Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?par François De Block Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019 |
1.3 La présence américaine dans la bande sahélo-saharienne : un objectif militaire anti-terroriste et un soutien réel mais incertain au développementLes Etats-Unis ont fait montre d'un regain d'intérêt pour l'Afrique subsaharienne à partir des années post-11 septembre 2001, dans le cadre de leur stratégie globale de lutte contre le terrorisme. L'engagement américain en Afrique n'est cependant pas nouveau, les troupes armées étant présentes sur le territoire depuis les années 1990, dans le cadre de l'opération militaire des Nations Unies (ONUSOM I et II). C'est à partir de cette période que l'administration Clinton élabore certains aspects durables de la politique américaine à l'égard du continent : la perception d'un potentiel économique que les Etats-Unis devraient accompagner, en ayant recours aux échanges commerciaux plutôt qu'à l'aide publique au développement ; le soutien aux leaders africains qui sont prêts à faire entrer leur pays dans le système international et en épouser les valeurs libérales, selon une logique partenariale ; une implication dans le domaine sécuritaire, via la mise en place d'instruments de formation et d'assistance, initialement concentrées sur la préparation aux opérations de paix, au travers de la mise en place de l'Africa Crisis Response Initiative ?en 1996 ; une attention renouvelée sur les questions terroristes après les attentats subis par les ambassades américaines en Tanzanie et au Rwanda, thématique qui polarise progressivement l'approche des Etats-Unis sur le continent. Mais ce n'est véritablement qu'après les attaques du 11 septembre 2001 que l'Amérique commence à regarder l'Afrique subsaharienne, et la bande sahélo-saharienne en particulier, comme un vaste ensemble de territoires et de pays difficilement contrôlables, dont les institutions étatiques sont faibles, fragiles et/ou défaillantes. Pour Washington, ces fragilités structurelles des États sahéliens forment un terreau propice au développement de zones de non-droits et d'enclaves terroristes islamistes. Au début des années 2000, les Etats-Unis ont ainsi progressivement accru leur présence dans la région sahélienne, à travers la mise en oeuvre de programmes de contre-terrorisme, tels que la Pan Sahel initiative (2002) , le Trans-Saharan CounterTerrorism Partnership (2004), ou plus récemment, la Security Governance Initiative. Ces programmes comportent également des volets d'entraînement et d'équipement des forces armées des pays sahéliens. L'implication croissante des Etats-Unis sur le plan militaire en Afrique subsaharienne a conduit à la création en 2008 du Commandement militaire des Etats-Unis pour l'Afrique (AFRICOM). Si les Etats-Unis ont présenté la création de ce centre comme une volonté de renforcer l'efficacité de leurs opérations de coopération militaire et de contre-terrorisme en Afrique, la création du centre répond également à une volonté de sécuriser l'Afrique de l'Ouest et ses réserves pétrolières, dont les Etats-Unis redécouvrent l'importance stratégique, parallèlement à la déstabilisation du Moyen-Orient23(*). Sous l'administration Obama, la stratégie américaine en Afrique subsaharienne prend pour la première fois une formulation concrète avec la publication en 2012 d'une stratégie nationale pour le continent (Strategy Toward Sub-Saharan Africa), qui dévoile quatre axes d'intervention interdépendants : la progression de la paix et de la sécurité, le renforcement des institutions démocratiques, le soutien à la croissance économique et la promotion des opportunités de développement. Les questions sécuritaires et de terrorisme y occupent toutefois une place centrale et leur résolution est présentée comme un préalable au développement économique. Dans les faits, AFRICOM se distingue des autres commandements de théâtre par une structure (à forte dimension interministérielle) et par une posture (dispositif léger et dispersé) reflétant clairement la stratégie indirecte et expéditionnaire privilégiée par les Etats-Unis. Les forces présentes sur le théâtre effectuent pour l'essentiel des missions de coopération de sécurité ou d'appui aux opérations de partenaires, mais ne sont pas destinées au combat.Aussi, bien qu'elle soit importante, avec un dispositif de 7500 hommes sur trois théâtres d'opération - Corne de l'Afrique, Sahel et Lybie ( voir annexe 5) 24(*), l'implication militaire américaine en Afrique subsaharienne reste discontinue et parcellaire, et demeure encore très dépendante des crises qui attirent ponctuellement une partie de l'opinion publique américaine. En dépit des discours des autorités, les intérêts économiques des Etats-Unis en Afrique subsaharienne sont limités : avec des échanges de l'ordre de 39 milliards de dollars en 201725(*), l'Afrique subsaharienne était le dernier partenaire commercial des Etats-Unis. Les États-Unis n'y réalisaient que 1,3% de leurs exportations en étant le troisième client de la région, avec seulement 5,8% des importations. Ils ne comptaient que pour 4,6% des exportations, tandis que les échanges demeurent peu diversifiés, avec deux-tiers des flux concernant des produits pétroliers. Par ailleurs, les fondamentaux de la politique militaire africaine des Etats-Unis (théorie de l'empreinte lègère ou « light footprint » misant sur l'usage de drones et l'emploi de forces spécialeset sa politique stratégique indirecte (« leading from behind » ), n'en font pas un acteur de premier rang dans la crise sahélienne. Leur méconnaissance du terrain et le manque de relais politique et économique ne les place pas comme des acteurs volontaristes dans la zone. Les Etats-Unis font ainsi figure d'allié de la France dans la bande sahélo-saharienne, et appuient l'opération Barkhane dans le cadre du dispositif « Juniper Shield » depuis 2013, qui apporte un soutien logistique à l'armée française tout en coopérant avec celle-ci pour éliminer les chefs des groupes liés à Al-Qaida au Maghreb Islamique et à Daesh dans la région. Les Etats-Unis apportent également leur soutien en matière de renseignement au profit des forces de la région, comme cela fut le cas à Diffa, au Niger face aux groupes affiliés à AQMI et Boko Haram. En matière d'efforts pour le développement, l'aide bilatérale américaine au Sahel a plus que quintuplé entre 2000 et 2017. En 2017, les Etats-Unis sont devenus le premier bailleur bilatéral du Mali avec 218 millions de dollars versés à ce pays. La croissance de l'aide au développement allouée aux pays sahéliens reflète l'engagement pris par les Etats-Unis de dépenser une part plus importante de leur aide dans les pays les plus pauvres et fragiles au début de la décennie 2000. Cette aide se caractérise par une part très importante d'aide humanitaire (35%) et par un recours exclusif aux dons. Cela constitue un avantage très important pour les Etats sahéliens, dans la mesure ou les financements sont moins conditionnés par la capacité de remboursement des intérêts des prêts que par l'orientation stratégique et la volonté du bailleur américain, jusqu'ici favorable au renforcement de son appui au développement. Figure 12 - Aide publique au développement bilatérale des Etats-Unis à destination du Sahel en 2017 (en millions de dollars)Il convient cependant de ne pas exagérer l'implication des Etats-Unis en matière d'aide au développement dans la bande sahélo-saharienne : si les montants sont effectivement élevés et ont connu une forte augmentation, ils ne représentent qu'une faible part de l'aide publique au développement totale des Etats-Unis : en 2017, l'ensemble des flux à destination des cinq Etats du Sahel ne représentait que 1,4% des versements d'aide bilatérale américaine. La bande sahélo-saharienne est loin d'être une priorité de la politique d'aide au développement des Etats-Unis en Afrique, où elle ne compte que pour 3,7% des flux à destination de l'Afrique subsaharienne. Depuis le début de la crise sahélienne en 2013, les Etats-Unis concentrent davantage d'aide au développement vers les pays d'Afrique de l'Est et la corne de l'Afrique. Cela répond à leur volonté de consolider les régions africaines proches du Moyen-Orient et endiguer la circulation de mouvements djihadistes dans cette zone charnière qui ouvre sur leurs alliés pétroliers du Golfe.26(*) * 23Leriche, F. (2003). La politique africaine des Etats-Unis: une mise en perspective. Afrique contemporaine, (3), 7-23. * 24 Maya KANDEL (dir.), La stratégie américaine en Afrique, Etude de l'IRSEM n°36, décembre 2014. * 25 https://www.wto.org/french/res_f/statis_f/its_f.htm * 26Marchal, R. (2018). Mutations géopolitiques et rivalités d'États: la Corne de l'Afrique prise dans la crise du Golfe. |
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