Accord-cadre d'Addis Abeba. Analyse de l'incidence sur la RDC six ans après.par Modeste Keta ibutshi Université Nationale Pédagogique - Licence 2018 |
III.1.3 Consolidation de l'autorité de l'ÉtatLe problème de la présence des groupes armés et la question de l'extension de l'autorité de l'État sur les provinces de l'Est du pays sont posés depuis plus de quinze ans. S'il est vrai que des progrès ont été enregistrés en matière de désarmement, notamment en Ituri entre 2003 et 2007, il existe encore aujourd'hui plus d'une trentaine de groupes armés71(*) actifs dans cette région de la RDC. La défaite militaire infligée au M-23, à la fin du mois d'octobre, ne signifie pas que ce dernier soit incapable de renaitre demain sous un autre sigle et ne garantit nullement que les autres groupes cessent leur harcèlement des populations et leurs attaques contre les FARDC. Financièrement adossés à l'exploitation illégale des ressources minérales, ces groupes généralement constitués sur des bases ethniques justifient leur existence et leurs actions par le droit de se défendre en l'absence de forces nationales de sécurité et au motif que les populations dont ils sont issus subissent injustices et agressions et sont souvent, de surcroît, chassées de leur terre. L'Accord-cadre d'Addis-Abeba, repris et complété par la résolution 2098 du Conseil de sécurité, propose une approche nouvelle du problème, à la fois régionale, nationale et locale, pour parvenir à une pacification durable. Mais les éléments constitutifs et structurants de ce modus operandi sont loin d'être tous opérationnels et efficaces. Au niveau régional, le « Mécanisme de vérification conjointe72(*) », installé en 2004, sous la pression américaine, pour prévenir et régler les problèmes d'agressions ou d'incursions frontalières entre la RDC, le Rwanda et l'Ouganda, a été réactivé, notamment par l'intégration de la MONUSCO dans le système de mise en commun des informations et des moyens logistiques de vérification. Toutefois, ce « Mécanisme » n'a pas, au cours de ses neuf années de fonctionnement, prouvé qu'il était capable d'empêcher l'Ouganda et le Rwanda de soutenir des rebellions hostiles à Kinshasa, ni de couper définitivement les liens existants entre les FARDC et le FDLR73(*). Au niveau national, la faillite, en 2007, de la CONADER74(*), organisme central chargé du désarmement et de la réinsertion des ex-combattants et miliciens, puis son remplacement par un organisme nouveau, aussi budgétivore, mais guère plus efficace, n'ont pas permis à l'Etat congolais de mener à son terme la réinsertion des 40 000 hommes déjà démobilisés et ont laissé inachevée la prise en charge des quelques 100 000 hommes engagés dans le processus de DDR75(*). Cantonnés dans des camps de fortune, transférés d'une région à une autre, et se sentant abandonnés de tous, un certain nombre de ces ex-combattants ont reconstitué leurs anciens groupes ou rejoint des milices encore actives, comme ce fut clairement le cas dans plusieurs régions du Sud-Kivu. Les nombreuses désertions survenues au cours de l'année 2012, l'échec de l'opération de désarmement du FRPI de Cobra Matata en Ituri, en 2013 et les difficultés rencontrées pour la démobilisation actuelle des combattants du M-2376(*), prouvent que le programme de DDR n'a toujours pas été remis correctement sur les rails. De même, l'ISSS et le STAREC, deux programmes mis en oeuvre après la Conférence de paix des Kivu de janvier 2008 et la signature, le 23 mars 2009, de l'Accord entre le gouvernement et le CNDP, n'ont visiblement pas produit les résultats escomptés enmatière de stabilisation des zones de conflit et de reconstruction des infrastructures sociales, malgré l'importance des sommes engagées. Il semble que la MONUSCO ait rapidement perdu le contrôle sur la gestion de ces programmes et qu'en l'absence d'un réel dialogue politique au niveau national, les initiatives en faveur de l'extension de l'autorité de l'Etat, financées par le STAREC notamment, aient le plus souvent été perçues comme favorisant le régime en place et aggravant l'emprise d'un Etat prédateur. L'absence d'autorités légitimes au niveau local, consécutive à la non-organisation des élections municipales et locales, en 2006, puis en 2011 et l'intense politisation de la société civile des Kivu, ont généralement empêché que les tentatives de dialogue et les projets de réinsertion communautaire, initiés de la base par les populations elles-mêmes, ne soient efficacement relayés et trouvent un début de mise en application. De nombreux observateurs sont d'avis que, face à la persistance de l'insécurité à l'Est, ce n'est pas la stratégie mise en oeuvre qui doit changer, mais bien la qualité de l'engagement de la communauté internationale. Sans le maintien d'une forte pression sur Kinshasa et Kigali par les principaux pays pourvoyeurs d'aide, sans une implication résolue de la MONUSCO dans un processus de résolution des conflits locaux basés sur un dialogue avec tous les groupes armés, sans la recherche de solutions équilibrées et transparentes au problème de l'exploitation des ressources minières avec les communautés locales, il y a peu de chances de voir disparaitre rapidement l'insécurité a l'Est du fleuve Congo. * 71 Jourdan, L. et Boloquy, M .« Le fait milicien dans les Kivu », Observatoire des Grands Lacs en Afrique, Note 5, juillet-aout 2012. * 72 Le mécanisme de vériication conjointe (Joint Veriication Mechanism - JVM) résulte d'un accord passé, en juin 2004, entre le Rwanda, l'Ouganda et la RDC sous les auspices américaines ; il consiste à déployer des équipes militaires mixtes de vériication ayant pour mission de surveiller la situation sécuritaire sur la frontière commune aux trois pays et de vériier les accusations réciproques d'intervention militaire directe ou de soutien aux groupes armés de la région. * 73 Forces démocratiques de Libération du Rwanda, groupe armé formé en 2000 par des Hutus rwandais réfugiés au Congo depuis le génocide de 1994. Accusé d'accueillir des « génocidaires » en son sein, il est oppose au régime instauré par le président Kagame. * 74 Commission nationale de désarmement et de réinsertion. La CONADER bénéiciait de très importants inancements (200 millions de $), principalement de la Banque Mondiale et de la Commission européenne. * 75 Désarmement, démobilisation, réinsertion. * 76 Interview du colonel Tafani, responsable DDR de la MONUSCO, 22 aout 2013. |
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