Existe-t-il une stratégie géopolitique de l'aide publique au développement de la France au Sahel ?par François De Block Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Ecole Normale Supérieure - Master 2 Géopolitique 2019 |
1.2 L'action extérieure de l'Union européenne au Sahel : une « puissance douce »aux effets élusifs sur le terrainDe part les liens étroits qui unissent ses Etats-membres aux pays Sahéliens, il existe des relations fortes entre les Etats de la rive nord de la Méditerranée et ceux du sud de la bande sahélo-saharienne. Sous l'impulsion de la France et avant l'intervention militaire française au Mali, l'UE s'est doté en 2011 d'une « Stratégie Sahel » face aux crises qui frappent la région. Cette stratégie se veut complémentaire des approches menées par les autres acteurs de la région, et est articulée autour d'une « approche globale » qui lie sécurité et développement. L'UE se préoccupe en réalité de la détérioration de la situation politique, sécuritaire et humanitaire du Sahel depuis les années 2000, mais l'impact de la crise en Lybie et en Syrie l'ont exacerbée. C'est toutefois au cours de la présidence française de l'UE en 2008 que cette les institutions européennes ont véritablement commencé à se préoccuper de la situation de la bande sahélo-saharienne. Les Français ont ainsi fait valoir une sorte de « droit d'aînesse » dans leur zone d'influence pour inciter leurs partenaires européens à un engagement communautaire au Sahel. La stratégie européenne pour le Sahel se structure autour de quatre priorités complémentaires qui sont le soutien à la gouvernance et au règlement des conflits domestiques, la défense de l'Etat de droit, l'action politique et diplomatique en faveur de la démocratie et la lutte contre l'extrémisme. Dans ce cadre l'UE renonce à une approche bilatérale pour favoriser une approche régionale, mieux à même de traiter les problèmes transnationaux qui se posent dans la bande sahélo-saharienne. La politique extérieure de l'UE s'inscrivait alors dans une perspective de prévention des crises avec une planification des actions sur le long-terme. Après une phase réflexive et d'élaboration de près de trois ans, cette stratégie a cependant mis beaucoup de temps à se mettre en oeuvre : l'éruption brutale de la crise malienne l'a forcé à mettre en place des politiques humanitaires de très court-terme et des formations sécuritaires à la hâte, au détriment des actions de développement et de soutien à la sécurité de long-terme. La crise malienne a alors de fait transformé la stratégie de l'UE pour le Sahel d'une perspective de prévention à une perspective de réaction. Mais le caractère palliatif des mesures prises dans l'urgence par l'UE au Sahel ne saurait permettre un traitement efficace et pérenne des racines des crises sécuritaires, humanitaires et sociales de la région. En l'absence d'une politique extérieure de défense et de sécurité suffisamment structurée, l'Union européenne, face à la situation d'effondrement du Mali en 2013 et des actions des groupes terroristes dans le nord du pays, a du se contenter de souligner « l'avance des forces armées maliennes soutenues par la France et la région au détriment des groupes terroristes au Nord du Mali »13(*). Les divisions entre les Etats membres, une solidarité insuffisante et un manque de vision stratégique claire dans le domaine de la défense sont d'autant plus criants qu'à partir de 2013, la France s'est sentie isolée pour assumer la majorité des efforts consistant à défendre des intérêts considérés comme européens. De manière évidente, la volonté d'empêcher la constitution de foyers djihadistes dans la bande sahélo-saharienne est dans l'intérêt de l'UE et de ses membres, car le Sahel est présenté par les diplomates européens comme « la frontière géopolitique » de l'extrême sud de l'UE14(*)15(*). Pour autant, la France reste isolée sur le théâtre militaire, et de nombreuses critiques des Etats-membres mettant en avant le caractère prétendument « néo-colonialiste » de son intervention ont accompagné le déploiement des opérations Serval au Mali puis celui de Barkhane à l'ensemble de la zone sahélienne, ce qui contredit la perspective partagée du Sahel comme frontière géopolitique de l'UE. Par conséquent, il n'y a eu aucune réelle solidarité européenne, ni aucun affichage d'un intérêt commun défendu par l'Union dans la bande sahélo-saharienne, en dépit des enjeux sécuritaires et migratoires que pose le Sahel à l'UE. La dégradation du climat au Sahel à partir de 2013 ont cependant amené l'UE à engager des activités opérationnelles extérieures dans la région : la mission civile EUCAP Sahel Niger, (2012) la mission de formation militaire EUTM Mali (2013), et la mission de soutien aux capacités de sécurité intérieures du Mali, Eucap Sahel Mali (2015). Ces missions dites de « coopération civilo-militaires » ont pour objectif global de répondre aux besoins opérationnels des armées nigériennes et maliennes. Ces missions portent sur la formation des forces armées maliennes, la dispense de conseils en matière de commandement, de stratégie, de logistique, de contrôle, et de ressources humaines, ainsi que dans les domaines du droit humanitaire international, des droits de l'homme et de la protection des civils. Ces missions ne participent pas à des opérations de combat, et son par essence des missions d'assistance et de formation a destination de 4000 soldats de l'armée malienne. Si la mission EUTM Mali comporte 550 militaires issus de 23 pays membres de l'UE, la France, en tant que nation-cadre, lui fournit 210 hommes et en assume l'essentiel du financement16(*). L'implication de l'UE dans le règlement de la situation militaire et sécuritaire du Sahel apparaît donc ténue : si la Commission a fournit un appui politique manière inconditionnel au déploiement de l'opération Serval, les missions de coopération civilo-militaires n'ont eu qu'un impact limité sur le terrain et ont été jugées sous-dimensionnées, non-opérationnelles et peu efficaces.17(*)18(*) Cela apparaît comme un échec de la politique de défense et de sécurité commune de l'UE, d'autant que le Mali aurait pu servir au déploiement d'un groupement tactique opérationnel de l'UE (EUFOR) au lieu de missions d'assistance non-opérationnelles. Figure 10 - Les missions de coopération civilo-humanitaires déployées par l'UE au SahelSource : Conseil européen de relations internationales En matière d'assistance financière, l'Union européenne est le premier bailleur de fonds au Sahel en ce qui concerne l'aide publique au développement. Elle y a consacré 2, 7 milliards d'euros sur le période 2007-2013, dont 660 millions d'euros au titre du 10ème fonds européen pour le développement (FED), auxquels se sont ajoutés les 167 millions d'euros pour financer les actions de la stratégie Sahel. L'UE dispose de plusieurs mécanismes et instruments pour administrer l'aide, dont le fonds fiduciaire d'urgence de l'UE pour l'Afrique, créé en 2015. Au Sahel,l'action d'aide au développement de l'UE depuis 2013 se focalise surtour sur le Mali et le Niger, dont l'UE est le premier bailleur sur la période 2013-2017. Parmi les dix premiers pays africains les plus aidés par l'UE, trois sont des Etats de la bande sahélo-saharienne : le Mali, le Niger et le Burkina Faso. * 13Baghzouz, A. (2013). Le Maghreb et l'Europe face à la crise du Sahel: Coopération ou rivalités?. L'Année du Maghreb, (IX), 173-192. * 14 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/29/le-sahel-une-question-europeenne_5177960_3232.html * 15Brachet, J., Choplin, A., & Pliez, O. (2011). Le Sahara entre espace de circulation et frontière migratoire de l'Europe. Hérodote, (3), 163-182. * 17Assemblée nationale (2017). Commission des affaires européennes. Rapport d'information déposé par la commission des affaires européennes sur les missions PSDC de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali)* 18Petit, Y. (2013). Le rôle de l'Union européenne dans la crise malienne. Civitas Europa, (2), 181-209. |
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