PARTIE 1
Musiques actuelles et ruralité : état des lieux.
De l'Île-de-France au Gâtinais.
28
I. Ruralité et musiques actuelles : le contexte
francilien
1.1. Campagnes et métropole.
De prime abord, difficile d'entrevoir la région
Île-de-France uniquement sous sa dimension rurale. L'espace francilien
est en effet marqué par la présence des plus grandes
agglomérations urbaines européennes. Toutefois, une part
importante de la population a le sentiment d'habiter encore à la
campagne69. Et pour cause, l'Île-de-France est composée
de près de 80 % d'espaces ruraux, agricoles et forestiers. Environ 60 %
des communes franciliennes rassemblent moins de 2000 habitants et 46 % ont
même moins de 1000 habitants, ce qui représente 839 communes
rurales et plus d'un million d'habitants. Ainsi malgré ses 11 millions
d'habitants, ses grandes infrastructures, son envergure de véritable
métropole, l'Île-de-France peut encore être associée
aux campagnes.
Le phénomène de métropolisation
s'étend mais la ruralité semble malgré tout
préservée, notamment dès que l'on se fonde sur
l'appréciation et le sentiment des habitants face à leur
territoire : la ruralité est présente, ressentie et visible. Elle
est perçue et vécue par les habitants, au delà des
représentations collectives. Si l'Île-de-France présente
effectivement de véritables territoires ruraux, bien distincts des
espaces urbains et périurbains, avec des superficies agricoles et
forestières importantes, les caractéristiques mêmes du
rural ont toutefois évolué. L'agriculture ne fait plus le rural.
Bien qu'elle reste dominante en termes d'occupation du sol, elle n'est en effet
plus le principal moteur économique de la région, et en termes de
représentations, à peine 10% des Français associent
aujourd'hui l'espace rural à l'agriculture ou au travail
agricole70. Le développement continu et disparate des bourgs
et villages franciliens, en ceinture verte et dans la couronne rurale, exprime
une certaine attractivité et aspiration vers le «vivre à la
campagne et travailler à la ville». À la fois espaces de
vie, de travail et de loisirs, l'espace francilien, tout comme le territoire
national, se compose d'espaces combinés, où la forte
mobilité géographique des individus rend la distinction entre
deux catégories de populations (urbaines ou rurales) caduque. Le
sentiment de vivre en zone rurale ne correspond
69Atlas rural et agricole de
l'Île-de-France (2004) réalisé par la Direction
Régionale et Interdépartementale de l'Agriculture et de la
Forêt (DRIAF) et l'Institut de la Région d'Île-de-France
(IAURIF) page 7.
70 D'après l'enquête du CREDOC et INRA
réalisée en 2001 pour le groupe de Prospective sur les Espaces
Naturels et ruraux de la DATAR.
29
donc pas forcément aux critères statistiques qui
définissent le rural, fondés notamment sur les modes de vie
(migrations pendulaires...).
En matière d'emploi, deux visions simplificatrices
doivent d'emblée être écartées, l'une
réduisant les actifs ruraux à des exploitants agricoles, l'autre
à des « migrants pendulaires »71. L'espace rural
francilien n'a pas échappé aux tendances lourdes qui affectent,
depuis plusieurs décennies, la géographie de l'emploi :
métropolisation, effondrement de l'emploi agricole, tertiarisation de
l'économie. Même si la grande couronne connaît depuis
quelques années un dynamisme lié au desserrement des
activités du coeur de l'agglomération, les communes rurales
restent largement à l'écart de ce mouvement. Influences
extérieures et mutations propres déterminent donc la
structuration actuelle de l'emploi rural francilien. Celui-ci se
caractérise par un marché du travail restreint, n'abritant que 6%
de l'emploi francilien et 10% de la population totale de la région. Les
communes rurales se caractérisent également par une
sur-représentation des ouvriers et artisans en écho à une
sous-représentation des cadres. L'essentiel de la population active est
composé, comme dans l'espace urbain, par des professions
intermédiaires et des employés72.
Quelques comparaisons avec leurs homologues franciliens
urbains permettent de distinguer les caractéristiques des ménages
et leurs installations dans ces espaces ruraux. En 1999, les populations
franciliennes rurales sont représentées majoritairement par des
familles avec enfants (la moitié des ménages). L'autre
moitié des ménages résidant en milieu rural est surtout
composée de couples sans enfant (26,7 % contre 21,6 %) et plus rarement
qu'ailleurs, de personnes vivant seules (21,6 % contre 35,9 %). Ces personnes
seules sont plutôt âgées : la moitié a
dépassé la soixantaine (49,6 %), contre un peu plus du tiers dans
le reste de la région (35,6 %). La moitié des
emménagés récents résidait déjà dans
le rural ou vivait dans en milieu périurbain : 18 % ont simplement
changé de logement au sein de la même commune, 21 %
résidaient en 1990 dans une autre commune rurale et 10 % dans le
périurbain. Les autres proviennent pour l'essentiel du coeur de
l'agglomération (34 %) ou de province (14 %). Il faut noter, que ces
campagnes restent sous l'influence majeure de la capitale et de son
agglomération. Bien que les Franciliens n'aient pas l'impression
d'appartenir à l'agglomération parisienne (72 %), ils se sentent
sous l'influence de Paris (52%). Une proximité qui semble
généralement bien vécue, la
71 Liée à l'étalement urbain et au
phénomène de périurbanisation, la migration pendulaire
désigne les individus se déplaçant quotidiennement de leur
domicile à leur travail.
72 Les chiffres sont issus du recensement de la population
française de 1999, INSEE.
30
majorité des Franciliens s'y rendant pour des raisons
culturelles73. Enfin, l'installation dans le rural francilien est
souvent motivée par la recherche d'un cadre et d'une qualité de
vie privilégiée, quoique l'accès à la
propriété et les exigences professionnelles demeurent des
critères dominants, devant l'attrait pour le prix des loyers ou encore
pour les conditions de vie et d'éducation des enfants.
74
1.2. État des lieux des musiques actuelles en
Île-de-France75
Région capitale, l'Île-de-France concentre une
part décisive de la vie musicale du pays. La plupart des maisons de
disques, des revues de presse spécialisées, des tourneurs y sont
installés. De nombreux artistes ont choisi d'y vivre. Une
pléthore d'amateurs y pratique la musique. Chaque semaine, on compte
plus d'une centaine de concerts programmés. Cette diversité est
surtout le fait d'un tissu associatif militant vivace et d'une forte
concentration des professionnels du secteur privé commercial - à
Paris par exemple, plus des trois quarts des
8%
8%
7%
2% 2%
5%
12% 24%
1%
Typologie des structures selon leur fonction
principale
2%
29%
conservatoires, écoles de musiques, organismes de
formation : 8%
producteurs de spectacles, management d'artistes : 7%
services culturels : 5% collectifs d'artistes : 2% radios : 2%
labels : 1% autres : 2%
lieux de diffusion musiques actuelles : 29 % lieux
pluridisciplinaires dont MJC, centres culturels : 24% studios de
répétition et studios d'enregistrement : 12% organisateurs sans
lieux (dont festivals) : 8%
73 D'après l'Enquête sur la perception de
l'espace rural par les habitants de l'espace rural francilien, IAURIF,
2003.
74 CREDOC. Les Français et l'espace rural,
mars 2001 et Enquête sur la perception de l'espace rural par les
habitants de l'espace rural francilien, IAURIF
75 Essentiellement basé sur l'état des lieux des
structures adhérentes établis par le RIF en 2012
31
studios de répétition sont privés. Le RIF
(Confédération régionale des réseaux de musiques
actuelles d'Île-de-France), recense près de 213 structures
dédiées aux musiques actuelles adhérentes aux 8
réseaux départementaux76 qui composent la
région francilienne. Au regard des formes juridiques de ces structures,
c'est le modèle associatif qui est majoritaire (60% en 2011), et ce,
historiquement, depuis le développement des réseaux musiques
actuelles. Plus spécifique à la région francilienne, les
structures municipales en régie directes représentent 26% des
structures. La part de sociétés commerciales s'est accrue depuis
l'entrée du MAP, le réseau parisien des musiques actuelles, au
sein du RIF et représente 12% des structures. Enfin, les
établissements publics, les sociétés coopératives
et les autres formes juridiques représentent 2% des adhérents. La
typologie des structures établie par le RIF, selon leur fonction
principale, dresse un profil particulièrement diversifié des
activités de l'ensemble des structures. Il faut préciser que la
grande majorité des structures couvrent plusieurs activités : 74%
des répondants déclarent développer au moins deux
activités, et près de 20% d'entre eux proposent au moins 5
activités différentes.
Répartition des activités en % sur les
170 structures répondantes
51% 51% 48% 44% 44% 41%
34% 34%
22%
12% 7% 6% 4%
88%
Au-delà de l'activité de diffusion,
prégnante pour l'ensemble des établissements, on constate une
part prépondérante des activités dédiées
à l'accompagnement des pratiques des
76 Les 8 réseaux départementaux sont : le Combo
95, le réseau du Val d'Oise ; le MAAD93, lé réseau de
Seine-St-Denis ; REZONNE, le réseau de l'Essonne ; le Réseau
Musiques 94, le réseau du Val-de-Marne ; Réseau 92, le
réseau des Hauts-de-Seine, Le CRY, le réseau des Yvelines ; le
MAP, le réseau de Paris et le Pince Oreilles, le réseau de
Seine-et-Marne.
32
musiciens, en proposant pour la plupart un soutien en
matière de répétition, d'enregistrement, d'accompagnement
artistique, d'information ressource, de répétition sur
scène, d'accueil en résidence et d'enseignement musical. Enjeu
fondamental au maintien de l'équilibre de l'écosystème
musiques actuelles francilien, l'accompagnement des pratiques musicales
répond au besoin croissant des groupes et musiciens amateurs ou
semi-professionnels en quête d'un soutien à la fois artistique,
logistique, administratif et scénique. Le RIF estime que plus de 15 000
groupes, de tous styles et de tous niveaux, résident et pratiquent en
Île-de-France, ce qui représente plusieurs milliers de musiciens
répartis sur l'ensemble de la région. Beaucoup gravitent autour
des structures, qui tentent, via un panel toujours plus large de propositions,
de répondre à leurs attentes.
Toutefois, les disparités d'implantation des
équipements posent question. En 2007, le RIF constatait en effet dans
son état des lieux des structures adhérentes que « la
quasi totalité des structures agissent au sein des pôles urbains
(91,8%) et seules deux structures sont implantées dans des communes
rurales ». La dimension rurale est donc quasiment inexistante sur
l'ensemble de la région en matière de développement des
musiques actuelles. Un constat partagé par le réseau national, la
Fédération des Lieux de Musiques Actuelles, qui en 2014, dans le
cadre de son étude77 sur l'action culturelle au sein de ses
structures adhérentes, a également mis en évidence une
forte concentration des lieux dédiés en milieu urbain. Cette
répartition par type de territoire a fait apparaître que le milieu
rural ainsi que les petites villes ou villes périurbaines ne sont
représentées qu'à hauteur de 18%. Au niveau du nombre
moyen de représentations annuelles, les communes rurales et les petites
villes ont, là encore, un total moyen nettement inférieur,
à raison de 27 représentations dans le milieu rural contre 42
dans les villes moyennes, et 55 dans le milieu urbain.
1.3. Culture et pratiques musicales en
Île-de-France.
Si la région francilienne est
caractérisée par une forte concentration de structures et
d'acteurs musiques actuelles, il convient d'élargir brièvement
notre regard, et de saisir dans quel cadre « culturel » plus global
les activités musiques actuelles s'inscrivent sur ce territoire. La vie
culturelle en Île-de-France est particulièrement marquée
par une offre foisonnante et
77 FEDELIMA, OPALE, Actions culturelles et musiques
actuelles, Éditions Mélanie Seteun, (Coll. Musique et
environnement professionnel), 2014
33
diversifiée, mais également très
concentrée à l'échelle du pays, en témoigne les
indicateurs établis par le Ministère de la Culture, qui
dévoilent que la région concentre :
· 27 % des compagnies dramatiques
· 13% des scènes nationales
· 31 % des compagnies de danse
· 22 % des écoles de musiques et de danse, 22 %
des enseignants et 20% des élèves
· 18 % des salles de cinéma
· 52 % des salariés du régime de
l'intermittence du spectacle et 22% de la filière culturelle des
collectivités territoriales
· 33 % des architectes inscrits à l'ordre des
architectes et 43 % des élèves architectes
Le ministère joue d'ailleurs un rôle historique
sur cette partie du territoire national, grâce à un nombre
important d'équipements sous sa tutelle, on citera : la
Bibliothèque Nationale de France, l'Opéra National de Paris, 4
des 5 théâtres nationaux, 11% des musées de France, 9% des
monuments inscrits et classés en France (et qui reçoivent 40% des
entrées payantes), 13 établissements d'enseignement
supérieur, etc. À noter l'implantation des services de
l'administration centrale à Paris, tels la DRAC (Direction
Régionale des Affaires Culturelles) ou encore les huit STAP (Services
Territoriaux de l'Architecture et du Patrimoine). Sous l'influence accrue de
l'attrait pour le patrimoine culturel de Paris et d'une centralité
historique, la région Île-de-France est l'héritière
d'un imposant ensemble d'institutions culturelles, anciennes et contemporaines,
qui, naturellement, la positionne comme la première région
touristique de France78.
« En moyenne plus jeunes, plus diplômés
et disposant de revenus plus élevés, les Franciliens pratiquent
davantage d'activités culturelles que leurs homologues de province
» nous indique le rapport de l'IAURF (l'Institut d'Aménagement
d'Urbanisme de la Région d'Île-de-France), Les Franciliens et
la culture, réalisé en 2006. L'étude met en avant une
spécificité parisienne pour expliquer l'intensité des
pratiques dans la capitale. Paris étant un vivier en matière de
diffusion et de création, elle attire une grande diversité de
populations « non seulement aptes â multiplier les consommations
mais aussi susceptibles de montrer l'exemple ». Toujours selon cette
étude, la facilité d'accès aux équipements et la
diversité de l'offre faciliterait la pratique, et serait
renforcée par les réseaux relationnels resserrés,
entretenus par des logiques d'imitation (lire, écouter, voir ce que tout
le monde a lu, écouté, vu) et de
78 INSEE, CCI, L'Île-de-France, la première
région touristique de France, Insee Analyses, n°20 2015
34
domination (avoir une pratique jugée plus
valorisante...). De plus, l'habitat parisien, moins spacieux qu'ailleurs,
tendrait à favoriser la vie sociale à l'extérieur, et peut
en partie expliquer l'intensité des pratiques culturelles
parisiennes.
Plus d'un Francilien sur deux cumule au moins six
activités culturelles 79 contre un tiers des provinciaux, la
pratique artistique en amateur, qui concerne un tiers des Franciliens, est
particulièrement liée au cumul d'autres types d'activités
: 62% de ceux qui pratiquent des activités en amateur cumulent
également d'autres activités. Une activité culturelle en
appelle donc souvent une autre, en Île-de-France. La pratique
instrumentale par exemple manifeste généralement un goût
prononcé pour la musique et donc l'écoute musicale, chez soi ou
en concert. Ceux qui cumulent le plus ont une pratique assidue et
régulière et sont majoritairement jeunes (étudiants,
actifs sans enfant). Le cumul croît avec le niveau d'études et de
revenus ainsi qu'avec la proximité de l'offre culturelle, les Parisiens
étant les plus concernés. A contrario, ceux qui cumulent moins de
quatre activités, sont ceux qui passent le plus de temps devant la
télévision, à raison de plus de trois heures par jour. En
matière de musique, 80% des Franciliens déclarent écouter
de la musique régulièrement, et 82% de ceux qui écoutent
la radio préfèrent les émissions musicales aux
informations. Ils sont également 27% à avoir assisté
à un concert, le profil étant le même qu'en Province,
à savoir plutôt des jeunes, diplômés, avec des
revenus élevés. Les festivals, notamment musicaux, sont
visités par au moins 8% des Franciliens, mais moins que par les
provinciaux (11%). Ils semblent également plus fréquentés
par les plus jeunes (11% ont entre 15 et 34 ans) et par les Parisiens (14%).
Paradoxalement, ni la forte proposition culturelle, ni la
concentration d'équipements et d'offres culturelles ne garantissent
à tous les Franciliens un accès équitable à la
culture. En effet, selon le ministère de la Culture, la moyenne
d'équipements culturels par Franciliens est inférieure à
la moyenne nationale (1.51 équipements pour 10 000 habitants contre 1.66
en moyenne nationale, plaçant l'Île-de-France au
14ème rang des régions). La coexistence de zone de
foisonnement culturel et de zones qui en sont dépourvues renvoie
à la question des disparités territoriales en Île-de-France
qui peuvent participer au renforcement des inégalités de
pratiques.
79 Ces activités sont regroupées en 7
catégories de pratiquants : les téléspectateurs, les
auditeurs (de radio ou de musique), les lecteurs (presse, livres et bandes
dessinées), les amateurs de sorties (visites, spectacles autres que le
cinéma), les amateurs de cinéma, les personnes pratiquant des
activités artistiques en amateur.
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