3.2. DESCRIPTION DES PRATIQUES
Dans cette section, nous voulons essayer d'entrer en
profondeur des pratiques que nous venons d'énumérer dans la
partie précédente sous l'angle descriptif, c'est-à-dire en
adoptant le langage des enquêtés. Ce code descriptif nous permet
selon Noreau (1998 : 590) d'approcher notre objet en dehors des fictions
juridiques et de déceler derrière l'action supposée des
acteurs qui s'agitent ou qui se sont agités.
L'émergence de ces pratiques problématiques peut
être expliquée comme un moyen par lequel ces acteurs se
débrouillent pour répondre à leurs besoins. Parlant du
concept « débrouille » comme économie de
survie, Villers et Gauthier (2002 : 33) définissent
l'activité économique informelle comme des activités
échappant au cadre institutionnel et règlementaire officiel de
l'économie qui sont dès lors non contrôlées et non
enregistrées et à des degrés divers. En dépit du
fait qu'elles sont les plus souvent pratiqués au grand jour, non
légal ou illégal.
C'est ainsi qu'à partir des entretiens sur le site de
recherche avec les personnes-ressources nous avons épinglé les
pratiques problématiques suivantes :
a. La pratique « Frappe » ou
« le cop »
Dans le contexte de notre étude, le concept
« frappe » est un langage ou un jargon utilisé par
les enquêtés spécialement les agents de
sécurité pour designer « le vol » ou
« les avantages du site ». Notamment dit, c'est l'ensemble
des pratiques qui permettent aux acteurs d'avoir un bien matériel ou
financier dans un lieu donné.
Un garde MOMO s'est exprimé en ces termes :
« Nous avons parfois certains termes que nous
utilisons comme code lorsque nous sommes entre nous, par exemple la frappe
(...) » partout dans chaque entreprise il y a toujours des frappes,
donc minezi kusema ni buivi (je peux dire que c'est le vol). Les autres
utilisent même le cop ».
b. La
pratique « Swapping »
Du point de vue sécuritaire, le concept
« swapping » fait référence à la
mutation d'un officier de sécurité dans un poste de travail vers
un autre. Dans le site minier Kinsevere, le déploiement change à
chaque prestation ; un officier de sécurité ne peut
être déployé dans un poste de travail deux fois
successives, s'il est déployé dans un poste donné dans une
prestation, le jour ou la nuit qui suit il sera swappé (muter) dans un
autre endroit.
L'officier MIMI explique en ces termes :
« Chez MMG, on travail deux day
(jours), deux night(nuit) et deux of (repos) ; si tu prestes dans un poste
pendant ton premier day, le deuxième day tu dois être swapé
vers un autre poste ».
Sous un regard criminologique, les gardes utilisent ce concept
dans leur langage pour désignerle fait de déplacer ou de prendre
un bien du client pour les intérêts privés. Et pour sortir
avec cela sur le site, l'agent de sécurité doit signaler à
l'un des officiers à la barrière afin qu'il ne soit pas
fouillé systématiquement.
Le garde Wisckyajoute en ces termes :
« Pendant la ronde sécuritaire, un
officier peut remarquer qu'on a oublié par exemple un ordinaire ou tout
autre bien dans le véhicule, alors il va le déplacer pour le
cacher quelque part afin qu'il puisse sortir avec cela après la
prestation ».
c. La pratique « kubuwa » ou
« Milembe »
Le concept « Milembe » ou
« kubuwa » signifie en swahili simple comme
« kulala », qui veut dire en
français« dormir ». Donc c'est un concept
utilisé par les enquêtés, spécialement les agents de
sécurité pour designer « dormir au poste ». Dans
le règlement sécuritaire, le sommeil est punissable car il a des
conséquences graves lorsqu'ils sont appelés à
sécuriser les biens du client. Mais pour les gardes, peu importe les
exigences de l'entreprise et les conséquences qui accompagnent le
sommeil, ils dorment toujours.
L'officier Kilo enrichit en ces termes :
« Si vous êtes surpris en sommeil pendant
la prestation ; c'est un licenciement sans prévu, mais vous savez
que le sommeil c'est un devoir naturel bien que les règles du travail
nous l'interdisent, même si on preste.Mais nous ferme quand même
l'oeil ».
d. La pratique « Kumueneya » ou
« ku bobola »
Ce concept est utilisé par les creuseurs clandestins
pour designer toute forme d'actes des mauvais traitements, des menaces et
agressions, etc. envers toute personne(les gardes ou d'autres personnes) qui
les empêche d'accéder dans la mine ou de sortir de la mine avec
les sacs des minerais ou d'autres biens volés dans le site. Souvent
cette pratique se fait toujours en groupe.
Le creuseur clandestin Chako explique :
«Kama garde anatubamba soit anatukatariyatutoke na
bintu bietu kuko deux possibilité : soit mita
« mueneya » soit
« tunaishana » naye ; kumueneya ndjo kusema kama mambo
inakua nguvu, vile tuko ba mingi tunezi kumupika soit kumu fania fudio,...pale
atakimbiya njo tuna toka bila mambo ».
Traduction française :
« Si les gardes nous arrêtent ou soit
s'ils nous empêchent, nous pouvons lesfrapper oules faire des
terreurs,...à ce moment ils vont fuir et nous sortirons sans
problème ».
e. La pratique
« Kuishana »
Selon notre analyse, le concept
« kuishana » veut dire régler le compte. Il est
utilisé par les creuseurs clandestins pour designer toutes les pratiques
qui font usage de la coopération et la négociation entre les
acteurs ; c'est-à-dire les actes de corruption entre les deux
protagonistes sur ses transactions des biens et services.
Le creuseur clandestin Kilos'exprime :
« (...) kuishana naye ndjo kusema kama tuko ba
mingi tuta sumburiya nabo tuna bapatshiya ata makuta ju ya
kutuacha ».
Traduction française :
« (...) comme nous sommes nombreux, nous allons
négocier avec eux pour leur donner l'argent afin que nouspuissions
sortir ».
f. La pratique
« kulokota »
Le mot « kulokota »
signifie « ramasser ».Alors
« bakalokota » signifie « les
ramasseurs ». Il s'agit de toute catégorie de creuseurs
(enfant ou adulte) qui ramasse les minerais pendant la journée tout
comme la nuit dans les remblais et concassent au cas où ce sont des
grosses pierres. Tous sont munis des sacs dans lesquels ils mettent des
minerais ramassés. S'ils ramassent des grosses pierres, le concassage
est appliqué sur les minerais formés en blocs; les creuseurs
écrasent les minerais en blocs à l'aide de marteaux et autres
matériels en métal afin de réduire leurs volumes. Le
concassage permet de récupérer les minerais et jeter les
mauvaises pierres.
Kako s'exprime :
« Tunendaka njo kulokota minerais ile bana
muangaka ku remblais,... ».
Traduction française :
« Nous ramassons des minerais qu'on jettent dans
les remblais,... ».
g. La pratique de
« forage »
Le forage consiste à miner dans le sol avec des
bèches et de barres des mines qu'ils appellent en leur langage
« Mungala » ou « Djobi ». Pendant cette
opération, une équipe peut faire 1 ou 2 jours soit plus pour
arriver à la couche minéralogique
appelée « Filon » ou le
« Kalolo »; qui est la présence des
minerais dans la cheminée (le puits).
Dans la cheminée il y a ce qu'ils appellent
« salon » : qui est un lieu où
les creuseurs clandestins viennent déposer les minerais et se reposer.
En descendant dans la cheminée, ils ont créé
des « bâtais » qu'ils appellent escaliers qui leur
permettent de descendre ou de sortir du puits.Pendant le forage, les creuseurs
clandestins sont bien structurés et organisés. Un groupe un
constitué de (d'un) :
· Un chef d'équipe : qui
coordonne les opérations, il est aussi chargé de négocier
avec les agents de sécurité en cas de flagrance.
· Un visionneur ; il est
chargé de contrôler le mouvement du site et des agents de
sécurité.
· Les remonteurs (Ba kapandisha):
c'est une catégorie de creuseurs clandestins qui remontent les colis de
minerais mis dans des sacs qui pèsent plus ou moins 10 à 25 Kg du
puits à la surface. Ils sont parfois appelés
« saliseurs » ou les
« aide-creuseurs ».
· Les transporteurs (ba kapapa) :
le mot kapapa veut dire transporter quelque chose par le dos. Dans le langage
des creuseurs clandestins, « ba kapapa » qui veut dire les
transporteurs des sacs des minerais de la mine jusqu'à la destination.
En dehors du site minier, ils font recours aux motards pour transporter les
sacs de minerais.
De tout ce qui précède, Dibwe Dia M.
(2OO2 : 33) estime que « les villes congolaises connaissent
depuis plus de trois décennies une prolifération
d'activités économiques diversifiées qui échappent
au contrôle du pouvoir politique ».
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