UNIVERSITÉ PARIS-EST MARNE-LA-VALLÉE
Département Histoire
MUSIQUES ACTUELLES EN MILIEU RURAL. LE CAS DU GÂTINAIS
SUD SEINE-ET-MARNAIS.
Bilitis DELALANDRE
1
Mémoire de Master 2 Professionnel «
Développement Culturel Territorial » Dirigé par M.
Tomas LEGON Soutenu à la session de septembre 2016
2
3
Déclaration sur l'honneur
Je soussignée, Bilitis Delalandre, déclare avoir
rédigé ce mémoire sans aides extérieures ni sources
autres que celles qui sont citées. Toutes les utilisations de textes
préexistants, publiés ou non, y compris en version
électronique, sont signalées comme telles. Ce travail n'a
été soumis à aucun autre jury d'examen sous une forme
identique ou similaire, que ce soit en France ou à l'étranger,
à l'université ou dans une autre institution, par moi-même
ou par autrui.
Fait à Ury, le 10 Septembre 2016
Signature de l'étudiant
4
5
Remerciements
Je remercie Jean-Baptiste Jobard et Tomas Legon pour la
justesse de leurs conseils et leur bienveillance, sans lesquelles j'aurai
sûrement perdu confiance.
Je tiens à remercier tout particulièrement
Pierre Beltante, Véra Bezsonoff, Philippe Berthelot et Aurélien
Boutet pour leurs regards experts sur les musiques actuelles et le territoire
sud seine-et-marnais mais également pour leurs précieuses
collaborations, leurs conseils indispensables et leur humanité, ainsi
que l'équipe des associations Champ Libre et Pas Trop Loin de la Seine
pour avoir éclairé mes réflexions.
Pour son aide précieuse, je remercie Fiona Forte et son
talent de synthétisation.
Merci à l'équipe du Pince Oreilles pour son soutien
et ses encouragements.
Et enfin, je remercie mes parents et mon entourage pour
m'avoir soutenu tout au long de la réalisation de ce mémoire,
leur patience est sans pareil...
Merci à toutes celles et ceux qui, de près ou de
loin, ont participé à l'aboutissement de ce travail.
6
Musiques Actuelles en milieu rural. Le cas du Gâtinais
sud seine-et-marnais
7
SOMMAIRE
Introduction (p.8)
PARTIE 1
Musiques actuelles et ruralité : état des lieux.
De l'Île-de-France au Gâtinais (p.27)
1. Ruralité et musiques actuelles : le contexte
francilien (p.28)
2. La recherche d'une identité, la Seine-et-Marne
(.p.35)
3. Portrait des musiques actuelles dans le Gâtinais
(p.44)
PARTIE II
Les limites au développement des musiques actuelles dans
le Gâtinais. Analyse et compréhension des
difficultés rencontrées. (p.59)
1. Inégalités spatiales et territoriales, quels
effets ? (.p.60)
2. La place des musiques actuelles dans les politiques locales
(p.66)
3. Interactions entre acteurs, une autre clé de
compréhension (p.76)
PARTIE III Stratégies d'adaptation et
caractéristiques des projets musiques actuelles dans
le Gâtinais. Enjeux et perspectives de développement des
musiques actuelles en milieu rural. (p.84)
1. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives,
à la marge (p.85)
2. L'utilité sociale et territoriale des projets musiques
actuelles en milieu rural (p.91)
3. Enjeux et perspectives pour le développement des
musiques actuelles en milieu rural (p.99)
Conclusion (p.107) Bibliographie (p.110) Sitographie (p.115)
Table des matières (p.116)
Annexes (p.118)
8
Introduction
Le Gâtinais du sud Seine-et-Marne est un territoire
fortement marqué par une dominante rurale, de spacieuses étendues
agricoles et forestières en composent majoritairement le paysage.
Situé à moins d'une heure de transport de Paris, au sein d'un
département aux typologies spatiales vastes et
hétérogènes à caractère majoritairement
urbain et périurbain (ou rurbain) à l'ouest mais également
rural dans les autres franges, le Gâtinais n'a pas les
caractéristiques d'une banlieue citadine. Il regroupe en effet la
majeure partie du «rural traditionnel Francilien»1 et
correspond aux critères de ruralité déterminés par
la FEDELIMA2. L'essentiel de l'offre musicale proposée par
les communes qui le compose, semble se résumer aux traditionnels
fêtes de la musique et bals du 14 juillet ainsi qu'à quelques
exceptionnelles animations municipales. À l'échelle du
département de la Seine-et-Marne, on observe que la répartition
des services et équipements dédiés aux musiques
actuelles3 (salles de concerts et de diffusion, studios de
répétition et d'enregistrement, espaces de ressources et
d'informations pour les musiciens, etc.) est marquée par une
disparité assez nette entre les zones urbaines et rurales. La frange
ouest, qui concentre 68% de la population du département et
bénéficie de l'attrait de l'agglomération parisienne
grâce à sa proximité, concentre la majorité de ces
équipements alors qu'au nord, à l'est et au sud ces espaces
dédiés sont rares voire même inexistants4, une
situation entrant en résonnance avec le constat du Conseil National
Supérieur des Musiques Actuelles : «les musiques actuelles sont
présentes sur l'ensemble du territoire national aussi bien urbain que
rural, mais se sont développées historiquement de façon
inégales en matière d'aménagement, d'équipements et
d'organisations des activités»5.
1 SEGESSA, DREIF, DRIAF, étude intitulée
«Dynamique territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en
Île-de-France», 2005
2 L'annexe n°3 explique notamment les critères
utilisés dans la définition du milieu rural et de la
méthode employée pour définir notre territoire
d'étude.
3 Loin de décrire une réalité musicale,
l'expression « musiques actuelles » désigne davantage un champ
d'intervention publique, regroupant dans une appellation les genres musicaux
initialement exclus ou mal intégrés aux politiques publiques de
soutien à la création et la diffusion. Elle englobe «
artistiquement parlant » quatre grandes catégories
d'esthétiques musicales : le jazz, les musiques traditionnelles, la
chanson, les musiques amplifiées. L'annexe n°2 est consacrée
à la clarification de la notion de musiques actuelles, et les
débats autour de cette appellation issus d'une vision
ministérielle plus que des revendications des acteurs du secteur, et
propose des éléments de compréhension historiques.
4 Une situation spatiale à laquelle nous consacrerons une
partie de cette étude.
5 Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, Pour
une politique nationale et territoriale des musiques actuelles, 10 juin
2006
9
Urbain, rural, un clivage culturel ?
Bien qu'il existe actuellement de nombreuses politiques
culturelles en termes de décentralisation et de démocratisation
des musiques actuelles, on aurait aujourd'hui tendance à constater dans
de nombreux cas que beaucoup des inégalités et clivages anciens
qui existent entre le milieu urbain et le milieu rural perdurent. La tendance
semble à la fois se confirmer tout en étant plus complexe en
région parisienne où l'influence forte de la capitale a
été vectrice d'une dynamisation culturelle importante du milieu
rural francilien, tout en ne parvenant cependant pas tout à fait
à en changer l'image que s'en font les populations urbaines. Or, il
semblerait que l'ambivalence structurante rural/urbain soit une opposition
définie avant tout par le regard des populations venues de la ville qui
correspondrait soit à une idéalisation du rural (une campagne
identifiée à un retour à la nature6), soit
à une dépréciation de cet espace diffus (l'espace urbain
serait un espace plus développé que l'espace rural selon une
échelle d'évolution de l'humanité7).
En effet, dès la fin de la seconde guerre mondiale, le
rapport à la terre des agriculteurs a connu de profonds changements en
entrant dans l'ère du productivisme. L'impératif modernisateur
s'impose à tout le pays jusqu'aux confins des campagnes, marquant une
« rupture avec l'archaïsme technique et philosophique
»8 d'alors. La culture paysanne, qui n'a plus grand-chose
à voir avec la réalité industrielle d'aujourd'hui, a
progressivement été renvoyée au rang de folklore ou de
marchandise. Il suffit de se pencher sur les spots publicitaires pour saisir la
représentation enjolivée du monde rural et de l'agriculture :
l'éleveur caressant ses vaches, la laitière confectionnant avec
tendresse ses yaourts, des champs verdoyants gonflés par la
rosée, les légumes entrant directement dans les boîtes de
conserves, etc. Avec « La Ferme des célébrités
», diffusée en 2004 sur TF1, la nostalgie est à l'honneur au
sein d'une ferme des années 1950 reconstituée. En plus de
répandre une vision passéiste et misérabiliste des paysans
et de leur travail, cette émission de
téléréalité, à l'instar des
publicités télévisuelles, s'attache à gommer toute
forme d'industrialisation agricole, ne cadrant plus avec cet imaginaire
idéalisé. On pourrait également évoquer «
L'amour est dans le pré », diffusée sur M6 dès 2005,
une émission consacrée à la quête amoureuse
d'agriculteurs et d'agricultrices. Le « célibat et la
6 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes,
Paris, Éditions de l'Aube, 1996, Hervieu B. et Hervieu-Léger
D., Le retour à la nature : au fond de la forêt...
l'État, Paris, Le Seuil, 1979 (rééd. aux éd.
de l'Aube, 2005, précédé de Les néoruraux
trente ans après).
7 Henri Lefebvre, Du rural à l'urbain, Paris,
Anthrophos, 1970
8 Henry Delisle, Marc Gauchée, Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra,
2007, p.105
10
condition paysanne »9 préoccupent. Des
solutions, très urbaines, sont donc proposées par de
généreuses chaînes de télévision comme
l'explique Nicolas de Taverne, producteur de l'émission : « il
ne s'agit pas d'une galéjade mais d'un problème de
société. Nous aidons la France â se repeupler
»10. Ainsi les industries agroalimentaires et du
divertissement, et l'industrie de masse dans son ensemble, contribuent à
entretenir une vision de la ruralité bloquée dans les
années 1950-1960, et le fantasme d'un cadre authentique et naturel,
pourtant largement façonné par des décennies de
transformations mécanisées. Parler de sentiment de
ruralité serait plus pertinent que d'évoquer une culture rurale
à part entière. Elle peut cependant se caractériser par un
emballement, une « tendance â la nostalgie, au tout patrimoine
»11 comme l'explique Pascal Ory en évoquant le
besoin grandissant, depuis les années 1950, de racines, de sources sur
lesquelles construire une identité, et dans cette recherche, «
l'invention de la tradition », pour reprendre les termes d'Eric
Hobsbawm12. Un besoin de communauté qui s'exprime en partie
par une attirance pour ce qui semble faire communauté : le village, qui
serait le lieu des rapports sociaux personnalisés, de la beauté
et de l'équilibre. Tout le monde connaîtrait tout le monde, et
c'est peut être cette perception qui, à l'ère virtuelle,
nourrit aujourd'hui un esprit particulier aux campagnes, plus attirant et
à préserver. Sans doute cette vision résonne dans notre
imaginaire « avec la campagne des origines, la vieille civilisation
rurale, et que nous aimons y voir les traces de ce passé
».13 En témoigne la politique culturelle en faveur
du patrimoine, et notamment du patrimoine rural. Valéry Giscard
d'Estaing traduit politiquement l'engouement des Français pour le
patrimoine et lance en 1980 « l'année du patrimoine »,
désormais entrevu comme un bien collectif, un véritable
thème identitaire. C'est ce que suggère notamment Denis Chevalier
: « dans un monde fait de déplacements, d'échanges
â des échelles de plus en plus vastes, c'est sans doute une des
nouvelles fonctions du patrimoine que de contribuer â reconstruire du
local et, ce faisant, par le jeu des redéfinitions et des
identités, produire de nouvelles formes de lien social14
». Une ligne budgétaire du ministère de la Culture est
d'ailleurs créée en 1981 pour le « petit patrimoine
9 Voir à ce sujet, l'étude de Pierre Bourdieu,
Célibat et condition paysanne. In: Études rurales,
n°5-6, 1962. pp. 32-135.
10 Entretien dans Le Journal du dimanche, 28 août
2005.
11 Entretien avec Pascal Ory dans Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2000, p.74,
12 Eric Hosbauwm, Terence Ranger, L'Invention de la
tradition, Éditions Amsterdam, 2005
13 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes,
Pairs, Éditions de l'Aube, p.31
14 Denis Chevallier, Des territoires au gré du
patrimoine, Montagnes méditerranéennes, Institut de
géographie alpine, 2002.
11
rural »15, définis en fonction des
références cultivées du ministère, on pourrait
s'interroger sur l'adjectif employé : le « petit patrimoine rural
», sous-entendu qu'il existerait un grand patrimoine, reconnu et
classé par l'État, et donc une hiérarchie évidente.
Un registre misérabiliste que dénonce Michel Duvigneau,
«dès qu'il s'agit de culture en territoires ruraux, le discours
se réfugie dans un vocabulaire minimaliste : petits projets, petits
lieux, amateurisme, pauvreté de moyens.»16 Le
ministère participerait implicitement à enfermer le monde rural :
sacralisé, intouchable, héritier d'un passé commun,
faisant de la campagne le lieu de l'enracinement face à la ville, lieu
de la mobilité et de la modernité. Entre protection et
instrumentalisation touristique, le patrimoine rural semble résumer
l'essentiel de la culture rurale.
Or, les pratiques culturelles des ruraux ne peuvent se
résumer qu'à un engouement pour la découverte de leur
héritage culturel lors des Journées du Patrimoine. Selon un
bulletin sur les « Pratiques culturelles des ruraux »17
publié en février 1985 par la Direction du développement
culturel, rattachée au ministère de la Culture et de la
communication, les pratiques culturelles des populations rurales étaient
déjà très dynamiques : lecteurs assidus de la presse
(cette pratique progressant dans les communes rurales plus vite qu'ailleurs),
les ruraux seraient aussi les spectateurs les plus fidèles aux journaux
télévisés, écouteraient d'avantage de musique du
fait d'un meilleur équipement tout en sortant de plus en plus le
soir18. Bien que ces chiffres soient encourageants, la vie
culturelle rurale semble toujours souffrir d'un manque d'équipements,
d'offres et/ou de visibilité (accessibilité). En effet, selon
cette même enquête19: « trois personnes sur
quatre vivant en milieu rural estiment qu'il n'y a pas ou peu de
possibilités pour se distraire ou se cultiver dans leur commune, et ceci
expliquant peut-être cela, 36% d'entre elles (29% en 1983)
préfèrent pour leurs loisirs rester chez elles ».
Aucune enquête de ce type,
15 Le « petit patrimoine rural » ou patrimoine rural
non protégé est une ligne budgétaire du ministère
de la Culture créée en 1981 à la demande du Sénat.
Elle permet de subventionner des travaux de sauvegarde portant sur des
édifices non protégés au titre des monuments historiques,
présentant une certaine qualité architecturale et situés
en milieu rural ou en zone urbaine de faible densité (églises,
chapelles, lavoirs, fontaines, puits, fours à pain, etc.).
16 Duvigneau Michel, Art, culture et territoires ruraux :
expériences et points de vue, Dijon, Educagri, 2002, p.45
17 « Les pratiques culturelles des ruraux », dossier
réalisé à l'aide de l'enquête sur les Pratiques
culturelles des Français, descriptions sociodémographiques,
évolutions 1973-1981. Il s'appuie également sur les
monographies réalisées avec l'aide du Services des études
et recherches dans le cadre de l'opération FIC « Promotion des
innovations en milieu rural. ».
18 Les fêtes foraines étant les plus
fréquentées à 45%, les foires expositions à 36% et
le cinéma à 30%. Alors qu'ils n'étaient que 57% en 1973
à déclarer sortir le soir, ils sont 70% en 1985, notamment pour
aller diner, ou assister à un spectacle.
19 « Les pratiques culturelles des ruraux », op.cit.,
p.5
12
spécifique aux populations rurales, n'a
été entreprise depuis 1985. On peut toutefois noter que les
sorties nocturnes hebdomadaires des habitants des communes rurales ont
augmenté de 6% entre 1983 et 2008, tout comme les sorties annuelles en
concert, qui ont été multipliées par cinq20.
Mais comparé à leurs homologues parisiens, l'écart
demeure21, et cela dans quasiment tous les domaines culturels. En
plus de deux décennies, difficile d'envisager une véritable
modification de perception des populations rurales sur l'offre culturelle, et
notamment musicale, de proximité. Aussi, comment réduire ces
inégalités, ce manque apparent d'offres et d'accessibilité
alors que les pratiques des ruraux ne cessent de progresser ?
Des tentatives politiques pour combler ces
inégalités.
La constitution d'une politique culturelle relève d'une
approche double de la société et de ses évolutions. D'une
part, l'on considère que les « cultures nationales », sont de
plus en plus mises à mal par le phénomène de
mondialisation et de transformations de nos sociétés et de
l'autre, ce sont les logiques territoriales, et de gouvernance sur le
territoire qui tendent vers une fin des politiques culturelles nationales. Ces
approches se retrouvent et témoignent de nouveaux rapports entre le
local et le global, les territoires sont de plus en plus reconnus dans leur
rôle de « producteurs d'identités » et il leur revient
l'élaboration des politiques culturelles22. En conclusion,
l'État n'est plus le seul à définir et à piloter
une politique culturelle, notamment en matière de développement
territorial. Les fondements traditionnels de la politique publique en
matière de culture, plus enclins à privilégier
l'unité politique et culturelle du pays, se heurtent au
développement des autorités et des expressions locales, aux
instances politiques supranationales comme l'Union Européenne,
c'est-à-dire à la multitude des niveaux de pouvoirs. Ils ne
correspondent plus au monde tel qu'il est, et à la France qui vit et
agit. Le sentiment d'appartenance national s'efface au regard des
différences culturelles multiples, tout comme l'État, qui doit
entendre et composer avec les particularités affirmées d'autres
acteurs publics et privés. L'État ne conçoit plus l'espace
par une division nette entre Paris et le « désert français
»23, en témoigne l'apparition des premières lois
sur la
20 Donnat Olivier, Les Pratiques culturelles des
Français à l'ère numérique, Enquête
2008, Ministère de la culture et de la communication, La
Découverte, 2009.
21 57% des parisiens intra-muros déclarent sortir une
fois par semaine le soir, et ils sont 32% à déclarer avoir
assisté au moins une fois dans l'année à un concert de
rock ou de jazz.
22 Guillon Vincent, Scherer Pauline, Culture et
développement des territoires ruraux, Travail de recherche
commandité par l'IPAMAC (Institut des Parcs Naturels du Massif Central),
janvier 2012, p.3
23 En référence à l'ouvrage de
Jean-.François Gravier qui dénonçait la centralisation
parisienne et la centralisation théâtrale trop importante à
Paris. Paris et le désert français, Paris, Flammarion,
1947
13
décentralisation dans les années
198024, les contrats de plans État-régions dans les
années 1990, qui marquent l'entrée de l'État dans une
culture du partenariat et une modification profonde de l'organisation
administrative de la France. Fonction essentielle du ministère de la
Culture dont le rôle est de diffuser la « culture partout et pour
tous », l'aménagement culturel du territoire tend à corriger
les déséquilibres territoriaux, à améliorer
l'accessibilité aux équipements et à lutter contre la
fracture sociale en menant des actions en direction de certains territoires
défavorisés, dont les zones rurales. En découle une
importance accrue donnée aux territoires et aux « logiques de
projets » pour mieux répondre aux nouvelles manières de
vivre des populations à l`échelle locale.
Ces nouvelles approches ont notamment été
à l'origine de la loi LOADDT25 qui prévoit
l'élaboration de projet d'agglomération entre EPCI26
et établissements publics. Cette loi définit les grandes
orientations en matière de développement économique et de
cohésion sociale sur le territoire mais offre une place mineure à
la question culturelle, si ce n'est dans le cadre du « Conseil de
développement » dont les représentants sont issus des «
milieux économiques, sociaux, culturels et associatifs ». La
culture ne semble pas être un enjeu majeur du développement des
territoires. Le texte prévoit toutefois la nécessité de
mettre en place de «schémas de services collectifs culturels».
Selon l'article 14, ce schéma définit les objectifs de
l'État pour favoriser la création et développer
l'accès de tous aux biens, aux services et aux pratiques culturelles,
sur l'ensemble du territoire. Mais cet accès de tous, sur l'ensemble du
territoire relève quasiment de l'idéologie, en effet, toutes les
populations ne sont pas concernées par l'implantation des
équipements culturels, encore moins celles situées en milieu
rural27.
Entre décentralisation et démocratisation
culturelle, impact â relativiser
Comme le fait remarquer Jean-Michel
Lucas28, il s'agit davantage de « disséminer » sur
le territoire une offre culturelle instituée plutôt que de
s'ouvrir sur les cultures des populations, leurs références
symboliques et leurs pratiques culturelles spécifiques. Un constat qui
interroge sur la politique de démocratisation de la culture, de
l'accès de « tous, sur tout le
24 Loi n° 82-213 du 2 Mars 1982, dite « Loi Defferre
», relative aux droits et libertés communes des départements
et régions.
25 Loi n° 99533 du 25 juin 1999 d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire et
portant modification de la loi n° 95115 du 4 février 1995
d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire.
26 Établissements Publics de Coopération
Intercommunale.
27 Jean Michel Lucas remarque que « les
équipements culturels de qualité ne bénéficient pas
vraiment aux quartiers périphériques des centres urbains, ni au
milieu rural ».
28 Lucas Jean-Michel, « Culture, territoires et politiques
publics », Uzeste Musical, 2011, p.11
14
territoire » à la culture, face aux statistiques
des pratiques culturelles des Français, qui ne voient pas se
réduire les écarts de fréquentation entre milieux sociaux.
Se pose alors la question de l'équité culturelle territoriale et
de l'égal accès à la culture sur l'ensemble du territoire.
Depuis 1995, le ministère de la Culture reconnait à ce propos que
« les modes de consommation culturelle ne différent, entre
villes et campagnes, que par la commodité
d'accès29 ». Dès lors, émerge la
nécessaire prise en compte des relations entre politique culturelle et
territoire, sur le principe de l'égalité des citoyens devant le
service public. Jean-Michel Lucas a longuement développé sur le
sujet en mettant notamment en exergue le « principe de qualité
» de l'offre culturelle, instituée, légitimée, et une
politique d'aménagement culturel du territoire qui s'attache avant tout
à diffuser et rendre accessible une culture de référence,
dans « une vision dichotomique du monde de la culture » avec «
ceux qui y sont et ceux qui devraient y accéder »30.
D'où une stratégie d'implantation d'équipements culturels
de qualité, censés être à la disposition des
populations qui vivent dans des zones mal pourvues, dans le souci de
défendre, voire de promouvoir, les principes et valeurs qui fondent la
politique culturelle de l'État. Une logique qui s'oppose alors à
une forme, moins légitime, celle de la démocratie culturelle,
où l'offre culturelle n'est pas établie à l'avance par
l'État, mais est le produit de la diversité des expressions, des
pratiques et des univers culturels de chacun, de chaque groupe
social.31 Il s'agit d'une nouvelle stratégie, qui met
l'accent sur l'émancipation des groupes dominés et l'égale
dignité des expressions culturelles en retenant de la culture une
conception plus ethnologique et relativiste : la culture spécifique aux
diverses origines et positions sociales des populations, celle exprimée
par les habitants, celle de la diversité culturelle, sans
hiérarchie de valeurs culturelles et artistiques. Elle reconnaît
davantage la pluralité des cultures, plutôt que le droit à
la culture. Du point de vue ministériel, cette stratégie
interactionniste relèverait
29 Rapport d'information au nom de la Délégation
à l'aménagement et au développement durable du territoire
sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des
territoires », Ministère de la culture et de la communication,
2006, p.15
30 Jean-Michel Lucas, « Culture, territoires et politiques
publics », Uzeste Musical, 2011, p.10
31 On notera la définition de Philippe
Teillet : « Elle confère à l'action de l'État non
pas la mission de réduire les écarts dans le partage des "oeuvres
capitales", mais la responsabilité de soutenir et de veiller au respect
de la diversité des pratiques et des univers culturels. La notion de
développement culturel forgée par Joffre Dumazedier au
début des années soixante sert alors, par la diversité de
ses interprétations, à englober tant la poursuite de la
démocratisation (en mobilisant pour cela l'ensemble des
ministères disposant de publics particuliers et souhaitant contribuer
à leur porter la "culture" qui leur fait défaut, que la
démocratie culturelle entendue comme la volonté de
reconnaître la contribution de chacun et de chaque groupe social à
la production de la culture de son temps et par conséquent, d'adopter un
ensemble de mesures en faveur des formes culturelles propres à ces
différents groupes. », Teillet Philippe, «Publics et
politiques des musiques actuelles», in O.Donnat, P.Tolita, Le(s) public(s)
de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p159
15
davantage du socioculturel ou d'une stratégie
volontariste visant à diversifier les publics en adoptant des
méthodes parfois proches du marketing (cibler des clients
potentiels)32. Un domaine risqué selon le
ministère car il participerait à enfermer les populations dans
leur propre univers culturel, et perdrait sa qualité
d'intérêt général. Spécificités
culturelles rimeraient alors avec ghettos culturels. Aussi,
l'aménagement culturel du territoire proposé par le
ministère revêt toujours d'une logique publique visant à
répandre les préoccupations de celui-ci, au risque de ne pas
être en phase avec les attentes des habitants. La question du territoire
et de la culture est alors de savoir si le territoire peut encore être
entrevu sous le prisme ministériel et institutionnel
caractérisé par une offre culturelle reconnue par l'État,
ou peut-il être assorti aux intérêts des habitants, de leurs
propres références et pratiques culturelles ? Comment peut
s'organiser une offre culturelle qui serait proche géographiquement et
également proche des centres d'intérêts des individus ?
Le phénomène de métropolisation et
décrochage de l'État
Nombreux sont les bilans33, notamment du
ministère de la Culture, qui soulignent dès la fin des
années 1990, que si la France est globalement bien
équipée, des inégalités territoriales demeurent
entre milieu urbain et milieu rural. Le rapport d'information effectué
par la Délégation à l'aménagement et au
développement durable du territoire déplore « une
tendance â la métropolisation des activités culturelles
qu'il s'agisse de la production ou de la consommation, et de leur concentration
dans les grandes villes »34. Claire Delfosse35
constate également en 2011 qu'« équipements et
activités culturels sont étroitement liés â la
densité démographique et urbaine ». La politique
d'aménagement de l'État que nous venons d'évoquer peut en
partie expliquer ce phénomène. La priorité étant
donnée aux structures d'importance et aux grands
évènements, renforcée par les modes particuliers de
financement de la culture. D'ailleurs, les dépenses culturelles des
collectivités territoriales sont aujourd'hui supérieures à
celles de l'État, et parmi elles, ce sont les villes - les communes -
qui contribuent
32 Moulinier Pierre, Les politiques publiques de la
culture en France, Paris, Puf (coll. Que sais-je ?), 2015, p.19
33 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des
Français, Paris, ministère de la Culture, La Documentation
Française, 1998, 359p. ; Atlas des activités culturelles,
Paris, ministère de la Culture, Documentation Française,
1998, 98p.
34 Rapport d'information au nom de la Délégation
à l'aménagement et au développement durable du territoire
sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des
territoires », Ministère de la culture et de la communication,
2006, p.91
35 Professeur de géographie à l'Université
de Lyon, « La culture à la campagne », Pour, 2011, n°208,
p.44
16
le plus au financement public de la culture, pour près
de 60%36, financement utilisé en grande partie
attribué pour la gestion directe d'équipements culturels.
Spécialiste de la culture et des politiques publiques, Guy Saez
écrit à ce sujet que « [..] petites ou grandes, ce sont
les villes qui accueillent biens et services culturels, dans les villes que se
créent, se reçoivent et se consomment les propositions
artistiques et culturelles.»37. Des propos qui font
échos à la position assumée par le ministère de la
Culture lors de son audition par la Délégation
précitée : « L'État a la responsabilité
des lieux phares. Pour les autres il lui revient de déclencher les
initiatives territoriales et de les soutenir. Il ne s'agit pas de
récuser ici le rôle de l'État en zone rurale. Il est vrai
que l'État n'y intervient pas. C'est plutôt les conseils
généraux qui assument cette tâche. (..) Il est vrai aussi
que l'État se concentre sur les festivals les plus lourds.
»38. De tels propos tendraient à montrer un certain
désengagement de l'État, ainsi qu'un
désintérêt pour une part majeure du territoire, où
il ne se passerait donc rien. La question de la responsabilité de
l'intervention de l'État dans les territoires ruraux se pose. À
croire que la politique culturelle nationale n'atteindrait pas ces territoires,
laissée aux mains des collectivités, qui, adoptent des
stratégies de développement culturel dans des proportions
très diverses. Ce manquement étatique est-il cohérent avec
son rôle supposé de « réducteur des
inégalités» ? D'ailleurs, nous l'avons dit, il est courant
de qualifier la ruralité par ce qu'elle n'est pas : peu peuplée,
peu équipée, peu irriguée, peu connectée, peu
animée, etc. ; en exagérant à peine, l'on pourrait penser
que ce sont ces représentations, négatives, qui feraient la
spécificité du milieu rural, et donc sa définition.
L'État aurait-il choisi de maintenir cette « définition
» en niant les enjeux inhérents aux attentes et besoins des
populations rurales ? C'est ce que semble souligner Marc Gauchée et
Henry Delisle qui écrivent : « lorsqu'on décide de
partir des pratiques des
36 « L'échelon communal (communes et groupements
de communes compétents en matière culturelle) reste celui qui
finance le plus largement les dépenses culturelles : 60 % de l'ensemble
des dépenses pour les communes et 13 % pour les groupements de communes.
Les départements contribuent pour 18 % de l'ensemble des dépenses
culturelles territoriales, et les régions pour 9 %. » Extrait de
Les dépenses culturelles des collectivités territoriales en
2010 : 7,6 milliards d'euros pour la culture, DEPS, Mars 2014, Collection
Culture chiffres. En 1993, la commune assurait près de 41 % du
financement public de la culture, loin devant le département (7,3%) et
la région (3%). Selon le DEPS, les dépenses culturelles des
collectivités territoriales en 2006 comme suit : communes de plus de
10000 habitants, 4,35 milliards d'euros ; intercommunalités, 842
millions ; départements, 1,3 milliard ; régions, 555,8
millions.
www.culturecommunication.gouv.fr/politiques-ministerielles/etudes-et-statistiques/lespublications,
Chiffres clés 2012 et Statistiques de la culture, 2012.
37 Saez Guy, « Les collectivités territoriales et
la culture », in Les politiques culturelles, Cahier
français, n°348, 2009, p.10
38 Rapport d'information au nom de la Délégation
à l'aménagement et au développement durable du territoire
sur « L'action culturelle diffuse, instrument de développement des
territoires », Ministère de la culture et de la communication,
2006. p.24
17
populations, il est rarement question des pratiques «
rurales », mais urbaines, des banlieues et jamais des campagnes, comme si
le milieu rural n'était porteur d'aucune culture
»39.
Les musiques actuelles, sans-frontières entre urbains
et ruraux.
Pour cette étude, nous utiliserons l'expression
«musiques actuelles» pour définir un champ d'interventions
publiques englobant des esthétiques musicales et artistiques
variées qui réunissent à la fois les musiques
amplifiées, la chanson, le jazz et les musiques traditionnelles. Loin de
décrire une réalité musicale, l'appellation est largement
employée par les pouvoirs publics pour désigner un domaine
d'intervention spécifique jusqu'alors peu ou mal soutenu par les
autorités publiques. Dans un souci de simplification et parce que
l'objet de ce mémoire n'est pas de questionner la pertinence de cette
expression, dont nous décrirons en annexe les limites, nous emploierons
le terme « musiques actuelles » pour désigner toutes formes
d'initiatives et d'actions en faveur de ces musiques ou spécifiques
à une politique publique40.
La musique est la pratique culturelle
préférée des Français, aussi bien en termes
d'écoutes que de pratiques instrumentales, en attestent les
enquêtes du Ministère de la culture41.
L'intérêt pour la musique n'a cessé de progresser. Entre
1997 et 2008 on note une augmentation des écoutes quotidiennes de
musique : on passe de 27% à 34% de Français qui écoutent
quotidiennement de la musique (en plus de la radio). Le « boom musical
» des années 1970 (initié par l'arrivée de la
chaîne hi-fi puis du baladeur) s'est largement prolongé avec
l'arrivée du numérique : les choix et goûts culturels,
à fortiori musicaux, constituent un aspect considérable de la
construction identitaire, notamment chez les jeunes, qui en sont les premiers
consommateurs et pratiquants42. Notons qu'au-delà des
disparités géographiques et sociales observées en 1998,
l'enquête menée en 2008 révèle une
corrélation en matière de fréquentation
d'équipements et de pratiques, notamment musicales, entre urbains et
ruraux : « les taux de pratique des Parisiens ne sont guèrs
supérieurs â ceux des habitants des communes
39 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p.95
40 Nous consacrons une annexe spécifique
complétant la définition des musiques actuelles, ainsi qu'un bref
résumé des mesures politiques prises en sa faveur.
41 La première enquête date de 1973. Les
enquêtes sont menées par le DEPS (Départements des
Études de la Prospective et des Statistiques du Ministère de la
Culture). L'ensemble de ces données ont récemment
été comparées : Donnat Oliver, Pratiques culturelles,
1973-2008. Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales,
DEPS, 2011.
42 15-19 et 20-24 ans sont les plus nombreux à jouer
d'un instrument, (45 et 34%), à jouer ou chanter dans un cadre
collectif/groupe ((20 et 12%) et faire de la musique sur ordinateur (16 et
15%), 70% des 15-24 ans écoutent de la musique tous les jours ou
presque. 2008
18
rurales (23% contre 16%) »4; souligne
Olivier Donnat. Un constat qui atteste d'une certaine
homogénéisation culturelle, certes relative, mais effective des
pratiques entre urbains et ruraux. Malheureusement, les données
relatives aux typologies de publics nous manquent, mais il convient de
s'interroger sur les pratiques des jeunes ruraux et périurbains, trop
souvent oubliés des débats publics et pour lesquels nous savons
notamment que les configurations spatiales de leur lieu de vie influent sur
leur propre vécu, leur mobilité, leur parcours et leur
autonomie.44Aussi, la logique publique qui tend « moins
â porter les oeuvres au public qu'à porter les oeuvres du public
»45 trouve tout son sens dans le travail porté par
les acteurs de terrain, conscients des enjeux que revêt la place des
musiques actuelles dans le quotidien des Français.
Terres rurales, terres d'initiatives ...
Alors, certes, si l'on peut dépeindre une
disparité forte entre l'urbain et le rural, l'on ne peut résumer
l'espace rural à un désert culturel, mais à un
désert nuancé dans les faits. Pierre Moulinier explique à
ce propos que si le milieu rural « a bien évidemment besoin des
ressources de la ville, il est souvent riche, malgré le handicap de
l'éloignement et les faibles ressources financières de ses
communes, d'un patrimoine important et de l'apport de ses militants
bénévoles46. » Dans les villes moyennes et
petites villes, il existe un potentiel appréciable d'équipements
de proximité (bibliothèques, écoles de musique, salles de
cinéma, etc.), qui irrigue l'espace rural. Rarement
considérée comme une priorité par les politiques
locales47, la culture fait pourtant de plus en plus l'objet
d'initiatives publiques, sous forme d'actions culturelles, mais moins d'une
véritable politique publique où les financements seraient
à la hauteur d'objectifs et de modes d'interventions
réfléchis et cohérents. En Seine-et-Marne, le
département joue son rôle « redistributeur
»48, d'irrigation culturelle au profit des campagnes, notamment
via des actions de diffusion culturelle. C'est le cas par exemple de
l'association départementale Act'Art, qui développe depuis plus
de vingt ans les « Scènes Rurales »,
4; Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des
français â l'ère numérique, enquête 2008,
Ministère de la Culture et de la Communication, DEPS, La
Découverte, 2009
44 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé
Lionel, « Les jeunes dans les espaces de faible densité : d'une
expérience de l'autonomie au risque de la captivité »,
Société et jeunesse en difficulté, n°41,
2007
45 Teillet Philippe, «Publics et politiques des musiques
actuelles», in O.Donnat, P.Tolita, Le(s) public(s) de la culture, Paris,
Presses de Sciences Po, 200;, p159
46 Moulinier Pierre, Les politiques publiques de la
culture en France, Paris, Puf, (coll. Que sais-je ?), 2015, p.67
47 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action
publique des petites villes. Un révélateur des politiques
urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour,
n°8;, 2008, p. 5
48 Delfosse Claire, « La culture à la campagne
», Pour, n°208, 2011
19
diffusant une programmation théâtrale toute
l'année sur l'ensemble du territoire et des communes rurales.
L'implication de partenaires associatifs se retrouve également au
travers du dispositif « Place Aux Jeunes », lancé en 2012. Une
démarche en faveur des 16-26 ans visant à accompagner leurs
projets et leur participation citoyenne sur leur territoire et qui, dans le cas
du sud de la Seine-et-Marne, s'appuie essentiellement sur l'association
Musiqafon. Association à l'origine de projets musiques actuelles
cherchant à s'adapter aux spécificités de la
ruralité du sud seine-et-marnais par le biais du Musibus, un bus-concert
itinérant, parcourant les villes et villages, et donnant à des
centaines de groupes locaux la possibilité de se produire en public. Il
faut donc compter sur la présence diffuse, mais bien réelle, de
certaines associations localement ancrées, qui contribuent aux
activités de diffusion, d'accompagnement des pratiques et de formation,
souvent à la marge des institutions. En contrepartie de leur
éloignement des circuits « habituels de diffusion », les
acteurs développent des actions culturelles et des activités
transversales.
... mais pas sans contraintes.
Des initiatives, souvent privées, se multiplient aux
quatre coins du département, caractérisées par des modes
d'implantation éphémères (festivals, concerts),
itinérants (bus-concert, parcours de diffusion) et souvent transversaux,
qui pallient au manque de « murs », de transports et à
l'isolement de certains villages. C'est toute une dynamique locale et
associative qui se développe et s'adapte aux spécificités
d'une ruralité devenue source de projets. Se dessine un maillage plus ou
moins visible d'acteurs, qui initient fortement pour le développement
des musiques actuelles sur le territoire rural, à tous les niveaux. Mais
cela ne va pas sans difficultés. À la recherche d'alternatives,
les acteurs doivent mobiliser d'autres manières de faire, d'interagir,
de coopérer et de composer avec leur environnement, en s'appuyant sur
les acteurs en place, sur les populations locales, les élus. Les
exigences budgétaires qui touchent l'ensemble du secteur associatif et
culturel, mais qui sont généralement plus prégnantes dans
les collectivités locales rurales, ne sont pas sans conséquences.
Elles nécessitent de maîtriser de nouvelles compétences et
de mobiliser des savoir-faire extérieurs. Ayant souvent une petite jauge
et des finances limitées, les structures axent leur programmation sur le
local, et moins sur les têtes d'affiches, d'ailleurs difficilement
attirées par ces structures. Des acteurs qui, pour une large part,
portent les valeurs d'éducation populaire et défendent
au-delà de la dimension strictement artistique, une démarche plus
large dans le sens de l'épanouissement individuel et collectif, de la
cohésion sociale et du vivre-ensemble, et qui, malgré leur
implication et leur
20
ancrage, ne se sentent pas toujours soutenus à la
hauteur des ambitions affichées par les pouvoirs publics se heurtant
parfois à l'incompréhension, au manque de reconnaissance et au
manque d'investissement de leurs collectivités territoriales, les
rendant plus fragiles économiquement. Aussi, dès lors que l'on
s'intéresse au-delà des sentiers battus que représentent
les traditionnelles fêtes de villages, on assiste à une multitude
d'initiatives culturelles, aux modes d'intervention originaux, qui mettent en
scène des moments collectifs de culture et réinventent une
certaine façon de partager et de vivre « la culture sans complexe
»49. Ces initiatives existent, dispersées,
isolées et peu connues, mais significatives d'une évolution
démographique et sociale au sein des espaces ruraux. « La
campagne n'est pas seulement un espace de nowhere
(...).»50 Un phénomène qui s'explique en
partie par un étonnant regain démographique dans nos
campagnes.
Homogénéisation des modes de vie entre
urbains et ruraux
En 1999, le rural a en effet connu une croissance de
population de 0,54% par an, dépassant ainsi de moitié la
croissance urbaine alors de 0,24% par an51. L'image de la campagne
est si positive, que lorsqu'on interroge les Français, ils sont 42%
à affirmer vivre dans le monde rural, alors qu'ils ne sont en
réalité que 25% selon l'Insee, et 58% à vouloir
s'installer à la campagne s'ils avaient le choix52. La
conséquence d'un désir de campagne, d'une attirance pour le monde
rural, qui tient majoritairement au cadre de vie, souvent
idéalisé, lié aux notions de calme, de nature, de
pureté et de liberté.53 Cet exode repose
désormais sur d'autres fondements : nombre croissant de gens ne pouvant
plus se loger près des centres urbains en raison du prix
élevé du foncier, mais aussi, recherche d'un nouvel ordre
écologique, d'un autre sens de la vie, tant sur le plan du
bien-être que sur la construction du projet collectif, pour ne pas dire
politique. Les citadins vont à la campagne, et s'y installent. Ces
populations urbaines, ces « néo-ruraux », apportent avec elles
leurs habitudes et besoins en matière de culture, elles ne souhaitent
pas forcément une offre culturelle équivalente à celle
qu'elles trouvent en ville, mais elles sont à la recherche d'une
même qualité de services54. Une qualité de vie
qui inclut
49 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p.112
50 Ibid. p.111
51 Recensement de la population française de 1999,
INSEE
52 Atlas rural et agricole de l'Ile-de-France, DRIAF,
IAURIF, 2004 et le sondage réalisé par BVA pour Doméo et
Presse Régionale, en décembre 2015,
53 Hervieu Bertrand, Viard Jean, Au bonheur des campagnes,
Éditions de l'Aube, 1996
54 Gauchée Marc, Paradis verts, désir de
campagne et passion résidentielle, Payot, 2005.
21
désormais la culture, aussi bien en termes de diffusion
et la possibilité, par exemple, d'assister à des concerts ou des
spectacles, qu'en termes de pratiques et d'équipements
dédiés à celles-ci. De plus, il faut également
considérer l'accroissement majeur des mobilités : « de
1960 â 1990, la mobilité des Français a explosé :
les distances parcourues en moyenne par an et par personne ont triplé
»55. Une mobilité intense qui modifie et
redéfinit significativement la nature des rapports au territoire. On
parle d'ailleurs d'une « multi-appartenance territoriale » pour
caractériser cet éclatement des sphères de vie des
habitants, notamment chez les périurbains, qui vivent continuellement
entre leur lieu de résidence, de travail et de loisirs56. Des
« hypermobiles » d'un côté, tributaires d'un
réseau de transport efficace ou encore d'un véhicule, et de
l'autre, des immobiles, « que l'exclusion sociale et économique
assigne â résidence ».57 Les styles de vie et
de consommation s'urbanisent jusqu'aux confins des campagnes. On s'habille, on
parle et on s'équipe de la même manière, jeunes ruraux et
jeunes urbains regardent la télévision, ont un
téléphone portable, des écouteurs, un ordinateur, etc.,
mais n'accèdent toutefois pas de la même manière aux
mêmes équipements et services culturels.
Ainsi, nous avons exposé certains des principaux enjeux
liés au développement de la culture sur le territoire : les
disparités spatiales se heurtent à des stratégies
d'orientations politiques et culturelles qui s'opposent ; il persiste des
inégalités d'accès, de consommation et de pratiques
culturelles malgré un besoin grandissant des populations rurales en
matière de culture. Aussi face à l'inégale
répartition des structures de musiques actuelles en Seine-et-Marne et
aux déséquilibres territoriaux, culturels et sociaux, comment
peut exister et se construire une offre culturelle et musicale, qu'elle soit
régulière ou permanente, et proposer des réponses aux
attentes des populations, jeunes et moins jeunes, sur le territoire rural du
Gâtinais ? Quelles sont les dynamiques propres à ce territoire
rural en matière de musiques actuelles ? L'enjeu est de savoir si la
portée des initiatives serait limitée en raison de facteurs
propres au territoire (méconnaissance, isolement, problèmes de
mobilités, relations parfois complexes avec les collectivités,
etc.) et si, toutefois, les difficultés sont palliées par des
stratégies d'adaptation propres et caractéristiques au milieu
rural (initiatives privées, modes d'intervention spécifiques,
etc.), et dans ce cas, si ces initiatives sont suffisantes pour contrer les
inégalités et assurer une dynamique culturelle et locale
essentielle.
55 Veltz Pierre, Davezies Laurent « Territoires :
nouvelles mobilités, nouvelles inégalités », Le
Monde, 20 mars 2005
56 Ibid. p. 2
57 Ibid. p. 5
22
Méthodologie appliquée
La construction d'un corpus documentaire s'est
constituée grâce au recueil d'ouvrages, d'articles, de
publications scientifiques, de textes officiels, d'écrits,
d'études, de rapports institutionnels et associatifs ainsi qu'au
repérage dans la presse locale, régionale et nationale
d'informations sur notre sujet afin de favoriser la compréhension des
éléments aussi bien liés au territoire, aux politiques
culturelles, aux musiques actuelles qu'aux acteurs de terrain. Les lois et
textes législatifs sont également mis en évidence
étant donné leur influence majeure sur la mise en place de
projets, la structuration des lieux, et sur le secteur des musiques actuelles
en général. Il en va de la capacité à objectiver au
maximum les données recueillies pour ne pas formater ni
pré-construire la réalité que nous tentons de saisir. Les
connaissances acquises lors de la réalisation du précédent
mémoire, ainsi que celles acquises durant mes formations universitaires
(médiation culturelle, développement culturel territorial), ont
évidemment enrichies ces recherches. La pertinence de cette
étude, qui propose une approche à la fois sectorielle et spatiale
d'un phénomène culturel local, s'était d'ailleurs
confirmée au cours de travaux préparatoires et du
précédent mémoire de recherche sur le sujet58,
abordant principalement une analyse théorique des musiques actuelles en
milieu rural et pensé pour être une amorce à cette
présente étude. Il aura davantage permis de dégager les
principaux éléments théoriques et pistes sur lesquels nous
baserons en partie nos réflexions, que de trouver de véritables
« réponses » à nos interrogations.
Afin d'être au plus près des
réalités et enjeux qui concernent notre sujet, ce mémoire
est alimenté par différents entretiens menés auprès
d'acteurs de terrain, de professionnels du secteur ainsi que de porteurs de
projets musiques actuelles sur le territoire, indispensables pour
prétendre comprendre les pratiques sociales et culturelles de chaque
agent, le sens qu'ils en donnent, leurs motivations, leurs objectifs, leurs
difficultés et attentes. Pour la conduite de ces entretiens, nous avons
favorisé la forme ouverte, ou celle du récit de vie,
auprès notamment des individus moins sensibilisés aux
problématiques culturelles, à la différence des
professionnels. Ces entretiens libres ont visé à recueillir des
données riches et significatives, en laissant la possibilité
à l'enquêté d'exprimer largement ses pensées tout en
permettant de reformuler les termes de nos questions. Le contrôle de ses
réponses et leur comparaison ont été certes
délicat, mais l'objectif est de préserver la
spontanéité des propos des enquêtés. Ajoutons que
cet outil qualitatif ne permet pas de mettre en évidence le rôle
effectif des enquêtés dans une situation
58 Mémoire de Master 1 - « Musiques actuelles en
milieu rural, le cas du Gâtinais sud seine-et-marnais »,
Université Sorbonne Nouvelle, 2014-2015, sous la direction de
Cécile Prévost-Thomas.
23
réelle, car ces phénomènes ne sont saisis
«qu'après-coup». Il n'a pas été possible de
travailler sur une étude plus quantitative, qui aurait pu se baser sur
l'exploitation d'un questionnaire, aussi, nous avons dû nous limiter aux
entretiens, au risque de n'en saisir que des réalités partielles
et subjectives, que nous ne pourront généraliser.
Posture de l'enquêteur
C'est à la faveur d'événements, de
concerts, de festivals, de rencontres, de débats ou de toutes
manifestations collectives relatives aux musiques actuelles sur notre
territoire, que l'observation participante a été essentiellement
privilégiée afin de rendre compte de l'environnement, des
comportements, des pratiques et des attitudes des individus «en
action». C'est aussi dans la pratique et l'observation participante qu'il
m'a été permis de saisir le cadre concret de l'enquête en
faisant l'expérience de l'ensemble social et spatial. Mon parcours
professionnel au sein du réseau des musiques actuelles de
Seine-et-Marne, le Pince Oreilles, complété par mes
activités musicales et associatives, ainsi que ma proximité avec
ce territoire dans lequel je suis née et j'ai grandi, me donnent une
certaine assise et une appréhension plus évidente et
cohérente pour mener ces recherches. Coutumière de certains
projets, auxquels j'ai moi-même participé, et de certains acteurs
que j'ai par le passé longuement côtoyé, mon implication
dans cette étude revêt d'un intérêt peut-être
tout autant personnel qu'universitaire. Cette position a, de façon
évidente, constitué un atout pour négocier mon droit
d'entrée au sein de telles associations, de tels lieux ou de telles
institutions. Que ce soit par ma posture de bénévole,
d'étudiante, de stagiaire, de musicienne ou d'habitante, mon rapport au
territoire et aux acteurs est de fait marqué par une réelle
proximité avec mon objet d'étude. La mise à distance dans
mes relations aux entretiens a pu parfois être complexe : j'étais
la stagiaire la veille, la consommatrice la semaine précédente,
je deviens l'étudiante-chercheuse lors de l'entretien. Les
enquêtés ont pu parfois se montrer particulièrement
bienveillants, voir familiers, lors d'entretiens où les interactions
étaient plus aisées. De par mon parcours, je suis
également de plus en plus amenée à emprunter le
vocabulaire des acteurs que je côtoie. Loin d'arriver à avoir un
accès complet au point de vue de l'enquêté, ma propre
socialisation au sein du tissu associatif et du territoire peut toutefois
rendre difficile mon désengagement pour l'analyse des données.
Une étape d'autant plus complexe et nécessaire, que le champ
associatif est saturé de militantisme, et a fortiori en milieu rural,
où l'implication des acteurs dans les problématiques sociales et
culturelles du territoire est forte. Moi-même pouvant facilement
déplorer une situation, plutôt que d'envisager sa réelle
nature. Mon expérience de musicienne au sein d'une
24
jeune formation seine-et-marnaise, m'a également
donné l'occasion de vivre les difficultés liées aux
déplacements (et l'indispensable voiture parentale) ainsi qu'au manque
de lieux véritablement dédiés au développement de
notre pratique musicale et à sa diffusion, nous obligeant
généralement à devoir jouer dans des granges, des salles
polyvalentes, des terrains en plein air ou encore dans des bus-concerts,
à défaut de (vraies) salles de concert. Et pourtant ce manque
d'équipements n'empêchait pas les projets d'exister, tout comme
les organisateurs, très impliqués et désireux de proposer
des évènements de qualité, ouverts et variés. Ils
s'avéreront même bénéfiques pour notre formation, en
nous offrant la possibilité de perfectionner nos prestations et
d'accéder par la suite à quelques scènes parisiennes. Bien
sûr, nous avions le sentiment d'un décalage, d'un faussé
entre ce qu'il existait « chez nous » et dans les grandes villes.
Familière des lieux, j'ai pu faire l'expérience sensible de cet
environnement, être confrontée aux aléas et aux avantages
de vivre à la campagne ; entre l'appel de « la vraie ville »
pour sortir de l'isolement et le plaisir d'une qualité de vie
incomparable ; entre le sentiment d'inégalité et de
privilège.
Intérêts de l'étude de cas
En s'intéressant au développement territorial
culturel à travers l'étude des musiques actuelles sur un
territoire rural, ce mémoire pourrait participer à
l'étoffement du corpus théorique dans le domaine des musiques
actuelles en proposant une étude de cas, et pourrait,
éventuellement, participer à une certaine lisibilité des
projets tout en complétant la multiplicité des regards et
analyses dans un contexte d'incertitudes et de mutations territoriales. Le
sujet s'attache à confronter les limites spatiales aux limites
culturelles, sociales et politiques, en mettant en avant la
réalité territoriale face aux discours publics. D'ailleurs,
depuis quelques années, les réflexions sur les projets culturels
et artistiques en milieu rural se multiplient. Il faut noter toute une
production sociologique sur le monde rural, abordé non plus seulement en
termes démographiques et quantitatifs, mais sous l'angle des
évolutions économiques, des modes de vie et de la culture. Les
ouvrages de Bertrand Hervieu et Jean Viard59 ou encore les travaux
de Nicolas Rénahy60, auront permis de modifier une certaine
vision des campagnes. La Fédération des Lieux de Musiques
Actuelles, la FEDELIMA61, a notamment initié en 2008 une
59 Au bonheur des campagnes et L'Archipel Paysan,
Éditions de l'Aube, 1996 et 2004.
60 Les Gars du coin. Enquête sur la jeunesse rurale,
La Découverte, Paris, 2005, et « Délinquance
routière, machisme et crise sociale : pourquoi les jeunes ouvriers se
tuent au volant », Le Monde diplomatique, 2005.
61 Née en 2013 de la fusion de la
Fédurock et du FSJ.
25
étude sur les « lieux de proximité de
musiques actuelles/amplifiées : l'exemple du milieu rural », une
première. Plusieurs temps de rencontre entre acteurs du secteur ont
alors suivi cette enquête afin de mettre en commun les
expériences, les interrogations et problématiques liées au
développement de leur projet sur leur territoire
d'implantation62. En 2016, la fédération a
créé une plateforme ressource63, la première
à voir le jour sur la question culturelle en milieu rural.
Alimenté par les réflexions du groupe de travail «
Ruralité », mis en place en 2015, ce nouveau support se veut
être un outil de partage capable de donner des appuis et données
actualisées. Il témoigne d'une prise en compte concrète du
sujet, jusqu'alors effleuré. Malgré cette impulsion relativement
récente sur la question des musiques actuelles en milieu rural, il
s'avère que peu d'ouvrages sont consacrés directement à
notre sujet64. Comme le souligne Philippe Teillet65
«le faible nombre de monographies ne permet pas [...J d'exposer avec
précision les conditions dans lesquelles les problèmes propres
aux «musiques amplifiées» - â leurs pratiquants et
publics - ont été inscrits sur les agendas
territoriaux»66. Ainsi, il s'avère que les
études à l'échelle nationale sont plus récurrentes.
Or, nombreux sont ceux qui défendent l'intérêt d'une
étude localisée, tant pour «restituer la
diversité des formes possibles de l'intervention publique dans le
domaine culturel qu'à mieux connaître les pratiques
localisées qui ont contribué â la mise en forme des
politiques nationales»67. En plus de récolter des
éléments nous permettant de définir des contours
généraux, il faut donner de l'importance aux
particularités, aux dynamiques spécifiques, aux «jeux
sociaux» qui s'organisent autour des musiques actuelles à
l'échelle locale. En effet, comme le précise Emmanuel Brandl
«le niveau local pose des difficultés théoriques et
méthodologiques qui surgissent en regard des jeux d'influences entre
l'univers politique et l'univers culturel» et «qui imposent
de prêter la plus grande attention aux actions et aux interactions des
acteurs politiques et culturels locaux.»68. Ainsi, c'est
l'ensemble des particularités politiques, culturelles, sociales et
institutionnelles qui
62 Plusieurs rencontres programmées depuis 2009.
63
http://www.ruralite.fedelima.org
64 Toutefois, les études sur la ruralité sont
nombreuses, notamment dans le domaine de la géographie mais
s'étendent de plus en plus aux sciences sociales.
65 Maître de conférences en science politique
à l'Université d'Angers.
66 «Éléments pour une histoire des
politiques publiques en faveur des «musiques amplifiées», in
Ph Poirrier (dir.), Les collectivités locales de la culture. Les
formes de l'institutionnalisation, XIXème et XXème
siècles, Paris, Ministère de la Culture, La Documentation
Française, 2002, p. 2
67 Dubois Vincent, in Institutions et politiques culturelles
locales, p.40-43
68Brandl Emmanuel, in «La sociologie
compréhensive comme apport à l'étude des musiques
amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous
la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches
empiriques, Paris : L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales »,
Série « Musiques et champ social », 2000, p. 259-260
26
est à prendre en compte, tout en privilégiant la
méthode hypothético-déductive, basée sur
l'émission d'hypothèses et la prévision des
conséquences, dont il faudra tenter, par la suite, d'en vérifier
la véracité.
Pour mener à bien nos réflexions, cette
étude s'articule en trois temps. Dans un premier temps, il s'agit
d'appréhender notre territoire d'étude à travers un
état des lieux des structures et des initiatives dédiées
en partie ou entièrement aux musiques actuelles, à
l'échelle de la région, du département et enfin du
Gâtinais. Afin de saisir au mieux dans quels cadres s'inscrivent ces
actions, les contextes territoriaux et sociodémographiques seront
définis. Cette vision d'ensemble nous permettant d'analyser, dans un
second temps, les difficultés rencontrées par ces projets en
milieu rural. L'enjeu étant de dégager les principales limites au
développement des musiques actuelles sur le territoire en s'attachant
aux interactions, aux représentations, aux relations entre les acteurs,
les collectivités territoriales et les populations. Enfin, la
dernière partie rend compte des stratégies adoptées par
les acteurs et des caractéristiques inhérentes aux projets
musiques actuelles en milieu rural. Il s'agit de définir les
spécificités et dynamiques propres aux projets dans le souci
d'entrevoir les perspectives d'évolution des musiques actuelles sur le
territoire.
27
PARTIE 1
Musiques actuelles et ruralité : état des lieux.
De l'Île-de-France au Gâtinais.
28
I. Ruralité et musiques actuelles : le contexte
francilien
1.1. Campagnes et métropole.
De prime abord, difficile d'entrevoir la région
Île-de-France uniquement sous sa dimension rurale. L'espace francilien
est en effet marqué par la présence des plus grandes
agglomérations urbaines européennes. Toutefois, une part
importante de la population a le sentiment d'habiter encore à la
campagne69. Et pour cause, l'Île-de-France est composée
de près de 80 % d'espaces ruraux, agricoles et forestiers. Environ 60 %
des communes franciliennes rassemblent moins de 2000 habitants et 46 % ont
même moins de 1000 habitants, ce qui représente 839 communes
rurales et plus d'un million d'habitants. Ainsi malgré ses 11 millions
d'habitants, ses grandes infrastructures, son envergure de véritable
métropole, l'Île-de-France peut encore être associée
aux campagnes.
Le phénomène de métropolisation
s'étend mais la ruralité semble malgré tout
préservée, notamment dès que l'on se fonde sur
l'appréciation et le sentiment des habitants face à leur
territoire : la ruralité est présente, ressentie et visible. Elle
est perçue et vécue par les habitants, au delà des
représentations collectives. Si l'Île-de-France présente
effectivement de véritables territoires ruraux, bien distincts des
espaces urbains et périurbains, avec des superficies agricoles et
forestières importantes, les caractéristiques mêmes du
rural ont toutefois évolué. L'agriculture ne fait plus le rural.
Bien qu'elle reste dominante en termes d'occupation du sol, elle n'est en effet
plus le principal moteur économique de la région, et en termes de
représentations, à peine 10% des Français associent
aujourd'hui l'espace rural à l'agriculture ou au travail
agricole70. Le développement continu et disparate des bourgs
et villages franciliens, en ceinture verte et dans la couronne rurale, exprime
une certaine attractivité et aspiration vers le «vivre à la
campagne et travailler à la ville». À la fois espaces de
vie, de travail et de loisirs, l'espace francilien, tout comme le territoire
national, se compose d'espaces combinés, où la forte
mobilité géographique des individus rend la distinction entre
deux catégories de populations (urbaines ou rurales) caduque. Le
sentiment de vivre en zone rurale ne correspond
69Atlas rural et agricole de
l'Île-de-France (2004) réalisé par la Direction
Régionale et Interdépartementale de l'Agriculture et de la
Forêt (DRIAF) et l'Institut de la Région d'Île-de-France
(IAURIF) page 7.
70 D'après l'enquête du CREDOC et INRA
réalisée en 2001 pour le groupe de Prospective sur les Espaces
Naturels et ruraux de la DATAR.
29
donc pas forcément aux critères statistiques qui
définissent le rural, fondés notamment sur les modes de vie
(migrations pendulaires...).
En matière d'emploi, deux visions simplificatrices
doivent d'emblée être écartées, l'une
réduisant les actifs ruraux à des exploitants agricoles, l'autre
à des « migrants pendulaires »71. L'espace rural
francilien n'a pas échappé aux tendances lourdes qui affectent,
depuis plusieurs décennies, la géographie de l'emploi :
métropolisation, effondrement de l'emploi agricole, tertiarisation de
l'économie. Même si la grande couronne connaît depuis
quelques années un dynamisme lié au desserrement des
activités du coeur de l'agglomération, les communes rurales
restent largement à l'écart de ce mouvement. Influences
extérieures et mutations propres déterminent donc la
structuration actuelle de l'emploi rural francilien. Celui-ci se
caractérise par un marché du travail restreint, n'abritant que 6%
de l'emploi francilien et 10% de la population totale de la région. Les
communes rurales se caractérisent également par une
sur-représentation des ouvriers et artisans en écho à une
sous-représentation des cadres. L'essentiel de la population active est
composé, comme dans l'espace urbain, par des professions
intermédiaires et des employés72.
Quelques comparaisons avec leurs homologues franciliens
urbains permettent de distinguer les caractéristiques des ménages
et leurs installations dans ces espaces ruraux. En 1999, les populations
franciliennes rurales sont représentées majoritairement par des
familles avec enfants (la moitié des ménages). L'autre
moitié des ménages résidant en milieu rural est surtout
composée de couples sans enfant (26,7 % contre 21,6 %) et plus rarement
qu'ailleurs, de personnes vivant seules (21,6 % contre 35,9 %). Ces personnes
seules sont plutôt âgées : la moitié a
dépassé la soixantaine (49,6 %), contre un peu plus du tiers dans
le reste de la région (35,6 %). La moitié des
emménagés récents résidait déjà dans
le rural ou vivait dans en milieu périurbain : 18 % ont simplement
changé de logement au sein de la même commune, 21 %
résidaient en 1990 dans une autre commune rurale et 10 % dans le
périurbain. Les autres proviennent pour l'essentiel du coeur de
l'agglomération (34 %) ou de province (14 %). Il faut noter, que ces
campagnes restent sous l'influence majeure de la capitale et de son
agglomération. Bien que les Franciliens n'aient pas l'impression
d'appartenir à l'agglomération parisienne (72 %), ils se sentent
sous l'influence de Paris (52%). Une proximité qui semble
généralement bien vécue, la
71 Liée à l'étalement urbain et au
phénomène de périurbanisation, la migration pendulaire
désigne les individus se déplaçant quotidiennement de leur
domicile à leur travail.
72 Les chiffres sont issus du recensement de la population
française de 1999, INSEE.
30
majorité des Franciliens s'y rendant pour des raisons
culturelles73. Enfin, l'installation dans le rural francilien est
souvent motivée par la recherche d'un cadre et d'une qualité de
vie privilégiée, quoique l'accès à la
propriété et les exigences professionnelles demeurent des
critères dominants, devant l'attrait pour le prix des loyers ou encore
pour les conditions de vie et d'éducation des enfants.
74
1.2. État des lieux des musiques actuelles en
Île-de-France75
Région capitale, l'Île-de-France concentre une
part décisive de la vie musicale du pays. La plupart des maisons de
disques, des revues de presse spécialisées, des tourneurs y sont
installés. De nombreux artistes ont choisi d'y vivre. Une
pléthore d'amateurs y pratique la musique. Chaque semaine, on compte
plus d'une centaine de concerts programmés. Cette diversité est
surtout le fait d'un tissu associatif militant vivace et d'une forte
concentration des professionnels du secteur privé commercial - à
Paris par exemple, plus des trois quarts des
8%
8%
7%
2% 2%
5%
12% 24%
1%
Typologie des structures selon leur fonction
principale
2%
29%
conservatoires, écoles de musiques, organismes de
formation : 8%
producteurs de spectacles, management d'artistes : 7%
services culturels : 5% collectifs d'artistes : 2% radios : 2%
labels : 1% autres : 2%
lieux de diffusion musiques actuelles : 29 % lieux
pluridisciplinaires dont MJC, centres culturels : 24% studios de
répétition et studios d'enregistrement : 12% organisateurs sans
lieux (dont festivals) : 8%
73 D'après l'Enquête sur la perception de
l'espace rural par les habitants de l'espace rural francilien, IAURIF,
2003.
74 CREDOC. Les Français et l'espace rural,
mars 2001 et Enquête sur la perception de l'espace rural par les
habitants de l'espace rural francilien, IAURIF
75 Essentiellement basé sur l'état des lieux des
structures adhérentes établis par le RIF en 2012
31
studios de répétition sont privés. Le RIF
(Confédération régionale des réseaux de musiques
actuelles d'Île-de-France), recense près de 213 structures
dédiées aux musiques actuelles adhérentes aux 8
réseaux départementaux76 qui composent la
région francilienne. Au regard des formes juridiques de ces structures,
c'est le modèle associatif qui est majoritaire (60% en 2011), et ce,
historiquement, depuis le développement des réseaux musiques
actuelles. Plus spécifique à la région francilienne, les
structures municipales en régie directes représentent 26% des
structures. La part de sociétés commerciales s'est accrue depuis
l'entrée du MAP, le réseau parisien des musiques actuelles, au
sein du RIF et représente 12% des structures. Enfin, les
établissements publics, les sociétés coopératives
et les autres formes juridiques représentent 2% des adhérents. La
typologie des structures établie par le RIF, selon leur fonction
principale, dresse un profil particulièrement diversifié des
activités de l'ensemble des structures. Il faut préciser que la
grande majorité des structures couvrent plusieurs activités : 74%
des répondants déclarent développer au moins deux
activités, et près de 20% d'entre eux proposent au moins 5
activités différentes.
Répartition des activités en % sur les
170 structures répondantes
51% 51% 48% 44% 44% 41%
34% 34%
22%
12% 7% 6% 4%
88%
Au-delà de l'activité de diffusion,
prégnante pour l'ensemble des établissements, on constate une
part prépondérante des activités dédiées
à l'accompagnement des pratiques des
76 Les 8 réseaux départementaux sont : le Combo
95, le réseau du Val d'Oise ; le MAAD93, lé réseau de
Seine-St-Denis ; REZONNE, le réseau de l'Essonne ; le Réseau
Musiques 94, le réseau du Val-de-Marne ; Réseau 92, le
réseau des Hauts-de-Seine, Le CRY, le réseau des Yvelines ; le
MAP, le réseau de Paris et le Pince Oreilles, le réseau de
Seine-et-Marne.
32
musiciens, en proposant pour la plupart un soutien en
matière de répétition, d'enregistrement, d'accompagnement
artistique, d'information ressource, de répétition sur
scène, d'accueil en résidence et d'enseignement musical. Enjeu
fondamental au maintien de l'équilibre de l'écosystème
musiques actuelles francilien, l'accompagnement des pratiques musicales
répond au besoin croissant des groupes et musiciens amateurs ou
semi-professionnels en quête d'un soutien à la fois artistique,
logistique, administratif et scénique. Le RIF estime que plus de 15 000
groupes, de tous styles et de tous niveaux, résident et pratiquent en
Île-de-France, ce qui représente plusieurs milliers de musiciens
répartis sur l'ensemble de la région. Beaucoup gravitent autour
des structures, qui tentent, via un panel toujours plus large de propositions,
de répondre à leurs attentes.
Toutefois, les disparités d'implantation des
équipements posent question. En 2007, le RIF constatait en effet dans
son état des lieux des structures adhérentes que « la
quasi totalité des structures agissent au sein des pôles urbains
(91,8%) et seules deux structures sont implantées dans des communes
rurales ». La dimension rurale est donc quasiment inexistante sur
l'ensemble de la région en matière de développement des
musiques actuelles. Un constat partagé par le réseau national, la
Fédération des Lieux de Musiques Actuelles, qui en 2014, dans le
cadre de son étude77 sur l'action culturelle au sein de ses
structures adhérentes, a également mis en évidence une
forte concentration des lieux dédiés en milieu urbain. Cette
répartition par type de territoire a fait apparaître que le milieu
rural ainsi que les petites villes ou villes périurbaines ne sont
représentées qu'à hauteur de 18%. Au niveau du nombre
moyen de représentations annuelles, les communes rurales et les petites
villes ont, là encore, un total moyen nettement inférieur,
à raison de 27 représentations dans le milieu rural contre 42
dans les villes moyennes, et 55 dans le milieu urbain.
1.3. Culture et pratiques musicales en
Île-de-France.
Si la région francilienne est
caractérisée par une forte concentration de structures et
d'acteurs musiques actuelles, il convient d'élargir brièvement
notre regard, et de saisir dans quel cadre « culturel » plus global
les activités musiques actuelles s'inscrivent sur ce territoire. La vie
culturelle en Île-de-France est particulièrement marquée
par une offre foisonnante et
77 FEDELIMA, OPALE, Actions culturelles et musiques
actuelles, Éditions Mélanie Seteun, (Coll. Musique et
environnement professionnel), 2014
33
diversifiée, mais également très
concentrée à l'échelle du pays, en témoigne les
indicateurs établis par le Ministère de la Culture, qui
dévoilent que la région concentre :
· 27 % des compagnies dramatiques
· 13% des scènes nationales
· 31 % des compagnies de danse
· 22 % des écoles de musiques et de danse, 22 %
des enseignants et 20% des élèves
· 18 % des salles de cinéma
· 52 % des salariés du régime de
l'intermittence du spectacle et 22% de la filière culturelle des
collectivités territoriales
· 33 % des architectes inscrits à l'ordre des
architectes et 43 % des élèves architectes
Le ministère joue d'ailleurs un rôle historique
sur cette partie du territoire national, grâce à un nombre
important d'équipements sous sa tutelle, on citera : la
Bibliothèque Nationale de France, l'Opéra National de Paris, 4
des 5 théâtres nationaux, 11% des musées de France, 9% des
monuments inscrits et classés en France (et qui reçoivent 40% des
entrées payantes), 13 établissements d'enseignement
supérieur, etc. À noter l'implantation des services de
l'administration centrale à Paris, tels la DRAC (Direction
Régionale des Affaires Culturelles) ou encore les huit STAP (Services
Territoriaux de l'Architecture et du Patrimoine). Sous l'influence accrue de
l'attrait pour le patrimoine culturel de Paris et d'une centralité
historique, la région Île-de-France est l'héritière
d'un imposant ensemble d'institutions culturelles, anciennes et contemporaines,
qui, naturellement, la positionne comme la première région
touristique de France78.
« En moyenne plus jeunes, plus diplômés
et disposant de revenus plus élevés, les Franciliens pratiquent
davantage d'activités culturelles que leurs homologues de province
» nous indique le rapport de l'IAURF (l'Institut d'Aménagement
d'Urbanisme de la Région d'Île-de-France), Les Franciliens et
la culture, réalisé en 2006. L'étude met en avant une
spécificité parisienne pour expliquer l'intensité des
pratiques dans la capitale. Paris étant un vivier en matière de
diffusion et de création, elle attire une grande diversité de
populations « non seulement aptes â multiplier les consommations
mais aussi susceptibles de montrer l'exemple ». Toujours selon cette
étude, la facilité d'accès aux équipements et la
diversité de l'offre faciliterait la pratique, et serait
renforcée par les réseaux relationnels resserrés,
entretenus par des logiques d'imitation (lire, écouter, voir ce que tout
le monde a lu, écouté, vu) et de
78 INSEE, CCI, L'Île-de-France, la première
région touristique de France, Insee Analyses, n°20 2015
34
domination (avoir une pratique jugée plus
valorisante...). De plus, l'habitat parisien, moins spacieux qu'ailleurs,
tendrait à favoriser la vie sociale à l'extérieur, et peut
en partie expliquer l'intensité des pratiques culturelles
parisiennes.
Plus d'un Francilien sur deux cumule au moins six
activités culturelles 79 contre un tiers des provinciaux, la
pratique artistique en amateur, qui concerne un tiers des Franciliens, est
particulièrement liée au cumul d'autres types d'activités
: 62% de ceux qui pratiquent des activités en amateur cumulent
également d'autres activités. Une activité culturelle en
appelle donc souvent une autre, en Île-de-France. La pratique
instrumentale par exemple manifeste généralement un goût
prononcé pour la musique et donc l'écoute musicale, chez soi ou
en concert. Ceux qui cumulent le plus ont une pratique assidue et
régulière et sont majoritairement jeunes (étudiants,
actifs sans enfant). Le cumul croît avec le niveau d'études et de
revenus ainsi qu'avec la proximité de l'offre culturelle, les Parisiens
étant les plus concernés. A contrario, ceux qui cumulent moins de
quatre activités, sont ceux qui passent le plus de temps devant la
télévision, à raison de plus de trois heures par jour. En
matière de musique, 80% des Franciliens déclarent écouter
de la musique régulièrement, et 82% de ceux qui écoutent
la radio préfèrent les émissions musicales aux
informations. Ils sont également 27% à avoir assisté
à un concert, le profil étant le même qu'en Province,
à savoir plutôt des jeunes, diplômés, avec des
revenus élevés. Les festivals, notamment musicaux, sont
visités par au moins 8% des Franciliens, mais moins que par les
provinciaux (11%). Ils semblent également plus fréquentés
par les plus jeunes (11% ont entre 15 et 34 ans) et par les Parisiens (14%).
Paradoxalement, ni la forte proposition culturelle, ni la
concentration d'équipements et d'offres culturelles ne garantissent
à tous les Franciliens un accès équitable à la
culture. En effet, selon le ministère de la Culture, la moyenne
d'équipements culturels par Franciliens est inférieure à
la moyenne nationale (1.51 équipements pour 10 000 habitants contre 1.66
en moyenne nationale, plaçant l'Île-de-France au
14ème rang des régions). La coexistence de zone de
foisonnement culturel et de zones qui en sont dépourvues renvoie
à la question des disparités territoriales en Île-de-France
qui peuvent participer au renforcement des inégalités de
pratiques.
79 Ces activités sont regroupées en 7
catégories de pratiquants : les téléspectateurs, les
auditeurs (de radio ou de musique), les lecteurs (presse, livres et bandes
dessinées), les amateurs de sorties (visites, spectacles autres que le
cinéma), les amateurs de cinéma, les personnes pratiquant des
activités artistiques en amateur.
35
II. La recherche d'une identité, la
Seine-et-Marne
2.1. Seine-et-Marne, un pied â la campagne, un autre
dans la ville
La Seine-et-Marne est le plus grand département
d'Île-de-France, elle représente à elle seule près
de 49% du territoire régional. En l'espace de quelques décennies,
les milieux urbains et ruraux ont considérablement évolué
en Seine-et-Marne. La notion traditionnelle de l'espace rural, marquée
par l'activité agricole, a largement été remise en
question. Alors que la population agricole était de 50% en 1946, elle ne
représente pas plus de 17% de la population agricole
actuelle80. Aujourd'hui, la majeure partie Ouest du
département appartient à l'unité urbaine de Paris,
à son agglomération. De plus, les cinq nouvelles villes, ou les
trois syndicats d'agglomération nouvelle81 participent
toujours plus à l'urbanisation du centre du département.
L'évolution des modes de transport et de télécommunication
a eu, tout comme à l'échelle nationale, une incidence profonde en
matière de peuplement. À des degrés divers, le monde rural
est pénétré par le monde urbain, fort peu dans les
campagnes « profondes », situées loin des villes, mais de
manière constante à la périphérie des
centres-urbains. Aussi, avec une hausse de plus de 10% de sa population entre
1999 et 2009, la Seine-et-Marne est le département qui a connu la plus
forte croissance démographique de France, et compte en 2009 plus d'1,3
millions d'habitants. Le phénomène de périurbanisation
étant la principale conséquence de cette hausse, appuyé
par un solde naturel positif très important (la croissance vient de
l'intérieur). Une tendance qui ne ralentit pas, mais qui reste largement
localisée sur la frange Ouest et au niveau des villes nouvelles.
D'ailleurs, près d'un seine-et-marnais sur deux vit dans une des 31
communes de plus de 10 000 habitants, on parle d'un peuplement «
métropolitain », face à un peuplement « historique
» le long des deux cours d'eau qui traversent le département, la
Seine et la Marne. Alors que 75% des communes ont moins de 2000 habitants et
60% ont moins de 1000 habitants, près de 80% de la population vit dans
une commune urbaine.
80 Insee, Recensement agricole de 1999
81 Dans le cadre de la création du Schéma
Directeur d'Aménagement de la Région Parisienne (SDARP),
confiée à Paul Delouvrier par le Générale de
Gaulle, en août 1961. Dans l'objectif d'organiser une banlieue en pleine
expansion et structurer l'espace en créant les conditions
d'équilibre entre travail et habitat, cinq villes seront
créées en trois syndicats d'agglomération nouvelle :
Melun-Sénart, Le Val Maubuée et le Val d'Europe.
36
Structuration urbaine en Seine-et-Marne
Source : Département de Seine-et-Manre, DADT, SIG,
IAUF, 2012
Département mixte, où l'activité
agricole, subsiste aux côtés d'activités industrielles ou
relevant du tiers secteur, la Seine-et-Marne compose aujourd'hui entre une
forte urbanité et des espaces ruraux où coexistent :
- les «campagnes des villes», d'une part,
situées en zone périurbaine et distinguées par leur
caractère résidentiel. Ce sont les secteurs de la ceinture verte,
des vallées et des lisières de massifs forestiers. La pression
urbaine y est plus forte.
- les «nouvelles campagnes», largement «
tertiarisées », où la généralisation de la
mobilité permet d'élargir le territoire aux fonctions
productives, touristiques, résidentielles et
37
naturelles. Il s'agit typiquement des parcs naturels
régionaux (PNR), qui se sont souvent constitués sur les traces
des anciens pays, et des secteurs valorisés de la ceinture
verte82.
La tendance seine-et-marnaise est à la diffusion
résidentielle dans les aires rurales. D'un côté, ce
phénomène est source de dynamisme pour les campagnes dont la
population s'accroît, ainsi que les services liés au
développement de l'économie résidentielle. Mais de
l'autre, il conduit à la marginalisation d'espaces ruraux plus fragiles,
qui s'inscrivent dans le cadre du tout automobile. Ainsi, la répartition
démographique est largement disparate.
Cartographie de la densité en Seine et Marne
Source : Département de Seine-et-Marne, SIG, INSEE,
2009
82 Source : Atlas rural et agricole de l'Ile-de-France,
DRIAF, IAURIF, 2004 «Pour l'Île-de-France, anneau compris entre
10 et 30 kilomètres du centre de l'agglomération parisienne,
comptant 60 % d'espaces ouverts en 1999 (forêts
récréatives, agriculture spécialisée...) et
rassemblant 3,7 millions d'habitants.»
38
Avec 65% de communes entre 500 et 3000 habitants, 34% des
communes de moins de 500 habitants et l'émiettement des zones
d'habitations en une foule de micro-territoires, force est de constater que le
département est partagé entre des zones urbaines et
périurbaines à forte densité humaine et des zones rurales
à bien plus faible densité. Avec un tissu économique
fortement tertiarisé, la Seine-et-Marne totalise plus de 80% d'emplois
salariés dans le commerce et les services. Le secteur de l'industrie
représente un peu plus de 12% de l'emploi, suivi par les
activités de transport (8%) et de construction (7,4%). Notons la part
mineure de l'emploi agricole, qui représente aujourd'hui seulement 0,4%
alors que les terres agricoles seine-et-marnaises, représentent
actuellement plus de 57% du territoire. Particulièrement liés aux
spécificités industrielles du département, les ouvriers et
employés sont sur-représentés, notamment à l'Est et
au Sud du département (qui possède justement un héritage
industriel fort). La part des cadres reste faible comparée au reste de
l'Île-de-France (15% contre 26%). Le niveau moyen de diplôme est
également l'un des plus faible de la région (25% de post-bac
contre 36% en Île-de-France), la majorité des actifs n'ayant pas
de diplôme ou étant titulaires d'un CAP/BEP pour 58% de la
population. Enfin, notons que les seine-et-marnais parcourent plus de distance
entre leur domicile et leur travail que la moyenne francilienne (12km en
moyenne contre 9km) et possèdent à 86% équipés d'un
véhicule. La mobilité interne et véhiculée est
forte (71% se déplacent en voiture dans le département pour leur
travail). Les transports en commun étant majoritairement
privilégiés pour se rendre en 1er couronne et à
Paris.
2.2. La musique en Seine-et-Marne, de Couperin au
Music-hall
Parler de musique en Seine-et-Marne, c'est d'abord faire
référence à une forte tradition musicale classique et
sacrée, entretenue durant des siècles par l'influence royale et
parisienne. Les musiques sacrées, classiques et baroques ont largement
été représentées par d'éminents musiciens,
natifs ou résidants, en Seine-et-Marne : les Couperin, Forqueray ou
encore Massenet, sans oublier Clément Janequin, auteur de nombreuses
chansons épiques inspirées de la forêt de Fontainebleau.
Les musiques traditionnelles, ou fonctionnelles, liées aux
activités agricoles et ouvrières semblent avoir disparu. Seul le
mouvement orphéonique83 des harmonies
83 Issu du 19ème siècle, le mouvement
orphéonique concerne d'abord les chorales exclusivement masculines au
répertoire grandiloquent et aux effets vocaux riches. Au
21ème siècle, ce mouvement est étendu aux
ensembles vocaux et instrumentaux, type harmonie ou batterie fanfares. En
Seine-et-Marne,
39
ou des batteries fanfares tente encore de faire vivre un
répertoire musical militaire, patriotique ou plus contemporain.
Tout aussi prégnante en Seine-et-Marne dès les
années 183084, les guinguettes sur les bords de Marne
attireront de nombreux parisiens jusqu'à l'entre deux guerres. Elles se
développent notamment dans les villes de Thorigny-sur-Marne, de
Précy-sur-Marne ou encore de Chelles, là où l'octroi,
l'impôt indirect sur l'entrée des vins, n'est pas applicable.
Animées par des petits orchestres composés
généralement d'un piano, de violons, et d'instruments à
vent (piston et clarinette), on y danse la valse, la polka, la mazurka ou la
scottish. En parallèle, les cafés-concerts se développent
à Fontainebleau. Le plus célèbre d'entre eux, l'Eden
Bleau, repris en 1897 par le chanteur populaire Paulus, ravira le public
huppé et parisien venu assister au spectacle de music-hall où de
nombreuses vedettes parisiennes se produisent. Avec l'arrivée du
cinéma à la fin du 19ème siècle, les
spectacles de music-hall se déroulent davantage dans les salles en
introduction des projections ou lors des entractes.
En 1913, deux animateurs du célèbre cabaret
« Le Lapin Agile » de Montmartre, ouvrent « L'Auberge de l'oeuf
dur » à St-Cyr-sur-Morin. Chansonniers et artistes s'y
déplacent, annonçant l'exode des années 1920 vers la
grande banlieue. Roland Dorgelès, Francis Carco, André Warnod ou
encore Pierre Mac Orlan s'y retrouvent85. Les années folles
et l'arrivée de la culture américaine, portent jusqu'en
Seine-et-Marne, le jazz et le music-hall. D'ailleurs, c'est à Melun et
à Fontainebleau que naîtront les premiers Hots Clubs de France
grâce à Hugues Panassié installé à
Fontainebleau. Les grands noms du jazz défileront dans ses clubs, comme
Duke Ellington dont on notera la réalisation du titre «
Fontainebleau Forest ». La Note Noire à Fontainebleau, le River
Boat à Avon, deux cabarets de jazz, participeront également au
rayonnement du genre sur le territoire. Aujourd'hui ces établissements
ont disparu, mais il convient de souligner l'engagement d'une poignée de
fervents passionnés, à l'origine du festival « Django
Reinhardt », créé en 1968. Si la période glorieuse du
cabaret est passée, il existe encore aujourd'hui quelques
établissements spécialisés en Seine-et-Marne86.
Bals
l'Union Fédérale des Batteries Fanfares
réunit 350 musiciens chaque année. Le premier festival
international des fanfares a d'ailleurs eu lieu à Melun le 13 juillet
2016.
84 Daguenet Patrick, Musiques et fêtes, la
Seine-et-Marne au rythme de Paris, Presses du Villages, 2005, p.364-370
85 Baron Evelyn, « Pierre Mac Orlan de Seine-et-Marne
», in Les annales politiques et littéraires, n°236,
15 août 1920, Le petit Mac Orlan illustrée, Musée des Pays,
p.24
86 Le Dock du Rire à Égreville, La Cour des
Miracles à la Ferté-sous-Jouarre, L'Etoile du Montceaux à
Montceaux-lès-Provins, la Guinguette l'Ermitage à Chalifert
40
populaires et cabarets survivent tant bien que mal jusque dans
les années 1970, fortement concurrencés par l'émergence
des discothèques où la musique enregistrée est reine.
2.3. État des lieux des musiques actuelles en
Seine-et-Marne
Qu'il s'agisse de salle de concerts, de studios de
répétition ou d'enregistrement, on peut constater une
présence relativement forte de lieux dédiés à la
diffusion ou à la pratique des musiques actuelles en Seine-et-Marne.
Chaque structure diffère selon son envergure, son projet, son
rayonnement et ses activités, toutefois elles participent toutes au
maillage culturel territorial. Nous ne rentrerons pas dans les détails
historiques de chaque projet, ni dans les facettes de leur
développement. Il s'agit de dresser le portrait des structures se
consacrant entièrement ou en partie au développement des musiques
actuelles en Seine-et-Marne, en se basant notamment sur les membres
adhérents du Pince Oreilles, le réseau des musiques actuelles en
Seine-et-Marne.
7%
7%
10%
7%
0%
Typologie des structures selon leur fonction
principale
7%
3%
0%
30%
29%
conservatoires, écoles de musiques, organismes de
formation : 7%
producteurs de spectacles, management d'artistes : 0%
services culturels : 7% collectifs d'artistes : 7% radios : 3%
labels : 0% autres : 0%
lieux de diffusion musiques actuelles : 30 % lieux
pluridisciplinaires dont MJC, centres culturels : 30% studios de
répétition et studios d'enregistrement : 10% organisateurs sans
lieux (dont festivals) : 7%
Source : Focus 77 Les chiffres clés et les principaux
enjeux des structures musiques actuelles en
Seine-et-Marne, Pince Oreilles
41
Profil des structures adhérentes au Pince
Oreilles
Au sein du réseau, on compte une trentaine de membres
adhérents, 12 structures dont 8 MJC/MPT, ont une vocation
pluridisciplinaire, l'activité musiques actuelles n'étant pas
principale. Néanmoins, 18 lieux sont spécifiquement
dédiés aux musiques actuelles, bien qu'ils s'attachent plus ou
moins ponctuellement à développer des activités
transversales, en lien avec le théâtre, la danse, le
cinéma, les arts plastiques, etc. L'une des caractéristiques
principales du secteur est la pluriactivité des adhérents, qui
sont plus de 70% à proposer au moins deux types d'activités. 30%
des acteurs sont des lieux pluridisciplinaires, et l'on constate que la
diffusion de concerts est la principale activité des lieux (contre 24%
en région). En termes de structuration, 62% ont plus de 10 ans
d'ancienneté, contre 45% à l'échelle régionale. La
majorité des structures sont en gestion associative, à 73% ; en
régies directes pour 17% ; et une part encore minoritaire sont des
sociétés commerciales, une tendance en légère
hausse depuis 2005. Le Pince Oreilles évalue à 135 le nombre de
salariés (dont 45 enseignants), dont 94% sont en CDI et 14% des contrats
sont des emplois aidés. Leur moyenne d'âge est de 34 ans, les plus
de 30 ans ayant un diplôme relativement inférieur au moins de 30
ans, eux étant plus fortement diplômés. Le budget moyen
consacré aux musiques actuelles est de plus de 160 000€, toutefois,
plus de 70% des structures du Pince Oreilles valorisent un budget
inférieur à 100000€ et 12% entre 100000€ et
300000€. Depuis 2006, les financements publics sont croissants dans les
budgets de ces structures révélant une faiblesse structurelle
liée au secteur : « Plus de la moitié des structures (56%)
ont un budget qui dépend à plus de 66% des financements publics
». En effet, pour un certain nombre de lieux ou de projets,
majoritairement non-lucratives, leur économie repose sur une
économie dite plurielle, basée sur différents principes
liés au marché (achat/vente, prestations), indépendantes
de lui (subventions publiques), et non-monétaire
(bénévolat). L'économie générée par
les ressources propres des structures du réseau représente un
taux moyen de 23%. Aussi, l'échelon communal est particulièrement
important puisqu'il représente plus de 48% du financement soit quasiment
la moitié des financements publics. Avec l'intercommunalité, la
part de financement public atteint même les 70%. À noter que
depuis 2002, le Conseil Départemental soutient plus d'une dizaine de
structures membres au titre du dispositif LEMA (Lieux d'Expression des Musiques
Actuelles), mais ce soutien ne cesse de diminuer depuis plusieurs
années, avec une baisse moyenne de 5% par an et par structures.
Répartition des financements publics
48,70%
21,40%
15,60%
6,30% 5,70% 1,50% 0,90%
42
Source : Focus 77 Les chiffres clés et les principaux
enjeux des structures musiques actuelles en Seine-et-Marne, Pince Oreilles -
Aides Emploi-Tremplin sont incluses pour la région.
Bien que largement représentatif des acteurs de
musiques actuelles sur le territoire, le Pince Oreilles ne compte pas dans ses
adhérents l'ensemble des acteurs qui interviennent dans le champ des
musiques actuelles en Seine-et-Marne. Le Pince Oreilles en a d'ailleurs
recensé plus de 240 en 2013. Peu représentés, les
cafés-culturels ou café-concerts sont pourtant relativement bien
répandus sur le territoire, et pratiquent plus ou moins
régulièrement une activité de diffusion,
généralement de groupes locaux. Un premier recensement
effectué par le réseau a permis d'en comptabiliser près
d'une quarantaine, mais les données, souvent changeantes,
nécessiteraient un repérage plus précis et suivi. Le
chantier est donc à poursuivre étant donné la dynamique
qu'entretiennent ses structures en matière de diffusion et de
développement de la scène locale. Enfin, il est frappant de
constater que près de 98% des membres se situent sur la frange Ouest du
département, le milieu rural étant très peu
représenté87. Cette inégale répartition
interroge à la fois le rôle du réseau en tant que
représentant territorial du secteur, et bien sûr, la
prédominance du monde urbain en matière d'équipements
consacrés aux musiques actuelles.
Les festivals
Selon le dernier Guide des Festivals du
7788 par le Pince Oreilles, on dénombre 32
festivals en 2016. Un chiffre qui varie chaque année : beaucoup
disparaissent, d'autres se créent ponctuellement, et une partie est
biannuelle, voir trisannuelle, ce qui fausse légèrement la
87 En annexe n°8, la carte des adhérents membres du
réseau Pince Oreilles en juin 2016.
88 Recensement auquel j'ai pu contribuer lors de mon stage au
sein du réseau de novembre 2015 à juillet 2016.
43
réalité festivalière annuelle. Bien qu'un
renouvellement permanent des festivals soit constaté, de nombreux
projets s'éteignent malgré leur ancienneté (Voulstock, par
exemple, n'aura connu que 8 éditions). Notons que l'âge moyen des
festivals est de 7 ans, ce qui interroge sur leur réelle
pérennité. Le Pince Oreilles faisait d'ailleurs le triste constat
que « parmi les 32 festivals listés en 2008, 17 n'existaient
déjà plus en 2012, soit plus de la moitié...
»89.
Au regard de leur répartition90, on constate
qu'à la différence de la cartographie des adhérents du
Pince Oreilles, ceux-ci couvrent nettement plus densément le territoire.
La concentration en zone urbaine est bien moins prégnante. D'autre part,
la saison festivalière s'étend globalement de début avril
jusqu'au début de l'automne. Le début de la période
estivale, de juin à début juillet, concentrant près d'un
tiers des dates, suivi par une reprise aussi intense de la fin du mois
d'août jusqu'à la rentrée scolaire. Quelques festivals
ponctuent la période hivernale jusqu'au retour du printemps. Enfin, plus
de 80% des festivals sont portés par des associations, plus ou moins
indépendantes. En effet, pour certaines, l'implication de leur
collectivité leur confère davantage le rôle
d'opérateur ou de co-porteur du projet.
Pratiques musicales et accompagnement
Selon le Pince Oreilles, plus de 850 groupes ou artistes ont
été recensés en 2013 sur le territoire,
représentant plus de 3400 musiciens (considérant qu'un groupe est
composé de 4 musiciens). Un peu moins de 12% des groupes sont
constitués en association, certaines pouvant fédérer
plusieurs groupes. L'esthétique rock/punk est majeure, elle est
représentée par 61% des groupes, suivi par le metal/hard (16%),
la chanson (14%), la pop/folk (12%), le rap/hip hop (10%), le ragga/reggae
(5%), les musiques électroniques (3%), le jazz et les musiques
improvisées (1%), et les autres esthétiques (7%). Sur l'ensemble
des structures du Pince Oreilles, plus de 430 groupes ont été
accueillis en répétition, plus de 140 en enregistrement, en
résidence ou en répétition sur scène et 382 groupes
ont été programmés. Les ateliers et cours d'enseignement
musical ont attirés plus de 1650 musiciens. Ainsi plus de 580 groupes
ont profité des équipements proposés par les 24 studios
adhérents. Difficile de connaître la part de groupes amateurs,
toutefois, le taux de fréquentation élevé des studios de
répétition tout au long de l'année, révèle
l'importance de la « dimension d'intérêt
général de cette activité » et de la
nécessité du travail d'accompagnement des pratiques amateurs. Le
réseau dénombre d'ailleurs
89 Réseau Pince Oreilles, État des lieux.
Les chiffres clés et les principaux enjeux des structures musiques
actuelles en Seine-et-Marne, 2013, p.10
90 Voir la cartographie de l'année 2016 :
http://www.pinceoreilles.fr/news/guide-des-festivals-du-77-82
44
plus d'une cinquantaine de studios au total répartis de
manière relativement hétérogène sur l'ensemble du
département91, hors adhérents compris. Aussi pour
l'ensemble des groupes recensés, il n'y aurait en moyenne qu'un studio
pour 17 groupes seine-et-marnais. Tout en sachant que leur répartition
diffère d'une zone à une autre du département, ce constat
interroge également sur les conditions d'accès, plus ou moins
évidentes des groupes aux équipements.
III. Portrait des musiques actuelles dans le
Gâtinais
3.1. Le Gâtinais, quelle ruralité ?
« Qu'entend-on par le Gâtinais ? C'est une
question difficile à éclairer, car au cours des siècles,
le Gâtinais a connu trois aspects différents: - Le Gâtinais
primitif, à la période franque. - L'archidiaconé du
Gâtinais. - Et le Gâtinais politique qui a varié bien des
fois. »92
L'Atlas rural et agricole d'Île-de-France, paru en 2004,
définit le Gâtinais comme étant « un pays
caractérisé par une proportion importante de terres pauvres,
voire incultes, les «gâtines». Axé sur les
vallées de l'Essonne et du Loing, il a fait l'objet d'une proposition
avortée de département à la Révolution. Par rapport
au Loing, on distingue un Gâtinais occidental et un Gâtinais
oriental. Dans l'occidental, plateau de Beauce et massif de Fontainebleau
s'entremêlent en clairières et crêtes boisées.
L'oriental est un pseudo-bocage, un pays d'élevage et de cidre entre des
bois en lanières. Le Gâtinais est une ancienne terre d'apanage, on
y cultive des produits du terroir spécifiques (cresson, safran, menthe,
miel...). Sa pierre, le grès, était acheminée par train
pour paver Paris. Le pittoresque et la sylve du Gâtinais bellifontain ont
inspiré écrivains et peintres, dont l'École de
Barbizon».93
Géographiquement, le Gâtinais s'étend sur
quatre départements, l'Essonne, la Seine-et-Marne, le Loiret et l'Yonne
et sur trois régions, l'Île-de-France, le Centre et la Bourgogne,
mais ne représente pas une entité administrative à part
entière. Si l'on devait délimiter une zone naturelle, le
Gâtinais irait ainsi jusqu'à la Seine au nord, à l'Yonne
à l'est, à la forêt d'Orléans au sud et à
l'Essonne à l'ouest. Historiquement la capitale du Gâtinais
était Château-Landon, à
91 Voir en annexe n°5 la cartographie des studios de
répétition et d'enregistrement en Seine-et-Marne
92 Introduction à étude de l'Abbé
Crespin, « Évolutions religieuses du Gâtinais au premier
millénaire » dans le Bulletin de la Société
d'Émulation, n°98, novembre 1995
93 Atlas rural et agricole de l'Île-de-France,
DRIAF IAURIF, 2004, p.30
45
l'extrême sud de la Seine-et-Marne. Par la suite, le
Gâtinais fût scindé d'Ouest en Est, la partie Ouest
correspondant au « Gâtinais français », qui
s'étend à tout l'arrondissement de Fontainebleau94 et
à une partie du sud de l'Essonne, autour de Milly-la-Forêt, avec
pour « capitale » symbolique, Nemours. Divers auteurs s'accordent sur
le fait que la partie dite « Gâtinais orléanais »
correspondrait à l'ancien arrondissement de Montargis, une partie
importante de l'arrondissement de Pithiviers, dans le Loiret. Avec la loi dite
Voynet instaurant une nouvelle division administrative en « pays »,
le Gâtinais fut rattaché au « Pays du Gâtinais »,
regroupant 75 communes rurales, proche du Gâtinais montargois ou
orléanais. Aujourd'hui, plusieurs communautés de communes peuvent
se rattacher à l'ancien découpage en pays, et sont
employés comme principal repère pour qualifier dans cette
étude le Gâtinais : Les Terres du Gâtinais, le Pays de
Fontainebleau, le Pays de Nemours, Moret Seine et Loing, le Gâtinais
Val-de-Loing et le Bocage Gâtinais. Depuis 1999, une large part du
Gâtinais Ouest est classé « Parc Naturel Régional
», sur les traces du « Gâtinais français ».
Profil sociodémographique du Gâtinais
A partir de l'étude de la SEGESA (Société
d'études géographiques économiques et sociologiques
appliquées) sur l'espace rural en Île-de-France95, nous
pouvons clairement identifier une typologie rurale, dans laquelle un groupe
particulier se rattache majoritairement à notre zone d'étude. Il
s'agit du groupe 4 ou « le rural traditionnel Francilien » qui se
distingue par le gradient de ruralité le plus
élevé96. Ce groupe est composé de communes
assez petites (750 habitants en moyenne), peu attractives, marquées par
le vieillissement de sa population (avec près de 20% de
retraités), et où la population étrangère est la
plus faible. Ce sont également les communes les moins bien pourvues en
équipements et services privés et publics, avec un maximum de
deux commerces par communes. Leur structure sociale marquée par une
forte présence des retraités, est cependant en train de se
transformer avec le basculement des générations, un
rajeunissement est en cours, avec une variation de près 2,5% de jeunes
de moins de vingt ans entre 1990 et 1999. En 2009, la part de moins de vingt
ans sur le territoire sud seine-
94 L'arrondissement de Fontainebleau est une division
administrative qui comprend : le canton de Nemours, de Moret-sur-Loing, de
Lorrez-le-Bocage, de Fontainebleau, de Château-Landon et de la
Chapelle-la-Reine.
95 Étude SEGESA, DREIF, DRIAF, Dynamique
territoriale de l'agriculture et de l'espace rural en Île-de-France,
2005, p.23
96 En annexe n° 6 et 7 l'ensemble des
éléments de l'étude de la SEGESA permettant de
définir notre zone d'étude.
46
et-marnais varie d'un minimum de 22% à presque 32 %
selon les communes.97 Les ouvriers sont cinq fois plus nombreux que
les agriculteurs. La mobilité y est très forte avec moins de 20 %
des actifs travaillant dans leur ville de résidence. Notons que le rural
traditionnel francilien se distingue du rural moyen du reste du territoire
français, étant donné une densité deux fois plus
élevée. On peut également inclure, dans le territoire
étudié, quelques «pôles ruraux et
périurbains», principalement axés le long du Loing, pour une
taille moyenne de 5000 habitants. Près de 80% de ces communes ont plus
de 20 équipements et services. Un tiers de leur surface est agricole,
mais leur gradient de ruralité reste faible. Elles sont marquées
par une forte proportion de retraités, et de faibles arrivées de
jeunes. De plus, on peut également observer que cinq communes sur notre
territoire font partie du groupe des « bourgs ruraux nouvellement
attractifs », ce qui correspond à des communes d'une
ruralité marquée, qui ne comptent pas plus de 1100 habitants,
pour une surface agricole qui atteint près de 60% de leur territoire.
Toutefois, on constate une augmentation de nouveaux jeunes arrivants, de
catégories relativement modestes (peu de cadres) ainsi qu'une croissance
démographique forte (4% par an), la plus importante hors villes
nouvelles. Il convient de notifier la présence de communes appartenant
au « rural résidentiel aisé », autour de la Forêt
de Fontainebleau, avec une forte proportion de cadres (corrélativement
à un faible taux d'ouvriers), un faible taux de chômage, et un
taux élevé de résidences individuelles. Si leur indice de
ruralité est peu élevé, l'équipement de base est
lui limité, avec seulement 7 équipements en moyenne pour 1000
habitants. Enfin, la part de villes appartenant au « rural
résidentiel des classes moyennes » est également à
notifier. Avec 63% de sa surface employée aux terres agricoles, son taux
d'équipement est aussi faible que pour le rural traditionnel francilien.
Elles se distinguent avant tout par un taux de croissance démographique
variant de 3 à 2% par an. L'accession à la
propriété ou encore l'attractivité du foncier ainsi que la
relative proximité avec les pôles d'emploi de l'Ouest peut
expliquer l'accroissement du nombre de jeunes et d'actifs (plus de 3% entre
1990 et 1et999).
Il est à noter que l'étude de la SEGESA
excluait, d'emblée, une centaine de communes «non-rurales» sur
notre secteur d'étude, des villes de la grande couronne à savoir
: Nemours, Fontainebleau et Montereau-Fault-Yonne. Des villes que nous ne
pourrons pas entièrement exclure de cette étude étant
donné les liens étroits quelles entretiennent avec leurs
territoires limitrophes et les dynamiques croisées. Aussi, en se basant
les critères établis pour cette étude (sur les six
communautés de communes embrassant actuellement les limites naturelles
du
97 En annexe n°10, la répartition de la population de
moins de 20 ans par communes en Seine-et-Marne
47
Gâtinais98), on constate que le taux de
densité moyen est deux fois plus faible que la moyenne
départementale, avec 119 habitants au kilomètre carré
contre 222 sur l'ensemble du département. Lors de l'élaboration
de cette présente étude, il est apparu essentiel de prendre en
compte l'environnement démographique pour caractériser les
structures étudiées et leur environnement afin de pouvoir
véritablement parler de milieu rural. La proximité du
Gâtinais avec des zones urbaines et périurbaines nécessite
en effet de ne pas occulter ses potentiels démographiques et sa
capacité d'accueil qui pourraient être davantage associé
à l'urbanité. Néanmoins, notre exploration a pu confirmer
le profil rural du Gâtinais et de l'inscription des lieux dans un
environnement rural ou comme étant des lieux ruraux.99
3.2. Des lieux permanents de musiques actuelles
Notre précédent état des lieux sur
l'ensemble de la Seine-et-Marne a révélé une proportion
extrêmement faible de structures en milieu rural. Si l'est et le nord en
sont quasiment dépourvus, on peut relever la présence d'au moins
trois structures, dont au moins une des activités est
dédiée aux musiques actuelles de manière
régulière :
La Tête des Trains, au milieu des betteraves
Lieu rural
|
Nombre d'habitants
|
Densité
|
Village
|
Tousson
|
368
|
27,8
|
Intercommunalité
|
Communauté de Communes Les Terres du
Gâtinais
|
11 381
|
54,0
|
Repère
|
Gâtinais
|
135458
|
119,1
|
Située à environ 25 kilomètres de Nemours
et de Fontainebleau, la Tête des Trains, association de loi 1901, peut
être considérée comme l'unique café-musiques du
territoire sud seine-et-marnais. L'initiative de sa création revient
à Pierre Beltante, héritier du café-épicerie
familial dont il rachète le fond de commerce en 1981. À l'image
des nouveaux lieux alternatifs émergents de l'époque (La Dame
Bleue et Le Plan, à Ris-Orangis), cet ancien formateur AFPA et
bénévole associatif, décide alors d'investir les lieux en
diffusant des groupes, souvent « envoyés » par des amis,
eux-mêmes gérants de cafés proposant des concerts (comme Le
Fond
98 En annexe n°2, la nomenclature utilisée pour
saisir la typologie du Gâtinais est présentée ainsi que les
éléments nous permettant d'établir le profil des lieux
étudiés.
99 Aussi pour chaque établissement
étudié, le profil territorial et les éléments de
notre nomenclature y sont exposés.
48
de la Cour, à Brie-Comte-Robert). À une
époque où les concerts étaient rares dans les
cafés, la Tête des Trains s'est démarquée en
étant un des seuls lieux de diffusion où l'entrée
était gratuite.
Au fil des années et de l'engouement pour ce nouvel
espace atypique, la programmation évolue et élargie les
esthétiques (jazz, blues, musiques traditionnelles, rock, reggae). En
1997, le Conseil Général de Seine-et-Marne lance sur deux mois le
festival « Jeune et musique 77 ». Un évènement qui
marquera l'entrée du lieu dans un nouveau niveau de structuration en
développant des relations avec les autres acteurs alors en place, les
prémices du réseau Pince Oreilles : les 18 Marches (à
Moissy-Cramayel), la Grange de Chessy, devenue File7 (à
Magny-le-Hongre), l'Écoutille (à Courtry), L'Oreille
Cassée (à Combs-la-Ville), l'Empreinte (à
Savigny-le-Temple). Membre de la Fédération des Foyers Ruraux de
Seine-et-Marne, la Tête des Trains propose également d'autres
activités culturelles et récréatives (un ciné-club,
des activités pour les enfants, des cours de gym, des ateliers
d'écriture, etc.) et se pose comme un acteur essentiel de la vie locale
en renforçant le lien inter-social entre villages (garderie,
crèche, bibliothèque, journal du village,
conférences-débats, etc.).
La Tête des Trains est structurée en deux : une
partie « café commercial » sous licence IV et une partie
associative, typique du fonctionnement des cafés-musiques (mais qui n'a
jamais bénéficié de la labellisation
ministérielle). Le lieu propose à l'année près
d'une trentaine de dates (à raison en moyenne d'un concert tous les
samedis soir, hors période estivale) dans une salle
aménagée de maximum 90 places, ou hors les murs. En 2014, elle a
accueilli plus d'une trentaine de musiciens en répétition issus
de différentes esthétiques (musiques traditionnelles, rap, rock,
chanson française), et pour certain, les a accompagnés dans le
développement de leur projet artistique, via notamment des sessions
d'enregistrement. La Tête des Trains est également à
l'origine du festival « La Betterave Musclée »,
arrêté en 2015 après quinze éditions.
Programmé sur plusieurs jours, l'originalité du festival reposait
notamment sur l'implication des populations qui souhaitaient accueillir des
musiciens chez eux.
La Tête des Trains compte actuellement un poste de
coordinateur, ancien Emploi-Tremplin, aujourd'hui soutenu par la Caisse
d'Allocations Familiales dans le cadre de la « Marmite des Rencontres
», agrément obtenu en 2015 au titre d'Espace de Vie Sociale.
L'association a également obtenu l'agrément « Jeunesse
Éducation Populaire » par la Direction Départementale de la
Cohésion Sociale. Elle bénéficie depuis 2013, d'une
convention triennale avec le département au titre des Lieux Culturels de
Proximité et de Lieux d'Expression des Musiques Actuelles.
49
La Scala, une MJC au centre de Nemours.
Lieu urbain en environnement rural
|
Nombre d'habitants
|
Densité
|
Commune
|
Nemours
|
12 824
|
1 184,1
|
Intercommunalité
|
Communauté de Communes du Pays de Nemours
|
26 397
|
206,7
|
Repère
|
Gâtinais
|
135458
|
119,1
|
À 20 kilomètres au sud de Fontainebleau, la
Maison de la Jeunesse et de la Culture de Nemours, La Scala, n'est pas un lieu
spécifiquement dédié aux musiques actuelles.
Néanmoins, une partie de ses activités sont tournées
depuis 2006 vers l'accompagnement des pratiques musicales, l'enseignement
musical et la diffusion. En 2009, elle est devenue membre du réseau
Pince Oreilles. Créée en 1984, il s'agit d'une association de loi
1901, rattachée au service Jeunesse de la ville de Nemours. En tant que
centre socioculturel, La Scala propose une large palette d'activités
artistiques (danse et arts de la scène, arts visuels et
créatifs), culturelles et pédagogiques, essentiellement
pratiquées dans le cadre de cours. Elle compte une école de
danse, une école de musique et deux studios de répétition
(salle mixte de cours de musique et de répétition). Elle tend
à rayonner sur l'ensemble du canton de Nemours.
Sur la quinzaine de manifestations annuelles de la MJC, on
dénombre en moyenne 3 à 6 évènements
musiques actuelles par an, pour une fréquentation moyenne d'une centaine
de personnes. Globalement, elle accueille environ une dizaine de groupes en
répétition à l'année. Elle est d'ailleurs à
l'origine du « Tremplin Jeunes Talents - Musiques Actuelles »
(anciennement nommé « Les Jeunes Talents Nemouriens »),
organisé chaque année en partenariat avec la ville et
l'association Musiqafon, qui reçoit sur son festival, le Notown, le
groupe gagnant. Les soirées « November Metal Fest », faisaient
encore partie de leur programmation annuelle il y a quelques années.
Installé au Châtelet, local municipal dédié aux
activités de l'association, celle-ci n'a pas de lieu spécifique
de diffusion. C'est généralement la salle des fêtes
municipale de Nemours qui accueille les évènements.
Principalement financée par la municipalité de
Nemours, en lien étroit avec le service culturel, l'association
bénéficie d'une convention triennale au titre de « Lieux
Culturels de Proximité ». En tant que Maison de la Jeunesse est de
la Culture, elle est reliée à l'Union Départementale de
Seine-et-Marne des MJC, et sa Fédération Régionale des MJC
d'Ile-de-France. L'association est gérée
bénévolement et emploie dans le cadre des cours, une trentaine de
professeurs.
50
Fontainebleau Loisirs et Culture
Lieu urbain en environnement rural
|
Nombre d'habitants
|
Densité
|
Commune
|
Fontainebleau
|
14 839
|
86,2
|
Intercommunalité
|
Communauté de Communes du Pays de Fontainebleau
|
34 089
|
168
|
Repère
|
Gâtinais
|
135458
|
119,1
|
Au nord du centre-ville de Fontainebleau, sur le Mont Ussy,
FLC est, à l'instar de son homologue nemourien, une Maison de la Culture
et de la Jeunesse, créée en 1963 en association de loi 1901. Elle
dépend essentiellement du service Jeunesse de la municipalité de
Fontainebleau, qui lui attribue un bâtiment local entièrement
aménagé pour les activités de l'association. L'association
regroupe plus de 1500 adhérents, principalement issus du canton de
Fontainebleau. Espace pluridisciplinaire, FLC décline ses principales
activités en cinq secteurs : la danse, le bien-être, les arts
plastiques, la culture et les loisirs, et la musique.
Le projet musique porté par FLC repose principalement
sur une large proposition de cours, de formations musicales, et d'ateliers de
jeu en groupe. Il tend à soutenir les pratiques musicales amateurs par
un accompagnement liant la formation, la création et la diffusion.
L'aménagement et l'équipement de deux salles de
répétitions (salle mixte entre cours de musique et de
répétitions) bénéficient à une dizaine de
groupes amateurs et professionnels toute l'année, issus ou non des
formations musicales proposées. FLC tient, dans la mesure du possible,
à proposer un accompagnement aux groupes adhérents, qu'ils
privilégient dans leur programmation. Depuis 2009, FLC est membre du
réseau Pince Oreilles, à travers leur projet dédié
aux musiques actuelles, « L'Amphi ». Il s'agit d'une salle plus ou
moins dédiée à la diffusion de concerts au sein de leurs
locaux, l'équipement de sonorisation est limité et la morphologie
de la salle est peu adaptée, mais elle représente quand
même une jauge de 180 places maximum. Il y a encore quelques
années les concerts étaient également diffusés
à La Halle de Villars, aujourd'hui complètement
réhabilité en centre de loisirs, accueillant notamment d'un
complexe cinéma. Occasionnellement, le Théâtre Municipal de
Fontainebleau ouvre ses portes aux concerts des élèves et des
groupes adhérents au FLC. L'association organise une dizaine de dates
par an dans le cadre d'une série annuelle de concerts. Depuis quelques
années, FLC délocalise ses rencontres musiques actuelles chez son
partenaire le Kustom Café, un bar dans le centre-ville de Fontainebleau,
proposant une série de soirées musicales ouvertes à tous :
« FLC fait sa Jam ». Chaque année, l'association participe aux
Fêtes
51
de la Musique de Fontainebleau où une scène lui
est dédiée. Elle y programme généralement les
élèves issus des cours de musiques actuelles, et deux groupes des
studios.
Principal financeur, la mairie de Fontainebleau subventionne
l'association dans le cadre d'une convention d'objectifs renouvelée tous
les deux ans. Elle est d'ailleurs l'association la plus subventionnée et
la plus accompagnée de la ville. Le Conseil Départemental soutien
la structure en tant que « Lieu Culturel de Proximité », mais
ne l'est plus au titre de « Lieux d'Expression des Musiques Actuelles
». La majorité des salariés sont représentés
par les enseignants, un responsable du personnel, un agent d'accueil et un
responsable administratif. L'activité musiques actuelles est
essentiellement encadrée par Juliette Bonin, animatrice culturelle.
Ainsi sur les trois structures permanentes
présentées, toutes relèvent du champ de l'éducation
populaire et ne sont pas entièrement destinées aux musiques
actuelles. La pluri-activité est la règle, bien que chaque
établissement porte un projet, plus ou moins solide et cohérent,
pour tenter de développer à la fois la formation, la
création et la diffusion, dans le souci d'accompagner les pratiques
amateurs.
3.3. Musiqafon, principale association en faveur des
musiques actuelles
MusiQafon, association de loi 1901, créée en
2008, est le fruit de huit années d'expériences menées
avec la précédente association, Notown, pour le
développement des musiques actuelles en milieu rural, sur
l'arrondissement de Fontainebleau. À l'origine, Thierry Boccanfuso,
instituteur à l'école municipale de Beaumont-du-Gâtinais,
décide avec plusieurs amis d'organiser un festival d'été
dans sa ville de provenance, Nonville. Le projet grandit d'année en
année jusqu'à constituer un des piliers de l'offre musicale dans
le Gâtinais, soutenu dès 2003 par le Conseil Départemental.
En 2007, l'association avait déjà organisé plus d'une
cinquantaine de dates, et travaillé en partenariat avec une dizaine de
villes et d'acteurs du département. La création du collectif
Musiqafon en 2008, réunissant alors 6 associations et plus de 80 groupes
adhérents, s'appuie sur le besoin de fédérer les acteurs
en place sur le territoire et de travailler conjointement sur un projet global
de développement des musiques actuelles sur le bassin nemourien. Le
constat partagé d'un manque de lieux adaptés et permanents ainsi
que d'une typologie territoriale complexe (grandeur du territoire, nombreuses
petites communes isolées), porte l'association à mener l'ensemble
de ses actions de manière itinérante. Des actions entendues comme
des réponses, tant aux besoins des musiciens
52
en matière de diffusion, de création, de
formation et d'accompagnement, qu'aux besoins de la jeunesse désireuse
d'espaces d'expressions et d'évènements qui leur ressemblent
ainsi que de possibilités de découvrir d'autres voies
professionnelles et culturelles. La portée des actions de l'association
évolue, et dépasse la sphère artistique et culturelle qui
constituait le projet initial. L'association mène notamment des actions
en établissements scolaires (primaire et/ou secondaire), des actions de
sensibilisation aux risques auditifs, d'autres, à portée sociale,
installées dans des communes isolées, ou dédiées
à des quartiers sensibles.
Notown et Musibus
Le festival Notown est historiquement le projet principal de
l'association. D'abord installé en plein air dans la commune de Nonville
et puis de Nemours, il est depuis 2013 en partie « couvert », dans et
autour de l'enceinte de la salle des fêtes de Nemours. La programmation
se revendique, originellement, quasi -exclusivement locale,
dédiée à la diffusion des artistes du territoire en manque
d'espace de diffusion et de contact avec le public. Les esthétiques sont
variées, le rock, le reggae, le metal et la chanson étant les
plus représentées. En plus de quinze éditions, le festival
accueille chaque année près de 1000 spectateurs, venus
découvrir une vingtaine de formations musicales qui jouent « chez
elles ». Le festival se veut également pluri-artistique, ouvert aux
projets plastiques, chorégraphiques ou photographiques (expositions,
graff, sculpture) d'artistes, et mêmes d'artisans locaux.
L'évènement rassemble en grande partie un public jeune, de 15
à 35 ans, et familial, souvent de jeunes couples et leurs enfants. En
2010, le Musibus est venu s'ajouter au festival et plus globalement au projet
itinérant de Musiqafon, réalisant, concrètement, un
équipement mobile. Il s'agit en effet d'une scène musicale
mobile, intégrée à un camion entièrement
aménagé et équipé en matériels son et
lumière professionnelles, encadrés par des techniciens. De
villages en quartiers, de villes en communes isolées, le Musibus se
déplace toute l'année dans près d'une vingtaine de
communes. Les demandes d'organisation proviennent soit des communes en direct,
soit des intercommunalités (majoritairement la Communauté de
Communes Moret Seine et Loing). Les demandes peuvent également venir des
jeunes souhaitant s'investir sur leur territoire (artistes ou non) et qui
reconnaissent l'association comme un référent pour les aider
à l'organisation de manifestations culturelles à dominante
musicale. L'association se revendique d'ailleurs le principal
référent de la « culture locale et jeune ». Avec
près d'une quarantaine de
53
manifestations musicales par an, l'association a
accompagné environ quatre-vingts formations musicales locales, soit
près de 250 musicien(ne)s.
Depuis l'obtention de l'agrément d'Organisme Jeunesse
et d'Éducation Populaire en 2013, on peut noter une orientation de
l'association dans le sens des politiques initiées par le Service
Jeunesse du Conseil Départemental (traduites notamment par les projets
« Place Aux Jeunes 77 »), devenu son principal financeur. Les actions
en direction de la jeunesse se constituent dès lors en lien
étroit avec le projet de développement des musiques actuelles sur
le territoire. D'où l'intensification des liens avec les
établissements scolaires, les centres socioculturels et MJC, et
l'ouverture à d'autres activités artistiques et culturelles.
Musiqafon bénéficie également du soutien de la CAF
seine-et-marnaise dans le cadre de ses actions en direction des jeunes du
territoire. D'ailleurs, l'année 2016 a vu émerger l'Underground
Café, un bus anglais réaménagé par l'association en
centre socioculturel itinérant. À noter que l'aide
apportée par la Direction des Affaires Culturelles du département
permet essentiellement de financer le festival Notown. En 2015, l'association
comptait trois emplois aidés (deux emplois d'avenir, et un CUI), et a
accueilli deux volontaires en Service Civique.
3.4. Les festivals, entre acteurs historiques et acteurs
émergents
Tout comme à l'échelle du département,
les festivals au sein du Gâtinais sont relativement bien répartis
sur le territoire. Chacun se caractérise de par son ancienneté,
son ancrage, son esthétique et son envergure.
Festival Django Reinhardt, une institution.
C'est en 1968 que naissent les prémices du festival,
à la suite d'un premier évènement hommage à
l'occasion du 15ème anniversaire du décès du
guitariste jazz manouche dans la ville de Samois. D'autres hommages ponctueront
les années 1970, organisés par les « Amis de Samois »,
jusqu'à la création, en 1983, du festival annuel sur l'île
du Berceau, tous les derniers week-ends de juin, à l'initiative d'un
groupe d'amis regroupé autour de Jean-François Robinet, maire de
Samois, et Maurice Cullage, président de l'Académie de Jazz.
Rapidement, le festival s'est imposé sur le territoire comme la
référence en matière de programmation jazz, d'envergure
nationale et internationale, et fête en 2016, sa 37ème
édition. Se structurant d'année en année, le festival
reçoit désormais sur cinq jours, une vingtaine d'artistes, et
s'ouvre aux jeunes talents,
54
avec la « Scène ouverte des luthiers », qui
donne la possibilité à un groupe de se représenter sur la
grande scène l'année suivante. En moyenne, le festival attire
plus de 10 000 personnes par an et près d'une centaine de
bénévoles sont mobilisés. Les partenaires institutionnels,
professionnels et privés sont nombreux, on notera le partenariat fort
avec la commune de Samois, de 2150 habitants, le Conseil Départemental,
la région Île-de-France, la Communauté de Communes du Pays
de Fontainebleau (dans le cadre du programme Fontainebleau Tourisme), les
villes d'Avon et de Fontainebleau.
Lagrange Festival, la ruralité â
l'honneur.
À l'initiative de trois jeunes amis originaires du
village de Gironville, à une quinzaine de kilomètres au sud ouest
de Nemours, le festival LaGrange est né sur la ferme agricole parentale
de Baptiste Combe. Et c'est justement dans la grange, que la première
édition voit le jour. Couronné du succès
insoupçonné de cette première édition (plus de 600
personnes), la bande d'amis s'est fédérée au sein de
l'association L'Studial en 2010. Particulièrement inspiré par le
festival Notown, que les amis ont toujours fréquenté, le festival
LaGrange est d'ailleurs épaulé par l'association Musiqafon, qui
propose depuis leur 2ème édition l'installation du
Musibus, à titre de deuxième scène. Tout comme son
modèle, la programmation se veut exclusivement locale, avec en moyenne
une dizaine de groupes programmés, essentiellement issus du sud de la
Seine-et-Marne, du Loiret et de l'Essonne, départements limitrophes. Le
festival se déroule sur une ou deux journées selon les
années. Les esthétiques proposées se veulent
variées : rock, punk, reggae, chanson française, ska, rap. Le
festival s'élargit, d'abord sur le terrain familial, au sein et autour
de bâtiments agricoles aménagés (hangars, grange, garages
d'engins, etc.), et s'est délocalisé en 2016 sur le parc de
l'ancien château de Gironville. La fréquentation moyenne est de
700 personnes, et celle-ci semble progresser chaque année.
L'équipe bénévole se compose d'une cinquantaine de locaux.
Le festival est soutenu par la Communauté de Communes du Gâtinais
Val de Loing, la mairie de Gironville et le Conseil Départemental.
Au Bon Coin Festival
En 2016, le Au Bon Coin festival inaugure sa deuxième
édition. À l'origine, c'est l'association Pucks,
présidée par Sébastien Masson qui initie le projet d'un
futur festival.
55
Propriétaire d'un chapiteau installé dans la
commune de Thomery, à dix kilomètres de Fontainebleau, au sein
duquel l'association propose des activités de cirque du printemps
à fin août, il propose à une dizaine d'amis d'organiser un
évènement le temps d'un week-end où le chapiteau est
vacant. En l'espace d'un mois et demi, le festival Au Bon Coin s'improvise,
mobilisant les compétences d'un entourage déjà sensible au
monde associatif et local, tous étant également originaires du
sud de la Seine-et-Marne. Sur deux jours, une dizaine de groupes locaux seront
programmés, des artistes généralement proches des
organisateurs. L'évènement a accueilli modestement 400 personnes.
L'association Pas Trop Loin de la Seine se créé en 2015 pour
assurer l'organisation du festival. L'objectif est de proposer une
programmation pluri-artistique locale, même si l'élément
moteur reste la diffusion musicale. Spectacles de feu, animation jeune public,
friperie solidaire, ateliers éco-responsables, à terme le
festival se veut être un véritable village culturel. D'ailleurs
sept associations locales sont mobilisées pour la deuxième
édition et près d'une quarantaine de bénévoles. La
mairie de Thomery soutient logistiquement (prêt de matériels,
terrain et locaux) le festival, mais n'a pu soutenir financièrement
celui-ci étant donné le lancement communal du premier festival
Blues et Jazz de la ville en avril 2016. Le Conseil Départemental
subventionne également le festival dans le cadre du dispositif «
Projets Jeunes ». L'intercommunalité Moret Seine et Loing est
absente du partenariat.
Les Gâtifolies, un festival de « néo-ruraux
»
Sur la route entre Boissy-aux-Cailles et le Vaudoué,
à près de vingt kilomètres au sud ouest de Fontainebleau ,
s'est tenue en mai 2016, la première édition des
Gâtifolies, clairement rattachée au territoire Gâtinais. Une
initiative qui revient à l'association Champ Libre, pilotée par
Christine Amara, et composée pour l'essentiel de professionnels issus du
spectacle vivant (chargé de compagnie, comédien, metteur en
scène, directeur artistique et technique, etc.) et résidents
depuis moins d'une dizaine d'années sur le territoire. C'est dans une
visée à la fois culturelle, artistique et sociale qu'ils ont
décidé de s'appuyer sur leurs compétences et
réseaux relationnels pour proposer sur deux jours, un festival
pluri-artistique. Des performances, des installations ainsi qu'une vingtaine de
spectacles, dont une partie dédiée au public jeune, sont
proposés : du théâtre, dont une pièce
présentée en partenariat avec les Scènes Rurales et
Act'Art, du cirque, de la danse et de la musique. Deux chapiteaux de cirque ont
été installés sur une parcelle de deux hectares en
jachère au sein du Parc Naturel Régional du Gâtinais. La
56
programmation générale n'a fait intervenir que
des artistes et compagnies professionnels, non issus du territoire. En
matière musicale, trois artistes ont été diffusés,
dont Nosfell et Jo Dahan, artistes d'envergure nationale. La première
édition a accueilli près de 800 personnes, et c'est plus d'une
soixantaine de bénévoles locaux qui ont été
mobilisés. Les principaux soutiens publics proviennent des communes
accueillantes, Boissy-aux-Cailles et Le Vaudoué, du Parc Naturel
Régional, et de la Communauté de Communes Les Terres du
Gâtinais. On notera l'implication personnelle du maire de
Villiers-sous-Grez, M. Chevalier.
Une nouvelle génération : le Rainforest et la
Douve Blanche
L'année 2016 semble avoir été vectrice
d'initiatives, notamment en matière de programmation musicale
dédiée aux musiques électroniques. Le Rainforest et la
Douve Blanche, organisés étonnamment le même premier
week-end de juillet 2016, ont tous deux proposés une offre musicale qui
s'appuyait largement sur la scène électronique parisienne. Le
Rainforest a organisé sa première édition sur le site du
Grand Parquet de Fontainebleau. Pour l'occasion, deux scènes ont
été installées : la grande scène, recevant les
formations musicales, et la « CocoBeach » exclusivement
dédiée aux Djs. Mise à part une artiste locale (Myon
Myon), le festival a axé sa programmation sur les têtes d'affiches
nationales et internationales (Arthur H, Etienne de Crécy, Ibeyi, La
Fine Equipe) et artistes émergents (Sucré Salé, Bon Voyage
Organisation). Fortement inspiré des modèles festivaliers
parisiens (tels le Weather Festival, We Love Green, ou Rock en Seine) le
Rainforest revêt un mode de fonctionnement professionnel, alors peu
rencontré sur le territoire (équipement de sonorisation et
scénique d'importance, sas de sécurité à
l'entrée, carte de paiement dématérialisé,
accès VIP, stands de restauration professionnel, etc.) ainsi qu'un
concept mobilisateur : sport, éco-responsabilité et musique
(village associatif composé d'associations environnementales). En
matière de financement publics, on retrouve le soutien de la
Communauté de Communes du Pays de Fontainebleau et du Conseil
Départemental.
La Douve Blanche est installée depuis deux
éditions sur le site atypique du domaine du Château
d'Égreville, à vingt kilomètres au sud-est de Nemours.
À l'initiative du jeune label musical parisien Animal Records, dont un
des membres est issu de la famille propriétaire du château, ce
festival, programmé sur deux jours, accueille près d'une
trentaine de formations, dont des têtes d'affiches (Jacques, Bagarre,
Molécule), essentiellement issues de la scène électro-pop
française et parisienne, ainsi que des artistes étrangers aux
esthétiques rock et rap. De 17h à
57
2h du matin, les groupes s'enchaînent suivi de Djs sets
jusqu'au matin. Entre concept visuel, gastronomique et artistique, l'objectif
affiché est d'attirer un public jeune, certainement parisien,
attiré par un line-up spécifique et un cadre idyllique, à
un peu plus d'une heure de Paris. Entièrement produit par le label,
l'ambition du festival est de devenir le nouvel évènement
incontournable de l'été parisien. Déjà bien
identifié, il accueille en moyenne 1500 personnes sur deux jours. On
notera l'implication promotionnelle de la ville d'Égreville, mais une
relativement faible implication des populations locales.
3.5. Bars et concerts, d'autres lieux de diffusion
Faciles d'accès pour les groupes amateurs, les bars,
pubs et autres cafés proposant de la diffusion sont
particulièrement privilégiés pour se construire une
première expérience de la scène, un premier contact avec
le public. On notera l'activité régulière du « Kustom
Café », un bar au centre de Fontainebleau, qui diffuse, une
à deux fois par semaine, un groupe amateur ou semi-professionnel local,
dans un registre majoritairement rock et chanson. Il accueille également
les soirées « FLC fait sa JAM » depuis deux années.
Dans une rue avoisinante, le « Glasgow », un pub irlandais, propose
également des scènes ouvertes une fois par mois, et diffuse
chaque jeudi des groupes, essentiellement locaux, aux esthétiques
principalement rock et chanson. S'il s'agit des seuls établissements
recensés sur le territoire du Gâtinais, on peut également
faire remarquer la présence du BlackBird à Barbizon, et du
O'Paddy à Chailly-en-Bière, deux bars situés à une
dizaine de kilomètres au nord de Fontainebleau, qui accueillent
régulièrement des concerts. Cet ensemble de lieux de diffusion
plus alternatifs, est relativement bien identifié par certains cercles
d'amateurs et de formations musicales qui cherchent à être
programmé. Les conditions techniques et financières sont souvent
précaires, mais ces établissements participent fortement à
la construction d'une identité musicale et sociale des groupes, qui se
confronte à un premier public, souvent local, susceptible de vouloir les
suivre à l'avenir.
Ainsi, nous avons pu établir les
caractéristiques tant géographiques que
sociodémographiques qui composent notre territoire d'étude et
esquisser les principaux acteurs impliqués tant dans la diffusion que
l'accompagnement des pratiques musiques actuelles. Tous participent à
une dynamique plus ou moins locale et pérenne qui nous permet
d'envisager les éléments qui constituent aujourd'hui le paysage
musical du Gâtinais. L'existence de l'ensemble
58
de ses projets témoigne d'une réelle
diversité d'actions de diffusion, de propositions musicales (et surtout
pluri-artistiques) et d'initiatives originales. La ruralité ne semble
pas empêcher à certaines idées, envies et volontés
de se réaliser. Toutefois chaque projet revêt d'un rapport plus ou
moins complexe avec son environnement. D'une part, il s'agit de saisir en quoi
les éléments géographiques et démographiques
peuvent contraindre le développement des musiques actuelles sur cette
partie rurale du territoire, et de quelle manière ceux-ci
participeraient à renforcer les disparités. D'autre part, dans
une large partie des cas, la possible réalisation et
pérennisation des projets relève de l'intérêt et de
l'investissement des collectivités. L'objectif étant de mieux
comprendre la manière dont les acteurs du territoire interagissent avec
les pouvoirs publics locaux et dans ce cadre, d'appréhender les
problématiques qui pourraient limiter leurs projets. Enfin, il s'agit
d'analyser, à l'échelle locale, l'interaction des acteurs entre
eux et de tenter de saisir en quoi certaines relations seraient susceptibles
d'impacter le développement des musiques actuelles, ou tout du moins
donner lieu à des logiques particulières.
59
PARTIE 2
Les limites au développement des musiques
actuelles dans le Gâtinais.
Analyses et compréhension des difficultés
rencontrées.
60
I. Inégalités spatiales et territoriales,
quels effets ?
1.1. L'inégale répartition des
équipements facteur d'inégalité de pratiques
Nous l'avons vu, le principal constat observable sur le
territoire seine-et-marnais est le déficit d'équipement au nord,
à l'est, et au sud. La corrélation de ces disparités avec
la nature rurale du territoire tendrait à témoigner d'un
désintérêt des politiques publiques pour une part notable
de la population et de ses besoins. L'enjeu des politiques étant aussi
bien de répondre à la forte demande sociale en matière
musicale, comme étant l'une des activités culturelles
préférées des Français100, que de
permettre de développer les conditions d'accès aux
équipements, aux services culturels et aux lieux de proximité
« avec une répartition géographique compensant les
déséquilibres centre/périphérie, zones
urbaines/zones rurales, Paris/régions, etc. »101.
Le Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, mis en
place en 2004, à la demande des acteurs et professionnels du secteur, a
souligné, dans son Plan pour des politiques nationales et
territoriales concertées en faveur des musiques actuelles,
l'importance des Concertations territoriales pour combler les
inégalités sociales et territoriales à travers, notamment,
la proposition d'élaborer les «schémas territoriaux de
développement des musiques actuelles»102. Cette
proposition aboutira à la circulaire du 31 août 2010, dont
l'objectif est de développer les SOLIMA103 et de
dégager des perspectives d'avenir pour les lieux de Musiques Actuelles.
Ces schémas visent à prendre en compte l'intérêt de
« l'équité territoriale », en rappelant que «
le maillage territorial, permettant de répondre â la demande
dans le respect des diversités des musiques actuelles, est loin
d'être achevé ». Cette circulaire met en avant «
les écarts territoriaux » en matière d'aménagement,
de diffusion, de production et d'apprentissage, surtout en territoires
ruraux.
Et c'est notamment en matière de pratiques amateurs que
ses écarts peuvent générer de véritables
inégalités. Concrètement cela se traduit par des constats
plutôt négatifs des musiciens sur leur propre territoire :
« Il manque des locaux de répétition, il manque des
studios, ouais il
100 Sondage de la SACEM conduit par Sofres de mai 2005,
indique que près de 74 % des Français estiment ne pas pouvoir se
passer de musiques, devenues un des loisirs culturels
préféré des français. En 2011, près d'un
français sur deux (47%) déclare que la musique est une de leur
activité culturelle préférée, la plaçant en
troisième position après la lecture et la
télévision.
101 Berthod-Weber, Rapport de soutien de l'état aux
musiques actuelles, 1998, p.55
102 CSMA, Plan pour une politique nationale et territoriale
des musiques actuelles, 2004
103 Schémas d'Orientation de développement des
Lieux de Musiques Actuelles
61
manque vraiment des structures d'accompagnement des
artistes. Y'a pas beaucoup de structures donc euh...malheureusement, on fait du
bruit, ça embête les voisins. »104 La
concentration des lieux structurants sur la frange urbaine entraîne, sur
le reste du département, un déficit d'accompagnement des jeunes
formations musicales. Selon nos constats, le nombre d'espaces de
répétition n'est que de trois : au FLC de Fontainebleau, à
la MJC La Scala, et de manière moins permanente, à la Tête
des Trains. Si l'on estime le nombre de groupes amateurs sud seine-et-marnais,
ayant déjà une activité de diffusion, entre soixante et
quatre-vingts formations musicales locales, il est difficile d'envisager que
les équipements présents sur le territoire puissent accueillir
à l'année l'ensemble de ses groupes. De plus, on peut remarquer
que le manque de personnel dédié rend la transmission complexe.
Comment former quand on ne l'est pas soi-même ?
Les dispositifs destinés au repérage et au
développement des formations musicales sont eux aussi concentrés
sur les zones urbaines du département et bénéficient
difficilement aux groupes ruraux105. Une situation qui peut
s'expliquer par la faible visibilité de ces dispositifs, et le manque de
projets similaires organisés entre les seules structures du
Gâtinais. Bien évidemment, ce serait à tort d'imaginer que
ces structures ne souhaiteraient pas développer ce type de dispositifs,
en témoigne les soirées « tremplin » et la dizaine de
musiciens accompagnés chaque année dans la diffusion et
l'élaboration scénique de leurs projets musicaux. Toutefois, on
peut s'interroger sur la véritable portée de ses
expériences comparées aux programmes « complets »
proposés par les structures dédiées en matière
d'accompagnement aussi bien technique qu'artistique (gestion sonore,
utilisation et réglage du matériel, arrangement, coaching,
prévention des risques auditifs, etc.). Les répétitions
sont donc bien souvent organisées chez les particuliers, dans les
sous-sols des pavillons, les caves, les granges ou les bâtiments
agricoles, qui deviennent les lieux de rendez-vous des copains amateurs de
musique et plus largement de leur proche entourage, leurs premiers fans.
Les mêmes difficultés se présentent en
matière d'enregistrement. Passage obligé des groupes en
développement, l'enregistrement d'un support sonore est une étape
cruciale dans le
104 Propos recueillis d'après l'interview
réalisé par l'association Musiqafon dans le cadre du projet
« La culture, le 77 et moi » initié par le projet Place Aux
Jeunes par le Service Jeunesse de Seine-et-Marne. Les jeunes répondants
sont des lycéens de Nemours et Fontainebleau.
105 Les dispositifs recensés par le réseau Pince
Oreilles sont : le Mégaphone, élaboré entre la Boîte
de Concert, à Pontault Combault, et le Pub ADK à Roissy-en-Brie ;
le FÔG (Formations Ô Groupes) rassemble lui L'Empreinte, à
Savigny-le-Temple, Le Potomak, à Brie-Comte-Robert, L'Oreille
Cassée, à Combs-la-Ville, et La Citrouille à Cesson ; et
Eureka, mis en place entre Les Cuizines de Chelles, et File7 à
Magny-le-Hongre.
62
parcours d'un artiste ou d'un groupe. Globalement, la
diffusion, la répétition et l'enregistrement sont des
activités intimement liées au sein des équipements
dédiés aux musiques actuelles, traduisant une volonté
d'intégration cohérente et même indispensable. Les studios
de répétition de type sociétés commerciales, sont
généralement à l'initiative de professionnels du secteur
musical, ou de musiciens désireux de répondre par leurs propres
moyens à la demande locale. Il en résulte parfois un manque de
visibilité et une inadéquation entre le besoin d'être
accompagné et la prestation de service purement commerciale. Certains
développent leur propre home studio mais cela ne va pas sans
investissement, ni sans un minimum de connaissances techniques, qui bien
souvent relèvent de l'autodidactie.
Aussi, il ne faut pas sous-estimer l'impact de cette situation
inégalitaire sur le propre parcours des artistes et les
difficultés que peuvent représenter le passage du statut
d'artiste local à celui d'artiste d'envergure départemental. Une
évolution qui nécessite, à un certain stade, d'être
repéré, pour au moins espérer être programmé
dans un espace entièrement dédié à la diffusion des
musiques actuelles, en milieu urbain. Les difficultés qui en
découlent, lorsque l'offre est insuffisante ou insatisfaisante, peuvent
parfois alimenter un réel sentiment d'injustice. L'isolement territorial
et ses conséquences en matière d'éloignement des services
et des espaces de pratiques peuvent désavantager les populations
rurales, et notamment les jeunes. Si inégalités de pratiques et
inégalités territoriales peuvent ainsi être
corrélées, elles peuvent également présenter un
caractère cumulatif, notamment si l'on est jeune et rural.
1.2. Jeunesse et pratiques culturelles, quelles contraintes
en milieu rural?
Nées de l'intérêt des politiques publiques
pour les pratiques culturelles des «jeunes», les musiques actuelles
ont initialement été investies lors d'une démarche plus
large de légitimation et de construction d'une certaine catégorie
de publics. Philippe Teillet106 nous expose la manière dont
s'est construit l'intérêt des pouvoirs publics dans le domaine des
musiques actuelles, davantage soucieux de cibler des publics que d'exiger une
certaine qualité artistique : « s'est constitué au coeur
de l'intervention culturelle publique un secteur dont la
légitimité reposait moins sur la valeur attribuée aux
productions artistiques (...) que sur le souci
106 Maître de conférences en sciences politiques.
Responsable des masters professionnels "Direction de projets culturels"
à l'Institut d'Études Politiques de Grenoble et "Direction
d'équipements et de projets dans le secteur des musiques actuelles et
amplifiées" à l'Université d'Angers. Les travaux de
Philippe Teillet s'articulent autour de la question des politiques culturelles,
plus particulièrement dans le champ des musiques actuelles.
63
des publics identifiés comme étant
majoritairement ceux de ces productions. »107 Ce secteur
résulte de l'attention que portaient les politiques publiques sur des
catégories de publics alors peu ou pas considérées : les
publics dit « jeunes » de 16 à 25 ans, les publics des
quartiers défavorisés, les publics des banlieues. Il est
d'ailleurs curieux de noter qu'ici, on parle de pratiques à la fois
« jeunes » et « urbaines », une association de termes qui
omet ce qu'on serait alors tenté de qualifier de pratiques « jeunes
et rurales ». La jeunesse rurale ne serait-elle que le réceptacle
après-coup de ce qui se construit en ville ? D'ailleurs, qui dit
jeunesse en difficulté sous-entend jeunes des banlieues, la «
culture jeune » semble fortement entretenue dans une vision assez
stéréotypée et caricaturale de la jeunesse populaire
banlieusarde représentée par les rappeurs, les punks et autres
blousons noirs. C'est ce que suggère Nicolas Renahy : « Les
jeunes ruraux, lorsqu'ils sont pris en considération (et qu'ils ne sont
pas seulement perçus comme des « ploucs »), apparaissent comme
le négatif de leurs homologues urbains : moins formés, moins
cultivés... »108
La Seine-et-Marne est un département
particulièrement jeune. La part des 0-19 ans est de 28,3%109,
le plaçant comme le troisième département le plus jeune de
France. Bien que leur répartition soit, elle aussi,
hétérogène, la présence forte de jeunes sur
l'ensemble du territoire est effective. Variant de 22% à plus de 28% sur
le Gâtinais, les jeunes représentent plus de deux seine-et-marnais
sur dix en zone rurale ou périurbaine. Aussi, l'opposition entre les
jeunes ruraux et urbains, au même titre que leur population
entière, n'a plus de sens au regard de leur modes de vie, leurs valeurs
et leurs pratiques qui s'homogénéisent autour d'un standard
urbain110. Ce n'est donc pas le lieu de résidence qui modifie
l'intérêt commun pour les activités culturelles et
musicales, ni « pour les pratiques de sociabilité entre pairs
qui constituent en quelque sorte le ciment des cultures adolescentes.
»111 Les variations qui ont pu être observées
entre les pratiques des urbains et des ruraux semblent, en partie, produites
par les caractéristiques et configurations spatiales dans lesquelles ils
évoluent, même s'ils ne sont
107 Teillet Philippe, « Publics et politiques publiques
des musiques actuelles », O. Donnat, P. Tolila, Le(s) public(s) de la
culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.155
108 Renahy Nicolas, Les Gars du coin, Paris, La
Découverte, p.19
109 Voir en annexe n°10, la répartition des moins de
20 ans sur le département de Seine-et-Marne
110 Olivier David, « Le temps libre des jeunes ruraux :
des pratiques contraintes par l'offre de services et d'activités de
loisirs », Territoires en mouvements, Revue de géographie et
aménagement, n°22, 2014
111 Olivier David, op.cit, p.85
64
« jamais des facteurs déterminants
»112. En effet, ces tendances à l'uniformisation ne
gomment pas pour autant toute influence de la variable territoriale.
L'étude de 2007 sur les jeunes dans les espaces de
faible densité113 a permis de mettre en évidence
différents profils, types de rapports et de modes de vie des jeunes au
sein de leur territoire. Pour certains ruraux, ou périurbains, «
les espaces de faible densité, représentés comme des
espaces fermés, jouent un rôle de piège
»114. Leur espace de vie se caractérise par des
termes peu mélioratifs, notamment chez certains jeunes du
Gâtinais115 : « Ça bouge pas assez, enfin dans
le 77 y'a rien ! », « C'est trop tranquille, il faut casser la
routine, faut bouger un peu quoi. », « Bah je trouve que
ça bouge pas assez », « On est trop isolé en
Seine-et-Marne en fait ». Ils reprochent surtout à ces
territoires de manquer de modernité et d'activité. La
ruralité fantasmée, perçue comme un paradis naturel, se
heurte ici aux réalités locales, à savoir la monotonie et
l'isolement. Un décalage qui renforce le sentiment d'être
piégé. Comme le souligne les auteurs, « il y a comme une
peur de la ligne droite toute tracée, de la routine qui se projetterait
sur l'espace de vie ». Toutefois, le territoire peut aussi
représenter pour ces jeunes « un rempart contre les
problèmes, un gage de qualité de vie. »116
Même s'ils reconnaissent qu'il n'est pas toujours aisé de vivre
à la campagne, ils s'accommodent au quotidien, font preuve de
débrouillardise et élaborent leurs propres tactiques. Le
territoire fonctionne pour eux comme un refuge, une enceinte loin des dangers
de la ville, bien qu'ils n'y soient pas imperméables. D'ailleurs, ils
regrettent les stigmates des adultes ou des politiques locales sur le
caractère problématique de la jeunesse. Une situation qui
renforce par ailleurs, le besoin d'autonomie et d'indépendance d'un
dernier groupe de jeunes identifié par l'étude. Pour eux, ces
espaces sont sources d'épanouissement et ils s'en disent fiers. Il
s'agit du seul groupe identifié où s'affirme le sentiment de
devoir animer ces territoires, de s'impliquer dans la vie locale par le biais
d'associations. Les territoires représentent un espace des possibles,
dans lequel la mobilité est adaptée, et est moins
appréhendée comme une source de difficultés.
112 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé
Lionel, « Les jeunes dans les espaces de faible densité : d'une
expérience de l'autonomie au risque de la captivité »,
Société et jeunesse en difficulté, n°41,
2007,
p.5
113 Ibid.
114 Ibid. p.8
115 Propos recueillis d'après l'interview
réalisé par l'association Musiqafon dans le cadre du projet
« La
culture, le 77 et moi » initié par le projet Place
Aux Jeunes par le Service Jeunesse de Seine-et-Marne. Les jeunes
répondants sont des lycéens de Nemours et Fontainebleau.
116 Escaffre Fabrice, Gambino Mélanie, Rougé
Lionel, Op. Cit. p.9
65
1.3. La mobilité en question.
La façon dont la jeunesse entrevoie son territoire de
vie est un indicateur d'importance. Elle résulte bien sûr des
configurations spatiales mais aussi des manières de maîtriser son
environnement, en termes de distances aussi bien géographiques que
symboliques. Aussi, la mobilité apparaît comme un enjeu majeur,
capable d'influencer directement les sociabilités, notamment des jeunes,
dans leur rapport aux études, à l'emploi, et à leurs
loisirs.
Quand on interroge les jeunes sud seine-et-marnais sur les
évolutions à entrevoir en termes d'accès à l'offre
culturelle sur leur territoire, et plus globalement, en matière de
service, le manque impérieux de transport est largement mis en avant :
« Au niveau des transports, je trouve quand même y'a un
problème. Moi j'habite dans un petit village, et c'est vrai que c'est
pas évident de se déplacer â l'intérieur du
département. », « Bah du transport, des
activités...euh...oui...des choses qui font vraiment changer la vie de
tous les jours. », « Ah, qu'est-ce qui manque...Bah en premier se
serait les bus, parce que chez moi y'a pas du tout de bus », « Bah
quand t'as pas de permis...bah t'es coincé. ».
Le réseau de transport sud seine-et-marnais est en
effet peu dense. La ligne 34 du Seine-et-Marne Express, ligne de bus principale
qui dessert cinq communes entre Melun et Château-Landon (et
Égreville autre terminus), se concentre uniquement sur l'axe nord-sud
parallèle au Loing. Il en est de même pour la ligne R du
Transilien, qui relie les gares de Souppes-sur-Loing à Paris, mais qui
ne dessert que quatre gares sud seine-et-marnaises. Les bus intercommunaux sont
pour l'essentiel réservés aux transports scolaires. En
matière d'horaires, les services par bus ou par voie ferroviaire
n'excèdent généralement pas 23h ou minuit et pour certains
20h. Notons que le fait même de pouvoir accéder à un de ses
services nécessite d'être véhiculé. Alors, certes si
le problème se pose moins pour les 86% de ménages
seine-et-marnais qui disposent d'au moins un véhicule, elle se pose
aussi bien pour la jeunesse, que pour les plus démunis.
Avoir le permis, c'est s'offrir un avenir, c'est passer du
stade d'adolescent à celui d'adulte indépendant ou tout du moins
autonome. Dans les communes isolées, peu ou pas desservies, cela peut
aussi dire accéder à d'autres formes de vie sociale, hors du
cadre familial ou scolaire. En matière d'accès à l'offre
culturelle, la dépendance à la voiture s'avère forte en
zone rurale compte-tenu des horaires généralement tardifs des
concerts qui corrèlent mal avec ceux des services de transports. Aussi,
certains doivent compter sur un(e) ami(e), un proche ou un membre de la
famille, plus ou moins enthousiasmé pour effectuer les
déplacements. Les coûts de consommation d'essence ne sont
d'ailleurs pas à sous-estimer. Bien que les distances à
parcourir, parfois longues, soient le lot quotidien d'une partie de la
population du Gâtinais,
66
lorsqu'il s'agit de se rendre dans un équipement
dédié aux musiques actuelles en Seine-et-Marne, elles peuvent
potentiellement dissuader (par exemple, pour se rendre à L'Empreinte,
à Savigny-le-Temple, salle dédiée la plus proche du
Gâtinais, il faut compter, selon l'éloignement, plus d'une
centaine de kilomètres à parcourir aller et retour.).
Si les distances et l'éloignement peuvent
représenter un frein pour la jeunesse selon certains acteurs, comme
Musiqafon, d'autres en revanche, comme Pierre Beltante de la Tête des
Trains nuance toutefois cette situation : « Moi je pense que pour
avoir un public plus jeune, il faut être en milieu urbain pour faire
ça. Parce que le public plus jeune ici, les mecs ils ont une voiture,
quand ils commencent â avoir une voiture tout ça, ils vont aller
en ville, lâ où y'a de la moquette, des néons, des trucs
qui flashent quoi. (...) Un gamin qu'a jamais voyagé, il
préfère aller où y'a des néons, où y'a de la
moquette, où ça brille quoi et de la musique qu'il aime. (...) en
plus les jeunes qui pourraient venir si ils sont très jeunes faudrait
qu'ils viennent en mob', d'un village â l'autre, donc lâ c'est....
Bah c'est galère. Une salle en milieu urbain, comme La Fontaine, le
Potomak, du côté Cuizines, l'Oreille Cassée, tout
ça, ils viennent plus facilement. ». Pour Pierre Beltante, la
ville représenterait pour ces jeunes le cadre privilégié
des pratiques culturelles ou festives. Un constat qui peut s'expliquer par une
certaine passivité des jeunes à l'égard des
activités proposées localement, ou par un manque de
visibilité de l'offre en zone rurale.
Ainsi, les modalités d'accès à l'offre
sont intimement liées à la maitrise de la mobilité, de son
environnement social (en termes de ressources mobilisables à
l'échelle de l'entourage), des configurations spatiales (en termes
d'appréhension des distances) et des possibilités
matériels et financières (avoir une voiture, savoir
maîtriser les services de transports). Ces constats invitent à
poursuivre notre réflexion sur les politiques mises en oeuvrent à
l'échelle locale pour prendre en compte ces inégalités et
tenter de les réduire.
67
II. La place des musiques actuelles dans les politiques
locales
Les années 1980 et 1990 se caractérisent, nous
l'avons vu, par un développement des initiatives locales et un
rôle croissant des collectivités territoriales dans le champ des
politiques culturelles et d'aménagement du territoire. Cette
réalité, associée au processus de décentralisation
administrative et politique, est aussi une conséquence des
évolutions de représentations et de perceptions. Celles-ci sont
centrales dans l'appréhension des problèmes publics ainsi que
dans la définition des réponses apportées.
2.1. Le poids des représentations.
« Aborder le monde rural et la politique culturelle
dans le monde rural, c'est se confronter au même dialogue de sourds, ou
plutôt â cette même absence de dialogue, tant ceux qui
parlent son pétris de certitudes, d'images toute faites, de
pensées prêtes-â-l'emploi et d'une histoire que personne
n'ose vraiment finir. » 117
La mise en place de politiques locales dépend des
enjeux sociaux mais aussi des représentations et des valeurs sociales
portées par les acteurs institutionnels, collectifs, et même
individuels. En ce sens, l'espace est un produit concret et matériel,
mais aussi symbolique et idéologique dans lequel les acteurs
développent des stratégies qui dépendent de leurs
idées et valeurs spécifiques. On peut suggérer que la
définition de politiques et de choix d'action spécifiques soit
aussi influencée par une certaine subjectivité de la part des
acteurs publics, tous autonomes dans leur façon de penser et de
réfléchir. Les représentations, les valeurs et les
croyances qui dominent au sein de la société influent aussi dans
le domaine des musiques actuelles et des politiques en sa faveur. Nous l'avons
vu, ce champ a été investi par les pouvoirs publics, visant en
grande partie, à prendre en compte des catégories de publics
jusqu'alors peu représentées, et notamment la jeunesse. Il n'est
pas rare de constater que l'inscription des musiques actuelles au sein des
politiques locales soit intimement liée à un projet de politique
en direction de la jeunesse118. En témoigne les deux Maisons
de la Culture et de la Jeunesse sur notre territoire qui portent un projet
musiques actuelles ainsi que les nouvelles orientations
117 Delisle Henry, Gauchée Marc, Cultures urbaines,
culture rurale, Paris, Le Cherche Midi, coll. Terra, 2007, p. 25
118 La dernière étude réalisée par
la FEDELIMA sur les lieux de musiques actuelles en milieu rural et en zone
urbaine en environnement rural, démontre que plus de 65% des structures
bénéficient de l'agrément Jeunesse et Éducation
Populaire
68
prises par l'association Musiqafon, davantage tournée
vers le développement des projets « jeunes ».
Toutefois, comme le souligne Florence Lefresne et Patricia
Loncle, il est « impossible de traiter le [la jeunesse] aujourd'hui
sans se référer aux catégories de l'action publique dans
le champ de la formation, de l'emploi, de l'action sociale, du logement, de la
ville...qui, peu ou prou, forgent des représentations, voire des
identités sociales : « jeunes en échec scolaire »,
« jeunes des quartiers », « jeunes en difficultés
»... »119. Ces conceptions ont tendances à
stigmatiser la jeunesse en ne l'entrevoyant qu'à travers ses
problèmes. Ces représentations peuvent être
conjuguées, à celles, tout aussi caricaturales, des musiques
actuelles et du secteur lui-même. À un niveau idéologique,
la construction forte du secteur des musiques actuelles sur des valeurs
d'indépendance et sur la revendication d'une certaine forme de
contre-culture, peut être mal perçue par certains acteurs publics
et élus locaux, en témoigne les propos de Pierre Beltante de la
Tête des Trains : « Bah les élus locaux ils ne
s'intéressent pas â nous ! Pour eux c'est un lieu qui est rempli
de...Le conseiller général B. dit qu'il était
agressé par des « harpies gauchistes ». Je ne sais pas comment
il peut imaginer un truc pareil. (...) C'est des mondes parallèles tu
vois. » Par ailleurs, les acteurs des musiques actuelles,
revendiquant également de travailler sur des esthétiques
populaires, ne sont pas, à la différence d'autres domaines
artistiques, comme le théâtre, complètement
légitimés par les pouvoirs publics.
Les différents acteurs interrogés lors de cette
étude, ont majoritairement souligné l'influence des
représentations personnelles des élus sur le domaine, et leur
manque, plus ou moins important, de connaissances du secteur. La question du
décalage culturel, évoquée par Philippe Berthelot,
interroge le fonctionnement d'une certaine génération
d'élus, qui ne se sentent pas en accord avec les projets musiques
actuelles. Un décalage accentué, selon lui, en milieu rural,
où l'ancienneté de certains mandats se couple à une vision
conservatrice de l'action publique. Champ d'intervention relativement jeune,
les musiques actuelles sont entrées tardivement dans le champ
d'intervention des politiques publiques. Aussi, sans faire de
corrélations trop générales, on peut toutefois concevoir
cet écart générationnel et culturel au vu du profil
socioprofessionnel des maires de Seine-et-Marne, qui sont
représentés en majorité par des agriculteurs et
retraités agricoles (17.9%), suivi des retraités du
secteur privé (14.20%) et des
119 Patricia Loncle, Les jeunes : questions de
sociabilité, questions de politique, La Documentation
Française, Coll. Études, 2007
69
retraités de la fonction publique (5.25%). Une
étude120 sur les caractéristiques des maires en milieu
rural, a révélé que 66,5% des élus
interrogés envisagent l'action municipale comme devant participer au
« maintien de l'héritage et de la personnalité
traditionnelle de la commune » et à « la sauvegarde d'un cadre
vie traditionnelle ». Un objectif politique qui serait susceptible
d'entrer en conflit avec l'image plus « moderne » et « innovante
» des musiques actuelles.
Il serait pertinent d'approfondir ces analyses sur le profil
culturel des élus et leur degré d'appétence pour la
culture et ses domaines afin d'apporter une conclusion objective du niveau
d'influence sur les actions publiques en faveur des musiques actuelles. C'est
ce que suggère d'une certaine manière Véra Bezsonoff,
actuelle chargée d'accompagnement et de structuration des
adhérents de la Fédélima, qui nuance l'apparent
désintérêt des élus pour la culture, tout en
admettant la possible influence du goût individuel : « Je ne
pense pas qu'on puisse dire du coup, en milieu rural, les élus sont
moins sensibilisés aux problématiques culturelles qu'en milieu
urbain (...) c'est des politiques, c'est gens là ont été
élus, mais effectivement ils n'ont peut être pas beaucoup de
considération pour les musiques actuelles, peut-être qu'ils
préfèrent l'opéra et le théâtre... »
C'est également ce qu'induit le directeur de la Tête des
Trains, qui considère que le désintérêt du maire
local pour sa structure, peut aussi s'expliquer par ses
préférences esthétiques musicales : « Le maire de
Tousson il ne s'intéresse à rien... Je veux dire on l'a jamais vu
â un concert. Le tango argentin ça lui plaisait alors on a fait un
jour une chanteuse, elle chante l'argentine, elle chante le tango, mais ce
n'est pas le tango pour danser. Donc il est venu, mais il s'est fait chier
parce que ce n'était pas ça qu'il attendait... ».
Néanmoins, cette posture peut parfois s'inverser de la part de
l'élu et témoigner au contraire d'une appréciation
personnelle positive.
Au-delà d'un déficit d'image de la jeunesse et
des musiques actuelles et d'une certaine prévalence du goût
culturel de l'élu sur son appréhension des équipements,
c'est la dimension politique qui interroge. Les compétences des
élus et de ses conseillers en matière culturelle sont
relativement limitées au sein des communes rurales. Les déficits
budgétaires et certaines situations de crise contraignent les
collectivités dans leur marge d'action. Aussi, il convient de
s'interroger sur les relations qu'entretiennent les acteurs avec leurs
collectivités locales.
120 Souchon Zahn Marie-Françoise. « Les maires en
milieu rural ». In: Économie rurale. N°237, 1997,
Représentation politique et sociologique du monde agricole et rural
français. 1ère partie, sous la direction d'Isabel Boussard et
Bernard Wolfer. pp. 19-21.
70
2.2. Les difficultés des collectivités
locales
En milieu rural, force est de constater que les politiques
culturelles sont quasi-inexistantes. Au regard des campagnes électorales
locales, les rares fois où la culture est abordée, elle l'est
souvent sous l'angle du tourisme, des loisirs, du scolaire ou dans une
dimension sociale. Bien qu'inscrite dans la constitution, rare sont les
occasions de rencontrer un candidat qui affiche la question culturelle dans son
programme électoral. C'est généralement par le biais de la
préservation du patrimoine, de la lecture publique ou encore de
l'enseignement musical que les politiques départementales,
régionales et de l'État se préoccupent de l'accès
à la culture en milieu rural. Quelle que soit l'étiquette
politique des élus, leur investissement dans le domaine culturel,
relève davantage d'une politique de communication que d'une
réelle politique culturelle121.
Les modalités d'élaboration des politiques
publiques sont complexes : liant à la fois les conceptions politiques
des élus locaux, leurs visions et le sens qu'ils donnent à leurs
actions, et les marges de manoeuvre dont ils disposent pour appliquer le
programme pour lequel ils ont été élus. De plus, il faut
ajouter la difficulté pour certains élus d'anticiper les
évolutions démographiques, les mutations sociales en cours,
notamment dans les zones rurales influencées par la ville, qui attirent
de nouveaux ménages.
Philippe Teillet et Emmanuel Négrier soulignent, en
évoquant les situations départementales en France, que «
si la forme est celle de la territorialisation, dans le fond il s'agit
plutôt d'une déterritorialisation des politiques culturelles
»122. Toute la difficulté pour les
collectivités territoriales réside dans la définition d'un
sens politique à donner à leur territoire. Difficulté qui
se traduit par un cantonnement à un soutien ou à la construction
d'équipements pour ressembler aux standards nationaux. Analysées
par Erhard Freidberg et Philippe Urfalino, il apparaît que les politiques
culturelles locales « bénéficie(nt) a priori d'une plus
grande indépendance vis-â-vis de l'État et de ses services
extérieurs »,123 traduisant une certaine forme
d'autonomie des municipalités en terme de choix culturels. À la
différence d'une politique culturelle menée à
l'échelle nationale, les rapports entre les élus locaux et les
acteurs culturels sont plus directs, mais demeurent marqués par un lien
essentiellement utilitaire. En effet, la
121 Philippe Sidre, « Les habitants des milieux ruraux
sont-ils exclus de la culture ? », Drôle d'époque,
05/2006, 18, p. 135
122 Négrier Emmanuel, Teille Philippe in Saez
Jean-Pierre (Sous la direction de ), Un lien â recomposer ,
Éditions de l'Attribut, 2008
123 Freidberg Erhard, Urfalino Philippe, Le jeu du
catalogue, les contraintes de l'action culturelle dans les villes, La
Documentation française, 1984
7'
politique culturelle locale se caractérise davantage
par une accumulation d'équipements et de domaines d'intervention, ce que
les auteurs nomment « le jeu de catalogue », plus que par une
réelle coopération, cohérente et réfléchie,
entre les différents secteurs et sans véritable attention
portée à leurs problématiques.
Selon Philippe Berthelot, les élus locaux
considèrent généralement que le développement des
musiques actuelles sur leur territoire est comme extérieur à eux,
principalement lié aux jeunes ruraux qui s'autogèrent. Certains
perçoivent d'ailleurs l'activité de ses acteurs musiques
actuelles comme relevant de l'exploitation commerciale, des lieux lucratifs qui
ne nécessitent pas d'investissement public. Peu associées dans
l'imaginaire collectif, et chez certains élus locaux, au monde rural,
les musiques actuelles seraient du ressort des villes et des pôles
urbains.
Ainsi, la culture et son développement territorial
seraient aux mains d'élus locaux dont les compétences en
matière de culture demeurent relatives, individuelles et peu
légitimes. Ceux-ci, nous l'avons vu, manquent de critères
objectifs dans leurs choix culturels. Ils se sont généralement
dotés d'équipements, des « services de base »
'24(bibliothèques, école de musique) mais dans un
contexte de rationalisation des dépenses, la création
d'équipements s'est ralentie, donnant davantage de place aux projets
moins pérennes aux aspects territoriaux et sociaux. Une évolution
qui s'explique en partie par les critères de financements établis
par les différents partenaires territoriaux (départements,
régions, intercommunalités, Union Européenne)
désormais indispensables à ces logiques de projets et de
coopérations impulsées par l'État.
2.3. Financements publics, des spécificités
en milieu rural
L'étude de la FEDELIMA en 2009 sur les Lieux de
Musiques actuelles en milieu rural, a posé un premier bilan des enjeux
et problématiques de ces structures, tout en proposant un état
des lieux en termes de projets, de modèles économiques et de
développement. Cette première étude sur les
caractéristiques des lieux a permis de faire apparaître des
différences marquantes de répartition des financements publics
par collectivités entre milieu urbain et milieu rural, et de constater
que les lieux en zone urbaine étaient largement plus soutenus par
'24 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action
publique des petites villes. Un révélateur des politiques
urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour,
n°83, 2008
72
leur municipalité (à 23%) que ceux en milieu
rural (4%). On assiste, à l'inverse, à un fort soutien des
conseils régionaux pour les lieux en milieu rural, pour un taux moyen de
17% contre 8% en milieu urbain. Les conseils départementaux semblent
néanmoins subventionner les lieux urbains et ruraux dans les mêmes
proportions, avec un taux légèrement plus élevé en
milieu rural (10% contre 6%).
Le Pince Oreilles a révélé, nous l'avons
vu, que la part financière provenant des villes était majeure
puisqu'elle représente près de la moitié des financements
publics des structures seine-et-marnaises. Un taux qui s'élève
à 70% avec le soutien des intercommunalités. Sur les quatre lieux
identifiés dans le Gâtinais, ces taux sont nettement
inférieurs. Bien qu'il nous soit difficile de procéder à
de véritables comparaisons représentatives, notre
échantillon étant trop restreint, nous pouvons toutefois
dégager quelques tendances. Les MJC sur notre territoire, qui consacrent
de 5 à 15% de leur budget aux musiques actuelles, sont
particulièrement dépendantes de leur municipalité,
notamment en financement de fonctionnement, leur rattachement aux services
municipaux, qui octroie d'ailleurs leurs locaux, explique certainement
l'investissement communal estimé entre 33% et plus de 70%. Le Conseil
Départemental subventionne également ces deux structures à
hauteur de 41 et 20 %, au titre de Lieux Culturels de Proximité.
À noter que FLC ne bénéficie plus de l'attribution au
titre de Lieux d'Expression des Musiques Actuelles. La part des
intercommunalités et de la région est nulle. Pour l'association
Musiqafon et la Tête des Trains, le budget varie en 2014 de 140 000€
à 77 000€. Précisons qu'il est difficile d'estimer la part
exacte consacrée aux musiques actuelles étant donné la
diversité des actions proposées. Toutefois les deux structures
sont largement associées à l'activité de diffusion des
musiques actuelles. Notons que l'orientation « jeunesse » de
l'association Musiqafon s'est traduite par une augmentation des actions
à caractère pluri-artistique, mais pour l'essentielle, celles-ci
s'appuient sur le projet Musiques Actuelles. On constate que les deux
structures sont principalement subventionnées par le Conseil
Départemental : à hauteur de 14 % pour la Tête des Trains
(au titre de Lieux Culturels de Proximité), et de 37% pour Musiqafon
(dont 33% par le Service Jeunesse du département, et 4% par la Direction
des Affaires Culturelles). Les aides à l'emploi (État et CAF)
représentent près d'un tiers de financements publics des deux
structures. Enfin, la participation des communes est la plus faible, de 1%
à 11%, tout en précisant que ce taux résulte de la
participation cumulée de quatre à sept communes. Là aussi,
l'implication intercommunale est inexistante. Notons également que leurs
ressources propres représentent un tiers de leur budget.
73
Aussi, on retrouve à notre échelle
d'étude, des constats similaires en termes de répartition des
financements publics des lieux en milieu rural étudiés par la
FEDELIMA, notamment entre villes et départements. Le conseil
départemental contribue en effet largement dans chacune des structures,
étant même dans trois structures, le principal financeur. Cela
conforte le rôle « redistributeur » des départements,
notamment au profit des structures en milieu rural. Le bilan est le même
que la fédération nationale à l'égard de la
participation des villes pour les structures en milieu rural (les MJC
étant entendues comme des lieux urbains en environnement rural, et sont
par leur essence, dépendantes des services municipaux). Dans le
Gâtinais, l'investissement des communes est même bien
inférieur au reste du département, avec une moyenne de 6% contre
48,7% pour l'ensemble du département. Le manque d'implication est
flagrant et résulte en partie des difficultés des communes de
faible densité à contribuer financièrement aux projets
culturels. On notera l'absence du conseil régional, mais
également celle des intercommunalités, que l'on aurait
pensées, par un phénomène de solidarité et de
compensation, en faveur des territoires ruraux. C'est justement ce qui va
constituer notre prochaine réflexion.
2.4. Les intercommunalités, une implication encore
mitigée
Le mouvement de décentralisation des services de
l'État dans les années 1980 a donné lieu à une
série de réorganisations administratives sur le territoire,
s'adaptant constamment aux nouvelles façons de vivre des citoyens.
Après les communes, les départements et les régions,
d'autres formes administratives de regroupement ont vu le jour.
Créées en 1992 par la loi portant sur l'administration
territoriale de la République125 (loi Joxe), les
communautés de communes ont été
systématisées par la loi relative au renforcement et à la
simplification de la coopération intercommunale126 (loi
Chevènement), en 1999, qui instaure la création des
EPCI127. Ces lois instaurent de nouvelles échelles,
privilégiant l'échelon local, comme étant l'interlocuteur
privilégié entre les citoyens et leur territoire. Longtemps
parent pauvre de l'intercommunalité, la culture, alors incluse dans les
compétences générales des collectivités, est
devenue en 2015 avec la loi Notre (relative à la nouvelle organisation
territoriale de la
125 Loi n° 92-125 du 6 février 1992 relative à
l'administration territoriale de la République
126 Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au
renforcement et à la simplification de la coopération
intercommunale
127 Établissements Publics de Coopérations
Intercommunales
74
République), une responsabilité partagée
(art.103). Désormais la culture fait l'objet d'une responsabilité
exercée conjointement entre les collectivités territoriales
(régions, départements, EPCI) et l'État. La
responsabilité n'engage pas les collectivités de façon
aussi évidente qu'une compétence obligatoire ou exclusive. Il
s'agit principalement de mutualiser les moyens entre collectivités dans
le cadre d'un projet culturel commun. Pour les communautés de communes,
qui représentent plus de 80% des communes rurales, cette mesure tend
à équilibrer les inégalités budgétaires
entre collectivités et à impulser une dynamique de
coopération pour des projets pensés de manière
cohérente sur le territoire. Ce nouveau cadre tendrait à
bénéficier au financement des projets culturels, dans la mesure
où l'intercommunalité prendrait le relais compensant la faible
surface budgétaire de certaines communes.
Toutefois, la prise ou non de cette responsabilité par
les collectivités relève de leurs propres initiatives, en effet,
elles peuvent décider de ne pas faire appel à cette
responsabilité, qui n'a rien d'obligatoire. Selon Philippe Berthelot,
des effets pervers peuvent également résulter de certaines
dispositions de la loi Notre, entre autres, celle qui ouvre la
possibilité d'une délégation de l'instruction et de
l'octroi de subventions comporte un risque : la tentation peut être
grande pour une collectivité locale de se défausser sur des
collectivités plus importantes délégataires. Un
élément qui selon Philippe Berthelot pourrait participer à
la concentration des moyens sur une structure identifiée, jouant le
rôle de pôle sur leur territoire (exemple d'une Scène de
Musiques Actuelles qui serait perçue comme largement suffisante pour
irriguer une intercommunalité). Une ouverture ambiguë des
intercommunalités, qui peut amener à un
rétrécissement des initiatives soutenues si les
collectivités ne se sont pas mobilisées, le risque étant
de voir se déplacer la posture de l'État à une nouvelle
centralité sur ces nouveaux échelons territoriaux ou de constater
l'absence d'initiative entre eux. Pierre Marie Cugny, ancien directeur des
affaires culturelles du conseil départemental, soulignait
déjà lors d'un débat organisé par le Pince Oreille
en 2007 à propos du manque de dialogue entre les communautés de
communes : « Le grand drame, c'est de voir que les territoires ne sont
pas encore motivés pour se rassembler et mutualiser les moyens, pour
prendre des décisions importantes. (...) Ce sont les mentalités
qu'il faut faire évoluer. »128
Sur le Gâtinais, cela se traduit par un manque de
visibilité des structures et un investissement financier axé sur
les projets ponctuels, les festivals. La communauté de communes des
Terres du Gâtinais par exemple, est impliquée de manière
disparate dans les
128 Lors du débat organisé lors du
7ème festival Watts Up en 2006, « Les musiques actuelles
et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne ».
75
projets de son territoire. La Tête des Trains, alors
qu'elle agit de manière permanente sur sa localité, n'a jamais
reçu de soutien de cette intercommunalité alors que
paradoxalement plusieurs de ses communes participent au financement du projet :
« Oui m'enfin, Milly-la-Forêt donne quelque chose, Malesherbes
aussi et y'a quand même 7 communes dans l'intercommunalité qui
donnent des subventions. C'est à prendre en compte quand même !
». À contrario, l'intercommunalité a contribué
au financement du festival des Gâtifolies. D'ailleurs pour ce dernier,
l'investissement est notable pour une première édition, de
l'ordre de 5000€. Son organisatrice, Christine Amara, a
témoigné de l'implication décisive du maire de
Boissy-aux-Cailles, également président de la commission Culture
et Patrimoine au sein de l'intercommunalité. L'influence de cet
élu sur le financement de ce projet, interroge sur les modalités
objectives de l'intervention intercommunale et des réelles
capacités de cet échelon à s'investir dans la culture de
manière cohérente et équitable. Au-delà du soutien
très personnel de ce maire, il est aussi apparu que le projet
s'inscrivait dans un contexte de stratégies politiques tout aussi
décisif : « C'était une interco qui était assez
jeune, qui avait pas eu un gros projet porteur culturel et tout, ils me l'on
dit après, on apportait un truc sur un plateau d'argent, d'autant plus
que je sais pas si vous connaissez l'histoire des intercos mais
l'été dernier une loi a été votée et les
communes, les intercos inférieures â 15 000 habitants n'ont plus
de légalité donc elles sont obligées de se regrouper, donc
l'interco de la Chapelle enfin du Gâtinais devait se regrouper donc pour
eux il fallait qu'ils arrivent, enfin c'est comme un mariage avec au moins
quelque chose pour pouvoir se montrer... donc on arrivait politiquement pile
poil quoi ». Un témoignage particulièrement explicite
sur l'instrumentalisation politique d'un projet culturel, destiné ici
à servir d'outil de valorisation à une intercommunalité
naissante. L'intérêt artistique, culturel et social semble bien
loin des préoccupations de cette entité en recherche.
L'association Musiqafon déplore de son
côté le peu d'implication des intercommunalités sur
lesquelles elle inscrit certains de ses projets : « les demandes
d'organisation proviennent des communes en direct, mais rarement des
intercommunalités, lorsqu'elles existent, et qu'elles se
préoccupent de la Culture (essentiellement Moret Seine et Loing pour 5
â 6 événements annuels). 129» La
logique du financement ponctuel observée dans l'intercommunalité
des Terres du Gâtinais, se retrouve également à
l'échelle du Pays de Fontainebleau, qui soutient le festival Django
Reinhardt et le Rainforest, et du Gâtinais Val de Loing, qui a soutenu le
festival Lagrange. Faute de véritable projet de développement
culturel, il semblerait que les intercommunalités s'appuient
essentiellement sur les projets portés
129 Extrait du bilan 2013 de l'association Musiqafon.
ponctuellement par les acteurs musiques actuelles locaux.
Toutefois, le caractère irrégulier de l'investissement de cet
échelon est à relativiser au vu des définitions
territoriales encore en cours. En effet, certaines communautés de
communes peinent à atteindre le seuil de 15 000 habitants exigé
par la loi NOtre au 1er janvier 2017. C'est le cas notamment des
communautés de communes des Terres du Gâtinais (11 648 habitants
en 2016) et du Bocage Gâtinais (5348 habitants en 2016)130.
Ainsi, nous avons pu constater que les formes d'implication
des collectivités dans les projets musiques actuelles sont
marquées par des disparités notables entre lieux et entre
territoires. En effet, plus les lieux sont excentrés de la ville, plus
les financements à l'échelle locale et intercommunale sont rares,
voire inexistants. Seuls les évènements temporaires semblent
bénéficier de leur soutien. Sans concertation entre les acteurs
et sans réelles ambitions politiques, les élus tendraient
à renforcer « l'effet vitrine » que peuvent jouer les
festivals, et réduiraient la pratique musicale à une simple
consommation. Notons que l'implication du département est essentielle
pour les structures en milieu rural, qui se revendiquent être des lieux
culturels de proximité. Certes les difficultés économiques
rencontrées par les communes rurales sont prégnantes mais des
difficultés similaires touchent aussi les communes urbaines. De plus, il
ne faut pas négliger le poids des représentations dans les prises
de décisions des élus, peu sensibilisés aux enjeux du
secteur. Au-delà de ses relations plus ou moins complexes avec les
collectivités, il convient de recentrer notre réflexion sur les
difficultés que rencontrent les acteurs à l'échelle de
leur projet et dans leur propre apport au développement des projets
artistiques. L'enjeu est de saisir la manière dont les acteurs musiques
actuelles interagissent avec leur environnement relationnel, professionnel et
local ; et de savoir si ces conditions peuvent participer à
l'émergence artistique.
76
130 En annexe n° 9 la carte des EPCI en Seine-et-Marne au
1er janvier 2016.
77
III. Interactions entre acteurs, une autre clé de
compréhension
3.1. Des « mondes locaux ».
Si en termes de dialogue avec les collectivités
territoriales, les acteurs se heurtent parfois à des logiques politiques
propres à l'échelle de leur localité, beaucoup
s'inscrivent dans des logiques de structuration professionnelle visant à
solidifier leur légitimité, et développer les
échanges et savoir-faire. Comme l'a souligné Philippe Berthelot
pour cette étude, « le maquis n'existe plus en milieu rural »,
difficile pour les acteurs d'un même territoire de ne pas se
(re)connaître. Dès lors que l'ambition portée par les
acteurs est d'étendre et de renforcer le rayonnement de leurs projets,
le besoin de coopérations et de partenariat à plus grande
échelle devient nécessaire.
Les structures dédiées partiellement ou
entièrement aux musiques actuelles recensées sur le
Gâtinais, à l'exception des festivals, s'inscrivent toutes dans un
réseau d'acteurs, qu'il s'agisse du réseau Pince Oreilles, de la
Fédération des Foyers Ruraux ou de l'Union Départementale
des MJC. Cette implication témoigne à la fois d'une
volonté d'intégrer un maillage de structures qui oeuvrent en
faveur du développement des musiques actuelles, et de
bénéficier d'un appui et de ressources aussi bien
professionnelles, informationnelles et relationnelles que supposent ce type de
regroupement. Cette volonté se fonde également sur le partage
d'un ensemble de valeurs et de principes communs, guidés par
l'intérêt général et l'égale dignité
des personnes. Cette démarche, qui résulte d'une
appréhension particulière de la culture et de ses enjeux au sein
de la société, fait souvent écho à un engagement
militant.
Le recours par l'État et les collectivités
territoriales au secteur associatif, pour pallier aux insuffisances de leur
administration et répondre à des enjeux publics nouveaux, a
également induit des modifications dans les modes d'organisation et de
gestion des associations, qui se sont peu à peu
professionnalisées. 131 Une tendance qui appelle
également à l'acquisition de certaines compétences, la
mise à profit de savoirs existants, et au développement d'un
niveau toujours plus élevé d'expertise. Aussi, il n'est pas rare
de constater que les acteurs du secteur des musiques actuelles sont pour la
plupart issus de niveau d'études supérieures, du professorat, du
secteur culturel, de la fonction publique, etc. Président d'une
association et instituteur, militant
131 Sawicki, F., Siméant, J., «
Décloisonner la sociologie de l'engagement militant. Note critique sur
quelques tendances récentes des travaux français »,
Sociologie du travail, Paris, 2009
78
altermondialiste actif et coordinateur de réseau,
artiste et salarié associatif, le rôle des acteurs au quotidien
est souvent multiple. Mais la dépendance économique aux
collectivités à participer à une forme «
d'institutionnalisation » du secteur des musiques actuelles à
mesure que celui-ci tendait à une légitimation de l'État
et à sa propre structuration. Aussi, Emmanuel Brandl analyse clairement
ce phénomène expliquant que l'« on passe d'une attitude
anti-institutionnelle affirmée et gonflée d'une idéologie
de subversion, au fait radicalement opposé qu'il faille savoir compter
sur les institutions locales132 ». Une situation qui selon
lui ne va pas sans rapports de force entre membres et acteurs, ni sans effets
sur les « codes symboliques de présentation de l'association
qui subit une modification. Ne serait-ce que dans le vocable utilisé :
on passe des « rockeurs » aux « acteurs culturels ».
133 »
L'auteur évoque également la présence
à l'échelle régionale de plusieurs « mondes locaux
», correspondant aux différents modes de relations entre le monde
des musiques actuelle et celui des municipalités sur un territoire
« dont le degré d'homogénéité est
très certainement fonction de la diversité des instances de
représentation de la catégorie « rock »
134». Aussi, la façon dont est conçu le
secteur des musiques actuelles par ses acteurs et les intérêts qui
guident leurs actions peuvent différer selon leur relation avec les
collectivités. Une situation qui peut générer des
conflits, ou des entraves au développement de réseaux locaux.
C'est ce que suggèrent en partie les propos de Pierre
Beltante, pourtant un des premiers initiateurs du réseau musiques
actuelles départemental, lorsqu'il souligne la remarque d'un autre
acteur du réseau : « Et O. qui disait « Bah qu'est-ce que
vous faites avec eux, c'est tous des salles professionnelles, tout ça,
alors pourquoi vous voulez jouer dans la cour des grands ? ». Bah j'ai dit
moi je trouve ça très bien qu'on soit avec les autres, si on leur
apporte rien, eux nous apportaient... (Rire).Voilà quoi ! ».
Son propos sous-entendrait qu'il existe une « cour des grands »
face à une supposée « cour des petits ». Au-delà
de positionner la Tête des Trains par son envergure, il ne donne pas
beaucoup plus de crédit au degré de professionnalisation de
celle-ci. C'est aussi ce qu'avait pu ressentir Aurélien Boutet, actuel
coordinateur de la Fédération des Foyers Ruraux de
Seine-et-Marne, qui dans le cadre de son association, Gadget O Phone, avait
intégré le réseau Pince Oreilles : « Je suis
arrivé aux Pince
132 Brandl Emmanuel, in «La sociologie
compréhensive comme apport à l'étude des musiques
amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous
la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches
empiriques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales »,
Série « Musiques et champ social », 2000, p. 267
133 Ibid. p. 269
134 Ibid. p. 279
79
Oreilles, ça a pas été simple parce
que à l'époque fallait montrer un peu pattes blanches, fallait
montrer qu'on était dans une démarche de professionnalisation
etc.(...) Mais en même temps au Pince Oreilles, je m'y retrouvais pas
trop parce qu'on sentait que c'était le truc qui était, enfin
politiquement c'était quand même tenu par les grosses salles et
moi j'avais l'impression que tu vois qu'on vivait pas forcément dans le
même monde, qu'on avait pas forcément les mêmes
problématiques, les mêmes attentes. » Là aussi,
des décalages sont ressentis entre structures d'envergure
différentes. Le fait d'avoir « sa place » au sein du
réseau et de s'y sentir légitime, semble relever du niveau de
professionnalisation, une exigence plus ou moins explicite, qui peut
générer un sentiment de retrait, voire d'exclusion.
D'ailleurs, bien que prégnante en milieu rural, la
question de la pérennité de l'emploi ne constitue pas une
spécificité forte, toutefois le contexte dans lequel elle se
pose, nous l'avons vu, est largement caractérisé par un
déficit d'implication de l'échelon local.
En somme, la modification progressive des codes et
représentations d'une partie du secteur musiques actuelles «
institutionnalisée » a potentiellement généré
des écarts de vision en son sein. Si l'on ne peut affirmer que ces
écarts résultent d'une opposition entre milieux urbains et
ruraux, force est de constater qu'elle lui est fortement associée.
Dès lors, il paraît intéressant à ce stade de
s'interroger sur les relations des acteurs entre eux.
3.2. Effets des interactions entre acteurs locaux.
Si les regards différent entre « mondes locaux
», il est apparu par ailleurs lors de cette étude que des
interactions entre, ce que l'on pourrait appeler « des figures locales
», auraient des conséquences sensibles sur certains projets. C'est
ce qui a pu être observé entre les deux acteurs historiques du
territoire, Thierry Boccanfuso et Pierre Beltante. Au travers de l'analyse du
discours, il nous est possible de distinguer l'influence des pratiques des
acteurs sur certains projets musiques actuelles sur le Gâtinais
Les propos du directeur de la Tête des Trains,
évoquant l'arrivée de l'association Musiqafon (alors Notown) dans
le paysage musical local, nous en livre un exemple concret : « On a
fait la scène locale pendant longtemps jusqu'à l'arrivée
de Thierry, de Musiqafon, du Notown et tout ça, qui a vraiment fait
bulldozer, c'est le mercenaire quoi. Bon en plus il partage pas Thierry. Moi je
lui avais demandé qu'il me passe des groupes que je compile, il me
disait « Non, c'est moi qui ai fait le démarchage », je lui
répondais qu'à mon âge je ne vais pas lui faire de la
concurrence, mais il disait « Non, c'est mon travail à moi, je ne
donne pas comme
80
ça... » .» Ici, il est
intéressant de noter que l'entrée d'un nouvel acteur dans la
sphère musicale locale - dans le champ (culturel) local - a
généré une nouvelle dynamique qui n'est pas sans effet. La
posture de l'individu semble dépasser celle du projet. Si l'on ne peut
parler de véritable rapport de force, c'est le comportement propre de
l'agent, quasi hégémonique, qui prend le pas sur les objectifs
culturels de l'association, comme le précise Emmanuel Brandl, «
les processus d'institutionnalisation entrainent dans leur mouvement la
réduction de la distance sociale entre les propriétés
objectives du poste et les caractéristiques sociales -les
propriétés subjectives - de l'individu qui occupe ce poste
».135
Ainsi, la conséquence de l'attitude d'un seul agent, de
ses conceptions propres sur la circulation des artistes, est donc à
l'origine d'une réorientation notable de la Têtes des Trains en
termes de programmation : « Bah après on a du orienter notre
programmation différemment. On n'a pas pris les groupes locaux de
Musiqafon quoi (... ) en plus les gens de toute façon qui viennent ne
sont pas en mesure de payer 5 ou 10€ pour voir un groupe, parce qu'ils
peuvent les voir gratuitement ailleurs, ou â la rigueur payer 5 ou
10€ pour 5 ou 6 groupes, comme fait Thierry. Quand t'as un salarié,
qu'il faut que tu sortes un salaire tout le temps, tu peux pas t'amuser â
programmer des jeunes groupes, qui n'attirent personne, avec un public â
risque. ». On assiste ici à un changement
révélateur d'une posture qui s'oppose, ou tout du moins qui
s'autonomise face aux activités de Musiqafon, qui semblent, le mot est
peut-être fort, concurrentielles. Les politiques tarifaires ne
relèvent pas des mêmes enjeux. Si pour l'un il s'agit de proposer
des évènements à moindre coûts et de permettre un
accès large au public, pour l'autre il s'agit également de
permettre une rémunération durable d'un salarié.
A l'échelle des relations sociales, l'influence de la
personnalité d'un agent sur les orientations d'un projet
extérieur à lui n'est pas à sous-estimer. De plus, il
convient de remarquer la corrélation qui est faite entre le projet et
les publics fréquentant les évènements de Musiqafon dans
l'esprit de Pierre Beltante. De mauvaises expériences avec la
scène locale ont en effet impactées sa propre vision du public :
« Nous on a jamais fait de gardes du corps, de contrôle â
l'entrée, etc. mais on s'est rendu compte que les groupes de reggae
comme on faisait souvent, on retrouvait des bouteilles d'alcool dans la salle
avec des mecs qui n'avaient rien consommé quoi... Donc après on
avait dit « Défense d'entrer avec les sacs », mais ils
ressortaient tous boire dans leurs voitures et revenaient, donc on s'est dit
c'est pas un public éduqué qui fait
135 Brandl Emmanuel, in «La sociologie
compréhensive comme apport à l'étude des musiques
amplifiées/actuelles régionales», in GREEN Anne-Marie (sous
la dir.), Musique et Sociologie. Enjeux méthodologiques et approches
empiriques, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques Sociales »,
Série « Musiques et champ social », 2000, p. 265
81
ça. J'ai fréquenté un peu les
festivals de Musiqafon, et je pense que 80% des gars étaient comme
ça. Consommateurs « beauf' » même s'ils ont des dreads.
Donc nous, on a orienté notre programmation vers un public autre. On
fait un concert de reggae dans l'année, et c'est bon quoi, on fait un
concert de deux trois groupes du coin si y'en a qui se proposent. ». Ici,
ce qui apparaît relativement stigmatisant se base à la fois
sur une vision négative du public « reggae » et « local
», qui ne semble pas maîtriser les codes de conduite attendu, et sur
une relation forte entre ce public et celui de Musiqafon.
Bien que nos observations mériteraient d'être
approfondies, car trop univoques, elles n'en demeurent pas moins
révélatrices d'un jeu particulier de représentations et de
valeurs. Notre regard sur les agents a pu mettre en exergue un changement
qualitatif sur l'identité du lieu de la Tête des Trains (davantage
tourné vers un public « éduqué », qui sait se
tenir) et par opposition, un regard relativement dépréciatif sur
le projet Musiqafon, et le public qu'il lui est associé. Cela renvoie
également à une appréhension, encore peu valorisante, du
public jeune. Aussi, peut-on envisager que ce qui se joue entre les acteurs,
peut avoir des conséquences en matière de développement
des pratiques musiques actuelles ?
3.3. Postures d'acteurs et impacts sur le
développement de la scène locale.
Évidemment, les situations précédemment
évoquées ne résument pas l'ensemble des interactions entre
les acteurs, et ne peuvent refléter la diversité des rapports
à l'échelle locale. Elles peuvent toutefois questionner sur les
capacités de certains acteurs à influer sur le
développement des musiques actuelles au sein du territoire.
En termes de valorisation de la scène locale, la
Tête des Trains a de son côté choisit de ne proposer que
ponctuellement des groupes locaux à la fois pour les raisons
évoquées précédemment, mais également pour
des questions de diffusion et de rentabilité : « On prend des
groupes de l'Île-de-France, mais pas forcément de Seine-et-Marne,
et en tout cas pas des gens du coin. Parce que si on fait les gens du coin, ils
ont fait tous les rades du coin, donc qui va venir les écouter ici, les
gars du coin mais â quel prix ? ». Des propos qui interrogent
sur le rôle des lieux en matière d'accompagnement des formations
musicales sur le territoire. En tant que structure fixe dédiée
aux musiques actuelles sur le territoire, il est curieux de constater que
celle-ci se repose, en termes de diffusion locale, sur les lieux non
dédiés, type bars ou café. Cette alternative, entrevue
comme une ressource pour les musiciens locaux, peut aussi représenter
un
82
paradoxe. S'inscrivant comme un acteur musiques actuelles,
impliqué dans un réseau départemental, la Tête des
Trains semble toutefois se désengager du rôle de «
développeur de la scène locale ». Bien sûr, les
difficultés structurelles du lieu, empêche véritablement
celui-ci de prendre des risques, en programmant des groupes locaux qui
n'attireraient pas de public jusqu'à Tousson. Ce choix interroge sur
l'éventuel désajustement entre l'offre et la demande locale.
S'agit-il de concevoir son rôle d'acteur et le projet musiques actuelles
sous l'angle artistique ou sous l'angle territorial ? Le projet de la
Tête des Trains semble davantage s'orienter vers une entrée
artistique, c'est-à-dire qu'en termes de diffusion le lieu tend
davantage à proposer une offre, de qualité, peu présente
sur le territoire, comme le suggère la palette des esthétiques
(musiques traditionnelles, musiques celtiques, jazz, musiques du monde, etc.)
et qui s'adresse davantage à un public de connaisseurs « qui
payent, qui mangent, qui boivent ». L'entrée territoriale, entendue
comme la volonté de développer un projet musiques actuelles en
direction des formations locales et des acteurs locaux, est moins
revendiquée.
L'orientation du projet de la Tête des Trains n'ouvre
donc pas réellement de possibilités aux groupes locaux d'y
être diffusés, ni de profiter de son inscription dans le
réseau Pince Oreilles, en matière de ressource, mais
également de repérage. Si les bars et les cafés
représentent des espaces de diffusion privilégiés pour les
groupes amateurs, ceux-ci ne sont pas pérennes, et ne peuvent
répondre aux besoins des groupes en matière d'accompagnement.
Contribuer au développement de la scène locale, c'est aussi lui
donner les moyens de se former. Or, au vu de la faiblesse des
équipements et du rapport volontairement détaché de la
Tête des Trains vis-à-vis de cette scène, le risque est de
restreindre les interlocuteurs des formations musicales à des acteurs
qui n'entrevoient les concerts rarement plus que comme une animation, une
plus-value à leur activité commerciale136, ou de s'en
référer uniquement à l'association Musiqafon.
En effet, le rôle de l'association Musiqafon devient
particulièrement prépondérant, car à la
différence des deux MJC présentes sur le territoire, son
activité en faveur des musiques actuelles est constante et
régulière. Toutefois, nous le verrons plus loin, celle-ci ne peut
répondre à elle seule aux besoins des groupes. Reconnu
auprès des acteurs publics en tant que référent sur le
territoire, l'association peut en effet représenter le seul
véritable point d'appui, aussi bien pour les groupes que pour les
collectivités, au risque d'occulter les autres acteurs. Notons
également, qu'à la différence des autres structures,
Musiqafon ne fait plus partie du
136 Une activité qui part ailleurs est porteuse d'une
économie locale qu'il serait pertinent d'analyser.
83
réseau Pince Oreilles depuis 2010. De fait, il ne
s'inscrit plus dans le cadre de dispositifs en direction de la scène
locale et perd l'appui d'un réseau de connaissances et de savoirs
susceptibles de profiter aux groupes locaux. Il ne s'agit pas de remettre en
cause les compétences de l'association, mais de mettre en perspective
son caractère quasi dominant sur le territoire. Le développement
des musiques actuelles sur le Gâtinais doit-il être l'apanage de
cette structure ? De plus, il ne faut pas oublier la dépendance de cette
association aux politiques « jeunesse » du département, ce qui
là encore, restreint d'une certaine manière les orientations de
l'association, et son ouverture à des formations musicales qui
n'entreraient alors plus dans ses critères de soutien.
Nos observations et analyses se sont attachées à
rendre compte des multiples difficultés rencontrées sur le
territoire du Gâtinais et des conséquences sur le bon
développement des projets dédiés aux musiques actuelles.
Les inégalités territoriales tendent à renforcer un
déséquilibre en matière de pratique, appuyées par
des visions stéréotypées des élus qui manquent de
critères objectifs pour déployer une politique concertée
et cohérente. De plus, en portant notre attention sur les interactions
entre les collectivités locales et les acteurs musiques actuelles, nous
avons pu comprendre en quoi celles-ci étaient conditionnées par
des facteurs d'ordre politique et économique, les structures ayant peu
de marge de manoeuvre en dehors des missions orientées par les
critères de subvention. Enfin, nous avons pu mettre en relief d'autres
difficultés inhérentes aux interactions entre les acteurs du
secteur, à l'échelle départementale et locale. Alors que
la faiblesse des équipements tendrait à un renforcement des
initiatives et d'un projet partagé entre acteurs d'un même
territoire, on observe à l'inverse différentes formes
d'autonomisation, et de logiques individuelles, qui complexifient le
développement de la scène locale et sa circulation. Notons
toutefois que nous ne pouvons prétendre à l'exhaustivité
dans nos observations, il conviendrait d'étendre et de diversifier les
regards des acteurs, des collectivités, des publics et des groupes
locaux. Néanmoins, après avoir abordé les
difficultés générales, il convient dans ce contexte, de
s'interroger sur la manière dont les projets réussissent
toutefois à exister. L'enjeu est de saisir la manière dont
ceux-ci s'adaptent à l'environnement rural, de saisir les logiques qui
les caractérisent et de tenter de dépeindre les
spécificités de ses projets, tout en abordant leurs perspectives
d'évolution.
84
PARTIE III
Stratégies d'adaptation et caractéristiques
des projets musiques actuelles dans le Gâtinais.
Enjeux et perspectives de développement des musiques
actuelles en
milieu rural.
I. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives,
à la marge.
85
1.1. L'initiative privée, répondre aux
besoins.
L'état des lieux proposé en première
partie de cette étude a permis de rendre compte de
caractéristiques communes. En effet, dès lors que l'on
s'écarte de l'intégration des musiques actuelles aux projets
culturels des MJC, il apparaît que l'essentiel des projets émane
d'une initiative privée et émerge soit de la logique d'un
individu, soit d'un projet collectif porté par une association. Il ne
s'agit pas d'une spécificité propre au milieu rural, les
initiatives privées étant tout autant relatives au milieu urbain.
Toutefois, l'intérêt de rendre compte de cette
caractéristique, est que ces initiatives sont généralement
le fruit d'un constat partagé : la faiblesse de l'offre, le manque
d'activités et d'équipements dédiés sur le
territoire rural. À la frontière de l'intérêt
général et de l'aventure entre amis, les projets tendent tous
à répondre à des besoins communs.
La création de projets en milieu rural suppose qu'elle
soit entrevue comme un espace des possibles, comme un territoire qui serait
synonyme de ressources, ce dont témoigne Aurélien Boutet :
« En milieu rural l'avantage c'est que t'as pas de contraintes, je
dirais que quelque part tout est possible, d'ailleurs c'est un peu la raison de
la dynamique des assos en milieu rural, c'est-â-dire que y'a rien enfin
y'a pas grand-chose donc quelque part les gens, soit ils se bougent, soit il se
passe rien et c'est pour ça qu'à mon avis, ça fait
soixante ans que les foyers ruraux existent parce que ça répond
â un vrai besoin. ». Les territoires ruraux seraient donc aussi
des espaces propices à l'innovation, à la création, aux
expérimentations en marge des cadres institutionnels, dans un rapport
différent à l'espace, aux populations, aux collectivités.
Ils permettent des initiatives qui auraient sans doute eu plus de
difficultés à voir le jour en ville.
L'absence d'équipement peut être compensée
par l'attirance de lieux a priori non dédiés à la
diffusion musicale et culturelle. La réhabilitation de l'ancien
café-épicerie du village de Tousson en salle de concert en est
une parfaire illustration. La mise à disposition du bâti
privé est d'ailleurs l'une des singularités des lieux de musiques
actuelles en milieu rural, comme le confirme l'étude de la FEDELIMP. Cet
espace atypique, et même « décalé », s'inscrit
inévitablement à la marge des lieux plus ou moins conçus
pour accueillir des animations, telles les salles des fêtes, les salles
communales, et les constructions municipales locales.
86
On retrouve également ce type de réhabilitation
avec l'exemple du Festival Lagrange, qui se déroule sur le terrain
agricole familiale. Qu'il s'agisse de la (fameuse) grange ou du hangar
accueillant généralement les engins agricoles, chaque espace est
réinventé, réadapté et repensé pour les
besoins de l'évènement et pour l'accueil le public. Pendant
plusieurs années, les groupes défilaient d'ailleurs sur le
châssis d'une semi-remorque faisant office de scène principale.
Les champs alentours changent de fonction et deviennent le parking, le camping
ou un espace de représentation à part entière, les outils,
les ballots de paille, les enrouleurs, les bobinoirs, les palettes ou encore
les engins eux-mêmes sont détournés de leur fonction
initiale pour devenir de véritables éléments du
décor, jouant volontairement avec l'esprit du lieu et l'imaginaire de la
campagne.
L'utilisation du chapiteau ou du tipi est récurrente,
notamment pour les Gâtifolies et le Au Bon Coin Festival. Il renvoie bien
évidemment au cirque et à un moment de festivité, et est
également un outil très apprécié par les
organisateurs qui peuvent concevoir leur évènement malgré
le manque de structure permettant le repli en cas d'intempéries. La
forme et l'esthétique originale du chapiteau en font un décor de
choix, ses configurations sont très appréciées pour
accueillir toutes formes de représentations et nécessite une
logistique généralement moins imposante qu'une scène
traditionnelle en pièces détachées.
Enfin, le choix d'un cadre atypique est également un
trait commun de la plupart des initiatives, notamment festivalières. On
notera que le Grand Parquet de Fontainebleau, un hippodrome implanté
à la lisière de la forêt, installé sur plusieurs
hectares, a accueilli pour la première fois un festival, le Rainforest.
Jouant pleinement de son environnement, le festival militait d'ailleurs pour la
préservation de la nature et les principes écologiques. Avec La
Douve Blanche d'Égreville, c'est plus de mille ans d'histoire qui sont
à l'honneur, le festival réinvestit les douves du domaine, et
s'amuse des décalages entre l'offre musicale et le cadre pittoresque. On
notera également l'installation du festival des Gâtifolies au sein
du Parc Naturel Régional du Gâtinais, au coeur d'une
clairière, le festival a pu profiter d'un terrain en jachère
qu'il a réinvestit en véritable site pluri-artistique. En tant
que site préservé, le festival a d'ailleurs dû respecter un
certains nombres de réglementations environnementales, en termes de
déchets (éco-tri, produits recyclables, toilettes sèches)
et d'acoustique (limitation des décibels, orientation acoustique
spécifique) afin de protéger l'habitat des espèces du
PNR.
Ainsi l'espace rural apparaît comme un terreau fertile
aux initiatives, investi par des individus qui s'inspirent largement de leur
environnement, il est apprivoisé et mis à l'honneur
87
dans chaque projet, comme en témoigne la communication
visuelle des manifestations qui joue largement sur les références
à l'agriculture (les tracteurs, les vaches, les champs, les silos). La
culture prend des formes particulières et tentent constamment de
s'adapter aux caractéristiques géographiques du territoire,
toujours dans le souci de pallier aux manques d'infrastructures
dédiées mais également à l'isolement. En
découle la mise en place de projets itinérants.
1.2. Maîtrise de l'environnement rural par
l'itinérance. L'exemple du Musibus.
La pratique ancienne de l'itinérance en milieu rural,
illustrée par les Bibliobus, les troupes théâtrales
itinérantes - l'art des tréteaux - et les circuits de
cinémas, est toujours vivace.
Elle traduit une prise en compte historique des besoins et
attentes des populations rurales en matière de culture, dans le souci de
combler les inégalités de service, la faiblesse des
équipements, les difficultés de mobilités, les contraintes
de l'éloignement et l'isolement de certaines populations.
L'itinérance favorise également une approche différente du
rapport entre l'individu et la culture, les acteurs culturels passeraient en
effet d'une démarche passive d'accueil dans les équipements
culturels dédiés, à une démarche active de
rencontre avec les habitants.
À l'initiative de l'association départementale
Act'Art, les Scènes Rurales parcourent depuis plus de vingt ans les
territoires ruraux de Seine-et-Marne. Elles portent chaque année une
programmation théâtrale, composée de spectacles de
compagnies professionnelles non issues du département, dans près
d'une cinquantaine de communes. Un projet d'envergure qui mobilise une
équipe permanente, et collabore avec une centaine d'acteurs sur le
territoire. Si cette pratique s'inscrit dans une volonté de
démocratisation culturelle - et de décentralisation - et vise
à favoriser l'expérience culturelle auprès des populations
rurales, l'exemple du Musibus s'attache, au contraire, à valoriser
l'expression des pratiques amateurs locales.
Créée en 2010 par Musiqafon, le Musibus est le
projet phare de l'association, il résulte de plus dix ans
d'expérience de terrain déjà motivées par une forte
volonté de proposer un projet itinérant. Cela se traduisait
à l'époque par l'organisation de concerts dans une dizaine de
communes toute l'année, celles-ci mettaient à disposition un
local ou une salle des fêtes pour l'association, qui se chargeait
généralement de l'équiper et de la sonoriser avec le
matériel nécessaire. En termes logistique, cela
représentait une charge particulièrement conséquente pour
l'association qui devait faire face au manque de matériels
adaptés pour la diffusion de concert. De plus, ne pouvant
répondre aux demandes croissantes des formations musicales,
88
l'association a choisi de concrétiser
matériellement son projet itinérant à travers la
création d'une scène mobile, le Musibus. Nous l'avons vu en
première partie de cette étude, il s'agit d'un van
entièrement sonorisé et équipé en matériels
professionnels, toujours encadrés par un technicien. Les avantages du
projet sont nombreux : il peut s'installer sur tous types de terrains,
être rapidement mis en place et désinstallé ; une fois sa
scène entièrement déployée, il peut recevoir
jusqu'à sept musiciens (avec batterie, amplificateurs et retours).
Depuis sa mise en circulation, le Musibus reçoit chaque année
plus d'une soixantaine de formations et s'est implanté dans une
cinquantaine de communes sud seine-et-marnaises. De plus en plus
sollicité par les communes, le Musibus se revendique être un
projet « clé en main » pour les collectivités, mais
également pour les structures de santé et les
établissements scolaires, s'implantant régulièrement dans
les écoles (et participe à la diffusion des spectacles des
élèves), les collèges et lycées, et donne la
possibilité aux élèves de se produire sur scène
avec leurs groupes, bien souvent pour la première fois.
Aussi, il constitue aujourd'hui un outil indispensable
à la diffusion musicale sur le Gâtinais, ouvert à tous les
niveaux de formations musicales. Bien qu'il réussisse à
dépasser les contraintes géographiques, il ne peut toutefois
répondre à un projet global de développement des musiques
actuelles. En effet, il propose essentiellement la diffusion d'artistes locaux,
et ponctuellement des répétitions encadrées, mais ne peut
prétendre à un projet complet, basé sur le triptyque
formation-création-diffusion. Pour Aurélien Boutet, le Musibus
est « une initiative nécessaire mais non suffisante au sens
où elle ne règle pas la question des pratiques amateurs par
exemple, et peut, si on n'y prend pas garde, renforcer une vision utilitariste
et occupationnelle des élus qui prendront le bus K clé en main
» quelques fois dans l'année pour montrer qu'ils font des choses
pour les jeunes mais sans s'attaquer aux problèmes de fond
»137.
Si le Musibus peut permettre de répondre partiellement
aux besoins des formations musicales, en s'axant sur leur diffusion, il reste
encore un déficit en matière d'accompagnement
(répétition, enregistrement, enseignement, info-ressource). De
plus, la question de son instrumentalisation politique n'est pas à
négliger. En effet, bien que pensé pour être directement
mobilisé par les collectivités, le risque est que le projet soit
assimilé à un simple outil d'animation municipale et que soient
éclipsées les problématiques et enjeux liées au
développement des pratiques amateurs sur le territoire. Toutefois, il
faut préciser que
137 Extrait du dossier du Transistor n°30, «
Musiques Actuelles et milieu rural, l'exemple du sud de la Seine-et-Marne
», de 2010.
89
l'association reste ambitieuse et désireuse de
répondre de manière cohérente à ces
problématiques, via notamment la création d'un nouveau projet
itinérant : l'Underground Café. Mis en circulation en 2016, il
s'agit également d'un bus (anglais), entièrement
réaménagé en tant que centre socioculturel
itinérant, l'association y a notamment installé une
vynilothèque, alimentée directement par les habitants, et pouvant
recevoir un groupe dans le cadre de répétitions ou
d'enregistrement de maquette. Un projet qui suit les traces du Musibus, et qui
ouvre encore le champ des possibles sur le territoire.
Ainsi, l'itinérance est une des réponses les
plus appropriées au territoire rural du Gâtinais et constitue une
des caractéristiques du développement des musiques actuelles sur
ce territoire. Il convient désormais d'entrevoir une autre
particularité de l'offre musicale en milieu rural : les festivals.
1.3. Le festival, une ressource nécessaire en
matière de diffusion musicale
L'engouement pour les festivals ne se limite pas à
quelques grandes agglomérations, il se diffuse jusque dans les petites
villes et villages, et pas seulement touristiques. Certes, les festivals sont
des activités ponctuelles, mais ils peuvent mobiliser des acteurs
pendant toute l'année. On peut d'ailleurs citer le célèbre
festival de Marciac, le festival les Vieilles Charrues à Carhaix, mais
aussi un grand nombre de festivals plus modestes, qui, pour certains, ont
vocation à faire connaître et diffuser les cultures du monde en
milieu rural. Ils sont de plus en plus perçus comme un véritable
levier au développement local, impactant économiquement,
socialement et culturellement certains territoires. L'exemple de Jazz in
Marciac est révélateur de cette dynamique : alors que le village
de Marciac était menacé de désertification, le festival
dont le maire en est aussi le directeur artistique, a notamment permis
d'accroître son nombre d'habitants, de procéder à des
travaux de réaménagement de la commune (financé par la
région), d'attirer certains promoteurs et entreprises (Pierre et
Vacances y a installé un de ses complexes), et de créer une salle
de concert proposant une programmation annuelle.
Bien qu'aucun festival ne prétende aujourd'hui
être de l'envergure de Jazz in Marciac, il n'en demeure pas moins qu'ils
représentent sur le Gâtinais une source essentielle en
matière d'offre musicale. Tous les festivals identifiés sont
issus d'une initiative individuelle et collective. Bien que la moyenne
d'âge de ces festivals se soit considérablement rajeunie au vu de
l'arrivée récente de certains d'entre eux et la disparition de
plus anciens (La Betterave Musclée par exemple, et ses 15
éditions), c'est justement cette dynamique de création qui nous
interpelle. Elle
90
est particulièrement révélatrice d'une
envie de plus en plus accrue de participer au développement d'une offre
sur le territoire. Aussi, l'on peut se demander si cette envie est
motivée par de vrais besoins, comme l'exposent certains organisateurs,
ou si c'est justement cette dynamique qui créée de nouveaux
besoins. En effet, il apparaît que pour au moins deux festivals (Au Bon
Coin festival et LaGrange festival), les organisateurs ont largement
fréquenté le festival Notown et se sont appuyés sur
l'association Musiqafon, en l'intégrant à leur projet. Que ce
soit parce qu'ils considéraient que le festival Notown s'essoufflait, ou
qu'au contraire celui-ci était un modèle à suivre,
l'influence d'un tel évènement est notable sur ces initiatives.
Il est alors possible d'identifier un cercle plus ou moins distinct
d'habitués à l'offre musicale locale, désireux de mettre
à profit cette expérience de spectateur, et bien souvent de
musiciens ayant déjà participé au Notown, au service de
leur propre projet. D'ailleurs, il n'est pas curieux de constater que les
artistes locaux programmés par Musiqafon, le sont aussi dans les
festivals Au Bon Coin et LaGrange, c'est le cas par exemple du collectif
Woulaï, spécialisé dans les sound-system (dubstep,
reggae/dub, musiques électroniques), que l'on retrouve
régulièrement à l'affiche de ses
évènements.
La saison des festivals dans le Gâtinais démarre
à partir de fin mai, pour se clôturer le premier week-end de
septembre. La majorité d'entre eux se concentre entre la fin du mois de
juin et le début du mois de juillet, ainsi que sur les deux
dernières semaines d'août. Excepté le Rainforest et la
Douve Blanche, particulièrement orientés vers un public jeune
(15-25 ans) et financièrement aisé (30€ l'entrée par
jour), l'ensemble des festivals est ouvert à tous les âges et tend
à être accessible au plus grand nombre à travers une
politique tarifaire adaptée (en moyenne 5€ l'entrée, maximum
de 12€). Le public accueilli est vraisemblablement local selon les
organisateurs et est constitué à la fois d'un public jeune et
d'un public familial. Difficile de connaître leur véritable profil
étant donné le manque de données quantitatives, toutefois
il est possible de dégager quelques traits et tendances. Hormis la
présence de quelques têtes d'affiche d'envergure nationale ou
internationale, qui motiveraient un public d'amateurs, le caractère
très local de la programmation nous suggère qu'il pourrait s'agir
à la fois : d'un public pour qui le festival représente une
animation locale, motivé par son caractère festif et une certaine
curiosité ; un public sensibilisé dont l'implantation d'un
festival leur fournit l'occasion d'un sortie culturelle et pour qui leurs
pratiques culturelles sont relativement développées ; un public
d'habitués qui se déplacent volontairement pour un festival
qu'ils ont déjà fréquenté, et dont ils souhaitent
rester fidèles ; un public de « fans » pour qui la
présence d'une ou plusieurs
91
formations locales qu'ils connaissent ou soutiennent, souvent
par le biais de leur entourage (famille, amis, proches), est une source de
motivation. La programmation est relativement homogène entre les
festivals, excepté pour le festival Django Reinhardt, où domine
l'esthétique jazz. Ainsi, le rock, le métal, la chanson
française, le reggae, le rap ou encore le hip-hop sont
représentés dans les mêmes proportions dans la
quasi-totalité des festivals.
A l'instar des projets itinérants,
l'éphémère ou la forme festivalière apparaît
comme une caractéristique prégnante en milieu rural, il s'agirait
même d'une nouvelle tendance au regard des quatre nouveaux festivals
créés depuis à peine deux ans sur le territoire. Si cette
évolution peut traduire l'émergence d'une nouvelle dynamique,
elle s'appuie à la fois sur un maillage local de plus en plus investi
par une nouvelle génération d'acteurs ayant suivi et
bénéficié des initiatives des plus anciens, et à la
fois sur une tendance que l'on qualifierait de « néo-rurale »,
chargée d'une vision plus « urbaine » de l'offre, davantage
inspirée des codes et des modèles plus « institutionnels
» notamment en matière de communication (support répondant
à une charte graphique professionnelle, développement d'un site
internet, forte déclinaison des supports, plan de communication),
d'équipements (scènes et matériels professionnels) et
d'organisation (sas de sécurité, carte de paiement
prépayée).
Il transparaît qu'à travers cette
diversité d'initiatives, individuelles et collectives, marquée
par l'itinérance et l'éphémère, qu'une multitude de
dynamiques locales se développe. Toutefois celle-ci tend à
être largement temporaire et à ne pas bénéficier
tout au long de l'année, ni à la population locale, ni aux
formations locales. Pourtant, ces initiatives participent non seulement
à l'animation du territoire, mais recèlent aussi un
véritable intérêt social et local.
92
II. L'utilité sociale et territoriale des projets
musiques
actuelles en milieu rural
2.1. L'interdisciplinarité comme
spécificité.
Nous avons établi que la plupart des projets musiques
actuelles en milieu rural sont nés d'une volonté de
répondre aux attentes des populations du territoire, ressenties ou
pressenties. Au fur à mesure de leur développement, le souci
d'être ancré sur son territoire et d'y amener une plus value en
direction des populations est une caractéristique forte des projets
musiques actuelles qui se développent ainsi pas à pas, en
interaction plus ou moins évidente avec leur environnement et avec les
agents présents. Il faut remarquer que pour ces acteurs, il n'y a pas de
référent reconnu sur un champ précis, mais une
diversité d'acteurs et d'interlocuteurs institutionnels
(collectivités, communautés de communes, parcs régionaux,
etc.), sans véritable chef de file. Petit à petit, via les
évolutions des équipes, l'ancrage du lieu, leur
professionnalisation, les projets se sont inscrits dans une autre dimension,
une responsabilité culturelle différente, qui a conduit
progressivement à sortir du champ strictement musical, en
répondant aux sollicitations de partenaires ou d'acteurs de
différents secteurs sur le même territoire.
Un constat partagé par Véra Bezsonoff : «
Une spécificité que je vois en milieu rural, c'est
l'interdisciplinarité. Le fait de dépasser ton cadre sectoriel
pour faire d'autres formes artistiques ou en tout cas travailler avec d'autres
assos, qui ont d'autres formes artistiques qu'eux. Tu te retrouves souvent le
seul acteur du secteur musiques actuelles, du coup quand tu veux faire du
partenariat, tu vas développer des partenariats avec d'autres acteurs
culturels, d'autres structures culturelles, qui seront justement dans le
théâtre de rue, dans le cirque, etc., des formes hybrides. ».
Si pour les MJC, l'interdisciplinarité est bien souvent l'essence
même du projet, les autres acteurs n'ont pas initialement investi
d'autres domaines culturels. C'est progressivement que se sont pensés
des projets qui ne répondraient pas seulement aux attentes des amateurs
de musique et des formations musicales. Dès lors qu'une structure
s'investie dans le développement culturel de son territoire, qu'elle
devient un espace de ressources en tant que seul acteur culturel, ses fonctions
s'étendent à mesure que son implication croît. Le projet
musiques actuelles restant sa première entrée, en revanche la
nécessité d'élargir ses activités au-delà de
la diffusion musicale s'impose.
93
D'une part, La Tête des Trains a progressivement investi
d'autres champs culturels, consciente de la nécessité de s'ouvrir
à d'autres besoins devant la pauvreté des propositions
culturelles sur le territoire. Son directeur conçoit d'ailleurs qu'il
tend, à travers sa programmation, à être un « mini
centre culturel ». L'entrée de la Tête des Trains à la
fédération des foyers ruraux résulte de l'implication du
lieu dans une diversité d'initiatives : « Les concerts
c'était moteur, c'est ce qui fait venir les gens, mais â
côté de ça on a des cours de gym, un ciné-club,
pleins d'activités pour les enfants (...) donc il est évident
qu'on adhère â la fédération d'éducation
populaire ». L'engagement du directeur dans le mouvement
d'éducation populaire est aussi révélateur d'une
conception élargie de la culture et du rôle à jouer en tant
que lieu culturel de proximité. Celui-ci défend
l'intérêt éthique et social de la culture, entrevue comme
un outil d'émancipation et d'ouverture, auprès notamment des
jeunes : « La grande discussion c'est « les jeunes y choisissent,
faut les laisser faire » et moi je dis non on est lâ pour leur
ouvrir l'esprit, aussi bien pour la musique que pour les films, leurs montrer
des choses qu'ils n'iront pas voir d'eux-mêmes et c'est vrai dans la
mesure où dans les conditionnements familiaux et les conditionnements de
la télé ils n'iront voir que certains trucs, et ils n'auront
aucune envie de reproduire ce qu'ils ont vu lâ quoi. On a un boulot de
fond â faire quoi. » Aussi, plus qu'un café-musiques ou
d'un lieu de diffusion, la structure s'est peu à peu transformée
en multiservice culturel rural. La polyvalence devenant une
nécessité, le projet de l'association s'est naturellement ouvert
à une dimension plus sociale, répondant désormais à
être un Espace de Vie Sociale, soutenu par la Caisse d'Allocation
Familiale de Seine-et-Marne. Le projet, intitulé « La Marmite des
Rencontres », a pour objectif de concourir à l'animation de la vie
sociale locale, conçu comme un support aux habitants, un outil de
socialisation et de développement de la citoyenneté, favorisant
les échanges, les temps de rencontres et d'implication des
populations.
D'autre part, l'association Musiqafon répond
également à cet élargissement au-delà de la
dimension purement artistique. La portée éducative des projets de
l'association est clairement revendiquée. Son déploiement au sein
des établissements spécialisés et scolaires du territoire
vise non seulement à favoriser l'expression des pratiques amateurs des
jeunes, qu'elles soient musicales mais également plastiques,
photographiques ou encore cinématographiques. Les élèves
sont invités à participer à des ateliers, à
créer leur propre exposition, à s'impliquer dans le montage
collectif d'un projet, à travailler, sur la durée, autour d'un
thème qui associe le travail d'un professeur. L'association
développe ainsi des actions que l'on caractériserait de
culturelles, au sens d'un processus de médiation et de transmission de
certaines dispositions culturelles, qui
94
respectent une série d'objectifs partagés entre
l'association et l'établissement. S'il s'agit de développer d'une
certaine manière le sens critique et l'expérimentation artistique
des élèves, l'association tend également à diriger
ses actions en matière de sensibilisation à la santé. Elle
développe depuis plusieurs années des actions en partenariat avec
des structures impliquées dans la prévention des risques et
conduites addictives, notamment en milieu festif (Réseau Ville
Hôpital Sud 77, Centre d'Accompagnement des Risques liés à
l'Usage de Drogue, etc.).
En matière d'offres, il s'agit également pour la
plupart des festivals, d'élargir leurs propositions artistiques à
d'autres domaines, ce qui induit l'implication de partenaires issus de champs
disciplinaires multiples. C'est le cas notamment du Au Bon Coin festival, dont
la vocation ne s'arrête pas qu'à la diffusion musicale.
L'intervention de plusieurs compagnies théâtrales, d'une troupe de
cirque, de plasticiens ou encore de compagnie de danse caractérisent
manifestement la volonté de proposer d'autres expériences
culturelles. Le festival s'élargit à d'autres associations
engagées, notamment dans le développement durable, en proposant
des ateliers de pratique ou de découverte (initiation à
l'hydroponie, compréhension de la chaîne de recyclage, etc.). Le
festival est alors entrevu comme un temps privilégié, l'occasion
de donner la possibilité aux participants d'expérimenter et de
découvrir d'autres pratiques dans le souci d'élargir la simple
perspective de consommation culturelle. Plus qu'une volonté de s'ouvrir
à d'autres acteurs associatifs et culturels, il s'agit à la fois
de valoriser une diversité d'actions locales en la centralisant sur un
lieu, sur un temps et de multiplier les possibilités de rencontres entre
les festivaliers et d'autres domaines. L'exemple des Gâtifolies insiste
davantage sur la possibilité des populations à créer leur
propre parcours artistique à travers une diversité de
propositions. Un projet qui s'inscrit davantage dans une démarche de
démocratisation culturelle, en suscitant l'appropriation de plusieurs
formes artistiques, peut-être peu ou mal connues, via l'expérience
sensible. L'apport de la culture est d'ailleurs vue par Christine Amara,
l'organisatrice du festival, comme un vecteur d'enrichissement personnel et de
conscientisation, comme un obstacle au repli individuel et à
l'ignorance: « Dans tout être humain moi je crois enfin y'a
ça, y'a ce regard de gosse, y'a cette possibilité d'être
ému, d'être touché par quelque chose et c'est ça
qu'il faut apporter quoi, et â l'heure actuelle c'est plus
qu'indispensable, moi j'ai beaucoup insisté sur ça auprès
des politiques, alors c'est pas que les attentats c'est pas ça, c'est
surtout la montée du Front National, de l'obscurantisme, de la peur du
voisin, de la porte fermée... »
Ainsi, cette démarche d'élargissement des
activités au-delà de la diffusion, qui n'est le plus souvent pas
présupposée par les structures, a permis de faire ressortir les
besoins et envies
95
d'acteurs locaux et de développer des projets en
partenariat, et dans la co-construction. Et par effet induit, cela a permis
d'impliquer d'autres personnes (enfants, publics spécifiques etc.) et de
mettre en oeuvres d'autres type de projets (action culturelle, sensibilisation,
jeune public, hors les murs, etc.). Les structures remplissent plusieurs
rôles : pallier le manque d'équipement, permettre le
développement des pratiques amateurs, contribuer à la diffusion,
mais également être un vecteur de lien social et
d'émancipation des individus.
2.2. Les notions de convivialité et de
fête.
Si l'interdisciplinarité peut représenter une
spécificité des projets en milieu rural, il apparaît que
les notions de convivialité, de fête, de liens et de rencontres
facilitées entre les personnes soient aussi clairement
revendiquées. Souvent à l'origine d'une bande d'amis
désireux de proposer une animation musicale près de chez eux, la
création d'un projet musiques actuelles est souvent motivée par
le désir de proposer un temps de rencontre et de partage dans une
ambiance festive. Organiser un concert ne constitue pas seulement une offre de
diffusion artistique, elle est bien souvent associée à la
dimension de convivialité, de plaisir et de divertissement. C'est
l'occasion de se retrouver dans un contexte qui échappe au cadre
quotidien et à la vie ordinaire, souvent monotone. La fête se
distingue de cette monotonie et suggère un temps à part,
précieux, détaché des contraintes habituelles. La nature
libératrice de la fête s'exprime bien souvent sous la forme d'un
défoulement à la fois physique et morale, permettant de
décharger l'accumulation des tensions et des difficultés
quotidiennes. La fête s'inscrit dans un temps et un espace qui lui est
propre.
Il s'agit également de rompre l'isolement, de se
retrouver entre pairs pour partager une expérience commune dans un cadre
consacré. Les notions de fête et de convivialité peuvent
apparaître comme des éléments fédérateurs
notamment pour les personnes impliquées dans les structures musiques
actuelles. L'équipe, les bénévoles, les artistes sont
particulièrement animés par ce temps festif qu'ils peuvent aussi
considérer comme une satisfaction, comme la résultante d'un
travail bien accompli. Si les gens s'amusent, c'est que le pari est
gagné. Un regard partagé par Pierre Beltante pour qui les
concerts sont aussi des temps de rassemblement, de partage entre tous les
âges : « Les musiciens sont contents quoi. Donc ça
apporte une satisfaction. Bon en plus, c'est quand même un public
intergénérationnel, dans ce public. Ils viennent des fois en
famille. Alors l'exemple type, c'est quand tu fais un truc du genre
soirée Beatles ou soirée Shadows, là t'as des
grand-pères, leurs fils et petit-fils. Là c'est une sortie, ils y
vont en famille ».
96
À l'image des fêtes de village, les concerts sont
aussi l'occasion de se réunir, en famille ou entre amis, de partager et
de vivre ensemble une même pratique, sans considération
d'âge.
Si les objectifs du projet artistique initial sont
respectés, la réussite d'un évènement offre un
contentement personnel et collectif particulièrement fort. Devant la
satisfaction visible des participants et la manière dont ceux-ci
s'emparent de l'espace, Christine Amara témoigne de son
étonnement : « Moi je dirai pas : tiens on va â
l'opéra, prends ton ballon de foot...Là on n'était pas
â l'opéra mais les gens pour eux le festival reste peut-être
pas mal... c'était la fête (...) euh moi j'aurais
préféré qu'ils viennent avec les parents, avec les
paniers, les pique-niques et tout ça, ça me dérangeait pas
du tout, tu vois dans l'état d'esprit, j'ai été surprise
surtout voilâ... ». Il est intéressant de constater que
Christine Amara récuse, d'une certaine manière, le comportement
de ces festivaliers, peu respectueux des codes de conduite qu'elle
considère, de par ses propres dispositions culturelles, plus
adaptés. Les festivaliers investissent le site comme un espace de
liberté, comme un espace de divertissement. Un comportement qui aurait
probablement été tout autre au sein d'une scène nationale.
Mais ici, il n'y pas de barrière, pas d'association à l'image
institutionnelle et classique de la culture, pas de hiérarchie, ni de
formatage des comportements au sein d'un festival pourtant porteur d'une offre
culturelle revendiquée « de qualité ».
Au-delà du caractère festif, et de son
émanation chez les festivaliers, l'organisatrice des Gâtifolies
souligne également avec satisfaction l'expérience inédite
d'un habitant peu familier d'un tel évènement : « Je
crois que nous on a gagné parce que, parce que Germain par exemple
l'ouvrier agricole qui a 74 ans qui est jamais sorti de son village est venu
avec sa femme, sur un spectacle il est partit trop tôt parce qu'il
s'embêtait, il comprenait pas et puis après ça explosait,
c'était génial et le lendemain tous ses copains voilâ lui
ont dit « mais pourquoi t'es parti, mais t'es con » et tout donc en
fait, le lendemain, le surlendemain, il est resté tout le temps et je
l'ai vu rire. ». D'un côté, il apparaît que
l'organisatrice est pleinement satisfaite d'avoir permis une rencontre entre
une proposition culturelle et cet homme qui semblait initialement peu
habitué à cette offre, et de l'autre, on ressent l'influence des
pairs sur le comportement de cet homme, alors plus réceptif et plus
proche de l'offre. La proximité de l'évènement et son
appropriation par une certaine catégorie de public, peu ou prou
coutumier à ce type de manifestation culturelle participe, d'une
certaine manière, à rompre l'isolement de certains individus,
à permettre une expérience nouvelle, vécue intimement et
collectivement.
Dès lors, la culture apparaît comme un vecteur de
lien social et d'enrichissement personnel fort, impactant directement sur le
comportement des individus. La notion de fête influe sur la
97
façon de construire les propositions artistiques faites
à la population, afin qu'elle puisse partager un moment festif global,
qui inclue le concert, mais où elle se retrouve également
associée à une ambiance conviviale et collective, au-delà
du moment de diffusion, favorisant ainsi la création d'un vécu et
d'une identité commune, facteurs de développement des liens
sociaux. On peut ainsi parler d'un véritable espace et d'un moment de
socialisation important. L'ambiance conviviale et festive participe
également à une appréhension plus évidente des
propositions culturelles, l'environnement social et surtout amical favorisant
une approche plus décomplexée de l'offre culturelle.
2.3. Bénévolat et implication des populations
locales
Un autre aspect partagé par les projets musiques
actuelles sur le territoire est le développement associatif vécu
comme mode d'implication de la population. En effet, ces projets, de par leur
dimension associative, permettent également à la population
locale de s'impliquer dans une dynamique et un processus collectif. De fait, il
participe à dépasser le comportement de consommateur culturel.
Dès lors, les projets revêtent la fonction d'espaces d'implication
ouverts et permettent aux personnes de s'investir, de s'intégrer sur un
territoire, de proposer, de partager, voire même de se réaliser
notamment par une implication bénévole au sein des projets.
Expérience gratifiante et citoyenne, le bénévolat est
aussi indispensable aux structures, il est partie prenante de leur projet, et
notamment en milieu rural. Si les compétences des
bénévoles ne sont pas spécifiques au domaine culturel et
musical, c'est aussi ce qui en fait leur force, n'étant pas en prise
à des conceptions formalisées d'une certaine manière de
faire et d'agir. Aurélien Boutet entrevoit d'ailleurs cette
liberté d'agir comme essentielle au projet : « c'est des
bénévoles qui interviennent, donc ça pour moi c'est la
force du milieu rural et c'est aussi une force de pas être
professionnalisé c'est-à- dire que les bénévoles
gardent la main sur le projet associatif et ça pour moi c'est
fondamental. » La capacité d'un projet à inclure des
populations investies est aussi une façon d'ancrer localement un projet,
qui ne se revendique plus comme la création d'une poignée
d'initiateurs, mais comme un projet fédérateur, appartenant
à tous. Dans la plupart des discours des acteurs de projets, le nombre
de bénévoles impliqués est d'ailleurs largement
souligné et justifie pour eux l'intérêt de leurs
initiatives. Les projets représentent des espaces d'investissement et de
construction personnelle qui dépassent alors la simple dimension
affinitaire, en s'ouvrant à des milieux et des personnes qui ne se
seraient pas rencontrés autrement et qui n'y seraient pas
obligatoirement venues parce qu'elles y connaissent un pair. Néanmoins,
cette donnée repose sur la capacité des structures à
assurer
98
une vie démocratique renouvelée afin de
s'assurer d'une certaine diversité et éviter ni rejet, ni
exclusion. C'est par conséquent une donne qui influe directement sur le
portage et la transmission des projets associatifs et l'envie, de certains
individus, de poursuivre voir de créer eux-mêmes leur propre
projet.
L'implication même d'organisateurs nouvellement
installés sur le territoire, peut favoriser une modification des points
de vue et d'appréciation de leur propre statut de «
néo-ruraux ». L'exemple des Gâtifolies, illustre bien cette
évolution des représentations, souvent peu gratifiantes à
l'égard des « guignols » parisiens, qui ont cependant
réussi à « prouver » qu'ils avaient leur place :
« la difficulté aussi c'était les portes fermées,
voilâ on arrive et on est les parisiens, alors qu'on vient vivre ici, on
vient s'intégrer dans le tissu social, des vrais néo-ruraux et
non intégrés. (...) Il faut une dizaine d'années
normalement, sauf que le festival en un an nous a permis de gagner cinq ans,
c'est-à-dire que lâ tout c'est ouvert voilâ, une implication
et puis genre ouais ils sont sérieux ceux-lâ, c'est on te juge,
t'arrives t'es un guignol et puis ben tu fais beaucoup, enfin d'un certaine
manière pour la commune et puis lâ t'es plus un guignol,
voilâ les paysans nous l'on dit, ils nous ont vu bosser lâ pendant
un an ; tout ça pour deux jours genre ah oui y'a aussi des
métiers où on fait pas semblant, c'est pas rapport â
l'argent et tout, c'était par rapport au travail â cette valeur du
travail, ah ouais c'est des bosseurs c'est pas que des saltimbanques...
lâ on a fait monter le baromètre très haut sur l'estime du
monde artistique, des artistes. » Si la nature et
l'intérêt des activités ne sont pas toujours compris par
les habitants locaux, c'est en générant la rencontre et le
dialogue ainsi qu'en rendant tangibles leurs efforts pour monter un projet que
progressivement les mentalités ont évolué. La
problématique de lisibilité et d'appréciation du processus
d'évolution ne se pose pas dans les mêmes termes que l'on soit
face à des habitants ou face à des élus locaux. Notons que
l'association Champ Libre a également beaucoup insisté sur
l'implication locale, en organisant en amont du festival plusieurs temps de
rencontre et de présentation du projet aux habitants. Ainsi, la force de
l'assise populaire, de la légitimation des projets par le regard et
l'acceptation des populations elles-mêmes est une donnée
essentielle pourtant rarement prise en compte par les pouvoirs publics.
De plus, les projets sont parfois amenés à
remplir la fonction d'insertion professionnelle et sociale en accueillant des
personnes en formation, en découverte d'activité professionnelle,
voir en réinsertion. Pour l'association Musiqafon, l'essentiel des
jeunes pris en formation technique ou administratif, plus globalement en
formation aux métiers du spectacle, a participé en tant que
spectateurs ou praticiens amateurs aux évènements
organisés. La proximité effective du
99
Musibus à leur lieu de vie ou parfois d'étude, a
certainement stimulé des choix d'orientation qui n'auraient probablement
pas existés sans ce type d'initiatives, tout comme l'envie de
s'impliquer dans la vie culturelle de leur territoire138. Ils
permettent également à d'autres jeunes de trouver un emploi dans
le secteur de l'animation ou du spectacle en étant les seuls structures
dédiées à pouvoir les accueillir sur leur territoire.
C'est le cas par exemple de la Tête des Trains, qui emploi et accompagne
depuis 2014 un jeune aux multiples fonctions dans le structure, devenu
indispensable à la gestion quotidienne du lieu. Il s'agit
également de lui donner les conditions de sa pleine réalisation
professionnelle, en lui permettant de continuer en parallèle ses
études en management des associations, et en lui donnant les
possibilités d'être force de propositions et
d'expérimentations (il est d'ailleurs à l'initiative de la
Marmite des Rencontres) et d'être au coeur des problématiques du
secteur (en étant un porte parole et un acteur à part
entière au sein du réseau Pince Oreilles). Bien qu'il ne s'agisse
que d'une poignée de jeunes accompagnés sur le territoire, il
n`en demeure pas moins que les structures représentent des supports
essentiels pour les accompagner dans leur avenir professionnel.
La revendication de l'utilité sociale des lieux et
structures de musiques actuelles en milieu rural résulte de la fonction
de palliatif au service public, les acteurs culturels développant des
réponses que l'école par exemple, ou la collectivité ne
proposent plus. La transmission, la découverte, le partage et la
rencontre sont autant d'éléments essentiels pour l'investissement
des populations, jeunes et moins jeunes, dans un projet dont ils peuvent
pleinement se saisir. L'accompagnement des bénévoles ont
indéniablement fait évoluer les projets vers d'autres publics et
ouvert des perspectives personnelles et professionnelles pour une partie
d'entre eux. Notons que l'apport en réciprocité qu'est le
bénévolat n'est encore que très rarement
évalué et valorisé dans l'économie des projets,
alors qu'il représente un appui majeur au bon fonctionnement des
structures. Ces constats constituent un enjeu capital dans la transmission et
l'inscription des projets dans leur environnement, en touchant directement le
vécu des personnes et des collectifs, et nécessitent, de fait, un
partage de ces enjeux d'évolution et de construction. Les structures
sont ainsi confrontées à un stade de développement
où leur positionnement peut s'axer davantage sur une implication en tant
qu'acteur de développement du territoire en partenariat avec les autres
composantes déjà en place. Dès lors, il convient, à
la
138 Dans son projet territorial de 2009, l'association
constatait d'ailleurs l'attrait pour la jeunesse locale en terme
d'investissement aux projets indiquant une évolution palpable : «
Si l'on a souvent pu entendre souligner le manque d'investissement des
jeunes il y a quelques années, il n'en est plus rien aujourd'hui. Les
jeunes de l'arrondissement de Fontainebleau sont très nombreux à
souhaiter s'impliquer dans l'organisation d'événements
artistiques et l'on se doit de les accompagner. »
100
vue des caractéristiques de ses projets musiques
actuelles en milieu rural, de déterminer les principaux enjeux qui en
découlent.
III. Enjeux et perspectives pour le développement
des musiques actuelles en milieu rural
3.1. Pour le développement artistique et
économique des projets.
Il nous paraît indéniable d'associer le
rôle des acteurs musiques actuelles présents sur le territoire
à celui de véritables agents de développement culturel
local, et donc d'insister sur l'importance d'une prise en compte publique de
ces initiatives, notamment en terme de développement artistique.
Même si l'on peut constater de façon globale sur
les projets musiques actuelles en milieu rural, la contrainte des volumes
budgétaires dédiés entièrement ou en partie, qui
sont souvent peu élevés, il apparaît néanmoins que
ces structures jouent un rôle effectif dans le soutien aux artistes et
aux formations musicales en développement, en leur permettant notamment
d'accéder à leurs premières expériences
scéniques. Le sentiment d'avoir sa place, d'être soutenu et
reconnu par un acteur « légitime » du secteur des musiques
actuelles, apparaît comme un élément structurant pour les
groupes locaux, en mal de véritable interlocuteur sur leur
territoire.
De plus, s'instaurent également avec les musiciens et
les groupes locaux d'autres rapports que ceux tissés au sein des «
circuits habituels de diffusion », que l'on retrouverait
davantage en milieu urbain. L'itinérance et la proximité de
certains projets ont permis de générer une vie musicale locale,
un circuit de diffusion plus alternatif, plus modeste, mais tout aussi
dynamique en termes de circulation et de brassage d'une centaine de musiciens.
L'accueil, la convivialité, l'implication parfois personnelle des
musiciens dans les projets musiques actuelles montrent un certain attachement
à ce rapport davantage qualitatif avec les structures, rapport
peut-être encore trop peu pris en compte par l'environnement
professionnel (producteurs, tourneurs, manageurs, etc.) qui semblent être
les grands absents du développement des groupes en milieu rural.
Pourtant, ces structures peuvent représenter un intérêt
géographique dans la construction des tournées, en permettant une
halte entre deux
101
métropoles. Un constat que Philippe Berthelot au cours
d'un entretien a clairement exposé : si les artistes d'une certaine
renommée viennent bien moins en milieu rural étant donné
le faible apport en matière de communication, d'autres, plus «
volontaires », continuent de venir investir les équipements et
projets, sous la forme de résidence ou d'installation
régulière. Ils y trouvent de nouveaux types d'échanges
avec le public, des contacts humains facilités et une source
d'inspiration dans un cadre dépaysant. Toutefois, malgré ces
rares « volontaires » qui souhaitent toujours venir dans les
structures musiques actuelles en milieu rural, le fait est que celui-ci ne
réussit pas à véritablement capter des artistes de renom,
ni sembler particulièrement attirant, pour peu qu'on en ait
connaissance.
Un désinvestissement qui peut encore s'expliquer par le
manque de visibilité des structures, difficilement combler par un appui
public, peu sensibilisé à ce type de considérations.
Pourtant, il ne faut pas négliger l'économie globale que
représenterait l'articulation de tournées d'artistes en milieu
rural, au niveau national et plus local, via notamment la fonction de
développement artistique des lieux.
Bien que cette « plus-value » en termes de
développement artistique ne soit pas encore forcément mise en
avant dans les projets des structures, elle pose toutefois la question de la
rémunération artistique et du soutien public. Ce sujet doit
revêtir une prise en compte collective, avec l'ensemble des acteurs, afin
de concourir conjointement à un équilibrage territorial,
économique et artistique. Le besoin de solidarité, bien que
fortement partagé entre les acteurs, doit également s'appliquer
à l'échelle des autorités publiques. Il s'agit de donner
les moyens aux structures de s'impliquer véritablement dans
l'accompagnement des groupes en développement et le soutien à
l'émergence. La possibilité de rémunérer une
tête d'affiche par exemple, peut permettre à la fois de
diversifier et d'élargir les publics, d'assurer une meilleure
visibilité du projet, et de générer, de fait, une
économie qui peut impacter au-delà de la sphère de la
structure (restauration, hébergement, etc.). Ce type de dynamique peut
en effet donner lieu à un développement direct ou indirect de
projets extérieurs (le remplissage d'un camping avoisinant par exemple),
selon les besoins liés à l'activité d'une structure
musiques actuelles en milieu rural. Aussi, on peut envisager la conception d'un
schéma de développement qui pourrait concourir à la
création d'une dynamique territoriale en dehors du tourisme estival,
à l'image du festival les Vieilles Charrues. Afin de répondre
à un juste financement des projets culturels et artistiques, ceux-ci ont
nécessairement besoin de l'implication des élus dans la mise en
oeuvre globale de ce type de schéma, ils peuvent en effet être un
relais majeur dans la recherche d'autres sources de financements, dans
l'incitation au partenariat d'autres acteurs
102
issus du secteur commercial. En effet, ce qui se joue en
parallèle des projets culturels, relève du développement
économique global, et de l'apport de services sur le territoire.
Les enjeux de développement économique des
projets musiques actuelles sur le territoire rural du Gâtinais restent
encore à développer. Il s'agit d'affirmer la
nécessité de développer le modèle économique
des lieux en prenant en compte l'ensemble des mécanismes de
fonctionnement du secteur musical. La précarité croissante du
salariat associatif nécessite également de trouver des solutions
durables à travers une meilleure appréhension publique des
mécanismes de structuration. Si les retombées économiques
sur la vie locale sont toujours difficiles à évaluer, il ne faut
pas sous-estimer l'attractivité que peut générer un projet
culturel sur le territoire. Nombreux sont les exemples qui aujourd'hui
permettent d'envisager la culture comme vecteur de développement
territorial et économique. Il en va de l'attrait que peut
représenter un projet culturel territorialement ancré. Et c'est
ce à quoi nous souhaitons prolonger nos prochaines réflexions.
2.2. Maintien d'une dynamique vitale â travers les
musiques actuelles
D'autres éléments peuvent être
valorisés dans le rapport économique des structures musiques
actuelles à leur territoire rural. C'est ce que nous avons
abordés en filigrane dans la partie précédente,
c'est-à-dire la capacité des structures et de leurs projets
à développer de l'attractivité sur leur territoire et de
générer de manière plus ou moins directe, des
retombées économiques. La mobilité accrue des individus,
qui sont aussi plus enclins à se déplacer par attrait, pour une
proposition artistique spécifique, peut induire une découverte du
territoire, et participer à sa vie économique. De même,
l'implication des producteurs locaux et des artisans non issus de la
filière musicale dans certains projets, génère à la
fois des retombées économiques à l'échelle locale,
une valeur ajoutée au projet culturel et une inscription plus forte au
sein du territoire. Sans réduire l'intérêt du projet
à sa capacité de générer une économie locale
mesurable, une piste intéressante serait de s'interroger sur la
manière dont l'investissement publique peut se traduire en termes de
retombées sous formes de dépenses locales (pour un euro investi
par les politiques publiques, combien d'euros sont générés
localement).
La présence d'une offre musicale diversifiée,
dans un cadre atypique, qui jouerait justement sur son caractère «
marginal » et décalé, peut participer à la
définition d'une identité culturelle locale singulière et
attractive. Aussi, à l'heure de « l'hypermobilité » et
de la « multi-appartenance territoriale », l'enjeu s'il est d'abord
économique, est aussi sociale et
103
démographique. Si pour certains l'arrivée
à la campagne n'est pas synonyme de choix, d'autres l'on investit pour y
concilier harmonieusement vie professionnelle et vie personnelle. L'implication
de certains « néo-ruraux » en matière de projet et de
développement d'une offre culturelle témoigne d'un enthousiasme
certain pour investir leur territoire, et de répondre, in situ, à
leur envies et besoins. Le complexe du territoire dénué de toute
attractivité, peut se renverser au profit de propositions qui placent
les populations dans un comportement d'acteurs plus que de consommateurs. Et
même si chaque territoire rural revêt de caractéristiques
propres en termes de flux migratoires, d'appréhension de ces
évolutions, de dynamismes de développement et d'ouverture aux
nouveaux arrivants, l'enjeu actuel du monde rural est le maintien, voir le
développement, des services répondant aux besoins des populations
déjà installées ou arrivantes. Comme en témoigne
Philippe Berthelot, la présence d'un équipement ou d'une
structure dédiée aux pratiques, à la diffusion ou à
la répétition peut être déterminante dans
l'installation de néo-ruraux et leur désir d'y rester. Ceci
constitue donc un véritable enjeu de développement des
territoires ruraux pour permettre le maintien du peuplement du territoire, dans
le souci de préserver une dynamique vitale.
Si on peut parler d'attentes affirmées en termes de
propositions et de pratiques culturelles de la part des urbains nouvellement
installés, il ne faut pas occulter celles des populations
déjà résidentes, et l'intérêt du
développement culturel dans les espaces en déficit
d'équipements et de services dédiées à la culture.
L'enjeu pour la collectivité n'est pas seulement d'être
attractive, en proposant une programmation culturelle et musicale
alléchante, mais il s'agit également de tisser et solidifier les
liens entre la population et leur territoire. Un enjeu d'autant plus important
en milieu rural que celui-ci doit s'adapter à une métropolisation
progressive et des territoires aux densités morcelées, ainsi
qu'à une tendance à l'entre-soi et à un repli sur l'espace
domestique139. Aussi, il ne s'agit pas pour les politiques publiques
de réduire le besoin des populations à une demande de
consommation culturelle, mais de considérer son intervention dans le
respect de leurs droits culturels, en s'attachant concrètement aux
préoccupations culturelles des populations. En effet, le droit de
participer à la vie culturelle, ne peut exclure ni faire de distinction
entre groupe, il s'agit de reconnaître la liberté et la
dignité des cultures de chacun, en s'attachant au développement
humain.
139 Sibertin-Blanc Mariette, « La culture dans l'action
publique des petites villes. Un révélateur des politiques
urbaines et recompositions territoriales », Géocarrefour,
n°83, 2008
104
De fait, il s'agit de réussir à s'inscrire dans
une problématique plus large que celle des musiques actuelles, celle du
politique au sens large, celle du vivre ensemble, de l'intérêt
général.
3.2. La co-construction, une solution d'avenir ?
Les mutations administratives du territoire actuellement en
cours, risquent d'accentuer la fragilité des structures
implantées sur le Gâtinais, un territoire relativement attractif.
Il devient indispensable de garantir une politique d'ensemble cohérente
et généralisée. Il s'agirait s'instaurer une vraie
volonté de co-construire, d'impliquer et de sensibiliser chaque
partenaire institutionnel et les collectivités territoriales, les
acteurs culturels, éducatifs et sociaux du territoire, ainsi que chaque
partenaires relevant des acteurs et organisations professionnelles du secteur,
dans le souci d'instaurer de véritables politiques partenariales et de
donner les moyens de garantir l'équité territoriale.
L'élaboration de conventions d'objectifs et de moyens,
pluripartites et pluriannuelles constituerait un acte fort de participation et
d'engagement collectif, tout en reconnaissant les missions des acteurs
culturels. Proche d'un pacte de confiance, cet outil ne devrait cependant pas
se limiter à un instrument uniquement technique qui administrerait les
relations entre les acteurs culturels et leurs partenaires. Il ne s'agit pas
simplement de valider un projet associatif qui croiserait les politiques
publiques en place, mais d'une implication réelle et partagée
dans les enjeux culturels qui viendraient nourrir des intentions politiques. La
posture de validation à posteriori des collectivités doit ainsi
être renversée pour donner lieu à une réelle
démarche de co-construction. Cela suppose également la
définition d'un partenaire représentatif sur le territoire, un
« chef de file » en milieu rural qui donnerait l'impulsion à
ce type de démarche, ce qui dans le contexte du Gâtinais peut
représenter un frein. En effet, notre analyse a permis notamment
d'établir que malgré les liens générés entre
structures, les dynamiques créées ou renforcées, il
n'existe pas de véritable mouvement fédérateur.
Au niveau des collectivités, l'échelon le plus
proche de notre territoire serait l'intercommunalité, qui
représente un enjeu d'avenir dans la définition de projets
co-construits, seulement la redéfinition en cours de leurs limites et de
leurs politiques sur le Gâtinais représente davantage une
faiblesse pour mener à bien ce type de démarche. Outre le fait
que les compétences culturelles ne font pas partie de leurs
compétences obligatoires, mais relève d'une responsabilité
encore mal définie, la maturité politique d'un
développement culturel territorial à l'échelle de
l'intercommunalité ne semble pas atteinte. Les élus sont
également en proie à des
105
stratégies individuelles, plus enclins à
défendre leurs réseaux et leur territoire individuel,
l'identité et la proximité singulière de l'élu
étant moins valorisées en termes de retour d'image à
travers l'intercommunalité.
Dans ce contexte d'incertitudes, il apparaît que le
département serait certainement en mesure d'être un interlocuteur
privilégié des territoires ruraux. À l'instar des
Scènes Rurales dont il est l'initiateur, il serait possible d'envisager
un tel dispositif de coopération entre les projets musiques actuelles,
les communes et les lieux en place, dans une dynamique permanente et soutenue.
On peut toutefois déplorer le manque de politiques culturelles
clairement établies par cette collectivité qui semble avoir des
difficultés à véritablement incarner une identité
singulière.
En somme, il s'agit de mettre en place une véritable
démocratie participative. La définition des politiques
culturelles ne revenant plus seulement aux mains des élus et conseillers
municipaux, mais à toutes les parties impliquées, en milieu
rural, plus qu'ailleurs. Il en va selon Philippe Berthelot d'une «
éthique démocratique plus participative » sous l'angle de
l'intérêt général, de la cohésion sociale et
du vivre-ensemble.
Les Concertations Territoriales pour le développement
des musiques actuelles initiées dès 2004 par la constitution du
Conseil National des Musiques Actuelles donnant lieu à un
texte140 en 2006 cosigné par les participants (État,
collectivités territoriales et professionnels) a pour objectif « de
définir les cadres des politiques territoriales, de façon
concertée » entre l'État, les collectivités
territoriales et les acteurs professionnelles (de terrain), à l'aide
notamment des SOLIMA, les Schémas d'Orientation pour les Lieux de
Musiques Actuelles. Une trentaine d'initiatives de ce type ont
été lancées au niveau national. Bien que ponctuelles et
éparses ces concertations ont toutefois permis de faire évoluer
certains regards et postures portés sur les projets musiques actuelles.
Il faudrait bien sûr rendre ce processus de concertation permanant et
engager une vraie dynamique sur la durée.
Face à une organisation politique des
centralités (qui se retrouve dans la loi Notre), il convient d'initier
fortement une démocratie locale, non plus consultative, mais vraiment
citoyenne. Toutefois, les concertations supposent un travail de réseau,
des capacités d'animation, de savoir faire : mobiliser les populations,
les rencontrer, parler, écouter, s'intéresser, sortir de son
schéma de fonctionnement et aller aux devants. En effet, la
ruralité oblige à l'imagination, à sortir des
modèles tout faits. Et cela passe en partie par une lecture
140 Conseil Supérieur des Musiques Actuelles «
Pour des politiques publiques nationales et territoriales en faveur des
musiques actuelles », 2006
106
attentive du territoire, et notamment de son histoire. Faire
place au jeu de solidarité est essentiel, il s'impose même en
milieu rural. Espace de tradition, de « débrouillardise »,
dans lequel il faut savoir s'adapter, « se serrer les coudes ».
D'où, encore une fois, l'importance des allers-retours, et de la
porosité des projets. Les choses seraient bien plus complexes à
établir sans.
107
Conclusion
Au terme de cette étude, il convient de souligner la
place encore marginale et fragile occupée par les musiques actuelles
dans le Gâtinais ainsi que la difficulté de développer un
véritable projet musiques actuelles qui répondrait globalement
aux attentes des populations et des formations musicales, amateurs ou
professionnelles. Dans un territoire qui totalise des centaines de groupes et
d'artistes, la situation est encore insatisfaisante pour prétendre
à une équité territoriale et surtout à des
conditions d'accès aux équipements adaptés et similaires
sur l'ensemble du département. Toutefois les éléments
abordés nous permettent sans ambigüité de conclure à
l'existence d'interactions importantes, d'un maillage d'acteurs en
perpétuel évolution entrant souvent en résistance face
à cette situation inégalitaire. L'investissement de nouveaux
arrivants, majoritairement néo-ruraux et de jeunes locaux aux
côtés d'acteurs plus historiques témoigne de cette envie de
faire et d'agir au sein d'un espace « des possibles », porteur
d'initiatives aux modes d'intervention innovants cherchant à s'adapter
à ses différentes configurations spatiales, au plus près
des populations. Les initiatives analysées dans cette étude
tendent à inverser le rapport de « l'offre » des
collectivités territoriales pour se placer sur la notion de «
réponse » qui doit intégrer la logique de l'autre. La
diversification des activités, des propositions artistiques et
l'élargissement à d'autres disciplines et secteurs apparaissent
comme une évolution indispensable. En effet, de façon
progressive, au fil de leur ancrage, les projets évoluent vers un
développement de leurs fonctions, sans que ce processus soit
forcément formalisé à l'origine des initiatives.
Pour les acteurs les plus anciens du territoire, leur
développement a été synonyme de prise en compte graduelle
des attentes non satisfaites et des besoins émergents, à mesures
des évolutions démographiques et des mutations territoriales.
Face au manque et à l'isolement, les structures deviennent ressources
pour leur territoire et participent à une multitude de mécanismes
de développement territoriaux en lien fort avec leur environnement
local. On peut en outre conclure à l'existence de points communs
importants entre les motivations des structures, notamment en termes
d'engagement et de volonté de faire exister une offre qui ne soit pas
seulement entrevue comme un bien de consommation. Si les structures sont dans
l'ensemble ouvertes à tous, et apparaissent comme des espaces
d'expérimentation de chacun par chacun, qui s'inscrivent nettement dans
une démarche d'éducation populaire dans leurs discours et actions
dans le domaine de l'accompagnement des pratiques musicales et artistiques, il
importe de dépasser le discours et l'évidence supposée, et
de développer une réelle réflexion
108
quant à leur rôle politique, en mettant en
exergue les notions de citoyenneté et de démocratie
participative.
Il convient par ailleurs de souligner les effets des logiques
et intérêts individuels rencontrées entre acteurs, qui
malgré un tissage relativement dynamique, montrent des tendances
à l'autonomisation. Le manque de véritable synergie entre acteurs
du même territoire, volontaire ou involontaire, complexifie
l'appréhension d'un éventuel schéma global de
développement en faveur des musiques actuelles. L'on peut souligner les
difficultés d'implication des réseaux et
fédérations, hormis dans le cadre de demandes de soutien
spécifique, pour favoriser et valoriser cette partie de la scène
locale seine-et-marnaise, qui ne peut profiter des mêmes conditions de
développement que sur la frange ouest du département. Il en est
de même pour les institutions publiques, qui appréhendent les
musiques actuelles sous l'angle de l'animation ou celui de la
démocratisation de la culture mais qui n'ont, semble-t-il, pas pris
conscience du potentiel de ces structures en termes d'utilité sociale.
Cette approche peut être objectée par certains acteurs, comme par
exemple Jean-Michel Lucas, pour qui « une association de musiques
amplifiées n'a pas â se donner comme mission de régler les
problèmes des quartiers en difficultés, ou de faire
évoluer le système éducatif, ou de rendre les habitants
plus citoyens... »141. Or, sans négliger
l'importance de l'artistique et du développement des pratiques, comme
cela est souvent fait par les pouvoirs publics qui instrumentalisent les
musiques actuelles comme étant un moyen et non une fin par
mécompréhension ou simplement par manque de volonté, il
s'agit de participer à une réflexion des lieux sur leur projet,
étant donné que tous ou presque se place dans cette perspective,
notamment dans le cadre de leurs demandes de subventions142.
À ce titre, il est apparu que la majorité des
projets musiques actuelles étudiés se caractérisent
d'abord par une entrée historiquement artistique, au sens d'une
activité exclusivement dédiée à la diffusion
musicale ou à une esthétique particulière ; puis ont
évolué vers une entrée culturelle, dans la perspective
d'un équilibrage des besoins des populations en termes de diffusion et
d'accompagnement des pratiques ; pour récemment investir une
entrée « territoriale », à travers l'accompagnement
local des projets associatifs ou individuels du
141 Dans Les Rencontres du Grand Zebrock. Une nouvelle
ambition pour les musiques amplifiées/actuelles en Île-de-France,
actes des Rencontres des 6 et 7 novembre 1998, Chroma, 1999, p. 26
142 A ce sujet, Franck Lepage évoque « le
catéchisme des demandes de subventions : partenariat,
développement local, lien social, citoyenneté, etc. »
(in Le Travail de la culture dans la transformation sociale : une
offre publique de réflexion du ministère de la jeunesse et des
sports sur l'avenir de l'éducation populaire, La Documentation
Française, 2001, p. 103)
109
territoire avec des outils adaptés. Cette
dernière entrée au sein des projets en milieu rural revêt
une dimension forte d'utilité sociale, comme c'est le cas pour certains
lieux en quartiers périphériques, en banlieues fermées,
dont les problématiques se rapprochent.
Dans cette perspective, il s'agit de trouver des voies de
coopération entre les structures et les collectivités locales,
dans un équilibre entre une formalisation excessive, risquant
l'uniformisation, et une nébuleuse autour des projets et des valeurs. Si
l'on considère plus largement ce domaine artistique, les musiques
actuelles, souvent qualifiées d'urbaines, dépassent de
très loin le cadre urbain. Elles épousent les évolutions
de la société et c'est pour cette raison qu'elles doivent faire
l'objet d'une prise en compte attentive par les politiques publiques.
110
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111
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Site du réseau régional d'Île-de-France de
Musiques Actuelles : www.lerif.org/
Site du Centre d'Information et de Ressources pour les
Musiques Actuelles :
www.irma.asso.fr
Site des Pôles Régionaux de Musiques Actuelles :
www.pole-musiques.com
Site du Fonds de Création Musicale :
www.lefcm.org
Site du Centre National de la Chanson, des
Variétés et du Jazz :
www.cnv.fr
Site national du Département des Études, de la
Prospective et des Statistiques sur les Pratiques
culturelles des Français :
www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr
Site de la FEDELIMA (Fédération des Lieux de
Musiques Actuelles) :
lwww.fedelima.org
Site du Conseil Départemental de Seine-et-Marne :
www.Seine-et-Marne.fr
Site du réseau départemental des Musiques
Actuelles, le Pince Oreilles
www.pinceoreilles.fr/
Site ressource de l'association et SMAC, le File 7 :
www.file7.com
Territoire et milieu rural
Site ressource de la FEDELIMA, sur les musiques actuelles et
le milieu rural :
www.ruralite.fedelima.org
Site du Ministère de la Culture et de la Communication
en Ile-de-France :
www.culturecommunication.gouv.fr/Regions/Drac-Ile-de-France
Site du programme de recherche «Culture et Territoire en
Ile-de-France» : www.culture-et-
territoires.fr
Site de la Confédération Nationale des Foyers
Ruraux :
www.fnfr.org
Site de l'Union Départementale des Maisons des Jeunes
et de la Culture de Seine-et-Marne :
www.udmjc77.org
Site portail des professionnels territoriaux :
www.territorial.fr
Site de la Fédération Nationale des
Collectivités Territoriales pour la Culture :
www.fncc.fr
116
Table des matières
Remerciements (p.5)
Sommaire (p.7)
Introduction (p.8)
PARTIE I
Musiques actuelles et ruralité : état des lieux.
De l'Île-de-France au Gâtinais (p.27)
1. Ruralité et musiques actuelles : le contexte
francilien (p.28) 1.1. Campagne et métropole (p.28)
1.2. État des lieux des musiques actuelles en
Île-de-France (p.30) 1.3. Culture et pratiques musicales en
Île-de-France (p.32)
2. La recherche d'une identité, la Seine-et-Marne
(p.35)
2.1. Seine-et-Marne, un pied à la campagne, un autre dans
la ville (p.35) 2.2. La musique en Seine-et-Marne, de Couperin au Music-hall
(p.38) 2.3. État des lieux des musiques actuelles en Seine-et-Marne
(p.40)
3. Le Gâtinais(p.44)
3.1. Le Gâtinais, quelle ruralité ? (p.24)
3.2. Les lieux permanents de musiques actuelles (p.26)
3.3. Musiqafon, principale association en faveur des musiques
actuelles (p.27)
3.4. Les festivals, entre acteurs historiques et acteurs
émergents (p.29)
3.5. Bar et concerts, d'autres lieux de diffusion (p.30)
PARTIE II
Les limites au développement des musiques actuelles dans
le Gâtinais Analyse et compréhension des difficultés
rencontrées. (p.59)
1. Inégalités spatiales et territoriales, quels
effets ? (p.60)
1.1. L'inégale répartition des équipements
facteur d'inégalité de pratiques (p.60) 1.2. Jeunesse et
pratiques culturelles, quelles contraintes en milieu rural ? (p.62) 1.3. La
mobilité en question (p.65)
2. La place des musiques actuelles dans les politiques
locales (p.67) 2.1. Le poids des représentations (p.67)
2.2. Les difficultés des collectivités (p.70)
2.3. Financements publics, des spécificités en
milieu rural (p.71)
117
2.4. Les intercommunalités, une implication encore
mitigée (p.73)
3. Interactions entre acteurs, une autre clé de
compréhension (p.77)
3.1. Des « mondes locaux » (p.77)
3.2. Effets des interactions entre acteurs locaux (p.79)
3.3. Postures d'acteurs et impacts sur le développement de
la scène locale (p.81)
PARTIE III
Stratégies d'adaptation et caractéristiques des
projets musiques actuelles dans le Gâtinais. Enjeux et
perspectives de développement des musiques actuelles en milieu rural.
(p.84)
1. Le Gâtinais, un terreau fertile aux initiatives,
à la marge (p.85)
1.1. L'initiative privée, répondre aux besoins
(p.85)
1.2. Maîtriser l'environnement rural par
l'itinérance.
L'exemple du Musibus (p.87)
1.3. Les festivals, une ressource nécessaire en
matière de diffusion musicale (p.89)
2. L'utilité sociale et territoriale des projets
musiques actuelles en milieu
rural (p.91)
2.1. L'interdisciplinarité comme spécificité
(p.91)
2.2. Les notions de convivialité et de fête
(p.95)
2.3. Bénévolat et implication des populations
locales (p.97)
3. Enjeux et perspectives pour le développement des
musiques actuelles en milieu rural (p.100)
3.1. Pour le développement artistique et économique
des projets (p.100)
3.2. Maintien d'une dynamique vitale à travers les
musiques actuelles ? (p.102) 3.3. La co-construction, une solution d'avenir ?
(p.104)
Conclusion (p.107) Bibliographie (p.110) Sitographie (p.115)
Table des matières (p.116)
Annexes (p.118)
118
Annexes
1. Liste des entretiens réalisés
2. Musiques actuelles, quelques éléments de
compréhension
3. Milieu rural, définitions et explorations
4. Typologie et cartographie des adhérents du
réseau Pince Oreilles
5. Cartographie des studios de répétition et
d'enregistrement en Seine-et-Marne
6. Typologie socio-économique des communes
d'Île-de-France
7. Gradient de ruralité des communes
d'Île-de-France
8. Population de la Seine-et-Marne par commune en 2011 et
évolution de 2006 à 2011
9. Carte des Établissements Publics de
Coopération Intercommunal au 1er Janvier 2016
10. Répartition de la population de moins de 20 ans
en Seine-et-Marne
11. Schéma synthétique des interactions entre
structures en faveur des musiques actuelles du Gâtinais
12. Synthèse du débat « Les Musiques
Actuelles et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne
».
119
Annexe 1.
Liste des entretiens réalisés
· FÉDÉRATION DES LIEUX DE MUSIQUES ACTUELLES,
NANTES
Véra BEZSONOFF, chargée d'accompagnement et de
structuration des adhérents (4 Août 2016)
· UNION FÉDÉRALE D'INTERVENTION DES
STRUCTURES
CULTURELLES, PARIS
Philippe BERTHELOT, président de l'UFISC et ancien
directeur de la FEDELIMA (17 Juillet 2016)
· FÉDÉRATION DÉPARTEMENTALE DES FOYERS
RURAUX DE SEINE-ET-MARNE, BLANDY-LES-TOuRS
Aurélien BOUTET, coordinateur du réseau (24
Juillet 2016)
· LA TÊTE DES TRAINS, TOuSSON Pierre BELTANTE,
directeur (2 Août 2016)
· LES GÂTIFOLES - ASSOCIATION CHAMP LIBRE,
BOISSY-AuX-CAILLES Christine AMARA, directrice artistique du festival (12
Juillet 2016)
· AU BON COIN FESTIVAL - ASSOCIATION PAS TROP LOIN DE LA
SEINE, THOMERY
Hermine LHÔTE, présidente de l'association (25 Mai
2016)
A ces entretiens s'ajoutent les nombreuses discussions
informelles avec certains salariés des structures membres du
réseau Pince Oreilles et l'équipe du réseau ainsi qu'avec
certains salariés des réseaux départementaux et du RIF. On
notera d'autres temps d'échanges informels avec Thierry BOCCANFUSO,
directeur de l'association Musiqafon, et les bénévoles de
l'association, ainsi que certains groupes et artistes locaux, mais aussi avec
l'association L'Studial et les organisateurs de LaGrange festival. S'ajoutent
également plusieurs rencontres et notamment la réunion «
Place Aux Jeunes » sur le territoire sud Seine-et-Marne, organisée
en mai 2015 par le Service Jeunesse du département avec l'association
Musiqafon avec une dizaine de jeunes sud seine-et-marnais, au centre social de
Moret-sur-Loing.
120
Annexe 2. Musiques actuelles
Quelques éléments de
compréhension.
Suivant la définition française, les musiques
actuelles englobent plusieurs grandes familles :
? Le jazz, les musiques improvisées et
genres assimilés ;
? Les musiques amplifiées (avec
l'amplification électrique comme mode de production),
elles-mêmes divisées en quatre sous-familles :
? Le rock et genres assimilés, la pop, le blues et genres
assimilés, la country, la
fusion ;
? Le metal et genres assimilés, le punk et genres
assimilés ;
? Le hip-hop et genres assimilés, le r'n'b, le ska, le
reggae et genre assimilé, le
funk, la soul ;
? Les musiques électroniques ;
? La chanson
? Les musiques traditionnelles et les
musiques du monde (accompagnées d'instruments
« modernes » tels que la batterie ou la guitare
basse).
De fait, sont exclues : les musiques classiques, anciennes,
baroques, folkloriques et
contemporaines. Cette définition regroupe un très
large éventail d'esthétiques musicales, mais a
fait longtemps débat sur la dénomination à
employer et la manière de désigner ces
phénomènes
musicaux de manière pertinente ?
Amplifiées ou Actuelles ?
L'appellation «musiques amplifiées» se
réfère davantage aux moyens de production et aux techniques
employées dans la conception d'une oeuvre musicale. Elle souligne la
spécificité de certaines musiques par, notamment, leur
électrification et l'amplification des instruments utilisés. Ce
terme est popularisé par l'ethnologue et sociologue Marc
Touché143 en 1996 qui participera à la clarification
de la définition de ces musiques en les désignant comme
étant :
«un ensemble de musiques et de pratiques sociales qui
utilisent l'électricité et l'amplification sonore
électronique comme éléments majeurs, entre autres, des
créations
143 Spécialiste des pratiques concernant les musiques
amplifiées, Marc Touché étudie la sociologie et l'histoire
des musiques amplifiées en France. Il a ainsi mené
différents travaux sur l'histoire de la répétition
musicale et sur la gestion des risques auditifs pour les musiciens de musiques
amplifiées.
121
musicales et des modes de vie (transport, stockage,
conditions de pratiques, modalités d'apprentissage). [...J Pour
reprendre les catégories de classement en vogue, le terme de musiques
amplifiées représente un outil fédérateur
regroupant des univers musicaux qui peuvent être très
contrastés : certaines formes de musiques de chansons dites de
variétés, certains type de jazz et de musiques dites du monde, de
fusions ; le jazz, le rock, le rock'n'roll, le hard rock, le reggae, le rap, la
techno, la house-music, la musique industrielle, la funk, la dance-musique...
et tous les bricolages sonores non encore identifiés
»144 .
Désigner ces musiques, sous le qualificatif
«amplifiées», permet notamment de distinguer
l'esthétique de certains courants musicaux comme le rock, qui exercent
généralement leurs pratiques musicales à
plusieurs145 et dont les techniques de production, de
répétition, de reproduction ou encore de fixation sont
constitutives, d'une manière générale, des pratiques de
ces courants musicaux. Aussi, il s'impose de parler au pluriel, car comme
l'exprime Marc Touché, « parler au singulier de la musique revient
à nier qu'il existe des façons de faire, de produire, d'associer
et de regrouper, de vivre des musiques [...]. ». En effet parler de «
LA musique » engendre des problèmes de lisibilité et ne
permet pas de regrouper une aussi importante diversité
d'esthétiques et donc de pratiques.
Le terme renvoie également aux caractéristiques
sonores de ces musiques, leur amplification et la gêne qu'elle est
susceptible d'occasionner. Considérées comme étant plus
spécifiquement destinées à la jeunesse, les musiques
amplifiées ont eu, pour élément dominant et
caractéristique majeure : le rock, qui peu à peu, a perdu son
caractère fédérateur146 et qui ne peut plus
prétendre à englober toutes les caractéristiques que
l'appellation «musiques actuelles» peut permettre de réunir.
Toutefois, ce terme ne fait pas l'unanimité au sein de l'environnement
des chercheurs, professionnels et acteurs de terrain. En effet, l'emploi de
l'adjectif «actuel» ne semble pas véritablement pouvoir
désigner l'ensemble des esthétiques qui la constitue, en niant,
par opposition, l'actuel à l'ancien, en dénigrant, d'une certaine
manière, le «passé» de ces musiques et même leur
futur.
144 Touché Marc, « Les lieux de
répétitions de musiques amplifiées », in Annales
de recherche urbaine, n°70, 1996, p. 58.
145 Guibert Gérôme, «Les musiques
amplifiées en France», Phénomènes de surfaces et
dynamiques invisibles, Réseaux, 2007/2 n°141-142, p.299
146 Teillet Philippe, «Publics et Politiques des Musiques
Actuelles, in O. Donnat, P.Tolila, Le(s) public(s) de la culture,
Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p.155
122
«Musiques actuelles, terres de contrastes, ou
l'histoire d'une appellation qui pose plus de problèmes qu'elle n'en
résout.»147
Pourquoi désigner ces musiques par leur
temporalité, si ce n'est par un manque de reconnaissance restreignant
leur compréhension et donc leur désignation ? Il est important de
souligner les limites d'une telle appellation afin d'anticiper les possibles
incompréhensions et éviter tout flou autour de sa
définition. Musiques populaires, musiques urbaines, musiques jeunes,
etc., jusqu'au milieu des années 1990, on employait même
le terme de «musiques d'aujourd'hui», ce qui là aussi, ne
permettait qu'une approche temporelle de ces musiques, une notion
éphémère, de vogue, presque
périssable148. Philippe Teillet parlera même d'une
«incompréhension ministérielle» pour qualifier ce vaste
champ de production musicale relativement unifié, mais qui, après
observation, relève de multiples oppositions et différences.
Concept un peu «fourre-tout» qui manque de
crédibilité et qui n'améliore pas l'image ni la
nécessité d'une reconnaissance institutionnelle, l'appellation de
musiques actuelles a beaucoup de difficultés à faire consensus.
Toutefois, la Commission Nationale pour les Musiques Actuelles, lancée
par le ministère de la Culture en décembre 1997,
participera grandement à l'institutionnalisation de l'expression,
qui deviendra, de ce fait, l'expression de référence des pouvoirs
publics. Ainsi, malgré les débats et diverses réticences
suscitées par l'appellation, celles-ci se sont atténuées,
notamment auprès des professionnels, au fur à mesure par une
cohabitation fréquente des termes « actuelles » et «
amplifiées ». Chacun est libre d'utiliser la dénomination
qui le satisfait, et il n'est pas rare de retrouver l'association «
musiques actuelles et amplifiées », bien que le recours au terme de
«musiques actuelles» semble aujourd'hui primer. Enfin, pour de plus
amples approfondissements sur cette problématique, il convient de se
pencher sur les travaux de Marc Touché149 et de Philippe
Teillet150, qui ont largement contribués à la
compréhension du débat. *
Reconnaissance progressive des musiques actuelles et
intervention publique
C'est réellement à partir de 1981,
à l'initiative de Jack Lang, puis sous la direction de Maurice
Fleuret, l'année suivante (directeur de la Musique et de la Danse), que
les premières
147 Rapport de la Commission Nationale des Musiques Actuelles,
juin, 1998, p.14
148 Philippe Teillet, « Pourquoi un «pas de
côté» ? », Volume!, 4:2, 2005, p.3
149 Marc Touché, Mémoire vive #1,
Association Musiques Amplifiées, Annecy, juin 1998
150 Philippe Teillet, « « Musiques
amplifiées, « Musiques actuelles », Musiques populaires
», « Musiques d'aujourd'hui », etc., ou la querelle des
principes de vision et de division », in Actes des 2ème Rencontres
Nationales « Politiques publiques et musiques amplifiées/actuelles
», La Scène, Le magazine professionnel des spectacles,
Hors série, Ed. Millénaire, Avril 1999, p.115
123
mesures - fondatrices - de soutien vont être mises en
place. Aide aux projets, actions culturelles en direction des
fédérations d'amateurs, de fanfares ou encore de chorales, les
musiques du monde, le jazz et les musiques traditionnelles profiteront des
premières initiatives ministérielles. D'autres mesures marquantes
verront ensuite le jour151. Il faudra attendre l'arrivée de
Bruno Lion152 au cabinet du ministre de la culture, auprès de
Michel Schneider, alors Directeur de la Musique et de la Danse, en 1988, pour
que d'autres esthétiques constitutives des musiques actuelles soient
intégrées, comme le rock, le reggae, les musiques dites alors
«amplifiées». En 1991, le programme interministériel
des «Cafés-Musique», soutenu par les collectivités, les
politiques de la Ville et le Fonds d'Action Sociale, sera crée puis
abandonné en 1995 au profit des SMAC (Scènes de Musiques
Actuelles). Ces lieux sont ainsi reconnus, labellisés,
subventionnés et deviennent officiellement les partenaires des
collectivités territoriales. C'est un pas décisif vers la
reconnaissance institutionnelle des musiques actuelles, qui investissent
symboliquement les territoires et la vie des populations.
151 La Fête de la musique marquera
considérablement cette volonté d'ouverture des politiques
culturelles à la diversité des formes musicales, des musiciens
professionnels ou amateurs. (1982, Jack Lang) ; Les prémices dès
1981, du programme Zénith, destiné à l'amélioration
et à la création d'équipements et de lieux de diffusion
des musiques populaires. Le Zénith du Parc de la Villette,
inauguré en 1984, est la première salle du genre à voir le
jour. Aujourd'hui, on en compte 17 répartis sur tout le territoire. Le
projet d'un dix-huitième zénith situé à la
Réunion, initié en 2008, ne trouve désormais plus le
soutien de l'actuel maire ;Les mesures de soutien aux petites salles et aux
festivals ; La création d'un diplôme d'Etat (DE) et d'un
certificat d'aptitude (CA) pour l'enseignement du jazz et des musiques
traditionnelles ; La création d'opérateurs associatifs visant
à assurer, sur le terrain, la politique enclenchée, comme le
Studio des Variétés, le Centre d'information du rock (le futur
centre d'informations et de ressources des musiques actuelles, l'IRMA) ,
l'Orchestre National de Jazz ainsi que le Fond d'Actions et d'Initiatives Rock
(FAIR).
Sur le plan législatif et économique, de
nouvelles mesures vont venir solidifier la place essentielle de ces expressions
musicales, parmi celles-ci notons notamment: la promulgation de la loi sur les
droits voisins (destinés aux interprètes et producteurs de
phonogrammes) de 1985 et l'extension des sociétés civiles
à la gestion collective de ces droits (Jack Lang) ; la création
du Fonds de Soutien Chanson Variétés et Jazz en 1986,
désormais repris par le CNV151 ; la première baisse de
TVA 19,6% sur la vente de disque, jusqu'alors taxée comme une
marchandise de luxe à hauteur de 33,3%, initiée par
François Léotard en 1987, impactera sur le secteur privé ;
la mise en place du Plan Rock, en 1989, participera à la
rénovation et à l'aménagement de près de 200 salles
de concert sur tout le territoire.
152 Bruno Lion est une figure du militantisme pour la
reconnaissance politique des musiques amplifiées et notamment du rock.
Chargé de mission pour le rock et les variétés par Jack
Lang en 1989, il participera au développement et à la prise en
compte des pratiques amateurs et des lieux musicaux. Il est également le
co-fondateur du Centre d'Information du Rock et des Variétés en
1986, devenu désormais l'IRMA, le Centre d'Information et de Ressources
pour les Musiques Actuelles. De 2008 à 2010, il présidera au FCM
(le Fonds pour la Création Musical).
124
Annexe 3. Milieu rural, définitions et
explorations
Employé dans le sujet par sa dénomination la plus
stricte : le « milieu rural » reste une
appellation ambigüe et mal déterminée en
France. Selon que l'on parle de milieu rural ou d'espace rural, on ne se
réfère pas aux mêmes définitions. Campagnes,
paysages champêtres, terres isolées, peu d'habitants,
problèmes de mobilité : la définition de la
ruralité et des zones rurales ne se bornent pas aux imaginaires et
représentations collectives. Aussi, nous emploierons la nomenclature
établie par la FEDELIMA pour caractériser
précisément la typologie des structures étudiés
selon leur environnement et selon les données de densité et de
démographies relatives à leur territoire d'implantation, à
savoir :
? Les lieux en milieu rural sont
identifiés selon le nombre d'habitant de leur collectivité, qui
est égal ou en dessous de 10 000 habitants, avec une densité
moyenne égale ou en dessous de 400 habitants au kilomètre
carré. La prise en compte de la densité moyenne du
département, ou du bassin de vie, égal ou inférieur
à 100 habitants au kilomètre carré peut également
représenter un repère.
? Les lieux urbains en environnement rural,
sont des structures implantées dans des villes moyennes mais dont la
densité de l'environnement (bassin de vie, intercommunalité ou
département) est le premier critère. Ils sont divisés en
deux catégories. La « grande » correspond aux lieux
situés dans des collectivités de 10 000 à 40 000 habitants
sur une densité égale ou inférieure à 3 000
habitants au kilomètre carré. Mais la densité de la
collectivité compte peu, il convient de se référer
à la densité de l'environnement, qui peut être très
rural.
? Les lieux en milieu urbain sont
identifiés comme étant en moyenne situés sur des communes
de 170 000 habitants, pour une densité de 4300 habitants au
kilomètre carré, dont l'environnement départemental de
référence est composé d'une population moyenne d'un
million d'habitant pour une densité de 1175 habitants au
kilomètre carré. Un critère qui est toutefois
nuancé par la distinction d'une catégorie «
périurbaine », c'est-à-dire des communes comprenant un
nombre d'habitants assez faible comparés à d'autres communes
urbaines, elles se caractérisent par un nombre moyen de 20 000 habitants
pour 2000 habitants au kilomètre carré pour une densité
moyenne du département de 950 habitants au kilomètre
carré.
Dans ce sens, nous avons établi que le rassemblement de
six intercommunalités correspondantes au bassin de vie de notre
territoire d'étude est le repère le plus adapté pour
125
décrire la réalité de l'environnement des
structures étudiées. C'est à partir de ce repère,
celui de l'intercommunalité et de la collectivité d'implantation
que les structures fixes sont entrevues. L'objectif de cette nomenclature est
d'établir des typologies territoriales cohérentes et proches des
réalités spatiales des structures dans le souci d'analyser
d'éventuelles similitudes, en termes de projets ou de
problématiques.
Repère utilisé dans l'analyse
environnementale des structures dans la Gâtinais.
Communauté de Communes
|
Nombre de communes adhérentes en 2014
|
Nombre
d'habitants en 2013
|
Densité de population au km2 en
2013
|
Terres du Gâtinais
|
16
|
11 381
|
54,0
|
Pays de Nemours
|
14
|
26 397
|
206,7
|
Pays de
Fontainebleau
|
5
|
34 089
|
168
|
Bocage Gâtinais
|
8
|
5 204
|
53
|
Moret Seine et Loing
|
22
|
39 150
|
176
|
Gâtinais Val de Loing
|
20
|
19 237
|
56,9
|
Total
|
85
|
135458
|
119,1
|
*Tableau réalisé à partir des sources
de l'INSEE, et de l'IAUIDF
Par la définition de l'espace rural, de ses typologies
et par l'appui de carte de zonage des aires urbaines, nous expliquerons ici
pourquoi le choix de « milieu rural », plutôt que « zone
rurale » ou encore « espace à dominante rurale ». Depuis
plusieurs décennies en France, le territoire et son découpage se
basent sur la notion d'agglomération et d'unités urbaines.
D'après les données de l'INSEE153, l'espace rural se
définissait ainsi :
? L'espace rural, ou à dominante
rurale, regroupe l'ensemble des petites unités urbaines et communes
rurales n'appartenant pas à l'espace à dominante urbaine
(pôles urbains, couronnes périurbaines et communes
multipolarisées). Cet espace est très vaste et représente
70 % de la superficie totale et les deux tiers des communes de la France
métropolitaine.
153 L'INSEE est l'Institut National de la Statistique et des
Études Économiques
126
Depuis octobre 2011, la définition de l'espace rural
n'est plus en vigueur, il faut désormais se référer aux
découpages des zones en aires urbaines154. Aujourd'hui,
l'INSEE distingue deux grands types d'espaces, mais les définitions ont
évolué :
? D'une part, l'espace urbain, ou espace
à dominante urbaine, comme étant l'ensemble de
plusieurs aires urbaines et des communes multipolarisées qui s'y
rattachent. Dans l'espace urbain multipolaire, les aires urbaines sont, soit
contiguës, soit reliées entre elles par des communes
multipolarisées. Cet espace forme un ensemble connexe. Un espace urbain
composé d'une seule aire urbaine est dit monopolaire.
? D'autre part, l'espace à dominante
rurale, lui-même divisé en plusieurs sous-types : les
aires moyennes, les petites aires, les autres communes multipolarisées
et les communes isolées hors influence des pôles.
La notion de rural (nous parlerons de milieu
rural)155 découle de la définition du
découpage en unités urbaines156, puis en communes
urbaines157. Une commune rurale est, par exclusion, une commune
n'ayant pas les caractéristiques d'une unité urbaine, ni d'une
commune urbaine. Restreintes à se définir selon un seuil de 2000
habitants, les communes ne se retrouvent pas toujours dans telle ou telle
catégorie. Bernard-Henri Nicot, chercheur et ingénieur au
SIRIUS
154 Définition de l'INSEE : «Une aire urbaine ou
« grande aire urbaine » est un ensemble de communes, d'un seul tenant
et sans enclave, constitué par un pôle urbain (unité
urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou
unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la
population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou
dans des communes attirées par celui-ci. Le zonage en aires urbaines
2010 distingue également :
- les « moyennes aires », ensemble de communes, d'un
seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain
(unité urbaine) de 5 000 à 10 000 emplois, et par des communes
rurales ou unités urbaines dont au moins 40 % de la population
résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des
communes attirées par celui-ci.
- les « petites aires », ensemble de communes, d'un
seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle (unité
urbaine) de 1 500 à 5 000 emplois, et par des communes rurales ou
unités urbaines dont au moins 40 % de la population résidente
ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes
attirées par celui-ci.
155 Une annexe est consacrée à la définition
plus complète et référencée du milieu rural.
156 Définition de l'INSEE : «L'unité
urbaine est une commune ou un ensemble de communes qui comporte sur son
territoire une zone bâtie d'au moins 2 000 habitants où aucune
habitation n'est séparée de la plus proche de plus de 200
mètres. En outre, chaque commune concernée possède plus de
la moitié de sa population dans cette zone bâtie. Si
l'unité urbaine s'étend sur plusieurs communes, l'ensemble de ces
communes forme une agglomération multi-communale ou agglomération
urbaine. Si l'unité urbaine s'étend sur une seule commune, elle
est dénommée ville isolée.» Source :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=zonages/unites
urbaines.htm
157 Définition de l'INSEE : «Une commune urbaine
est une commune appartenant à une unité urbaine.
Les autres communes sont dites rurales». Source :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/commune-urbaine.htm
127
de l'Institut d'Urbanisme de Paris, souligne clairement les
limites de cette définition : « Le seuil de 2000 habitants
utilisé pour la définition des unités urbaines ne signifie
pas, bien sûr, que toutes les communes de plus de 2000 habitants sont
urbaines : 577 communes rurales ont plus de 2000 habitants (44209
Treillières, en a plus de 6000). Il signifie encore moins que toutes les
communes urbaines ont plus de 2000 habitants : sur les 5954 communes urbaines
en 1999, un bon tiers (2023) a moins de 2000 habitants (la plus petite, 51493
Saint-Léonard dans la banlieue de Reims, en a 77).
»158 Aussi, nous retiendrons une définition plus
large du milieu rural, « caractérisé par une
densité de population relativement faible, par un paysage â
couverture végétale prépondérante (champs,
prairies, forêt, autres espaces naturels), par une activité
agricole relativement importante, du moins par les surfaces qu'elle occupe.
»159
De manière très générale,
l'OCDE160 et le Conseil de l'Europe qualifient le milieu rural comme
englobant « l'ensemble de la population, du territoire, et des autres
ressources des campagnes, c'est-â-dire des zones situées en dehors
des grands centres urbanisés. » La porosité de cette
définition ne permet pas de dégager de véritables
éléments de classification. La place de l'activité
agricole, entendue comme ressource du milieu rural, est majeure. Elle
caractérise une certaine spécificité du milieu rural, de
par ses traditions socioculturelles, ses liens avec la nature et son impact
économique et environnemental. D'ailleurs, le milieu rural assure de
plus en plus une fonction de détente, de dépaysement, de loisirs.
Il représente un espace presque alternatif, une sorte d'exception
territoriale, qui s'oppose au modèle urbain majoritaire. ...). La notion
même de milieu rural ne peut plus être abordée selon des
généralités communes. Les territoires dans leur ensemble
se caractérisent à la fois par leurs fonctions, leurs conceptions
et leurs usages très divers. Alain Lefebvre161, rappelle
l'importance des représentations dans la dynamique territoriale et
insiste sur deux éléments essentiels, à savoir :
- «Le territoire est un construit social et mental en
évolution permanente où les représentations patrimoniales
et les traces mnémoniques jouent un rôle essentiel.»
- «Le territoire se construit sur le récit des
habitants et des acteurs de l'aménagement».
158 Bernard-Henri Nicot, « Urbain-rural : de quoi
parle-t-on ? », document de travail, SIRIUS, IUP, UPVM, juin 2005
159 Ibid., p.6
160 Organisation de Coopération et de Développement
Économique
161 Lors de son intervention en 1995 à l'Université
de Toulouse.
128
Ainsi le territoire ne doit plus seulement se concevoir en
termes de délimitations géographiques mais s'entrevoit sous
l'angle des représentations sociales et du rapport de l'individu
à celui-ci.
Le travail de Philippe Pierre-Cornet nous permet d'approfondir
cet « espace rural pluriel », en proposant un classement distinguant
trois différents types d'usages fait des campagnes. De cette analyse, il
ressort trois figures principales :
- «La campagne ressource» : celle des productions
agricoles et de l'activité industrielle relativement importantes. Elle
produit notamment des ressources alimentaires («les greniers de la
France») et reste économiquement viable, c'est la campagne
productive.
- «La campagne cadre de vie» : celle
convoitée pour ses caractères récréatifs et
résidentiels. Ce sont souvent des zones périurbaines qui ont
préservé leur cadre rural. Le développement touristique et
la migration des urbains y sont très importants. Cela implique un
étalement autour des villes, et donc un élargissement des
équipements vers ces nouvelles populations (transports, commerces,
écoles, etc.). Elle s'assimile avec les communes des grands pôles
et les communes multipolarisées.
- «La campagne nature» : celle des espaces plus ou
moins protégés (tels les parcs régionaux et
réserves biologiques). Elle est importante d'un point de vue
écologique et environnemental.
En termes d'éléments spécifiques aux
territoires ruraux, on constate que les territoires ruraux se
caractérisent par une faible densité de population, un nombre
d'infrastructure peu important, un soutien relativement faible des
autorités publiques, et par de fortes disparités morphologiques,
en termes de mobilité, d'accès liés aux
spécificités géographiques (montagnes, littoraux, plaines,
etc.). Aussi, nous pouvons nous appuyer sur la typologie proposée par la
SEGESA (Société d'études géographiques
économiques et sociologiques appliquées) et l'INSEE en 1999, qui
proposait un classement des espaces ruraux selon trois types de dynamisme,
« Les trois France rurales » :
- Les « campagnes périurbaines » ou campagnes
des villes, qui sont largement dépendantes des villes, en matière
d'emplois, de commerces et de services. Notons, qu'en France, c'est près
de 95 % de la population qui vit sous l'influence des villes. Ce qui en fait
aujourd'hui une des caractéristiques prédominantes des campagnes.
Ces
129
espaces peuvent être confondus avec la « campagne
cadre de vie » et se retrouvent proches des grands pôles urbains et
des communes multipolarisées.
- Les « campagnes fragiles » ou profondes, sont
éloignées des villes et se caractérisent par un
accès aux services publics et aux réseaux de transports ainsi que
par une couverture téléphonique encore insuffisants. Ces espaces
sont marqués par un vieillissement de leur population, un certain
déclin démographique et un accueil important de retraités.
Elles sont marquées par une activité agricole « vieillie et
peu dense », et une part importante de travailleurs ouvriers.
- Les « campagnes et territoires ruraux dynamiques
», sont plus ou moins proches des villes. Elles se distinguent par un
certain équilibre démographique, résultant de leur
attractivité touristique et résidentielle, au potentiel
économique caractéristique.
L'actualisation permanente du découpage du territoire
français et la multiplicité de ces définitions nous incite
à considérer l'emploi du terme « milieu rural » comme
étant le plus adapté à notre étude, à
défaut d'employer celui d' « espace à dominante rurale
». Sa complexité nous permet en effet de dégager des
particularités propres aux espaces étudiées (espace rural
sous influence urbaine, campagne périurbaine, etc.), tout en respectant
une indispensable relation à la ruralité.
130
Annexe 4. Cartographie des adhérents au
réseau Pince Oreilles
Source : Pince Oreilles, Transistor n°48 - Avril
à Juin 2016.
131
Annexe 5. Cartographie des studios de
répétition et d'enregistrement en Seine-et-Marne
Source : Chiffres clés et les principaux enjeux des
structures musiques actuelles en Seine-et-Marne, réseau
Pince Oreilles, juin 2013
132
Annexe 6. Typologie socio-économique des
communes d'Île-de-France.
Source : SEGESA/DREIF/DRIAF - Dynamique territoriale de
l'agriculture et de l'espace rural en Île-
de-France », 2005
133
Annexe 7. Gradient de ruralité des communes
d'Île-de-France
Source : SEGESA/DREIF/DRIAF - Dynamique territoriale de
l'agriculture et de l'espace rural en Île-
de-France », 2005
134
Annexe 8. Population de la Seine-et-Marne par commune en
2011 et évolution de 2006 à 2011
Source : INSEE, Recensement 2010 -Téléatlas,
Multine - 2009
Annexe 9. Carte des Établissements Publics de
Coopération Intercommunale en Seine-et-Marne
au 1er Janvier 2016
135
Source : DGCL / INSEE- RP 2013 (population totale au
01/01/2016) / Préfecture de Seine-et-Marne
Annexe 10. Répartition de la population de moins
de 20 ans en Seine-et-Marne
136
Sources : Département de Seine-et-Marne, SIG, DADT,
2012
La Tête des Trains, Tousson
Champ Libre, Festival Les Gâtifolies,
Boissy- aux-Cailles
Bar-concerts à Fontainebleau (Kustom Café,
Glasgow)
Réseau Pince Oreilles
Rainforest, Fontainebleau
L'Studial Festival LaGrange, Gironville
MJC La Scala, Nemours
MJC Fontainebleau Loisirs Culture
Musiqafon Musibus, Festival Notown, Nemours
Fédération des Foyers Ruraux de
Seine-et- Marne
Festi'Val en Seine, St Mammés
Asso Pas Trop Loin de la Seine, Au Bon
Coin Festival, Thomery
Animal Record, La Douve Blanche Festival,
Egreville
Union Départementale des MJC de
Seine- et-Marne
Festival Django Reinhardt, Samois
Prodathor Cerfstival, Villecerf
137
Annexe 11. Schéma synthétique des
interactions entre les structures en faveur des musiques actuelles du
Gâtinais
138
Annexe 12. Synthèse du débat « Les
Musiques Actuelles et l'aménagement du territoire en Seine-et-Marne
».
« Les Musiques Actuelles et l'aménagement du
territoire en Seine-et-Marne »
Synthèse du débat publiée en janvier 2006
par le réseau Pince Oreille, lors de la 7e édition du Festival
Watts Up.
Rencontre du samedi 17 décembre 2005.
Organisée par le réseau Pince Oreilles
Et le Conseil Général de Seine-et-Marne,
Au Chaudron, Scène de Musiques actuelles du Mée sur
Seine
Modérée par Patricia Coler, rédactrice en
chef du magazine « Artiste Pluriel »,
Avec les intervenants suivants :
- Jean Calvet, conseiller général
délégué du Président à la culture et
à la coopération
décentralisée,
- Geneviève Busch, Adjointe à la culture de la
Mairie de la Ferté sous Jouarre,
- Olivier Galan, Président du réseau Pince
Oreilles, et Directeur de File 7,
- Thierry Boccanfuso, Président de l'association
Notown,
- Frédéric Vandromme, Président de
l'association Kalifuda,
- Pierre-Marie Cuny, Directeur des affaires culturelles du
Conseil Général,
- Hervé Labove, Directeur des affaires culturelles de la
Communauté
d'Agglomération Melun Val de Seine,
- Yves Gruson, Directeur de l'Ecole Nationale de Musique de
Bobigny.
Lors de la 7ème édition du festival Watts Up, le
réseau Pince Oreilles et le Conseil Général de
Seine-et-Marne ont co-organisé un débat sur « les musiques
actuelles et l'aménagement du territoire ». Comme l'a
souligné le conseiller général Jean Calvet, en tant
qu'élu local, la 1ère question que lui pose un nouvel habitant,
concerne bien souvent la musique : « Peut-on pratiquer de la musique dans
votre commune ? ». L'un des enjeux des prochaines années pour les
musiques actuelles et ceux qui les pratiquent, c'est que la réponse
à cette question soit le plus souvent « Oui, il y a un endroit
adapté où vous pouvez répéter, et une salle de
diffusion à proximité d'ici ! ». On en est encore loin, car
il existe en Seine-et-Marne de fortes inégalités entre les zones
urbaines et rurales. Toutefois sur certains territoires, de nombreux acteurs
agissent, et apprennent à travailler ensemble, à mutualiser leurs
moyens, à se concerter.
Inégalité territoriale
Depuis 6 ans, la Seine-et-Marne a vu des équipements
dédiés aux musiques actuelles sortir de terre : l'Empreinte
(Savigny-le-Temple), File 7 (Magny-le-Hongre), et les CuiZines (Chelles). Dans
le même temps, les structures de diffusion se sont organisées
à l'échelle départementale en créant le
réseau Pince Oreilles. Du côté des artistes, ceux qui sont
attentifs à la scène locale,
139
observent que celle-ci s'est progressivement
décomplexée. Des médias régionaux comme le Nouvel
Observateur (pages spéciales région), la République ou le
Parisien soulignent le dynamisme de la scène rock seine et marnaise.
Toutefois, à y regarder de plus près, cette dynamique
départementale est très inégale. La plupart des
équipements sont concentrés sur les espaces les plus
urbanisés de la partie ouest du 77, à proximité de la
francilienne. Les territoires ruraux voient des initiatives se mettre en place.
Mais, celles-ci ont du mal à s'installer dans la durée. Par
ailleurs, de grandes villes comme Meaux, Melun ou Fontainebleau ne
possèdent toujours pas d'équipement suffisant pour la
répétition et/ou la diffusion.
Dynamisme du territoire rural
La Seine-et-Marne avec ses 514 communes, couvre près de
50 % de la surface de l'Ile-de-France. En milieu rural, des assos se
démènent pour organiser des concerts. La Tête des Trains
s'active ainsi depuis plus de 20 ans à Tousson. Et cette doyenne est
aujourd'hui rejointe par la jeune génération. L'association
Notown, ses 4 000 spectateurs annuels, et ses 35 concerts en 5 ans, prouvent
qu'il y a une réalité des musiques actuelles en milieu rural. Le
Collectif Kalifuda avec le festival Le Son de L'Air, démontre que l'on
peut convaincre des élus locaux, et organiser un festival dans les
règles de l'art : soutien des sociétés civiles, salariat
de tous les artistes....
Besoins et difficultés en territoires ruraux
Mais si des projets naissent, ce n'est pas sans
difficulté. Thierry Bocanfuso, Président de l'association Notown,
énumère les besoins des territoires ruraux : « manque des
locaux, de structuration, d'une offre culturelle et en particulier musicale, de
projets sociaux et de préventions ». Et pourtant affirme-t-il
« on sortira beaucoup de jeunes de leurs difficultés grâce
à la culture et en particulier grâce à la musique ».
Mais, parce que les musiques actuelles sont trop souvent associées
à des préjugés comme la prise de drogues, la
délinquance,... et parce que les forts volumes sonores qu'elles
suscitent, occasionnent souvent des gênes pour le voisinage, « les
élus qui souhaitent répondre aux demandes des jeunes doivent
faire face à une autre partie de la population qui craint pour sa
tranquillité ».
« On ne va pas attendre que les jeunes de chez nous
brûlent les tracteurs ! »
« On ne va pas attendre que les jeunes de chez nous
brûlent des tracteurs ! » s'écrie Thierry Bocanfuso Certains
élus l'ont compris et tentent de répondre à leurs besoins.
Comment ? En répondant positivement aux musiciens qui ont
décidé de prendre les choses en main ; en autorisant les
manifestations ; en prêtant des locaux ; et pour les plus convaincus,
comme les élus de La Ferté sous Jouarre vis à vis du
festival le Son de l'Air, en passant un « contrat » avec l'asso, en
soutenant financièrement le projet et en mettant le personnel technique
à disposition.
Expérience et professionnalisation
Même s'ils sont tous bénévoles, ceux qui
s'activent, depuis quelques années font office de centres de ressources
pour les moins expérimentés. Ils reçoivent toutes les
sollicitations : celles « des groupes, des élus, des assos, des
MJC, des éducateurs, des services sociaux... ». Thierry Bocanfuso
conclut « Il serait temps de se dire que c'est un travail, le
développement des musiques actuelles en milieu rural, que ça ne
peut pas être que du bénévolat. On devient de
140
plus en plus professionnel par les formations, les
échanges au sein du réseau. Mais qui nous donne les moyens d'y
aller ? Parce que nous le professionnalisme, on attend que ça ».
« Le festival a été un
événement extraordinaire. On n'avait jamais vu ça à
La Ferté ! »
Des élus, en milieu rural prennent conscience de
l'intérêt d'agir, comme Geneviève Busch, adjointe à
la culture de la Mairie de la Ferté sous Jouarre, qui à propos du
Son de l'Air ne retient pas son enthousiasme « Le Festival a
été un événement extraordinaire. On n'avait jamais
vu ça à la Ferté. C'était monumental ». Mais,
elle admet qu'il n'a pas été facile de convaincre l'ensemble de
l'équipe municipale et que le débat au sein de
l'intercommunalité a été « houleux ».
Pierre-Marie Cuny, directeur des affaires culturelles du Conseil
Général explique qu' « en milieu rural, ce n'est pas tant
les musiques actuelles qui posent souci mais le développement culturel
en général ».
« Le Conseil Général ne peut en rien
faire ingérence sur les décisions des élus locaux ! »
Avec « 65 % de communes entre 500 et 3 000 habitants
», l'émiettement en une foule de micro territoires rend l'action
des services du Conseil Général difficile. Pierre-Marie Cuny
ajoute « Le Conseil Général ne peut en rien faire
ingérence sur les décisions des élus locaux ». Alors
que faire ? Il faut « faire évoluer les mentalités ! A
l'heure actuelle, ce qu'il manque le plus en milieu rural, ce sont des
séminaires de formation et de réflexion, ce ne sont pas tellement
des équipements ». Jean Calvet, Conseiller Général
délégué du Président à la Culture explique :
« La question des élus, c'est : où va-t-on investir l'argent
? Et bien entendu, les demandes légitimes portent sur l'emploi, sur les
transports. Peu d'élus prennent la responsabilité de proposer de
mettre un peu moins sur les transports ou sur l'emploi, en faveur de la
culture. Aujourd'hui, tenir ce type de discours dans les assemblées
politiques, c'est quasiment une insulte. Mais ce n'est pas du tout aberrant.
C'est une position politique à défendre. Bien entendu, l'emploi,
le logement, la formation sont des priorités. Mais, une fois qu'un
individu a à peu près les besoins vitaux, s'il passe le reste de
ces heures libres à ne rien faire, au bout d'un moment cela pose
problème ».
L'intercommunalité : un outil indispensable
Même si comme le souligne Jean Calvet « pour ce
type d'activité, au niveau d'un budget comme celui du département
ou de la région, la masse financière dont les musiques actuelles
ont besoin n'est pas scandaleuse », pour une petite commune isolée,
l'investissement peut s'avérer important. La solution évidente
passe par l'intercommunalité. File 7, par exemple, a été
conçu à partir d'une commande publique du Syndicat
d'Agglomération Nouvelle du Val d'Europe. Plus récemment, la
Communauté d'Agglomération Melun Val de Seine (CAMVS),
après s'être vue transférer les principaux festivals
musicaux de son territoire, a décidé d'embaucher un coordinateur
« Musiques actuelles ». Petit à petit, la communauté
melunaise s'empare de ce domaine artistique.
« Je compare souvent la communauté
d'agglomération à un paquebot... »
Cependant, comme l'explique Hervé Labove, directeur de
la CAMVS, « Cela prend du temps. Il faut apprendre à travailler
ensemble ». Il raconte « je compare souvent la communauté
à un
141
paquebot. C'est difficile à manoeuvrer mais une fois
qu'il est lancé, il est lancé. En revanche, on y a passé
beaucoup de temps. C'est un temps qui a permis de faire évoluer les
mentalités. Aujourd'hui, on a des élus qui sont
complètement en phase avec ce que l'on fait. Il a fallu 20 ans pour
aboutir à une position commune ».
« Faut déjà que les élus se
parlent ! »
Si, selon Hervé Labove, «
l'intercommunalité n'est qu'un outil », en milieu rural, cet outil
s'avère indispensable, car sans lui, il est impossible de réunir
les moyens nécessaire au développement culturel. Seulement, comme
le souligne Thierry Bocanfuso, en milieu rural, « Les communautés
de communes, c'est loin d`être une réalité. Faut
déjà que les élus se parlent ». Pierre-Marie Cuny
corrobore : « Le drame n'est pas qu'il manque des investissements à
l'est du département. Le grand drame, c'est de voir que les territoires
ne sont pas encore motivés pour se rassembler et mutualiser les moyens,
pour prendre des décisions importantes ».
Des mentalités à faire évoluer !
Pierre-Marie Cuny précise « Ce sont les
mentalités qu'il faut faire évoluer, d'une manière
sympathique et pas d'une manière trop volontariste et agressive ».
Si l'on veut voir les choses évoluer, « il faudra faire de la
pédagogie vers les élus, mais aussi vers la population »
souligne Yannick Guillot, élu d'une commune de 800
hab. et lui-même musicien. Il faudra
donc s'atteler à convaincre et à imaginer des outils efficaces.
« L'exposition sur l'histoire des musiques actuelles que réalise le
réseau Pince Oreilles peut servir à montrer que nos musiques ont
plus de 20 ans, qu'elles ont une histoire » propose Olivier Galan,
président du Pince Oreilles. Le Transistor, s'il est mieux
diffusé, peut aussi servir à décloisonner monde urbain et
milieu rural, et à réduire les clichés en montrant la
réalité des musiques actuelles.
Thierry Bocanfuso s'interroge « L'expérience des
Scènes Rurales a été de la part du Conseil
général un projet volontariste. Peut-être qu'un projet de
ce type pourrait aussi servir le développement des Musiques actuelles en
milieu rural ? ».
On comprend bien que ce travail sur les mentalités
prendra du temps. Mais, on ne peut pas, non plus, ignorer que les associations
de bénévoles qui se bougent aujourd'hui, n'auront pas toujours
l'énergie pour continuer, s'il n'y a pas des signes forts de
reconnaissance. Vu les risques financiers et pénaux qu'elles prennent
parfois, le danger de les voir disparaître, elles et leur
expérience, est bien réel.
Thierry Bocanfuso questionne : « les institutions ne
peuvent-elles pas se mettre ensemble pour déterminer une vraie mission
de service public sur ce secteur ? ». Jean Calvet, de ce point de vue, est
rassurant, puisqu'il affirme « Si vous pensez qu'il y a des choses qui
doivent bouger. Profitez-en ! », et qu'il propose à tous ceux qui
se sentent concernés par ces questions de lui faire parvenir « un
cahier de doléances, réelles et constructives ». Ce sera
fait ! Le Conseil Général aura avec le réseau Pince
Oreilles un partenaire dont la maturité peut lui permettre, comme
l'indique Olivier Galan, de "contribuer à la structuration des acteurs,
de créer une cohésion territoriale, et de faire émerger
des projets par la synergie collective", d'autant que certains outils existent
déjà.
Synthèse réalisée par Vianney Marzin,
Caroline Dall'O et Elsa Songis en janvier 2006.
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RÉSUMÉ.
Les musiques actuelles seraient-elles l'apanage de la
région parisienne et de l'espace urbain? Quelle vie musicale dans un
territoire rural aussi proche de la capitale? Quelles en sont les
spécificités, les enjeux et les limites? Quelles sont les
conditions de création d'une offre musicale et d'accompagnement en
faveur des musiques actuelles ?
En vue d'esquisser quelques éléments de
réponse, cette étude de cas examine la place des musiques
actuelles à l'échelle locale, et plus particulièrement sur
le territoire du Gâtinais sud seine-et-marnais, un espace à
dominante rural, situé à moins d'une heure de Paris. Cette
recherche a pour objectif de définir clairement les relations existantes
entre les musiques actuelles, les pouvoirs publiques et les acteurs de terrain,
au niveau national et local.
Nos constatations nous permettent de faire état de
l'inégale considération politique de ces musiques entre espace
urbain et rural, et de mettre en évidence les
mécompréhensions, les représentations, les manques de
moyens aussi bien matériels qu'humains destinés à
l'accompagnement, la création et la diffusion sur le territoire. Il
ressort, malgré tout, qu'une vraie volonté de
développement culturel et musical soit partagée par de nombreux
acteurs associatifs locaux souhaitant apporter une réponse qualitative
et concrète aux besoins exprimés par les différents
publics composant ces zones rurales. Cette volonté se traduit notamment
par la mise en place d'actions de diffusion et de manifestations musicales,
qui, bien que fragiles, valorisent les pratiques culturelles des habitants,
créent une dynamique territoriale et sociale, et favorisent
l'accès de tous à l'offre musicale à travers des modes
d'interventions innovants et originaux.
Mots clés : Musiques actuelles - Milieu Rural -
Seine-et-Marne - Gâtinais - Territoire - Politique Culturelle -
Développement culturel local - Développement territorial -
Conseil Départemental - Collectivités territoriales.
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