UNIVERSITE PAUL VALERY, MONTPELLIER III, UFR I
Études littéraires sur
l'Erotika Biblion :
Quand l'ironie sème le doute
Mémoire de Master ; Littérature française
et comparée. Sous la direction de Mme. Maria Susana Seguin
Membres du jury : Mme. Maria Susana Seguin et Mr. Dominique
Triaire
SYLVAIN HAURE Septembre 2019
Remerciements
En premier lieu, je tiens à remercier ma directrice de
mémoire, Mme. Susana Maria Seguin pour m'avoir guidé sur des
pistes de réflexion riches et fertiles le long de ces deux
dernières années. Je dois beaucoup à son instinct de
chercheure qui m'a poussé dans les bonnes directions, me faisant gagner
du temps et de la pertinence, tout en me laissant le loisir d'explorer mes
pistes et mes perspectives. Ses contributions donnent une certaine envergure
à mon travail ; un modèle, une inspiration qui a
façonné et motivé mon enthousiasme pour la recherche
littéraire, elle a su m'épauler dans les moments difficiles, tout
en me laissant une liberté confiante et bienveillante qui contribue
grandement à mon envie d'arpenter le long parcours d'un jeune chercheur
en littérature française.
Aussi spontanément, j'adresse mes remerciements
à Mr. Dominique Triaire pour ses conceptions franches et approfondies
sur la littérature libertine ; autant d'éclaircissements qui
m'ont permis de mieux en appréhender l'idéologie et d'en saisir
la consistance. Je lui dois notamment une meilleure considération de la
teneur axiologique de mon domaine d'étude ; et plus
généralement, ses réflexions sur la littérature
m'ont amené à apprécier plus activement la place de nos
études littéraires dans ce monde en fuite vers la
déréliction numérique, perdant ce rapport personnel et
intime avec le manuscrit.
Aux conservateurs de la bibliothèque de médecine
de Montpellier qui ont contribué à étoffer les annexes de
ce mémoire. Leur gentillesse m'a permis de m'y établir pendant
plus d'un mois pour constituer mes recherches ; je leur en suis très
reconnaissant et me sentirais toujours à mon aise, assis à
côté de la fenêtre, où l'on pouvait entendre le doux
son matinal de l'orgue qui insufflait une spiritualité à ce haut
lieu de conservation ancestral.
À ma mère qui eut l'audace d'imprimer les
oeuvres de mon corpus dans le sein vigilant de l'Education Nationale ; nul
doute que le contrôle distrait des informaticiens municipaux a, pour une
fois, déterré des anomalies assez curieuses.
Sommaire
Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau..........................................................................................................................1
Au Commencement était le
Verbe..........................................................................................................................11
Ordre et unité
d'ensemble..........................................................................................................................17
Ironie
savante..........................................................................................................................33
La Métaphore
coïtale...........................................................................................................51
Inspirations et
ressources..........................................................................................................................55
Ressources
bibliques..........................................................................................................................57
Une Spiritualité
indéterminée..........................................................................................................................77
Le
Léviathan..........................................................................................................................92
La Raison du
corps..........................................................................................................................95
Une Utopie
évolutive..........................................................................................................................120
Conclusion..........................................................................................................................131
Annexes..........................................................................................................................134
Bibliographie..........................................................................................................................153
Corpus..........................................................................................................................153
Appareil
Critique..........................................................................................................................158
Table des
Matières..........................................................................................................................163
1 Le Libertin de qualité, ou Confidences
d'un prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites
par lui-même, à Stamboul [sic], Imprimerie des Odalisques,
1784.
- 1
Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau
« Osée, prends une fille de joie, et fais-lui des
fils de fille de joie. [...] Ce n'est pas tout, dit le Seigneur au
troisième chapitre : va-t'en prendre une femme qui soit non seulement
débauchée, mais adultère. Osée obéit. [...]
» Mais savez-vous ce que tout cela signifie ? - Non, lui dis-je. - Ni moi
non plus, dit le rabbin.
« Ezéchiel », Dictionnaire philosophique
portatif de Voltaire.
Essayons d'imiter l'attitude du rabbin qui regarde ces
passages bibliques sans préjugés, sans connaissances autres que
celles du texte. Cette attitude constitue la seule condition pour saisir la
consistance de l'Erotika Biblion. Considéré comme une
somme savante sur des sujets érotiques traités et
dissertés de façon à bousculer les idées communes,
l'ouvrage d'Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau [1749-1791], est
souvent perçu comme le résultat impudique d'un esprit
fiévreux. Comme il l'écrivait en détention dans les
cellules de Vincennes, on l'a imaginé brisé, souffrant et
oppressé entre quatre murs incarcérateurs étouffant sa
raison et sa flamme vitale ; on a réduit l'ouvrage à une
aberration, une distraction, un griffonnage pour s'abriter du souffle de la
mort qu'il sentait sur sa nuque. Pour justifier cette discrimination
perpétrée dans sa production littéraire, on pointait du
doigt son compagnon d'infortune : le marquis de Sade et l'hypothétique
conseil qu'il lui aurait susurré alors qu'ils partageaient le même
quotidien, le même destin, enfermés dans le donjon de Vincennes.
Rien n'est moins sûr tant ces deux hommes se détestaient, bien
qu'ils partageassent plus d'une idée.
Écrit en octobre 1780, huit mois après le roman
-pornographique Ma Conversion1 , l'Erotika Biblion
est la dernière oeuvre du comte produite dans les fers. Elle
mobilise un savoir relatif à la Bible et à ses
commentaires, aux histoires apocryphes concernant les prophètes et les
personnages mythologiques, aux anecdotes de la vie des casuistes et des
jésuites, et à la littérature antique. On y examine la
constitution des préjugés et des bienséances en ce qui
regarde la sexualité ; aussi, on y étudie les bornes dans
lesquelles certaines pratiques sexuelles doivent être
tolérées. Mirabeau est alors détenu depuis trois ans
à Vincennes, et il serait prodigieux que les citations en langues
anciennes sortent à la virgule près de sa mémoire. Il
devait certainement avoir à sa disposition des travaux pour constituer
une telle recherche ; on peut en retrouver des traces dans sa correspondance
où il sollicite quelques ouvrages. Mais il demande rarement un titre
spécifique ; il désire seulement de la littérature pour y
puiser de l'inspiration.
2 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
C'est un écrit sulfureux, inspiré par
d'étranges muses. Il fait montre d'une grande érudition, et
traite, à la manière des casuistes, des sujets bibliques les plus
scabreux ; de facto, il attire l'attention de la Congrégation
en 18041. L'intertexte fastidieux déployé
témoigne d'une lecture détournée des textes
exégétiques, d'un engouement pour les contes philosophiques, et
d'un grand intérêt pour la littérature idéologique.
Les écrits de nombreux auteurs et savants apparaissent en filigrane ; de
Buffon à Dom Augustin Calmet, en passant par l'Encyclopédie
de Diderot et d'Alembert, Le Dictionnaire portatif de Voltaire et
Le Dictionnaire historique de Pierre Bayle ; tous ont
été repris, relus et incorporés dans l'ouvrage, parfois
plagiés à la virgule près. On peut retrouver par exemple,
un passage du Candide de Voltaire qui a dû suffisamment lui
plaire pour qu'il le recompose dans un discours paraissant savant : les contes
voltairiens lui servent alors d'inspiration pour créditer ou saper les
écrits exégétiques. Rien d'étonnant, c'était
dans la tradition d'écriture, mais à ceci près que les
circonstances dans lesquelles Mirabeau écrit l'empêchent d'avoir
tous ces titres sous les yeux ; comment peut-il plagier sans avoir les sources
originales ? En lui-même, le titre de l'ouvrage questionne : Errotika
Biblion. La faute n'est pas du fait de l'éditeur : Jean Pierre
Dubost a retrouvé un manuscrit de la main de Mirabeau2 avec
le titre orthographié « Errotikos Biblion [sic] » ;
et vu les nombreuses anecdotes sur la civilisation grecque, les citations de la
Bible des Septante, les sous-titres en grec et en hébreux,
comment Mirabeau, qui ne savait apparemment pas le grec, a pu concevoir un
ouvrage de cette consistance ? De plus, l'inventaire de sa bibliothèque
vendue à sa mort en 17913 confirme l'ignorance de ces langues
: plus de 2800 ouvrages, dont près d'un tiers sont en latin et traitent
de médecine. Sa bibliothèque est impressionnante et montre un
goût certain pour les langues anciennes, mais aucun titre en grec ou en
hébreux. Quant à son instruction, son précepteur nous en
apprend la contenance en accusant son élève du vol des
traductions latines de Tibulle lors de leur parution dans La Décade
Philosophique4 ; du latin lui était donc enseigné
et il le maîtrisait parfaitement, mais toujours pas de grec, pas
d'hébreux. Au sortir de son éducation, entre ses
fréquentes détentions et ses nombreuses frasques, on ne voit ni
où, ni comment Honoré Gabriel aurait pu trouver le goût et
le temps pour l'apprentissage de ces langues. Il semble même peu probable
qu'il ait lu la plupart des auteurs savants réinjectés dans
l'Erotika Biblion avant sa détention au donjon de
1 Pour lire le rapport de la Congrégation,
voy. La Lettre clandestine, n°25, dirigée par
Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, Paris, Classiques
Garnier, 2017.
2 Cf. Erotika Biblion, édition
critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris,
Honoré Champion, 2009. L'orthographe du titre constitue un objet de
contradiction avec Guillaume Apollinaire qui n'y voit qu'une faute d'impression
persistant dans quelques exemplaires ; et lui-aussi s'appuie sur un manuscrit :
vendu à un certain M. Solar pour 150 francs, le manuscrit serait un
in-4°. Pour éclaircir l'affaire, il faudrait retrouver le manuscrit
en suivant les registres de vente ou les actes notariats et remonter la piste.
Voir L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction, essai
bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque
des curieux, 1921.
3 Catalogue des Livres de la bibliothèque
de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.
4 La Décade philosophique
littéraire et politique, par une société de
républicains, Paris, bureau de la Décade, an IV de la
République Française, page 165.
- 3
Vincennes ; il faut donc que ces ouvrages y aient
été à sa disposition pour expliquer la précision et
la profusion des citations.
Mirabeau a conçu l'Erotika Biblion comme une
série de dissertations divisées en chapitre visant à
démontrer, par des récits tantôt fictifs, tantôt
avérés, les bénéfices d'une libération
sexuelle. Il appuie son argumentation sur des références
savantes, il ponctue ses démonstrations par des allusions aux textes
d'autrui, et cite les pères de l'Église et autres
autorités spirituelles dans chacun des chapitres ; toutefois, il tronque
les citations, les déforme, et son subterfuge ne s'arrête pas
là. En certains endroits, il travestit des éléments
fictionnels pour les confondre dans l'argumentation. Ces éléments
sont difficilement repérables car implantés dans une
cohérence d'ensemble ; c'est un jeu d'auteur, où il s'agit moins
de fausser les représentations scientifiques et mythiques du lecteur que
de rechercher différentes façons d'acter ou de saper toute forme
de vérité tirée d'une interprétation
littéraire. On en serait presque à une singerie des
argumentations casuistes sans cette cohérence d'ensemble,
appréhendable par la consistance du projet anthropologique
développé dans l'ouvrage : un système politique
fondé sur une interprétation originale des Écritures.
Tantôt justifiées par la tradition rabbinique, tantôt
tirées de citations tronquées de La Bible, ses
considérations théologiques entretiennent un rapport complexe
avec la fiction qui dépasse la singerie comique. Car en d'autres
endroits, Mirabeau revendique clairement la fiction1 comme moyen
d'instruction ; il nourrit ainsi l'ambiguïté dans ses propos
pourtant conçus pour paraître savants. Dans une certaine mesure,
ces différents rapports avec la fiction se retrouvent dans sa
correspondance. Incapable de sentir la solitude peser sur ses épaules,
il maintient l'intérêt de ses correspondants sur son sort
carcéral en développant des intrigues fictives qui auraient
retardé sa libération. Si l'on y recherche des similitudes avec
sa production littéraire, il faudrait regarder les corrélations
inventées par Mirabeau entre la consistance de ces intrigues et les
protagonistes qui créditeraient son invention. La règle, la seule
contrainte de ce jeu d'auteur est la cohérence. C'est pourquoi le soin
de prendre en compte le contexte dans lequel Mirabeau a conçu l'ouvrage
doit être automatique ; à l'article de la mort, il avait
certainement dans l'idée que cette production serait la dernière,
non pas comme une énième énigme à laisser
derrière lui2, mais plutôt comme un dernier soubresaut
idéologique vivace et plein de ferveur.
1 Telle pourrait être la fonction du premier
chapitre « Anagogie » qui se place dans la tradition des romans
philosophiques de Voltaire : les qualités des Saturniens sont si
semblables à celles décrites dans Micromégas que
cette fiction devient un topos idéologique qui bousculerait
l'anthropocentrisme de l'homme pour considérer la Création.
2 Trouver de la cohérence dans la vie de
Mirabeau est une gageure sans arrêt relevée par les historiens.
Son action politique par exemple, est jalonnée de comportements
contradictoires. Élu à l'Assemblée du Tiers-Etats en 1789,
il en défendait naturellement les causes, tout en devenant
secrètement le serviteur du Roi. L'armoire de fer et la brigade qu'il
envoie en province pour discréditer l'Assemblée à la suite
du décret obligeant les ecclésiastiques à prêter
serment, sont des symptômes de l'ambigüité de ses positions
politiques. Pour un aperçu romancé de sa vocation politique, voir
Les Grandes Enigmes de l'Histoire, Genève, édition
Magellan, 1998.
4 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
La récente découverte de la mise à
l'Index1 de l'ouvrage à côté des Romans et
Contes de Voltaire, et Jacques le fataliste de Diderot,
relativise son importance au sein de la littérature clandestine du
XVIIIe siècle2. Même si la critique
censoriale en pointe les erreurs théologiques, et construit sa
réponse à partir des sources détournées qu'elle a
identifiées, tout un travail génétique reste à
faire pour en dresser l'inventaire. Avant cela, l'ouvrage était
reçu comme une curiosité, tantôt blâmée,
tantôt louée3, sans qu'aucune synthèse
satisfaisante n'ait encore été écrite, tant la
disparité, la diversité et l'importance des propos sont
disparates ; à vrai dire, en proposer une synthèse - et ne
serait-ce que l'ordonner - s'approche déjà plus d'une
véritable lecture interprétative que d'un résumé
objectif.
Deux ans après sa détention et l'écriture
de l'Erotika Biblion, Mirabeau compose un sermon dans lequel est
conceptualisée La nécessité d'une autre vie et les
consolations dues à l'homme juste4. On peut
considérer que ses lectures au donjon de Vincennes lui ont
apporté matière à réflexion pour qu'il se sente
apte à disserter sur la question de l'immortalité. En un sens, ce
sermon serait une maturation de l'Erotika Biblion. Il y affirme des
réflexions théologiques dont les premières traces se
trouvent dans l'objet de notre étude : ses considérations
politiques restent inchangées, ses rapports avec les
interprétations exégétiques de même, tout comme son
appréciation de la vertu et de la morale. Mais les teintes sensualistes
présentes dans l'Erotika Biblion sont mises à mal, et
avec elles, la consistance du bonheur, de la perfectibilité et de la
justice connaît un subtil remaniement. Si l'on recherche un lien
significatif dans toute sa production5 et ce sermon, il faudrait
commencer par la religiosité ; Mirabeau n'est pas athée, et sa
foi en la révélation constitue le ciment de ses constructions
théologiques. La continuité de sa production littéraire
est curieuse, mais sans doute serait-ce une mauvaise lecture que de comprendre
l'Erotika Biblion comme la profession de foi d'un athée
amoral.
L'ouvrage a suscité l'interrogation et
l'intérêt de bon nombre de savants, il les même parfois
inspirés, bien qu'il n'ait jamais connu la
postérité6, sûrement à cause de la
censure répétée jusqu'en 1890 et à la concupiscence
de son objet. Parmi ceux-là se trouve le chevalier de Pierrugues. Les
1 Cf. « Errotika Biblion », par Amadieu
Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des
Lumières françaises au XVIIIe
siècle dans La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
éd. cit, page 19.
2 N'allons pas dire que ces oeuvres partagent la
même forme de clandestinité, l'objet de l'ouvrage de
Mirabeau est clandestin de lui-même.
3 Seule la lettre du 17 novembre 1784, dans la
Correspondance Littéraire Secrète, Paris, 1784, salue
l'intention de l'ouvrage au sujet de sa visée politique.
4 Un sermon inédit de Mirabeau sur la
nécessité de l'autre vie, tome 31, Revue des Deux mondes,
1916.
5 Nous n'inclurons dans sa création
proprement littéraire que les ouvrages dont Mirabeau en assume la
paternité dans sa correspondance ; soit, ses traductions latines, ses
traités politiques, et surtout Ma Conversion, écrit en
1780, et l'Erotika Biblion, écrit la même
année.
6 La collection de la Pléiade a bien
publié une anthologie en 2005 où apparaît le roman Ma
Conversion de Mirabeau ; mais rien en ce qui concerne l'Erotika
Biblion, pourtant très édité depuis sa
première parution jusqu'à nos jours. Voy. Romanciers
libertins du XVIIIe siècle, T. II, éd
établie par Patrick Wald Lasowski, Bibl. de la Pléiade, 2005.
- 5
commentaires du chevalier, publiés en 18331,
doublent le volume du texte original et manifestent apparemment le désir
d'en poursuivre l'esprit. Tout en apportant des illustrations denses et
pertinentes au propos de l'auteur, ils assombrissent toutefois l'intention
générale de l'oeuvre dans un continuum au discours
initial, comme une toile de fond savante qui s'amuse à subvertir sans
relâche les magistères religieux. L'ouvrage n'en est que plus
curieux finalement, et ces commentaires peuvent tromper l'intention de Mirabeau
; c'est pourquoi nous ne les prendrons pas en compte lors de notre travail,
pour nous contenter de l'édition princeps2. Car il y
a besoin d'éclaircir le nuage opaque autour du texte et de
l'intérêt qu'il suscite, ce dont témoigne d'ailleurs la
réception de l'oeuvre : L'Erotika Biblion apparaît dans
beaucoup de travaux universitaires. Il est souvent glissé en note de bas
de page, peu relié au propos général, lors d'une
supputation hasardeuse d'une source ayant servie à sa
conception3, et parfois il n'apparaît pas du tout pour
n'être cantonné qu'aux pages dédiées à la
bibliographie. On le retrouve aussi sur les grandes ondes, dans la bouche
pleine d'assurance d'un chroniqueur radiophonique, s'aveuglant sur le
maquillage des références de l'édition princeps
(une coutume répandue à l'époque...), pour
dévoiler les raisons obscures de sa publication par l'imprimerie du
Vatican4 . Les exemples sont nombreux et chacun avance son
commentaire par des interprétations parfois farfelues ; il est donc
grand temps de l'appréhender. Mis à part les éditions
critiques de Charles Hirsch5, de Jean-Pierre Dubost6 et
de Guillaume Apollinaire7, il n'existe aucun travail universitaire
portant sur l'ensemble de l'oeuvre. On peut trouver des
références à l'ouvrage en note de bas de page, mais comme
nous l'avons dit, elles ne questionnent que l'intention et les sources de
Mirabeau. C'est pourquoi il nous a semblé utile de dédier notre
travail à des études littéraires sur l'Erotika
Biblion.
1 Erotika Biblion de Mirabeau, nouvelle
édition revue et corrigée sur un exemplaire de l'an IX et
augmentée d'une préface et de notes pour l'intelligence du texte,
Paris, chez les frères Girodet, 1833.
2 Ouvrage de référence pour notre
travail ; les références données en corps de texte
renverront à cette édition afin d'alléger l'appareil de
note. Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome,
de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France.
3 Selon Marie Jo-Bonnet, Mirabeau aurait
inventé le terme anandryne tout droit venu du grec
?íáíäñïò (sans
époux, sans virilité), veuve, tribade ; cf.
Les Relations amoureuses entre les femmes, Marie-Jo Bonnet,
édition Odile Jacob, 1995, page 194. Elle appuie son hypothèse
sur le fait que Mirabeau est le premier à employer le terme publiquement
; mais c'est sans compter sur sa probable ignorance du grec. De plus, Jean
Dubost avance lui aussi l'ignorance du grec en commentaire du
12ème chapitre de l'Erotika Biblion, édition
critique avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost,
éd. cit, note 143, page 141.
4 Lorsqu'on surprend un chroniqueur radiophonique
expliquer la raison des publications d'écrits licencieux et
pornographiques par le Vatican « pour en maîtriser l'édition
et en assurer la distribution limitée aux confesseurs, aux enfers des
bibliothèques et aux caves du Vatican », on frôle le
paroxysme de la censure de l'Index ; écouter La Provence insolite :
Erotica [sic] Biblion du comte de Mirabeau, par Jean-Pierre
Cassely, France Bleu, le mercredi 18 novembre 2015.
5 Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard,
1984.
6 Erotika Biblion, édition critique
avec introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris,
Honoré Champion, 2009.
7 L'oeuvre du Comte de Mirabeau,
introduction, essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris,
Bibliothèque des curieux, 1921.
6 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
La plupart des biographes de Mirabeau mentionnent Dom Augustin
Calmet [1672-1757] - abbé bénédictin savant qui a
accumulé une somme considérable de connaissances en visitant les
prieurés de France - comme la principale source de l'ouvrage, mais
personne ne donne la référence ; même Apollinaire nourrit
cette piste, mais sans référer à des travaux
universitaires1, tout comme Jean-Pierre Dubost2. Cette
référence ne s'appuie pas non plus sur des documents
officiels.3 On ne peut prouver cette source d'inspiration, toutefois
on apporte des éléments clairs affiliant les écrits de
l'Abbé à l'Erotika Biblion de façon très
pertinente. Le neveu et successeur de l'abbé, Augustin Fangé, a
laissé un mémoire4, traitant de toute la production
littéraire de son oncle ; il y donne les titres de chacune des
éditions qui auraient pu se trouver en possession de Mirabeau. Parmi
toute la production du savant bénédictin, il semblerait que ce
soient les Dissertations qui peuvent servir de prolégomènes
de l'Écriture Sainte5 qui auraient pu nourrir sa
réflexion. Il existerait plusieurs intitulés de ces fameuses
dissertations. On trouve dans La Vie du très-révérend
père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, plusieurs titres
qui auraient pu l'inspirer :
- Dissertations qui peuvent servir de
prolégomènes sur l'écriture sainte, revues,
corrigées & considérablement augmentées, & mises
dans un ordre méthodique, 1720 à l'initiative d'un libraire
voyant là de quoi assurer sa fortune, mais qui ne répondent pas
aux vues de Dom Calmet sur son travail.
- Nouvelles dissertations sur plusieurs questions
importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées
dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du
nouveau testament, chez le même éditeur, 1722. Cette fois,
Dom Calmet est à l'origine de la recomposition de son travail et en
profite pour l'augmenter de plusieurs dissertations.
- Trésor d'antiquité sacrées &
profanes, tirées des commentaires du R.P Augustin Calmet sur
l'écriture sainte, par un certain Geoffroi Clairmont,
prédicateur français à Amsterdam, pour le moment sans
date.
Bien que le catalogue de la bibliothèque de Mirabeau ne
recense aucun de ces titres (on n'y trouve que le Dictionnaire historique
de Dom Calmet), il n'est pas impossible que l'ouvrage ait tout de
même été en sa possession. D'ailleurs, Augustin
Fangé en signale une première édition en 1715 par «
un libraire d'Avignon, dans l'espérance d'un gain considérable,
[qui] s'était avisé d'imprimer séparément les
dissertations de D. Calmet6 » ; l'édition,
in-8° en cinq volumes, format discret et transportable, aurait pu
se retrouver dans ses biens à Vincennes ; Avignon et le fief de Mirabeau
se
1 Idem, page 19.
2 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 9 et note 19, page 123.
3 J'ai recherché en vain aux Archives
Nationales, un document référençant les biens
détenus par Mirabeau en détention.
4 La Vie du très-révérend
père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin
Fangé, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.
5 Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 tomes, Paris,
chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.
6 La Vie du très-révérend
père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin
Fangé, éd. cit, page 341.
- 7
trouvent d'ailleurs à une centaine de kilomètres
l'un de l'autre. Ces livres sont rares car il n'en existe que deux exemplaires
à notre connaissance ; mais par chance, on peut les consulter à
la bibliothèque de médecine de Montpellier1 . Aussi,
si l'on se fie aux ventes des livres théologiques les plus populaires de
l'époque, on ne trouve pas en tête le Dictionnaire, mais
les Dissertations qui n'ont d'ailleurs connu aucune
réédition depuis 1722.
La curiosité n'est pas toujours
déterminée par une problématique ; et assurément,
l'Erotika Biblion est une curiosité. En proposer une lecture
interprétative s'avère laborieux, tant on est
éprouvé par la disparité des thèmes abordés
par Mirabeau. L'ouvrage résiste aux tentatives de catégorisation
(certains l'identifient comme un traité, d'autres un manuel ; et la
nature de la démonstration - dissertation ou commentaire - est difficile
à déterminer) : l'intention de Mirabeau n'est pas
évidente, la lecture est difficile, le texte hermétique. Aussi,
nous serions immédiatement tentés de nous tourner vers
l'idéologie de l'ouvrage : n'est-elle qu'une relecture de la Bible
ou juste une pure invention née d'une imagination
débridée ? Son auteur, est-il athée ou déiste,
voire théiste, relevant l'idée de Dieu par les thèses
sensualistes ? Plus simplement, Mirabeau croit-il dans les fondations
théologiques de son oeuvre ou s'amuse-t-il seulement à subvertir
les interprétations exégétiques ? L'ouvrage est
évidemment né d'un goût pour la provocation, mais cela ne
nous oblige en rien à le réduire à une mosaïque de
récits inventés, parodiés ou détournés ; et
même si c'était le cas, l'idée de sa confection est, en
elle-même, significative d'un rapport prolixe aux textes sacrés.
Heureusement, le comte laisse des indices permettant d'appréhender son
intention : notamment par son style, et par des éléments
intertextuels qui, une fois reconnus, nous invitent à suivre une piste
dégagée de ce genre de soupçons. Grâce aux
ressources que nous avons identifiées et les résultats d'un
travail d'analyse stylistique, nous pouvons considérer plus
sûrement les fondements philosophiques de l'ouvrage. On s'aperçoit
rapidement que Mirabeau profite des équivocités de certains
passages bibliques afin de proposer une interprétation très
différente de celle dispensée par les apologistes. À
partir de son rapport au sacré, il construit une pensée contenant
l'expression politique répondant à ses interprétations
théologiques. Il y aurait une sorte de triptyque composé par la
sexualité, le savoir et la politique avant l'heure2 :
l'association sacrée de la sexualité au savoir pour disputer la
justification systématique du pouvoir
1 Voici les côtes que j'ai pu consulter dont
l'annexe du mémoire a été étoffée selon leur
pertinence : Dissertation qui peuvent servir de prolégomènes
de l'Écriture Sainte [Ab 67 in-4] ; Commentaires sur l'Ancien
et le Nouveau Testament [Ab 68 in-4] ; Histoire universelle [Fb
96 in-4] ; Dictionnaire historique [Ab 5 in-fol] ;
Supplément au Dictionnaire [Ab 6 in-fol].
2 Sachant l'importance du rôle de Mirabeau
lors de la révolution de 1789, on pourrait considérer son ouvrage
comme le pressentiment de l'impact du triptyque sexualité, savoir et
politique dans les bouleversements sociaux nés d'une manifestation
libertaire ; il s'agit des thèses de Foucault. Mais nous n'avons
aucunement l'intention de prêter ce dessein à Mirabeau dans ce
travail.
8 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
en place. Mais loin de relire l'idéologie de Mirabeau
avec les thèses de Foucault1, la problématique doit se
fixer sur un point de départ : Mirabeau, à la manière d'un
théologien, intègre-t-il son système idéologique
dans les vues de Dieu ? Et comment justifie-t-il l'absolu d'une telle
volonté ? Finalement, se fait-il l'ennemi des institutions religieuses ?
Qui vise-t-il ? L'ouvrage, est-il construit comme une critique politique, donc
comme une accusation formelle d'imposture à l'encontre de
l'Église ? Ces questions sont déjà plus pertinentes, car
elles chercheraient à caractériser le texte par sa
réception par la Congrégation de l'Index ; mais en
vérité, elles reviennent à se demander si Mirabeau a
écrit pour lui-même ou pour un autre. Cette dernière
question est extrêmement féconde : Erotika Biblion,
écrire une Bible ! n'est-ce pas se prendre pour le
prophète de Dieu : Moïse ? Quel rapport entretient-il avec ses
propres écrits, avec ceux des autres ? Et de quelle façon se
sent-il inspiré ? Dès lors, ce genre de problématique
insère un degré d'ironie inhérent à l'ouvrage.
Voilà qui nous permettrait de juger plus objectivement et plus
sûrement de son intention. Nous avons dit que Mirabeau écrit dans
la perspective d'élaborer et de justifier intellectuellement une
idée de Dieu pour procurer toute la cohérence nécessaire
à son projet anthropologique.
Il s'agirait plutôt d'interroger son rapport au divin
dans le sein de l'idéologie de l'époque, celle des
Lumières, faite d'un profond rejet des systèmes
métaphysiques et d'une volonté de gratifier l'homme de la juste
maîtrise de sa vie et de son destin. À ce niveau, de quelle
façon Mirabeau établit-il la nature divine de son projet
anthropologique ? Ses fins politiques sont-elles en adéquation avec
l'idéologie des Lumières ? Définirait-il le progrès
dans un rapport au sacré ? Le conçoit-il dans un
déterminisme divin ? Mirabeau a répondu à ces
dernières questions, preuve que son ouvrage procède d'une
cohérence approfondie par des réflexions affinées. Aussi,
elles nous guideront lors de ce travail. En même temps que le
développement de la pensée de Mirabeau, nous prendrons le soin de
clarifier les articulations logiques nécessaires à son projet
anthropologique. Aussi, il nous a semblé pertinent d'aborder ces
questions par trois grandes parties : le Verbe, la Religiosité, et la
Politique ; autrement dit, le rapport à l'Écriture - dans son
sens large : stylistique et sacralité - aboutit à un rapport
significatif avec Dieu qui se prolonge dans l'élaboration d'un
système politique que Mirabeau conçoit comme un rapport du
législateur avec le bien commun ou souverain bien.
Le rapport à l'écriture dans un premier temps,
nous permettrait de clarifier les procédés ironiques
employés par Mirabeau afin de jauger du degré de subversion
entretenu dans sa stylistique savante. La principale difficulté
consiste, non pas à distinguer ses propres écrits des pillages
opérés chez les autres, mais à concevoir l'ouvrage comme
résultant d'une intention propre et personnelle
1 Cf. Histoire de la sexualité, Michel
Foucault, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1976 et 1984.
- 9
qui se laisserait appréhender dans la cohérence
de son ensemble. Il faut rechercher une unité de composition en
étudiant, chapitre après chapitre, les différents emplois
des pronoms personnels, rechercher les tournures de phrase qui lui sont
propres, relier les motifs, les figures, les problématiques reprises
d'un chapitre à l'autre, et définir une structure type qui
revient le plus souvent quand une démonstration est
élaborée. Comme il nous faut relever les écrits d'autrui
pour ce travail, nous en profitons pour évaluer, et si possible
authentifier, les sources et références utilisées. La
religiosité dans un deuxième temps, est l'étude du rapport
au divin permettant de justifier le projet anthropologique. Mirabeau
élabore son idée de Dieu dans un rapport à la
sexualité comme le point de départ, la preuve et le témoin
de l'existence divine. Comme la sexualité est perçue à
travers des pratiques qui ont évolué, il suffirait de
définir la jouissance comme le point central de ses conceptions
théologico-politiques s'il ne relevait pas la déviance des
désirs sexuels et leur portée funeste comme un obstacle à
l'épanouissement d'une société. Il en vient même
à élaborer l'esquisse d'une philosophie où la femme est
à la fois réceptrice et émettrice de sensation sexuelle ;
il caractérise enfin le sexe féminin et ses attraits sur l'autre
sexe comme la manifestation d'une volonté divine, preuve de son
existence et de sa toute-puissance. Notre problématique interroge la
portée d'une telle puissance divine, et avec elle, la notion du
progrès et de la perfection que nous confrontons avec la lecture que
Jean-Pierre Dubost propose dans son introduction à
l'ouvrage1. Nous en profitons pour augmenter l'étude de la
charge ironique du discours. Enfin, la dernière partie est toute
politique et ambitionne de reconstruire le système anthropologique de
Mirabeau, génie politique de son temps. Disséminé dans les
chapitres, ce système retrouve toute sa cohérence une fois
reconstruit autour du rôle du législateur - position centrale dans
la réflexion politique de Mirabeau - dont l'autorité repose sur
les moeurs de son peuple, définis comme des goûts particuliers et
des désirs naturels à satisfaire. Utilitariste, Mirabeau fixerait
le bien commun et le spécifierait selon le bien naturel et le souverain
bien ; deux conceptions différentes du bien qu'il partage entre le
déterminisme naturel, la reproduction, et le déterminisme divin,
l'accomplissement propre. L'homme, croyant que son devoir envers Dieu se
situerait au-delà des choses sensibles, est capable de détourner
les desseins naturels de la reproduction ou de dédaigner l'appel de ses
pulsions ; Mirabeau a prévu une réponse adaptée à
chacune de ces contrariétés. À la fin de la partie, nous
exposons une éventuelle source, originale, qui l'aurait directement
inspiré.
1 Jean-Pierre Dubost s'acquitte de la
perfectibilité et du progressisme selon l'idéologie de Mirabeau
en ramenant le premier chapitre « Anagogie » à
l'avènement futur d'un métamorphisme
généralisé, selon le mythe diderotien. Le progrès
reviendrait à un investissement sensoriel qui évoluerait avec
l'ancienneté de l'humanité et son contrôle sur
l'environnement. Nous en dirons l'essentiel et citerons les exemples lors de
l'analyse. Voy. Erotika Biblion, édition critique par
Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.
10 - Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau
L'annexe comporte nos outils d'analyse, notamment une
retranscription des évocations et allusions
référencées dans l'ouvrage. Six pages de sa correspondance
sont annexées ; étant indispensables pour aborder certaines
hypothèses du mémoire, nous les avons recopiées pour
épargner au lecteur une recherche dans quatre volumes assez bien garnis.
Il y a aussi un extrait de la correspondance salonnière de Diderot et
quelques pages tirées du Dictionnaire et des Dissertations
de Dom Calmet.1
1 Cet ouvrage n'est consultable que dans deux lieux
de conservation seulement et n'a connu ni numérisation, ni
réédition depuis 1722.
- 11
Au Commencement était le Verbe
En supposant que Mirabeau se trouvait en possession de textes
d'autrui pour composer son ouvrage, comment pourrait-on identifier ces sources,
les propos initiaux qui lui auraient servi d'inspiration ? On les retrouverait
aisément en étudiant les visées axiologiques et les
constructions idéologiques de l'Erotika Biblion, mais il est
fort probable que l'intention initiale des sources textuelles ait
été confondue, voire détournée.
Pour éclaircir l'étendue des ressources de
Mirabeau, nous nous sommes employés, dans un premier temps, à
rechercher les ouvrages cités dans le texte afin de vérifier
l'exactitude des citations et de saisir la signification des curieux
mélanges de culture qui ponctuent le discours. Puis, en étudiant
le degré de subversion entretenu dans le style et en catégorisant
les détournements des sources textuelles, nous avons été
en mesure d'esquisser le positionnement axiologique de l'auteur
vis-à-vis de ses sources, ainsi que de définir son
éthos masqué subtilement derrière une stylistique
savante mobilisant elle-même les propos d'autrui. Que ce soit par le
degré d'altération des citations, ou par les expressions et
tournures de phrase qui semblent propres à l'auteur, la manière
de recomposer les sources servant d'inspiration est la manifestation la plus
visible d'une intention de l'écriture. Mais comme bien souvent, il est
plus facile de savoir comment un texte littéraire est construit que de
trouver les raisons de sa conception, surtout lorsque le texte présente
des curiosités idéologiques.
Puisque Mirabeau semble se dévoiler
particulièrement lorsqu'il contextualise une source ou une citation, on
pourrait penser que l'ouvrage a d'abord été conçu comme la
façon la plus originale de penser et de commenter ces sources. Et si la
raison de sa conception était réductible à la
volonté de traiter les lectures et auteurs qui ont servi de passe-temps
vertigineux au sein d'une solitude, l'Erotika Biblion ne serait-il
plus qu'un patchwork de commentaires déliés sur des textes
éclectiques ? En un sens, il est enfermé depuis deux ans, pour la
quatrième fois et de façon arbitraire par lettre de cachet
à la demande de son père. Il en ignore les raisons ; il ne cesse
de les demander aux autorités compétentes tout au long de sa
détention ; il espère pouvoir s'en dégager ; et surtout,
il souhaite défendre sa liberté. Le sentiment d'impuissance
certainement, l'amène à protester vivement contre toutes les
formes de pouvoir arbitraire et despotique1. Grâce à
l'Erotika Biblion, il aurait trouvé un sujet bien familier, la
sexualité, lui permettant d'exercer sa parole - exercice primitif du
pouvoir2 -,
1 On relève parmi sa production
littéraire à Vincennes, un traité politique significatif
et univoque d'un rapport séditieux avec le pouvoir royal ; voy. Des
Lettres de cachet et des prisons d'État : ouvrage posthume
composé en 1778, Hambourg, 1782. N.B : Il est possible que
l'ouvrage ait été imprimé de son vivant, et publié
après sa mort ; sinon « ouvrage posthume » serait en
contradiction avec la date de publication.
2 Pour Pierre Serna, exercer la parole dans une vue
contestataire du pouvoir reviendrait à une forme de requête au
12 - Au commencement était le Verbe
de répondre aux auteurs et productions
littéraires faisant autorité en la matière,
d'éclairer l'héritage historique qui expliquerait logiquement les
convenances de la sexualité - vues comme une privation de
liberté. Il pourrait accuser l'abscondité des raisons privant
l'individu de liberté en démontrant qu'elles reposent sur la
superstition, la crainte du péché, et un interdit
chimérique divin. Car, pour autant que l'on puisse prêter à
son ouvrage une intention spécifique, Mirabeau ne lui donne aucune fin
particulière lorsqu'il le présente à Sophie de Monier.
Il t'amusera [ce manuscrit] : ce sont des sujets bien
plaisants, traités avec un sérieux non moins grotesque, mais
très décent. Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la
Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la
tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses
qu'aient traité [sic] les casuistes, et rendre tout cela lisible,
même au collet le plus monté, et parsemé d'idées
assez philosophiques ?1
Les raisons de la conception de l'Erotika Biblion ne
sont pas explicitées ; et pourtant, elles ont fait office de
justification systématiquement discriminatoire pour perpétrer et
poursuivre la censure dans la production littéraire de l'auteur. Pour
l'essentiel, l'ouvrage était réduit à l'expression
obscène d'une sensualité bridée par la captivité,
ou ramené au besoin de se procurer rapidement des moyens afin de
pourvoir aux besoins matériels immédiats. Devant l'absence totale
de justification de l'oeuvre, il faudrait s'abstenir de lui prêter une
sur des critères autres que littéraires, ou tout au plus
maintenir sa pertinence hors de toute appréciation de l'état de
l'auteur, matériel et émotionnel, même s'il s'agit de
contraster cet « écart » au vu de toute sa production
littéraire2 . Notons que les sensibilités se
rencontrent lorsqu'il s'agit d'incorporer l'ouvrage dans la production
littéraire de Mirabeau ; le paradoxe, né d'une pensée
politique sérieuse côtoyant l'obscénité, divise
l'opinion qu'on se forme de lui, et plutôt que de le laisser poursuivre
sa course infernale, on souhaiterait presque le rayer d'un trait de plume ;
peut-être pour absoudre l'auteur devant le tribunal des belles lettres,
quitte à faire l'impasse sur le poids de ses écrits clandestins
dans sa pensée politique. Inutile de dire que c'est amputer
l'héritage idéologique de Mirabeau que de fermer les yeux sur
l'Erotika Biblion ; et selon des considérations plus
générales, choisir la cécité face à
l'altérité revient à se priver des perspectives
pertinentes pour formuler une problématique. Ce qui reviendrait à
ne pas pouvoir répondre aux enjeux qui regardent l'appréhension
présentée par des sujets gênants, en établissent une
juste
pouvoir en place. Dans la logique du déclassé,
l'auteur qui décrit ou conteste les rouages du pouvoir offre un
négatif de la réalité permettant de mieux la renverser ;
ses écrits apparaitraient alors comme un chantage dont l'enjeu est le
reclassement de sa propre classe écartée de ses
prérogatives et de ses richesses par la monarchie absolue
instaurée par Louis XIV. Voy. « Sade et Mirabeau devant la
Révolution française », Pierre Serna, dans Politix,
vol. 2, n°6, printemps 1989, pp. 75-79.
1 Lettre à Sophie, le 21 octobre
1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes,
pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel,
T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298.
2 Louis Barthou qualifie l'ouvrage d'inavouable
et ramène la production littéraire de Mirabeau à un
gaspillage prodigieux de son talent, ce qui n'était apparemment pas le
sentiment de leur auteur. Voy. Mirabeau, Louis Barthou, Figures du
passé, Paris, Hachette, 1913, page 69.
- 13
compréhension et en conditionnent un certain degré
de tolérance.
La somme de savoir nécessaire pour rédiger
l'Erotika Biblion s'étend jusqu'à une époque
très ancienne, Mirabeau souhaite remonter aux origines spirituelles de
la sexualité. En joignant la sexualité et la philosophie - deux
matières toujours mises de pair dans la littérature
pornographique du XVIIIe siècle -, il dévoile l'esprit
de l'ouvrage sans pour autant justifier son champ d'étude, sa
problématique et son corpus.
Ce n'est pas un ouvrage pornographique, car sa
prétention est érudite ; c'est une recherche, une
curiosité dont la fin n'est pas définie et qui articule au souci
de plaire à son lecteur, celui de l'instruire. La confection de
l'Erotika Biblion a nécessité l'étude de divers
auteurs souvent plagiés à la virgule près dans l'ouvrage.
Or, le plagiat présentait le risque d'une confusion inhérente
à la composition d'un texte assemblé à partir de sujets
initialement différents ; mais non sans cohérence, les propos
initiaux adhèrent et correspondent au sujet central du texte,
malgré la divergence des sources : de
l'Encyclopédie1 au manuel de guerre de Santa
Cruz2, la sexualité a une place prépondérante
dans l'Erotika Biblion, elle lui transmet cette cohérence qui
rend le texte si curieux. Aussi, l'intention la plus évidente de
Mirabeau est de reconstruire une spiritualité primitive faisant de la
sexualité, une injonction originelle. Échafaud idéologique
de son ouvrage, son rapport au sacré ne concerne pas seulement le
christianisme, mais aussi les mythologies antiques grecques, égyptiennes
et judaïques. Il leur suppose des traditions et des pratiques communes
à propos de la sexualité, (telles que la circoncision, le
rôle des institutions dans l'éducation sexuelle, la
féminité en tant que vecteur transcendantal et divin) pour les
établir comme des coutumes courantes et répandues dans
l'Antiquité, afin de les comparer de façon originale avec les
pratiques contemporaines ; toute loi axiologique promulguant l'abstinence ou
l'interdit sexuel serait alors une hérésie. Les civilisations
antiques servent d'éléments de comparaison avec la
contemporanéité ; aussi, l'étude de Mirabeau en serait
presque diachronique s'il n'y avait cette recherche des origines qui
apparaît comme une déduction d'envergure visant à asseoir
la sexualité comme une spiritualité originelle, la
préoccupation première, la raison d'être de
l'humanité.
Souvent décrié comme un ouvrage se contentant de
décrire la perversion des Anciens, l'Erotika Biblion contient
pourtant des démonstrations plus subtiles si l'on relie les motifs et
les problématiques repris d'un chapitre sur l'autre. Sa source de
prédilection étant la Bible, notamment les livres de
l'Ancien Testament, il ramène la sexualité à une
transcendance originale. Pour ce faire,
1 Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, 17 tomes, Paris, Chez Briasson,
David, Le Breton et Durand, 1751-1765.
2 Réflexions militaires et politiques de
Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, La
Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734.
14 - Au commencement était le Verbe
Mirabeau construit d'abord la sexualité originelle par
l'étude de différentes spiritualités pour la confirmer
dans l'Écriture. Mais la recherche de cette sexualité n'est
jamais explicite. Elle n'apparaît pas dans un absolu fracassant le rythme
du texte, elle se fait dans un rapport constant à différentes
spiritualités, contemporaines ou anciennes. Le rapport constant des
sources anciennes avec la Bible caractérise le texte par
l'objectivité, qui apparaît alors comme savant. Mirabeau
écrit dans un style savant : son écriture mobilise une
érudition éclectique dont la prétention est de traiter
objectivement son objet sans trancher ou écarter les
aspérités problématiques. La démarche se veut
scientifique : il s'agit de construire une connaissance méthodique par
la formulation d'hypothèses adoptées par des faits ou par les
textes. Mirabeau dédaigne l'exercice exégétique ; pour
lui, l'inspiration divine revient à une connaissance sans fondement
produisant une idée arbitraire des ordres divins.
Le texte serait presque limpide s'il n'était pas
ponctué d'une charge subversive et comique, inhérente à
l'usage de l'ironie. Et comme l`objet de l'ouvrage était
déjà hardi, on pourrait se demander si l'humour ne le dessert pas
plus qu'il ne lui est secourable.
Spiritualité, sexualité, et philosophie sont les
ingrédients clefs de l'Erotika Biblion, alors comment
s'organise la subversion dans la cohérence du texte ? Dans sa lettre
à Sophie, Mirabeau confesse le souci de traiter sa recherche
décemment, de façon à la rendre recevable et
compréhensible. Les soucis de cohérence, de décence, et de
pertinence impliquent une écriture proche de son sujet. Et en même
temps, le ton objectif instaure suffisamment de distance avec le sujet pour ne
pas heurter les convenances, d'où peut-être l'emploi de l'ironie.
La particularité du style de Mirabeau est de trouver une juste mesure
entre la dénonciation et l'approbation forcée de ce qu'il lit
dans la Bible. Mais l'irone est bien plus qu'un secours stylistique.
Les propos ironiques procèdent d'un double discours repérable par
le ton comique, largement inspiré de Voltaire, ou par des marques
dissonantes prenant la forme de noms célèbres, de
témoignages inventés par Mirabeau pour nourrir l'argumentation de
crédit et de véracité. L'intention de l'écriture se
complexifie. D'une part, ce double discours malmène les
préjugés et les bienséances au regard d'un progrès
spirituel, moral et artistique ; mais d'autre part, l'ironie présente le
risque de renverser l'argumentation par dissonance avec la gravité
requise selon les conventions, pour traiter des conceptions sérieuses
d'un sujet si sensible, la sexualité. D'ores et déjà, on
peut diviser les effets ironiques en deux fonctions : démontrer que
seuls les préjugés sont à l'origine d'un interdit sur la
sexualité, et procurer du crédit et de la véracité
par effet de dissonance aux sources inventées pour appuyer
l'argumentation.
Notre analyse identifie les procédés d'une
ironie « savante » par une étude stylistique abordant l'oeuvre
comme une unité, une composition originale pour en dégager une
première cohérence d'ensemble ; dans un second temps, nous
isolons quelques procédés d'ironie savante pour illustrer le
concept de dissonance et interpréter plus significativement la
charge subversive du style dans la
- 15
cohérence de l'ensemble de l'oeuvre. Nous classons
ensuite les références citées par Mirabeau selon leur
affinité religieuse pour situer plus exactement l'héritage
théologique de son interprétation des mythes.
La production littéraire de Mirabeau est riche : il
traduit les Elégies de Tibulle, des contes, écrit des
traités politiques, de médecine, des sermons religieux, un
abrégé de grammaire française, entretient des
correspondances abondantes et s'adonne même au roman-mémoire. Son
style, vif et incisif, se prête particulièrement à des
genres composés pour l'oralité (le sermon, le conte et la
poésie) ; mais son écriture n'en est pas moins
protéiforme, car à chaque genre pratiqué, son expression
s'enrichit du lexique agréé, témoin d'études
poussées sur les sujets abordés. Rappelons qu'il est avant tout
un redoutable orateur qui défend sa propre cause devant les magistrats,
lors de maints procès dirigés contre lui, qu'il a dirigé
ensuite, en quelques phrases, un acte protestataire vers un mouvement qui
s'autoproclame Assemblée Nationale1 , et que sa vocation
politique l'amène naturellement à concevoir la langue comme un
outil puissant au service d'une cause.
On pourrait considérer que la littérature lui
apparaît de même, comme un investissement volontaire
requérant de l'application et du travail, et que toute
intentionnalité d'écriture repose sur un enjeu propre, une cause,
une conception personnelle à défendre ou à reconstruire.
En conséquence, on devrait retrouver une certaine cohérence
axiologique entre l'Erotika Biblion et ses autres écrits, ou du
moins établir différentes logiques pour assimiler le projet
anthropologique de l'ouvrage avec une idéologie de la liberté et
du bonheur inhérente à sa production littéraire.
D'ailleurs, cette recherche de cohérence est formulée dès
les premières pages dans l'introduction de Jean-Pierre Dubost.
Pour expérimenter les articulations toujours nouvelles
et toujours risquée de l'éros et de la raison, Mirabeau ne
choisit pas, comme le fait Sade, de mêler intimement les ruses de la
fiction à l'érudition. Il préfère séparer
les genres, en écrivant parallèlement deux textes
complémentaires et foncièrement différents - d'un
côté un roman libertin, Ma Conversion ou Le Liberté de
qualité, et de l'autre Erotika Biblion
[...].2
Il peut être difficile de catégoriser un genre
« savant » ou « érudit » en littérature,
surtout pour comparer deux textes, l'un relevant de la fiction, et l'autre de
l'érudition ; d'autant plus que l'Erotika Biblion relève
des deux à la fois. Par les procédés d'écriture en
revanche, on pourrait établir un style articulant la fiction et
l'érudition sous couvert d'un ton général : l'ironie
savante.
1 23 juin 1789, Henri-Evrard, marquis de
Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies,
communique l'ordre royal dispersant l'Assemblée Constituante. Alors que
les députés du Tiers-Etat hésitaient sur le comportement
à adopter, seul Mirabeau se lève et prononce la locution
engageant la révolution française, que la tradition
déformera : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous
sommes ici par la volonté du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que
par la puissance des baïonnettes. »
2 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, ed. cit, page 7.
16 - Au commencement était le Verbe
Le ton savant de l'Erotika Biblion pourrait d'abord
se comprendre comme le désir d'assimiler l'objet de sa
démonstration, la sexualité, à l'objectivité.
De facto, sa première fonction est de diminuer la charge
licencieuse et déplacée d'un tel objet, et d'en constituer le
coeur d'un raisonnement recevable et digne d'être argumenté. Par
ailleurs, Mirabeau définit lui-même son style comme passable, non
pas médiocre, mais recevable et honnête ; un style adaptable selon
le ton de son objet, comme une capacité à livrer une
pensée propre, son caractère, son esprit et ses sentiments sans
choquer les conventions et la bienveillance du lecteur.
Mon style est passable, parce qu'il est à moi ; parce
que communément j'ai le ton de la chose que je dis ou que
j'écris, attendu que je ne dis et que je n'écris que ce que je
pense : c'est là, je crois, le grand secret. Suivre son caractère
propre, la tournure naturelle de son esprit et les inspirations du
sentiment.1
Il paraît étrange de considérer
l'expression de soi comme une convention stylistique recevable. D'ailleurs, on
recense dans l'Erotika Biblion2, 64 occurrences d'un pronom
personnel à la première personne renvoyant à
l'auteur-narrateur. Et malgré le titre de l'ouvrage, on constate
curieusement que le ton employé est différent de celui
adopté dans la littérature érotique de l'époque.
Pourtant, on y traite essentiellement d'érotisme (31 anecdotes
concernant la sexualité) tout en maintenant son objet à distance
par un ton savant, un style objectif et apparemment neutre. Contrairement
à ce que le titre laisserait supposer, l'ouvrage n'est en rien
pornographique. C'est même tout l'inverse ; grâce à des
renforts de raisonnement et des références savantes, le ton
s'approche plus d'un essai que du récit pornographique. Mirabeau a
pourtant déjà versé dans les textes pornographiques, et
les idées en la matière ne lui manquaient pas pour renouveler le
genre3. Rien de tel dans l'Erotika Biblion, car
l'association entre la sexualité et le savoir l'amène à
construire un discours appuyé par des éléments discursifs
plagiés sur autrui, et par conséquent cadencé par des
allusions et des citations provoquant des variations sémantiques et
stylistiques dans le texte. De facto, le discours étale une
richesse lexicale qui l'aide à être reçu comme un texte
érudit traitant de sexualité4. Ponctué par la
première
1 Lettres à Sophie, le 28
décembre 1778, dans Lettres originales, écrites du donjon de
Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P.
Manuel, T. II, éd. cit, page 445.
2 L'ouvrage de référence pour notre
travail est l'édition princeps ; Errotika Biblion,
`Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome,
de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France.
3 On lui prête bien des écrits
licencieux dans le genre pornographique, mais le seul attesté par sa
correspondance est Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un
prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites
par lui-même, éd. cit. Son originalité provient de la
nature du moteur de la narration : l'argent. Auri Sacra fames
(l'exécrable faim de l'or) constitue la qualité d'un libertin qui
ne se prête plus aux femmes par désir charnel mais par
rémunération, faisant ainsi la différence avec le libertin
de moindre qualité, mal éduqué, mal contrôlé.
Voy. « Ma conversion, ou la puissance satirique du grotesque
», Valérie Van Crugten-Andre, dans Lumen : travaux choisis de
la Société canadienne d'étude du dix-huitième
siècle, vol. 15, 1996, pages 215 à 228.
4 Par exemple, le dernier chapitre, « La
Linguanmanie », relève un nombre significatif de termes
empruntés à l'érudition hellénistique pour accuser
les déviances des pratiques et des institutions d'ordre sexuel dans
l'Antiquité. Le dispositif éditorial procède d'une ironie
savante en donnant leur définition et plus de détails en langue
originale dans les notes de bas de page.
- 17
personne en tant que témoin d'une situation initiale
dont l'étonnement justifie la dissertation, le discours opère une
distanciation caractérisant le texte par l'objectivité.
Alors pourquoi parlons-nous d'ironie savante ? Parce que la
fiction est invitée dans l'argumentation à grands renforts de
preuves factices ou par stratégie argumentative. Nous la mettons en
évidence en étudiant la dissonance et la charge
subversive du discours après avoir dégagé la
cohérence générale de l'ouvrage.
Ordre et unité d'ensemble
Plus qu'un aperçu de son contenu, il fallait une
synthèse des onze chapitres de l'Erotika Biblion pour y trouver
un lien, la cohérence poursuivie par Mirabeau afin d'ordonner et
d'unifier son oeuvre. Notre ouvrage de référence étant
l'édition princeps, le douzième chapitre « Zonah
»1 publié par Jean-Pierre Dubost est absent de notre
étude ; il n'a jamais été terminé. L'Erotika
Biblion est un ouvrage inachevé. Sa logique de composition,
l'ordonnément des chapitres peut en souffrir ; aussi, nous nous
appliquons consciencieusement à pointer les difficultés pour
établir son ordonnément. Plutôt que d'en proposer un seul,
nous en abordons plusieurs possibles. Aussi, il faut dire que l'absence du
dernier chapitre n'ampute rien à la cohérence
générale de l'oeuvre. Pris à part, un chapitre est
significatif de lui-même, et ensemble, ils concurrent à une seule
et même démonstration joignant la libération sexuelle au
bonheur, à l'accomplissement propre. Même si cette partie de notre
travail fait office d'une présentation de l'oeuvre et de son contenu,
l'objectif de notre synthèse n'est pas seulement d'être un point
de départ à une étude stylistique, elle permet aussi une
meilleure compréhension de l'ouvrage. En dégageant plusieurs
logiques de composition, nous considérons plus sûrement sa
richesse, ses équivocités, son unité stylistique et sa
charge ironique, subversive et dissonante.
Résumés des chapitres
Nous avons, autant qu'il se peut, adopté un esprit
synthétique et objectif. Certains chapitres souffrent d'un manque de
cohérence d'ensemble, et nous avons fait l'effort de la
démêler en reconstruisant la hiérarchie des
éléments significatifs en son sein. Il est vrai que cette
hiérarchisation peut être contestée, car Mirabeau n'insiste
parfois pas autant sur ceux que nous mettons en avant. De
1 Aucune correspondance au terme, sinon
æþíç (zone, ceinture) ; par
métonymie, Jean-Pierre Dubost propose ventre. Ce court chapitre
n'a qu'une poignée de pages qui traitent des plus célèbres
courtisanes grecques. Voy. Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 143, page 141.
18 - Au commencement était le Verbe
plus, il se donne rarement la peine de lier les
éléments introductifs avec les conclusions en fin de chapitre,
tant la cohérence doit lui paraître évidente. Or, le manque
d'évidence est justement le problème dont souffrent toutes les
lectures qui se sont essayées à synthétiser, voire
à résumer, l'oeuvre. Mais nous montrons de la cohérence
par notre reconstruction des chapitres. Cette hiérarchie fonctionne dans
la mesure où la disposition des éléments en fonction de
leur importance idéologique dans la démonstration, ne souffre pas
d'autocontradiction.1
« Anagogie » (1er
chapitre, 20 pages) : Du grec, ?íá (en haut) et
?ãùã? (conduite), par extension recherche du
sens mystique. Un manuscrit antique découvert à Herculanum
[contextualisation historique ; #177; 33 lignes], raconte la
révélation de Shackerley, un voyageur visitant Saturne. Le
manuscrit est daté d'un millénaire avant la venue du Christ
[contextualisation mythique ; #177; 22 lignes]. Après la description de
la planète [#177; 26 lignes], des observations astronomiques [#177; 47
lignes], et de l'anneau de Saturne [#177; 62 lignes], le discours
réfléchit le crédit des révélations
anagogiques par analogie avec les croyances aveugles en l'Apocalypse
et d'autres textes anciens, dont les traductions incertaines peuvent
nourrir des fantasmes mystiques et produire des interprétations
farfelues. La juste appréciation du texte de Shackerley est impossible
puisqu'en l'occurrence, les conséquences des effets de la pesanteur
[#177; 48 lignes] et la perfection du peuple saturnien [#177; 85 lignes] sont
incompréhensibles car ils sont hors de nos sens, hors de notre
entendement, et ne constituent pas un idéal adéquat et
désirable pour le genre humain. Le chapitre se finit sur la consistance
du bonheur absolu de l'être saturnien [#177; 45 lignes], et l'auteur
propose la traduction du manuscrit de Shackerley à l'Europe savante
[#177; 12 lignes]. Ce chapitre interroge la consistance du progrès et de
la perfectibilité pour l'humanité au regard des inventions
utopiques et incompréhensibles décrivant des êtres parfaits
et perfectionnés n'ayant aucun rapport avec l'homme.
« L'Anélytroïde »
(2nd chapitre, 12 pages) : Du grec, á
privatif, ç euphonique,
?ë?ôñïí (étui, fourreau),
åéäïò (forme ou idée), la
femme sans vulve. Les métaphores bibliques souffrent d'un manque de
cohérence relatif aux connaissances limitées des peuples de
l'Antiquité, à l'état de leur représentation
scientifique du monde [#177; 54 lignes]. Vu la physique surannée des
Écritures, on peut supposer que Dieu a suppléé ce
défaut en dotant l'homme de la science pour qu'il saisisse davantage
l'essence divine du monde [#177; 44 lignes]. Ceux qui repoussent les
connaissances produites par la
1 Pour bien montrer nos coupures du texte, nous
avons indiqué le nombre de ligne [entre crochet] que nous
synthétisons en quelques phrases. Le sigle `#177;' signifie « plus
ou moins » et concerne la partie du résumé qui le
précède. Nous avons aussi indiqué le nombre de page et les
traductions des sous-titres au début de chaque chapitre, et notre phrase
conclusive traduit l'intention générale. L'ouvrage adopté
pour l'ensemble de ce travail est l'édition princeps,
Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France. Toutes les références
aux pages données dans le corps du texte renvoient exclusivement
à cette édition. Nous avons adopté cette procédure
pour l'ensemble du mémoire afin de limiter les notes de bas de page et
d'en fluidifier la lecture.
Ordre et unité d'ensemble - 19
science sont à l'origine des problèmes
interprétatifs qui persistent sur l'Écriture [#177; 58 lignes].
Pour illustrer ces problèmes, le discours commente la Création et
démontre l'androgénie d'Adam [#177; 38 lignes]. Cette
interprétation est ensuite appuyée par des traditions
païennes et adamites, qui ont adopté cette croyance et dont les
membres se sont constitués en sectes qui ont longtemps perdurées
[#177; 50 lignes]. L'équivocité de certains passages bibliques
permet de douter de la volonté de Dieu. C'est pourquoi la condamnation
de certaines pratiques sexuelles jugées non naturelles peut être
remise en question ; à savoir la question des femmes privées de
vulve qui pourraient tout de même procréer par la parte poste
[#177; 44 lignes]. Comme la science confirme la possibilité de
procréer par ce biais, on en conclut que cette pratique sexuelle, bien
que non naturelle, rentre dans les vues de Dieu [#177; 8 lignes]. Ce chapitre
montre les problèmes de l'interprétation biblique lorsque la
lecture est bornée à des préjugés et
aveuglée par des bienséances ; il affiche une sorte de
positivisme qui insère la science dans les vues de Dieu.
« L'Ischa » (3ème
chapitre, 10 pages) : De l'hébreu, femme. L'éducation
des femmes laisse à désirer alors qu'elles équivalent les
hommes dans les domaines intellectuels. Elles souffrent d'un
préjugé constitué en un rapport de force, le droit du plus
fort, et de l'influence des systèmes politiques et des religions [#177;
39 lignes]. Pourtant les livres saints montrent la femme comme une
créature parfaite dont la beauté équivaut à un don
du ciel, un chef d'oeuvre de la Création [#177; 15 lignes]. Pour
retrouver les traces d'une égalité primitive, le discours
contextualise la Création en insistant sur les ressources
mobilisées par Dieu lors de la confection de l'homme [#177; 34 lignes].
Comme celle de la femme n'advient que lorsque l'homme a reçu son esprit,
sa condition raisonnable, la femme apparaît comme l'aboutissement des
facultés intellectuelles [#177; 35 lignes]. La femme jouit d'une place
universelle dans toutes les religions ; elle est une divinité partout
adorée, révérée et crainte [#177; 38 lignes]. Son
succès s'explique par un culte plus appréhendable que le culte
d'un Dieu supputé masculin, car la consistance de son être, de sa
nature, les façons de l'adorer et l'étendue de ses pouvoirs
souffrent d'une trop grande complexité conceptuelle [#177; 40 lignes].
Face à de telles difficultés, certaines interprétations
religieuses ont conçu la possibilité de conférer le sexe
féminin à l'Esprit Sain [#177; 25 lignes]. Pour adorer et honorer
Dieu plus facilement, il faudrait trouver le moyen de revêtir la vertu
des charmes de la beauté afin d'inciter les hommes à l'exercer
[#177; 14 lignes]. Ce chapitre tend à démontrer que le culte de
Dieu est compliqué à appréhender comparée aux
divinités féminines, tant sa nature est éloignée de
la condition humaine.
« La Tropoïde »
(4ème chapitre, 12 pages) : Du grec,
ôñüðïò (direction), d'où
genre de vie, moralité d'un peuple. Les lois de Moïse nous
permettent de comparer les moeurs des hébreux avec les nôtres,
aussi elles montrent que ce peuple est loin de l'exemplarité
enseignée par les sermonneurs [#177; 24 lignes]. Une loi est relative
aux moeurs, car elle en vise les corrections ; son but est d'instaurer
1 Lettre du 9 novembre 1780, Musée
Arbaud, fonds Mirabeau, n°72 ; cf. Erotika Biblion,
édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 43, page
126.
20 - Au commencement était le Verbe
un sentiment du devoir qui se présente comme l'opinion
assimilant l'intérêt particulier à l'intérêt
général [#177; 30 lignes]. Les moeurs sont relatives à
l'esprit national qui n'est rien d'autre que la considération de la
vertu dans la société, selon le caractère des
administrateurs [#177; 32 lignes]. Elles sont relatives à la nature du
gouvernement et à l'influence de ses lois : la république a
besoin de bonnes vertus et doit développer l'esprit
d'austérité garantissant de bonnes moeurs ; la monarchie
limitée a plus besoin de liberté que de vertu, et doit
développer l'esprit de concorde pour préserver les moeurs des
excès ; la monarchie absolue n'a besoin ni de l'un, ni de l'autre, et
doit développer l'esprit de désinvolture pour corrompre les
moeurs [#177; 25 lignes]. Le Lévitique décrit les moeurs
corrompues des Juifs en dévoilant leurs maladies
vénériennes, leurs pratiques de reproduction et la consistance de
leurs plaisirs charnels [#177; 70 lignes]. Assisté par la superstition,
ce genre de pratique perdure encore dans certaines cultures [#177; 33 lignes] ;
mais elles ne le sont plus dans celles où elles ont été
réglementées [#177; 45 lignes]. Pour conclure, il vaut mieux
réguler ces pratiques pour les résorber plutôt que de les
interdire [#177; 20 lignes]. Ce chapitre accuse les effets néfastes de
la superstition, et propose le schéma d'une théorie politique
capable de réguler les moeurs afin d'en suppléer les
défauts ; la première condition pour appliquer ce schéma
est donc de tolérer les moeurs initialement dissolues afin de les
corriger.
« Le Thalaba »
(5ème chapitre, 16 pages) : Aucune correspondance au
terme, mais une lettre de Mirabeau adressée à la Fage, mari de
Julie, et relevée par Jean-Pierre Dubost1 démêle
un peu de sens : « Y célébrez-vous les boules chinoises et
tout cet art du Thalaba dans lequel elle est si adepte ? »
L'éducation physique, par extension l'institution sportive, est
indispensable pour maintenir de bonnes moeurs car l'exercice physique
répond aux besoins du corps et de l'âme, et lisse les
aspérités entres les âges et les classes sociales [#177; 35
lignes]. La disparition de ces institutions explique l'attention grandissante
aux désirs et l'éloignement des préoccupations moralement
vertueuses ; alors l'homme, être doué d'imagination, a su
développer ses plaisirs, notamment ceux qui se servent de l'instinct de
propagation sans égard pour ses fins naturelles - la propagation -, et
ce, malgré la tradition, le culte, les lois, tous les remparts
élevés pour éviter les dérives [#177; 34 lignes].
Parmi celles-là, on peut expliquer l'onanisme par le goût de la
provocation, le cynisme qui se vêtit des moeurs naturelles dans une
société raffinée, ou par la force de la superstition
[#177; 27 lignes]. Transporté en-dehors de l'intimité conjugale,
la masturbation a des conséquences qui conduisent à la suffisance
de soi, à l'isolement, et par extension au pacifisme [#177; 41 lignes].
Dans la Bible, l'exemple d'Onan donne d'autres causes à cette
pratique : la crainte des maladies vénériennes, ou de donner la
vie à des êtres dans des circonstances malheureuses [#177; 42
lignes]. Ces derniers cas devraient rendre la morale indulgente à
« L'Akropodie »
(7ème chapitre, 15 pages) : Du grec,
á?ñïò (extrémité) et
ðïóè? (pénis),
Ordre et unité d'ensemble - 21
l'égard de la masturbation, car elle n'est pas
dangereuse tant qu'elle se borne à la crainte d'un mal plus grand.
D'ailleurs, les pratiquants en sont les seuls malheureux, et cela ne cause pas
de mal physique [#177; 34 lignes]. Mais lorsque le goût s'en mêle,
la crainte devient un besoin, puis une habitude, ou pire, une passion qui peut
dégénérer en fureur causant des ravages sur les organes et
l'imagination [#177; 35 lignes]. Cherchant à satisfaire ce besoin tout
en limitant les excès, les deux sexes se sont mutuellement aidés
en créant un art, le Thalaba, qui prévient la fureur et ses
dommages [#177; 47 lignes]. Mais cet art requiert des conditions
préalables : un certain perfectionnement propre et un tempérament
paisible [#177; 73 lignes]. On en conclue qu'une pratique sexuelle - bien que
détournée des fins de la nature - peut
dégénérer le genre humain, mais peut aussi être
utile à la morale lorsque les excès sont prévenus par un
art. Donc il n'y a pas de mal absolu ; il faut éviter les nuisances
[#177; 21 lignes]. Ce chapitre montre le rôle des arts et des
institutions lorsque les autres remparts sont méprisés par les
passions ; il questionne aussi le fondement absolu de la morale et
établit son impuissance à rendre l'homme vertueux.
« L'Anandryne »
(6ème chapitre, 18 pages) : Du grec,
?íáíäñïò (sans
époux, sans virilité), veuve, tribade. On peut
supputer l'androgynie primordiale d'Adam par l'existence antérieure
d'êtres hybrides qui, connaissant un plaisir illimité, ne se
préoccupaient que de leur jouissance ; pour éviter qu'ils
dépérissent, Dieu sépara les sexes et limita le plaisir
[#177; 42 lignes]. Cette opération divine est attestée par
Moïse, Platon, Louis Leroi, Antoinette Bourignon et surtout par l'exemple
vivant d'un moine auvergnat possédant les deux sexes [#177; 89 lignes].
Toutefois, il faut faire la distinction entre l'androgyne véritable et
l'hermaphrodite - invention grecque d'un être réunissant la
perfection des deux sexes - qui par la suite, s'est révélé
dans le tribadisme [#177; 39 lignes]. Vestige du dédoublement divin, le
tribadisme a été élevé dans les institutions de
Lycurgue afin d'enseigner l'art d'aimer aux femmes. Son but était
qu'elles en usent avec leur mari une fois mariées, et que ceux-ci
reconnaissent qu'il y a du bien à aimer [#177; 39 lignes]. La tribade
est faite pour aimer ; c'est la leçon du malheur de Sapho qui abandonna
ses conjointes qu'elle aimait pour s'épandre dans l'amour ingrat de
Phaon [#177; 27 lignes]. À Rome, le collège des Vestales
empêchait ces femmes d'aimer l'homme en échange des
prérogatives politiques ; et comme il s'agit de leur nature, elles
devaient recourir à la tribaderie pour assouvir leur raison d'être
[#177; 58 lignes]. La tribaderie peut avoir des effets curatifs ; mais aussi
négatifs, comme le montrent les tristes exemples des couvents où
les nonnes finissent par se blesser [#177; 51 lignes]. On trouve toute sorte de
sérail de tribaderie à travers le monde ; ils offrent des
spectacles charmants à la vue des hommes influents qui eux, profitent
des charmes d'un certain degré de perfection [#177; 59 lignes]. Ce
chapitre tend à démontrer que l'amour pour son prochain est au
centre de la Création, et se présente comme un primat divin
à cultiver pour se perfectionner.
« Kadhésch »
(8ème chapitre, 15 pages) : De l'hébreu,
saint. Pour que les lois soient respectées,
22 - Au commencement était le Verbe
circoncision. La nature détermine le bien par
le beau, car ses créations contiennent les agréments pour la
reproduction de l'espèce [#177; 19 lignes]. Mais ce principe est
altéré par les passions, les moeurs et le climat. Dans un climat
chaud, la passion se fait excitation, et soumet les habitants à un
désir aveugle et dévorant, tandis que les habitants des climats
froids sont plus réfléchis, et la passion sera plutôt
l'affaire de l'éducation que du cri impérieux de la Nature. Le
rapport bien et beau de la nature peut aussi être contrarié par la
main de l'homme, notamment par les conséquences de l'industrie humaine
[#177; 23 lignes]. Par exemple, les capitales, en concentrant les foyers et une
grande activité humaine au même endroit, changent les climats ;
alors, les progénitures de ses habitants sont plus nubiles qu'ailleurs.
Par conséquent, les corps des jeunes filles se développent
précocement à cause de l'exercice hâtif des facultés
intellectuelles. Ce développement soudain ne se fait pas sans
inconvénients moraux que l'on pourrait résorber par une
éducation nationale bien pensée [#177; 27 lignes]. Si l'on
éduque davantage la femme - être éminemment sensible et
perfectible -, on pourrait influencer indirectement les moeurs masculines. Il
faudrait les rendre plus belles, plus propres à épanouir le
désir plutôt que de les laisser à elles-mêmes, cibles
des inquiétudes, de la culpabilité, mères de l'accablement
stérile ; et si cette éducation atteint son but, on pourrait dire
que la volupté est le mobile de l'espèce humaine [#177; 44
lignes]. Mais pour établir cette morale appuyée sur des
fondements physiques, il faut combattre les préjugés et les lois
coercitives et despotiques qui entravent la libération sexuelle. Car
l'homme a toujours voulu tout ordonner, tout diriger en perdurant un
héritage législatif d'un autre Âge ; l'une de ses
illustrations les plus singulières est la circoncision [#177; 20
lignes]. Certains peuples ont observé, à juste titre, cette
pratique à des fins hygiéniques ; mais d'autres l'ont
établi comme un précepte divin perpétué à
travers les Âges [#177; 42 lignes]. Et ce, jusqu'à nos jours car
on continue de voir le prépuce comme l'incarnation du
péché originel ; et on se questionne sur les raisons qui en
excluent les femmes, ainsi que sur les problématiques
qu'entraînent la conversion d'un juif apostat étant
déjà circoncis par mesure hygiénique. Tous ces
questionnements ont eu leur lot de démonstrations et
d'expérimentations farfelues [#177; 113 lignes]. D'ailleurs, on observe
des spécificités particulières à cette pratique
dans chaque culture ; mais l'irritation est l'une des conséquences
observables de la circoncision. Pour s'en accommoder, les Juifs et les
Israélites ne portaient pas de culottes, mais la Bible indique
qu'on les priait de s'équiper d'un chauffoir lors des
cérémonies, afin d'éviter les désagréments
esthétiques d'une quinte aigüe et impulsive [#177; 36 lignes]. Au
reste, la Bible réserve bien d'autres surprises sur
l'héritage moral d'un autre monde dont les traditions perdurent de nos
jours [#177; 33 lignes]. Ce chapitre regarde les obstacles à
l'établissement d'une morale établie sur les beautés
charnelles, et montre, qu'à cause des préjugés, on lui en
préfère une autre établie sur des traditions
obscènes.
Ordre et unité d'ensemble - 23
il leur faut être compréhensibles, transparentes
et évidentes ; car l'influence d'une loi sur le peuple dépend de
la sagesse qui l'a dictée. Plus leur influence est grande, plus elles
sont respectées, et plus le gouvernement est aimé du peuple ; il
y aurait alors moins besoin de châtiment et de menace sur le peuple qui
augmenterait leur crainte et leur défiance du gouvernement [#177; 40
lignes]. Rien ne sert d'imposer la volonté du législateur par la
force, il suffit d'accepter les hommes tels qu'ils sont pour les rendre tels
qu'ils doivent être ; car le gouvernement modèle les hommes en
leur donnant le sentiment du devoir. Il reste justement des traces des devoirs
archaïques qui ont survécu au temps et aux moeurs : notamment ceux
sur le mariage et la stérilité [#177; 29 lignes]. Les
gouvernements antiques amputaient des droits aux célibataires, car les
législateurs tels que Moïse, Platon, Lycurgue, les Egyptiens et les
Romains faisaient de la propagation de l'espèce, leur priorité.
Ils suivaient la vue de Dieu qui était, en ces temps-là, en
adéquation avec celle de la nature [#177; 59 lignes]. Malgré
leurs directives, l'amour des jeunes garçons commençait à
naître - probablement à cause de l'impuissance, une
permissivité de la nature -, et ils adaptèrent alors la loi pour
le punir d'infamie, et chassèrent les impuissants hors des
sociétés. Réduits à cette situation, les hommes
expulsés se soumirent à des mortifications pour s'assujettir
à la volonté des autres, et trouvèrent alors leur place
dans la société ; tant et si bien qu'une conséquence de
l'impuissance devint une habitude propagée par le despotisme [#177; 50
lignes]. Dans les états policés, on a perfectionné cette
pratique de façon à créer plusieurs sortes d'eunuques pour
assouvir les passions de quelques individus [#177; 48 lignes]. Comme d'autres
pratiques qualifiées de péché contre nature -
c'est-à-dire non-participatives à la propagation de
l'espèce -, elle ne se heurte pourtant pas aux vues de Dieu. La sodomie
par exemple, a été nécessaire à la lignée
génitrice de Jésus : la destruction de Sodome entraîne la
naissance incestueuse de Moab qui participera indirectement à la
naissance du Christ [#177; 41 lignes]. Aussi le goût de la
pédérastie était très répandu dans le monde,
au point que la nature créa des êtres à queue par un
prolongement du coccyx [#177; 50 lignes]. La pédérastie est
toujours bien présente, notamment à Paris, autour d'une charte
qualitative allouant une valeur échelonnée aux individus qui en
font profession [#177; 40 lignes]. Ce chapitre distingue la
pédérastie naturelle - c'est-à-dire efficiente selon
l'impuissance initiale -, d'un goût pédéraste né
d'une trop grande rigueur législative. Il montre aussi que les voies de
Dieu évoluent, alors que l'appel de la nature reste inchangé.
« Béhémah »
(9ème chapitre, 15 pages) : De l'hébreu,
bestialité. Les passions de l'amour peuvent conduire l'homme,
être infiniment sensible et perfectible, à la copulation avec la
bête ; il serait absurde de définir la nature de cette force comme
purement physique alors que l'aspect moral est si vivement engagé [#177;
26 lignes]. D'ailleurs, on ne peut pas expliquer physiquement cet attrait pour
la bête car on ignore les différences entre les sexes, et encore
moins celles entre les animaux et les hommes ; toutefois, on remarque que les
produits de l'accouplement de deux espèces présentent une
24 - Au commencement était le Verbe
physionomie hybride. On pourrait peut-être
définir la spécificité de l'humanité sur la
bête si l'on recherche dans les productions semi-humaines, les limites de
la tolérance de la nature, à savoir, le mélange monstrueux
qui garderait la capacité de se conserver et de se reproduire [#177; 36
lignes]. On sait que la différence entre l'homme et la bête tient
à l'âme, mais on ne connaît ni son emplacement, ni sa
nature. La seule chose assurée est son existence ; aussi, elle constitue
un indicateur d'altération et de dégradation pour guider
l'observation des progénitures monstrueuses [#177; 62 lignes]. Et pour
considérer l'âme de ces êtres, il ne faut pas étudier
leur faculté de penser, car la sensibilité est chose commune, et
la participation de l'âme à l'élaboration de la
pensée la rend difficilement distinguable ; il faut plutôt la
rechercher dans leur caractère, en regardant les émotions qui se
marient le mieux à leur physionomie. Car l'animal a un caractère,
et il peut être bon ou mauvais. Il est impossible de dire que les
bêtes étaient ainsi lors de la Création - car les
créations de Dieu ne peuvent être que bonnes -, tout comme il est
absurde de leur supposer un péché originel pour expliquer leur
cruauté naturelle [#177; 60 lignes]. On voit que la distinction entre
l'homme et la bête ne peut pas être réalisée
théoriquement en recherchant l'origine de l'âme, car ceux qui s'y
sont essayés souffraient de facteurs déterminant leur
pensée, comme le climat, leur constitution corporelle, leur nourriture,
etc... Il faudrait donc éduquer les progénitures monstrueuses
pour observer leur degré de raison [#177; 42 lignes]. De nombreuses
autorités témoignent de l'existence de ces progénitures,
telles que l'Écriture, la culture grecque, les apôtres, et des
voyageurs qui certifient l'existence des satyres, des centaures, des
pygmées, de certains singes humains, etc... [#177; 53 lignes] Hier
encore, on trouvait de nouveaux spécimens ; il subsisterait même
une contrée africaine où les copulations bestiales se
perpétuent, offrant là-bas le laboratoire idéal pour mener
les expériences de croisement [#177; 37 lignes]. On peut aussi se
tourner vers les Pyrénées françaises où les bergers
poursuivent ces pratiques [#177; 20 lignes]. Ce chapitre montre que la nature
ne peut pas soutenir un principe moral puisqu'elle tolère les
progénitures monstrueuses. Toutefois, les êtres hybrides se
présentent comme un moyen de perfectionner la nature de l'homme
grâce à une meilleure connaissance des spécificités
de l'âme humaine sur la bête.
« L'Anoscopie »
(10ème chapitre, 13 pages) : Du grec,
?íù (supra) et ó?ïðåù
(je contemple), la divination, la prédiction
prophétique. L'ignorance et la nature superstitieuse des hommes se
présentent comme de sûrs moyens de les tromper [#177; 21 lignes].
L'Écriture met en garde contre les devins, les charlatans, qui, en
asseyant leur pouvoir sur les esprits influents, abusent de la
crédulité superstitieuse des hommes pour se proclamer
interprètes divins [#177; 50 lignes]. Le peuple juif a eu affaire
à beaucoup de charlatans. Il pullulait parmi eux des prophètes
dont l'influence politique faisaient des envieux ; si bien que n'importe qui se
faisait prophète s'il savait faire quelques prodiges et quelques effets
sur les esprits. À leur guise, ils créaient de nouveaux dieux
pour renverser les
Ordre et unité d'ensemble - 25
anciens [#177; 31 lignes]. Si maintenant nous pouvons
éclairer la consistance de leurs faux miracles et les reproduire
grâce à la science, il ne faut pas pour autant perdre la foi, car
nous risquerions la colère de Dieu [#177; 25 lignes]. Parmi les
manoeuvres des charlatans figure l'histoire curieuse des Jésuites
envoyés en Chine : prêchant la véritable foi, ils furent
mis au défi d'invoquer la pluie par le Roi de Golconde. Sous la menace
d'une exécution prochaine, ils s'apprêtaient à partir
lorsque l'un d'entre eux prédit la pluie grâce aux
conséquences rhumatiques de sa vérole ; ils furent ainsi
sauvés et rallièrent le pouvoir royal à leur cause [#177;
166 lignes]. Cette société a d'ailleurs une longue histoire
concernant la syphilis : elle intrigue pour que le nom de son remède
soit chaste, lui consacre des messes pour la guérison, et certains
casuistes l'intègrent même dans les oeuvres divines [#177; 41
lignes]. Les Jésuites sont prêts à tout pour se faire les
serviteurs d'une mauvaise idée de Dieu ; en témoigne le
comportement lascif d'un novice qui forniquait avec un juif pour le convertir
[#177; 22 lignes]. Ce chapitre dévoile la façon dont la
superstition et l'ignorance permettent aux charlatans qui se disent
interprètes divins, d'assujettir un pouvoir politique à leur
cause. Il montre aussi que les progrès de la connaissance peuvent
distinguer les faux des vrais miracles, mais ils présentent aussi le
risque de perdre la foi en Dieu.
« La Linguanmanie »
(11ème chapitre, 19 pages) : Du latin,
lingua (langue) et du grec, ìáíßá
(fureur), rendre furieux par la langue. Le fard langagier cache
les désirs primitifs. Les subtilités du langage sont nées
d'une imagination débridée, déréglée faisant
de la femme un objet de fantasme ; elles traduisent la pudeur,
phénomène artificiel d'institution humaine fait de retenue et de
contrariété au désir naturel [#177; 51 lignes]. Pourtant,
le désir charnel est au nombre des impulsions naturelles ; en
conséquence son fonctionnement est assimilable à la faim,
à la soif, au sommeil, etc... Une privation trop longue de jouissance
dégénère en rage, et produit des excès, tels que la
nymphomanie et la mentulomanie1. Les femmes y sont plus sujettes que
les hommes car l'organisation interne masculine est plus souple et leur
évolution sociale moins exigeante [#177; 31 lignes]. La nymphomanie
n'est pas née d'une prédisposition physique ou d'une
fréquente démangeaison de la vulve. La manie réside dans
l'esprit ; elle enflamme les sens et amène l'individu à des
comportements extrêmes pour la satisfaire [#177; 33 lignes].
Différente de la recherche ordinaire du plaisir, la manie n'obéit
pas directement à l'instinct naturel ; elle est produite par
l'échauffement de l'imagination, jusqu'à en devenir insatiable.
De plus, les femmes qui en sont atteintes perdent leurs grâces naturelles
et agissent contre leur nature [#177; 34 lignes]. La manie n'est donc pas
naturelle, bien qu'elle présente des similitudes avec la
lubricité. De nature différente, la lubricité obéit
à l'instinct, tandis que la manie est une explosion résultant
d'une conduite trop réglée pour satisfaire les désirs
irrésistibles [#177; 54
1 Peut-être un terme inventé par Mirabeau
qui est le pendant masculin de la nymphomanie.
26 - Au commencement était le Verbe
lignes]. Rien de tel pour prévenir l'explosion que
l'exercice physique. À cette fin, les Anciens avaient pourvu leur
gymnastique d'exercices destinés aux deux sexes. Mais ils devinrent
très vite des compensations à la sévérité et
à l'austérité des corps politiques ; ils
évoluèrent en foyer de dégénérescence morale
[#177; 34 lignes]. Ces institutions étaient protocolaires et proposaient
toutes sortes de services étudiés selon la lascivité des
goûts et des plaisirs de chacun ; mais elles n'en demeuraient pas moins
artificielles. Des civilisations entières se sont adonnées
à ce genre d'institutions, tantôt par délire religieux,
tantôt par mesure sanitaire [#177; 77 lignes]. La notoriété
de ces pratiques faisait le caractère distinctif de tout un peuple. On
inventait des mots descriptifs pour remonter leur origine qu'on retrouve
aujourd'hui dans nos archives et dans notre langage commun [#177; 48 lignes].
Ce chapitre insiste sur la nocivité de la sévérité
des corps politiques et des effets de la civilisation sur les moeurs : la
moindre emprise despotique sur elles les détermine à
dégénérer. Que ces moeurs soient bridées ou
encouragées, elles échapperont à la juste mesure et
présentent le risque d'être échauffées
jusqu'à la manie.
Les chapitres sont structurés de la même
façon, mis à part le premier « Anagogie ». Leur
introduction évoque la construction d'un projet anthropologique dont les
lois, les institutions et la législation sont pensées pour
réguler, voire diriger les goûts et les moeurs d'un peuple. Au cas
par cas, les introductions des chapitres ne démontrent pas la même
chose : « L'Anélytroïde » est la démonstration
d'une meilleure connaissance de Dieu par le savoir, par la science, et non par
les interprétations anagogiques ; « l'Ischa » est la
démonstration de la perfection divine et effective de la femme ; «
La Tropoïde » est la démonstration d'une meilleure
évolution des moeurs lorsque le législateur a
régulé plutôt qu'interdit certaines pratiques avilissantes
; Le « Thalaba » est la démonstration d'une meilleure
régulation des moeurs par des pratiques physiques ; « L'Anandryne
» est la démonstration que l'amour est la seule volonté, et
apparaît comme l'unique commandement divin ; « L'Akropodie »
est la démonstration que le bien est déterminé
naturellement par le beau ; « Béhémah » est la
démonstration que l'amour est une force morale, et pas seulement
physique ; « L'Anoscopie » est la démonstration que les
erreurs et l'ignorance des hommes proviennent d'artifice maquillant les
motivations naturelles.
Cohérence idéologique
Visiblement, l'ouvrage ne procède d'aucun ordre
logique. Le classement des chapitres n'est pas alphabétisé ;
leurs noms en grec et en hébreux nourrissent l'hermétisme, et
leur traduction en français ne peut être que périphrastique
et équivoque. On pourrait presque avancer l'hypothèse que
l'organisation de l'ouvrage entretiendrait une tradition
ésotérique l'affiliant à la Kabbale puisque
l'argumentation ne se concentre que sur l'Ancien Testament. Comme le
premier chapitre relate une
Ordre et unité d'ensemble - 27
utopie, un idéal révélé à
la manière d'un conte, on peut considérer que les autres
chapitres se présenteraient comme des argumentations visant à
prouver que, à l'instar des Saturniens, « tous les êtres sont
entre eux dans un flux perpétuel ». D'ailleurs, Jean-Pierre Dubost
établit toute son analyse sur ce possible ordonnément ; il
postule que le premier chapitre « Anagogie » contient le principe
idéologique, la clef de la compréhension de l'oeuvre. Il soutient
donc que Mirabeau s'inspire de la formule de Buffon « tout est en flux
perpétuel », pour la tordre sérieusement en « tous les
êtres sont entre eux dans un flux perpétuel (de jouissance)
», fixée comme l'axiome d'un absolu de jouissance, primordial et
divin, soutenant un principe de volontariat vertueux qui fonderait le projet
anthropologique de Mirabeau.
[...] il faut, pour mesurer pleinement l'enjeu de la
stratégie herméneutique de Mirabeau, la replacer dans la logique
profonde de ce culte à la volonté et de l'énergie, de
cette quête à la volupté et d'intensité de vie qui
commande chez lui la passion amoureuse et le plaisir des sens
[...].1
Jean-Pierre Dubost insère la jouissance en tant
qu'articulation axiomatique et systémique, procédant d'un
déterminisme primordial sexuel, pour relever la construction
idéologique de l'ouvrage. Mais c'est à titre d'exemple
que Mirabeau illustre le flux perpétuel dans lequel baignent les
Saturniens avec les jouissances d'Alphée et d'Aréthuse [«
Anagogie » ; page 19], et non comme un principe absolu ; de plus, le
récit de Shackerley est placé sous l'égide des
Académies italiennes que l'on retrouve dans De la Charlatanerie des
savans ; par Monsieur Menken avec des remarques critiques de différents
auteurs2. Une charlatanerie, c'est-à-dire une fumisterie
; la charge ironique n'est pas si équivoque pour qu'on puisse situer les
principes idéologiques de Mirabeau dans ce premier chapitre. Nous
parlerons de l'ironie dans un prochain chapitre et nous avancerons par ailleurs
d'autres éléments qui proposeraient une lecture inverse du
chapitre « Anagogie » dans lequel, au contraire, les formes
d'inspiration exégétiques seraient rejetées justement
parce qu'elles confèrent à l`absolu un principat axiomatique et
systémique. Quoiqu'il en soit, le premier chapitre pourrait
procéder d'une articulation idéologique qui ordonnerait le reste
de l'ouvrage ; et comme il s'agit de rechercher l'ordonnément logique,
nous le laisserons de côté dans un premier temps pour rechercher
dans les autres une continuité idéologique indépendante.
Pour l'heure, disons simplement que si Mirabeau avait clairement formulé
sa thèse dès le départ, nous aurions trouvé
promptement de l'ordre à son ouvrage. Qui plus est, cette composition
n'est pas le fruit du hasard, elle relève d'une logique
précisée et élaborée par l'auteur ; en
témoigne une note de sa main en marge du titre « Ischa » dans
le
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 17.
2 De la Charlatanerie des savans ; par Monsieur
Menken avec des remarques critiques de différents auteurs, Mencke
Johann Burchard et Van Duren, Chez Jean Van Duren, 1721.
28 - Au commencement était le Verbe
manuscrit retranscrit par J.P Dubost qui stipule « Il faut
mettre l'Ischa à la suite de l'Anélytroïde
»1.
Organisation thématique
Les principaux thèmes de l'Erotika Biblion
sont l'androgynie d'Adam (trois chapitres : «
L'Anélytroïde » [II], « l'Ischa » [III] et «
L'Anandryne » [VI]), l'éducation des femmes (quatre chapitres :
« L'Ischa » [III], « Le Thalaba » [V], « L'Anandryne
» [VI] et « L'Akropodie » [VII]) et la perfectibilité
(leitmotiv de l'ouvrage, mais il est particulièrement traité dans
trois chapitres : « Anagogie » [I], « L'Anandryne » [VI] et
« Béhémah » [IX]). L'androgynie primordiale,
l'éducation des femmes et la perfectibilité se présentent
comme trois grands thèmes intimement liés ; ils
établissent un fil idéologique qui conduit à la
réflexion d'un système anthropologique censé parfaire une
société. Remarquons que Mirabeau dessine cet idéal par la
négation, car il révise les maux de l'humanité
plutôt qu'il n'établit l'axiologie absolue d'une
société parfaite. Sa réflexion n'est donc pas utopiste,
ses propos visent à corriger les vices soulevés et d'en montrer
les causes selon ses recherches dans les mythologies et cosmogonies
religieuses.
La structure type que l'on retrouve dans chaque chapitre,
introduit un système anthropologique, le justifie ensuite par une
lecture originale des textes sacrés et se conclut par réflexion
sur les maux qui découlent d'interprétations différentes
de ces mêmes textes. Mirabeau recherche une sagesse spirituelle
axée sur la sexualité et ses articulations
diégétiques dans les écritures sacrées ; puis, il
les utilise pour illustrer et justifier la section du système
anthropologique évoqué en début de chapitre. Au cas par
cas, les introductions des chapitres démontrent différentes
subdivisions du même système, corrélées dans une
relation à la sexualité :
I. « L'Anélytroïde »
affirme que la meilleure connaissance de Dieu se trouve dans le savoir, dans la
science, et non dans les interprétations anagogiques. La condamnation
des pratiques anales est née d'une erreur théologique, car la
médecine soutient la possibilité de procréer par la
parte poste [page 35].
II. « L'Ischa » soutient que la
femme est le chef d'oeuvre de la création divine. La fontaine Canathus
au Péloponnèse restituant la virginité perdue illustre la
puissance des divinités féminines capables d'outrepasser les lois
naturelles [page 45].
III. « La Tropoïde »
démontre que l'évolution des moeurs est bien meilleure lorsque le
législateur a régulé plutôt qu'interdit certaines
pratiques avilissantes. En témoignent certains passages du
Lévitique qui relatent des pratiques sexuelles pernicieuses
n'existant plus aujourd'hui [page 57].
IV. « Le Thalaba » précise
que la régulation des moeurs doit se faire par l'éducation du
corps. Le Thalaba se pratique à deux partenaires ; sensuel et
voluptueux, il satisfait les goûts sexuels sans dénaturer le corps
et l'esprit [page 77].
1 Note a de la page 41, Erotika
Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit,
page 147.
Ordre et unité d'ensemble - 29
V. « L'Anandryne »
élève l'amour à un commandement divin. Les vestales,
tribades et autres femmes ont été éduquées pour
pratiquer l'amour ; leurs accouplements sont autant de spectacles sublimes dont
la fureur est de nature divine [page 99].
VI. « L'Akropodie » atteste que le
bien est déterminé naturellement par le beau. Il n'y a donc
pas besoin d'ordonner et de diriger la vie des hommes selon des lois
archaïques comme la circoncision. L'expérience des PP. Conning et
Coutu en illustre l'absurdité [page 113].
VII. « Kadesch » indique que les
lois prédisposent au sentiment du devoir, mais elles ne dissipent
pas les goûts naturels des hommes. Par exemple, les lois
archaïques sur le mariage n'ont pu empêcher l'amour des jeunes
garçons que la nature a développé dans des êtres
à double queues [page 133].
VIII. « Béhémah »
avance que l'amour est une force morale, et pas seulement physique. Comme il
est impossible de concilier la regrettable copulation de l'homme et la
bête avec l'attrait divin de l'amour, il faut étudier les
progénitures monstrueuses pour en tirer les caractères
spécifiques de l'âme humaine [page 147].
IX. « L'Anoscopie » établit
que les fausses croyances des hommes proviennent
d'erreurs théologiques impardonnables, des interprétations
volontairement trompeuses des écritures sacrées. Les
Jésuites par exemple, ont consacré la syphilis car elle leur
permit d'échapper au bûcher alors qu'ils propageaient la foi [page
166].
X. « La Linguanmanie »
dénonce les termes trompeurs du langage qui dénaturent les
motivations de l'humanité. Plus on invente des termes pour
préciser des pratiques sexuelles précises, plus l'objectif
sacré de la reproduction est dénaturé [page 189].
La structure type et l'ordre des chapitres participent
à une cohérence générale. On peut discerner deux
groupes de chapitre dont les éléments discursifs se
répondent et se complètent, formant ainsi deux continuités
idéologiques qui se recoupent dans une conception de la sexualité
à la fois naturelle et divine :
- « L'Anélytroïde » [II], « La
Tropoïde » [IV], « Le Thalaba » [V], « L'Anoscopie
» [X] et « La Linguanmanie » [XI] : La véritable
connaissance de Dieu se trouve dans les permissivités de la nature [II]
qui contient un ensemble de lois déterminant les moeurs des hommes [IV].
On peut corriger les moeurs par l'exercice du corps à travers la
sexualité [V], et non par l'élaboration d'une morale chagrine
inventant des termes [X] pour masquer les motivations naturelles de l'homme
[XI].
- « L'Ischa » [III], « L'Anandryne »
[VI], « L'Akropodie » [VII], « Kadesch » [VIII] et «
Béhémah » [IX] :
La beauté de la femme est une consécration
divine [III] ; et puisque la Nature détermine le bien par le beau, elle
participe activement à la reproduction [VI]. La beauté inspire
l'amour, unique commandement divin [VII], qui mène à la vertu
[VIII] ; la physionomie se présente dès lors comme une force
morale [IX].
Bien sûr, pour opérer ces rassemblements, nous
avons réduit les chapitres à leur quintessence ; leurs propos ont
plus de consistance. Notons tout de même que la sexualité
apparaît comme étant à la fois un facteur de
progrès, un moyen de perfectionner l'humanité, mais aussi comme
l'injonction primordiale de Dieu. Selon ce rassemblement, les chapitres sont
entres-mêlés. Aussi, il met en évidence que
l'enchaînement des chapitres est thématique selon un type de sujet
; par exemple,
30 - Au commencement était le Verbe
« L'Akropodie » [VII] et « Kadesch »
[VIII] sur le rôle et l'administration des lois, ou bien «
L'Anoscopie » [X] et « La Linguanmanie » [XI] sur les tromperies
dont les hommes sont victimes. Ces enchaînements sont perceptibles, mais
ils ne peuvent unifier les propos de l'ouvrage. De plus, cette possible
structuration souffre d'une synthétisation trop lourde pour rendre
compte à la fois de l'unité du chapitre, mais aussi de l'oeuvre.
Car, en considérant ces sujets comme des thèmes dont le
développement structure l'ouvrage, on n'expliquerait pas
l'entremêlement voulu par Mirabeau qui place «
L'Anélytroïde » avant « L'Ischa » sinon en
considérant l'attention que Dieu porte à la femme comme un
thème alors qu'il s'agit seulement d'un élément discursif
revenant ponctuellement. Toutefois, il existerait un possible fil conducteur
qui débuterait avec le chapitre que nous n'avons pas
évoqué.
L'Articulation autour du premier chapitre, « Anagogie
»
Seul chapitre privé de la structure type, «
Anagogie » apparaît comme un chapitre important ; non seulement il
présente beaucoup de singularités sur les autres, mais surtout il
introduit l'esprit de l'ouvrage. Il décrit une société
saturnienne dont les êtres possèdent des sens inconnus à
l'espèce humaine, les rendant ainsi extraordinairement
perfectionnés. Ce chapitre introduit le thème du
perfectionnement, de sa mise en oeuvre, d`un certain idéal, de son lien
relatif avec les circonstances naturelles dans lesquelles un être vivant
évolue. En admettant que le discours porte sur le perfectionnement tout
au long de l'ouvrage, le premier chapitre est assurément celui qui
présente une société aboutie et enviable ; et cela va sans
dire que Mirabeau épargne la société saturnienne alors
qu'il stigmatise les aspérités de beaucoup de civilisation dans
les chapitres suivants. Si le perfectionnement est un fil conducteur possible,
l'ordre des chapitres peut être étudié pour tracer son
évolution. Cette lecture est proposée par Jean-Pierre Dubost qui
voit dans « Anagogie » l'annonce du développement de
l'androgynie dans les chapitres suivants ; il réduit donc la question de
la perfectibilité à l'aspiration d'un transformisme originel.
Le mythe saturnien par lequel le traité débute
[« L'Anagogie »] est celui d'un Eden érotique, et il
prélude en tant que tel au mythe antique de l'androgyne, qui est
développé dans le chapitre suivant [«
L'Anélytroïde »].1
L'androgynie primordiale, ces êtres à double
sexes qui vivaient dans les transports de la jouissance ont subi
l'opération de la séparation. Mirabeau le concevrait comme un
modèle de perfection. Il s'agirait alors de comprendre l'ouvrage comme
une tentative d'identifier les moyens favorisant l'avènement du
transformisme originel. Pour ce faire, il faudrait, comme les saturniens,
entretenir le contact permanent au plaisir afin que les sens,
démultipliés et renforcés par la Nature du fait de
cette
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.
Ordre et unité d'ensemble - 31
utilisation, permettent d'accéder à de nouvelles
jouissances. Cette lecture fait de la jouissance un facteur de
perfectionnement. Et puisque « la perfectibilité de l'homme se
mesure en toutes choses à son degré de proximité ou
d'éloignement par rapport à la Loi du plaisir »1,
le projet anthropologique se résumerait à un utilitarisme
prévenant les instincts primaires en les satisfaisant avant qu'ils
n'apparaissent ; étrange conception de la vertu.
Il est difficile de soutenir que la structure de l'oeuvre est
exclusivement pensée autour de l'androgynie adamique, car elle n'est
traitée que dans trois chapitres ; de plus, Mirabeau ne présente
l'androgynie comme modèle de perfection à aucun endroit.
Jean-Pierre Dubost établit son interprétation en observant que le
métamorphisme des saturniens dans « Anagogie » annonce
l'androgynie d'Adam reprise dans le chapitre suivant, «
L'Anélytroïde ». Nous avons déjà souligné
le problème que représente l'unification de l'oeuvre par des
thèmes spécifiques. Et si l'argument saturnien annonce
l'androgynie d'Adam, il y aurait alors un système d'annonce d'un
chapitre sur l'autre, argumentant et approfondissant les éléments
utilisés pour les mêler à d'autres, et repris
eux-mêmes ensuite dans les chapitres suivants. On aurait une sorte de
chenille argumentaire où un élément serait investi dans un
chapitre, puis repris dans un autre. Vu les résumés que l'on a
fait de chacun des chapitres, il apparaît rapidement que ce n'est pas le
cas. Et même si des éléments sont effectivement
traités en plusieurs endroits, tels que l'androgynie adamique et les
êtres au double sexe, ce n'est pas dans un enchaînement visant la
démonstration de leur perfection. D'ailleurs, le support biblique
déployé dans l'ouvrage ne concourt pas à disserter autour
de l'androgynie2, Mirabeau le présente comme vrai et
validé par des référents non cités et à
peine évoqués, puis l'approfondit dans le système
anthropologique évoqué au début de ces chapitres. À
ce sujet, son interprétation des Écritures est dans la filiation
d'une vieille tradition rabbinique, son explication des termes uir et
uira en témoigne, mais il donne une référence en
latin qu'il attribue aux Septante [« L'Ischa », page 43], et ne
l'appuie qu'avec un texte, Le Banquet, et un référent,
Moïse [« L'Anandryne », page 85]. La structure de l'Erotika
Biblion n'est pas assimilable à une démonstration en
chaîne de l'androgynie ; bien que ce thème soit majeur, il fait
néanmoins partie d'une chaîne qui disserte la question de la
perfectibilité (car nous devons dissocier la question de la
perfectibilité du métamorphisme adamique pour éviter un
raccourci qui tromperait sérieusement la philosophie de Mirabeau) et de
l'éducation de la femme. Ce sont deux éléments
quantitativement traités tout autant et qui ne sont pas
hiérarchiquement distingués au sein de l'ouvrage.
Pour compléter l'étude d'une structure à
partir du premier chapitre, voyons le mythe de
1 Idem, page 15.
2 Voy. la retranscription des évocations et
allusions des chapitres « L'Anélytroïde », « L'Ischa
» et « L'Anandryne » que nous avons indexée ; «
Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe
I.
32 - Au commencement était le Verbe
l'androgynie comme un Eden perdu, prenant « Anagogie
» comme point de départ d'une idéologie. La
Genèse est abondamment citée (11 fois), surtout au
début de l'ouvrage - « L'Anélytroïde » [II] et
« L'Ischa » [III] rassemblent 7 citations de la Genèse
-. Puis le texte évolue avec des citations du Lévitique
(19 fois) en majorité disposées au quatrième chapitre
(« La Tropoïde » [IV] en compte 14 à lui seul).
L'appareil discursif suit la structure de la Bible. Le monde saturnien
serait analogue à l'Eden perdu de la Genèse si l'on
regarde l'évolution des citations. Mais la suite de l'ouvrage ne
confirme pas la formation de cette structure ; on s'y attache effectivement
à joindre la sexualité avec un projet anthropologique, mais sans
tenir compte des propriétés saturniennes, sans regarder comme
possible l'avènement de cet Eden perdu dont on pourrait retrouver les
prémices grâce à la révélation de Shackerley
sur Saturne. D'ailleurs le titre du chapitre « Anagogie » renvoie aux
lectures des textes sacrés qui tireraient une consistance du monde de
l'invisible, souvent ramené aux délices du paradis, et que l'on
peut connaître grâce à une complète dévotion
aux dogmes et préceptes du Magistère. Mais Mirabeau
n'évoque pas la société saturnienne comme une
récompense posthume : l'intelligence du texte veut que Shackerley soit
revenu vivant de son voyage saturnien pour le décrire à ses
semblables.
On peut aussi considérer l'analogie structurelle entre
la Bible et l'Erotika Biblion à partir d'une
historicité partagée. Si l'Écriture est construite comme
une perspective chronologique de l'Histoire qui commence par la
Genèse et finit par l'Apocalypse, rien de tel dans
L'Erotika Biblion qui se présente comme une suite de
dissertations dont les liens, le fil d'Arianne, tiennent à des
éléments qui se retrouvent engrangés les uns à la
suite des autres. Si Mirabeau avait voulu donner une envergure biblique
à son ouvrage, il l'aurait doté d'une structure similaire
à son entendement de la Bible justement faite
d'historicité comme le souligne Charles Hirsch à propos de
l'interprétation du mythe adamique.
Selon Mirabeau, pour qui le texte de la Genèse
est manifestement doté d'historicité, le chapitre II [de la
Bible] n'est autre que la suite du récit
commencé au chapitre premier.1
Il ne faudrait pas forcément comprendre «
Biblion » comme l'indice du modèle sur lequel l'ouvrage a
été composé. Même si le premier chapitre montre des
particularités structurelles qui ne se trouvent pas dans le reste de
l'ouvrage, c'est un récit, un conte, la fiction y est
revendiquée2. Et c'est aussi le seul chapitre dont le titre
renvoie à un type de raisonnement religieux. Il introduit non pas un
modèle de perfectionnement à atteindre, mais plutôt une
relecture des textes sacrés, de ses procédés
1 Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard, 1984, note B, page 483.
2 On retrouve les particularités du
roman-mémoire, très répandu au XVIIIe
siècle, notamment le topos du manuscrit trouvé comme un
procédé littéraire visant à crédibiliser,
voire légitimiser le récit fictionnel à la première
personne.
Ordre et unité d'ensemble - 33
hermétiques et exégétiques et une remise
en question des dogmes religieux dont la vocation est de guider les hommes.
Comme l'intention et la problématique de l'Erotika
Biblion ne peuvent pas être dégagées à partir
de sa structure, il faut s'en tenir à l'observation que les chapitres se
répondent et peuvent être regroupés en deux parties. De
même, leur ordonnément peut être scindé en plusieurs
parties selon des thèmes spécifiques, ou par des
enchaînements argumentatifs approfondissant le système
anthropologique. La juste dimension de l'ouvrage est difficile à cerner
; aussi, nous démontrons, dans les chapitres suivants, les raisons de
notre préférence pour une relecture des textes sacrés
plutôt que le développement d'une philosophie axée sur la
jouissance.
Ironie savante
La charge ironique est stupéfiante quand on sait que
Mirabeau détourne ou tronque les citations d'autrui pour mieux
argumenter le discours de l'Erotika Biblion. Nous avons pris le soin
de distinguer les évocations des allusions contenues dans l'ouvrage, car
les références intertextuelles ne sont jamais complètement
fausses ou vraies, elles ponctuent juste le discours d'une manière
différente. Étant donné le contexte, leur signification
manoeuvre la démonstration à plusieurs niveaux de lecture.
Mirabeau les utilise pour créditer son discours et
l'obscénité de son objet d'étude est si savamment
commentée par tous les auteurs cités, qu'on en croirait presque
qu'il écrit son ouvrage dans la perspective de se moquer de toute forme
d'érudition.
Gardons à l'esprit les propos du vieux rabbin
voltairien pour nous défaire de nos préjugés1 ;
une lecture non avertie sentira bien la charge ironique - ce second discours
dénaturant le discours de savoir - mais ne distinguera pas la
philosophie qui se dessine entre les lignes. Les exemples que nous
étudions montrent la teneur ironique du discours, d'abord à
travers la dissonance - par des références
détournées pour appuyer la démonstration -, puis au niveau
de l'écriture, un style largement inspiré de Voltaire qui formule
une idée dans un contexte peu avantageux afin de la
décrédibiliser. L'enjeu stylistique revient à des
entreprises de crédibilisation et décrédibilisation qui
forment un second discours significatif participant à la structure de
l'oeuvre.
Dissonance des références
Mirabeau ponctue l'Erotika Biblion de noms
célèbres pour créditer son argumentation, comme
1 Voy. l'exergue de notre introduction «
Lumières sur l'Erotika Biblion de Mirabeau.
34 - Au commencement était le Verbe
d'ailleurs il avait pris l'habitude de le faire dans sa
correspondance pour maintenir l'intérêt de son entourage sur son
sort carcéral.
Dans son ouvrage, on relève de nombreux exemples
où l'évocation d'un texte ou d'un auteur est le point de
départ de l'argumentaire ; l'utilisation de l'intertexte fait donc
partie de la structure type. Mais que signifient ces références
dans la pensée de Mirabeau dès lors qu'elles sont
tronquées ou détournées de leur intention initiale ?
Les Epitres de St Paul par exemple, sont à ses yeux
un témoignage de la perversité des Romains et des
Corinthiens1 lui permettant de souligner la nature des désirs
sexuels dans l'Antiquité. Il les évoque moins comme une
réprobation des pratiques sexuelles que comme un réservoir
à anecdotes dont le vice, décrié et signalé par
l'apôtre, est tout simplement absent des citations rapportées.
Dès lors que Mirabeau savait que ces références et
citations étaient tronquées et déplacées de leur
contexte initial, comment comprendre son intention ? Était-ce de
privilégier une certaine philosophique, certain de sa validité et
des articulations logiques ? Et même si les propos rapportés ne
sont pas exacts, ils ne remettraient pas en cause toute sa construction ? Ou
bien, est-ce pour volontairement induire le lecteur en erreur, et pour se
moquer de tout, y compris de sa propre idéologie ? Mais cette
évaluation du sérieux de son texte dénote fortement avec
le projet anthropologique qu'il développe en parallèle de ses
traités politiques ; sa conception de l'homme est appuyée sur les
effets des lois sur les moeurs, lesquelles supportent la vertu par une morale
fondée et consolidée sur les thèses sensualistes.
L'Erotika Biblion est bien plus qu'un tableau des
aberrations humaines. Mirabeau y articule ces conceptions de la liberté
et du bonheur avec les motivations individuelles pour fonder un projet
communautaire dont l'optimisme n'est pas teinté d'ironie. Malgré
la profusion des références, on ressent son unité
philosophique, sans pour autant la saisir ; on sent bien que Mirabeau compose
son texte en surinterprétant l'intertexte afin de l'intégrer en
tant que témoignage ou garant moral d'une pratique sexuelle
libérée. La Congrégation l'accuse de calomnie, non sans
raison. Mais il est curieux qu'elle n'en relève que quelques
occurrences, comme la référence au manuel de guerre du marquis
Santa-Cruz [« Le Thalaba », page 73], et l'étude sur la
sodomie des savants jésuites Tournemine et Sanchez2 [«
L'Anélytroïde », page 34] ; d'ailleurs, elle prend soin
d'éviter le dernier compère, Cucufe, peut-être de peur
d'avouer son impuissance à identifier la personne en
question3. Néanmoins,
1 Cités quatre fois dans l'ouvrage, Les
Epitres aux Romains et Aux Corinthiens sont les deux seuls textes
du Nouveau Testament dans lequel Mirabeau a puisé des
ressources. St Paul apparaît comme son auteur biblique de
prédilection, son Sermon sur la nécessité de l'autre
vie et des consolations dues à l'homme juste est placé sous
son patronage. Voy Un sermon inédit de Mirabeau sur la
nécessité de l'autre vie, tome 31, Revue des Deux mondes,
1916.
2 Voy. La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
éd. cit, page 28 ; les propos des censeurs y sont reproduits et
traduits.
3 Nos recherches n'ont trouvé aucun
mémoire théologique, aucune histoire ecclésiastique,
où serait évoqué le nom Cucuse ; nous en donnerons une
explication possible lors de l'analyse de l'intertexte.
Ironie savante - 35
elle relève l'incohérence chronologique de la
défense de Tournemine [1661-1739] par Sanchez [1550-1610], et l'on voit
bien que le prince des casuistes était dans l'impossibilité de
défendre son confrère sur cet objet d'étude. Aussi, ce que
la Congrégation affirme est digne de foi, mais ce qu'elle omet,
volontairement ou non, n'écarte pas la possibilité que Sanchez
ait disserté sur la question de la procréation anale dans ses
travaux1.
Un Concept relevant du comique et de l'intertexte
La dissonance est un procédé
intertextuel qui s'observe dans l'appareil discursif de Mirabeau et qui
opère à trois niveaux de lecture. En premier lieu, il s'agit d'un
désaccord entre l'allusion ou l'évocation d'une
référence avec sa contextualisation, son apport dans la
démonstration, son emploi dans le cheminement logique ; ce
désaccord entraîne un décalage comique qui apparaît
souvent comme une dynamique focale inséparable des
procédés comiques attenants : burlesque, grotesque,
héroïcomique, etc... Le rire est subversif et apporte le doute sur
la véracité de l'intertexte en question. En second lieu donc, le
comique révèle une tension philosophique donnant l'impression que
Mirabeau disserte sur une problématique dont la thèse et
l'antithèse, n'étant pas formulées, sont à
déceler dans la contextualisation de la référence qui
indiquerait le positionnement argumentatif du discours. Comme la stylistique
savante entretenue par Mirabeau l'empêche de formuler clairement et
explicitement son propre positionnement, il se contente d'introduire ces
références dans le développement en laissant au comique et
à son pouvoir subversif, le rôle dissertatif qui échoie
d'ordinaire à la logique. Il ne s'agit pas d'y voir une dissertation qui
disqualifierait ou altérerait l'antithèse de façon
à répondre à une problématique puisque, en dernier
lieu, le doute sur la véracité des références
demeure et profite aux références qui suivent.
La spécificité de la dissonance comme
procédé ironique est de profiter de la crédibilité
des références attestées ou vérifiables pour les
transmettre aux références plus douteuses. C'est une entreprise
de crédibilisation/décrédibilisation dont la fonction est
d'entretenir une juste présomption sur la véracité des
références déployées, et dont la nature est
d'entretenir un désaccord avec leur pertinence dans la
démonstration. Le grotesque provoque le rire, puis un doute, une
subversion logique de l'intertexte employé initialement pour
créditer la démonstration.
Illustration du concept
Pour illustrer le concept, étudions plus en avant
l'exemple dissonant du savant Sanchez, célèbre pour avoir son
rôle dans Les Lettres provinciales de Pascal. Mirabeau fait de
lui le défenseur de la
1 Le seul ouvrage véritablement connu du
casuiste traite du mariage ; voy. le Disputationum de sancto matrimonii
sacramento, qui uniuersam huius argumenti tractationem complectuntur, ut
quarta docebit pagina, 3 tomes, Antuerplae, apud Martinum Nutium, M.DC.VII.
36 - Au commencement était le Verbe
thèse de l'anélytroïde qui voudrait qu'une
femme imperforée puisse procréer, malgré l'absence de
vulve, par la parte poste. Lui donnant raison en fin de chapitre, il
se moque néanmoins de lui pour avoir soutenu la thèse dans des
conditions grotesques.
Cucufe et Tournemine ont été attaqués,
cela devait être ; mais le savant Sanchez, Espagnol, qui a
étudié trente ans de sa vie ces questions assis sur un
siège de marbre, qui ne mangeait jamais ni poivre, ni sel, ni
vinaigre, et qui, quand il était à table pour dîner, tenait
toujours ses pieds en l'air, Sanchez a défendu ses confrères avec
une éloquence dont on ne croirait pas une pareille matière
susceptible. [« L'Anélytroïde », page 35]
À ceci, Mirabeau ajoute une note indiquant dans la
production littéraire de Sanchez, les ouvrages où l'on pourrait
apprécier la consistance de son travail : « Et si vous voulez avoir
une idée des édifiantes questions qu'a agité ce
théologien, et bien d'autres, cherchez la vingt-unième dispute de
son second livre » [Ibid, note 1]. Jean-Pierre Dubost,
après vérification1, admet la teneur scabreuse de son
travail. Si cette référence est juste, l'allusion suivante,
concernant la défense de la thèse de l'anélytroïde
par un médecin célèbre, Monsieur Louis2 ,
devant l'académie des sciences ne l'est pas. Aussi, les
références semblent se valider les unes les autres.
L'enchaînement d'une référence juste, puis
d'une fausse est une disposition que l'on retrouve dans le reste de l'ouvrage ;
la présomption sur la validité d'une référence
juste créditerait la suivante, comme on peut le constater avec
l'association des Pères Tournemine et Cucufe, dont ces derniers
sembleraient tout droit sortis de l'imagination de Mirabeau. Toutefois, les
références inventées ne sont pas complètement
imaginaires et on ne peut pas les écarter pour reconstruire l'esprit de
l'ouvrage. Par exemple, l'allusion au médecin Louis est fausse, mais
Mirabeau la contextualise de façon à lui donner de l'envergure
dans sa démonstration pour soutenir que la casuistique de Sanchez n'a
aucune autorité face à la physique. Pour lui, ce sont deux
matières qui s'affrontent pour le même rôle
théologique ; il les met en opposition comme deux recherches
différentes des causes divines. On rencontre la réfutation
franche qui parcourt le XVIIIe siècle français des
connaissances religieuses tirées des philosophies métaphysiques
au profit d'une connaissance physique, vérifiable et empirique. Ainsi,
l'ouvrage de Mirabeau se situe dans l'esprit des Lumières en opposant
l'interprétation religieuse à la physique pour
préférer aux supputations exégétiques, les
connaissances empiriques basées sur des faits observables et
réitérables. Pour lui, la casuistique est idéiste, faite
de parole et d'articulation vide de logique ; la physique est empirique, et
procède d'une observation suivie, expérimentale, qui appuie ses
thèses par des faits. Et même si Mirabeau conçoit qu'elles
peuvent
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 25, page 124.
2 Même si le discours ne l'indique pas, le
médecin Louis peut renvoyer à Antoine Louis,
célèbre pour avoir été le médecin
légiste de l'affaire Calas [1761-1765]. À la suite de l'affaire,
il publie un protocole pour manipuler les victimes d'étranglement afin
de prévenir les interprétations hâtives pouvant causer des
décisions judiciaires regrettables. Voy. Récits d'historien,
Voltaire et l'Affaire Calas. Les faits, les interprétations, les
enjeux, Benoît Garnot, Hatier, 2013, p. 71.
Le procédé de dissonance a si bien
fonctionné que l'Erotika Biblion a été introduit
à la
Ironie savante - 37
s'accorder sur une question - comme ici, sur la
procréation de l'anélytroïde -, il n'appartiendrait pas
à la casuistique d'avoir autorité face à la physique qui
aurait des preuves tangibles pour soutenir ses thèses.
Il suffit de regarder la description de Sanchez et la
profusion des détails. Mirabeau lui donne des habitudes culinaires, un
mobilier et une gestuelle grotesques. C'est à se questionner sur
l'état de santé mentale de celui qui vient prendre les conseils
d'un tel homme. Cette profusion de détails des arts de la table
glissés dans la description d'un homme de savoir, constitue une approche
familière de l'intimité du Jésuite dont l'occupation
principale consiste à brasser de l'air avec ses pieds. L'effet de
dissonance renforce le discrédit du Jésuite et ajoute du comique
à sa description - vu la nature des objets d'études de Sanchez,
celui-ci aurait très bien pu disserter sur les meilleures façons
de se tenir à table - pour créditer l'anecdote du médecin
qui paraît vraie parce qu'elle fait suite à la prodigieuse
description, précise et intime, du casuiste ; ce procédé
intertextuel implique une maîtrise, une connaissance renforcée des
références mises en oeuvre pour asseoir la
crédibilité de l'argumentation. Pour opérer le
discrédit de Sanchez, le champ lexical se concentre sur les arts
culinaires, les épices, la table, le dîner, qui ne sont nullement
appropriés aux questions théologiques. L'association des arts
culinaires avec le socle de marbre sur lequel repose Sanchez fait de
l'interprétation religieuse, une matière figée travaillant
avec des ingrédients impertinents, et le trône marbré
implique la rigidité séante du casuiste, le rendant
anatomiquement impropre à disserter sur la question de
l'anélytroïde. Et même si la thèse est valide,
l'interprétation religieuse est inefficace pour l'établir avec
suffisamment d'autorité pour que ses conclusions soient adoptées
et dogmatisées ; en témoignent les attaques subies par Cucufe et
Tournemine. En revanche, l'autorité de la médecine est efficace
pour justifier la thèse. Elle met fin aux protestations des
autorités législatives et théologiques qui y voyaient une
atteinte à la décence. La question de l'anélytroïde
est réglée dès lors que la médecine présente
des faits observables.
Il faut noter que les sources déployées par
Mirabeau appartiennent pour la plupart, à la catégorie
religieuse. Elles participent aux deux-tiers environ à l'ensemble de
l'appareil discursif ; aucune n'est inventée, et même si elles
peuvent être inexactes, tronquées ou détournées,
elles constituent le préalable au procédé de dissonance.
Elles sont présentées de telle façon qu'elles
confèrent du crédit aux références qui les suivent.
La dissonance consiste à présenter une
référence selon un contexte opérant un décalage
comique avec la nature de l'objet cité - dans notre exemple, un
érudit dont on attendrait plus de gravité que de grotesque - et
ce, afin d'adonner du crédit aux références, laïques
cette fois, qui suivent. Ce procédé ne peut pas se concevoir sans
la subversion qui se présente dans le traitement des
références.
38 - Au commencement était le Verbe
Congrégation par deux uota1 ; le
premier appréhende l'ouvrage par sa prétention savante et ne
remet pas en doute les références qui y sont contenues et
développées, le second comme le résultat d'une moquerie
sans borne dirigée à l'encontre de la théologie
chrétienne. Chacun des uota constitue une réfutation de
l'ouvrage à partir des mêmes éléments
soulevés - à savoir, l'androgynie d'Adam, les époux
successifs de Thamar, et l'amalgame des Philistins avec les Israélites
infidèles qui se seraient fait des prépuces -, mais selon une
appréhension différente du discours : le premier uotum
repose sur une argumentation d'ordre grammatical pour les réfuter,
le second est plutôt d'ordre sémantique. Toutefois, les deux
proposent de qualifier l'Erotika Biblion d'ignorant. La question de
savoir si l'ouvrage est bel et bien savant sur les matières religieuses
est vaine : Mirabeau articule la sexualité avec une injonction divine
sous couvert d'une spiritualité primordiale qu'il souhaite confirmer
dans les Écritures. Dans notre exemple, l'anélytroïde
représente l'exemple vivant de la toute-puissance de l'injonction
primordiale défiant les lois naturelles par décret divin ; celui
que tout être vivant doit être apte à procréer.
L'intertexte religieux concourt uniquement à cette démonstration
dans une perspective téléologique. Mirabeau pense que si
l'observation des lois de la nature qui montre que ces dernières peuvent
être détournées pour favoriser la procréation,
l'interprétation des Écritures qui soutient cette
hypothèse est donc valide ; c'est le principe du résultat qui
compte.
Les références aux matières religieuses
ont une part de vérité ou du moins, sont suffisamment
contextualisées pour alimenter le doute sur leur véracité,
permettant ainsi une nouvelle interprétation des textes sacrés.
Le discours n'entre pas dans une logique cherchant systématiquement
à subvertir les préceptes religieux ; il s'agit seulement des
besoins de la démonstration visant à dogmatiser l'injonction
divine sur la sexualité. À côté de l'entreprise
crédibilisation/décrédibilisation, de dissonance donc, on
relève une écriture subversive, un style semblable à celui
que l'on pourrait rencontrer sous la plume de Voltaire.
Comique subversif
La puissance stylistique de Mirabeau réside
essentiellement dans ses procédés ironiques. Capable de
juxtaposer plusieurs matrices significatives en un segment de phrase, son style
est économe, succinct et laisse au rire et à sa charge comique,
le soin de trancher la démonstration. En faisant rire son lecteur,
l'intelligence du texte le persuade de la justesse de la réflexion. Mais
le rire se fait aux dépens de qui ou de quoi ? Est-il significatif d'un
certain rapport à la religion ? Les procédés ironiques
déployés par Mirabeau s'appuient sur l'appareil discursif, comme
nous l'avons
1 Pour le fonctionnement protocolaire de la
Congrégation, voy. « Errotika Biblion », par Amadieu
Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des
Lumières françaises au XVIIIe
siècle dans La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
éd. cit, page 19.
Ironie savante - 39
vu pour la dissonance ; leur objet varie donc selon
les sources utilisées et leur pertinence dans la démonstration.
Comme les cibles du rire sont subverties, le renversement est de facto
significatif et montrerait une prise de position, un parti de
l'écriture dans la démonstration. Seulement, Mirabeau ne donne
jamais de suite significative à la subversion d'une
référence. Le rire, la charge comique lui suffit ; il n'explicite
pas les conclusions qui s'imposent et ne les réinjecte pas dans la suite
de la démonstration. Puisque cette puissance stylistique - les
procédés ironiques - ne concerne que l'appareil discursif, elle
se concentre sur les ressources sensées crédibiliser et justifier
le discours. Mirabeau ouvre des brèches et exploite leurs failles par le
comique ; puis, le ton savant succède aux procédés
comiques pour appuyer une certaine interprétation des textes
sacrés. Car, en révélant les faiblesses de
l'autorité théologique, représentée par les
personnes ou les procédés affiliés à une
autorité religieuse, la charge comique se constitue autour d'une
interprétation théologique, originale, dont les fondements sont
prétendument fidèles aux traditions rabbiniques
délaissées ou oubliées. D'ailleurs, le sous-titre de
l'édition princeps contient bien cette intention :
Abstrusum excudit, c'est-à-dire, façonné
à partir de ce qui a été dissimulé. Mais,
peut-on y voir une accusation formelle d'imposture théologique à
l'encontre de l'Église ? À aucun endroit dans l'ouvrage ne s'y
dessine un tel réquisitoire, Mirabeau se contente d'appuyer sa propre
interprétation des textes sacrés par subversion des dogmes et
préceptes chrétiens. Il est même difficile d'attribuer
formellement une confession religieuse au discours.
En majeure partie, les textes sacrés cités dans
l'ouvrage sont cantonnés à l'Ancien Testament, mais la
démonstration s'aventure à établir la
généalogie de Jésus, et investit la mythologie
païenne pour développer des liens entre les traditions religieuses.
Alors on pourrait croire que les procédés comiques
épargnent les textes sacrés pour se concentrer seulement sur les
interprétations jugées désuètes ; mais non, la
subversion des matières religieuses ne vise pas seulement les
écrits des Pères de l'Eglise et des apologètes. Et
même si le rire subvertit les interprétations théologiques,
et que le rapport implicite à la sexualité désacralise les
textes religieux, la subversion de la sacralité n'implique ni
l'athéisme - sapant de facto la justification du projet
anthropologique en détruisant la pertinence et la cohérence d'une
sexualité libérée -, ni une vision d'une sexualité
débridée, sans règle et sans limite. Le style de Mirabeau
restreint la charge comique à un rôle censé trancher la
démonstration ; et la subversion, inhérente au comique, gomme ou
relève les aspérités des problématiques ponctuant
la démonstration. À ce titre, les procédés comiques
contiennent des enjeux stylistiques inhérents à la construction
d'une pensée et peuvent concerner aussi bien les écritures
sacrées que les interprétations théologiques. Toutefois,
il peut être difficile, voire impossible, de déterminer les choix
stylistiques au regard des besoins philosophiques à un moment
précis de la démonstration car le texte est le fruit d'un
assemblage plagié sur d'autres auteurs.
40 - Au commencement était le Verbe
Pour discerner leur place dans une stratégie
argumentative, nous questionnons la charge comique contenue dans le premier
chapitre dont nous avons révélé l'enjeu dans la
construction générale de l'oeuvre ; et dans le même temps,
nous relevons et analysons des procédés intertextuels
inspirés des contes voltairiens, et qui, rapprochés des textes
initiaux, révèlent la stylistique et ses modalités
énonciatives dans lesquelles s'insère la subversion des textes
sacrés.
Subversion par la logique
Le premier chapitre « Anagogie » contiendrait
à lui seul, les clefs de compréhension de l'Erotika
Biblion. Le « flux perpétuel » dans lequel vivent les
Saturniens serait l'axiome autour duquel la structure argumentative de
l'ouvrage serait construite. Reste à savoir si Mirabeau établit
les fondements d'une société utopique selon le principe qu'il
emprunte à Buffon, ou s'il subvertit seulement les
interprétations anagogiques par lesquelles on accèderait aux
vérités transcendantales. Dans ce dernier cas, la subversion de
l'anagogie renverse la révélation de Shackerley, mais aussi la
construction du bonheur fondée sur le principe de Buffon. S'il est
effectivement ramené à une rêverie, le « flux
perpétuel », illustré sexuellement par le mythe
d'Aréthuse et d'Alphée, serait le fantasme d'une vie simple
entièrement tournée vers la jouissance hédoniste et
collective, dont l'harmonie s'explique grâce aux dispositions
sensorielles naturellement développées chez les Saturniens,
bannissant ainsi les efforts des interactions sociales. Jean-Pierre Dubost
postule que les chapitres suivants contiennent ce principe, et qu'ils
contiennent le développent des axes logiques dans une équation
régissant la jouissance, l'énergie vitale et la volonté.
Il en appelle aussi aux travaux de David G. Planck qui éclairent le
chapitre « Anagogie » par le monisme du savant jésuite
Boscovitch qui cherchait une « équation générale et
unique qui régirait la mécanique, la physique, la biologie et
même la psychologie. » 1 Mirabeau le rencontre en 1781. Seulement,
l'Erotika Biblion est publié en 1780 après trois
années de détention, et aucune publication n'indique qu'ils aient
correspondu avant la libération. Et même si c'était le cas,
il se pourrait que Mirabeau stigmatise davantage les principes de la vie
saturnienne qu'il n'en fait le modèle fondant son projet
anthropologique. Car la charge comique du premier chapitre apparaît dans
des comparaisons entre le monde saturnien et la vie terrienne que l'on pourrait
concevoir comme un rapport d'opposition, des tensions, rendant l'assimilation
du principe saturnien à l'être humain impossible, voire
utopique.
Si cet étrange tableau par lequel le texte commence
relève moins de quelque naïveté utopique que d'une
désinvolture délibérée et d'une ironie ouvertement
affichée, il trahit tout de même la pensée profonde de
Mirabeau, hanté par un empirisme radical, par un naturalisme sans
nuance, où les sens, libérés totalement des entraves de
l'équivocité, parleraient un langage absolument transparent,
où toute communication humaine aurait
1 Cf. David G. Planck, Le comte de Mirabeau et
le père Roger Boscovitch : à propos de l'« Erotika Biblion
», dans Les Mirabeau et leur temps, actes du colloque
d'Aix-en-Provence, Paris, 1968, pages 171-179 ; voy. Erotika Biblion,
édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 1, page
15.
Ironie savante - 41
lieu dans un « flux perpétuel de jouissance
».1
Jean-Pierre Dubost associe les dispositions sensorielles des
Saturniens à celles des hommes s'ils exerçaient leurs sens en vue
de les perfectionner dans un but de jouissance. Mais ce principe n'est jamais
explicité, et les comparaisons entre les Saturniens et les hommes ne
sont pas univoques.
Sans même aborder l'ironie partout présente dans
ce chapitre, on peut observer que la plupart des comparaisons entre les
Saturniens et les hommes regardent la description de l'environnement et les
considérations de la physique de Saturne comparée à la
Terre : le système solaire [page 10], les proportions
kilométriques de l'environnement des Saturniens par rapport à la
Terre [page 12], et les effets d'optiques de la courbe de l'horizon [page 13].
Le texte dit bien que l'environnement a participé au
développement sensoriel des Saturniens, mais il ne contient aucune
conclusion qui postulerait que le physique de la Terre doit être
modulé sur le modèle saturnien pour y voir des progrès
similaires chez les hommes. La comparaison entre la physique de Saturne et
celle de la Terre apparaît comme un procédé narratif qui
consiste à faciliter au lecteur la représentation saturnienne
plutôt que de le convaincre de la nécessité de
refaçonner la Terre sur ce modèle. Quant aux comparaisons
ethnographiques entre les Saturniens et les hommes, elles sont tout simplement
absentes, car Shackerley « échoua quand il voulut peindre des
êtres animés. » [« Anagogie » ; page 15]. Mais
encore, il prévoit la destruction de ce monde utopique s'il était
à la disposition de l'homme2. En l'occurrence, il est
évident que ce monde n'est ni adapté, ni compréhensible
pour l'homme et que la logique voudrait que l'être humain
s'intéresse davantage à ce qui lui est propre, au lieu de
chercher des modèles de perfection hors de sa portée, et
impossible à mettre en oeuvre. Sans même aborder les effets
ironiques, il semblerait que la logique du discours prédispose à
une stigmatisation des procédés anagogiques par l'absurde.
Subversion par le comique
Il est difficile d'écarter les conséquences
idéologiques d'une ironie ouvertement affichée. Non seulement, la
comparaison entre l'utopie saturnienne et le monde des hommes - qui pourrait
à elle seule justifier la lecture de Jean-Pierre Dubost - n'est pas
univoque, mais en plus, elle est parcourue par des procédés
comiques contextualisant le manuscrit et justifiant de son contenu,
mythologique et historique, dans une réception fictive3. Pour preuve, la
réception du manuscrit de Shackerley est
1 Ibid, page 14.
2 « Ainsi il pouvait y avoir de petits royaumes sur ce
bord intérieur et concave, que les politiques de notre globe sauraient
bien rendre un théâtre sanglant et mémorable d'innombrables
intrigues s'il était à leur disposition ». « Anagogie
», page 13, » Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican,
MDCCLXXXIII.
3 Jusqu'ici, il nous a semblé inutile de
préciser que le manuscrit de Shackerley est fictif et qu'il est
introduit par les topoï classiques du manuscrit trouvé,
alors à la mode dans les romans-mémoires du XVIIIe
siècle.
42 - Au commencement était le Verbe
mise en scène de façon à appuyer
l'incompréhension totale et générale, et qui relie, par
analogie, la révélation saturnienne et l'anagogie de St Jean. De
plus, le contraste entre le sérieux attendu d'un texte sacré et
l'absurdité de son contenu est renforcé par la mention des
Académies italiennes lancées dans la traduction du manuscrit et
qui portent des noms dont la consonance en latin rappelle l'absurdité,
l'ignorance, la médiocrité, et même la folie
[Confusi, Inabili, Instabili, Impatienti,
Indifferenti, Discordanti, etc... ; note 1, page 4]. Ces
occurrences comiques sont contenues dans le dispositif éditorial - tout
comme le titre du chapitre - qui renvoient en bloc à une subversion des
lectures anagogiques visant à leur ôter toute pertinence, toute
autorité prêtée par la sacralité d'une
révélation mystique. Particulièrement au premier chapitre,
le dispositif éditorial - le titre du chapitre et l'appareil de notes de
bas de page - est utilisé comme procédé intertextuel pour
caractériser l'artificialité d'un discours littéraire,
devenu ainsi, à l'instar du discours religieux, une pure invention qui
ne peut prétendre à aucune autorité morale, philosophique
ou intellectuelle. En l'occurrence, la contextualisation du manuscrit par les
Académies italiennes procède d'une pratique éditoriale,
l'annotation savante. La note concernant les Académies occupe deux pages
et demie [« Anagogie » ; page 4 à 6] ; et l'occupation de
toute cette place indique un désir d'exhaustivité s'apparentant
à une moquerie de l'érudition d'accumulation qui entend
substituer à la qualité d'un raisonnement, la quantité des
références érudites. Et en ce qui concerne la
contextualisation mythologique du manuscrit, le procédé ironique
relève moins du dispositif éditorial, que des modalités
énonciatives recherchant à asseoir l'autorité
sacrée de la révélation de Shackerley sur le
caractère authentique du manuscrit.
Que personne dans Herculanum n'a pu rien comprendre à
ce manuscrit, écrit bien avant la venue de J-C. comme nous n'entendons
rien à la bête de l'Apocalypse qui a 666... sur le front, ornement
qui serait bien singulier, même pour un mari français ; ce qui ne
détruit point du tout l'authenticité de notre docte manuscrit
[« Anagogie », note 2, alinéa 2, page 9].
Le court segment « ornement qui serait bien singulier,
même pour un mari français » délivre toute la
complexité du dispositif énonciatif : métaphore entre la
bête et le mari cocu, si bien qu'on ne sait plus lequel des deux devrait
avoir des cornes ; analogie, si la bête représente la fin du
monde, l'arrivée du mari annonce la fin des réjouissances ; il y
a de tous les tons : héroïcomique, on rit face au danger ;
burlesque, l'histoire biblique est ramenée à un fait quotidien ;
et grotesque, par la focalisation du discours sur une excroissance du front. Et
il ne s'agit là que d'une pluralité de sens littéraux et
grammaticaux d'une proposition incise surprise dans l'économie d'une
phrase. La ponctuation - en l'occurrence, les points de suspension et le
point-virgule - resserre la contextualisation du manuscrit autour de la matrice
ironique pour relier le plus directement possible l'incompréhension
générale et l'impossibilité d'en contester
l'authenticité par incongruence avec le sublime attendu d'une
révélation sacrée. La stratégie discursive est
limitée et contrôlée pour nourrir le caractère
fictif d'un
Ironie savante - 43
texte littéraire qui, doté de sacralité,
ne donne aucune clef de compréhension fiable, et qui entretient, par le
merveilleux, une signification insaisissable se prêtant davantage
à la confusion qu'à la clarté. Ainsi, dès le
premier chapitre, le discours opérerait une censure parmi les textes
sacrés en fonction de leur degré de clarté apparié
à l'utilisation du merveilleux pour présenter une
vérité transcendantale. La logique du discours procède
d'une caractérisation de la sacralité en fonction de
l'authenticité, ramenée à un degré
d'entendement qui représenterait la règle constituant le
corpus sur lequel s'appuie la démonstration dans la suite de l'ouvrage.
Prise dans la cohérence du chapitre seul, la stratégie
énonciative transforme le récit de Shackerley en une
absurdité consciente, mais arbitrairement adoptée par les
apologètes qui déchiffrent le texte par l'anagogie
inspirée plutôt que par leur raison. La subversion ne concerne pas
l'incompréhension générale, l'impossibilité
avérée d'en saisir les sens spirituels, mais bien
l'autorité, iniquement conférée aux magistères
italiens - qu'ils soient savants ou religieux - pour certifier et dogmatiser
les écrits sacrés plutôt que l'intelligence
générale, le bon sens commun. Ainsi, le voyage sur Saturne est
non seulement incompréhensible pour le sens commun, mais incongru dans
son rapport à la sacralité qui se doit d'élever et de
rapprocher l'homme du divin. Il faut donc comprendre le titre du premier
chapitre, « Anagogie », comme une contextualisation de l'échec
exégétique visant à rechercher dans des textes incongrus
un sens divin et des vérités ; car la sacralité est
attribuée selon des critères absurdes et inaudibles pour
l'intelligence. D'ailleurs, l'analogie de la révélation de
Shackerley avec l'Apocalypse de St Jean est exprimée
dans l'annotation du voyage vers Saturne. Or, le départ pour Saturne est
aussitôt marqué par l'échec du voyage initiatique : le
protagoniste n'arrive pas à la destination voulue1. La
logique du discours renverse l'autorité conférée aux
apologètes en stigmatisant comiquement l'authenticité des textes
jugés sacrés ; et le comique procède du merveilleux pour
subvertir la sacralité des textes du canon religieux. Ainsi, la
subversion gagne à la fois les textes et les institutions
sacrés.
Du Comique voltairien
Le comique est particulièrement significatif dans le
premier chapitre où se justifie la cohérence de l'ouvrage en
entier. Si par la suite, le comique relève plutôt des effets de
dissonance, l'enjeu du premier chapitre est d'introduire une
idéologie protéiforme liant la scientia sexualis avec
des éléments fictifs et des procédés
exégétiques de la pensée religieuse sous la forme d'un
discours savant. Toujours dans le premier chapitre donc, les motifs du
merveilleux concourent au comique et sont en majeure partie puisés dans
les contes voltairiens ; ils procèdent d'une intertextualité
révélant la
1 La différence tient à l'avortement
du souhait et des espérances initiaux du protagoniste : «
Shackerley voulut être transporté dans une des planètes les
éloignées qui forment notre système ; mais on ne le
déposa pas dans la planète même, on le plaça dans
l'anneau de Saturne. » Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII,
page 8.
2 Histoire de Jenni ou le Sage et
l'Athée, par M. Sherloc, traduit par M. de La Caille, Anonyme,
Londres, [en réalité Genève, Cramer, sans date].
44 - Au commencement était le Verbe
stratégie du discours. En l'occurrence, il s'agit des
contes de Candide1 et de L'Histoire de
Jenni2 que nous présenterons en premier lieu pour mieux
les insérer à la suite du texte de Mirabeau. On retrouve des
éléments diégétiques et des tournures syntaxiques,
deux catégories très différentes, propres aux
écrits de Voltaire dans la contextualisation mythologique du manuscrit
de Shackerley. Il est difficile de parler de processus intertextuels dans la
mesure où cette inspiration est de nature trop sporadique et ponctuelle
pour dessiner une véritable signification discursive. On conçoit
aisément que Mirabeau, alors enfermé à Vincennes, ne
pouvait recevoir que quelques pages déchirées par correspondance,
expliquant ainsi la disparité des indices intertextuels.
Néanmoins, on retrouve une logique de composition complexe pouvant
illustrer une stratégie d'écriture. L'enjeu serait de recouvrir
un système discursif qui, sous l'allure d'un discours savant, mêle
les éléments diégétiques d'écrits
sacrés et de récits fictifs pour appuyer l'artificialité
d'un discours littéraire prétendant à une quelconque
autorité. En l'occurrence, l'effet recherché est de procurer du
comique dans les raisons d'adopter le manuscrit de Shackerley comme un texte
authentique. On y retrouve l'emploi de l'ironie voltairienne qui feint de
justifier les thèses adversaires par l'absurde afin de manifester son
indignation. Le premier passage dont Mirabeau s'est probablement inspiré
pour contextualiser le manuscrit de Shackerley se situe au début du
chapitre VI de Candide, « COMMENT ON FIT UN BEL
AUTO-DA-FE POUR EMPECHER LES TREMBLEMENTS DE TERRE, ET COMMENT
CANDIDE FUT FESSE ». Juste après le tremblement de terre de
Lisbonne, les sages du pays décident de donner un auto-da-fé pour
en prévenir les préjudices.
On avait en conséquence saisi
un Biscayen convaincu d'avoir épousé sa commère
[...] : on vint lier après le
dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l'un
pour avoir parlé, et l'autre pour avoir écouté avec un air
d'approbation [...].
Voltaire dénonce la décision arbitraire de
l'inquisition de donner un auto-da-fé dont l'élection des
victimes repose sur des éléments irrationnels :
l'un s'est marié récemment avec la mère de son filleul, et
les deux autres se sont mutuellement parlés et écoutés.
Les décisions de l'institution religieuse sont désignées
comme absurdes et hors de leur juridiction, car l'auto-da-fé est
présenté comme un moyen de calmer l'agitation du peuple - et non
la turbulence divine - par des immolations humaines en grande
cérémonie. Initiée par le connecteur logique « en
conséquence », l'absurdité est croissante et atteint son
paroxysme lorsque les deux protagonistes, Candide et Pangloss, sont
condamnés sans que leurs propos ne soient rapportés,
caractérisant ainsi l'irrévocabilité et
l'incontestabilité du jugement. La stratégie employée par
Voltaire charge l'absurde d'une
1 Candide, ou l'Optimisme, traduit de l'allemand
par M. Le Docteur Ralph, Anonyme, S. 1, Genève, Cramer,
1759.
Ironie savante - 45
dénonciation du divertissement visant à
détourner le peuple des questions gênantes pour l'institution
religieuse. Le deuxième passage qui nous intéresse se situe au
troisième chapitre de l'Histoire de Jenni, « PRECIS DE LA
CONTROVERSE DES MAIS ENTRE MR. FREIND ET DON INIGO Y MEDROSO Y
PALALAMIENDO1, BACHELIER DE SALAMANQUE ». Mr. Freind, un
anglican, docteur en théologie chargé par la couronne
d'accompagner le siège de Barcelone, fait la rencontre d'un bachelier
barcelonais après la capture de la ville. Leur conversation regarde
l'établissement des dogmes catholiques et protestants à la
lumière de leur ancienneté et de leur pouvoir temporel.
Naturellement, le dialogue prend la tournure d'un débat lorsque le
catholique évoque St Pierre - apôtre majeur de
Jésus, Simon Pierre était considéré comme le
premier archevêque de Rome - pour revendiquer la succession apostolique
et ainsi affirmer la primauté pontificale. De bonne foi, le bachelier
avance que les actes et intentions de St Pierre sont fondés
par le dessein divin, puisque ce dernier aurait rencontré Simon
Vertu-Dieu avec qui il se serait prêté à un concours de
magie et que l'ayant remporté, il fut couronné la tête en
bas et les jambes en haut, preuve que le pape doit régner sur tous ceux
qui ont des couronnes sur la tête2. L'invraisemblance et
l'irrationalité des arguments du catholique donnent lieu à une
réponse de Mr. Freind.
Il est clair que toutes ces choses arrivèrent
dans le temps où Hercule, d'un tour de main,
sépara les deux montagnes, Calpée et Abila, et passa le Gibraltar
dans son gobelet ; mais ce n'est pas sur ces histoires, tout
authentiques qu'elles sont, que nous fondons notre religion :
c'est sur l`Evangile.
Voltaire regarde les textes sacrés comme possiblement
porteurs de raison si leur compréhension s'appuie sur de justes
critiques conditionnées par une lecture attentive et avertie. Si le
bachelier reconnaît n'avoir jamais lu la Bible, le protestant
rappelle que seul le contenu d'un texte peut fonder une religion. Par ailleurs,
remarquons que Sanchez est introduit au début de la démonstration
du bachelier défendant St Pierre en tant que garant moral.
Mirabeau le reprend aussi dans le chapitre « L'Anélytroïde
» pour en faire un garant moral vicié. L'invraisemblance et le
caractère merveilleux de la contextualisation mythologique, contenus
dans le burlesque tenant à la fois aux expressions familières, et
aux entreprises dangereuses qui ne requièrent aucun effort à
Hercule, discréditent l'argumentation du catholique qui décentre
la foi à des considérations irrationnelles. Ainsi, Voltaire
justifie l'incrédulité, dans la bouche de l'anglican, par
l'authenticité douteuse des histoires qui
1 NB : Le nom du bachelier espagnol est
l'indice d'une stupidité fervente qui s'en remet à
l'Église pour diriger ses opinions, ses croyances et sa conscience :
Inigo signifie nigaud, medroso, peureux, comodios,
mange-Dieu par extension idolâtre, et papalamiendo,
lèche-pape.
2 Voltaire ajoute que cette anecdote illustre la
logique utilisée par certains théologiens pour établir des
dogmes sans égard à la raison. Cf. Art. « Voyage de Saint
Pierre à Rome » dans le Dictionnaire philosophique, et le
chapitre VIII, « De l'Eglise et de l'Etat avant Charlemagne. Comment le
christianisme s'était établi. Examen s'il a souffert autant de
persécution qu'on le dit » dans l'Essai sur les moeurs et
l'esprit des nations et sur les principaux faits de l'histoire depuis
Charlemagne jusqu'à Louis XIII, Genève, Cramer, 1756.
46 - Au commencement était le Verbe
fonderaient un discours d'autorité. Cette
stratégie énonciative est reprise par Mirabeau, de même que
la tournure syntaxique qui justifie l'authenticité d'un texte par le
burlesque pour dénoncer l'irrationalité de certains discours
religieux. Les éléments que nous venons de soulever dans les
contes de Voltaire sont recomposés par Mirabeau lors de la
contextualisation du manuscrit de Shackerley de façon plus complexe,
mais non moins signifiante.
Animé de la même intention, Mirabeau s'inspire de
la même gradation de l'absurde, des mêmes emplois stylistiques, et
de la même charge ironique des contes de Voltaire dans la
contextualisation du manuscrit de Shackerley. Lui-aussi cherche à
définir comme irrévocable et incontestable le jugement des
magistères sur le texte de Shackerley afin de rappeler, par l'absurde,
les moyens en leur possession pour prévenir toute contestation de leur
autorité ; lui-aussi met en avant le contenu invraisemblable de certains
textes jugés sacrés ; lui-aussi justifie
l'incrédulité résultante d'une authenticité
douteuse de ces textes. Mais son inspiration de Voltaire ne s'arrête pas
à la critique des institutions religieuses, il recoupe les
éléments diégétiques des contes voltairiens pour
les articuler dans sa démonstration afin de dénoncer
l'irrationalité des interprétations religieuses. La
fictionnalité de ces éléments, quoique nécessaire
pour la démonstration, n'est pas assumée par le discours car les
éléments fictifs côtoient des éléments
réels selon le concept de dissonance pour créditer la
démonstration d'une présomption de véracité. Ainsi,
l'ambigüité se situe entre fictionnalité et
rationalité, mêlées dans une subversion presque
systématique de tout discours, en l'occurrence d'un discours savant,
dont l'autorité repose sur l'artifice d'une construction
littéraire.
Par le doute inhérent à la charge comique du
texte, l'ambigüité nourrit une réflexion discursive dont la
stratégie est de nature métalittéraire. Puisque les
procédés énonciatifs masquent, par effet de dissonance, la
fictionnalité de l'intertexte qui participe à la
démonstration de l'irrationalité d'un discours religieux, la
réflexion métalittéraire revient sur le discours
même du texte par subversion de sa propre stratégie ; car elle est
produite par un discours qui raisonne ou déraisonne de la même
façon que les logiques qu'il dénonce. Ainsi, la subversion gagne
le discours qui le produit jusque dans sa logique interne. La bonne
compréhension du manuscrit de Shackerley doit donc être tributaire
d'une réflexion métalittéraire qui regarde évoluer
le discours sans qu'il puisse prétendre à aucune
vérité absolue, y compris dans sa propre dénonciation de
l'irrationalité d'un discours religieux. Cette logique de composition
est significative d'une recherche de paradigme qui se profile dans les
chapitres qui suivent. En l'occurrence, si le premier chapitre repose sur une
subversion métalittéraire qui consiste à interroger la
rationalité des constructions littéraires produisant un discours
d'autorité, la suite de l'ouvrage se présenterait comme une
tentative de répondre à cette interrogation. Pour l'heure,
reportons-nous aux éléments diégétiques
soulevés dans les contes de Voltaire pour étudier leur
utilisation dans le texte de Mirabeau, en l'occurrence le premier chapitre
« Anagogie ». Pour ce
Ironie savante - 47
faire, il est bon de rappeler que la contextualisation
mythologique du manuscrit de Shackerley est exprimée à deux
niveaux selon le dispositif éditorial ; elle est réduite à
une phrase dans le corps du texte pour situer le manuscrit dans l'histoire
mythologique [« Anagogie » ; page 5], et à trois
alinéas dans les notes de bas de page pour justifier son contenu [«
Anagogie » ; note 2, page 8].
C'est un manuscrit mozarabique, composé dans
ces temps perdus où Philippe fut enlevé à
côté de l'eunuque de Candace ; où Habacuc,
transporté par les cheveux, portait à cinq cents lieues le
dîner à Daniel, sans qu'il se refroidît ;
où les Philistins circoncis se faisaient des prépuces ; où
des anus d'or guérissaient les hémorrhoïdes [« Anagogie
» ; page 5].
À ceci s'ajoutent les trois alinéas justifiant
le voyage sur Saturne. Ils annotent l'évidente absence des raisons de
Shackerley qui simplement, « voulut être transporté dans une
des planètes les plus éloignées qui forment notre
système [ici comme l'appel de note divisée en trois
alinéas] ; mais on ne le déposa pas dans la
planète même, on le plaça dans l'anneau de
Saturne » [« Anagogie » ; page 8]. Pour justifier
l'authenticité du manuscrit et répondre aux objections des
sceptiques qui verraient bien des raisons de douter de Shackerley, les trois
alinéas procèdent dans l'ordre suivant :
- Le premier alinéa répond par un
argument irrationnel et illogique aux possibles objections
quant à la datation du manuscrit en fonction des connaissances
astronomiques de Shackerley, et initie l'analogie du manuscrit avec
l'Apocalypse de St Jean [« Anagogie » ; page
9].
- Le deuxième alinéa décrit
l'incompréhension générale à la réception du
manuscrit et rapproche accessoirement la bête de l'Apocalypse avec le
mari trompé, afin de souligner que le bon sens ne
constituerait pas un facteur fiable d'authentification des écrits
sacrés [Ibid].
- Le troisième alinéa menace d'élection
à un auto-da-fé à qui doute de
l'authenticité du manuscrit et à qui pense que
les « trente-six mille raisons, un peu trop longues à
déduire » mais non rapportées qui le
prouvent, ne suffisent pas pour se convaincre [Ibid].
Nous retrouvons les éléments empruntés
à Voltaire selon une disposition complexe. Pour commencer, la syntaxe de
la phrase contextualisant le manuscrit de Shackerley est construite selon le
modèle de la répartie anglicane dans l'Histoire de Jenni
; en outre, elle s'articule autour du connecteur circonstanciel «
dans le temps où » et réinvestit le burlesque dans les
compléments qui suivent le procès pour fonder le doute en
l'authenticité des histoires rapportées. Ensuite, les termes qui
dénoncent l'irrationalité du jugement des interprétations
religieuses dans Candide sont repris et disséminés entre
le corps de phrase et la note de bas de page. Nous les disposons ici en miroir
: l'auto-da-fé en situation initiale du périple de Candide
à Lisbonne se trouve être la promesse finale à l'encontre
des sceptiques devant le manuscrit de Shackerley ; l'aberration logique de
donner un auto-da-fé, initiée par le connecteur « en
conséquence » dans Candide s'incarne dans le fondement
illogique de procéder à l'analogie de l'Apocalypse avec
le manuscrit ; la gradation de l'absurde qui trouve son apothéose dans
l'absence de circonstances incriminantes pour condamner Candide et Pangloss est
transcrite par les trente-six mille raisons non rapportées de ne pas
douter du manuscrit ;
48 - Au commencement était le Verbe
ensuite, nous pouvons facilement identifier les motifs du
dîner, le dernier des condamnés dans Candide, le
dîner de Habacuc pour la contextualisation du manuscrit, puis du mari,
trompé par son désir d'épouser sa commère dans
Candide, trompé par sa femme et cornu par analogie avec la
bête de l'Apocalypse ; enfin, l'impersonnel de la
troisième personne du singulier est employée dans les deux
oeuvres pour relater l'action d'une force agissante et non
déterminée, une instance au service de l'Inquisition dans
Candide, au service des souhaits de Shackerley dans le manuscrit.
À la lumière de ces éléments,
l'étude des contes voltairiens par Mirabeau pour y puiser de
l'inspiration apparaît comme une stratégie argumentative visant
à démontrer l'irrationalité des institutions religieuses.
Il est d'ailleurs difficile de ne pas mentionner l'inspiration du
Micromégas1 de Voltaire dont les personnages - un
habitant de l'étoile « Sirius » et un saturnien dotés
d'une multitude de sens - bousculent l'anthropocentrisme et relativisent les
connaissances et certitudes des hommes qui ne sont pourvus que de cinq
sens2. Pour l'essentiel, les sources voltairiennes ne sont pas
détournées de leur visée initiale ; Mirabeau reprend et
recompose l'intention de Voltaire différemment, mais non sans vigueur,
et sans que l'ironie perde sa vocation à dénoncer les
méthodes de l'Église. Remarquons toutefois qu'une
différence subsiste : le burlesque révélant le doute en
l'authenticité de certains textes s'applique à la mythologie
grecque chez Voltaire, à la mythologie judéo-chrétienne
chez Mirabeau. Ce détail pourrait dévoiler un fondement
idéologique de l'ouvrage : Mirabeau dénoncerait moins la
confiance aveugle que l'on pourrait avoir dans la religion que les fondements
de son autorité qui reposeraient sur des constructions
littéraires irrationnelles pour guider la foi. La nuance peut avoir son
importance : la volonté de libérer la croyance des raisonnements
exégétiques semble le remporter sur le dessein d'éclairer
le vulgaire sur les machinations qu'il subit. En outre, l'hermétique
nourrie dans le discours par l'usage du grec et du latin, associée aux
procédés énonciatifs pour produire un discours savant
pourrait se concevoir comme une stratégie d'écriture visant
à adresser l'ouvrage aux élites intellectuelles
compétentes, plutôt qu'à un public ordinaire et populaire ;
et ce, à l'inverse de Voltaire, qui compose des récits dans des
genres populaires très accessibles, et qui assume et revendique
pleinement la fictionnalité pour mieux instruire son lecteur. En
l'occurrence, Mirabeau pourrait avoir l'intention de renverser l'argumentation
de l'institution religieuse pour faire place à une nouvelle forme de
raisonnement plus sensée. Sans avancer de certitude, nous relevons dans
l'ensemble de l'ouvrage cinq adresses directes à un lecteur bien
défini :
- Deux regardent un lecteur commun :
1 Le Micromégas, Voltaire, Londres,
1752.
2 Pour illustrer le principe, Mirabeau
développe « l'impossibilité d'expliquer des sens dont on est
dépourvu » par l'anecdote du miroir et de l'aveugle afin de rendre
compte du désarroi de Shackerley face aux saturniens. Cf. «
Anagogie » dans Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit,
page 14.
1 Mirabeau utilise des lieux communs pour les aborder.
Dans son évocation à l'Apocalypse de St Jean
par exemple,
Ironie savante - 49
o « Si quelque lecteur est curieux de
[...] », « Anagogie », page 6.
o « [...] une vérité très
importante [...] pour le commun des lecteurs [...] »,
« Anélytroïde », page 36.
- Et les trois autres renvoient à une institution ou un
individu représentant le monde savant :
o « [...] quelque demi-savant, ou
quelque critique obstiné ne trouve [...] », «
Anagogie », page 8.
o « [...] je me propose d'en donner à
l'Europe savante », « Anagogie », page 22.
o « Je finis [...] par demander aux moralistes
[...] et aux érudits [...] », « La
Linguanmanie », page 191].
« Anagogie » et « La Linguanmanie »
étant réciproquement le premier et le dernier chapitre, nous
pouvons remarquer que les adresses relatives à un individu appartenant
au monde savant ouvrent et ferment l'ouvrage. La vocation de l'Erotika
Biblion se situerait donc moins dans la volonté d'éclairer
le commun que de mettre les institutions érudites dans l'embarras ;
ainsi, la prétention savante du discours serait en adéquation
avec la volonté de tromper le lecteur averti par la subversion des
raisonnements auxquels il est habitué.
Les éléments ironiques que nous avons
dégagés suffiraient à mettre en doute l'articulation du
premier chapitre avec le reste de l'ouvrage à partir du paradigme
saturnien et de la formule altérée de Buffon - tous les
êtres sont reliés par un « flux permanent [de jouissance]
» -. Mais s'il fallait tout de même le soutenir, la charge comique
et l'ironie qui contextualisent le manuscrit de Shackerley devraient être
réduites à une dissipation, une désinvolture gratuite,
dans une réflexion requérant un certain ascétisme ; ce qui
aurait pour incidence l'immolation de la richesse stylistique à la
volonté de plaire au lecteur par pur plaisir esthétique, sans
incidence avec l'idéologie dont la subversion serait accidentelle et
négligeable. Il suffit pourtant de regarder le rire comme participant
à l'intelligence du texte pour prendre en compte les conséquences
philosophiques de la charge comique. Nous venons de voir que le premier
chapitre emploie le rire comme une sollicitation de la subversion pour
disqualifier certains textes sacrés - en l'occurrence, ceux de
St Jean et de Shackerley - dont une vérité absolue est
extraite pour construire des dogmes théologiques. Le rire est profane et
désacralise la gravité de la matière religieuse par
l'absurde ou le ridicule : par exemple, Sanchez dont la gesticulation frise le
grotesque ou l'aberrante authenticité du manuscrit de Shackerley. Saisi
dans un contexte donné, le rire réduit ses cibles à des
rêveurs ou à des rêveries, privés d'autorité
et de toute crédibilité, tandis que la stratégie
discursive profite des procédés intertextuels pour ridiculiser
l'exégèse biblique qui y recherche des systèmes
métaphysiques1. Et si l'ouvrage de Mirabeau nous
50 - Au commencement était le Verbe
paraît si curieux, c'est en partie à cause de
ces balancements ironiques articulés par des illustrations
érotiques ; d'ailleurs, le nom même de l'ouvrage, Erotika
Biblion, contient toute cette équivocité. En grec
?ñùôéêÜ
âéâëßïí, le titre peut
être traduit de deux façons différentes en
déplaçant le sujet suivant l'ambivalence de la morphologie
nominative : soit De l'Erotisme dans les livres, soit Le Manuel
d'érotologie. Il y a subversion des matières
sérieuses par la sexualité dans les deux cas, mais la
ressemblance des sujets ne fonde pas la même intention : dans le premier
cas, c'est une recherche du plaisir tournée comme une réflexion
métalittéraire, tandis qu'il s'agit d'un enseignement, d'une
méthode presque, dans le deuxième. L'hybridité est
unifiée autour du pouvoir subversif de la matière érotique
; l'ouvrage peut traiter des deux sujets à la fois1, mais la
vocation à enseigner un savoir d'érudition se concilie mal avec
l'apparente ignorance du grec dont témoigne l'erreur colportée
par l'édition princeps portant le titre Errotika
Biblion2, et qui se vérifie sur le manuscrit
trouvé par Jean-Pierre Dubost avec un titre orthographié de la
main de l'auteur, Errotikos Biblion3. Peut-être
écrit à l'aveugle, le titre est toutefois stratégiquement
provocateur, car l'attention a été portée sur les
sonorités ; tout en se référant par consonance au livre
par excellence, la Bible, il suppose, par l'usage du grec, un discours
d'érudition autour de la sexualité. Pour un titre, une telle
économie de mot, inhabituelle pour l'époque, implique la
prétention d'englober largement son sujet, et évoque ainsi un
défi d'érudition. S'il y a eu lapsus, il a néanmoins
été assez heureux pour conserver l'équivocité d'une
seule et même idée ; à savoir, l'articulation de la
sacralité avec la sexualité dans une subversion
métalittéraire.
Notre étude stylistique profite de l'emploi de
l'ironie pour dégager plusieurs intentions possibles de
l'écriture. Aussi, nous avons montré que la première
intention de Mirabeau est de dégager matière à
hybridité - entre recherche et enseignement de la sexualité, non
sans subversion des raisonnements exégétiques employés -
dans les ouvrages lui servant d'inspiration pour les traiter de façon
à démontrer l'incompétence et l'absurdité des
interprétations religieuses. L'ironie savante se situe entre
fictionnalité et rationalité et concourt aux besoins de la
démonstration qui a besoin de preuves et de
on peut lui reprocher d'avoir omis la seconde bête ;
soit par crainte de rendre la métaphore avec le mari cocufié
moins pertinente, soit par une connaissance approximative des textes
évoqués.
1 En plusieurs endroits, Mirabeau décrit
des pratiques sexuelles avec une certaine précision et non sans
coloration érotique ; par exemple, le chapitre « Le Thalaba »
contient à la fois les observations des incidences de l'onanisme sur le
corps et l'esprit et des propositions pour y remédier par
l'intermédiaire d'une pratique sexuelle relatée dans ses moindres
détails : « [...] la fille adepte évite d'abord avec le plus
grand soin de toucher les parties de la génération [...] ».
Cf, « Le Thalaba », Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit,
page 77.
2 Tout est dans le titre, Errotika Biblion,
`Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit.
3 Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 167. Jean-Pierre Dubost
précise dans la notice du manuscrit qu'une phrase estropiée en
grec est mise en exergue sur la première page. Pratiquement illisible,
Jean-Pierre Dubost la retranscrit ainsi : ?óðåñ
ô?í êüíéí
íüæï? ï?ôù êá?
öáýëïõ? ôñõö?
êõêëåé, « De même que le
vent du Sud fait tournoyer la poussière, de même la luxure fait
aussi tournoyer les vauriens », trad. Jean-Pierre Dubost,
ibid.
Ironie savante - 51
faits pour paraître crédible. Or, l'inspiration
de Mirabeau est si riche et éclectique que la disposition dans laquelle
il a composé son ouvrage se devait d'être efficace et
économe afin d'articuler le plus rapidement possible son appareil
bibliographique avec les besoins de la démonstration. Sans
énoncé clair d'une thèse initiale, nous avons vu toutefois
que son objectif est d'aller droit au but ; il remet en question les
conventions fondant l'autorité des magistères en faisant
lui-même usage de leurs raisonnements pour en montrer toute
l'absurdité. Les modalités d'expression qu'il utilise pour les
subvertir le situe dans la veine de Voltaire, et son intention dans celle des
Lumières. La cohérence de son ouvrage se situe dans la subversion
générale de ce type de raisonnements ; dans l'absolu, nous
pourrions donc qualifier l'Erotika Biblion de singeries des
commentaires bibliques s'il n'y avait ce projet anthropologique correspondant
à ses traités politiques qu'il enracine dans un rapport
sexualité-spiritualité. La suite de notre travail s'attache
à découvrir la cohérence philosophique de son ouvrage
à travers des conceptions anthropologiques élaborées.
C'est un travail d'orfèvre, puisque Mirabeau s'est résigné
à la désinvolture ; la plupart du temps, il abandonne abruptement
son raisonnement, et bâcle ainsi la fin d'un chapitre. Non sans raisons,
Jean-Pierre Dubost rapproche la désinvolture de Mirabeau de celle de
Diderot ou de Voltaire, mais pour remarquer qu'il « ne sait pas aussi bien
qu'eux ne pas finir.1 » À la décharge de
Mirabeau, l'inscription d'un rapport sexualité-spiritualité dans
un projet anthropologique n'est pas une tâche aisée, surtout pour
quelqu'un dont l'éducation religieuse pourrait laisser à
désirer2.
Avant d'entamer l'étude entre la sexualité et
le projet anthropologique, on propose une lecture métaphorique de
l'oeuvre. Bien qu'on ignore si Mirabeau avait bien eu l'intention de faire
apparaître une métaphore coïtale au sein de son premier
chapitre, nous la reproduisons ci-dessous en la définissant comme une
stratégie d'invention. Comme nous allons le voir, cette image de la
sexualité ne concerne et n'est visible que par certaines
catégories de lecteur ; c'est la raison pour laquelle nous la qualifions
comme une possible stratégie d'invention. Nous la mettons à part,
mais nous considérons tout de même que ce développement
à sa place dans l'étude stylistique que nous avons
proposée.
La Métaphore coïtale
Il faut rappeler la nature des Saturniens : ce sont des
êtres aériens dont la description ne tourne
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 9.
2 Nous évaluons dans notre partie suivante
l'exacte maîtrise des textes sacrés et les connaissances
théologiques de Mirabeau. Cette assertion est appuyée par de
nombreux faits relevés par nos études.
1 Nous invitons le lecteur à relire le
passage de « Anagogie », de la page 18 à 22 ; cf. Errotika
Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, ed. cit.
52 - Au commencement était le Verbe
qu'autour de leurs facultés sensitives1 car
Shackerley est dépossédé de ses mots quand il essaye de
les peindre. La sensibilité qui les définit est ramenée
à un dialogue de molécule sensible que le récit compare
à aux jouissances des amants d'Alphée et d'Aréthuse
à travers la métaphore de la fontaine et du fleuve.
Cette cohésion vive et presque infinie de tant de
molécules sensibles, produisoit nécessairement dans ces
êtres un esprit de vie que Shackerley exprime par un mot mozarabe, que
l'académie des Innamorati a traduit par le mot
électrique, quoique les phénomènes de
l'électricité ne fussent point connus dans ces temps
reculés. [« Anagogie » ; page 20]
Il faut noter l'embarras de l'académie italienne
devant la traduction de ce mot mozarabe qui n'est d'ailleurs pas donné
dans le texte. Mirabeau parle de cohésion qu'il qualifie de vive et de
presque infinie pour les ramener à un phénomène
électrique. Et justement, Shackerley précise bien que ces
molécules ont besoin des émanations des corps pour se propager et
communiquer, formant ainsi « une atmosphère toujours agissante
à des distances considérables » [« Anagogie » ;
page 19].
Toutefois, le récit indique aussi que ces
émanations « sont en pure pertes sur la Terre »
[Ibid] ; et il s'agit de comprendre cette phrase. Il n'y a qu'une
seule autre occurrence du syntagme en pure perte dans l'Erotika
Biblion. Il est attribué à la liqueur lymphatique qui
séjourne autour du gland en contact avec le prépuce et qui
lubrifie le phallus lors de l'accouplement. On trouve ce syntagme dans le
chapitre « Le Thalaba », il est utilisé pour décrire le
tempérament de ceux qui ont le gland découvert quelque en soit la
raison : la vieillesse, un prépuce naturellement plus court ou la
circoncision.
Ceux [les hommes] qui avec du tempérament savent se
contenir et ont le gland recouvert, conservent une salacité digne des
anciens satyres : la raison en est simple ; le gland qui forme le siège
de la volupté, s'entretient dans un état de sensibilité
exquise, par le séjour continuel de la liqueur lymphatique qui le
lubrifie, au lieu qu'il devient dur et calleux avec l'âge chez ceux qui
l'ont découvert, qu'on a circoncis ou qui ont naturellement le
prépuce plus court ; car chez eux cette liqueur préparatoire qui
s'échappe existe en pure perte. [« Le Thalaba » ; page 77]
Si les émanations saturniennes renvoient à la
liqueur lymphatique terrienne, il serait inutile d'en recomposer l'image, et
une reconstruction cérébrale suffira amplement : l'anneau de
Saturne serait le contenant des émanations ; il tient en son centre la
planète échauffée et mal formée de Saturne. Par
ailleurs, l'anneau de Saturne est qualifié de « mince et
plutôt attiédi » [« Anagogie » ; page 10] et de
« bien situé » ; [page 12] ; et l'orbe de Saturne est «
immense », « point encore tranquille », parsemé de «
tremblements de terre presque continuels », de « débordements
», etc... [pages 9 et 12].
La Métaphore coïtale - 53
Toutes ces précisions sont dues à des
mouvements qui témoignent d'une certaine sensibilité. Les
Saturniens qui séjournent dans l'anneau au contact des rayonnements de
la planète sont tous semblables, ont une sensibilité
exacerbée, et communiquent par la pensée, justement grâce
à cette atmosphère agissante. On peut très bien les
comprendre comme concourant au système nerveux, qui n'est rien d'autre
que le phénomène de la pensée dans les thèses
sensualistes ; et ils sont d'ailleurs décrits comme relevant d'un
phénomène électrique. Par ailleurs, les Saturniens sont
tantôt ramenés à des formes, tantôt des
pensées, tantôt des sensations.
Vu le titre du chapitre « Anagogie » qui consiste
en une révélation métaphysique et le fait que la liqueur
lymphatique et les émanations seraient deux substances liquides, on
pourrait comprendre que l'âme et la corporalité des Saturniens
sont réduits de même, à l'état de liquide ; il
s'agit justement d'un mythe ancien qui ramène l'âme à un
liquide que les dieux puisaient dans une fontaine pour l'insérer dans le
vase féminin. Dom Calmet et Voltaire ont d'ailleurs disserté sur
cette question. Dans ce cas, pourquoi choisir Saturne plutôt qu'une
planète lambda ? Parce que Saturne présente la
particularité de posséder un anneau, et surtout parce que Saturne
est une divinité pour laquelle certains peuples, comme les
Phéniciens se circoncisaient. Il est possible que Mirabeau ait lu
quelques passages des Dissertations de Dom Calmet lorsqu'il disserte
sur la circoncision dans le chapitre « Akropodie »1 ; et
il n'y a aucune difficulté à concevoir qu'il ait rapproché
Saturne des prépuces, et que, par extension, il en ait fait un rapport
coïtal. Et par la même occasion, on pourrait mieux comprendre la
raison de son amalgame entre les peuples philistins et israélites pour
désigner ceux qui se sont fait des prépuces au début de
« Anagogie » comme nous avons vu l'exemple dans le dernier
chapitre2.
Dans cette lecture de « Anagogie », l'anatomie des
Saturniens ne s'inscrit pas comme une nécessité pour une
société idéale. Elle apparaît plutôt comme
l'expression de la vivacité organique parfaite,
prépondérante et fertile qui se déroule lors de
l'accouplement. Le suivi de la métaphore fait que l'on se
représente bien mieux la consistance de l'exercice anagogique de Jeremy
Shackerley ; ce qui peut nous éclairer sur la raison pour laquelle ce
dernier soit effectivement dépossédé de ces mots pour
décrire la nature de ces êtres. La position première de ce
chapitre n'est pas un hasard, il donne le ton de l'ouvrage, et c'est le seul
qui soit écrit intégralement de la main de Mirabeau. On peut
aussi
1 Nous en proposons une étude
détaillée dans le chapitre suivant. Pour l'heure, nous avons
annexé ces pages, et celle dont nous parlons se trouve à la page
419 du chapitre « Sur l'origine de la circoncision » du Tome I des
Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de
l'Écriture Sainte, revue, corrigées, considérablement
augmentées, et mises dans un ordre méthodique, par le R.P.
Dom Augustin Calmet, 3 volumes, Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin,
1720. Voy. l'annexe II : « Dissertations f...], de Dom Calmet,
Tome I ».
2 Il s'agit d'une erreur car les Philistins n'ont
jamais été un peuple circoncis. Il est d'ailleurs curieux que
cette erreur soit seulement présente dans le chapitre « Anagogie
» et qu'il évite de la commettre dans « L'Akropodie ».
Nous développons une analyse autour des erreurs de Mirabeau dans le
chapitre suivant.
54 - Au commencement était le Verbe
y noter une subtilité : Mirabeau pense qu'il n'y a que
les circoncis qui ne profitent pas des bienfaisances du liquide lymphatique ;
ceux-là ne peuvent donc pas interpréter et encore moins
révéler l'Écriture par un exercice anagogique. Vu la
teneur de son matérialisme, il pouvait tout à fait croire que les
circoncis ne comprendraient rien au chapitre « Anagogie » et qu'il en
abandonnerait très vite la lecture ; ce premier chapitre pouvait, dans
cette conception des choses, faire office de garde-fou et de repoussoir aux
lecteurs indésirables.
Après avoir étudié la cohérence
et l'unité stylistique de l'oeuvre, il est temps de s'intéresser
aux inspirations et aux ressources de Mirabeau afin d'éclairer l'ouvrage
dans une étude élargie aux documents ayant servi à sa
conception. Autant que possible, nous dévoilons les méthodes de
nos recherches intertextuelles ; et si quelques références se
trouvent déjà dans l'édition de Jean-Pierre Dubost, nous
l'indiquons, mais bien d'autres nous sont apparues grâce à un
travail minutieux. Loin de prétendre à une présentation
exhaustive de la bibliographie de l'Erotika Biblion, la partie
suivante de notre travail vérifie la crédibilité de ses
sources, afin de relever la cohérence et l'unité de l'ouvrage aux
vues de ces références éclectiques ; il s'agit surtout de
nous donner les moyens d'apprécier au mieux l'exacte maîtrise des
textes commentés et investis par Mirabeau après les avoir
identifiés.
- 55
Inspirations et ressources
Le ton comique de l'Erotika Biblion est partout
présent dans l'ouvrage. On pourrait même le voir comme un
procédé littéraire qui organise les chapitres et la
disposition de l'ouvrage. Nous nous en tenons à l'observation que les
raisonnements du texte ne sont pas sans subversion, et donc sans articulation
critique. Et il s'agit maintenant d'identifier précisément la
doxa concernée par la subversion.
Par ailleurs, il nous semble utile de rappeler que Mirabeau
n'hésite pas à inventer des références pour
ponctuer son ouvrage selon la dissonance. De plus, il n'hésite
pas à détourner ou à amputer certaines citations afin
qu'elles rapportent ce qu'il souhaite démontrer. De facto, il
nous faut vérifier chacune des citations, des allusions et des
évocations présentes dans l'ouvrage pour déterminer les
vraies des fausses. Alors, nous essayerons de savoir s'il construisait son
ouvrage au fur et à mesure de ses découvertes dans la Bible
ou s'il avait une idée de la forme finale de son ouvrage avant
même de commencer à l'écrire. Car ce sont deux processus de
création différents qui impliquent deux démarches et deux
intentions d'écriture différentes : les réponses du
pourquoi et du comment l'Erotika Biblion a été
écrit ne seraient pas les mêmes. Comme il était
nécessairement conscient qu'il détournait et amputait les
citations, nous avons aussi questionné le degré de son
honnêteté intellectuelle. In fine, nous n'avons pas
hésité à prolonger ses réflexions lorsque les
éléments de notre étude le permettaient afin de mieux
déterminer son but ; nous rappelons toutefois que l'objectif de cette
étude est de reconstruire du sens et non pas de vérifier les bons
fondements philosophiques de l'ouvrage.
À la suite de notre travail sur le style de Mirabeau,
notre étude s'attache à établir les sources qui ont servi
d'inspiration à Mirabeau. Il suffit d'ouvrir l'Erotika Biblion
pour s'apercevoir que les références à la Bible
sont nombreuses, et que cette riche annotation nous amènerait
à penser que Mirabeau s'est contenté de commenter
l'Écriture pour écrire son ouvrage, et que son
interprétation des textes sacrés relèvent soit de
l'imaginaire, soit de la version biblique qu'il possédait à
Vincennes. Et pour vérifier ces deux hypothèses, il fallait
étudier son corpus. C'est une partie de notre travail riche en
étude intertextuelle, nous nous sommes surtout attachés à
retrouver les documents et les ouvrages que Mirabeau aurait pu détenir
à Vincennes. Vu l'éclectisme de ses sources, on ne peut pas
envisager qu'elles se trouvent au même endroit, dans le même
ouvrage. Aussi, nous avons adopté une méthode qui prenait en
compte deux critères pour diriger nos recherches et renforcer la
probabilité qu'il s'était bien appuyé sur une source en
question : la photocopie et l'ergonomie. La photocopie est le
procédé de reproduction d'un texte dans un autre. Il s'agit de
l'étude de circulation
1 OEuvres érotiques de Mirabeau,
collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, notes A
et B, page 483.
56 - Inspirations et ressources
des idées : rechercher les termes des notions
développées dans un ouvrage ainsi que l'organisation du texte
autour de ces termes pour les voir apparaître dans un autre ouvrage. Si
la démonstration de Mirabeau reprend les mêmes termes pour
désigner les mêmes notions, et qu'elle articule les mêmes
éléments et les mêmes exemples dans le même ordre et
de la même façon qu'un autre texte, on pouvait estimer qu'il
détenait bien cette source en question. À ceci s'ajoute une
exigence ergonomique. Puisque nous avons avancé que Mirabeau ne
détenait aucun texte en entier - car on devait probablement lui faire
parvenir les documents par correspondance, ces documents se devaient de tenir
dans une lettre - ses sources ne pouvaient être que dans un petit format,
sinon amputées. Ainsi, la reproduction des notions et de ses
articulations d'un texte source nous amène à penser que ces
textes étaient imprimés sur des petits formats. Pour valider une
étude photographique, il fallait que les éléments d'une
reproduction tiennent sur un nombre très limité de feuilles d'une
édition.
Comme nous l'avons indiqué, Mirabeau dissémine
dans son texte des indices intertextuels pouvant révéler son
exacte connaissance des textes canoniques de la Bible ; mais il y a
toutefois des erreurs et des incohérences dans ses
références à l'Écriture. Nous les avons
relevées dans notre étude afin de d'instiguer ses erreurs de ses
incompréhensions. En ceci, la Congrégation nous aide par le
relevé qu'elle a effectué pour mettre l'Erotika Biblion
à l'Index. Mais elles ne les relèvent pas toutes ; les
principales erreurs de Mirabeau que nous avons découvertes et
identifiées concernent les références aux Livres des
Rois, l'appréciation de la Genèse, et l'amalgame
entre les Philistins et les Juifs apostats. Son interprétation de la
Bible est somme toute cohérente, mais nous ne la reproduisons
pas dans cette partie de notre étude. Le but étant
d'établir seulement son corpus biblique, nous nous sommes
concentrés sur le rapport qu'entretient le texte avec la Bible
et ses commentaires : et le rapport d'erreur offre non seulement des
pistes pour trouver le possible corpus biblique que Mirabeau détenait,
mais aussi des pistes pour apprécier justement sa culture religieuse
propre. Il s'agit de distinguer les commentaires de Mirabeau qui
relèvent d'une lecture suivie d'un commentateur biblique de ceux qu'il
formule par lui-même. Mais il va sans dire que son interprétation
de l'Écriture n'est, somme toute, pas incohérente, de même
que les articulations philosophiques qu'il en retire.
À la suite des résultats de cette étude,
nous nous sommes sentis dans l'obligation d'essayer de caractériser la
spiritualité de Mirabeau à travers son texte. La question de
savoir si Mirabeau s'est nourri de l'herméneutique de la tradition juive
semblerait pertinente ; c'est pour vérifier ces fondements que Charles
Hirsch a commenté le développement de Mirabeau sur
l'androgénie d'Adam1. Néanmoins, les résultats
de notre étude sur son éducation et sur sa connaissance propre
de
- 57
la Bible nous amènent à penser qu'il
n'en est rien. C'est pourquoi notre étude ne présente aucun
ouvrage de tradition juive.1 Ignorant les secrets de cette
tradition, nous nous en sommes remis aux résultats de nos propres
études. Vu les doutes formulés et les surprises devant les
développements obscènes de l'Erotika Biblion, nous avons
décidé de commencer cette étude à partir de
l'appréciation de Jean Pierre Dubost qui estime que l'attitude de
Mirabeau envers la Bible est en quelque sorte ambivalente.
L'Écriture est pour lui un ample réservoir
d'anecdotes à verser au dossier de l'éros. [...] Le plaisir de
pervertir l'herméneutique biblique est indéniable, et en ce sens
Mirabeau se situe dans la lignée immédiate de Voltaire. Mais
l'intention est moins militante. Il cherche moins la dérision ou
l'attaque frontale et se complaît plutôt à démontrer
à l'aide d'exemple tirés de la Bible ou de
l'Antiquité que le désir est la Loi du monde, que la
sexualité est une force prodigieuse et qu'il est impossible «
d'éluder les fins de la nature ».2
Loin de nous contenter de l'interprétation de Jean
Pierre Dubost, nous la questionnons à la fin de ce chapitre. Pour
l'heure, nous avons réglé l'étude du rapport de Mirabeau
avec la Bible selon trois règles qu'il énonce
lui-même ; à savoir que « l'intelligence de la
Bible, qui existe depuis un si grand nombre de siècles, qu'il y
a bien peu de choses à citer d'une aussi haute antiquité, demande
peut-être encore un long [sic] période d'efforts et de
recherches » [« L'Anélytroïde » ; page 29].
Premièrement, la Bible est à prendre comme un texte
entier ; deuxièmement, l'homme ne peut en avoir qu'une
compréhension limitée qui va en s'agrandissant ; et enfin, la
connaissance du livre dépend d'un savoir relatif à la nature et
à la physique. Par la suite, Mirabeau est très cohérent :
les anecdotes bibliques illustrent différentes intelligences de la
Bible en fonction des temps et des peuples, et il s'évertue
à rechercher des passages obscurs qui ont pu donner naissance à
diverses pratiques qui sont dans l'erreur. Sa logique discursive doit
être comprise comme le fondement philosophique d'un projet
anthropologique que nous étudierons dans le chapitre suivant.
Ressources bibliques
En plusieurs endroits de l'Erotika Biblion, Mirabeau
relève des citations du texte biblique en commettant des fautes de
référence, ou des incohérences d'interprétation.
Bien qu'il ne soit pas de notre ressort de justifier ses choix
théologiques, nous avons relevées tous les commentaires qui
paraissent hétérodoxes car nous pensons que ces fautes nous
permettent d'apprécier sa culture religieuse, et qu'elles peuvent aussi
nous permettre de définir son réel corpus religieux.
1 Notre démarche s'est aventurée
à questionner certaines personnes réputées
compétentes par la communauté religieuse à laquelle ils
appartiennent. Il n'est toutes fois pas nécessaire de les nommer.
2 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 17, page 123.
58 - Inspirations et ressources
Lorsqu'il commente un passage de la Genèse ou
qu'il s'étonne de l'accord au pluriel des verbes attenant à la
création du monde, on pourrait penser qu'il s'agit de la
réflexion de quelqu'un qui découvre le texte de la
Création. Toutefois, il faut déterminer si ces erreurs - si
toutefois on peut les appeler ainsi - relèvent de l'appareil biblique
dont se servait Mirabeau, ou de son éducation et de sa propre culture
religieuse. En outre, elles nous permettent de définir la probable
bibliographie de Mirabeau et son instruction sur ces matières. L'une et
l'autre pourraient définir des traits philosophiques particuliers dans
l'Erotika Biblion, et en tout cas, elles nous permettraient de mieux
appréhender son appréciation de la Bible. Il est donc
pertinent et important d'éclairer sa compréhension des textes
sacrés à la vue de ses ressources bibliques, bibliographies et
personnelles. Il s'agit alors d'identifier les textes bibliques sources que
cite Mirabeau, d'approfondir ses interprétations, d'examiner l'ossature
argumentative qu'il déploie dans ses démonstrations pour les
comparer à des commentateurs de la Bible. Tous ces indices
doivent être extraits méthodiquement du texte de Mirabeau et de
celui du commentateur de la Bible afin de les comparer ; nous en
proposons la méthode, et ce, afin de définir les
réservoirs à ressources intertextuelles utilisées par
Mirabeau.
Examen de l'appareil biblique
Mirabeau cite à de nombreuses reprises la Bible
en latin, en allemand et en hébreux. Il serait étonnant
qu'il ait imprimé ces citations, ces passages dans sa mémoire et
qu'il soit capable de les rendre à la virgule près en
détention, dans un état de santé qui laisse d'ailleurs
à désirer1. Il devait donc avoir à sa
disposition différentes versions de la Bible qu'il nous faut
déterminer. Dans ce travail, la Congrégation nous aide par les
erreurs qu'elle rapporte de son analyse de l'Erotika Biblion. Vu le
rapport de la Congrégation, on peut observer qu'elles sont dues soit
à de l'inattention ou de l'ignorance, soit à une erreur
récurrente dans la ou les sources citées et utilisées dans
l'Erotika Biblion. Est relevé notamment dans le premier
chapitre « Anagogie », l'amalgame entre Philistins et les
Israélites infidèles à la loi de Moïse pour
désigner les hommes qui se faisaient des prépuces ; un miracle
dont Mirabeau appuie l'étrange incongruité par les
expériences des pères Conning et Coutu dans le chapitre «
Akropodie » [« Akropodie » ; page 113]. Nous avons
déjà présenté le texte lors de notre analyse sur
l'ironie, mais il est toutefois bon de le rappeler.
C'est un manuscrit mozarabique, composé dans ces temps
perdus où Philippe fut enlevé à côté de
l'eunuque de Candace ; où Habacuc, transporté par les cheveux,
portait à cinq cents lieues le dîner à Daniel, sans qu'il
se refroidît ; où les Philistins circoncis se faisaient des
prépuces ; où des anus d'or guérissaient les
hémorroïdes... [« Anagogie », pages 5 à
1 Peu avant l'écriture de l'Erotika
Biblion, il se plaint d'un état de santé allant s'empirant :
sa vue baisse, ses vêtements partent en lambeaux, il marche pied-nus
à même le sol ; on lui soupçonne même d'être
affecté d'une pneumonie.
Ressources bibliques - 59
8]
Notons que les personnages bibliques, Philippe, Candace,
Habacuc et Daniel renvoient à des repères précis de
l'Histoire biblique. En l'occurrence, la situation initiale couvrirait
chronologiquement un millénaire : entre Daniel au Xe
siècle avant notre ère et le diacre Philippe au Ier
siècle après J-C. Le manuscrit aurait été
trouvé dans cet énorme espace de temps, ce qui apparaît
ainsi comme une moquerie envers la vraisemblance des récits
trouvés selon la tradition des romans-mémoires fortement
établie au XVIIIe siècle. En réinvestissant le
topos du manuscrit trouvé, Mirabeau inscrit de facto ce
chapitre dans la fiction.
Au-delà de la charge comique, ce court passage
contextualisant le manuscrit de Shackerley concentre deux approximations, deux
éléments qui portent à croire que lors de la
rédaction du texte, Mirabeau avait sous les yeux une ou des sources
l'induisant en erreur au sujet des Philistins et au sujet des anus d'or
guérissant les hémorroïdes. Par exemple, sa note
développant les anus d'or renvoie au premier Livre des Rois :
« Rois, liv. I, chap. VI, v. 17 »1 [« Anagogie »
; page 8]. Or, l'anecdote se trouve en réalité dans le Livre
de Samuel, I, chap. VI, verset 17. Nous verrons qu'il ne s'agit pas
forcément d'erreur à proprement parler, et qu'il existe
plusieurs explications qui peuvent déterminer la bibliographie dont se
servait Mirabeau.
L'Amalgame entre les Philistins et les
Israélites infidèles
La référence aux Philistins circoncis est
annotée par Mirabeau. Sa note évoque le premier Livre des
Maccabées, chapitre I, verset 16, pour décrire les actions
des Philistins : « Et fecerunt sibi proeputiae. » [«
Anagogie », note 1, page 7]. À noter qu'il s'agit en
réalité du verset 15, non du 16, et que la Congrégation
fait aussi une erreur en mentionnant le verset 122. Toutefois, dans
aucune version de la Bible, les Philistins ne sont
évoqués par ces versets, car ils ont disparu longtemps avant le
début des Livres des Maccabées qui traitent de
l'invasion d'Alexandre le Grand.
La note de Mirabeau présente pourtant cinq traductions
différentes attestant la citation : la traduction initiale en latin,
celle des Septante, celle de Isaac Lemaistre de Sacy3, celle de
Isaac-Joseph
1 L'édition de référence pour
notre travail, Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII.
Cote Enfer 1286 de la Bibliothèque Nationale de France, présente
la note « Rois, liv. VII, chap. VI, v. 17 ». Comme il n'existe pas 17
livres des Rois, il s'agit probablement d'une erreur d'impression. Dans le
doute, nous renvoyons à la note retranscrite par J-P. Dubost sur le
manuscrit. Voy. Erotika Biblion, édition critique par
Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.
2 Voy. « Errotika Biblion », Amadieu
Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des
Lumières françaises au XVIIIe siècle
dans La Lettre clandestine, n°25, dirigée par
Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin, éd. cit, page
28.
3 Il s'agit probablement de la version revue par
Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles Beaubrun ; avant eux, la
traduction de Sacy ne concernait pas l'Ancien Testament. Voy. La
Sainte Bible traduite en françois, le latin de la vulgate à
côté, avec de courtes notes tirées des saints pères
& des meilleurs interprètes [...], trad. Isaac Lemaistre de
Sacy, établie en liaison avec les Messieurs de Port-Royal, revues
après sa mort en 1684 par Pierre Thomas Du Fossé et Henri-Charles
Beaubrun notamment, à Liège, chez Jean-François Broncart,
1701.
60 - Inspirations et ressources
Berruyer', et celle de Martin Luther2. En plus de
ces traductions, Mirabeau présente une querelle autour du terme
proeputiae, engageant, en plus des traducteurs ci-nommés, les
jansénistes et les jésuites ; au total, la note fait dialoguer
sept acteurs autour du terme « prépuces »3 . Comme
le souligne la Congrégation4, il ne peut pas s'agir des
Philistins qui n'existaient déjà plus en tant que nation lors des
conquêtes d'Alexandre le Grand, mais d'une nouvelle
génération juive qui, à l'orée de la période
hellénistique, se soumet à l'envahisseur et se défait des
marques de l'Alliance. L'Écriture la présente comme des ennemis
mauvais et malsains pour avoir renié la foi, tels que sont
présentés d'ailleurs les Philistins dans le Livre des
Rois. On peut toujours imaginer qu'il y ait eu des erreurs d'impression
dans les sept sources citées par Mirabeau, mais il est fort peu probable
qu'elles concernent toutes des inversions des termes « Philistins »
et « Israélites ».
S'il s'agit d'une erreur de mémoire, on peut excuser
facilement l'incohérence des dates, l'approximation des versets, ou
l'amalgame Philistins-Israélites. Mais l'impertinence d'une erreur qui
regarde Alexandre Le Grand, personnage extrêmement célèbre,
est consternant pour quelqu'un qui disposerait d'une si vaste culture biblique
et qui lirait la Bible en quatre langues différentes. Il s'agit
plus probablement d'une erreur colportée dans une édition de la
Bible disposant de commentaires qui relatent plusieurs versions de
l'Écriture. Vu les références mobilisées par
Mirabeau, on pourrait situer un commentaire publié après 1701,
c'est-à-dire après la Bible de Sacy. Nous
écartons volontairement l'ouvrage d'Isaac-Joseph Berruyer de cette
datation parce qu'il s'agit en vérité d'un roman adapté de
l'Histoire biblique et écrit selon les goûts de l'époque.
Ce roman a d'ailleurs suscité beaucoup d'indignation tant de la part du
monde clérical, que du monde laïque ; et vu son énorme
succès, il se pouvait très bien que Mirabeau l'ait en sa
possession ou qu'il en ait retenu ce passage. D'ailleurs, il ne l'évoque
qu'à cet endroit en l'écrivant « père Berrhuyer
»5 [« Anagogie », page 7] avec une faute qu'il
n'aurait pas faite s'il avait eu le nom écrit sous les yeux.
Avant d'écarter définitivement la
possibilité que Mirabeau ait retenu de mémoire les citations de
la Bible, il nous reste à observer son exacte maîtrise
des langues qu'il cite des différentes versions de la Bible ;
à savoir, le grec, le latin et l'allemand. En ce qui concerne le latin,
nous avons déjà montré qu'il le maîtrisait
parfaitement de par ses traductions de Tibulle. Et en ce qui concerne
l'allemand, il a fait quelques excursions en Allemagne avant sa
détention, et s'est vu chargé par Talleyrand en 1786
' Histoire du peuple de Dieu depuis son origine
jusqu'à la venue du Messie, par Isaac-Joseph Berruyer, Paris, 7.
Vol, 1728.
2 Biblia : das ist : die gantze Heilige
Schrifft : Deudsch Auffs New zugericht, D. Mart. Luth, Gedrueckt zu
Wittemberg Durch Hans Lufft. M. D. XLI.
3 Voy. notre retranscription des «
Évocations et allusions à un intertexte foisonnant », annexe
I.
4 La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
ibid.
5 Il fallait écrire « Berruyer ».
Ce n'est pas une erreur d'impression, puisqu'on retrouve la même faute
dans le manuscrit trouvé par J-P Dubost. Cf, Erotika Biblion,
édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 27.
Ressources bibliques - 61
d'une mission secrète à Berlin consistant
à lui rapporter toutes sortes d'informations ; suite à ses
rapports, et n'obtenant pas de vrai poste diplomatique, Mirabeau publie un
pamphlet révélant la consistance des intrigues
berlinoises1. Si ces faits ne permettent pas d'établir
sûrement une parfaite maîtrise de l'allemand, il s'avère que
Philippe Roudié relève son multilinguisme en établissant
Mirabeau dans le rôle de médiateur entre les Lumières
françaises et allemandes2 . Le latin et l'allemand peuvent
être considérés comme deux langues qu'il maîtrisait
très bien ; il nous reste donc à examiner sa maîtrise du
grec.
Les Références aux Livres des Rois
Grâce à un nouvel amalgame entre la Bible
des Septante et la Vulgate, nous pouvons considérer sa
maîtrise du grec. Il se trouve dans la contextualisation du manuscrit de
Shackerley présentée plus haut ; il s'agit de sa note
développant la référence aux anus d'or qui
guérissent les hémorroïdes. Fléaux dispensés
par Dieu lorsque l'Arche d'Alliance est volée par les Philistins, les
hémorroïdes se propagent de ville en ville, tuant parfois
instantanément la population locale ; pour s'en défaire, les
devins conseillent aux responsables de la remettre aux juifs,
accompagnée de cinq objets d'or figurant les plaies reçues. Cinq
anus d'or ont donc été remis aux juifs en même temps que
l'Arche.
Dans sa note, Mirabeau cite le premier Livre des Rois
comme référence : « Hi sunt autem ani aurei, quos
reddiderunt Philistiim pro delicto Domino. Rois, liv. I, chap. VI, v. 17
»3 [« Anagogie ; note 1, page 8] ; et comme nous l'avons
dit, la citation se trouve en réalité dans le premier Livre
de Samuel. Or, seule la Bible des Septante compte les deux
Livres de Samuel dans les quatre Livres des Règnes
dits des « Rois ». Dans cette version, ils sont donc les deux
premiers des Livres des Rois à l'inverse de toutes les versions
de la Bible postérieure à la Septante qui
séparent les quatre livres en deux blocs distincts. Soit Mirabeau le
savait, et fait dans ce cas une grossière erreur en ne le
précisant pas ; soit il l'ignorait tout simplement, tout comme il
ignorait que les Septante ont écrit en grec. Car il n'y a aucune
explication à traduire le grec en latin sans l'indiquer. D'ailleurs,
Mirabeau cherche à entretenir une tonalité savante, il lui est
important et amusant de montrer ses capacités à traduire le grec
en latin comme il le fait dans le chapitre « La Linguanmanie » sur
des termes scabreux4. Mais il n'utilise que des termes en grec,
jamais de phrase ; et dans le reste de l'ouvrage, il n'y a que quatre termes en
grec qui se trouvent dispersés entre deux chapitres, sans
contextualisation, sans référence
1 Dénonciation de l'agiotage au Roi et
à l'Assemblée des Notables, par le conte de Mirabeau,
1787.
2 Suite à ses contacts avec l'Allemagne,
Mirabeau regrette que le monolinguisme des Français empêche des
avancées dans les sciences. Voir Interférences
franco-allemandes et révolution française, Philippe
Roudié, Presse Univ de Bordeaux, 1994, page 55.
3 Nous donnons les références de
l'édition critique de J-P Dubost comme expliqué plus haut.
4 Voy. le dernier chapitre « La Linguanmanie
», Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit,
éd. cit, pages 186 à 189.
62 - Inspirations et ressources
et sans traduction1. Il est donc étonnant
qu'il ait traduit une phrase entière du grec sans l'indiquer. De plus,
le terme « Septante » n'apparaît que deux fois. Leur
évocation ou citation est importante pour les démonstrations, car
elles appuient à chaque fois l'interprétation que veut donner
Mirabeau de l'Écriture. Pour la première occurrence, il s'agit,
comme dans l'exemple vu plus haut, de l'anecdote des prépuces qui «
est en vérité miraculeuse dans le texte des Septante »
[« Anagogie » ; page 8]. La deuxième et ultime occurrence sert
à démontrer la perfection de la femme dans la traduction grecque
de la Bible, car « les Septante ont prétendu que par le
mot uira le sens de l'hébreu n'était pas rendu, ils ont
ajouté ago. » [« L'Ischa ; page 43]. Ce dernier
exemple est décisif : Mirabeau pourrait avancer clairement que les
Septante ont écrit en latin. N'étant pas au fait de l'état
originel du texte des Septante, il n'a donc pas traduit la citation des anus
d'or, n'a pas ouvert la Bible des Septante, et ne l'avait donc pas
sous les yeux lors de la composition de l'Erotika Biblion.
Les Livres des Rois sont cités deux fois.
Nous venons de voir la première en latin ; la seconde est en
français : « Le Seigneur frappa ceux de la ville et de la campagne
dans le fondement. Roi, I, c, v. 26 » [« L'Anoscopie » ; page
168]. Il manque le numéro du chapitre, il en est de même dans le
manuscrit trouvé par J-P. Dubost2. Après
vérification dans le Livre de Samuel et dans le Livre des
Rois, il s'avère qu'aucun verset 26 ne correspond à cette
citation. L'extrait le plus proche se trouve dans le premier Livre de
Samuel, au chapitre 5, verset 9 : « Il [Le Seigneur] frappa les gens
de la ville, du plus petit au plus grand, et des tumeurs leur poussèrent
»3. Il semblerait que les références aux
Livres des Rois utilisées par Mirabeau appartiennent à
une version qui organise la Bible selon la version des Septante. Or,
pour annoter ces citations, il n'y avait aucune pertinence à choisir
spécifiquement la version des Septante pour référer aux
anus d'or ou au fléau divin. Mirabeau ignorait donc tout simplement que
ces références renvoient à la Bible grecque ; et
vu la dernière référence qui est amputée du
chapitre et qui indique un mauvais verset, peut-être n'avait-il
même pas les moyens de les vérifier. Par ailleurs, les deux
références concernent le même extrait biblique qui n'est
rien d'autre que la vengeance de Dieu contre les Philistins ayant volé
l'Arche d'Alliance au peuple d'Israël. Dans la première citation,
Mirabeau expose ce qu'est réellement le fléau de Dieu contre les
Philistins, c'est-à-dire les hémorroïdes ; mais dans la
deuxième citation qui se situe presque à la fin de son ouvrage,
il la ramène à la cristaline, une version plus
létale de la syphilis. Ses deux interprétations de ce
fléau divin ne se contredisent pas vraiment, puisqu'un traité de
médecine du XVIIe siècle indique que la cristaline
est un terme générique qui englobe toute sorte de maladie
1 « Kadesch » et « Béhémah
» ; voy. notre retranscription des « Évocations et allusions
à un intertexte foisonnant », annexe I.
2 Cf, Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 101.
3 Trad. La Bible de Jérusalem,
traduite en français sous la direction de l'Ecole biblique de
Jérusalem, nouvelle édition revue et corrigée, Les
Editions du Cerf, 1998, page 379.
Ressources bibliques - 63
vénérienne résultant du
péché de paillardise ; ce traité indique par ailleurs que
les Juifs souffrent des hémorroïdes après avoir commis ce
péché1. Il est possible que Mirabeau ait eu une
version ultérieure de ce traité ; nous en établissons
l'affiliation dans le chapitre suivant. Pour l'heure, on ne trouve aucune trace
dans ce traité de médecine d'une référence au
Livre des Rois ; le commentaire sur la cristaline est,
à postériori, un ajout de Mirabeau. Et bien qu'il utilise une
citation en latin, et une autre en français pour rapporter l'extrait
biblique, il peut s'agir du même texte source ; même si les
citations ne sont pas rapportées dans la même langue, Mirabeau
aurait pu détenir un feuillet abîmé et tronqué d'un
texte ; apparemment, une anthologie ou des commentaires dont l'analyse
mélange plusieurs langues. C'est l'explication la plus simple d'une
relative connaissance des Septante et dans lequel il aurait trouvé des
informations générales sur les textes de l'Ancien
Testament, et sur les propos des Septante sans connaître le
grec2.
On peut distinguer plusieurs ouvrages qui ont servi de texte
source à Mirabeau sans toutefois pouvoir les définir. Dans un
autre chapitre, « L'Akropodie », Mirabeau cite par 5 fois le
Livre des Règnes en utilisant des références
exactes renvoyant à l'ordonnément de la traduction grecque. Ces
références parcourent les 4 Livres des Règnes ;
autrement dit, il avait sous les yeux, soit le texte source, soit un autre
commentaire utilisant des références au Livres des
Règnes. Il est à noter que ces références sont
notées Reg dans le texte de Mirabeau, et non Rois
comme précédemment, que l'annotation ne concerne qu'un
passage restreint de « L'Akropodie », et qu'elles se situent toutes
à proximité les unes des autres3. Reg peut
renvoyer à « règnes » ou au latin, libros
regum ? Quoiqu'il en soit, il est étonnant que
Mirabeau change ainsi de système référentiel. Ici, il ne
s'agit probablement pas du même texte source ; la concentration de
l'utilisation des annotations aux Livres des Règnes à un
seul endroit indique qu'il ne s'agit pas non plus d'un texte biblique, mais
plus probablement d'un commentaire. Sans d'autres éléments, il
nous est pour l'instant impossible de savoir s'il s'agit du même
auteur.
À noter que Charles Hirsch recherchait la version de
la Bible dont Mirabeau s'est servie pour composer l'ouvrage afin
d'expliquer les entorses et les détournements que ce dernier fait au
sens biblique4. Vu les références et les citations
appartenant à plusieurs versions bibliques, en plus des
1 « [...] les Juifs, pour un tel péché,
sont fort tourmentez des hemorroides, et des ulceres malins, et le tout
à cause d'un tel peché de paillardise. ». Cf.
Traicté de la Maladie noovvellement appelée Cristaline,
diligemment disputée suivant la Doctrine nouuelle et ancienne, comme se
verra par les authoritez mises pour plus grande preuue, Guillaumet T.,
Chirurgien du Roy, Doyen et Maistre Juré en la Cité de Nismes
À Lyon, Chez Pierre Rigaud, ruë Merçiere, au coing de
ruë Ferrandiere, M. DCVI, page 20.
2 Le commentaire de Jean Pierre Dubost confirme
définitivement cette hypothèse par la découverte du
douzième chapitre, « Zonah », dont « de nombreuses
erreurs dans le texte montrent que Mirabeau ne savait visiblement que peu de
grec, et de nombreuses citations latines sont déformées. »
Cf, Erotika Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost,
éd. cit, note 142, page 141.
3 Voy. notre retranscription de « L'Akropodie
» en annexe I, « Évocations et allusions à un
intertexte foisonnant ».
4 Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard,
64 - Inspirations et ressources
différentes lectures savantes que Mirabeau rapporte,
on pourrait pencher plutôt pour un commentaire de l'Écriture
écrit par un clerc particulièrement savant. Quant au texte
biblique source, il est difficile de le déterminer sans connaître
la raison des références tronquées et non
vérifiées par l'auteur. On pourrait toujours supposer avec
Charles Hirsch qu'il aurait eu accès à une version de la
Bible en latin. Peut-être la Vulgate avec tous les
défauts qu'elle présente, à savoir d'avoir
été reçue comme un code pénal asseyant un pouvoir
politique sur une base religieuse' ; mais Mirabeau n'avait probablement pas de
texte intégral, plutôt des fragments de différentes
versions de la Bible qui certainement, étaient réunis en
un commentaire publié après 1701. Aussi, il serait vain de
ramener l'essence de l'interprétation biblique de Mirabeau à un
seul texte, voire à un seul commentateur ; tout comme, il est vain de
réduire l'intention de Mirabeau à une lecture profane et
anticléricale de la Bible. Il devait composer entre les
ouvrages sacrés et profanes pour construire son propre commentaire
malgré les lacunes d'une telle entreprise.
Sa pauvre maîtrise du grec nous permet de relativiser
son investissement philosophique dans la Bible et nous permet
d'avancer que sa culture religieuse n'était pas suffisamment approfondie
pour rapporter de mémoire des extraits et des références
bibliques ; comme en témoigne sa maîtrise de la langue des
Septante. Il s'agit maintenant de déterminer jusqu'où Mirabeau
peut s'aventurer dans l'interprétation de la Bible sans
recourir à un commentateur.
Examen de la culture religieuse de Mirabeau
Pour observer la culture religieuse de Mirabeau, il nous faut
chercher ce que l'auteur paraît dégager de lui-même de la
Bible sans avoir recours à une note, à un ouvrage ou
à un auteur. Comme nous l'avons vu, il tient toujours à annoter
ses citations, même si celles-ci sont incomplètes, fausses, et
sans moyens pour le vérifier. Toutes les citations annotées de la
Bible écartées, il ne reste plus que trois passages
où Mirabeau livre une citation de la Bible, dans le corps du
texte, pour la commenter et pour développer ses
observations2.
Ces trois passages concernent le même texte, la
Genèse. Les deux premières occurrences concernent le
chapitre « L'Anélytroïde » dans lequel il commente la
physique de la Bible lorsqu'elle traite de la Création, puis
l'ordre (en vérité, il s'agit plus d'une proposition) de Dieu
concernant la propagation : « Croissez et multipliez ». Dans ces deux
cas, ces commentaires ne se bornent qu'à démontrer que la
physique de la Genèse est en réalité assujettie
à l'état de savoir de celui qui rapporte
1984, note A, page 504.
' Idem, page 453.
2 Voy. « Évocations et allusions
à un texte foisonnant », annexe I pour chercher les
références bibliques rapportées [sans ref].
1 Se référer à notre texte de
référence, « L'Ischa », page 43, Errotika Biblion,
`Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France.
Ressources bibliques - 65
la parole divine et qui devait adapter le récit de
Dieu aux représentations scientifiques des peuples contemporains. Quant
à l'ordre divin, il le commente de façon à
démontrer que cette parole est toute puissante, et qu'elle
détermine toute espèce vivante à procréer,
même celles qui sont en apparence privées d'organe
géniteur, telle que se présente l'anélytroïde, cette
femme pouvant procréer par la parte poste. La dernière
occurrence se trouve dans le chapitre « L'Ischa », et elle se
démarque des deux autres, car son commentaire s'aventure plus loin
qu'une lecture littérale de la Bible. Il procède d'une
démonstration en chaîne très élaborée de
l'androgynie primitive et originale d'Adam. Son commentaire cherche à
établir la filiation entre Adam androgyne et un Dieu androgyne ; le
créateur qui ne peut créer que ce qui lui est semblable.
Faisons l'homme, dit-il. Il est évident que
Dieu parle à lui-même. C'est une chose inouïe dans toute la
Bible qu'aucun autre que Dieu ait parlé de lui-même en
nombre pluriel : Faisons. Dans toute l'Écriture, Dieu ne parle
ainsi que deux ou trois fois ; et ce langage extraordinaire ne commence
à paraître que lorsqu'il s'agit de l'homme. [« L'Ischa
», page 42]
Son raisonnement se tient si l'on admet que Dieu ne parle de
lui au pluriel que lors de la Création de l'homme. Adam serait donc un
être double jusqu'à ce qu'il soit divisé par
l'opération rapportée dans Le Banquet de Platon. La
femme serait tirée de l'essence la plus pure de l'homme ; elle
représente l'acte de création le plus parfait car son
avènement achève l'ouvrage de Dieu. Il s'agit du fondement
philosophique duquel Mirabeau tire les déterminations naturelles de
chaque espèce : la reproduction. L'homme et la femme sont faits pour
être ensembles et se reproduire. Mirabeau rapporte l'amour que la femme
inspire, à une détermination divine faisant que la femme doit
éduquer l'homme à se comporter vertueusement. Cela l'amène
à penser que la reproduction entraine la vertu ; de facto,
l'acte sexuel ne peut jamais être qualifié d'amoral ou d'immoral.
Nous développons ces points, étapes par étapes dans le
reste de note travail.
Pour l'heure, il s'agit de voir comment Mirabeau qualifie
l'acte de Création de Dieu. Et justement, il semble être
partagé entre l'évidence et l'étonnement devant ce court
passage ; on peut d'ailleurs préciser que ce sont les prémisses
de la philosophie. En huit lignes, il répète deux fois
l'injonction « Faisons », nomme par trois fois « Dieu », et
utilise quatre termes renvoyant à la parole1. Ce qui donne
l'impression qu'il fait une découverte stupéfiante et
obsédante en même temps qu'il commente l'extrait. S'il s'agit
vraiment pour lui d'une découverte, cela en dirait long sur sa propre
culture religieuse ; car la pluralité de Dieu est une notion
inculquée dès les débuts des études sur la
Bible. C'est d'ailleurs ce que rappelle Voltaire lorsqu'il commente la
Genèse dans son Dictionnaire
66 - Inspirations et ressources
philosophique portatif.
« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
» C'est ainsi qu'on a traduit ; mais la traduction n'est pas exacte. Il
n'y a point d'homme un peu instruit qui ne sache que le texte porte : « Au
commencement, les dieux firent ou les dieux fit le ciel et la terre.
» Cette leçon d'ailleurs est conforme à l'ancienne
idée des Phéniciens, qui avaient imaginé que Dieu employa
des dieux inférieurs pour débrouiller le chaos, le
chautereb.1
Mirabeau n'aurait donc pas suivi l'enseignement religieux
dont ont bénéficié Voltaire et bien d'autres.
L'Erotika Biblion n'est donc pas seulement une recherche dans la
Bible des matières scabreuses, c'est un apprentissage. On
pourrait même penser que son ouvrage n'est pas le fruit d'une
pensée mûre et réfléchie, mais plutôt un
commentaire fait pas à pas selon les découvertes du jour.
Dévoiler les textes sur lesquels Mirabeau découvrait ces notions
n'est alors plus facultatif, puisqu'ils nous permettraient de retracer le
cheminement intellectuel de l'ouvrage.
Nous avons montré qu'il est probable que Mirabeau ait
eu avec lui une Bible, ou un commentaire qui proposait plusieurs
traductions en différentes langues ; il est exclu qu'il ait eu avec lui,
un seul texte source car il n'a pas eu le loisir de vérifier ses propres
références. Peu d'études ont été rondement
menées pour établir une liste de ces textes. Toutefois, de
nombreux critiques de l'Erotika Biblion pensent qu'il s'agirait
principalement des oeuvres d'Augustin Dom Calmet [16721757] : un savant
abbé bénédictin qui a parfait son érudition en
visitant les bibliothèques des prieurés de France. Les
productions de cet abbé étaient très populaires ; parmi sa
grande production d'écrits, les plus lus sont notamment son
Dictionnaire2 et ses Dissertations3. Il
existerait plusieurs intitulés de ces fameuses dissertations. On trouve
dans La vue du très-révérend père D. Augustin
Calmet, Abbé de Senones4, un mémoire écrit
par son neveu et successeur, Augustin Fangé, les principaux titres
désignant l'ouvrage :
- Dissertations qui peuvent servir de
prolégomènes sur l'écriture sainte, revues,
corrigées & considérablement augmentées, & mises
dans un ordre méthodique, 1720 à l'initiative d'un libraire
voyant là de quoi assurer sa fortune, mais qui ne répondent pas
aux vues de Dom Calmet sur son travail.
- Nouvelles dissertations sur plusieurs questions
importantes & curieuses, qui n'ont point été traitées
dans le commentaire littéral sur tous les livres de l'ancien & du
nouveau testament, chez le même
1 Article « Genèse »,
Dictionnaire philosophique portatif, Voltaire, Londres, 1764.
2 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible, enrichi
de plus de trois cents Figures en taille-douce, qui représentent les
Antiquitez Judaïques, Nouvelle édition revue, corrigée et
augmentée, Augustin Dom Calmet, 4 volumes, À Paris, Chez Emery,
Saugrain et Pierre Martin, M. DCCXXX.
3 Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes,
Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.
4 La Vie du très-révérend
père D. Augustin Calmet, Augustin Fange, Abbé de Senones,
Senones, chez Joseph Pariset, 1742.
Ressources bibliques - 67
éditeur, 1722. Cette fois, Dom Calmet est à
l'origine de la recomposition de son travail et en profite pour l'augmenter de
plusieurs dissertations.
- Trésor d'antiquité sacrées &
profanes, tirées des commentaires du R.P Augustin Calmet sur
l'écriture sainte, par un certain Geoffroi Clairmont,
prédicateur français à Amsterdam, pour le moment sans
date.
Même si on ne retrouve pas les Dissertations
dans le catalogue de la bibliothèque de Mirabeau vendue à sa
mort, cette bibliothèque a été constituée
après sa détention au donjon de Vincennes, avec une ambition
neuve1 qui n'était peut-être pas dans sans ses vues
lorsqu'il composait l'Erotika Biblion. Qui plus est, il est fort
probable qu'il ne détenait que quelques feuillets arrachés
d'oeuvres ici et là ; il n'avait jamais d'oeuvre complète,
d'où le fait que ces titres n'apparaissent pas dans sa
bibliothèque. Enfin, ajoutons à ceci le fait qu'une
première édition en 1715 est relevée par Augustin
Fangé, par « un libraire d'Avignon, dans l'espérance d'un
gain considérable, [qui] s'était avisé d'imprimer
séparément les dissertations de D. Calmet »2 ;
l'édition, in-8° en cinq volumes, format discret et
facilement transportable, aurait pu se retrouver dans ses biens à
Vincennes. Avignon et le fief de Mirabeau se trouvent d'ailleurs très
proches géographiquement. Malgré nos recherches, nous n'avons pas
pu retrouver cet ouvrage ; nos analyses concernent la première version,
Dissertations qui peuvent servir de Prolégomènes de
l'Écriture Sainte, dont les Nouvelles dissertations sur
plusieurs questions importantes & curieuses, qui n'ont point
été traitées dans le commentaire littéral sur tous
les livres de l'ancien & du nouveau testament ont été
tirées. Quant au dictionnaire, c'est un ouvrage volumineux
composé de quatre volumes in-folio et
référençant plus de 5450 entrées. Au bas mot,
chaque volume fait plus de 800 pages. Comme Mirabeau définit son ouvrage
comme une recherche des sujet scabreux contenus dans la
Bible3, on suppose que son travail a été
méthodique : il lisait en premier lieu les commentaires et dissertations
des savants, puis il allait vérifier les références
données en note de bas de page (quand il le pouvait) pour les
réinjecter dans son commentaire. Dans ce cas, les allusions au texte
d'autrui qui ne contiennent ni référence, ni citation peuvent
s'expliquer par l'absence des dites références dans le texte
source et simplement parce qu'il n'avait pas le livre appelé en note
à sa disposition.
Pour savoir si Mirabeau a bien trouvé de l'inspiration
chez Dom Calmet, il s'agit de vérifier, non pas la teneur du propos du
bénédictin et leur visée morale et intellectuelle, mais
d'étudier
1 Ce sont les dires du catalogue que l'on retrouve
dès les premières pages d'introduction. Cf, Catalogue des
Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris,
Rozet et Belin, 1791.
2 La Vie du très-révérend
père D. Augustin Calmet, Abbé de Senones, par Augustin
Fangé, éd. cit, page 341.
3 Déjà cité : «
Croirais-tu que l'on pourrait faire dans la Bible et
l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la tribaderie, etc. etc.
enfin sur les matières les plus scabreuses qu'aient traité [sic]
les casuistes, et rendre tout cela lisible, même au collet le plus
monté, et parsemé d'idées assez philosophiques ? ».
Cf. Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780, dans Lettres
originales, écrites du donjon de Vincennes, pendant les années
1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel, T. IV, Paris, Chez J. B.
Garnery, 1792, page 298.
68 - Inspirations et ressources
l'organisation de ses ouvrages, de lister les
références sur lesquelles il s'appuyait, et finalement de se
tenir à tous les indices référentiels qui se trouveraient
à la fois dans le texte de Mirabeau et dans ceux d'Augustin Dom Calmet.
Nous restreignons l'étude à deux ouvrages de Dom Calmet, son
Dictionnaire et ses Dissertations qui sont déjà
deux productions littéraires d'envergure ; et nous la relevons à
travers deux thèmes qui ont été particulièrement
traités par Mirabeau : l'obscénité des peuples antiques et
la circoncision.
L'Obscénité des peuples antiques
L'ordre dans lequel Mirabeau développe son propos et
qui structure un point particulier peut nous permettre de dessiner
l'organisation d'une argumentation. C'est grâce à elle que l'on
peut retrouver les textes sources qui lui ont servi d'inspiration ; notre
étude compare deux ossatures similaires : celle de Mirabeau et celle des
textes pour en établir des filiations pertinentes. Elle nous permettrait
de vérifier si Mirabeau a effectivement puisé dans les oeuvres de
Dom Calmet pour composer son ouvrage, afin d'identifier le ou les ouvrages en
question.
En l'occurrence, le chapitre qui nous intéresse est
« La Tropoïde ». Mirabeau y rapporte les
obscénités des cultures antiques pour commenter les lois qui
régissaient les peuples afin d'établir un parallèle entre
les lois et les moeurs : il y développe un axiome faisant que
l'évolution des lois contribue à l'évolution des moeurs.
Les obscénités du peuple hébreux sont annotées par
le Lévitique ; celles des peuples romains, grecs et
égyptiens par La Cité de Dieu de St
Augustin1. Les moeurs hébraïques sont très
annotées ; il s'agit de 15 références au
Lévitique en 3 pages2 qui proviennent apparemment
d'une version de la Bible en latin, et nous avons déjà
soulevé les difficultés qui apparaissent lorsque nous essayons de
dégager un texte biblique source. Toutefois, Mirabeau utilise ces
références pour reprocher au moralisme chagrin sa volonté
systématique de référer au peuple de Dieu pour enseigner
la bonne morale. C'est pourquoi il leur demande ce qu'ils penseraient « si
des bois sacrés plantés auprès de nos églises comme
autour de leurs temples [païens], étaient le théâtre
de toutes les débauches » [« La Tropoïde », page 60]
; et ce, après qu'il ait évoqué la divinité juive
Moloch et des atrocités que cette divinité inspirait au peuple
juif [« La Tropoïde » ; page 57]. Ces deux
éléments ouvrent et clôturent l'exposition de la
dépravation liée à ces pratiques ; les deux
références ne sont pas annotées et ne renvoient pas
à la Bible qui, de toute façon, ne relie jamais les deux
thèmes. Vu la culture religieuse de Mirabeau, on peut être surpris
qu'il connaisse l'existence de
1 Nous proposons une édition
antérieure aux commentaires de Dom Calmet, bien que rien n'indique que
Mirabeau ait bien eu avec lui un exemplaire de La Cité de Dieu
; Cité de Dieu de Saint Augustin traduite en françois,
et revue sur l'édition des Pères Bénédictins, et
sur plusieurs Anciens Manuscrits ; Avec des Remarques et des Notes qui
contiennent quantité de corrections importantes du Texte Latin, 2
tomes, À Paris, rue S. Jacques, Chez Pierre Debats et Imbert Debats, M.
DCCI.
2 Cf. « Évocations et allusions à
un texte foisonnant », annexe I.
Ressources bibliques - 69
ces bois sacrés ou Moloch, cette divinité
liée à l'idolâtrie ; mais le fait qu'il les lie tous deux
pour dénoncer l'obscénité du peuple hébreux
apparaît difficilement comme une coïncidence puisque nous retrouvons
ces deux thèmes disposés en miroir dans les argumentations de Dom
Calmet.
Dans les deux ouvrages que nous avons cités, Dom
Calmet parle des bois sacrés et de la statue de Moloch. Dans ses
Dissertations, il les lie en évoquant l'idolâtrie. Ce qui
lui permet de développer un récit autour de ces bois où
« se commettoient ordinairement les abominations, que les Prophètes
reprochent si souvent aux Juifs. »1 Notons que ce
développement est contenu sur une même page, dans la «
Dissertation sur les temples des Anciens »2. Bien que les
références au Lévitiques rapportées par
Mirabeau ne s'y trouvent pas, il faut attirer notre attention sur le fait que
Mirabeau ouvre et clôture la présentation de ces moeurs par Moloch
et les bois sacrés ; l'ossature de sa présentation est nettement
délimitée par ces deux thème3. Il se pourrait
très bien qu'une brève lecture de ce court passage des
Dissertations ait pu lui donner l'idée de chercher davantage
d'éléments sur les moeurs décrites par Dom Calmet, et
qu'il s'en d'ailleurs inspiré ; ce qui expliquerait les
similarités de l'organisation de l'argumentation. Dans le
Dictionnaire de Dom Calmet, les entrées « MOLOCH
»4 et « BOIS » 5 existent aussi ; elles rapportent
à peu près les mêmes faits concernant le culte des
Ammonites et la nature des activités que l'on pratiquait dans les bois.
Seulement, toutes ces informations se trouvent au même endroit, sur la
même page des Dissertations ; tandis qu'aucun des deux articles
du Dictionnaire ne les contiennent toutes au même endroit. Si
l'on admet que Mirabeau a apparemment une culture religieuse limitée, il
fallait bien qu'il connaissance l'existence de ces bois avant d'en chercher
l'entrée dans le Dictionnaire, ou du moins qu'il se doute de
leur portée sacrée. Il faut noter que Dom Calmet a tendance
à répéter les mêmes phrases à la lettre
près dans ces deux ouvrages ; déterminer par le biais d'une
étude stylistique l'ouvrage qui aurait servi de source à Mirabeau
serait donc difficile. Mais vu l'objet du discours de Mirabeau sur cet extrait
du texte, il s'avère que les Dissertations présentent
une ossature argumentative plus proche de l'extrait de « La Tropoïde
» que le Dictionnaire.
Il s'agit maintenant d'étudier la provenance de la
profusion des références au Lévitique dans «
La Tropoïde ». Nous nous concentrons sur deux éléments.
L'un se trouve à l'introduction de la description des moeurs
obscènes, juste avant les mentions à Moloch et aux bois
sacrés ; et l'autre, celui qui nous intéresse à
présent, est l'enchaînement des références du
Lévitique dans l'annotation
1 Voir annexe II : « Dissertations
f...], de Dom Calmet, Tome I ».
2 Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit,
1720, page 669.
3 « La Tropoïde », page 57 à 60 ;
Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit,
éd. cit.
4 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, Tome II, page 724.
5 Idem, Tome I, page 349.
à 528.
70 - Inspirations et ressources
en bas de page qui suit l'ordre suivant1 :
- Page 56 : Lev. ch. VIII, v.24 ; Ibid. ch.
XII, v.5.
- Page 57 : Lev. ch. XVII, v.7 ; Ibid. ch.
XVIII, v.7 ; Id. ch. XX, v.3.
- Page 58 : Lev. ch. XVIII, v.22 ; Lévit
; ch. XXI, v.18.
On peut observer que le commentaire suit pas à pas
l'évolution du Lévitique dans une logique de lecture
allant du chapitre VIII au chapitre XXI avec pour seule entorse à cette
logique, la présence du chapitre XVIII entre le chapitre le XX et XXI.
Or, toutes ces références au Lévitique sont
données dans le même ordre textuel (quoique sans l'entorse du
chapitre XVIII) dans l'annotation que Dom Calmet déploie dans sa «
Préface sur le Lévitique » dans le livre II de ses
Dissertations, pages 40 et 412. Les notes de Mirabeau
concernant les cérémonies de consécration [« La
Tropoïde » ; note 1, page 56], celles des naissances [Ibid ;
note 2], la fornication avec les chèvres [Idem ; note 1, page
57], les rapports incestueux [Ibid ; notes 2 à 8], les
sacrifices des nouveau-nés [Ibid ; note 9] y sont toutes
référencées sur les deux premières pages du
commentaire de Dom Calmet. Bien que ce rapprochement ne constitue pas un fait
suffisant pour établir la certitude que Mirabeau a effectivement
puisé dans les Dissertations pour construire son tableau des
aberrations, il offre néanmoins des similitudes frappantes pour
considérer cette possibilité ; toute l'annotation de « La
Tropoïde » est contenue dans deux pages des Dissertation.
Aussi, vu la notoriété des ouvrages de Dom Calmet, il se pouvait
que Mirabeau - s'il n'avait pas précisément cette «
Préface sur le Lévitique » - ait pu détenir un
ouvrage qui s'en servait déjà comme inspiration. Au reste, dans
le Dictionnaire, ni l'article « LEVITE », ni l'article
« LEVITIQUE »3 ne contiennent une telle profusion ; les
articles ont des textes extrêmement courts qui survolent les moeurs que
Mirabeau illustre dans « La Tropoïde ».
L'autre élément qui nous intéresse se
situe avant le tableau des moeurs, et juste après que Mirabeau se
propose de déterminer « si nos moeurs, et quelques-uns de nos
usages comparés avec plusieurs grands peuples, doivent paroître si
détestables. » [« La Tropoïde » ; page 55] Par ce
biais, il introduit le Lévitique et précise que le nom
du livre biblique provient du peuple Lévi. Il présente
à la suite l'habit des lévites, le lévi, qu'il
décrit comme un « habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans
être un monument bien authentique de notre piété »
[« La Tropoïde », page 55]. Or, l'article « LEVITE »
du Dictionnaire précise « qu'ils ne portaient point
d'habits distinguez du reste des Israëlites » jusqu'à ce
qu'ils obtiennent du Prince Agrippa la permission de porter la tunique de
1 Se référer à notre annexe I :
« Évocations et allusions à un texte foisonnant ».
2 Voy. l'annexe III : « Dissertations
f...], de Dom Calmet, Tome II ».
3 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, tome II, pages 525
Ressources bibliques - 71
lin des prêtres et de jouer des instruments de
musique'. Il aurait pu connaître l'habit grâce à une gravure
qu'il aurait eue à sa disposition, telle qu'on peut la retrouver dans
l'article « LEVITE » entre la page 526 et 527 du Dictionnaire
de Dom Calmet ; ou bien, comme nous l'informe le manuscrit trouvé
par J-P Dubost qui contient quelques annotations du chevalier de Pierrugues
(que Dubost identifie comme Auguis) datant de 1783 - soit 3 ans après la
première publication de l'Erotika Biblion - il pouvait le
connaître grâce à une mode qui consiste en une «
espèce de robe de femme qui portait ce nom à Paris, en 1778-79 et
80. »2 Bien que Mirabeau ait été enfermé
de 1777 à 1780, on peut considérer qu'il serait tout de
même étonnant que cette mode lui ait échappée.
Les éléments que nous avons soulevés ne
permettent pas d'affirmer que Mirabeau se soit directement inspiré de
Dom Calmet. Néanmoins, nous avons pu détecter plusieurs
éléments qui nous assurent que Mirabeau avait recours à un
commentateur, surtout en ce qui concerne les notions et informations que nous
avons dégagées de « La Tropoïde ». Sachant la
pauvre culture biblique de Mirabeau, elle doit bien être redevable
à ce type de commentaire pour que le texte soit parsemé de telles
références. D'autres types de lacunes nous indiquent aussi le
format sous lesquelles se présentaient les sources de Mirabeau.
Certainement des feuilles ou feuillets déchirés, toutes les
informations et les références au texte biblique devaient se
trouver au même endroit, si possible sur la même page. En
l'occurrence, les Dissertations de Dom Calmet sont rentrées
dans cette exigence de format ; il est donc possible que Mirabeau eût
avec lui un ou des extraits des dites Dissertations ou un texte qui
s'en inspirait. Quoiqu'il en soit, nous pouvons avancer qu'il existe bien une
inspiration indirecte des oeuvres de Dom Calmet, en l'occurrence des
Dissertations, mais non pas du Dictionnaire. Nous allons
maintenant examiner un deuxième passage de l'Erotika Biblion
dont Jean Pierre Dubost assure qu'il est inspiré du
Dictionnaire de Dom Calmet.
' Idem, page 526.
2 Cf. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 39, page 125.
« La Tropoïde », page 55
72 - Inspirations et ressources
Article « Lévite », Dictionnaire
historique f...], Dom Calmet, éd. cit, Tome II, page 526
« [...], l'habillement d'aujourd'hui qui porte ce nom, sans
être un monument bien authentique de notre piété. »
Ressources bibliques - 73
La Circoncision
Une note de J-P Dubost dans le chapitre « L'Akropodie
», commente le développement et la construction des propos de
Mirabeau sur la circoncision. J-P Dubost y établit des rapprochements
entre le texte de Mirabeau, le Dictionnaire philosophique de Voltaire,
l'Encyclopédie, et le Dictionnaire de Dom
Calmet1.
La question débattue à cette époque
était de déterminer l'origine de la circoncision et d'identifier
le peuple qui, le premier la pratiqua. En outre, les avis sont partagés
; et Voltaire est du côté de ceux qui veulent prouver que les
Hébreux la tenaient des Égyptiens. Comme Mirabeau ne disserte pas
sur cette question, J-P Dubost estime qu'il a suivi les commentaires du
Dictionnaire de Dom Calmet dont le texte ne traite que
légèrement de l'origine de la circoncision pour restreindre le
propos à l'explication de la pratique chez les Hébreux et chez
d'autres peuples, à la description du rituel juif qui enveloppe cette
pratique, et à sa signification dans l'Écriture. Et il montre
finalement que Mirabeau déplace la question, comme le fait Dom Calmet
dans son Dictionnaire, à la circoncision des femmes. Ainsi, le
texte du Dictionnaire philosophique de Voltaire est
écarté comme possible source directe de « L'Akropodie
», et il ne reste plus qu'à traiter de l'Encyclopédie
dont il se sert pour aborder la pratique de la circoncision chez les
peuples turcs, persans, malgaches et mexicains ; comme il recopie des extraits
de l'article « CIRCONCISION »2, ainsi que le montre J-P
Dubost, il n'y a pas de doute quant à la source de son texte. Ce n'est
toutefois pas le cas pour les textes de Dom Calmet. On retrouve la dissertation
de l'abbé « Sur l'origine de la circoncision » dans les
Dissertation3 , dans lequel il développe toutes les
raisons de penser que les Hébreux étaient les premiers à
pratiquer la circoncision. Comme nous l'avons déjà dit, le
Dictionnaire et les Dissertations de Dom Calmet
présentent un texte similaire, reprenant les mêmes
références, et parfois les mêmes développements
à la virgule près.
Il s'agit donc de voir si Mirabeau a choisi de traiter de la
circoncision des femmes en s'inspirant directement du Dictionnaire de
Dom Calmet et par défaut d'autres textes ne traitant pas de l'origine de
la circoncision, ou - s'il avait aussi les Dissertations avec lui -
par choix littéraire. Le détournement de la question de la
circoncision aux femmes impliquerait une volonté de sortir des carcans
où s'inscrit une littérature savante pour tourner en
dérision cet exercice d'érudition.
1 Idem, note 66, page 130.
2 Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le
Breton et Durand, 1751-1765, tome III, page 458.
3 Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, livre I, ed.cit,
1720, page 411. Nous avons annexé les pages concernées des
Dissertations pour notre étude. Voy. l'annexe II : «
Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».
74 - Inspirations et ressources
Que ce soit pour le Dictionnaire ou pour les
Dissertations de Dom Calmet, Mirabeau n'y recopie aucun extrait ; il
préfère utiliser leurs éléments argumentatifs et
les exemples qui y sont déployés pour recomposer son texte. Il
est vain de chercher dans l'Erotika Biblion des passages
recopiés sur Dom Calmet ; il n'est donc pas exclu qu'il possédait
les deux ouvrages. En l'occurrence l'ossature argumentative de «
L'Akropodie » présente des similitudes avec le
Dictionnaire. L'enchaînement de certains éléments
se présente comme une lecture suivie de l'article « CIRCONCISION
» du Dictionnaire de Dom Calmet1 que l'on rapporte ici
dans l'ordre :
- L'âge d'Abraham lorsqu'il se fit circoncire :
o « L'Akropodie » ; page 109
(référé à la Genèse. XVII, 24).
o Dictionnaire de Dom Calmet ; page 433, premier
chapitre (référé à la Genèse. XVII,
30).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La division des Pères de l'Église sur la
signification de la circoncision :
o « L'Akropodie » ; page 110 (évocation de
St Augustin, St Justin, Tertulien et St
Ambroise, etc.).
o Dictionnaire ; page 434, neuvième chapitre
(évocation de St Augustin, St Justin le Martyr, St
Irenée, St Chrysostome, St Epiphane,
d'Hilare Diacre, St Jérôme, St Jean
Damascène, St Grégoire le Grand, Bède le
Vénérable, St Fulgence, St Prosper,
St Bernard).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La circoncision des égyptiennes :
o « L'Akropodie » ; page 111 (annotée par une
citation de Huet sur Origenes).
o Dictionnaire ; page 435, treizième chapitre
(Idem).
o Dissertation ; page 418.
- La cérémonie de la circoncision des apostats
devenant juifs :
o « L'Akropodie » ; pages 111 et 112.
o Dictionnaire ; page 435, quatorzième
chapitre.
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La pratique des juifs devenant apostats2 :
1 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, tome I, pages 433
à 436.
2 Il faut noter qu'à cette occasion,
Mirabeau évite d'inverser les peuples juifs et philistins pour
désigner ceux qui se sont fait des prépuces comme il a
pu le faire dans le chapitre « Anagogie » ; toutefois, nous pensons
que ce chapitre est si intimement lié avec « L'Akropodie »
qu'il a dû les écrire ensemble.
1 Voy. les pages 417 et 418 de l'article «
Sur l'origine de la circoncision » de l'annexe II : «
Dissertations f...], de Dom Calmet, Tome I ».
Ressources bibliques - 75
o « L'Akropodie » ; page 112
(référée au Macchab. Liv. I, chap. I, 16).
o Dictionnaire ; pages 435 et 436, quinzième
chapitre (référée au I. Macc. I. 16)
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- La crainte de St Paul devant cette pratique :
o « L'Akropodie » ; page 112
(référée au I. Cor. VII, 18)
o Dictionnaire ; page 436, fin du quinzième
chapitre (référée au I. Cor. VII. 18).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- L'impossibilité d'effacer la circoncision :
o « L'Akropodie » ; page 112 (évocation de
St Jérôme, Rupert et Haimon).
o Dictionnaire ; page 436, seizième chapitre
(évocation de St Jérôme et annotée par
Rupert
et Haimo [sic]).
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
- Les méthodes de Galien, Celse et Buxtorf le fils pour
se défaire de la circoncision :
o « L'Akropodie » ; pages 112 et 113.
o Dictionnaire ; page 436, dix-septième
chapitre.
o Absent de l'article « Sur l'origine de la circoncision
» des Dissertations.
Mis à part quelques incohérences de
références au texte biblique et aux Pères de
l'Église, on voit bien que l'argumentation de Mirabeau suit
l'organisation du Dictionnaire de Dom Calmet, et non ses
Dissertation. Un seul élément peut nous amener à
penser que Mirabeau aurait pu aussi détenir le chapitre des
Dissertations : la circoncision égyptienne. Dans ce texte, Dom
Calmet regarde la pratique égyptienne comme un volet de sa
démonstration, puisqu'il s'agit de la détacher des pratiques
juives. Il y décrit donc les raisons de la pratique égyptienne
dans les détails1. Ce qui constitue une grande
différence avec le Dictionnaire où il se contente de la
ramener aux usages et aux raisons naturelles. Or, Mirabeau revient par deux
fois sur la pratique égyptienne de la circoncision afin de la ramener
à une nécessité physique. En premier lieu, il
apparaîtrait que la pratique favoriserait l'éjaculation lorsque le
prépuce est très long [« L'Akropodie » ; page 108] ; et
en second lieu, la circoncision des femmes devait permettre une meilleure
« approche du mâle » [« L'Akropodie » ; page 111]. Il
établit ainsi la reproduction comme la seule bonne raison qu'il y aurait
à circoncire les hommes et les femmes ; et il semble donc donner raison
aux Égyptiens, à l'inverse des peuples qui la pratiquaient
suivant l'observation d'un principe religieux. Bien que les conséquences
physiques
76 - Inspirations et ressources
de la non-circoncision ne se sont pas décrites dans
les Dissertations (elles peuvent être inventées par
Mirabeau), les raisons d'adopter cette pratique composent l'un des volets de
l'argumentation de Dom Calmet dans ses Dissertations ; car cette
différence constitue à ses yeux une preuve que les Hébreux
n'ont pas reçu la circoncision des Égyptiens. Dom Calmet s'y
attache donc à décrire savamment les différents protocoles
de la circoncision, ce qui aurait pu de source à Mirabeau. Il y a aussi
cette citation de Huet sur Origène qui appuie le fait que l'on
circoncisait les Égyptiennes, et que l'on trouve sur les trois textes.
Mirabeau en recopie une partie en latin dans sa note I de la page 111. Or, sa
note comporte une précision en grec, ô?ò
íõìö?ò (de la jeune fille) ; et ce terme
grec ne se trouve que dans les Dissertations1, et non pas
dans le Dictionnaire. Il serait étonnant que Mirabeau ait
ajouté ce terme selon son bon plaisir ; il devait avoir sous les yeux
cette citation comportant ce terme, et donc il devait avoir ce chapitre des
Dissertations. Comme l'inspiration directe du Dictionnaire
n'est plus à prouver, il aurait donc fait le choix de ne pas
traiter de l'origine de la circoncision s'il possédait effectivement les
deux textes.
Au reste, un dernier élément de «
L'Akropodie » est encore à traiter. J-P Dubost relève une
phrase raturée dans le manuscrit qui n'apparaît dans aucune
édition de l'Erotika Biblion. Elle indique un début de
phrase tronquée à la page 111 que nous mettons en italique :
« Cette pratique subsiste même encore aujourd'hui s'il faut en
croire l'histoire de l'église d'Alexandrie par le père Van Sleb :
on leur coupe une partie du clitoris qui nuirait à l'approche du
mâle [...] »2. L'indication de la
prospérité de la circoncision en Égypte n'est
rapportée que dans le Dictionnaire de Dom Calmet3,
et non pas dans les Dissertations. Toutefois, Dom Calmet ne donne
aucune référence, et il faut que Mirabeau ait trouvé
quelque part l'ouvrage de Johann Michael Wansleb4. Ce qui nous fait
penser qu'il avait avec lui d'autres ouvrages où il tirait des
références ; peut-être notamment, l'article « Effets
de la circoncision » du tome III des Dissertations que nous
n'avons pas pu consulter, mais qui pourrait contenir l'ossature argumentative
du Dictionnaire, en plus de la description des conséquences
physiques qui résulteraient de la non-circoncision exposées par
Mirabeau. Toujours est-il qu'il paraît évident que Mirabeau se
soit inspiré de Dom Calmet et que le déplacement de la question
de l'origine de la circoncision à la circoncision des femmes est
dû à un choix de l'auteur. On peut donc penser que Mirabeau
souhaite ridiculiser non seulement la pratique de la circoncision et la culture
érudite qui s'exerce autour de son origine, mais aussi la signification
sacrée que lui donne le peuple élu. L'alliance avec Dieu lui
apparaît comme l'obéissance à l'ordre primitif qui consiste
à croître à se
1 Idem, note (d), page 418.
2 Cf. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 74.
3 Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible,
éd. cit, tome I, pages 435.
4 Histoire de l'Église d'Alexandrie
fondée par S. Marc, que nous appelons celle des Jacobites
d'Égypte, écrite au Caire même en 1672 et en 1673, par le
P.J.M. Vansleb, à Paris, chez la Vve Clousier, 1677.
Ressources bibliques - 77
multiplier ; c'est l'injonction de la procréation, et
à ce titre, la circoncision n'est nécessaire que lorsqu'elle
empêche l'accouplement.
À travers les différents exemples que nous
avons soulevés, il nous a été possible de délimiter
le corpus sur lequel Mirabeau aurait pu s'appuyer pour écrire
l'Erotika Biblion. Son appareil biblique apparaît en grande
partie redevable à un commentateur, Dom Calmet, qui lui fournissait non
seulement de la culture biblique, mais aussi de la matière à
réflexion. On ne peut toutefois pas dire que Mirabeau a écrit un
ouvrage pieux et respectueux des dogmes chrétiens. Il y a ajouté
beaucoup d'anecdotes et de détails provenant de la culture profane ou
païenne pour construire son discours. Il s'agit alors de retrouver toutes
ces ressources afin de compléter la définition de son corpus et
de dessiner sa compréhension de la spiritualité.
Une Spiritualité indéterminée
Nous avons déjà vu que l'ouvrage est bâti
autour d'un projet anthropologique et d'une lecture des livres sacrés.
Dans l'Erotika Biblion, l'un ne va pas sans l'autre ; et il
apparaît évident que la façon dont Mirabeau comprend la
spiritualité justifie son projet anthropologique. Il s'agit donc
d'étudier la logique qui les relie, et qui donne une certaine
cohérence à toute son oeuvre. Nous avons déjà
tenté au chapitre précédent, une réunification de
l'ouvrage par une étude thématique et nous avons abandonné
l'ambition de le réduire à une seule et même signification.
C'est pourquoi nous proposons ici une étude limitée à
certaines notions traitées par Mirabeau, et qui nous semblent être
les clefs d'une compréhension satisfaisante de l'intention de
l'ouvrage.
En philosophe, Mirabeau traite dans l'Erotika Biblion
de certains points appartenant à la matière religieuse. Que
ce soit des questions dogmatiques, comme l'androgynie d'Adam, l'âme, ou
des anecdotes historiques appartenant à quelques ordres religieux, il
les relève dans son texte comme des traits particuliers et curieux qu'il
s'agit de commenter pour développer une philosophie autour d'un projet
anthropologique. On sait qu'il était en possession d'un corpus savant
très élargi traitant de différentes confessions, et de
différentes philosophies ; pourtant ses propres commentaires ne
s'inscrivent pas vraiment dans une offensive contre le moralisme chagrin, le
despotisme et l'imposture de l'Eglise qui sont pourtant des thèmes
très débattus pendant le XVIIIe siècle. Comme
nous l'avons vu, beaucoup de références sont inventées,
détournées ou amputées ; notre analyse cherchera
maintenant à les rétablir pour saisir la logique de composition
de l'Erotika Biblion et déterminer les grandes lignes de son
interprétation des textes sacrés.
78 - Inspirations et ressources
Invention et recomposition
Il semble évident que Mirabeau prend un grand plaisir
à ridiculiser le monde religieux ; on entend par là, certaines
sociétés, les jansénistes et les jésuites
notamment, et certains Pères dont les noms sont encore à
vérifier. Ces moqueries sont disséminées à travers
les chapitres ; toutefois, on peut distinguer parmi elles, trois occurrences
dans lesquelles elles sont plus qu'une évocation ou une allusion ; elles
prennent toutes l'apparence d'une anecdote qui fait office de moteur
d'argumentation. La première occurrence se situe dans le chapitre «
Anélytroïde », lors de la démonstration autour de la
fille imperforée [« Anélytroïde » ; page 34],
c'est un passage que nous avons déjà relevé ailleurs ; la
deuxième constitue la méthode inventée par les
Pères Conning et Coutu pour se faire des prépuces [«
Akropodie » ; page 113] ; et la dernière est l'aventure
narrée en vers des missionnaires jésuites envoyés en Chine
[« L'Anoscopie » ; page 163]. À l'inverse des autres, ces
occurrences font intervenir plusieurs acteurs prenant part à la
démonstration ou à la fiction. Il s'agit de vérifier
chaque référence et d'étudier leur articulation dans le
texte. Nous nous concentrons sur la première et la troisième
occurrence, car la méthode des Pères Conning et Coutu a
été analysée par J-P Dubost, et elle montre une
déformation des noms de deux auteurs de traité de
théologie du XVIIe siècle, Aegidus de Coninck et
Antonio de Couto1.
« L'Anélytroïde » contient un point
important de l'Erotika Biblion. Mirabeau y formule la volonté
de réinterpréter la Bible, car il juge que la
compréhension de l'Écriture a toujours été soumise
à l'orgueil des commentateurs ; et que par conséquent, si l'on
use de sa raison pour réfléchir sur les livres saints, on ne
trouvera dans les commentaires que des absurdités et des aberrations.
Son projet est donc de proposer une lecture saine de la Bible
dénuée de tout préjugés et de toute
considération tenant à la bienséance et qui seraient
prescrites par une norme morale, par les goûts et par l'éducation
d'une époque.
Une des sources du discrédit où les livres
saints sont tombés, ce sont les interprétations forcées
que notre amour-propre, si orgueilleux, si absurde, si rapproché de
notre misère a voulu donner à tous les passages que nous ne
pouvons expliquer. De là sont nés les sens figurés, les
idées singulières et indécentes, les pratiques
superstitieuses, les coutumes bizarres, les décisions ridicules ou
extravagantes dont nous sommes inondés. [«
L'Anélytroïde » ; page 28]
Ce point est important parce qu'il détermine un fil
conducteur logique de son appréciation de la spiritualité. En
somme, il propose de comprendre l'Écriture et d'adorer Dieu non pas par
la foi, mais par la raison ; ce qui constitue le coeur d'un raisonnement
philosophique initié un siècle plus tôt par
1 Voy. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, bas de la note 66, page
131.
1 Cf. Chap. VII du Tractatus
Theologico-Politicus, Spinoza, Hamburgi, apud Henricum
Künrath, CI? I? CLXX, 1670. Et nous rappelons ici que notre étude
ne cherchera pas à rétablir les fondements théologiques de
l'ouvrage.
Une Spiritualité indéterminée -
79
Spinoza qui s'essaye déjà à soumettre la
foi à la raison1. Pour Mirabeau, Dieu est bon ; et par
conséquent, il aurait donné la raison à l'homme pour qu'il
ait une meilleure connaissance de son créateur. Donc, comme pouvaient le
faire les anciennes communautés religieuses, telles que les Basiliciens,
les Carpocratiens et les Adamites, la parole et la volonté de Dieu sont
à comprendre dans leur sens littéral, sans chercher des
inventions qui résistent à la raison. Ces sociétés
témoigneraient d'une jouissance d'essence divine, car elles «
regardaient la jouissance des femmes en commun comme un privilège de
leur rétablissement dans la justice originelle », et qui
appliquaient à la lettre, l'injonction divine « Croissez et
multipliez » [« L'Anélytroïde » ; page 33]. On peut
dès lors avancer que le fil logique de l'argumentation est de
considérer la pérennité d'une société
religieuse comme l'indice d'une bonne interprétation de
l'Écriture ; plus une société a perduré dans le
temps, plus elle était proche de la vérité et de la bonne
conduite à adopter selon les textes sacrés.
Bien que le texte de Mirabeau compare les anciennes
sociétés religieuses avec les contemporaines, il s'emploie
surtout à décrédibiliser la Compagnie de Jésus. Sa
connaissance des anciennes sociétés lui provient de la lecture du
Dictionnaire de Bayle, et de l'Encyclopédie de Diderot
et D'Alembert ; tandis que les anecdotes concernant les jésuites
proviennent en partie de son imagination. Il semble donc décidé
à leur refuser un jugement positif sur leur compréhension de
l'Écriture, et pour ce faire, il parsème son texte d'anecdotes se
moquant de leurs actes et de leur entendement des textes sacrés. Mais
comme il ne peut nier que, bien qu'elle ait été mise à mal
au XVIIe siècle suite aux conflits avec les
Jansénistes, la Compagnie de Jésus perdure, bien
qu'expulsée d'Europe, et qu'elle n'est pas prête à
disparaître, il lui faut inventer des raisons de son prochain
effondrement. Notre étude dissèque la démonstration autour
de la femme privée de vulve, éléments après
éléments, afin de définir ce qui ferait défaut
à la Compagnie de Jésus aux yeux de Mirabeau ; ainsi, nous
pourrons délimiter une philosophie et en ressortir plusieurs points sur
son appréciation de la spiritualité.
L'Anecdote du médecin Louis et des Pères
Cucufe et Tournemine
La démonstration du chapitre «
L'Anélytroïde » de la « fille privée de la vulve
en apparence [qui] doit trouver dans l'anus des ressources pour remplir le voeu
de la reproduction, la première et la plus inséparable des
fonctions de notre existence » [« L'Anélytroïde » ;
page 35], se situe à la fin du chapitre, après que le discours
ait introduit l'androgénie d'Adam selon un commentaire sur la
Genèse. Ce n'est que le début de cette
démonstration en chaîne ; elle est reprise dans le chapitre
80 - Inspirations et ressources
suivant, « L'Ischa », puis au sixième chapitre
dans « L'Anandryne ».
L'anecdote qui nous intéresse fait intervenir
plusieurs acteurs appartenant à trois mondes différents autour
d'une querelle d'ordre moral sur la possibilité de procréer par
la parte poste : le monde religieux est représenté par
les Pères Sanchez, Cucufe et Tournemine, le pape Benoît XIV, et
les casuistes de la Sorbonne ; le monde scientifique est
représenté par le médecin Louis, secrétaire
perpétuel de l'académie de chirurgie, et la faculté de
chirurgie de Paris ; enfin, le monde législatif est
représenté par le Parlement de Paris. Dans une note, Dubost
avance que l'anecdote est sans aucun doute, une pure invention ; il ne donne
donc pas de référence et ne propose pas non plus
d'analyse1. De même, concernant cette anecdote, la
Congrégation accuse Mirabeau d'obscénité et d'ignorance ou
de calomnie selon le uotum en portant sur ce passage2. Si
l'on ne peut que les croire, la question est de savoir si les acteurs ont aussi
été inventés, et si l'affaire dont parle Mirabeau ne
présente pas des similitudes avec une autre du même ordre moral.
Et justement, son texte contextualise suffisamment l'anecdote pour nous donner
plusieurs pistes à suivre ; il nous donne même une date, ce qui
n'est pas une précision anodine. De plus, les cadres narratifs de
l'anecdote présentent les événements dans un certains
ordre : les jésuites Sanchez, Tournemine et Cucufe affirment d'abord que
l'anélytroïde peut procréer ; ils sont ensuite
attaqués pour leur thèse ; puis le pape Benoît XIV, selon
leurs considérations, lève les condamnations morales sur la
sodomie. Alors, l'affaire prend une toute autre tournure, et les
événements s'accélèrent.
En effet, M. Louis, secrétaire perpétuel de
l'académie de chirurgie, a soutenu en 1755 la question sur les bancs. Il
a prouvé que les anélytroïdes pouvaient concevoir, et des
faits consignés dans sa thèse, imprimée avec
privilège, le démontrent. Malgré cette
authenticité, le parlement ne manqua pas de dénoncer la
thèse de M. Louis comme contraire aux bonnes moeurs. Il fallut que ce
grand, et non moins ingénieux et malin chirurgien, recourût aux
casuistes à la Sorbonne. Alors il montra facilement que le parlement
prononçait sur une question qui n'est pas plus de sa compétence
que l'émétique. Et le parlement ne donna aucune suite à la
dénonciation. [« L'Anélytroïde » ; page 36]
L'objectivité de l'emploi de la troisième
personne du singulier, l'enchaînement rythmé de phrase simple, les
articulations logiques et les précisions circonstancielles de temps et
de lieu du texte présentent les faits structurant la narration comme
réels. Mais vu l'invraisemblance de l'objet de la démonstration
du médecin, il faut définir le faux en reprenant tous les
éléments.
Nous avons déjà évoqué les
travaux de Sanchez précédemment, et le pape Benoît XIV, dit
le « Pape des Lumières », qui voulait restaurer la foi selon
les dernières découvertes scientifiques. Dans l'absolu, il se
pourrait que le récit de Mirabeau ait un fond de vérité.
Le nom de Tournemine, malgré
1 Cf. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 26, page 124.
2 Cf. La Lettre clandestine,
numéro 25, dirigée par Pierre-François Moreau et Maria
Susana Seguin, Paris, Classiques Garnier, 2017, pages 28 et 29.
Une Spiritualité indéterminée -
81
le fait qu'il soit bien compatible avec le ton des romans
pornographiques d'époque, est reconnu par la Congrégation qui
l'accuse lui et Sanchez, d'imposture théologique1. Nous
n'avons rien trouvé sur Cucufe par contre, même en regardant chez
Dom Calmet. Il faut dire que la graphie du -s au XVIIIe
siècle peut induire en erreur ; on aurait confondu le -s long avec le
-f, car il s'écrit différemment lorsqu'il est situé entre
deux lettres. Dubost et Apollinaire l'ont donc orthographié
Cucufe2, mais Charles Hirsch a opté pour
Cucuse3. Après des recherches sur Cucuse, nous avons
pu rapprocher le personnage de la ville de Cucuse qui se trouve en
Arménie et dans laquelle Saint Jean Chrysostome a été
exilé en mars 404 après JC, suite à des problèmes
répétés sur son comportement. On ne peut expliquer ce
rapprochement que par les recherches de Chrysostome sur la moralité dans
la Bible, car il voulait éviter que les propos possiblement
scandaleux ; c'est en grande partie ce que l'on peut comprendre de son
traité. D'ailleurs, il s'y trouve certains passages qui sont assez
proches de l'Erotika Biblion. Ils concernent une réflexion sur
les moeurs décrites dans la Bible, ainsi que l'attitude qu'il
faut adopter envers ceux qui y cherchent des obscénités et des
sujets à scandale.
De même les divines Écritures, à combien
de personnes ont-elles été un sujet de scandale ? à
combien d'hérésies ont-elles donné occasion ? fallait-il
donc anéantir les divines Écritures à cause de ceux qui en
ont pris un sujet de scandale, ou ne les pas donner dès le commencement
? [...] Ne m'opposez donc pas ceux qui se perdent, car, comme je vous l'ai dit
dans mon dernier Traité, aucun de ceux qui ne font pas tort à
eux-mêmes, n'en recevra jamais par autrui, quand même il serait en
danger de perdre la vie.4
Nous ne faisons pas ce rapprochement en vain. Mirabeau avait
l'habitude de détourner les textes et les pensées d'autrui ; il
se pourrait très bien qu'il ait agit ainsi avec les textes de Saint Jean
Chrysostome. Qui plus est, il est curieux de voir apparaître ce Cucuse ou
Cucufe seulement au sein de ce chapitre, « L'Anélytroïde
», où l'on discute de la bonne interprétation à
donner de l'Écriture. La réflexion de Saint Jean de Chrysostome
présente des similitudes troublantes avec celle de Mirabeau. Le texte de
Chrysostome renvoie les convictions personnelles sur les textes sacrés
à une question de vie ou de mort ; tout comme le texte de Mirabeau qui
fait intervenir les autorités religieuses et législatives pour
décider des conséquences de la pratique anale, déterminant
ainsi une clause de moralité qui peut entrer en conflit avec les
convictions personnelles sur les textes sacrés. Il ne s'agit pas
d'attribuer indirectement la thèse de l'anélytroïde à
Saint Jean de Chrysostome, car il y a un gouffre. Le rapport entre ces deux
textes montre juste la signification et l'enjeu de l'anecdote,
1 Elle montre aussi que les deux jésuites
ne se sont jamais rencontrés, car Sanchez est mort 50 ans avant la
naissance de Tournemine. Cf, La Lettre clandestine, numéro 25,
éd. cit, ibid.
2 Cf. Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 39 ; L'oeuvre du
Comte de Mirabeau, introduction, essai bibliographique et notes par
Guillaume Apollinaire, Paris, Bibliothèque des curieux, 1921, page
63.
3 Cf. Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard, 1984, page 481.
4 Lettres de Saint Jean Chrisostome, traduites
sur le grec, avec approbation et privilège du Roi, tome premier,
Paris, chez Pierre Gandouin, 1732, page 478.
82 - Inspirations et ressources
et non pas la véracité des faits ; il ne fait
que confirmer l'entreprise présentée au début du chapitre,
à savoir, la révision de l'interprétation des textes
sacrés.
Il nous a été plus compliqué de
déterminer la référence au médecin chirurgien
Louis, qui aurait été le secrétaire perpétuel
à l'académie des sciences selon le texte de Mirabeau. Plusieurs
pistes se sont présentées ; il pouvait s'agir du nom de l'auteur,
Louis Le Nain de Tillemont qui a écrit un mémoire dans lequel un
chapitre « Eguillon de Dieu » est consacré à l'histoire
de St Chrysostome1 ; ce titre aurait pu être
suffisamment évocateur, et être facilement détourné,
pour que Mirabeau s'y intéresse. Mais cela n'expliquait en aucun cas
l'appartenance du personnage au monde scientifique. Nous nous sommes donc
dirigés vers le chirurgien Antoine Louis, célèbre pour
avoir été le médecin légiste lors de l'affaire
calas (1761-1762) ; il a d'ailleurs été immortalisée par
le Traité de la tolérance de Voltaire2 dans
lequel il tient un rôle très louable. Mais ses travaux en
médecine ne portent pas sur les thèses du personnage de Mirabeau.
Pour la plus grande partie, il s'agit d'essais sur les distinctions que l'on
peut faire entre un suicidé et un assassiné, et le protocole que
le légiste doit adopter pour manipuler le corps de la victime afin de
préserver les preuves. Nous avons même envisagé que
Mirabeau parlait de Louis, c'est-à-dire,
lui-même. Étant enfant, il avait l'habitude de s'adresser
à lui-même par « Monsieur moi »3. Il
aurait pu vouloir exacerber sa facette de défenseur des causes
judiciaires ; puisqu'il avait aussi pris l'habitude d'intervenir en tant
qu'avocat lors de maints procès, ce qui lui permettait de mettre en
pratique, non sans plaisir, toute l'étendue de son éloquence et
de sa rhétorique. Mais cela n'expliquait pas que le personnage soit
spécifiquement un médecin.
C'est grâce à la date que nous avons
trouvé la référence la plus convaincante : en 1755 furent
pratiquées les premières inoculations en France. Peu de temps
après les premières injections, l'opinion publique pensant que
c'était une folie de guérir le mal par le mal, porta l'affaire au
Parlement pour en obtenir un décret qui interdirait la pratique. La
structure narrative de l'anecdote du médecin Louis présente des
similitudes troublantes avec le déroulement de l'affaire autour de
l'inoculation en France. De même, un médecin, M. de la Condamine,
qui en était le défenseur, devait répondre des raisons de
la pratiquer face aux autorités législatives, scientifiques et
théologiques. On trouve justement dans les oeuvres de Condorcet, un
éloge à ce médecin qui tînt bon malgré les
difficultés.
L'inoculation, toujours combattue, faisait toujours des
progrès. On essaya d'effrayer le
1 Mémoires pour servir à
l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Louis
Lenain de Tillemont, tome XI, Paris, chez Charles Robustel, 1706.
2 Cf. Traité de la tolérance,
Voltaire, à l'occasion de la mort de Jean Calas, 1763.
3 Voy. « Sur Mirabeau »,
Littérature et Philosophie mêlées, Victor Hugo, La
Haye, G. Vervloet, 1834, page 256.
Une Spiritualité indéterminée -
83
gouvernement ; on osa même invoquer le nom de la
religion ; enfin, à force de cris et de faits, ou exagérés
ou faux, on obtint, du parlement, un arrêt qui, dans la vue, sans doute
très sage, de prévenir les épidémies que l'usage
imprudent de l'inoculation pouvait multiplier dans les villes, mit des entraves
à la liberté d'inoculer. [...] La faculté de
médecine, et même la faculté de théologie furent
consultées. Celle de théologie répondit prudemment, que
tout ce qui était salutaire aux hommes était agréable
à Dieu, et qu'il n'appartenait qu'aux médecins de juger de
l'utilité des remèdes. La faculté de médecine donna
deux rapports contraires, et chacun fut signé par un égal nombre
de médecins. [...] Pendant toute cette dispute, M. de la Condamine
n'avait cessé de la défendre [l'inoculation] par des
raisonnements, par des faits, et même par des plaisanteries
[...].1
On retrouve par ailleurs, une autre édition de ce
texte dans la bibliothèque de Mirabeau vendue à sa
mort2. Les similitudes avec « L'Anélytroïde »
sont frappantes ; le cadre narratif étant le même, on peut penser
que la fiction de Mirabeau s'est inspirée de l'histoire de M. de la
Condamine et de l'inoculation. L'anecdote de l'anélytroïde n'est
donc pas une pure invention et sa signification n'est pas moindre. Avec elle,
il s'agit de montrer que la conviction personnelle, quand elle est
raisonnée, est manifestement dans la vérité. Et ce,
même lorsque la multitude, et des siècles de discussion qui la
contredisent, sont contre elle. L'anecdote est en fait un argument contre les
raisonnements communément admis sur la Bible, qui impliquent
des jugements moraux pouvant amener l'interdiction de certaines pratiques.
Finalement, Mirabeau avance que les raisons pour condamner les pratiques
sexuelles contre-nature sont non fondées, car on peut donner, par
conviction personnelle, une autre interprétation de la Bible
qui serait bien plus dans la vérité. Et le seul moyen pour
s'assurer qu'elle serait bien fondée, est de construire sa conviction
par la raison et les connaissances avérées par l'observation de
la nature, sans vouloir forcer les passages bibliques qui résistent aux
analyses.
Du moment où vous admettez que la Bible est
faite pour l'univers, songez que l'on sait aujourd'hui bien des choses que l'on
ignorait il y a quarante siècles, et que dans quatre mille autres
années, ou saura des faits que nous ignorons. Pourquoi donc vouloir
juger par anticipation ? [« L'Anélytroïde » ; page 29]
La science aurait donc un rôle à jouer, car elle
serait non seulement capable de démontrer un phénomène par
des faits, mais aussi elle développerait des raisonnements qui
éclairciront les passages bibliques encore obscurs. C'est exactement
cette méthode que propose d'investir Mirabeau dans la suite de
l'ouvrage, dessinant ainsi une certaine appréciation de la
spiritualité.
Il nous reste à analyser la raison pour laquelle
Mirabeau a choisi de travestir sa démonstration par un récit
fictif, plutôt que de s'en tenir à une version plus vraisemblable.
La réponse se situerait
1 « Eloges des Académiciens de l'Académie
royale des sciences », OEuvres complètes de Condorcet,
Tome 1, Paris, Chez Henrichs, 1804, page 239.
2 Eloges des Académiciens des deux
Académies Française et des Sciences, par MM. D'Alembert et
de Condorcet, Paris, Panckouke, 2 volumes, 1773 et 1779 ; Cf. Catalogue des
Livres de la bibliothèque de feu M. Mirabeau l'ainé, Paris,
Rozet et Belin, 1791, page 434.
1 Ce passage se trouve dans « La Tropoïde
» ; et nous avons déjà développé ce point dans
une précédente étude.
84 - Inspirations et ressources
plutôt dans la suite de l'ouvrage. Mais pour s'en tenir
à ce chapitre, on pourrait penser que les péripéties
autour de la thèse de l'anélytroïde illustreraient celles
rencontrées par la thèse de l'inoculation. Car ce qui a fait
obstacle à la pratique de l'inoculation est en fait l'opinion commune
née de la peur de se voir souillé par le mal. Mirabeau la
désigne sous le terme de « bonnes moeurs » [«
L'Anélytroïde » ; page 36]. Il souhaite peut-être
secouer les idées reçues - ce n'est pas anodin que ce chapitre
soit placé au début de l'ouvrage - mais il s'agit surtout de les
investir par l'obscénité en ponctuant son texte
d'interprétations bibliques du même calibre ; car il estime
qu'elles sont menées et façonnées par des
déclamateurs et des moralistes qui citent la Bible en la
présentant comme un modèle de perfection morale1. Sa
stratégie, tout comme l'inoculation, serait de guérir le mal par
le mal. Et ce faisant, il s'attaque à la pudeur, aux
préjugés et à la bienséance que nous avons
définis comme des prescriptions d'une norme morale qu'il outrage autant
qu'il le peut. Il estime qu'elles sont nées des conventions sociales
apportées par les habitudes et les usages, que l'on peut déceler
autant dans les attitudes que dans le langage. La nocivité de ces
conventions est d'ailleurs l'objet de la démonstration du dernier
chapitre, « La Linguanmanie ». Pour l'heure, il essaye de
définir les bornes que les bonnes moeurs répugnent à
franchir en tirant de la Bible des anecdotes qui choquent le
goût commun. En l'occurrence, il existe un bon nombre de ce genre de
passage dans l'Écriture. Mirabeau ne cherche pas à les expliquer
; il les présente seulement comme relevant de la
révélation, et donc comme devant être obligatoirement
dégagés de toute appréciation morale. C'est un point
important pour la bonne compréhension de l'ouvrage. Mirabeau n'a pas
cherché à dresser le tableau des obscénités
bibliques pour le plaisir ; sa démarche est une tentative de
débarrasser de l'interprétation biblique toute lecture
allégorique, qui puise de facto dans les goûts et les
moeurs d'une époque. Voilà la raison pour laquelle nous avons mis
un texte en exergue de notre étude qui rapporte l'incompréhension
autour de l'histoire d'Onan.
Pour achever notre étude sur ce point, nous proposons
une dernière illustration qui se situe à la fin de «
L'Akropodie ». Il s'agit d'une référence à
Ézéchiel « qui étendait sur son pain cet
étrange ragoût, lequel Dieu, par un miracle, qui ne paraît
pas à tout le monde digne de sa bonté, convertit en fiente de
boeuf » [« L'Akropodie » ; page 117]. Ce passage clôture
la présentation des goûts bizarres pour la circoncision et les
prépuces. Le texte donne cette anecdote pour démontrer que la
volonté de lire la Bible pour retrouver les goûts et les
usages de l'époque, en un mot les moeurs, ne constitue en aucun cas une
bonne compréhension de l'Écriture, car elle ne peut pas
s'appliquer à la Bible en son entier. Par conséquent les
lectures tropologiques et allégoriques ne constituent pas une
méthode fiable pour interpréter les textes sacrés. Et
effectivement, certains passages de l'histoire d'Ézéchiel ont
Une Spiritualité indéterminée -
85
longuement subi la discrimination de la bienséance,
comme le souligne d'ailleurs l'article « Ézéchiel »
dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire.
Plusieurs critiques se sont révoltés contre
l'ordre que le Seigneur lui donna [Ézéchiel] de manger, pendant
trois cent quatre-vingt-dix jours, du pain d'orge, de froment et de millet,
couvert d'excréments humains. [...] Comme il n'est point d'usage de
manger de telles confitures sur son pain, la plupart des hommes trouvent ces
commandements indignes de la majesté divine.
Pour Mirabeau, cette attitude discriminatoire implique des
travers moraux qui font que les bonnes moeurs sont fondées dans l'erreur
et encouragées à y persévérer. Si l'on suit son
raisonnement, une bonne étude de la Bible ne pourrait donc en
tirer des considérations morales que si ses méthodes d'analyse
s'appliquent à tout le texte biblique. C'est la raison pour laquelle il
reproche aux sociétés religieuses qui ont traduit la Bible
en langue vulgaire, d'avoir omis ou remplacé les termes
jugés impurs, comme par exemple les jansénistes qui « ont
prétendu qu'on ne pouvoit pas mettre les prépuces dans la bouche
des jeunes filles lorsqu'on leur faisoit réciter la Bible
» [« Anagogie » ; page 7] ; ce qui empêcherait une
bonne compréhension de l'Écriture, et les sources d'une bonne
méthode analytique ultérieure.1 Pour finir, l'anecdote
d'Ézéchiel est situé à la fin du chapitre «
L'Akropodie » dont l'introduction stipule que les goûts ne doivent
être soumis et ramenés qu'aux attraits que l'on ressent pour un
sexe. Car il est dans l'ordre de la nature que l'espèce humaine doit se
reproduire. Par conséquent la beauté détermine ce qui est
bon, et les goûts ne doivent pas s'écarter de la beauté et
de l'ordre naturel. Il fallait donc que l'anélytroïde puisse
procréer pour donner toute sa justesse à la démonstration
de « L'Akropodie ». Cette cohérence de facture peut nous faire
penser que « L'Akropodie » a été écrit avant
« L'Anélytroïde ». Mais cela n'est malheureusement pas
suffisant pour expliquer l'ordonnément de l'ouvrage choisi par
Mirabeau.
À la fin de l'étude sur ce chapitre, il nous
semble que nous n'avons pas assez fait apparaître les défauts que
reproche Mirabeau à la théologie catholique et à sa
mauvaise appréciation de la Bible. De fait, l'anecdote de
l'anélytroïde montre que Benoît IV et les jésuites
n'étaient pas dans l'erreur, mais plutôt du côté de
la vérité. Toutefois, ils n'étaient pas du
côté de la raison, puisque leurs raisonnements ne relevaient pas
de leur matière ; nous l'avons d'ailleurs démontré
à travers la description de Sanchez dans notre étude sur l'ironie
savante. Et donc, si nous pouvons être dans la vérité sans
être dans la raison, il s'agirait d'une contradiction de la part de
Mirabeau. Il n'en est rien, car il distingue la réalité et la
vérité : la démonstration du médecin aurait
tiré la vérité de
1 Au passage, nous faisons remarquer au lecteur
que l'actuelle traduction de Jérusalem de la Bible a
persévéré dans l'aseptisation de ces termes ; le mot
hémorroïde est par exemple, remplacé par tumeur
et le groupe nominal anus d'or par images de vos
tumeurs. Livre de Samuel, I, ch. V, v. 9. et ch. VI, v. 5 et 6.
Cf. La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la
direction de l'Ecole biblique de Jérusalem, nouvelle édition
revue et corrigée, Les Editions du Cerf, 1998, page 379.
Entre les deux anecdotes se situe un récit relatant
les exercices des jésuites qui visent à améliorer leur
influence auprès du Roi. Cette fois, l'anecdote n'a pas
été inventée, ces événements se sont
86 - Inspirations et ressources
l'observation de la réalité ; tandis que les
théologiens ont supputé une possibilité théorique
à partir d'une analyse des textes. En somme, la théologie se doit
de prouver et d'appuyer par ses études les avancées
scientifiques, et non de s'aventurer dans des supputations présentant
d'ailleurs le risque de cloisonner moralement ses raisonnements. Il suffit
juste de remarquer l'ordre que met Mirabeau entre les sciences dans ce
même chapitre ; il s'agit « de lier toujours la science de la nature
avec celle de la théologie » [« L'Anélytroïde
» ; page 28], et non l'inverse. Mirabeau reproche donc à la
théologie d'essayer de tirer une morale de la Bible, mais en
plus, de le faire sans les méthodes qui leur permettent d'être
dans la vérité, à savoir, celles qui relèvent de
l'observation de la nature et qui appartiennent aux sciences de la nature.
Nous proposons plus loin une étude sur l'articulation
entre la morale et la nature. Pour l'heure, il s'agit de continuer
l'étude sur la spiritualité développée dans
l'Erotika Biblion à travers un second exemple que nous
déjà présenté plus haut : l'histoire des
missionnaires jésuites envoyés en Chine. À l'inverse de
l'anecdote sur l'anélytroïde, nous n'avons trouvé cette
fois, aucune référence pouvant éclairer le fondement de
véracité de cet extrait. L'étude que nous proposons
poursuit donc le développement que nous avons commencé autour de
l'analyse des bonnes moeurs, et plus précisément sur le langage
qui transmettrait les habitudes et les usages que Mirabeau cherche à
dénoncer.
Le Mensonge des mots
Comme nous l'avons indiqué précédemment,
« L'Anoscopie » contient la dernière occurrence d'une
intervention directe de la Compagnie de Jésus dans la
démonstration. Cette anecdote, qui prend la forme d'un poème en
vers, est introduite par le bref exposé des charlatans rapportés
par la Bible, qui se serviraient de la superstition pour tromper le
peuple et faire en sorte que leur parole soit assimilée à celle
de Dieu. Mirabeau rapproche donc les jésuites des charlatans par le fait
qu'ils croient tous sincèrement être des élus de Dieu
qu'une foi aveugle protège du mauvais sort par des miracles et que leurs
mensonges, qu'ils en soient conscients ou non, ne sont pas condamnables s'ils
servent l'oeuvre de Dieu. On aurait aussi l'impression que ce n'est plus
l'opinion commune, les bonnes moeurs, que Mirabeau cherche ici à
atteindre. Ce chapitre ridiculise les jésuites par deux anecdotes :
l'étrange baromètre jésuite, et l'élévation
d'un novice jésuite pour avoir forniqué avec un Juif dans le but
de le convertir. Il faut donc que Mirabeau estime que ces histoires ont un
rapport avec la correction des bonnes moeurs ; et c'est dans l'influence dont
dispose la Compagnie de Jésus que se trouve l'articulation philosophique
permettant de lier les deux.
1 Erotika Biblion, édition
critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 131, page 139. Nous
proposons aussi au lecteur de regarder à l'article « ARUSPICE
» à titre purement informatif.
Une Spiritualité indéterminée -
87
effectivement déroulés. Il faut noter que
Mirabeau a dû s'inspirer en grande partie sur l'article « CLYSTERE
» de l'Encyclopédie, comme l'a souligné J-P Dubost
dans un rapide commentaire1. Cette affaire tournait autour du choix
du mot qu'il fallait employer pour désigner le traitement contre les
problèmes intestinaux, et notamment les hémorroïdes. On
désignait en général ces maladies sous le nom de
cristalline dont nous avons déjà dit un mot
précédemment.
Les Jésuites qui voyaient que le mot ignoble de
lavement avait succédé à celui de
clystère, gagnèrent l'abbé de S. Cyran, et
employèrent leur crédit auprès de Louis XIV, pour obtenir
que le mot lavement soit mis au nombre des expressions
déshonnêtes [...]. On substitua donc le mot remède
à celui de lavement. Remède comme
équivoque parut plus honnête, et c'est bien là notre genre
de chasteté. [« L'Anoscopie » ; page 167]
Par la consistance du mot remède, Mirabeau
analyse la chasteté de la langue comme autant d'écarts à
la réalité pouvant tromper le peuple. L'équivoque qui
permettrait de voiler la réalité, apparaît comme la
ressource de ceux qui cherchent à tromper les autres et eux-mêmes
pour renforcer la foi. Plus le mot est équivoque et obscur, plus la
tromperie serait grande. Et les bonnes moeurs en seraient affectées
parce que l'habitude de se tromper et de tromper serait contenue dans le
langage utilisé de tous. Là aussi Mirabeau guérirait le
mal par le mal. Que ce soit par le dispositif éditorial - que nous avons
déjà étudié - qui prête faussement
l'édition de l'ouvrage à l'Imprimerie du Vatican, le titre des
chapitres entretenant un jeu herméneutique sur les langues anciennes, ou
tout simplement, ses inventions qui cherchent la tonalité de la
véracité sans pouvoir prétendre être
crédibles, l'équivoque est entretenue tout au long du texte.
Seulement, Mirabeau utilise des codes littéraires bien connus des
lecteurs d'alors pour masquer la fictionnalité : les fausses
références d'édition étaient une pratique
très répandue et les topoi du manuscrit trouvé
sont tous présents dans le chapitre « Anagogie », etc... Sa
tromperie est donc elle-même prise en dérision, et ce, juste pour
montrer qu'il y a eu tromperie ; ce paradoxe renforce ses réflexions sur
la clarté et la transparence du langage jusqu'à rendre
l'Erotika Biblion plus honnête que les paroles des
jésuites. Il n'y a plus qu'un pas pour ajouter l'exigence de
clarté à une bonne interprétation de la Bible :
plus l'interprétation serait simple et honnête, et plus elle
serait dans la vérité.
Dans « le Mensonge des mots », nous avons
soulevé brièvement la réflexion de Mirabeau sur
l'articulation de l'équivocité du langage avec la corruption des
moeurs. Or, il n'existe que deux chapitres de l'Erotika Biblion
où le langage est étudié ; l'étude du langage
des Saturniens dans le premier chapitre « Anagogie », et
l'étude du langage en tant que témoin du
dérèglement des moeurs
88 - Inspirations et ressources
dans le dernier chapitre « La Linguanmanie ». Jean
Pierre Dubost considère que le premier chapitre constitue une utopie
dont la réflexion sémiologique permet de révéler
une cohérence philosophique dans l'Erotika Biblion avec les
thèses métamorphistes. Nous proposons donc à la suite de
notre étude sur la spiritualité, une réflexion sur
l'importance que Mirabeau accorde au langage dans sa réflexion sur les
moeurs.
Réflexion sur le langage
En premier lieu, il faut rappeler ce que nous avons dit des
Saturniens : ce sont des êtres décrits comme des pensées,
des formes ou des émanations. Leur langage n'est pas fait de mots, mais
de sensations qui permettent de délivrer un message sans
dénaturation. Nous ne reprendrons pas ici, le développement de la
métaphore coïtale ; car elle ramènerait les Saturniens aux
sensations électriques éprouvées lors de l'accouplement et
serait donc impertinente sur une étude du langage.
L'étude de J-P Dubost repose sur un rapprochement
entre l'argument saturnien de Diderot qui se trouve dans le Rêve de
d'Alembert et la fiction saturnienne de Mirabeau. On relève
beaucoup de références à Saturne dans la
littérature du XVIIIe siècle ; la plus
célèbre est sans conteste le Micromégas de
Voltaire. Seulement, Diderot n'utilise pas Saturne pour en faire une fiction ;
la référence à la planète lui permet d'introduire
les effets des variations matérielles auxquelles chaque être
vivant est soumis ; car « si une distance de quelques mille lieues change
mon espèce, que ne fera point l'intervalle de quelques milliers de
diamètres terrestres ?1 » Cette distance permet
d'introduire le questionnement de d'Alembert qui se demande si le « flux
général » de l'univers - chaque chose vivante est soumise en
permanence au mouvement - aurait permis la création d'être pensant
et sentant dans Saturne. La conformation générale de chaque
être dépend de son environnement et de ses habitudes : plus il
fera d'effort pour se mouvoir et répondre à ses besoins, plus son
corps, avec le temps, lui facilitera la tâche en modifiant son enveloppe
corporelle selon les stimuli. En postulant le monde comme un ensemble d'une
même matière parcouru d'un seul flux procédant d'une
transformation permanente de la matière 2 , son argument
saturnien devient l'hypothèse du métamorphisme.
L'enjeu pour notre étude sur la spiritualité de
Mirabeau est de taille, car il s'agirait de voir si l'Erotika Biblion
poursuivrait le monisme matérialiste et athée de Diderot.
Jean Pierre Dubost entrevoit dans la société saturnienne
décrite dans le chapitre « Anagogie », un idéal de
perfection que
1 Mémoires, correspondance et ouvrages
inédits de Diderot, publiés d'après les manuscrits
confiés, en mourant, par l'auteur à Grimm, tome IV, Paris,
Paulin, Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXXI,
page 153.
2 Il a en quelque sorte devancé les
découvertes d'Antoine Lavoisier qui a fixé l'équation
élémentaire de la chimie moderne : « Rien ne se perd tout se
transforme ».
Une Spiritualité indéterminée -
89
Mirabeau propose d'atteindre grâce à son projet
anthropologique ; c'est-à-dire qu'il aurait pensé l'exercice des
sens humains dans la vue de perfectionner ses sens et son corps autour de
l'axiome « tout est en un flux perpétuel de jouissance ».
Pour Diderot, l'argument saturnien s'inscrivait dans la
perspective d'un métamorphisme généralisé de la
nature. L'idée qui soutenait son transformisme et que résumait la
formule directement empruntée à Buffon selon laquelle « tout
est en un flux perpétuel » subit chez Mirabeau une torsion majeure
: « tous les êtres sont entre eux dans un flux perpétuel (de
jouissance) ». La nature paradisiaque et originelle des « Saturniens
» rassemble tous les attributs anthropologiques d'un état
d'innocence où la jouissance est l'alpha et l'oméga du
bonheur.1
De fait, la faible apesanteur de la planète
permettrait aux saturniens de saisir les émanations des êtres
environnants qui contiennent leur pensée, leur idée et leur
sentiment ; cette connexion ne souffrant d'aucun équivoque
interprétatif, le langage ne peut être qu'absolument transparent,
voire même inexistant tel que nous le connaissons. Incapables d'oubli,
les Saturniens ne nagent pas moins dans le bonheur : le volontariat est soutenu
par la force du plaisir et la société vit dans le calme et
l'harmonie. Seulement, si l'on suit l'idée de Diderot, c'est le monde
matériel qui permet l'évolution. Et nous avons déjà
étudié les rapports entre la Terre et Saturne dans le chapitre
« Anagogie » pour montrer que le texte ne présente pas la
proposition de moduler le physique de la Terre sur le modèle de Saturne,
et que la comparaison entre les deux planètes est un
procédé narratif visant à faciliter au lecteur la
représentation de Saturne. Mirabeau ne présente donc pas le
langage comme constitutif à l'évolution ; il ne fait aucune
observation sur la concomitance ou l'antériorité du langage
parfait à la société saturnienne. Mais pour Jean Pierre
Dubost, le langage saturnien traduit tout de même la philosophie de
Mirabeau.
En imaginant ce monde idéal où des êtres
infiniment perfectibles communiquerait entre eux dans le bonheur sensuel par
une transmission purement physique et naturelle de leurs pensées, sans
la moindre nécessité d'avoir recours au langage, Mirabeau fait de
façon radicale table rase de toute la réflexion linguistique et
sémiologique de l'époque, qui va de Locke à Rousseau et
Condillac. [...] Si cet étrange tableau par lequel le texte commence
relève moins de quelque naïveté utopique que d'une ironie
ouvertement affichée, il trahit tout de même la pensée
profonde de Mirabeau, hanté par un empirisme radical, par un naturalisme
sans nuance, où les sens, libérés totalement des entraves
de l'équivocité, parleraient un langage absolument transparent,
où toute communication humaine aurait lieu dans un « flux
perpétuel de jouissance ».2
Il est vrai que le langage saturnien est décrit comme
étant parfait et achevé, mais il n'y a pas plus de
précisions et de développements dans le texte. Comme Mirabeau se
contente de le rapporter à des phénomènes
électriques, il n'a donc pas ressenti le besoin de décrire le
rapport signifiant-signifié
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 13.
2 Id, page 14.
90 - Inspirations et ressources
d'un tel langage. De plus, il n'a pas trouvé de
pertinence à discerner dans le langage des Saturniens,
l'élément formant la genèse : la pensée ou le
signe. On peut ajouter que si Mirabeau avait bien compris le texte de Diderot
et qu'il avait voulu l'illustrer d'une fable, il n'aurait pas décrit une
société parfaite tout en sachant que le métamorphisme de
Diderot ne peut théoriquement pas connaître de stade
d'achèvement.
Si la description du langage saturnien ne peut pas faire
office d'une sérieuse réflexion sémiologique, il faut le
replacer dans l'organisation du chapitre. En l'occurrence, il s'avère
que l'élément argumentatif qui ferait office d'une
réflexion sémiologique se situerait juste avant la description du
langage saturnien ; lorsque le texte aborde la Lettre sur les aveugles
de Diderot pour évoquer la solution recherchée par les
Philosophes pour décrire et définir un miroir à un aveugle
[« Anagogie » ; page 16]. La réflexion se construit donc
autour de la relation signifiant et signifié pour étudier le
langage. Or, toutes les définitions du miroir que l'on peut faire
à un aveugle sont absurdes, Mirabeau le dit bien ; elles
démontrent juste la difficulté d'expliquer ce qui relève
d'un sens inconnu de l'interlocuteur. Notons par ailleurs que le rapport au
texte de Diderot se fait dans un rythme fracassant l'organisation du chapitre ;
c'est le seul moment où le récit de Shackerley est
écarté pour développer un point subalterne. Et ce n'est
peut-être pas anodin. On peut penser que le fait d'avoir introduit la
description des Saturniens par une anecdote autour d'un aveugle renvoie
finalement à l'état figuré de tous ceux qui n'ont pas
reçu la révélation anagogique et qui sont donc dans
l'impossibilité de comprendre les propos de Shackerley. Sur ce point, il
faudrait plutôt réduire la signification de la fiction des
Saturniens dans l'économie interne du chapitre : au lieu d'incarner une
utopie politique et un idéal anthropologique qui seraient fondés
sur un langage parfait ou inversement, - Mirabeau ne le précise pas - la
fiction des Saturniens serait simplement une illustration de la relativisation
des rapports qu'entretient le langage avec la réalité dont
dépend la compréhension. Le langage serait né de
l'établissement de l'homme en société, et sa
première fonction serait d'être intelligible ; ce qui rejoint
ainsi la théorie sémiologique de Condillac. Quoiqu'il en soit, il
ne peut pas s'agir d'une véritable réflexion sémiologique,
car le récit de Shackerley qui renonce de lui-même à
développer la description des Saturniens, apparaît plutôt
comme une imitation de ceux - tel que St Jean - qui emploient un
langage obscur et lacunaire pour relater des faits prémonitoires
incroyables et trompeurs. Finalement, on y trouverait un nouveau principe pour
constituer une bonne interprétation des textes sacrés : la
lecture anagogique de la Bible, au même titre que la lecture
tropologique et allégorique, ne pourrait pas constituer une
méthode de compréhension fiable des textes sacrés car il
requiert des moyens de compréhension possédés seulement
par celui qui a reçu la révélation. Sachant que la
Bible a été écrite pour tous et pour toutes les
époques, l'anagogie doit être mise au rang des méthodes qui
induisent en erreur. Avec les principes de simplicité et
d'honnêteté que Mirabeau a définis implicitement pour
constituer la bonne
Une Spiritualité indéterminée -
91
interprétation des textes sacrés, on peut y
ajouter celui de la clarté.
En reprenant les résultats de cette étude, on
peut s'apercevoir que Mirabeau définit au fil du texte trois principes
d'une bonne interprétation de l'Écriture : elle doit relever de
la clarté [« Anagogie »], de la simplicité [«
L'Anélytroïde »] et de l'honnêteté [«
L'Anoscopie »]. Et si à chaque fois, ses procédés
littéraires pratiquent les raisonnements qu'il dénonce, ce serait
tout simplement pour en montrer toute l'aberration et pour pousser au maximum
leur absurdité. Ces trois principes sont extrêmement simplistes,
aussi Mirabeau estimerait que les interprétations des théologiens
catholiques doivent se contenter de lire la Bible sur des bases
grammaticales et littérales. En somme, notre étude n'a pas
relevé d'élément fiable qui nous permettrait de relier la
spiritualité de Mirabeau à un monisme matérialiste et
athée. Bien au contraire, il faudrait que la spiritualité et la
croyance soient importantes à ses yeux pour qu'il définisse trois
principes d'une bonne interprétation de la Bible.
Nous avons pu observer que le rapport de Mirabeau avec la
Bible est bien plus qu'une simple inspiration dans laquelle il
puiserait des anecdotes dans le but d'en montrer son caractère
obscène. À l'évidence, sa lecture du texte sacré
est grammaticale et littérale, elle ne montre pas la volonté de
pénétrer l'herméneutique pour en délivrer un
message ésotérique et impénétrable. En
l'occurrence, nous avons vu que la forme de ses raisonnements et de ses
fictions empruntait celle des raisonnements exégétiques, mais
afin de s'en moquer et d'en montrer toute l'absurdité ; il s'agit d'une
stratégie littéraire qui montre que ces types de lecture sont
dans l'erreur et qu'elles ne peuvent pas délivrer de
vérité morale, relative ou absolue à partir de
l'Écriture. Bien que ses références et ses citations du
texte sacré souffrent d'une hégémonie normative, elles
montrent qu'il avait à sa disposition plusieurs types de texte qui
relataient et commentait l'Écriture dont il se servait plus comme des
manuels éducatifs sur la religion que comme des réservoirs
à anecdote. En étudiant son processus de création, nous
pouvons supposer qu'il écrivait son texte au fur et à mesure de
ses découvertes, et qu'il n'avait peut-être aucune idée de
la forme finale de son ouvrage en l'écrivant. Le moteur du processus
n'est peut-être rien d'autre que la volonté de relier le projet
anthropologique qu'il a déjà construit et développé
dans ses traités politiques, avec la Bible. Il s'agit donc
maintenant d'étudier les articulations philosophiques entre son rapport
à la spiritualité et son projet anthropologique.
92 -
Le Léviathan
Après avoir examiné les
références dont Mirabeau se sert pour construire son
argumentation et après l'examen de son appareil énonciatif, nous
nous concentrons sur la reconstruction de sa philosophie et de son projet
anthropologique. Nous recherchons les principes philosophiques et politiques
qui supporteraient sa société idéale. Pour ce faire, nous
nous pencherons sur l'héritage du matérialisme et du sensualisme
présent dans l'Erotika Biblion, puis sur l'héritage de
l'épicurisme et de l'utilitariste. Il faut rappeler que ce sont des
écoles philosophiques et que nous ne prétendons pas embrasser ces
courants de pensée dans leurs ensembles. Mirabeau lui-même ne
revendique aucune affiliation à ces écoles, sinon
l'épicurisme. L'étude se penchera à nouveau sur le premier
chapitre, « Anagogie » afin d'aborder le matérialisme et le
sensualisme ; puis sur le reste de l'oeuvre dans son ensemble pour rechercher
les éléments clefs appartenant aux deux autres philosophies.
Nous pouvons déjà supposer que le projet
anthropologique de Mirabeau est tourné vers le bonheur. C'est à
partir du postulat épicurien, l'homme heureux est vertueux, que
la société qu'il imagine prend tout son sens. Mais fonder une
politique sur la pensée sensualiste peut amener beaucoup de
débordement, c'est pourquoi Mirabeau identifie les problèmes
comportementaux que cela peut engendrer afin de les résoudre. En
contrepartie, il énonce et dresse la liste de tous les biens qui peuvent
naître d'un système politique perfectionné tendant au
bonheur sensuel.
Nous reviendrons sur le premier chapitre, « Anagogie
», car une lecture anagogique d'un texte implique un système de
récompense pour la vie passée sur Terre en rétribution
d'une conduite morale, d'une vertu. Si Mirabeau écarte les lectures
inspirées qui peuvent résoudre les problèmes moraux, il
lui faudra trouver une alternative pour empêcher les écarts
comportementaux. Nous interrogerons donc les conceptions de Mirabeau sur Dieu,
sur la Nature, l'âme et la morale même. S'il contourne la question
de l'existence de l'âme pour la confondre avec la nature de l'homme, les
thèses sensualistes n'admettent pas un système de
rétribution morale après la mort et n'intègrent pas aussi
le bonheur terrestre comme une justice implacable, car celui qui se
comporterait mal n'est pas systématiquement malheureux. On observera un
dialogue entre les chapitres, qui sont en apparence décousus les uns des
autres, avec le premier chapitre « Anagogie ». Par exemple, à
la nature extrêmement perfectionnée des saturniens
répondrait le chapitre « Behemah » qui contient des
dissertations sur l'âme humaine. La révélation biblique
n'étant pas rejetée par Mirabeau, il y discerne un
problème, un hiatus entre morale et nature.
De deux choses l'une, ou Dieu a pris plaisir à former
les bêtes vicieuses et à nous donner en elles des modèles
très odieux, ou elles ont comme l'homme un péché originel
qui a perverti leur nature. La première proposition est contraire
à la Bible, qui dit que tout ce qui est sorti des mains de Dieu
était bon et fort bon. Mais si les bêtes étaient telles
alors
- 93
qu'elles sont aujourd'hui, comment pourrait-on dire qu'elles
fussent bonnes et fort bonnes ? Où est le bien qu'un singe soit
malfaisant, un chien envieux, un chat perfide, un oiseau de proie cruel ? Il
faut recourir à la seconde proposition et leur supposer un
péché originel ; supposition gratuite et qui choque la raison et
la religion. [« Behemah » ; page 146]
On ne peut évidemment pas supposer de l'imperfection
à la Création pour expliquer les comportements animaux qui ne
connaissent pas la bonté. Il nous reste à savoir si Mirabeau
considère cette question sous un angle philosophique ou politique.
Aussi, nous voyons déjà qu'il considère que la morale et
les moeurs sont deux choses différentes. On pourrait penser que la
morale n'est pas nécessaire, qu'il n'y a pas besoin d'un code de
conduite dans la société qui dicterait des préceptes
jugés flous et non-fondés. La loi en revanche suppléerait
les travers dans le temps en corrigeant les moeurs et les
goûts.1 À priori, on peut penser que Mirabeau apporte
une réponse politique à tous les problèmes philosophiques
ou moraux qu'il soulève dans l'Erotika Biblion. Cet ouvrage ou
cet essai, est une suite de dissertation dont chaque problématique est
contextualisée suivant un schéma particulier : d'abord le
contexte mythologique, puis scientifique. Mirabeau jongle entre les
représentations mythologiques et scientifiques et cherche des
réponses philosophiques et politiques. Parlant de son ouvrage dans sa
correspondance avec Mr. Boucher, il révoque pourtant la matière
politique dans l'Erotika Biblion.
Je vous prépare un volume de mélanges
très singuliers, et qui auront un grand débit ; mais il ne faut
pas penser à la censure ; c'est de la contrebande ; au reste rien contre
ni sur le gouvernement, et je crois que tout autre matière vous est
indifférente.2
Par contrebande, on peut penser que Mirabeau n'évoque
pas les réseaux des livres clandestins très actifs au
XVIIIe siècle, mais une autre sorte de contrebande ; celle
qui concerne le mélange des sources sur lesquelles il s'est
appuyé et dans lesquelles il a pillé abondamment des passages
qu'il recopie à la virgule près.
Mirabeau parcourt les mythes pour y trouver des motifs qui
lui permettent de théoriser une politique des moeurs. Comme nous l'avons
vu dans la partie précédente, son réservoir mythique
s'appuie sur les Dictionnaires de Bayle, Buffon, Voltaire, Dom Calmet
et l'Encyclopédie. En construisant son idéologie sur des
récits mythologiques, il chercherait peut-être à mystifier
le lecteur. Il y aurait une recherche des origines qui s'apparenterait à
une recherche de la vérité ; et cette recherche doit être
confirmée par la science. Ce qui explique que Mirabeau mêle les
représentations
1 « Il y a des variétés dans les
êtres créés, qui seraient incroyables si l'on pouvait
combattre les résultats d'observation suivies,
réitérées, authentiques, mais la physique
éclairée doit être le guide éternel de la morale. Et
voilà pourquoi presque toutes les lois coercitives sont mauvaises.
Voilà pourquoi la science de la législation ne peut être
perfectionnée qu'après toutes les autres » ; «
L'Akropodie », Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, éd. cit, page 107.
2 Lettre du 1er octobre 1780
(Musée Arbaud, fonds Mirabeau, n°72). Voy. Erotika
Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit,
page 10.
94 - Le Léviathan
scientifiques et mythologiques. Il en vient d'ailleurs
à l'idée que la science a été donnée par
Dieu à l'homme et que le progrès est en quelque sorte
consacré. Cette idée, le positivisme, est une idéologie
qui perdure jusqu'à nos jours. Il emprunte aussi des
éléments à la Bible pour en faire des
règles lui permettant de penser son projet anthropologique. Par exemple,
l'amour serait le seul et unique commandement divin. Il déploie une
cohérence, une logique qui, élaborée pour une
évolution, lui permet de relier les progrès scientifiques et la
religion dans une seule perspective, un seul but : la meilleure
société possible.
Le projet anthropologique de Mirabeau est global. En le
situant dans une évolution, il le conçoit comme un être
vivant, capable d'apprendre et en conséquence, de s'adapter. C'est
pourquoi nous avons choisi le titre « Le Léviathan » pour
traiter de cette partie. Sa pensée politique vise un bien, et nous
essayons de définir le Souverain Bien comme le comprend Mirabeau. Il
n'est pas évident que la finalité soit le bonheur, car en aucun
endroit, il ne traite ni des besoins, ni des désirs, ni de la
façon dont la société doit y répondre, ni
même à quel moment. En d'autres termes, Mirabeau ne disserte pas
sur les questions utilitaristes : faut-il ressentir le besoin pour être
heureux ? faut-il les prévenir ? faut-il y répondre de
façon qualitative ou quantitative ? faut-il entretenir la crainte du
manque ou l'habitude de l'abondance ? etc... Pourtant, elles constituent
elles-aussi des questions morales qui règleraient une
société. Mirabeau n'explique pas non plus comment le bien
individuel pourrait s'articuler avec le bien commun. Néanmoins, vu le
titre de l'ouvrage, le plaisir sexuel pourrait constituer la pierre de touche
de ses conceptions philosophico-politiques. Sans déborder sur le
développement qui suivra, on peut déjà avancer que le
plaisir sexuel se compte au nombre des besoins de l'homme et qu'il s'inscrit
dans une loi naturelle indépassable et incontrôlable. Une
législation doit donc composer avec des forces qu'elle ne maîtrise
que partiellement. Dans cette partie, nous regardons les moyens à
disposition du législateur pour altérer la loi naturelle que
Mirabeau développe dans la totalité de son ouvrage.
Mirabeau développe tout un système entre les
goûts, les moeurs, l'habitude et le plaisir. Il emprunte par exemple la
théorie des climats à Montesquieu et l'augmente de sa propre
théorie. Il tire de son système l'explication des travers moraux
contemporains, et cherche des solutions en étudiant les causes de la
disparition des travers moraux des Anciens. Il dresse ainsi une liste de tous
les dangers que représentent certaines pratiques sexuelles, notamment la
masturbation. C'est une partie importante de notre étude qui permet de
mettre en lumière la véritable clef de la pensée
anthropologique de Mirabeau : l'énergie. Comprendre la dynamique de
l'énergie nous permet de comprendre les manques que l'on pourrait
reprocher à son argumentation, notamment sur les questions morales.
- 95
Nous commençons par examiner le premier chapitre
« Anagogie » afin d'examiner la position de Mirabeau sur le
sensualisme. Puis, nous étudions les interactions entre Dieu et Nature
qui sont deux entités différentes et séparées dans
la théorie de Mirabeau. Ses conceptions en la matière sont
d'ailleurs très hétérodoxes. Enfin, nous
développons son projet anthropologique à travers trois
thèmes : l'utopie, l'énergie et le bonheur.
La Raison du corps
Les relations entre Dieu, la Nature et l'homme sont partout
présentes dans l'ouvrage de Mirabeau. Spiritualité,
détermination naturelle et anthropologie sont liées par des
articulations philosophiques qui sont tantôt explicites, tantôt
implicites ; ces dernières n'apparaissent pas sous les formes d'une
thèse sur laquelle le texte disserte, mais plutôt dans
l'économie du texte, dans sa logique interne qu'il s'agit ici
d'étudier. Ce qui relève de l'implicite présente
généralement les bons processus de connaissance de l'oeuvre de
Dieu par l'Écriture, ainsi que nous l'avons montré dans le
chapitre précédent ; et ce qui relève de l'explicite
articule le projet anthropologique aux lois de la nature qui regardent la
propagation de l'espèce humaine, ainsi qu'aux commandements divins qui
regardent essentiellement la bonne conduite, la vertu. Il nous faut
étudier le rapport entre Dieu et la Nature comme deux entités
différentes afin de comprendre leur définition pour Mirabeau. Et
ce, afin de pouvoir rendre justement leurs relations avec l'homme.
En premier lieu, nous étudions la distinction que fait
Mirabeau entre la corporalité et la spiritualité,
c'est-à-dire les notions qui relèvent de l'esprit, et celles qui
relèvent du corps. Cette étude nous amène à
considérer les notions philosophiques de Mirabeau. Car, comme nous
l'avons vu dans nos études précédentes, la notion de la
connaissance est au centre de la bonne interprétation des textes
sacrés. Ensuite, nous étudions la distinction entre Dieu et
Nature à travers différents chapitres. Nous les évoquons
par les termes d'entités, car l'une et l'autre sont toujours
traitées par la troisième personne du singulier. Ce qui permet au
texte de leur attribuer des actions, voire une volonté. Dans le texte,
cette réflexion est implicite ; le sujet est en partie traité
dans trois chapitres. Mais c'est surtout autour de l'onanisme que Mirabeau
révèle la raison pour laquelle il distingue la Nature et Dieu, en
démontrant que la pratique n'est ni contre-nature, ni contre l'oeuvre de
Dieu. C'est à travers l'onanisme que notre étude reconstruit
l'oeuvre de la Nature et celle de Dieu afin de déterminer l'articulation
philosophique qui les relie. Aussi, on peut s'étonner que Mirabeau, qui
avait probablement lu Spinoza, n'ait pas choisi de maintenir l'axiome Deus
siue Natura.
96 - Le Léviathan
La Connaissance en la matière
Les personnages de l'Erotika Biblion appartiennent,
pour la plupart, au monde de la connaissance : des savants, des scientifiques,
des casuistes, etc... Bien que nos études se soient déjà
penchées sur leur rôle dans les dissertations et les fictions du
texte de Mirabeau, nous n'avons jusqu'alors traité que des personnages
du monde catholique ou du monde scientifique. Il est temps d'étudier de
nouveaux personnages, notamment ceux qui appartiennent à d'autres
confessions et professions. Jusqu'ici, il pourrait apparaître que le
texte de Mirabeau est effectivement anticlérical, et qu'il ne rejette
que la culture judéo-chrétienne ; il nous faut donc replacer ses
propos à l'égard de toutes les différentes confessions
présentes dans l'ouvrage. Pour cette étude, nous nous
intéressons particulièrement au premier chapitre « Anagogie
» qui n'est plus à présenter. Deux personnages y figurent :
le protagoniste, Shackerley, et un savant, Anquetil-Duperron.
Dans le texte, Shackerley est présenté comme le
personnage qui a reçu une révélation ; lui attribuer le
manuscrit d'inspiration anagogique n'est pas sans raison, et le choisir pour
traiter de cette sorte d'inspiration n'est pas non plus sans signification. Il
s'agit d'une personne ayant réellement existé, quasiment
contemporaine à Mirabeau. Bien que Shackerley soit écrit avec un
-c, nous évacuons la possibilité qu'il ait voulu
référer au poète anglais Marmion Shackerley [1603-1639].
Nous pensons plutôt qu'il s'agit de l'astronome anglais, Jeremy Shakerley
[1626-1653?], car Mirabeau a pris la peine de donner le prénom
Jérémie à son personnage et que plusieurs détails
de la vie de l'astronome font échos avec des éléments
fictionnels de son texte, mais aussi avec le parcours d'Anquetil-Duperron que
le texte cite à la fin du même chapitre. Toutefois, le
véritable Shackerley n'a aucun point commun avec l'orthodoxie
chrétienne. Il est fasciné par d'autres cultures religieuses, et
voyage dans le monde pour découvrir les secrets des religions
païennes. Si bien que certains de ses contemporains l'ont cru converti
à ces anciennes croyances. Ce personnage était un savant qui
s'engageait dans des expéditions scientifiques et qui, au nom de la
science et du savoir, ramenait ses découvertes pour les présenter
à ces contemporains. D'abord mathématicien en 1646, il se forme
à l'astronomie au contact de spiritualités exotiques qui
l'amènent à formuler des questions mélangeant astronomie
et astrologie. Bien qu'homme de science, Shackerley voyait que le mouvement des
planètes avait une part de surnaturel. Ses observations ont
développé des croyances astrologiques. Il est important de noter
qu'il part à Surat en Inde orientale, pour vérifier sa
prédiction du transit de Mercure le 24 octobre 16511
où il s'est profondément intéressé à
l'astronomie brahmane. C'était un personnage partagé entre
science et ascétisme religieux dont les lettres témoignent d'une
grande curiosité, ou plutôt d'une profonde fascination pour
l'astronomie brahmane, et si bien qu'il s'est fait
1 Il est le deuxième homme de science
à observer ce transit ; le premier est Gassendi en 1631.
La Raison du corps - 97
une certaine réputation.
Le manuscrit que Mirabeau attribue à Shackerley dans
« Anagogie » est complétement fictif, mais il ne lui sert pas
seulement d'illustration des croyances nouvelles et aveugles de Shackerley, il
lui sert également de lien entre Shackerley et un autre personnage
contemporain.
Quand le développement et la traduction de ce
précieux manuscrit seront achevés, je me propose d'en donner
à l'Europe savante une édition non moins authentique que celle
des livres sacrés des Brames, que M. Anquetil a incontestablement
rapportés des bords du Gange ; car j'ose me flatter de savoir presque
aussi bien le mozarabique qu'il sait le zend ou le pehlvi. [«
Anagogie » ; page 22]
Abraham Hyacinthe Anquetil-Duperron [1731-1805] est un
indianiste français qui a ramené de Surat lui-aussi, une
traduction de certains textes sacrés zoroastriens. La moquerie de
Mirabeau repose sur une polémique initiée par la Royal Society de
Londres qui l'accuse de supercherie en doutant de l'authenticité de
cette traduction. Il s'agit maintenant de voir plus en détail la raison
de ce rapprochement et sa signification dans le texte de Mirabeau.
Shackerley et Anquetil-Duperron
Le personnage de Jérémie Shackerley peut
référer à l'astronome et mathématicien anglais
Jeremy Shakerley qui se serait adonné à l'astrologie brahmanique
au milieu du XVIIe siècle1. Ses
découvertes, relatées dans le chapitre « Anagogie »,
figurent le manuscrit de Shackerley décrivant son voyage sur Saturne. Et
justement, il s'avère que le mathématicien a effectivement
porté à la connaissance de l'Europe de vieilles traditions
ésotériques et d'anciennes spiritualités toujours
pratiquées en Orient. Mais c'est toujours au nom de la science et de la
connaissance que Shakerley rapportait l'intérêt de ses textes, et
non pas dans la volonté de convertir ses contemporains à cette
foi païenne. Loin de louer cette intention, le texte de Mirabeau en fait
le fondement d'une littérature inspirée tout au long du chapitre
« Anagogie », en opérant le déplacement de l'âme
de Shackerley dans le monde immatériel qui révèle des
vérités absolues par un moyen de locomotion tout à fait
absurde. Et à la fin du chapitre « Anagogie », il opère
une analogie entre le manuscrit de Shackerley, avec les livres sacrés de
Brames rapportés par Anquetil-Duperron2 ; il se place ainsi
dans le giron de la querelle née des doutes sur leur
authenticité3 . Aux yeux de Mirabeau, ces deux personnages
présentent des points communs : leurs recherches concernent la
même spiritualité, et ne sont motivés
1 En vérité, il peut s'agir d'une
surinterprétation d'une de ses lettres, adressée à un
certain Henry Osborne depuis Surat (Inde) en janvier 1653 ; malheureusement, je
n'ai pas eu l'occasion de vérifier la teneur de la correspondance.
2 C'est ce que dit le chapitre « Anagogie
» à la page 22 ; mais en vérité, il n'a
rapporté que des commentaires sur les livres sacrés zoroastriens
et non pas les textes sources.
3 Nous renvoyons le lecteur désireux de
s'informer des circonstances et du contexte de la querelle aux travaux de
Claire Gallien, « Une querelle orientaliste : la réception
controversée du Zend Avesta d'Anquetil-Duperron en France et en
Angleterre » dans Littérature classiques 2013/2
(N°81), pages 257 à 268.
98 - Le Léviathan
que par le besoin de trouver des réponses à un
problème existentiel propre. Anquetil-Duperron s'est aussi rendu
à Surat pour en rapporter la sagesse gnostique ; mais à la
différence de Shakerley dont les croyances spirituelles sont un peu
floues, il s'est ouvertement et complètement adonné et converti
à ces mystères. On retrouve d'ailleurs dans les OEuvres
complètes de Diderot1, une lettre d'Anquetil-Duperron
décrivant ses manoeuvres pour parvenir à ses fins. Diderot se
moquait de ce dernier qui voulait convaincre les prêtres brahmaniques
d'entamer la traduction des anciens livres indiens en leur faisant fait part de
l'exemplarité de ses moeurs qui, par ailleurs, s'apparentent fortement
au jeûne ascétique attendant la révélation. De par
son attitude austère, Anquetil-Duperron croyait au monde
démiurgique et regardait le corps comme une enveloppe imparfaite
emprisonnant l'âme éternelle qui est intacte d'impureté.
L'attitude de Shakerley et d'Anquetil-Duperron était
bien connue puisque leurs lettres pouvaient être un objet de lecture dans
les salons. Souhaitant aussi s'en moquer, Mirabeau a donc reproduit les
qualités d'un manuscrit ancien qu'il attribue à Shakerley et qui
rappelle le débat autour du texte ramené de Surat. C'est
l'intention des deux savants, leurs espoirs de trouver des
vérités dans des textes primordiaux qui sont tournés en
ridicule, par un doute sur l'authenticité des textes d'une part, mais
aussi par le fait qu'ils cachent leurs motivations sous couvert d'une
entreprise scientifique. Nulle part, le texte de Mirabeau ne remet en question
l'intérêt scientifique de posséder une traduction de ces
ouvrages, mais l'intention réelle de leurs auteurs. Ces derniers
voileraient sous l'apparence d'une démarche scientifique, un besoin
propre et personnel d'obtenir des réponses existentielles. D'ailleurs,
Diderot évoque lui-aussi les motivations réelles et
secrètes de ces savants en donnant par exemple les raisons de «
celui-ci [Anquetil-Duperron ; qui] vous dira qu'il est consumé du
désir de connaître ; qu'il s'éloigne de sa patrie par
zèle pour elle ; et que, s'il s'est arraché des bras d'un
père et d'une mère, et s'en va parcourir, à travers mille
périls, des contrées lointaines, c'est pour en revenir
chargé de leurs utiles dépouilles [des efforts fournis à
cette entreprise] »2. Anquetil-Duperron est ici
considéré comme un explorateur de l'éternel qui ne
trouvera rien avec ses méthodes, le texte de Diderot montre qu'il
n'obtiendra pas ce qu'il est venu chercher car l'objet de sa quête, la
paix, ne se trouverait que dans la mort. Car à la suite de la
description de l'entreprise de l'orientaliste français, il souligne
l'inutilité d'une telle dépense d'énergie.
Ô bienheureux mortels, inertes, imbéciles,
engourdis ; vous buvez, vous mangez, vous dormez, vous vieillissez, et vous
mourez sans avoir joui, sans avoir souffert, sans qu'aucune secousse ait fait
osciller le poids qui vous pressait sur le sol où vous êtes
nés.
1 Salons, Tome II dans OEuvres
complètes de Diderot, Volume IX, Paris, Chez J. L. J.
Brière, 1821, page 356, note de l'éditeur.
2 Idem, page 359.
La Raison du corps - 99
On ne sait où est la sépulture de l'être
énergique. La vôtre est toujours sous vos pieds.1
Il n'existe que trois autres occurrences de « la
sépulture de l'être énergique » dans la production
littéraire de Diderot2 et elles renvoient toutes au
développement de la condition humaine tourmentée. Le terme
sépulture évoque la mort, l'inaction et donc la paix
éternelle ; la sépulture peut aussi renvoyer au lieu où il
y aurait le moins d'interaction possible entre la matière sensiblement
active, le végétal et l'organique, avec la matière
sensiblement inerte, le minéral. C'est la raison pour laquelle Diderot
considère que l'être qui recherche son âme3,
c'est-à-dire une partie de lui-même qui ne serait pas
matière et donc hors du monde physique, a déjà un pied
dans la tombe. Dans le texte de Diderot, la recherche de la paix trouve une
réponse orchestrée par la voix de la vérité
immortelle - peut-être même d'une divinité, par
l'interjection « Ô bienheureux mortels » - se faisant terrible
et implacable. Le ton de la voix divine est l'inverse de la paix
recherchée par le personnage dépeint par Diderot. Notons aussi
qu'une fois que ce dernier a été introduit dans le texte, la voix
divine apparaît suite au récit de la rencontre entre le sauvage
Moncacht-Apé4 et le chef d'une nation étrangère
qui était venu le consulter.
Le texte de Mirabeau présente les mêmes
procédés, donc les mêmes significations, à deux
différences près. La première est que le personnage
principal n'est pas Anquetil-Duperron, mais Shackerley qui visite un peuple
étranger, les Saturniens, pour en tirer des vérités comme
le fait le chef d'une nation étrangère avec Moncacht-Apé.
Et la deuxième est située dans la conclusion du voyage de
Shackerley qui finit par admettre que « la véritable gloire d'un
être intelligent est la science, et la paix son vrai bonheur »
[« Anagogie » ; page 22]. Le texte de Mirabeau évacue
l'adresse directe de Dieu au lecteur - du moins, d'une voix qui n'est pas
humaine -, comme on peut la retrouver dans l'adresse de Diderot, ou même
dans celle de Voltaire d'ailleurs5, pour la repositionner dans la
finalité du cheminement anagogique et ascétique de Shackerley et
donc comme la seule vérité logique que l'on peut trouver dans ces
types de recherche. C'est une vérité générale et
banale que « la triste
1 Idem, page 356.
2 Lettre du 10 février 1769, et
Lettre à Sophie de 1763. Il s'agirait d'un syntagme
employé par le philosophe pour digresser sur l'énergie. Pour
compléter notre étude sur ce point, nous renvoyons aux travaux
d'Elisabeth Zawisza, « Une lecture littéraire des lettres de
Diderot à Marie Madelaine Jodin » dans Diderot Studies
XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr, Librairie Droz S.A, 2003.
3 Dans l'Entretien entre M. d'Alembert et M.
Diderot, Diderot met en correspondance les termes âme et
chair dans la bouche de sa fille ; il est donc difficile d'approfondir
la signification de ce rapport. Néanmoins, cela pourrait vouloir dire
que seule la matière faite de chair pense qu'elle a une âme. Cf,
Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de Diderot,
publiés d'après les manuscrits confiés, en mourant, par
l'auteur à Grimm, tome IV, Paris, Paulin, Libraire-éditeur,
Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXXI, page 109.
4 Explorateur amérindien dans la
région du Mississippi au début des années 1700 ; il est
évoqué dans les mémoires de Jean-Baptiste Le Masrier,
Mémoires historiques sur la Louisiane, Paris, Chez CL. J. B.
Bauche, 1753.
5 « Prends garde, ô homme ! [...] Tu es né,
tu vis, tu agis, tu penses, tu veilles, tu dors, sans savoir comment. Dieu t'a
donné la faculté de penser, comme il t'a donné tout le
reste ; et s'il n'était pas venu t'apprendre dans les temps
marqués par sa providence que tu as une âme immatérielle et
immortelle, tu n'en aurais aucune preuve ». Cf. article « Âme
», Dictionnaire philosophique et portatif de Voltaire.
100 - Le Léviathan
expérience de tant de siècle nous enseigne
encore vainement » [« Anagogie » ; page 21]. Il faut noter que
lorsque Shackerley formule sa conclusion concernant la gloire et la paix, une
proposition incise à la première personne appuie cette
conclusion1 ; ce n'est pas la voix de Shackerley, mais celle de la
voix narrative, ou dissertative, si l'on peut dire. C'est l'usage de la
première personne qui soutient l'analogie avec Anquetil-Duperron ; elle
participe à la controverse autour de ces travaux scientifiques, et
montre ainsi qu'elle contribuerait à la diffusion des savoirs
grâce à la traduction du manuscrit de Shackerley tel que le fait
Anquetil-Duperron avec les livres sacrés de Brames. On peut en conclure
que ces deux entreprises, étant vaines et stériles,
constitueraient une dépense d'énergie inutile. La logique
énonciative du texte de Mirabeau ramène la démarche d'un
savant qui, au nom de la science, s'intéresse de près aux textes
sacrés à une démarche personnelle guidée par la
foi. L'intérêt général ne pourrait donc pas
être servi par des croyances propres travesties en démarches
scientifiques.
C'est finalement la question du progrès qui au centre
de cette étude. On constate que ces deux personnages, Shackerley et
Anquetil-Duperron, sont décrits par Mirabeau comme deux êtres qui
veulent se défaire de leurs sens pour mieux appréhender le monde
parfait des idées et de l'immatérialité afin d'y trouver
une connaissance absolue, une sagesse salutaire ; ils sont donc à
l'exact opposé de l'être sensualiste qui ne peut connaître
le monde que par l'usage de ses sens. Mirabeau estime que l'énergie
inutilement dépensée constitue une perte de progrès. En
plusieurs endroits de l'Erotika Biblion, la considération que
l'énergie n'est malheureusement pas réinvestie dans le
progrès est évoquée par l'emploi de la première
personne. En outre, il s'agit d'une considération personnelle qui
considère la perte d'énergie d'une personnalité historique
ou mythologique comme un dommage au progrès des connaissances humaines
au nom d'un questionnement existentiel absurde. De plus, l'emploi de la
première personne alimente le texte avec la tonalité de la
controverse : le « je » implique un rapport conflictuel avec des
individus, ce qui est justement le nerf de la querelle.
- « Anagogie » : rapport avec
Anquetil-Duperron au sujet de la traduction inutile des livres sacrés de
Brame ; page 22.
- « L'Anélytroïde » :
rapport avec Moïse au sujet des doutes stériles qui sont
formulés sur son élection divine ; page 25.
- « L'Ischa » : rapport avec Jacques
del Pozzo au sujet de l'aberration de douter de la perfection
avérée de la femme par l'Écriture ; page 40. Puis rapport
avec Schurman au même sujet2 ; page 43.
1 « Les plaisirs stériles ou factices n'y
régnoient pas plus que le faux honneur ; & l'instinct de ces
êtres fortunés [Les Saturniens] leur avoit appris sans effort ce
que la triste expérience de tant de siècles nous enseigne encore
vainement, je veux dire, que la véritable gloire d'un
être intelligent est la science, & la paix son vrai bonheur » ;
Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit,
éd. cit, pages 21 et 22.
2 Nous traitons de la conception de la femme dans
le texte de Mirabeau plus loin. En attendant, nous renvoyions
La Raison du corps - 101
- « La Tropoïde » : rapport
avec St Augustin au sujet des mauvaises représentations de
l'exemplarité des moeurs antiques ; page 60.
- « Le Thalaba » : rapport avec
Martial au sujet de son appréciation morale erronée de certaines
pratiques sexuelles ; page 79.
- « L'Anandryne » : rapport avec
J. de Névisean au sujet de la stupidité de dénombrer les
charmes féminins et d'en établir un modèle de perfection
absolue1 ; page 98.
- « Kadhésch » : rapport
avec un homme d'Etat au sujet de la nocivité de son renoncement à
modeler certaine société ; page 123.
- « L'Anoscopie » : rapport avec
les charlatans au sujet de leurs efforts pour détourner l'étude,
la science et le talent à leur crédit ; page 158.
- « La Linguanmanie » : rapport
avec les érudits au sujet de l'utilité de leur recherche sur
les
inventions sexuelles de l'Antiquité qui choquent
l'imagination ; page 191.
L'emploi de la première personne évolue au fil
de l'ouvrage ; elle apparaît de plus en plus fréquemment, tout
comme l'emploi de la troisième personne inclusive « on » qui
articule des observations d'ordre général à la
démonstration. Nous pouvons donc noter que Mirabeau, au fur et à
mesure de son ouvrage, se place au sein d'un groupe pour participer à la
querelle. Nous nous sommes donc intéressés au rapport entretenu
tout au long de l'ouvrage entre l'énergie dépensée et la
philosophie du progrès imaginée par Mirabeau. Or, notre
étude révèle que ce rapport est contenu dans tous les
chapitres, sauf deux : le chapitre VII, « L'Akropodie », et le
chapitre IX, « Béhémah ». Et ce sont justement les deux
seuls chapitres qui dissertent sur la morale. « L'Akropodie » traite
de la moralité des goûts nés dans certaines
interprétations de l'Écriture comme nous l'avons
déjà vu ; « Béhémah » regarde la
moralité des goûts naturels pour certaines pratiques bestiales.
Dans son anthropologie, Mirabeau distingue les goûts qui relèvent
de la Révélation - on pourrait même dire de la civilisation
- de ceux qui sont naturels. En somme, notre étude montre que son
raisonnement sur les pertes d'énergie écarte les pratiques venant
des goûts car il ne les considère pas comme des dépenses
d'énergie inutiles en vue du progressisme ; c'est d'ailleurs la raison
pour laquelle il renonce à redresser les pratiques contre-nature, car il
pense qu'elles peuvent être utiles à l'expérimentation et
donc au savoir (notamment par l'étude de la physionomie des êtres
monstrueux) en éclairant davantage les spécificités de
l'homme sur l'animal. De plus, les moeurs nées des goûts
constituent le moteur énergique justifiant l'anthropologie de Mirabeau.
Ce n'est pas un hasard si tout le projet
le lecteur désireux de s'informer sur toute la
bibliographie parue à l'époque qui traitait du sujet, à
l'Essai sur le caractere, les moeurs et l'esprit des femmes dans les
différens siècles, par M. Thomas, de l'Académie
Françoise, à Paris, Chez Moutard, M. DCC. LXXII. page 86. Quant
au rapport avec Schurman, il est recopié mot pour mot d'un extrait de
l'article « FEMME » de l'Encyclopédie de Diderot et
d'Alembert.
1 Ce passage est très commenté dans
l'édition critique de Jean Pierre Dubost ; il essaie notamment de
rétablir l'origine du texte qui n'appartiendrait pas à l'auteur
cité par Mirabeau, tout en dressant une liste des textes
ultérieurs à l'Erotika Biblion. À titre
informatif, nous renvoyons le lecteur à ses travaux ; voy. Erotika
Biblion, édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit,
notes 62 à 64, pages 129 et 130.
1 Nous mettons les termes clefs en italique pour
montrer l'importance du rapport entre les goûts et le corps dans la
réflexion anthropologique de Mirabeau.
102 - Le Léviathan
anthropologique de Mirabeau regarde l'homme comme une
matière sensible qui peut évoluer et que les institutions peuvent
façonner en vue de le perfectionner.
Oh ! si l'on employait autant d'efforts à former les
moeurs qu'à les corrompre, à créer les vertus qu'à
exciter les désirs, que l'homme aurait bientôt atteint le
degré de perfection dont sa nature est susceptible ! [« L'Anandryne
» ; page 100]
Les institutions présentées dans l'Erotika
Biblion sont nombreuses ; nous les étudions dans les chapitres qui
suivent. Les moeurs et les goûts représenteraient donc les moyens
pour faire progresser l'humanité, et non plus la raison comme le
répétaient les Philosophes dans la première moitié
du XVIIIe siècle ; c'est un changement philosophique majeur
qui est peut-être né de l'assimilation du sensualisme dans
l'idée du progrès. Pour terminer cette étude, il faut
noter que Mirabeau pense, en partie, comme un matérialiste :
l'éducation doit passer par le corps et les goûts qui lui
fournissent de l'énergie, ce qui lui fait dire qu'« il n'y a que
les exercices du corps, où se trouve ce mélange de travail
et d'agrément, dont la partie constante occupe, amuse,
fortifie le corps et par conséquent l'âme » [« Le
Thalaba » ; page 65]1.
Il faudrait maintenant définir la notion de
progrès dans le texte de Mirabeau. Nous avons montré
qu'elle était inséparable d'un projet anthropologique qui donne
au corps et aux goûts un rôle central dans la
progressivité que nous avons présentée comme
étant le processus du progrès ; de plus, nous venons de voir que
Mirabeau conçoit ce processus en termes d'énergie. Par ailleurs,
notre étude sur sa réflexion sémiologique contenue au
chapitre « Anagogie », montre que les sens déterminent le
langage, la représentation du monde, et la pensée. Même si
le texte ne dit pas explicitement que la nature parfaite des Saturniens est
redevable de la physique de la planète, on peut tout de même y
voir une illustration de la thèse du transformisme que nous venons
d'aborder. De là, une idée ne serait jamais idée en tant
qu'elle-même, mais elle serait le résultat d'un processus
empirique né de l'exercice de nos sens ; elle est organique, car elle
est tout simplement déterminée par la disposition et l'usage des
organes. Il faut donc convenir que la progressivité regarde
l'usage de l'énergie, et la perfectibilité, l'usage des
sens. Nous étudierons la notion du progrès en la
replaçant au sein d'une articulation entre la progressivité
et la perfectibilité que l'on définit aussi comme
un processus, et qui n'est autre que l'hypothèse que l'on peut
perfectionner les sens humains. Entre autres, on remarque que la dépense
d'énergie dépend des goûts qui eux-mêmes sont
conditionnés par la nature, tandis que l'usage des sens dépend de
la physique. Il fallait clarifier ces notions car il s'agit de la base
théorique sur laquelle Mirabeau réfléchit son projet
anthropologique ; même si nous ne
La Raison du corps - 103
proposons qu'une reconstruction de ses principes
philosophiques qui ne sont jamais explicités et formulés, ils
apparaissent au début de chaque chapitre pour articuler le projet
anthropologique avec l'objet de la démonstration.
Des Sens et des goûts
Il nous faut étudier les nombreuses interactions entre
les goûts et les sens qui sont développées dans le texte de
Mirabeau. En premier lieu, nous repartons dans une étude du premier
chapitre « Anagogie », car elle détient certaines clefs
permettant la compréhension de l'ouvrage, et dans laquelle nous
réinvestissons tous les points développés depuis le
début de notre travail. Pour ce faire, nous allons de nouveau avoir
besoin de l'hypothèse de lecture de Jean-Pierre Dubost qui inscrit la
fiction Saturnienne comme l'axiome que « tout est en un flux
perpétuel de jouissance » et qui soutiendrait l'hypothèse
d'un transformisme général. Il s'ensuit que Mirabeau aurait
pensé son projet anthropologique dans le but de retrouver cet Eden
érotique qui figure l'immédiateté de la jouissance afin de
perfectionner les sens et qui constitue ainsi la « perfectibilité
de l'homme [qui] se mesure en toutes choses à son degré de
proximité ou d'éloignement par rapport à la Loi du
plaisir. »1 Comme Jean-Pierre Dubost le dit bien, la
perfectibilité entrerait dans une équation qui reposerait
essentiellement sur un équilibre quantitatif : « plus la nature
fait de frais quant à l'investissement sensoriel, plus le gain de
jouissance augmente en fin de compte. »2
En premier lieu, nous interrogeons la perfectibilité
telle que nous venons de la définir pour la replacer à
l'égard des nécessités d'un projet anthropologique
où tout est conditionné par la jouissance. En second lieu, nous
étudions les goûts et les sens qui articulent la réflexion
philosophique de Mirabeau, tout en reconstruisant les rapports de
conséquences entre les hommes, la Nature et Dieu.
Si l'argument saturnien s'inscrit dans un transformisme, la
perfectibilité conçue par Mirabeau repose sur un rapport
quantitatif. Dès lors, la jouissance, qui serait à la fois le
moyen et la fin de l'activité humaine, évacue la
nécessité d'un système politique et anthropologique. Car
si nous regardons de près la société saturnienne, on voit
bien que leur modèle politique est l'anarchie. Ils n'ont ni
gouvernement, ni monnaie, ni distinction ou rôle social particulier. On
pourrait avancer qu'il s'agirait de la négation même du projet
politique et anthropologique de l'ouvrage. Vu le naturel de l'homme à
rechercher la jouissance, la perfectibilité de Mirabeau pourrait se
réduire à une recherche d'une jouissance immédiate, ce qui
reviendrait à dire qu'il vouerait les institutions destinées
à développer les sens afin d'accomplir un métamorphisme
semblable aux saturniens, à l'inutilité. Or,
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, page 15.
2 Idem, page 13.
Le texte de Mirabeau ne jette aucune lumière sur
l'énigme saturnienne, sur le mystère de leur
104 - Le Léviathan
nos études précédentes ont
décelé dans ce chapitre une réflexion sur la
relativité des moeurs et de ses rapports avec le langage, et plus
précisément sur la fonction du langage qui se doit d'utiliser des
termes et des définitions compréhensibles par tous. Or, le sens
mystique de Shackerley qui lui permet de voyager sur Saturne n'est pas
partagé par tout le monde, et le récit du voyage constitue donc
pour ces semblables un langage obscur et incompréhensible tout comme
peut leur apparaître L'Apocalypse de St Jean. Le
texte de Mirabeau met l'accent sur les sens puisqu'ils sont relatifs à
la perception du monde physique, et qu'ils constituent le seul moyen de
connaissance : il faut rappeler que les Saturniens usent de leurs sens pour
partager une mémoire sans défaut qui leur permet de savoir que
leur gloire est la science, et que leur paix est le bonheur. De plus,
l'hypothèse que la perfectibilité serait ramenée à
la jouissance immédiate regarde le monde saturnien comme un Eden
érotique. Cette hypothèse témoigne peu d'égard au
titre du chapitre, « Anagogie », qui se définit comme une
lecture de la Bible illustrant la consistance de la vie
éternelle et qui assimile les plaisirs célestes à ceux
procurés par le respect et l'observance des règles d'une vie
pieuse et religieuse. La lecture anagogique, pour assimiler les plaisirs du
paradis à ceux d'ici-bas et ainsi donner une réalité
à l'éternité, doit décrire les délices du
juste et du fidèle. Or, les efforts de Shackerley pour rendre les effets
des plaisirs saturniens s'avèrent vains, en raison de son
impossibilité sensorielle à saisir les moeurs, le langage et les
pensées de l'être saturnien. Pour ce faire, le texte de Mirabeau
compare le lecteur et Shackerley même, à un aveugle de naissance
qui chercherait à saisir la vue.
Je ne connais point d'exemple plus propre à montrer
l'impossibilité d'expliquer des sens dont on est dépourvu ; et
cependant toutes les affections et les qualités morales dérivent
des sens ; c'est par conséquent sur les observations qui leur sont
relatives, que l'on pourrait uniquement fonder ce qu'il y
aurait à dire sur le moral de ces êtres d'une espèce si
différente de la nôtre. [« Anagogie » ; page 17]
Nous avons souligné en gras le terme qui exclue toute
possibilité de connaissance sur une espèce dont les sens sont
inconnus de l'espèce humaine. Par ailleurs, il faut noter que Mirabeau
emploie le terme moral soit au masculin, soit en tant
qu'épithète d'une affection ou d'une qualité ; comme il
semble lui donner une valeur appréciative selon une norme, il ne s'agit
pas de la dichotomie absolue du bien et du mal appartenant aux conceptions
morales d'une espèce, mais à un ensemble de goûts
dépendant de leur constitution et de leur environnement, et qui
participent ou non à leurs moeurs. Les qualités d'une
espèce ne peuvent être comprises que par ses semblables qui
possèdent les mêmes attributs sensoriels. Les sens et les
goûts du Saturnien étant impossibles à comprendre, la
révélation de Shackerley est une aberration
incompréhensible. La société saturnienne ne peut
constituer un Eden perdu ; leur perfectibilité idéale est
vouée à l'inaccomplissement pour l'homme puisqu'elle est
inconcevable pour l'espèce humaine.
La Raison du corps - 105
perception, sur leur politique, sur leurs goûts et sur
leurs sens. De plus, il encadre la description de Saturne et des Saturniens par
l'intérêt et les menaces de l'inquisition religieuse. Ce n'est pas
vraiment Shackerley qui est exposé à ces risques, - il est mort
depuis longtemps - mais ceux qui doivent interpréter le texte
sacré et lui donner du sens, c'est-à-dire les stupides
magistères italiens. Leur interprétation du manuscrit doit lever
le voile sur la révélation ; démarche stupide, vu
l'impossibilité de comprendre l'expérience de Shackerley. Et il
n'est pas anodin que les institutions religieuses interviennent dans ce premier
chapitre. La façon dont le texte de Mirabeau les fait interagir avec le
manuscrit implique qu'elles ont un certain intérêt pour les
Saturnien. Et si les Saturniens représentent l'espèce dont la
perfectibilité enviable pour l'homme s'est générée
au contact d'une jouissance immédiate et permanente, alors les
institutions religieuses participeraient d'une façon ou d'une autre au
projet anthropologique de Mirabeau. Or, à part Moïse, ses lois, et
les communautés religieuses pratiquant certains rites sexuels, il
n'existe aucun passage dans la suite de l'Erotika Biblion qui aborde
à nouveau de près ou de loin, les institutions religieuses.
C'est en cherchant dans l'article « SENS EXTERNES »
de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert que l'on peut
comprendre leur rôle et leur présence dans ce premier chapitre. On
peut penser que Mirabeau s'est appuyé sur quelques pages de
l'Encyclopédie lors de l'écriture de ce chapitre. On y
retrouve notamment un lien entre Dieu et les sens qu'il a donné à
l'homme, ainsi qu'une présentation des sens mystiques dans l'article
« SENS DE L'ÉCRITURE ». Ces deux articles se situent sur deux
feuilles l'une à côté de l'autre, on peut donc envisager
qu'il avait ce feuillet avec lui1. La présence des
institutions religieuses dans le texte de Mirabeau peut s'expliquer par le lien
entre les sens humains, les sens mystiques, et l'oeuvre de Dieu. Nous
présentons donc en premier lieu, un extrait de l'article « SENS
EXTERNES ».
Le créateur n'a pas voulu donner un plus grand nombre
de sens ou des sens plus parfaits, pour nous faire
connaître ces autres peuples de matière, ni d'autres modifications
dans ceux mêmes que nous connaissons. Il nous a refusé des ailles,
il a fixé la médiocrité de la vue qui n'aperçoit
que les seules surfaces surface des corps. Accuserons-nous le ciel d'être
cruel envers nous et envers nous seuls ?2
La possible perfectibilité des sens reposant
sur le flux perpétuel de jouissance est en contradiction avec la
limitation des sens humains selon l'oeuvre de Dieu qui est indépassable.
De plus, la voix narrative, c'est-à-dire le traducteur du manuscrit,
rapporte et commente les propos de Shackerley au discours indirect ; le texte
de Mirabeau évite soigneusement tout rapport direct entre Shackerley et
l'autre peuple de matière. Par ailleurs, il n'y existe aucune trace de
moquerie envers le créateur.
1 Encyclopédie ou Dictionnaire
raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une
société de gens de lettres, Paris, Chez Briasson, David, Le
Breton et Durand, 1751-1765, tome 15, pages 29 et 31.
2 Article « SENS EXTERNES »,
ibid.
106 - Le Léviathan
Finalement, la révélation de Shackerley pointe
les limites que l'imagination peut atteindre pour montrer que l'esprit humain
ne peut dépasser l'oeuvre de Dieu. C'est en ce sens que la nature
saturnienne ne peut pas constituer un modèle de perfection pour l'homme.
Si Mirabeau relève les thèses métamorphistes dans un
récit qui ne livre aucune clef de compréhension, c'est
peut-être parce qu'il ramène ces thèses à des
rêveries livrées par des sens mystiques. Ce passage de
l'Encyclopédie est situé sur le même feuillet qui
contient l'article « SENS DE L'ECRITURE ». En imaginant la situation
carcérale de Mirabeau, on peut aisément concevoir qu'il pouvait
le posséder, qu'il l'avait sous les yeux, et qu'il sait ce qu'une
lecture anagogique implique. Et comme toutes ses sources, il ne pouvait pas
être en possession des ouvrages en entier, seulement de quelques pages
envoyées par correspondance. On trouve à la fin de l'article
« SENS DE L'ECRITURE », après les explications concernant les
cinq façons de lire la Bible, une réflexion concernant
le crédit que l'on peut donner à une interprétation
mystique de l'Écriture. Cet extrait nous intéresse parce qu'il
évoque les positions de l'institution religieuse lorsqu'une
révélation mystique veut se constituer en doctrine ; il
évoque aussi les meilleurs moyens d'avoir des certitudes sur la
matière religieuse qui consiste à s'en tenir à la lecture
littérale de la Bible. Or, notre étude a montré
que, dans son ouvrage, Mirabeau s'est attaché à repousser toutes
les lectures de la Bible autres que littérales. Ramener le
métamorphisme à une révélation anagogique dont les
fondements sont discutables peut remettre en question le fait que Mirabeau a
développé son ouvrage autour de l'axiome « tout est en flux
perpétuel de jouissance ».
D'ailleurs, comme chacun peut imaginer des sens
mystiques, selon sa pénétration ou sa piété,
chacun par la même raison a le droit de les rejeter ou d'en imaginer de
contraires. Il faut cependant observer que dès qu'un sens
mystique est autorisé par l'église ou par le concert unanime
des pères, ou qu'il suit naturellement du texte, & que
l'Écriture même le favorise, on en peut tirer des preuves &
des raisonnements solides. Mais le plus sûr en matière de
controverse est de s'attacher au sens littéral, parce qu'il est
fort aisé d'abuser du sens allégorique.1
Cet extrait peut expliquer le qualificatif « vrai
croyant, dit le manuscrit » [« Anagogie » ; page 8],
conférant ainsi à Shackerley le droit d'écrire une
révélation incompréhensible tant que des
éléments irréfutables ne viennent pas la contredire.
L'article de l'Encyclopédie ajoute qu'une interprétation
mystique ne doit être reçue comme vraie que lorsqu'elle « est
autorisé[e] par l'église ou par le concert unanime des
pères, » ; ce qui expliquerait aussi le choix du
détournement référentiel de l'édition princeps
« Par l'imprimerie du Vatican, à Rome ». Ce n'est pas
tellement de l'autorité du Magistère dont Mirabeau se moque, mais
de la crédulité attachée aux institutions
prétendant détenir des vérités
incompréhensibles et obscures. Car sa proposition finale de
présenter « à l'Europe savante, une édition [du
manuscrit de Shackerley] non moins authentique que celle des livres
sacrés de Brames, »
1 Article « SENS DE L'ÉCRITURE »,
ibid.
La Raison du corps - 107
[« Anagogie » ; page 22] à l'instar
d'Anquetil-Duperron qui « sait le zend et le zendhi » [idem]
implique une déconsidération propre de toute vérité
sortie d'un texte ou d'une pensée par un sens mystique. Non pas qu'il ne
peut détenir aucune vérité, mais que la réflexion
est proprement inaudible et inutile de par leur impuissance à conduire
l'humanité vers un stade de perfection plus avancée ; le stade
d'une perfection sensorielle étant dès lors déjà
atteint et donc parfait en ce qui regarde l'homme. La controverse repose alors
par l'analogie entre les écrits de Shackerley et ceux de Saint Jean :
quiconque ne croirait pas au mythe saturnien remettrait en question le
cheminement d'une foi aveugle en des dires prophétiques, ce qui
mérite l'auto da fé même si l'on ne comprend rien aux dires
des deux auteurs.
En outre, il serait légitime de se demander si
Mirabeau ne ramènerait pas plutôt les thèses
métamorphistes à des révélations mystiques ; s'il a
bien compris Diderot, et s'il ne cherche pas plutôt à se moquer de
sa philosophie en ramenant son matérialisme à des croyances
fondant un système religieux à son tour. Quoiqu'il en soit, la
perfectibilité des Saturniens, qu'elle ait des liens avec
l'environnement ou non, est incompatible avec la limitation des sens humains.
En somme, ce n'est pas en stimulant les sens que l'on parviendra à
l'avènement de l'Homme en Saturnien ; mais ça serait plutôt
en altérant ses goûts, donc ses moeurs qui eux, fondent la base du
lien social dans l'anthropologie de Mirabeau. Il s'agit maintenant de voir les
articulations entre les goûts, la physique et la loi de la Nature pour
continuer l'étude de son projet anthropologique.
Pour mener la suite de notre étude, nous avons
relevé plusieurs problématiques qui articulent les sens et les
goûts dans l'anthropologie de Mirabeau. Nous avons précisé
que les sens dépendent de la physique et que les goûts sont
naturels. Or, la physique, que l'on définit ici comme des modifications
de la matière produisant des phénomènes, et la Nature
définie comme la force d'attraction qui encourage la procréation
et qui est déterminé par le beau, sont deux choses
interdépendantes dans la pensée de Mirabeau.
Les sens peuvent altérer les goûts et
inversement ; cette articulation fonde le projet anthropologique de Mirabeau
destiné à procurer de l'ordre dans une société
faite pour le bonheur. Nous verrons plus tard la question de la
moralité. Nous nous en tenons sur ce point et pour cette étude,
aux propos de Charles Hirsch qui remarque que « les articulations ne
grincent, chez Mirabeau comme chez tous ses contemporains, qu'en raison d'une
conception faussée de la nature. »1 Mais cela
n'empêche pas moins que sa conception de la Nature rentre dans un
schéma politique cohérent : il cherche à établir
une législation qui, prenant en compte les moeurs initiales d'un peuple,
adapterait
1 OEuvres érotiques de Mirabeau,
collection L'Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984, page
18.
1 C'est la raison pour laquelle Mirabeau
présente dans « La Tropoïde », toutes les perversions que
Le Lévitique cherchait à redresser.
108 - Le Léviathan
ses lois en conséquence dans le but de travailler les
goûts naturels déterminants les moeurs, qui sont impossibles
à révoquer par la force répressive des
lois1.
Quiconque est conformé de manière à
procréer son semblable, a évidemment droit de la faire ; c'est le
cri de la nature qui est la souveraine universelle, et dont
les lois méritent sans doute plus de respect que toutes ces idées
factices d'ordre, de régularité, de principes, dont nous
décorons nos tyranniques chimères, et auxquelles il est
impossible de se soumettre servilement ; qui ne font que d'infortunées
victimes ou d'odieux hypocrites, et qui ne règlent rien, pas plus au
physique qu'au moral que les contrariétés faites à la
nature ne peuvent jamais ordonner. [« Linguanmanie » ; page 180]
Dans la perspective de Mirabeau, les lois ne doivent pas
contrarier les injonctions naturelles à la propagation de
l'espèce, mais elles peuvent procurer de l'ordre en établissant
une législation régulatrice des goûts naturels ; il observe
cette possibilité dans la perspective que les opérations de la
Nature sont « opérées à tout instant,
exposées en tout tems & pour tous les tems à sa contemplation
[de l'homme] » [« L'Anélytroïde » ; page 28].
Mirabeau avance clairement, non sans génie, que la Nature se
recrée sans cesse, mais en plus, que l'homme peut observer ces
changements et s'y adapter. Cet axiome induit des conséquences sur les
sens et les goûts. Ils peuvent évoluer selon les opérations
de la Nature. Mirabeau distingue dans l'entité Nature, la loi
naturelle qui ne change pas, à savoir celle qui vise la
procréation en déterminant ce qui est bien par ce qui
est beau, et l'environnement qui est relatif à
l'activité humaine, et qui peut être modifié pour favoriser
l'adaptation des espèces. La Nature, tel que l'entend Mirabeau, est bien
plus qu'une loi d'attraction entre les hommes, elle relève de
l'environnement, de la physique, et offre par ses réactions et ses
modifications par l'activité humaine, des possibilités pour
modifier les goûts et les moeurs. Elle constitue la base sur laquelle
peut agir une législation. Du moment où elle prend en compte que
la loi de la Nature, cette « loi générale, à laquelle
ne dérogent les modifications particulières, qu'autant que les
passions, les goûts, les moeurs, soumis à un rapport direct avec
les législations et les gouvernements, mais toujours subordonnés
à la constitution physique dominante dans tel ou tel climat,
s'écartent plus ou moins de la nature contrariée par l'homme
» [« L'Akropodie » ; page 104], on en conclurait vite que la
physique déterminerait les moeurs et les goûts. Ce qui
l'amène à la maxime que « la physique éclairée
doit être le guide éternel de la morale » [« L'Akropodie
» ; page 107].
Par ailleurs, Mirabeau pense que la base du lien social ne
relève pas de la loi naturelle qui n'a d'ailleurs aucune
moralité, mais plutôt des moeurs et des goûts qui, quand ils
sont partagés, sont démultipliés et peuvent s'exercer avec
plus de facilité et de sécurité. Dans ses traités
politiques antérieurs à l'Erotika Biblion, il
réfléchit à la façon d'établir de l'ordre
dans une société sans devoir
La Raison du corps - 109
sacrifier les droits et les goûts naturels ; il estime
que ces derniers ne constituent pas d'obstacle à la
nécessité d'ordre dans une société dès lors,
justement, que son but est de conserver et de démultiplier les
facultés à user des droits naturels.
Les hommes n'ont rien voulu ni dû sacrifier en se
réunissant en société ; ils ont voulu et dû
étendre leurs jouissances et l'usage de la liberté par les
secours et la garantie réciproque. Voilà le motif de la
subordination qu'ils rendent à l'autorité souveraine, à
qui le peuple a confié sa défense et sa police. Les citoyens
conservent dans la société bien ordonnée tout
l'étendue de leurs droits naturels, et acquièrent une beaucoup
plus grande faculté d'user de ses droits.1
Cet optimisme contraste fortement avec les idées de
Hobbes, l'homme est un loup pour l'homme, qui définit la
liberté comme l'absence d'obstacle pour exercer sa volonté
propre, et la loi de la nature comme l'injonction de sa propre
conservation2. Mirabeau replace le jugement de l'individu, qu'il
soit instinctif ou non, sur les mesures à entreprendre pour sa propre
conservation à une prise de conscience collective du fait que le plaisir
est démultiplié lorsqu'il est partagé. Son axiome est
différent : la loi naturelle n'est plus soumise à une logique de
conservation, mais de propagation. Il conçoit donc la liberté
comme l'absence d'obstacle aux plaisirs liés à la propagation. On
voit bien que la jouissance est au centre du lien social, mais elle ne
constitue que l'axiome de son anthropologie, et non pas son
développement. Si la jouissance est la motivation pour s'établir
en société, elle n'est pas suffisante ; il faut encore que les
individus partagent les mêmes goûts pour les mêmes choses. Ce
n'est que lorsque les goûts sont partagés que la
société est stable et sécurisée, car les
comportements pouvant nuire à l'ordre général ne peuvent
pas y naître. Le projet anthropologique de Mirabeau est donc de faire en
sorte que tout le monde partage les mêmes goûts, et si possible les
meilleurs goûts que la nature humaine est capable de développer.
Sa réflexion sur les sens et le sensualisme n'est finalement là
que pour montrer que tous les hommes sont semblables, en ceci que leur
connaissance et leur compréhension mutuelle dépendent des
mêmes contingences ; à savoir, que « la volupté
est & doit être le mobile tout-puissant de notre espèce
» [« L'Akropodie » ; page 107]. Le projet anthropologique
de Mirabeau est de définir les moyens mis à disposition d'une
législation pour façonner les meilleurs goûts possibles
grâce à la modification de l'environnement.
La Nature, en se récréant sans cesse, peut
être modifiée par l'activité humaine ; et le changement de
l'environnement altère les goûts et par conséquent l'ordre
d'une société. Pour que la physique éclairée
constitue une morale, c'est-à-dire l'ensemble des conventions qui
forment un obstacle aux attitudes contrariant l'ordre général, il
faut que la législation favorise l'éclosion des meilleurs
goûts
1 Essai sur le despotisme, Londres, 1775,
pages 44 et 45.
2 Cf. Chapitre XIV, « Des deux
premières lois naturelles, et des Contrats », Leviathan or The
Matter Forme, London, 1651.
110 - Le Léviathan
possibles par des modifications de l'environnement dont les
effets ont été étudiés et
expérimentés, et non pas par des lois. Et justement, dans le
chapitre « L'Akropodie », Mirabeau expose les effets que peuvent
avoir les changements des moeurs liés à l'activité humaine
concentrée en un seul endroit. Il prend pour exemple Paris pour
étudier ces relations. Dans cette partie de la démonstration, il
s'agit de montrer qu'une morale peut très bien garantir l'ordre sans
porter atteinte au désir de procréer, à la loi naturelle
de la propagation. En partant des théories de l'Esprit des lois
de Montesquieu dont il prend les développements des effets des
climats sur le corps et sur les esprits, il élabore les effets des
aménagements urbains et la prolifération des institutions au
même endroit sur la morale. Il cherche moins à déterminer
si les modifications de l'environnement de Paris ont été
entraînées par les goûts déjà présents
et inversement, qu'à présenter les relations entre les moeurs et
les institutions humaines.
Par exemple, la loi respective de l'amour physique des pays
septentrionaux & des méridionaux est très
atténuée par les institutions humaines. Nous nous sommes
entassés en dépit de la nature dans des villes immenses ; et nous
avons ainsi changé les climats par des foyers de notre invention dont
les effets continuels sont infiniment puissants. À Paris, dont la
température est bien froide en comparaison même de nos provinces
méridionales, les filles sont plutôt nubiles que dans les
campagnes mêmes voisines de Paris. Cette prérogative, plus
nuisible qu'utile peut-être, tient à des causes morales,
lesquelles commandent très souvent aux causes physiques ; la
précocité corporelle est due à l'exercice précoce
des facultés intellectuelles, qui ne s'aiguisent guère avant le
tems qu'au détriment des moeurs. [« L'Akropodie » ; page
104]
Pour Mirabeau, la morale parisienne présente deux
causes : le climat chaud, qui fait que les jeunes filles sont nubiles plus
tôt, et les goûts déjà présents du peuple
parisien, qui ont quelques rapports avec le développement des
facultés intellectuelles. Comme les attraits naturels sont
développés plus tôt, et que l'éducation consiste
à les préserver avant le mariage, ces jeunes filles peuvent
contrarier des hommes dans leur droit à la propagation ; ce faisant,
cette éducation dégrade les moeurs et trouble la
société. La morale et les lois parisiennes seraient donc
mauvaises car les goûts parisiens ne sont pas adaptés au climat et
inversement. Par ailleurs, notons que Mirabeau ne juge pas si le
développement précoce du corps est bon ou mauvais, il ne fait
qu'observer la nocivité des articulations morales qui en
découlent lorsque le développement de l'esprit ne suit pas la loi
de la propagation. Pour y remédier, Mirabeau développe plus loin
dans son chapitre, les nouveaux moyens dont dispose une bonne
législation. Pour modifier les goûts, elle peut aussi former des
institutions éducatives capables de redresser les effets moraux
nuisibles en respectant les goûts et l'environnement déjà
formés. L'éducation apparaît aux yeux de Mirabeau comme une
transmission des goûts qui, quand elle n'est plus adéquate au
climat provoque des problèmes moraux, mais qui peut aussi les
résoudre.
L'enfance est plus courte ; l'adolescence hâtive
devient héréditaire ; les fonctions animales & l'aptitude
à les exercer s'exaltent (car se perfectionnent ne seroit pas le mot) de
génération en génération. Or les dispositions
corporelles et les facultés de l'âme sont entre
La Raison du corps - 111
elles dans un rapport qui peut être transmis par la
génération. Grande vérité qui suffit pour faire
sentir de quelle importance serait pour les sociétés une
éducation nationale bien conçue ! [« L'Akropodie » ;
page 105]
La recréation de la Nature lui permet d'aborder les
effets de l'éducation sur le long terme. On voit bien comment
l'éducation peut réformer les goûts, mais il faut qu'elle
soit nationale afin que tout le monde les partage, ce qui préserverait
la société d'un déchirement. Notre reconstruction montre
la manière dont Mirabeau conçoit les moeurs comme le
résultat des goûts et des climats, ainsi que sa conception de la
morale qui est définie dans les articulations entre les moeurs et la loi
de la propagation. Son projet anthropologique se situe dans une perspective
évolutive de la société, à la fois dans son
environnement, et dans sa régénération. En somme, il
s'articule pleinement avec sa conception de la Nature qui est à la fois
la modification environnementale, et l'attraction de la procréation.
Lors de cette étude, nous avons vu plusieurs notions
qui définissent l'anthropologie de Mirabeau. Nous nous sommes surtout
concentrés sur les rapports entre la Nature et les hommes qui sont
fondés du point de vue du législateur. En ce sens, l'Erotika
Biblion est un ouvrage fait pour une élite intellectuelle assumant
les hautes fonctions. Seulement, le projet anthropologique de Mirabeau
développe aussi un rapport aux commandements de Dieu. Toutes nos
études ont du moins révélé un rapport profond et
constant avec la Bible. Il s'agit maintenant de voir comment sa
conception de Dieu, ou plutôt de l'ouvrage de Dieu, s'insère dans
son projet anthropologique.
Deus neque Natura1
Nous quittons maintenant les analyses sur le premier chapitre
« Anagogie », puisque c'est le seul chapitre où ni Dieu, ni la
Nature n'apparaissent. Comme nous l'avons dit précédemment, le
texte de Mirabeau traite de Dieu et de la Nature à la troisième
personne en leur procurant des actions et des volontés. Nous rapportons
ci-dessous leurs présences et leurs rôles au sein de chaque
chapitre selon le découpage du texte que nous avons proposé dans
nos synthèses au début de notre travail. Nous relevons toutes les
occurrences sans chercher à toutes les classifier ; il s'agit juste
d'étudier les tendances générales et les cas
particuliers.
- L'Anélytroïde : 12 occurrences
de Dieu, dont l'une est un complément du nom
idée et une autre est le pronom auteur indirectement
complété par le syntagme de la nature dans l'association
de deux phrases simples.
1 Dieu et non pas la Nature par opposition
à l'axiome spinoziste : Deus siue Natura ; Dieu ou bien la
Nature.
112 - Le Léviathan
o 7 occurrences sont en position sujet dans
l'interprétation de la Genèse [pages 28 à 31].
o 3 occurrences sont en position objet dans la
démonstration de l'androgénie d'Adam [pages 31 et 31].
- L'Ischa : 24 occurrences de
Dieu, dont l'une est un complément du nom
oeuvre, une autre du nom volonté apparaissant dans une
redondance du grand Être.
o 12 occurrences sont en position sujet dans la
description des ressources mobilisées pour la création [pages 41
et 42].
o 2 sont en position objet dans la description de
l'adoration qu'il faut lui rendre [page 48].
- La Tropoïde : 3 occurrences de
Dieu, dont l'une est le pronom ouvrier. Elles sont
toutes en position sujet, et apparaissent surtout comme une mauvaise
raison au nom de laquelle on meurtrissait les attraits naturels de la
reproduction dont il a doté l'homme [pages 58 à 60].
- Le Thalaba : 8 occurrences de la
Nature, dont 3 sont des compléments du nom fin
ou but et deux sont le pronom personnel elle.
o 4 occurrences sont en position sujet et relatent les
articulations entre la toute-puissance de loi de la propagation avec le
comportement humain [pages 66 et 67].
o une occurrence est en position objet au même
endroit.
- L'Anandryne : 4 occurrences de
Dieu, dont l'une est un complément du nom
oeuvre. Les autres sont en position sujet et relatent le
miracle de la création d'Ève [pages 83 à 87].
- L'Akropodie : 7 occurrences de la
Nature, dont 3 sont des compléments des noms
opérations, activité et ordre, et deux
sont des pronoms personnels elle. 4 occurrences sont en en position
sujet et présentent les attraits de la reproduction comme un
concourt entre ce qui est bien et beau [pages 103 à
106].
- Kadhésch : 3 occurrences de la
Nature, dont 2 sont des compléments des noms loi
et fin, et l'autre est coordonnée au terme impuissance
; 2 occurrences de Dieu, toutes deux compléments
des noms loi et malédiction dont cette dernière
est articulée avec le terme stérilité.
- Béhémah : 2 occurrences de
la Nature, dont l'une est complément du nom
erreur, l'autre est sujet des distinctions entre les sexes ;
2 occurrences de Dieu, dont l'une est complément du nom
mains, l'autre est sujet de la création des
bêtes animales.
- L'Anoscopie : 4 occurrences de
Dieu, dont l'une est complément du nom
grâce, et deux du nom oeuvres ; l'autre occurrence est
l'objet indirect des miracles opérés par Moïse.
- La Linguanmanie : 10 occurrences de la
Nature, dont 3 sont compléments des noms but,
ouvrage et cri, et une est le pronom personnel elle.
Une occurrence est attribut du sujet souveraine universelle.
o 2 occurrences sont en position sujet et relatent la
toute-puissance de la propagation [pages 177 à 181].
La Raison du corps - 113
o 3 occurrences sont en position objet indirect et
regardent l'énergie allouée à la propagation et les
nuisances qui s'ensuivent lorsque ce but est contrarié [pages 175
à 177].
Dans ce relevé, nous n'avons pas inclus l'occurrence
la nature de l'homme que l'on retrouve dans les chapitres «
Béhémah » et « L'Anoscopie » ou bien la nature
de l'âme que l'on trouve aussi dans « L'Anoscopie », ainsi
que les interjections du type dieu merci, oh Dieu, etc...
Car, Mirabeau semble évoquer par la nature de quelque chose, un
état partagé par les individus d'une même espèce, et
qui ne renvoie pas à la Nature en tant qu'entité. Par notre
relevé, on voit bien que la Nature et Dieu sont très rarement
traités ensembles ; on ne les retrouve traités ensembles que dans
les chapitres « Kadhésch » et « Béhémah
». Mais ils ne sont jamais confondus. Dans « Kadhésch »
par exemple, la Nature est cause de l'impuissance, tandis que Dieu est cause de
la stérilité ; dans « Béhémah », la
Nature génère des distinctions entre les sexes, tandis
que Dieu crée des distinctions entre l'homme et la bête.
Même un énoncé aussi simple que Dieu est l'auteur de la
Nature n'apparaît qu'indirectement dans le texte dans le suivi de
deux phrases simples : « Plus on pénètre dans le sein de la
nature, & plus on respecte profondément son Auteur [...] »
[« L'Anélytroïde » ; page 31]. Ceci montre bien que
Mirabeau évite soigneusement de confondre Dieu et Nature et qu'il veut
opérer une distinction entre ces deux notions traitées comme des
entités. Ce n'est qu'en un seul endroit que son texte fait
apparaître une synchronisation par « la loi de Dieu & celle de
la nature [qui] imposoient à toutes sortes de personnes l'obligation de
travailler à l'augmentation du genre humain [...] » [«
Kadhésch » ; page 124]. Cette conciliation concerne « les
premiers âges du monde », il semblerait donc que Mirabeau
conçoit ces deux entités dans une évolution temporelle et
que leurs lois respectives ne sont plus synchronisées passés les
premiers âges de la Création. Il faut noter que Mirabeau fait
souvent des termes Dieu et Nature des compléments du
nom ; ainsi, on retrouve beaucoup d'occurrence de l'oeuvre de Dieu ou
de fin [ou but] de la nature. De facto, le texte opère
une distinction entre ces deux entités ; c'est l'objet de notre
étude.
La nature apparaît pour la première fois dans le
texte au chapitre le « Thalaba » ; la troisième personne
remplace Dieu par la Nature qui était jusqu'alors traité à
cette personne. Il est question dans ce chapitre de la masturbation. Ce sujet
apparaît ponctuellement dans l'Erotika Biblion que Mirabeau
développe à travers plusieurs exemples : les eunuques,
l'androgynie primitive, Diogène, etc... Sa démonstration tente de
prouver que le péché ne pourrait pas être contre
nature. Pour ce faire, il déplace la notion du
péché qui regarde initialement les pratiques sexuelles
ne participant pas à la propagation de l'espèce, au
péché d'un comportement qui nuirait à sa propre
conservation. Ainsi, on pourrait penser que l'oeuvre de Dieu doit être
conservée et doit prospérer, tandis que le but de la nature est
essentiellement la propagation de son oeuvre. Et Mirabeau, partant du principe
qu'au début de la Création, la Terre devait être
peuplée, en conclut naturellement que la loi de Dieu était la
même
114 - Le Léviathan
que celle de la Nature, car son oeuvre avait besoin de se
propager pour se conserver ; mais plus le temps passait, plus la propagation de
l'homme se mit à nuire à sa propre conversation. À partir
du moment où la survie de l'espèce humaine ne dépendait
plus de son effectif numérique, les lois de Dieu ont changé, car
« si tous les glands devenoient des chênes, le monde seroit une
forêt où il seroit impossible de se remuer » [« Le
Thalaba » ; page 80]. C'est alors que les effets de la masturbation
favorisaient, dans ce cas, l'oeuvre de Dieu. Mirabeau ne l'exprime jamais
explicitement, mais en outre, il semblerait qu'il conçoive la Nature
comme la loi d'attraction, qui est bien réglée et fixée
pour la propagation, tandis que la loi de Dieu se situerait dans une
évolution prenant en compte les besoins de l'humanité et
l'injonction naturelle de la propagation à chaque instant. Puisque
l'oeuvre de Dieu peut se contraindre à être contre-nature,
c'est-à-dire contre la propagation, il est aberrant de vouloir que
l'homme adopte un comportement sur une notion du péché
définie comme contre-nature. Selon les cas, et selon les
situations et les époques, être exempt de péchés
contre-nature impliquerait un comportement agissant contre l'oeuvre de
Dieu ; c'est le fondement de la démonstration de Mirabeau qui
définit la notion du péché comme un manquement du but que
Dieu a donné à l'homme, et non pas comme une faute traumatique.
Manquer la cible n'est pas préjudiciable, puisque l'essentiel est
d'avoir une cible. Mirabeau replace continuellement le but que Dieu a
donné à l'homme dans la perspective de la conservation. Et ce but
évolue selon les besoins de la conservation de l'espèce
humaine.
Nous concentrons notre étude sur l'onanisme, car
Mirabeau l'aborde à plusieurs reprises dans son ouvrage. Il essaye de
rendre la masturbation utile à la morale et à la conservation des
hommes ; il la développe autour des problèmes comportementaux qui
ont motivé la déviation des fins de la Nature et des effets
nocifs que cela implique sur les corps et les moeurs. Il peut être
étonnant qu'il théorise Dieu et la Nature à travers
l'onanisme, mais il s'agit très clairement de la clef de voûte qui
articule la théologie avec son anthropologie. Sa conception de la
masturbation s'étale sur plusieurs chapitres, il l'illustre par la
philosophie de Diogène [« Le Thalaba »], par la mythologie
avec l'amour du dieu Pan pour la nymphe Écho [ibid.], et par la
biologie avec l'hermaphrodisme [« L'Anandryne »]. Il s'agit
maintenant d'étudier l'édifice théologique de Mirabeau qui
utilise par ailleurs plusieurs traditions spirituelles pour l'articuler avec
son projet anthropologique ; et ce, toujours dans la perspective
d'établir des relations entre corporalité et
spiritualité.
Les voies de Dieu sont impénétrables, mais
Mirabeau semble croire que l'entendement humain peut néanmoins trouver
et comprendre les prescriptions et les décisions mises en oeuvre par
Dieu pour la conservation de l'Homme. Pour ce faire, il entreprend une lecture
de la Bible par des voies de nécessité qui placent les
pratiques sexuelles contre-nature comme n'étant pas contraires aux voies
de Dieu, et qui concourraient même à son oeuvre. Ainsi, sa
démonstration montre le rapport de
La Raison du corps - 115
conséquence entre les pratiques sodomites et onanistes
avec l'avènement du Christ. Si Sodome n'avait pas été une
ville de sodomites et si elle n'avait pas été détruite
à cause de leur irrespect de la loi d'hospitalité, Loth n'aurait
pas fécondé ses filles et Jésus n'aurait pas vu le
jour1 [« Kadhésch » ; page 132] ; de même, si
Onan ne s'était pas masturbé par refus de donner une descendance
à son frère, Judas n'aurait pas copulé avec sa
belle-fille, et Jésus n'aurait pas vu le jour2 [« Le
Thalaba » ; page 71]. Aussi, Mirabeau ne conçoit pas les raisons de
la condamnation d'Onan comme un outrage au Créateur3. Bien
loin de chercher des rapports avec l'homicide, ou de remettre en cause le
lévirat4, il conçoit la mort d'Onan comme un rapport
de conséquence nécessaire faisant que « J.C. se trouve
né de Ruth étrangère, Rahab courtisanne, Bethsabée
adultère, & Thamar incestueuse du père à la fille
» [ibid.]. Il inscrit les circonstances de l'avènement du
Christ dans l'immoralité pour montrer que Dieu a voulu, en donnant son
fils à l'humanité, donner un exemple aux hommes, une voie
à suivre : les circonstances de la naissance de son fils cautionnent les
rapports sexuels jugés immoraux parce que Dieu devait montrer que les
conceptions morales fondées sur les pratiques contre-nature nuisaient
à la conservation de son oeuvre. Le texte de Mirabeau n'exprime en aucun
endroit que Dieu encourage ces pratiques, il s'agirait juste d'une modification
dans l'oeuvre de Dieu pour qu'elle puisse se conserver. Et il semblerait que
ces modifications soient des ajustements aux conséquences de la loi de
la propagation qui elle, resterait fixe et statique.
On pourrait s'étonner que Dieu encourage l'homme
à éluder les lois naturelles qu'il a lui-même
créées, et qu'il lui suffirait de changer les termes de la loi
naturelle pour remédier aux problèmes. Et ce n'est pas le seul
exemple d'une confrontation entre la volonté de Dieu et les fins de la
Nature dans le texte de Mirabeau. On retrouve au début du chapitre
« L'Anandryne », un nouveau rapport où Dieu modifie son oeuvre
pour contrer les nuisances engendrées par la loi de la propagation.
Même si le terme « Nature » n'y apparaît pas, ces
êtres doubles qui ne sont motivés que par le plaisir de s'unir
à leur alter ego sont entièrement soumis à la loi
de l'attraction naturelle. Une fois de plus, c'est pour conserver son oeuvre
que « Dieu fit un miracle ; il sépara les sexes & voulut que le
plaisir cessât après un court intervalle, afin que l'on fît
autre chose que de rester collés l'un à l'autre » [«
L'Anandryne » ; page 84]. On retrouve de nouveau une intervention divine
avec l'exemple du dieu Pan qui s'essouffle et qui risque de mourir de fatigue
en courant derrière la nymphe Écho ; pour le conserver «
Mercure ayant eu pitié de son fils Pan, qui couroit nuit & jour par
les montagnes, éperdu d'amour pour une
1 De cette union incestueuse naquît Moab,
chef de la nation des Moabites dont David est issu et dont Jésus descend
directement par sa mère.
2 Toutes ces informations se retrouvent dans
l'évangile de St Matthieu qui rappelle par ailleurs que la
lignée de Jésus a commencé avec l'histoire de Judas et
Thamar.
3 « Ce qu'il faisait déplu à Yahvé,
qui le fit mourir lui aussi », Trad. de Jérusalem, Gen.
ch. 38, v. 10.
4 Afin de favoriser la lignée, les
frères cadets devaient épouser la femme de leur frère
aîné et lui donner des enfants si celui-ci venait à
mourir.
1 Dictionnaire historique et critique,
Pierre Bayle, cinquième édition, Tome II, Amsterdam, Par la
Compagnie des
116 - Le Léviathan
maîtresse dont il ne pouvoit jouir, lui enseigna cet
insipide soulagement [la masturbation] que Pan apprit ensuite aux bergers
» [« Le Thalaba » ; page 69].
Dans le texte de Mirabeau, toute l'oeuvre de Dieu serait donc
motivée par la nécessité de la conservation ; il montre
que Dieu est à l'origine des pratiques contre-nature qui sont ainsi
concourantes à la conservation de son oeuvre. Comme rien de ce que Dieu
fait n'est immoral, Mirabeau finit par clamer l'absence de principe moral, ou
du moins il le réduit à la maxime « Mal est ce qui nuit
» [« Le Thalaba » ; page 79]. Seulement, il n'explicite jamais
l'articulation de l'oeuvre de Dieu avec la conservation. On pourrait penser
qu'il sait cette articulation fragile et vulnérable, car n'importe qui
pourrait présenter des objections sur les exemples que nous venons
d'étudier ; par exemple, il serait facile d'alléguer que le texte
biblique explicite clairement que le comportement d'Onan déplût
à Dieu au point qu'il le fît mourir, parce qu'il lui
déplaisait, et non pas pour obliger Judas à copuler avec sa
belle-fille. C'est peut-être la raison pour laquelle il maquille cette
articulation. Face à l'absence d'arguments théologiques solides,
il s'en remet à la philosophie et à la biologie pour articuler la
nécessité des pratiques contre-nature avec la conservation de
l'espèce sans passer par Dieu ; car ces démonstrations
présentent des raisons et des conclusions qui elles, sont recevables.
C'est le principe du résultat qui compte. Il démontre par la
philosophie et par la physique que cette articulation est justifiée, et
comme Dieu a donné la science et le savoir à l'homme pour qu'il
le comprenne, une argumentation philosophique appuyée par des faits et
des observations vaut largement un développement théologique.
Par exemple, il disserte sur les préceptes
philosophiques concernant la masturbation, replacées à
l'égard de la nécessité de la conservation de
l'espèce. Dans « le Thalaba », le texte aborde le cas de
Diogène afin de montrer les raisons alléguées par le
cynique pour justifier les pratiques de la masturbation : la suffisance, et la
gloire de braver les préjugés [« Le Thalaba » ; page
69]. Pour Mirabeau, la pratique serait condamnable lorsqu'elle implique
l'isolement du pratiquant qui n'a alors plus besoin d'autrui. Ce qui
entraîne une dépense d'énergie inutile en plus de l'exposer
au danger du confinement et de l'immobilisme nuisant à sa propre
conservation.
Comment poursuivre un homme qui vous dit froidement : «
c'est un besoin très impérieux ; je suis heureux de trouver en
moi-même ce qui porte les autres hommes à faire mille
dépenses et mille crimes. Si tout le monde m'eût ressemblé,
Troie n'aurait été prise, ni Priam égorgé sur
l'autel de Jupiter. » [« Le Thalaba » ; page 69]
Comme Jean-Pierre Dubost le montre, Mirabeau recopie ici
l'article « DIOGENE » du Dictionnaire de Pierre
Bayle1. On y retrouve les anecdotes sur Pan [idem ; page
70], Laïs [ibid.], la fille de joie
La Raison du corps - 117
rejetée par Diogène [ibid.], Galien
[page 73] et les vers de Martial [page 79] que Mirabeau reprend à la
suite de la note (L) du Dictionnaire de Bayle. Par ailleurs, il faut
noter que la note de Mirabeau « Hypparchia, &c. » [idem,
page 68] est incomplète. Elle renvoie à Hipparchia qui est la
femme du philosophe Crates qu'elle quitte pour Diogène. Contrairement
à ce que dit Jean Pierre Dubost1 , Mirabeau ne s'est pas
inspiré du roman, Hipparchia, histoire galante traduite du grec
attribué à Godard de Beauchamps, mais des notes (C), (D) et
(G) de l'article « HIPPARCHIA » du Dictionnaire du
Bayle2. Mirabeau en recopie là aussi des passages pour
écrire son « Thalaba » ; il a simplement suivi le renvoi de la
note (M) dans l'article « DIOGENE » du Dictionnaire de
Bayle3. En l'occurrence, la note de Mirabeau « Hypparchia,
&c. » est censée apporter des précisions sur les femmes
qui se laissent entrainer par le cynique ; mais il se contente de nommer
Hypparchia pour représenter les femmes qui ont été
séduites par l'impudicité. Mirabeau semble suggérer par
l'abréviation &c. que c'est un problème
récurrent et qui touche beaucoup de femme. Ce point est important dans
le chapitre « Le Thalaba » car l'impudicité est
spécifiquement un caractère humain qui le conditionne dès
sa naissance à être civilisé, et ce développement
est l'objet du dernier chapitre « La Linguanmanie ».
L'impudicité est la preuve que Dieu a prévu que l'être
humain doit être civilisé jusque dans ses désirs les plus
sauvages prouvant par ailleurs, qu'il a connu un état naturel. Comme la
honte et la pudeur ne sont pas des sentiments propres aux animaux, ils ne sont
donc pas naturels ; et Mirabeau montre que l'homme peut trouver les moyens, par
lui-même, de tromper les fins de la nature, et qu'il n'a en
conséquence rien à voir avec la bête. Il poursuit en
abordant la pratique de la masturbation pour montrer que les
inconvénients - le ramollissement des organes, la solitude, la fureur -
qui s'ensuivent peuvent être annihilés en pratiquant l'onanisme en
société. Et justement, Mirabeau développe dans le «
Le Thalaba », une pratique, un art, qui permettrait de concilier
l'état naturel avec l'état civilisé sans les
inconvénients de la masturbation, et sans mettre en péril la
conservation de l'espèce humaine. Ce chapitre est véritablement
l'illustration des réflexions morales contenues dans l'Erotika
Biblion, et il prépare la dissertation morale des chapitres suivant
: « L'Akropodie » et « Béhémah ». Nous
traiterons de la moralité de la nature dans un prochain chapitre ; pour
l'heure, il faut noter que Mirabeau ramène la moralité à
une question de conservation, car il semblerait que le bonheur, qui
justifierait à lui seul son projet anthropologique, est
conditionné par une libération morale de la sexualité
qu'il doit à priori juger nécessairement entravée. Par
exemple, dans « L'Akropodie », il montre que la nature
génère du beau pour prédisposer l'homme à la
procréation, tandis qu'il tempère la puissance de la loi
naturelle dans le chapitre « Béhémah » en montrant que
Dieu empêche la
Libraires, 1734, page 294.
1 Erotika Biblion, édition critique
par Jean-Pierre Dubost, éd. cit, note 45, page 127.
2 Dictionnaire historique et critique,
Pierre Bayle, éd. cit, Tome III, pages 346 à 349.
3 Id. Tome II, page 294.
118 - Le Léviathan
reproduction des êtres monstrueux. C'est aussi la
question de la génération qui est au centre des réflexions
morales de Mirabeau.
Cependant, l'article « HIPPARCHIA » de Bayle, dans
lequel Mirabeau recherche la liste des femmes séduites par
l'impudicité, ne rapporte aucun autre exemple de femme ayant tout
sacrifié au cynique. L'abréviation &c.
employée par Mirabeau cache, en fait, un manque de
référence à sa disposition. Il pourrait apparaître
alors que le risque que l'impudicité puisse se généraliser
serait un besoin pour la démonstration qui l'amènerait à
faire preuve de mauvaise foi intellectuelle. Pour bien comprendre l'enjeu de la
démonstration sur ce point, il faut admettre que Mirabeau regarde
l'état civilisé comme étant nécessairement
contraire à l'état de nature. Puisque la nature est capable, par
la loi d'attractivité naturelle, de mettre en péril la
conservation de l'oeuvre de Dieu, il est logique qu'elle ravage
généralement et facilement les conventions sociales
formées par l'habitude désuète des goûts et de
l'environnement comme par exemple la circoncision que nous avons traitée
précédemment. Et comme ces conventions sociales sont impuissantes
devant la puissance de l'homme à dévier ses pratiques sexuelles
des fins de la nature, il conviendrait de libérer la sexualité
des conventions qui ne sont plus en accord avec les goûts et
l'environnement actuel. Mirabeau présente donc une certaine mesure
à la libération sexuelle qui tient à des facteurs que l'on
travaille dans le temps ; ce n'est pas une complète libération
sexuelle telle que pourrait le suggérer une approche hédoniste de
son ouvrage, mais plutôt une perspective qui s'élaborerait dans le
temps. Même si la formation des goûts et de l'environnement
dépend en partie de l'activité du législateur, les
sociétés ne perdurent et ne prospèrent que lorsqu'elles
sont utiles à la conservation de l'Homme, car Dieu peut à tout
moment intervenir pour les supprimer. C'est pourquoi Mirabeau est
fasciné par toutes ces sectes religieuses ou philosophiques
rapportées dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert,
et qu'il cite dans presque tous les chapitres de l'Erotika Biblion.
Elles avaient une relation particulière avec la sexualité
provenant de leur interprétation des écrits sacrés ou
philosophiques ; et plus elles ont perduré et prospéré,
plus il les considère comme autant d'illustration des changements de
l'oeuvre de Dieu qu'il s'agit d`interpréter pour mieux connaître
les desseins du Créateur et si possible mettre en chantier, un projet
qui rentrerait dans ses vues actuelles. Loin de les condamner ou à
l'inverse, de les prendre en exemple, il les considère en philosophe,
car elles doivent nécessairement contenir une partie de l'essence divine
qui se configurerait comme une logique dans le temps, que l'être humain
peut appréhender et comprendre, pour calquer son comportement actuel sur
la marche à suivre selon les vues de Dieu. Pour revenir à
Hipparchia, l'abréviation &c. de Mirabeau relève
moins d'une mauvaise foi intellectuelle que du pari qu'il y a eu bien d'autres
femmes qui se sont laissées séduire par une philosophie ou une
croyance destructrice qui ont eu, en revanche, leur place dans
l'évolution de l'oeuvre de Dieu.
La Raison du corps - 119
En somme, la perspective chronologique avec laquelle Mirabeau
construit son projet anthropologique, l'oblige à l'articuler avec des
exemples commentés sur la sexualité dans les temps anciens et
modernes dans une logique comparative qui a pu apparaître comme une
moquerie envers les moeurs des Hébreux et autres civilisations antiques.
Comme nous venons de le voir, il s'agit en réalité de bien plus.
Par ailleurs, on s'aperçoit qu'il est nécessaire que Nature et
Dieu ne soient pas une seule et même entité, et que
l'élection de Dieu est visible selon la pérennité d'une
oeuvre ; ce qui coïncidence avec l'idée que la noblesse entretient
un rapport avec l'élection divine. Un législateur qui
parviendrait à former un projet anthropologique prospère aurait
été lui-même élu par Dieu pour le faire. C'est la
raison pour laquelle Mirabeau s'étonne au début du chapitre
« La Tropoïde » que l'on puisse concevoir Moïse comme un
imposteur et que, par conséquent, on puisse avancer que la Bible
n'est pas révélée1. Comme il observe que
le peuple juif existe encore à son époque, sa logique veut que
cette civilisation ait été menée par un législateur
élu de Dieu, en plus du fait qu'il n'existait aucun peuple avant eux
pour leur donner l'exemple. Moïse est bien un prophète puisque son
oeuvre est pérenne. Pour Mirabeau, c'est le principe du résultat
qui compte : il affiche clairement une certaine foi en un avenir positif,
puisque le faux ne dure jamais dans le temps ; il finit toujours par être
démasqué comme Mirabeau semble l'avancer au début du
chapitre « L'Anoscopie ». Le progrès n'est donc pas seulement
l'affaire du législateur, il est aussi dans l'oeuvre de Dieu qui
empêche le faux d'évoluer dans le temps. Exercer une fonction
politique aurait aussi quelque chose d'électif et de sacré pour
Mirabeau, car il appartient au législateur, tel que Moïse, à
interpréter l'oeuvre de Dieu. Si l'interprétation de Mirabeau se
concentre essentiellement sur la sexualité, c'est justement par la
tension qu'il décèle entre l'oeuvre de Dieu et les fins de la
Nature.
Le système politique de Mirabeau regarde la
pérennité comme le garant d'un bon système. Les erreurs
peuvent être corrigées soit par le législateur, grâce
aux lois et aux emménagements territoriaux, soit par la volonté
divine faisant que les aberrations ne puissent prospérer, ni même
se propager. On voit bien que ce système politique se constitue comme un
corps évoluant dans le temps, modelable comme un corps organique. C'est
la raison pour laquelle nous avons appelé notre partie le
Léviathan. Toutefois, Mirabeau considère qu'un meilleur
système est encore à naître et qu'il devra prendre en
compte la doctrine épicurienne : l'homme heureux est vertueux. De fait,
le Souverain Bien serait le bonheur, mais quel type de morale pourrait s'en
montrer garante ? Dans notre dernière partie, nous dissertons sur cette
question et nous essayons de mettre en relation les notions clefs de son
ouvrage : l'énergie, la Nature et la femme. Il nous faudra aussi
convenir que le Dieu de Mirabeau
1 « La plupart des objections sur lesquelles se fondent
les personnes qui ne peuvent croire que Moyse ait été un
interprète divin, me paroissent très insuffisantes. » «
L'Anélytroïde », Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII
[édition de référence pour ce mémoire], page 25.
1 Voy. Lettre à Sophie, le 19 juin
1780, dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes,
pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel,
T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 225.
120 - Le Léviathan
n'est pas chrétien, et certainement pas dans une
doctrine religieuse ou philosophique. Il est changeant, bienveillant et
pourrait se résumer à une force conservatrice. Il y aurait donc
un angle de sa réflexion à mettre davantage en lumière :
celui de l'universalité.
Une Utopie évolutive
Si l'on regarde bien le premier chapitre, Mirabeau fait de la
société saturnienne, une véritable utopie fonctionnant
hors du temps, et qui évolue dans un absolu imaginaire peu commun. Nous
avons montré que Mirabeau, bien loin de l'intégrer dans ses
réflexions politiques, s'en moque et la considère comme inutile,
car incompréhensible pour le genre humain. Et nous avons
déjà envisagé l'éventualité que les
chapitres qui suivent se constitueraient comme une réponse à la
fable saturnienne. Les autres chapitres fonctionneraient donc d'un seul bloc et
dessineraient une nouvelle utopie, mais qui ne serait pas figée et
fictionnelle. Plutôt que d'adopter un récit, Mirabeau aurait
choisi d'argumenter ; plutôt que reposer la diégèse sur des
éléments mythologiques, il choisit l'Histoire et la Bible
- que Mirabeau prend très au sérieux, il convient de
l'admettre - ; plutôt que de peindre des personnages fictifs, il utilise
des personnages historiques appartenant au monde de la connaissance. Il
s'agirait d'une utopie car le but de son argumentaire vise
l'épanouissement, le bonheur grâce à la
société, et pour ce faire, il utilise toute la matière
à sa disposition : la connaissance des livres savants, et sa
connaissance propre, empirique et spirituelle.
Une question demeure : pourquoi a-t-il choisi l'argumentation
plutôt que la fiction pour écrire son utopie ? Peut-être
parce, pour avoir écrit plus de traités politiques que de
fiction, il considère la matière politique comme étant
trop sérieuse pour être traitée par la fiction ;
peut-être aussi que les ouvrages dont il s'est en grande partie
inspiré, sont des ouvrages savants qui traitent de leur sujet de
façon sérieuse. L'une de ses inspirations lui viendrait
directement de Jean Jacques Rousseau. Dans une lettre adressée à
Sophie1, il y présente la société que Rousseau
propose au gouvernement polonais car il est en permanence menacé par
l'annexion de la Russie. Aux détours des usages politiques
machiavéliens pour se défendre d'un ennemi extérieur, on
retrouve les éléments fondateurs de l'Erotika Biblion :
le caractère philosophique étranger aux moeurs et aux
idées contemporaines; le référentiel aux peuples antiques
- dont l'analogie au le peuple juif ; le sentiment et le caractère
national fondateur de la société grâce à des jeux
d'enfants qui peuvent s'illustrer avec les exemples relatés dans
l'ouvrage (notamment les gymnases) ; l'aspiration à
l'éternité ; un système politique
Une Utopie évolutive - 121
absent, quelques lois mais sans véritable régime -
tous ces éléments peuvent être lus dans
l' « Anagogie » ; le bonheur modéré
pour tenir à l'écart la volupté immodérée,
nourrice des vices ; le renouvellement des romans politiques de Platon ; faire
obstacle à la corruption et au luxe des peuples modernes ; le
dégoût et l'effroi pour les moeurs antiques ; entretenir la peur
des vices pour conduire le peuple à la vertu ; réformer la
société par et pour les passions ; se servir non plus de la voix
de Dieu, mais des instruments des hommes : la raison et le discours
érudit. Ce sont autant d'idées que l'on retrouve dans
l'Erotika Biblion. Il resterait à savoir si Mirabeau avait bien
ce manuscrit avec lui, s'il est bien de la plume de Rousseau et surtout s'il
lui est parvenu par défaut ou s'il l'avait
demandé.1
Toujours dans sa correspondance avec Sophie, Mirabeau parle
d'un plan manuscrit que Mr. Dupont lui aurait remis lorsqu'il était en
détention. Bien que ce texte ne soit pas identifié - on ne sait
pas s'il s'agit du manuscrit de Rousseau ou d'une ébauche de
l'Erotika Biblion -, il est curieux de remarquer que Mirabeau
distingue deux manuscrits en parlant de l'Erotika Biblion. Bien qu'il
en revendique la paternité, ce deuxième manuscrit est
qualifié en tant que « nouveau » et en même temps «
original » alors que l'Erotika Biblion est en chantier depuis
quelques mois déjà. De plus, si ce manuscrit n'est qu'une copie
de l'ouvrage sur lequel Mirabeau travaille, on comprend difficilement pourquoi
il lui est si nécessaire pour terminer l'Erotika Biblion.
Je comptais t'envoyer aujourd'hui, ma minette bonne,
un nouveau manuscrit très singulier, qu'a fait ton infatigable
ami ; mais la copie que je destine au libraire de M. B... n'est pas finie, et
t'ôter à l'avenir l'original, ce serait l'interrompre pour
longtemps. Ce sera la prochaine fois. Il t'amusera : ce sont des
sujets bien plaisants, traités avec un sérieux non moins
grotesque, mais très décent. Croirais-tu que l'on pourrait faire
dans la Bible et l'antiquité des recherches sur l'onanisme, la
tribaderie, etc. etc. enfin sur les matières les plus scabreuses
qu'aient traité les casuistes, et rendre tout cela lisible, même
au collet le plus monté, et parsemé d'idées assez
philosophiques ?2
Nous avons mis en gras les phrases qui nous semblent avoir
besoin d'éclaircissement. Il serait plausible, voire probable que
Mirabeau se soit largement inspiré du plan manuscrit qu'il aurait
reçu des mains de M. Dupont. Quant aux raisons où ce manuscrit
s'est trouvé à Vincennes dans les mains du comte, il est
laborieux d'y répondre en l'état des choses car nous n'avons pas
identifié le manuscrit dont parle Mirabeau. Pour l'heure, on doit se
contenter des appréciations de Mirabeau sur le
1 Malgré mes recherches aux Archives
Nationales, je n'ai pas trouvé le manuscrit en question. Je ne peux donc
qu'évaluer la piste du manuscrit « fantôme » avec les
éléments laissés par Mirabeau dans sa correspondance.
2 Lettre à Sophie, le 21 octobre 1780,
dans Lettres originales, écrites du donjon de Vincennes,
pendant les années 1777, 78, 79 et 80, recueillies par P. Manuel,
T. IV, Paris, Chez J. B. Garnery, 1792, page 298. D'ailleurs, Guillaume
Apollinaire a lui aussi soulevé ce détail dans une note de son
introduction : « Et t'ôter à l'avenir l'original, ce
serait l'interrompre pour longtemps. Cette phrase est obscure. Elle a
toujours été supprimée par les commentateurs, qui ont
souvent cité cette lettre d'après le recueil de Lettres
originales de Mirabeau, publié par Manuel. » Note I, page 18
de L'oeuvre du Comte de Mirabeau, essai bibliographique et notes par
Guillaume Apollinaire, ed. cit, 1921.
122 - Le Léviathan
manuscrit et ne pas écarter la possibilité que
Mirabeau ait bien eu le manuscrit de Rousseau en sa possession. Car le
philosophe entretenait des relations épistolaires avec l'Europe
entière.
L'Universalité
Quel que soit le régime, Mirabeau cherche à
isoler un principe de fonctionnement universel. Puisque les moeurs et les
goûts dépendent de la nature, la loi d'attraction et
l'environnement, il resterait au législateur le pouvoir de modifier
l'environnement, comme nous l'avons vu, et d'édicter des lois. La loi
corrige les travers mais ne les empêche pas. Son effet est visible sur le
long terme et n'est plus nécessaire lorsqu'elle a atteint son but. Dans
l'idéal, une société parfaite n'aurait pas besoin de loi
et n'aurait pas besoin de législateur. Tout revient à pouvoir
instaurer un gouvernement capable de modifier les conséquences d'une
Nature puissante en ayant suffisamment d'emprise dans l'esprit des
sujets1 pour faire appliquer les lois et ainsi corriger les travers.
Comme le ressort de cette autorité ne peut pas se trouver dans le
caractère du législateur - ce qui contreviendrait à la
volonté de donner un système politique universel -, Mirabeau
convient toutefois qu'il existe de véritable homme d'Etat qui ont su
conquérir suffisamment d'empire sur eux-mêmes pour se
détacher des injonctions naturelles. Ainsi, le rôle du
législateur ne peut être qu'une fonction à plein
temps2 adressée à une certaine élite.
Paradoxalement, le rôle de l'homme d'Etat pour Mirabeau cesse lorsque la
société n'a plus besoin de lui.
Quoi qu'il en soit, un imbécile obéi peut,
comme un autre, punir les forfaits ; le véritable homme d'Etat sait les
prévenir. C'est sur les volontés plus que sur les actions qu'il
cherche à étendre son empire. S'il pouvait obtenir que tout le
monde fît bien, que lui resterait-il à faire ? Le chef-d'oeuvre de
ses travaux serait de parvenir à rester oisif. [« Kadesch » ;
page 122]
Plus le principe est simple, plus il perdure car il est
respecté de tous et pour tous les temps. Mirabeau disserte sur
l'influence des lois et du législateur dans les chapitres « Kadesch
» [VIII] et « La Tropoïde » [IV]. Dans « La
Tropoïde », Mirabeau explique le rôle des lois et
définit les moeurs, et regarde les lois du peuple juif pour en conclure
qu'elles ont atteint leur but car les vices ont été
corrigés. Le chapitre « Kadesch » illustre davantage les
conséquences des lois désuètes et de leurs
répercussions sur les moeurs et les goûts. Mirabeau les
développe à travers l'exemple des lois sur le mariage [«
Kadesch » ; page 123] qui aurait donné lieu au goût
pédéraste pour les eunuques. Ce
1 « Le véritable ressort de l'autorité est
dans l'opinion, et dans le coeur des sujets ; d'où il suit que rien ne
peut suppléer aux moeurs pour le maintien du gouvernement : il n'y a que
les gens de bien qui sachent administrer les lois ; mais il n'y a que les
honnêtes gens qui sachent véritablement leur obéir. »
« La Tropoïde », Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII
[édition de référence pour ce mémoire], page 52.
2 Mirabeau se détache Du Contract
social ; ou, Principes du droit politique, de Rousseau qui ne
conçoit pas une professionnalisation de l'homme politique, car elle
signerait la fin de la république, et donc de la société
idéale.
Une Utopie évolutive - 123
passage nous intéresse car il développe le
problème qui se pose lorsque les lois humaines ne suivent que la loi
naturelle en faisant fi de la loi de Dieu. Si dans les premiers âges,
Mirabeau avance que la stérilité et le voeu de célibat
étaient rares, le goût pour les pédérastes est
né lorsque le monde n'avait plus besoin d'être peuplé.
C'est-à-dire lorsque la loi de Dieu, la conservation, n'était
plus synonyme de propagation. Malgré la loi sur le mariage, certains se
firent eunuques et prirent l'habitude de s'asservir au désir de son
prochain. Ce serait une sorte d'esclavage qui a donné naissance «
au plus atroce des despotismes » [« Kadesch » ; page 127] et
à l'habitude d'asservir son prochain ; ce serait le début des
inégalités sociales. Dans le même chapitre, Mirabeau montre
que le goût pour les eunuques est universel sans être naturel. La
Nature, en se recréant sans cesse, aurait même
développé des êtres à doubles queues pouvant se
reproduire tout en satisfaisant les goûts pédérastes
[« Kadesch » ; page 133]1 . En outre, l'habitude
d'éluder les lois et les injonctions du législateur donne
naissance aux grands maux qui sont l'asservissement, l'esclavagisme et le
despotisme.
Il n'est pas de lois qui puissent arrêter un
désordre idéal ; aussi malgré les injonctions des
législateurs, on éludait très communément dans
l'antiquité les fins de la nature. [idem ; page 126]
Ce désordre idéal dont parle Mirabeau est en
fait l'indice d'un changement de la volonté divine et que la
législation, plutôt que de se durcir, doit l'intégrer afin
d'éviter de donner l'habitude d'être désobéie.
On voit bien la façon dont la volonté divine
s'exprime : c'est une idée, peut-être un désir
irrévocable, qui s'empare des esprits des hommes. Finalement, Mirabeau
avance que Dieu n'est rien d'autre que l'idée de Dieu qui
s'exprime dans l'esprit des hommes. Il fait d'ailleurs le même
raisonnement sur l'âme, elle n'est que l'idée de
l'âme, et disserte sur son existence dans le chapitre «
Béhémah »2 à travers les raisonnements des
Anciens. Sans nier l'existence de l'âme, il en conclut que « jamais
on n'avait eu jusqu'à nos dogmes modernes la moindre idée de la
spiritualité de l'âme » [« Béhémah »
; page 143]. Le siège de l'âme ou sa nature n'est pas une question
pertinente pour Mirabeau : seul compte le fait que ces idées agissent
sur les esprits et cela lui suffit. Car il voit bien que ces idées ont
une vie propre, même si elle est purement spirituelle, et qu'elles
influent sur le gouvernement des hommes, sur leurs moeurs, leurs goûts et
leur morale. C'est ainsi que se constitue son principe d'universalité :
les hommes ont les idées que leur prête la divinité et
agissent en conséquence. Il ramène des questions
compliquées traitées par la théologie à un
raisonnement très
1 Ce serait là une possible illustration du
métamorphisme tel que le conçoit Mirabeau. On voit bien que ce
n'est pas l'usage des sens ou l'expression des besoins vitaux qui
déterminent une métamorphose du corps, mais l'injonction
naturelle, la propagation, altérée par les conséquences
des lois humaines sur les moeurs.
2 « Béhémah », Errotika Biblion,
`Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de
référence pour ce mémoire], page 142.
124 - Le Léviathan
simple et en tire une conclusion très simple. Ce n'est
pas aux hommes de faire preuve de tolérance et de laïcisme pour
favoriser le bonheur en société, mais aux législations. On
retrouve la nécessité de séparer la religion de l'Etat
telle que la conçue Spinoza dans son Traité
Théologico-politique. Leurs raisonnements sont similaires sur un
point : le rapport à Dieu est une idée et c'est faire violence
à ceux qui n'ont pas la confession élue par les Souverains
Pouvoirs que de les obliger à adopter des dogmes qu'ils croient
faux.1 Mirabeau n'est donc pas athée, du moins l'Erotika
Biblion ne nous permet pas de le dire. La religion est dans le coeur des
hommes et il faut composer avec elle pour établir un régime
politique. Par ailleurs Mirabeau pense que la religion n'aurait pas d'effets
néfastes sur la société dans la mesure où le
commandement de Dieu est d'aimer son prochain.2
Finalement Mirabeau prescrit la simplicité dans le
principe d'universalité. Et on ne peut être
qu'étonné qu'il ait écrit un ouvrage aussi
compliqué que l'Erotika Biblion pour justifier un raisonnement
qui recherche la simplicité. Nous pouvons d'ailleurs revenir à la
signification du titre : À propos de l'Erotisme dans les
livres. Ce serait l'idée de l'érotisme que l'on peut
ressentir à la lecture de livres. À aucun endroit Mirabeau ne
définit l'érotisme et ne justifie le titre qu'il a choisi pour
son ouvrage. Toutefois, on y retrouve les éléments qui nous
conduisent à l'idée de l'érotisme : la femme,
l'énergie, le bonheur, etc... Sans jamais être justifié, ce
titre réveille une idée partagée, commune, qui s'inscrit
donc dans l'universalité. Peut-être qu'il considérait que
l'érotisme est à ce point universel qu'un traité politique
fondé sur cette idée ne peut que compris par tous. Car on peut
supposer que Mirabeau aurait pu développer son système politique
sans passer par une relecture de la Bible et des moeurs antiques qui
donne, par ailleurs, une note ambigüe à ses propos.
Dans la mesure où Mirabeau construit une utopie par
l'argumentation, on peut ramener son désir de simplicité et
d'universalité au désir d'ouvrir la société
idéale à tous les peuples à tous les temps. C'est
l'inverse d'une utopie classique refermée sur elle-même où
les frontières physiques empêchent l'extérieur
d'interférer comme se présente la société
saturnienne délimitée par l'espace d'une planète,
inaccessible de l'extérieur. La perspective diachronique de son
argumentation implique la prétention de ne négliger aucun peuple
et aucune époque pour fonder ses propositions. Il s'applique à
démontrer l'évolution des lois et de ses effets sur les moeurs
pour disposer d'une réflexion universelle. Ce désir
l'amène à rechercher des origines comme le feront après
lui les romantiques au XIXème siècle. Son étude
est inséparable d'une volonté globalisante
réfléchissant des principes généraux, voire
absolus.
1 Cf. Chap. XX du Tractatus
Theologico-Politicus, Spinoza, Hamburgi, apud Henricum
Künrath, CI? I? CLXX,
1670.
2 Voy. notre résumé de l'ouvrage au
début de notre travail ; « L'Anandryne », Errotika
Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de
référence pour ce mémoire].
Une Utopie évolutive - 125
La Femme et l'énergie
Les conceptions de Mirabeau sur la femme prennent une part
importante dans son argumentation. Deux chapitres lui sont entièrement
dédiés : « L'Ischa » [III] et « La Linguanmanie
» [XI]. La femme, que Mirabeau conçoit comme un véritable
vecteur d'énergie et de vertu pouvant éduquer l'homme,
apparaît comme un élément central de vie sociale. Nous
avons vu avec l'onanisme que le risque était que l'homme s'isole en
satisfaisant ses besoins seul. La femme permet de contrer cet
inconvénient et de faire en sorte que les goûts, en plus
d'être partagés, soient pratiqués en société
: nécessité première pour l'établissement d'une
société.
Toujours est-il que la femme peut faire naître des
fantasmes. L'interdit et les contrariétés seraient un foyer
dangereux de déviance morale. L'idée de la jouissance
attachée au fantasme est si puissante qu'elle pourrait pousser un
être à se compromettre pour la satisfaire. Mirabeau
problématise ces déviances comportementales en
représentant les forces auxquelles est soumis l'individu qu'il
ramène aux injonctions de la Nature et les interdits de la
société. Il les comprend comme deux forces déterminant
l'individu à l'action. Faux dilemme s'il en est : les lois de la
société sont remplaçables, tandis que les lois de la
Nature sont rigides. L'individu peut évoluer dans une
société qui ne le dénaturerait pas outre mesure : son
corps, réagissant comme une machine aux sensations qui l'environne, le
rend universel et semblable à son prochain. Mirabeau prend acte du
rôle uniformisateur des lois sociales, et les compare avec les lois
naturelles pour expliquer la difformité des moeurs civilisés.
La machine humaine ne doit pas être plus
réglée que l'élément qui l'environne ; il faut
travailler, se fatiguer même, se reposer, être inactif, selon le
sentiment des forces l'indique. Ce serait une prétention très
absurde et très ridicule que de vouloir suivre la loi
d'uniformité, et se fixer à la même assiette, quand tous
les êtres avec lesquels on a des rapports intimes sont dans une
vicissitude continuelle. Le changement est nécessaire, ne fût-ce
que pour nous préparer aux secousses violentes qui quelquefois
ébranlent les fondements de notre existence. [« La Linguanmanie
» ; page 180]
La machine humaine est soumise à loi naturelle de
l'attraction. Comme Mirabeau le dit bien, on ne peut pas lui obéir
constamment. C'est une question d'énergie, et c'est la raison pour
laquelle la loi naturelle est impropre pour fonder une société.
Il lui faut être supplée par la loi humaine qui doit viser la
vertu ; c'est-à-dire l'amour qui est par ailleurs le seul commandement
de Dieu. Même si Mirabeau admet qu'une société pervertie
peut exister si tout le monde partage le même degré de corruption
et qu'un plus grand mal naîtrait si l'on forçait les individus
à se comporter d'une façon contraire à leurs goûts
et leurs moeurs, il y aurait une limite qui contrebalancerait les écarts
et les débordements : c'est la limite de l'énergie. Pour
canaliser cette énergie, la femme serait le moyen le plus sûr d'y
parvenir. En inspirant l'amour, elle montre le bon et suscite donc
nécessairement le bien. C'est la raison pour laquelle Mirabeau
s'intéresse aux problèmes moraux que la masturbation peut
126 - Le Léviathan
engendrer et le rapport qu'il entretiendrait avec le sexe
féminin.1 Pour illustrer les retombées morales que
peuvent avoir la pratique, Mirabeau donne en note dans le chapitre « Le
Thalaba », l'exemple du marquis de Santa-Cruz pour démontrer que la
masturbation peut avoir quelques intérêts pratiques.
Le marquis de Santa-Crux [sic], par exemple, commence son
livre de l'Art de la Guerre par dire : « Que la première
qualité indispensable à un grand général, c'est de
savoir se b...le v..., » parce que cela épargne dans une
armée, et surtout dans une ville de guerre, tous les caquetages et les
indiscrétions des femmes, qui finissent toujours par tout perdre.
[« Le Thabala » ; note I, page 73]
On peut voir que la masturbation peut être une
nécessité pour le bien de tous, comme l'est celle de ne pas se
livrer à une espionne lors des transports nocturnes, ce qui mène
tout droit la bataille du lendemain à sa perte. Notons que la commission
de l'Index s'offusque de la référence en qualifiant l'anecdote de
calomnie2, à raison, puisque selon Dubost, cette illustration
est fausse car « il n'y a rien dans cet ouvrage [de Santa-Cruz] qui puisse
être interprété en ce sens. »3 Autant la
réflexion de Mirabeau est assez explicite, autant ses
références souffrent, là encore, d'exactitude. Si cet
exemple nous permet de bien concevoir les dangers que la masturbation
préserve, on peine à comprendre l'utilité de calomnier une
référence. Peut-être Mirabeau a-t-il voulu lier ensemble,
l'ouvrage de guerre et l'Erotika Biblion avec le Dictionnaire
philosophique ? Car il est étonnant de remarquer à ce propos
l'exemple que donne Voltaire dans son article « Caractère
».
[...] Une de tes passions a dévoré les autres,
et tu crois avoir triomphé de toi. Ne ressemblons-nous pas presque tous
à ce vieux général de quatre-vingt-dix ans qui, ayant
rencontré de jeunes officiers qui faisaient un peu de désordre
avec des filles, leur dit tout en colère : « Messieurs, est-ce
là l'exemple que je vous donne ? »
L'exemple est si semblable qu'on aurait du mal à
s'empêcher d'y voir la même anecdote. Les deux auteurs parlent des
passions dévorantes, mais Voltaire pense qu'on en triomphe rarement ;
tandis que, pour Mirabeau, le législateur doit s'affranchir de la loi
naturelle pour gouverner. Car il avance que les passions ont remplacé
les vertus à cause de la disparition de certaines institutions
entraînant le manque d'exercice physique pour consolider l'âme ;
« il suit de là et de bien d'autres causes, que je ne
prétends point énumérer, que nos passions, ou plutôt
nos désirs et nos goûts (car nous n'avons
1 Nous avons abordé cette question sous un
angle philosophique dans notre partie précédente avec l'exemple
d'Hypparchia et de Diogène.
2 Cf. « Errotika Biblion », par Amadieu
Jean-Baptiste et Mace Laurence, Les Mises à l'Index des
Lumières françaises au XVIIIe
siècle dans La Lettre clandestine, n°25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Susana Maria Seguin,
éd. cit, page 27.
3 Note 48, page 127 de Erotika Biblion,
édition critique par Jean-Pierre Dubost, éd. cit. L'ouvrage dont
se sert Dubost s'intitule Réflexions militaires et politiques de
Monsieur le marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, la
Haye, Chez Jean Vau Duren, 1734 ; mais s'agit-il du bon titre ? Mirabeau parle
de l'Art de la Guerre, et le traducteur affirme qu'il n'a rien
changé au titre original, sinon l'ajout « Politique » au
titre. Toutefois, si l'intention est de calomnier l'auteur, il paraît
logique d'en maquiller les sources ; au reste, Santa Cruz, dans un
alinéa au deuxième chapitre, parle bien des dangers qui arrivent
lorsque les généraux mêlent les femmes à leurs
plaisirs, mais rien sur la masturbation.
Une Utopie évolutive - 127
guères de passions), l'emportent, et de beaucoup, sur
toute vertu morale » [« Le Thalaba » ; page 66]. C'est alors
qu'intervient la femme, non seulement comme vecteur pour l'énergie, mais
aussi comme garant moral, un guide vers la vertu, censé être
parfait.
Il faut rappeler que Mirabeau comprend la femme comme le chef
d'oeuvre de la Création.1 Il affiche une foi sans limite en
la capacité de la femme pour mener l'homme sur le chemin de la vertu.
Mirabeau voit un lien entre les êtres qui est naturel, beau et qui vise
le bon. Il pense cette énergie amoureuse, cet éros,
comme une mécanique capable d'élever à des idées
philosophiques, sinon morales. Mirabeau se trouve dans la lignée du
sensualisme pour qui les sens sont l'élément déclencheur
d'une juste pensée, de l'apprentissage, de la connaissance, et par
extension de la philosophie. Pour revenir à la question de la
masturbation et de la femme, l'art du Thalaba, que nous avons vu plus haut,
serait la solution que Mirabeau propose pour relier la dépense
d'énergie, le renfort du lien social et la satisfaction de la loi
naturelle. Mais il s'agirait d'une faculté purement féminine qui
provoquerait le désir chez l'homme2. Il y a certes une
dimension de plénitude dans cet acte lorsque la jouissance est atteinte,
mais elle reste incomplète car il n'y a que l'homme qui jouit. Alors
comment comprendre ce mécanisme qui défavoriserait un des deux
sexes ? Cette distinction amènerait l'idée que l'homme est
foncièrement mauvais et la femme bienfaisante. Si l'on ramène la
question à l'énergie, la femme serait trop occupée
à s'occuper de la procréation pour faire le mal. Ce qui rejoint
l'argument de Mirabeau que nous avons déjà
présenté, disant que l'homme n'est pas foncièrement
mauvais car il ne peut pas avoir l'énergie de faire toujours le mal.
Mais il n'y a rien de misogyne dans l'ouvrage de Mirabeau. C'est pourquoi il
nous faut regarder du côté de la spiritualité, de la
croyance pour comprendre cette distinction. Il remarque que la
compréhension de l'homme est bien meilleure quand il s'agit du culte de
la Vierge que celle de Dieu car elle est « bien plus approprié
à l'esprit humain que celui du grand Être, aussi inexplicable
qu'incompréhensible » [« L'Ischa » ; page 46].
L'idée de Dieu est difficilement saisissable, et l'homme aurait du mal
à convenir qu'il soit bon tout en tolérant que le mal existe. On
pourrait même ajouter que la dichotomie chrétienne échappe
volontairement au raisonnement de Mirabeau car la nécessité de
simplification et d'universalisation l'amène à évacuer
tout système moral complexe discriminant - il faut être
chrétien
1 « Voilà donc deux créations bien
distinctes ; celle de l'homme, celle de son esprit ; et c'est ici seulement que
paraît la femme. Elle n'est pas créée du néant comme
tout ce qui a précédé ; elle sort de ce qui existait de
plus parfait ; il ne restait plus rien à créer ; Dieu extrait
d'Adam le plus pur de son essence, pour embellir la terre de l'être le
plus parfait qui eut encore paru ; de celui qui complèterait l'oeuvre
sublime de la création. » ; « L'Ischa », Errotika
Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À
Rome, de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII [édition de
référence pour ce mémoire], pages 42 et 43.
2 « Il ne s'agit pas d'un sentiment que l'être de
la fille transmette : elle ne fait que le provoquer. Ce n'est pas une sensation
qu'elle communique par l'impulsion de son corps : c'est une sensation que
l'homme doit goûter en lui-même par l'imagination de cette fille,
et qui ne devient exquise qu'autant qu'elle peut, par son art, prolonger la
jouissance. », « Le Thalaba », idem, page 76.
1 Cf. Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard, 1984, page 12.
128 - Le Léviathan
pour adopter le dogme de la dichotomie : il faut donc
convenir que Mirabeau conçoit que Dieu n'est rien d'autre que
l'idée de Dieu. Et au fond, il ne fait que constater que l'idée
de Dieu pose problème car l'équation du bien et du mal n'est pas
résolue et que chaque confession formule une réponse
différente. Il ne lui reste que le culte de la Vierge, de la
féminité, voire même de la vie, de la procréation -
qui constitue une bonne part des cultes primordiaux avec les cultes animistes -
pour observer un culte qui est à la fois simple et universel. Dans cette
perspective, les désirs de la féminité seraient donc
ramenés à la procréation, et la vertu serait
préservée tant que l'homme est préoccupé par la
féminité.
Charles Hirsch pense que Mirabeau se confond avec sa
conception de la femme, car elle ne répond pas à la notion du
bien, soutenue par une vision de la nature généreuse,
qu'il aurait construite à travers un corpus fortement
contesté1. Mais on peut supposer que Mirabeau recherche plus
un principe qui dirigerait les différences entre les individus pour
l'organisation générale, pour faire en sorte qu'elles se
complètent, plutôt qu'une vérité absolue. Par
exemple, Mirabeau ne se demande pas s'il existe un principe sexué qui
détermine les différences, voire si c'est une suite de
nécessités naturelles qui provoque ces différences. Car
cela reviendrait à se demander si un organe peut être sexué
: un de deux poumons par exemple, doit-il nécessairement être
femme ? Loin de ces questions, Mirabeau se considère comme un
législateur ; il recherche l'harmonie entre les forces qui dirigent le
monde : à savoir, l'attraction, la conservation, les goûts et les
moeurs des hommes.
Morale du bonheur
Nous avons dit que Mirabeau recherche l'harmonie, mais il
s'agirait maintenant de bien définir le Souverain Bien vers lequel tend
sa société idéale. Rappelons qu'il y a un lien de
nécessité entre le beau et le bien. Les vues de la nature sont
belles, car elles sont bonnes ; et si elles sont bonnes, c'est parce qu'elles
sont belles. C'est le principal axiome de Mirabeau sur lequel s'étend sa
conception anthropologique et son projet politique. Mais la Nature supporte
difficilement toutes sortes de conceptions sur la moralité ; c'est la
loi du plus fort qui prime. De même, nous avons vu que les lois pouvaient
interdire le mal, mais non pas l'empêcher. Et les forfaits non soumis
à la justice sont autant d'infractions qui ne seront jamais punies.
À noter que Voltaire traite de ce problème dans son
Dictionnaire philosophique avec l'article « Bien (Souverain bien)
», d'ailleurs situé sur le même feuillet que l'article «
Bêtes » que Mirabeau aurait pu détenir lors de la conception
de l'Erotika Biblion.
Une Utopie évolutive - 129
Nous avons la belle fable de Crantor : il fait
comparaître aux jeux olympiques la Richesse, la Volupté, la
Santé, la Vertu ; chacune demande la pomme. La Richesse dit : «
C'est moi qui suis le souverain bien, car avec moi on achète tous les
biens. » La Volupté dit : « La pomme m'appartient, car on ne
demande la richesse que pour m'avoir. » La Santé assure que sans
elle il n'y a point de volupté, et que la richesse est inutile. Enfin la
Vertu représente qu'elle est au-dessus des trois autres, parce qu'avec
de l'or, des plaisirs et de la santé, on peut se rendre très
misérable si on se conduit mal. La Vertu eut la pomme. La fable est
très ingénieuse, mais elle ne résout la question absurde
du souverain bien. La vertu n'est pas un bien, c'est un devoir ; elle est d'un
genre différent, d'un ordre supérieur. Elle n'a rien à
voir aux sensations douloureuses ou agréables. L'homme vertueux avec la
pierre et la goutte, sans appui, sans amis, privé du nécessaire,
persécuté, enchaîné par un tyran voluptueux qui se
porte bien, est très malheureux ; et le persécuteur insolent qui
caresse une nouvelle maîtresse sur son lit de pourpre est très
heureux.
Si la vertu n'est pas une valeur absolue et
détachée du reste, elle reste un principe de fonctionnement
social qu'il faut encourager pour établir une société
idéale. Le bonheur et le malheur, ramenés ici à des cas de
conscience, ne suffisent pas à l'encourager car elles ne fonctionnent
pas sur le principe de la récompense.
Aux yeux de Mirabeau, le principal et unique bien, de nature
divine et naturelle est la liberté de procréer. Il ramène
le mal moral à une invention imaginée par les rigoristes, et le
mal physique, à un argument fantoche qui prouverait l'existence du mal
moral. Par exemple, l'onanisme si décrié par les sermonneurs,
n'est pas un mal car « il n'y a point eu de mal physique à ce
penchant, et la morale en certains cas aurait pu lui montrer quelque
indulgence. » [« Le Thalaba » ; page 73]. Ce que Mirabeau
appelle « morale » n'est encore que l'idée que se font les
hommes de la morale, mais elle n'est aucunement la volonté divine. Il a
réduit à un principe unique afin de ne pas s'en encombrer : Mal
est ce qui nuit... à la conservation de l'homme aux yeux de Dieu. S'il
s'agit bien d'un principe divin, il ne répond pas aux problèmes
des hommes qui veulent s'établir en société.
Le principe général et peut-être unique
de morale, est que mal est ce qui nuit. L'adultère n'est pas si
loin de la nature, et est un beaucoup plus grand mal que l'onanisme.
Celui-ci ne saurait être dangereux qu'à la jeunesse, quand il
altère sa santé ; mais il peut souvent être très
utile à la morale ; la perte d'un peu de sperme n'est pas en soi un plus
grand mal, n'en est pas même un si grand que celle d'un peu de fumier qui
eût pu faire venir un chou La plus grande partie en est destinée
par la nature même à être perdu. [« Le Thalaba » ;
page 79]
En définitive, le mal physique que Mirabeau pourrait
admettre serait la dégénérescence liée à
l'inceste. Et dans l'exemple ci-dessus, l'adultère est mal lorsqu'il
nuit à son prochain, notamment s'il cause de la peine à son ou sa
partenaire. Il s'agit de la règle d'or adoptée à la fois
par les religions et par les morales athéistes ; on peut aussi bien la
traduire par « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on
te fasse », ou bien dans une perspective plus chrétienne : «
aime ton prochain comme toi-même ». Cette piste, bien qu'elle ouvre
sur la notion de la réciprocité, ne nous permet pas
d'établir l'origine de la réflexion de Mirabeau. Admettons
seulement qu'il existerait un hiatus entre
130 - Le Léviathan
la morale humaine et la volonté divine à
résoudre, voire à théoriser dans l'Erotika
Biblion. Car Mirabeau ne disserte nulle part sur la
nécessité d'établir des règles morales pour une
société. Il faut donc rappeler que son projet se situe dans une
évolution, et qu'il regarde l'établissement d'une
société comme étant déjà
réalisé : les individus partagent à priori les mêmes
goûts pour les mêmes choses et c'est à ce moment que la
réflexion de Mirabeau prend du sens. L'utopie de Mirabeau n'est donc pas
absolue, autonome et détachée de l'Histoire.
On peut aisément partir du principe que Mirabeau pense
sa société idéale en vue du bonheur. Mais en ne
théorisant pas les comportements amoraux pouvant
déséquilibrer la société, il partirait du principe
que l'homme heureux est vertueux, que la femme pourrait éduquer l'homme
à aimer son prochain et quand bien même un homme voudrait nuire
à son prochain, il n'aurait pas l'énergie suffisante pour mettre
en péril l'ordre et l'harmonie. Sa perspective diachronique le pousse
à étudier la pérennité de certaines
sociétés, et l'amène à conclure que les erreurs ne
perdurent pas dans le temps. Par conséquent, l'amoralité ne
serait pas un problème dans la mesure où la volonté divine
ne permettrait pas qu'elle perdure. Il ne ressent donc pas le besoin de
construire la morale de sa société idéale puisqu'elle est
suppléée par la loi naturelle et la volonté divine.
- 131
Conclusion
Il est difficile de définir la confession de Mirabeau
après la lecture et l'étude de l'Erotika Biblion.
Mirabeau est croyant, peut-être un théiste comme Voltaire.
L'idée de l'âme, de l'immortalité et de Dieu implique un
schéma politique universel, car tout le monde pense que Dieu et
l'âme existent. Ce sont ces constations qui poussent Mirabeau à
recevoir ces croyances comme vraies et avérées. Comme le maintien
de l'ordre nécessite que tout le monde veuille participer à la
société, il ne faut pas qu'elles se contredisent ou rejettent les
croyances étrangères. On peut d'ailleurs regarder de près
son sermon sur St Paul1 comme un texte inspiré
prônant la tolérance.
Peut-être Mirabeau cherche-t-il à prouver que
Dieu existe ? Il ne serait passé ni par le raisonnement, ni par les
supputations métaphysiques, mais par la nécessité
d'admettre son existence en vue de produire une société
idéale pour le bien de tous. Par cette proposition, il théorise
une société, un projet anthropologique qui répondrait aux
besoins de tous les peuples pour tous les temps. S'il faut composer avec la
Bible et les confessions qui y sont tirées, alors pourquoi ne
pas s'en servir ? Mirabeau tire de la Bible des preuves que les moeurs
et les goûts ont évolué, et ce, grâce à la
législation. Finalement, il cherchait à adresser son projet
à l'universalité : il a pensé que la sexualité et
la spiritualité sont deux domaines partagés par tous et que, par
conséquent, son ouvrage parlerait à n'importe quel lecteur.
Il ne faut pas non plus oublier que, tout comme son roman
pornographique Ma Conversion, l'Erotika Biblion est un texte
non fini. Nous avons décelé des problèmes avec la fiction
: elle est rarement assumée sinon Mirabeau aurait écrit une
utopie. Et il a préféré l'argumentation à la
fiction pour présenter ses théories. En revanche, ses traductions
des textes latins et ses traités politiques ont bien été
finis ; l'Erotika Biblion étant un assemblage, on pourrait
penser que Mirabeau avait dans la perspective d'écrire une fiction en
premier lieu, puis qu'il se serait détourné de ce projet
littéraire. Il faut d'ailleurs rappeler que le premier chapitre, «
Anagogie », nuit à la cohérence de son essai ; c'est le seul
chapitre qui commence par une fiction ; c'est aussi le seul où son
projet anthropologique n'est pas présenté et il n'y articule pas
la démonstration à ses traités politiques. Peut-être
que sa pensée n'était pas encore mûre et qu'elle
était en train de se faire. C'est pourquoi l'ouvrage nous semble si
désordonné et qu'il a pu l'écrire en quelques semaines
seulement : il n'est pas fini. En outre, l'intérêt de cet ouvrage
est d'éclairer la pensée de Mirabeau, ses articulations, ses
axiomes, ses raisonnements et ses argumentations qui ont peut-être
accompagné le tribun lors de ses discours à l'Assemblée
Nationale, neuf ans plus tard. Aussi, ce texte présente en brut,
plusieurs procédés de création bien
1 Un Sermon inédit de Mirabeau sur la
nécessité de l'autre vie, volume 31, Revue des Deux mondes,
1916.
132 - Conclusion
visibles car l'intention d'écriture flotte encore et
ne paraît pas viser un but bien défini. Bien que l'exercice de
lecture en soit freiné, l'ouvrage aurait toute sa place dans un corpus
dédié aux études génétiques en
littérature. Car on peut facilement y trouver un réseau
intertextuel que le dispositif énonciatif et éditorial tort,
subvertit, et détourne de leur visée initiale. On peut donc
apprécier, à la fois la compréhension de Mirabeau des
textes et idéologies de son temps, mais aussi sa considération
sur ses propres textes et sur la façon dont il les intègre aux
courants de pensée contemporaine ; et ce, grâce à sa
volonté de retourner les textes contre ceux qui l'ont écrit avec
leurs propres raisonnements. C'est particulièrement significatif au
premier chapitre « Anagogie ».
Pour rester dans la comparaison entre ses propres ouvrages,
on peut rapporter l'Erotika Biblion à Ma Conversion.
Les points significatifs sont nombreux : au début de son roman, sa
lettre à Satan montre que plus personne n'a plus peur de l'enfer, de la
punition et du péché, et finalement de Dieu. On retrouve un Dom
Juan qui provoque Dieu : c'est le retour à un libertinage intellectuel.
Le seul effroi véritable se situe dans le passage où le
Père Ambroise énonce les conséquences de l'irrespect des
religions et des punitions temporelles qui attendent l'athée. C'est
d'ailleurs la seule occurrence de la tradition de l'imposture des religions
dans la production littéraire de Mirabeau.1 Or, la
nécessité de croire en Dieu et en l'âme est au carrefour
des conceptions anthropologiques, philosophiques et politiques de l'Erotika
Biblion. Bien qu'il ne reconnaissance que Dieu et l'âme ne sont rien
d'autre que l'idée de Dieu et de l'âme, il intègre ces
croyances comme un principe d'universalité, et regarde de même la
sexualité. Aussi, le péché est notion bien
commentée dans l'Erotika Biblion, et Mirabeau montre que ce
n'est qu'un manquement, et non pas une faute ; car il ne faudrait pas que la
loi du pouvoir temporel de l'Eglise remplace la loi du législateur. La
grande différence entre ces deux ouvrages vient du fait que le moteur de
la narration de Ma Conversion est l'argent2 : Auri
sacra fames, l'exécrable soif de l'or. On peut s'en étonner,
l'Erotika Biblion a été écrit seulement trois
mois après Ma Conversion, on ne peut pas y voir une
autocontradiction gratuite : l'épigraphe serait en complète
contradiction avec les propos de l'Erotika Biblion. Le protagoniste de
Ma Conversion n'est motivé que par l'argent ; il cherche donc
à se préserver. C'est la loi de la conservation qui rythme
l'ouvrage. Il visite tous les personnages féminins, des prototypes des
romans pornographiques d'époque (la dévote, la marquise, etc...),
et s'accouple avec elles selon l'importance de leur patrimoine. Or, comme nous
l'avons montré, la loi naturelle pour Mirabeau est la loi de la
propagation, la loi divine est la conservation de l'espèce. Le
protagoniste suivrait donc l'impulsion divine qui vise à se
1 Nous omettons volontairement tous les romans non
revendiqués par l'auteur dans sa correspondance et qui lui sont parfois
attribués.
2 Voy. la page de titre du Le Libertin de
qualité, ou Confidences d'un prisonnier au château de Vincennes,
Auri Sacra fames, écrites par lui-même, à Stamboul,
Imprimerie des Odalisques, 1784.
- 133
conserver plutôt que le désir de propagation
réservé pourtant exclusivement à l'acte sexuel ; ce qui
explique d'ailleurs pourquoi il n'a pas peur de finir en Enfer. Pourtant, la
juste punition pour Mirabeau consiste à le rendre sujet d'une maladie
vénérienne à la fin du récit, représentant
ainsi une sorte de justice divine. Toutefois, Ma Conversion est, comme
l'Erotika Biblion, un ouvrage non fini.
Pour revenir au processus de création de Mirabeau,
nous rappelons qu'il écrit à partir de fragments de texte car il
ne possédait que des oeuvres partielles. Il avait une
compréhension limitée de leur unité, de leur pensée
et de leur construction intellectuelle. Pourtant Mirabeau parvient à
produire une oeuvre plus ou moins cohérente et autonome. Il croyait que
son oeuvre échapperait à la censure car il pensait avoir
épargné la matière religieuse ; et il est vrai que sa
stylistique empêchait qu'il ne formulât explicitement des
thèses contraires à la religion. Sa force littéraire
réside justement dans sa dénonciation des grandes lectures des
textes sacrés qui aspirent aux vérités transcendantales et
absolues. C'est ce qu'on a pu lire dans le premier chapitre, « Anagogie
» : toute construction littéraire aspirant à une quelconque
autorité ne sera jamais audible et compréhensible. L'Erotika
Biblion représente tout l'inverse ; cet écrit est
parcellaire, informe, parfois bâclé, mais il n'est pas
incohérent. D'ailleurs, le titre, Erotika Biblion, que l'on
peut traduire par de l'érotisme dans le livre pourrait nous
donner l'image d'un corps : on prend les plus beaux morceaux des ouvrages qui
nous inspirent quelques idées et on les assemble pour former le corps le
plus séduisant possible. Chercher de l'érotisme dans les livres
se fait surtout par l'imagination, tel un rêve dont on prend autant de
plaisir à le produire qu'à le déchiffrer ; et il ne sera
peut-être jamais question de rendre l'Erotika Biblion uniforme
et entier. Tous ces morceaux de textes apparaissent comme autant de charme et
d'atout qui participent à la séduction générale. Et
si nous pouvons ramener le livre à la femme, Mirabeau nous dit bien que
seul le sot chercherait à décrire et énumérer tous
les charmes de sa belle1. Peut-être même que la
démarche initiale de Mirabeau ne serait pas dans la volonté
intellectuelle de situer ses idées philosophiques et politiques à
l'égard d'une sexualité et d'une spiritualité
exacerbées, mais plutôt dans la volonté d'atteindre un
plaisir de l'écriture, ou même de répondre à un
besoin d'écriture. Ce besoin ou ce plaisir d'écriture
consisterait à créer un texte à partir de petits fragments
d'autres textes pour nourrir le plaisir de penser, le plaisir d'imaginer, et de
créer du sens tout en donnant une vie et une visée propre aux
écrits des autres pour construire un dialogue, souvent tronqué ou
déformé. L'Erotika Biblion n'est peut-être
simplement qu'un jeu d'imagination qui ne serait pas sans rapport avec
l'érotisme.
1 « On ne calcule point les charmes qu'on adore ; on
s'enivre, on brûle, on les couvre de baisers ; ce n'est qu'alors qu'on
est intéressant ; la belle qui verroit compter par ses doigts les
attraits dont elle est ornée, prendroit le calculateur pour un sot,
& feroit elle-même une pauvre figure. » ; « L'Anandryne
», page 99, », Errotika Biblion, `Åí
?áéñ? ??ÜôÞñïí,
Abstrusum excudit, À Rome, de l'imprimerie du Vatican,
MDCCLXXXIII.
- Le Père Berrhuyer ; à propos de son accord
avec les Jésuites, de plus il accuse Luther et Isaac le
Maître de Sacy d'hérésie, idem.
134 -
Annexes
Annexe I : Évocations et allusions à un
intertexte foisonnant
Nous appelons évocation, une référence
dans le texte, au propos d'autrui rapportés au discours direct ; aussi,
il faut que le nom de l'auteur et le titre de l'oeuvre apparaissent, cas
à part pour les citations bibliques.
Nous appelons allusion une référence au propos
d'un auteur, rapportés au discours indirect, qui souffre d'une
référence au titre de son oeuvre.
Anagogie contient 7 appels de note.
Le chapitre renvoie à 10 évocations, dont 9 à
différentes versions de la Bible, et une à la
littérature idéologique. Toutes les citations sont données
en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les
références données par Mirabeau. Nous les classons selon
leur appartenance, en premier à la catégorie religieuse, en
second à la catégorie païenne, et enfin à la
catégorie laïque.
- Les Actes des Apôtres. 8, 39. [LAT.] ; à
propos de l'eunuque de Candace, page 6. - Daniel. chap. XIV, v. 32.
[LAT.] ; à propos du voyage d'Habacuc, idem.
o Trad. d'Isaac le Maître de Sacy [FR.] ; à propos
des cheveux d'Habacuc, page 7.
o Trad. Luther [ALL.] ; ibid.
- Maccab. livre I, c. I, v. 16. [LAT.] ; à
propos des prépuces philistins, page 7.
o Trad. d'Isaac le Maître de Sacy [FR.] ;
ibid.
o Trad. Septante [FR.] ; ibid.
o Trad. Luther [ALL.] ; ibid.
- Rois. livre I, VII, chap. VI, v. 17 [LAT.] ; à
propos des anus d'or, page 8.
Les allusions sont au nombre de 7 et n'ont évidemment
pas de références. 4 renvoient à des noms de personnes
physiques appartenant à la catégorie laïque, 3 sont des noms
de personnes physiques ou morales appartenant à la catégorie
religieuse. Nous les reclassons ici, dans le même ordre que pour les
évocations.
- Les Jansénistes ; à propos de leur refus de
traduire proeputiae, par prépuces, page 7. - Les
Jésuites ; à propos de leur désaccord avec les
Jansénistes, idem.
Évocations et allusions à un intertexte
foisonnant - 135
- Jarckius ; à propos de son livre sur les
académies savantes de l'Italie imprimé à Leipzick en 1725,
page 6.
- M. Bailly ; à propos de son histoire de l'Atlantide,
page 8.
- M. Bailly ; à propos de son histoire de l'astronomie
antidiluvienne, page 9.
- Diderot et d'Alembert ; à propos de la connaissance
par les sens, (Lettres sur les aveugles à l'usage de ceux qui
voient), page 16.
- Anquetil du Perron ; à propos de sa traduction des
livres sacrés des Brames, page 22.
L'Anélytroïde contient
4 appels de notes. Le chapitre renvoie à 6 évocations, 5 sont
tirées de la Bible, et une de la littérature
casuistique. Elles sont toutes fondues dans le corps du texte, ce qui explique
le manque de référence. En voici la liste dans l'ordre
d'apparition avec les références données par Mirabeau.
- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de
la séparation des eaux inférieures et supérieures, page
26. - Genèse. chap. I, v. 27. [FR] ; à propos de la
création de l'homme, page 30.
- Genèse. chap. II, v. 19. [FR.] ; à
propos du nom véritable des animaux, page 30.
- Genèse. chap. II, v. 20. [FR.] ;
ibid.
- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de
l'ordre divin à croître et à multiplier, page 33.
- De matrimonio, avec les références
d'édition. [LAI.] Sanchez ; à propos de sa défense
éloquente des jésuites, page 35.
Les allusions sont au nombre de 6 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 3 appartiennent à la catégorie
religieuse, et les 3 autres à la catégorie laïque. Nous les
classons selon leur appartenance, en premier, à la catégorie
religieuse, en second, à la catégorie casuistique, et enfin
à la catégorie laïque.
- Moïse ; à propos de la révélation de
la Création, page 31.
- Moïse ; à propos du décompte des jours du
soir au matin, page 32.
- Cucufe et Tournemine ; à propos de leurs recherches sur
l'anélytroïde, page 34.
- Platon ; à propos des caractéristiques
particulières de l'androgyne, page 32.
- Buffon ; à propos des relations entre foi et
science, (« Des époques de la nature », Histoire naturelle
[Dubost]), page 33.
- Louis ; à propos de sa thèse de médecine
sur l'anélytroïde, page 36.
L'Ischa contient 6 appels de note.
Le chapitre renvoie à 4 évocations, 3 sont tirées de la
Bible, la dernière renvoie à un texte non
identifié. Les deux premières sont incluses dans le corps du
texte, les autres sont données en note de bas de page. En voici la liste
dans l'ordre d'apparition avec les
136 - Annexe I
références données par Mirabeau.
- Genèse. sans ref. [FR.] ; à propos de
la multiplicité de Dieu, page 42.
- Genèse, ch. II, v. 23. [LAT] ; à propos
du terme uirago, Mirabeau donne cette référence aux
Septante,
page 43.
- Genèse, ch. II, v. 23. [ALL] ; à propos
du terme mânnin, page 43.
- Diod [?], d, I, ch. XXVII ; à propos de
l'autorité de la femme mariée dans les coutumes
égyptiennes,
page 46.
Les allusions sont au nombre de 8 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 2 appartiennent à la catégorie
religieuse, et les 6 autres à la catégorie laïque. Nous les
classons selon leur appartenance, d'abord à la catégorie
religieuse, ensuite à la catégorie laïque.
- Un écrivain illustre ; à propos de la
prééminence de Junon sur les autres dieux, page 45.
- Erasme ; à propos de la coutume de saluer la Vierge en
chaire, page 46.
- Marie Schurmann ; à propos des bienfaits d'une
éducation féminine plus complète, page 39. - Boccace ;
à propos des femmes illustres, page 39.
o Hilarion Coste ; idem, page 40.
o Wolf ; ibid.
- Pozzo ; à propos de la femme meilleure que l'homme,
page 40.
- Marie Schurmann ; à propos d'Eve comme le chef d'oeuvre
de la création, page 43.
La Tropoïde contient 17 appels
de note. Le chapitre renvoie à 15 évocations ; toutes sauf une,
sont tirées de la Bible, et la dernière de la
littérature religieuse. Elles sont toutes données en note de bas
de page, sauf cette dernière, fondue dans le corps du texte. En voici la
liste dans l'ordre d'apparition avec les références
données par Mirabeau.
- Lévitique, ch. VIII, v. 24 ; à propos
du cérémonial religieux de l'établissement d'Aaron, page
56.
- Idem, ch. XII, v. 5 ; à propos de
l'impureté d'une mère donnant naissance à une fille.
- Lévitique, ch. XVII, v. 7 ; à propos de
la perversion des pratiques sexuelles des Hébreux, page 57.
o Idem, ch. XVIII, v. 7.
o Ibid, v. 9.
o Ibid, v. 10.
o Ibid, v. 12.
o Ibid, v. 15.
o Ibid, v. 16.
Évocations et allusions à un intertexte
foisonnant - 137
o Ibid, v. 17.
o Ibid, v. 21 et ch. XX, v. 3.
o Lévitique, ch. XVIII, v. 22, page 58.
o Ibid, v. 23.
o Lévitique, ch. XXI, v. 18, idem.
- La Cité de Dieu, liv. VI, ch. IX,
St Augustin ; à propos des membres virils mis en procession
lors des fêtes de Bacchus, page 60.
Les allusions sont au nombre de 3 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques appartenant à la catégorie religieuse. Nous
les classons selon leur ordre d'apparition.
- Moïse ; à propos de l'impureté des
Hébreux, page 55.
- L'évêque d'Hippone ; à propos d'une
cérémonie romaine favorisant la fertilité des femmes, page
61.
- Le jésuite Filliutius ; à propos d'une
modération des plaisirs charnels avant qu'ils ne deviennent
coupables, page 62.
Le Thalaba contient 8 appels de
note. Le chapitre renvoie à 5 évocations, 2 sont tirées de
la Bible, 1 de la littérature casuistique, et 2 de la
littérature idéologique. Les citations de catégorie
religieuse sont données en note de bas page, les autres sont fondues
dans le corps du texte. Nous les classons selon leur appartenance, en premier
à la catégorie religieuse, et en second à la
catégorie laïque ou païenne.
- Aux Cor, 6, 7, 8, 29 ; à propos de
l'épitre de St Paul commandant de se comporter avec sa femme
comme si nous n'en avions pas, page 68.
- Genèse, ch. XXXVIII ; à propos d'Onan
et l'onanisme, page 70.
- [sans nom], page 817, édit. In-8, Saci ; à
propos de la nécessité de l'onanisme à la venue de J-C,
page
71.
- Epig, 42, liv. IX, Martial ; à propos de la
pratique de l'onanisme, page 79.
- L'Art de la guerre, marquis de Santa Cruz ;
à propos de l'onanisme comme pratique nécessaire pour un
général, page 73.
Les allusions sont au nombre de 3 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont appartenant à la catégorie païenne.
Nous les classons selon leur ordre d'apparition.
- Diogène ; à propos de la masturbation en public,
page 68.
- Galien ; à propos du pacifisme de la masturbation, page
69.
138 - Annexe I
- Galien ; à propos des inconvénients de la
semence retenue, page 73.
L'Anandryne contient 11 appels de
note. Le chapitre renvoie à 7 évocations, une seule est
tirée de la Bible, un autre provient de la littérature
religieuse, et les cinq dernières viennent de la littérature
païenne ou laïque. 5 sont données en note de bas de page ; 2
sont fondues dans le corps du texte, ce qui explique leur manque de
référence. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les
références données par Mirabeau.
- [sans ref], vers traduits de l'hébreux attestant des
êtres à double sexe, Louis Leroi, page 85.
- Nouveau Ciel, Antoinette Bourignon ; à propos
du système des êtres doubles, page 86.
- Dialog, t. I, deor, XV & 2.
Diodor. Sic. I. IV, p. 252, éd. Westhling, Lucian ; à
propos de l'étymologie
du terme hermaphrodite, page 88.
- Meret. V, Lucian ; à propos d'une
spécificité féminine de l'hermaphrodisme, page 89. -
Ad Rom, cap. I, St Paul ; à propos de
l'hermaphrodisme reproché aux Romaines, idem. - Lib. IV. Cap
XVI ; à propos du témoignage des pratiques sexuelles des
Romaines, idem. - Epist. XCV, Sénèque [LAT] ;
à propos du réquisitoire contre les Romaines, idem.
Les allusions sont au nombre de 15 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 3 appartiennent à la catégorie
religieuse, et les douze autres à la catégorie païenne ou
laïque. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.
- Les plus fameux rabbins ; à propos du double sexe des
premiers hommes, page 83.
- Moïse ; à propos de sa confirmation du
dédoublement des sexes, expliquant l'attraction amoureuse, page 85.
o Platon, ibid.
- Aristophane, Plaute, Phèdre, Ovide, Martial,
Tertullien et Clément d'Alexandrie ; ils sont rassemblés en tant
que témoins des pratiques sexuelles des Romaines, page 89.
- Lycurgue ; à propos des gymnopédias,
page 90.
- Anacréon ; à propos de l'apprentissage de
l'amour, idem.
- Sapho ; à propos de son système pratique
concernant l'amour, page 91.
- Anacréon ; à propos de la fureur amoureuse des
tribades, idem.
- Plutarque ; à propos de l'amour en tant que fureur
divine, idem.
- Horace ; à propos de l'épithète
mascula donné à Sapho, page 92.
- Zoroastre ; à propos du terme avesta, la garde
du feu, idem.
- L'abbé Barthélémi ; à propos des
habits des vestales, page 94.
- Dumoulin ; à propos de l'usage de la tribaderie comme
remède, page 95.
Les allusions sont au nombre de 10 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques et appartiennent à la catégorie religieuse.
En voici la liste dans
Évocations et allusions à un intertexte
foisonnant - 139
- M. Poivre ; à propos des chinoises, les plus fameuses
des tribades, page 97.
- M. de Saint-Priest ; à propos des vingt vers
décrivant les trente charmes d'Hélène, idem.
L'Akropodie contient 26 appels de
note. Le chapitre renvoie à 22 évocations, toutes sauf une sont
tirées de la Bible. 6 sont exprimées en note de bas de
page, les autres sont fondues dans le corps du texte. En voici la liste dans
l'ordre d'apparition avec les références données par
Mirabeau.
- Gen. XVII, 24 ; le prépuce d'Abraham serait le
signe d'alliance entre le Créateur et son peuple, page 109.
- Ex. IV, 25 ; la femme de Moïse circoncis son
fils et déclenche une querelle, idem.
- Lév. XIX, 23 ; prépuce signifie aussi
fruit circoncis, idem.
- Deut. X, 16 ; on parle aussi de circoncision du
coeur, idem.
- Josué. V, 3 & 7 ; la circoncision de tout
un peuple en une seule fois, idem.
- Reg. XVIII, 25 ; cent prépuces de douaire
demandés à David, idem.
- Reg. Liv. I, XVIII, 27 ; il en apporta deux cents,
page 110.
- Reg. Liv. II, II, 14 ; il obtint ainsi la main de
Michol, idem.
- [sans ref] Origène [LAT] ; à propos de la
circoncision des égyptiennes par mesure sanitaire, page 111.
- Imon, ch. I, 16 [LAT] ; les Juifs apostats se font
des prépuces, page 112.
- Cor. Liv. I, VII, 18 ; la crainte de St
Paul que les juifs convertis au christianisme n'en fassent de même,
idem.
- Lév. Ch. VI, 10 [LAT] ; les prêtres
doivent se servir d'un chauffoir lors des cérémonies, page 116. -
Reg, I, ch. XXIV, 4 [LAT] ; le comportement de Saül poursuivant
David, idem.
- Reg. 4, ch. XVIII, 27 [LAT] ; de la matière
fécale en guise de nourriture, et de l'urine pour breuvage page 117.
- Tobie, II, II ; Tobie se nourrissant de fiente
d'hirondelle, idem.
- Esther. XIV, 2 ; Esther se couvrant la tête de
saleté, idem.
- Ecc. XXII, 2 ; les paresseux lapidés par de la
bouse bovine, idem.
- Isaïe. XXXVII, 12 ; Isaïe se nourrissant
des hideuses évacuations du corps humain, idem.
- Tren. IV, 5 [LAT] ; les riches embrassant des
immondices, idem.
- Mal. II, 3 ; ils en étaient aspergés
dans le temple même, idem.
- Ezech. IV, 12 ; Ezéchiel étendant sur
son pain un étrange ragoût, idem.
- Ibid. IV, 15 ; Dieu convertit le ragoût en
fiente de boeuf, idem.
140 - Annexe I
l'ordre d'apparition.
- St Augustin avance que le prépuce qui
remettrait le péché originel, page 110.
- St Justin, Tertullien et S. Ambroise sont d'avis
contraire, idem.
- M. Huet soulève la question de la circoncision des
femmes, idem.
- Paul Jove et Munster avancent que la circoncision des femmes
est en usage chez les Abyssins, page
111.
- St Jérôme, Rupert et Haimon nient la
possibilité de se faire des prépuces, page 112.
- Galien et de Celse affirment l'inverse, idem.
- Bartholin détiendrait le secret pour effacer la
circoncision de la chair, idem.
- Buxtorf le fils confirme cette possibilité par
l'autorité des Juifs, page 113.
- Les PP. Conning et Coutu l'ont expérimentée,
idem.
- Herrera souligne que les Mexicains avalent le prépuce
après l'avoir coupé, page 115.
Kadhésch contient 11 appels
de note, 2 sont en grecs sans référence d'auteur et d'ouvrage. Le
chapitre renvoie à 6 évocations, 3 sont tirées de la
Bible, une provient d'un texte apocryphe, et les deux autres
appartiennent à la littérature païenne ou laïque. Les
citations tirées de la Bible sont données en note de bas
de page, les autres sont fondues dans le corps du texte, ce qui explique leur
manque de référence. En voici la liste dans l'ordre d'apparition
avec les références données par Mirabeau.
- Livre d'Enoch ; à propos des femmes qui
affectaient la stérilité dans l'Antiquité, page 124. -
Juv. Liv. II, s. 6 [LAT] ; à propos de la puissance sexuelle
des eunuques, page 129.
- Gen XIX, 4 [LAT] ; la prostitution des deux filles de
Loth, page 130.
- Gen. XIX, 33 [LAT] ; l'inceste de Loth et de ses deux
filles, page 132.
- Aux Rom. Ch. I, 27 [LAT] ; les excès de
pédérastie des Romains, idem.
- Description géographique, Marc Paul [Marco
Polo] ; à propos des hommes à queue du royaume de
Lambris, page 133.
Les allusions sont au nombre de 7 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 2 appartiennent à la catégorie
religieuse, et les autres à la catégorie laïque ou
païenne. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les
références données par Mirabeau.
- Platon ; à propos de la nécessité de
présenter un préambule raisonné en tête des
édits, page 121. - Moïse oblige les hommes à se marier, page
123.
- Lycurgue note d'infamie les célibataires,
idem.
Évocations et allusions à un intertexte
foisonnant - 141
- Platon tolère les célibataires jusqu'à
l'âge de 35 ans, page 125.
- Struys ; à propos des hommes à queue de
l'île Formose, page 133.
- Gemelli Carreri ; à propos des hommes à queue de
l'île Mindors, idem.
- Sanchez ; à propos de son observation de l'accouplement
d'un homme à queue, page 134.
Béhémah contient 12
appels de note. Le chapitre possède deux termes en grec ; il renvoie
aussi à 7 évocations, 4 sont tirées de la Bible,
et 3 de la littérature païenne. Elles sont toutes données en
note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les
références données par Mirabeau.
- Ex. XXII, 19. Lév. VII, 21. XVIII, 23
; les Juives auraient commerce avec les animaux, page 148.
- Lév. XX, 15 ; les bêtes seraient
choisies par elles sans distinction, idem.
- More Nevochin, p. III, c. XLVI, Maimonide ; à
propos du culte des boucs, page 149.
- Lév. XVII, 7. Exod. XXXIII, 20 et 23 ;
les démons apparaitraient sur la forme de bouc, idem.
- Jérem. L, 39 ; ils seraient appelés
faune suffoquant, idem.
- Ðåñß
áðßóôùí, c. XXV, Héraclite ;
à propos des satyres vivant dans les bois, idem.
- Tseror hammor (Fasciculus myrrhoe), Abraham Seba ; il
admet une âme aux faunes, page 150.
Les allusions sont au nombre de 33 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 19 appartiennent à la philosophie antique, les
autres sont liées à la catégorie laïque. En voici la
liste dans l'ordre d'apparition.
- Tibulle ; à propos des chèvres favorites des
bergers, page 139. - Les Pythagoriciens ; à propos de la transmigration,
page 142.
o Les Platoniciens ; ibid.
- Thalès ; à propos de la consistance de
l'âme, page 142.
o Pythagore ; ibid.
o Platon ; ibid.
o Aristote ; ibid.
- Héraclite établit la nature de l'âme comme
une exhalaison, page 142.
o Pythagore ; comme un détachement d'air,
idem.
o Empédocle ; un composé d'éléments,
idem.
o Démocrite, Leucide, Epicure ; un mélange de je
ne sais quoi de feu, de je ne sais quoi d'air,
de je ne sais quoi de vent, et d'un autre quatrième sans
nom, idem.
o Anaragore, Anaxième, Archelaüs ; un composé
d'air, idem.
142 - Annexe I
o Hippone ; un composé d'eau, idem.
o Xénophon ; un composé d'eau et de terre,
idem.
o Parménide ; un composé de feu et de terre,
idem.
o Boëce ; un composé de feu et d'air,
idem.
o Marc-Antonin ; du vent, page 143.
o Cristolaüs ; une cinquième substance,
idem.
o S. Irénée ; un souffle, idem.
o Tertullien pense qu'elle est corporelle, idem.
o S. Bernard, qu'elle conversera avec J-C, idem.
- Critius place l'âme dans le sang, page 142.
o Hippocrate la pense répandue dans tout le corps,
idem.
o Descartes ; dans la grande pinéale, page 146.
o Vicussens ; dans le centre ovale, idem.
o Lancisi et M. de la Peyronie ; dans le corps calleux,
idem.
- Jamblique ; à propos des démons visibles sous la
forme de bouc (le cpciaparpaywç), page 149.
- Homère ; à propos de l'apparition des
démons en boucs, idem.
- Manethon, Denis d'Halicarnasse ; à propos des
vestiges remarquables de ces productions monstrueuses, idem.
- Edouard Tyson ; à propos des pygmées,
cynocéphales, sphynx, orang-outang et les aigo-pithecoi,
idem.
- Munster qui a trouvé à propos des productions
monstrueuses ce qu'ont en dit les rabbins (les rpaywpopcpot), page
150.
- Voltaire ; à propos de ses écrits sur les
monstres d'Afrique, page 151.
- Buffon ; à propos de ses études sur les
progénitures monstrueuses, page 152.
L'Anoscopie contient 3 appels de
note. Le chapitre renvoie à 2 évocations, toutes deux
tirées de la Bible. Elles sont données dans le corps du
texte. En voici la liste dans l'ordre d'apparition avec les
références données par Mirabeau.
- Lév. XX, 16 ; Moïse défend de
consulter les devins, page 158.
- Rois. I, c. V, 26 ; à propos de la maladie
frappant les êtres dans leur fondement, page 168.
Les allusions sont au nombre de 6 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques dont 5 appartiennent à la catégorie
religieuse, et l'autre à la catégorie laïque. En voici la
liste dans l'ordre d'apparition.
Évocations et allusions à un intertexte
foisonnant - 143
- Moïse ; à propos des faux miracles
opérés par les enchanteurs de Pharaon, page 161. - Un
poète moderne relate l'histoire des missionnaires Jésuites en
Chine, page 162.
- Pascal, étayé de Nicole qui harcela les
Jésuites, page 163.
- Arnaud frappé d'anathème à la demande de
la Société de Jésus, idem.
- Le père Garasse ; à propos du terme
lavement, page 167.
- Le Jésuite Anusin décrit un ébat entre un
Jésuite et un Juif, page 169.
La Linguanmanie contient 22 appels
de note. Le chapitre possède 16 termes, tous en bas de page dont 2 qui
n'ont pas de référence ; il renvoie aussi à 16
évocations, 3 sont tirées de la Bible, les autres
proviennent de la littérature païenne. Elles sont toutes
données en note de bas de page. En voici la liste dans l'ordre
d'apparition avec les références données par Mirabeau.
- Juv. L. II, sat. 6 [LAI] ; Messaline connait
le plaisir mais jamais l'amour, page 179.
- Livre de la sagesse. Ch. XIV, v. 26 ; à
propos des avortements criminels, de l'impudicité, etc... page 185.
- Jérémie. Ch. V, v. 13 ; à propos
de l'amour des jeunes garçons, idem.
- Ezéchiel. Ch. XXVI, v. 24, 25, 26, 37 ;
à propos des mauvais lieux de prostitution, idem. - [sans ref],
p. 553, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du parterre de la nature,
page 186.
o [sans ref], 269, Erasme [LAI, GRE] ; les filles du parterre
sont comparées à des boucs, idem.
o [sans ref], « Ancon », 335, Erasme [LAI, GRE] ;
à propos du lieu Ancon et ses habitants, idem.
o [sans ref], 723, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de la
prostitution des filles et garçons à Sardanapale, page 187.
o [sans ref], 827, Erasme [LAI] ; à propos du temple
corinthien pour la prostitution, idem.
o [sans ref], 737, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de la
souplesse et la volupté des Corinthiens, idem.
o [sans ref], 731, 800, Erasme [LAI, GRE] ; à propos de
la bouche des Lesbiennes, page 188. - [sans ref], gens, Erasme [LAI,
GRE] ; à propos du terme chalcider, page 189.
o [sans ref], 690, Erasme (chez Plin. L. IV, 12) [LAI,
GRE] ; à propos du terme phicidisser, idem.
o [sans ref], 619, Erasme [LAI, GRE] ; à propos du
terme cleitoriastein, idem. - Martial. Lib. I [LAI]
; à propos des lèvres des Lesbiens, page 190.
- Hier. Merc. Li. IV, p. 93 [LAI] ; Epiphane
aurait écrit que certaines femmes buvaient leur menstruation, page
191.
Les allusions sont au nombre de 8 et n'ont évidemment
pas de références. Elles renvoient toutes à des noms de
personnes physiques et appartiennent à la catégorie laïque
ou païenne. En voici la liste dans l'ordre d'apparition.
144 - Annexe I
- Sennert citerait une femme devenue nymphomane à cause
d'une boisson, page 177. - Muller donne la recette d'un aphrodisiaque, page
178.
- M. de Buffon relate son observation d'une jeune fille dont le
comportement est lubrique en présence d'homme, page 179.
- M. Burette ; à propos de la gymnastique des Grecs et des
Romains, page 182.
- Erasme recueille des anecdotes sur la sexualité chez les
auteurs grecs et romains, page 185.
- Hesychius et Suida auraient décrit une pratique
sexuelle des tribades, page 189.
- Suétone ; à propos du terme
phicidissare, idem.
- Sénèque ; à propos de l'expression non
satis liques [sic], page 190.
- Suétone ; à propos des lèvres de
Uitellius, idem.
Dissertations f...] de Dom
Calmet, Tome I - 145
Annexe II : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome
I
SUR L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION. 417
donner nôtre Peur it un incirconcis , c'efl parmi nous
un opprobre , - une chofe bonteufc ; c'efl-x-dire , quiconque
ne porte pas la marque de la Circoncilion , eit regardé parmi nous avec
horreur , ( a ) c'cft un objet honteux aborn~i-nable`~: le Cananéen
& l'Egyptien étoient donc également un opprobre aux
Hébreux, parce que ni l'un ni l'autre n'avoicnt la Circoncifion.
Marsham (G) a prétendu tirer de ce premier
paffage cité de Jofuc , une preuve pour fon fentimcnt , qui veut que du
teins- de Moyfe , les Egyp-tiens ftitfent circoncis :.t'ai ôté
du milieu de vous l'opprobre de ]'Egypte a c
à-dire , felon lui , j'ai cité d'entre vous ce
qui eft également en horreur aux Egyptiens & .à vous; comme
files Egyptiens avoieut jamais été circoncis untverfellement,
& fans relèrve & s'ils avoient regardé avec mépris
ceux qui ne l'étoient pas , ou qu'ils euilënt été.
engagez par devoir , ou par quelques Loix à recevoir · cette
marque fur eux-memes. L'opprobre de l'Egyp-te ne peut donc marquer en cet
endroit , que la honte dont les Egyp-tiens ,en qualité d'incirconcis ,
font chargez , & l'horreur qu'en ont les Ifraclites pour cette raifon. A
prés toutes .ces preuves , nous croyons pouvoir conclure que du terns de
Moyfe & de Jofiie les Egyptiens n'avotent pas encore la Circoncifion
· examinons â préfent les rems qui ont fùivi.
L'opinion la plus commune , eft :que ce fut fous le regne de
Salomon que les Egyptiens & les Ethiopiens recûrent l'ufage de fe
circoncire. Les preuves de ce fentinnent fe prennent du grand
commerce de ces peuples avec les Juifs dans ce teins-là : niais
fi nous il'avoiions pas que les Egyptiens aycnt Pris cette coûtutne des
Hébreux .dans le teins du ajour de ceux-ci dans l'Egypre ,
nous aurons peine à -convenir que la liaifon que ces deux peuples eurent
enfemble du rems de Salomon , ait pies produire cet cffct; ar tout n'y ayant
point d'autres raifons qui foûtiennent celles-là. Et quant
aux Ethiopiens , qu'on prétend avoir recii la
Circoncifion par le moyen deleur Reir1e , qui entreprit
exprés le voyage de Jérufalem pour voir Salomon
on doit remarquer u'elle n'etoit oint Reine de l'Ethio ic dont
on vcutpar-
1er , niais du pays de Saba dans l'Arabie; & qu'ainfi la
vifite qu'elle rendit â. Salomon, & l'eitirine qu'elle pouvoir
avoir pour ce Prince, n'apû contribuer a faire prendre la C irconcifion
aux Ethiopiens , qui n'avaient aucune relation avec elle.
'Rochait , & quelques-autres Icavans , ont crû que
la Circoncifion n'ctoit pas venuii dans ]'Egypte par le canal des Juifs ,mais
par le moyen des Arabes voiif ins de cc pays. On remarque en effet une grande
differencc entre la Circoncifion des Egyptiens , & celle des
Juifs, & au contraire beaucoup de relemblance entre celle des
Egyptiens & des Arabes. i°. Les Juifs regardent cette
cérémonie comme une obligation indtfpenfable, & comme le
lceau & le caradére qui les rend le peuple de Dieu , & qui leur
afïitrc l'effet de les protnnea s? & les
prérogatives attachées à fa Religion ; les Egyptiens ne
l'ont jamais conliderée que comme une pratique affcz
indifférente, & qui L1'étoit pas d'obligation pour rout le
peuple , mais feulement pour certains
Prêtres. 4. Les Juifs ne donnent la
Circoncifion qu'aux mâles , ils la don- nent totljours le
huitiénne jour ; les Egyptiens la donnent aux hommes
min ! 1 b) hlstrshanz Canon. Æ ppt., fsrr:i.
Fffiij
|
t
|
146 - Annexe II
4i8 DISSERTATION
aux femmes , ( a) & cela au commencement
de la guatorzicrne année, felon faint Ambroife. (b) Les
Voyageurs ne conviennent pas que toutes les femmes Egyvtiennes recoivent cette
efpéce de Circoncifion. Elle Ii'elt d'obligation que dans quelques pays
d'Arabie & de Perfe, comme vers 1c Golphe Perf que , & la Mer rouge ,
où l'on circoncit les deux fexes avec une pareille
régularit6 ; niais avec cette différence que l'on peut
circoncire les hommes t cinq , fïx , ou neuf , ou treize ans. Mais pour
lcs ·femmes on ne les circoncit que quand elles ont
paifé la jeun cire , parce qu'auparavant il n'y a point
d'excrefcencc pour l'excision. ( c )
30. Enfin les Juifs recoivent la Circoncifion
pour avoir part â l'alliance de Dieu avec Abraham & avec fa poileritc
: les Egvpticns n'ont dans
cela point d'autre motif que la propreté , &
petit-etre , d'éviter quelque
incon,modit6 corporelle particuliere â leur pays ;
& cela principalement a l'égard des femmes. (d)
C'eil donc avec raifort qu'Origcnes C,titenoit
comme nous l'avons remarque , que la Circoncifion des
EgyptienS étoit
tout- â-fait différente de- celle des
Hébreux , & que ces pratiques n'avoient rien de commun entre-elles.
Mais on n'en peut pas conclure abfolument
qu'elles ne viennent point de la mémé
fource ; car fuit qu'elles tirent leur origine des Juif5 ou des Arabes , cela
fe rapporte toûiours à Abraham pere d'Ifaac & d'Ifm
i8e détruit l'opinion de l'antiquité de la
Circoncifionparmi les Egyptiens
Du tenus des Pro phétcs Ezéchiel &
Jérémie les L tiens fbnt mis au
rang des incirconcis avec les Babyloniens
& les Tyrie~r1:zéchiel ( e) parlant au
I1.oy d'Aiiyrie , lui dit de la part de Dieu - Vous dcicendr'cz
au
fond de la terre & dans l'enfer ,
& vous y repnfcrc _ avec les incirconcis gui ont
été mis 4 mort par l'épée ; vous aureK pour
compagnon Pharaon rr for:tes fes troupes.
Le rnémc Prophérc (f) parlant
à Pharaon lui-1114.'411e , & fon
peuple , les menace de les faire dcicendre dans l'enfer avec les
autres }sert" pics incirconcis, comme Affilr, Elam-, Moloch &
Tubai. Enfin Jérémie (g) cii[tingue
clairement les Égyptiens d'avec, les Juifs, par la
Circonci1ior1
Strabon. lib %V 1 7.
(6) f4rbro ff lib. 1i . de
.ilbrlal7?_'iyr. c. I I. JRSypril quarto deeisso anno eireumcidunt mares : ,
fesninas cairn; anno cireurncidi f ce-rient , grsât! ab co
videlicre anno i»cipi ;t
grare p,Iffo virilrs , l'en in:trum men
rua fuMAnt initi4.
f c ; Chardin , voy;t~r dc Perk
t. 3. p. 37.
( d I Huet. No: n Orrgen p.
Circrum- rif'o frrnin. rsim >st
r.feciirne i s t,c ç 'ç
dn-iô clitoridis
quez pirs in Anffralitem prafert;in
rmrslicril ·.ec it t cxcrc.fcit , sat ferro · ft cnrrcenda.
is-.. tradunt m:dici infgnes Paulus Ægineta: , lib. v i . c, 7
o. rlëthites Tc-sraLl. 4. fi'. 4..
c. ic;. quorum hts ita per-
tzpropt.r. 1£gyptiis vifur eft , ut an
·
-
tequ:asn cxrsbrret [p:crs :11a corporis 1
urrrple-srt:rr , tuen pr,scipue num Virginrs · nubiles
fitirt elocanda . . , ksorl isititr neccet,
te
ffr>:odtrns
primitm inveêlum tif ,. 1Rcligioni Peib
yiI.li
rc]urI,4r,,m fuit ; gfrad C9' aligtt
liarcc con-
CirG:fArrr/ionc cp'714ti rant. Porro ' rm
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2.E' hs:rrc f ruarc fenrirtus in l'c rf
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· (g ) Jercm. i' .
xs.
- 147
)
Eufrb. pr.gi. !i b.
1T
Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I
SUR L'ORIGINE DE LA CIRCONCISION, 419
lue ceux-ci recevaient , & que les autres n'avoienr
pas. Voici le pafrage de ce Prophéte â la lettre
félon l'Hébreu : Vilitabo fier omnern ctrcuin-cifum cuti
praputio : fuper t/Egypturra , & fuper Juda : dura mimes gentes babent pra
putium , omnis autern domus Ifraël incircurncifi flint corde. Je punirai
l'incirconcis, comme celui qui a la Circoncifion, le juif avec L'Egyprien :
parce que tous les peuples font incirconcis dans la chair ; mais la . Maifon
d'Ifrael n'a pas la Circoncifion du coeur. Je ne voudrais pas
néanmoins foûtenir qu'alors il n'y eût perfonne de circoncis
parmi les- Egyptiens ; on convient ,que cette pratique cil ancienne
parmi les Prêtres de cette Nation : mais il
cft vifible par les pairages que nous venons
d'alléguer, que le peuple paifoit ..encore pour incirconcis.
Pour achever de détruire la prétention de ceux
qui veulent que les Egyp-tiens. fuient les inventeurs de la
Circoncifion & qu'ils layent pratiques dés le commencement on peut
faire encore deux reliéxiôns : L.0 premiere, qu'il Weil pas
concevable que naturellement, & fans quelque raifon extraordinaire un
peuple entier s'avifè de fe circoncire. C'efl une
cérémonie
trop douloureufe., & trop humiliante , & d'ailleurs
trop finguliere pour tortlbcr dans l'efprit d'un homme, & à plus
forte raifon de tonte une Na-
tion. On conçoit aiférnent que le premier q+.ii
s'eft circoncis, a diî y etre Porté pâr d'autres motifs que
ceux dont nous parlent les Egyptiens , d'une prétendue propreté ,
ou d'une fuperilition encore plus ridicule, qui eft'd'imi-ter k Cynocephale ,
certain animal divinité, qui vient, dit-on , au monde tout circoncis :
ce font des rêveries qui ne mentent pas qu'on s'arrête les
réfuter. Or les Egyptiens n'apportent point de meilleures rairons que
celles-
la qui les ayent pu porter I cette pratique; on doit donc
conclure qu'ils n'en font point les auteurs.
La faconde retléxion, c'efl que fi cette
coutume eût toûjoiirs été parmi eux , & qu'elle y
eût été en quelque confidrarion , & regardée
comme ieme cllpfe riécelfaire , ou tille pratique rcligicufe
, on la verroir parmi les puplés qui font fortis de l'Egypre; & dans
les endroits qui ont pris leur
Religion , & leur culte des Egypriens : nuis
c'efi ce qui ne parait nulle pair. Les Cananéens , les
Phéniciens, les Philii}lits, & divers peuples d'A--trini1e , font
Egyptiens d'origine ; & aucun de tons ces peuples n'a la Cir-
concifion , fi ce n'et'1 les Phéniciens, qui
la reçût-eut de Saturne , corn-lue nous le dirons
ci-aprés. J'en dis de même des fuperilitions Egvprien-
qui k font répand ucs dans la Syrie , dans la
· Phénicie , dans l'Afrique , dans l'lfle de Cypre, dans la
Gréce ; on n'y remarque point de Circon-cifion. Nous examinerons
ci-aprés ce qui regarde les Colchiens , qu'on 'a
prétendu être les mêmes que
Cafluim , defccndus des Mizraïins, ou des
:Égyptiens.
le Il faut donc avouer que les Egyptiens n'ont pas eu la
Circoncifion clés commencement, qu'ils ne l'ont pas
inventée, qu'ils ne l'ont regcie qu'afl&z
tarda & qu'Abraham ils put l'imiter , ni la
prendre d'eux. Voyons mainte rant les preuves que les Phéniciens
apportent pour fe procurer l'honneur d'a-v°ir pratique les premiers cette
cérémonie.
Sanchoniaton rapporté dans Eufebe, ( a) dit que
Saturne , qui eft nommé
( P 7 xxv 1 I7.,,1 0.
t b) Hrrodot: lit?. 11 ,
|
` (r) .7ofapl+ !ib. I. contra ittpion.
ld}Ge~rr' x, 14.
|
dcS
|
148 - Annexe II
_ to DISSERTATION.
lfraël par les Phéniciens , n'ayant qu'un
fils- nommé Jeud, né de la Nymphe
rinobret , l'immola fur un autel s qu'il avoir dreflé
à fon ere le Ciel & qu'ayant pris la Circoncifion, il contraignit
tous les folda rs d'en faire de même. De là dl. venu parmi les
Phéniciens la coûtumc qu'avaient les Princes d'immoler leurs fils
dans les lusreflântcs néceflitez de l'État,
& de la vient aufli apparemment l'ufage dcjla Circoncifion parmi ce
peuple'. Mais comme nous mettons Sanchoniaton au nombre des Auteurs
fabuleux, nous ne croyons pas devoir perdre le teins à le
réfuter , ni à faire des rcfle' ]lions fuir fon récit.
Si donc la Circoncifion a été en ufage dans la.
Phénicie, elle n'en Ve-nuzi que d Abraham & des
lfraclites : mais il nelroît pas que cette Fra" nt
tique ait jamais été fort commune dans ce
pays. Les Phéniciens ens ne fc
°
jamais fait un devoir de la pratiquer; ils ne !'avoient pas du
tem de .10' fûé ,. ni , je penfè , fous les. Rois
de Juda,& d'lfraël. Ezcchiel (a } méc del le Roy de
Tyr de le. frapper de la mort des incirconcis ·
c'eft-à-dire ,
fzire mourir comme. les autres peuples incirconcis, fans
aucune cfP~ra.nee d'une meilleure vie, vous irez droit en enfer avec les autres
Rois ineir-concis. Voyez Ezéchi.cl xxxr r. 19, 2.1.
az. & fuivans. Hérodote( b} av°u'c que les,Pheniciens
quittérent la Circoncifion par le commerce gui'ils
etââ11s
aucuneavec s& s Colonies qu'ils ét nous
ne ablirons ent fur touteas qu'ils s les cent ôtes de la rte
cetteMcdi erranée. Enfin Jofeph ( c)-affure
que de fon teins il n'y avoir que les Juifs qui priflént
·
la Circoncifion, entre tous les peuples qui habitoicnt la Syrie;
ainfi files .Phc niciens. ont eu cette coûtume ils ne l'ont coi]f
ervée c1L1e l'eii d~ tei11S, 8& is l'ont, conftaminent
rcççilc d'ailleurs.
Nous nous (oinrncs étendus ailleurs d fur
l'origine des CvJc11iu11s , ·& nous avons
tâché -de montrer que ce que dit Hérodote touchant
l'clriginr Egyptienno de ces peuples , était fort incertain : cc qu'il
avance fur 1e1, Circoncifion , fait q+i;il vciiille qu'ils rayent eu
dés le comnlencen1enr
fait qu'il prétende qu'ils Payent rifc dans
l'Égypte , n'eft ion ~c
pas p111:LiX ab.
puyéc ; ainfi. il nous faut chercher une autre fource de
la- Circoncll , . ces peuples , & de-celles des Syriens- de
deflùs les fleuves Thermoa°o'' .a_
l'arthénius. S'il ei} permis de propofer quelques con c° chues dans
Oc ge ma" titre fi obi-cure , & fi emI3ar,raflëc
on pourra dire que les Colchiei1s'. les Syriens circoncis dont arle
Hérodote a-voient recu"i la Circolicif'°11
Y
des Ifraëlitcs exilez dans ces pays.- là : ~i l'on
n'aime mieux dire qui 115 . itnielit faux-mêmes des lfraëfitcs
tranf-orrcz dans ces Provinces par Te-glatl,halafl'ax , ou par
Salmanalfar: Conti le ils avoient corifervé la tir E .
cifion , &. qu'us étaient venus dit voilinatie de 1 E
te' a i1t11 encore fl que air & quelques manieres des
Egygtiens -com me le
teint i afalle, les cheveux crépus, un long ig - étranger â
la. Colchide & ]e ·
culte d'un bau
ou,d'un vea i d'or · fellzbiable à
celui d'Apis , il fut ailé, de les prendre,
p°1'i
IAhhei, .& rkrr itriav c'd ar,9p
aire .Pruiyl5e t UuFcir vixaapr e euv
·c '' c4..r Y;rac ryura.
-
i ( ef+ ) Gi'n.eJ. xxv
11 1. r 8
( e) Exoal. X'. a j. cl,
LJegs. (f) Genej: xxt. 334
Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I - 149
6613 DISSERTA ·TI ON
avifé de lui batir des Temples. (a) Les
cérémonies , ·&des dehors de
lapié ·'
rc n'en avaientoint encore étouffé
l'intérieur , l'ei3. tltiei & l'on n'avoir- pas vitt dans la
Religion-,. l'acceiroire prendre la place du principal. il n'y eûr, que
de liniplcs Autels avant le déluge, & merle encore long
tctxls..dcpuis, Abel', Nuë. , Abraham , If aac, & Jacob ,
ces vrais & ly nccres . dut ateurs , no bai Trent aucuns Temples. Un Autel
fimple dans un lieu pur , & écarté, tans
figures , &= fans ilatuds , fans ornemens, & fans
riclircïlts, dans un bois,cu fair Line hauteur, étoit le
lieu , ail penétrcz-d'une t'aime trayeur, ils s'alicin-blutent , pour
reconnultmC le fbuverain Seigneur, par un culte tft1cére
l~ ·li,~sttz~:.
11 'lita pas rné'mc certain qu'on ait immolé des
vidkirnes avant le déluge. Cc ne tut part-i'trc que depuis la permiilion
accordée :1 Noc, d'uiér pour fat: ntixirritt rc de !a chair des
atiinaaux , que ee l'arriarclic crut pouvoir etc
attrir le fang , & les chairs .cn facrificc. Auparavant on fe
contentoit de prc(erirer l'auteur de tous les biens , les prth iccs des fruits
qu'on reti,eilloit, ou le fait, lws graiflcs , &: les laides des animaux
qu'on nourriilcit. Voilà l'idée que nous donne l'Ecriture de ces
premiers teins. Voilà l'idée qu'en ont eu les Anciens. (b ) qui
nous parlent de la · Religion primitive, connue de la ·chofc la
plus }etre, fa plus 11;11111e, la plus innocente. Les Miels iféLL.iLft
point baignez;: du Fang des taureaux, dit un ancien j otite,
{ r.) On regardait comme un là-h p crilége de l'aire
maurrif titi anima! , & d'en devorer la- chair. On n'offrait ni encens
ni ·vicctitncs fanglantes ; mais des herbes que produit la terre, qu'on
mettait dans le fut' , aprés les avoir élevées en haut
vers l'Auteur de la uatu re. Une Religion. fi modette , n'avoir pas bcfoin tic
Temples iwnprtieux , & de grands édifices , ni d'une multitude de
cércinonics, G& de Miu,ilres. Les Autels eux- mêmes eroieit
Cans Faite & fans Façon. Celui chie Jacob exigea
i · ·! apres la vitic,n qu'il eut â Déthel , comme
kl alloit en M: (dpotaniie , n'cteia que d'une pierre brute , qu'il avoir mis
fous fa tete pour dormir. ll l'érigea comme un monument ,die
l'I;CrittjrC , [ d) & il verfit de l'huile par deilus. Au retour
de la Méfopotatnie, il alla ati même endroit , pour s'acquitter du
voe; qu'il avait fait d'offrir â Dieu la dixcne de tous fes biens. Moi[e
lui-tliéu1e ora= donne qu'on ne · fatlè que de pierres
brutes, les Autels qu'on pourra Cr1Zet an Seigneur. { e )
Abrahampour concilier plus de ref &
âfï'c. l'Autel , qu'il avoir dre a Béer-fabte ,
planta un bois auteu. (f) C'était comme une ef péce de
Ttiniile, oit il alloit rt:1i icj realt
avec fa fainilie offrir it Dieu its prié]: es ,
& les facri-
es. On netl
fgait ce fur n l'imitation des peuples du pals de
Clianaan , at
il ci- fi :ttit alors , qu'il planta cc bois t ou s'il titivit en
cela le penchant c e foin
iproet · ir , ou
l'infj}iration du Seigneur. Mais nous ne voyons rien de plus ancien.
après les Aritcls, que les bais facrez. Mellé hic parie jamais
bien clairernen>
(~ l .Ertfi~t.. Prep. ta'. z. pe.
9. V: Tperer 7ti+. 7V rr.~m'.oc ·I: r T~r persp
krcaw , {{.. f! Ya,a4 ·luzorksv ciç
~ 7 ·Fl reY , 7rüt tÔOE'e r hp1
p3i,14: -1.
J vide 1 ha ·ophraft, aplsd PaYphyr. de
44(i-Aenti4, lik. t. t j,
4.
5 TR·tliuy ch:
~OTe1C !J P qq
ÉuF70 j3a1dutl4 ·j
Y r -
|
a
150- Annexe II
SUR LES TEMPLES DES ANCIENS. 669
de Temples; mais louvent il parle des bois confacrez aux
Idoles. Il ordonne aux llraéiitcs de détruire
les Autels, d'abattre les- bois , de démolir les mo-tturnens
facret, ou les flatuës des Cananéens; mais il ne commande pas de
démolir leurs Temples : ce qu'il n'aurait fans douce pas manque de faire
, s'ils eu.[i; tir alors c:té communs dans ce pais. Et on ne
remarque pas qu'il en ait dcinali lui its rnc aucun , dans les
coiequeccs qu'il fit au de-là du Iouri in , quo: q,l'un
n'ignore pas que tout cc pais étoit plane dans 1'ido13,rrie, que
P1aégttr , ope Moloch , & que Charnus y croient adorez.
Ces Carpes Diviciiiez n'avaient peut-être point d'autres
Temples que les bois,
otl l'on les adotoit , des nicltcs, & des Temples
portatifs , at] l'on pur_ toit leurs ftarué_:,aiuiï gi'Amos (a)
le marque d'une naiuirrrc a[l'czclaire.Q el. ques-uns dou:eut iiit113e li alors
ces peuples avaient de:: ilaiuCs. Les Anciens · qui nous parlent des
prcinicres Diviuitez des Arabes , parmi lelslucls les Mua-bites ,
& les Anuiiouires Cioieut compris , les dépeignent comme de
fimples
pierres , ail tai lécs ; niais non pas avec une forme
humaine. Les plis anciennes llivirii:.:z Pi,:iiicierutcs frirent
adorées fous la forme de bizous ou de haltes, & d,..
colon-mes dreilees en leur honneur , dit Sanchoriiaton. ( b) C'eit
pour cela feioil Trogns, que l'on met des haltes, oit des fceprres dans les
rtt.ti_ns lies Dieux, parce qu'au comniencem nr , on adora ces bâtons,.
au iicti dc, figures. des Dieux : ( c) Nam ab origine rermm, pro nuis
imnxnrta-liGus ruera loves hz&raêrc. Ioleph (d) parle
de quelques colt titres pr&cieil-les , c:,nfàcrees dans
l'ancien Temple de Tyr Les Septante ont accatltumé: de rendre par
colomnes ,.1c mot Hébreu , rnarzaba , qu'on traduit
ordinairc-
m:-nc par !ratais, fèmhle que le nom de coloinnes ,
revient mieux 4. la lignification du terme original.
On lçait l'atitiquire du culte qu'on a rendu aux
bois Curez , 2ulfli Liera , aufq+ielles ces lieux étt~ient
confacrez. C,édéun abattit. le bois qu'aux Idoles
confacré à Baale) Les Rois d'If-rad&
de Juda conlacrérent louvent de femb'ablcs bois aux F nx Dieux.
(f) Et d'autres Rois plus pieux les abattirent, & renver
fêtent les .Autcls qu'Us y avoient bâtis , & Ies Idoles qu'ils
y avoieut placées. C'eft Jans ces bois que fê
comn-ierroient ordinairement les abominations, que les Pruphcxes reprutlzent fi
'buvent aux Juifs. S. Clément .Al~xantlrie noir; parle des buis
, · qui accompagnaient toûjours les Temples. des Epptien5. Le
Temple de Jupiter Ammon étoit au milieu d'uni bois; &
celui que ions décrit dans Carthage,
Lucas in Orbe fisse medi2 ... .
Les Géngi aplies nous décrivent quelques bois
facrez de l'Arabie ,8.4. en par-tictilicr celui des
Palmiers, qu'on croit etre celui
d'Elim , où Ies IfraiIites cant-
pérent ..prés le pafliage de la mer rouge. Cc bois
étoit confacré une rrivi, Acte & il y
avoir un Prêtre & une Pretreffe, qui le gardaient. ( g ) Le bois.
,4,n03 Ir, 2.6-
Porto/lis tabernsrtrelxWn Î d )1ofr ·ph
lib. i, ceotF, pprun,
7
t r ab 1.41r0 , c'
imagirse ·n lslo!orum veft'ro- j e ) ]rfdit. vi,
2,7, ? m,.gdtdi n'i vefiri, q:es
fe ifiis vobis. I fi 3. Reg, xsr. 15. <5,
23.,V. iy. t xiii l d 1. 3
inebonàacr, %se Porph r, apud Eafeb. 3 3.
0' 4. Reg. Xi i ie. 6. & xvi i;,
i p
/filea) yrs ; ·
. sb C3) Src'.il 14,6 iG,
Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome II -151
Annexe III : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome
II
PRÉFACE
5 U R
LE LEVITIQUE ,
C
L Livre efl:appellé Lévitique, parce qu'il
contient des Loix qui re ardent .fes . facrifices & les
devoirs dçs Prêtres & des 1Lévites : d'oit
vient que ide 11.abl` ~~ lui donnent au fil le nain de, Loi des Pr;ires.
porta en Hébreu le nom J (a) parce qu'il commence parce terme
dans le Texte original.
Aprés que Mie cut dre sé le Tabernacle , &
que la gloire du Seigneur euttelle-incnt remplice flint liedque Mode
lui-même n'ofoit entrer , comme il cane,' gué dans k dernier
chapitre e l'Exode; ;Dieu appella Moire, & lui donna les Lo~x qui
l'ont contenues dans les rept premiers chapitres du Lévitique.. refcrit
d'ab°rd
ce qui regarde lanaturc & lcs qualitez des holocaufles, &
les cérémohiics qui devoiet
)e
qui préfentait l'animal pour être facrifsé,
que P`
être obfcrvécs, tant par celuie
Prêtre qui l'immolait. (I) Il palle enfuite aux
offrandes des pains , de farine , d gâteaux, d'épis vers;
(c)puis aux facrifices pacifiques, ou d'actions de graccs. il
régie les cérémonies de ces
ffacrifïces,-& il détermine quelles parties on doit
briller fur l'Autel. (d) Au chapitre
quatriéme , il parle de la znaniére d'offrir les
hofliesPi ii k péché du
grand-Prêtre, pour les fautes d'ignorance de tout k peuple,
dans les
pour les pêchez d'ignorance des particuliers. Il
continuë la rnême matif
deux Chapitres fuivans; il y parle de divcrfes fortes de
péchez, qu'on exploit par lc5 facrifices. il marque les
parties des vi& imcs qui devaienten être co
e}fiunées fur l'Autel,
Celles qui devaient appartenir aux q ~
Aprés l'ére&ion du Tabernacle, Molle confacra
Aaron & les fils, ainfi que rie çir
l'avoir ordonné dans le chapitre xx ix. de l'Exode. Il
offrit les facrifices , fit les on . rions , & les afperf ions
du Sang commandées dans cette cérémonie. Il
préfentac bute Aaron & lcs fils devant l'Autel & leur
mit en main lesarties des viEires qui avoicnt été offertes au
Seigneur pour leur consécration. ri leur ordonna de demeurer
hitt jours dans le Tabernacle, fans en fortir. (f) AufTi-tôt que
la cérémonie de la cons4.
cration des Prêtres fart achevée , Aaron offrit
â Dieu des facrificcs pour fa:l lch, pour celui de les edam. Il
immola aulfi dcs holocattftes & des hofiics
pacsiyéquesé
;8z
un feu miraculeux forti du Tabernacle , les couru:na
a la vû6 de tout le pettple. (g 7 j
|
(y) Cap. 3v. V. Trr. Vil, ( f ) Gap. Viti. (s)
cap.ix,
|
(aJ L1i.'7 (bJ Cap.
(6 l Gap. lx. (a) Cap. iii.
|
152 - Annexe III
4.s
SUR LE LEVITIQUE, 41
Nadab&Ablu fils d'Aaron, ayant mis dans leur encenfoir
un ·feti étranger, & différent de celui qui brilloit
fur l'Autel, & ayant voulu entrer:dans.le Saint, pour y offrir l'encens,
furent étouffez par une flamme.qui en {drtit, &- les
enveloppa. Alors Moïfe défendit 'a Aaron de faire le
deiiil de fes deux .fils,. & cirdonim que les Prctres ne boiroierzt point
de vin clans le Tabernacle. (a) On. voit aprés cela
les différences cies animaux purs & impurs ; (b) les
cérémonies pour la purification des femmes
nouvellement accouchées,; (c) la manlére de diflinguer.la
lépre tics hommes, des mai-fons, & des habits ; (d)
tes facrifices qu'on ofl:roit`Iorf u on .étoit guéri de
cette incommodité.; (r,) de quelle forte les hormm~es:incornmoclea de la
gonorrhée., &, les · femmes qui ont leurs
incomtnoditez ·, fe purifient: (f) Ivl.oife .preicrit enfuiteles
cé_- rémonies qui s'obfcrvoicnt dans la fête
de l'expiation folemnelle ; continent le grand-. Prêtre entrnit dans le
Sani&uaire, & comment on einvoïoit le bouc émiffaire.
(g) Dieu défend aux l fradites de facrifier ailleurs qu'a la
porte dii Tabernacle; il leur in-. tordit l'ufage du fang, & de la chair
des-animaux morts d'eux-meures. (h) Il leur prefcrit les
dégrez dans lcfquels les mariages font permis au détendus. Il ne
vent point
qu'ils contra&ent alliance avec les étrangers
&les Cananéens. ( i) - · .
Aprés toutes ces ordonnances qui ont un rapport plus
dire& â la fainteté du Tabernacle , dont il n'étoit pas
permis de s'approcher étant
foiiillé;Dieuréïtére une · partie des
préceptes qu'il avoit donnez auparavant ; par exemple, ceux de
l'obferva-tion du Sabbat, du refpe& dit aux pareras_; contre
l'idolâtrie , le vol , le parjuré, la calomnie, la haine du
prochain,. &c. Il. ordonne de ne pas ramafferles
épis qui tom, bentpendantla moiffon, & de ne_pas
fcier toute la longueur du champ; mais .d'est laifler quelque peu
pour les pauvres. Il ne permet pas.I'ufage des fruits ·d'un arbre
nouvellement planté, pendant les cinq prem iéres années
titi' on le cultive. Il condamne les proftitutions, & les diverfes fortes
de divinations. Il ne veut pas qu'ou imite les.. maniéresfuperf
itieufesdefe faire les cheveux & la barbe, uftécs par les Gentils.
Il: commande le rcfpe& envers les vieillards, & l'humanité
envers les étrangers. (f;') Il fait de trés-sévéres
menaces contre ceux ui · ofl'riroient de leurs en fans aM.oloc. Ill
punit de mort ceux qui prononcent des rrialediEtions contre leurs pores., ou
qui corn- · mettent l'adultéee; ou qui s'engagent dans des
mariages inceltueux, ·ou qui cainrnct-tent des imputerez abominables;
(t) enfin ceux. qui s'adonnent aux diverfes fartes. d'augures & de
magie. Ii ne permet pas aux lïmples Tfradlites, ni même aux
Prêtres guinderont pas purifiez, de manger des chofes confacrées
â Dieu. Il marque plu-lieurs défauts qui rendent les vidimes
indigtes d'être préfentées au Seigneur. (rra)
(g) Cap. xvc.
(h) cr+f.'v;t. N) Caf. xvtit. (k) top.xrx. (J)
Cap.xx. (1,77) Crap, xxale.
(a) .Cap, x,
(b) Cr.p.xs. (r) Cap.xtz.
(d) Crrp.xszs.
( c ) Cnp.xiv. (f) Cap. xv.
Tam. r Part. r.
Dans Je chapitre xxi i 1. Molle rnarqueles'principales
fêtes de l'année, & ·la rua-niére de les
célébres. Ces Fêtes font, nique, laPentecdte, la Fête
des Trompettes, celle de l'Expiation, & celle des-Tabernacles. Cc fut
appa4cmm ent au campement de Sinaï, & avantl'ércélion
dit Tabernacle, que Dieu lui prcfcrivit la maniére de préparer
les lampes du chandelier d'or, & de mettre les pains fur la table d'or qui
ell dans le Saint. Dans k même terns on amena a Mode un homme qui
avoitblafphêrné le nom
BUFFON Georges-Louis Leclerc et DAUBENTON Louis-Jean-Marie,
Histoire naturelle générale et particulière ; avec la
description du Cabinet du Roy, 15 volumes, Paris, de l'imprimerie
royale,
- 153
Bibliographie
Corpus
Primaire (classé par ordre chronologique)
Errotika Biblion, `Åí ?áéñ?
??ÜôÞñïí, Abstrusum excudit, À Rome,
de l'imprimerie du Vatican, MDCCLXXXIII. Ouvrage de
référence pour ce mémoire, cote Enfer 1286 de la
Bibliothèque Nationale de France.
MIRABEAU, Erotika Biblion, nouvelle édition revue et
corrigée sur un exemplaire de l'an IX et augmentée d'une
préface et de notes pour l'intelligence du texte, Paris, chez les
frères Girodet, 1833.
MIRABEAU, L'oeuvre du Comte de Mirabeau, introduction,
essai bibliographique et notes par Guillaume Apollinaire, Paris,
Bibliothèque des curieux, 1921.
MIRABEAU, Erotika Biblion, dans OEuvres
érotiques de Mirabeau, collection L'Enfer de la Bibliothèque
Nationale, Fayard, 1984.
MIRABEAU, Erotika Biblion, édition critique avec
introduction, notes et variantes par Jean-Pierre Dubost, Paris, Honoré
Champion, 2009.
Secondaire
Dictionnaires et encyclopédies
Encyclopédie des Gens du monde, Répertoire
universel des sciences, des lettres et des arts, par une
société de Savants, de Littérateurs et d'artistes,
français et étrangers, 22 volumes, Paris, Librairie de Treuttel
et Würtz, 1842.
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des
sciences, des arts et des métiers, par une société de
gens de lettres, 17 volumes, Paris, Chez Briasson, David, Le Breton et Durand,
1751-1765.
BAYLE Pierre, Dictionnaire historique et critique, 5
volumes, Amsterdam, Par la Compagnie des Libraires, 1734.
154 - Bibliographie
1749-1789.
PEIGNOT G, Dictionnaire critique, littéraire et
bibliographique des principaux Livres condamnés au feu, supprimés
ou censurés, Bibliothécaire de la Haute-Saône, Membre
de l'Académie Celtique de Paris, et de plusieurs Sociétés
littéraires, Paris, chez A. A. Renouard, 1806.
VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique portatif, Londres,
1764.
Littérature
exégétique
Cité de Dieu de Saint Augustin traduite en
françois, et revue sur l'édition des Pères
Bénédictins, et sur plusieurs Anciens Manuscrits ; Avec des
Remarques et des Notes qui contiennent quantité de corrections
importantes du Texte Latin, 2 tomes, À Paris, rue S. Jacques, Chez
Pierre Debats et Imbert Debats, M. DCCI.
Lettres de Saint Jean Chrysostome, traduites sur le
grec, avec approbation et privilège du Roi, 2 volumes, Paris, chez
Pierre Gandouin, 1732.
BOURIGNON Antoinette, Le Nouveau Ciel et la nouvelle
terre, contenant des merveilles inouïes, jamais vues ni
déclarées de personne... composé pour la consolation des
bonnes âmes, Amsterdam, chez P. Arentz, 1679.
DOM CALMET Augustin, Dictionnaire historique, critique,
chronologique, géographique et littéral de la Bible, enrichi
de plus de trois cents Figures en taille-douce, qui représentent les
Antiquitez Judaïques, Nouvelle édition revue, corrigée et
augmentée, 4 volumes, À Paris, Chez Emery, Saugrain et Pierre
Martin, M. DCCXXX.
DOM CALMET Augustin, Dissertations qui peuvent servir de
Prolégomènes de l'Écriture Sainte, revue,
corrigées, considérablement augmentées, et mises dans un
ordre méthodique, par le R.P. Dom Augustin Calmet, 3 volumes,
Paris, chez Emery, Saugrain et Pierre Martin, 1720.
R.P. SANCHEZ Thoma, Disputationum de sancto matrimonii
sacramento, qui uniuersam huius argumenti tractationem complectuntur, ut quarta
docebit pagina, 3 volumes, Antuerplae, apud Martinum Nutium, M.DC.VII.
Ouvrages sacrés Bible des Septante.
Bible Vulgate.
Biblia : das ist : die gantze Heilige Schrifft : Deudsch
Auffs New zugericht, D. Mart. Luth, Gedrueckt
GUILLAUMET T., Chirurgien du Roy, Doyen et Maistre Juré en
la Cité de Nismes, Traicté de la
- 155
zu Wittemberg Durch Hans Lufft. M. D. XLI.
Histoire du peuple de Dieu depuis son origine
jusqu'à la venue du Messie, par Isaac-Joseph Berruyer, Paris, 7.
Vol, 1728.
La Bible de Jérusalem, traduite en
français sous la direction de l'Ecole biblique de Jérusalem,
nouvelle édition revue et corrigée, Les Editions du Cerf,
1998.
La Sainte Bible traduite en françois, le latin de
la vulgate à côté, avec de courtes notes tirées des
saints pères & des meilleurs interprètes [...], trad.
Isaac Lemaistre de Sacy, établie en liaison avec les Messieurs de
Port-Royal, revues après sa mort en 1684 par Pierre Thomas Du
Fossé et Henri-Charles Beaubrun notamment, à Liège, chez
Jean-François Broncart, 1701.
Morale de Zoroastre, extraite du Zend-Avesta,
traduction d'Anquetil du Perron, Paris, chez Victor Legou, 1850.
Manuels et traités
Eloges des Académiciens des deux Académies
Française et des Sciences, par MM. D'Alembert et de Condorcet,
Paris, Panckouke, 2 volumes, 1773 et 1779.
Itinéraire instructif de Rome à Naples et
à ses environs, tiré de celui de feu M. Vasi ; et de la Sicile,
tiré de celui de M. De Karaczay, Rome, de l'imprimerie Poggioli,
1826.
Réflexions militaires et politiques de Monsieur le
marquis de Santa Cruz de Marzendo, traduites de l'espagnol, La Haye, Chez
Jean Vau Duren, 1734.
Anonyme [DIDEROT], Lettre sur les aveugles à l'usage
de ceux qui voient, Londres, 1749.
Anonyme [MIRABEAU], Des Lettres de cachet et des prisons
d'État : ouvrage posthume composé en 1778, Hambourg,
1782.
Anonyme [MIRABEAU], Essai sur le despotisme, Londres,
1775.
BAILLY Jean-Sylvain, Lettres sur l'Atlantide de Platon et
sur l'ancienne Histoire de l'Asie, pour servir de suite aux Lettres sur
l'origine des Sciences, adressées à M. de Voltaire, Londres,
chez M. Elmesly, et Paris, chez les Frères Debure, 1779.
FANGE Augustin, La Vie du
très-révérend père D. Augustin Calmet,
Abbé de Senones, Senones, chez Joseph Pariset, 1742.
156 - Bibliographie
Maladie noovvellement appelée Cristaline,
diligemment disputée suivant la Doctrine nouuelle et ancienne, comme se
verra par les authoritez mises pour plus grande preuue, À Lyon,
Chez Pierre Rigaud, ruë Merçiere, au coing de ruë Ferrandiere,
M. DCVI.
HOBBES Thomas, Leviathan or The Matter Forme, London,
1651.
LE MASRIER Jean-Baptiste, Mémoires historiques sur
la Louisiane, Paris, Chez CL. J. B. Bauche, 1753.
MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, traduit par Gaspar
d'Auvergne, Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1553.
MENCKE Johann Burchard et Van Duren, De la Charlatanerie
des savans ; par Monsieur Menken avec des remarques critiques de
différents auteurs, Chez Jean Van Duren, 1721.
MIRABEAU, Dénonciation de l'agiotage au Roi et
à l'Assemblée des Notables, 1787. MONTESQUIEU, De
l'Esprit des loix, T. I et II, Londres, 1757.
ROUSSEAU Jean-Jacques, Du Contract social ; ou, Principes
du droit politique, Amsterdam, chez Marc Michel Rey, 1762.
SPINOZA, Tractatus Theologico-Politicus, Hamburgi,
apud Henricum Künrath, CI? I? CLXX, 1670.
THOMAS Antoine-Léonard, Essai sur le caractere, les
moeurs et l'esprit des femmes dans les différens siècles,
à Paris, Chez Moutard, M. DCC. LXXII.
TILLEMONT, Louis Lenain (de), Mémoires pour servir
à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles,
avec approbations et privilège du roi, 12 volumes, Paris, chez Charles
Robustel, 1706.
VAN SCHURMAN, Anna Maria, Question célèbre
s'il est nécessaire, ou non, que les filles soient sçavantes.
Agitée de part et d'autre, par Mademoiselle Anne Marie de Schurman.
Holandoise, et le Sr. Andrè Rivet Potevin, Paris, 1646.
VOLTAIRE, Essai sur les moeurs et l'esprit des nations et
sur les principaux faits de l'histoire depuis Charlemagne jusqu'à Louis
XIII, Genève, Cramer, 1756.
VOLTAIRE, Lettres philosophiques, Amsterdam, chez E.
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VOLTAIRE, Traité de la tolérance, à
l'occasion de la mort de Jean Calas, 1763.
WANSLEB Johann Michael, Histoire de l'Église
d'Alexandrie fondée par S. Marc, que nous appelons
MIRABEAU, Lettres originales, écrites du donjon de
Vincennes, pendant les années 1777, 78, 79 et
- 157
celle des Jacobites d'Égypte, écrite au Caire
même en 1672 et en 1673, par le P.J.M. Vansleb, à Paris, chez
la Vve Clousier, 1677.
Anthologies
Mémoires, correspondance et ouvrages inédits de
Diderot, publiés d'après les manuscrits confiés, en
mourant, par l'auteur à Grimm, Paris, Paulin,
Libraire-éditeur, Alexander Mesnier, Libraire, M. DCC. XXX.
OEuvres complètes de Condorcet, 20 volumes,
Paris, Chez Henrichs, 1804. DIDEROT, OEuvres complètes de
Diderot, Paris, Chez J. L. J. Brière, 1821.
ROUSSEAU Jean-Jacques, Collection complète des oeuvres
de J. J. Rousseau, citoyen de Genève, T. X, Genève, 1782.
Romans et contes
Hipparchia, histoire galante traduite du grec,
divisée en trois livres, avec une préface très
intéressante, et ornée de fig. en taille-douce, Lampasque
(Paris), 1748.
Anonyme [VOLTAIRE], Candide, ou l'Optimisme, traduit de
l'allemand par M. Le Docteur Ralph, S. 1, Genève, Cramer, 1759.
Anonyme, [VOLTAIRE], Histoire de Jenni ou le Sage et
l'Athée, par M. Sherloc, traduit par M. de La Caille, Londres, [en
réalité Genève, Cramer, sans date].
LOUIS DE MONTALTE [PASCAL], Les Provinciales ou les lettres
écrites à un provincial de ses amis ; aux R.R. PP.
Jésuites, sur le sujet de la Morale, & de La Politique de ces
Pères, Cologne, chez Pierre de la Vallée, 1657.
MIRABEAU, Le Libertin de qualité, ou Confidences d'un
prisonnier au château de Vincennes, Auri Sacra fames, écrites par
lui-même, à Stamboul, Imprimerie des Odalisques, 1784.
MONTESQUIEU, Lettres persanes, T. I et II, Amsterdam,
Chez Pierre Brunel, 1721. VOLTAIRE, Le Micromégas, Londres,
1752.
Correspondances
MIRABEAU, Lettres à Julie, écrites du donjon de
Vincennes, dans Annales du Midi par Antoine Thomas, Toulouse, 1904.
CRUGTEN-ANDRE Valérie Van, « Ma conversion,
ou la puissance satirique du grotesque », dans
158 - Bibliographie
80, recueillies par P. Manuel, 4 volumes, Paris, Chez J.
B. Garnery, 1792.
Presse et catalogue
Catalogue des Livres de la bibliothèque de feu M.
Mirabeau l'ainé, Paris, Rozet et Belin, 1791.
La Décade philosophique littéraire et
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Lettre du 17 novembre 1784, dans Correspondance
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Appareil Critique Articles
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ARTIGAS-MENANT Geneviève, « La collusion des
pouvoirs dans les manuscrits philosophiques clandestins », dans
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2005.
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Bible chez Spinoza. Ses présupposés philosophiques
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», L'Ironie dialoguée des Lumières, Acta fabula,
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Lumières obliques. Ironie et dialogues au XVIIIe
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ZAWISZA Elisabeth, « Une lecture littéraire des
lettres de Diderot à Marie Madelaine Jodin » dans Diderot
Studies XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr, Librairie Droz S.A,
2003.
Publications
Diderot Studies XXIX, edited by Diana Guiragossian Carr,
Librairie Droz S.A, 2003.
La Lettre clandestine, numéro 24,
dirigée par Pierre-François Moreau et Maria Susana Seguin, Paris,
Classiques Garnier, 2016.
La Lettre clandestine, numéro 25,
dirigée par Pierre-François Moreau et Maria Susana Seguin, Paris,
Classiques Garnier, 2017.
Querelles, éditées par Jeanne-Marie
Hostiou et Alain Viala, édition spéciale des
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Suite de la seconde édition des supercheries littéraires
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politique au temps de la monarchie absolue, Paris, Honoré Champion,
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siècle, à Mesnil-sur-l'Estrée, Gallimard, 1991, 278
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FOUCAULT Michel, La Volonté de savoir, t. I,
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Michel, L'Usage des plaisirs, t. II, Histoire de la
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HÖLZLE Dominique, Le Roman libertin au
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PASTORELLO Thierry, Sodome à Paris : protohistoire
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Paris-Diderot, 2009.
QUERARD, J.-M, La France littéraire ou Dictionnaire
bibliographique des savants, historiens et gens de lettres de la France, ainsi
que des littérateurs étrangers qui ont écrit en
français, plus particulièrement pendant les XVIIIe et
XIXe siècle, Paris, Chez Firmin Didot, M. DCCC XXVII.
RICHARDOT Anne, Femmes et libertinage au XVIIIe
siècle ou Les Caprices de Cythère, Presses Universitaires de
Rennes, col. Interférences, 2004.
Point historique
Galerie historique des contemporains, ou Nouvelle
Biographie, seule édition, dans laquelle se trouvent réunis les
hommes morts ou vivants, de toutes les nations, qui se sont fait remarquer
à la fin du 18ème siècle et au commencement de
celui-ci, par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus
ou leurs crimes, 9 volumes, Bruxelles, Aug. Wahlen et Compe,
1819.
Mémoires biographiques, littéraires et
politiques de Mirabeau, écrits par lui-même, par son
père, son oncle et son fils adoptif, 8 volumes, Paris, chez Adolphe
Guyot, 1834.
Revue encyclopédique ou Analyse
raisonnée des productions les plus remarquables dans la
littérature, les sciences et les arts, par une réunion de membres
de l'Institut et d'autres hommes de lettres, volume 13, Paris, Bureau
central de la revue encyclopédique, 1822.
BARTHOU Louis, Mirabeau, Figures du passé, Paris,
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CASTRIES (Duc de), Les Idées politiques de
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GARNOT Benoît, Récits d'historien, Voltaire
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Hatier, 2013.
HUGO Victor, Littérature et Philosophie
mêlées, La Haye, G. Vervloet, 1834.
PEUCHET Jacques, Mémoires sur Mirabeau et son
époque : sa vie littéraire et privée, sa conduite
politique à l'Assemblée nationale, et ses relations avec les
principaux personnages de son temps, 3 volumes, Paris, Chez Bossanges
frères, 1824.
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révolution française, Presse Univ de Bordeaux, 1994, 227
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VIEVILLE Lucien, Mirabeau et l'armoire de fer, dans
Les Grandes Énigmes de l'Histoire, Genève,
Édition Magellan, 1992.
ZORGBIBE Charles, Mirabeau, Paris, Éditions de
Fallois, 2008.
Table des Matières
Remerciements.....................................................................................3
Sommaire.....................................................................................5
Lumières sur l'Erotika Biblion de
Mirabeau.....................................................................................1
Au Commencement était le
Verbe.....................................................................................11
Ordre et unité
d'ensemble.....................................................................................17
Résumés des
chapitres.....................................................................................17
Cohérence
idéologique.....................................................................................26
Organisation
thématique.....................................................................................28
L'Articulation autour du premier chapitre, «
.....................................................................................Anagogie
.....................................................................................».....................................................................................30
Ironie
savante.....................................................................................33
Dissonance des
références.....................................................................................33
Un Concept relevant du comique et de
l'intertexte.....................................................................................35
Illustration du
concept.....................................................................................35
Comique
subversif.....................................................................................38
Subversion par la
logique.....................................................................................40
Subversion par le
comique.....................................................................................41
Du Comique
voltairien.....................................................................................43
La Métaphore
coïtale...........................................................................................................51
Inspirations et
ressources.....................................................................................55
Ressources
bibliques.....................................................................................57
Examen de l'appareil
biblique.....................................................................................58
L'Amalgame entre les Philistins et les Israélites
infidèles.....................................................................................59
Les Références aux Livres des
Rois.....................................................................................61
Table des Matières
Examen de la culture religieuse de Mirabeau 64
L'Obscénité des peuples antiques 68
La Circoncision 73
Une Spiritualité indéterminée 77
Invention et recomposition 78
L'Anecdote du médecin Louis et des Pères Cucufe et
Tournemine 79
Le Mensonge des mots 86
Réflexion sémiologique 88
Le Léviathan 92
La Raison du corps 95
La Connaissance en la matière 96
Shackerley et Anquetil-Duperron 97
Des Sens et des goûts 103
Deus neque Natura 111
Une Utopie évolutive 120
L'Universalité 122
La Femme et l'énergie 125
Morale du bonheur 128
Conclusion 131
Annexes 134
Annexe I : Évocations et allusions à un
intertexte foisonnant 134
Annexe II : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome I 145
Annexe III : Dissertations [...] de Dom Calmet, Tome II 151
Annexe IV : Lettre à Sophie, le 19 juin 1780, [...],
page 225 Erreur !
Signet non défini.
Bibliographie....................................................................................................153
Corpus....................................................................................................153
Primaire (classé par ordre
chronologique)....................................................................................................153
Secondaire....................................................................................................153
Dictionnaires et
encyclopédies....................................................................................................153
Littérature
exégétique....................................................................................................154
Ouvrages
sacrés....................................................................................................154
Manuels et
traités....................................................................................................155
Anthologies....................................................................................................157
Romans et
contes....................................................................................................157
Correspondances....................................................................................................157
Presse et
catalogue....................................................................................................158
Appareil
Critique....................................................................................................158
Articles....................................................................................................158
Publications....................................................................................................160
Point
historique....................................................................................................161
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