Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?par François De Block Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019 |
3.2.2 Une initiative circonscrite à des bailleurs européens et bailleurs multilatérauxtraditionnelsUne première remarque que l'on peut faire à la vue de la composition de l'Alliance Sahel est qu'elle est pour le moment circonscrite aux bailleurs d'Europe de l'Ouest, à l'Union Européenne et aux institutions internationales traditionnelles chargées de la promotion du développement (PNUD, BM, Banques régionales de développement). Les efforts en faveur de la coordination des initiatives de développement au Sahel reflètent surtout la volonté des européens de rapprocher leurs modes d'interventions à défaut d'une politique européenne de développement suffisamment efficace et unifiée au Sahel. Deuxièmement, la présence exclusive des bailleurs d'Europe occidentale dans l'Alliance Sahel peut-être interprétée comme la manifestation des intérêts européens à réduire les flux d'immigrations à destination des pays de l'Ouest. L'Alliance Sahel sert à ce titre de vecteur d'harmonisation des politiques européennes de coopération pour endiguer les flux migratoires vers le continent. L'Alliance Sahel est donc en partie un instrument qui vise à accroître l'efficacité des politiques d'externalisation de la gestion des frontières de l'UE et de rétention des migrants par certains Etats du Sahel, en particulier le Niger52(*)53(*). L'emploi de l'aide publique au développement à des fins stratégiques et militaires n'est pas l'apanage des Français ou des Européens. Au Niger, les Etats-Unis ont déjà par exemple déjà financé des opérations de communication pour rapprocher les institutions gouvernementales de la population, d'une part, et des travaux de débroussaillage pour empêcher les combattants de Boko Haram de se cacher dans des zones couvertes. Troisièmement, les Etats-Unis ne font à l'heure actuelle pas partie de l'Alliance Sahel, et en restent membre observateur. Cette mise en retrait des Etats-Unis illustre d'une part la fidélité de l'administration Trump à la méthode de « l'empreinte légère en Afrique » autant qu'elle démontre l'intérêt stratégique limité du Sahel francophone pour les Etats-Unis, qui préfèrent voir la France assumer le leadership de la communauté internationale sur les questions sahéliennes. La difficulté de lire la politique étrangère de l'administration Trump en matière d'aide au développement, et son relatif désintérêt des pour les questions africaines en dehors de la lutte contre le terrorisme, et sa défiance envers les initiatives multilatérales, ne permet pour l'instant pas de conclure que l'Alliance Sahel souffre du manque d'implication des Etats-Unis. Ces derniers restent néanmoins présents pour apporter leur concours à la force G5 Sahel, en promettant une enveloppe de 60 millions de dollars supplémentaires en 2018. Enfin, la Chine, en dépit des incitations du président français et de la Commission européenne, se garde bien de rejoindre l'Alliance Sahel. La dimension partenariale de l'Alliance voulue par Paris visait non seulement à renforcer la coopération de la France avec les Etats sahéliens, mais également avec la puissance chinoise, qui concurrence la France dans son pré-carré. Les tentatives de la France de faire de la Chine un partenaire plutôt qu'un rival économique en Afrique se sont multipliées depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir : la France avait proposé un cadre de coopération trilatéral « France-Chine-Afrique » en 2017, qui n'avait pas vu le jour, faute d'intérêt marqué de la part de la Chine et des entreprises françaises déjà présentes en Afrique54(*). L'approche partenariale du de la France à l'égard de la Chine sur les enjeux africains s'est toutefois concrétisée en janvier 2018 par la signature d'un accord-cadre de coopération entre l'AFD et la China Développent Bank sur les enjeux climatiques en Afrique subsaharienne. Cela semble amorcer un tournant dans la volonté française de faire de la Chine un partenaire en insistant sur le volet du soutien au développement à l'Afrique plutôt que sur les enjeux commerciaux. Cependant, la coopération chinoise avec la France est circonscrite à un seul domaine, et la Chine n'a pas d'intérêt à rejoindre l'Alliance Sahel : cela impliquerait qu'elle s'aligne sur les critères d'efficacité et de transparence de ses apports pour le développement, et qu'elle renonce à son usage de prêts dans le cadre de sa stratégie de diplomatie de la dette. Comme cela a été évoqué précédemment, la Chine préfère adopter une approche bilatérale avec les Etats sahéliens qui doit servir en premier lieu les intérêts économiques de Pékin. La participation de la Chine à une alliance occidentale pour le développement au Sahel ne présente donc que peu d'intérêt pour Pékin, qui verrait son influence économique et stratégique s'y diluer. L'Alliance Sahel est pour l'instant un groupement de bailleurs occidentaux, mené en grande partie par la France, qui incarne les priorités européennes de stabilisation des frontières de son voisinage africain. La coordination des actions pour le développement a aussi pour objectif d'accompagner et de faire accepter le déploiement prolongé de troupes occidentales, en particulier françaises, dans la bande sahélo-saharienne. * 52Boyer, F. (2019). Sécurité, développement, protection. Le triptyque de l'externalisation des politiques migratoires au Niger. Herodote, (1), 171-191. * 53Boyer, F., & Chappart, P. (2018). Les frontières européennes au Niger. Vacarme, (2), 92-98. * 54 https://www.france24.com/fr/20180110-france-chine-afrique-emmanuel-macron-xi-jinping-partenariat-afd-developpement-climat |
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