrutements soutenus par le dispositif
« Emploi Jeunes » au détriment des acteurs en place, de leur
reconnaissance et de leur professionnalisation.
En 2010, le taux important d'équipement
numérique des ménages a requestionné l'existence des EPN.
Au-delà des problématiques d'accès, il y a des
problématiques d'usages et de pratiques. Dans leurs travaux, Meyer &
Delahaye (2017, p. 11) indiquent que « les pratiques
renvoient aux fonctionnalités idéelles des technologies
numériques, à toutes les possibilités réelles ou
potentielles qu'elles nous offrent mais dont nous utilisons souvent qu'une
infime partie. En revanche les usages sont ce que la personne
fait ou peut faire réellement de cette technologie, soit par choix et
habitudes, soit par ignorance des autres. » Les besoins étant moins
axés sur l'accès à internet que sur l'accompagnement des
pratiques et des usages, les EPN ont transformé le "P" de Public en
Pratiques : Espace de Pratiques Numériques. Ce dernier donne
accès, à tous, à un équipement et un accompagnement
aux usages numériques. Il met le projet au coeur du processus, et
l'utilise comme prétexte à l'accompagnement au numérique.
Il organise des ateliers autour de projets en exploitant les TIC. Le terme de
médiation numérique prend alors tout son sens.
Bien que des lieux comme les EPN soient des lieux
spécifiques pour la pratique de la médiation numérique,
celle-ci prend forme au sein de différents lieux comme les
médiathèques, les centres sociaux, les centres de formation, les
associations, etc. Plus récemment et afin d'accompagner les citoyens
face aux nouveaux besoin, l'Etat a mis en place un nouveau dispositif : les
Maisons de Services au Public (MSAP).
Expérimentées de 2010 à 2013 sur certains
territoires puis déployées par la suite, les MSAP sont des lieux
de services de proximité : « les habitants peuvent être
accompagnés dans leurs démarches administratives : emploi,
retraite, famille, social, santé, logement, énergie, accès
aux droits, ... » (Maison des services au public, 2018). Avec
pour objectif d'éviter la multiplicité de guichets uniques,
l'octroi du label MSAP permet d'unifier les points d'accueils.
Portées par une association, une collectivité ou
bien par la Poste, les MSAP sont composées à minima de deux des
six opérateurs partenaires de ce dispositif : Pôle Emploi, la
CNAM, la CNAV, la CNAF, la CCMSA et La Poste (CGET, 2017).
Néanmoins, « si chaque maison doit
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conventionner avec les opérateurs partenaires de la
politique publique, une place importante est laissée aux partenariats
annexes - avec d'autres acteurs institutionnels et associatifs locaux - afin de
répondre au mieux au besoin des populations du territoire. »
(Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec
les collectivités territoriales , 2019). Chaque MSAP s'adapte à
son territoire et construit son « offre de services » en identifiant
les besoins du territoire au sein duquel elle s'implante.
Les MSAP peuvent être vues comme un dispositif
d'accompagnement mis en place en parallèle de la
dématérialisation du service public. Les dispositifs étant
« ce qu'une société met en oeuvre pour lutter contre ce qui,
pour elle, fait problème » (Foucault, 1975, cité par Paul,
2016, p. 22). En effet, « une Maison de Services Au Public est un espace
associant systématique présence humaine et accès aux
outils numérique. Les agents des maisons de services au public sont
formés - par les opérateurs ainsi que par l'Etat et ses
partenaires - aux actions de médiation sociale et numérique, afin
de lutter contre l'illectronisme et favoriser l'inclusion numérique.
» (CGET, 2017).
Très récemment, visant une montée en
gamme des MSAP, l'Etat a changé le label pour celui de « France
Services ». En effet, l'hétérogénéité
de l'offre de service des MSAP a peu à peu fait mûrir
l'idée qu'une harmonisation des services permettrait au label une
meilleure visibilité et éventuellement un meilleur impact. C'est
pourquoi, « France Services permet de trouver dans chaque guichet
polyvalent, un socle minimum de services garantis et un accueil identique.
» (Bercy Info, 2020). Il sera possible de solliciter les services de, non
pas deux minimum comme pour les MSAP mais bien, neuf opérateurs
partenaires : la Direction générale des finances publiques, le
ministères de l'Intérieur, le ministère de la Justice, la
Poste, Pôle emploi, le Conservatoire National des Arts et Métiers,
la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), l'assurance retraite et
la Mutualité Sociale Agricole (MSA) (Bercy Info). Au-delà de ce
socle de services garantis, les collectivités peuvent déployer
des offres de services complémentaires. De nouveaux partenariats sont
prévus par l'État pour enrichir en continu l'offre de
services.
Les guichets des espaces France Services ont pour missions (Bercy
Info) d'apporter :
- une information de premier niveau ;
- un accompagnement au numérique pour en favoriser
l'apprentissage et en développer les usages ;
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- une aide aux démarches en ligne ;
- des prestations de conseils pour la résolution des
cas complexes en s'appuyant sur un correspondant au sein des réseaux
partenaires.
« Chaque France Services devra disposer de deux personnes
formées à l'accueil du public et capables d'apporter une
réponse pour les démarches du quotidien. » (Gouvernement,
2019). Ces dispositifs créer des emplois
d'agent-médiateur. Entre l'agent d'accueil et le
médiateur numérique, il est intéressant se demander
quelles sont les compétences attendues des professionnels
recrutés sur ces espaces : une maitrise des droits sociaux
alimentée par une formation des opérateurs partenaires, une
maitrise des technologies de l'information et de la communication mais
également un sens de l'accompagnement, de la pédagogie et de
l'adaptabilité au regard de la pluralité des publics pouvant
solliciter de l'aide ? En ce sens, ces professionnels ne seraient-ils pas un
savant mélange de médiateur numérique et de travailleur
social ?
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