Dématérialisation du service public. étude du lien entre médiation numérique et l’action sociale.par Lauriane DEBAQUE Université Toulouse Jean Jaurès - Master 1 Sciences de l'Education et de la Formation 2019 |
2.2. La dématérialisation du service public : vers une injonction au numériqueDès 2013, le Gouvernement annonce un choc de simplification des démarches administratives. Le 7 octobre 2016, le Gouvernement instaure une loi dite numérique. Un des objectifs de cette loi est d' « adopter une approche progressiste du numérique, qui s'appuie sur les individus, pour renforcer leur pouvoir d'agir et leurs droits dans le monde numérique » (Legifrance, 2016). Pour ce faire, la loi s'organise autour de trois axes : « la circulation des données et du savoir, la protection des individus dans la société du numérique et l'accès au numérique pour tous ». Nous constatons ici une volonté de l'Etat d'impliquer l'ensemble des individus à ces évolutions technologiques ainsi qu'un souhait de dynamiser le pouvoir d'agir. Un an plus tard, en octobre 2017, le Gouvernement lance le programme "Action Publique 2022" visant la transformation de l'administration publique. Ce programme a pour objectifs : « 100 % de services publics dématérialisés à horizon 2022 et améliorer la qualité des services publics en travaillant à la simplification et la numérisation des procédures administratives pour les usagers » ( Gouvernement.fr, 2018). Par « procédures administratives » nous entendons ici toutes démarches visant l'ouverture et le maintien de droits sociaux. Cette ambition se justifie, par l'idée que la dématérialisation des procédures administratives permettrait de simplifier l'accès aux informations ou aux documents administratifs en supprimant les files d'attentes des services publics. Ainsi, elle permettrait d'améliorer l'accès aux droits de certains usagers et de lutter contre le non-recours dû à la complexité actuelle des démarches. De nos jours, la déclaration d'impôts ainsi que le paiement de ces derniers s'effectuent en ligne. Concernant la Caisse Nationale d'Allocations Familiales, les demandes d'aide sociale sont dématérialisées. Les inscriptions à Pôle Emploi, les commandes de carte d'identité, les demandes de remboursement à la sécurité sociale, les demandes de logement social, etc... sont dématérialisées (Baena & Rachiq, 2018, pp. 69-70). Les guichets ferment, les accueils physiques se font sur rendez-vous et sont à demander en ligne et les demandes doivent être préremplies via des formulaires dématérialisés. Le numérique devient omniprésent et « tend à devenir une clé d'entrée pour toute vie administrative, scolaire, professionnelle voire sociale » (Meyer & Delahaye, 2017, p. 16). Les citoyens sont donc soumis à une forme d'injonction au numérique. Avec le lancement du programme Action Publique 2022, l'Etat souhaite dynamiser le pouvoir d'agir des citoyens. Néanmoins ce souhait s'avère être en contradiction avec cette injonction au numérique. 17 Comme pour l'injonction à l'autonomie instaurée par la mise en place du contrat RMI, par ce programme, l'Etat contraint les citoyens à acquérir une certaine autonomie numérique. Dans leur rapport Les bénéfices d'une meilleure autonomie numérique, Baena et Rachiq (2018, pp. 23-24) nous font part des plus-values d'une plus grande autonomie numérique pour divers domaines : - économie : les sites d'e-commerce permettent d'accéder à des prix parfois plus attractifs ; - emploi et formation : la maîtrise des outils numériques permet d'augmenter le nombre d'emplois pour lesquels une personne est qualifiée. Les sites de recherche d'emploi peuvent réduire le temps nécessaire aux démarches et donc la durée du chômage ; - inclusion sociale et bien-être : internet permet de réaliser des gains de temps importants dans de nombreux domaines. Les réseaux sociaux et les applications de messagerie peuvent réduire l'isolement ; - relation avec les services publics : de nombreuses démarches administratives peuvent être réalisées en ligne, permettant de limiter les déplacements physiques et donc gagner du temps. Nous sommes forcés de constater qu'une meilleure autonomie numérique favoriserait l'empowerment du citoyen. En effet, une meilleure employabilité, un gain de pouvoir d'achat, une participation active à son environnement... sont autant d'éléments signalants que l'autonomie numérique est vectrice d'empowerment. Cependant, nous avons vu que l'empowerment se développait théoriquement à partir de motivation à agir et de sentiment d'efficacité personnel. La contrainte faisant du numérique un passage obligé à toutes démarches pourrait quant à elle être un frein à l'empowerment. L'Etat semble reproduire le schéma mis en place avec le contrat d'insertion qui masquait une injonction à l'autonomie en cachant l'injonction au numérique par cette volonté de dynamiser l'empowerment. 18 Synthèse du chapitre 2 La révolution numérique, par le biais des nouvelles TIC, offre de nouvelles possibilités ; elle amène des changements de pratiques. Elle pousse les particuliers, les entreprises et les différentes organisations à revoir leur fonctionnement, leur organisation, leur gestion, etc... La dématérialisation, est un des grands changements apportés par cette révolution, elle touche tous les secteurs d'activité. L'Etat s'en saisit pour revoir l'organisation et l'offre du service public. C'est ainsi que, mettant en avant une volonté de simplification des démarches et de dynamisation du pouvoir d'agir, l'Etat lance un plan visant la dématérialisation totale des procédures administratives. Ce plan amène de nouveaux besoins comme l'autonomie numérique et met en exergue une nouvelle injonction : celle du numérique. En effet, les nouvelles technologies deviennent indispensables à la vie dans la société. La dématérialisation de l'ensemble des secteurs d'activité et de surcroit celle du service public fait du numérique un passage obligé pour toute inclusion au fonctionnement de la société. Cette dématérialisation peut entrainer le développement de l'empowerment comme elle peut le freiner. 19 Conclusion de la partie 1 La révolution industrielle, par ses bouleversements et l'apparition de nouveaux besoins, a incité l'action sociale de s'organiser, se structurer. La période d'après-guerre a permis à l'action sociale de se professionnaliser. Les pratiques sociales, l'assistante en particulier, ce sont vues être remises en question. L'accompagnement est devenu la nouvelle norme. La visée d'autonomie est devenue l'objectif commun qui a permis aux politiques d'insertion de se structurer et aux dispositifs d'accompagnement de se déployer. Les relations contractuelles se sont développées et l'autonomie a pris peu à peu une forme d'injonction. L'empowerment, notion plus positive apparait, et peut être défini comme un processus d'apprentissage, d'évolution permettant de gagner en autonomie, en capacité, en connaissances, en compétences, .... Et ainsi de participer à la société. En ce sens nous retenons la définition de Bacqué et Biewener (2015, p. 310) « un processus socio politique qui articule une dynamique individuelle d'estime de soi et de développement de ses compétences avec un engagement collectif et une action sociale transformative. » Depuis quelques années, nous connaissons un nouveau bouleversement : la révolution numérique. Cette dernière vient créer de nouveaux besoins, elle modifie les pratiques. L'action sociale n'est pas épargnée. L'Etat se saisit des évolutions induites par la transition numérique et met en place la dématérialisation du service public. Cette dématérialisation instaure une injonction au numérique, contraint à l'acquisition d'une autonomie numérique. L'autonomie numérique recherchée par les pouvoirs publics permettrait de favoriser l'empowerment. Cependant, le caractère injonctif de ce numérique omniprésent, le manque de consentement des usagers ne pourraient-ils pas initier un retour à une forme de dépendance ? Comme la révolution industrielle qui l'a précédée, la révolution numérique ne viendrait-elle pas créer de nouveaux besoins ? Des questions qui nous invitent à nous demander : La dématérialisation du service public inaugure-t-elle une évolution positive en faveur de l'empowerment des citoyens ou préfigure-t-elle d'un retour à une logique d'assistance ? 20 |
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