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Master professionnel
Mention : information et communication
Spécialité : Communication et médias
Option : Médias Informatisés et Stratégies
de Communication
L'impact de la numérisation sur la filière
audiovisuelle et sur les pratiques des spectateurs
Le cas de Netflix et des séries TV en France
Responsable de la mention information et
communication Professeure Karine Berthelot-Guiet
Tuteur universitaire : Gkouskou-Giannakou Pergia Rapporteur
professionnel : Maroun Natalie
Nom, prénom : Gadiri, Sarra Promotion : 2014 - 2015
Soutenu le : juin 2016 Note du mémoire : 14/20
École des hautes études en sciences de
l'information et de la communication - Université Paris-Sorbonne 77, rue
de Villiers 92200 Neuilly tél. : +33 (0)1 46 43 76 76 fax : +33 (0)1 47
45 66 04
www.celsa.fr
2
Remerciements
Avant tout, je voudrais remercier Mme Gkouskou-Giannakou Pergia
et Mme Natalie Maroun, qui m'ont accompagné tout au long dans ce travail
de recherche et qui m'ont été d'une aide précieuse. Je les
remercie pour leur disponibilité, leurs remarques constructives ainsi
que pour leur compréhension.
Je tiens à remercier toutes les personnes, amis et
camarades, qui ont pris le temps d'échanger avec moi sur mon sujet. Je
les remercie pour leurs suggestions et leurs encouragements.
Je remercie également ma famille pour son soutien et
j'aimerais dédier ce travail à mon défunt grand
père qui me demandait souvent où j'en étais et qui ne
manquait pas une occasion de me rappeler mes objectifs.
Enfin, merci au CELSA qui m'a donné la chance de
réaliser ce travail.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION 5
Première partie 10
Histoire des séries télévisées et
développement de la sériephilie
2.0 10
Chapitre I 11
Les rouages de la filière audiovisuelle
américaine et les secrets de fabrication
des séries TV à succès
11
1. Les enjeux socio-économiques 11
2. Approcher la diversité du genre et son hybridation
22
3. L'art des séries télévisées 28
Chapitre II 37
La diversification des pratiques audiovisuelles : pour
une sériephilie 2.0 37
1. L'hybridation des pratiques des spectateurs 37
2. Internet, l'allié incontournable des
sériephiles 38
3. Les séries américaines sur les chaînes de
télévision françaises 42
4. La démocratisation du binge-viewing et du
spoiling 45
Conclusion de la première partie 50
Deuxième partie 52
Mutation de la filière audiovisuelle et ancrage des
pratiques de
visionnage sur le web 52
Chapitre I 53
Dématérialisation des contenus et
intérêt pour la VOD 53
1. La télévision, un écran connecté
53
2. Hybridation des modèles classiques : vers de nouvelles
solutions de valorisation
des contenus culturels ? 56
3. « Hyperchoix » et nouvelles formes
d'intermédiation 58
Chapitre II 60
Netflix, une stratégie portée par la
disruption 60
1. Historique du créateur-diffuseur 60
2. Dynamisation du marché de la VOD 62
3. Netflix, une conquête par la disruption ? 68
Chapitre III 71
Pour un dispositif personnalisé et adapté
aux modes de consommations actuels
71
1. Exploiter l'intelligence collective 71
2. Compréhension des publics et adaptation aux pratiques
de visionnage 72
3. Analyse sémiotique de la plateforme
Netlfix.com 73
4. Le dispositif de personnalisation 82
5. Vers un encadrement et une démocratisation des
pratiques de visionnage sur
Internet 88
Conclusion de la deuxième partie 90
Troisième partie 91
4
Vers de nouveaux modèles de production et de diffusion
des
contenus audiovisuels ? 91
Chapitre I 92
Le nouveau business des séries
télévisés 92
1. La data au coeur du savoir-faire 92
2. Et si les créations originales de Netflix
redéfinissaient le genre sériel ? 96
3. Vers des contenus inédits ? 104
Chapitre II 108
Vers un réseau de télévision mondial
? 108
1. Légitimité et avantages du modèle de
Netflix 109
2. Les limites du modèle 111
CONCLUSION GENERALE 116
Bibliographie 119
Ouvrages : 119
Articles et revues : 120
Sources électroniques :
120
Sites web : 121
Annexes 127
5
INTRODUCTION
Elles sont nombreuses aujourd'hui les conversations qui
tournent autour des séries télévisées. Et force est
de constater que ce sont les fictions américaines de «
qualité » telles que Breaking Bad ou Game of
Thrones qui suscitent le plus d'engouement autour d'elles. Bien que
populaires en France, ce type de séries trouve davantage ses publics sur
le web que sur la télévision. Considérées comme des
séries de niches et exposées à la censure du CSA à
cause d'un contenu souvent indécent et « politiquement incorrect
», elles ne sont pas adaptées à la programmation des
chaînes du paysage audiovisuel français, exception faite de la
chaîne à péage Canal+ qui a privilégié
dès le milieu des années 1980 la diffusion de fictions de «
qualité » et la production originale.
Cependant, pour le sériephile assidu, même une
chaîne comme Canal+ qui multiplie les initiatives et les partenariats
avec des chaînes américaines comme HBO pour proposer des fictions
de qualité ne satisfait pas pleinement ses attentes. Car, si la
série Game of Thrones par exemple, est diffusée sur
Canal + depuis 20131, c'est avec un an de décalage par
rapport à sa diffusion originale.
Pour ces raisons, Internet apparaît comme une voie
d'accès et de consommation incontournable pour les sériephiles.
Blogs et réseaux sociaux sont le théâtre d'échanges
animés entre les fans mais aussi, depuis les années 2000, le web
est devenu un véritable réseau de distribution alternatif qui
permet aux sériephiles de trouver des solutions plus adaptées
à leurs pratiques que l'offre proposée par les chaînes
françaises et notamment la disponibilité des épisodes au
plus tard 48h après leur diffusion originale. Le cas des
sériephiles français n'est pas isolé. En 2015, le
célèbre logiciel de téléchargement
peer-to-peer BitTorrent consomme plus de bande passante que tout autre
source de trafic sur Internet2 drainant ainsi un importante
population mondiale qui se trouve forcer de pirater ces contenus faute
d'offres légales adaptées.
1 Source : « Communiqué de presse », Canal Plus
Groupe, [disponible en ligne :
http://www.canalplusgroupe.com/communiquesdepresse.html?typeView=modeIcon&annee=&theme=
&page=7],consulté le 15 mai 2016.
2 Source : « BitTorrent domine toujours le trafic en amont
sur Internet », Contourner Hadopi, [disponible en ligne :
https://www.contournerhadopi.com/7102/bittorrent-domine-toaujours-le-trafic-en-amont-dinternet/],
publié le 24 décembre 2015, consulté le 5 mai 2016.
6
Avec la généralisation de l'Internet
haut-débit, la réalité des pratiques de consommation
audiovisuelle s'est transformée. Ce qui était avant le propre
d'une communauté de sériephiles se généralise.
Visionner sur le web devient de plus en plus naturel et la multiplication des
écrans favorise la consommation mobile et en différé.
Ainsi, l'hybridation des pratiques a transformé le rapport au genre et
sa réception, et cette évolution n'est que l'un des
témoins d'une hybridation qui touche plus largement les contenus
audiovisuels ainsi que l'ensemble des industries culturelles.
Avant d'aller plus loin dans notre réflexion, tentons
de définir ces séries de « qualité » afin de
mieux saisir les particularités de cet objet qui nous sert de prisme
pour appréhender l'impact de la numérisation sur les contenus
audiovisuels.
Cette notion de qualité, qui revient souvent dans les
discours des chercheurs et de la presse pour qualifier certaines séries
américaines, a vu le jour à partir des années 1980 aux
Etats-Unis et illustre les caractéristiques qui ont contribué
à donner au genre sa légitimité actuelle. Les
séries de qualité sont indissociables de la
télévision de qualité, Quality TV. Cette
expression qui voudrait rendre compte de tout ce qui n'est pas de la
télévision ordinaire3 revêt un jugement de
valeur qui la rend difficile à définir. Le sociologue Robert
Thompson, l'un de ses instigateurs propose douze critères4
afin de mieux l'appréhender. En voici quelques-uns : les séries
de qualité sont le fruit d'artistes ayant bâtis leur
réputation dans des domaines plus légitime, comme le
cinéma. Elles s'adressent à des publics de niches, urbains et
d'un niveau socio-culturel élevé. Elles traitent de personnages
et d'intrigues multiples à travers une construction complexe du
récit. Enfin, elles combinent différents genres fictionnels,
proposant un traitement assez distinctif. D'ailleurs le contexte
socio-économique américain y est pour beaucoup dans
l'élévation de ces fictions et leur développement comme
nous le verrons dans ce travail.
Pour revenir à la consommation audiovisuelle, si
l'accès généralisé à Internet a eu un impact
sur les pratiques de visionnage, il a également favorisé
l'installation sur le marché de la télévision de nouveaux
acteurs. Opérateurs de télécommunications, fournisseurs
d'accès Internet et autres acteurs issus du web ont poussé les
chaînes de télévision à diversifier leurs
activités pour contrer cet élargissement de la
3 THOMPSON, Robert J, Television's Second Golden Age: From
Hill Streets Blues to ER, Syracuse University Press, 1996, p 13-16.
4 Ibid.
7
concurrence et accompagner les nouveaux modes de consommation
en essayant de proposer une alternative au piratage. Ainsi des services de
Catch-up TV ou télévision de rattrapage et de nombreuses
offres de vidéo à la demande (VOD) sont venus structurer le
marché de la vidéo dématérialisée.
L'un des acteurs notables ce marché en plein
développement et qui a suscité notre intérêt en
mettant à profit les évolutions technologiques et s'adaptant
à l'hybridation des pratiques, est le créateur-diffuseur de
contenus audiovisuels, Netflix. Cet acteur a su tirer partie de la
dématérialisation des contenus, de l'accès
généralisé à l'Internet haut débit, du
streaming vidéo et des big data. Il a su comprendre les
pratiques de visionnage actuelles en mettant un place un dispositif
adapté aux multi-écrans, à la consommation
non-linéaire et à la pratique binge-watching.
Aujourd'hui et en l'espace de quelques années, Netflix s'est
imposé comme un acteur majeur du divertissement, en produisant ses
propres contenus, en se développant à l'international5
et en mettant en place un mode de production et de diffusion inédit, en
commençant par les séries télévisées. En
effet, Netflix produit une à deux saisons en une seule fois, sans passer
par la case de validation de l'épisode « pilote », il
privilégie également la mise en ligne en un coup, mettant
à disponibilité mondialement tous les épisodes d'une
saison en même temps.
Visiblement, ce modèle économique ne peut
être sans impact sur les contenus audiovisuels qu'il produit et diffuse
sur sa plateforme ainsi que sur leur consommation. Dans ce sens, nous nous
sommes attaché à répondre à la question de
recherche suivante : Dans quelle mesure le modèle de Netflix
s'inscrit dans une révolution des contenus audiovisuels ?
Pour comprendre l'impact du modèle de Netflix sur les
contenus audiovisuels et leur consommation, il était nécessaire
de revenir sur le contexte de l'apparition de cet acteur, à savoir le
paysage audiovisuel américain. Nous avons choisi d'étudier ce
contexte à travers le prisme des séries
télévisées car l'évolution de cette filière
est indissociable de celle des séries télévisées :
ces dernières sont nées en même
5 Au moment de la rédaction de ce travail, Netlfix est
présent dans 190 pays. Source : « Dans quel pays Netflix est-il
disponible ? », Netflix, [Disponible en ligne :
https://help.netflix.com/fr/node/14164],
consulté le 20 février 2016.
8
temps que le média télévision et ont,
très tôt, envahi la grille de programmation des chaînes
américaines pour la régularité réceptive qu'elles
instaurent et donc l'audience qu'elles garantissent.
Ce retour historique nous a permis de formuler une
première hypothèse que nous avons consacrée à la
déconstruction de ce que nous avons appelé le « mythe de
l'hybridation ». D'après nos différentes lectures, nous
avons tendance à penser que Netflix s'inscrit dans une
accélération des mouvements d'hybridation inhérents
à toute structure industrielle. En effet, les améliorations
technologiques massives ont toujours transformé les façons de
produire ainsi que les structures industrielles. Ce que nous pouvons remarquer
dès la fin des années 1970 avec l'apparition de la technologie
câblo-satellite et les innovations mises en place par HBO. S'appuyant sur
une politique audacieuse et novatrice, HBO avait déjà ouvert dans
les années 1990 la voie à de nouveaux modèles de
production qui ont contribué à installer un second âge d'or
de la télévision américaine. Dès lors, nous pensons
que les mouvements d'hybridation sont omniprésents et que toute
amélioration technologique provoque une accélération de
ces mouvements et des mutations plus ou moins importantes, selon
l'intensité de l'amélioration. Des mutations qui impactent les
acteurs et leur modèle économique, les contenus qu'ils produisent
et les pratiques des spectateurs. Ainsi, une différenciation des
pratiques de certains publics, par exemple, pousse les chaînes à
proposer des contenus qui leur sont adaptés et se faisant, ces contenus
s'hybrident à leur tour.
Dans ce sens, Netflix s'inscrit, certes, dans une
révolution des contenus audiovisuels mais cette révolution n'est
pas inédite. Cependant, elle est massive, rapide et explicite de part la
nature du média Internet qui la porte.
Notre deuxième hypothèse est la suivante :
à l'heure de l'accès généralisé à
l'Internet haut débit et de la multiplication des écrans, les
sériephiles, autrefois moteurs de nouveaux usages, sont aujourd'hui une
sorte de référentiel de l'ancrage des pratiques de visionnage sur
Internet. Car, c'est dans les pratiques de visionnage des sériephiles
que Netflix est allé puiser ses stratégies et s'inspirer pour
mettre en place une offre et un dispositif qui correspondent aux modes
consommation actuels, à savoir le multi-écrans, le
non-linéaire, le binge-watching.
Enfin, notre troisième hypothèse est que cette
révolution des contenus audiovisuels ne concerne pas seulement leur
réception mais également leur production. En prenant le statut de
créateur-diffuseur, Netflix bouscule la chaîne de production
9
classique et donne naissance à une forme de diffusion
inédite. Cette disruption de la chaîne de valeur remet en question
l'appellation même de « série télévisée
» et fait émerger des formats inédits.
Pour infirmer ou confirmer ces hypothèses et
répondre à notre problématique, nous avons organisé
notre travail en trois parties. Notre première partie comportera deux
chapitres. Le premier s'intéressera à l'histoire et à
l'évolution des séries télévisées et nous
permettra de faire apparaître les enjeux concurrentiels qui ont
entouré ces programmes au fil des années et qui ont eu pour
conséquence de faire évoluer le genre quantitativement
(augmentation de la production) et qualitativement (complexification des
intrigues et de l'univers fictionnel, perfectionnement du traitement de
l'image, réalisation cinématographique, etc.). Ce chapitre nous
permettra également de comprendre le succès des productions
américaines et l'engouement dont elles sont l'objet. Au cours du second
chapitre, nous nous pencherons sur cette passion, qu'est la sériephilie
pour comprendre les raisons de l'émergence et de l'organisation de
tactiques de visionnages sur le web.
La seconde partie de notre travail comportera trois chapitres.
Le premier aura pour objectif de mettre en évidence les
conséquences de la délinéarisation et de la
dématérialisation des contenus sur la filière
audiovisuelle. Le deuxième chapitre traitera de l'historique de Netflix,
de sa stratégie d'entreprise et de son environnement concurrentiel. Et
le troisième chapitre nous permettra d'analyser l'un de ses facteurs
clés de succès : la disponibilité du service quelque soit
le support. En effet, le dispositif de Netflix est une réponse
adaptée aux pratiques de visionnage des sériephiles. Des
pratiques, qui aujourd'hui, entrent de plus en plus dans les habitudes des
publics.
Enfin, dans la troisième partie de ce travail, nous
nous intéresserons aux modèles de production et de diffusion de
cet acteur et à leur impact sur ses créations originales. Il sera
également question d'analyser les avantages et les limites du
modèle de Netflix dans le contexte actuel.
10
Première partie
Histoire des séries
télévisées et développement de la
sériephilie 2.0
11
Chapitre I
Les rouages de la filière audiovisuelle
américaine et les secrets de fabrication des séries TV à
succès
1. Les enjeux socio-économiques
C'est d'abord aux Etats-Unis, dans les années 1950, que
la télévision devient un média de masse6. En
1954, 60% des foyers américains possèdent une
télévision et voient rapidement apparaître les
premières fictions sérielles sur leur petit écran. Quelle
a été l'origine de ces premières séries
télévisées ? Pour quelles raisons se sont-elles
développées à l'écran ? Et quelles sont les
particularités du contexte américain qui les a vu naître
?
Aux Etats-Unis, la télévision est, depuis son
origine, privée et a pour mode de financement unique : la
publicité. Les premières chaînes de
télévision sont, donc, des entreprises privées. Elles sont
également, pour la plupart, des réseaux radiophoniques qui ont
choisi de diversifier leur service en proposant de l'image en plus du son. Ce
n'est donc pas surprenant que la télévision naissante reprenne
les dispositifs qui avaient été popularisés sans l'image
et que les premiers programmes télévisuels soient inspirés
d'émissions radiophoniques. Ces premières « compagnies
» de télévision, que l'on appelle plus communément
les networks sont au nombre de trois : ABC, CBS et NBC7 et
proposent, dans un premier temps la retransmission
télévisée de rencontres sportives, de pièces de
théâtre ou encore d'émissions de variétés,
comme la très regardée The Texaco Star Theater,
animée par Milton Bearle et qui alternait sketches, chansons et
invités. Au cours des années 1950, ce type d'émission et
autres programmes « unitaires » vont progressivement disparaitre de
la grille de prime-time au profit des fictions dites
plurielles8. En effet, les networks prennent rapidement
conscience de l'intérêt économique de ces fictions
6 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.12.
7 Les networks étaient à l'origine au nombre de
quatre. Entre 1946 et 1956, on retrouve également la chaîne de
télévision DuMont (non issue d'une station de radio) mais qui ne
survit à la concurrence acharnée des trois chaînes
citées.
8 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.14.
12
pour les annonceurs : en créant un rendez-vous à
une heure précise (de jour en jour ou de semaine en semaine), les «
séries » fidélisent le téléspectateur et
permettent aux chaînes de garantir aux annonceurs une audience
quasi-certaine, ce qui est essentiel pour fixer le tarif de la publicité
à l'avance9.
Les historiens parlent de premier âge d'or de
la télévision américaine pour qualifier cette
décennie qui marque l'apparition de contenus spécifiques pour la
télévision, où les programmes
télévisés se sont réellement détachés
des programmes radiophoniques. C'est également au cours de cette
période où sont mis en place les codes et les canons de la
fiction télévisée. Nous pouvons, à titre d'exemple,
citer L'extravagante Lucy, premier sitcom de l'histoire, qui
a été tourné à Hollywood et filmé sur
pellicule. Cette technique nouvelle pour l'époque permet la conservation
des épisodes pour leur revente ou leur rediffusion10.
1.1. De l'importance des annonceurs dans la
définition du format sériel
Pour Jean-Pierre Esquenazi, ce premier âge d'or
se recoupe également avec ce qu'il appelle « l'ère de
domination des annonceurs ». Ces derniers sont en première ligne
des négociations avec les networks pour pouvoir situer leurs
programmes au sein de la grille de programmation et ne tardent pas à
monopoliser la production télévisuelle au point de la rendre
« commerciale ». Possédant leurs propres studios, les
annonceurs ne se contentent pas de sponsoriser des programmes mais les
produisent entièrement. A titre d'exemple, nous pouvons citer des
programmes comme General Electric Theater, Goodyear TV Playhouse ou
encore Colgate Comedy Hour et auxquels s'ajoutaient des programmes
sponsorisés qui débutaient avec une annonce du type : « The
Quaker Oats Company presents...». Ce n'est qu'après la
découverte de jeux télévisés truqués que
la Federal Communications Commission (FCC), 11 se rend
compte du type de dégâts que peut causer le
9 Les mécanismes derrière l'achat d'espaces
publicitaires seront détaillés par la suite.
10 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.16.
11 La Commission fédérale des communications est
une agence indépendante du gouvernement des États-Unis
créée par le Congrès américain en 1934. Elle est
chargée de réguler les télécommunications ainsi que
les contenus des émissions de radio, télévision et
Internet. C'est L'équivalent américain du Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel (CSA). Source : « Federal Communications
Commission », Wikipédia, [disponible en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Federal_Communications_Commission],consulté
le 15 septembre 2015
13
monopole des annonceurs sur la production
télévisuelle. Elle décide, alors, de remettre la
maîtrise de la production des programmes aux mains des
networks.
Bien que les annonceurs se soient retirés de la
production télévisuelle, il sont restés très
présents lors des négociations, passant du placement de
programmes sponsorisés dans la grille de programmation au placement de
coupures publicitaires au sein même des programmes. Comme nous l'avons
précédemment mentionné, le prix de la majorité des
espaces publicitaires est déterminé à l'avance lors de ce
que l'on appelle les upfronts. C'est au cours de cette période
que débutent les négociations entre les networks et les
annonceurs pour fixer le prix des espaces publicitaires en fonction des
programmes et des résultats d'audience de la saison
passée12.
S'il nous paraît important de mettre en évidence
le rôle des annonceurs dans ce travail, c'est qu'en plus d'être le
financement principal de la télévision américaine, la
publicité est intrinsèquement liée à
l'écriture scénaristique et à la durée de vie des
séries télévisées. Une série qui a du mal
à décoller se verra supprimer de la programmation pour
éviter aux chaînes de perdre de l'argent et de devoir
dédommager les annonceurs en leur offrant des espaces publicitaires dans
d'autres émissions. Une série qui ne remplit pas ce
critère d'audience a peu de chance de perdurer sauf si elle rencontre
une critique favorable. Dans ce cas, la chaîne peut songer à la
maintenir pour d'autres raisons : si elle attire un public spécifique
qui intéresse les annonceurs ou si elle contribue à donner une
certaine « image » à la chaîne qui la diffuse.
Ce fut le cas de séries comme St Elsewhere et Twin
Peaks13.
Le format sériel a été conçu de
façon à permettre un placement optimal du contenu publicitaire,
d'une manière telle que, malgré la coupure, le
téléspectateur ait encore envie de voir la suite de la
série télévisée : « pour qu'il reste sur la
même chaîne et regarde les messages des annonceurs14
». C'est également de la nécessité pour les
chaînes de garantir une audience régulière aux annonceurs
qu'est né le cliffhanger. Ce procédé
d'écriture scénaristique permet de clore un épisode sur
une fin ouverte afin de créer une forte attente chez les
téléspectateurs et leur donner envie de revenir la semaine
prochaine pour voir la suite de la série.
13SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les
séries télévisées, De Boeck, coll. Info Com,
2011, p.60.
14 BOUTET Marjolaine, Soixante ans d'histoire des
séries télévisées américaines, Revue de
recherche en civilisation américaine, [Disponible en ligne :
http:// rrca.revues.org/248],
2010, publié le 29 juin 2010, p.4
14
Ainsi, le format de découpage de l'épisode en
« en 5 actes » a été installé dès les
années 1960. Rythmé par des coupures publicitaires, ce format
permet de distiller le suspens par des mini-cliffhangers. Ce type de
découpage, détaillé dans la figure suivante15,
est encore d'actualité dans des séries comme 24 heures Chrono
par exemple, dont la production s'est arrêtée en 2014. Notons
que ce type de structuration en actes est propre aux séries
diffusées par les networks car les chaînes du
câble premium16 (qui n'apparaitront que plus tard
dans le paysage audiovisuel américain) n'intercalent pas de
réclame au sein de leurs programmes : l'écriture
scénaristique des séries produites pour ces chaînes est
donc sensiblement
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différente.
Si la logique publicitaire a joué un rôle
primordial dans la définition et le découpage des formats, les
avancées techniques et l'évolution du contexte
socio-économique ont également contribué à faire
évoluer les séries télévisées, accroissant
leur distinction et leur sophistication.
15 Source : « Comment fonctionne la TV américaine
», Mes séries TV, [disponible en ligne :
http://www.messeriestv.fr/2012/04/23/comment-fonctionne-la-tv-americaine-2/],
publié le 23 avril 2012, consulté le 15 septembre 2015.
16 En plus des networks, les chaînes câblées
américaines sont créées à partir des années
1970 et se divisent en catégories : les chaînes du basic
cable financées par leur nombre d'abonnés et les recettes
publicitaires et les chaînes du premium cable qui
dépendent uniquement de leurs parcs d'abonnés respectifs. Source
: « La logique de spécialisation des chaînes
américaines », Industrie culturelle, [disponible en ligne :
http://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/la-logique-de-specialisation-des-chaines-americaines-jerome-david/],
publié le 26 février 2013, consulté le 06 octobre 2015.
15
1.2. L'apparition de la Fox et des chaînes du
câble
L'entrée dans les 1980 modifie le rapport entretenu
avec la télévision et ses programmes. L'apparition des
chaînes du câble permet aux téléspectateurs de ne
plus rester captifs des trois traditionnels networks et d'avoir
accès à d'autres chaînes. En 1985, un foyer
américain sur deux est abonné au câble17. D'un
autre côté, l'invention du magnétoscope et de la
télécommande modifie l'expérience spectarorielle. En
donnant aux téléspectateurs la possibilité de zapper,
l'usage de la télécommande accroit leurs exigences et leur donne
la liberté de changer de chaînes dès qu'un programme n'est
pas jugé à la hauteur. Quant au magnétoscope, nous
percevons son utilisation comme un signe avant-coureur de la diversification
des pratiques de visionnage. En plus de favoriser un visionnage plus individuel
que le direct, le magnétoscope permet au téléspectateur
d'enregistrer les épisodes de ses séries
préférées. Il lui donne ainsi la possibilité de
revoir et d'analyser les différentes scènes : le fan devient
alors critique, connaisseur du genre et ses attentes s'en trouvent
augmentées.
Ces évolutions techniques, qui amorcent le passage
à un deuxième âge d'or de la
télévision américaine, ont pour conséquence directe
d'accroitre la compétition entre les diverses chaînes.
Networks et chaînes du câble prennent, en effet, rapidement
conscience de la nécessité de proposer une offre originale,
dissociable de la concurrence pour séduire des publics plus exigeants et
volatiles.
1.2.1. La FOX, un network pas comme les autres
En 1986, la création d'un quatrième
network, la Fox, vient ébranler le monopole de ABC, CBS et NBC qui
ne souffrent, à cette époque, aucune concurrence. Pour se faire
une place au sein du paysage audiovisuel en tant que grand réseau, la
Fox bénéficie des fonds colossaux de son propriétaire,
Rupert Murdoch qui rachète les studios de cinéma
20th Century Fox et Metromedia, un réseau de
six stations de télévision indépendantes, préparant
ainsi le terrain au lancement de ce quatrième réseau. A cette
époque la FCC oblige les trois chaînes historiques, qui
émettent plus de quinze heures par semaine, à consacrer la
tranche 19h-20h à des programmes familiaux. En limitant son taux horaire
à moins de quinze heures, non seulement la
17 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.31.
16
Fox s'évite de nombreux frais qui incombent au statut
légal de network mais se trouve dans la possibilité de contourner
les lois de programmation et les réglementations concernant
l'indécence. C'est ainsi que la soirée du dimanche soir sur la
Fox attire peu à peu davantage de téléspectateurs,
plutôt jeunes, notamment grâce à la série 21 Jump
Street, diffusée en 198718.
Pour subsister et récupérer une partie de leur
audience, la Fox sait qu'elle doit jouer sur le même terrain que les
Big Three. Elle consacre une grande partie de sa programmation
à des programmes familiaux, dynamiques et drôles : American
Idol, The X Factor ou encore The Simpsons et
American Guy, séries animées subversives, devenues la
spécialité de la chaîne et qui attirent une audience
considérable.
Sur le terrain des séries
télévisées, la chaîne défraie la chronique
avec le sitcom Married... With Children. Ce sitcom, un brin
irrévérencieux, suscite la colère d'une mère de
famille qui se plaint de quelques allusions obscènes d'un épisode
de la troisième saison aux 42 annonceurs qui apparaissent dans le
programme, appelant au boycott. La campagne de cette mère de famille
contre la Fox attire des téléspectateurs curieux de voir cette
série controversée mais elle a également pour
conséquence de valoir à la chaîne le courroux de certains
annonceurs qui menacent de se retirer. S'ils n'en font rien, la chaîne se
rend néanmoins compte des limites à ne pas dépasser et
demande aux scénaristes de Married.. With Children
d'éviter les scènes de nudité et les allusions choquantes
à l'avenir19.
De manière générale, la Fox mise sur des
séries codifiées, au format rigide, déjà
éprouvées sur d'autres chaînes, elle évite au
possible les formes trop expérimentales et les récits
perturbants, à l'exception peut être de la série culte
X-Files. Elle est davantage en recherche d'efficacité, ce qui
s'avère très payant : avec des fictions comme 24 heures
chrono et Prison Break, elle amorce une vague de séries
d'action feuilletonesques où le suspens est poussé à son
paroxysme grâce à des cliffhangers insoutenables à
la fin de chaque épisode20.
1.2.2. Apparition du câble premium et de HBO
18 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.52.
19 Source : « Has Married...With Children been muzzled?
», Entertainment Weekly, [disponible en ligne :
http://www.ew.com/article/1990/02/16/has-marriedwith-children-been-muzzled],
publié le 16 février 1990, consulté le 10 mars 2016.
20 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44.
17
D'après Brett Martin et Jaques Mousseau, la
télévision par câble est née en 1948 dans la petite
ville de Manahoy City en Pennsylvanie pour améliorer la qualité
de l'image audiovisuelle et de la transmission dans cette région
montagneuse 21 . Jacques Mousseau distingue trois périodes
successives dans l'histoire du câble. La première correspond
à l'installation d'une antenne communautaire dans cette petite ville de
Pennsylvanie pour acheminer les images des réseaux hertziens par
câble dans les foyers, moyennant un abonnement. Un service nouveau mais
qui restera pendant près d'une décennie une affaire technique et
locale. La deuxième phase débute lorsque, devant l'exigence des
abonnés pour un service qu'ils paient « des entrepreneurs imaginent
une segmentation locale des audiences en fonction des programmes 22
». Ils proposent alors 10 à 15 programmes différents contre
un abonnement de 10 dollars environ. Le système du basic cable
est né. Enfin, la troisième phase, qui nous intéresse
particulièrement et qui a fait du câble une industrie à
forte croissance commence en 1975 lorsque le câble est associé au
satellite23. C'est également à cette période
que la chaîne HBO fait ses débuts.
Au début des années 1970, Charles
Dolan24 est le premier à envisager l'idée du
câble premium25. Il loue alors un canal sur le
satellite lancé par la société de
télécommunication RCA et propose des programmes aux
différents « cable distributors » du pays. Sous forme d'un
service d'abonnement axé, initialement, sur le sport et les films,
« The Green Channel » voit le jour et change rapidement de nom pour
devenir la Home Box Office. Pendant cette première décennie, la
programmation de HBO repose essentiellement sur la diffusion de rencontres
sportives. Regarder les événements sportifs nationaux en direct
est un luxe pour l'époque car la diffusion, qui est le monopole des
réseaux, reste souvent affectée par des pannes de transmission
dans certaines régions du pays. Les programmes de HBO ont
également la particularité de contenir quasiment tous une
scène de nudité
21 BRETT Martin, Des hommes
tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries : des Soprano et
The Wire à Mad Men et Breaking Bad, Paris, Editions de La
Martinière pour la traduction française, 2013, p. 79.
22 MOUSSEAU Jacques, La
télévision aux USA, Communication et Langages n°63, 1er
trimestre 1985, [Disponible en ligne :
http://www.persee.fr/doc/colan
0336-1500 1985 num 63 1 1667], p.11.
23 Ibid, p. 12.
24 Charles Dolan est un billionnaire
Américain, fondateur de Cablevision et de HBO. Source :
« Charles Dolan Net Worth », The Richest, [disponible
en ligne :
http://www.therichest.com/celebnetworth/celebrity-business/men/charles-dolan-net-worth/],
consulté le 10 mars 2016.
25 Source : « Charles Dolan »,
Wikipédia, [disponible en ligne :
https://en.wikipedia.org/wiki/Charles
Dolan ], consulté le 10 mars 2016
18
gratuite ou du langage obscène : son statut
premium lui faisant profiter de l'absence de contrôle de la
FCC26.
Pour justifier un abonnement plus élevé que le
basic cable, les programmes de HBO ne sont pas interrompus par des
coupures publicitaires. La réclame est placée au début et
à la fin des programmes, celui séduit les
téléspectateurs américains qui utilisent
déjà le zapping comme un moyen d'échapper à la
publicité. L'offre de HBO fonctionne. En 1981, elle couvre
déjà le pays entier grâce à un millier de
systèmes de câblodistribution locaux et ses abonnés
s'élèvent à près de quatre millions27.
Mais ce développement prospère est vu d'un mauvais oeil par les
studios hollywoodiens et les autres chaînes. En se spécialisant
dans le cinéma, HBO s'attire l'hostilité de certains studios qui
tentent de se liguer contre elle : en 1980, 20th Century Fox, Universal,
Paramount et Columbia créent ensemble leur propre chaîne payante,
la Premiere Channel. Cependant, celle-ci est déclarée illicite
par la justice lorsque HBO dépose un dossier fédéral
d'antitrust28. La raison est que ce projet d'arrangement vise
directement à restreindre la concurrence pour bénéficier
d'un monopole, ce qui est contraire à la législation
américaine.
Du côté des chaînes, elles répondent
à la menace que représente HBO en créant de nouvelles
chaînes comme ShowTime et The Movie Channel29 qui aspirent
à la concurrencer sur son propre terrain.
Ayant acquis une manne financière impressionnante de la
vente d'abonnements, la chaîne commence à produire des programmes
dès la fin des années 1980 à travers sa filiale HBOIP. Ces
programmes (documentaires, fictions et comédies) sont conçus pour
être diffusé sur HBO mais certains alimentent même la
programmation de la Fox30. C'est en 1990 que l'identité de la
chaîne commence à changer avec l'arrivée à la
tête du service de programmation de Chris Albercht31. La
chaîne passe alors de la diffusion de rencontres sportives, de films et
d'émissions érotiques à la production de
26 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel
âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et
Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 81.
27 Ibid. p. 82.
28 Ibid.
29 Ibid
30 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.58.
31 Chris Albercht arrive à la tête de la
programmation originale chez HBO en 1985 et est aujourd'hui CEO de la
chaîne du câble Starz. Source : « Chris Albercht »,
Wikipédia, [disponible en ligne :
https://en.wikipedia.org/wiki/Chris
Albrecht], consulté le 10 mars 2016.
19
séries télévisées haut de gamme,
à direction de ses abonnés, un public aisé et
éduqué32. En effet, ces fictions originales visent
« les valeurs culturelles que la [chaîne] croit que ses
souscripteurs valorisent33 ». En se positionnant sur des
critères culturels la chaîne crée sa propre audience au
lieu d'effectuer une segmentation classique par genre et tranches d'âge.
Ce changement de politique et de positionnement apparaît comme un moyen
pour les décideurs de la chaîne d'ériger des
barrières de coûts et qualité contre une concurrence
acharnée.
Nombre d'auteurs qui ont traité de la
télévision américaine et des séries
télévisées s'accordent pour dire que les années
1990 marquent un tournant dans l'histoire des séries
télévisées34 et nous avons tendance à
penser que les changements dont il est question se sont fait sous l'influence
de HBO qui, en imposant un standard de qualité meilleure aux fictions
télévisuelles, a contribué à transformer le genre
et à le faire évoluer.
N'étant pas dépendante des annonceurs, HBO n'a
pas à s'inquiéter de les faire fuir, ce qui donne une grande
liberté créative aux scénaristes que la chaîne
engage. « Les séries que la chaîne produit dès les
années 1990 peuvent donc briser les tabous (le sexe, les insultes, la
mort) et imposent le `politiquement incorrect' 35». De plus, le
fait que les programmes ne soient pas soumis aux coupures publicitaires permet
de penser à des formats d'une durée plus longue : 30 minutes pour
les comédies et près de 55 minutes pour les fictions de type
drama36. HBO s'offre également des créateurs
plus libéraux et davantage sensibles à littérature
européenne, à l'image de Tom Fontana, créateur de la
première série dramatique originale diffusée sur HBO, la
série carcérale Oz37.
L'une des principales innovations de cette série parue
en 1997 passe par la narration. En effet, son déroulement est
rythmé par la présence d'un personnage en fauteuil roulant, une
sorte de narrateur, qui introduit les différentes scènes, ouvre
et
32 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40.
33 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.58.
34 BOUTET Marjolaine, ESQUENAZI Jean-Pierre, BRETT Martin.
35 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.40.
36 « Un drama désigne une série
dramatique, en opposition aux séries de comédie. Cette
distinction est très présente dans les pays anglo-saxons
où les dramas ont une durée d'épisode
égale ou supérieure à 40 minutes et où les
épisodes de comédies ne dépassent pas
généralement les 30 minutes ». Source : « Glossaire des
séries TV », Arte, [disponible en ligne :
http://www.arte.tv/sites/dimension-series/glossaire-des-series-tv/
], consulté le 05 janvier 2016.
37 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.42.
20
clôture chaque épisode par un monologue. Ce
traitement ne va pas sans rappeler la tragédie grecque où le
coryphée, en chef d'orchestre de la pièce, scande son
déroulement et accompagne le spectateur. Les moyens
déployés pour la création de cette série sont
également surprenants pour l'époque : un bâtiment entier a
été acheté pour abriter les décors de la
série et son administration. Sur le fond, la série reflète
totalement l'état d'esprit de HBO : « Farouchement `artsy',
chargée de violence irrévérencieuse et d'une
homosexualité latente, menée par un personnage qui se trouvait
être un psychopathe néonazi et gay38 »
Une autre innovation apportée par les séries HBO
est le nombre d'épisodes par saison. Au lieu des vingt-quatre
épisodes traditionnels, les séries HBO sont courtes (douze
à quinze épisodes)39. Dans le cas de la série
Oz, les saisons se limitent à 8 épisodes. Ce nouveau
type de structure n'est pas sans impact sur l'écriture
scénaristique et la conception des intrigues. Pour le journaliste Martin
Brett, auteur de l'ouvrage « Des Hommes Tourmentés » où
il brosse le portrait croisé d'auteurs de séries à
succès et de showrunners célèbres dont Tom Fontana, ce
raccourcissement a eu pour résultat « une architecture narrative
qui s'apparente à un ensemble de colonnes. Chaque épisode est un
pilier puissant, solide et substantiel à lui seul, appartenant de
surcroît à l'arc que constitue une saison, qui à son tour
reliée aux autres saisons, forme une oeuvre d'art aussi cohérente
qu'autonome40 ». Nous nous pencherons davantage sur
l'architecture narrative des néo-séries ainsi que les innovations
qu'elles apportent au genre dans le prochain chapitre.
Le succès critique et populaire de la série
Oz, suivi par celui de The Sopranos
(récompensée aux Golden Globes dans la catégorie
meilleure série télévisée en 1999) fait de HBO une
référence télévisuelle dont le modèle de
production et les procédés sont convoités et
imités. Ainsi, des chaînes premium comme Showtime et la
FX commencent à produire des séries sur le « modèle
HBO » et même les networks se mettent à
privilégier les séries ambitieuses au contenu audacieux. Commence
alors une course vers la qualité qui donnera naissance à bon
nombre de chefs-d`oeuvres du petit écran : des séries d'auteurs
au réalisme poignant qui
38 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel
âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et
Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 96.
39 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.58.
40 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel
âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et
Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 19.
21
brossent, chacune à leur manière, le portrait de
la société américaine et son évolution, jusque dans
ces côtés les plus ténébreux.
1.2.3. Des séries TV, entre innovation et
convention
Pour Marjolaine Boutet, les années 2000 sont les
héritières directes de la décennie
précédente : « sous l'influence des séries HBO, les
années 2000 sont incontestablement celles du `politiquement incorrect'
et de l'explosion des séries sur le câble 41». La
multiplication des chaînes du câble et leur audace
créatrice, talonnée par celle des networks donnent lieu
à un véritable bouillonnement d'innovation. Les séries de
cette décennie sont remarquables par leur forme et par les sujets
qu'elles traitent (corruption, drogue, mort, homosexualité, violence
extrême, etc.). Nous pouvons citer à titre d'exemple les
séries de HBO The Wire, Sex and The City, Six Feet Under,
Deadwood, les séries AMC Breaking Bad et Mad Men,
The Shield de la chaîne FX ou encore Dexter de
Showtime. Ce bouillonnement créatif fait aussi perdre à HBO le
statut unique et privilégié qu'elle détenait
jusqu'à la fin des années 1990. La chaîne prend, à
cette époque, de mauvaises décisions : comme son refus de
produire la série culte Mad Men, vite
récupérée par AMC, jeune chaîne du câble, ou
encore le fait de s'engager dans des productions trop coûteuses comme la
série Rome qui a été ramenée à deux
saisons au lieu des cinq prévues initialement en raison du coût
unitaire élevé des épisodes et de la perte d'une bonne
partie des décors colossaux de la série dans un incendie
accidentel.
Les années 2010 ont continué à challenger
les formats traditionnels, mais à la différence de leurs
devancières, elles ont donné naissance à des oeuvres si
inédites de par le format et le mode de diffusion que cela vient
questionner l'appellation même de «
série-télévisée », chose que nous allons
essayer d'expliciter dans la troisième partie de ce mémoire. Mais
pour mieux détailler cette réflexion, nous avons jugé
essentiel de revenir, à travers un historique « intrinsèque
» au genre, sur l'origine et l'évolution des formes
sérielles. Car nous pensons que, au delà du cadre
économique, les formes sérielles sont aussi intimement
liées au matériel symbolique commun entre les créateurs et
les publics. Cette partie nous permettra de mieux saisir l'ampleur de la
diversité sérielle et les hybridations qui n'ont cessé
de
41 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.43.
22
caractériser l'évolution du genre aux fils des
années, conférant à certaines oeuvres une forme
d'unicité qui leur fait côtoyer les plus belles productions
cinématographiques.
2. Approcher la diversité du genre et son
hybridation
2.1. Des séries traditionnelles aux «
néo-séries » : le métissage des
formes
Les séries télévisées sont
attachées à la fiction populaire, elles sont
héritières de genres narratifs qui ont été
modelés au fur et à mesure depuis le début
19ème siècle. Pour Jean-Pierre Esquenazi, « les
fabricants de séries sont les descendants des romanciers et des
dramaturges inventeurs d'aventures et de romances »42. C'est
principalement pour cette raison que les grands genres de la fiction
télévisée n'ont pas tardé à se mettre en
place dès les débuts de la télévision. Nous pouvons
répertorier ces genres fondamentaux en deux grands types. Le type «
aventure » qui s'appuie sur les genres cinématographiques policier,
fantastique, science-fiction et où un héros cherche à
élucider un mystère tout en éliminant un «
méchant » en parallèle. Le deuxième type exploite,
quant à lui, les caractéristiques du roman sentimental et du
« film de femmes ». Ce type est caractérisé par des
affaires romanesques et essentiellement constitué par les commentaires
interminables engendrés par des sentiments éprouvés ou
observés43.
Selon Jean-Pierre Esquenazi, aux débuts de la
télévision, la conception de ces fictions diffère selon
leur moment de diffusion programmé. Par exemple, les sitcoms sont
émises dans l'après-midi (day-time) et à
destination d'un public féminin alors que les fictions policières
occupent traditionnellement le début de soirée
(prime-time) et sont destinées à un public
masculin44. Ce n'est qu'à partir des années 1970 que
les responsables des grands networks commencent à remettre en
cause cette division, réalisant que les cop-shows n'ont plus
autant de succès et n'intéressent pas les publics féminins
45 . Cette phase de remise en question est perçue par la
42 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.84.
43 ESQUENAZI Jean-Pierre, l'inventivité
à la chaîne, formules des séries
télévisées, Université de Lyon II, MEI «
Médiation et information », n° 16, [PDF], 2002, p.3.
44 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.71.
45 Ibid.
23
chercheuse Américaine Amanda Lotz d'« ère
de transition ». Une ère durant laquelle la
télévision passe d'une période de domination des
réseaux où une distinction pragmatique est faite entre les
méthodes de production des programmes de journée et celles des
programmes de soirées (plus coûteux) à une ère de
« télévision post-réseaux » où cette
distinction devient floue en raison de l'apparition d'un schéma qui
privilégie les attentes de micro-publics, recherchant des contenus plus
ciblé46.
A partir de cette période : fin des années 1970
et début des années 1980, les chaînes commencent à
rechercher de nouvelles solutions narratives pour s'adapter aux attentes de ces
publics mixtes et volatiles, dont les pratiques de visionnage se trouvent
impactées par l'adoption de nouveaux appareils.
L'apparition des nouvelles technologies et des nouveaux modes
de distributions de l'époque (télécommande, VHS) a, en
effet, contribué à faire émerger de nouveaux
modèles narratifs. Si nous prenons l'exemple de séries dites
traditionnelles, comme Columbo, Mac Gyver ou encore
Starsky & Hutch qui mettent en scène des héros
à la mémoire courte, ne se rappelant de rien d'un épisode
à un autre. Cette « défaillance » avait pour objectif
de ne « perdre personne en cours de route ». Les séries de ce
type prenaient donc en, considération la dépendance du
téléspectateur à la grille de programmation, sans
possibilité de zapper ou de revoir les épisodes et lui donnaient
la possibilité de « suivre » la série,
indépendamment de la chronologie des épisodes. Plus tard, la
possibilité de zapper, enregistrer et revoir les épisodes a
poussé les créateurs de séries à recourir à
des formes narratives plus complexes, notamment, grâce à des
techniques scénaristiques comme l'utilisation des arcs narratifs, du
cliffhanger ou encore du procédé « des blessures du
passé ». Ces procédés, sur lesquels nous reviendrons
plus tard, ont permis de d'approfondir les intrigues et les personnages.
L'apparition de nouvelles formes sérielles donnent
beaucoup de fil à retordre aux personnes désirant les classer.
Nous avons, néanmoins, essayé de répertorier certaines de
ces typologies afin de mieux appréhender les hybridations dont il est
question.
46 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.181.
24
2.1.1. Tentatives de classification des séries
télévisées
Les premières réflexions sur les formes
sérielles sont très arrêtées : pour Stéphane
Benassi : « il n'existe à la télévision deux types de
fictions distincts, les unes singulières, qui sont aujourd'hui
désignées par le terme générique
téléfilm, les autres plurielles,
divisées en fonction de leur forme syntaxique et qui se
répartissent dans les deux autres genres fictionnels que sont le
feuilleton et la série. 47». Cette
constatation bien que réductrice, comme l'affirmera Benassi par la
suite, a l'avantage de faire émerger deux types distincts de
développement syntaxiques : la mise en série et la mise en
feuilleton. Ces deux principes sont deux manières de gérer la
narration, qui ont été challengé par les créateurs
et introduits dans des genres où ils étaient, jusque là,
absents.
Il était de convenance, par exemple, que la mise en
feuilleton et le mélodrame soient indissociables. Cette vision est vite
dépassée avec l'apparition de feuilletons qui n'appartiennent
plus seulement au « genre » : soap opera : comme dans 24
heures chrono où la série d'action devient feuilletonnesque.
Une « tendance à la recombination 48 » qui s'affirmera dans
les années 1990 et 2000 et donnera naissance à des fictions
télévisuelles issues d'un mélange entre genres fictionnels
et de manières de « travailler » la narration que nombre
d'auteurs ont tenté de définir49.
Pour saisir davantage ces hybridations qui affectent les deux
formes principales de la fiction plurielle, à savoir le feuilleton et la
série, il nous ait apparu intéressant de revenir sur la
distinction opérée par Jean-Pierre Esquenazi dans sa tentative de
classer les séries. Esquenazi opère une première
distinction entre : les « séries immobiles » et les «
séries évolutives », bien que les territoires entre ces deux
types se chevauchent souvent et sont rarement purs50. Le propre des
séries immobiles est la répétition d'une même
structure narrative ainsi que l'art de retenir le temps narratif. Elles sont
également la promesse d'un univers fictionnel aux règles
inchangées. Les séries immobiles comprennent la «
série nodale », le « soap opera » et le « sitcom
» : « la narrativité nodale de Columbo ou de Law
& Order, la logorrhée
47 BENASSI Stéphane, séries et feuilletons
TV : pour une typologie des fictions télévisuelles, Edition
du Céfal, 2000, p. 35
48 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.44.
49 Noël NEL Stéphane BENASSI Jean-Pierre ESQUENAZI,
etc.
50 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.107-108.
25
persistance du soap, les plaisanteries dupliquées du
sitcom sont autant de façons différentes de retenir le temps
narratif et de construire ces chaînes narratives qui n'ont de
clôture que fictive 51 ». Concernant les séries
évolutives, elles ont la particularité de multiplier les
possibilités d'organisation du temps en en faisant une donnée
narrative. Les deux grands types de séries évolutives sont la
« série chorale » (qui met en scène une
communauté : Urgences, NYPD Blues, Ally
McBeal) et la « série feuilletonesque » (ce type
lui-même composé du feuilleton « pur » (24 heures
chrono), de la « série à énigme »
(Lost) et de la série-feuilleton qui allie trois niveaux
distincts de temporalité).
Au vu de nos interrogations qui concernent les pratiques de
visionnage des publics, nous retiendrons également la distinction
opérée par le sociologue Clément Combes qui s'est
intéressé à la relation entre les individus et
séries télévisées et à l'activité
spectatorielle. Clément Combes distingue entre les « séries
itératives » et les « séries feuilletonnantes ».
Les premières proposent des épisodes indépendants «
stand-alone » et permettent un visionnage dans le désordre, car
tout épisode est indépendant et propose de courts récits
qui contiennent un début et une fin. Les « séries
feuilletonnantes », quant à elles, « proposent des intrigues
au long court, sous forme d'arcs narratifs ; elles nécessitent, pour en
prendre la pleine mesure voire pour que cela ait un sens, de regarder leurs
épisodes dans leur ordre d'apparition 52 ». La
distinction opérée par Clément Combes n'annule pas les
propositions conceptuelles proposées Jean-Pierre Esquenazi car nous
revenons toujours à ce principe d'immobilité et
d'évolution. Chaque fiction plurielle possède un « noyau
immobile » et un « noyau évolutif ». Dans certaines, le
noyau évolutif est très réduit et donne des séries
« qui demeurent identiques à elles-mêmes »
(Columbo). Cependant, même, dans les séries les plus
évolutives, il subsiste toujours « un fort pivot
reproductible53 ». La raison est que le concept,
lui-même, de série télévisée « suppose
une identification aisée de tout épisode, et donc la
présence répétée de structures narratives, de
rythmes, de personnages »54. Ce pivot
51 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les
séries télévisées : l'avenir du cinéma ?,
Paris Armand Colin, 2010, p.115-116.
52 COMBES Clément. La pratique des
séries télévisées : une sociologie de
l'activité spectatorielle. [Disponible en ligne :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document]
Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale
Supérieure des Mines de Paris, 2013, p. 54.
53 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.138
54 Ibid.
26
est ce que les créateurs de séries
télévisées essayent de préserver pour ne pas
fourvoyer le genre et les publics.
2.2. Densification de la narration et
complexification des intrigues
2.2.1. L'apparition des dramas
« Dès mes premiers pas dans la
télévision, il m'est apparu clairement que les bonnes
séries ne pouvaient qu'être le fait de bons scénaristes
». Grant Tinker55
Dans un ouvrage publié en 1983, rassemblant une
sélection d'entretiens avec des producteurs de la
télévision américaine, Horace Newcomb et Robert Alley
assurent que la force créative d'une série
télévisée émane du producteur allié au
scénariste et non pas au réalisateur56. Dix ans plus
tôt, Grant Tinker, fondateur de la société de production
MTM Entreprises est connu dans le milieu de la production
télévisuelle américaine pour croire en l'importance des
scénaristes. Et c'est sous son aile que Steven Bochco créa
Hill Street Blues.
Quatrième drama produit par MTM57,
cette série vient révolutionner les formules narratives
utilisées dans les années 1970. A cette époque, la
chaîne NBC est intéressée par une histoire qui se
déroulerait dans le commissariat d'un quartier difficile, mais Steven
Bochco ne se voit pas créer un énième cop-show
et, soutenu par Grant Tinker, demande à NBC une autonomie
créative pour le projet. Pour la création de Hill Street
Blues, Steven Bohco veut donner une importance fondamentale à la
communauté professionnelle du commissariat de Hill Street et ne pas se
concentrer uniquement sur les enquêtes policières. Cela requiert
une formule hybride qui viendrait doser entre le traitement d'un soap-opera
et le format d'une série policière, tout en y ajoutant de
nouveaux ingrédients diégétiques pour fluidifier le
déroulement des intrigues. Jean-Pierre Esquenazi décrit la
formule narrative de Hill Street Blues de la manière suivante :
« les scénarios de Hill Street Blues seront
55 Extrait des mémoires de Grant Tinker. Source : BRETT
Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des
séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad,
Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 48.
56 Horace Newcombe et Robert S. Alley, The Producer's
Medium : Conversations with Creators of American TV , Oxford University
Press, New York, Reprint, 1985.
57 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel
âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et
Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 48.
27
tissés d'histoires multiples dont chaque épisode
propose un fragment. La mise au point de cette technique rend obligatoire le
travail collectif : un même épisode peut contenir plusieurs
histoires, dont chacune a un auteur et qu'il faut articuler entre elles. En
outre, chacun de ces arcs narratifs pourra être commenté par le
personnel du commissariat et leurs familiers, à la manière du
soap-opera. Chacun doit aussi apparaître sinon comme une comme une
enquête policière, du moins comme une activité
policière, à la manière du cop-show58
». Au delà de l'apparition de l'écriture collective qui a
permis de densifier les intrigues et d'approfondir l'univers des séries
télévisées (développement d'un nombre important de
personnages et d'intrigues traitant thèmes et de sujets divers),
Hill Street Blues est un exemple précurseur dans l'apparition
de ce que l'on appelle les « romans de prime-time59 » ou
encore les « récits multitramés60 » et
auxquels nous préférerons, l'appellation de dramas. Les
dramas mettent généralement en scène des
récits vastes à travers des intrigues au long cours et un nombre
important de personnages qui sont davantage enclins à parcourir de
larges territoires. Ce traitement du récit qui s'est
démocratisé à partir des années 1990, notamment
avec les productions de la chaîne HBO, a également pour
particularité de privilégier les intrigues autour du pouvoir,
déclinant le drame dans tous les mondes sociaux possibles : Oz, The
Sopranos, The Wire... pour ne citer que les aînés.
2.2.2. Quelques procédés scénaristiques
Les séries télévisées de l' «
ère post-réseaux » ont recourt à des techniques de
complexification du récit comme le cliffhanger (que nous avons
traité précédemment) mais aussi les arcs narratifs, le
récit cumulatif et les « blessures du passé
61», tous des procédés fermement en place
aujourd'hui. Les arcs narratifs permettent d'étaler l'histoire sur
plusieurs épisodes, voire plusieurs saisons, laissant ainsi certaines
intrigues en suspens, le cliffhanger vient, lui, entretenir
l'intérêt pour une série d'une
58 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.74-75
59 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.183.
60 Ibid.
61 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.
28
manière stratégique. En ce qui concerne le
récit cumulatif et le procédé « des blessures du
passé », nous voyons leur utilisation comme une «
récompense » pour les spectateurs assidus.
Si les chaînes se sont rendues rapidement compte de
l'appétence des publics pour un contenu plus ciblé, correspondant
à leurs valeurs culturelles, du côté des créateurs
de séries, cela a permis d'imaginer différents moyens
d'élargir et d'approfondir les intrigues en jouant sur le passé
des personnages ou sur une « certaine mémoire du temps62
». Dans ce sens, la « blessure du passé » est un
procédé scénaristique qui tient compte de la vie des
personnages avant leur apparition dans la série, de sorte à
pouvoir activer ce passé dans le développement des intrigues.
Meredith Grey, l'héroïne de la série Grey's
Anatomy, par exemple, semble avoir une relation conflictuelle inexplicable
avec sa mère que le spectateur ressent tout le long de la série.
Il n'en découvre l'une des raisons qu'à partir de la saison cinq
où une scène montre que Meredith avait sauvé sa
mère d'une tentative de suicide en la découvrant, juste à
temps, dans un bain de sang, dans sa cuisine.
Ces procédés, en plus d'être des moyens de
fidélisation, viennent nourrir la passion des publics pour leurs
séries préférées. Des publics qui sont aujourd'hui,
grâce aux avancées technologiques, capables de « suivre
» et de se souvenir d'évènements qui se sont passés
dans des épisodes ou des saisons antérieurs. Ces publics sont
également devenus capables d'interpréter les médias qui
les entourent et de développer une certaine expertise des TIC pour
satisfaire leurs attentes. Nous verrons pourquoi et de quelles manières
ils s'y prennent dans le chapitre suivant.
3. L'art des séries
télévisées
Pour clore ce chapitre sur la diversité
sérielle, nous avons voulu nous intéresser aux ambitions
artistiques des séries télévisées. Des
séries traditionnelles aux séries d'auteurs des années
1990 et 2000, cette forme télévisuelle a évolué
pour gagner en qualité. Jusque là, nous avons vu que la «
sophistication » des séries actuelles passe par la complexification
de la narration et le traitement de sujets tabous et « politiquement
incorrect ». Une transgression morale délibérée qui
est devenue la marque de fabrique des chaînes américaines du
câble premium.
62 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.186.
29
Cependant, la mise en scène de sujets subversifs et un
traitement narratif complexe ne suffisent pas à faire accéder une
série dite de qualité au rang de chef-d'oeuvre du petit
écran. Si ces deux aspects y sont pour beaucoup, la notion d'art qui se
cache dans le terme « chef-d'oeuvre » trouve sa place quand la «
formule » d'une série arrive à orchestrer parfaitement
différents paramètres. De sorte à donner vie à un
univers reconnaissable, unique et captivant. Certaines séries
télévisées sont gravées dans les mémoires
car elles fabriquent un monde qui donne envie aux fans de s'y immerger,
jusqu'à, pour certains, prendre part à son expansion. D'autres,
marquent le spectateur et le surprennent par un traitement esthétique
élaboré qui devient un moyen inhabituel de dérouler le
récit visuellement.
Afin de traiter de l'art des séries
télévisées, nous avons choisi l'exemple de deux
séries plébiscitées par le public et par la critique :
Twin Peaks (1990 - 1991) pour son univers captivant et Breaking Bad
(2008 - 2013) pour son traitement visuel du récit.
3.1. Le monde fertile de Twin Peaks
En tentant d'appréhender la diversité
sérielle, nous avons vu que, dans leur évolution, les fictions
plurielles se sont éloignées des formats classiques, série
et feuilleton, pour revêtir des modèles narratifs hybrides, plus
souples. Aussi, dans son développement constant, chaque fiction
plurielle s'appuie sur une « formule » qui lui est propre, une sorte
de modèle que Jean-Pierre Esquenazi compare à un «
thème » (au sens musical)63. Le thème d'une
série permet à son public de reconnaître son essence et
d'avoir l'assurance de retrouver un même univers au fil des
épisodes.
Il y a, certes, des formules plus pertinentes que d'autres et
qui poussent les producteurs à les reprendre et à les
décliner sur des projets différents, dans le but d'en garantir le
succès64. Cela s'avère efficace dans le cas de
franchises facilement ré-ajustables comme CSI (Les Experts) et Law &
Order (New York, police judiciaire) par exemple. Cependant, la
déclinaison d'une formule qui a fait ses preuves n'est nullement un gage
de succès : les exemples de séries
télévisées calquées sur des séries à
succès, mais qui ne rencontrent pas la réussite escomptée
ne manquent pas. Cela nous amène à penser qu'une formule est bien
plus qu'un thème qui
63 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.94.
64 SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.80.
30
caractérise une série et qui permet de
l'identifier. Elle est surtout ce qui distingue une série quelconque
d'un chef d'oeuvre du petit écran.
Selon Stéphane Benassi, une formule reposerait sur cinq
paramètres (sémantique, spatial, temporel, narratif et
discursif). Ces paramètres sont affectés par la dialectique
variation/invariance lors des processus de mise en série et/ou de mise
en feuilleton des récits65. Ce que nous appelons « art
de la formule » est le savant dosage de ces différents
paramètres qui relève de l'art et du savoir-faire des
créateurs des séries télévisées.
Evidemment, nous ne remettons pas en question
l'originalité d'oeuvres qui viendraient jaillir à partir d'une
oeuvre première ou en parallèle à celle-ci et donc d'une
formule plus ou moins existante, à l'image des adaptations
cinématographiques ou des transfictions66 sérielles
(à travers des procédés comme le
spin-off67 ou le crossover)68, mais
nous insistons sur cette part d'unicité, cette subtile orchestration qui
donne à une fiction donnée un univers qui lui est propre,
reconnaissable et captivant. Et c'est cet univers qui participe à
créer l'adhésion et l'engouement autour d'une oeuvre, en tissant
des liens avec les spectateurs et en leur donnant l'envie de s'y immerger, de
le partager et de le raconter.
A travers le cas de la série Twin Peaks, nous
voudrions rendre compte de la force de certaines séries
télévisées à créer de l'engouement autour
d'elles. Nous voudrions comprendre comment elles s'y prennent et montrer
également les conséquences de cet engouement sur les publics.
Enseignant en cinéma-audiovisuel et corédacteur
en chef de la revue de cinéma Simulacres de 1999 à 2003,
Guy Astic a consacré deux de ses essais à l'oeuvre de David
Lynch. Dans l'un de ces deux essais, Twin Peaks : Les laboratoires de David
Lynch, Aspic s'intéresse au passage de du réalisateur au
petit écran à travers la
65 Ibid.
66 Richard Saint-Gelais propose de définir la «
transfictionnalité » de la manière suivante : « Par
transfictionnalité, j'entends le phénomène par lequel au
moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement
à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages,
prolongement d'une intrigue préalable ou partage d'univers fictionnel
». Source : SAINT-GELAIS Richard, Fictions transfuges : la
transfictionnalité et ses enjeux, Edition du Seuil, 2011, p. 07.
67 Un spin-off est un processus transfictionnel qui
désigne une série dérivée d'une autre série.
C'est le cas par exemple de la série New York police judiciaire
qui a donné naissance aux spin-off New York section
criminelle et New York unité spéciale.
68 Un crossover est également un processus
transfictionnel qui croise les univers de deux séries
différentes.
31
création de ce qu'il appelle « un rejeton
illégitime de la télévision69 » ou une
série qui « s'apparenterait à un laboratoire dans lequel
Lynch se plaît à s'enfermer70 » : Twin
Peaks.
David Lynch voit le format sériel comme
l'opportunité de donner naissance à un monde vaste où il
aurait la possibilité de développer graduellement les personnages
et les intrigues sans obligation de clôture. Il dit à ce propos :
« L'idée de continuité à la télévision
est formidable. Ne jamais dire au revoir...71 ». D'ailleurs,
Lynch est un réalisateur qui a du mal à respecter les canons,
même au cinéma. Ses films Dune, Elephant Man, Sailor et Lula
et Fire Walk With, par exemple, durent plus de deux
heures et débordent du format classique de long métrage
commercial.
L'univers « lynchéen » est devenu facilement
reconnaissable pour de nombreux spectateurs et critiques. L'esthétique
et le récit lynchéens sont caractérisés par une
composition fragmentée, flottante : l'accent est souvent mis sur
l'expressivité des scènes ou celles moments narratifs et la
clôture des oeuvres peut sembler souvent confuse ou décousue. Avec
Twin Peaks, David Lynch fait venir son univers à la
télévision et se fait guider dans son passage au format
cathodique par le scénariste Mark Frost que Guy Aspic décrit
comme étant « suffisamment novateur pour ne pas brider les
inventions esthétiques72 » de Lynch. Car l'imagerie est
centrale dans les oeuvres de Lynch et Twin Peaks n'y échappe pas. La
série a, elle aussi, cette capacité à captiver le regard.
On en dira des années plus tard qu'il est « impossible de ne plus y
penser le téléviseur éteint. Les images impriment la
rétine, s'ancrent dans le coeur et la mémoire73
».David Lynch a pu conserver une grande liberté derrière la
caméra dans la création de Twin Peaks. Guy Astic dit du
cinéaste qu'il « contrarie le développement des intrigues,
entrebâille le circuit des images pour feuilleter les
représentations - pour ce faire, il recourt à un usage
magistralement
69 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David
Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 23.
70 Ibid. p.12
71 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier
du cinéma, 2007, p.122.
72 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David
Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p.09.
73 Source : « Twin Peaks toujours culte », Le Monde,
[disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2014/10/07/twin-peaks-toujours-
culte 4502162 3246.html#2VJJHkjuOs6wgb4C.99],
publié le 07 octobre 2014, consulté le 12 mars 2016.
32
précis de la profondeur de champ et de l'orchestration
premier plan/arrière plan74 ». Une réalisation
puissante qui, bien avant, des séries comme Breaking Bad,
démontre que l'on peut aussi captiver le téléspectateur
par l'image, comme au cinéma, et non seulement à travers une
médiation verbale comme le veut le traitement des soaps opera
de l'époque.
Malgré un court passage à la
télévision : trente épisodes sur un peu plus de 2
ans75, Twin Peaks s'est s'impose comme une série
culte en devenant un véritable phénomène médiatique
et culturel qui continue de faire parler de lui aujourd'hui. Twin
Peaks est oeuvre hybride. Reposant principalement sur le genre
soap-opera, elle a la singularité d'y inclure une dose de fiction
policière, de comédie satirique, de fantastique... un
métissage des genres, novateur pour l'époque. La série met
également en scène des personnages excentriques qui
évoluent dans un univers onirique sur le rythme de mélodies
entêtantes qui ouvrent d'une manière quasi-systématique la
plupart des scènes. Et c'est cet univers troublant, nourri par les
multiples intrigues tissées sans cesse pour semer vrais et faux indices
sur le meurtre de Laura Palmer76, qui a contribué fortement
à l'engouement autour de la série et à la naissance du
« forum de discussion le plus actif des débuts de l'ère
d'Internet77 ». Ce forum de discussion apparaît
dès la diffusion du premier épisode de la série et
rassemble une communauté de fans estimée à 25000
lecteurs78.
Cette communauté, qui suit assidument les multiples
intrigues de Twin Peaks, remplit plusieurs fonctions :
« Les fans travaillaient ensemble pour dresser la liste
des événements de la série ou des extraits de dialogue
jugés particulièrement importants ; ils partageaient entre eux
tout ce qu'ils réussissaient à trouver sur la série dans
la presse locale ; ils utilisaient le web pour stocker des vidéos
à l'intention des fans qui avaient manqué un épisode, ils
passaient au crible la grille complexe des références à
des films, des feuilletons télévisées, des chansons, des
romans et d'autres textes célèbres que contenait la série,
et comparaient leurs informations avec les leurres que plaçait,
d'après eux, l'auteur pour les entraîner sur une fausse
piste79 ».
74 Astic Guy, Twin Peaks : les laboratoires de David
Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p. 57.
75 Twin Peaks est programmée pour la
première fois entre le dimanche 8 avril 1990 et le mercredi 10 juin
1991.
76 Twin Peaks raconte l'enquête menée par
l'agent spécial du FBI Dale Cooper pour découvrir l'assassin de
Laura Palmer, retrouvée morte emballée dans du plastique.
77 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des
médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p.
74.
78 Ibid.
79 Ibid.
33
La profondeur de l'univers de Twin Peak et sa
complexité narrative donnent énormément de matière
à cette communauté engagée qui trouve plaisir à
mettre en commun les différentes ressources et à jouer au jeu de
l'interprétation. D'ailleurs, l'expertise naissante de ces fans,
rassemblés sur la toile, et qui « découvraient avec
fascination l'intérêt du travail collectif pour donner du sens
à ce qu'ils regardaient80 » peut être vu comme un
premier présage de l'appétence des publics et leur enthousiasme
pour des séries élaborées et des intrigues complexes.
Malheureusement, la révélation tant attendue du
meurtrier de Laura Palmer n'est pas assez bien orchestrée. Les
producteurs de ABC, inquiétés par un David Lynch qui n'a
nullement l'intention de « clôturer » car passionné par
ce format sériel qui permet de dérouler indéfiniment
l'histoire, en déterrant continuellement « des choses sous des
choses », font pression pour dévoiler l'assassin à l'issue
du 15ème épisode81. Ce dénouement
précipité « qui marque le début de la fin aux yeux du
cinéaste82 », n'est pas du goût des fans qui se
sentent trahis et frustrés par une révélation qui ne
pouvait en aucun cas rivaliser avec toutes leurs analyses et les
théories qu'ils avaient élaborées et partagées sur
le forum83.
Henry Jenkins voit dans cet intérêt intense pour
l'exploitation des informations d'un univers donné, « le signe
avant-coureur que des tensions étaient à venir entre les
producteurs et les consommateurs des médias 84 »,
replaçant l'expérience du spectateur au centre des
préoccupations. En effet, en 1990, un cinéaste à la
télévision était encore perçu comme un intrus et
bien que Twin Peaks ait été une initiative de ABC de
redorer le blason artistique du réseau, elle était surtout un
moyen de résister à l'offensive des séries du câble
et de répondre aux exigences commerciales. La tension
cinéma/télévision dans laquelle se développait la
série ainsi que la rigidité de la filière audiovisuelle
pour les libertés créatives ont fait de l'explosion en plein vol
de Twin Peaks une chose inévitable.
80 Ibid. p. 75.
81 Astic Guy, Twin Peaks : les
laboratoires de David Lynch, Edition Rouge Profond, Pertuis, 2005, p.
24.
82 Ibid.
83 JENKINS Henry, La culture de la
convergence : des médias au transmédia, Paris Editiion Armand
Colin, 2013, p. 75.
84 Ibid.
34
3.2. Le traitement de l'image dans Breaking
Bad
Dans Introduction à l'analyse de la
télévision, François Jost discrimine la
fiction télévisuelle en raison de son traitement
esthétique. Il cite à titre d'exemple un analyste de la
série Dallas qui affirme que l'on peut suivre un épisode entier
de la série sans regarder en permanence l'écran85. Il
est certain que les conditions de réception d'une série
télévisée, insérée dans une grille de
programmation, et ayant pour intention de convenir à la ritualité
d'un foyer, ne sont pas les mêmes que celles d'un film que l'on va voir
au cinéma, cependant, nous pensons que si cela a affecté la
conception de séries traditionnelles comme Dallas, en
reléguant au second plan le travail de l'image, cela est moins le cas
des néo-séries qui ont vu le jour à partir des
années 1990.
Un entretien donné à Arnaud Viviant pour
Libération en juin 1992, lors de la sortie française
de Fire Walk With Me, a été l'occasion pour lui de
situer sa position sur la supposée différence
cinéma/télévision.
A la question : « Quelle différence faites-vous au
juste ? », il répond : « Jusqu'à la diffusion, aucune,
Après quoi, à la télévision, contrairement au
cinéma, on a une mauvaise petite image et un mauvais petit son. Mais les
processus de fabrication restent les mêmes. On a pareillement
filmé, monté, mixé le film et la série »86
Dans une interview donnée à Arnaud Viviant pour
le journal Libération, le réalisateur David Lynch affirme avoir
filmé la série Twin Peaks et son adaptation
cinématographique Fire Walk With Me de la même
manière. La seule réserve qu'il émet concerne le mode
diffusion des deux contenus, reprochant au média
télévision une image et un son de mauvaise qualité. Il est
vrai qu'une diffusion en salle obscure et silencieuse et qui répartit
harmonieusement le son dans la salle de façon à immerger le
spectateur dans une contemplation absolue de l'écran n'est absolument
pas comparable à un visionnage chez soi. Cependant, il est aujourd'hui
possible, grâce à des équipements Home Cinema (son Dolby
Digitale et image HD) d'obtenir de bonnes conditions de visionnage, sans tomber
dans une expérience visuelle mauvaise et plate. Le journaliste Martin
Brett est encore plus optimiste quant à cette nouvelle
génération de technologie cathodique qui a libéré,
selon lui, les réalisateurs de la télévision comme les
directeurs de la photographie des contraintes imposées par
l'obsolète et le granuleux écran en boîte : «
Désormais, ils pouvaient travailler
85 JOST François, Introduction à
l'analyse de la télévision, Edition Ellipses,
Paris, Collection INFOCOM, 2004, p. 107
86 CHION Michel, David Lynch, Edition de l'Etoile/Cahier
du cinéma, 2007, p.121.
35
avec le clair-obscur, une profondeur de champs hypnotique, de
splendides plans larges s'étendant à l'infini, des plans à
l'épaule de haut vol - toute la caisse à outils qui était
autrefois l'apanage du seul grand écran.87 ».
Pour ces raisons, nous nous sommes donné la
liberté d'appréhender de manière cinématographique
le traitement de l'image dans Breaking Bad, une série
remarquable dans sa manière de dérouler le récit, qui
passe autant par la médiation verbale que par la médiation
visuelle.
Dans son ouvrage « l'art des séries
télé 2 », Vincent Colonna traite de la notion «
d'écriture visuelle » dans les séries
télévisées et se rapporte au travail de Michael Slovis,
directeur de la photographie sur la série Breaking Bad, pour
expliquer comment celui-ci a utilisé une « esthétique
cinématographique » pour raconter visuellement l'histoire. En
effet, certaines scènes sont si incompatibles avec une écoute
radio qu'il est difficile, presque impossible, de retirer
l'intégralité du bénéfice symbolique en ne
prêtant pas une attention soutenue à l'image. Pour soutenir cet
argument, nous reprenons cette séquence de Breaking Bad,
extraite de l'ouvrage « L'art des séries télé 2 :
l'adieu à la morale » de Vincent Colonna88. En effet, en
se fiant au texte ci-dessous, il est évident qu'une écoute
aveugle est insuffisante pour comprendre ce qu'il se passe dans cette
scène et encore moins pour percevoir le comique de celle-ci :
Le beau-frère et la belle-soeur de Walt, Hank et Marie
Schrader, dialoguent sur le perron de leur maison. Hank insiste pour que Marie
n'oublie pas sa séance avec un thérapeute qui l'aide à
soigner sa kleptomanie. (Oui, la femme du policier est kleptomane ! tout comme
son beau-frère deviendra le plus grand fabricant de stupéfiant du
Nouveau Mexique ; la série regorge d'ironies de cette espèce.)
Devant son véhicule, Marie est prête à
partir ; autour d'eux un enfant du quartier joue avec une voiture
télécommandée, source insupportable de bruit, pour cette
délicate conversation. Marie monte dans sa voiture et s'en va, non sans
au passage écrabouiller le jouet de l'enfant. Très
gêné, Hank va alors vers lui, et sans qu'une parole soit
échangée, sort un billet, puis deux, dont le jeune garçon
s'empare. En écoute aveugle, impossible de saisir cette partie de la
scène ; on entend bien un son strident qui dérange la
conversation du couple, puis un choc assourdi quand la voiture écrase le
jouet, mais c'est tout. Le comique de la scène échappe à
l'audition, n'est perceptible qu'à la vision ; aucun concept lexical ne
permet de l'appréhender ; pour en saisir le sel, il faut en passer par
les percepts de la scène, par son caractère figuratif.
87 BRETT Martin, Des hommes tourmentés : Le nouvel
âge d'or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et
Breaking Bad, Paris, Editions de La Martinière pour la traduction
française, 2013, p. 3435.
88 COLONNA Vincent, L'art des séries
télé 2 : l'adieu à la morale, Editions Payot &
Rivage, Paris, 2010, p.81-82.
36
C'est avec un traitement proche de celui-ci, que certaines
néo-séries, en empruntant les techniques et les outils du
cinéma ont contribué à hisser le genre à son rang
actuel. Et bien que le traitement de l'image soit différent d'une
série à une autre : narration visuelle ou simple
esthétisme (l'esthétisme des plans séquences de
séries comme True Detective ou de American Horror
Story par exemple), cette place donnée aujourd'hui à la
réalisation est le signe d'un rapprochement entre les séries
télévisés et le cinéma.
Tout au long de ce premier chapitre, nous nous sommes
intéressé à l'histoire de la télévision
américaine et donc à celle des séries
télévisées pour comprendre le contexte de leur apparition,
de leur évolution et de leur élévation. En raison d'un
paysage audiovisuel privé depuis sa création, la concurrence
incessante est caractéristique de la filière audiovisuelle
américaine. Cet environnement compétitif est la raison
derrière des chaînes et des studios de production tout aussi
compétitifs. Leurs préoccupations économiques ont
contribué fortement à faire évoluer le genre sériel
et à faire apparaître une télévision de
qualité. Dans ce sens la politique de MTM et celle encore plus
audacieuse et novatrice de la chaîne HBO ont fait apparaître de
nouveaux modèles de production que le reste de la filière s'est
empressé d'imiter.
Ce retour historique nous a également permis
d'appréhender la diversité sérielle et les hybridations
qui n'ont cessé de caractériser le genre, conséquences
directes de la politique des acteurs et de leur besoin impératif de
trouver de nouvelles solutions narratives pour coller aux attentes de publics
plus exigeants et volatiles. Car ces derniers ont également vu leurs
pratiques de visionnage et donc leur rapport aux séries
télévisées évoluer grâce à
l'apparition de technologies comme la télécommande et le
magnétoscope.
Dans le chapitre suivant, nous nous intéresserons aux
conséquences de la généralisation de l'Internet au
débit sur les pratiques des spectateurs et comment cette voie
d'accès alternative aux contenus audiovisuels a eu pour effet de
transformer radicalement la sériephilie.
37
Chapitre II
La diversification des pratiques audiovisuelles : pour
une sériephilie 2.0
1. L'hybridation des pratiques des
spectateurs
Comme nous l'avons vu dans le chapitre
précédent, au fil des années, l'apparition de nouveaux
facteurs techniques a entrainé des changements non négligeable
sur l'attitude des téléspectateurs face à la
télévision en les mettant aux commandes de la programmation et en
leur permettant de regarder les séries télévisées
sur d'autres supports. Ainsi, la télécommande leur a donné
la liberté de zapper, les cassettes VHS suivies par les DVD les ont
encouragé à consommer davantage puis à stocker davantage
tout en leur permettant de voir et de revoir leurs séries
préférées et de se rattraper quand ils le souhaitent.
A partir de la moitié des années 2000,
l'accès généralisé à l'Internet haut
débit dans les foyers, conjugué à la multiplication des
supports (ordinateur, smartphone, lecteurs numériques, etc.) et à
la progression considérable des équipements des ménages
(écran plat, home cinéma, haute définition, etc.) changent
radicalement les conditions d'accès à la culture89.
Aujourd'hui, la vitesse de diffusion que permet Internet couplée
à cette évolution des supports a pour conséquence que les
contenus vidéo se consomment n'importe quand, n'importe où et sur
n'importe quel support. En témoigne, le succès
quasi-immédiat de plateformes comme Youtube ou Dailymotion ou dans, le
cas qui nous intéresse, la multiplication des plateformes de
téléchargement peer-to-peer 90et de diffusion
en streaming 91 qui permettent de télécharger
et d'échanger rapidement des vidéos ou de visionner directement
en ligne.
Le sériephile de la de deuxième moitié
des années 2000 tire de cette voie d'accès alternative que
constitue Internet plusieurs bénéfices. Le mode de consommation
induit par Internet via ces plateformes de téléchargement et
diffusion ont un rôle
89 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles
des Français, 2008 :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf
90 Le peer-to-peer ou pair à pair est une
technologie permettant l'échange direct de données entre
ordinateurs reliés à Internet, sans passer par un serveur
central.
91 Le streaming est une technique qui permet de diffuser
des flux vidéo ou audio en temps réel et de manière
continue.
38
essentiel dans l'organisation des communautés de fans
et dans le développement de l'engouement autour du genre.
2. Internet, l'allié incontournable des
sériephiles
« L'Internet n'a pas inventé les groupes de fans ;
ils ont prospéré bien avant l'apparition des ordinateurs. D'un
autre côté, l'Internet les a modifié, et pour ceux
disposant d'un accès internet, il a changé ce que signifie
être fan »92
Le succès des séries
télévisées américaines et l'enthousiasme dont elles
font l'objet ne datent pas d'hier. Un phénomène que nous avons
expliqué, par une élévation de la qualité de la
production, attribuables à divers facteurs que nous avons
détaillé plus haut. Cet engouement autour du genre, que l'on
appelle plus communément sériephilie est
caractérisé par une consommation intensive que la
démocratisation de l'usage d'Internet a amplifié et
structuré. Les études de fans ont démontré le
besoin de l'aficionado de partager sa passion93. Dans ce
sens, les sites de téléchargement pee-to-peer et autres
sites de streaming permettent aux sériephiles de partager leur
avis sur ce qu'ils ont regardé et de prolonger ainsi leur passion
à travers de multiples échanges. Ces discussions trouvent
également leur place sur les réseaux sociaux ainsi que sur des
blogs et des forums créés exclusivement pour satisfaire ce
plaisir. Et c'est en centralisant les pratiques des fans que Internet s'est
naturellement imposé en allié du genre et de ses fans, favorisant
l'apparition de spectateurs experts qui se chargent eux-mêmes de nourrir
ces réseaux.
2.1. Un réseau de distribution
alternatif
Des communautés expertes de fans se sont rapidement
structurées sur le web pour répondre à leurs propres
attentes et à celle d'autres fans désireux d'accéder
à leurs séries télévisées de manière
optimale : à savoir l'accès à l'épisode dès
sa première diffusion et dans le cas des fans Français en version
originale sous-titrée. Ainsi, des bénévoles se sont
donnés pour mission de mettre les contenus à disposition aussi
92 BAYM, Nancy K. Tune in, Log on :Soaps, Fandom, and Online
Community, SAGE publications, 1999, p. 215.
93 Christian Le Bart, Dominique Pasquier, Henry Jenkins, etc.
39
rapidement que possible. Ces bénévoles sont
relayés par des équipes de fansubbeurs94 qui mettent
également à disposition leur expertise en matière de
traduction pour produire les sous-titres français et les mettre en
téléchargement sur les plateformes peer-to-peer ou les
intégrer directement à l'épisode dans le cas des
plateformes de streaming. De cette manière le contenu est
disponible au plus tard 48h après la première diffusion sur les
chaînes américaines.
Notons que la majorité de ces sites sont peu enclins
à respecter les droits de propriété et de diffusion et que
malgré la déclaration « d'une guerre numérique
anti-piratage » en 2012, qui a conduit à la fermeture de plusieurs
sites de partage comme MegaUpload95, d'autres plateformes et
lecteurs de visionnage ne cessent de voir le jour depuis. Ces plateformes
redoublent d'inventivité pour permettre aux internautes de visionner le
plus facilement possible et de calquer leurs moments de visionnage sur la
diffusion originale. De leur côté, les fans les plus
inconditionnels n'ont pas énormément de difficultés
à se familiariser avec ces plateformes et avec les tactiques de
braconnage toujours plus innovantes qu'elles requièrent. Prenons
l'exemple du site de streaming FullStream, nous remarquons que depuis
quelques années maintenant ce dernier n'a cessé de changer
d'adresse URL, passant de
full-stream.net, à
full-stream.me puis à
full-stream.org. Nous
pouvons supposer que ces manoeuvres ont pour objectif de tromper la
surveillance des organismes anti-piratage.
Il est aussi intéressant de voir comment ce site
requiert une certaine expertise des internautes pour visionner les
différents contenus comme le montrent les figures ci-dessous :
94 Le fansubbeur est individu qui pratique un
sous-titrage amateur des séries télévisées ou des
animés japonais par exemple. Les fansubbeurs s'organise en
« team » et travaillent bénévolement. La pratique s'est
connaître du grand public avec la généralisation de
l'Internet haut débit et le téléchargement illégal
des séries US.
95 Source : « La fermeture de Megaupload en trois
questions », France TV Info, [disponible en ligne :
http://www.francetvinfo.fr/culture/la-fermeture-de-megaupload-en-trois-questions
52829.html], publié le 19 janvier 2012, consulté le 10
février 2016
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le3.png)
40
Figure 1 : Accès à l'ensemble des
épisodes de la série
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le4.png)
Figure 2 : Accès à un
épisode
En effet, il est nécessaire de passer par plusieurs
étapes avant d'accéder au contenu. Sur la figure 2, nous
pourrions penser que le visionnage se déclenche en une seule action :
appuyer sur le bouton « Regardez ». Cependant, il revient à
l'internaute d'accomplir d'autres manipulations, souvent pas très
apparentes, pour accéder au véritable lecteur : choisir l'un des
3 lecteurs et désactiver la publicité en
.
cliquant sur la croix rouge 96
En ce qui concerne les fans les moins aguerris, les sites de
streaming tels que Full
96 Le bouton « Regardez » est un lien hypertexte qui
renvoie à une page de publicité. Dans certains cas, il peut
s'agir de logiciels malveillants. Les internautes qui consultent ce site sont
généralement conscients des tactiques de visionnage à
adopter.
41
Stream, qui nécessitent une connaissance
approfondie des plateformes de streaming et des tactiques de
visionnage qu'elles requièrent, et les logiciels classiques de
téléchargement tel que uTorrent97, qui
présentent des interfaces souvent barbares malgré les efforts
fournis pour les rendre plus pratiques, restent perçus comme
étant trop compliqué à l'utilisation. Dans ce sens et pour
séduire les utilisateurs néophytes, des logiciels à
mi-chemin entre les plateformes de streaming et les sites de
streaming98 comme Popcorn Time ont vu le jour.
Proposant de télécharger et de visionner des
fichiers torrent en un temps record99, cette application,
parue au printemps 2014, permet à l'utilisateur d'accéder
à un catalogue extrêmement riche de séries
télévisées et de films, et ce, sur une interface claire et
ludique qui ressemble étrangement à celle de Netflix. D'ailleurs
baptisé le « Netflix du piratage » ou encore le « Netflix
du pauvre », les utilisateurs de cette application seraient estimé
à plusieurs millions avant sa mise hors ligne le 23 octobre 2015 en
raison d'une possible attaque en justice de la part des studios hollywoodiens,
détenteurs des droits des nombreuses oeuvres accessibles sur Popcorn
Time100. Dans cette guerre contre les ayants droit, Popcorn Time est
devenu, aujourd'hui, une application open-source, permettant aux internautes de
se lancer dans la création de nombreux clones pour remplacer la perte du
site. D'ailleurs une solution encore plus optimale a vu le jour en 2016 pour
offrir un visionnage toujours plus facile aux utilisateurs du réseau
BitTorren, réduisant encore plus les manipulations compliquées.
Popcorn Time Online 101 est une version navigateur, sous forme de
plug-in qui permet d'intégrer un client torrent et un lecteur
vidéo dans le navigateur Internet. Le célèbre Popcorn Time
a été, de cette manière,
97 uTorrent est un programme qui permet de
télécharger des fichiers torrent sur la plupart des sites
torrent. Contrairement à d'autres logiciels comme BitSpirit, uTorrent
offre une interface plutôt simple d'utilisation.
98 Ces logiciels ressemblent à des plateformes de
streaming mais sont en fait des applications à télécharger
sur ordinateur qui permettent d'obtenir par une simple recherche dans le
catalogue des fichiers torrent qui se téléchargent
instantanément.
99 Popcorn Time permet de faire des recherches parmi les
vidéos disponibles sur le réseau BitTorrent et de les visualiser
instantanément. L'innovation réside dans le fait que le temps
d'attente de téléchargement est estimé à 30
secondes au maximum. Source : Popcorn Time », Wikipédia,
[disponible en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Popcorn_Time],
consulté le 06 septembre 2015
100 Source : « Popcorn Time, les déboires du
Netflix du piratage », Le Monde, [disponible en ligne :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/27/popcorn-time-les-deboires-du-netflix-du-
piratage 4797615 4408996.html#8LlT7eDxy5APpoJ8.99],
publié le 27 octobre 2015, consulté le 11 février 2016.
101 Source : « Popcorn Time online, une version directement
dans le navigateur », L'informaticien, [disponible en ligne :
www.linformaticien.com/actualites/id/39442/popcorn-time-online-une-version-directement-dans-le-navigateur.aspx],
publié le 04 février 2016, consulté le 11 février
2016.
42
ressuscité sous une nouvelle forme, démontrant
que ce réseau de distribution alternatif, fort de ces communautés
soudées, arrive à trouver des solutions toujours plus
performantes (en s'appuyant sur les avancées techniques constantes) pour
répondre à la demande considérable.
3. Les séries américaines sur les
chaînes de télévision françaises
3.1. Le questionnaire
Pour comprendre les raisons de la migration des publics
sériephiles vers le web, nous avons administré un questionnaire
en ligne en direction de publics très éclatés : sur
Facebook, à travers le groupe Wanted Bon Plans102,
et sur Twitter où il a été retweeté par
plusieurs comptes notamment celui du publicitaire Mathieu Flaig qui compte 46
200 abonnés à la date de notre étude103. Sur
les 402 réponses collectées, nous avons pu faire ressortir un
nombre de tendances que nous mobiliserons à plusieurs endroits, quand
cela nous semblera pertinent. Il est également important de signaler que
nous n'avons ici aucune prétention à la
représentativité de notre échantillon et que nous aspirons
seulement à mieux appréhender les publics sériephiles,
cible et utilisateurs potentiels de Netlfix104 , par rapport
auxquels nous avons formulé certaines présuppositions. Afin de
corroborer notre discours, nous nous appuierons sur l'enquête
réalisée par Olivier Donnat en 2008 sur les pratiques
culturelles des français105.
3.2. La place des séries américaines
dans la grille de programmation des chaînes
généralistes
« Dès les années 1975 et donc bien avant
l'introduction de chaînes commerciales, la production nationale de
fiction a traversé un long désert. Il faut attendre les
années
102 Wanted Bons Plans est un groupe Facebook d'entraide dont
l'objectif est de mutualiser les offres et les demandes de chacun. Le groupe
compte 178 000 membres. Les villes les plus représentées sont
Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Londres et New-York et la moyenne d'âge
se situe entre 25 et 30 ans.
103 Ce compte a été consulté le 21 janvier
2016.
104 Source : « Interview de Xavier Albert, Netflix France
», E-marketing, [disponible en ligne :
www.e-marketing.fr -
"[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des
sentiers battus""], publié le 30 juin 2015, consulté le 02
mars 2016.
105 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles
des Français, 2008 :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf
43
1988-1989 pour assister à une relance de la fiction
d'abord sous l'impulsion de TF1, très vite suivie par Antenne 2
»106.
La production de séries télévisées
françaises a toujours été faible en comparaison à
la production américaine et la France n'a jamais hésité
à faire appel aux achats à l'étranger pour combler ce
déficit. Très diversifiée et disponible à faible
coût, la production américaine devient très vite l'achat
privilégié des chaînes généralistes
françaises qui trouvent en ces fictions un moyen de résister
à des chaînes financées comme Canal + par
exemple107. Même aujourd'hui, il est facile de remarquer la
nette préférence des chaînes généralistes
françaises (TF1, M6, France 2, etc.) pour les « séries
itératives » qui proposent des épisodes indépendants
et permettent un visionnage dans le désordre à travers de courts
récits ayant un début et une fin. La raison est que ce type de
série s'insère facilement dans leur grille de programmation et
leur permet quelques libertés qui sont loin d'être au goût
des sériephiles.
Que ce soit directement sur le site des chaînes ou sur
les forums de discussions, les téléspectateurs se plaignent
souvent de la diffusion des épisodes d'une série dans le
désordre. C'est le cas par exemple de ce commentaire publié sur
le site de la chaîne TF1,
mytf1.fr :
« Pourquoi diffusez-vous les épisodes des
séries comme "The Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le
désordre ? Nous, téléspectateurs, sommes confus !
»108
Pour justifier ce traitement, TF1 invoque
l'indépendance narrative des épisodes de séries
telles que The Mentalist ou Esprits Criminels et se retranche
derrière son obligation vis à vis du CSA. En effet, la loi oblige
à limiter les épisodes interdits aux moins de 12 ans avant 22h.
C'est ainsi que lors des soirées de diffusion en bloc, initiée
par la fameuse « Trilogie du samedi soir » en 1997 qui a fait ses
preuves
106 CHANIAC, Régine, Europe : vers la convergence
?, dans Médiamorphoses, INA, Bry-sur-Marne, 2007, [Disponible en
ligne :
http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/23573,
publié le 23 mars 2009, p. 3.
107 Ibid. p 4.
108 Source : « Réponses à vos questions :
Pourquoi diffusez-vous les épisodes des séries comme "The
Mentalist" ou "Esprits criminels" dans le désordre ? Nous,
téléspectateurs, sommes confus », TF1 et vous, [disponible
en ligne :
http://www.tf1.fr/tf1-et-vous/reponse-a-vos-questions/diffusion-des-series-pourquoi-diffusez-vous-les-episodes-des-5710275.html],
publié le 14 octobre 2010, consulté le 30 mars 2016.
44
d'audience, deux épisodes de Les Experts par
exemple, pourront se succéder dans la diffusion, même s'ils ne se
suivent pas.
En plus du non respect de la chronologie des épisodes,
les chaînes généralistes françaises109
sont adeptes de la censure des scènes violentes ou dérangeantes
et de la diffusion en bloc qui accapare le téléspectateur,
désirant suivre sa série, jusqu'à des heures tardives.
Nous pensons également que le doublage des
épisodes en langue française, tant bien même il drainerait
une audience plus importante que la diffusion en version
sous-titrée110, présente de nombreux mauvais
côtés pour les sériephiles : notamment sa qualité
souvent médiocre et des dialogues qui ne correspondent pas exactement
à la version originale. Par ailleurs, les fans véritables, qui
vont chercher leurs séries préférées sur le web, se
sont vite habitués à visionner en version originale
sous-titrée. Car le visionner en version française implique une
attente de six mois, voire un an, d'où la prolifération des
communautés de fansubbing qui raccourcissent, à leur
manière, cette attente.
3.3. Les raisons potentielles d'une migration des
publics sériephiles vers le web
Notre questionnaire fait apparaître en effet que les
interrogés ont eu nette préférence pour les séries
américaines qu'ils privilégient en raison de leur qualité
(au niveau de la narration et de la production111) et de leur
abondance en comparaison aux autres productions.
D'autres part, l'enquête menée par Olivier Donnat
fait apparaître que les Français ayant le plus rapidement
adopté l'utilisation d'Internet à des fins personnelles ont moins
de 45 ans avec une propension plus importante de jeunes issus de milieux
109 Nous nous mettons pas la chaîne Canal + dans cette
catégorie en raison de sa nature de chaîne à péage.
En effet pour justifier de l'abonnement de ses téléspectateurs,
la chaîne s'évertue à proposer un catalogue attractif en
diffusant des séries de qualité et en se mettant à la
création originale dès les années 2000, avec des
séries à gros budgets comme Braquo et
Engrenages.
110 «Le doublage est une évidence si on veut que
les programmes soient vus par le plus grand nombre. Une étude a
démontré en 2007 que la diffusion d'un programme en version
sous-titrées pouvait entrainer une chute d'audience d'environ 30%*.
Ça veut dire que près d'un tiers des
téléspectateurs ne peuvent pas comprendre un programme en
VO.» Christel Salgues, responsable du doublage aux acquisitions de
TF1. Source « Pourquoi la France double-t-elle tout le monde ? »
Slate, [disponible en ligne :
http://www.slate.fr/story/18195/pourquoi-la-france-double-t-elle-tout-le-monde],
publié le 04 mars 2010, consulté le 20 mars 2016.
111 « Si vous préférez les séries
américaines, quelles en sont les raisons ? » - Questionnaire et
réponses en annexes.
,5%)113.
45
favorisés112. En effet, les jeunes de moins
de 30 surtout, les digital natives, sont davantage
imprégnés par la culture numérique et ont
développé ce que l'on appelle une culture de l'écran.
Cette génération a naturellement développé des
capacités à comprendre et à interagir avec les outils TIC,
mais aussi une capacité à gérer les flux d'informations,
d'images et de vidéos auxquels elle est exposée. Sa
capacité d'adaptation supérieure aux générations
précédentes pourrait expliquer l'expertise des sériephiles
sur Internet et leurs aptitudes à facilement appréhender les
tactiques de visionnage sur le web, en se réappropriant les tactiques de
braconnage sans cesse renouvelées. D'ailleurs 87,5 % de nos
répondant ont moins de 30 ans et affirment regarder le plus souvent
en streaming (71,4%) ou après avoir
téléchargé illégalement les contenus
souhaités (52
En analysant le traitement que les chaînes
généralistes réservent aux séries
télévisées et à travers l'étude de certaines
réponses des interrogés, nous pensons que les sériephiles
ont davantage tendance à se tourner vers les sites de streaming
ou de téléchargement illégal parce qu'ils
présentent une solution plus performante qui respecte leur passion.
C'est à dire :
- La politique éditoriale des
chaînes révèle un certain irrespect des oeuvres
sérielles, notamment concernant la chronologie des épisodes
- Le désir de se détacher de
l'agenda télévisuel, parfois contraignant et d'aménager
ses propres rendez-vous et de visionner selon ses envies
- Le temps relativement long entre la
diffusion US et celle sur la télévision française,
dû aux contraintes d'achats des droits de diffusion
- La nécessité d'attendre
longtemps un doublage des épisodes, souvent médiocre
4. La démocratisation du binge-viewing et
du spoiling
Si l'émergence des tactiques de visionnage sur le web a
permis aux sériephiles d'optimiser leur consommation des séries
télévisées de bien des manières, visionner sur
Internet a également démocratiser certains pratiques et en a
amené d'autres sur le terrain des séries
télévisées. Nous nous sommes intéressés
à deux pratiques en
112 DONNAT, Olivier, Enquête sur les
pratiques culturelles des Français, 2008 :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf
113 « Où regardez-vous vos séries
télévisées préférées ? » A la
télévision ; Je suis abonné Canal Play ; Je suis
abonné Netflix ; Je regarde en streaming ; Je télécharge
illégalement ; autre -- Questionnaire et réponses en annexes.
46
particulier en supposant que ces dernières ont eu pour
vecteur principal Internet. Elles nous semblent intéressantes à
étudier en raison de la popularité dont elles font l'objet de nos
jours, particulièrement depuis l'utilisation
généralisée des réseaux sociaux et l'arrivée
de Netflix dans le paysage médiatique.
4.1. Le binge-viewing ou
binge-watching
« On peut constater que l'éditorialisation
croissante des séries en DVD et Blu-ray ainsi que l'essor du
téléchargement et du streaming (légaux et surtout
illicites) permettent en effet de visionner rapidement des
téléfictions sur quelques semaines sinon quelques jours,
transformant l'horizon temporel de réception étendu de la
programmation télévisée »114.
Dans son travail sur les séries
télévisées (le même que nous avons mobilisé
dans le premier chapitre de ce travail), Clément Combes soutient que le
visionnage se distingue entre deux modes spectatoriels ; le premier est
caractérisé par le principe du rendez-vous, fixé par le
diffuseur, le second, quant à lui, s'appuie sur des dispositifs de
délinéarisation, donnant lieu à des consommations «
plus ramassées » dans le temps. Cette délinéarisation
a commencé à être observable dès l'apparition du
magnétoscope, puis des DVD et s'est amplifiée avec l'apparition
de formes immatérielles de visionnage de contenus
(téléchargement, streaming, VOD, S-VOD). Cette
consommation plus ramassée peut être également
favorisée par la nature insoutenable de certains cliffhangers
et l'addiction que peuvent développer les sériephiles pour leurs
fictions préférées. Dans ce sens, 53,5 % des
interviewés affirment qu'ils peuvent enchainer plusieurs épisodes
si la série capte leur attention et 99% d'entre disent avoir
déjà regardé plus de 3 épisodes à la
suite115.
Ce mode diffusion en « ramassé » que l'on
appelle plus communément binge-watching116 a surtout
était popularisé en raison de la mise en disposition de saisons
entières sur les plateformes de téléchargement
illégal et de streaming.
Il est également important de noter que 78% de nos
répondants affirment regarder le plus souvent seul117. En
effet, cette consommation démesurée ne peut qu'être
114 COMBES Clément. La pratique des séries
télévisées : une sociologie de l'activité
spectatorielle. [Disponible en ligne :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/pastel-00873713/document]
Thèse de doctorat. Economies and finances. Ecole Nationale
Supérieure des Mines de Paris, 2013, p.169.
115 Questionnaire et réponses en annexes.
116 L'expression binge-watching ou
binge-viewing qui a été déjà utilisée
vers la fin des années 1990 pour décrire les réunions de
fans pour regarder plusieurs épisodes à la suite d'une même
série sur DVD.
117 Questionnaire et réponses en annexes.
47
solitaire, sachant qu'il serait difficile pour un fan
d'accorder son agenda avec celui de son entourage, quand bien même ces
personnes soient aussi fans que lui.
Cette pratique, qui avait encore il y a quelques années
des connotations négatives est aujourd'hui de moins en perçue
comme le propre d'une niche d'individus paresseux ou dépressifs et est
même au coeur de la stratégie de Netflix (comme nous le
détaillerons par la suite) dont la politique est de mettre en ligne une
saison entière d'un coup.
4.2. Le spoiling
« Le mot « spoiling » remonte loin - aussi
loin, du moins, qu'on puisse remonter - dans l'histoire de l'Internet. Il est
né des écarts de temporalité et de spatialité entre
les anciens et les nouveaux médias. Au début, on a
commencé à diffuser des émissions sur la côte est
des États-Unis trois heures avant qu'elles ne le soient sur la
côte ouest. Puis des émissions sous licence ont été
diffusées différents soirs de la semaine sur différents
marchés. Enfin, on a diffusé les feuilletons aux
États-Unis six mois avant de le faire à l'étranger. Tant
que les spectateurs de ces différents espaces géographiques ne
communiquaient pas, chacun vivait une expérience inédite. Mais,
à partir du moment où les fans se sont réunis en ligne,
ces écarts de temporalité ont commencé à peser
lourd. Une personne vivant sur la côte est pouvait mettre en ligne tout
ce qu'elle savait de tel ou tel épisode d'un feuilleton, tandis qu'on
s'irritait, en Californie, de voir ainsi « gâchée » sa
série favorite. Alors les spoilers ont mis le mot « spoiler »
dans l'objet même de leur message, permettant à chacun de
décider ou non de le lire.118 »
Comme l'explicite parfaitement Henry Jenkins,
l'avènement de la sériephilie en ligne a rendu visible les
écarts de temporalité entre les différents spectateurs. Et
la possibilité de visionner en ligne sur le réseau alternatif
a exacerbé ces écarts, même dans le cas d'individus du
même pays ou sur un même fuseau horaire. Plusieurs profils
apparaissent : ceux qui téléchargement dès le lendemain de
la diffusion américaine, ceux qui sont abonnés à un
service S-VOD qui permet un visionnage US+24, ceux qui attendent patiemment la
fin d'une saison pour binge-watcher, et
ceux qui se calquent sur la diffusion française. La
liberté d'aménager ses propres rendez-vous est confrontée
à l'anxiété de se voir « gâcher » le
plaisir du visionner sa série préférée par d'autres
fans qui tiennent un rythme plus soutenu.
118 JENKINS Henry, La culture de la convergence : des
médias au transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p.
50.
48
Plus personne ne visionne au même rythme et le
spoil est devenu une partie intégrante de la vie des fans qui ont
développé des tactiques sur le web éviter la frustration,
voire la colère qu'il engendre : plusieurs applications ont, dans ce
sens, vu le jour (Spoiler Shield, Silencer, l'Exil, etc.). Et de plus en plus
de médias en ligne et même les chaînes (via les comptes et
les pages de leurs séries télévisées sur les
réseaux sociaux) adoptent la mention « spoiler alert » en
début de titre des articles qui peuvent contenir des spoilers.
En ce qui concerne Netflix, nous avons relevé une position
intéressante par rapport au spoil. A travers ses campagnes de
communication et de publicité, Netflix montre qu'il a
intégré le caractère inévitable de ce dernier dans
la vie des fans surtout que sa politique de diffusion, « le tout d'un coup
» le nourrit encore davantage. Au lieu de s'en inquiéter, le
diffuseur prend le spoil de contre-pied faisant le choix de le
dédramatiser et de rendre la pratique ludique.
Le site «
spoilers.netflix.com
» :
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le5.png)
En septembre 2014, Netflix lance Spoil Yourself, un
site qui réunit des scènes de fin de saisons, de fin de
séries et même des scènes cultes de films. En entrant sur
ce site, le fan entre dans une zone dangereuse. D'ailleurs, le design du site
parle de lui-même et si l'internaute ne trouve pas cela suffisant, la
tonalité dramatique du texte en ajoute une couche : « What you are
about to see cannot be unseen119 ». Le site propose, entre
autre, de se faire spoiler en visionnant des séquences
« dangereuses » ou de faire le test « quel
spoiler es-tu ? ». Tout fan devrait trouver la démarche
détestable mais ce coup de publicité pour le moins surprenant
génère de la conversation sur le web, entre fans mais aussi
dans
119 « Ce que vous êtes le point de voir, ne peut
être oublié. »
49
la presse : The Guardian, Le New York
Time, Le Telegraph, The Verge120... pour ne
citer que les médias anglophones.
La campagne de communication « The Rat »:
Le credo de tout sériephile qui se respecte peut
être formulé de la manière suivante : « tu ne
spoileras point ». Et si la peur de la majorité des fans est
de se faire spoiler (43,5% de nos répondants sont
énervés par cette pratique), subsiste un nombre non
négligeable de fans qui trouvent l'exercice de cette activité
amusant ou du moins qui avouent que le spoil éveille leur
curiosité (20%)121. A travers une vidéo
interactive122, Netflix surfe encore une fois sur le
phénomène en le détournant avec humour. Le message de la
vidéo est adressé aux spoilers, individus de la pire
espèce ; des rats. La séquence met en scène le
personnage de Bobby. Ce dernier est ligoté et couvert de miel et est sur
le point d'être donné en pâture aux rats par son bourreau.
Le crime de Bobby : avoir spoilé la mauvaise personne.
A la fin de la séquence, l'internaute se voit donner le choix
d'épargner Bobby ou de le jeter aux rats.
A travers ces deux exemples, nous nous avons voulu montrer la
compréhension de Netflix des publics sériephiles et de certaines
de leurs pratiques. Nous reviendrons sur cette connaissance de la cible, de
façon à montrer comment cet acteur mobilise ce savoir et
s'inspire des modes de consommation pour mettre en place des stratégies
pertinentes.
120 Mentions parues dans les médias cités :
http://www.nytimes.com/2014/09/22/business/media/those-dreaded-spoilers-that-can-torpedo-dramatic-plot-take-on-a-new-meaning.html?_r=2
http://www.theverge.com/2014/9/22/6826631/netflix-has-a-spoiler-widget-dare-yourself
http://www.theguardian.com/film/filmblog/2014/sep/23/netflix-effect-spoilers-show-film-timeshifted-viewing
http://www.telegraph.co.uk/culture/tvandradio/11115366/Netflix-launches-new-site-specifically-for-spoiling-shows.html
121 Le pourcentage restant est indifférent à la
pratique ou ne sait pas en quoi elle consiste - Questionnaire et
réponses en annexes.
122 Pour visionner la vidéo de la campagne : «
Campagne de communication The Rat », Compte Youtube Netflix US
& Canada, [disponible en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=N8t6L
lje E&feature=
youtu.be], publié le 10
novembre 2015, consulté le 20 novembre 2015.
50
Conclusion de la première partie
Nous avons consacré cette première partie
à étudier, en premier lieu, le contexte d'apparition des
séries télévisées et donc les rouages de la
filière audiovisuelle américaine pour comprendre la
légitimité que ce genre a acquis à travers les
années et les mutations qui l'ont caractérisé tout au long
son évolution.
En second lieu, nous nous sommes intéressé aux
pratiques de visionnage des publics sériephiles afin de comprendre les
raisons de leur migration vers un réseau de distribution alternatif sur
le web. Nous sommes arrivé à la conclusion que l'un des objectifs
principaux de ces communautés, outre le prolongement de leur passion
pour le genre, était d'accéder et d'offrir une solution plus
performante que celle des chaînes généralistes
françaises, à savoir :
- Une consommation personnalisée :
leur permettant d'aménager leurs rendezvous et de choisir leur rythme de
visionnage
- Mettre à disposition les
épisodes au plus tard 48 heures après la diffusion originale, en
version originale sous-titrée
- Mettre à disposition des interfaces
conviviales et pratiques pour les internautes les moins aguerris
Aussi, visionner sur le web a fait sortir la série
télévisée de son statut de « programme
télévisé » que l'on regarde à des horaires
imposés par la programmation, à celui de « contenu »
que l'on consomme n'importe où, n'importe quand et sur plusieurs
supports.
A ce stade du travail, nous sommes quasiment parvenu à
déconstruire le « mythe de l'hybridation » en
démontrant que les améliorations technologiques ont toujours
transformé les modes de production, les contenus et les pratiques des
spectateurs. Dans ce sens, une concentration de la concurrence associée
à une évolution des techniques et des modes de consommation a
pour conséquences d'accélérer les mouvements d'hybridation
les rendant plus explicites et observables. Ce fut le cas dans les
années 1980-1990, quand le développement de technologie du
câble-satellite a permis à HBO de se démarquer grâce
à une politique novatrice qui a contribué à installer une
télévision qualité dont les « ingrédients
» continuent à faire le succès des productions actuelles.
Ceci confirme en partie notre première hypothèse. Afin, de
l'examiner complètement et de voir si Netflix s'inscrit dans cette
51
même accélération, il nous faut, d'abord,
d'étudier sa stratégie d'entreprise, ses innovations disruptives
et le contexte qui leur a donné vie.
52
Deuxième partie
Mutation de la filière audiovisuelle et ancrage
des pratiques de visionnage sur le web
53
Chapitre I
Dématérialisation des contenus et
intérêt pour la VOD
1. La télévision, un écran
connecté
« [...] L'apparition d'un Internet à très
haut débit ne tuera la télévision, ni ne tuera le
cinéma. Leur coexistence entraîne simplement l'apparition de
pratiques hybrides.123»
On a souvent prédit que l'apparition d'un nouveau
média présagerait la disparition de l'ancien. Que l'accroissement
de la concurrence entre différents acteurs, entraînerait la
disparition d'acteurs plus anciens. Ce type d'annonces, qu'Emmanuel Durand
qualifie de « mythe de la disparition124 » ne s'est jamais
avéré puisque la réalité est plus à la
cohabitation qu'à la substitution.
Aujourd'hui, l'utilisation d'Internet menacerait la
filière audiovisuelle, cependant, force est de constater que ces deux
médias s'enrichissent et peuvent se compléter dès lors que
les acteurs de la filière ont compris la nécessité de
sortir de leur zone de confort pour explorer de nouvelles sources de
développement et accompagner les changements en cours.
La consommation multi-écrans se
généralise125 et influence les pratiques des publics
qui partagent aujourd'hui leur attention entre différents écrans.
Ainsi, des stratégies de contenus « second écran »,
comme la social TV qui enrichit l'expérience
télévisuelle grâce à une dimension interactive
(donner son avis sur la performance d'un candidat de The Voice sur les
réseaux sociaux par exemple) ou la catch-up TV (qui permet
à l'internaute de revoir un programme télé sur Internet
peu de temps après sa diffusion), apparaissent pour favoriser les
synergies entre les différents supports.
123 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.25.
124 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.20.
125 « Aujourd'hui, la plupart des Français se
connectent via 2 (20,3 millions) ou 3 écrans (17,3 millions) ».
Source : « L'année 2015 : le multi-écrans se
généralise et influence les pratiques des internautes »,
Médiamétrie, [disponible en ligne :
http://www.mediametrie.fr/internet/communiques/l-annee-internet-2015-le-multi-ecrans-se-generalise-et-influence-les-pratiques-des-internautes.php?id=1418],
publié le 25 février 2016, consulté le 07 avril 2016.
54
Cet accès généralisé à
l'information et à la culture par le biais de supports multiples et
porté par Internet, détourne certains publics de la
télévision de certains de ses programmes, comme nous l'avons vu
à travers le cas des sériephiles par exemple. A partir de
là, force est de constater que « les contenus vidéo
deviennent amplement majoritaires dans le trafic Internet global : au
États-Unis, à la mi 2014, les deux seules plateformes Netflix et
Youtube représentaient plus de la moitié du trafic Internet. Plus
révélatrice encore de l'ampleur et de la rapidité de cette
explosion des écrans et des usages, la part de consommation de Youtube
sur mobile qui est passée de 6% en 2011 à 40% dans le monde
à peine deux ans plus tard 126».
En résumé, nous pouvons dire qu'un spectateur
lambda n'est plus lié à la programmation des chaînes de
télévision et que le développement de l'Internet
haut-débit couplé à l'adoption croissante d' «
écrans connectés » lui a permis d'accéder aux
contenus vidéo de manière «
délinéarisée », ôtant ainsi au média
télévision son monopole de diffusion et faisant apparaître
de nouvelles formes d'intermédiation.
Avant de nous intéresser plus en profondeur à ce
que la délinéarisation des contenus entraîne comme
mutations au sein de la filière audiovisuelle et au sein des industries
de la culture de manière plus large, il nous paraît essentiel de
revenir sur les notions d' « industries de la culture », d' «
industries créatives » et de définir les modèles
économiques qui ont caractérisé ces industries jusque
là.
1.1. Notions et définitions
Depuis la fin des années 1990 et en partie en raison de
l'évolution du contexte (avec le développement de la
mondialisation, de la numérisation, des TIC et de la
libéralisation) les notions et les appellations relatives aux industries
de la culture, de l'information, de la communication et du spectacle se
retrouvent régulièrement challengées. Nous avons
remarqué que différentes appellations étaient
mobilisées dans les textes et les ouvrages consultés, pour
désigner l'ensemble des industries produisant des contenus culturels
(livres et presse, musique enregistrée, audiovisuel et cinéma,
etc.), parfois de manière indifférenciée. En effet, la
frontière entre les
126 DURAND Emmanuel, La menace
fantôme : Les industries culturelles face au numérique,
Presses de Sciences Po, Paris, 2014, p.23-24.
55
concepts d'industries de la culture (également
appelées industries culturelles, industries informationnelles ou
industries du contenu) et d'industries créatives demeure aujourd'hui
incertaine. Selon l'UNESCO, il est aujourd'hui admis que la notion d'industries
créatives peut remplacer celle d'industries de la culture étant
donné que cette notion l'englobe et la dépasse en y ajoutant
« toutes les activités de production culturelle ou artistique,
qu'elles aient lieu en direct ou qu'elles soient produites à titre
d'entité individuelle127 ».
En ce qui concerne la modélisation
socio-économique de ces industries de la culture, Bernard Miège
et Pierre Moeglin ont identifié cinq grands modèles qui
structurent, de manière générique, les différentes
filières : le modèle éditorial, de flot, du club
privé, du compteur et du courtage informationnel. Le modèle
de flot fait référence à des produits «
caractérisés par la continuité et l'amplitude de leur
diffusion ; ceci [impliquant] que chaque jour de nouveaux produits rendent
obsolètes ceux de la veille » (Flichy, 1991, p. 38). Le
modèle éditorial prend en compte les marchandises
culturelles c'est-à-dire celles qui sont vendues sur un marché,
comme les produits édités (livres) ou ceux du cinéma
(films), etc. (Flichy, 1991, p. 37-38). Ces deux premiers modèles sont
dominants dans les industries de la culture et sont considérés
à ce titre comme étant génériques alors que
persiste la question de conceptualiser les autres128.
Néanmoins, la numérisation des contenus et l'évolution des
pratiques a fait émerger les logiques de club privé, du compteur
et du courtage informationnel plus de faire émerger des solutions
inédites de valorisation des contenus culturels, que nous allons essayer
de faire apparaître. Dans ce sens, il nous semble pertinent d'approfondir
la question pour mieux appréhender les mutations en cours.
A noter que ce qui nous intéresse dans la mobilisation
de ces modèles socio-économiques, c'est de montrer comment les
mutations que connaissent ces industries affectent les pratiques des
consommateurs et inversement : comment les pratiques des consommateurs
participent à l'évolution de ces modèles
socio-économiques. Dans ce sens, nous n'entreront pas dans le
détail des logiques de
127 Source : « Les industries créatives »,
Wikipédia, [disponible en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Industries_cr%C3%A9atives],
consulté le 02 novembre 2015
128 PERTICOS, Lucien, Les industries culturelles en mutation
: des modèles en question, Revue française des sciences de
l'information et de la communication [Disponible en ligne :
http://rfsic.revues.org/112],
publié 05 septembre 2012, le p.29.
56
financement et de la valorisation marchande des contenus
culturels et nous nous concentrerons davantage sur les pratiques des
consommateurs.
2. Hybridation des modèles classiques : vers de
nouvelles solutions de valorisation des contenus culturels ?
Internet se généralise en France à partir
des années 2000. L'année 2002 connaît une explosion des
nombres d'abonnés à l'ADSL et la progression
continue129. C'est pendant cette période par exemple que l'on
voit l'intérêt de conceptualiser la logique du compteur puisque
certains opérateurs de télécommunication choisissent de
facturer au temps passé ou aux données échangées
sur Internet. Toutefois, la vraie révolution de l'année 2002
concerne le mariage d'Internet et de la télévision avec le
lancement de l'offre tri-play de Free130.
Pour se démarquer de la forte concurrence qui
régit le marché des fournisseurs d'accès Internet, Free
(rapidement suivi par le reste des fournisseurs) choisit de diversifier ses
services pour les rendre plus attrayants et lucratifs en proposant des offres
comprenant l'accès à la télévision
(TVIP131) en plus de l'accès à Internet et de la
téléphonie fixe. Aujourd'hui, les acteurs de la
télécommunication proposent des offrent
quadri-play132 qui intègrent la
téléphonie mobile également. Ce type d'offres est
caractérisé par l'accès à un nombre impressionnant
de chaînes internationales et thématiques, en plus des
chaînes TNT classiques, et permet de regarder des programmes en
replay, ainsi que la possibilité d'acquérir des contenus
audiovisuels, en vidéo à la demande (VOD).
Pour le téléspectateur, cela change tout. Il ne
voit plus son téléviseur s'allumer sur
129 Source : « Le dégroupage au coeur de la bataille
de l'ADSL », Zdnet, [disponible en ligne :
http://www.zdnet.fr/actualites/le-degroupage-au-coeur-de-la-bataille-de-l-adsl-en-2003-39134549.htm],
publié le 24 décembre 2003, consulté le 09 avril 2016.
130 Source : « 1999-2009, dix ans du web français
à la loupe », Journal du net, [disponible en ligne :
http://www.journaldunet.com/ebusiness/le-net/dossier/1999-2009-dix-ans-de-web-francais-a-la-loupe/2002-free-prefigure-l-offre-triple-play-avec-sa-box.shtml],
publié 23 décembre 2009, consulté le 09 avril 2016.
131 En bref, la télévision IP regroupe la
télévision en direct, la vidéo à la demande (VOD),
le jeu à la demande, les séances de rattrapage (catch-up TV).
Source : « La télévision IP », Wikipédia,
[disponible en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9vision
IP], consulté le 09 avril 2016.
132 L'offre quadri-play propose un quatrième
service qui est la téléphonie mobile. En plus de la
téléphonie fixe, de l'accès à Internet et de la
TVIP.
57
un flux continu de programmes mais sur une interface. Une
interface qui peut varier selon le fournisseur d'accès, en plus «
d'être composée d'un ensemble d'éléments très
hétérogènes, d'une prolifération d'application, de
vidéos linéarisées ou non, de jeux, d'interactions...
133 ». Ainsi, l'écran de télévision
devient espace pour consulter de multiples contenus et services qui sont
proposées de manière sensiblement égale par la
concurrence. D'où l'intérêt pour les différents
acteurs de proposer la meilleure ergonomie.
Si la télévision connectée modifie la
perception des spectateurs, elle modifie également l'expérience
spectatorielle, ce qui témoigne d'une hybridation des modèles de
flot et éditorial. En effet, nous avons, d'un côté un
téléspectateur qui allume sa télévision sur des
contenus diffusés en continu, selon une grille de programmation, sans
qu'il ne puisse choisir son moment de visionnage, ni conserver une copie du
contenu visionné. De l'autre côté, le
téléspectateur se voit donner la possibilité d'acheter des
contenus audiovisuels, en vidéo à la demande, tout en en
conservant une copie (immatérielle dans ce cas-là).
En janvier 2014, 87 éditeurs de services de VOD sont
recensés en France134. Bien que le marché soit
aujourd'hui en légère stagnation, le nombre de plateformes
continue à se développer et l'offre de contenus à
s'enrichir135. Ces éditeurs ont, très vite,
opté pour une autre forme de VOD, la S-VOD (subscription Video On
Demand) qui s'insère, de part son mode de rémunération,
dans la logique du club privé136. Cette transition de la VOD
à la S-VOD s'est effectuée naturellement chez la plupart des
éditeurs puisque le paiement d'un abonnement fixe semble davantage
intéresser le consommateur, car il permet de mieux contrôler les
dépenses.
En réponse à la multiplication des
éditeurs de services de VOD, les chaînes se sont
133 Les études du CNC, « Les
nouveaux usages de la télévision connectée, »
décembre 2012.
134 CNC, « Le marché de la
vidéo », dossier #329, Mars 2014.
135 Aujourd'hui, en plus des
télécoms, un nombre croissant d'acteurs d'origine diverse
s'intéresse au marché de la vidéo à la demande (en
abonnement ou à l'achat). Nous pouvons citer l'exemple de : Apple,
Google, Youtube, Amazon, Carrefour... et la liste est longue.
136 Ce modèle est caractéristique
de la télévision à péage où le
téléspectateur se voit donner l'accès à toute une
gamme de programmes, et ce, moyennant un paiement forfaitaire et
régulier. Dans le cas de la S-VOD, le téléspectateur
accède de manière illimitée à un catalogue de
contenus régulièrement renouvelés, et ce, moyennant un
abonnement, souvent mensuel.
58
réorganisées. Que ce soit aux Etats-Unis ou en
France, les chaînes de télévision ont réagi en
adoptant des stratégies davantage tournées vers Internet. C'est
le cas aux Etats-Unis avec le lancement du site
Hulu.com, produit de la
collaboration de la Network NBC, Disney Cie (propriétaire d'ABC) et News
Corporation (propriétaire de la FOX). Ce site, financé par la
publicité, permet de visionner des contenus issus des grilles de
programmation de ces chaînes (séries
télévisés, documentaires, émissions, etc.). En
France, TF1, M6, Canal+ et France télévision se sont toutes
lancées dans la construction de services de VOD/SVOD et de catch-up
TV.
Les chaînes de télévision
françaises ont également intégré la
nécessité de s'adapter aux exigences des amateurs de
séries télévisées dans une tentative de contrer le
« piratage », en mettant à leur disposition les conditions de
visionnage qu'ils recherchent. Parmi les mesures prises : la limitation des
délais entre la diffusion originale et la diffusion françaises
(certaines chaînes ont mis en place des services qui permettent un
visionnage après 24 heure, souvent en version originale.
Le résultat de cette multiplication
démesurée d'acteurs et d'offres donne aux spectateurs une grande
liberté de choix. Une abondance qui peut paralyser un consommateur qui
n'a pas une idée bien définie de ce qu'il aime ou de ce qu'il
souhaite visionner.
3. « Hyperchoix » et nouvelles formes
d'intermédiation
« L'hyperchoix apparaît comme un choix tel que le
consommateur ne peut plus arriver à choisir le produit qui lui convient.
On pourrait définir l'hyperchoix comme une situation dans laquelle
l'avantage d'un choix plus large ne compense pas la difficulté voire
l'impossibilité à choisir - et à trouver les moyens de
choisir137. »
A l'heure de l'accès généralisé
à l'information et à la culture, les produits culturels sont un
excellent exemple d'hyperchoix. Le développement de sites marchands, des
blogs et des réseaux sociaux ainsi que l'échange continuel
d'information qu'ils permettent, mettent le consommateur, non seulement, devant
une profusion de produits culturels, mais devant une profusion d'informations
qui peut aussi le rediriger vers un nombre infini d'autres
informations et d'autres offres.
137 LARCENEUX Fabrice, Tests statistiques sur l'hyperchoix et
les stratégies du consommateur, Centre de recherche pour
l'étude et l'observation des conditions de vie, Cahier de recherche
n°226, 2006, p.6.
59
Cette inflation de la production culturelle couplée
à la multiplication des médiations incitant à l'achat rend
difficile pour un individu, n'ayant une idée précise de ce qu'il
souhaite (quel morceau de musique écouter ? quel contenu vidéo
visionner/acheter ? quel prochain livre acheter ? etc.) de « choisir
» dans une telle abondance culturelle. Dans ce sens, certains acteurs ont
vu en la position d'intermédiaire - mettre en relation les publics avec
les objets culturels qui les intéressent - une nouvelle manière
de valoriser les produits culturels et de capter une partie de la valeur
économique liée à ces objets.
Si ces acteurs s'appuient en grande partie sur le
cinquième modèle définit par Pierre Moeglin, qui est celui
du courtage informationnel138, ils apportent néanmoins des
solutions inédites, en mettant le consommateur au centre de la
création de valeur, notamment avec l'exploitation des big
data.
« L'utopie d'une culture non plus imposée par les
principaux canaux de sa diffusion mais personnalisée, au plus
près des goûts, des besoins et de désirs.139
»
Centrale à l'ère du web 2.0, cette
manière de créer de valeur s'appuie sur le fait que la foule
« n'est ni purement consommatrice, ni purement productrice, mais bel et
bien hybride140 » comme le démontre, par exemple,
l'explosion des sites et des médias collaboratifs. Dans le cas des
industries de la culture, la notion de recommandation a pris une place centrale
chez ces nouveaux acteurs qui ne se contentent plus de trier et de classer les
objets culturels sur leurs plateformes respectives, mais qui, à l'aide
d'algorithmes puissants, constamment améliorés, ont trouvé
le moyen d'exploiter les innombrables traces laissées par
chaque individu sur la toile pour générer des sélections
« pertinentes » et accompagner ainsi le consommateur pas à
pas, au plus près de ses goûts et des attentes. Ces nouveaux
champions des industries de la culture sont connus sous l'abréviation
ASNS (Amazon, Spotify, Netlfix et Steam)
et
138 Le modèle de courtage informationnel peut se
résumer comme suit : « Le service rendu au consommateur correspond
dès lors à un tri opéré au sein d'une profusion de
contenus culturels numérisés, le but étant qu'il soit mis
en relation avec ceux qui seront au plus proches de ces attentes et de ses
goûts ». Source : PERTICOS, Lucien, Les industries culturelles en
mutation : des modèles en question, Revue française des sciences
de l'information et de la communication [en ligne], p.29, URL :
http://rfsic.revues.org/112
139 GAYRAUD Agnès et HEUGUET Guillaume, De
l'industrie musicale à la rhétorique du « service ».
Youtube : une description critique, Communication & langages, 184,
2015, p. 101-119.
140 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.42.
60
ont su imposer leur suprématie dans leur filière
respective : La librairie en ligne pour Amazon, la musique pour Spotify, la
vidéo pour Netflix et les jeux vidéo pour Steam.
Ce bref chapitre nous a permis de mettre en évidence
les mutations qui affectent les industries de la culture. Nous avons vu comment
la télévision s'insère progressivement dans un
modèle éditorial, comment la S-VOD emprunte la logique du club
privé et enfin comment les entreprises technologiques issues du web ont
trouvé dans la logique du courtage informationnel, un moyen de capter
une partie de la valeur des objets culturels en exploitant les données
des consommateurs, laissées volontairement ou involontairement sur la
toile. A l'heure où l'hyperchoix devient la norme, la mise en place d'un
modèle qui s'apparente à celui du courtage informationnel,
associée à une analyse poussée des données des
publics au moyen d'algorithmes puissants a permis aux ASNS de se
démarquer en proposant aux publics des contenus au plus près de
leurs goûts et attentes. Ces quatre entreprises sont les symboles des
mutations que vivent actuellement les industries de la culture.
Chapitre II
Netflix, une stratégie portée par la
disruption
1. Historique du créateur-diffuseur
« Tout a commencé avec une cassette vidéo
du film Apollo 13 que j'avais oubliée de rendre. Je devais payer une
pénalité de retard de 40 dollars. C'est à ce moment
là que j'ai commencé à réfléchir à un
service de location par courrier ». Reed Hashtings, co-fondateur de
Netflix
La légende voudrait que Reed Hashtings, co-fondateur de
Netflix ait décidé de se lancer dans l'aventure Netflix suite
à cette petite anecdote. Nous sommes en 1997 et Netflix n'a encore rien
du créateur-diffuseur que nous connaissons aujourd'hui. Cette nouvelle
entreprise californienne tente de se positionner sur le marché de la
location vidéo. Un marché dominé par le géant
Blockbuster qui possède plus de 6000 magasins sur le territoire Nord
Américain et une part de marché de plus de 65% des locations.
61
Pour se créer une place sur ce marché
concentré, l'entreprise profite du développement des DVD pour
mettre en place un service de location où les contenus sont
envoyés par la poste. De cette manière, Netflix évite
à ses clients le déplacement physique, en leur permettant de
passer leur commande en ligne.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le6.png)
Figure 3 : L'enveloppe dans laquelle Netflix envoyait
les DVD loués
Malgré des déficits importants et un
succès qui ne vient pas instantanément, la détermination
de Reed Hashtings fait entrer Netflix en bourse en 2001. En 2007, la
démocratisation du streaming pousse l'entreprise à
développer une plateforme de S-VOD et à investir dans
l'acquisition de contenus audiovisuels pour assurer un flux ininterrompu sur sa
plateforme. Netlfix réussira d'abord à convaincre Starz (une
chaîne du câble) de lui confier son catalogue, puis, prenant
conscience de la valeur ajoutée du service Netflix qui leur permet de
recycler leurs anciennes productions, d'autres chaînes viennent s'ajouter
rapidement à la liste des partenaires.
Mais Reed Hashtings pense déjà à produire
ses propres contenus pour ne plus dépendre des chaînes et des
studios de cinéma. En 2011, Netflix produit sa première
série House of Cards. En effet, pour une entreprise dont le
modèle économique est basé sur l'abonnement de ses
clients, le format série télévisée est pertinent
pour la régularité et la stabilité qu'il apporte à
la plateforme et pour sa capacité à fidéliser les
abonnés.
Encouragé par le succès de House of Cards (la
série remporte trois Emmy Awards en 2013), Netflix réitère
l'expérience et fait de la production de contenus une activité
principale. En septembre 2014, Netflix arrive en France avec 50 millions
d'abonnés. Aujourd'hui, Le service est disponible aujourd'hui dans190
pays141.
141 Source : « Netflix si now available around the world
», Netflix, [disponible en ligne :
https://media.netflix.com/fr/press-releases/netflix-is-now-available-around-the-world],
publié le 06 janvier 2016, consulté le 08 janvier 2016.
62
2. Dynamisation du marché de la VOD
La réussite de la stratégie d'entreprise de
Netflix et de son modèle économique et l'attractivité
croissante du secteur de la VOD, a poussé les acteurs de la
filière en France et à l'international à mettre en place
des solutions plus ou moins similaires pour contrer la rapide progression de
cet acteur.
Nous allons consacré la partie qui suit à
recenser les principaux concurrents afin de mettre en évidence le
dynamisme croissant du secteur qui attire aujourd'hui de nouvelles entreprises
et des acteurs plus anciens, mais étrangers jusqu'ici à
l'activité. Cette partie nous permettra également de montrer la
démocratisation du statut diffuseur-créateur.
L'intégration des compétences de la part d'acteurs du web fait
émerger de nouvelles manières de faire et de produire les
contenus audiovisuels. Ce qui n'est pas sans affecter la filière
audiovisuelle et cinématographique, au point de nécessiter une
requalification des enjeux. Ces questions seront aborder dans la
troisième partie de ce travail.
2.1. Les acteurs de la filière audiovisuelle
en France :
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le7.png)
- Canal+ : Pressentant l'arrivée de
Netlfix, Canal + renforce son service de S-VOD CanalPlay en personnalisant
l'interface de sa plateforme et en ajoutant de multiples
fonctionnalités, notamment la possibilité de
télécharger le contenu sur un terminal pour visionner hors
connexion (fonctionnalité absente chez Netlfix). Canal + a
également augmenté sa production de contenus originaux.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le8.png)
63
- Carrefour : Après un lancement
raté en 2008, Carrefour réitère l'opération en
2015, espérant compenser le manque à gagner sur le marché
en déclin du DVD par le lancement d'une offre VOD. Sa plateforme NoLim
Films propose 3000 films et séries et se limite à de l'achat
à l'acte.
2.2. Les acteurs à
l'international
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le9.png)
- Rakuten : Géant du commerce en ligne
nippon, Rakuten s'est également lancé dans la vidéo
dématérialisée en rachetant en 2012 le site espagnol
Wuaki.tv. Depuis, le service est passé à 2 millions
d'utilisateurs à l'international (Espagne, Royaume-Uni, Allemagne,
Italie et France depuis 2014). A part en Espagne, où il propose un
service de S-VOD, le nippon mise uniquement sur de l'achat à l'acte dans
les autres pays.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le10.png)
64
- Amazon : Autre grand titan technologique,
Amazon s'est très tôt intéressé à la
vidéo dématérialisée. Pressentant le potentiel du
secteur dès les débuts balbutiants de Netflix, il lance en 2006
Amazon Video qui propose à la location ou à l'achat plus 900.000
films et programmes TV. En 2011 et pour contrer l'ascension de Netflix, Amazon
propose gratuitement à ses 10 millions d'abonnés Amazon
Prime142 l'accès à la plateforme S-VOD Instant Prime
Videos (catalogue initial : 5000 contenus). Amazon se positionne
également en tant que producteur de contenus (Amazon Sutdio) avec le
lancement de sa première série télévisée
originale Alpha House en 2013. Une autre série
télévisée diffusée sur Amazon Vidéo
Mozart in the jungle remporte un Golden Globe en 2014, dans la
catégorie meilleure série dans la catégorie
comédie/comédie musicale.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le11.png)
- Hulu : Comme nous l'avons
évoqué plus haut,
Hulu.com est né de la collaboration
des chaînes américaines NBC, ABC (Disney Cie) et la FOX
142 Service de livraison gratuite d'Amazon.
65
(News Corporation) pour contrer l'éclatement de leur
audience suite à la multiplication des supports et des moyens
d'accès aux contenus audiovisuels. En plus de son service de visionnage
gratuit financé par la publicité, Hulu lance en 2015 un service
de S-VOD payant permettant d'accéder à de nombreux contenus
(films et séries TV) sans publicité.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le12.png)
- Google : En 2015, Google mettait en ligne
Youtube Red aux Etats-Unis. Ce service permet de visionner les contenus de
Youtube sans publicité et en mode hors-ligne, moyennant un abonnement.
En 2016, Google emboîte le pas à Netflix et à Amazon en se
lançant également dans la production de contenus exclusifs pour
le service Youtube Red. Les contenus attendus ont pour objectif de capitaliser
sur les youtubeurs de la plateforme143. Ce qui laisse
présager des contenus atypiques144.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le13.png)
143 Source : « Google mise sur les youtubeurs stars pour
relancer Youtube red », radio-monaco, [disponible en ligne :
http://www.radio-monaco.com/news/culture/item/9571-google-mise-sur-des- youtubeurs-stars-pour-relancer-youtube-red],
publié le 08 février 2016, consulté le 30 mars 2016.
144 Parmi les contenus attendus : le documentaire A trip to
Unicorn Island, le film Dance Camp et la série Scare
Pew Die Pie qui mettent tous en scène des Youtubeurs
célèbres.
66
- Apple : Proposant de la VOD depuis 2008 sur
l'iTunes Store, la firme à la pomme a annoncé en février
2016 se lancer, elle aussi, dans la production originale avec une
première série télévisée autour du rappeur
Dr.Dre145
Le Netflix du monde arabe : ICFLIX
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le14.png)
Surfant sur la nécessité de prendre en
considération les spécificités culturelles et
linguistiques propres à chaque territoire, la plateforme ICFLIX
naît de la volonté de dominer le marché de la S-VOD en
région MENA146. Avec une identité visuelle entre
celles de Netflix et de Youtube et un modèle calqué comme deux
gouttes d'eau sur celui de Netflix, l'ambition d'ICFLIX est de couper l'herbe
sous le pied du géant américain en lançant une offre
adaptée aux particularités des pays orientaux, friands de
productions égyptiennes et de films bollywoodiens.
Implanté à Dubaï Media City, celui que l'on
appelle le « Netflix du monde arabe » est présent depuis 2015
dans des pays comme le Maroc et la Tunisie, asseyant sa position à coups
de partenariats avec les principaux opérateurs locaux de
télécommunication. L'Emirati s'est également lancé
dans la production de contenus avec le lancement de deux films égyptiens
en 2014 : HIV et Al Makida147.
145 Source : « La première série originale est
en production avec Dr Dre », Numerama [disponible en ligne :
http://www.numerama.com/pop-culture/145797-la-premiere-serie-originale-est-en-production-avec-dr-dre.html],
publié le 16 février 2016, consulté le 30 mars 2016.
146 Région MENA : Pays du Moyen Orient et
de l'Afrique Nord.
147 Source : « ICFLIX », Wikipédia, [disponible
en ligne :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Icflix],
consulté le 30 mars 2016.
67
HBO, le concurrent direct
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le15.png)
Dans la première partie de ce mémoire, nous
avions évoqué le rôle important joué par la
chaîne du câble HBO, dès la fin des années 1980, dans
l'émergence des séries télévisées haut de
gamme. Si la chaîne a connu une période de déclin, elle
demeure aujourd'hui un acteur majeur du divertissement, forte de ses
stratégies avant-gardistes et de sa capacité d'ouverture aux
variables du monde numérique.
En 2012 et face au nombre impressionnant de
téléchargements que connait la série Game of
Thrones (série télévisée la plus
piratée du printemps 2012148), la chaîne
plébiscite cet engouement au lieu d'incriminer les pirates. Pour ses
dirigeants, le piratage de la série est comparable, en terme d'impact,
au gain d'un Emmy Award car il contribue pleinement au succès et
à la notoriété de la série, permettant le
bouche-à-oreilles entre spectateurs et augmentant, ainsi, leur nombre.
Cette posture surprenante montre que HBO intègre la
réalité des technologies et des modes de consommations actuels
bien que le piratage ne soit dans son intérêt 149 . Car
criminaliser les désirs des spectateurs ou faire abstraction du piratage
ne résout pas ces répercussions. Si ces méthodes existent
c'est que les spectateurs se voient contraints d'y recourir faute d'offres
légales adaptées. Un vide qu'il serait peut être temps de
combler.
En Avril 2015, HBO dévoile clairement sa
stratégie de ressembler davantage à Netflix en lançant son
service de streaming HBO Now en partenariat avec Apple. Le service,
disponible uniquement sur le marché américain et sur le
système
148 Selon le site TorrentFreak qui recense
régulièrement les séries les plus
téléchargées via les clients BitTorrent, la saison 2 de
Game of Thrones était la série la plus
téléchargée du printemps 2012.
149 Source : « Time Warner's Bewkes: Piracy of HBO Game of
Thrones Is Better Than an Emmy », Variety, [disponible en ligne :
variety.com/2013/digital/news/time-warners-bewkes-piracy-of-hbo-game-of-thrones-is-better-than-an-emmy-1200575271],
publié le 07 août 2013, consulté le 02 janvier 2016.
68
d'exploitation d'Apple iOs, permet aux utilisateurs
d'accéder aux contenus cultes de la chaîne sans devoir passer par
un abonnement au câble (plus de 100 dollars par mois). Avec ce nouveau
service, la chaîne met un pied sur le territoire de Netflix et a pour
objectifs à long terme : d'augmenter sa production originale de 50%,
d'être accessible quelque soit le support et de s'étendre au
delà des Etats-Unis. Une stratégie qui fait parfaitement
écho à celle de Netflix.
3. Netflix, une conquête par la disruption
?
L `innovation de rupture ou de disruption est un concept
introduit par Clayton Christensen dans l'ouvrage The Innovator's
Dilemma paru en 1997. Par opposition à l'innovation
d'amélioration, ce type d'innovation propose au consommateur un produit
ou une technologie moins performants que ce qu'il peut trouver sur le
marché. Cela est traduit par une baisse de la qualité de l'offre
proposée150.
Lorsque qu'un produit ou une technologie arrive sur le
marché, il doit comporter des performances suffisantes pour satisfaire
les exigences minimales des consommateurs et ainsi devenir commercialisable,
répondre à une demande. Au cours de son développement, ce
produit ou cette technologie vont connaître des améliorations qui
visent à augmenter cette performance, dans le but de satisfaire les
attentes des consommateurs plus exigeants. Ce perfectionnement n'est pas
toujours sans effet pervers car, parfois, il se trouve que le produit ou la
technologie deviennent « trop » performants par rapport à
l'usage du produit, créant ainsi un vide dans les secteurs
d'entrée de gamme d'un marché. Les innovations de rupture sont,
donc, celles qui parviennent à proposer un produit ou une technologie
dans ces niches désertées, de manière à ce qu'ils
soient :
Ø Plus simples
Ø Moins performants
Ø A moindre coût
Ø Plus proche des attentes d'un individu normal
Pour illustrer le type d'effets pervers de certaines
innovations d'amélioration, nous pouvons mettre en avant l'échec
de la technologie Blu-Ray. Les dirigeants des industries
cinématographiques et électroniques avaient été
unanimes quant à l'étape
150 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p. 62.
69
suivant le succès du DVD : l'avenir serait aux
programmes en haute définition. Si cette vision, justifiait une nouvelle
technologie qui allait impliquer un nouveau format de disque, un nouveau type
de lecteur, un prix plus élevé, elle restait, néanmoins,
inexacte car elle ne répondait pas aux véritables attentes des
consommateurs. Pour Emmanuel Durand, « l'échec relatif du Blu-Ray
à soutenir la croissance des ventes vidéo est ainsi dû
à son incapacité à répondre à une simple
demande nouvelle des consommateurs : loin de rechercher une amélioration
supplémentaire de la qualité d'image, la majorité
rêve simplement de consommer ses contenus sur tous ses écrans,
à tout moment. Et c'est dans ces niches sans cesse renouvelées
que de nouveaux entrants peuvent tenter leur chance151 ». A
l'image de ces nouveaux entrants, Netflix.
3.1. Des contenus de moins bonne
qualité
En lançant la première version de Netflix, Reed
Hashtings misait sur deux prévisions : que le DVD remplacerait les
cassettes VHS et que la distribution physique finirait par disparaître au
profit du streaming. Dès 2007, Netflix se positionne sur une
proposition différente de ce qui existait sur le marché : une
offre légale de contenus vidéo en streaming mais d'une
qualité d'image moins bonne que celle proposée par les grands
networks et leurs bouquets de plus d'une centaine de chaînes. La
rupture a été de miser sur de la S-VOD à moindre
coût et sur un système de suggestion de contenus pour contrer des
atouts tels que la surabondance de chaînes (et de programmes) et la
qualité d'image.
3.2. Se détacher de la logique
chronologique
A sa création, le loueur de DVD en ligne Netflix fait
face aux même difficultés que connaissent les clubs de location
vidéo traditionnels : l'indisponibilité des contenus
célèbres, les films que tout le monde veut voir. Ce sont en effet
les dernières sorties ou les films cultes qui sont le plus
demandés et cela pose quelques problèmes au niveau de la rotation
des stocks de DVD. Pour pallier à cette difficulté et pour
151 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.63.
70
permettre la circulation des petits films d'auteurs, des vieux
films inconnus du public, Netflix développe « Cinematch », son
premier système algorithmique. Grâce à la base de
données des clients, le système de recommandation propose des
contenus en fonction de leur disponibilité et de l'historique des
locations. En évaluant leurs goûts, « Cinematch »
propose des les orienter vers des contenus, pas toujours récents, pas
toujours connus, mais susceptible de leur plaire.
Ce qui n'était au début qu'une solution pour
gérer la rotation des stocks est devenu une stratégie en phase
avec le monde actuel et l'un des facteurs clés de succès de la
firme : « dans le monde de l'hyperchoix, la pertinence de la
recommandation a plus de poids que la fraîcheur des contenus
proposés152 ».
Ce chapitre nous a permis de mettre en évidence la
croissance d'un segment jusque là restreints aux seules plateformes
d'éditeurs de VOD et au réseau illégal. En effet, la
distribution directe de contenus audiovisuels par Internet a facilité
l'installation de Netflix en France poussant ainsi différents acteurs
à se réorganiser ou à se lancer dans l'activité.
Nous pouvons résumer la stratégie d'entreprise de Netflix de la
manière suivante :
- Produire et diffuser ses propres contenus
- Se développer à l'international
- Etre accessible quelque soit le support
En étant au centre de la stratégie de cet
acteur, l'accessibilité multi-support soulève la question du
dispositif et de sa capacité à répondre et à
s'adapter aux modes de consommation de la cible. Nous allons examiner comment
le dispositif mis en place par Netflix s'adapte aux modes de consommation
actuels dans le chapitre suivant.
152 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.55.
71
Chapitre III
Pour un dispositif personnalisé et adapté
aux modes de consommations actuels
1. Exploiter l'intelligence collective
Google, précurseur dans le domaine des big data,
a bâtit une partie de son succès sur l'exploitation du «
travail des internautes ». Avant que les créateurs de Google ne
mettent en place un modèle d'indexation des pages web, fondé sur
les liens emprunté par les internautes, les moteurs de recherche, celui
de Yahoo! en particulier, s'appuyait sur une indexation manuelle.
Ainsi, Google passa d'un modèle monolithique à un schéma
hybride, se nourrissant de l' « enthousiasme » des foules au lieu
d'utiliser uniquement les ressources de l'entreprise. « C'était
là la garantie d'un résultat plu pertinent, car correspondant aux
usages et aux besoins réels des consommateurs, et surtout bien plus
facilement accessible, car gratuit et sans cesse enrichi de nouvelles
données du seul fait de la navigation spontanée des internautes
à travers le monde153 ».
Tout comme Google, Netflix a réussi à
transformer l'intelligence collective en un service profitable. Si son
algorithme de recommandation est assurément ce qui le démarque
des autres plateformes de S-VOD, la firme sait également qu'une
constante amélioration de son système de recommandation est
primordiale. Entre 2006 et 2009, Netflix mobilise les foules en lançant
un concours pour améliorer l'algorithme à travers le Prix
Netflix et la somme d'un million de dollars qui ont été
décernés à des individus ayant été en mesure
d'apporter des améliorations à l'algorithme. Aujourd'hui, c'est
une équipe de 800 personnes qui est chargée de son
perfectionnement au sein de l'entreprise et, souvent, les améliorations
mises en place sont basées sur des tests effectués sur les
utilisateurs, eux-mêmes. Chaque jour, sont analysés 30 millions de
visionnages, 4 millions de notations et 3 millions de
153 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.42.
72
requêtes154). Une activité qui
représente à elle seule 8% des investissements de Netflix.
2. Compréhension des publics et adaptation aux
pratiques de visionnage
Comme nous l'avons mis en évidence dans la
première partie de ce travail, les publics sont aujourd'hui plus que
jamais, exigeants et libres. Et si mobiliser les foules et exploiter les
données de ses 75 millions d'utilisateurs155 sont devenus des
atouts déterminants pour Netflix, ce dernier a également compris
l'importance de considérer sa cible, non pas comme une masse
indifférenciée mais comme des millions d'individus qui
réclament que leur singularité soit reconnue.
Xavier Albert, directeur Marketing de Netflix France
désigne individus ciblés par Netflix de « Early US TV
content Adopter 156» et de « Connected Enthusiast
157»158. En effet, ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler
celles des sériephiles qui, en recherchant des solutions de visionnage
plus performantes sur le web, ont développé une
familiarité avec les NTIC et notamment avec les plateformes de
visionnage et les différentes formes qu'elles peuvent revêtir. Ils
ont également une appétence pour les séries
américaines et se sont habitués à visionner en version
originale sous titrée pour se calquer sur la diffusion originale.
Nous avons également montré dans cette partie,
à travers le cas de deux campagnes de communication de Netflix, comment
ce dernier s'y prend pour dédramatiser la pratique du spoiling
(que son mode de diffusion nourrit) et donc sa compréhension de ce type
de pratiques, spécifique aux sériephiles.
154 Source : « Comme Netflix exploiter la
puissance des algoritthmes », Usine Digitale, [disponible en ligne :
http://www.usine-digitale.fr/article/5-comme-netflix-exploiter-la-puissance-des-algorithmes.N270377],
publié le 25 juin 2014, consulté le 29 janvier 2016.
155 Source : « Netflix dépasse les
75 millions d'utilisateurs », Challenges, [disponible en ligne :
http://www.challenges.fr/internet/20160120.CHA4095/netflix-depasse-les-75-millions-d-utilisateurs.html],
publié le 19 novembre 2014, consulté le 29 janvier 2016.
156 Adopteurs précoces de contenus TV américain
157 Technophiles
158 Interview de Xavier Albert, source :
www.e-marketing.fr -
"[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des
sentiers battus""
73
A ce stade du travail, nous voudrions mettre en
évidence la pertinence de l'offre mise en place par Netflix, que nous
pensons inspirée des modes de consommation et des pratiques de
visionnage des sériephiles, coeur de cible de la firme.159.
Pour ce faire, nous avons effectué une analyse sémiotique de la
plateforme et nous nous sommes intéressée à son dispositif
de personnalisation. Cinq entretiens d'auto-confrontation auprès
d'abonnés Netflix ont également été
menés.
3. Analyse sémiotique de la plateforme
Netlfix.com
Avant d'aller plus loin, nous aimerions préciser que
les cinq entretiens d'auto-confrontation menés s'inscrivent dans le
cadre d'une enquête pilote et que nous sommes conscient de la
non-pertinence empirique qu'ils constituent. Nous justifions leur
exécution par le besoin de consolider notre analyse sémiotique.
C'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons choisi d'interviewer des
abonnés de Netflix qui sont également sériephiles,
connaisseurs des plateformes de streaming et de téléchargement
illégales qu'ils privilégiaient avant de souscrire au
service160.
Précisons également que notre analyse
s'effectue, en grande partie, sur ordinateur. Nous avons choisi de
privilégier ce support au vu des pratiques de visionnage
présupposées. Sur les 400 réponses récoltées
et à la question « avez-vous déjà regardé vos
séries TV sur les supports suivants ? », 287 des interrogés
regardent sur ordinateur161. De plus, l'ensemble des abonnés
Netflix que nous avons interviewé visionne principalement sur ce
support, bien que certains privilégient le support TV, lorsque cela est
possible, pour des raisons de qualité de l'image et de confort de
visionnage.
159 « Ce sont majoritairement des jeunes urbains et
connectés, très consommateurs de séries TV »
Interview de Xavier Albert, source :
www.e-marketing.fr -
"[Interview] Xavier Albert, Netflix France : "Notre mot d'ordre : sortir des
sentiers battus""
160 Les entretiens d'auto-confrontation retranscris en annexes
ont également fait apparaître que tous les interviewés
continuent de télécharger illégalement en raison de la
pauvreté du catalogue français et que certains vont
jusqu'à développer des tactiques de braconnage : utilisation de
VPN, pour accéder aux catalogues américain et canadien plus
riches en contenus récents.
161 Questionnaire et réponses en annexes.
74
3.1. Changement de perception chez le
spectateur
« Je trouve le site très visuel. C'est
minimaliste, tout en restant très visuel. Ils n'ont pas cherché
à compliquer l'interface, mais juste de mettre en avant les films
». Hugo, 27 ans - Consultant.
« C'est organisé par thème, très
facile à naviguer, tu trouves facilement ce que tu cherches et
même si tu ne cherches pas quelque chose en particulier, on te propose
des choses intéressantes ». Amine, 28 ans - Contrôleur de
gestion.
La première chose qui ressort quand nous demandons aux
interviewés d'accéder au service et de nous dire ce qu'ils en
pensent spontanément, c'est leur analyse spontanée de la forme de
la plateforme. En effet, pour des spectateurs habitués à la
diversité des interfaces P2P et sites de streaming qui pullulent sur la
toile, l'ergonomie et la praticité d'une plateforme est remise au centre
de l'attention. Un changement de perception qu'il est intéressant de
noter surtout que, comme nous l'avons démontré dans une partie
précédente, certaines plateformes de téléchargement
et de streaming requièrent une expertise et un nombre non
négligeables d'actions, plus au moins, compliquées pour
accéder au contenu souhaité.
En pointant du doigt le niveau symbolique et
l'attractivité de la forme, les interviewés montrent leur
intérêt pour une interface pratique et ergonomique, chose que le
service a su intégré dans son dispositif. Notons que ce
changement de perception chez les spectateurs est de plus en plus
présent, puisque la généralisation de la
télévision connectée active les enjeux de l'ergonomie.
Aujourd'hui, la forme, les contenus et autres applications présents sur
l'interface d'un téléviseur connecté sont soumis à
une bataille concurrentiel entre différents acteurs : constructeurs,
fournisseurs d'accès Internet, éditeurs de services,
chaînes... qui rivalisent tous pour offrir le chemin d'accès le
moins compliqué au spectateur. Ainsi, plusieurs fournisseurs
intègrent par défaut des applications populaires comme Youtube,
Spotify ou encore Netflix sur le menu de navigation de leur interface.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le16.png)
75
3.2. Ergonomie et praticité de
l'interface
Pour mieux appréhender la facilité de navigation
et la praticité de la plateforme de diffusion de Netflix, nous avons
fait une analyse sémiotique de la plateforme à différents
niveau : de la page d'accueil au lancement d'un épisode. Nous
mobiliserons le discours des interviewés pour conforter notre analyse
à différents endroits, quand cela s'avèrera
nécessaire.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le17.png)
Dès l'affichage de la page
Netflix.fr, nous réalisons de
prime abord la présence d'un riche niveau symbolique162 qui
pourrait presque contraster avec l'aspect sobre et minimaliste de la
plateforme. Un parti pris « parlons peu parlons bien » qui se fait
sentir dès les premières secondes de navigation. Dans le discours
des interviewés, le design ressort souvent comme l'un des plus de
l'interface. En ce qui concerne la navigation, nous observons que le site
netflix.fr est un site en one-page,
ou ce que l'on appelle également un site en long
scrolling. Hérité des blogs et des dépêches du
type Telex, ce type de présentation revient dans la tendance
actuelle et a été popularisé par des réseaux
sociaux tels que Facebook, Twitter ou Pinterest. Cette présentation
permet une navigation intuitive et multi-supports : accéder à
l'ensemble des informations d'une page web en faisant défiler vers le
bas, ou d'un simple geste du doigt (pour les utilisateurs de Smartphones ou de
tablettes). Cette caractéristique ressortira souvent lors des entretiens
d'auto-confrontation pour la facilité qu'elle confère à la
navigation car elle rend l'ensemble des contenus accessible en un minimum
d'actions.
« Je pense que sur une tablette la navigation serait encore
plus facile » Amine, 28 ans - Contrôleur de gestion
Aussi, l'accès au contenu (films, séries TV,
documentaires, animations, etc.) ne requiert pas un nombre important d'actions.
En effet, un fois sur le profil personnel de l'abonné, il suffit de
positionner le curseur sur l'une des nombreuses vignettes pour voir
apparaître : l'intitulé du contenu, la catégorie à
laquelle il appartient, la date de sortie, un début de synopsis, la
durée contenu ainsi qu'un « bouton » play de couleur
rouge, représentatif des plateformes de diffusion, qu'il suffit
de presser pour démarrer le visionnage.
76
162 Analyse de l'identité visuelle et de la symbolique
des couleurs de la page d'accueil avant identification en annexes.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le18.png)
77
Quitter le visionnage d'un contenu est aussi évident.
En effet, un mouvement du curseur fait apparaître sur l'interface une
flèche orientée vers la gauche qui nous invite à «
retourner à la navigation ».
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le19.png)
« Il n'y a pas trop d'actions à faire pour revenir
à un autre épisode ou pour passer à autre chose ».
Hugo, 27 ans - Consultant.
3.3. Le paramétrage du lecteur de
diffusion
Basique et classique, le lecteur de la plateforme ne
diffère pas de la majorité des lecteurs de streaming ou
des célèbres sites de partage vidéo tels que Youtube et
78
Dailymotion. Bien qu'il apporte un nombre
d'améliorations qui se répercutent de manière positive sur
le confort du visionnage, le lecteur de Netlfix reste simple et intuitif. Nous
pouvons supposer que ce choix de simplicité soit justifié par un
désir de correspondre aux habitudes de visionnage de la cible,
familière des lecteurs de visionnage sur Internet.
Outre les boutons « Mode plein écran » et
« Play/Pause » (figure 4 et 5) qui sont placés
exactement au même endroit que les types de lecteurs
précédemment cités et qui autorisent les mêmes
actions « clavier », notamment : quitter le mode plein écran
en appuyant sur la touche « Esc » et mettre sur pause en appuyant sur
la touche « Espace », le lecteur de Netflix comporte des signes
complémentaires :
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le20.png)
Figure 4 : Lecteur Youtube
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le21.png)
Figure 5 : Lecteur Netflix
En choisissant de placer la barre de volume
verticalement163, le lecteur optimise l'espace en intégrant
le titre du contenu choisi. Dans le cas d'une série
télévisée, la saison ainsi que le titre de
l'épisode joué par le lecteur sont affichés. Le lecteur
comporte également un nombre de boutons supplémentaires qui
apporte amélioration et confort au visionnage (en 1, 2 et 3 sur la
figure 5, ci-dessus).
Ce bouton (1) permet d'accéder directement à
l'épisode suivant et fournit au spectateur une description de ce dernier
s'il positionne sur curseur sur ledit bouton.
Le bouton (2) apporte une visibilité sur
l'intégralité des saisons et des épisodes de la
série TV jouée par le lecteur.
Le bouton (3) permet au spectateur de choisir la langue et les
sous-titres qu'il désire.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le22.png)
79
Nous avons montré l'appétence des publics
sériephiles pour les séries américaines et l'habitude
qu'ils ont pris de visionner en version originale sous-titrée pour se
calquer sur la diffusion originale. Il est intéressant de voir comment
l'offre de Netflix prend en considération cette caractéristique
en créant un bouton spécifique au choix de la langue et des
sous-titres au sein du lecteur (et non un bouton « Réglages »
qui intègre cette fonctionnalité comme sur la majorité des
lecteurs. De plus, le lecteur a
163 La barre de volume du lecteur apparaît quand le curseur
est positionné au dessus du bouton « son ».
80
la capacité de d'enregistrer les choix
renseignés par le spectateur pour qu'il n'ait pas à
réitérer l'action à chaque visionnage, déduisant
qu'un spectateur qui choisit de regarder Making a murderer en VOSTFR,
choisira de regarder tout autre série télévisée
américaine en VOSTFR !
« Je regarde en anglais sous-titré, j'ai
trouvé facilement comment changer de langue...c'est instinctif !
Après je pense que j'ai un profil qui se débrouille bien sur ce
genre de plateforme par ce qu'avant je télécharger beaucoup.
Alors que ma mère qui n'a jamais compris comment
télécharger un film ou naviguer sur Facebook par exemple, elle
m'avait demandé comment faire pour changer de langue. » Léa,
24 ans - Chef de projet
Un lecteur intelligent
L'amélioration considérable que présente
le lecteur de Netflix est la capacité de mémoriser les choix du
spectateur. En plus d'enregistrer les choix de langue et de sous-titres, le
lecteur se rappelle également du moment où le spectateur quitte
le visionnage d'un épisode pour l'ajouter dans la catégorie de
contenus « reprendre avec le profil X » par exemple. Cette
catégorie qui est l'une des multiples catégories
créées par Netflix pour « ranger » les
différents contenus va automatiquement inclure tout contenu que nous
avons commencé, puis arrêté de visionner par choix ou
à cause d'une perte de connexion. Dès que le spectateur reprend
le visionnage ou que la connexion est rétablie, le lecteur va lancer la
diffusion à l'exact moment de l'interruption. Une amélioration
considérable, qui ajoute praticité au visionnage.
« Je me suis abonné à Netflix pour la
facilité. La facilité du truc. Le téléchargement,
faut : télécharger l'épisode, télécharger
les bons sous-titres, renommer les sous-titres comme le fichier mkv... C'est
beaucoup plus facile de regarder sur Netflix ! » Hugo, 27 ans -
Consultant
Un lecteur rapide
L'offre Netflix propose de la haute définition (HD)
quel que soit le forfait choisi (avec de l'ultra définition 4K pour les
offres Premium). Il est également intéressant de noter
comment le flux de diffusion adapte sa qualité en fonction de la
performance de la connexion disponible, et ce, pour qu'il n'y ait pas de
coupure lors de la diffusion.
« Ce que j'aime sur la plateforme ? La
présentation d'une fiche série, la fluidité de la
diffusion où la mise en cache est très rapide même quand on
coche la HD, la
81
conservation des paramètres et la reprise simple et rapide
de la suite d'une série par exemple » Lola, 30 ans -
Consultante.
Un lecteur pour « binge-watcher »
Le lecteur de Netflix encourage un visionnage boulimique car
il lance immédiatement l'épisode suivant dans les 15 secondes qui
suivent la fin de l'épisode visionné. Cette
fonctionnalité, présente par défaut, peut être
modifiée dans les paramètres. Cependant, pour un spectateur qui
lance directement le service, elle peut contribuer à augmenter sa
consommation d'épisodes, puisque aucune action ne lui est
demandée pour passer à l'épisode suivant.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le23.png)
« Oui, je pense que Netflix m'encourage à
consommer plus d'épisodes d'affilée, surtout quand c'est une
série qui me plait. Peut être que c'est parce que l'épisode
est déclenché juste après. »Amine, 28 -
Contrôleur de gestion
82
4. Le dispositif de personnalisation
« Il a été prévu quelque chose pour
chacun afin que nul ne puisse y échapper ». Theodor W. Adorno, Max
Horkheimer, « La production industrielle des biens culturels - Raison et
mystification des masses »
Nous avons précédemment traité de la
notion de prescription culturelle arrivant à la conclusion que cette
notion devient cruciale pour les acteurs des industries de la culture afin
d'individualiser leur relation avec les publics et fidéliser leur
clientèle dans un monde où la profusion de contenus peut
paralyser le consommateur. Nous avons également vu comment la mise en
place d'un dispositif de personnalisation efficace a permis aux ANSN de
proposer des sélections de contenus pertinentes, adaptées
à tout un chacun. Nous allons maintenant nous intéresser t au
dispositif de personnalisation de Netflix, ressource indispensable à son
activité mais également force de son offre.
Dès la première connexion qui suit l'abonnement
au service, Netflix insiste sur l'importance de renseigner son profil
personnel, d'évaluer les contenus qu'il nous suggère et de ne
parcourir que du contenu suggéré164. En agissant de
cette manière le spectateur a la « la promesse » de se voir
proposé uniquement du contenu pertinent. C'est en invoquant les effets
de l'hyperchoix que le service justifie cette obligation, pour l'utilisateur,
de renseigner des informations sur ses goûts et d'évaluer les
suggestions : « Nous proposons des milliers de titres à regarder,
c'est beaucoup ! Lorsque vous évaluez des films et des séries TV,
vous nous aidez à filtrer des milliers de titres pour nous donner une
meilleure idée de ce que vous aimeriez regarder ».
164 Il est possible de chercher directement un contenu à
l'aide de la barre de recherche ou de choisir la fonctionnalité «
parcourir » pour accéder directement aux catégories
classiques (séries, action, documentaire, cinéma français,
romance, etc.) au lieu de surfer entre les différents contenus
suggérés par Netflix.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le24.png)
83
4.1. Collecte de données
Choisir d'accéder à une offre
améliorée en échange de données personnelles est le
choix que des millions d'individus ont fait aujourd'hui. La recommandation, au
vu de ce qu'elle requiert au préalable comme récolte et
utilisation de données personnelles, constitue un sujet sensible car
elle soulève la problématique de l'éthique et de la
confiance.
Dans ce sens et pour rassurer ses utilisateurs, Netflix a
choisi d'adopter une démarche transparente. A plusieurs endroits de la
plateforme, différents signes sont présents pour mettre en avant
la bienveillance du service : informer l'utilisateur du dispositif dont il fait
partie et s'assurer de son consentement libre.
C'est ce que nous pouvons remarquer en bas de la page
d'accueil, par exemple, où le détail des éléments
contractuels, le numéro de téléphone du service client et
les informations relatives aux mentions légales et autres politiques de
l'entreprise (confidentialité/Cookies, par exemple) sont mis à
disposition de l'utilisateur, de manière évidente. Notons
également que la couleur blanche, souvent assimilée à la
pureté, à la positivité ou encore à la transparence
a été choisie pour mettre en scène une bonne partie des
éléments textuels.
Par ailleurs, les nombreux discours de la firme sur la force
de leur algorithme de recommandation et ceux qui viennent expliciter la
manière dont la navigation et les évaluations des utilisateurs
permet au dispositif de proposer une sélection pertinente de contenus,
viennent renforcer cette démarche bienveillante mais aussi asseoir la
force du service ainsi que l'expertise et la légitimité de
Netlfix.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le25.png)
84
Par ailleurs, si Netflix affirme de manière
assumée observer et scruter le comportements de ses utilisateurs sur la
plateforme (à travers des tests sur des groupe d'utilisateurs à
leur insu), le service assure que ses utilisateurs ont le choix de faire
partie, ou non, des ces panels.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le26.png)
Du côté des abonnés que nous avons
interviewé, ils ont bien évidemment conscience de la
récolte de leurs données. La génération des
digital natives a grandi dans l'habitude de ce type d'activité
qui incarne l'économie du web 2.0. Pour eux, l'action même de
s'abonner au service est une acceptation de céder une partie de leurs
données personnelles. Ils perçoivent cet abonnement comme une
sorte de contrat symbolique où, en échange de ces données,
le service s'engage à les utiliser de manière raisonnable pour
améliorer leur expérience du service.
« Ça ne me dérange pas qu'on récolte
mes données, tout le monde le fait. Et si ça aide Netflix
à mieux cibler le contenu qu'il me propose, pas de soucis » Amine,
28 ans - Contrôleur de gestion
« Tous les gens participent pour que ce soit plus
précis. Ce qu'ils veulent c'est avoir des séries encore plus
adaptées au public ». Hugo, 27 ans - Consultant
« Oui je sais qu'on enregistre des informations sur ma
navigation. Ça ne me dérange pas par ce que c'est pratique, c'est
pour me proposer des trucs ». Léa, 24 ans - Chef de projet
85
4.2. Pour une relation privilégiée avec
l'abonné
Au moment de créer un profil personnel sur la
plateforme, le service demande à l'internaute de renseigner trois
contenus qu'il apprécie parmi une mosaïque de contenus en tout
genre (films, séries, documentaires, animations, etc.). Ces trois choix
sont censés être une base sur laquelle l'algorithme fonde ses
propositions. Sans que nous penchions en détail sur le fonctionnement de
l'algorithme (un fonctionnement qui reste assez opaque), nous pouvons dire que
les suggestions vont se faire sur la base de notre navigation et de celles des
autres utilisateurs : l'algorithme va analyser ce que nous regardons, le
comparer avec ce que d'autres utilisateurs similaires ont regardé pour
nous proposer des contenus pertinents.
La sélection proposée va s'incarner à
travers diverses « catégories de contenus »
générées spécialement pour nous : « Notre
sélection pour Sarra », « Parce que vous avez
regardé Matilda»...
Notons également que les sorties médiatiques de
Netflix concernant son algorithme de recommandation sont nombreuses. En effet,
sa maîtrise de la data est pour lui un gage de
légitimité et d'expertise. Non seulement sur les recommandations
que le service propose mais également sur les contenus qu'il produit,
comme nous le verrons au cours de la dernière partie de ce
mémoire.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le27.png)
« Je trouve ça cool qu'on me demande de renseigner
mes goûts, c'est comme si ton pote te disait : t'aimes quoi ? C'est un
premier contact, pour faire connaissance » Hugo, 27 ans - Consultant
86
En plus de leur proposer des sélections de contenus
plus ou moins pertinentes165, les interviewés assimilent
Netflix à un guide ou à un accompagnateur dans leur
expérience de visionnage. En mettant en avant fréquemment des
contenus « en première ligne », le service encourage le
spectateur à les visionner. Même si ces derniers ne correspondent
pas, à priori, à leurs goûts exprimés.
« Oui, il me guide indirectement parce qu'il me met en avant
des trucs et ça me rappelle de les regarder ». Hugo, 28 ans -
Consultant
« Quand un contenu revient sur la plateforme encore et
encore, je finis par l'ajouter à ma liste et je me dis que je vais peut
être le regarder ». Julien, 27 ans - Responsable stratégie
digitale
4.3. « Ce que je veux, où je le veux,
quand je le veux »
La plateforme donne la possibilité aux utilisateurs de
se créer une liste de contenus. Un signe « + » apparaît
sur chacune des vignettes et ajoute le contenu associé à cette
dernière à « Ma liste » si l'on clique dessus. Les
entretiens d'auto-confrontation nous font remarquer que les interviewés
utilisent cette fonctionnalité, principalement, pour mettre des contenus
de côté afin les visionner suivant leur disponibilité. Une
fonctionnalité qui s'accorde avec la consommation
délinéarisée qui caractérise aujourd'hui les
publics puisqu'elle leur donne la liberté de se créer leur propre
« grille de contenus » et de les visionner quand ils le
souhaitent.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le28.png)
« J'ajoute souvent des contenus à Ma Liste. Dans
ma liste, j'ai les nouveautés Netflix, je les mets de côté
au cas où, ainsi que des trucs que je vois passer. Comme par exemple
Twin Peaks, que je n'ai
165 L'ensemble des interviewés déplore la
pauvreté du catalogue français par rapport au catalogue
américain ou canadien par exemple. Cette pauvreté de contenu est
due au fait que Netflix France se doit de respecter la chronologie des
médias. Résultat, la majorité des films disponibles sur la
plateforme ont minimum plus de 5 ans. D'ailleurs, les interviewés
avouent s'être abonné principalement pour l'offre de séries
TV.
Pour contourner la pauvreté du catalogue, certains
utilisent des techniques de braconnage, notamment l'utilisation de VPN pour
accéder aux catalogues internationaux.
87
pas regardé depuis longtemps et je me dis que ce serait
bien de la re-regarder, donc je la mets de côté ». Julien, 27
ans - Responsable stratégie digitale
« J'aime bien aussi les listes. Je me suis fait une liste.
C'est un peu comme ma watch-list. Ah tiens faut que je regarde ça. Quand
je ne sais pas quoi regarder, je vais voir ce que j'ai mis de côté
sur ma liste ». Hugo, 28 ans - Consultant
Aussi, nous retrouvons cette stratégie de consommation
délinéarisée sur la page d'accueil (avant de s'abonner au
service) à travers le texte « Profitez de films et de séries
TV où et quand vous le souhaitez ». En ces quelques mots, l'offre
de Netlfix est résumée de façon claire, courte et
lisible.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le29.png)
Les mots « où et quand » cache
également une caractéristique technique centrale : sa
compatibilité multi-supports. Cette caractéristique permet aux
utilisateurs de visionner des contenus selon l'activité à
laquelle ils s'adonnent, peu importe l'endroit où ils se
trouvent166. C'est le cas de plusieurs interviewés qui nous
ont confié privilégier des contenus courts, de qualité
moindre, au petit déjeuner et sur leur tablette par exemple. Alors que
d'autres apprécient de pouvoir interrompre et reprendre leur visionnage,
au moment de l'interruption tout en changeant de support.
« J'utilise ma tablette pour regarder des séries de
30 min. En général le matin, pendant le petit déjeuner
quand je suis dans la cuisine ». Hugo, 28 ans - Consultant
« Le gros avantage, le fait de pouvoir mettre en pause et
revenir même si on quitte. La facilité du visionnage. Regarder sur
son ordi, s'arrêter au milieu d'un épisode, aller faire des
pâtes et du coup reprendre la navigation au moment où on l'a
laissé sur Ipad par exemple. » Julien, 27 ans - Responsable
stratégie digitale
166 Quelle que soit leur position géographique en France.
Sauf pour les utilisateurs « braconniers » qui arrivent à
utiliser le service n'importe où dans le monde en passant par des
VPN.
Source « Comment regarder Netflix France depuis
l'étranger ? », Netflix France, [disponible en ligne :
http://www.netflix-france.net/tuto/2014/11/19/comment-regarder-netflix-france-depuis-letranger-351/],
publié le 20 janvier 2016, consulté le 29 janvier 2016.
88
Rappelons que le potentiel d'action de cette
caractéristique - la compatibilité multi-support du service - est
amplifié par le fait que
Netflix.fr soit un service de
streaming en plus de disposer d'un lecteur qui mémorise les
activités de visionnage. Ainsi, la reprise du visionnage est pratique et
optimale, quelle que soit la position géographique ou les raisons de
l'interruption.
« Netflix est partout ! Je peux commencer mon épisode
là et aller chez mon père et le terminer ! » Julien, 27 ans
- Responsable stratégie digitale
5. Vers un encadrement et une démocratisation des
pratiques de visionnage sur Internet
Nous avons tenté de mettre en évidence
l'apparition d'un nouveau genre de spectateur, le sériephile-internaute
qui, grâce à la numérisation des contenus audiovisuels, a
trouvé sur le web un moyen d'accès plus optimal à ses
séries télévisées préférées.
Une offre alternative qui continue d'ailleurs à se structurer par les
fans et pour les fans. Ainsi des sites de streaming, des applications
et des logiciels de téléchargement peer-to-peer en tout
genre ne cessent de se multiplier et de s'améliorer dans le but de
d'offrir aux utilisateurs, des plateformes de visionnage toujours plus
conviviales et pratiques. Bien qu'illégale, cette offre alternative a
transformé les modes de consommation des publics sériephiles,
faisant apparaître la nécessité de prendre en compte ces
nouvelles habitues et attentes.
« Ça correspond à une consommation que
j'ai, que j'avais déjà avant. Avant ça prenait du temps,
de télécharger, de chercher les sous-titres, de renommer le
fichier...C'est pratique quoi ». Julien, 27 ans - Responsable
stratégie digitale
Le tableau, ci-dessous, vise à résumer les
caractéristiques de l'offre personnalisée Netflix : modèle
de prise en compte et de démocratisation des modes de consommation
actuels.
89
Pratiques de visionnage sur le web
|
Réponses du dispositif
|
Consommation personnalisée et
délinéarisée
|
- Service de streaming : accès
au catalogue quelle que
soit la position géographique (en France) et le support
utilisé
- Catégories personnalisées selon
ses goûts
- Possibilité de reprendre le visionnage
au moment
même de l'interruption et mise de côté des
contenus
interrompus en cours de visionnage (catégorie : reprendre
avec le profil Sarra)
- Fonctionnalité « Ma Liste
»
|
Praticité et facilité de
la navigation
|
- Plateforme intuitive en long scrolling
- Compatibilité multi-supports
- Nombre d'actions limitées et
optimisées pour accéder
au contenu souhaité ou changer de contenu
|
Contenus récents, disponibles en
version originale
|
- Disponibilité de certains contenus en
US+24
- Créations originales en
exclusivité167
- Disponibilité d'un large choix de
langues et de sous
titres et mémorisation des réglages pour les
prochains visionnages
|
Binge-watching
|
- Déclenchement de l'épisode
suivant dans les 15
secondes qui suivent la fin de l'épisode
visionné
|
167 A l'exception de l'emblématique House of
Cards dont les droits de diffusion ont été
cédés à Canal Plus avant l'arrivée de Netflix sur
le territoire français.
90
Conclusion de la deuxième partie
L'analyse de la mutation des industries culturelles et des
conséquences de délinéarisation des contenus sur ces
industries nous a permis de mieux appréhender le contexte qui a
donné naissance à un acteur issu d'Internet, comme Netflix. Nous
avons vu comment cet acteur a su mettre à profit les évolutions
technologiques et s'inspirer de l'évolution des pratiques et des modes
de consommation pour construire une offre et un dispositif adapté.
En étudiant son historique, son environnement
concurrentiel ainsi que les stratégies qu'il a mis en place, nous sommes
à se stade en mesure de confirmer l'intégralité de notre
première hypothèse. A savoir que Netflix s'inscrit dans une
accélération des mouvements d'hybridation, les mêmes qui
ont toujours caractérisé l'évolution de la filière
audiovisuelle et que nous avons explicité dans la première partie
de ce mémoire. Netflix a su mettre à profit les évolutions
technologiques et répondre aux attentes des publics (des publics qui
sont aujourd'hui de plus en plus habitués aux interfaces et aux
écrans multiples). En s'imposant comme premier service de streaming au
monde et l'un des acteurs majeurs du divertissement, Netflix pousse la
concurrence à s'aligner sur son modèle.
Par ailleurs, la démocratisation de la
télévision connectée et du multi-écrans a mis au
centre de l'attention les enjeux d'ergonomie. En effet, la disponibilité
multi-supports est au centre de la stratégie de Netflix d'où
l'importance d'accorder au dispositif une considération majeure. Dans ce
sens, l'analyse sémiotique du dispositif de Netflix et les
différents entretiens d'auto-confrontation menés a
apparaître l'adaptation du dispositif aux pratiques de visionnage
actuelles. Ce qui nous permet de vérifier notre seconde
hypothèse.
91
Troisième partie
Vers de nouveaux modèles de production et de
diffusion des contenus audiovisuels ?
Avantages et limites
92
Chapitre I
Le nouveau business des séries
télévisés
Au cours du premier chapitre de la partie
précédente, nous avons mis en évidence la croissance du
marché de la VOD et plus particulièrement celui de la S-VOD, qui
permet aux spectateurs d'avoir le contrôle sur leur budget, contrairement
à l'achat ou à la location à l'acte. Compte tenu de
l'universalité d'Internet, ce mode de distribution directe des contenus
audiovisuels a facilité l'installation sur le marché
français d'acteurs internationaux, à l'image de Netflix, dont la
stratégie porteuse a poussé les acteurs de la filière
à s'aligner, tout en attirant d'autres acteurs sur le secteur, notamment
les grandes entreprises technologiques.
Privilégiant une stratégie mondiale, Netflix a
choisi de se soustraire à une réglementation française
rigide en s'installant à l'étranger et s'est lancé, depuis
2011, dans la production de contenus originaux pour « remonter » la
chaîne de valeur et installer sa position de créateur-diffuseur au
sein du paysage audiovisuel.
Dans la partie suivante, nous allons nous pencher, à
travers un premier chapitre, sur les particularités des contenus
produits et diffusés par ces acteurs venus d'Internet, à travers
le cas de Netflix et de ses créations originales. Dans le second
chapitre, nous tenterons de mettre en exergue les avantages et les limites du
modèle de production de Netflix et de sa stratégie de
déploiement à l'international, en faisant apparaître les
nouveaux enjeux que la politique de cet acteur fait émerger dans le
contexte actuel.
1. La data au coeur du savoir-faire
« L'histoire de la production d'une série sera
toujours l'histoire de producteurs dépositaires d'un projet culturel et
cherchant à le faire reconnaître comme un projet également
économique par des diffuseurs et des annonceurs168 ».
En sortant de la grille télévisuelle qui les a
vu naître, les séries télévisées produites
« hors circuit » ne sont plus soumises à la même logique
de production télévisuelle que leur consoeurs issues du circuit
traditionnel. En effet, une série télévisée
diffusée
168 ESQUENAZI, Jean-Pierre, Les séries
télévisées : l'avenir du cinéma ?, Paris
Armand Colin, 2010, p.51.
93
sur une chaîne de télévision
linéaire, ABC, la Fox ou même HBO, implique la rencontre de divers
acteurs et de leurs exigences respectives : les studios de production et les
chaînes (celles-ci sont soumises à d'autres exigences, celles des
annonceurs, qui les financent)169. Et ce n'est qu'après la
validation et la production d'un épisode « pilote » que le
lancement de la production d'une saison entière peut commencer.
1.1. House of Cards, une série sans «
pilote »
En traquant ses millions d'abonnés jusque dans leurs
habitudes et préférences de visionnage les plus secrètes,
Netflix ne se contente pas seulement de proposer à ses utilisateurs des
catégories personnalisées. Ce traitement astronomique de
données permet au service de classer les contenus audiovisuels
présents sur sa plateforme en catégories finement ciblées
: 77 000 genres et sous genres selon une enquête du magazine culturel
américain The Atlantic170.
En 2011, Netflix pousse l'expérience plus loin en se
lançant dans la production de sa première série
originale House of Cards, qui est, selon ses dirigeants une
corrélation des données recueillies. Ces corrélations de
données auraient fait apparaître que les internautes qui aiment la
mini-série britannique House of Cards diffusée sur la
BBC en 1990, visionnent des films de Kevin Spacey et sont fans des films de
David Fincher. S'appuyant sur ces « résultats mathématiques
», Netflix lance la production des premières saisons d'un
remake de la mini-série britannique, engageant, sans autre
préalable, 100 millions de dollars. Ainsi, les dirigeants de la firme se
disent aujourd'hui capables de savoir ce que leurs abonnés veulent
regarder171.
En supprimant l'épisode « pilote » et en
décidant de produire l'intégralité des deux
premières saisons en une fois, Netflix affirme qu'il a trouvé le
moyen de faire des
169 La tradition veut que les networks respectent ce que l'on
appelle « la saison des pilotes » pour coller aux upfronts
avec les annonceurs. Durant l'été, les réseaux
reçoivent des centaines de pitchs. Environ 20% sont
sélectionnés en automne et seront développés en
scripts. En hiver, une vingtaine de pilotes par chaîne sont
commandés et sont produits au printemps. Une fois tourné,
l'épisode est soumis au visionnage d'un panel-test et la chaîne
peut demander des modifications aux studios. A noter que les chaînes du
câble ne respectent pas ce « rituel ». N'étant pas
dépendantes des annonceurs, elles se permettent de commander à
n'importe quelle période de l'année.
170 Source : « How Netflix reverse engenireed hollywood
», The Atlantic, [disponible en ligne :
http://www.theatlantic.com/technology/archive/2014/01/how-netflix-reverse-engineered-hollywood/282679/],
publié le 02 juin 2014, consulté le 15 mars 2015.
171 Source : « Netflix et le culte du big data »,
France 24, [disponible en ligne :
http://www.france24.com/fr/20140521-netflix-france-big-data-house-cards-television-algorithme-recommandation-internet-svod],
publié le 21 mai 2014, consulté le 15 mars 2016.
94
prévisions dans un secteur pour le moins
imprévisible. En effet, la production culturelle, et les films
rejoignent les séries sur ce point, est déterminée par une
logique de l'offre. Et si le succès a été au rendez-vous
pour House of Cards et Orange is the New Black, il ne peut en
aucun cas être garanti pour les créations futures de Netflix,
comme Marseille par exemple, sa première production
française, qui vise un tout autre marché et une toute autre
culture. Cependant, la politique de Netflix s'inscrit dans un modèle de
production novateur qui est conduit par des paris sur le résultat des
données et où la production d'un épisode « pilote
» devient obsolète.
La suppression du « pilote » dans les
créations originales de Netflix a également un impact sur la
narration. En effet, l'un des objectifs du pilote est de convaincre les
spectateurs de suivre la série en exposant le plus de facettes de la
série (intrigues, personnages). En général, un
épisode pilote (qui a été diffusé172)
est plus rythmé que les épisodes qui le suivent. Il s'y passe
plus de choses. Cependant, cet épisode ne reflète pas
nécessairement l'âme de la série et s'il reste un point
d'entrée évident pour « présenter » la
série, la nature sérielle d'une série (en plus, de sa
disponibilité en une fois, dans le cas de Netflix) permet que d'autres
épisodes soient utilisés comme point d'entrée. Il est
même possible qu'une série gagne en profondeur à ne pas
exposer ainsi tous ses personnages dès le début.
1.2. La place des big data dans le processus
créatif
« Les machines et les humains ne s'opposent pas ; au
contraire, humains et machines se créent mutuellement173
»
« Les machines et les humains ne s'opposent pas ; au
contraire, humains et machines se créent mutuellement174
»
172 Il peut arriver que les chaînes décident de
tourner un premier épisode au lieu de diffuser le pilote.
173 DE MEYER Thibault, « CARDON Dominique, A quoi
rêvent les algorithmes », [Disponible en ligne :
http://lectures.revues.org/20554],
Les comptes rendus, 2016, disponible le 05 avril 2016.
174 DE MEYER Thibault, « CARDON Dominique, A quoi
rêvent les algorithmes », [Disponible en ligne :
http://lectures.revues.org/20554],
Les comptes rendus, 2016, disponible le 05 avril 2016.
95
L'intégration des big data et de l'analyse
dans le processus de création ne date pas d'hier. Déjà en
2004, Ryan Kavanaugh, l'un des nombreux milliardaires de Silicon Valley et
fondateur de la société de production Relativity
Media175 prétend pouvoir calculer la rentabilité d'un
film en collectant et en analysant les diverses données qui lui sont
liées : le scénario, sa structure, les conditions de
réalisation, etc. Et c'est en croisant ces données avec celles de
milliers d'autres films que Kavanaugh décide de quel film produire ou
encore des adaptations à effectuer avant de produire176.De la
même manière, le statisticien Vinny Bruzzese propose aux
producteurs d'Hollywood une analyse des scripts sur la base de films à
succès similaires et d'enquêtes menées auprès d'un
panel de spectateurs potentiels177.
Pour les scénaristes et les auteurs de
longs-métrages, ces méthodes sont l'ennemi de la
créativité et ils y sont réticents par peur d'une remise
en question de la légitimité de leur métier. Cependant,
les algorithmes et autres logiciels de calculs ne sont pas prêts de
remplacer le facteur humain, ni la dimension artistique et il est aujourd'hui
certain que hommes et machines sont amenés à évoluer main
dans la main. En effet, les algorithmes sont un bon moyen de faire
apparaître la pertinence financière de certains projets ou encore
de faire émerger des corrélations intéressantes, donnant
ainsi naissance à des histoires qu'on n'aurait pas pensé à
développer spontanément, comme dans le cas de Netflix.
Pour Emmanuel Durand, le paysage d'innovation permanente qui
caractérise notre époque numérique, demande une
meilleure prédisposition au changement178. Aussi, un
modèle de production hégémonique, même s'il
paraît plus sûr, ne peut prétendre à
l'éternité, en témoigne le phénomène d'
« uberisation » qui touche de plus en plus de secteurs
économiques, par exemple, et qui séduit et consommateurs et
entreprises puisqu'il permet de rentabiliser des projets sans investissements
importants, grâce à l'utilisation des nouvelles technologies.
175 Relativity Media a été créée
en 2004 et compte à son actif près de 200 films. Le dernier film
que la société coproduit, The Disappointments Room est
prévu pour 2016.
176 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.86.
177 Ibid. p.87.
178 Ibid. p. 90.
96
2. Et si les créations originales de Netflix
redéfinissaient le genre sériel ?
Si la firme a misé sur la production des saisons en une
fois, elle a également misé sur la diffusion en une fois. En
mettant en ligne les 13 épisodes de la première saison de
House of Cards au même moment, Netflix engage une petite
révolution au sein de la filière audiovisuelle et donne naissance
à une forme de diffusion inédite. En agissant de la sorte,
Netflix donne au spectateur la liberté de choisir le rythme avec lequel
il souhaite visionner sa série et le libère de la frustration
hebdomadaire engendrée par le procédé de
cliffhanger.
2.1. Le Binge-watching, une marque de
fabrique
Comme nous l'avons démontré dans une partie
précédente, le visionnage « en ramassé » est un
mode de consommation audiovisuelle qui existe depuis l'ère des DVD mais
qui s'est amplifié avec la dématérialisation des contenus
et la disponibilité de saisons entières sur les plateformes
de streaming et de téléchargement illégal.
Nous avons également vu, à travers notre analyse
de la plateforme, que le dispositif mis en place par Netflix encourage cette
pratique en déclenchant automatiquement l'épisode d'après
dans les 15 secondes suivant le visionnage. En effet, le
binge-watching est en phase avec la politique de diffusion de Netflix
« en une fois » et de nombreuses études menées par le
service le confirment et le confortent. En 2013, le service déclare que
le binge-watching est la nouvelle norme en se basant sur une
étude menée par l'anthropologiste Grant McCracken sur plus de
3000 personnes dont 1496 TV streamers179. En février
2014, une autre étude du service révèle que 2% des 33,4
millions d'abonnés de Netflix à l'époque ont
visionné l'intégralité de la deuxième saison de
House of Cards le week-end de sa sortie180.
Si Netlfix encourage et dédramatise cette pratique, il
est également intéressant de noter comment elle tend à
devenir un véritable phénomène culturel ; la
popularisation de l'expression Netflix and Chill181 en
témoigne. A son apparition, cette expression
179 Source : « Netflix declarees binge-watching is the new
normal », PR newswire, [disponible en ligne :
http://www.prnewswire.com/news-releases/netflix-declares-binge-watching-is-the-new-normal-235713431.html],
publié le 13 décembre 2013, consulté le 15 mars 2016.
180 Soit 670 000 personnes. Source : « House of Cards
watching in high defintion », Procera, [disponible en ligne :
https://www.proceranetworks.com/blog/house-of-cards-binge-watching-in-high-definition],
publié le 20 février 2014, consulté le 15 mars 2016.
181 Littéralement : regarder Netlfix pour se
détendre.
97
utilisée massivement sur les réseaux sociaux par
les jeunes Américains, traduisait l'action de s'enfermer chez soi
pour binge-watcher. Aujourd'hui, l'expression, devenue virale en
2015182, s'est popularisée en prenant une
légère connotation sexuelle. En effet, proposer une séance
Netflix and chill revient à faire des avances, de
manière dissimulée à une personne. De quoi s'interroger
sur l'impact de la technologie et de Netflix sur la culture amoureuse des
jeunes publics.
2.2. Hybridation du cliffhanger
La frustration hebdomadaire engendrée par les
cliffhangers peut être incarnée à travers la
dernière saison (saison six) de The Walking Dead. De nombreux
cliffhangers ont rythmé cette saison au grand désespoir
des fans qui n'ont pas hésité à manifester leur
mécontentement 183 . Si le cliffhanger continue
d'assurer les audiences, il suscite aujourd'hui énormément de
colère et de frustration de la part des fans, surtout quand son usage
devient systématique et facultatif. Les fans n'ont en effet pas
hésité à qualifier l'« overdose de cliffhangers
» dans The Walking Dead de manoeuvre commerciale, racoleuse,
dont le seul but est de créer un désir nourri de frustration pour
garantir l'audience de la série semaine après semaine (figure
6). La clairvoyance des publics n'a jamais été aussi
évidente et a, d'ailleurs, poussé la chaîne AMC et le
showrunner de la série à prendre la parole plusieurs fois pour
apaiser les foules184.
182 Source : « Netflix & Chill », Fusion,
[disponible en ligne :
http://fusion.net/story/190020/netflix-and-chill/],
publié le 28 août 2015, consulté le 11 mars 2016.
183 Pour plus de détails sur l'overdose de cliffhangers de
cette saison : « Walking Dead : bilan de la saison 6 », Binge by
Konbini, [disponible en ligne :
http://biiinge.konbini.com/series/walking-dead-bilan-saison-6/],
publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.
184 Source : « Le showrunner de The Walking Dead revient sur
le final controversé », Binge by Konbini [disponible en ligne :
http://biiinge.konbini.com/series/showrunner-the-walking-dead-final/],
publié le 21 avril 2016, consulté le 30 avril 2016.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le30.png)
98
Figure 6 : extrait des commentaires sur une publication
de la page Facebook officielle de la série The Walking
Dead185
Nous pouvons rapporter cet usage systématique du
cliffhanger à une gestion de l'audience et de la satisfaction de
publics que Reed Hashtings nomme la managed
dissatisfaction186. Emmanuel Durand l'explique de la
manière suivante : « ce principe de la managed
dissatisfaction est consubstantiel à une certaine conception des
185 Cette publication a généré près
de 2000 commentaires dont une bonne partie critique cet usage
sytématique et intensif de cliffhangers. Source : « Publication The
Walking Dead », Page Facebook The Walking Dead, [disponible en ligne :
https://www.facebook.com/TheWalkingDeadAMC/photos/a.169719483054218.51327.1104753889786
28/1471959512830202/?type=3&theater], publié le 04 avril 2016,
consulté le 21 avril 2016.
186 Selon Emmanuel Durand, le terme de frustration entretenue
a été utilisé par Reed Hashtings pour désigner un
système qui se nourrit des attentes du public pour maximiser l'impact
commercial.
99
rapports entre le public, l'oeuvre et ses créateurs,
une conception qui, jouant sur la rareté de l'offre et sur les
contraintes d'accès à l'oeuvre, relègue le public dans un
rôle secondaire et docile187 ». Nous nous interrogerons
sur la pertinence de ce principe dans le second chapitre de ce travail. Car si
son usage aujourd'hui systématique dans les séries
télévisées témoigne de l'élargissement de
l'univers concurrentiel, sa pertinence peut être questionnée au vu
de l'abondance de l'offre et de l'exigence des publics.
En sa qualité d'acteur du web, incarné à
travers un site de streaming, Netflix n'est pas soumis au même
système de rentabilité que les chaînes : financement
publicitaires et préoccupation d'audience. Cette liberté, si elle
lui a permis de mettre en place un modèle de production et de diffusion
en une fois, elle a également eu un impact sur l'architecture narrative
et sur les formats de ses créations originales.
Au sein des créations originales Netflix, le
procédé du cliffhanger n'intervient plus de la
même manière que pour les chaînes. En effet, et comme nous
l'avons vu dans la première partie de ce mémoire, le format
sériel a été créé en fonction des coupures
publicitaire qui rythment la diffusion de l'épisode. Celles-ci
étant inexistantes dans le cas de Netflix, les mini-cliffhangers
disparaissent des créations Netflix. D'un autre côté,
l'absence du rendez-vous hebdomadaire et la tendance actuelle au
binge-watching remettent en question l'utilité du
cliffhanger de fin d'épisode. Pour autant, ce procédé
scénaristique n'a pas disparu des créations de Netflix.
Une logique de « saison »
En étant libéré complétement des
contraintes éditoriales, les scénaristes de Netlfix ont
adopté une écriture plus progressive où ils prennent
davantage le temps d'installer les situations et de révéler les
personnages. La série House of Cards a d'ailleurs
interpellé la presse au niveau de sa construction188. En
effet, dans cette
187 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.111-112.
188 Sources : « A mi-chemin entre la
télévision et le cinéma House of Cards est unique en son
genre », L'express, [disponible en ligne :
http://www.lexpress.fr/culture/tele/a-mi-chemin-entre-television-et-cinema-house-of-cards-est-unique-en-son-genre_1221144.html],
publié le 29 août 2013, consulté le 02 septembre 2015. Et
« How Netflix's House of Cards breaks TV », Tested, [disponible en
ligne :
http://www.tested.com/tech/set-top-boxes/453479-how-netflixs-house-cards-breaks-tv/
], publié le 12 février 2013, consulté le 03 mars 2016.
100
série l'exposition prend du temps et il faut attendre
environ la mi- saison pour qu'une véritable action se déclenche.
Les personnages sont aussi dévoilés au compte-goutte et les
premiers épisodes se contentent de peindre leur environnement, leurs
états d'âme et leurs ambitions respectives. De plus, la
série emprunte des procédés qui ne sont pas propres au
genre, comme la rupture du « quatrième mur », emprunté
au théâtre, à travers l'un des personnage principaux,
Franck Underwood, qui est, à la fois, narrateur (il s'adresse
directement au spectateur en aparté) et objet de narration. Pour
Benjamin Fau, écrivain et auteur du dictionnaire des séries
télévisées (2011), House of Cards est une oeuvre
où les frontières se brouillent : « comme un DVD, comme un
film. Comme un livre189 ». L'auteur dénote
également la frustration ressentie à la fin de la première
saison, une fois le mécanisme dramatique enfin enclenché. De
cette frustration, nous pouvons voir émerger une logique de saison
à travers un procédé plus ou moins semblable au
cliffhanger qui vient s'assurer de l'intérêt du spectateur
une fois l'intégralité de la saison consommée et pour
entretenir l'attente de la prochaine.
Si nous prenons l'exemple de Narcos, autre
série originale à succès de Netflix, nous remarquons que
c'est une construction scénaristique fluide, chronologique et
axée sur une intrigue principale qui va entretenir l'envie de visionner
du spectateur et pas spécialement la présence de
cliffhanger à la fin de chaque épisode. Ce biopic qui
retrace la vie de Pablo Escobar et qui se veut également réaliste
par une narration, en grande partie, en langue espagnole et l'utilisation
d'images d'archives, a la particularité de mettre au centre de
l'intrigue la vie de Pablo Escobar et ses démêlés avec la
justice américaine, qui sont retracés de manière
chronologique. Pour le spectateur, cette construction donne un effet
long-métrage qui pousse encore une fois à consommer « en
ramassé ». Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les
créations originales Netflix sont mises en ligne, pour la plupart, le
vendredi190.
189 Source : « A mi-chemin entre la télévision
et le cinéma House of Cards est unique en son genre », L'express,
[disponible en ligne :
http://www.lexpress.fr/culture/tele/a-mi-chemin-entre-television-et-cinema-house-of-cards-est-unique-en-son-genre_1221144.html],
publié le 29 août 2013, consulté le 02 septembre 2015.
190 Daredevil (vendredi 10 avril), Sense8 (vendredi 5 juin),
Orange is the new black (vendredi 12 juin), Narcos (vendredi 28 août).
101
2.3. Hybridation des genres
fictionnels
Penny : On n'est pas des gens ennuyeux... on peut faire mieux
que ça !
Leonard : C'est vrai ! Jusqu'à quelle heure nous sommes
restés éveillé hier ?
Penny : Jusqu'à 1 heure du matin presque !
Leonard : Oui ! Jusqu'à une heure du matin, on est
resté... et on n'était même pas en train de
regarder la télé. On regardait Netflix comme les
jeunes d'aujourd'hui.
Penny : Ben oui. D'ailleurs qu'est ce qu'on a regardé ?
Est ce que c'était une comédie ? Un drama ?
Personne ne sait !
Extrait de l'épisode 17, saison 8 de la sitcom The Big
Bang Theory diffusée par CBS.
Comme nous l'avons vu dans la première partie de ce
mémoire, l'hybridation des genres fictionnels et des formules a
rythmé l'évolution des fictions plurielles. Très
tôt, créateurs et producteurs ont intégré
l'importance du métissage pour innover et se démarquer. Ainsi,
cette hybridation des genres fictionnels n'est pas née avec Netflix,
néanmoins la philosophie libérale de cet acteur
accélère une nouvelle fois ce métissage, favorisant ainsi
la mise en place de modèles narratifs plus souples.
Master of None
« Master of None, c'est un peu entre l'espèce de
biographie et la comédie. Sauf que ce n'est pas une comédie
« grasse » mais c'est une comédie bien fait au niveau de la
réalisation et pour moi, c'est un genre « bâtard » quoi
! » Hugo, 27 ans - Consultant.
Diffusée en novembre 2015 sur la plateforme, la
première saison de Master of None comporte 10 épisodes
de 26 à 31 minutes et s'apparenterait à une comédie, si
nous tentions de la classifier. En effet, le format court, quoique un peu plus
long que les comédies traditionnelles et les dialogues «
travaillés » pour faire rire, ainsi que plusieurs décors
récurrents, la font ressembler à une sitcom, cependant, d'autres
caractéristiques témoignent d'une hybridation du genre.
Master of None met en scène un humoriste
américain, Aziz Ansari qui joue le personnage de Dev. Dev est
l'alter-ego fictionnel de Aziz Ansari dans une série qui raconte son
quotidien d'acteur pour publicités qui tente de percer dans le
cinéma. Il est intéressant de noter que, dans cette série,
certains personnages jouent des versions fictives d'eux-mêmes. En effet,
les parents de Aziz Ansari jouent les rôles des parents de Dev et
l'acteur britannique Colin Salmon fait des apparitions
régulières. Ces caractéristiques donnent une dimension
autobiographique forte à la série et qui reste nouvelle dans le
traitement de la comédie.
102
Master of None n'est pas la première série
à mettre en scène un humoriste et jouer sur la dimension
autobiographique. En 2010, Louis C. K. a créé,
réalisé et produit pour la FX la série Louie.
Louie ressemble à bien des égards à Master Of
None. Elle met en scène Louie, l'alter-ego de l'humoriste Louis C.
K et certains personnages y jouent également une version
d'eux-mêmes. Dans l'épisode 6 de la saison 3 par exemple, Louie
croise un vieil ami qui n'est autre que Robin Williams qui joue son propre
rôle.
En plus de ces caractéristiques qui amènent leur
lot d'hybridation, entre fiction et réalité, ces deux
comédies sont innovantes par leur traitement, car elles ne se
contentent pas de l'humour léger et « situationnel191
» des sitcoms traditionnelles. Elles vont chercher à aborder des
sujets dramatiques et réalistes sous un angle qui reste comique mais
plus subtil, enrichissant ainsi les diverses intrigues. Un traitement atypique
qui éloigne encore davantage la comédie de son modèle de
base.
2.4. Sommes-nous toujours devant des séries
télévisées ?
« Une série télévisée peut
être définie de façon générique comme une
oeuvre de fiction à épisodes, créée pour la
télévision, diffusée sur un rythme quotidien ou
hebdomadaire sur une période
indéfinie 192».
Bien que ce soit là une définition
générique, il est légitime de s'interroger à
l'heure actuelle sur l'appellation « série
télévisée ». Comme nous l'avons illustré, au
cours de la première partie de ce mémoire, le genre sériel
n'est pas un genre figé et ses genres fictionnels et ses formats n'ont
cessé d'évoluer et de se métisser au gré des
innovations et des transformations qu'ils ont subi. Cependant, si nous prenons
en considération l'élargissement considérable de l'univers
concurrentiel de la télévision avec l'arrivée de
producteurs nouveaux, issus d'Internet et diffusant en streaming,
certaines caractéristiques qui définissaient jusqu'à
aujourd'hui le genre tendent à
191 Le nom sitcom provient du terme américain situation
comedy (comédie de situation) et est assez explicite du contenu
diégétique de ce type de série : « faire naître
le comique à partir d'une ou plusieurs situations ». Source :
SEPULCHRE Sarah, dir., Décoder les séries
télévisées, De Boeck, coll. Info Com, 2011, p.99.
192 BOUTET Marjolaine, Soixante ans d'histoire des
séries télévisées américaines, Revue de
recherche en civilisation américaine, [Disponible en ligne :
http:// rrca.revues.org/248],
2010, publié le 29 juin 2010, p.2.
103
disparaître. En effet, aujourd'hui, une série
n'est plus uniquement télévisée et sa diffusion ne se fait
plus par intervalle quotidien ou hebdomadaire. Ce qui demeure de la
série télévisée telle que nous la connaissons,
c'est son inscription dans l'univers de la fiction, sa construction par
épisode, sa durée, qui n'excède pas les 60 minutes et
sensiblement la constance des personnages. Car les séries construites en
anthologie ne conservent pas les mêmes personnages au fil des saisons.
Au lieu de tenter de classifier vainement ces fictions, qui
nous ont prouvé au fil des années et surtout aujourd'hui leur
promiscuité avec des domaines et des espaces différents, que ce
soit en raison de leur format, de leur structure narrative, de leur
réalisation, de leur diffusion ou de leur consommation, nous avons voulu
exposer et analyser la vision de Kevin Spacey sur la télévision,
lors de son intervention à l'occasion de Edimbourgh International
Television Festival en 2013.
« Words like «film» and «television»
are signifiers that are useful only to «agents, and managers, and lawyers
who use these terms to conduct business deals,» he said. The people, he
added, just want stories, and it's their responsibility to give it to
them193 ».
En défendant le modèle Netflix au festival
d'Edimbourg, Kevin Spacey met en lumière une problématique
intéressante, celle de la nécessité pour les acteurs de la
filière audiovisuelle de devoir se recentrer sur leur véritable
métier au lieu de s'accrocher à une technique, qui
détermine leur façon de faire et qui aujourd'hui semble
dépassée. L'une des missions des chaînes et des studios de
production est de raconter aux publics des histoires au delà des
formats, des genres et des espaces qui tendent inexorablement à
s'hybrider. L'évolution du genre sériel en témoigne tout
comme l'appétence des publics pour les univers fictionnels riches et
profonds que permet le storytelling transmedia 194 par
exemple. L'évolution des technologies et des modes de consommation fait
apparaître la nécessité de se
193 Extrait de l'intervention de Kevin Spacey à Edimbourgh
International Television Frestival en 2013 : « Les termes tels que «
film » et « télévision » sont des signifiants qui
sont uniquement utiles pour les agents, les managers et les avocats qui
utilisent ces termes pour signer des contrats. Le publics veulent juste des
histoires et notre responsabilité et de leur en raconter ». Source
: « Kevin Spacey give an impassioned plea in support of the Netflix model
», [disponible en ligne :
http://www.ew.com/article/2013/08/28/kevin-spacey-netflix],
publié le 28 août 2013, consulté le 05 septembre 2016.
194 Pour Henry Jenkins, le storytelling transmedia est une
façon de raconter qui « se déploie sur de multiples
plateformes médiatiques, chaque nouveau texte apportant à
l'ensemble une contribution différente et précieuse. Dans la
conception idéale du storytelling transmedia, chaque média fait
ce qu'il sait faire le mieux : un récit peut ainsi être introduit
fans un film, puis se développer à travers la
télévision, le roman, la bande déssinée ».
Source : JENKINS Henry, La culture de la convergence : des médias au
transmédia, Paris Editiion Armand Colin, 2013, p. 119.
104
réinventer, de prendre acte et de tirer parti de ses
évolutions, au lieu de s'accrocher à un modèle de
fonctionnement donné sans remettre en question son bien-fondé, et
ce, pour l'unique raison que ce modèle est caractéristique des
industries de la culture depuis plusieurs décennies. Nous reviendrons
sur cette nécessité de se réinventer dans le dernier
chapitre de ce travail qui examinera les avantages et les limites du
modèle de Netflix.
3. Vers des contenus inédits ?
Comme nous l'avons vu en examinant la concurrence, la course
aux contenus originaux est plus que jamais enclenchée. Face aux grands
producteurs de contenus, Netflix dépensera en 2016 près de 2,5
milliards de dollars (contre 1,8 milliard pour HBO)195. Et si
Netflix réserve une partie considérable de ce budget pour les
séries télévisées, la marque investit de plus en
plus dans d'autres types de contenus : des longs métrages mais
également des contenus prévus initialement pour la
télévision196.
3.1. Etude de cas
« Les programmes n'apparaissent pas, comme on veut nous
le faire croire, par des ruptures brusques, mais plutôt par des
transformations progressives de formats et de dispositifs197
».
Parmi les contenus produits ou acquis par le diffuseur, nous
avons remarqué que Netflix s'intéresse de plus en plus aux
talk-shows, aux stands-up et aux documentaires en tout genre, proposant aux
spectateurs d'appréhender ce type de contenus d'une manière assez
inédite. La partie ci-dessous a pour but d'illustrer ce type de
créations originales Netflix à travers deux cas au succès
retentissant.
195 Source : « Netflix détrône HBO pour la
qualité de ses programme originaux », Media America, [disponible en
ligne :
http://mediamerica.org/vod/netflix-detrone-hbo-pour-la-qualite-de-ses-programmes-originaux/],
publié le 20 avril 2016, consulté le 25 avril 2016.
196 Notons que les créations originales de Netflix sont
soit produites effectivement par Netflix soit diffusées exclusivement
sur sa plateforme grâce à une acquisition des droits de
diffusion.
197 JOST François, Comprendre la
télévision et ses programmes, Armand Colin, Paris, 2009, p.
5.
105
Original Netflix CHEF'S TABLE
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le31.png)
Véritable tendance de société, les
émissions de cuisine, du simple documentaire aux jeux de
télé-réalité se sont multipliées, que ce
soit sur les chaînes françaises ou américaines. Surfant sur
la tendance, Netflix propose de plus en plus de contenus originaux autour de la
gastronomie ou de la cuisine, à l'image de Cooked et Chef's
Table. Le succès de ce dernier lui a valu d'être
renouvelé pour trois saisons supplémentaires.
Chaque épisode de Chef's Table se concentre
sur un chef de renommée internationale en particulier et met en
scène son univers. Ce qui caractérise ce documentaire, c'est
l'impression de transparence et d'authenticité qui s'en dégage.
D'ailleurs, dans l'ouvrage « Télé-réalité
» de François Jost, ce dernier démontre et illustre la
contagion stylistique des programmes télévisuels par la
télé-réalité et ce goût de la
réalité et de l'authentique transparait parfaitement dans
Chef's Table.
Le premier épisode commence sur des images d'archives
qui sont commentées par le Chef italien Massimo Bottura. Plus tard, dans
l'épisode nous apercevons le chef en train de déjeuner avec ses
collègues discutant et riant aux éclats, puis nous l'apercevons
dans des moments d'intimité en compagnie de sa femme, tous deux
discutant et assis par terre, sur le tapis du salon. Le documentaire est
raconté à travers de petites anecdotes sur la vie du chef dont il
est le narrateur, mais parfois, sa femme ou ses collègues prennent la
parole pour parler de lui, de son caractère dans la vie de tous les
jours, de ses défauts... et nous retrouvons cet aspect de
106
« souveraineté du quotidien des petites
gens198 » si caractéristique de la
télé-réalité appliqué à une
émission de cuisine. Le deuxième épisode conserve le
même style et ton ; il s'ouvre sur un deuxième chef en train de
faire son jogging matinal en racontant au spectateur son quotidien de chef et
l'entrainement que son métier exige.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le32.png)
Figure 7 : Extrait de l'épisode 2 de The Chef's
Table
Par ailleurs, il intéressant de relever
l'esthétisme et la qualité de ce documentaire à travers
des séquences tournées au ralenti, en gros plan, pour une mise en
scène artistique des plats et des produits.
Original Netflix MAKING A MURDERER
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le33.png)
Making a Murderer est un docu-fiction produit par
Netflix et réalisé par Laura Ricciardi et Moira Demos. Les deux
réalisatrices ont passé une dizaine d'années à
reconstituer l'affaire de Steven Avery, citoyen américaine du
comté de Manitowoc dans l'Etat du Winconsin, condamné pour le
viol d'une jeune notable de la ville, puis
198 JOST François,
Télé-réalité, Collections Myth'O, Editions
Cavalier Bleu, 2009, p. 19.
107
innocenté et libéré dix-huit ans
après son incarcération. Ce qui bouleverse et interpelle le
spectateur dans l'histoire de Steven Avery, c'est l'histoire de cet homme qui a
perdu dix-huit ans de sa vie pour un crime qu'il n'a pas commis et qui retourne
en prison, 2 ans après sa libération pour un second crime, le
meurtre d'un photographe.
Il est intéressant d'examiner la manière dont
les deux réalisatrices racontent ce qui semble être un acharnement
judiciaire au spectateur. En plus, d'utiliser des images d'archives et des
interventions de témoins comme dans un véritable documentaire
d'investigation, ce docu-fiction brouille les pistes en empruntant certaines
particularités à la fiction : notamment une construction
narrative hautement dramatique, l'utilisation du procédé du
cliffhanger, ainsi qu'un générique élaboré,
esthétique et au temps long, propre aux séries
télévisées du câble.
En mettant en oeuvre ces procédés au carrefour
du réel et du fictif, Making a Murderer a ému
l'Amérique au point de pousser des milliers d'Américains à
se mobiliser pour dénoncer les failles du système judiciaire et
demander la grâce de Steven Avery. Une pétition sur
Change.org a d'ailleurs
été adressée au président Barack Obama à
laquelle il a répondu, affirmant être dans l'incapacité de
libérer l'accusé. La pétition continue de réunir
des milliers de signatures199.
Making a Murderer est une création hybride,
qui, par sa disponibilité internationale, sa facilité
d'accès et sa construction narrative, entre authenticité du
réel et dramaturgie de la fiction, « communique » avec la
société, passionne et mobilise les foules presque davantage
qu'une simple série télévisée fictionnelle.
Tout au long de ce chapitre, nous avons examiné le
modèle de production de diffusion de Netflix et son impact sur ses
créations originales. Nous avons également tenté
d'appréhender d'autres types de contenus créés par le
diffuseur afin d'examiner de quelles manières ces derniers s'inscrivent
dans une transformation des formats.
L'une des missions de Netflix, comme celle de tout autre
producteur de contenu, est de produire et raconter des histoires et ce dernier
a mis en place des façons inédites
199 Au 04 avril 2016, la pétition réunit 526 790
signatures. Source : « Pétition au président des Etats-Uins
pour libérer Steven Avery »,
Change.org, [disponible en ligne :
https://www.change.org/p/president-of-the-united-states-free-steven-avery],
mise à jour de la pétition le 21 janvier 2016, consulté le
04 mars 2016.
108
de le faire. Au lieu de tenter de classifier ces formats ou de
remettre en question sa légitimité créative, nous avons
fait émerger la manière dont ses contenus originaux racontent
tous une histoire : celle des amoureux de la cuisine, d'un homme accusé
à tord ou d'un député démocrate qui devient
président. Nous avons aussi tenté de montrer comment son
dispositif de diffusion en ligne est adapté au type de contenus qu'il
produit en plus d'être en phase avec les modes de consommation
actuels.
Par ailleurs, il est intéressant de voir que des
contenus autres que les séries télévisées tendent
à se sérialiser. Il est vrai que bon nombre de documentaires
diffusés sur des chaînes classiques fonctionnent sur une logique
d'épisodes mais jamais cette logique de sérialisation (par
épisode et par saison) n'a été aussi évidente aux
yeux du spectateur. C'est le cas du documentaire The Chief's Table, que nous
avons examiné plus haut.
Enfin, si Netflix s'intéresse aujourd'hui à des
contenus initialement télévisuels (documentaires, talk-shows,
stands-up, etc.), c'est que le créateur-diffuseur a pour ambition de
devenir « le premier réseau de télévision
mondial200 », ce qui implique de mettre à disposition
mondialement des contenus diversifiés et donc produire en interne et
acheter les droits. Nous allons nous intéresser à cette ambition,
à sa légitimité et à ses limites dans le dernier
chapitre de ce mémoire.
Chapitre II
Vers un réseau de télévision mondial
?
Nous l'avons vu en examinant la concurrence, produire ses
propres contenus semble aujourd'hui une nécessité pour les
différents acteurs de la filière audiovisuelle s'ils veulent
rester dans la course et perdurer. Car le déploiement à
l'international que visent les acteurs issus d'Internet (en plus d'Amazon,
Google et Apple envisagent également de produire en interne) et
même des chaînes telles que HBO nécessite, non seulement,
des contenus qui s'adaptent aux spécificités des pays et des
cultures convoités mais également une production et une
acquisition massives et régulières, sans cesse
renouvelées, de ces contenus. Des ambitions qui présentent des
200 Extrait du discours de Reed Hashtings lors du Consumer
Electronic Show de Las Vegas (CES) 2016.
109
avantages pour ces acteurs ainsi que pour les publics, mais
qui ne sont pas sans poser quelques difficultés.
1. Légitimité et avantages du modèle
de Netflix
Aujourd'hui, Netflix, instigateur de ce modèle
d'intégration des compétences (production-diffusion) est le seul
acteur qui a une présence aussi déployée à
l'international (190 pays). En promettant de consacrer 5 milliards pour la
production de contenus en 2016, la marque démontre sa volonté de
diversifier sa production (séries télévisées,
talk-shows, stands-up, documentaires, animations, longs-métrage) et de
s'implanter comme le premier réseau de télévision mondial
en produisant elle-même et en continuant à acheter des contenus
auprès des ayants-droits (studios de production et chaînes
concurrentes).
1.1. Des contenus locaux
En optant pour des contenus locaux, Netflix espère
braver les barrières culturelles et linguistiques spécifiques
à chaque pays et séduire de nouveaux abonnés ainsi que les
dirigeants du paysage audiovisuel de ces pays, en injectant quelques millions
dans leur économie. La série Marseille sera donc sa
première production européenne pour la France, tournée en
français et avec un scénariste et des acteurs locaux. Pour
créer la série, la firme confirme avoir effectué une
analyse sur les abonnés français qui a fait ressortir, sous
formes de « tags », leurs préférences : appétit
pour les séries noires, pour les histoires de corruption, pour les
scénarios autour de l'autorité et la police, etc. Disponible
mondialement sur le catalogue de Netlfix à partir du 5 mai 2016,
Marseille sera également diffusée sur TF1. Mais cette
série qui a pour ambition d'être un House of Cards
à la française recueille déjà de mauvaises
critiques. Les cinq premiers épisodes de la série ont
été présentés aux journalistes qui n'ont eu aucune
pitié pour l'oeuvre, la qualifiant de premier « navet » maison
de Netflix ou encore d'accident industriel201. Pour l'heure, il est
trop tôt pour se prononcer sur la qualité de la série car
elle n'est toujours pas accessible aux
201 Critiques de la série Marseille, sources :
« Marseille, et soudain c'est le drame », Séries TV blog, Le
Monde, [disponible en ligne :
http://seriestv.blog.lemonde.fr/2016/04/28/marseille-et-soudain-cest-le-drame/],
publié le 28 avril 2016, consulté le 30 avril 2016. Et «
Carton rouge pour Marseille, la première série française
de Netflix », Télérama, [disponible en ligne :
http://www.telerama.fr/series-tv/carton-rouge-pour-marseille-la-premiere-serie-francaise-de-netflix,141193.php],
publié le 05 mai 2016, consulté le 05 mai 2016.
110
publics. Et ce sont ces derniers qui ont toujours fait le
succès ou l'échec des séries
télévisées.
Par ailleurs, cette initiative de production locale a
encouragé d'autres acteurs, comme ICFLIX. Comme nous l'avons vu dans une
partie précédente, ce diffuseur Emirati multiplie les accords
avec des pays comme le Maroc et la Tunisie pour financer et produire
localement. La production locale peut s'avérer très fructueuse,
dans le sens où elle contribue à soutenir des artistes inconnus
du public et à donner la chance aux projets d'auteurs.
1.2. Une consommation en phase avec les
publics
En traitant de l'accès généralisé
à la culture et à l'information, nous avons mis en lumière
les exigences des publics qui ont aujourd'hui la possibilité,
grâce aux NTIC, d'aller chercher les contenus sur divers espaces, selon
leurs envies : sur Netflix, sur TF1, en téléchargement
illégal, au cinéma, etc. En effet, les contraintes liées
à la rareté de l'offre ou à l'accès aux oeuvres
étant révolues, les publics sont aujourd'hui libres de consommer
à leur guise. Nous avons également montré, à
travers l'analyse du dispositif de Netflix et de son modèle de diffusion
que la marque a su comprendre et s'adapter aux modes consommation actuels et
à intégrer l'appétence des publics pour des contenus de
qualité. En mettant en avant un catalogue exclusif et des productions
à gros budgets, Netflix espère justifier le prix de son
abonnement, conserver ses abonnés et en séduire de nouveaux. Dans
ce sens, deux stratégies de Netflix méritent d'être
examiné :
- Faire de la Ultra HD 4K202 une
priorité : Pour accompagner la progression des
équipements des ménages, Netflix propose de nombreux contenus en
Ultra HD 4K. Les contenus en 4K étant encore assez rares, Netflix et les
fournisseurs de jeux vidéo sont les principaux fournisseurs sur le
marché203.
- Des contenus en exclusivité sur la plateforme
: Netflix a présenté son premier
long-métrage, Beast of No Nation, en exclusivité lors du
Netflix Festival à Paris en octobre 2015. Cependant le film n'est pas
sorti en salles en
202 Résolution quatre fois supérieure que la Full
HD.
203 Source : « Moniteur 4K », Clubic, [disponible en
ligne :
http://www.clubic.com/materiel-informatique/ecran-lcd/article-755323-1-acheter-moniteur-4k.html],
publié le 24 février 2015, consulté le 09 avril 2016.
111
France car Netflix a préféré le rendre
disponible sur sa plateforme de S-VOD, contournant ainsi la « chronologie
des médias » qui ne permet pas de faire passer un film en salle et
sur une plateforme de S-VOD simultanément. Nous nous pencherons sur
cette loi en analysant les limites du modèle.
1.3. Vers une démocratisation de la
consommation audiovisuelle en différé ?
En produisant des contenus destinés initialement
à la télévision, Netflix a compris que sa
pérennité pouvait passer par là. En effet, les coûts
d'acquisition de films et de séries télévisées pour
une diffusion en streaming ont énormément
augmenté depuis les débuts de la firme et son premier partenariat
avec la chaîne Starz. Et si Netflix ne compte pas s'attaquer pour le
moment aux contenus en direct, comme le retransmissions sportives, dont les
droits de diffusion atteignent des sommes démesurées, la firme
devrait proposer un talk-show, diffusé peu de temps après son
enregistrement. En effet, et à l'exception des rencontres sportives et
des journaux télévisées, il semblerait que tout contenu
audiovisuel puisse se regarder en différé. D'ailleurs, la
croissance de la consommation délinéarisée des contenus
audiovisuels en témoigne204. Et bien que cette consommation
concerne essentiellement les séries et les films, cela pourrait
s'étendre à d'autres programmes grâce à des
initiatives comme celle de Netflix, par exemple, et en raison de la croissance
d'une population initiée, pour qui regarder en différé
devient naturel.
2. Les limites du modèle
En arrivant en France, les utilisateurs ont reproché
à Netflix un catalogue pauvre et des contenus pas assez récents.
En effet, les réglementations locales et notamment la « chronologie
des médias » font émerger des difficultés qui
freinent le développement de l'acteur à l'international. Par
ailleurs, si ses investissements conséquents dans la production et
l'achat de contenus peuvent lui permettre de s'affranchir des
préoccupations législatives, les créations originales
Netflix font planer des menaces sur d'autres acteurs de la filières :
les studios de production et les chaînes classiques.
204 Source : « Regarder la TV en différé entre
dans les habitudes », Direct Matin, [disponible en ligne :
http://www.directmatin.fr/media/2013-01-30/regarder-la-tv-en-differe-entre-dans-les-habitudes-361795],
publié le 30 janvier 2013, consulté le 30 mars 2016.
112
2.1. Coopération et
compétition
Netflix traite avec les mêmes acteurs qui sont
aujourd'hui ses rivaux. Ils ont besoin l'un de l'autre : Netflix pour alimenter
son catalogue, les chaînes et les studios pour rentabiliser leurs
contenus vieillissants, à l'image de Canal + qui avait acquis les droits
de diffusion exclusifs de House of Cards et de TF1 qui compte diffuser
Marseille à partir du 12 mai. Cependant, nombre d'acteurs
essaient aujourd'hui d'assurer leur propre distribution en ligne (HBO Now par
exemple), ou commencent à revoir leurs accords les liant à des
services de vidéo par abonnement pour couper la coopération avec
Netflix et autres services de S-VOD qui menacent leur existence. Le premier
partenaire de Netflix, la chaîne Starz, n'a d'ailleurs pas
renouvelé le contrat concernant le streaming de son catalogue
après son terme en 2012205. Dans cette course contre la
montre, Netflix compte sur ses investissements colossaux en production de
contenus pour prendre de vitesse ses concurrents. Néanmoins, la
rentabilité pourrait s'avérer plus élevé
qu'escompté.
D'un autre côté, cet univers marqué par la
coopétition et un élargissement de la concurrence a
également contribué à une inflation des coûts des
contenus. Cette dernière est nourrie par les dépenses
conséquentes de l'acteur dans la production de contenus et d'une demande
considérable et qui ne cesse de s'accroître. Dans ce sens, Netflix
aurait peut être intérêt à « remonter »
encore davantage dans la chaîne de valeur en faisant l'acquisition de son
propre studio de production. Cette hypothèse a été
émise après une étude menée par les analystes de
Barclay Research206 et semble être une solution face à
l'inflation des coûts et pour continuer à proposer des contenus
originaux.
2.2. Les obstacles technologiques
Dans son développement à l'international, le
service de Netflix est amené à « fonctionner » dans des
pays qui ne possèdent pas les infrastructures nécessaires
205 Source : « Le groupe de médias STARZ ne
renouvelle pas son accord avec Netflix », Stratégies, [disponible
en ligne :
https://www.strategies.fr/afp/20110901225216/usa-le-groupe-de-medias-starz-ne-renouvelle-pas-son-accord-avec-netflix.html],
publié le 01 septembre 2015, consulté le 15 avril 2016.
206 Source : « Netflix could be in the market to buy a
studio », Business Insider, [disponible en ligne :
http://uk.businessinsider.com/netflix-could-be-in-the-market-to-buy-a-studio-2016-3?r=US&IR=T],
publié le 23 mars 2016, consulté le 15 avril 2016.
113
avec une faible pénétration de l'Internet
haut-débit, c'est le cas des pays d'Afrique centrale. Aussi, certains
pays comme le Maroc par exemple, où l'échange de devises est
contrôlé, présentent un usage moins répandu de
cartes bancaires internationales. Des obstacles qui pourraient freiner la
souscription de nouveaux utilisateurs.
2.3. Les barrières
réglementaires
« Considérer systématiquement les oeuvres
en fonction de leur format amène [...] à des contresens et
à un décalage dangereux avec le public, qui ne vit pas son
accès aux médias et à la culture sur un tel mode
cloisonné207.»
Lors de la sortie du film Beast of No Nation aux
Etats-Unis, de nombreuses salles de cinéma comme AMC, Carmike, Cinemark
et Regal ont annoncé leur intention de boycotter la projection du film.
Pour ces exploitants, faire la promotion du film dans leurs salles revenait
à encourager les publics à le regarder de chez eux sur
Netflix208. Cependant, et comme nous l'avons traité
précédemment, la numérisation des contenus, la
multiplication des possibilités d'accès et la libération
des modes de diffusion des oeuvres ont transformé les habitudes et les
attentes des publics. Et l'idée de vouloir contrôler ce qu'ils
font et comment ils consomment est de plus en plus illusoire.
En outre, la « chronologie des médias », une
loi qui veille à régulariser le paysage audiovisuel
français et qui régit l'ordre de l'apparition d'un film sur les
différents supports de diffusion, présente plusieurs limites. A
sa sortie, une oeuvre cinématographique passe d'abord en salle avant
d'être disponible 4 mois plus tard en vidéo (support physique ou
VOD). Puis la diffusion passe aux chaînes payantes, 10 mois plus tard,
pour ensuite atterrir entre les mains des chaînes gratuites, après
22 ou 27 mois (en fonction de leur investissement dans l'oeuvre209).
Ce n'est qu'au
207 DURAND Emmanuel, La menace fantôme : Les
industries culturelles face au numérique, Presses de Sciences Po,
Paris, 2014, p.27.
208 Au Etats-Unis, Beast of No Nation était
disponible en simultané (en salle et sur la plateforme). Netflix n'a pas
respecté la fenêtre des 90 jours dont bénéficient
les films qui sortent en salle avant d'être disponible sur d'autres
canaux. Source : « Netflix se lance dans le cinéma et ça ne
plait pas aux exploitants de salles américains », [disponible en
ligne :
http://www.clubic.com/mag/culture/actualite-783236-netflix-cinema-plait-exploitants-salles-americains.html],
publié le 09 octobre 2015, consulté le 15 avril 2016.
209 Les chaînes sont tenues de contribuer au financement
des oeuvres cinématographiques françaises. Source : « La
télévision enchaînée au cinéma
français », INA Global, [disponible en ligne :
http://www.inaglobal.fr/cinema/article/la-television-enchainee-au-cinema-francais-8520],
publié le 14 septembre 2015, consulté le 03 mai 2016.
114
bout de 3 ans que le film est disponible en S-VOD (figure
8). D'où le choix opéré par Netflix de diffuser
Beat of No Nation uniquement sur sa plateforme. En effet, la S-VOD est
reléguée au dernier rang pour des raisons qui sont de moins en
moins pertinentes au regard du contexte actuel. Et même si les
préconisations du rapport LESCURE du printemps 2013 voudraient que l'on
exploite les films plus rapidement, proposant un abaissement de 18 mois pour la
S-VOD, les opérateurs de la filière cinématographique
restent réfractaires à ce type de propositions et ce délai
reste encore trop long.
Pourtant, les acteurs du paysage audiovisuel français
auraient un intérêt certain à prendre le pli en rendant les
réglementations plus souples. Surtout que les publics ainsi que les
nouveaux entrants, comme Netflix, trouvent aujourd'hui les moyens de les
contourner210.
![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le34.png)
Figure 8 : Chronologie des médias en
France211
En plus du respect de la chronologie des médias,
Netflix est susceptible de se heurter à d'autres types de
règlementations, spécifiques à chacun des 190 pays
où il est installé. Au Kenya, par exemple, la plateforme pourrait
être bloquée en raison du
210 Pour échapper à la rigidité des
réglementations françaises (fiscalité et exception
culturelle), Netflix a choisi de se lancer en France à partir du
Luxembourg. Néanmoins, en s'installant en France, Netflix s'est
engagé à respecter la chronologie des médias.
211 Source : « Netflix respectera la chronologie des
médias en France », Clubic, [disponible en ligne :
http://www.clubic.com/television-tv/video-et-streaming/vod/actualite-721897-netflix-france-tarifs-catalogue-chronologie.html],
publié le 20 août 2014, consulté le 03 mai 2016.
115
non respect des « des valeurs morales et de la
sécurité nationale »212. Des pays comme le Kenya
sont très attachés à la nécessité de
préserver leurs valeurs nationales et l'arrivée d'un diffuseur
inédit qui diffuse toute sorte de contenu sur Internet soulève
des questions politiques auxquelles les dirigeants de la firme devront
répondre.
212 Source : « Le Kenya débat sur la
régulation des contenus de vidéo à la demande
proposée par Netflix », [disponible en ligne :
http://www.agenceecofin.com/internet/2101-35272-kenya-debat-sur-la-regulation-des-contenus-de-video-a-la-demande-proposee-par-netflix],
publié le 21 janvier 2016, consulté le 03 mai 2016.
116
CONCLUSION GENERALE
Tout au long de ce travail nous avons tenté
appréhender l'impact de la numérisation sur la filière
audiovisuelle pour cerner les bouleversements qu'elle engendre au niveau
structurel, mais également sur les pratiques des spectateurs et sur leur
rapport aux contenus audiovisuels. Pour arriver à cerner ces
bouleversements, ou en tout cas, pouvoir en cerner une partie, nous nous sommes
attaché à analyser le cas de Netflix en prenant comme prisme
principal pour examiner l'évolution des contenus audiovisuels : les
séries télévisées. Nous avons donc voulu
répondre à la question de recherche suivante : dans quelle
mesure Netflix s'inscrit dans une révolution des contenus audiovisuels
?
Si force est de constater qu'aujourd'hui qu'il y a bel est
bien une révolution des contenus audiovisuels dans les modes production,
mais également dans leur réception, il est surtout
intéressant de noter que ce phénomène d'hybridation que
nous avons tendance à voir comme nouveau et, en particulier, comme le
résultat de la généralisation de l'utilisation d'Internet
et de la multiplication des supports et des écrans est, en fait, un
phénomène caractéristique de l'impact de toute
amélioration technologique massive sur les façons de produire
mais aussi sur les structures industrielles. Ainsi, notre première
hypothèse s'est appliquée à déconstruire ce «
mythe de l'hybridation » à travers l'analyse de l'évolution
du paysage audiovisuel américain et de la concurrence, de
l'évolution des séries télévisées et des
raisons qui ont menées au métissage des formules, à la
« recombination » des genres narratifs et l'apparition de cette
télévision de qualité, caractéristique du
deuxième âge d'or de la télévision
américaine. Nous avons également perçu cette hybridation,
très tôt, dans les pratiques des publics avec l'apparition de la
télécommande, du magnétoscope, des DVD ou encore des
différents appareils d'enregistrement. Ainsi, nous pensons que si
aujourd'hui ces mouvements d'hybridation sont davantage observables, c'est que
le numérique contribue à les expliciter et surtout à les
accélérer.
En nous intéressant au cas de Netflix, nous avons
observé comment ce dernier a su mettre à profit les
évolutions technologiques de l'époque actuelle pour mettre en
place une offre davantage orientée vers le spectateur, quitte à
délaisser un modèle établi depuis des décennies et
remettre en question les présupposés sur lesquels
117
fonctionne la filière audiovisuelle. Car la
révolution des contenus audiovisuels n'a pas attendu Netflix pour se
mettre en marche. L'initiative louable de cet acteur a surtout
été dans sa capacité à cerner les attentes des
spectateurs et de leur proposer un dispositif et une offre qui y
répondent. Avec la numérisation des contenus, de nouveaux moyens
d'accès sont apparus et ont modifiés les attentes et les
habitudes des publics. Nous avons tenté d'expliciter cette
transformation des pratiques à travers le cas des communautés
sériephiles et du développement de véritables
réseaux de distribution sur le web, qui ont pour objectif d'apporter une
solution plus adaptée que celle des chaînes de
télévision. En étant en mesure d'accéder presque
à tout type de contenu, dès le moment de sa diffusion mondiale,
les spectateurs sont alors en mesure de contourner les barrières
légales même si cela à pour conséquence de les
incriminer. Dans ce sens, l'offre proposée par Netflix permet de bien
des manières de faire sortir cette révolution de son statut
condamnable et répréhensible.
Enfin, dans la dernière partie de notre travail, nous
avons tenté d'expliciter les répercussions des modèles de
production et de diffusion de Netflix (produire d'un coup et mettre en ligne en
une fois) sur ses productions originales. Nous avons pu mettre en
lumière des hybridations notables sur la construction narrative de ses
séries dramatiques conçues pour donner un effet
long-métrage, toujours dans cette même optique de binge-watching
mais aussi l'abandon du cliffhanger systématique de fin
d'épisode qui caractérise encore aujourd'hui la diffusion
hebdomadaire des chaînes traditionnelles pour un cliffhanger en
fin de saison. Nous avons montré l'émergence de genres
inédits : la série dramatique documentaire à travers le
cas de Making a Murderer et la comédie autobiographique
à l'image de Master of None. Nous avons également
montré l'intérêt de Netlfix pour la diffusion de contenus
davantage « télévisuels » comme les émissions
culinaires ou les talk-shows, dans une ambition de développer un
réseau de télévision à l'international et
d'accompagner une consommation en différé et une autonomie du
spectateur que le numérique favorise et installe.
Aujourd'hui, nous sommes face à un acteur qui a
intégré la nécessité de se réinventer pour
accompagner les évolutions technologiques et en tirer parti. Un acteur
qui adopte une vision progressiste et qui permet aux ambitions auteuristes
118
d'émerger, à l'image de ce que a
été la chaîne HBO dans les années 1990. Si Netflix
s'inscrit sans doute aucun dans une révolution des contenus
audiovisuels, cette révolution ne fait que commencer. Car, si les
différents monopoles comptent sur les barrières
réglementaires pour sécuriser leur existence, les publics
trouveront toujours des manières de les contourner, se tournant parfois
vers des alternatives plus adaptées, moins régulées ou
carrément illégales. Cette émancipation des foules met en
évidence l'illusion de ces barrières règlementaires,
à l'image de Hadopi, Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres
et la protection des droits sur Internet, dont l'efficacité n'a
cessé d'être remise en cause depuis sa création, comme en
témoigne la volonté des députés aujourd'hui de
supprimer l'organisme213. Cependant, des initiatives, davantage
tournées vers les attentes des publics, sont à noter aujourd'hui.
Le 17 mai 2016, l'Union Européenne adopte une proposition de loi qui
permettrait d'uniformiser les catalogues d'offres pour la S-VOD à partir
de 2017214, rendant ainsi disponible les mêmes contenus sur le
Netflix France et sur le Netflix Allemagne par exemple. Si cette initiative
risque d'être difficile à appliquer en France, à cause de
la chronologie des médias, elle témoigne de la prise en compte
par les instances de régulation de la nécessité
d'accompagner les évolutions technologiques pour être en phase
avec les attentes des publics et orienter l'activité au sein du
marché de l'audiovisuel.
213 « La fin d'Haopi, c'est pour bientôt »,
Challenges, [disponible en ligne :
http://www.challenges.fr/challenges-soir/20160502.CHA8626/isabelle-attard-la-fin-de-l-hadopi-c-est-pour-bientot.html],
publié le 02 mai 2016, consulté le 20 mai 2016.
214 « L'Europe adopte l'uniformisation des catalogues pour
la SVOD », HDnumérique, [disponible en ligne :
http://www.hdnumerique.com/actualite/articles/15502-leurope-adopte-luniformisation-des-catalogues-pour-la-svod.html],consulté
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« Netflix se lance dans le cinéma et ça ne
plait pas aux exploitants de salles américains », [disponible en
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cinéma français », INA Global, [disponible en ligne :
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« Netflix respectera la chronologie des médias en
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publié le 20 août 2014, consulté le 03 mai 2016.
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contenus de vidéo à la demande proposée par Netflix
», [disponible en ligne :
http://www.agenceecofin.com/internet/2101-35272-kenya-debat-sur-la-regulation-des-contenus-de-video-a-la-demande-proposee-par-netflix],
publié le 21 janvier 2016, consulté le 03 mai 2016.
127
Annexes
128
Table des annexes
Table des annexes 128
Entretiens d'auto-confrontation 128
27 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Léa
Cottais, 24 ans, chef de
projet. 130
25 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Hugo
Clery, 27 ans,
Consultant en agence de communication 133
26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Amine
Aihi, 28 ans,
contrôleur de gestion 137
26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Julien
Santucci, 27 ans,
responsable stratégie digitale 140 07 décembre
2015 : Entretien d'auto-confrontation avec Lola Aubert, 24 ans,
chargée de communication multimédia à la
Cité internationale universitaire de
Paris 142
Questionnaire en ligne 145
Résumé des 402 réponses collectées :
150
Résumé 154
Mots-clés 154
Entretiens d'auto-confrontation
Méthodologie des entretiens
d'auto-confrontation sur la plateforme
netflix.com en
direction des abonnés du service
Choix de la méthode, des interviewés et
élaboration du guide d'entretien :
Afin de conforter les résultats de notre analyse
sémiotique du dispositif, nous avons menés cinq entretiens
d'auto-confrontation auprès d'abonnés du service de S-VOD
Netflix. Pour sélectionner ces interviewés, nous nous sommes
tourné vers des individus sériephiles, familiers des NTIC et
connaisseurs des plateformes de streaming de
téléchargements illégales qu'ils utilisaient avant la
souscription au service215. Nous avons sélectionné des
individus sériephiles et technophiles car ils constituent le coeur de
cible de Netflix et également afin de mettre en évidence la
pertinence du dispositif mis en place. Un dispositif que nous pensons
inspiré des modes de consommation et des pratiques de visionnage des
publics sériephiles
215 Notons que certains interviewés,
continuent à se rendre sur ce réseau alternatif pour
bénéficier d'une offre plus exhaustive.
129
(notre deuxième hypothèse). Nous avons donc
réussi à obtenir un entretien en présentiel de cinq
personnes de sexe différent et âgées de 24 à 28 ans,
pour rester dans la tranche des moins de 30 ans.
Pour la méthode, nous avons retenu l'entretien
d'autoconfrontation afin d'observer les comportements des abonnés sur la
plateforme. La notion de confrontation est centrale pour saisir la
spécificité de cette méthode car elle consiste à
présenter aux personnes sélectionnées les plus nombreuses
traces possibles de leur comportement et de leur demander de les commenter.
Nous avons également encouragé les interviewés à
s'exprimer librement sur leurs habitudes d'accès et d'utilisation du
service.
Pour ne pas nous disperser, pour accompagner les personnes
observées dans leurs habitudes d'accès et de visionnage et afin
de récolter des informations pertinentes au possible, nous avons suivi
sur un guide d'entretien de 28 questions. Nous avons élaboré ce
guide en nous appuyant sur les étapes qui ont été
nécessaires à notre analyse sémiotique, tout en y
insérant des questions que avons jugé pertinentes pour comprendre
d'avantage l'univers de la marque et les habitudes de visionnage de nos
interviewés.
Conditions de l'entretien :
L'ensemble des entretiens a été conduit au
domicile des interviewés. Après leur avoir présenté
l'objet et la nature de notre étude, nous avons demandé à
chacune des personnes observées d'accéder au service, de
sélectionner une des séries télévisées
qu'elle suivait au moment de l'étude et de commenter les
différentes actions qu'elle allait effectuer avant, pendant et
après le visionnage216. Lors de cette première
étape, nous avons également encouragé les
interviewés à s'exprimer spontanément sur le niveau
symbolique de la plateforme, ce qu'elle leur inspirait et de ne pas
hésiter à commenter tout autre objet qui attirait leur attention.
La seconde étape a consisté à poser les différentes
questions, tout en mettant l'interviewé en situation quand cela
s'avérait nécessaire.
Composition du guide d'entretien :
Notre guide d'entretien se compose des questions ci-dessous. Il
est, cependant, à
216 Pour des raisons de temps et de disponibilité des
personnes observées, les visionnages ont été parfois
raccourcis. Aussi, les moments de visionnage n'ont pas été
enregistrés sous format audio en raison du temps long et de la
quasi-absence de discours oral pendant le visionnage. Nous avons
néanmoins essayé de prendre des notes exhaustives des actions et
des remarques de nos interviewés pendant ces moments.
130
noter que l'ordre des questions a pu ne pas être
respecté lors des différents entretiens et que, souvent, de
nouvelles questions sont apparues au fur et à mesure, en fonction des
réponses données. Les discours spontanés, en début
d'entretien, ont assez influencé les questions posées et leur
ordre. L'ensemble des conversations a été enregistré sous
format audio, à l'aide de mon téléphone.
1. Sur quel support accédez-vous à la plateforme
le plus souvent ?
2. Accéder vous à votre profil ou au profil de
quelqu'un de votre foyer ?
3. Comment trouvez-vous la navigation sur la plateforme ? Vous
rappelle-t-elle une autre plateforme ?
4. Avez-vous installé une application avant de pouvoir
visionner ?
5. Suivant les choix que vous avez renseigné pour la
création de votre profil, pensez-vous que la sélection faite par
Netflix spécialement pour vous est pertinente ?
6. Que pensez-vous des différentes catégories
proposées par Netflix ?
7. Combien de temps passez-vous sur la plateforme avant de
choisir un programme ?
8. Pensez-vous qu'il y a suffisamment de programmes ?
9. Avez-vous déjà recherché un programme
sur la barre de recherche ? Si oui l'utilisez-vous souvent ?
10. Avant de vous abonnez à Netflix, où
regardiez-vous vos séries, films ?
11. Quels sont les plus ou les moins de Netflix versus une
autre plateforme de streaming ?
12. Avez-vous déjà ajouté un contenu
à « Ma Liste » ?
13. Avez-vous déjà voté pour un contenu
(attribuer une étoile) ?
14. Avez-vous déjà rédigé un avis
sur un contenu ?
15. Avez-vous déjà lu les avis
rédigés par les autres utilisateurs ?
16. Pensez-vous que Netflix vous encourage à consommer
plus d'épisodes d'affilée ?
17. Pensez-vous que votre consommation a augmenté ?
18. Diriez-vous que Netlfix est un guide pour vous ? Les
sélections Netflix déterminent-elles les séries et les
films que vous regardez ?
19. Que pensez-vous des créations originales Netlfix par
rapport aux autres séries ? Y a t il quelque chose qui change ?
20. Pourquoi vous êtes vous abonné à Netflix
?
21. Suivez vous Netflix sur Facebook ?
22. Connaissez vous le site Spoilers.Netflix ? Sinon montrer et
demander à l'interrogé ce qu'il en pense
23. Connaissez-vous Binge by Konbini ? Sinon montrer et demander
à l'interrogé ce qu'il en pense
24. Comment choisissez-vous les séries que vous regardez
?
25. En quelle langue regardez-vous ?
26. Avez-vous facilement trouvé comment changer de langue
?
27. En gros, qu'est ce que vous aimez le plus sur la plateforme
? Citez 5
28. En gros, qu'est ce que vous aimez le moins sur la plateforme
? Citez 5
27 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec
Léa Cottais, 24 ans, chef de projet
(Sarra) : Sur quel support accèdes-tu à Netflix
?
(Léa) : Sur mon ordinateur, je n'ai pas de TV chez moi.
(S) : Et si tu avais une TV, tu regarderais plus souvent dessus
?
(L) : Oui parce que c'est quand même mieux pour regarder.
En plus maintenant il paraît qu'il y a la
petite télécommande Netflix et tout !
(S) : D'accord. Est-ce tu accèdes à ton profil ou
à celui de quelqu'un d'autre ?
(L) : Alors c'est mon profil mais c'est le compte de ma maman.
Elle m'a créé un profil dessus.
(S) : Ok, ça veut dire que tu n'es pas passée par
les premières étapes où tu renseignes tes
préférences ?
(L) : Non. Ça s'est fait comme ça. J'ai eu juste
à me connecter dessus. C'était déjà
créé
(S) : Comment tu trouves la navigation sur la plateforme ? Est-ce
qu'elle te rappelle une autre
plateforme ?
(L) : Un petit peu. Moi j'ai connu PopcornTime avant de
connaître Netflix donc je trouve que ça
ressemble un peu à ça.
(S) : Tu regardais sur PopcornTime avant ?
(L) : Oui. Et puis quand ma mère s'est abonnée sur
Netflix. Je n'allais plus sur PopcornTime, juste sur
Netflix.
131
(S) : Ok.
(L) : Je peux argumenter si tu veux.
(S) : Oui vas-y.
(L) : Alors je trouve que Netflix c'est quand même mieux
même si il n'y a pas autant de choix. Mais
c'est quand même mieux fait en terme d'accompagnement de
l'utilisateur et tout. Parfois les
suggestions ne sont pas très pertinentes mais
déjà le fait qu'il y ait des suggestions, c'est sympa.
Ça
te permet de découvrir des choses que tu n'aurais pas
cherchées toi-même.
(S) : D'accord. Est-ce que tu rappelles avoir installé
une application avant de pouvoir visionner ?
(L) : Oui. Je me souviens vaguement que j'ai du aller sur un
site et installer quelque chose. Je ne me
souviens pas très bien.
(S) : Et par rapport aux recommandations. Tu ne les trouves
pas pertinentes tu m'as dit.
(L) : Oui et non. Je trouve qu'elles sont plus pertinentes
pour les séries que pour les films.
(S) : Mais toi, tu regardes plus souvent des films ou des
séries ?
(L) : On va dire que je préfère regarder des
séries que de regarder des films mais il m'arrive... En fait,
si je regardes des films c'est parce que je les cherche alors
que les séries c'est parce que je vais avoir
une suggestion.
(S) : D'accord. Donc tu trouves que l'offre des films est
moins étoffée que celle des séries ?
(L) : Je ne sais pas trop parce que je suis quelqu'un qui
regarde plus de séries que de films donc c'est
peut être pour ça que j'ai l'impression que
l'offre des films est moins étoffée.
(S) : Et par rapport aux catégories proposées
par Netflix que nous avons regardé tout à l'heure.
(L) : (Elle défile). Tu vois ça par exemple je
ne comprends pas.
(S) : La catégorie « Sélection faite pour
Léa » tu ne comprends pas trop sur quoi ils se sont basés
pour la faire ?
(L) : Ben non. Ça ne me correspond pas.
(S) : Ben fait. La première fois que tu accèdes
à Netflix, on te demande de renseigner des contenus
qui te plaisent pour te proposer une sélection qui se
veut pertinente.
(L) : D'accord.
(S) : Combien de temps tu passes sur la plateforme avant de
choisir un programme ?
(L) : Dix minutes en moyenne je pense. Non moins ! Franchement
cinq. Après parfois j'aime bien
parcourir tous les trucs quand je ne sais pas quoi regarder et
là ça peut prendre un quart d'heure.
(S) : Est-ce que tu trouves qu'il y a assez de programmes ?
(L) : Non pas encore. Je pense que ça va
s'améliorer mais pour l'instant... Par exemple, hier je
cherchais une comédie et j'ai rien trouvé de
très cool quoi ! Je trouve que l'offre des séries est
meilleure que celle des films, après par
catégories, je trouve que les thrillers et tout ce qui est un peu
suspens est mieux enrichi que tout si qui est un peu
comédie, comédie romantique et tout.
(S) : D'accord. Et est-ce que tu as déjà
ajouté un contenu à « Ma Liste ». Tu sais pour mettre
de côté
des programmes.
(L) : Non.
(S) : Est-ce que tu as déjà attribué une
étoile à un programme ? Tu sais où s'est ?
(L) : Non mais oui c'est là je sais. Par contre je
regarde la note attribuée, le nombre d'étoiles que
possède les programmes.
(S) : Et tu as déjà lu les avis
rédigés par les autres utilisateurs.
(L) : Non, je ne savais pas que ça existait.
(S) : Du coup, tu sais que toi aussi tu peux le faire.
(L) : Ben j'imagine. (Elle regarde la fonctionnalité).
Ah d'accord, je n'avais jamais vu. Je n'avais jamais
cliqué là...sur « info ».
(S) : Pourquoi ?
(L) : Je n'avais jamais eu la curiosité de le faire
parce que tout ce que je regarde sur Netflix c'est plutôt
soit des choses dont j'ai déjà entendu parler
soit que moi j'avais envie de voir et qui m'intéressaient à
la base. Donc je ne vais pas chercher plus que ça.
(S) : Penses-tu que tu regardes plus d'épisodes depuis
que tu as Netflix.
(L) : Absolument. En général, je ne
m'arrête pas à un seul épisode mais j'en vois 2 ou 3
d'affilée.
(S) : Tu penses que ta consommation a augmentée ?
(L) : Non, pareil. Je regardais déjà beaucoup de
séries.
(S) : Est-ce que tu dirais que Netflix te guide un peu ? Est
un guide pour toi ?
(L) : (Hésite à dire oui). Oui parce que les
petites suggestions ça peut me donner des idées mais pas
plus que ça. Parce que je suis quelqu'un de
relativement cinéphile à la base, du coup je me fais mes
avis moi-même via d'autres trucs, tu vois... en lisant
des critiques, sur Allociné tout ça !
(S) : Que penses-tu des créations originales Netflix
par rapport aux autres séries ?
(L) : C'est bien mieux ! Enfin ça dépend des
quelles mais de ce que j'ai pu voir, elles sont vraiment
bien.
(S) : Dans quel sens ?
132
(L) : Je trouve que les séries, les scénarios
sont vraiment bien construits et puis esthétiquement c'est
toujours bien. En fait, ben globalement je trouve ça
mieux, après c'est peut être des goûts personnels.
Le seul film que j'ai vu d'eux, c'est Beast of No Nation mais
ce qu'ils produisent c'est à chaque fois du
contenu de qualité.
(S) : Et tu remarques les créations originales Netflix
sur la plateforme ?
(L) : Oui, il y a écrit Netflix dessus. Après
ils ne les poussent pas spécialement t en avant, elles sont
parmi les autres contenus de la plateforme.
(S) : Et pourquoi tu t'es abonné à Netflix ?
(L) : Parce qu'on m'a proposé d'avoir un profil et
franchement j'allais pas dire non surtout que c'est de
plus en plus dur d'accéder à des films en
téléchargement. C'est beaucoup plus pratique d'avoir
Netflix.
(S) : Et sinon tu sais ce qui a poussé ta mère
à prendre l'abonnement ?
(L) : Parce qu'elle n'arrivait pas à regarder des trucs
en streaming alors qu'elle aime bien regarder des
séries. Au début elle regardait en VOD avec
canal puis elle pris Netflix parce que ce n'était pas très
cher et qu'elle savait qu'il y avait deux ou trois
séries qu'elle regardait qui étaient dessus. Du coup elle
s'est dit je vais prendre ça.
(S) : Est-ce que tu suis Netflix sur Facebook.
(L) : Non je ne crois pas.
(S) : Est-ce que tu connais le site Spoilers by Netflix ?
(L) : Je ne crois pas. (Je montre). Oh quelle horreur «
spoil yourself » !
(S) : Est-ce que tu irais dessus ?
(L) : Ouais. Parce que c'est rigolo. Je ferai le test pour
savoir quel spoiler je suis.
(S) : Est-ce que tu irais dessus pour te faire spoiler ?
(L) : j'irai vite fait pour voir ce que c'est mais je ne sais
pas si j'irai au bout de la démarche parce que
je n'aime pas me faire spoiler. C'est horrible. Ça me
ferait chier si je suis une série et que je vais
dessus et que je me la fais spoiler.
(S) : Est-ce que tu connais le site Binge by Konbini ?
(L) : Non. (Je montre et j'explique). Ah c'est cool. J'irai
dessus car j'aime bien lire des critiques et des
trucs... Ah c'est que sur les séries là !
(S) : En gros, comment tu choisis les séries que tu
regardes ?
(L) : Parce qu'on m'en parle, parce que je lis des trucs
dessus... sur Facebook ou Télérama. J'aime
bien Télérama et sinon pour voir les films qui
sortent je vais sur Allociné.
(S) : Est-ce que tu regardes en français ou en anglais
?
(L) : En anglais sous titré quand même car je
n'ai pas envie de faire trop d'efforts quand même !
(S) : Et est-ce que tu as rapidement trouvé comment
changer la langue ?
(L) : Oui, c'est assez intuitif. Après j'ai un profil,
les gens interrogés seront tous comme ça je pense,
qui se débrouille bien sur ce genre de plateforme. Je
n'ai pas trop de problèmes.
(S) : Pourquoi ? Parce que tu regardais avant sur PopcornTime
?
(L) : Oui voilà. Et même avant je
téléchargeais beaucoup.
(S) : Bon une question qui n'est pas dans mon questionnaire
mais est ce que tu penses que ta mère
par exemple trouve la même facilité ou est-ce
qu'elle galère davantage ?
(L) : Ben c'est quand même assez facile mais ça
peut paraître obscur. Ma mère qui n'a jamais su
comment téléchargeais et qui ne comprend pas
Facebook par exemple... Pour changer la langue, elle
ne savait pas comment tu vois et elle m'a demandé de
lui montrer comment il fallait faire.
(S) : D'accord. Si tu devais citer quatre ou cinq choses que
tu aimes sur la plateforme.
(L) : J'aime bien l'esthétique : le visuel des
vignettes et le petit screenshot des épisodes...voilà, je
trouve ça sympa.
(S) : Tu utilises souvent la barre de recherche ?
(L) : Pas souvent mais ça m'arrive.
(S) : Et si tu devais me dire ce que tu aimes le moins.
(L) : Euh. Le fait que l'offre ne soit pas assez
diversifiée en terme de films mais bon ça, ça va venir.
Sinon je crois que c'est tout.
(S) : Et est-ce que tu sais qu'en regardant on récolte
tes donnés ?
(L) : Oui que tu es fliqué un peu. Enfin pas
fliqué mais qu'ils récoltent certaines informations. Oui je
sais, après moi j'ai un avis c'est que sur Netflix
ça ne me dérange pas. C'est une offre de vidéos et
quand on retient tes informations c'est pour la
navigation...Mais pour le reste genre Facebook quand
on te met des pubs tout ça, ça me gêne
plus.
(S) : Et si un jour tu retrouvais de la publicité sur
la plateforme, est-ce que ça te dérangerait ?
(L) : Ah oui, complétement. Je n'ai pas du tout
envie.
(S) : Ok. On a fini. Merci Léa.
(L) : Ben je t'en prie !
133
25 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec
Hugo Clery, 27 ans, Consultant en agence de communication
Discours spontané de Hugo devant l'interface :
Il y a un header, une espèce d'image d'accueil
super grosse qui incite au clic et à te dire « ah qu'est ce qu'il y
a de nouveau, quelles sont les séries du moment, c'est quoi les nouveaux
achats (achats de droits) ». Donc directement avant même de
scroller je regarde toujours ce qu'il y a en haut. Ben ensuite, j'ai
toujours mes séries à moi, celles que je suis en train de mater.
Donc ça, quand je sais ce que je veux mater, je vais direct dessus. Les
premières qui apparaissent, ce sont celles que je suis en train de mater
en ce moment. Comme j'en regarde pas mal, j'essaie à chaque fois de
m'adapter selon mon contexte, voir lesquelles je continue. Et après
quand je n'ai pas trop le temps, je regarde juste ce qu'il y a de nouveau.
Parce qu'en fait les deux ou trois premières catégories sur la
plateforme, c'est : ce qui est populaire en ce moment, les tendances on va
dire, et ce qui vient de sortir.
Là, donc, c'est vraiment un ou deux scrolls et
tu vois ce qu'il y a de nouveau sur la plateforme et je vais souvent là
car je sais qu'ils ont pas mal de trucs toutes les semaines. Après quand
j'ai des envies spécifiques, je regarde un peu plus en bas des
catégories, par exemple : films indépendants ou films de
science-fiction. Ou quand j'ai envie de voir des documentaires, je vais aller
dans la catégorie dédiée directement. Mais je fais
ça beaucoup moins souvent.
Sarra (S) : Sur quel support accédez-vous à la
plateforme le plus souvent ?
Hugo (H) : Le soir dans mon lit, je regarde sur ma Apple TV,
tout en navigant sur ma tablette.
(S) : Est-ce que tu utilises toujours ta tablette pour
naviguer ? Parce que j'ai remarqué que le service va davantage mettre en
avant des formats courts, lors d'une navigation sur tablette.
(H) : C'est vrai que je vois que j'ai souvent des
séries et surtout des séries humoristiques (comédies), des
épisodes de 20, 30 minutes quoi. D'ailleurs, c'est pour ça que je
regarde souvent sur ma tablette des séries au format court. Après
je ne me fie pas trop à la recommandation de Netflix pour me proposer
des trucs, car je sais déjà ce que je veux regarder. Même
si, parfois il me surprend mais souvent je sais ce que je veux regarder.
(S) : Donc, il arrive à te surprendre quand même
?
(H) : Oui, plus par les contenus qu'il a en «
nouveauté ». Les trucs qu'il a en « recommandé »
un peu moins : « Ah tiens, ce film je voulais le voir au cinéma et
ils l'ont, je vais le regarder ». Parce que j'aime beaucoup les films
d'auteurs et par exemple les blockbusters tu vas les trouver partout, sur
beaucoup de plateformes alors que les petits films indépendants, c'est
plus rare. C'est pour ça que le service me surprend. D'ailleurs, j'ai
remarqué que ces derniers temps ils mettaient le film «
comète » en avant (un film du réalisateur de la série
Mr Robot que tout le monde regarde en ce moment) et je me suis dit « Ah
ben tiens, ils la mettent dans la catégorie des tendances,
sûrement par ce qu'ils se sont dit que tout le monde regardait Mr Robot
en ce moment et que ces gens là auraient peut être envie de
regarder un autre truc du même réalisateur ».
(S) : Donc, pour récapituler : tu regardes sur ta Apple
TV, tout en navigant sur ta tablette mais il t'arrive de regarder directement
sur ta tablette. Est-ce que tu peux me dire quand est ce que tu regarde sur ta
tablette ?
(H) : Je regarde sur ma tablette le matin surtout. Le matin ou
pendant le goûter. Quand je suis dans la cuisine, je mange et je mets ma
tablette devant moi et je regarde mes épisodes. Mais c'est plutôt
des épisodes courts au final. Des comiques comme The Office
ou Parks and Recreation. Là, je regarde Master of None
de Netflix qui dure quand même 30 min mais ça reste un juste
milieu.
(S) : D'ailleurs en parlant de Master of None, tu
assimilerais ça à quel genre de série ?
(H) : Pour moi c'est un peu comme Louie. C'est un
humoriste qui a fait une série sur sa vie. C'est un peu entre
l'espèce de biographie et la comédie. Sauf que ce n'est pas une
comédie « grasse » mais c'est une comédie bien fait au
niveau de la réalisation et pour moi, c'est un genre « bâtard
» quoi ! Ce n'est pas The Office et ce n'est pas non un truc
autobiographique, drama. Une espèce de comédie
dramatique très autobiographique et très parodique. Voilà,
donc 30 minutes, c'est un peu le temps qu'il me faut pour prendre mon
petit-déjeuner. Et aussi je regardais sur ma tablette ou sur mon
ordinateur, des fois le soir dans mon lit avant que je ne possède une
télévision mais aussi maintenant quand j'ai la flemme de brancher
la télévision.
134
Mais au final, sur ma tablette je vais souvent regarder des
séries qui ne sont pas trop « visuelles ». C'est pour
ça que je regarde des comédies, parce que je sais que sur ma
tablette, ce n'est pas grave si je regarde The Office
là-dessus. Par contre, si je regarde du Sense8 ou du
Jessica Jones qui vient de sortir, je préfère regarder
ça sur la TV, car je sais que visuellement c'est un peu plus cool quoi.
La tablette est plutôt dédiée à la petite
consommation « snack » où j'ai besoin de regarder un
épisode rapidement.
(S) : Revenons à des questions un peu plus basique !
Est- ce que ça t'arrive d'utiliser la barre de recherche ?
(H) : Oui ! Par exemple, je voulais regarder Hunger
Games la dernière fois et je voulais savoir si les films
étaient sur Netflix. Et en fait, ils n'étaient pas sur le
catalogue américain, ils étaient disponibles que sur le catalogue
canadien. Donc, c'est pour voir si des contenus sont disponibles.
(S) : Et tu arrives à regarder sur le catalogue canadien
également ?
(H) : Oui, j'ai juste à changer sur le menu du site que
je t'ai montré tout à l'heure217. Après je ne
l'utilise pas très souvent, mais comme je sais qu'ils ont beaucoup de
films indépendants, ça me permet de voir rapidement si ils sont
disponibles et je suis souvent agréablement surpris.
(S) : Est- ce que tu accèdes à ton profil
directement ou est ce que ça t'arrive d'aller sur le profil de quelqu'un
d'autre ?
(H) : Je ne vais jamais sur le profil d'autres personnes. Et
je n'aimerais pas que quelqu'un regarde sur mon profil car ça me «
plomberait » mes recommandations.
(S) : Comment tu trouves la navigation sur la plateforme ?
Est-ce qu'elle te fait penser à d'autres plateformes ? Est-ce que tu la
trouves assez intuitive...
(H) : Moi, au début j'étais beaucoup sur
ordinateur. C'était un petit différent même si aujourd'hui
je trouve que l'expérience est plus ou moins unifiée sur les
différents supports. Je trouve la plateforme très visuel, on voit
les choses directement. Comme Beast of No Nation je le vois direct :
tous les gros films tu connais les affiches et donc tu les vois directement.
Ça reste assez minimaliste tout en étant hyper visuel. Donc au
niveau de l'esthétique, je trouve qu'ils ont fait un bon choix : c'est
de pas se faire chier avec une interface compliquée et de mettre en
avant simplement les films quoi !
Ce que j'aime bien aussi ce sont le « listes ». J'ai
aimé pouvoir ajouter des contenus à « Ma Liste ». C'est
un peu comme un petit fourre-tout, une « watch list » où je
mets les trucs qui me plaisent pour ne pas oublier de les regarder. D'ailleurs
quand je n'ai pas d'idée de ce que je veux voir, je vais sur « Ma
Liste ».
(S) : En fait, si j'ai bien compris. Quand tu navigues, tu
vois des contenus qui te plaisent et tu te dis « ah ben ça je le
regarderai bien un jour et tu le mets de côté sur ta liste »
?
(H) : Oui oui ! Même qu'un jour, j'ai pris une bonne
heure pour naviguer rien que pour ajouter des trucs à « Ma Liste
». Je n'ai rien regardé mais j'ai juste cherché des trucs
à mettre de côté. D'ailleurs, attends je vais te montrer.
J'utilise un truc qui s'appelle Morphlix, ça me montre ce qui
est disponible et sur quel catalogue. Après c'est super
spécifique comme usage mais en gros je vais sur des sites comme
ça et puis hop je vais sur Netflix. Je vais même d'abord chercher
là-dessus avant de chercher sur Netflix.
(S) : Est-ce que tu te rappelles de la première fois que
tu as créé ton profil ?
(H) : Oui !
(S) : On t'avait proposé de choisir des contenus pour
te créer un profil personnalisé. Alors, trouves-tu que ce qu'on
te propose correspond à ce que tu as renseigné ? Est-ce que les
sélections sont pertinentes ?
(H) : Oui ça allait, c'était pas des trucs
à mille lieux de mes goûts mais c'était des trucs que
j'avais déjà regardé.
(S) : D'ailleurs, comment tu trouves cette démarche ?
De demander à quelqu'un de renseigner ses goûts pour pouvoir lui
proposer quelque chose qui lui correspond.
(H) : Je trouve ça cool ! C'est comme ton pote qui te
demande « t'aimes quoi comme film ? ». C'est comme un premier
contact, comme si on faisait connaissance.
(S) : Ok, on parlait donc des catégories. J'aimerais
savoir ce que tu penses des catégories made by Netflix, par
exemple : « Ce qu'on a sélectionné pour vous », «
Les tendances actuelles », etc. ?
217 A la date de notre entretien, Hugo accédait aux
différents catalogues grâce à une solution VPN, le site :
unblock-us.com. Depuis mars 2016,
Netflix a entrepris des mesures pour bloquer les services VPN. Ainsi, Hugo et
autres adaptes du braconnage en France ne peuvent plus accéder au
catalogue international de Netflix. Source : site
engadget.com, « Netflix blocking
more proxies » [article disponible ici :
http://www.engadget.com/2016/02/29/netflix-blocking-more-proxies/],consulté
le 10 mars 2016
135
(H) : Alors moi ce qui m'interpelle dans ces
catégories, c'est qu'il y a beaucoup de Netflix dedans (comprendre les
créations originales Netflix). Toute façon c'est ponctuel pour
moi d'aller dans les catégories. Je regarde un peu pour voir ce qu'il y
a. Comme par exemple, It's Always Sunny in Philadelphia, c'est une
série qu'il me propose tout le temps et ça fait un milliard
d'années que je me dis qu'il faut que je la regarde. Et à force
de me la proposer, je pense qu'un jour je vais finir par la regarder ! Il te
martèle un peu les trucs quoi. Après il y a des séries
comme Grey's Anatomy, One Three Hill... ça je m'en fous. Je ne
regarderai jamais.
(S) : Ok. En parlant des catégories, on m'a dit dans un
autre entretien qu'on avait l'impression d'un catalogue au kilométrage,
qu'on pouvait défiler indéfiniment. Tu en penses quoi toi ?
(H) : Ben, je trouve qu'il y a beaucoup de
répétition. Et comme ils ont pleins de tags par film, ben tu as
des films qui vont se retrouver dans plusieurs catégories. L'autre fois
par exemple, je regardais et j'avais l'impression de tourner en rond car les
films se répétaient. Donc souvent, on a l'impression que c'est
exhaustif mais ça ne l'est pas tant que ça. Après, je
trouve que c'est exacerbé sur le catalogue français sur lequel je
ne vais jamais (à cause de la pauvreté du catalogue) mais dans
les autres catalogues, il y a quand même moyen de s'amuser.
(S) : Et sinon, avant de t'abonner à Netflix, tu
regardais où avant ?
(H) : Je téléchargeais et quand j'étais
chez mon père je regardais sur Canal. Je ne regarde pas en
streaming en raison de la qualité mai je
téléchargeais souvent.
(S) : Et si tu devais me dire en gros quels sont les plus et
les moins de Netflix pour toi par rapport à d'autres services.
(H) : Les plus de Netflix, je pense que c'est les contenus
originaux. Netflix fait quand même des trucs, très très
canons et qui sortent que sur Netflix d'abord. Et aussi l'interface (j'ai
testé Canalplay) aussi sur le niveau technique (la rapidité de la
diffusion), il n'y a pas de buffering et tout. Et c'est hyper
important la rapidité quand tu regardes (que ça ne bug pas). Les
moins par rapport à Canal, c'est la lecture hors ligne que n'a pas
Netflix, comme si tu téléchargeais un épisode sur ta
tablette quoi. Je trouve que c'est un truc cool, quand tu es dans les
transports en commun par exemple. Mais sinon, je pense que je ne n'irai jamais
sur Canal avec ce qu'ils ont actuellement à part s'ils font des deals de
fous et que le contenu s'améliore. Car le contenu disponible, c'est ce
qui est le plus important pour moi.
(S) : Est-ce que tu as déjà voté pour un
contenu ?
(H) : Oui ça m'arrive. Je regarde mais je ne note pas
forcément. Après j'ai remarqué des contenus que j'avais
visionné, des fois sans les finir qui continuent à revenir alors
je me suis dit que c'est peut être parce que je ne les avais pas
noté et du coup je note. Je me dis que ça peut les faire
disparaître ! (S) : Est-ce que tu te sens un peu obligé de voter
pour les contenus ou pas du tout ?
(H) : Ohh, tu leur rends bien quoi. Mais si tu le fais c'est
surtout pour profiter de leur algorithme quoi ! Je le fais peut être pas
assez souvent pour avoir des recommandations hyper précises, c'est pour
ça. Je regarde les trucs mais au final si je les note pas peut
être qu'il ne va pas savoir si j'ai aimé ou pas pour me proposer
des contenus plus pertinents. Au final, c'est un peu gagnant-gagnant : moi pour
avoir des contenus pertinents et eux pour améliorer l'algorithme et
connaître leurs utilisateurs.
(S) : Est-ce que tu as déjà rédigé
un avis ?
(H) : Non.
(S) : Est-ce que tu lis les avis rédigés par les
autres utilisateurs ?
(H) : Non. J'ai l'impression que les avis Netflix sont un peu
« hauts ». C'est à dire, que par rapport à mes
goûts à moi, j'ai l'impression que les contenus sont un peu
sur-notés. Des fois, je vois des trucs qui ne sont pas géniaux et
qui ont 4/5 par exemple. C'est pour cela que je ne me fie pas trop à la
notation sur Netlfix ni aux avis.
(S) : Est ce que tu penses que le fait de t'être
abonné à Netflix te pousse à consommer plus de contenus
qu'avant ?
(H) : Moi, ça va j'arrive à m'arrêter
après avoir regardé qu'un épisode, car en
général après j'ai envie de faire autre chose. Mais si la
série me tient vraiment en haleine, je peux enchaîner. Surtout,
quand il s'agit de nouvelles séries : Jessica Jones, par
exemple, dont l'intégralité de la saison a été mise
en ligne le weekend dernier, il y a comme une pression pour regarder. Car avec
Netflix, il n'y a plus de prescription pour le spoil.
(S) : C'est à dire ?
(H) : Genre Game of Thrones, c'est de semaine en
semaine et tout le monde est au même niveau mais avec Jessica Jones,
personne ne sait à quel épisode en sont les autres et
personne n'ose en parler et il n'y a plus d'événementialisation
de l'épisode ! Par contre, comme toute la saison est là,
ça m'incite à regarder plus rapidement par peur de ne me
faire spoiler.
(S) : Ok. Est-ce que tu penses donc que ta consommation a
augmenté ?
(H) : Ben au début, c'était plus les nouvelles
séries mais maintenant, il y a aussi tous les vieux trucs que j'ai
arrêté de regarder il y a longtemps ou que j'ai envie de revoir.
D'ailleurs Netflix pour moi, c'est plus pour rattraper ma culture ciné
et séries et pas pour arrêter le téléchargement.
136
(S) : Mais est ce que tu télécharges moins ?
(H) : Ben, oui je télécharge quand même
moins, car sur Netflix il y a plein de trucs anciens mais que j'ai envie de
voir. Comme The Office que je n'ai pas terminé et j'ai
maintenant 9 saisons sous la main à voir ! Sinon je continue à
télécharger les nouveaux épisodes de séries
actuelles que je suis.
(S) : Et est-ce que tu n'as pas cette impression de
volatilité du contenu. Comme tu ne l'as pas
téléchargé, peut être qu'il risque de
disparaître ?
(H) : C'est vrai que le fait que tous les mois il y a des
contenus qui partent et d'autres qui arrivent, c'est comme une espèce
d'épée de Damoclès. Tu te dis bon, je n'ai plus que
quelques jours pour regarder ça. Mais ça par contre, ils ne
communiquent pas trop dessus. Il y a la newsletter Netflix qui annonce les
contenus nouveaux, par contre pour les contenus qui partent, il faut vraiment
se renseigner et aller sur des sites un peu pointus comme Indiewire,
les sites de cinéma et d'actualité, qui font de plus en plus de
trucs sur les séries. Et ces sites mettent souvent même la date
quand le contenu va être supprimé. J'imagine que ce sont des
informations que Netflix partage avec les journalistes. Du coup, oui il y a une
espèce de pression à regarder surtout les petits films d'auteurs
qui ont susceptibles d'attirer peu de monde et donc être supprimés
plus rapidement !
(S) : Est- ce que tu dirais que Netflix est un guide dans tes
choix ?
(H) : Plus ou moins. Moi je me fais ma petite liste et en
général je sais ce que je vais regarder mais il me guide
indirectement en mettant en avant les contenus. Ça me rappelle donc de
les regarder « Ahh oui faut que je regardes ça ». C'est comme
s'il savait un peu ce que j'ai dans le coin de ma tête et qu'il me le
rappelle !
(S) : Qu'est ce que tu penses des créations originales
Netflix ? Est-ce qu'elles sont différentes des autres séries ? Tu
m'as parlé tout à l'heure d'un genre bâtard quand on a
évoqué Master of None, par exemple.
(H) : Oui comme Orange is the New Black aussi. Au début
on a l'impression que c'est une comédie, puis ça vire vers le
drama. Je pense que comme ils n'ont pas cette obligation de coller aux
attentes des producteurs, ben ils font un peu ce qu'ils veulent. Ils ne font
même pas de pilote quoi ! C'est comme HBO en fait, la
créativité en premier. Ils laissent un peu libre cours à
l'imagination et à la créativité des gens qu'ils engagent.
J'ai aussi remarqué que, comme ils n'ont pas de pilote, ben la saison et
plus homogène. On ressent moins, ce premier épisode qui fait un
gros boum et puis les autres qui sont un peu mous. J'ai l'impression que c'est
plus des longs films de 13 épisodes. Ils prennent leur temps ! J'ai vu
Bloodline par exemple et j'ai l'impression que toute la première saison
ben c'est un pilote. Comme si pendant ces 13 premiers épisodes, on
t'avait juste raconté l'introduction du truc. Ce n'est pas souvent qu'on
peut se permettre ça, surtout quand on dépend des publicitaires.
(S) : La question qui résume tout : pourquoi t'es-tu abonné
à Netflix ?
(H) : J'aime l'aura de la marque. On sent que ce sont des gens
qui aiment les séries et les films qui font ça. Et aussi par
éthique. J'aime bien me dire que je paie et que je suis dans la
légalité. Et surtout la praticité du service. Sur les
plateformes illégales, il faut télécharger ton
épisode de Fargo par exemple, télécharger les bons
sous-titres, mettre le fichier sous-titre au nom du mkv pour en suite le
balancer sur ton lecteur VLC. C'est beaucoup plus facile de lancer Netflix et
de faire « paf » et regarder ! En gros, c'est avoir des séries
quand je veux et ne pas se faire chier !
(S) : Est-ce que tu suis Netflix sur Facebook ou autre
réseaux social ?
(H) : Oui. Pas pour voir ce qu'ils ont de disponible mais pour
voir comment ils en parlent ! Ils ont souvent de belles créations et un
esprit assez « fan » et c'est assez divertissant. Comme par exemple
quand ils font allusion à des trucs qui parlent aux cinéphiles et
aux sériephiles.
(S) : Est-ce que tu connais le site spoilers by Netlfix ?
(H) : Oui mais vaguement.
(S) : Je demande à mettre le site
(H) : J'avais vu ce truc mais je me suis dit NON, car je ne
veux pas me faire spoiler ! Moi, je suis un peu autiste et un nazi
du spoil, même au cinéma, je n'aime pas regarder les
bandes annonces ! Mais aujourd'hui, il y a une pression sociale du spoil et si
tu ne veux pas te faire spoiler et ben il faut être à jour. C'est
pour ça que j'essaie de regarder rapidement.
(S) : Est-ce que tu connais le site Binge by Konbini ?
(H) : Oui je connais mais je n'y vais pas souvent. Mais comme
ils font appel à des journalistes externes, c'est un peu inconsistant.
Même si parfois on peut tomber sur des articles vraiment
intéressants. Mais la démarche est bonne Binge, à
direction des bingewatchers, c'est d'actualité quoi ! (S) : Je sais
qu'on en a déjà parlé mais si je demandais de me citer en
gros ce que tu aimes le plus sur la plateforme ?
(H) : Alors ce que j'aime. En priorité le
streaming qui est hyper performant, la HD qui arrive en 3 secondes et la
rapidité quoi, tu as juste à faire tac tac pour regarder
(comprendre qu'il n'y a pas beaucoup d'actions à effectuer pour
accéder au contenu souhaité).
(S) : Et les moins ?
137
(H) : En France, c'est le catalogue que je trouve très
pauvre, après bon c'est la législation. Et aussi ils n'ont pas
beaucoup d'épisodes en ligne le lendemain de la diffusion originale, pas
dans toutes les séries en tout cas. Sinon, les trucs qui se
répètent comme on a dit. Tu as vraiment qu'il veut te mettre en
avant la nouveauté et les trucs que tout le monde regarde. Alors que moi
je veux qu'on me propose des trucs inattendus, qui me surprennent... pas
forcément que tout le monde regarde.
(S) : On a parlé tout à l'heure du fait que
Netflix utilise les données de navigation pour proposer du contenu
pertinent. Donc tu es au courant qu'on récolte tes données ?
(H) : Ahh oui !
(S) : Et ça ne te dérange pas ?
(H) : Oh non ! Moi j'utilise Google partout et si ça me
dérangeait, je pense que je devrais flipper en ce moment même !
Après c'est un peu une économie du partage. Tout le monde
participe à ce qu'on ait du contenu pertinent. Après je pense que
leur but, c'est d'abord de faire de bonnes séries et me proposer une
offre optimale et pas de revendre mon numéro de sécurité
sociale. Donc, ça ne me dérange pas, je veux juste regarder de
bonnes séries moi !
(S) : Est-ce que ça te dérangerait qu'il y ait de
la publicité sur la plateforme ?
(H) : Oui ça me dérangerait car je paie
déjà. Si un truc venait à surgir en plein milieu de mon
épisode, ça me dérangerait oui. C'est un peu espace
personnel. Comme mon Snapchat.
(S) : Dernière question. Si je te demandais d'associer
Netlfix à des mots ou à des phrases spontanément, tu
dirais quoi ?
(H) : S'affaler, le canapé, chiller et aussi mobile
dans le sens « ton Netflix est partout ». Je peux mater mon
épisode chez moi et aller chez mon père pour le continuer.
26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec
Amine Aihi, 28 ans, contrôleur de gestion
(Sarra) : Sur quel support accèdes-tu à Netflix
?
(Amine) : Sur une TV connectée. L'application était
déjà installée
(S) : Est-ce qu'il t'arrives de regarder sur un autre support que
la TV ?
(A) : Sur mon ordinateur, de temps en temps. Quand je ne suis pas
chez moi. Souvent quand je suis
chez ma copine.
(S) : Tu vas généralement sur ton profil ?
(A) : Oui je vais sur mon profil mais ça dépend de
la série.
(S) : Comment ça ?
(A) : Si c'est une série que je regarde avec ma copine sur
mon profil et qu'on veut reprendre un
épisode, on va le faire sur son profil
(S) : Là, tu accèdes à ton profil. Comment
tu trouves la navigation ? La plateforme ?
(A) : Je trouve la plateforme ergonomique.
(S) : C'est à dire ?
(A) : C'est à dire qu'on va te proposer des choses qui
correspondent à ta navigation habituelle.
(S) : Comment tu le sais ?
(A) : C'est sur la base de mon historique, de ce que j'ai
regardé.
(S) : Et la présentation ? Les programmes ?
(A) : C'est organisé, par thèmes : séries,
films, documentaires. Tu trouves facilement ce que tu
cherches et même si tu ne cherches pas vraiment un
programme en particulier, tu arrives à trouver un
programme qui te correspond parmi la sélection
proposée.
(S) : Donc tu trouves que la sélection faite pour toi
correspond à ton profil ?
(A) : Globalement oui.
(S) : Ok. Est-ce que la plateforme te rappelle une autre
plateforme sur laquelle tu regardais avant que
tu ne t'abonnes à Netflix. Est-ce que pour toi ce service
est vraiment nouveau ou est ce qu'il te
rappelle quelque chose ?
(A) : C'est vraiment nouveau pour moi. Et je pense que si
j'utilisais une tablette, ça serait encore plus
simple en terme de navigation.
(S) : Pourquoi ?
(A) : Parce que naviguer avec le doigt serait encore plus facile.
Je pense que c'est conçu pour le
tactile aussi.
(S) : Est-ce que tu te rappelles avoir installé quelque
chose pour pouvoir visionner ? Ou dès que tu
t'es abonné tu es allé directement sur
l'application Netflix qui était déjà installé sur
ta TV ?
138
(A) : La première que j'ai regardé
c'était sur ma TV. Donc l'application était déjà
installée et j'ai juste
eu à créer mon profil et renseigner mes
coordonnées pour l'abonnement et j'ai commencé à
l'utiliser
directement.
(S) : Et sur ton ordinateur aussi ?
(A) : Pareil je crois.
(S) : Ok. Maintenant qu'on a un peu naviguer sur la
plateforme. On va parler un peu des différentes
catégories proposées par Netflix. La
sélection pour Amine, les tendances actuelles, les ajouts
récents,
les émissions TV, les séries US, parce que vous
avez regardé, les nouveautés, etc. Que penses-tu de
toutes ces catégories ?
(A) : Je trouve qu'il y a un peu de redondance et qu'il y a
moyen de fusionner certaines catégories.
(S) : C'est à dire ?
(A) : Ben je ne vois la différence entre « Notre
sélection pour Amine » et « Parce que vous avez
regardé ». Je ne comprends pas la
différence entre les deux. Aussi, il faut que je défile
jusqu'à 5
catégories vers le bas avant de tomber sur «
Reprendre avec le profil de Amine ». Et j'ai l'impression
que c'est pour pousser leur contenu alors que moi ça
m'irait plus que cette catégorie soit en premier
et que je n'ai pas à trop défiler.
(S) : Combien de temps passes-tu sur la plateforme avant de
choisir un contenu ?
(A) : Je dirai moins de 5 minutes.
(S) : Est- ce qu'en général tu sais
déjà ce que tu vas regarder ?
(A) : Souvent oui. Je vais aller reprendre lecture de
programmes que j'avais déjà commencé à
regarder.
(S) : Est-ce que tu penses qu'il y a suffisamment de
programmes sur la plateforme ?
(A) : Oui et c'est très varié je trouve.
(S) : Est-ce que tu as déjà cherché un
programme sur la barre de recherche ?
(A) : Rarement. Je me fie plus à ce qu'il me
présente et c'est peut être aussi parce qu'on n'a pas une
vue d'ensemble sur le contenu disponible sur Netflix.
(S) : Avant de t'abonner sur Netflix, où regardais-tu
tes séries, tes films ?
(A) : En streaming sur mon ordinateur.
(S) : Et si tu devais comparer Netflix et un site de streaming
? Que dirais-tu ? Est-ce que Netflix te
rapporte des choses en plus ?
(A) : C'est plus pratique, facile à utiliser.
Même si on n'a pas le même contenu : en streaming tu peux
trouver les derniers épisodes de n'importe quelle
série. Mais le fait que ce soit tellement pratique, ça
compense. Et c'est sur la TV, plus besoin de brancher l'ordi
pour regarder aussi. C'est pratique.
(S) : Est-ce que tu as déjà ajouté un
contenu à « Ma Liste ». Tu savais qu'on pouvait ajouter des
contenus sur une liste ?
(A) : Ah ça je savais pas. (Montrer la
fonctionnalité).
(S) : Maintenant que tu sais que tu peux ajouter des contenus
à une liste, est ce que ça
t'intéresserait ?
(A) : Oui ça peut aider. C'est comme une liste de
favoris dans laquelle tu vas mettre les contenus qui
te plaisent.
(S) Et pour l'attribution des étoiles. Tu as
déjà voté pour un contenu ?
(A) : Je viens de voir qu'on pouvait faire ça avec toi.
Mais non je ne savais qu'on avait la possibilité
d'évaluer un programme.
(S) : Alors le nombre d'étoiles que tu vois ici, ce
sont les utilisateurs Netflix qui l'ont attribué à ce
programme. Maintenant que tu sais qu'on peut faire ça,
tu vas commencer à le faire aussi ou tu ne
vois pas l'intérêt ?
(A) : Absolument !
(S) : Pourquoi ?
(A) : Parce que je donne mon avis sur le programme et
ça va aider d'autres utilisateurs à savoir
comment c'est.
(S) : Est-ce que tu dirais que c'est un peu comme un devoir
envers les autres ?
(A) : C'est ça, envers la communauté Netflix
!
(S) : Ok. Est- ce que tu as déjà
rédigé un avis sur un contenu ?
(A) : Non. Parce qu'on peut faire ça aussi ?
(S) : Oui. (J'essaie de montrer la fonctionnalité mais
nous nous rendons compte qu'elle n'existe pas
sur TV et qu'elle n'est disponible que sur ordinateur et sur
tablette car ces supports disposent d'un
clavier qui permet de rédiger).
(S) : Est-ce que tu penses que Netflix t'encourage à
consommer plus d'épisodes ?
(A) : Oui. Surtout quand tu regardes une série qui te
plait, tu vas avoir tendance à enchaîner les
épisodes. En plus le lecteur lance l'épisode
d'après directement, alors !
(S) : Est-ce que tu penses que Netlfix accompagne un peu tes
choix à travers les sélections qu'il
propose ?
139
(A) : Oui ça peut influencer mes choix.
(S) : Qu'est-ce que tu penses des créations originales
Netflix ? Tu arrives à les identifier sur la
plateforme ?
(A) : Oui on ne peut pas se tromper. Il y a le logo Netflix
dessus pour les distinguer des autres.
(S) : Et au niveau de la série Netlfix en
elle-même ? Est-ce que tu trouves qu'il y a des différences,
des particularités ?
(A) : Pas spécialement. Mais je trouve que ces
créations ne sont pas mal du tout. J'ai vu Narcos et
Marco Polo jusqu'à présent et elles sont
vraiment bien. Surtout qu'au début quand j'ai su que c'était
des créations originales, j'avais un apriori.
(S) : C'est à dire ?
(A) : Sur la qualité. Je m'attendais à ce que ce
soit un peu en dessous de la moyenne mais j'étais
agréablement surpris.
(S) : Pourquoi t'être abonné à Netlfix
?
(A) : Pour ne plus avoir à télécharger
des séries.
(S) : Question de légalité ?
(A) : Plutôt par praticité.
(S) : Est ce que tu suis Netflix sur Facebook ?
(A) : Oui pour avoir les dernières nouvelles sur les
séries mais aussi sur les événements organisés
même si jusqu'à présent je n'ai pas encore
pu assister à l'un de leurs événements.
(S) : Et leur avis sur les séries t'intéresse
?
(A) : Oui car je crois que ce qu'ils disent reflètent
l'avis des utilisateurs de la plateforme.
(S) : Est-ce que tu connais le site Spoilers by Netflix ?
(A) : Non. (Montrer le site).
(S) : Que penses-tu de ce genre de site ?
(A) : Je ne suis pas contre ce genre mais moi je ne spoile
pas.
(S) : Et ça t'embêterait que quelqu'un te spoile
la fin de ton épisode ?
(A) : Pas forcément, parfois ça peut être
marrant !
(S) : Est-ce que tu continues Binge by Konbini ?
(A) : Non. (Montrer le site).
(S) : Pour avoir un avis sur les dernières
séries, tu irais sur ce site ?
(A) : Oui je pense que j'irai.
(S) : Revenons à la plateforme. Lors de tes
premières utilisations, tu as trouvé facilement comment
changer de langue.
(A) : Oui, c'est très intuitif.
(S) : Et pour terminer. Si je te dis en gros de me citer 4 ou
5 trucs que tu aimes sur la plateforme.
(A) : Euhh. L'ergonomie, la praticité.
(S) : Les moins ?
(A) : Les petites différences entre les interfaces,
télévision et ordinateur. Le fait de ne pas pouvoir
rédiger d'avis. Et moi, j'aimerais aussi avoir un
catalogue par ordre alphabétique pour avoir une vue
d'ensemble sur l'ensemble du contenu.
(S) : Et sinon, es-tu au courant qu'on récolte tes
données de navigation ?
(A) : Oui ça ne m'étonne pas.
(S) : Et ça ne te dérange pas ?
(A) : Non pas spécialement. Tout le monde le fait de
nos jours. Et surtout si ça aide Netflix à mieux
cibler le contenu qu'il me propose tant mieux.
(S) : Et s'il y avait de la publicité sur la
plateforme, ça te dérangerait ?
(A) : Oui. Ça me rappellerait les sites de streaming
(S) : Dernière question. Si je te dis d'associer
Netflix à des mots, des phrases...spontanément tu
dirais quoi ?
(A) : Originalité, séries TV. Pour moi Netflix
au début c'était les séries. D'ailleurs je ne m'attendais
à
trouver tout ça sur la plateforme. Et US aussi.
(S) : Ok. Quelque chose à ajouter peut être ?
(A) : Non.
140
26 novembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation avec
Julien Santucci, 27 ans, responsable stratégie digitale
Discours spontané de Julien devant l'interface
:
Quand je vais dessus, sur la Home. Je trouve
ça un peu trop fouillis en fait. J'ai toujours du mal à m'y
retrouver... dans les séries que je suis actuellement, genre les
dernières séries que j'ai regardé, je ne les retrouve pas
forcement en premier à chaque fois. J'ai l'impression que c'est toujours
mélangé. Si je regarde un épisode de Fargo par
exemple et que je reviens après. La série ne va pas
forcément apparaître en premier. Il sera dans la liste mais pas en
premier.
Il y a aussi cette grosse bande ici (le header) de promo qui
finalement ne sert à rien quoi. Parce que ce n'est pas vraiment ce que
je recherche. Ensuite, je trouve qu'en fait, j'ai vraiment du mal à m'y
retrouver au départ. C'est la première impression quand j'arrive
sur la plateforme.
(Sarra) : Sur quel support à accèdes-tu à
Netflix le plus souvent ?
(Julien) : Le plus souvent c'est sur mon Macbook.
(S) : Tu as déjà regardé sur un autre
support ?
(J) : Oui sur mon Ipad.
(S) : Tu trouves qu'il y a une différence dans la
sélection proposée quand tu changes de support ?
(J) : Pour le coup sur Ipad, je le trouve plus intuitif. Mais
comme l'écran est plus petit je l'utilise moins.
(S) : Comment ça plus intuitif ?
(J) : C'est con mais comme c'est avec le doigt, je trouve
ça plus facile et je navigue mieux.
(S) : Tu accèdes au service sur ton propre profil ou sur
celui de quelqu'un d'autre ?
(J) : Sur le mien.
(S) : Par rapport à la plateforme, tu m'as dit tout
à l'heure que tu l'as trouvé un peu fouillis. Mais est ce
que ça te rappelle une autre plateforme ?
(J) : Ben en fait Popcorn Time s'est inspiré de Netflix
mais pour le coup je trouve Popcorn Time plus
simple.
(S) : Pourquoi ?
(J) : Ben parce que déjà de bas c'était
trié par les contenus les plus récents. Donc c'était
mieux
hiérarchisé. Pas forcément de
recommandation. Le tri de base était fait par le plus récent. Et
en fait,
c'est tout con mais moi je trouve ça mieux car je vais
plus avoir tendance à regarder les nouveautés.
Parce qu'en général ce que Netflix me recommande,
c'est des trucs que j'ai déjà vus en fait.
(S) : Et à part PopcornTime ?
(J) : Euh non. Je n'en utilise pas des masses aussi !
(S) : ça marche ! Est-ce que tu te souviens avoir
installé une application avant de pouvoir visionner ?
(J) : Genre Flash ou quoi ? Non !
(S) : Est-ce que tu te souviens de la première
étape après ton abonnement quand on te demande de
renseigner trois contenus que tu aimes pour créer ton
profil ?
(J) : Oui mais je m'en souviens pas très bien.
(S) : Si tu t'en souviens un peu. Est-ce que par rapport aux
choix renseignés, tu trouves la sélection
pertinente ?
(J) : Oui je crois. Je me souviens au départ, à la
création de mon profil, il y avait que des trucs que
j'aimais. Dans ce sens je trouve leurs recommandations assez
pertinentes.
(S) : Qu'est ce tu penses des différentes
catégories proposées par Netflix ?
(J) : Ben c'est ça que je trouve fouillis en fait.
(S) : Si j'ai bien compris. En fait ce que tu rapproches à
ces catégories c'est qu'elles ne soient pas
assez basiques. Celles qui apparaissent en premier. Toi tu
aimerais trouver des catégories claires et
basiques comme action, romance, comédie, séries
US... en haut plutôt que tout en bas. C'est ça ?
(J) : Exactement. C'est peut être le côté trop
personnalisé qui me dérange.
(S) : Combien de temps mets-tu à choisir un programme ? Ou
est-ce que tu sais à l'avance e en
général ce que tu vas regarder ?
(J) : Je sais en général ce que je vais regarder.
Donc c'est assez rapide. Et justement si je veux aller
en mode sérendipité pour choisir un truc, je mets
beaucoup trop de temps et je finis par rien choisir.
(S) : Donc finalement tu reviens à des trucs que toi tu
choisis ?
(J) : Oui oui.
(S) : Est-ce qu'il t'arrive d'utiliser la barre de recherche pour
choisir un programme ?
(J) : Oui ça m'est arrivé mais je n'ai pas
trouvé ce que je cherchais.
(S) : Donc c'était pour voir si c'était sur le
catalogue ?
(J) : Oui.
(S) : Est-ce que tu l'utilises souvent cette barre de recherche
?
141
(J) : Ben du coup non !
(S) : Avant de t'abonner à Netflix, où regardais-tu
tes séries et tes films avant ?
(J) : j'étais abonné à OCS et les internets
!
(S) : C'est à dire ? Tu télécharges ?
(J) : Exactement ! Pas de streaming, je
télécharge.
(S) : Pour résumer rapidement. Si tu devais me dire les
plus et les moins de la plateforme. On va commencer par les plus. Par rapport
à une autre plateforme de streaming qu'elle soit légale ou
illégale.
(J) : Le vrai gros avantage sur Netflix c'est le fait de
pouvoir mettre en pause, de reprendre là où tu as mis en pause.
De regarder sur un autre écran après. Par exemple, pour Narcos,
que j'ai regardé vraiment en fractionné, c'était super
utile quoi ! C'est pratique. Tu commences à regarder sur ton ordinateur
et puis faut que tu fasses de la cuisine ou je ne sais pas quoi et tu regardes
sur Ipad tranquille.
(S) : Et les moins du coup ? On a parlé de cette histoire
de catégories...
(J) : Ben les catégories du coup oui. Et aussi moi j'ai
envie d'avoir des trucs un peu plus récents, un plus américain,
chose que je n'ai pas forcément.
(S) : Est-ce que ça t'arrive d'ajouter des contenus
à « Ma Liste » ?
(J) : Oui.
(S) : A quelle occasion du fais ça ?
(J) : Dans « Ma Liste » je mets les
nouveautés Netflix pour les mettre de côté au cas
où. Sinon c'est des trucs que je vois passer dans les recommandations.
Ça peut être des séries que j'ai déjà vu
comme Twin Peaks et je me dis « Ah ben tiens ça pourrait être
marrant de la re-mater ».
(S) : Est-ce que tu as déjà voté pour un
contenu ? Attribué une étoile ?
(J) : Non. Je ne le fais jamais. Parce que moi je suis
quelqu'un qui n'aime pas laisser de traces. Même sur Facebook je ne like
jamais et sur Spotify j'écoute en privé.
(S) : Est-ce que tu penses que Netflix t'encourage à
consommer plus de contenus ?
(J) : Oui quand même. J'en consommais déjà
beaucoup mais maintenant je pense un peu plus et je passe aussi plus par
Netlfix.
(S) : Et pourquoi tu crois ?
(J) : Ben la facilité. Il y a des séries qui
sont là devant toi disponibles sur Netflix et que je vais regarder. Je
ne les aurais pas regardé sans ça quoi. Je sais que je vais
commencer Jessica Jones ou Daredevil mais c'est des séries que je
n'aurais pas regardé si elles n'étaient pas disponibles.
(S) : On peut dire que Netflix met en avant du contenu que tu
ne serais pas allé chercher naturellement et que du coup tu consommes
des choses que tu n'aurais pas consommé par toi même.
(J) : Et oui le fait que les épisodes se
déclenchent l'un après l'autre, c'est aussi une
facilité.
(S) : Est-ce que tu pourrais dire que Netflix te guide un peu
dans tes choix ou t'accompagne ?
(J) Un guide non. Toute façon moi les séries que
je choisis de voir, je les cherche ailleurs : sur Twitter ou je vais voir les
avis sur des sites spécialisés. Voilà, donc mes choix se
font plus en fonction de ça qu'à travers la plateforme
elle-même. Quand je regarde une série c'est plus parce que j'ai lu
des critiques ou des avis de journalistes, Télérama des trucs
comme ça...
(S) : Donc par exemple la catégorie « tendances
actuelles », ça te parle ?
(J) : Ben pour moi ce n'est pas vraiment représentatif des
tendances, je ne vais pas trop me fier à ça. (S) : Que penses-tu
des créations originales Netflix ?
(J) : En fait je trouve que c'est assez diversifié.
House of Cards, ce n'est pas Daredevil. Je ne vois pas vraiment de
différence avec d'autres bonnes séries. C'est dans la mouvance
des productions du câble on va dire.
(S) : Et si je te disais d'associer la marque Netflix à
des mots, phrases. N'importe quoi qui te vient spontanément à
l'esprit !
(J) : Pratique. Pour la France quand même innovant.
Après aussi, ça correspond à une consommation que j'ai de
mon côté, que j'avais déjà bon. Bon je n'ai pas
attendu Netflix pour regarder mais c'est vrai que facilite la vie. Je sais que
pour House of Cards par exemple quand c'est sorti aux USA, j'avais une vraie
frustration car je devais télécharger chaque épisode
à part. Télécharger les sous-titres. Renommer les
différents fichiers, alors qu'aux USA, ils avaient Netflix !
(S) : Et pourquoi tu as décidé de t'abonner ?
(J) : Ben pour la praticité et aussi j'ai un peu vu les
séries disponibles sur le catalogue américain. A part HOC, j'ai
vu qu'ils avaient en exclusivité la série Arrested
Development qui est pour moi la meilleure série comique de tous les
temps.
(S) : Tu la trouvais pas en téléchargement sur
Internet ?
(J) : tu la trouvais mais pour le coup en France pour la
télécharger c'était galère et trouver les sous
titres surtout c'était galère car c'est pas forcément une
série qui est très suivie en France. C'était long de
trouver les bons sous-titres.
142
(S) : Donc c'est pour trouver des séries comme ça
que tu t'es abonné ?
(J) : Oui.
(S) : Et tu as retrouvé Arrested Development sur
le catalogue français ?
(J) : Oui.
(S) : Est- ce que tu suis Netflix sur les réseaux sociaux
?
(J) : Oui, pour le travail mais personnellement avant je ne les
suivais pas.
(S) : Est ce que tu connais le site
Spoilers.Netflix.com ?
(J) : Non. (Montrer le site).
(S) : Que penses-tu de cette démarche là, d'un site
dédié au spoiling ?
(J) : Je trouve ça assez drôle !
(S) : ça te dérange qu'on te spoile toi ?
(J) : oui ça me fait chier ouais !
(S) : Est-ce que tu penses que dévoiler toute une saison
d'un coup comme le fait Netflix encourage
les spoilers ?
(J) : Ah oui carrément. Non seulement ça encourage
les spoilers mais si tu n'as vraiment pas envie de
te faire spoiler, ça te force à bingewatcher
à fond ! Avec Netflix, le rapport au spoil à vraiment changer
quoi.
(S) : Est-ce que tu trouves que la plateforme est accessible
à différents profils ou que ceux qui sont
moins habitués à regarder sur le web trouveraient
des difficultés ?
(J) : Je pense que c'est accessible pour tout le monde
après mes je pense que mes parents ne
sauraient pas quoi regarder dessus. Ils vont arriver dessus, ils
vont voir plein de recommandations,
plein de séries mais je pense qu'en fait ils vont pas
avoir la curiosité de chercher ce qui leur plait. Ils
vont avoir trop de choix à ne pas savoir quoi faire !
(S) : Dernière question. Es-tu conscient que Netflix
récolte tes données ? Et est ce que ça te
dérange ?
(J) : Pas forcément. Ça ne me dérange pas du
moment que les contenus me plaisent. Après ça
dépend des données qu'on donne. C'est pour
ça que moi j'essaie d'en laisser le moins possible.
(S) : Et la pub sur la plateforme ça te dérangerait
?
(J) : Oui si je paie oui ça me dérangerait d'avoir
de la pub.
(S) : Quelque chose à ajouter ?
(J) : Pas forcément. J'espère que ça va te
servir !
07 décembre 2015 : Entretien d'auto-confrontation
avec Lola Aubert, 24 ans, chargée de communication multimédia
à la Cité internationale universitaire de
Paris
Discours spontané de Lola devant l'interface :
Quand j'accède à Netflix, je vais directement
accéder à la série que je suis en train de visionner en ce
moment. Je regarde toujours en VOSTFR (elle insiste sur le fait que les
paramètres choisis soient préenregistrés pour tous ses
visionnages. A la fin de l'épisode, je regarde
généralement l'heure, c'est une sorte de rituel pour moi de
toujours regarder l'heure quand je finis un épisode. Et je vois si j'ai
encore le temps d'en regarder un autre.
Sarra (S) : Sur quel support accédez-vous à la
plateforme le plus souvent ?
Lola (L) : J'y accède de deux manières
généralement :
- soit par le biais de ma Xbox One (avant c'était une PS3)
qui est branché à ma TV
- soit par le biais de mon PC que je branche en HDMI sur ma
TV. Cela me permet de regarder sur un écran plus grand.
(S) : Accéder vous à votre profil ou au profil de
quelqu'un de votre foyer ?
(L) : Je prends le profil de mon copain (à qui
appartient le compte). On se partage indifféremment ce profil. Je me
suis connectée quelquefois avec le profil « Kids » pour
regarder des contenus pour enfants (dessin-animés Disney ou My Little
Pony). Ceci pour éviter trop de recommandations « enfants »
sur le profil général (de mon copain).
(S) : Comment trouvez-vous la navigation sur la plateforme ?
Vous rappelle est une autre plateforme ? (L) : Elle ne me fait pas penser
à une plateforme en particulier, mais plutôt à des
catalogues « au kilomètre ». Je ne trouve pas ça
très pratique.
143
(S) : Avez-vous installé une application avant de pouvoir
visionner ?
(L) : Oui, sur Xbox, je me souviens d'avoir installer une
application
(S) : Suivant les choix que vous avez renseigné pour la
création de votre profil, pensez-vous que la sélection faite par
Netflix spécialement pour vous est pertinente ?
(L) : Je n'ai pas renseigné grand-chose dans mon
profil. Toutefois, les recommandations sont assez pertinentes.
(S) : Vous aimez les différentes catégories
proposées par Netflix ?
(L) Les catégories sont assez classiques finalement. On
retrouve ce type de catégories un peu partout (en virtuel et en
physique) : boutiques de location de films, magasins, sites marchands...
(S) : Combien de temps passez-vous sur la plateforme avant de
choisir un programme ?
(L) : Cela dépend beaucoup : souvent, je ne me pose pas
la question car je regarde une seule série à la fois (j'utilise
principalement Netflix pour les séries et non les films). Il est rare
que je ne sache pas quoi regarder ensuite (après avoir terminé
une série), sauf lorsque je ne trouve pas le programme sur Netflix. Dans
ce cas, je peux passer beaucoup de temps à chercher « l'inspiration
».
(S) : Pensez-vous qu'il y a suffisamment de programmes ?
(L) : Non seulement il n'y en a pas assez (qu'il s'agisse de
séries ou de longs-métrages), mais un des principaux
problèmes est la gestion des exclusivités : par exemple, Netflix
ne peut pas diffuser la série « House of Cards » (qui est
pourtant produite par Netflix !) car l'exclusivité de diffusion a
été achetée par une autre chaîne (Canal + je crois).
De plus, la législation française impose un délai de
diffusion (pour la VOD) pour les films notamment, ce qui provoque une
disponibilité retardée de plusieurs mois (36 mois ? je crois).
Cette législation vide complètement une plateforme telle que
Netflix de son essence même : c'est dommage car ce type d'acteurs (ces
plateformes) sont un bon moyen pour moi de lutter contre le
téléchargement illégal (auquel je m'adonne, justement
parce que les contenus que je souhaite visionner ne sont pas disponibles sur
des plateformes légales en France).
(S) : Avez-vous déjà recherché un
programme sur la barre de recherche ? Si oui l'utilisez-vous souvent ?
(L) : J'ai déjà utilisé le moteur de
recherche lorsque je souhaite trouver un contenu spécifique. Je ne
l'utilise pratiquement jamais car taper un mot-clef est très fastidieux,
notamment à travers l'application sur Xbox (les lettres sont à
sélectionner une à une du fait de l'absence de clavier (virtuel
ou physique). (S) : Avant de vous abonnez à Netflix, où
regardiez-vous vos séries, films ?
(L) : Je téléchargeais illégalement ou je
regardais (rarement) sur support DVD (je n'achète pas de DVD, mais on
m'en offre).
(S) : Quels sont les plus ou les moins de Netflix versus une
autre plateforme de streaming ?
(L) : Comme je suis principalement intéressée
par les séries (plutôt que les films) Netflix me convient bien
pour cela. L'avantage de Netflix est d'être une plateforme
indépendante (il n'y a pas besoin de l'acheter à travers un
« bouquet » de chaînes. Je n'ai pas beaucoup testé de
plateformes autres (du fait que je n'avais pas envie de payer pour tester et
que jusqu'ici, Netflix satisfait en partie à mes exigences niveau
catalogue).
(S) : Avez-vous déjà ajouté un contenu
à « Ma Liste » ?
(L) : Non.
(S) : Avez-vous déjà voté pour un contenu
(attribuer une étoile) ?
(L) : Non.
(S) : Avez-vous déjà rédigé un avis
sur un contenu ?
(L) : Non.
(S) : Avez-vous déjà lu les avis
rédigés par les autres utilisateurs ?
(L) : Non, j'ai seulement consulté les notes.
(S) : Pensez-vous que Netflix vous encourage à consommer
plus d'épisodes d'affilée ?
(L) : Je ne pense pas, seule l'heure avancée de la nuit
m'arrête. Netflix n'a pas changé ma manière de consommer
des contenus (je regarde souvent) de nombreux épisodes de séries
d'affilée.
(S) : Pensez-vous que votre consommation a augmenté ?
(L) : Non plus, pour les raisons que je viens
d'évoquer: j'étais déjà une grande consommatrice de
séries et je regardais déjà plusieurs épisodes
à la suite.
(S) : Diriez-vous que Netlfix est un guide pour vous ? Les
sélections Netflix déterminent-elles les séries et les
films que vous regardez ?
(L) : Pas vraiment. Il est vrai que j'ai parfois
cédé aux recommandations Netflix, mais j'ai bien souvent une
idée préconçue de ce que je souhaite regarder. Quand je ne
sais pas quoi regarder, il m'arrive de faire confiance à Netflix : mais
cela reste un usage marginal et j'ai été plusieurs fois
déçue.
(S) : Que pensez-vous des créations originales Netlfix
par rapport aux autres séries ? Y a t il quelque chose qui change ?
(L) : J'apprécie beaucoup les créations
originales Netflix. Ce qui change pour moi, c'est que Netflix, en tant que
producteur, devient une référence, un gage de qualité.
Alors qu'on a plutôt tendance à prendre le réalisateur - ou
certains acteurs - comme référence.
144
(S) : Pourquoi vous êtes vous abonné sur Netflix
?
(L) : Clairement par éthique. Je n'ai rien contre le
téléchargement illégal puisque je m'y adonne abondement.
Toutefois, je crois en le fait que les maillons créatifs de contenus
multimédias / audiovisuels doivent être
rémunéré. Néanmoins, pour moi, les modèles
classiques (cinéma, DVD...) sont dépassés. Les formats
(séries) ne sont pas tous adaptés au cinéma, les DVD
posent des contraintes et sont économiquement peu rentables pour les
consommateurs. J'ai donc envie d'encourager les solutions émergentes
telles que les plateformes VOD ou les plateformes comme Netflix.
(S) : Suivez vous Netflix sur Facebook ?
(L) : Non. Mais je suis très peu d'annonceurs ou de
marques sur Facebook, donc ce n'est pas très représentatif.
(S) : Connaissez vous le site Spoilers.Netflix ? Sinon montrer
(L) : Non, le nom me fait peur. J'ai la hantise du spoil.
(S) : Connaissez-vous Binge by Konbini ?
(L) : Oui. C'est pas mal mais pas toujours bien écrit
(S) : Comment choisissez-vous les séries que vous regardez
?
(L) : D'abord par recommandation / bouche à oreille
(amis, collègues). Ensuite par réputation (création
originale Netflix par exemple, ou qualité des acteurs / du
réalisateur).
(S) : Regardez-vous en français ou en anglais ?
(L) : Toujours en VOST : Anglais la plupart du temps, mais
aussi dans d'autres langues, comme le danois pour les séries danoises
que j'apprécie beaucoup, telles que The Bridge ou The Killing).
(S) : Avez-vous facilement trouvé comment changer de
langue ?
(L) : Oui, très facilement. C'est un emplacement assez
classique. Comme sur les plateformes vidéos telles que Youtube ou
Dailymotion ou comme sur mon interface box internet
Numéricâble.
(S) : En gros, qu'est ce que vous aimez sur la plateforme ? Citez
5
(L) : La navigation d'un épisode à l'autre, la
présentation d'une fiche contenu (fiche série par exemple), la
fluidité de la diffusion (mise en cache très rapide, même
pour de la HD), la conservation des paramètres
pré-enregistrés (langues...), la reprise simple et rapide de la
suite des contenus (visualisation en cours, suite d'une série...)
(S) : En gros, qu'est ce que vous aimez le moins sur la
plateforme ? Citez 5
(L) : Je n'apprécie pas qu'il n'y ait qu'une suite au
kilomètre de petites vignettes. J'aurais aimé la mise en avant
des contenus avec de grands visuels (seul le header utilise cela, et il n'est
pas très varié finalement). La navigation dans le catalogue : je
n'ai rien contre le scroll, mais j'ai l'impression de me perdre ou de me
recouper (paradoxalement) dans le catalogue. Je ne sais pas trop quoi faire
(tableau à double entrée avec navigation verticale ET
horizontale). Le problème de la disponibilité des contenus. Le
manque de contenus « bonus » : c'est dommage qu'on ne retrouve pas de
contenus « autour du film ». Le manque de contenus en ce qui concerne
les films ou documentaires.
(S) : Est-ce que cela t'embêterait de retrouver de la
publicité sur la plateforme ?
(L) : Oui !!! Non seulement Netflix est accessible uniquement
en version payante, sauf un mois d'essai gratuit, mais si on devait payer pour
voir des publicités, je pense que je ne payerais pas pour ça et
que je retournerais télécharger mes contenus illégaux. Ce
serait insupportable pour moi, déjà que la publicité
m'horripile partout ailleurs sur le web.
(S) : Cela te dérange-t-il que Netfllix récolte des
données de navigation et de visionnage ?
(L) : A priori, je n'ai jamais été contre qu'un
acteur récolte des données sur moi à la seule condition
que cela serve uniquement à améliorer ses services.
Le problème est que ces données ne sont pas
utilisées qu'à cela. Elles servent à dresser un profil
consommateur qui va bien au delà du marketing et qui sont intrusives
pour ma vie privée (par exemple, Netflix peut savoir si je sors le
weekend ou que je regarde des séries, peut donc déduire mon
emploi du temps etc). C'est le problème général des
plateformes récoltants de la data : où est la limite entre des
données collectées pour me satisfaire mieux en tant que
consommateur et des données collectées dans le but de dresser des
profils utilisateurs, ce qui est nuisible à la vie privée. Je
m'arrête là car la question des données personnelles des
consommateurs est vaste.
145
Questionnaire en ligne
Méthodologie du questionnaire administré en
ligne :
Dans le cadre de mon étude et pour comprendre les
raisons de la migration des publics sériephiles vers le web ainsi que la
popularisation de certaines pratiques comme le binge-watching et
le spoiling, nous avons administré un questionnaire en ligne en
direction de publics très éclatés : sur Facebook, à
travers le groupe Wanted Bon Plans218, et sur Twitter
où il a été retweeté par plusieurs comptes
notamment celui du publicitaire Mathieu Flaig qui compte 46 200 abonnés
à la date de notre étude219. Nous avons pu
récolter 402 réponses au questionnaire. Ces réponses nous
ont permis de confirmer nos présuppositions concernant ces publics. Il
est impoortant de noter que nous sommes conscient de la
non-représentativité de cet échantillon, pour cette raison
nous avons appuyé notre discours par une enquête de Olivier
Donnat, réalisée en 2008 sur les pratiques culturelles des
français220.
Construction du questionnaire :
Pour construire notre questionnaire, nous avons utilisé
Google Forms pour la simplicité de la méthode et la
possibilité de récolter les donner et de les analyser directement
sur les feuilles de calcul Google.
218 Wanted Bons Plans est un groupe Facebook d'entraide dont
l'objectif est de mutualiser les offres et les demandes de chacun. Le groupe
compte 178 000 membres. Les villes les plus représentées sont
Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille, Londres et New-York et la moyenne d'âge
se situe entre 25 et 30 ans.
219 Ce compte a été consulté le 21 janvier
2016.
220 DONNAT, Olivier, Enquête sur les pratiques culturelles
des Français, 2008 :
http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/08synthese.pdf
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Résumé des 402 réponses
collectées :
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![](L-impact-de-la-numerisation-sur-la-filiere-audiovisuelle-et-sur-les-pratiques-des-spectateurs-Le46.png)
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Résumé
La généralisation de l'Internet
haut-débit et la dématérialisation des contenus culturels
témoignent de bouleversements importants au sein des industries de la
culture et notamment au sein la filière audiovisuelle. Ce travail de
recherche s'intéresse en particulier à l'impact de la
numérisation sur la filière audiovisuelle et sur les pratiques
des spectateurs en proposant d'analyser le cas du service de streaming
Netflix et de son produit d'appel, les séries
télévisées. En se positionnant comme créateur et
diffuseur de contenus audiovisuels sur le web, Netflix intègre diverses
compétences et remonte la chaîne de valeur montrant que de
nouveaux modèles économiques sont possibles. Ainsi, il s'inscrit
dans une révolution des contenus audiovisuels (dont la consommation
devient davantage délinéarisée et différée)
à travers la mise en place d'un dispositif, inspiré des pratiques
de visionnage des sériephiles et adapté aux modes de consommation
actuelles. Cette révolution des contenus audiovisuels est
également portée par l'installation de modes production et de
diffusion inédits. N'étant pas soumis à des contraintes
comme celles que représentent les annonceurs et fort d'un algorithme de
recommandation qui lui permet de récolter les données de
navigation de ses utilisateurs et d'étudier leurs goûts et leurs
préférences, Netflix développe un modèle de
production en une fois, lançant la production de saisons entières
sans devoir passer par une validation préalable d'un épisode
pilote. Il met également en ligne instantanément des
entières, contribuant ainsi à ancrer encore plus des pratiques
plébiscitées par les sériephiles, comme le binge-watching.
La politique de ce créateur-diffuseur n'est pas sans impact sur les
contenus qu'il produit et notamment ses séries
télévisées originales qui revêtent des formats, des
structures narratives et des procédés scénaristiques
hybrides. Un impact qui remet en question plus que jamais l'appellation «
série télévisée ».
Mots-clés
Netflix, VOD, SVOD, Bing-watching, Spoil, streaming,
peer-to-peer drama, fiction, fan, sériephile, audiovisuel,
délinéaire, série, télévision, diffusion,
multi-écrans, hybridation, visionnage, cliffhanger,
différé
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