L'idée rauwlsienne de justice comme fondement d'un état démocratique.par Honoré Yannick KITSIAKUDI Université de Kinshasa, faculté de lettres - Licence 2016 |
Chapitre premier :LA CONCEPTION PRATIQUE DE LA JUSTICE POLITIQUE1.0. INTRODUCTIONIl n'est pas facile, certes, de parler de la justice dans sa dimension pratique. Tenter d'en parler évoque la question du libéralisme politique qui se veut, selon John Rawls, la recherche d'une société libre et juste. Rawls « considère que sa forme de philosophie politique possède son propre objet, la question de savoir comment une société juste et libre est possible dans les conditions de conflits doctrinaux profonds sans espoir de solution »3(*). Cette conception pratique de la justice demande que l'égalité des libertés politiques, des libertés de pensée, de conscience et d'association garantisse que l'exercice des facultés morales est libre, informé et efficace. Et il nous semble opportun de signaler que l'exercice de ces facultés morales n'est possible que dans une société considérée comme un « système équitable de coopération entre des personnes libres et égales que l'on traite comme des membres pleinement coopérants de la société pendant toute leur vie »4(*), une société bien ordonnée soutenue par un consensus par recoupement, où les valeurs et les engagements politiques des citoyens constituent leur identité morale. 1.1. LA JUSTICE COMME EQUITE1.1.1. La justicePour John Rawls, « on appelle justes ou injustes beaucoup de choses différentes : pas seulement des lois, des institutions et des systèmes sociaux, mais aussi des actions particulières les plus variées, par exemple des décisions, des jugements ou des imputations »5(*). En ce sens, la justice est comprise comme une vertu morale résidant ou reposant sur la reconnaissance et le respect des droits d'autrui. Elle est aussi un pouvoir d'agir pour que, dans une société, soient respectés les droits de chaque citoyen. 1.1.2. La justice comme première vertu de la sociétéL'objet premier de la justice, pour John Rawls, c'est la structure de base de la société. « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée (...). Si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes »6(*). Etant donné qu'on ne peut jouir d'un droit qu'en l'exerçant, se basant sur la justice, une société ne peut se dire bien organisée et stable que si elle se fonde sur les principes de la justice. Car, à en croire Habermas, « ce n'est pas par rapport au droit que nous sommes capables de distinguer entre une égalité des compétences et une égalité des situations factuelles de vie »7(*). En effet, le rôle de la justice est de faire naitre ou de fonder un Etat qui soit socialement et politiquement libre et démocratique, un Etat où les valeurs éthiques et morales des individus sont prises en compte, ces derniers étant des personnes ou des membres ayant le plein droit de formuler des revendications « fondées sur des devoirs et des obligations inclus dans leur conception du bien et la doctrine morale à laquelle ils adhèrent dans leur vie personnelle »8(*). Par ailleurs, chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui ne peut être transgressée, d'autant plus que la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention, par d'autres, d'un plus grand bien. Les sacrifices de la minorité ne peuvent donc pas être compensés par l'augmentation des avantages dont jouit la majorité. Ainsi, « dans une société juste, l'égalité des droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ; les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage politique ni aux calculs des intérêts sociaux »9(*). En outre, considérant la société comme une association de personnes qui reconnaissent dans leurs relations réciproques certaines règles de conduite comme obligatoires et agissent en conformité avec elles, la justice a pour rôle d'établir l'équilibre et de favoriser cet équilibre entre ces personnes qui partagent les mêmes idéologies et les mêmes droits. Cela en conformité avec un certain nombre de normes visant à réviser, mieux à revitaliser les valeurs morales et humaines. Car la finalité du respect de ces valeurs n'est autre que la recherche du bien des citoyens. Et ces valeurs reposent sur les principes de justice sociale qui « fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale »10(*). Car, une société est dite bien ordonnée si, d'un côté, elle favorise le bien des citoyens et de l'autre côté elle pratique la justice sur laquelle elle est fondée. Si pour Platon la justice est au centre de toute l'action de la société et vise que tous les citoyens remplissent correctement leurs devoirs, pour Rawls, elle est évidente ou nécessaire au maintien de la stabilité sociale et doit permettre ipso facto de résoudre les conflits égoïstes qui menacent la cohésion de toute la société, de toute l'humanité. Elle doit aussi permettre à l'homme de relever sa raison de vivre en limitant les inégalités et les égoïsmes, tout en tenant compte de la réciprocité. De cette manière, « si la tendance des hommes à favoriser leur intérêt personnel rend nécessaire de leur part une vigilance réciproque, leur sens public de la justice rend possible et sûre leur association »11(*). Cela fait que la conception publique de la justice établit les liens d'amitié civique entre les individus ayant des buts et des projets disparates et qu'elles constituent la charte fondamentale d'une société bien ordonnée. Aussi faudra-t-il noter que la justice s'occupe d'autres problèmes sociaux fondamentaux des citoyens tels que ceux de la coordination, de l'efficacité et de la stabilité : coordination des projets des individus, efficacité des moyens permettant d'atteindre certains buts sociaux et stabilité du système de coopération sociale12(*). Ainsi, la justice se veut un instrument adéquat dans le processus de développement et la promotion d'un Etat. Toutes ses lois et règles de dynamisation et d'établissement des modules en faveur des droits de l'homme constituent l'instrument efficace pour la coordination des affaires publiques et humanitaires en vue d'un niveau de stabilité et d'équilibre social acceptables par toute la société. En d'autres termes, l'efficacité de la justice donne à coordonner, à fonder ou à rendre possible un Etat libre, stable et équilibré. Cependant, « un ordre social contraignant a beau garantir la coordination, l'efficacité, la sécurité et la stabilité d'une société en plus du bien-être collectif, il lui manque cette légitimité s'il n'assure pourtant cette garantie qu'au mépris des intérêts particuliers ou des groupes »13(*). * 3 J. RAWLS, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995, p.17. * 4Ibid., p.53. * 5 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.33. * 6 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.29. * 7 J. HABERMAS, In J. HABERMAS et J. RAWLS, Débat sur la justice politique, Paris, Cerf, 1997, p.21. * 8 J. RAWLS, Libéralisme politique, p.59. * 9 J. RAWLS, Théorie de la justice, p.30. * 10Ibid., p.30-31. * 11Ibid., p.31. * 12 Cf. J. RAWLS, Théorie de la justice, p.32. * 13 O. HÖFFE, La justice politique, Paris, PUF, 1991, p.56. |
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