Accord cadre d'Addis-Abeba : analyse de l'incidence sur la RDC six ans après.par Modeste Keta Ibutshi Université Nationale Pédagogique - Licence en relations internationales 2018 |
III.1.2 La réforme institutionnelleLe Dialogue inter-Congolais qui a mis fin à la guerre de 1998-2002, avait diagnostiqué la Justice comme une des institutions les plus malades de la République et souhaité une réforme fondamentale et urgente permettant de garantir une justice indépendante et impartiale. 1.Réforme de la Justice Aujourd'hui, mis à part, la suppression en 2003 des juridictions d'exception, notamment de la Cour d'ordre militaire, peu de choses ont changé. Sur le plan de l'organisation institutionnelle, la Constitution de 2006 a tracé les contours d'une complète révolution du monde judiciaire en instaurant deux ordres de juridiction : la juridiction civile et la juridiction administrative, chacune chapeautée par une Cour supérieure : la Cour de Cassation dans un cas, le Conseil d'État dans l'autre. Cette architecture nouvelle devait être complétée par la mise en place d'une Cour Constitutionnelle chargée à la fois de veiller à la constitutionnalité des lois, de juger pénalement le Président et le Premier Ministre et de trancher les contentieux nés lors des élections nationales. En octobre 2013, aucune de ces nouvelles Cours n'est fonctionnelle, le Président Kabila venant tout juste, le 15 octobre, après plusieurs années d'obstruction, de promulguer la Loi organique créant la Cour Constitutionnelle68(*). Dans son récent discours sur l'état de la Nation, il demande au Parlement d'accélérer l'examen et l'adoption de la loi organisant le Conseil d'État de manière à « permettre l'installation de l'ensemble des ordres de juridiction prévu par la Constitution ». Que le Président de la République qui, selon l'article 69 « veille au respect de la Constitution », s'engage, après bientôt sept ans de fonctions, à en appliquer enfin toutes les dispositions est incontestablement rassurant. Garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire, chargé de la gestion des magistrats ainsi que du respect de l'éthique de la profession, le Conseil Supérieur de la Magistrature auquel la Constitution consacre son article 152, n'existe toujours que dans sa forme transitoire puisque les présidents et procureurs généraux de la Cour Constitutionnelle, du Conseil d'État et de la Cour de Cassation en sont membres et qu'à ce jour ces cours ne sont pas installées. Par ailleurs, le budget alloué au Ministère de la Justice et des droits humains représente toujours moins de 1% du budget national ce qui est très insuffisant pour mettre en oeuvre une véritable réforme qui devrait prendre en compte l'assainissement du corps des magistrats et l'amélioration des conditions de travail du personnel judiciaire, et, de surcroît, doter le Conseil Supérieur de la Magistrature de moyens matériels et financiers lui permettant de mener à bien une politique efficace en faveur de l'indépendance de la magistrature. a.Justice militaire et impunité L'impunité persiste dans les rangs des militaires et elle continue de favoriser de nouvelles atteintes aux droits humains. Malgré quelques initiatives entreprises en 2011 par le ministère de la Justice pour mettre un terme à l'impunité, la chasse aux auteurs de crimes n'a guère progressé. Les victimes continuent de se voir refuser la vérité, la justice et les réparations qui leurs sont dues, tandis que les décisions de justice visant des militaires restent trop souvent inappliquées. Ainsi, aucune avancée n'a été constatée dans des dossiers majeurs comme ceux des viols de masse commis par les membres de plusieurs groupes armés dans le territoire de Walikale et dans le territoire du Masisi, notamment dans les villages de Bushani et de Kalambahiro, en 2010 et 2011. Les actions contre les FARDC responsables de 136 viols, commis lors de la débâcle de novembre 2012 à Minova et dans le territoire de Kalehe restent très insuffisantes : après les protestations de la MONUSCO et même une menace de suspendre les actions conjointes avec les FARDC, une commission d'enquête militaire a été mise en place et 12 officiers ont été arrêtés, sans qu'aucun, jusqu'ici, n'ait encore fait l'objet de poursuites pénales. Le général-major Gabriel Amisi dit « Tango Fort », ancien chef d'état-major des Forces terrestres, suspendu, le 22 novembre 2012, de ses fonctions pour « corruption, détournements et trafics » ne fait toujours l'objet d'aucune poursuite et continue d'être libre malgré la lourdeur des charges qui pèsent sur lui. Il est, en effet, soupçonné d'avoir, avec d'autres officiers de haut rang des FARDC, constitué un réseau criminel de trafic d'ivoire, d'exploitation illicite de minerais et de vente d'armes et de munitions a plusieurs groupes armés, dont la milice Raia Mutomboki, responsable de la mort de 260 personnes au Nord-Kivu en novembre 2012. Selon des informations recueillies à Kinshasa69(*), il semble que le général Amisi continue d'être « commercialement actif » à l'Est du pays. Enfin, le général de brigade Jérôme Kakwavu, ancien chef des FAPC (Forces Armées du Peuple Congolais), groupe armé qui contrôlait le Nord du district de l'Ituri jusqu'en 2003, arrêté pour viols et détenu depuis 2011 a la prison de Kinshasa, n'a toujours pas été jugé, son procès ayant été interrompu à plusieurs reprises, à la suite du retrait de certains témoins. En ce qui concerne l'assassinat de Floribert Chebeya70(*), la plainte déposée, depuis plus de trois ans, par sa veuve contre l'Inspecteur général de la Police nationale, John Numbi, soupçonné d'avoir commandité le crime, est restée sans suite. John Numbi, n'a été entendu lors du procès des assassins qu'en tant que témoin, alors que la Cour militaire et la Haute cour militaire de Kinshasa se déclaraient, l'une et l'autre, incompétentes pour instruire et examiner sa responsabilité dans cette affaire. L'inspecteur général a été suspendu de ses fonctions en 2010 par le Président Kabila et assigné à résidence au Katanga ou certains l'accusent de manipuler certains groupes Mai-Mai qui prônent l'indépendance de la Province. Sous la pression d'ONG africaines et internationales, le ministère de la Justice et des Droits humains a demandé, en février 2013, aux autorités judiciaires civiles et militaires d'ouvrir des enquêtes sur les allégations de violences commises par les forces de sécurité a l'occasion des élections de novembre 2011, mais les investigations ne semblent guère avoir progressé au cours de l'année. La seule avancée relevée par les défenseurs des droits humains en matière de réforme de la justice, concerne l'expérience des « tribunaux itinérants » menée dans le Sud-Kivu principalement, et qui consiste à organiser des audiences publiques dans des endroits très reculés de la Province, comme Kamituga ou Baraka, ou les auteurs de crimes étaient peu nombreux à rendre des comptes et ou les victimes étaient privées de tout accès a la justice. Même s'il s'agit d'un outil juridiquement fragile, il a permis de traiter une trentaine de cas de violences sexuelles graves qui, sans cela, n'auraient jamais été jugés. b. Crimes de guerre et crimes contre l'Humanité Le 10 juillet 2012, la Cour pénale internationale (CPI) a condamné à 14 ans d'emprisonnement Thomas Lubanga, fondateur et président de l'UPC (Union des patriotes congolais) et commandant en chef de sa branche armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il avait été déclaré coupable le 14 mars de l'enrôlement et de la conscription de mineurs de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités en Ituri, actes constitutifs de crimes de guerre. Il s'agissait de la première condamnation prononcée par la CPI depuis son entrée en fonctions en 2003. Le 13 juillet 2012, la CPI a délivré un mandat d'arrêt à l'encontre de Sylvestre Mudacumura, commandant présumé de la branche armée des FDLR, accusé de neuf chefs de crimes de guerre commis entre janvier 2009 et septembre 2010 dans l'est de la RDC. Un second mandat d'arrêt a été décerné en juillet 2012 à l'encontre de Bosco Ntaganda pour trois chefs de crimes contre l'humanité et quatre chefs de crimes de guerre. Les autorités de la RDC avaient refusé d'arrêter et de remettre Bosco Ntaganda à la CPI avant qu'il ne déserte les rangs de l'armée congolaise, en avril 2012, et ne fonde le mouvement rebelle M-23. A la suite de combats internes au M-23, Bosco Ntaganda s'est réfugié, le 18 mars 2013, à l'Ambassade américaine à Kigali, d'où il a été transféré à la Haye pour y être incarcéré le 22 mars. Le 18 décembre 2012, la CPI a acquitté Mathieu Ngudjolo, ancien dirigeant du Front des nationalistes intégrationnistes (FNI). Cet homme était poursuivi pour des crimes commis en février 2003 dans le village de Bogoro, en Ituri. Les 23 et 24 novembre 2013, la CPI a fait arrêter quatre Congolais pour atteinte présumée à l'administration de la justice dans l'affaire qui concerne Jean-Pierre Bemba. Il s'agit notamment de Fidèle Babala, secrétaire général-adjoint du MLC et député national, arrêté à Kinshasa et immédiatement transféré à La Haye et d'Aimé Kilolo, conseil principal de JP Bemba, arrêté à Bruxelles. Le procès de l'ancien Vice-président de la Transition congolaise a commencé en novembre 2010. * 68Voir à ce propos Gérold, G. « Echec des pouvoirs provinciaux : une nouvelle étape dans la déconstruction de la Troisième République » IFRA, octobre 2013. * 69Interview réalisée le 4 septembre 2013. * 70Floribert Chebeya, président de l'ONG «La voix des sans voix» et un des défenseurs des Droits humains les plus respectés sur le continent, a été assassiné dans les locaux de la Police de Kinshasa, le 2 juin 2010. |
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