MASTER 2
EVALUATION ET MANAGEMENT DES POLITIQUES SOCIALES
LA PRIME POUR L'EMPLOI (PPE) :
UN OUTIL DE POLITIQUE PUBLIQUE A FONCTIONS MULTIPLES, UN
SUJET PERMANENT DE REFORME
ET DE REDEFINITION
Présenté par Thierry GATINES
Sous la direction de Monsieur Bruno LAMOTTE Année
Universitaire 2014/2015
Faculté d'Economie de Grenoble
1241, rue de résidences - BP 47 - 38040 Grenoble Cedex
I
AVERTISSEMENT
La Faculté d'Economie de l'Université Pierre
Mendès France de Grenoble n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans les mémoires des candidats
au Master ; ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
Le mémoire est un essai d'application des méthodes
et outils au cours de la formation.
Il ne saurait donc être considéré comme un
travail achevé auquel l'Université conférerait un label de
qualité qui l'engagerait.
Ce travail est considéré a priori
comme un document confidentiel qui ne saurait être
diffusé qu'avec l'accord de son signataire.
II
REMERCIEMENTS
Je remercie toute l'équipe pédagogique du Master 2
EMPS de la Faculté d'Economie de l'Université Pierre
Mendès France de Grenoble pour la richesse de l'enseignement
dispensé toute au long de cette année universitaire.
Je tiens à remercier Monsieur Charles Benezra, pour ses
enseignements en Master 1 sur la méthodologie et sur le respect des
règles académiques appliquées à la construction et
à la rédaction d'un mémoire de fin d'études.
Enfin, je remercie tout particulièrement Monsieur Bruno
Lamotte pour son encadrement rigoureux, ses conseils avisés, et ses
bonnes idées, tout au long de la réalisation de ce travail
universitaire.
III
RESUME
« La Prime pour l'emploi est un dispositif, mis
en place en 2001, prenant la forme d'un crédit d'impôt, sur le
modèle du Earned Income Tax Credit américain et du Working Family
Tax Credit britannique » (Elbaum, 2011 : p.
331).
Dans les derniers mois de vie de la Prime pour l'emploi,
remplacée en 2016 par une Prime d'activité, l'objectif est
d'apprécier sa pertinence, son efficacité, et son efficience.
Les cadres théoriques utilisés en support
à l'analyse de la PPE seront les grilles de travail proposées par
Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques), par
Pierre Muller (analyse cognitive des politiques publiques), et par Amartya Sen,
s'agissant des critères de justice sociale (approche par les
capabilités).
L'objectif de redistribution de la PPE n'est pas atteint, et
il peut être également affirmé que la PPE a un impact
très faible sur l'offre de travail et très incertain sur
l'emploi, notamment pour les femmes. Le même instrument ne peut
être à la fois incitatif et redistributif. Concernant le respect
du principe de justice sociale, la PPE, tout en gommant certaines
inégalités, en créé d'autres. Enfin, elle met en
jeu l'effet Matthieu, ne profitant seulement qu'à ceux qui ont un
emploi.
Mots clefs : Bas salaires, justice sociale,
politique de l'emploi, Prime pour l'emploi (PPE), redistribution, trappe
à inactivité.
ABSTRACT
« The Prime pour l'emploi (PPE) is a device
introduced in 2001, taking the form of a tax credit, modeled on the US
Earned Income Tax Credit and the UK Working Family Tax Credit "
(Elbaum, 2011: p. 331).
In the last months of life of the Prime pour l'emploi
(PPE), replaced in 2016 by a Prime d'activité, the objective is to
assess the relevance, effectiveness, and efficiency of the device.
The theoretical frameworks used will include Charles O.
Jones's analysis grids (sequential analysis of public policies), Pierre
Muller's (cognitive analysis of public policies) and Amartya Sen's, as regards
social justice criteria.
The goal's PPE's redistribution is not reached, and
it can be also said that it has very low impact on labor supply and very
uncertain impact on employment, especially for women. The same instrument
cannot be both incentive and redistributive. Concerning the principle of social
justice, the Prime pour l'emploi, while erasing certain inequalities,
creates others. Finally, it involves the Matthew effect, benefitting only to
those who have a job.
Key words : Low wages, social justice,
employment policy, Prime pour l'emploi (PPE), redistribution,
inactivity trap.
IV
SOMMAIRE
AVERTISSEMENT..........................................
I REMERCIEMENTS................................. II
RESUME /
ABSTRACT.................................... III
SOMMAIRE............... IV
LISTE DES SIGLES ET
ACRONYMES................................ V
LISTE DES TABLEAUX.......................................
VII
LISTE DES GRAPHIQUES.................................
VIII LISTE DES SCHEMAS.......................................
IX LISTE DES ENCADRES.................................
X LISTE DES ANNEXES.......................................
XI INTRODUCTION GENERALE.................................
1
CHAPITRE I - Présentation du dispositif de la
Prime pour l'emploi (PPE) ...... 6
CHAPITRE II - L'actualité du dispositif
PPE......................... 37
CONCLUSION GENERALE.................................
67
BIBLIOGRAPHIE...................................
76
TABLE DES MATIERES....................................
84
ANNEXES.............................................
86
V
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES
AAH Allocation adulte handicapé
ACR Allocation compensatrice de revenu
AEEH Allocation d'éducation de l'enfant
handicapé
AES Allocation d'éducation spéciale
(remplacée par l'AEEH)
AF Allocations familiales
ANPE Agence nationale pour l'emploi
APA Allocation personnalisée d'autonomie
APE Allocation parentale d'éducation (remplacée par
le CLCA)
API Allocation parent isolé
APJE Allocation pour jeune enfant
ARS Allocation de rentrée scolaire
ASF Allocation de soutien familial
ASI Allocation supplémentaire d'invalidité
ASPA Allocation de solidarité aux personnes
âgées
ASSEDIC Association pour l'emploi dans
l'industrie et le commerce
CAE Conseil d'analyse économique
CAF Caisse d'allocation familiale
CCAS Centre communal d'action sociale
CCMSA Caisse centrale de la mutualité sociale agricole
CDD Contrat à durée
déterminée
CERC Conseil de l'emploi, des revenus, et de la cohésion
sociale
CGI Code général des impôts
CGP Commissariat général au Plan
CLCA Complément de libre choix d'activité
CNAF Caisse nationale d'allocations familiales
CNAV Caisse nationale d'assurance vieillesse
CNRS Centre national de la recherche
scientifique
CRDS Contribution au remboursement de la dette
sociale
CSG Contribution sociale généralisée
DARES Direction de l'animation de la recherche, des
études, et des
statistiques
DGESCO Direction générale de l'enseignement
scolaire
DGI Direction général des impôts
DGFIP Direction générale des finances publiques
DREES Direction de la recherche, des
études, de l'évaluation, et des
statistiques
EDF Electricité de France
EITC Earned income tax
credit
ERF Etude sur les revenus familiaux
VI
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES (suite)
FNDSA Foyer Notre Dame des sans abris
GDF Gaz de France
GREQAM Groupe de recherche en économie quantitative
d'Aix-Marseille
IDEP Institut d'économie publique
INSEE Institut national de la statistique et des
études économiques
INED Institut national d'études
démographiques
IRPP Impôt sur le revenu des personnes
physiques
IEFP Institut pour l'éducation
financière du public
IEP Institut d'études politiques
ISF Impôt sur la fortune
LIEPP Laboratoire interdisciplinaire
d'évaluation des politiques publiques
OCDE Organisation de coopération et de
développement économiques
OFCE Observatoire français des conjonctures
économiques
ONPES Observatoire national de la
pauvreté et de l'exclusion sociale
ONU Organisation des Nation unies
PACS Pacte civil de solidarité
PAJE Prestation d'accueil, des jeunes enfants
PIB Produit intérieur brut
PLFSS Projet de loi de financement de la sécurité
sociale
PPE Prime pour l'emploi
PUF Presses universitaires de France
RGS Rapport global sectoriel
RMI Revenu minimum d'insertion
RSA Revenu de solidarité active
SMIC Salaire minimum interprofessionnel de croissance
UNEDIC Union nationale interprofessionnelle pour
l'emploi dans l'industrie
et le commerce
VRP Voyageur représentant placier
WFTC Working family tax
credit
VII
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Les effets des dispositifs
d'impôt négatifs ... ...... 11
Tableau 2 : Répartition des personnes
pauvres selon leur activité... ....13
Tableau 3 : Composition des actifs pauvres selon
le statut d'emploi
dominant dans l'année 2004... ... ... ......
.....14
Tableau 4 : Décomposition des instruments
de soutien aux bas
revenus en 2001... ... ...... ...... ...16
Tableau 5 : Évolution du montant total de
la PPE et du nombre de ses
bénéficiaires depuis sa création 29
Tableau 6 : Législations successives de
la PPE : nombre de ménages
bénéficiaires et montants alloués... ...
...... .....31
Tableau 7 : Contribution des différents
transferts à la réduction
des inégalités de niveau de vie en 2011...... ...
... 43
Tableau 8 : Effet de la PPE sur l'emploi des
femmes (en milliers)...... ...49
VIII
LISTE DES GRAPHIQUES
Graphique 1 : Répartition par statut des
personnes pauvres ... 14
Graphique 2 : Personnes salariées en
emploi qui souhaitent effectuer un nombre d'heures plus important et qui sont
disponibles
pour cela selon la situation familiale et le temps de travail
60
IX
LISTE DES SCHEMAS
Schéma 1 : Un impôt négatif
lié au revenu d'activité... ... 11
Schéma 2 : Récapitulatif des
différents concepts de revenu et
contour du champ de la redistribution ... ... ..........41
X
LISTE DES ENCADRES
Encadré 1 : Conditions
d'éligibilité à la prime pour l'emploi au titre
des revenusde2001 ... ... ... ...
|
..........12
|
Encadré 2 : Les instruments de soutien
des bas taux de salaires... ...
|
.....15
|
Encadré 3 : Le Working Families Tax
Credit (WFTC)... ... ...
|
....21
|
Encadré 4 : L'Earned Income Tax
Credit (EITC)... ... ......
|
...21
|
Encadré 5: Quelques remarques à
mi-chemin entre redistribution et
incitation à l'emploi ... ... ...
|
.............24
|
Encadré 6 : Les réformes
successives de la PPE... ... ...... 32
Encadré 7 : Quelques chiffres sur la
PPE... ... ... ...... .....35
XI
LISTE DES ANNEXES
Annexe 1 : Description du modèle de micro
simulation Ines ... 87
Annexe 2 : Schéma de présentation
du modèle Ines... ... ... ....88
Annexe 3 : Brève description du
modèle de micro-simulation
MYRIADE... ... ... ...... ... ..........89
Annexe 4 : Récapitulatif de l'évolution
du barème de la PPE depuis
sa création... ...... ... ... ......... .....90
Annexe 5 : Comment se calcule la PPE d'un foyer
fiscal ... ... 91
Annexe 6 : Enquête PPE Pôle-Emploi
Saint-Chamond (Loire)... ... ... 92
Annexe 7 : Enquête PPE Viadeo (base
contacts) 93
Annexe 8 : Enquête PPE LinkedIn (base
contacts) 94
1
INTRODUCTION GENERALE
Le cadre général du sujet est celui des
politiques publiques sociales. Il concerne la redistribution des revenus, en
aide aux bas salaires1, la fiscalité, en réduction des
inégalités, et l'incitation à l'emploi (reprise et/ou
maintien de l'activité professionnelle) (Direction de l'information
légale et administrative, 2015). « À la fin des
années 1990 émerge en France un débat important sur les
thèmes de l'incitation au travail des titulaires de minima sociaux et de
la pauvreté de certains travailleurs. Ce débat conduit notamment
en 1998 au renforcement du mécanisme d'intéressement des minima
sociaux (RMI, API)2. Plus largement, une réflexion s'engage
sur l'opportunité d'instaurer, comme en Grande-Bretagne ou aux
États-Unis, un dispositif à la fois destiné à
encourager l'emploi et à réduire la pauvreté des
travailleurs. Une Prime pour l'emploi (PPE) est finalement créée
en 2001, « afin d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de
l'activité »3 en complétant les revenus des
travailleurs faiblement rémunérés. Depuis sa
création, la Prime pour l'emploi a été
réformée et revalorisée à plusieurs reprises,
traduisant la volonté des gouvernements successifs de soutenir le revenu
des travailleurs modestes autrement que par les revenus du travail »
(Bonnefoy et al., 2009 : p. 87). A la même époque,
les réformes des aides au logement et de la taxe d'habitation, avec
l'arrivée de la Prime pour l'emploi, ont eu à la fois des
objectifs d'incitation et de redistribution, à un moment où la
diminution de l'impôt sur le revenu conduisait à rechercher des
compensations pour les ménages à revenus modestes ou moyens
(Elbaum, 2007).
Sur le principe, « la Prime pour l'emploi est
un dispositif, mis en place en 2001, prenant la forme d'un crédit
d'impôt, sur le modèle du Earned Income Tax Credit
américain et du Working Family Tax Credit britannique »
(Elbaum, 2011 : p. 331). « La Prime
pour l'emploi (PPE) est une aide au retour à l'emploi et au maintien de
l'activité professionnelle. Elle est attribuée aux personnes
exerçant une activité professionnelle salariée ou non
salariée sous conditions de ressources. Son montant est calculé
en pourcentage du revenu d'activité. Elle est déduite de
l'impôt sur le revenu à payer ou versée directement au
bénéficiaire s'il n'est pas imposable. Pour percevoir la PPE, il
suffit de remplir les rubriques concernant cette aide sur la déclaration
d'impôts ». (Ministère du Travail, de l'Emploi,
de la Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015). La Prime est
croissante jusqu'au SMIC, puis décroissante ensuite (Hagneré,
Trannoy, 2001).
En pratique, « la Prime pour l'emploi (PPE)
est attribuée aux foyers fiscaux dont l'un des membres au moins exerce
une activité professionnelle et dont les revenus ne dépassent pas
certaines limites. Il s'agit d'un crédit d'impôt : le montant de
la PPE est, selon le cas, automatiquement déduit de l'impôt sur le
revenu à payer, ou versé par chèque ou virement du
Trésor public » (
Service-public.fr, 2015). La PPE
est « individuelle » car son calcul porte sur le montant du salaire
individuel et le droit est conditionné à une activité
1 « Par convention, les bas salaires sont les
salaires inférieurs aux deux tiers du salaire médian de
l'ensemble de la population » (Institut national de
la statistique et des études économiques (INSEE), 2015).
2 Revenu minimum d'insertion (RMI) et Allocation parent
isolé (API).
3 Extrait de l'exposé des motifs de la loi du 30 mai
2001.
2
minimale individuelle, mais la condition de ressources repose
elle sur les revenus globaux du ménage (Périvier, 2003).
« Selon la définition classique qu'en donne
Jean-Claude Thoenig4 ("L'analyse des politiques publiques"
in Traité de science politique sous la direction de Leca et Grawitz,
1985), une politique publique est un programme d'action propre à une ou
plusieurs autorités publiques ou gouvernementales. Les politiques
publiques sont donc des outils et des moyens mis en oeuvre par les pouvoirs
publics pour atteindre des objectifs dans un domaine particulier de la
société. Elles recouvrent un vaste champ d'intervention possible
» (Le Politiste, 2012).
L'intérêt du sujet est représenté
par la singularité du dispositif de la PPE. Elle est
considérée comme « une innovation très importante
dans le paysage socio-fiscal » (Courtioux, Le Minez, 2004 : p. 617).
En effet, la Prime pour l'emploi est vertueuse au-delà de ses objectifs
premiers5. A ce titre, elle permet par exemple de créer un
écart entre revenu du travail et revenus d'inactivité, de contrer
les « trappes à inactivité »6 et les «
trappes à pauvreté », d'être une mesure à effet
global (système socio-fiscal), d'être une mesure contra cyclique,
venant en amortisseur de chocs exogènes (la crise de 2008, par exemple),
ou encore d'éviter « l'effet Matthieu »7
(consistant à donner davantage à ceux qui ont déjà
: c'est-à-dire accorder des avantages sociaux plus élevés
aux classes moyennes qu'aux classes pauvres) (Elbaum, 2011).
La Prime pour l'emploi est-elle en accord avec le principe de
justice sociale ? (aspect sociologique : primer des actifs au travail quand
plus de 3 500 000 actifs sans emploi étaient inscrits en
catégorie A sur les listes de Pôle-Emploi à fin avril 2015
? (Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle,
et du Dialogue social, 2015 - 2). Le dispositif de la PPE suscite de nombreuses
interrogations. Par exemple, la Prime pour l'emploi ne devrait-elle pas porter
un autre nom ? Quelle est sa principale fonction aujourd'hui ? Pour quelles
raisons cette mesure est-elle appelée si souvent à être
réformée ? La Prime pour l'emploi n'est-elle pas victime de sa
fonction multiple ?
Modifiée régulièrement depuis sa
création en 2001, la PPE est d'ailleurs à nouveau appelée
à être réformée en 2016. L'intérêt du
sujet est donc également représenté par son
actualité.
4 Jean-Claude Thoenig est un sociologue d'origine
suisse, il est directeur de recherche au Centre national de la recherche
scientifique (CNRS).
5 « Donner un supplément de revenu aux
personnes qui occupent un emploi faiblement rémunéré, afin
d'inciter à la reprise d'emploi » (Elbaum, 2011 : p. 330),
« abonder les revenus des ménages comportant des
salariés faiblement rémunérés » (Elbaum,
2011 : p. 331).
6 « On parle de «
trappe à inactivité » pour décrire une situation
où la reprise d'un emploi faiblement rémunéré par
un allocataire de minimum social conduit à une stagnation, voire une
baisse du niveau de vie, de telle sorte que celui-ci pourrait «
préférer » demeurer dans le dispositif d'assistance
» (Sénat, 2015). « Désigne les incitations
éventuelles qui encourageraient une personne à demeurer inactive
(cas des allocataires de minima sociaux ou des dispensés de recherche
d'emploi) ou ne pas accepter de reprendre un emploi alors qu'elle est au
chômage, en raison de la perte des avantages sociaux auxquels elle
devrait alors renoncer » (Alternatives économique, 2015).
7 En référence à la formule de l'Evangile
selon Matthieu : « A celui qui a, il sera beaucoup donné et il
vivra dans l'abondance... ».
3
Ce dispositif a toujours suscité de riches
interrogations : il existe en effet une multitude de questions autour de la
PPE, provenant de nombreux auteurs.
Les principales questions retenues sont : la Prime pour
l'emploi a-t-elle un impact redistributif, stimule-t-elle l'emploi
(Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment l'emploi des femmes (Cahuc, 2002),
est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001), est-elle
compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013), peut-elle
poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond, Sterdyniak, 2001) ?
Enfin, quelles sont les perspectives d'avenir pour la Prime pour l'emploi
(Sirugue, 2013) ?
Les propositions et préconisations des auteurs sont
également nombreuses (thèses en présence). Il peut
être cité, à titre d'exemple, des propositions alternatives
à la PPE comme la ristourne de Contribution sociale
généralisée et de Contribution au remboursement de la
dette sociale (CSG/CRDS) (votée à l'automne 2000 mais
censurée par le Conseil constitutionnel) ou l'Allocation compensatrice
de revenu (ACR), proposition formulée par Roger Godino8 en
1999 (Arnaud et al., 2008 ) ; une faveur en direction d'aides
puissantes mais limitées dans le temps, au moment où des efforts
sont demandés aux familles, soit à l'occasion du retour à
l'emploi, d'une mobilité géographique ou d'un changement de
métier (Brongniart, 2006) ; une volonté de réforme des
règles de revalorisation du salaire minimum, des minima sociaux et des
prestations liées à l'activité (unifier les minima sociaux
et les prestations liées à l'activité, en
améliorant leur lisibilité et l'activation des dépenses,
et ouvrir les minima sociaux et ces prestations à tous les adultes
dès 18 ans), un allégement des cotisations sociales et des minima
salariaux de branche (Cahuc et al., 2008) ; une
volonté de simplifier de façon importante l'ensemble des
prestations sociales, en fusionnant le Revenu de solidarité active
« activité » (RSA activité) et la Prime pour l'emploi
(Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), 2013) ; et enfin les douze propositions du rapport
Sirugue, rapport précurseur de la réforme à venir,
fusionnant en 2016 le RSA activité et la PPE, et créant ainsi la
Prime d'activité) (Sirugue, 2013).
En position de neutralité face aux thèses en
présence, une réponse sera apportée aux questions
centrales retenues. Ces réponses s'articuleront autour d'une
reformulation simplifiée du questionnement : pourquoi la Prime pour
l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives
d'avenir ?
Le sujet sera traité à l'aune de la pertinence,
de l'efficacité, et de l'efficience du dispositif de la Prime pour
l'emploi (problématique).
La PPE, dispositif appliqué en France, sera
comparé aux Earned Income Tax Credit (EITC) américain et
au Working Family Tax Credit (WFTC) britannique, afin d'établir
les similitudes et différences, et d'essayer d'identifier les raisons de
l'échec relatif du dispositif français. L'analyse couvrira toute
la période d'application de la PPE, de 2001 à
8 Roger Godino a notamment été
conseiller du Premier ministre Michel Rocard.
4
aujourd'hui, et abordera spécifiquement chacune
des réformes et revalorisations appliquées au modèle
originel. La réforme majeure de la PPE prévue pour 2016 (nouvelle
Prime d'activité venant remplacer la Prime pour l'emploi), ne sera
abordée qu'en prolongement avec l'actuel dispositif afin d'en
dégager les grandes orientations politiques et stratégiques. Le
sujet de la Prime d'activité ne sera volontairement pas abordé
dans le détail. Enfin, la difficile gestion administrative de la PPE,
ayant été confrontée à des difficultés
d'adaptation à des situations familiales ou professionnelles de plus en
plus mouvantes (Elbaum, 2007), sera de la même façon
volontairement mise de côté dans l'analyse générale
du dispositif étudié.
Dans un premier temps, la genèse de la Prime
pour l'emploi sera présentée : le
problème social à résoudre, les acteurs de
l'époque, le contexte politique. A la suite, un
historique sera fait des réformes et revalorisations
opérées.
Dans un deuxième temps, le dispositif sera
présenté sous sa forme actuelle, en mettant en évidence
ses points forts et ses points faibles, du point de vue de sa pertinence, de
son efficacité, et de son efficience (problématique et questions
de Sirugue en 2013). Il sera distinctement vérifié si les deux
objectifs de la PPE sont atteints : l'impact redistributif et
la stimulation de l'emploi (l'emploi des femmes en particulier) (questions
respectives de Pisani-Ferry en 2003 et de Cahuc en 2002). Il sera
également vérifié si ces deux «
missions » sont en mesure de cohabiter :
est-ce qu'un dispositif peut poursuivre deux objectifs distincts
? (question de Dupond, Sterdyniak en 2001 ;
Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005
; Cour des comptes, 2011).
Enfin, une toile de fond permettra d'observer la PPE
sous l'angle de la justice sociale (question de Dupond, Sterdyniak en 2001). Il
sera question de vérifier si la PPE créé et/ou gomme des
inégalités sociales. Il sera également question de savoir
si elle apporte une aide adaptée et équitable aux travailleurs,
particulièrement aux femmes en situation d'emploi. Enfin, le dispositif
sera abordé, tant sur le plan pécuniaire que sur celui des
capabilités, selon la grille d'analyse proposée par
Amartya Sen (Sen, 2003), afin de dépasser l'approche seulement
monétaire des situations de pauvreté laborieuse. Lors de la
conclusion, l'avenir du dispositif sera évoqué (question de
Sirugue en 2013).
Le matériau empirique utilisé dans
l'analyse, en argumentation et outil de démonstration, sera tiré
des travaux existant sur la PPE depuis sa création. En effet, le sujet
dispose d'une complétude bibliographique permettant de traiter la
problématique et d'apporter ainsi réponse à la question
centrale. Cependant, deux enquêtes « terrain
» viendront compléter ce matériau
: l'une, réalisée au sein de l'agence
Pôle-Emploi de Saint-Chamond (Loire) en questionnement des demandeurs
d'emploi présents sur la connaissance qu'ils ont du dispositif de la PPE
(enquête de notoriété), et l'autre, de même nature,
réalisée via les réseaux sociaux professionnels
Linkedin et Viadeo (Network) sur une cible de cadres en activité
(catégorie de personnes non concernée par le dispositif du fait
de leur niveau de revenus). Enfin, deux exemples, l'un américain
et
5
l'autre britannique9, seront utilisés
à titre de comparatif dans l'analyse des impacts de la PPE. En effet,
ces outils suivent le même objectif et sont de même nature que le
dispositif français (crédit d'impôt).
Les cadres théoriques utilisés en
démonstration des critères de pertinence, d'efficacité, et
d'efficience, seront les grilles d'analyse de Charles O. Jones (analyse
séquentielle des politiques publiques) (Jones, 1970), et de Pierre
Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) (Jobert, Muller, 1987 ;
Muller 2000, 2013 ; Muller, Surel, 2000). Le cadre théorique
utilisé en démonstration du critère de justice sociale
sera la grille d'analyse d'Amartya Sen (Approche par les
capabilités) (Sen, 2003).
La spécificité de l'analyse
présentée, en réponse à la question principale,
réside dans une approche non monétaire des problèmes que
le dispositif est sensé résoudre, notamment du point de vue des
principes de justice sociale10 (Sen, 2003). Elle réside
aussi, dans une projection, rendue possible par la réforme
annoncée en 2016 (transformation de la Prime pour l'emploi en Prime
d'activité), permettant d'envisager l'analyse du dispositif du point de
vue de sa transversalité temporelle (passé - présent -
futur), et de vérifier, à la lumière de sa trajectoire, si
le dispositif prend la direction d'un solutionnement offrant plus de
pertinence, d'efficace, et d'efficience.
Le sujet sera traité à l'aide d'un plan en deux
parties. Une première partie présentera le dispositif de la PPE
(chapitre I) : sa genèse, le problème et le besoin social, le
contexte de l'époque, les exemples étrangers, la réponse
apportée, l'évolution du dispositif dans le temps selon ses
différentes réformes et revalorisations.
Une deuxième partie (chapitre II) traitera de
l'actualité du dispositif : son impact en redistribution des revenus
(réduction des inégalités et aide aux bas salaires), son
impact en stimulation de l'emploi, l'analyse du dispositif actuel à
l'aide des cadres théoriques (analyse séquentielle et cognitive :
du besoin social au dispositif, du problème social au rôle des
acteurs, l'approche par les référentiels). La PPE sera
abordée sous l'angle de la justice sociale (réduction ou
création d'inégalités), notamment par une approche non
monétaire (Sen, 2003). La conclusion générale permettra
l'ouverture du sujet vers l'avenir du dispositif : la Prime d'activité
à horizon 2016.
9 L'Earned Income Tax Credit américain (EITC), et
le Working Families Tax Credit britanique (WFTC)
10 Selon l'Organisation des Nations unies (ONU),
« La justice sociale est fondée sur
l'égalité des droits pour tous les peuples et la
possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de
bénéficier du progrès économique et social partout
dans le monde. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement
à augmenter les revenus et à créer des emplois. C'est
aussi une question de droits, de dignité et de liberté
d'expression pour les travailleurs et les travailleuses, ainsi que d'autonomie
économique, sociale et politique » (ONU, 2015).
6
CHAPITRE I - Présentation du dispositif de la
Prime pour l'emploi (PPE)
L'objet du premier chapitre est de présenter le
dispositif de la PPE. L'objectif est de comprendre cet outil de politique
publique en partant de sa genèse : le besoin social du début des
années 2000 (dans un contexte d'interpénétration
croissante de l'assistance et de l'emploi précaire) (Martin, Paugam,
2009), le contexte politique de l'époque, les exemples étrangers
à disposition (notamment britannique et américain). L'objectif
est également de comprendre les principales applications du dispositif :
la redistribution des revenus et l'incitation à l'emploi, ce dernier
exprimant un nouveau régime de mise au travail (Martin, Paugam, 2009).
Enfin, l'examen de ses évolutions (réformes et revalorisations)
est un moyen de comprendre les directions que le dispositif a pu prendre au fil
du temps.
Au-delà de l'incitation au travail et de sa
mécanique redistributive, la PPE contribue aussi à réduire
la pauvreté, les inégalités, et l'exclusion sociale.
Il peut être affirmé que «
désormais activité et pauvreté font bon ménage
» (Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p. 1).
« Selon l'Observatoire de la pauvreté,
il y avait en 2001, 3,6 millions de personnes dont le niveau de vie
était inférieur au seuil de pauvreté défini
à 50 % du niveau de vie
médian11. Un million d'entre elles
travaillaient » (Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p. 1).
En 2006, en France, il y avait 1,3 à 1,4 millions de travailleurs
pauvres à 50 % du revenu médian, et 2,4 à 2,5 millions de
travailleurs pauvres à 60 % du revenu médian (Foyer Notre Dame
des Sans Abris (FNDSA), 2008).
Quelle équation sociale permettrait de lutter contre la
pauvreté par l'activité, quand des travailleurs restent dans la
pauvreté12, quand un emploi précaire n'est plus
forcément un tremplin vers un emploi stable ? (Allègre,
Périvier, 2005 - 1)
L'étude de la PPE, tant dans sa genèse que dans
les modifications qui ont pu être apportée au dispositif originel,
permet de comprendre l'enjeu et la difficulté du combat contre la
pauvreté (laborieuse), les inégalités, l'exclusion, mais
aussi, sur un plan plus
11 « Le seuil de pauvreté
généralement utilisé en France correspond à 50 % du
revenu médian, cependant la majorité des pays européens
utilise un seuil de pauvreté correspondant à 60 % de ce revenu.
Néanmoins, les ménages dont les revenus se situent juste
au-dessus de ces seuils, définis arbitrairement, ne sont pas riches pour
autant. Nous parlons donc de pauvreté au sens statistique »
(Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p. 1).
12 « La définition généralement
retenue du travailleur pauvre est celle d'un individu qui a un emploi, mais
dont les revenus du foyer auquel il appartient ne dépassent pas le seuil
de pauvreté. Selon cette définition, un travailleur à bas
salaire n'est pas considéré comme pauvre s'il appartient à
un ménage dont les revenus sont supérieurs à ce seuil
» (Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p. 2).
7
technique, contre les trappes à inactivité
pouvant être créées par le système
socio-fiscal13, ou tout simplement par des aspects pratiques de la
vie14 (Périvier, 2003 ; Portail des Sciences Economiques et
Sociales, 2008).
A - La Genèse du dispositif
« À la fin des
années 1990 émerge en France un débat important sur les
thèmes de l'incitation au travail des titulaires de minima sociaux et de
la pauvreté de certains travailleurs. Ce débat conduit notamment
en 1998 au renforcement du mécanisme d'intéressement des minima
sociaux (RMI, API). Plus largement, une réflexion s'engage sur
l'opportunité d'instaurer, comme en Grande-Bretagne ou aux
États-Unis15, un dispositif à la fois destiné
à encourager l'emploi et à réduire la pauvreté des
travailleurs. Une Prime pour l'emploi (PPE) est finalement créée
en 2001, « afin d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de
l'activité16 » en complétant les revenus des
travailleurs faiblement rémunérés » (Bonnefoy et
al., 2009 : p. 87). Sa création s'est inscrite en 2001 dans un
ensemble de réformes portant tant sur l'allocation-logement, que sur la
taxe d'habitation ou l'impôt sur le revenu (Stancanelli, Sterdyniak,
2004).
Plus dans le détail, une réflexion avait
été conduite afin de mettre en évidence certains des
effets pervers du système français de prélèvements
et de transferts, en particulier l'existence de «trappes à
inactivité17 », c'est-à-dire de
situations dans lesquelles l'emploi est, d'un point de vue strictement
financier, moins attractif que le non emploi, en raison notamment du niveau
très élevé des taux marginaux de prélèvement
effectif en bas de l'échelle des revenus18. De plus,
« l'idée qu'il existerait des « trappes à
inactivité » se
13 Ce phénomène pouvait d'ailleurs
être aggravé également par la perte au niveau local d'un
ensemble de prestations sociales (aides au transport, prise en charge de
factures d'eau ou d'électricité, etc.) à la reprise d'un
emploi comme l'ont montré les travaux d'Anne et L'Horty en 2002.
14 « Les allocataires de minima sociaux ne seraient
pas incités financièrement à prendre un emploi : les
revenus issus de l'activité, diminués des coûts qu'elle
engendre (transport, habillement, frais de garde des enfants...) seraient
insuffisants pour rendre l'emploi attractif au regard du niveau des transferts
sociaux (financiers et en nature) dont disposent les individus lorsqu'ils ne
travaillent pas » (Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p.
1).
15 L'utilisation à cette fin de la fiscalité, et
plus précisément du crédit d'impôt, n'est pas
nouvelle. Les États-Unis ont développé massivement,
à partir du milieu des années 1990, l'Earned Income Tax
Credit (EITC) dans cette optique d'incitation à l'emploi. De
même, à la fin des années 1990, le Royaume-Uni a suivi
cette voie avec le Working Family Tax Credit, (WFTC) (Périvier,
2003).
16 Code général des impôts (CGI),
article 200 sexies.
17 Déjà largement évoquées en 1999,
trois ans avant le lancement de la PPE (Laroque, Salanié, 1999).
18 Une enquête de mars 1997 identifie trois groupes de
chômeurs : le non-emploi volontaire (57 % du panel), le non-emploi
classique (20 % du panel), et 23 % de « chômage réel ».
Le premier groupe est intéressant car il englobe des personnes qui n'ont
pas intérêt à travailler du fait d'un jeu complexe de
prélèvements sociaux et de transferts sociaux (Laroque,
Salanié, 2000). « Le trop faible écart entre les plus
bas salaires et les minima sociaux créeraient des «trappes à
inactivité », des désincitations au travail »
(Palier, 2008 : p 164). « Aujourd'hui, les personnes qui retrouvent un
emploi à temps partiel peu qualifié subissent un taux
d'imposition de leur revenu parfois supérieur à 100 %. Ainsi, un
allocataire du RMI qui retrouve un emploi à mi-temps payé sur la
base du Smic ne gagne en réalité que 260 francs de plus par mois,
voire moins, compte tenu de la perte de certaines allocations qu'entraîne
la reprise d'activité. En améliorant la
rémunération nette du travail, le crédit d'impôt
vise à corriger cette distorsion » (Raulin, 2001 - 2),
(lecture : Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC)).
8
trouve accréditée par le nombre
croissant de personnes qui bénéficient des mesures
d'intéressement permettant de cumuler prestations et salaires
» (Palier, 2008 : p. 165). Pour pallier à ces défauts,
plusieurs réformes de la législation sociale et fiscale ont
été mises en oeuvre dès 1998, concernant notamment les
aides au logement, les dégrèvements de taxe d'habitation, le
barème de l'impôt sur le revenu pour les contribuables modestes,
et la possibilité de cumuler temporairement un minimum social et des
revenus d'activité. La création de la Prime pour l'emploi a en
fait représenté une étape supplémentaire dans cette
démarche globale de correction des trappes à inactivité
(Cour des comptes, 2006 ; Portail des Sciences Economiques et Sociales,
2008).
Il n'était pas dans les intentions
premières du Gouvernement de rattacher ce dispositif à
l'impôt sur le revenu. Au début, la Prime pour l'emploi devait
prendre la forme d'une réduction de Contribution sociale
généralisée (CSG) et de Contribution au remboursement de
la dette sociale (CRDS) accordées aux personnes disposant de revenus
d'activité, salariée ou non salariée, d'un montant
inférieur à un plafond correspondant à 1,4 salaire minimum
interprofessionnel de croissance (SMIC). Le Conseil constitutionnel avait
censuré ce mécanisme de « ristourne dégressive »
de CSG et de CRDS, prévu par le projet de loi de financement de la
sécurité sociale (PLFSS) pour 2001, car il n'était pas
conforme au principe d'égalité des contribuables devant
l'impôt. La solution retenue - en urgence - a consisté à le
convertir en un droit à récupération fiscale sur
l'Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) (Cour des comptes,
2006) représentant une prime liée à l'exercice d'une
activité professionnelle (51 heures minimum par mois sur la base d'une
rémunération au SMIC) (Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la
Cohésion Sociale, 2001 ; Hagneré, Trannoy, 2001). Il peut
être également souligné que la PPE, étant à
la fois une mesure sociale et fiscale, était tributaire d'un mode de
décision publique réduit 19 (Doligé,
2008).
« Le dispositif poursuit simultanément
deux objectifs : encourager l'exercice d'une activité professionnelle et
redistribuer du pouvoir d'achat aux travailleurs à bas revenus
» (Cour des comptes, 2006 : p. 284). La PPE consiste en une
allocation dégressive dont le taux plein, pour les inactifs,
décroît au fur-et-à-mesure que les revenus de l'individu
augmentent : on doit à l'économiste néo-classique Milton
Friedmann20 les origines de ce mécanisme. Pour que le
mécanisme de la PPE soit incitatif, le taux de baisse du crédit
d'impôt est moins élevé que celui de la hausse des revenus,
ce qui va dans le sens de
19 « Dans ce cas, il s'agissait des
scènes politico-administratives que sont le commissariat
général au Plan (CGP), le Conseil d'analyse économique
(CAE) ou le cabinet du Premier ministre » (Colomb, 2012-1 : p.
33).
20 Milton Friedman est un économiste
américain né le 31 juillet 1912 à New York et mort le 16
novembre 2006 à San Francisco, considéré comme l'un des
économistes les plus influents du XX?
siècle.
9
l'unique article de la loi du 30 mai 200121 : la
poursuite de l'objectif d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de
l'activité (Colomb, 2012 - 1).
« L'histoire des politiques de l'emploi se
caractérise par une tendance cognitive majeure : par couches successives
se sont rajoutés des instruments aux fondements normatifs pluriels et
contradictoires. Entre la genèse en 1963 de la catégorie «
politiques de l'emploi » avec le Fonds national de l'emploi et la
réduction permanente des cotisations sociales sur les bas salaires en
1993, en passant par la mise en place massive de contrats aidés au cours
des années 1980, se sont succédés des programmes
défendant chacun une définition spécifique des politiques
de l'emploi. Au-delà de cette diversité, se dessine une tendance
significative : les acteurs à l'origine des politiques de l'emploi
valorisent - avec des nuances - le retour à l'emploi salarié et
défendent l'absence de responsabilité des chômeurs dans
leur situation. Ils considèrent que le marché du travail doit
être régulé de manière distincte des autres
marchés. C'est en ce sens que la PPE marque une rupture cognitive. Plus
que l'ajout d'une nouvelle couche aux dispositifs en vigueur à la fin
des années 1990 (réduction du temps de travail, contrats emploi
jeunes, exonération de cotisations sociales), ce mécanisme
signifie une contestation des anciennes logiques donnant lieu à une
remise en cause des principes fondamentaux sur lesquels reposaient les
politiques de l'emploi depuis plus de quarante ans »
(Colomb 2012 - 1 : p. 32).
Le processus de construction de la Prime pour l'emploi
à la fin des années 199022, par la création
d'un crédit d'impôt, est significatif d'un tournant cognitif au
sein des politiques de l'emploi. L'arrivée de nouveaux profils d'acteurs
décisifs au sein de ce secteur a conduit à l'époque
à favoriser une orientation libérale, d'autant plus qu'une
série de rapports administratifs et de productions d'experts a
donné du crédit scientifique et politique à une mesure en
contradiction avec les orientations socialistes du moment. Ce processus a
produit une définition originale des politiques de l'emploi : le
chômeur est compris comme responsable de sa situation, et l'emploi est
plutôt conçu comme une activité que comme un statut. Ce
tournant majeur signe l'arrivée de la thématique du
«making work pay23 » : les incitations
financières ont, d'une part, acquis une place
21 La loi du 30 mai 2008 précise : «
Afin d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de
l'activité, il est institué un droit à
récupération fiscale, dénommé Prime pour l'emploi,
au profit des personnes physiques domiciliées en France »
(Arnaud et al., 2008).
22 Les années 1990 ont donné lieu à un
« tournant néolibéral » dans les politiques publiques
(Jobert, 1994).
23 L'expression est traduite par « valoriser le travail
». Sa logique peut être décomposée en trois temps :
-le chômage est dû non pas à un manque d'emploi mais aux
comportements de ceux qui le proposent ; -de ce fait, il faut corriger leur
comportement en envoyant des signaux mettant l'accent sur le gain financier au
retour à l'emploi ;
-les signaux doivent être lisibles et donc
pérennes pour être efficaces. Le « Making work pay »
peut être mis en place en passant par une pluralité
d'instruments, tels que la baisse des allocations chômage, des avantages
en nature ou l'augmentation des salaires. Ces outils sont
présidés par une même représentation de l'individu :
le chômeur peut arbitrer en fonction de ses gains potentiels.
L'efficacité de cette série causale de
propositions repose sur le couple simplicité/ pérennité du
dispositif. Sans ces caractéristiques, les « anticipations des
agents » ne peuvent se faire que de manière biaisée (Colomb,
2012-1).
10
prépondérante dans l'orientation des politiques
de l'emploi en France et ont, d'autre part, produit une nouvelle
compréhension de ces politiques (Colomb, 2012 - 1).
En conclusion, et en expression des référentiels
de l'époque, l'emploi est désormais considéré comme
une activité et non comme un statut, et le chômeur est
perçu comme étant responsable de sa situation. La création
de la PPE, découlant de ces nouvelles considérations,
représente davantage que la création d'un nouvel instrument,
puisque on y observe une véritable rupture cognitive, remettant en cause
le coeur des politiques de l'emploi menées depuis plus de 40 ans en
France (Colomb, 2012 - 1). Elle a été votée et
appliquée en 200124, faisant obstacle aux propositions
alternatives telle que la ristourne de CSG/CRDS (votée à
l'automne 2000 mais censurée par le Conseil constitutionnel) ou
l'Allocation compensatrice de revenu (ACR), proposition alternative
formulée par Roger Godino en 199925 (Arnaud et al.,
2008 ).
« La prime se classe dans la catégorie
des instruments visant à majorer le taux de salaire net sans
accroître le coût salarial ; son montant est d'autant plus
élevé que l'emploi est à temps plein et payé au
voisinage du SMIC. En cela, la Prime pour l'emploi ne diffère pas
fondamentalement de la ristourne de CSG et de CRDS. Elle ne cherche pas, en
revanche, à compenser l'insuffisance de revenu liée à des
faibles durées de travail annuel. La présentation qui en est
faite par le gouvernement insiste d'ailleurs sur ce point, en soulignant le
fait que la troncature à 0,3 SMIC, introduite dans la prime (et qui
n'existait pas pour la CSG), vise à favoriser les sorties de situations
d'activité réduite et à ne pas inciter au temps
très partiel » (Conseil de l'Emploi, des
Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001 : p. 88). La PPE fonctionne par
le biais d'un crédit d'impôt, un impôt négatif
lié au revenu d'activité tel que le représente le
schéma 1 et le tableau 1.
24 Loi du 30 mai 2001.
25 « Le principe d'une prestation
dégressive a été proposé dès la fin des
années quatre-vingt-dix par Godino (1999). Il lui a alors
été préféré la mise en place d'une
prestation positivement liée au revenu d'activité : la Prime pour
l'emploi (PPE). Cette logique dégressive est celle du Revenu de
solidarité active (RSA) » (Cahuc et al.,
2008 : p.59).
11
Schéma 1 : Un impôt
négatif lié au revenu d'activité
Source : Cahuc et al., 2008 : p. 62.
Tableau 1 : Les effets des dispositifs
d'impôt négatifs
Source : Cahuc et al., 2008 : p.
62.
« Moins souvent mis en avant que l'objectif
incitatif - comme l'atteste d'ailleurs la dénomination de la Prime pour
l'emploi - l'objectif redistributif de la PPE n'en est pas moins central »
(Cour des comptes, 2006 : p. 285). L'aspect
redistributif du dispositif PPE vise à redistribuer les revenus afin de
contribuer à la réduction des inégalités, d'aider
les bas salaires, et de lutter contre la pauvreté et la
précarité26 (par opposition à son aspect
incitatif qui lui vise la pauvreté laborieuse, les trappes à
inactivité, et l'exclusion sociale qui peut découler du choix de
ne pas travailler).
26 « La précarité est l'absence
d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi,
permettant aux personnes et familles d'assumer leurs obligations
professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits
fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être
plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins
graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté,
quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient
persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses
responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même,
dans un avenir prévisible » (Wresinski, 1987
: p. 6).
12
Encadré 1 :
Conditions d'éligibilité à la
Prime pour l'emploi au titre des revenus de 2001
La Prime pour l'emploi ne s'adresse qu'aux foyers
fiscaux dont le revenu est inférieur à un plafond variable, en
fonction de la composition du foyer, et dans lesquels une personne au moins a
exercé une activité au cours de l'année civile (annexe 5).
La PPE est attribuée à chaque personne du foyer fiscal qui
remplit les conditions suivantes pour le revenu d'activité et le revenu
de référence du foyer. Eligibilité individuelle et
condition d'activité professionnelle : exercice d'une
activité professionnelle dans l'année de
référence.
Le revenu annuel d'activité professionnelle
doit être au-dessus de 0,3 fois le SMIC annuel (3 186 euros pour 2001).
Par ailleurs, le revenu d'activité, calculé en équivalent
temps plein sur l'année, doit être inférieur à 1,4
fois le SMIC annuel (14 872 euros pour 2001). Ainsi, un célibataire
ayant travaillé 6 mois pour un salaire égal à 2 fois le
SMIC (ayant donc un revenu total annuel inférieur à 1,4 fois le
SMIC annuel, mais un salaire en équivalent temps plein égal
à 2 fois le Smic) ne pourra pas être destinataire de la PPE. Cette
limite supérieure est portée à 2,13 fois le SMIC (soit 22
654 euros en 2001) pour les couples mono-actifs et les personnes isolées
assumant seules la charge d'un ou plusieurs enfants.
L'éligibilité se fait au niveau du foyer fiscal et le revenu
fiscal de référence du foyer doit se situer en dessous d'un seuil
de 11 772 euros pour les personnes seules, et de 23 185 euros pour les deux
parts des couples soumis à une imposition commune (avec une majoration
de 3 253 euros pour chaque personne à charge) (Arnaud et al.,
2008 ; Conseil de l'emploi, des revenus, et de la
cohésion sociale, 2006 ; La finance pour
tous.com, 2009
).
L'ensemble de ces aspects demandent à être
abordés plus en détail. a - Pauvreté
laborieuse, trappes à inactivité, et exclusion
sociale
La pauvreté laborieuse est présente en
France, touchant tant les salariés que les travailleurs
indépendants (notamment les agriculteurs). En 2008, on
comptait
1,5 millions de travailleurs pauvres (Hirsch, 2008).
Il existe de plus des situations familiales susceptibles d'améliorer ou
d'aggraver la situation des travailleurs pauvres. A ce niveau,
le poids des prestations sociales dans le revenu des ménages pauvres
représente une nécessité absolue (Lagarenne, Legendre,
2000).
Les trappes à inactivité
représentent des situations dans lesquelles l'emploi, sur le plan
strictement financier, est moins attractif que le non emploi, en raison
notamment du niveau très élevé des taux marginaux de
prélèvement effectif en bas de l'échelle des revenus (Cour
des comptes, 2006 ; Margolis, Starzec, 2005).
13
Le chômage, la pauvreté laborieuse, les trappes
à inactivité, peuvent contribuer, en tout ou partie, à des
situations d'exclusion sociale et/ou de marginalisation (Foyer Notre Dame des
Sans Abris (FNDSA), 2008). Dans cette perspective, l'emploi se positionne comme
une source principale d'inclusion sociale (OCDE, 2007).
Ces sujets, qui méritent d'être abordés
plus en détail, font partie du thème général de
« la lutte contre la pauvreté, les inégalités, et
l'exclusion ». Ils seront toutefois abordés ici sous l'angle unique
de l'emploi.
1 - La pauvreté laborieuse
« L'emploi n'est pas un rempart absolu contre la
pauvreté, 33 % des personnes vivant dans des ménages pauvres (et
même 41 % si l'on se limite aux personnes de moins de 65 ans)
étaient des actifs occupés en 2004, ce qui
représentait 5 % de la population. La France se situe dans une situation
moyenne par rapport aux autres pays de l'OCDE en termes de
pauvreté au travail et par rapport à la moyenne des pays de
l'Europe... » (OCDE, 2007 :
p. 54).
La répartition des pauvres varie notamment selon leur
activité, tel que le démontre le tableau 2.
Tableau 2 - Répartition des personnes pauvres
selon leur activité Seuil de 60 % du revenu médian,
2004
Source : INSEE-DGI27,
enquête Revenus fiscaux in OCDE, 2007 : p. 55.
La répartition des pauvres varie également selon
le statut de l'emploi, tel que le démontre, pour l'année 2004
à titre d'exemple, le tableau 3.
27 Direction générale des impôts
(DGI).
Tableau 3 - Composition des actifs pauvres selon le
statut d'emploi dominant dans l'année 2004
(en pourcentage)
Source : Rapport de
l'ONPES28 (2006) in OCDE, 2007 : p. 55.
Quelle équation sociale pour lutter contre la
pauvreté grâce à l'activité ? La lutte contre la
pauvreté est-elle possible par l'emploi sans générer de
pauvreté laborieuse ? La redistribution suffit-elle à
réduire le nombre de pauvres ? (Allègre, Périvier, 2005 -
1). Comment éviter une « France des travailleurs pauvre »,
entre petits boulots, contrats à durée déterminée
(CDD), intérim, et bien souvent grande précarité (Clerc,
2008) ?
L'examen des problèmes posés par la Prime pour
l'emploi, met en lumière la question de la cible visée dans les
politiques de soutien aux bas revenus : veut-on soutenir le pouvoir d'achat des
bas salaires ou veut-on soutenir le niveau de vie des ménages des
travailleurs pauvres ? Les deux projets ne sont pas incompatibles (Conseil de
l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001). Cependant, par
construction, la PPE ne bénéficie pas aux ménages les plus
pauvres, mais aux déciles 2 à 5 de la population (Stancanelli,
Sterdyniak, 2004).
L'équation principale à résoudre, tant
face au problème de pauvreté laborieuse qu'à celui des
trappes à inactivité ou de l'exclusion sociale qu'elles
génèrent, réside dans le fait d'accroître les gains
financiers de l'emploi, et de fait accroître l'emploi. La pauvreté
gagne du terrain au fil du temps chez les actifs, tant en situation d'emploi
qu'en situation de chômage, comme le démontre le graphique 1.
14
28 Observatoire national de la pauvreté et de
l'exclusion sociale (ONPES).
15
Graphique 1 : Répartition par statut des
personnes pauvres
Lecture : les salariés
représentaient 12,6 % des personnes pauvres en 1984 et 20 % en 1995.
Champ : individus de 17 ans et plus à l'exclusion de
ceux qui appartiennent à un ménage dont la personne de
référence est étudiante.
Source : Insee, enquêtes
budget des familles in Conseil de l'emploi, des revenus et de la
cohésion sociale, 2001 : p. 57.
La PPE se positionne alors parmi les instruments de soutien
aux bas salaires, visant notamment à accroître les gains
financiers de l'emploi (sans alourdir le coût du travail). Pour lutter
avec plus d'efficacité contre la pauvreté, la PPE, le SMIC et les
allégements de cotisations sociales doivent être utilisés
de façon cohérente. A cet égard, il peut être
affirmé que la PPE représente une meilleure solution que des
hausses de SMIC combinées à de nouveaux allégements de
cotisations sociales. Le SMIC devrait progresser plus lentement que le salaire
médian ce qui réduirait le coût relatif du travail peu
qualifié et réduirait mécaniquement le poids des
allégements de cotisations sociales, qui sont proportionnels au SMIC,
dans le Produit intérieur brut (PIB). Selon ce courant de pensée,
une partie des ressources disponibles pourrait être mobilisée pour
accroître la Prime pour l'emploi et celle-ci pourrait être mieux
ciblée sur les publics les plus exposés aux « trappes
à bas salaires » et aux situations de pauvreté (OCDE,
2007).
Encadré 2 :
Les instruments de soutien des bas taux de
salaires
Dans les débats récents, on a souvent
présenté deux autres possibilités de relever les bas
salaires sans affecter le coût du travail et donc sans risque de
réduire la demande de travail peu qualifié par les entreprises
:
- l'augmentation du SMIC brut compensée par un
allègement correspondant des cotisations patronales (par exemple
jusqu'à 1,4 SMIC) ;
- le maintien du niveau du SMIC et la réduction des
prélèvements sociaux à son niveau, mesure
dégressive jusqu'à 1,4 SMIC (dont la ristourne de CSG et de
CRDS).
Ces mesures ne sont pourtant pas tout à fait
équivalentes (notamment à l'époque de la mise en place de
la réduction du temps de travail). Une augmentation du SMIC a tendance
à se diffuser sur les salaires immédiatement supérieurs,
mais l'effet s'épuise
progressivement. On a pu estimer que la diffusion
s'éteignait vers 1,4 SMIC. Selon cette hypothèse, la phase
dégressive des allègements de cotisations patronales compense
l'effet de l'augmentation du Smic et la distribution des coûts salariaux
reste inchangée. Il est alors assez indifférent d'agir sur les
cotisations patronales ou salariales, cependant, un allègement des
cotisations salariales ou des cotisations patronales donnent souvent lieu
à des perceptions et opinions variées.
A l'époque de la période de mise en oeuvre de la
réduction du temps de travail, et compte tenu du jeu de la garantie
mensuelle de salaires pour les salariés payés au SMIC, le
relèvement du salaire minimum aurait eu des effets particuliers
(extinction plus rapide du complément de salaire et choc salarial plus
important dans la période finale). Un relèvement du SMIC,
même s'il est compensé par un allègement de charges,
rendrait également plus difficile la reprise souhaitable de la politique
de relèvement des minima salariaux conventionnels de branche. Il est
d'autre part difficile de baisser les taux de cotisations affectant les revenus
de remplacement (retraites), même en compensant leur réduction par
un transfert budgétaire, alors même que l'équilibre
à terme des régimes de retraite n'est pas assuré. Ceci
serait un signal assez peu compréhensible ; de même, affecter les
taux de cotisations de chômage pouvait prêter lieu à
débat après les discussions ayant eu lieu autour de la nouvelle
convention UNEDIC29 de l'époque.
Pour finir, imputer la réduction à la
Contribution sociale généralisée (CSG) posait d'autres
questions relatives à la nature de ce prélèvement qui
constitue un impôt direct sur les revenus, et aussi marquait un retour en
arrière par rapport au mouvement qui avait conduit à introduire
un impôt universel pour financer partiellement la protection sociale. La
solution de la Prime pour l'emploi s'inscrit donc dans cette gamme
d'instruments, en cherchant à éviter certains de leurs
écueils (Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion
Sociale, 2001).
16
La Prime pour l'emploi fait partie des instruments de soutien
nationaux aux bas revenus, comme le démontre le tableau 4.
Tableau 4 : Décomposition des instruments de
soutien aux bas revenus en 2001
Lecture : en grisé figure le champ
couvert par les études antérieures. On entend ici par «
aides locales » des aides dont le montant est variable selon la
localisation des bénéficiaires, indépendamment de toutes
autres caractéristiques personnelles ou familiales. Electricité
de France - Gaz de France (EDF-GDF).
Source : Anne, L'Horty, 2012 : p. 50.
29 Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi
dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).
17
La Prime pour l'emploi va ainsi majorer les revenus faibles
d'activité compris entre
0,3 et 1,4 SMIC, du fait de la troncature à 0,3 SMIC
introduite dans la prime et visant à favoriser les sorties de situations
d'activité réduite et à ne pas inciter au temps
très partiel. Selon les estimations de 2001, un peu moins de 30 % de
l'ensemble des ménages bénéficiait de la Prime pour
l'emploi. Parmi les bénéficiaires, un ménage sur dix
(1/10) était dans le premier décile de niveau de vie (les 10 %
les plus faibles des niveaux de vie) et six sur dix (6/10) se
répartissaient de manière a peu près identique entre le
deuxième et le cinquième décile de niveau de vie (Conseil
de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001).
2 - Les trappes à inactivité
Les trappes à inactivité ont clairement
été mises en lumière par une enquête
réalisée en mars 1997 (Laroque, Salanié, 2000). Lors de
celle-ci, trois groupes avaient été identifiés : le
non-emploi volontaire (57 % du panel), le non-emploi classique (20 % du panel),
et 23 % de « chômage réel ». Le premier groupe
était particulièrement intéressant car il englobait des
personnes qui n'avaient pas intérêt à travailler du fait
d'un jeu complexe de prélèvements sociaux et de transferts
sociaux. L'idée est ainsi émise, dès 2000, que des
problèmes d'offre affectaient le marché de travail (alors que
jusqu'à la fin des années 1990, les politiques de l'emploi ont
essentiellement visé à stimuler la demande de travail, notamment
à travers de baisses dégressives de cotisations patronales)
(Arnaud et al., 2008).
« On parle de « trappe à
inactivité » pour décrire une situation où la reprise
d'un emploi faiblement rémunéré par un allocataire de
minimum social conduit à une stagnation, voire une baisse du niveau de
vie, de telle sorte que celui-ci pourrait « préférer »
demeurer dans le dispositif d'assistance »
(Sénat, 2015). La trappe à
inactivité « désigne les incitations
éventuelles qui encourageraient une personne à demeurer inactive
(cas des allocataires de minima sociaux ou des dispensés de recherche
d'emploi) ou ne pas accepter de reprendre un emploi alors qu'elle est au
chômage, en raison de la perte des avantages sociaux auxquels elle
devrait alors renoncer » (Alternatives économique,
2015).
Les propositions alternatives pour remédier au
problème des trappes à inactivité se sont
succédées : les mesures d'intéressement temporaire
adoptées en 1998, l'Allocation compensatrice de revenu proposée
par Godino (1999), puis la ristourne CSG (2000) et finalement la Prime pour
l'emploi en 2001(les projets de l'ACR et de la ristourne CSG n'ont jamais
été mis en oeuvre) (Arnaud et al., 2008 ; Bourgeois,
Buffeteau, 2008).
Les réformes effectivement engagées depuis 2000
pour réduire les trappes à inactivité sont la
réforme de la taxe d'habitation, la modification du barème des
aides au logement, la modification de la décote et du barème de
l'impôt sur le revenu, et la création de la Prime pour l'emploi
(Sénat, 2015-1).
18
Le caractère faiblement incitatif d'une reprise
d'emploi à mi-temps pour un allocataire de minima sociaux était
unanimement décrié avant l'instauration de la loi dite Aubry.
Celle-ci, conjuguée à d'autres mesures, dont la Prime pour
l'emploi, modifia la situation des personnes concernées.
Désormais, le revenu disponible est une fonction croissante de la
durée du travail, quel que soit l'horizon temporel adopté
(Hagneré, Trannoy, 2001).
3 - L'exclusion sociale
« La croissance économique
améliore le bien-être général mais peut laisser de
côté un ensemble de personnes qui sont confrontées à
des situations de pauvreté et, parfois, à l'exclusion sociale. En
plus des conséquences néfastes pour les personnes
concernées, la pauvreté et l'exclusion sociale sont à
l'origine d'externalités négatives, engendrant des
problèmes de criminalité» (OCDE, 2007 :
p.48).
« L'accès à l'emploi est
l'élément déterminant de l'insertion sociale. Les revenus
d'activité représentent en moyenne près de 70 % du revenu
d'un ménage. Mais, plus qu'un revenu, l'emploi intègre les
personnes dans un cadre social. Il doit donc être
préféré à une situation de non-emploi qui pourrait
fournir à la personne le même niveau de ressource mais qui ne
l'intègre pas dans la société »
(OCDE, 2007 : p. 54). De plus, « ...
l'emploi n'est pas seulement un moyen de subvenir à des besoins
matériels. Il s'accompagne d'une reconnaissance sociale
nécessaire à l'intégration dans la société
» (Périvier, 2003 : p. 285).
B - Contexte politique de l'époque et exemples
étrangers
Tant le contexte politique d'une époque, assorti de ses
acteurs, que les exemples étrangers de dispositifs proches ou
similaires, participent à la création de
référentiels. Ils sont donc à considérer afin de
situer la genèse de la PPE.
1 - Le contexte politique de l'époque
Président d'Action contre la Faim de 1999 à
2000, Roger Godino a été conseiller du premier ministre Michel
Rocard de 1988 à 1991 et intimement associé à la
création du RMI. Il avait proposé en 1997 la création
d'une Allocation compensatrice du revenu (ACR) destinée à
permettre aux individus travaillant à temps partiel de percevoir une
fraction dégressive du RMI tant que leur revenu total (activité
et fraction du RMI) n'excédait pas le revenu net d'activité d'un
salarié travaillant à temps plein au SMIC. Cette proposition a
fait l'objet de nombreux commentaires et d'études, jusqu'à ce
que, en mai 2001, le gouvernement de Lionel Jospin, dans une décision
des plus importantes de sa législature selon Piketty, lui
préfère le dispositif de la Prime pour l'emploi (Gravel,
2002).
19
« La PPE était en fait l'improvisation
accidentelle d'une année préélectorale, mais
consolidée par les gouvernements Raffarin et Villepin »
(Mongin, 2010) : « Défendue par
Martine Aubry, alors ministre de l'Emploi, l'idée d'un crédit
d'impôt prenant la forme d'un remboursement de la Contribution sociale
généralisée (CSG) a été
écartée... ... au profit de l'allègement direct de la CSG
sur les bas salaires, préconisé par Laurent Fabius. Le ministre
de l'Economie et des Finances avait un argument massue à faire valoir
auprès du Premier ministre : contrairement au crédit
d'impôt, techniquement difficile à mettre en place, les
allègements de CSG, appliqués directement sur la fiche de paie,
permettaient une hausse du pouvoir d'achat des salariés modestes
dès janvier 2001, donc juste avant les municipales. Va donc pour
l'allègement de CSG. Et puis patatras. Le 19 décembre, le Conseil
constitutionnel annule la mesure, déséquilibrant au profit des
ménages aisés le plan de baisses d'impôts
présenté par Fabius le 31 août. Le gouvernement devait
trouver d'urgence une solution de
rechange30. Du coup, Matignon a
ressorti des tiroirs l'idée du crédit d'impôt,
rebaptisé... ... par Lionel Jospin Prime pour l'emploi »
(Raulin, 2001 - 2)
La Prime pour l'emploi (PPE), instaurée en 2001 en
France, relève d'une logique qui consiste à rendre l'emploi plus
rémunérateur afin d'encourager les individus à travailler.
L'utilisation à cette fin de la fiscalité, et plus
précisément du crédit d'impôt, n'est pas nouvelle.
« La décision d'adopter en France l'instrument fiscal
novateur que constitue la PPE a également été
influencée par la mise en place de crédits d'impôt sur le
revenu aux Etats-Unis (Earned Income Tax Credit (EITC) créé en
1975) et au Royaume-Uni (Working Families Tax Credit (WFTC) créé
en 1999 puis réformé en 2003), pour stimuler l'activité et
lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres »
(Cour des comptes, 2006 : p. 285). Ces
expériences étrangères ont fourni un terrain d'analyse
fertile concernant les effets incitatifs et redistributifs des crédits
d'impôt (Périvier, 2003). En effet, à cette époque,
les politiques visant à favoriser le retour à l'emploi des
bénéficiaires de la protection sociale se multipliaient
déjà en France. Elles n'étaient donc pas cantonnées
aux pays anglo-saxons où dominait le répertoire libéral de
protection sociale (Palier, 2008).
Sur un fond de débat important sur l'impôt
négatif et l'allocation universelle qu'il était susceptible de
représenter en 2000 (Vanderborght, 2001), Michel Rocard avait fait une
large promotion du crédit d'impôt (Rocard, 2001).
Enfin « ... à la suite de l' «
affaire de la cagnotte fiscale » qui dégageait « un
trésor fiscal caché », le gouvernement était
appelé à produire une mesure favorable au pouvoir d'achat des
ménages» (Colomb, 2012 - 1 : p. 32).
30 « Le projet de loi portant création de la
PPE s'est improvisé en quelques semaines, après que le Conseil
Constitutionnel eut annulée en décembre 2000 la ristourne de
Contribution sociale généralisée (CSG) que le gouvernement
avait initialement prévue. Le rapporteur du projet à
l'Assemblée Nationale, D. Migaud, traduisait son embarras ainsi : «
Il n'est guère courant que la Commission des finances ait à
connaître dans l'urgence, au mois de janvier, mais instructif de relire
l'exposé des motifs malingre et décalé qui fait suite
à cette entrée en matière » (Mongin, 2008 : p.
442).
20
« Eléments de division de la gauche :
Pourquoi la mesure divise-t-elle à gauche ? Rien de
«théologique» là-dedans. D'inspiration
ultralibérale (le concept a été créé par
l'économiste américain Milton Friedman), le crédit
d'impôt est un élément central des politiques sociales des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, pays où la réduction des
inégalités est loin d'être une priorité. L'Earned
Income Tax Credit et le Working Family Tax Credit justifient au contraire
là-bas l'absence de salaire minimum légal. De quoi susciter une
crainte diffuse dans les rangs de la gauche française : la
généralisation du crédit d'impôt ne menace-t-elle
pas à terme l'existence du SMIC ? Réponse de Jean Pisani-Ferry,
ancien conseillé de Dominique Strauss-Kahn et membre du Conseil
d'analyse économique, dans Libération... : L'Etat n'a aucun
intérêt à ce que les bénéfices du
crédit d'impôt reviennent aux entreprises. Pour baisser les
salaires, il faudrait que l'employeur le puisse. L'existence du SMIC l'en
empêcherait. Le crédit d'impôt conforte le SMIC, il ne
l'affaiblit pas.» (Raulin, 2001 - 2).
2 - Les exemples étrangers
Comme évoqué précédemment, la PPE
a son équivalent aux Etats-Unis sous le nom de Earned Income Tax
Credit (depuis 1975) et au Royaume-Uni, sous le nom de Working Tax
Credit (depuis 1986), avec cependant une différence notable : des
montants alloués plus élevés, mais sur une assiette de
population plus restreinte (donc un impact plus perceptible et plus
mesurable).
L'Earned Income Tax Credit américain (EITC),
est un crédit d'impôt remboursable, crédit qui tient compte
des revenus du ménage, et est donc recalculé sur la base des
revenus annuels déclarés au fisc. Le dispositif de paiement
d'impôt par retenue à la source permet cependant, aux Etats-Unis,
un versement mensuel de l'EITC : les allocataires peuvent choisir entre un
versement mensuel ou un versement annuel décalé. Il est
très remarquable que plus de 95 % des bénéficiaires de
l'EITC choisissent le versement annuel décalé (Conseil de
l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001)31
Le Working Families Tax Credit britanique (WFTC)
instauré en 1999, est beaucoup plus ciblé que l'EITC (et la PPE)
puisque seul cinq pour cent des foyers en bénéficient. Accessible
aux foyers dont l'un des adultes travaille au moins 16 heures par semaine, et
dont l'un des enfants a moins de 16 ans, ce crédit d'impôt est par
ailleurs conditionné au niveau d'épargne du foyer, qui doit
être inférieur à un certain plafond (12000 € en 2008).
Les montants accordés sont par conséquent plus
élevés (en 2008 : jusqu'à 6 000 euros annuels). Ainsi, la
prestation peut atteindre 160 % du revenu déclaré. Cependant, le
WFTC est considéré comme un revenu pour le calcul des autres
aides. Ainsi, les bénéfices liés au WFTC peuvent
entraîner une réduction des autres aides accordées au foyer
(Arnaud et al., 2008 ; Observatoire français des conjonctures
économiques (OFCE), 2003).
31 Egalement, il sera vu plus loin que la mensualisation de la
PPE a eu le même impact.
21
A l'inverse des mesures adoptées dans les pays
anglo-saxons, la France, avec la PPE, a opté pour une mesure largement
diffusée dans la population. Mais ce manque de ciblage se traduit par de
faibles montants (Arnaud et al., 2008).
Encadré 3:
Le Working Families Tax Credit
(WFTC)
« Le WFTC britannique, instauré en
1999, est beaucoup plus ciblé que l'EITC et la PPE puisque seul un foyer
sur vingt en bénéficie. Accessible aux foyers dont l'un des
adultes travaille au moins 16 heures par semaine et dont l'un des enfants a
moins de 16 ans, ce crédit d'impôt est par ailleurs conditionnel
au niveau d'épargne du foyer, qui doit être aujourd'hui
inférieur à 12 000 euros. Les montants accordés sont par
conséquent plus élevés (jusqu'à 6 000 euros
annuels). Ainsi, la prestation peut atteindre 160 % du revenu
déclaré. Cependant, il faut relativiser ces chiffres car le WFTC
est considéré comme un revenu pour le calcul des autres aides.
Ainsi, les bénéfices liés au WFTC peuvent entraîner
une réduction des autres aides accordées à la famille. Le
dispositif a induit une augmentation du taux d'activité de 0,15 %.
Cependant, rapporté au coût net du WFTC, l'impact est faible et le
rapport coût / efficacité est médiocre, chaque nouvel
entrant sur le marché du travail coûtant 60 000 livres »
(Arnaud et al., 2008 : p. 60).
Encadré 4:
L'Earned Income Tax Credit (EITC)
« Créé en 1975 aux
États-Unis, l'EITC, qui devait être une mesure temporaire, a
finalement été développé et renforcé. Ce
crédit d'impôt conjugalisé est appliqué aux foyers
à bas revenus dans lesquels au moins une personne travaille. Pour
être éligible, il faut de plus satisfaire à certaines
conditions de ressources qui dépendent de la situation matrimoniale et
du nombre d'enfants. Le barème de calcul comprend toujours trois phases,
quel que soit le nombre d'enfants : une phase d'entrée dans laquelle la
prestation augmente proportionnellement aux revenus, une phase de plateau et
une phase de sortie où l'EITC décroît linéairement
jusqu'à s'annuler à un certain niveau de revenu. L'EITC est une
mesure plus ciblée que la PPE puisque seul un foyer sur cinq en
bénéficie, contre un foyer sur quatre pour la PPE. Les montants
alloués sont également plus importants : l'EITC peut
accroître de près de 40 % le revenu des ménages ayant deux
enfants et dont un seul membre travaille à temps plein avec un salaire
minimum. C'est également une mesure ciblée principalement sur les
foyers avec enfant. Ainsi, un couple biactif, dont les deux membres travaillent
à temps plein au niveau du salaire minimum, n'est pas éligible
à l'EITC si celui-ci n'a pas d'enfant. En revanche, avec deux enfants,
il touchera 2 000 dollars. Le montant distribué ne devient d'ailleurs
nul pour les foyers à deux enfants que lorsque les personnes travaillent
à temps plein au niveau du salaire médian. L'EITC est une
mesure
particulièrement incitative pour les foyers
mono-actifs avec enfant. Il est estimé ainsi que l'EITC a fait passer le
taux d'activité pour cette catégorie de la population de 65,5 %
à
72,1 % entre 1993 et 1996, ce qui
représente 146 millions d'heures. En revanche, la mesure semble avoir un
effet désincitatif sur l'activité des femmes mariées. En
effet, pour les couples biactifs se trouvant dans la phase de sortie, le
passage de l'emploi au non-emploi du conjoint peut être
intéressant car il permet de toucher plus d'allocations. On estime cette
perte à 8,9 millions d'heures de travail. Quant aux personnes
déjà actives, l'EITC a un impact faiblement négatif sur le
volume d'heures travaillées mais qui est largement compensé par
le passage du non emploi à l'emploi »
(Arnaud et al., 2008 : p. 60).
22
E - Redistribution et politique de l'emploi
Le système français de redistribution peut
être ramené schématiquement à la combinaison de
trois types de transferts : une prestation différentielle, purement
dégressive, une prestation mixte, d'abord forfaitaire puis
dégressive, et une prestation forfaitaire sous plafond de ressources.
Les transferts sociaux français peuvent être répartis entre
ces trois catégories. Certains sont d'un montant forfaitaire puis
s'annulent au-dessus d'un plafond de ressources, d'autres sont forfaitaires
sans condition de ressources, comme les allocations familiales, d'autres sont
dégressifs avec le revenu, d'autres enfin sont d'abord forfaitaires puis
dégressifs avec le revenu, à l'exemple de la Prime pour l'emploi.
Les prélèvements fiscaux sont, quant à eux, globalement
progressifs avec le revenu. L'agrégation de ces prestations et
prélèvements divers conduit à un profil de l'ensemble des
transferts nets, globalement dégressif avec le revenu pour toutes les
configurations familiales. La dégressivité est plus forte pour
les plus bas revenus. Le revenu net de prélèvements et de
transferts est alors insensible aux hausses du revenu brut. En d'autres termes,
le taux marginal de prélèvement est proche de 100 % si l'on ne
considère pas en première analyse le mécanisme
d'intéressement32. Puis, au fur et à mesure que l'on
s'élève dans les niveaux de revenus, les prestations sont de
moins en moins dégressives, jusqu'à devenir complètement
séparées et indépendantes du revenu. Le taux marginal de
prélèvement diminue avec le revenu brut avant de remonter lorsque
l'on atteint la zone d'imposition sur le revenu ; il prend ainsi globalement la
forme d'un « U » (Anne, L'Horty, 2002).
S'agissant de l'emploi, l'effet d'une modification du revenu
d'activité sur le montant des transferts peut exercer une influence
déterminante dans la décision d'un bénéficiaire de
reprendre un travail (Anne, L'Horty, 2002). L'idée est
émise, dès 2000, que des problèmes d'offre
affectaient le marché de travail, alors que jusqu'à la fin des
années
32 L'intéressement permettait à un
bénéficiaire du RMI reprenant une activité
salariée, par exemple, de ne pas prendre en compte son salaire dans le
calcul du RMI au cours du trimestre de la reprise d'emploi et durant le
trimestre suivant, et à hauteur de 50 % les neuf mois suivants. De
même, l'exonération totale de la taxe d'habitation était
conservée durant une année pour les anciens
bénéficiaires du RMI. L'intéressement permettait donc de
réduire les taux de prélèvements des
bénéficiaires retrouvant un emploi (Anne, L'Horty, 2002).
23
1990 les politiques de l'emploi ont essentiellement
visé à stimuler la demande de travail, notamment à travers
les baisses dégressives de cotisations patronales (Arnaud, et al.,
2008).
S'agissant de la PPE, les trappes à inactivité
sont alors évoquées, notamment pour les
bénéficiaires de minima sociaux et d'allocations chômage,
dans l'esprit même de la loi du 30 mai 2001 : « Afin
d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de l'activité, il
est institué un droit à récupération fiscale,
dénommé Prime pour l'emploi, au profit des personnes physiques
domiciliées en France » (Arnaud, et al.,
2008).
1 - La redistribution des revenus
La PPE « est devenue, malgré des coûts
budgétaires aujourd'hui colossaux33, une des vaches
sacrées de la redistribution publique en France » (Mongin,
2010). Dans cette lutte « égalisatrice », et dans la
redistribution des revenus, les prestations ont plus d'impact que les
prélèvements sur l'égalisation des niveaux de vie. L'IRPP
et la PPE sont largement « redistributifs». Ils contribuent à
eux deux à 30 % de la réduction des inégalités
(suivi des prestations familiales, avec 27 % de « contributivité
», et enfin, des aides au logement et des minima sociaux qui contribuent
respectivement à 17 et 15 % de la réduction des
inégalités) (Elbaum, 2011).
Concernant l'effet redistributif de la PPE, ce sont de fait
les classes moyennes, et non les ménages les plus modestes, qui
bénéficient majoritairement de la Prime pour l'emploi (Conseil de
l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001). Compte tenu des
conditions d'attribution de la PPE, les bénéficiaires de la prime
se situent à mi-chemin entre deux catégories de publics : la
première est constituée de chômeurs ou de salariés
occupant des emplois très précaires ou à temps très
partiel. La deuxième comprend des individus installés dans
l'emploi de manière plus stable et ayant un salaire plus
élevé (Arnaud, et al., 2008).
La PPE est largement distribuée dans la population
puisqu'elle touchait huit millions de foyers fiscaux, soit près d'un
quart, en 2001. Son coût s'est élevé dès le
départ, au titre des revenus 2000, à environ 2,5 milliards
d'euros34. Même si près de 70 % du montant global de la
PPE bénéficie à la moitié la moins aisée de
la population, le dispositif n'est pas ciblé sur les foyers les plus
modestes, mais plutôt sur les déciles 2 à 6. En effet,
seuls 9,7 % des ménages bénéficiaires faisaient partie du
premier décile, tandis que la PPE se diffuse jusque dans le haut de la
distribution des niveaux de vie (Arnaud, et al., 2008).
33 La prime pour l'emploi était la troisième
dépense fiscale la plus importante en 2008 par exemple, elle concernait
8,7 millions de salariés (Laurent, 2010).
34 La montée en charge du dispositif est importante :
à titre de comparaison, le coût de la Prime pour l'emploi a
atteint 2,3 milliards d'euros en 2002 au titre des revenus 2001, 2,3 milliards
d'euros en 2003, 2,4 milliards d'euros en 2004 et 2,9 milliards d'euros en
2005.
24
Il apparaît que la Prime pour l'emploi a des effets
redistributifs assez diffus, mais également qu'elle aide insuffisamment
les ménages les plus situés aux franges de l'emploi : les
travailleurs pauvres (Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion
Sociale 2001). Ce constat n'est guère étonnant puisque son but
est l'incitation au travail et la redistribution vers les actifs pauvres, et
non la redistribution en soi. Par construction, la PPE, visant à inciter
au travail, est moins redistributive que ne pourrait l'être une mesure
spécifiquement redistributive, mais qui aurait le défaut
d'être désincitative au travail (Stancanelli, Sterdyniak, 2004).
Cependant, et dans l'idéal, « vouloir le plein emploi
implique aussi de subordonner des décisions fiscales ou sociales
à caractère redistributif au critère de leur contribution
à l'emploi, et de préférer systématiquement la
redistribution par l'emploi à d'autres formes de répartition du
revenu » (Pisani-Ferry, 2000 : p. 60). Cet aspect
représente un point positif en faveur de la PPE s'agissant de sa
fonction redistributive.
Encadré 5 :
Quelques remarques à mi-chemin entre
redistribution et incitation à l'emploi
L'analyse de la redistributivité de la PPE pose
quelques problèmes. La PPE part du postulat que les travailleurs
non-qualifiés ne sont que faiblement rémunérés par
rapport aux personnes qui ne travaillent pas. La redistribution qu'elle
opère ne peut donc pas être jugée en soi (dans ce cas la
PPE apparaîtrait toujours moins redistributive que la hausse des minima
sociaux) ; elle ne peut être jugée qu'à travers le principe
: « Il faut que le travail paie ».
Cette affirmation n'a de sens que si les personnes peuvent
choisir de travailler ou de rester inactives. Autant il est normal que le
travail paie en situation de plein emploi, autant cette règle est
contestable en situation de chômage de masse, c'est-à-dire la
situation d'aujourd'hui. Jean et Pierre postulent à un emploi, si Jean
l'obtient, faut-il que les pouvoirs publics subventionnent Jean au
détriment de Pierre, qui préférerait travailler ? La PPE
comporte obligatoirement des effets d'aubaine (on subventionne Jean qui aurait
travaillé sans cette prime) et des injustices (le revenu relatif de
Pierre est minimisé alors qu'on ne peut savoir si Pierre est un vrai
chômeur ou quelqu'un qui préfère rester sans emploi). La
PPE, en elle-même, augmente le revenu des travailleurs pauvres sans
diminuer l'allocation versée aux personnes inactives. On peut être
tenté de dire : « Après tout, augmenter le revenu des
travailleurs pauvres est toujours une bonne chose ». Le
problème est qu'une fois que l'objectif politique devient de maintenir
un écart important entre le revenu des sans emplois et celui des actifs
et, compte tenu des contraintes budgétaires, le risque est grand que les
revenus minima en pâtissent : augmenter le RSA par exemple devient plus
coûteux puisqu'il faut en même temps augmenter le revenu des «
Smicards » pour ne pas affaiblir les effets incitatifs (Stancanelli,
Sterdyniak, 2004).
25
2 - L'incitation à l'emploi
L'incitation à l'emploi, outre son rôle
socialisateur et intégrateur, vient également largement se poser
en lutte contre la pauvreté, qui peut s'expliquer en partie, selon
Allègre et Périvier, par la mono activité35 des
couples. Favoriser l'accès des femmes au marché du travail serait
donc un point essentiel de lutte contre ce phénomène. L'emploi
des femmes n'a cessé d'augmenter depuis les années 1960, mais sa
croissance est désormais remise en cause. En effet, depuis le milieu des
années 1990, l'activité féminine stagne et les projections
de population active ne sont guère optimistes sur ce point. Les
explications de ce recul sont multiples : le développement du temps
partiel, la mise en place de politiques dites « familiales » visant
au retrait du marché du travail des mères, et l'interaction des
systèmes fiscal et social défavorable à l'activité
des femmes. Par ailleurs, des facteurs socioculturels contraires à
l'engagement des femmes dans la sphère du travail persistent. Pour
lutter contre le risque de pauvreté, ces contraintes qui pèsent
sur l'emploi féminin devraient être levées. Les deux autres
facteurs créatifs de pauvreté laborieuse sont la
précarité de l'emploi et le développement du temps partiel
(Allègre, Périvier, 2005 - 1).
S'agissant des incitations sur l'offre de travail, la Prime
pour l'emploi a quatre caractéristiques :
- le seuil d'entrée à 0,3 SMIC vise à ne
pas inciter à occuper durablement des activités à temps
réduit ou des temps partiels très courts ;
- son individualisation conduit à limiter les effets de
détermination conjointe des décisions d'activité au sein
du couple, et ce dans toute la zone d'éligibilité. La majoration
annuelle pour un couple mono actif est trop faible pour avoir un effet
désincitatif important sur le deuxième emploi. Concernant le
tiers de temps et le temps plein payé au SMIC, la mesure est incitative
à occuper un travail à temps plein plutôt qu'un temps
partiel ;
- la zone de moindre incitation correspond aux taux de salaire
situés entre 1 et 1,4 SMIC horaire : il devient moins
bénéfique qu'avant la mesure d'avoir dans cette zone une
augmentation de taux de salaire, la mesure produisant un accroissement de 13 %
du taux de prélèvement, et la prime se réduisant à
compter de ce taux pour s'annuler à
1,4 Smic (Périvier, 2003).
La théorie qui justifie de « rendre le travail
payant » (Making work pay) repose sur le modèle classique
d'offre de travail qui définit un « salaire de réservation
» en deçà duquel un individu ne souhaite pas travailler. Si
l'impact d'un crédit d'impôt sur le nombre d'heures
travaillées est ambigu, il devrait en revanche inciter à
travailler les
35 Les couples mono actifs sont les couples dans lesquels un seul
des deux travaille (Allègre, Périvier, 2005 - 1).
26
personnes dont le revenu d'activité devient
supérieur au salaire de réservation, grâce au
supplément de revenu induit par le crédit d'impôt.
Cependant, la faiblesse des sommes distribuées (conjuguée
à une distribution peu ciblée), et les modalités de
versement de cette prime36 (versement décalé dans le
temps de 9 à 18 mois) font donc de la PPE une mesure peu lisible en
faveur de l'incitation au travail (Cahuc et al., 2008 ;
Périvier, 2003). De plus, « la familiarisation partielle de la
PPE peut désinciter à la bi-activité dans les
ménages comportant deux adultes » (Cahuc et al., 2008
: p. 77).
B - L'historique des réformes et
revalorisations
La PPE a été créée sous le
gouvernement Jospin en 2001, puis a été augmentée sous le
gouvernement Raffarin en 2003, pour être à nouveau
augmentée sous le gouvernement De Villepin, entre 2004 et 2005. Depuis
sa création, la Prime pour l'emploi a été
réformée et revalorisée à plusieurs reprises
(quasiment tous les ans), à la recherche d'une optimalité
(Hagneré et al., 2005), et traduisant la volonté des
gouvernements successifs de soutenir le revenu des travailleurs modestes
autrement que par les revenus du travail (Bonnefoy et al, 2009).
Les modifications de la PPE depuis sa création suivent
deux directions : celle d'une croissance significative des montants de prime
versés aux bénéficiaires et celle d'un soutien accru aux
personnes travaillant à temps partiel, ou sur une partie de
l'année seulement, via des majorations spécifiques de leur prime
(annexe 4). Ces évolutions ont sensiblement accentué le pouvoir
redistributif de la PPE au bénéfice des ménages modestes,
diminuant le taux de pauvreté relatif de 0,2 % toutes choses
égales par ailleurs (à structures de population et de revenus
constantes) (Bonnefoy et al., 2009).
a - Les réformes
Une première réforme essentielle est venue
modifier le dispositif de base : « la première version de la
PPE favorisait les travailleurs à temps plein plutôt que les
travailleurs à temps partiel ; ceci a été corrigé
par la réforme du barème survenue en 2003, mais les travailleurs
à temps très partiel (moins de 12 heures par semaine) restent
exclus du dispositif » (Stancanelli, Sterdyniak, 2004 : p 18). La
législation de 2003 (PPE perçue en 2003, sur revenus de 2002)
introduit donc la première modification du barème de la prime
avec la majoration pour temps partiel (Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009). La
PPE a ainsi été recentrée sur le temps partiel à
cette époque avec un montant maximal pour 0,8 SMIC contre 1,4 dans la
version précédente (Périvier, 2003).
Sur le fondement des résultats obtenus aux
États-Unis, les modifications du dispositif initial de la PPE inscrites
dans la Loi de finances de 2003 étaient supposées accentuer
l'incitation au travail. Il était cependant peu probable que la PPE
induise les effets positifs sur la participation au marché du travail
observés aux États-Unis, et dans une
36 Cette objection a souvent été relancée
(Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001).
27
moindre mesure au Royaume-Uni, et ceci pour deux raisons
principales : d'une part les différences entre les dispositifs sont trop
importantes pour que les mêmes effets se produisent, et d'autre part les
contextes économiques anglo-saxons et français ne sont pas
équivalents (particulièrement concernant le marché du
travail) (Périvier, 2003).
Pour réduire le délai entre une reprise d'emploi
et le versement de la prime, un acompte de 250 euros a été
versé à partir de 2004 aux personnes retrouvant un emploi. Pour
cette même raison, un dispositif de versement mensuel anticipé
avait été mis en place depuis, à partir du 1er janvier
2006, pour les contribuables ayant déjà
bénéficié de la PPE au titre de l'année
précédente (Bonnefoy et al., 2009).
La seconde réforme essentielle a tenté de
résoudre la contradiction qui consistait à donner plus de pouvoir
d'achat sans augmenter le coût du travail. De ce fait, le gouvernement De
Villepin avait décidé une hausse de la PPE de 50 %, et sa
mensualisation37. Cette prime qui s'élevait à un peu
plus de 500 euros par an a atteint 800 euros en 2006 (Chavigné,
2005).
L'année 2007 ne concerne qu'une revalorisation de la PPE
(Amar et al., 2008).
Bien que très critiquée, et après
discussion au printemps 2008, la PPE a été maintenue (la PPE
subsistait, ce qui était particulièrement discutable quand elle
allait aux tranches fiscales supérieures). Un compromis subtil avait
permis de fusionner la PPE et le RSA quand les deux allocations pouvaient se
cumuler et que le RSA dépassait la PPE, ce qui arrivait sur l'intervalle
de 0,3 à 1 SMIC pour un allocataire isolé (Mongin, 2010).
De 2002 et 2008 il s'est affirmée la volonté de
compléter davantage les revenus des travailleurs faiblement
rémunérés ; cet objectif s'est notamment exprimé
dans le Projet de loi de finances présentant la réforme de 2006
comme visant à transformer la PPE en véritable complément
de rémunération pour les bas revenus, incitant effectivement
à la reprise d'activité (Ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie, 2005). La PPE a donc été
fortement majorée pour les personnes travaillant à temps partiel,
ou sur une partie de l'année, pour renforcer l'incitation à la
reprise d'emploi à temps partiel, jugée particulièrement
découragée encore en 2006 (Bonnefoy, et al., 2009). Ces
mesures ont participé à une montée en charge rapide du
dispositif. Cette croissance du volume et des effectifs est due effectivement
et principalement aux changements législatifs intervenus pendant cette
période, mais s'explique aussi par l'évolution de la population
entre 2002 et 2008, notamment en matière d'emploi et de revenu (elle
peut aussi s'expliquer par l'amélioration du degré de
connaissance du dispositif qu'en ont les potentiels destinataires) (Bonnefoy et
al., 2009).
37 « ...le versement de la prime sera
mensualisé à compter de janvier 2006 au moyen d'acomptes
versés par l'administration fiscale (sous forme de virements). Cette
mesure raccourcira le délai entre la période d'activité
ouvrant droit à la prime et son versement, ce qui vise à
renforcer le caractère incitatif du dispositif » (Cour
des comptes, 2006 : p. 294).
28
La législation de 2009 est identique à celle de
2008, le barème n'est pas revalorisé, mais la PPE est
articulée avec le RSA (Bonnefoy, et al., 2009 ; Sénat,
2015 - 2). Cette articulation, représente la troisième
réforme majeure38 du dispositif. « Mis en
place le 1er juin 2009, le RSA a pour objectif de lutter contre la
pauvreté, accroître le niveau d'activité et
améliorer l'efficacité de la dépense publique. Il assure
un revenu minimum pour les personnes sans ressources, tout en constituant un
complément de revenu durable pour les personnes à faible revenu
d'activité ; ces deux volets du dispositif sont respectivement
appelés RSA « socle » et RSA « chapeau
»39. La composante « socle
» du RSA résulte de la fusion du RMI et de l'API
réalisée « à droit constant »,
c'est-à-dire sans changement pour les personnes éligibles. La
composante « chapeau » est un complément du revenu pour les
travailleurs à revenu modeste : il est fonction du revenu
d'activité du foyer étant données sa configuration
familiale et ses autres ressources. Dans le cadre de la mise en oeuvre du RSA,
la PPE a été révisée pour garantir une articulation
entre les deux dispositifs. Cela s'est traduit par une non-revalorisation du
barème de la PPE et par l'instauration d'un mécanisme de non
cumul entre le RSA et la PPE. Ce non cumul ne concerne que la partie «
chapeau » du RSA : le RSA « chapeau » perçu chaque
année représente une avance de la PPE à percevoir
l'année suivante, le complément de PPE (PPE «
résiduelle ») n'étant alors versé que pour les
bénéficiaires ayant des droits à PPE supérieurs
à ce qu'ils ont déjà perçu via le RSA «
chapeau ». Le versement d'une PPE «résiduelle» à
des ménages percevant le RSA est plus ou moins fréquent selon les
configurations familiales. Il est plutôt rare au sein des couples ayant
deux enfants lorsqu'un seul des deux conjoints travaille. En revanche, il est
plus fréquent pour les familles de deux enfants où les deux
conjoints travaillent » (Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009
: p. 94).
b - Les revalorisations
La législation de 2002 (PPE perçue en 2002, sur
les revenus de 2001) correspond à la première version de la Prime
pour l'emploi montée en charge, les taux de prime en vigueur ayant
été doublés (Bonnefoy, et al., 2009). Le
doublement de la Prime pour l'emploi est inscrit au budget 2002 et de ce fait
présente un caractère irréversible (Hagneré,
Trannoy, 2001). Il est à souligné que la PPE 2002 n'apporte que
peu de solution à l'endroit où une trappe à
inactivité est susceptible d'apparaître au niveau du temps
partiel, car elle y est très faible (Margolis, Starzec, 2005 ;
Périvier, 2003).
La législation de 2003 (PPE perçue en 2003, sur
revenus de 2002) introduit la première modification du barème de
la prime avec la majoration pour temps partiel (Bonnefoy et al.,
2009). La réforme de 2003 génère une augmentation de
la prime de 102 euros par
38 L'association de la PPE et du RSA forme ainsi un nouveau
système de complément aux bas revenus d'activité,
davantage centré sur un objectif de lutte contre la pauvreté des
familles de travailleurs (Bonnefoy et al., 2009).
39 « À la différence de
l'intéressement instauré pour le RMI et l'API, le RSA «
chapeau » est un dispositif qui, au-delà de l'aide incitative
à la reprise d'un emploi, assure un complément de revenus
pérenne aux personnes en activité » (Bonnefoy,
Buffeteau, Cazenave, 2009 : p. 94).
29
an au maximum pour un emploi à mi-temps d'un
salarié seul40 (Périvier, 2003). Pour ce faire, la PPE
est majorée de 45 % lorsque la durée annuelle travaillée
est inférieure à un mi-temps. La majoration décroît
ensuite progressivement, à mesure que la quotité
travaillée augmente (Legendre et al., 2004). La réforme est donc
essentiellement orientée cette année vers les temps partiel, avec
cependant une augmentation faisant apparaître une « bosse »
dans le traditionnel profil en « dos d'âne » de la PPE, en
fonction du revenu total (Legendre et al., 2004).
La législation de 2006 augmente les taux de prime et
revalorise la majoration pour temps partiel. La législation de 2007 est
une simple revalorisation des barèmes, de l'ordre de 30 % (Bonnefoy, et
al., 2009 ; Clerc, 2006). Le montant maximal de la prime est
porté de 714 euros au titre des revenus de 2005, et à 948 euros
pour les revenus de 2006 (Amar et al., 2008).
La législation de 2008, la dernière en date
avant le gel du barème, est équivalente à la
législation 2007 (barèmes simplement revalorisés),
relevant à nouveau les taux de prime et la majoration pour temps partiel
(Gomel, Méda, 2014). Toutefois, faits majeurs, 2008 est la
dernière année d'existence du RMI et de l'API, et sonne par
là-même l'arrivée du RSA et de son articulation avec la
Prime pour l'emploi, qui comme lui, complète les revenus
d'activité (Marical, 2009).
Depuis 2001, année de sa création, et jusqu'en
2008, la PPE n'a cessé de prendre de l'ampleur (annexe 4). La
valorisation globale de la PPE a plus que doublé depuis 2002, passant de
2,1 à 4,5 milliards d'euros entre 2002 et 2008, et le nombre de foyers
bénéficiaires de la PPE est passé de 8,5 millions en 2002
à 9 millions en 2008, tel que le démontre le tableau 5 (Bonnefoy
et al., 2009).
Tableau 5 : Évolution du montant total de la PPE
et du nombre de ses bénéficiaires depuis sa
création
Source : DGFIP in Bonnefoy et al 2009 : p. 90
40 « ...L'augmentation du montant de Prime
pour l'emploi versée aux travailleurs à temps partiel a permis de
cibler davantage cet impôt négatif sur les travailleurs les plus
modestes. En effet, le premier décile de niveau de vie a reçu 24
% du surcroît de la masse de Prime pour l'emploi induit par la mesure et
la répartition de ce surcroît est décroissante avec le
niveau de vie. Les effets redistributifs sont donc importants »
(Legendre et al. 2004 : p. 53).
30
D'un point de vue législatif, deux sortes de
changements ont participé à la montée en charge de la PPE.
D'abord, les taux de prime de la PPE ont augmenté significativement en
2006 puis en 2007. Au cours de la période 2001-2008, ils passent de 4,4
% à 7,7 % du revenu d'activité pour la partie constante du
barème (taux appliqué tant que le revenu annuel en
équivalent temps plein est inférieur à un SMIC). Ensuite,
une majoration de la PPE pour les personnes ayant exercé une
activité à temps partiel, ou sur une partie de l'année, a
été créée en 2003 puis relevée en 2006 et en
2007. Égal à 45 % en 2003, le coefficient technique
déterminant cette majoration s'élevait à 85 % en 2008.
L'augmentation des montants en euros s'explique aussi par les revalorisations
annuelles du barème de la PPE, le revenu fiscal de
référence et les majorations évoluant chaque année
au même rythme que le montant annuel du SMIC net imposable. Le montant de
la PPE cesse de croître en 2009, son barème n'ayant pas
été revalorisé (barème gelé au niveau de la
législation de 2008) (Bonnefoy et al., 2009).
« A structure de population et revenus
constants (euros 2008), les évolutions législatives conduisent
à un accroissement du montant de la PPE de presque 2 milliards d'euros
entre la législation 2002 et 2008. Cette hausse est liée non pas
à un accroissement du nombre de bénéficiaires (le nombre
de ménages bénéficiaires de la PPE baisse même
légèrement et leurs caractéristiques restent les
mêmes) mais à une forte augmentation des montants alloués
(+ 90 % entre les législations 2002 et 2008). Cette hausse est plus
sensible pour les personnes travaillant à temps partiel ou sur une
partie de l'année (« temps incomplet »), sous l'effet des
relèvements successifs de la majoration pour temps partiel, ainsi que
pour les couples où les deux conjoints travaillent. Ainsi, dans ce
raisonnement, sur une population figée, l'augmentation de PPE entre 2002
et 2008 est en moyenne de 330 euros pour les ménages
bénéficiaires dont au moins un des membres travaille à
« temps incomplet » contre 220 euros pour les autres ménages
bénéficiaires. Elle est de 330 euros pour les couples où
les deux conjoints ont un emploi, contre 160 euros pour les couples dont seul
un des conjoints travaille » (Bonnefoy et al.,
2009 : p. 92).
Globalement, jusqu'en 2008, les réformes de la PPE ont
davantage porté sur les montants alloués que sur les publics
visés, tel que le démontre le tableau 6 (Bonnefoy et al.,
2009).
31
Tableau 6 : Législations
successives de la PPE : nombre de
ménages bénéficiaires et montants
alloués
1 Un ménage bénéficie de la Prime pour
l'emploi si au moins un foyer fiscal qui le compose en bénéficie.
Lecture : en appliquant la législation 2008 à la
population caractéristique de France métropolitaine en 2008, 7,2
millions de ménages bénéficient de la PPE pour un montant
total de 4,2 milliards d'euros. Lorsqu'on applique la législation de
2002 à cette même population, 7,4 millions de ménages
bénéficient de la PPE pour un montant total s'élevant
à 2,3 milliards d'euros (en euros 2008).
Champ : France métropolitaine,
ménages ordinaires bénéficiant de la Prime pour l'emploi
(hors ménages dont la personne de référence est
étudiante), à structure de population et revenus de 2008.
Source : Bonnefoy et al., 2009,
in Insee-DGI, enquête Revenus fiscaux et sociaux
2006 (actualisée en 2008) : p 92.
La PPE, en qualification d'action publique, est une action
automatique (sans demande, sans revendication). Elle a émergé,
ainsi que ses différentes réformes, de façon progressive
par canaux multiples (Favre, 1992). Elle permet à la fois de
répondre à un besoin social, et de répondre à une
nécessité de politique économique de l'Exécutif
(à l'exemple de son aspect « redistributif »).
Il semblerait que la PPE, depuis sa création en 2001
sous le gouvernement Jospin, n'ait pas été impactée, sur
le plan cognitif, par des actions issues de « politiques
électorales » (voire politiciennes), desquelles elle n'aurait pas
pu être déduite41 (Leca, 1996). Elle a bien
vécu, tant par ses réformes que par ses revalorisations, les
passages d'alternances et de cohabitations de 2001 à aujourd'hui (pas
d'articulation complexe de programmes, le « liant » venant de la
méthode, et ne se réduisant pas à une stratégie
d'acteurs). Etant une mesure fiscale (et sociale), son mode de décision
publique est réduit (Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de
finances publiques) (Doligé, 2008). Elle est extraite des forums et
autres arènes politiques (Jobert, 1994). Sa mise sur agenda est
également simplifiée (simple programmation fiscale).
La PPE, à travers de ses différentes
réformes, a contribué à gommer les externalités
négatives induites par les inégalités, certains niveaux
d'inégalité restant moralement et socialement inacceptables
(Piketty, 1997).
41 Il n'a pas existé de bataille politique
particulière autours de la PPE, elle a autant associé, au long de
son histoire, la droite que la gauche (les néolibéraux y
compris).
32
Encadré 6 :
Les réformes successives de la PPE
« Lors de la création de la PPE en
2001, il était prévu de doubler la partie individualisable de la
prime en 2002. Ce doublement a en réalité été
introduit dès 2001 (au titre des revenus 2000) par la loi de finances
rectificative. Les taux ont donc été maintenus en 2002 (au titre
des revenus 2001) et les seuils d'éligibilité
réactualisés. En 2003 (pour les revenus de 2002), en revanche, le
triplement de la partie individualisable de la prime initialement
programmé a été abandonné et la PPE s'est vue
dotée d'une nouvelle majoration ciblée sur les travailleurs
à temps partiel, assortie d'une revalorisation des seuils
d'éligibilité
de 1,7 %. Cette majoration pour les temps partiels
est maximale pour un demi-SMIC et s'annule au niveau du SMIC. Elle se calcule
ainsi : Pour un temps de travail inférieur au mi-temps, la prime est
majorée de 45 %. Pour un temps de travail supérieur au mi-temps,
le calcul de la prime se fait par la formule : PPE = 0,55 (PPE hors majoration)
+ 0,45 (PPE de base) (la prime de base est la prime calculée sur le
revenu converti en équivalent temps plein). Le projet de loi de finances
2004 (concernant la PPE versée en 2004 au titre des revenus 2003) a
ensuite revalorisé tous les seuils, plafonds et limites de revenus
servant au calcul de la PPE. Par ailleurs, les taux permettant le calcul du
montant de la prime ont également été rehaussés
(passant respectivement de 4,4 % à 4,6 % et de 11 % à 11,5 %).
Mais surtout, ce projet de loi instaure la possibilité de versement d'un
acompte forfaitaire qui permettrait de percevoir environ la moitié de la
prime bien avant la date de paiement de l'impôt sur le revenu : les
personnes qui justifient d'une activité professionnelle d'une
durée au moins égale à 6 mois débutée au
plus tôt le 1er octobre de l'année précédente et qui
ont été, pendant les 6 mois précédents, sans
activité professionnelle et inscrites comme demandeurs d'emploi ou
titulaires de certains minima sociaux peuvent demander un acompte de PPE d'un
montant forfaitaire de 250 euros. Entre 2005 et 2007 (pour les revenus de 2004
à 2006), la Prime pour l'emploi a pris de l'ampleur en tant qu'outil
redistributif du fait de la forte augmentation des montants distribués.
Le renforcement de la majoration temps partiel (ou incomplet) a
également accentué son caractère potentiellement
incitatif. Les montants de PPE ont été majorés de
près de 75 % en deux ans. Ainsi, le montant maximal de la part
individuelle passe de 538 euros en 2005 à 714 euros en 2006 et 948 euros
en 2007 (les taux utilisés pour le calcul de la prime ont
été rehaussés de 4,6 % à 7,7 % et de 11,5 %
à 19,3 % entre 2005 et 2007). Par ailleurs, les conditions de versement
de l'acompte ont été assouplies (elles concernent
désormais les personnes justifiant d'une activité professionnelle
d'une durée au moins égale à 4 mois) et les montants
augmentés (de 250 à 300 puis 400 euros). Enfin, un système
de mensualisation de la prime a été instauré pour les
personnes ayant bénéficié de la PPE l'année
précédente » (Arnaud et al.,
2008).
c - Le dispositif
aujourd'hui
L'actualité du dispositif de la PPE est la
résultante des réformes et revalorisations appliquées
jusqu'en 2009.
33
1 - Le dispositif actuel
La Prime pour l'emploi « est attribuée
aux personnes exerçant une activité professionnelle
salariée ou non salariée sous conditions de ressources. Son
montant est calculé en pourcentage du revenu d'activité. Elle est
déduite de l'impôt sur le revenu à payer ou versée
directement au bénéficiaire s'il n'est pas imposable. Pour
percevoir la PPE, il suffit de remplir les rubriques concernant cette aide sur
la déclaration d'impôts ». (Ministère du
Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle, et du Dialogue social,
2015)42. Contrairement au RSA, la demande de PPE n'implique aucune
démarche de la part du contribuable, elle est automatiquement
calculée par l'administration fiscale (Gomel, Serverin, 2013), ce qui va
dans le sens de la justice sociale (au sens de l'égalité des
chances), évitant ainsi certaines situations de non-recours (Warin,
2010).
Pour obtenir la PPE, l'un, au moins, des membres du foyer
fiscal doit avoir une activité salariée ou non salariée,
à temps partiel ou non, du secteur public ou privé (annexe 5).
Les personnes éligibles à la PPE doivent être fiscalement
domiciliées en France. Dans les faits, il est demandé de
déclarer son nombre total d'heures travaillées dans
l'année (ou de déclarer avoir travaillé à plein
temps toute l'année). Cette prime est « payée » par
l'Etat dans le but de favoriser le passage d'une prestation sociale (de type
RSA par exemple) à l'emploi, en augmentant l'écart entre revenus
du travail et revenus d'inactivité (Raulin, 2001 - 2). La PPE prend la
forme d'un impôt négatif (crédit d'impôt
récupérable).
2 - Un accès sous conditions de
ressources et d'activité
En 2015, le revenu fiscal de référence du
demandeur (revenu 2014) ne doit pas excéder 32 498 € pour un couple
marié (ou pacsé43), ou 16 251 € pour les
célibataires, veufs ou divorcés. Ces montants sont majorés
de 4 490 € pour chaque demi-part s'ajoutant à une part (personne
seule) ou à deux parts (couple marié ou pacsé).
La majoration s'élève à 4 490 €
divisés par deux pour chaque quart de part lié à la
présence d'un enfant en résidence alternée. De plus, le
foyer fiscal du bénéficiaire de la prime ne doit pas être
assujetti à l'impôt sur la fortune (ISF). « Le
montant total de la PPE accordée au foyer fiscal est minoré des
sommes perçues au cours de l'année civile par les membres de ce
foyer fiscal au titre du RSA, à l'exclusion des montants correspondant
à la différence entre le montant forfaitaire du RSA (dont le
niveau varie en fonction de la composition du foyer et du nombre d'enfants
à charge) et les ressources du foyer prises en compte pour
apprécier le droit au RSA »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
42 A ce titre, il est important de souligner que les
conditions de bénéfice de la PPE sont déclaratives, et
pour certaines (par exemple le caractère incomplet de l'activité)
coûteuses à contrôler dans le cadre de déclarations
fiscales, ce qui aboutit à une proportion non négligeable de
paiements indus (Cahuc et al., 2008 ; Cour des comptes, 2006 ; Elbaum,
2007).
43 De Pacte civil de solidarité (PACS).
34
« Pour l'année 2014 (PPE versée
en 2015), le montant des revenus d'activité de chaque personne
susceptible de bénéficier dans le foyer fiscal de la PPE doit
être d'au moins
3 743 euros (cette limite n'est jamais
proratisée même en cas de changement de situation de famille en
cours d'année) sans excéder les plafonds suivants
:
17 451 euros si la personne est
célibataire, veuve, divorcée sans enfant ou avec des enfants
qu'elle n'élève pas seule ; ou si elle est mariée ou
pacsée, lorsque le couple est soumis à imposition commune et que
chacun des conjoints occupe un emploi lui procurant au moins 3 743 euros ; ou
si le bénéficiaire éventuel de la prime est une personne
à charge du foyer exerçant une activité
professionnelle.
26 572 euros si la personne est mariée ou
pacsée, lorsque le couple est soumis à imposition commune et que
seul l'un des deux conjoints occupent un emploi lui procurant au moins 3 743
euros ; ou si la personne est célibataire, veuve ou divorcée et
élève seule un ou plusieurs enfants à
charge.
Les revenus exonérés d'impôt
sur le revenu au titre des heures supplémentaires ou
complémentaires sont retenus dans le montant des traitements et salaires
pris en compte pour apprécier les limites de revenus conditionnant le
bénéfice ou le montant de la Prime pour
l'emploi.
En cas de travail à temps partiel ou de
travail à temps plein sur une partie de l'année seulement, le
revenu d'activité est recalculé en « équivalent temps
plein » sur une année entière pour apprécier les
plafonds de revenus respectifs de 17 451 euros et 26 572 euros. Sur ce point,
on peut se renseigner auprès de son centre des impôts »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
3 - Quel est le montant de la PPE
?
« Le montant de la PPE individuelle est
calculé en pourcentage du revenu d'activité
déclaré. Le pourcentage appliqué varie selon le montant de
ce revenu. La prime attribuée au foyer fiscal correspond au total des
primes individuelles éventuellement majoré en fonction du nombre
de personnes à la charge du foyer (majoration de 36 ou 72 euros selon le
cas). Le montant de la prime tel que calculé par l'administration
fiscale, apparaît sur l'avis d'imposition de l'année en question.
La prime n'est pas due lorsque son montant total, au titre du foyer fiscal, est
inférieur à 30 euros »
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la
Formation professionnelle, et du Dialogue social, 2015).
Il est à préciser qu'il existe des dispositions
particulières s'agissant des journalistes, et d'autres professions
à statut particulier (Cadres au forfait, Voyageurs représentants
placiers (VRP), assistantes maternelles, gardiens d'immeuble, employés
de maison, saisonniers agricoles, auteurs compositeurs...).
35
Encadré 7 : Quelques chiffres sur la
PPE
En 2006, la PPE touchait un foyer sur quatre, avec une moyenne
de 377 €. Son coût total est de 3,2 milliards d'euros en 2008, elle
est versée à 8,7 millions de salariés modestes (Laurent,
2010). En 2011, elle touchait 6,7 millions de foyers, avec une moyenne annuelle
de 450 € (Lévêque, 2012).
Depuis sa création en 2001, la PPE n'a cessé de
prendre de l'ampleur. Par exemple, le montant global de la PPE a plus que
doublé depuis 2002, passant de 2,1 à 4,5 milliards d'euros entre
2002 et 2008, et le nombre de foyers bénéficiaires de la PPE est
passé de 8,5 millions en 2002 à 9 millions en 2008 (Bonnefoy et
al., 2009 ).
Roger Godino, conseiller du premier ministre Michel Rocard de
1988 à 1991, avait proposé en 1997 la création d'une
Allocation compensatrice du revenu (ACR) destinée à permettre aux
individus travaillant à temps partiel de percevoir une fraction
dégressive du RMI. Cette proposition avait fait l'objet de nombreux
commentaires et d'études, mais n'avait pas été retenue
(Gravel, 2002). « Défendue par Martine Aubry, alors
ministre de l'Emploi, l'idée d'un crédit d'impôt prenant la
forme d'un remboursement de la contribution sociale
généralisée (CSG) a été
écartée... ... au profit de l'allègement direct de la CSG
sur les bas salaires, préconisé par Laurent Fabius...
...contrairement au crédit d'impôt, techniquement difficile
à mettre en place, les allègements de CSG, appliqués
directement sur la fiche de paie, permettaient une hausse du pouvoir d'achat
des salariés modestes... ...le Conseil constitutionnel annule la
mesure... Le gouvernement devait trouver d'urgence une solution de rechange. Du
coup, Matignon a ressorti des tiroirs l'idée du crédit
d'impôt, rebaptisé... ... par Lionel Jospin Prime pour l'emploi
» (Raulin, 2001 - 2).
La PPE a été influencée par la mise en
place de crédits d'impôt sur le revenu aux Etats-Unis (Earned
Income Tax Credit) et au Royaume-Uni (Working Families Tax Credit),
pour stimuler l'activité et lutter contre le
phénomène des travailleurs pauvres (Cour des comptes, 2006). Ces
expériences étrangères ont fourni un terrain d'analyse
fertile s'agissant des effets incitatifs et redistributifs des crédits
d'impôt (Périvier, 2003). Mais à l'inverse des mesures
adoptées dans les pays anglo-saxons, la France, avec la PPE, a
opté pour une mesure largement diffusée dans la population, et ce
défaut de ciblage s'est traduit par de faibles montants
distribués (Arnaud et al., 2008).
Le caractère faiblement incitatif d'une reprise
d'emploi à mi-temps (trappe à inactivité) pour un
allocataire de minima sociaux était unanimement décrié
avant l'instauration de la loi dite « Aubry ». Celle-ci,
conjuguée à d'autres mesures, dont la Prime pour l'emploi,
modifia la situation des personnes concernées. Désormais, le
revenu disponible est une fonction croissante de la durée du travail,
quel que soit l'horizon temporel adopté (Hagneré, Trannoy, 2001).
A cet égard, comme sur celui de la lutte contre la pauvreté
36
laborieuse et les inégalités, la PPE affiche des
points positifs, mais de nombreuses questions subsistent. En effet, la PPE a de
tout temps suscité de sincères critiques, et de réelles
interrogations, alors même qu'elle n'a pas été
impactée, sur le plan cognitif, par des actions issues de politiques
électorales ou politiciennes. Ses impacts ont été
rapidement remis en cause, soulevant même la question de savoir s'il
était utile de la maintenir (Dupond, Sterdyniak, 2001).
La PPE, par le biais d'un crédit d'impôt
récupérable, a une fonction redistributive centrale à
travers l'incitation au retour à l'emploi et au maintien de
l'activité (particulièrement par l'intéressement des
minimas sociaux). Elle ne cherche pas cependant à compenser
l'insuffisance des revenus liée à une faible durée de
travail annuel. Elle ne concerne que les actifs au travail ayant des revenus se
situant entre 0,3 et 1,4 SMIC, selon leur configuration familiale (triple
condition de ressources individuelles et familiales, et d'activité).
Elle se pose en double lutte : celle contre la pauvreté laborieuse, en
redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs et aux ménages
pauvres, et celle contre les trappes à inactivité (et l'exclusion
sociale qui peut en découler), en créant un écart entre
revenu d'activité et d'inactivité, rendant le travail plus
rémunérateur (Making work pay) sur l'exemple britannique
et américain. La PPE est à la fois une mesure sociale et fiscale
qui permet de majorer le taux de salaire net sans accroître le coût
salarial, en maintien de la rentabilité des entreprises et de la
compétitivité du modèle français (Périvier,
2003).
Il a été vérifié que, bien que
fondée sur les mêmes principes, la PPE se différencie assez
fortement des exemples étrangers (le Working Families Tax Credit
(WFTC) britannique et L'Earned Income Tax Credit (EITC)
américain). La PPE est en effet moins ciblée et les montants
alloués sont moins importants (certains auteurs font état d'un
« saupoudrage » et non d'un ciblage de la PPE).
La PPE semble peu visible en faveur de l'incitation au
travail, de part la faiblesse des sommes distribuées (conjuguée
à une distribution peu ciblée), et de part ses modalités
de versement qui la décalent de 9 à 18 mois. De plus, «
la familiarisation partielle de la PPE peut désinciter à la
bi-activité dans les ménages comportant deux adultes »
(Cahuc et al., 2008 : p. 77). Enfin, les conditions
d'accès et le fonctionnement général du dispositif
sont-ils suffisamment connus, tant des populations concernées que de
celles qui n'y ont pas droit (Annexe 6, 7, et 8 ; Cour des comptes, 2006) ?
Depuis sa création, la Prime pour l'emploi a
été réformée et revalorisée à
plusieurs reprises, traduisant la volonté des gouvernements successifs
de soutenir le revenu des travailleurs modestes autrement que par les revenus
du travail (Bonnefoy et al, 2009), alors même que la PPE,
dès son lancement en 2001, avait fait l'objet de vives critiques et
interrogations. En effet, ses impacts ont été rapidement remis en
cause, jusqu'à soulever même la question de savoir s'il
était utile de la maintenir (Dupond, Sterdyniak, 2001). Alors qu'en
est-il réellement ?
37
CHAPITRE II - L'actualité du dispositif PPE
La Prime pour l'emploi est assortie de vives interrogations :
par exemple, ne devrait-elle pas porter un autre nom ? Quelle est sa principale
fonction aujourd'hui ? Pour quelles raisons cette mesure est-elle
appelée si souvent à être réformée ? La Prime
pour l'emploi n'est-elle pas victime de sa fonction multiple ?
Principalement, la Prime pour l'emploi a-t-elle un impact
redistributif, stimule-t-elle l'emploi (Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment
l'emploi des femmes (Cahuc, 2002),
est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001),
est-elle compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013),
peut-elle poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond,
Sterdyniak, 2001) ? Enfin, quelles perspectives sont-elles à venir pour
la Prime pour l'emploi (Sirugue, 2013) ?
L'objet de ce second chapitre est de mesurer la pertinence,
l'efficacité, et l'efficience du dispositif de la Prime pour l'emploi
(problématique).
L'objectif est de vérifier la pertinence du dispositif
face à ses objectifs premiers : l'incitation à la reprise et au
maintien dans l'emploi, et la lutte contre la pauvreté laborieuse (et
in fine la lutte contre les inégalités,
du moins dans la catégorie des actifs au travail). Ces deux principaux
objectifs sont-ils atteints, et quel sont réellement leurs impacts
redistributifs et ceux sur la stimulation de l'emploi (l'emploi des femmes en
particulier) (Pisani-Ferry, 2003 ; Cahuc, 2002) ? D'autre part, ces deux «
missions » sont-elles en mesure de cohabiter : en l'espèce, ce
dispositif peut-il poursuivre en même temps deux objectifs distincts
(Dupond, Sterdyniak, 2001 ; Commission familles, vulnérabilité,
pauvreté, 2005 ; Cour des comptes, 2011) ?
En position de neutralité face aux thèses en
présence, l'objectif est par là-même d'apporter une
réponse aux questions centrales. Ces réponses s'articuleront
autour d'une reformulation simplifiée du questionnement : pourquoi
finalement la Prime pour l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles
sont ses perspectives d'avenir ? A ce titre, l'analyse mettra en
évidence, en démonstration, les avantages et les
inconvénients de cet outil de politique publique.
Pour poursuivre, la question de la justice sociale sera
abordée, dépassant une approche seulement monétaire de
l'aide qui peut être apportée aux personnes en situation de
reprise d'emploi, ou de maintien dans un emploi faiblement
rémunéré : la PPE est-elle socialement juste (Dupond,
Sterdyniak, 2001) ? Notamment s'agissant de primer des actifs au travail quand
plus de 3 500 000 actifs sans emploi étaient inscrits en
catégorie A sur les listes de Pôle-Emploi fin avril 2015
(Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle, et
du Dialogue social, 2015 - 2). La PPE créé-t-elle et/ou
gomme-t-elle des inégalités sociales ? Apporte-t-elle une aide
adaptée et équitable aux travailleurs, particulièrement
aux femmes en situation d'emploi ?
38
Enfin, le dispositif sera abordé sous l'angle des
capabilités, selon la grille d'analyse proposée par
Amartya Sen, afin de dépasser l'approche seulement monétaire des
situations de pauvreté laborieuse et des solutions qui peuvent y
être apportées.
Pour cette démonstration, des cadres théoriques
d'analyse seront mobilisés. Il sera particulièrement fait usage
de l'analyse séquentielle des politiques publiques (Jones) et de
l'analyse cognitive des politiques publiques (Muller). L'Approche par les
capabilités (Sen) sera utilisée s'agissant de l'approche
non monétaire qui peut être faîte des aides à
apporter aux situations de reprise ou de maintien dans l'emploi faiblement
rémunéré.
La PPE est-elle assez ciblée ? Les montants
versés sont-ils substantiels ? Les bénéficiaires
comprennent-ils vraiment le fonctionnement du dispositif ? (Annexe 6, 7, et 8 ;
Cour des comptes, 2006). La PPE est-elle réellement incitative alors
qu'elle est versée avec un décalage dans le temps de 9 à
18 mois (Cour des comptes, 2006) ?
Sur les exemples étrangers, L'EITC
américain est une mesure plus ciblée que la PPE puisque seul
un foyer sur cinq (1/5) en bénéficie, contre un foyer sur quatre
(1/4) pour la PPE. Les montants alloués sont également plus
importants : l'EITC peut par exemple accroître de près de
40 % le revenu des ménages ayant deux enfants et dont un seul membre
travaille à temps plein avec un salaire minimum (Arnaud et al.,
2008 ; OFCE, 2003). Le WFTC britannique est beaucoup plus ciblé
que l'EITC et la PPE, puisque seul un foyer sur vingt (1/20) en
bénéficie. Les montants accordés sont également
plus élevés. Ainsi, la prestation peut atteindre 160 % du revenu
déclaré. Cependant, ces chiffres sont à relativiser car le
WFTC est considéré comme un revenu pour le calcul des
autres aides et peut entraîner une réduction des aides globales
accordées au ménage (Arnaud et al., 2008 ; OFCE,
2003).
A titre d'exemple, L'EITC est une
mesure particulièrement incitative pour les foyers mono-actifs avec
enfant. Il est estimé ainsi que l'EITC a fait passer le taux
d'activité pour cette catégorie de la population de 65,5 %
à 72,1 % entre 1993 et 1996, ce qui représente 146 millions
d'heures de travail. En revanche, la mesure semble avoir un effet
désincitatif sur l'activité des femmes mariées. On estime
à cet égard, et pour la même période, une perte
à 8,9 millions d'heures de travail (Arnaud et al., 2008 ; OFCE,
2003). Le WFTC britannique a induit de son côté une
augmentation du taux d'activité de 0,15 %. Cependant, rapporté au
coût net du WFTC, l'impact est faible et le rapport coût /
efficacité est médiocre (6000 livres par nouvel entrant) (Arnaud
et al., 2008).
Dans ce contexte, pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle
pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ?
39
A - De la non-optimalité à la
contreperformance de l'impact redistributif et de la stimulation de
l'emploi
Même si le coût budgétaire de la Prime pour
l'emploi est loin d'être négligeable, la faible contribution de la
PPE à la redistribution totale s'explique en partie par sa masse
financière qui est sans commune mesure avec celles de l'impôt sur
le revenu ou des prestations familiales44. Il est également
important de souligner que l'exclusion de son bénéfice des
personnes ayant des revenus d'activité inférieurs à 0,3
SMIC, et son extension à des personnes ayant des revenus
d'activité supérieurs à 1,4 SMIC, en amoindrissent le
caractère purement redistributif , puisque la prise en compte de
certaines situations familiales permet notamment à des personnes
disposant d'un revenu d'activité atteignant 2,1 SMIC d'en
bénéficier (Bonnefoy et al., 2008 - 2). Pour les
personnes ayant des revenus d'activité compris entre 0,3 et 1,4 SMIC
(« le coeur de cible»), les gains financiers sont toutefois
substantiels : le supplément de ressources s'élève
à 9 % du revenu d'activité pour les personnes percevant entre 0,3
et 0,7 SMIC annuel, et de 5 à 6 % pour celles dont les revenus
d'activité se situent autour du SMIC, soit 760 euros environ en 2007
pour les personnes ayant des revenus proches du SMIC (Arnaud et al.,
2008 - 2). Loin d'être négligeable pour les personnes aux revenus
modestes, la PPE joue néanmoins un rôle redistributif
limité (Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Le Conseil de l'emploi, des revenus, et de la cohésion
sociale (CERC), qui avait examiné le projet initial de PPE (rapport
n° 1, « Accès à l'emploi et protection sociale »),
avait déjà souligné à cette époque que le
coût budgétaire était important pour un faible effet
redistributif, notamment en raison du niveau des plafonds retenus pour le
revenu total du foyer fiscal pour les couples avec ou sans enfants à
charge. Il préconisait une refonte visant à réduire ces
plafonds. Cette refonte aurait permis de concentrer les effets
budgétaires sur les ménages ne disposant que de faibles revenus
du fait d'un accès insuffisant à l'emploi et aurait
également eu des effets d'incitation plus marqués au retour
à l'emploi des allocataires de minima sociaux (Conseil de l'emploi, des
revenus, et de la cohésion sociale, 2006).
Au cours des trente dernières années, la
montée du chômage et de la précarité des emplois ont
suscité des interrogations croissantes sur l'approche essentiellement
« réparatrice » de l'assurance chômage et sur les
désincitations qu'elle pouvait induire, tant du point de vue de l'offre
que de la demande de travail. Il est donc apparu nécessaire de
développer des politiques actives de l'emploi : des politiques de
subvention visant à renforcer la demande de travail des employeurs, et
des politiques d'intéressement visant à stimuler l'offre de
travail des salariés. Parmi les dispositifs d'intéressement mis
en place figure la Prime pour l'emploi, visant à la fois à
soutenir l'offre de travail et à assurer une meilleure redistribution
des revenus (Bonnefoy et al.,
44 En 2006, la prime pour l'emploi représentait 0,4 %
du revenu disponible, l'impôt sur le revenu avant PPE 6,5 %, les
prestations familiales 4,1 %, les aides au logement locatif 1,3 % et les minima
sociaux 1,1% (Bonnefoy et al., 2008 - 2).
40
2008 - 2). Faisant partie des politiques actives de l'emploi,
la PPE (comme le RSA) a entre autres pour but de connecter les minima sociaux
au travail, en référence aux modèles britannique et
américain (ou au Kombilohn allemand) (Hirsch, 2008).
Dans son rapport annuel de 2005, la Cour des comptes indiquait
que peu d'études sur le volet incitatif de la PPE avaient
été réalisées, les seuls éléments
chiffrés disponibles étant issus de simulations
économétriques ex ante, et non de données
observées sur le marché du travail ex post. Ces
simulations sont néanmoins riches d'enseignement, et montrent que
l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (+0,2
à
+0,4 % selon les études). Ces simulations
présentent certes des faiblesses, mais les enquêtes
réalisées auprès des ménages corroborent en
définitive ces conclusions : ainsi, en juin 2003, dans les
réponses à l'enquête de l'INSEE, 3 % seulement des
ménages interrogés ont indiqué être incités
par la PPE à reprendre une activité, 4% seulement à
travailler davantage et 31 % à continuer à travailler. L'effet de
la PPE sur l'emploi, selon ces modèles économétriques
ex ante, paraît donc incertain, et compte tenu du coût
budgétaire, son rapport coût/efficacité paraît faible
(Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Pour promouvoir l'emploi et les revenus des salariés
faiblement rémunérés, le système français
dispose essentiellement de trois instruments : le SMIC, les charges sociales et
la Prime pour l'emploi. « Trois instruments pour atteindre
deux objectifs, c'est, du point de vue de l'arithmétique, plus qu'il
n'en faut » (Cahuc et al., 2008 : p.
110).
a - Impact redistributif
« Le modèle simple de redistribution
optimale a été introduit dans la littérature
économique il y a presque 30 ans par
Mirrlees45. Il met parfaitement
en lumière les enjeux essentiels de la redistribution, et en particulier
les termes de l'opposition entre équité et efficacité
» en terme d'arbitrage (Bourguignon, 2012 : p. 188). A ce
titre, la Prime pour l'emploi a-t-elle un réel impact redistributif
(Pisany-Ferry in OFCE, 2003) ?
L'aspect redistributif, doit s'entendre ici uniquement au sens
de la modification de la distribution des revenus. En effet, et
idéalement, les choix des agents ne doivent être modifiés
que par l'effet revenu, tandis que les prix relatifs de l'économie
restent inchangés (prix relatifs entre biens, entre travail et loisir,
et entre facteurs de production ou entre facteurs de consommations) (Conseil
d'orientation pour l'emploi, 2006).
En rappel, il est utile de préciser les concepts de
revenu et le contour du champ de la redistribution dans le système
français, tel que l'image le schéma 2.
45 Sir James Alexander Mirrlees est un économiste
écossais, né le 5 juillet 1936 au Royaume-Uni. Il a reçu
en 1996 le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en
mémoire d'Alfred Nobel et a été fait chevalier en 1997.
41
Schéma 2 : Récapitulatif des
différents concepts de revenu et contour du champ de la
redistribution
Source : Marical 2009 : p. 77.
Dans une première évaluation de la Prime pour
l'emploi à l'aide du modèle de micro-simulation «
Myriade46 » de la caisse nationale des allocations familiales
(destiné à l'analyse des politiques sociales et fiscales), il est
démontré que « la Prime pour l'emploi
permet de réduire le taux moyen de
prélèvements nets de deux catégories d'individus : les
individus les plus modestes qui sont membres d'une famille comprenant un actif
occupé, et les individus dont le niveau de vie est moyen mais qui
supportent un taux moyen de prélèvements nets
particulièrement élevé »
(Legendre et al., 2002 : p. 557). Les
revalorisations successives appliquées au modèle de 2001 n'ont
pas modifié cet aspect.
En définitive, on présente la Prime pour
l'emploi comme un crédit d'impôt réservé aux
titulaires d'un revenu d'activité compris entre 0,3 SMIC et 1,4 SMIC
à temps plein et dont le montant est maximal pour un revenu
équivalant au SMIC à temps plein. Ainsi, le montant de la Prime
présente un profil, en fonction du revenu, en « dos d'âne
». Pour des revenus inférieurs au SMIC la Prime pour l'emploi
s'apparenterait à une ristourne de CSG, en étant une fonction
croissante du revenu. Cependant, la prime est une fonction décroissante
de la rémunération horaire lorsque celle-ci est supérieure
au SMIC horaire (Legendre et al., 2002).
46 Voir annexe 3.
42
Les modèles français de simulation («
Myriade » pour la CNAF47 et « Ines48 »
pour l'INSEE)49 offrent une représentation assez
fidèle du dispositif et donnent donc un chiffrage précis des
effets redistributifs (Périvier, 2003). Ainsi, selon ces deux
modèles de simulation, il ressort que la faiblesse des sommes
allouées, associées à une distribution insuffisamment
ciblée, font de la PPE une mesure peu redistributive, dont l'impact sur
la pauvreté, les inégalités, ou encore la
progressivité de l'impôt sur le revenu est limité (Arnaud
et al., 2008).
En démonstration, « en 2006, 1,9
million de personnes sont considérées comme des travailleurs
pauvres, c'est-à- dire qui exercent une activité professionnelle
mais ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. La
moitié d'entre elles ne bénéficie pas de la PPE. Dans 70 %
des cas, cela s'explique par leur trop faible revenu d'activité
inférieur à
0,3 SMIC annuel. Les personnes pauvres exclues de
la PPE bien qu'ayant exercé un emploi, n'ont souvent travaillé
qu'une partie de l'année (la moitié d'entre elles
déclarent avoir travaillé moins de trois mois dans
l'année), mais 35 % des personnes pauvres qui ne
bénéficient pas de la PPE déclarent avoir exercé un
emploi durant toute l'année. La non-éligibilité à
la PPE peut s'expliquer par un faible nombre d'heures travaillées. Dans
ce cas, soit le revenu d'activité annuel est inférieur à
0,3 SMIC, soit au contraire, il est trop élevé en
équivalent temps plein. La non-éligibilité à la PPE
de travailleurs pauvres peut aussi s'expliquer par leur appartenance à
une famille nombreuse : dans ce cas, le revenu de leur foyer fiscal est trop
élevé pour être éligible mais leur niveau de vie est
faible en raison de la présence d'enfants... ... Sur l'ensemble des
travailleurs pauvres, seuls 6 % sortent ainsi de la pauvreté grâce
à la prime. Les changements de barèmes en 2007 augmentent
sensiblement les montants de PPE versés, mais l'impact sur la
pauvreté reste limité » (Bonnefoy et
al., 2008 - 2 : p. 14).
Globalement, la PPE profitent aux ménages du bas de la
distribution des revenus. Cependant, elle est davantage ciblée sur le
troisième décile et s'étale très haut dans la
distribution des revenus50/ 51 (Périvier, 2003). A titre
d'exemple, en 2010, la Prime pour l'emploi, en tant que crédit
d'impôt destiné aux travailleurs à bas revenu,
améliore le pouvoir redistributif de l'impôt sur le revenu et
contribue pour un peu moins de 4 % à la réduction des
inégalités (Cazenave et al., 2011). Les prestations
réduisent davantage les inégalités de niveau de vie que
les prélèvements, telle que le démontre, au titre de
l'année 2011 le tableau 7.
47 Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF).
48 Voir annexe 1 et 2.
49 « Myriade » et « Ines » sont des
appellations qui ne représentent des sigles ou acronymes.
50 Un tiers du budget de la PPE bénéficie
à des individus appartenant aux cinq déciles supérieurs de
la population (Hirsch, 2008).
51 Les personnes des deux premiers quintiles sont en effet non
imposables, sauf exception selon la configuration du foyer fiscal, et la baisse
de niveau de vie est plus forte pour les ménages du dernier quintile que
pour les ménages des troisième et quatrième quintiles
(Cazenave, 2011).
43
Tableau 7 : Contribution des
différents transferts à la réduction des
inégalités de niveau de vie en 2011
1. Les cotisations sociales retenues ici regroupent les
cotisations patronales et salariales famille, les taxes logement, transport et
apprentissage.
2. Allocation de soutien familial, allocation
d'éducation de l'enfant handicapé, compléments de libre
choix d'activité et de libre choix du mode de garde de la
PAJE52, subventions publiques pour la garde d'enfants en
crèches collectives et familiales.
3. Complément familial, allocation de base de la PAJE,
allocation de rentrée scolaire, bourses du secondaire.
4. Partie « socle » du revenu de solidarité
active, minimum vieillesse (ASPA53), allocation
supplémentaire d'invalidité, allocation pour adulte
handicapé et son complément.
Champ : France métropolitaine,
personnes vivant dans un ménage dont le revenu est positif ou nul et
dont la personne de référence n'est pas étudiante.
Lecture : les prestations représentent
en moyenne 7,3 % du niveau de vie et contribuent pour 66,2 % à la
réduction des inégalités.
Note : la colonne (A) représente le rapport moyen entre
le prélèvement ou la prestation considéré et le
niveau de vie. La colonne (B) estime la progressivité du transfert via
la différence entre son pseudo-Gini et le Gini du niveau de vie avant
redistribution. La colonne (C) estime la contribution (en %) de chaque
transfert à la réduction des inégalités. Elle
s'obtient en faisant le produit des valeurs absolues des colonnes (A) et (B)
pour le transfert et en divisant ce produit par la somme des produits sur tous
les transferts.
Sources : INSEE ;
DGFIP54 ; CNAF ; CNAV55 ; CCMSA56,
enquête Revenus fiscaux et sociaux 2009 (actualisée 2011),
modèle « Ines », calculs DREES57 et INSEE, in Duval
et al. 2012 : p. 81.
Les personnes appartenant aux 10 % les plus pauvres ne peuvent
bénéficier de la PPE (Périvier, 2003). Ce fait s'explique
par les caractéristiques du marché du travail français :
le salaire minimum élevé implique que les individus ayant une
productivité
52 Prestation d'accueil des jeunes enfants (PAJE).
53 Allocation de solidarité aux personnes
âgées (ASPA).
54 Direction générale des finances
publiques (DGFIP).
55 Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV).
56 Caisse centrale de la mutualité sociale et
agricole (CCMSA).
57 Direction de la recherche, des études, de
l'évaluation, et des statistiques (DREES).
44
trop faible ne peuvent trouver un emploi et donc ne peuvent
pas bénéficier de la mesure (Cahuc, 2002). D'autre part, le
montant de la prime est croissant avec le nombre d'heures travaillées
pour des rémunérations horaires inférieures au SMIC, puis,
au-delà, il décroît à mesure que le temps de travail
augmente. Ce principe implique une certaine ambiguïté
vis-à-vis de la cible visée. D'un côté, elle est
défavorable aux travailleurs à temps partiel subi (alors que
ceux-ci constituent l'essentiel des travailleurs pauvres), mais d'un autre
côté, elle favorise les travailleurs ayant une
rémunération horaire faible, et devrait donc malgré tout
cibler une partie de cette catégorie d'individus (Périvier,
2003). D'un point de vue plus technique, l'exclusion des travailleurs ayant
gagné moins de 0,3 SMIC dans l'année, une condition de ressources
assez peu restrictive notamment pour les couples, et le fait que le calcul de
la prime se fasse essentiellement sur une base individuelle, en dépit de
l'existence de conditions de revenus au niveau du foyer fiscal, limitent le
pouvoir redistributif de la PPE. Or, aucune de ces caractéristiques n'a
été modifiée depuis 2001. Ainsi, même si le
dispositif a été revalorisé fortement à plusieurs
reprises, ces hausses ont concerné tous les groupes de
bénéficiaires, quel que soit leur niveau de vie, mais n'ont pas
modifié la configuration redistributive (Bonnefoy et al.,
2009).
En conclusion, les montants distribués via la
PPE sont de faible importance et le bénéfice de ce crédit
d'impôt n'est pas particulièrement ciblé sur les individus
de faible niveau de vie (Legendre et al., 2004), d'autre part, «
peu ciblée et excluant les salariés et
non-salariés ayant de faibles revenus d'activité
(inférieurs à 0,3 SMIC), la Prime pour l'emploi ne réduit
que de 0,5 point le taux de pauvreté des personnes en emploi »
(Bonnefoy et al., 2008 - 2 : p. 4).
b - Stimulation de l'emploi
Selon Hagneré et alii en 2003, il existe six
modèles où interviennent, d'une manière tantôt
substituable tantôt complémentaire, trois facteurs de non-emploi :
la faiblesse des incitations financières, une productivité
inférieure au coût du SMIC et des dysfonctionnements du
marché du travail (Hagneré et al., 2003). La PPE
s'attaque à l'incitation financière.
Les modèles français de simulation («
Myriade » pour la CNAF et « Ines » pour l'INSEE)
n'intègrent pas les réactions comportementales des agents
(anticipations) et ne permettent donc pas d'évaluer ex ante les
effets de la PPE sur l'offre de travail des individus (Périvier,
2003).
A ce stade, seul un questionnement de la population
concernée peut révéler les effets de la PPE sur l'offre de
travail des individus. En effet, s'agissant de la stimulation à
l'emploi, le point essentiel à vérifier est celui de la
connaissance même du dispositif par la population concernée
(condition indispensable à la production d'une stimulation) (Annexe 6,
7, et 8 ; Cour des comptes, 2006).
45
La Direction de l'animation de la recherche, des
études, et des statistiques (DARES) et la Direction de la recherche, des
études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) ont conduit
à cet effet une enquête auprès des
bénéficiaires potentiels de la Prime pour l'emploi en 2007 (cible
: les personnes âgées de 23 à 55 ans qui percevaient, en
2005, des revenus d'activité inférieurs à 1,5 SMIC net).
Environ 90 % des personnes interrogées déclaraient avoir
déjà entendu parler de la Prime pour l'emploi. Une
majorité d'entre elles connaissait également les grands principes
de ce dispositif. Les règles précises de fixation du montant de
la PPE, comme le seuil minimum de revenu requis pour la percevoir ou le fait
que la PPE versée dépendait pour partie des revenus du conjoint,
échappaient cependant à la majorité des répondants.
Les bénéficiaires mettaient en outre du temps à s'adapter
aux modifications réglementaires des modalités de la PPE. Par
exemple, l'augmentation de 30 % du barème de la PPE en 2006
n'était pas encore connue de la plupart des répondants plus d'un
an après son application (Bonnefoy et al., 2008 - 1).
En résumé de cette enquête, une
majorité d'enquêtés connaissait les grands principes de la
Prime pour l'emploi, cependant les règles précises de fixation du
montant de la PPE leur échappaient. De plus, l'augmentation
récente du barème de la PPE n'était pas encore connue par
la plupart. Il a été observé que les
bénéficiaires de la PPE avait une connaissance du dispositif
légèrement meilleure que celle des
non-bénéficiaires (Bonnefoy et al.,
2008 - 1). Ces résultats ont largement été
vérifiés, en réponse d'ailleurs à l'interrogation
de la Cour des comptes en 2006, lors des trois enquêtes « terrain
» présentées en annexes 6, 7, et 8 (une menée
à Pôle-Emploi de Saint-Chamond (Loire) les 6 et 7 août 2015
; la seconde menée sur le réseau Network « LinkedIn
»58, finalisée le 6 août 2015 ; et en fin la
troisième menée sur le réseau Network « Viadeo
»59 finalisée le 7 août 2015). Les enquêtes
« terrain » réalisées (annexes 6, 7, et 8) ont
démontré une faible connaissance du dispositif,
particulièrement en catégorie « employés et ouvriers
» (essentiellement le coeur de cible de la PPE).
En théorie, un crédit d'impôt sur l'offre
de travail permet de rendre l'accès à l'emploi plus attractif
financièrement pour les travailleurs faiblement qualifiés, et
donc de les inciter à prendre un emploi. Cependant, il peut
également générer des conséquences négatives
sur l'offre de travail de certaines catégories de travailleurs. D'une
part, il peut induire une incitation à la réduction de l'offre de
travail des individus qui, déjà en activité, ont un revenu
situé dans la tranche où l'aide diminue. D'autre part, il est
susceptible de jouer un rôle négatif sur l'emploi du travailleur
le moins bien rémunéré dit « travailleur secondaire
» dans le couple. Imposer un taux marginal relativement
élevé sur le salaire de ces deux catégories d'individus
est difficile à éviter (Périvier,
58 « LinkedIn » est un réseau social
professionnel en ligne créé en 2003 à Mountain View.
Début 2014, le site revendique plus de 300 millions de membres à
travers plus de 170 secteurs d'activités, et ce dans plus de 200 pays
59 « Viadeo » est un réseau social
professionnel lancé en France en 2004. En 2015, il compte 65 millions de
membres à travers le monde (dont 10 millions en France). Viadeo
s'implante avec une stratégie multi-locale.
46
2003). Cette mesure, centrée sur les emplois à
temps plein, a donc globalement des effets incitatifs faibles, comme on peut
l'appréhender au travers de la modification limitée qu'elle
induit sur le profil du revenu total en fonction du revenu d'activité
(Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion Sociale, 2001).
L'analyse grandeur nature réalisée à
partir du logiciel de micro simulation SYSIFF98 en 2003 confirme que les taux
marginaux effectifs de prélèvement et les gains financiers
à la reprise d'emploi font que, déjà à cette
époque, et malgré les premières réformes et
revalorisations, la PPE n'atteint que modestement ses objectifs incitatifs.
D'autre part, la majoration pour les salariés à temps partiel
reste également trop modeste pour rendre vraiment intéressante
une reprise d'activité à mi-temps (Bargain, Terraz, 2003 ;
Courtioux, Le Minez, 2004).
Enfin, la PPE est perçue tous les ans dans le cadre de
l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Cette modalité de
versement rend le dispositif moins apparent pour les individus qui, de fait,
sont moins enclins à ajuster leur offre de travail. Le versement d'un
acompte simplifié directement sur le salaire mensuel pourrait
améliorer le caractère incitatif de la PPE, d'autant plus que
l'aide est élevée dans son montant, mais cette mesure reste peu
sollicitée60 (Périvier, 2003), alors que «
la question financière, sans être un frein
déterminant à la recherche d'emploi, constitue un sujet de
préoccupation central » (Bonnefoy et al.,
2008 - 2 : p. 5).
Au final, il apparaît que « la Prime
pour l'emploi ne profite pas majoritairement aux plus pauvres et incite les
employeurs à multiplier les emplois paupérisants »
(Clerc, 2006).
1 - L'emploi en général
Il semblerait que le faible caractère incitatif de la
PPE sur l'emploi s'expliquent d'une part par la faiblesse des montants
distribués, particulièrement en 2001, et d'autre part sans doute
aussi, par le décalage important entre la reprise d'une activité
et le versement effectif de la PPE (qui peut atteindre jusqu'à 18 mois),
ce fait réduisant sa visibilité61 (Arnaud et al.,
2008 ; Attali, 2008 ; Cahuc et al., 2008 ; Cour des comptes 2006
; Cour des comptes 2011). Enfin, la population concernée, comme vu
précédemment, n'a pas assez connaissance du dispositif (par
manque d'information selon la Cour des comptes en 2006) (Annexes 6, 7, et 8 ;
Cour des comptes, 2006). L'ensemble de ces éléments fait que
« la PPE est particulièrement diluée, ce qui est
largement dénoncé » (Hirsch, 2008 : p. 197).
60 « Alors que près de 90 % des
personnes n'ayant pas fait la demande de mensualisation pour 2007
(possibilité introduite dans la loi de finances de 2006 au titre des
revenus de 2005 et qui a concerné en 2006 17 % des
bénéficiaires) déclarent connaître cette nouvelle
disposition » (Bonnefoy et al., 2008 - 2 : p.
4).
61 Cependant, et comme observé à
l'étranger, la mensualisation (introduite par la loi de finances
2006), offrant la possibilité de contrecarrer cet
inconvénient temporel, n'intéresse dans les faits que peu de
bénéficiaires (Bonnefoy et al., 2008 - 1).
47
En complément, et en toile de fond, il est important de
souligner que « l'effet favorable sur l'emploi de
réformes fiscales incitatives à l'offre de travail dépend
fortement des conditions de fonctionnement du marché du travail et de
son état. Dans des pays souffrant d'un taux de chômage
élevé des travailleurs peu qualifiés et en présence
d'un salaire minimum (ce qui est le cas de la France), il y a peu de chance que
l'instauration d'un crédit d'impôt ayant pour but
d'accroître l'offre de travail permette de réduire le taux de
chômage. Par ailleurs, s'agissant de stimuler l'emploi des personnes peu
qualifiées, il semble que ce segment du marché du travail souffre
davantage d'un problème de demande que d'un problème d'offre.
» (Périvier, 2003 : p. 308).
Enfin, des trappes à inactivité demeurent pour
certains groupes d'individus. A titre d'exemple, malgré l'introduction
de dispositifs incitatifs en faveur de l'emploi (dont la PPE), les incitations,
pour une personne appartenant à un ménage avec deux enfants,
à accepter un emploi rémunéré au salaire minimum
sont toujours faibles (Anne et l'Horty, 2002), même sans tenir compte des
transferts locaux car le taux marginal effectif d'imposition est
élevé (Jamet, 2006).
Les flux d'entrants ou de sortants du dispositif de la PPE
représentent chacun environ 30 % du nombre de
bénéficiaires chaque année. L'entrée se fait
majoritairement « par le bas ». C'est le cas des foyers jeunes qui
entrent pour la première fois sur le marché du travail ou des
reprises d'activité après une période chômée.
La sortie du dispositif est équitablement répartie « par le
haut et par le bas » du barème, faisant suite à une
progression ou à une diminution des revenus, par exemple, et dans ce
dernier cas, après une perte d'emploi ou une mise à la retraite.
Cependant, d'autres facteurs, indépendants du marché du travail,
peuvent entrer en jeu dans l'accès au dispositif : la modification de la
structure du foyer fiscal et/ou la revalorisation des seuils du barème
(Duval, 2010).
En conclusion et globalement, tant pour le retour que pour le
maintien dans l'emploi, « la PPE ne semble pas être un facteur
déterminant » (Bonnefoy et al., 2008 - 2 : p. 5).
2 - L'emploi des femmes
« Le quotient familial est depuis sa
création en 1946, le coeur du dispositif assurant la familiarisation de
l'impôt sur le revenu français. A ce titre, il fait l'objet de
fréquentes critiques. Les plus anciennes et les plus nombreuses
discutent de son incidence redistributive soulignant qu'il confèrerait
aux familles bénéficiaires un avantage croissant avec le revenu
et le nombre des enfants. Plus récemment, des travaux s'inscrivant dans
une perspective de genre ont contesté son influence sur les choix des
femmes en matière d'emploi. En effet, selon les approches courantes en
termes de genre qui étudient les dispositifs sociaux en fonction de leur
incidence sur les comportements féminins de participation au
marché du travail, les droits dérivés tels que le quotient
familial, exercent une influence défavorable sur l'activité
professionnelle des femmes. Le quotient familial apparaît d'une certaine
manière comme exemplaire des problèmes posés par la
non-individualisation des droits sociaux »
(Monnier, 2010 : p. 2).
48
L'insertion professionnelle des femmes a été
favorisée par l'élévation de leur niveau de formation,
mais elle a des caractéristiques qui lui sont également propres.
La croissance de l'activité féminine s'est faite en partie
grâce au développement du temps partiel, cependant les conditions
d'emploi et de rémunération des femmes sont en moyenne moins
favorables que celles des hommes. Dans les pays développés, dont
la France, les femmes gagnent en moyenne 18 % de moins que les hommes.
(Châteauneuf-Malclès, 2011).
Une partie des inégalités professionnelles entre
femmes et hommes prend racine en dehors du contexte professionnel. L'insertion
massive des femmes sur le marché du travail s'est traduite par la «
double journée de travail » puisque les femmes ont continué
à prendre en charge l'essentiel des responsabilités au sein du
foyer. Cette situation les a poussées à développer des
stratégies de conciliation vie entre vie professionnelle et vie
familiale : « choix » (sous contrainte) de temps partiel,
interruptions de carrière pour certaines (notamment facilitées
par les congés parentaux), carrières plus modestes que celles
auxquelles elles peuvent prétendre avec leur niveau de formation,
préférence pour des secteurs ou des professions avec des
organisations plus adaptées à la vie familiale)
(Châteauneuf-Malclès, 2011).
Selon Olivier Thévenon62, il faut distinguer
trois types de politiques familiales favorisant la conciliation entre vie
professionnelle et vie familiale : les politiques d'aides financières
sous forme de prestations ou d'avantages fiscaux (dont la PPE) ; les politiques
d'offre de services en matière d'accueil de la petite enfance ; et les
politiques d'aides en temps, sous forme d'octroi de congés parentaux ou
d'autorisation en matière de temps partiel et de flexibilité des
horaires de travail (Châteauneuf-Malclès, 2011). Il est
intéressant à ce titre d'observé que sur ces trois types
de politiques familiales, une seule est financière (en
référence aux capablités de Sen en 2003).
La PPE est un dispositif impactant la fiscalité du
foyer (annexe5). A une très grande majorité, au sein du
ménage, l'homme a des revenus prépondérants. Or, dans une
famille, l'impôt sur le revenu dépend du revenu du foyer fiscal et
pas du revenu individuel. En conséquence, dans un couple dont les
niveaux de revenus sont très différents, le taux marginal
d'imposition de la personne qui a le plus bas revenu (majoritairement la femme)
peut être beaucoup plus élevé que pour une personne seule
au même niveau de revenus. En considération du coût de la
garde d'enfants, de la pénibilité du travail ou du manque de
temps libre, le salaire de réservation accepté peut
excéder le gain à attendre de l'exercice d'un emploi (Jamet,
2006). De plus, certaines analyses montrent que le chômage et le faible
taux d'activité de certains groupes, notamment celui des femmes ayant de
jeunes enfants, peuvent s'expliquer pour partie
62 Olivier Thévenon est
chercheur à l'Institut national d'études démographiques
(INED). Ses domaines de recherche sont les politiques familiales et la
conciliation emploi-famille dans les pays de l'OCDE, l'activité des
femmes et la formation de la famille en Europe, et la comparaison des
systèmes d'emploi et de protection sociale.
par la faible incitation à prendre un emploi (Laroque
et Salanié, 2000). Les femmes ayant un faible niveau de qualification
sont concernées en premier lieu. Pour elles, le risque est grand de
tomber durablement dans une trappe à inactivité (Jamet, 2006 ;
Margolis, Starzec, 2005). Enfin, une question se pose vis-à-vis des
effets pervers de la PPE, qui, s'ils incitent au travail certains individus,
peuvent peser sur l'activité des femmes ou favoriser le temps partiel
(OFCE, 2003).
Une évaluation sur la sensibilité de l'offre de
travail des femmes en France à la PPE a révélé que
l'offre de travail des femmes est discrète et maximise l'utilité
du ménage, sous contrainte budgétaire, et compte tenu de leurs
chances de trouver un emploi. Dans cette évaluation, le revenu
disponible du ménage, pour chaque horaire de travail, est
évalué à l'aide du modèle de micro simulation
« Ines », qui impute sur barème les transferts socio-fiscaux
de la législation française aux ménages des enquêtes
« Revenus fiscaux de l'INSEE ». L'élasticité
de l'offre de travail au revenu d'activité est ainsi estimée
à 0,3 pour les femmes isolées et 0,8 pour les femmes en couple et
l'impact de la PPE demeure limité (Fugazza et al., 2003).
L'élasticité de l'offre de travail des femmes
est plus élevée que celle de l'ensemble de la population. En
effet, et selon des contraintes qui leur sont propres, elles peuvent être
amenées à choisir de ne pas travailler, ou de travailler à
temps plein ou partiel (Arnaud et al., 2008). « La garde des
jeunes enfants freine l'activité des mères : face
à la pénurie de places en crèche, et au coût souvent
prohibitif des autres modes de garde, elles renoncent à
l'activité. L'exclusion du marché du travail jusqu'à la
scolarisation de l'enfant compromet leur retour à l'emploi, surtout en
l'absence de programmes de formation adaptés »
(Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p. 2).
Une étude proposée par Laroque et Salanié
en 2001 offre une lumière indicative sur l'emploi des femmes, comme le
montre le tableau 8. Ils simulent les conséquences de la PPE sous le
barème de 2003 (tel qu'il était prévu par le gouvernement
Jospin), « rétropôlé » pour l'année 1999
sur l'emploi des femmes (Périvier, 2003).
Tableau 8 : Effet de la PPE sur l'emploi des femmes (en
milliers)
Source : Laroque et
Salanié, 2001, in Périvier 2003 : p. 303.
49
50
Globalement, selon cette étude, la PPE aurait un effet
positif sur l'emploi des femmes dans la mesure où 9 000 d'entre elles
prendraient un emploi à mi-temps pour
4 000 femmes, et à plein temps pour les 5 000 autres.
Mais eu égard la taille de l'échantillon analysé (5 029
000 personnes), cet effet est extrêmement faible. La PPE ferait passer 10
000 femmes du non-emploi à un emploi à plein temps, mais
parallèlement, elle impliquerait que 5 000 femmes qui avaient un emploi
à plein temps quittent le marché du travail et que 2 000 femmes
réduisent leur temps de travail pour prendre un emploi à mi-temps
(Périvier, 2003). Ces résultats démontrent les effets
théoriques attendus, dans la mesure où celles qui augmentent leur
offre de travail sont celles qui se situent à l'entrée du
barème et, par ailleurs, les femmes mariées à un
travailleur bénéficiant de la PPE réduisent leur offre de
travail. Ceci démontre également que l'effet du caractère
individuel de la PPE est compensé par l'effet du caractère
familial de la condition de ressources. De ce fait, et de la même
façon que le WFTC ou que l'EITC, le travailleur
secondaire du couple est désincité à travailler
(Périvier, 2003 ; OFCE, 2003).
A contrario, selon une étude menée en
2008, il n'apparaît pas d'effet significatif de la PPE sur l'emploi, y
compris en se focalisant sur l'emploi des femmes mariées (Arnaud et
al., 2008). En « utilisant les données des
enquêtes sur l'emploi réalisées par l'INSEE entre 1999
et 2002, et limitant son analyse à l'examen des effets de la PPE
sur le taux d'emploi des femmes, Stancanelli en 2006 trouve que ce dispositif
fiscal n'a eu aucun effet significatif. Il aurait même eu un effet
négatif, quoique statistiquement non significatif, sur l'offre de
travail des femmes mariées » (Fougère, 2006 :
p. 29).
« Ainsi, les effets théoriques d'un
crédit d'impôt sur l'offre de travail sont d'une part une
stimulation de la participation au marché du travail et d'autre part une
réduction des heures de travail des individus qui travaillaient
déjà et un effet négatif sur l'emploi du travailleur
secondaire au sein du couple. La résultante sur l'emploi total est donc
indéterminée » (Périvier, 2003
: p. 301). De plus, et selon l'étude de Laroque et Salanié sur le
temps partiel féminin et les incitations financières à
l'emploi, il apparaît que la Prime pour emploi induit des transitions
très faibles concernant essentiellement des mouvements entre non-emploi
et temps plein. Les transitions inverses sont le fait de femmes dont le mari
travaille. A ce titre, selon les auteurs, la Prime pour l'emploi doit
être considérée plus comme une mesure redistributive que
comme une mesure d'incitation au travail des femmes (Laroque, Salanié,
2002).
B - Analyse séquentielle de la Prime pour
l'emploi : un recentrage
L'analyse séquentielle (C.O. Jones) et l'analyse
cognitive des politiques publiques
(P. Muller) représentent, à l'égard de la
PPE et de ses objectifs originels, des cadres théoriques qui vont
permettre un recentrage. Partant du contexte et de l'analyse qui a conduit du
besoin social au dispositif, analysant le problème social et
déterminant le rôle des acteurs dans le processus public, et
enfin, partant des référentiels global et sectoriel du
début des années 2000, en identifiant le rapport entre eux (RGS),
représentent les
51
actions constitutives d'une démarche conduisant
à la compréhension de cette politique publique de lutte contre la
pauvreté (laborieuse), les inégalités, l'exclusion
induite, et les trappes à inactivité possibles, et ce par la mise
en oeuvre d'une politique active de l'emploi.
a - Contexte et analyse qui conduit du besoin social au
dispositif
S'agissant de la période de création du
dispositif de la PPE, le contexte économique était celui de la
fin des années 90. Le contexte politique de cette même
époque, assorti d'exemples étrangers ayant de fortes similitudes
avec ce qui deviendra en 2001, en France, la Prime pour l'emploi,
déboucha (de façon un peu hasardeuse, après censure du
Conseil constitutionnel, comme il a été vu) sur la mise en oeuvre
d'un dispositif singulier utilisant le crédit d'impôt. Dans les
faits, c'est bien l'analyse du contexte de l'époque qui pose les
fondations du dispositif mis en oeuvre en réponse au besoin social.
Le besoin social était de faire baisser la
pauvreté, et de réduire les inégalités, ces deux
points étant une source d'exclusion sociale (problème à
résoudre).
Politiquement, afin d'éviter une assistance
coûteuse, le dispositif à mettre en place devait induire une lutte
contre la pauvreté passant par le travail (ou la mise au travail), et se
devait donc aussi de lutter contre la pauvreté laborieuse63.
Pousser la population au travail nécessitait qu'il existe une
différence substantielle entre revenu d'activité et
d'inactivité (afin de lutter contre les trappes), et imposait de rendre
le travail des personnes peu qualifiées plus rémunérateur,
plus intéressant (au sens « intéressement ») («
Making work pay »).
« Selon l'INSEE, un travailleur pauvre est
une personne qui s'est déclarée active (ayant un emploi ou au
chômage) six mois ou plus dans l'année, dont au moins un mois en
emploi, et qui vit au sein d'un ménage pauvre. Selon l'INSEE, il y avait
1,09 million de travailleurs pauvres en 1997 et 0,99 million en 2001 (au seuil
à 50% du revenu médian). Au seuil à 60% du revenu
médian, les travailleurs pauvres sont au nombre de 2,08 millions en 1997
et de 1.97 million en 2001 » (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 26).
A titre d'exemple, « 93% des français
déclaraient en 2004 être préoccupés à titre
personnel par la pauvreté. La pauvreté est ainsi la principale
préoccupation des français, avant le cancer (90%), le
chômage (90%) et les problèmes liés à
l'environnement (87%). Pour 82% des français interrogés, la
pauvreté a augmenté en 2004. Les français sont ainsi 14%
de plus qu'en 2002 à ressentir que la situation se dégrade. Pour
un français sur trois (30%), la pauvreté c'est ne pas avoir de
logement ; pour 45% c'est ne pas manger à sa
faim ; pour 10% seulement c'est être au
chômage depuis plus de 10 ans » (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 106).
63 Selon le proverbe du XVème siècle « aide
toi et le ciel t'aidera », et pour éviter que « le
paresseux appelle chance le succès du travailleur » (proverbe
d'origine britannique).
52
Sous contrainte budgétaire, la solution de lutte contre
la pauvreté (situation extrême des inégalités)
passait prioritairement par la mise au travail. Mais même en situation
d'emploi, dans certains cas, la pauvreté persistait : c'est la
pauvreté laborieuse. Alors « comment pouvoir vivre
dignement de son travail ? Un travail qui procure les moyens d'une existence
décente ? Un travail qui permette d'envisager plus sereinement l'avenir
de ses enfants ? » (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 23).
La nouvelle équation sociale a rapidement
été de combiner les revenus du travail et les revenus de la
solidarité (en évitant ainsi les trappes à
inactivité). Elle a été également d'avoir une
politique économique et sociale plus favorable à l'emploi et plus
redistributive, conjuguant ainsi solidarité et dignité, notamment
en lutte contre l'exclusion sociale (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005).
Ainsi, avec la PPE, une nouvelle figure du travailleur
précaire assisté prenait forme, en témoignage d'une
interpénétration croissante de l'assistance et de l'emploi
précaire (Martin, Paugam, 2009). De plus, outre leur condition de vie et
le lien complexe qui peut exister entre le fait d'avoir un emploi (souvent un
emploi aidé ou à temps partiel) tout en bénéficiant
d'un minimum social, l'accès à l'emploi des
bénéficiaires de minima sociaux a été pris en
considération (Pla, 2006), donnant ainsi naissance à un nouveau
régime de mise au travail (Martin, Paugam, 2009).
S'agissant des réformes de la PPE, seule celle de 2009
présente une réelle singularité de contexte. En effet,
cette dernière réforme, traitant de l'articulation entre RSA et
PPE (la réforme considérée comme la plus importante), a
été entreprise sur fond de crise économique majeure, bien
qu'à cette époque, l'importance de celle-ci n'était pas
encore perçue : forte montée du chômage, de la
pauvreté, des inégalités, et des situations de
précarité face au problème de l'emploi, avec
détérioration rapide des finances publiques (DARES, 2012).
Le dispositif de la PPE contribue donc à une
réduction de la pauvreté (laborieuse), rendant le travail plus
rémunérateur (Making work pay), luttant contre
l'exclusion sociale qui peut en découler, et luttant pour une diminution
des inégalités (vertu redistributive). Elle va dans la direction
d'une mise au travail (par intéressement), en luttant contre les trappes
à inactivité (notamment pour les minima sociaux et les temps
partiels).
b - Problème social et rôle des
acteurs
Face au problème social, « au possible nous
sommes tenus » (Commission familles, vulnérabilité,
pauvreté, 2005 : p. 5), au sens où les pouvoirs publics se
doivent d'appliquer un remède au problème, ou du moins en
rechercher un. L'Etat ne peut, en protection de sa légitimité et
de son hégémonie, laisser pour comptes une population, victime
des imperfections du marché, ou simplement victimes d'elle-même
(par exemple, par incapacité à se prendre en charge, par manque
de moyens, vieillesse,
53
mauvaise santé, handicap, chômage structurel
etc.). L'Etat a un devoir d'assistance vis-à-vis de la population,
au-delà des systèmes d'assurance qu'il peut mettre en place, afin
de pallier, par exemple, au manque d'anticipation des agents (chômage,
retraite, santé...), ou à une « myopie spatio-temporelle
» (peu ou pas de visibilité dans le temps pour une situation
donnée). L'Etat tire ainsi de ses actions publiques sa
légitimité et son pouvoir.
C'est ainsi qu'un problème, général,
visible, touchant une assiette significative de la population, et humainement
ou moralement (ou politiquement) intolérable, (ici la pauvreté
laborieuse, les inégalités, et l'exclusion qui peut en
résulter), appelle à une action des pouvoirs publics, allant du
besoin social au dispositif, en surveillance du seuil d'intensité
à partir duquel l'action publique se doit d'intervenir (notamment seuil
de pauvreté, minima sociaux, et SMIC).
Le rôle de l'Etat est d'être « responsive
» (conscient des problèmes et des demandes de la population),
« accountable » (rendant des comptes), et « problem
solving » (étant capable de résoudre les
problèmes). C'est ainsi que les pouvoirs publics peuvent mener une
politique économique et sociale plus favorable à l'emploi et plus
redistributive, en créant également un engagement collectif sur
la qualité des emplois (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005).
Concernant la PPE, l'action s'est mobilisée au coeur
des gouvernements successifs (du gouvernement Jospin, en 2001, au gouvernement
Fillon, pour la dernière réforme). « C'est parce
que pour une part de plus en plus importante de la population, les minima
sociaux sont devenus des maxima indépassables et que, pour une
proportion de plus en plus importante des ménages, le travail ne permet
pas de franchir le seuil de pauvreté, qu'il faut transformer nos
prestations sociales » (Commission familles,
vulnérabilité, pauvreté, 2005 : p. 23).
S'agissant d'une mesure fiscale (et sociale), la PPE dispose
d'un mode de décision publique réduit : Gouvernement,
Assemblée Nationale, Loi de finances publiques (Doligé, 2008),
avec la participation pour son époque du commissariat
général au Plan (CGP), du Conseil d'analyse économique
(CAE) ou du cabinet du Premier ministre (Colomb, 2012-1). Outre les aspects de
cohésion sociale, d'emploi, et de travail, la PPE met en oeuvre, pour
l'essentiel, le Ministère des finances.
Ces politiques ne sont pas organisées autour d'une
profession ou de groupes de pression. Essentiellement, les hauts fonctionnaires
ont la main sur la définition des orientations des politiques de
l'emploi. Ces acteurs décisifs détiennent, en un certain sens, le
bénéfice de la définition de la politique publique pendant
un temps donné. Ils sont, pour un temps, en charge de produire la
politique publique. La composition de ce groupe évolue toutefois au
gré des nominations ministérielles et des mobilités
professionnelles (Colomb, 2012- 1).
54
c - Référentiel global,
référentiel sectoriel, et rapport global sectoriel
(RGS)
Cette analyse s'inscrit dans les travaux de science politique
et de sociologie traitant de l'analyse cognitive des politiques publiques
(Colomb, 2012-2). « De ce point de vue, nous comprenons les
politiques publiques moins comme des fonctions visant à réduire
les désajustements sociaux que comme des manières de voir et de
transformer la réalité » (Colomb, 2012-2 : p.
33). A ce titre, « la catégorie politique de
l'emploi correspond alors à une représentation du monde,
construite par l'interaction entre une série d'acteurs décisifs
au sein des scènes de production de politique publique et
alimentée par des influences politiques, économiques,
idéologiques extérieures. Ces scènes ne fonctionnent pas
en vase clos, mais c'est en leur sein que sont interprétés les
discours extérieurs et formulées les orientations des politiques
publiques » (Colomb, 2012-2 : p. 33).
Ainsi, naît le référentiel sectoriel d'une
politique publique, plus ou moins intégré dans le
référentiel global du « Monde dans lequel chacun vit »,
et en interrelation permanente avec lui. Le concept de
référentiel doit être compris comme « un
système de représentation produit par et faisant sens pour les
acteurs du secteur dans une situation donnée »
(Jobert et Muller, 1987 : p. 15). Ce
référentiel est imprégné par la domination au
Monde, en balisage des controverses et des conflits, donnant les contraintes
aux politiques, notamment face au contexte du moment. En effet, ce
référentiel est le champ au sein duquel s'organisent les conflits
et les affrontements de la Société, il est un rapport au Monde,
en ce sens, que les groupes sociaux pensent leur position par rapport au
Monde.
Les acteurs de l'époque ont ainsi analysé ces
référentiels et ont défini la représentation du
système à réguler pour traiter l'intervention, de
façon qu'elle soit acceptée par l'opinion publique et «
compatible » et « missible » au référentiel
global. Cette approche a permis de traiter le sujet par le biais de l'image que
se font les intéressés du problème et des mesures
envisagées en solution (avec prise en compte des décalages et des
distorsions possibles). Ce travail concoure au processus de globalisation et
d'hégémonie de l'Exécutif.
A cheval entre deux Mondes (le référentiel
global et le référentiel sectoriel), le travail de
médiation peut ainsi s'accomplir. Conduit par les acteurs du moment (les
médiateurs), il permet de décoder et recoder le réel afin
de mettre les idées en actions, en les faisant accepter par la
population, et en présentant ce changement comme inévitable,
comme une réalité du moment, s'appuyant sur la
Société toute entière (hiérarchie des normes
légitimée). L'intégration des référentiels
sectoriels au global est bien une image codé du réel, donnant du
sens au travers des normes et des référents politiques
concernés. Les médiateurs chargés de décoder et de
recoder l'action (l'Etat en action), doivent en effet particulièrement
considérer la manière dont est perçue la politique par les
individus, sur le plan sociologique (Perret, 2008).
55
Pour la PPE, nous ne pouvons pas parler strictement de «
médiateurs », au sens de Jobert et Muller, car il n'est pas
retrouvé de groupe professionnel sectoriel construisant ces politiques
(Jobert, Muller, 1987). La PPE a été une représentation du
réel, une théorie de l'action, et elle a donné du sens, ce
qui, dans toutes ses différentes lectures, a contribué à
donner les conditions de la régulation et de l'hégémonie
à l'Exécutif.
Quels sont, dans le dispositif de la PPE, l'image
véhiculée, les valeurs de bien ou de mal, les normes
(l'impératif de l'action), voire la relation causale exprimant la
théorie de l'action, jusqu'à l'image même de l'action
(exprimant un sens immédiat) ? Le sens est à trouver dans une
approche qui se fait par l'action et non par les idées. En effet, selon
la définition de Meny et Thoenig, la politique publique est un ensemble
de mesures concrètes, de décisions plus ou moins autoritaires et
normatives, inscrites dans un cadre général d'actions, concernant
un ou plusieurs destinataires ou objectifs à atteindre. Elle permet
notamment d'observer l'Etat par le bas et en détail (l'action de
l'Etat). Elle est nécessaire à la Société à
gérer sa propre historicité, c'est-à-dire à
générer sa propre reproduction et évolution.
Dans tous les cas, elle n'est pas la transformation d'un
paradigme, car elle met en oeuvre les croyances des acteurs, et non une
vérification expérimentale. Elle est une simple mise en
cohérence, par l'élite dirigeante, d'une Société
sectorisée face au global, mêlant valeurs, normes, algorithmes, et
images (notamment les classes riches et les classes pauvres, dans le cas de la
PPE). Dans l'image véhiculée, il pouvait être
déchiffré que les pouvoirs publics oeuvraient en direction d'un
lissage des inégalités, d'une aide en direction des travailleurs
pauvres, d'une main tendue en faveur d'une reprise d'activité ou d'un
maintien dans l'emploi, en lutte contre la pauvreté. Cette image
était colorée d'un principe méritocratique («
aidez-vous et le ciel vous aidera » : entendre «
travaillez et l'Etat vous aidera »). Le message
véhiculé en direction du patronat était que cette mesure
fiscale ne mettait pas à contribution les employeurs et n'alourdissait
pas le coût du travail, en maintien de la rentabilité et de la
compétitivité.
Deux référentiels sectoriels sont
essentiellement concernés par la PPE : celui de la pauvreté et
des inégalités et celui du marché du travail.
Le premier référentiel des politiques de
l'emploi prend naissance dans les années 60. Le second
référentiel des politiques de l'emploi naît progressivement
dans la seconde moitié des années 70, dans un contexte de crise
économique durable (Colomb, 2012-1). Il est à préciser
qu'il n'y a un changement de référentiel uniquement quand il y a
une dissonance insupportable dans le rapport entre le référentiel
global et le référentiel sectoriel (RGS), ce qui a
été le cas ici face désormais à la fin
sonnée des Trente Glorieuses et l'apparition d'une crise
économique chronique. Se développèrent alors « de
nombreux instruments de politiques de l'emploi qui feront florès par la
suite » (Colomb, 2012-1 : p. 63). C'est ainsi que les réformes
progressives du système d'assurance chômage, par exemple,
permettent de comprendre ce passage progressif vers un nouveau
référentiel avec notamment la mise en cause progressive du
chômeur comme victime de la
56
conjoncture économique (Colomb, 2012-1). Le
référentiel sectoriel de l'emploi représente l'image
dominante du secteur (l'image sociale).
Ce référentiel sectoriel appelle une mise en
cohérence, sur le plan de la construction sociale, avec les autres
référentiels sectoriels, et avec le référentiel
global (encastrement du sectoriel dans le global avec hiérarchisation
des objectifs).
Le second référentiel sectoriel concerné
par la PPE est celui de la lutte contre la pauvreté et les
inégalités. « Même si la question de
l'accès aux droits sociaux a une longue histoire, elle allait être
placée au centre de l'action sociale à partir des années
1960, et être constituée en tant que référentiel de
la lutte contre la pauvreté. Des acteurs administratifs ainsi que des
acteurs professionnels, surtout associatifs, allaient être au centre de
la traduction d'un référentiel sectoriel compatible avec le
référentiel global » (Hamel, 2009).
L'accès aux droits sociaux, notamment les minimas sociaux, ont
donné la substance à ce référentiel sectoriel.
Il est à souligner, qu'il peut être
considéré que la pauvreté et le chômage (au sens de
la politique de l'emploi qui s'y rattache) ne relèvent plus
complètement d'une logique de découpage sectoriel, vu aujourd'hui
son ampleur et son atomisation (Hamel, 2009).
S'agissant d'une mesure de nature « assistancielle
», la PPE n'a pas subie de critique ou tension majeure de l'opinion
publique (les critiques sont arrivées dans les faits des
personnalités politiques, toutes tendances confondues, et ont
été inhérentes à la pertinence et aux impacts
même du dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le
global (RGS) s'est réalisée sans tension particulière,
elle a été naturellement intégrée et
acceptée par l'opinion publique, sans dissonance particulière,
sûrement aidée par les exemples étrangers.
C - Prime pour l'emploi et justice sociale
Selon l'ONU, « la justice sociale est
fondée sur l'égalité des droits pour tous les peuples et
la possibilité pour tous les êtres humains sans discrimination de
bénéficier du progrès économique et social partout
dans le monde. Promouvoir la justice sociale ne consiste pas simplement
à augmenter les revenus et à créer des emplois. C'est
aussi une question de droits, de dignité et de liberté
d'expression pour les travailleurs et les travailleuses, ainsi que d'autonomie
économique, sociale et politique » (ONU,
2015).
Les nouvelles théories du bien-être ont
contribué à promouvoir une vision des politiques sociales
davantage centrée sur la liberté et la responsabilité
individuelles, lesquelles sont mises en regard des objectifs de
réduction des inégalités, par le biais de principes de
justice distributive. Outre les difficultés de l'approche utilitariste
à aboutir à une fonction collective de bien-être social,
ces théories « post-welfaristes » ont pour
intérêt de prendre parti sur ce qui doit faire l'objet de
redistribution et sur les règles qui doivent guider cette
dernière, avec des implications directes pour les politiques
sociales.
57
Selon John Rawls64 en 1971, la priorité
devrait ainsi être donnée à l'égalisation des
ressources dans le domaine des « biens sociaux premiers » :
c'est-à-dire la priorité aux droits et libertés de base,
l'égalité des chances pour l'accès aux positions et aux
fonctions, l'acceptation des inégalités de revenu et de richesse
dans la mesure où elles améliorent la situation des membres les
plus désavantagés de la Société, les objectifs et
les goûts des individus restant du domaine de leur responsabilité
personnelle. Pour Ronald Dworkin65 en 1981, l'égalisation des
ressources devrait tenir compte des talents et des handicaps dont disposent les
individus, mais pas des conséquences de leurs préférences
et aspirations, qui elles relèvent de la responsabilité
individuelle et ne devaient pas faire l'objet de compensation par les
politiques publiques, lesquelles devaient se limiter aux
inégalités dont les individus ne sont pas responsables (Elbaum,
2007). Les orientations politiques contemporaines, qui veulent concilier
égalité des chances et responsabilités individuelles, ne
prennent toutefois pas suffisamment en compte les obstacles que rencontrent
effectivement les personnes pour faire valoir leur liberté de choix dans
l'environnement social dans lequel elles évoluent. Elles ne tiennent pas
non plus compte du fait que certains individus ou groupes sociaux se trouvent
dans des positions socialement dominées, les empêchant de faire
valoir l'intégralité de leurs droits et d'employer avec les
mêmes chances d'efficacité les ressources qui leur sont consenties
(Elbaum, 2007).
C'est pourquoi on peut souhaiter que les politiques sociales
s'inspirent davantage de théories de justice sociale comme celles
promues par Amartya Sen66, en y recherchant des implications
concrètes. Selon Sen, l'accent doit être mis sur les
«capabilités de base», c'est-à-dire sur les
capacités qu'ont effectivement les individus de choisir leur projet de
vie en considérant leurs caractéristiques et leur environnement,
et donc les conditions leur permettant réellement d'accéder
à des modes de vie (ou de fonctionnement) considérés comme
équivalents (Sen, 2003).
Selon le cadre théorique de Mirrlees sur la
fiscalité optimale, et notamment sur l'équilibre en
équité et en efficacité, et indépendamment des
objectifs d'incitation au travail ou de redistribution des revenus, la PPE peut
se justifier au moins du point de vue de l'équité fiscale : en
effet, elle permet de faire profiter, à des ménages non
imposables, de la baisse de l'impôt (Allègre, Périvier,
2005-2 ; Bourguignon, 2002). Et, « Réduire les taux de
prélèvement existant, de fait, sur les plus faibles revenus
d'activité
64 John Rawls est un philosophe
américain né en 1921 à Baltimore et mort en 2002 à
Lexington. Rawls est l'un des philosophes politiques les plus
étudiés du XXe siècle.
65 Ronald Dworkin est un
philosophe américain né en 1931 à Worcester
(Massachusetts) et mort en 2013 à Londres. Il était professeur de
philosophie à Londres et New York.
66 Amartya Kumar Sen, né le
3 novembre 1933 en Inde, est un économiste. Il a reçu le prix
Nobel d'économie en 1998 pour ses travaux sur la famine, sur la
théorie du développement humain, sur l'économie du
bien-être, sur les mécanismes fondamentaux de la pauvreté,
et sur le libéralisme politique. Il est l'initiateur de l'approche par
les capabilités.
58
répond à un principe de justice fiscale ou
sociale » (Conseil de l'Emploi, des Revenus et de la Cohésion
Sociale, 2001 : p. 67).
En premier lieu, la Prime pour l'emploi est bien le moyen
d'alléger le prélèvement net des individus les plus
modestes qui sont membres d'une famille comprenant au moins un actif
occupé et qui ne peuvent pas bénéficier d'une baisse de
l'impôt sur le revenu parce que non imposables. En second lieu, elle
contribue à la réduction, au sein des «classes moyennes
», des prélèvements que supportent les individus les plus
fiscalisés. A ce titre, la mise en place de la Prime pour l'emploi
pourrait être justifiée par des considérations
d'équité sociale sans faire nécessairement
référence aux incitations financières au travail (Legendre
et al., 2002).
Toutefois, le premier décile de niveau de vie concentre
une proportion élevée de ménages touchés par le
chômage, qui par définition ne peuvent bénéficier
d'un crédit d'impôt ciblé sur les personnes ayant
exercé une activité professionnelle (Legendre et al.,
2004). C'est probablement à cet égard, dans un contexte de
chômage élevé et croissant causé par l'insuffisance
de la demande de travail, que la PPE affiche une injustice sociale. A titre
d'exemple, en 2002, la Prime pour l'emploi concerne 30,6% des ménages.
Cependant, les plus modestes d'entre eux en sont moins souvent
bénéficiaires. De ce point de vue, la Prime pour l'emploi ne
concerne que 27,6% des ménages pauvres cette même année
(Courtioux, Le Minez, 2004).
Le système d'attribution de la PPE permet toutefois de
contrer le phénomène de non-recours aux droits sociaux (Warin,
2010), ce qui va en faveur, à cet égard, d'une
égalité des chances.
a - Un creusement des
inégalités entre situation de temps pleins, de temps partiels, et
de chômage
Dans l'objectif de lutte contre les inégalités,
l'importance « dépend des préférences des
pouvoirs publics. Ces préférences sont résumées par
une aversion plus ou moins grande pour les inégalités. La
réduction des inégalités concerne aussi bien la
pauvreté des personnes sans emploi que la pauvreté laborieuse.
Cette précision est importante, car les instruments ne sont pas
nécessairement les mêmes pour ces deux types de pauvreté.
Enfin, les situations de pauvreté peuvent dépendre de multiples
facteurs, parmi lesquels la formation et les revenus mais aussi la situation
familiale. L'efficacité des politiques de lutte contre la
pauvreté appelle donc la possibilité de les cibler selon les
différents facteurs de pauvreté »
(Cahuc et al., 2002 : pp. 63-64), ce qui n'est
pas le cas de la PPE qui en l'occurrence ne bénéficie pas aux
pauvres sans emploi.
Cet aspect créé une inégalité
entre personnes pauvres avec ou sans emploi. Il met en outre en exergue l'effet
Matthieu67 de la PPE : donner à ceux qui ont
déjà. En effet, « la
67 En référence à la formule de l'Evangile
selon Matthieu : « A celui qui a, il sera beaucoup donné et il
vivra dans l'abondance... »
59
Prime pour l'emploi ne profite donc pas majoritairement
aux plus pauvres » (Clerc, 2006), mais seulement à ceux qui
travaillent (Barnaud, Bescond, 2006).
Il peut ainsi être affirmé que la PPE, gommant
certaines inégalités, est créatrice d'autres
inégalités sociales. D'une part elle ne concerne que les actifs
au travail, par opposition aux chômeurs, et d'autre part, elle ne
concerne que la part de la population percevant plus de 0,3 SMIG (par
troncature). Cette double condition d'activité et de niveau de revenu,
particulièrement dans le cadre actuel de présence d'un
chômage de masse structurel, et par opposition à la situation du
début des années 80, est génératrice d'injustices
sociales vis-à-vis des personnes privées d'emploi, et
vis-à-vis des travailleurs à certains temps partiels (très
partiels).
b - Les femmes en emploi
« L'insertion professionnelle des femmes a
été favorisée par l'élévation de leur niveau
de formation mais elle a des caractéristiques propres. La croissance de
l'activité féminine s'est faite en partie grâce au
développement du temps partiel et les conditions d'emploi et de
rémunération des femmes sont moins favorables que celles des
hommes » (Châteauneuf-
Maclès, 2011 : p. 4). Cependant leur situation au sein
du ménage les prédispose au temps partiel et/ou au sous-emploi en
raison d'une difficulté de conciliation entre travail et famille
(Châteauneuf-Maclès, 2011).
« Si le travailleur principal est peu
sensible aux incitations, ce n'est pas le cas des personnes appartenant
à un ménage où il existe déjà des revenus
d'activité. Leur offre de travail est plus sensible aux gains à
l'emploi. Ce sont le plus souvent des femmes dont le mari travaille. Assumant
toujours l'essentiel des tâches domestiques, leur désir de
travailler est souvent confronté aux difficultés d'organisation
qu'elles rencontrent surtout lorsqu'elles ont des enfants en bas âge.
Elles mettent en balance le coût de la sous-traitance de ces
tâches, le coût de la garde des enfants, et le salaire qu'elles
reçoivent si elles travaillent. Cependant, la réactivité
de l'offre de travail de cette catégorie de personnes dépend
fortement des montants versés » (Allègre,
Périvier, 2005-2 : p. 7). Cet aspect témoigne d'une
trappe à inactivité.
« La garde des jeunes enfants freine
l'activité des mères : face à la pénurie de places
en crèche, et au coût souvent prohibitif des autres modes de
garde, elles renoncent à l'activité. L'exclusion du marché
du travail jusqu'à la scolarisation de l'enfant compromet leur retour
à l'emploi, surtout en l'absence de programmes de formation
adaptés » (Allègre, Périvier,
2005 - 1 : p. 2). D'autre part, les femmes déjà en situation
d'emploi, et bien que volontaires pour travailler davantage, n'en n'ont en
moyenne moins la disponibilité, contrairement aux hommes, selon la
situation familiale et le temps de travail, comme le démontre le
graphique 2. Cet aspect témoigne d'une inégalité de
situation et de moyen selon le genre, représentant une source
d'injustice sociale.
60
Graphique 2 : Personnes salariées en emploi qui
souhaitent effectuer un nombre d'heures plus important et qui sont
disponibles pour cela
selon la situation familiale et le temps de
travail
Champ : Personnes exerçant un emploi
salarié, âgées de 23 à 55 ans en 2007, dont les
revenus d'activité annuels en 2005 étaient inférieurs
à 1,5 SMIC annuel. Elles représentent 64 % des personnes
interrogées.
Source : Enquête sur la Prime pour l'emploi
et les obstacles à la reprise d'emploi (DARES et DREES) in Bonnefoy
et al., 2008 : p. 41.
En conclusion, la balance entre le coût de la
sous-traitance de certaines tâches au sein du foyer, le coût de la
garde des enfants, et le salaire que les femmes reçoivent si elles
travaillent, peut être créatrice de trappe à
inactivé structurelle et spécifiquement féminine. Le fait
que cet aspect ne concerne que les femmes en opposition aux hommes, et ce dans
un contexte d'absence d'aides spécifiques venant atténué
cet état de fait, est créateur d'une injustice sociale de
genre.
c - Analyse par les
capabilités
Amartya Sen, prix Nobel d'économie en 1998 et
professeur au Trinity College de Cambridge, offre une nouvelle lecture
du modèle économique, inspirée de développement, de
justice, et de liberté. Cette nouvelle grille d'analyse part du postulat
que le monde n'est pas seulement partagé entre les riches et les pauvres
(dans une unique vision monétaire). Le concept des
capabilités de Sen apporte une réponse à la
question « comment faire en sorte que la
prospérité économique permette à chacun de vivre
comme il le souhaite » (Sen, 2013 : 4ème de
couverture). D'autre part, ce concept part d'un second postulat
établissant que « notre qualité de vie ne se mesure pas
à notre richesse, mais à notre liberté » (Kofi
Annan68 in Sen, 2013 : 4ème de couverture). En
effet, Sen s'attache à bien discerner, en toute situation, revenus,
ressources, et liberté, mais aussi à faire la différence
entre la pauvreté par le revenu et celle par les capacités,
ou encore à voir le chômage comme une privation de
capacités (et non seulement une privation d'emploi et de ressources
pécuniaires). Enfin, une question subsiste en toile de
68 Kofi Annan, né en 1938 au Ghana, fut le
septième secrétaire général des Nations unies et le
premier à sortir des rangs du personnel de l'organisation. Il a
occupé cette fonction de 1997 à 2006.
61
fonds à ses travaux : « la contrainte est-elle
efficace » (Sen, 2013 : p. 290) vis-à-vis des effets
secondaires qu'elle génère, jusqu'au risque de tentations
autoritaires (Sen, 2013 : pp. 290-294) ? En effet, ne porte-t-elle pas atteinte
au capital humain, et ce au travers de la mise en oeuvre des capacités
humaines (privation de capabilités par privation de
capacités) ?
Selon Sen, la mission des politiques sociales est,
au-delà de la compensation financière des handicaps, d'agir sur
la multiplicité des difficultés auxquelles les personnes sont
concrètement confrontées dans les différentes dimensions
de leur vie, en tenant compte du fait qu'elles conditionnent l'exercice de leur
responsabilité économique : prise en charge précoce des
problèmes de santé, égalisation de l'accès aux
soins et à la prévention, capacités d'accueil suffisantes
et financièrement accessibles pour les enfants et les personnes
âgées, permettant notamment aux femmes d'exercer la
plénitude de leurs choix professionnels, engagement de la
collectivité dans l'accompagnement des chômeurs et des
salariés précaires vers des emplois de meilleure qualité,
prise en compte des problèmes de transport ou des difficultés
qu'ont certains parents à assurer le suivi scolaire de leurs enfants,
etc. Ceci implique qu'au-delà des simples aspects financiers, les
politiques sociales assurent une offre suffisante et équitablement
répartie de services sociaux de qualité, en en faisant
prioritairement bénéficier les populations qui ont des
difficultés à y accéder du fait de leur environnement
social ou géographique (Elbaum, 2007). Ces aspects semblent concerner
particulièrement la population cible de la PPE.
« Et même la perspective d'une
égalisation des « capabilités » ou d'une réelle
parité de participation n'exclut pas, pour les politiques sociales, de
tenter de limiter les inégalités effectives de situations, dans
la mesure où il est très difficile de faire la part entre
responsabilités sociales et individuelles (déterminisme versus
libre arbitre), et où l'on ne peut nier que les choix des individus, par
exemple en matière de cursus scolaire ou de comportements de
santé, restent pour une large part conditionnés par leur milieu
social d'origine » (Elbaum, 2007 : p. 564).
La définition seulement monétaire de la
pauvreté (ou de la pauvreté laborieuse s'agissant de la PPE) ne
va pas non plus sans poser de problèmes. D'autre part, concernant la PPE
et la pauvreté laborieuse, « travailler » est une situation
individuelle, tandis que la pauvreté s'apprécie sur la base de
variables mesurées au niveau du ménage : la catégorie des
travailleurs pauvres se trouve ainsi définie à l'intersection de
deux unités statistiques, l'individu et le ménage. De plus, la
construction
statistique «individu-travailleur / ménage-pauvre
», rend l'analyse du phénomène particulièrement
complexe, puisque la construction oblige en effet à
démêler, en aval, le rôle des facteurs individuels et des
facteurs familiaux (Ponthieux, 2009). Enfin, la définition
monétaire est tant aussi critiquable vis-à-vis de son
caractère « tranchant » : à quelques centimes d'euro
près, une personne ne percevra pas telle ou telle allocation, telle ou
telle prestation, alors que son niveau de vie est identique à celui qui,
à quelques centimes d'euro près, va la percevoir.
62
L'emploi est pourvu de nombreux avantages (dont la
rémunération et l'intégration) mais suppose de pouvoir
d'abord y accéder : « de multiples contraintes
pèsent sur la reprise d'activité. La recherche d'un emploi est
une démarche coûteuse (coût de transport, de correspondance,
d'habillement....), ce qui accentue les difficultés de reprise
d'activité des personnes les plus pauvres, qui ne peuvent payer cet
« investissement ». Les personnes ayant à charge des
dépendants (enfants ou personnes âgées) ne peuvent pas
prendre un emploi en l'absence de services leur permettant d'associer ces
charges familiales et l'activité. Ces services doivent être de
qualité, accessibles financièrement et suffisamment
présents pour faciliter l'organisation quotidienne de ces travailleurs
» (Allègre, Périvier, 2005 - 1 : p.
2). Ce serait particulièrement à ce titre que des aides non
monétaires, en développement des capabilités des
individus, seraient utiles et justes socialement en direction de la population
cible de la PPE. Bien entendu, les personnes ayant à charge des
dépendants sont les premières visées, mais aussi les
femmes dont le mari travaille, car assumant souvent l'essentiel des
tâches domestiques, bien que leur désir de travailler soit souvent
confronté aux difficultés d'organisation qu'elles rencontrent
(Allègre, Périvier, 2005-2).
De plus, « l'absence de formation est le premier
motif qui explique la persistance du chômage » (Pla, 2007 : p.
6), et à ce titre, le fait d'« offrir à chacun un
accompagnement social et professionnel performant pour accroître ses
perspectives d'insertion » (Hirsch, 2008, p. 194) doit devenir une
priorité, insérée entre justice et liberté, en
expression de l'individu et de ses capabilités au sens de Sen.
Cet aspect viendrait en renforcement de l'employabilité des personnes,
car il existe pour chacun des chances inégales d'occuper un emploi,
au-delà déjà du niveau de formation : santé,
âge, contexte local de l'emploi, ancienneté dans le chômage,
etc. (Pla, 2007).
Concernant la pauvreté et les inégalités,
l'approche de Sen estime qu' « il est juste de
considérer la pauvreté comme une privation de capacités de
base plutôt que, simplement, comme un revenu faible »
(Sen, 2013 : p. 36). A ce même titre, et selon la
même approche, « le chômage ne se résume
pas, par exemple, à un déficit de revenus que des transferts par
l'Etat peuvent contrebalancer... ...Il provoque aussi d'autres effets à
long terme, nuisibles pour les libertés individuelles, les
capacités d'initiative et la valorisation des savoir-faire... ...Entre
autres, le chômage est source d'exclusion sociale... »
(Sen, 2013 : p. 37).
En conclusion, il peut être affirmé que les
politiques sociales ont un rapport avec la croissance, selon notamment les
priorités données aux services sociaux (particulièrement
en santé et en éducation) qui aide à réduire la
mortalité et à améliorer la qualité de vie (Sen,
2013). Elles peuvent, dans une approche non monétaire, intervenir au
titre des capabilités. Par exemple, s'agissant de la PPE, il
pourrait être adjoint, en complément ou en remplacement d'une
partie de l'aide monétaire, une palette de services concernant les
freins à la reprise ou au maintien dans l'emploi : participation au
coût du transport, de la correspondance, de l'habillement, structure
d'accueil publique en garde de jeunes enfants, des personnes âgées
etc. Il est une fois de
63
plus dommage que les personnes sans emploi ou faiblement
employés (en dessous de 0,3 SMIC) ne puissent bénéficier
de la PPE, tant sur le plan pécuniaire que sur celui des
capabilités qu'il aurait été possible de mettre
en oeuvre ou de développer. Cet aspect est d'autant plus dommageable
pour les femmes et/ou les personnes à charge de dépendants. En
effet, c'est précisément cette catégorie de personnes qui
subit le plus de privations au sens de Sen.
L'objectif de redistribution de la PPE n'est pas atteint. En
effet, la Prime pour l'emploi n'a qu'un effet redistributif limité, de
part un ciblage insuffisant et de part la modicité des montants
distribués (Legendre et al., 2004). D'autre part, elle ne
bénéficie qu'aux personnes en emploi, les plus démunis,
les personnes sans emploi, ou à temps très partiel, ne font pas
partie de la cible. De ce fait, 84,5 % des bénéficiaires
de la PPE ne sont pas en situation de pauvreté (Cour des comptes
2006 ; Cour des comptes, 2011), et « la
Prime pour l'emploi ne réduit que de 0,5 point le taux de
pauvreté des personnes en emploi » (Bonnefoy
et al., 2008 - 2 : p. 4).
D'autre part, il est également important de souligner
que l'exclusion de son bénéfice des personnes ayant des revenus
d'activité inférieurs à 0,3 SMIC, et son extension
à des personnes ayant des revenus d'activité supérieurs
à 1,4 SMIC, en amoindrissent le caractère purement
redistributif dans la mesure où la prise en compte de certaines
situations familiales permet notamment à des personnes disposant d'un
revenu d'activité atteignant 2,1 SMIC d'en
bénéficier (Bonnefoy et al., 2008 - 2).
La PPE a un impact très faible sur l'offre de travail
et très incertain sur l'emploi. En augmentant le gain financier
procuré par l'emploi, la PPE cherche à stimuler l'offre de
travail. Mais, en réalité, la prime peut exercer deux types
d'effets antagonistes sur les comportements d'activité :
-un effet de substitution : la hausse de la
rémunération du travail rend celui-ci plus attractif que
l'inactivité (impact positif) ;
-un effet de revenu : l'augmentation du pouvoir d'achat de
chaque heure travaillée permet aux individus, à revenu constant,
de travailler moins (impact négatif).
La Prime pour l'emploi peut par ailleurs décourager
l'activité du second travailleur dans les couples biactifs, en raison de
la contrainte du plafond de revenu global, calculé au niveau du
ménage (Cour des comptes, 2006). De plus, les dispositifs
fiscaux proposant des crédits d'impôt aux ménages dont un
des membres, préalablement inactif, reprend un emploi, visent à
augmenter l'offre de travail, mais leur efficacité reste toutefois
faible tant que leur impact anticipé est réduit par les effets
désincitatifs d'autres transferts (Fougère, 2006).
64
L'ensemble des études menées montrent que
l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (de + 0,2
à +0,4 % selon les études). Egalement, les enquêtes
réalisées auprès des ménages corroborent ces
conclusions : en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête
de l'INSEE, 3 % seulement des ménages interrogés ont
indiqué être incités par la PPE à « reprendre
une activité », 4 % seulement à « travailler davantage
» et 31 % à « continuer à travailler » (Bonnefoy
et al., 2008 - 2).
L'effet sur l'emploi est encore plus incertain que sur celui
de l'offre de travail, l'efficacité de la PPE sur l'emploi étant
tributaire du contexte économique général. Les
évaluations disponibles montrent que la PPE n'a qu'un impact très
faible sur l'emploi, notamment au niveau des femmes (Laroque, Salanié,
2002 ; Périvier, 2003). L'une des études conclut que la PPE ne
permettrait qu'une hausse du taux d'emploi de 0,2 point (de 47,3 à 47,5
%) pour les femmes, et de 0,3 point (de 84,6 à 84,9 %) pour les hommes
(Cour des comptes, 2006). Enfin, des trappes à inactivité
demeurent pour certains groupes d'individus (Anne et l'Horty, 2002), notamment
pour les femmes (Jamet, 2006 ; Margolis, Starzec, 2005). Certes, la PPE n'a pas
pour seul but de stimuler l'emploi, mais compte tenu de son coût
budgétaire, son rapport coût/efficacité est faible
(Bonnefoy et al., 2008 - 2).
S'agissant du mode de résolution du problème
social, au début des années 80, dans l'image
véhiculée il pouvait être déchiffré que les
pouvoirs publics oeuvraient en direction d'un lissage des
inégalités, d'une aide en direction des travailleurs pauvres,
d'une main tendue en faveur d'une reprise d'activité ou d'un maintien
dans l'emploi, en lutte contre la pauvreté. Cette image était
colorée d'un principe Méritocratique (« aidez-vous et le
ciel vous aidera » : entendre « travaillez et l'Etat vous
aidera »). Le message véhiculé en direction du patronat
était que cette mesure fiscale ne mettait pas à contribution les
employeurs et n'alourdissait pas le coût du travail, en maintien de la
rentabilité des entreprises et de la compétitivité du
modèle français. La PPE n'a pas subie de critique ou tension
majeure de l'opinion publique (les critiques sont arrivées des
personnalités politiques, toutes tendances confondues, et ont
été inhérentes à la pertinence et aux impacts
même du dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le
référentiel global (rapport global / sectoriel, RGS) s'est
réalisée sans tension particulière, elle a
été naturellement intégrée et acceptée.
Concernant le respect des principes de justice sociale, il
peut être affirmé que la PPE, tout en gommant certaines
inégalités, est créatrice d'autres
inégalités sociales. D'une part elle ne concerne que les actifs
au travail, par opposition aux chômeurs, et d'autre part, elle ne
concerne que la part de la population percevant plus de 0,3 SMIG (par
troncature). Cette double condition d'activité et de niveau de revenu,
particulièrement dans le cadre actuel de présence d'un
chômage de masse structurel, et par opposition à la situation du
début des années 80, fait que la PPE est
génératrice d'injustices sociales vis-à-vis des personnes
privées d'emploi, et vis-à-vis des travailleurs à certains
temps partiels (très partiels). Elle est également
créatrice d'inégalité entre personnes pauvres
65
avec ou sans emploi. Enfin, elle met en exergue l'effet
Matthieu : donner à ceux qui ont déjà. En effet,
« la Prime pour l'emploi ne profite donc pas majoritairement aux plus
pauvres » (Clerc, 2006), mais seulement à ceux qui travaillent
(Barnaud, Bescond, 2006).
Concernant les femmes, la balance entre le coût de la
sous-traitance de certaines tâches au sein du foyer, le coût de la
garde des enfants, et le salaire que les femmes reçoivent si elles
travaillent, peut être créatrice de trappe à
inactivé structurelle et spécifiquement féminine. Le fait
que cet aspect ne concerne que les femmes en opposition aux hommes, et ce dans
un contexte d'absence d'aides spécifiques venant atténué
cet état de fait, est créateur d'une injustice sociale de
genre.
En point positif, le système d'attribution de la PPE
(automatisation fiscale et crédit d'impôt) permet toutefois de
contrer le phénomène de non-recours aux droits sociaux (Warin,
2010), ce qui va en faveur, à cet égard, d'une
égalité des chances.
Les politiques sociales pourraient, dans une approche non
monétaire, intervenir au titre des capabilités au sens
de Sen. Par exemple, s'agissant de la PPE, il pourrait être adjoint, en
complément ou en remplacement d'une partie de l'aide monétaire,
une palette de services concernant les freins à la reprise ou au
maintien dans l'emploi. Il est une fois de plus dommage que les personnes sans
emploi ou faiblement employés (en dessous de 0,3 SMIC) ne puissent
bénéficier de la PPE, tant sur le plan pécuniaire que sur
celui des capabilités qu'il serait possible de mettre en
oeuvre. Cet aspect est d'autant plus dommageable pour les femmes et/ou les
personnes à charge de dépendants. En effet, c'est
précisément cette catégorie de personnes qui subit le plus
de privations au sens de Sen.
En résumé, la Prime pour l'emploi
présente trois principaux défauts qui altèrent son
efficacité incitative et redistributive. Le dispositif est peu
ciblé (premier défaut) et induit de faibles montants unitaires
distribués (second défaut). Enfin, la Prime pour l'emploi manque
de visibilité tant pour ses bénéficiaires effectifs que
pour ses bénéficiaires potentiels (troisième
défaut). Ce manque de visibilité vient d'une
méconnaissance du dispositif, par manque d'information, de la
complexité du dispositif, difficile à comprendre sur certains
aspects, et d'un différé de 9 à 18 mois dans la perception
de cette aide (Cour des comptes, 2006). Au final, la PPE a un impact
limité tant sur l'offre de travail que sur son aspect redistributif
(Cour des comptes, 2006).
Le manque de visibilité de la Prime pour l'emploi lui
tient à trois facteurs. D'abord, la prime n'est perçue qu'avec un
important décalage dans le temps (9 à 18 mois). Ce
décalage, dû au rattachement de la PPE à l'impôt sur
le revenu, affaiblit le message selon lequel « le travail paie »
(Making work pay) (Arnaud et al., 2008 ; Attali, 2008 ; Cahuc
et al., 2008 ; Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes 2011). Afin
d'y remédier, la loi de finances pour 2004 a instauré un
système d'acompte pour certains demandeurs d'emploi et titulaires de
minima sociaux reprenant une activité. Mais, complexe, mal connu et mal
compris, ce dispositif est très peu utilisé (Cour des comptes,
2006).
En second lieu, la complexité du mode de calcul de la
PPE et de ses conditions d'attribution et de versement a pour
conséquence qu'un bénéficiaire sur quatre de la PPE, une
année donnée, n'est pas en mesure de déterminer si, au vu
de son comportement d'activité, il en bénéficiera encore
l'année suivante. Ce manque de prévisibilité affecte de la
même façon les personnes qui reprennent pour la première
fois une activité professionnelle (ils ignorent si elle leur ouvrira
droit à la prime).Ce manque de visibilité affaiblit d'autant plus
la dimension incitative de la PPE que les personnes concernées font
souvent face à d'importantes contraintes de liquidité (Cour des
comptes, 2006).
Enfin, l'information sur la Prime pour l'emploi est lacunaire
(Bonnefoy et al., 2008 - 1), comme cela est également
démontré en annexes 6, 7, et 8 : Les enquêtes «
terrain » réalisées ont démontré une faible
connaissance du dispositif, particulièrement en catégorie «
employés et ouvriers » (essentiellement le coeur de cible de la
PPE). La prime étant un avantage fiscal et non un élément
de paie, elle ne figure pas sur le bulletin de salaire. A cet égard, une
forte communication aurait été nécessaire pour faire
percevoir le dispositif au grand public. Mais le service public de l'emploi ne
relaie pas l'information auprès des demandeurs d'emploi, ce qui
représente une incohérence. L'ANPE, par exemple, ne formule
aucune instruction visant à ce que la question de la PPE soit
abordée lors des entretiens d'accompagnement. Le constat est similaire
dans les autres administrations et services sociaux (caisses d'allocations
familiales, ASSEDIC69, centres communaux d'action sociale(CCAS)). La
Prime pour l'emploi souffre de ce fait d'un réel déficit de
notoriété : si une enquête de l'INSEE a montré que
81 % des ménages interrogés avaient déjà «
entendu parler » de la PPE, cela signifie, a contrario, que
près de 20 % d'entre eux ignoraient jusqu'à son existence (Cour
des comptes, 2006).
66
69 Association pour l'emploi dans l'industrie et le
commerce (ASSEDIC).
67
CONCLUSION GENERALE
La PPE depuis 2001, par le biais d'un crédit
d'impôt récupérable, a une fonction redistributive centrale
à travers l'incitation au retour à l'emploi et au maintien de
l'activité (particulièrement par l'intéressement des
minimas sociaux). Elle ne cherche pas cependant à compenser
l'insuffisance des revenus liée à une faible durée de
travail annuelle. Elle ne concerne que les actifs au travail ayant des revenus
se situant entre
0,3 et 1,4 SMIC (triple condition de ressources,
d'activité, et de revenu et configuration du foyer fiscal : voir annexe
5). Elle se pose en double lutte : celle contre la pauvreté laborieuse,
en redistribuant du pouvoir d'achat aux travailleurs et aux ménages
pauvres, et celle contre les trappes à inactivité (et l'exclusion
sociale qui peut en découler), en créant un écart entre
revenu d'activité et d'inactivité, rendant le travail plus
rémunérateur (Making work pay) sur l'exemple proche des
dispositifs britannique et américain. La PPE, instrument de soutien aux
bas revenus, est à la fois une mesure sociale et fiscale (effet global),
qui permet de majorer le taux de salaire net sans accroître le coût
salarial, en maintien d'une rentabilité des entreprises et d'une
compétitivité du modèle français (Périvier,
2003). La PPE est d'autre part une mesure contra cyclique, venant en
amortisseur de chocs exogènes, et elle permet également
d'éviter « l'effet Matthieu » (consistant à donner
davantage à ceux qui ont déjà : c'est-à-dire
accorder des avantages sociaux plus élevés aux classes moyennes
qu'aux classes pauvres) (Elbaum, 2011). Enfin, elle induit un principe
Méritocratique, au sens du proverbe du XVème siècle «
aidez-vous et le ciel vous aidera » : au sens
«travaillez et l'Etat vous aidera » (aide
par le travail).
D'initiative socialiste, partant du contexte économique
et politique de son époque, mais aussi d'exemples étrangers
l'ayant en partie inspirée, la PPE est passée par plusieurs
réformes et revalorisations, l'ayant « modelée » et
« précisée » au fil du temps et des périodes
d'alternance et de cohabitation vécues depuis 1981, traduisant ainsi la
volonté des gouvernements successifs de soutenir le revenu des
travailleurs modestes autrement que par les revenus du travail (Bonnefoy et
al, 2009). La PPE, au travers de ses différentes
réformes, a contribué à gommer certaines
externalités négatives découlant
d'inégalités sociales. Cependant, il subsiste encore des niveaux
d'inégalité moralement et socialement inacceptables (Piketty,
1997).
Ce dispositif a cependant toujours suscité de riches
interrogations : la Prime pour l'emploi a-t-elle un impact redistributif,
stimule-t-elle l'emploi (Pisany-Ferry in OFCE, 2003), notamment l'emploi des
femmes (Cahuc, 2002), est-elle socialement juste (Dupond, Sterdyniak, 2001),
est-elle compréhensible, attractive, et efficace (Sirugue, 2013),
peut-elle poursuivre plusieurs objectifs en même temps (Dupond,
Sterdyniak, 2001) ? Enfin, quelles perspectives d'avenir pour la Prime pour
l'emploi (Sirugue, 2013) ?
68
Une reformulation simplifiée du questionnement permet
de poser une question plus claire : pourquoi la Prime pour l'emploi n'a-t-elle
pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives d'avenir ? (question
centrale).
L'analyse a été conduite à l'aune de la
pertinence, de l'efficacité, et de l'efficience du dispositif de la
Prime pour l'emploi (problématique), s'appuyant sur un comparatif avec
des dispositifs étrangers présentant des similitudes avec la PPE
(l'EITC américain et le WFTC britannique), et
s'appuyant notamment sur les cadres théoriques proposés par
Charles O. Jones (analyse séquentielle des politiques publiques) (Jones,
1970), par Pierre Muller (Analyse cognitive des politiques publiques) (Jobert,
Muller, 1987 ; Muller 2000, 2013 ; Muller, Surel, 2000), et par Amartya Sen,
s'agissant des aspects de justice sociale (Approche par les
capabilités) (Sen, 2003).
En réponse à la question de Pisany-Ferry en
2003, et selon la démonstration et l'analyse menées, il peut
être affirmé que l'objectif de redistribution de la PPE n'est pas
atteint. La redistribution est insuffisante en volume, et
décentrée par rapport à la réelle cible de la
pauvreté, même laborieuse. En effet, la Prime pour l'emploi n'a
qu'un effet redistributif limité, de part un ciblage insuffisant et de
part la modicité des montants distribués (Legendre et al.,
2004). D'autre part, elle ne bénéficie qu'aux personnes en
emploi, les plus démunis, les personnes sans emploi, ou à temps
très partiel, ne font en effet pas partie de la cible. De ce fait, 84,5
% des bénéficiaires de la PPE ne sont pas en situation de
pauvreté (Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes, 2011), et «
la Prime pour l'emploi ne réduit que de 0,5 point le taux de
pauvreté des personnes en emploi » (Bonnefoy et
al., 2008 - 2 : p. 4).
Enfin, son « décentrage » vient de
l'exclusion de son bénéfice des personnes ayant des revenus
d'activité inférieurs à 0,3 SMIC, et son extension
à des personnes ayant des revenus d'activité supérieurs
à 1,4 SMIC. Cet aspect, à l'évidence, amoindrit le
caractère purement redistributif de la PPE dans la mesure où la
prise en compte de certaines situations familiales permet notamment à
des personnes disposant d'un revenu d'activité atteignant 2,1 SMIC d'en
bénéficier (Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Déjà en 2008, il pouvait être lu que
« la PPE devrait disparaître au profit du RSA qui en
récupérerait ainsi l'enveloppe budgétaire »
(Cahuc et al., 2008 : p. 158), et que du moins, dans tous les cas, il
conviendrait d'organiser autrement son recentrage sur les premiers
déciles : « ce serait un objectif que d'annuler
dès que possible la prime dont bénéficient les 50 % plus
aisés » (Cahuc et al., 2008 : p. 159). Dans
tous les cas « aujourd'hui, la PPE est particulièrement
diluée, ce qui est largement dénoncé... ... Ce
constat justifie d'envisager des mesures de recentrage »
(Hirsch, 2008 : p. 197).
« Quoi qu'il en soit, l'introduction de la
PPE a permis de réduire le taux moyen des prélèvements
nets sur les individus les plus modestes appartenant à un ménage
mono-actif qui ne pouvaient profiter des baisses d'impôts car ils
étaient non imposables » (Périvier, 2003 : p.
307).
69
En réponse à la question de Pisany-Ferry en
2003, il peut être affirmé que la PPE a un impact très
faible sur l'offre de travail et très incertain sur l'emploi. En
augmentant le gain financier procuré par l'emploi, la PPE cherche
à stimuler l'offre de travail. Mais, en réalité, la prime
peut exercer deux types d'effets antagonistes sur les comportements
d'activité :
-un effet de substitution : la hausse de la
rémunération du travail rend celui-ci plus attractif que
l'inactivité (impact positif) ;
-un effet de revenu : l'augmentation du pouvoir d'achat de
chaque heure travaillée permet aux individus, à revenu constant,
de travailler moins (impact négatif).
La Prime pour l'emploi peut par ailleurs décourager
l'activité du second travailleur dans les couples biactifs, en raison de
la contrainte du plafond de revenu global, calculé au niveau du
ménage (Cour des comptes, 2006). De plus, les dispositifs fiscaux
proposant des crédits d'impôt aux ménages dont un des
membres, préalablement inactif, reprend un emploi, visent à
augmenter l'offre de travail, mais leur efficacité reste toutefois
faible tant que leur impact anticipé est réduit par les effets
désincitatifs d'autres transferts (Fougère, 2006).
L'ensemble des études menées montrent que
l'impact de la PPE sur l'offre de travail est positif mais faible (de + 0,2
à +0,4 % selon les études). Egalement, les enquêtes
réalisées auprès des ménages corroborent ces
conclusions : en juin 2003, dans leurs réponses à l'enquête
de l'INSEE, 3 % seulement des ménages interrogés ont
indiqué être incités par la PPE à « reprendre
une activité », 4 % seulement à « travailler davantage
» et 31 % à « continuer à travailler » (Bonnefoy
et al., 2008 - 2).
L'effet sur l'emploi est encore plus incertain que sur celui
de l'offre de travail, l'efficacité de la PPE sur l'emploi étant
tributaire du contexte économique général.
En réponse à la question de Cahuc en 2002, les
évaluations disponibles montrent que la PPE n'a qu'un impact très
faible sur l'emploi, notamment sur celui des femmes (Laroque, Salanié,
2002 ; Périvier, 2003). L'une des études conclut que la PPE ne
permettrait qu'une hausse du taux d'emploi de 0,2 point (de 47,3 à 47,5
%) pour les femmes, et de 0,3 point (de 84,6 à 84,9 %) pour les hommes
(Cour des comptes, 2006). Enfin, des trappes à inactivité
demeurent pour certains groupes d'individus (Anne et l'Horty, 2002), notamment
pour les femmes (Jamet, 2006 ; Margolis, Starzec, 2005). Certes, la PPE n'a pas
pour seul but de stimuler l'emploi, mais compte tenu de son coût
budgétaire, son rapport coût/efficacité est faible
(Bonnefoy et al., 2008 - 2).
Selon la Cour des comptes en 2006, le montant de la PPE est
à la fois trop faible pour créer un réel effet
d'incitation de retour à l'emploi et mal distribuée (Cour des
comptes, 2006).
70
En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak
en 2001, en 2006 les magistrats de la rue Cambon soulignaient que le choix
n'avait pas été fait entre deux objectifs : inciter à la
reprise d'un emploi et redistribuer du pouvoir d'achat à des
travailleurs à faible revenu (Cour des comptes, 2006). A cet
égard, et selon eux, la PPE n'est pas un outil adéquat pour
accroître l'emploi et en même temps pour venir en aide aux
travailleurs les plus pauvres. Pour être potentiellement efficace, un
instrument d'incitation au travail doit être individualisé.
À l'opposé, pour être redistributif, un transfert doit
tenir compte de l'ensemble des ressources du ménage afin d'en faire
bénéficier les plus pauvres. Ainsi, le même instrument ne
peut être à la fois incitatif et redistributif. Or ces deux
objectifs sont bien assignés à la PPE. De ce fait, le dispositif
n'atteint ni l'un ni l'autre (Allègre, Périvier, 2005-2 ;
Commission familles, vulnérabilité, pauvreté, 2005 ; Cour
des comptes, 2011). Il serait également illusoire d'espérer
concevoir un dispositif miraculeux qui permettrait d'atteindre de multiples
objectifs dans le même temps (Allègre, 2013).
Sur le plan de sa mise en oeuvre, et selon l'analyse
menée en application des cadres théoriques de Charles O. Jones
(analyse séquentielle des politiques publiques) et de Pierre Muller
(Analyse cognitive des politiques publiques) il est constaté que la PPE
n'a pas subie de critique ou tension majeure de l'opinion publique (les
critiques sont plutôt arrivées des personnalités
politiques, toutes tendances confondues, et ont été
inhérentes à la pertinence et aux impacts même du
dispositif). L'imbrication de cette mesure sectorielle dans le
référentiel global (RGS) s'est réalisée sans
tension particulière, elle a été naturellement
intégrée et acceptée. Une particularité se
dégage du dispositif de la PPE : s'agissant d'une mesure fiscale (et
sociale), la PPE dispose d'un mode de décision publique réduit :
Gouvernement, Assemblée Nationale, Loi de finances publiques
(Doligé, 2008), avec la participation, pour son époque, du
commissariat général au Plan (CGP), du Conseil d'analyse
économique (CAE) ou du cabinet du Premier ministre (Colomb, 2012-1).
Outre les aspects de cohésion sociale, d'emploi, et de travail, la PPE
met en oeuvre, pour l'essentiel, le Ministère des finances.
En réponse à la question de Dupond et Sterdyniak
en 2001 concernant le respect des principes de justice sociale, selon la
démonstration et l'analyse menée, il peut être
affirmé que la PPE, tout en gommant certaines inégalités,
est créatrice d'autres inégalités sociales. D'une part
elle ne concerne que les actifs au travail, par opposition aux chômeurs,
et d'autre part, elle ne concerne que la part de la population percevant plus
de 0,3 SMIG (par troncature). Cette double condition d'activité et de
niveau de revenu, particulièrement dans le cadre actuel de
présence d'un chômage de masse structurel, et par opposition
à la situation du début des années 80, fait que la PPE est
génératrice d'injustices sociales vis-à-vis des personnes
privées d'emploi, et vis-à-vis des travailleurs à certains
temps partiels (très partiels). Elle est également
créatrice d'inégalité entre personnes pauvres avec ou sans
emploi. Enfin, elle met en exergue l'effet Matthieu : donner à ceux qui
ont déjà, puisque « la Prime pour l'emploi ne profite
donc pas majoritairement aux plus pauvres » (Clerc, 2006), mais
seulement à ceux qui travaillent (Barnaud, Bescond, 2006).
71
Concernant les femmes, la balance entre le coût de la
sous-traitance de certaines tâches au sein du foyer, le coût de la
garde des enfants, et le salaire que les femmes reçoivent si elles
travaillent, peut être créatrice de trappe à
inactivé structurelle et spécifiquement féminine. Le fait
que cet aspect ne concerne que les femmes, en opposition aux hommes, et ce dans
un contexte d'absence d'aides spécifiques venant atténué
cet état de fait, est créateur d'une injustice sociale de
genre.
En point positif, le système d'attribution de la PPE
(automatisation fiscale et crédit d'impôt) permet toutefois de
contrer le phénomène de non-recours aux droits sociaux (Warin,
2010), ce qui va en faveur, à cet égard, d'une
égalité des chances.
Les politiques sociales pourraient, dans une approche non
monétaire, intervenir au titre des capabilités au sens
de Sen. Par exemple, s'agissant de la PPE, il pourrait être adjoint, en
complément ou en remplacement d'une partie de l'aide monétaire,
une palette de services concernant les freins à la reprise ou au
maintien dans l'emploi. Il est une fois de plus dommage que les personnes sans
emploi ou faiblement employées (en dessous de 0,3 SMIC) ne puissent
bénéficier de la PPE, tant sur le plan pécuniaire que sur
celui des capabilités qu'il serait possible de mettre (ou
remettre) en oeuvre. Cet aspect est d'autant plus dommageable pour les femmes
et/ou les personnes à charge de dépendants. En effet, c'est
précisément cette catégorie de personnes qui subit le plus
de privations au sens de Sen (Sen, 2003).
A la lumière des enseignements ainsi obtenus quelle
réponse apporter à la question centrale : pourquoi la Prime pour
l'emploi n'a-t-elle pas fonctionné, et quelles sont ses perspectives
d'avenir ?
En résumé, la Prime pour l'emploi
présente trois principaux défauts qui altèrent son
efficacité incitative et redistributive. Le dispositif est peu
ciblé (premier défaut) et induit de faibles montants unitaires
distribués (second défaut). Enfin, la Prime pour l'emploi manque
de visibilité tant pour ses bénéficiaires effectifs que
pour ses bénéficiaires potentiels (troisième
défaut). Au final, la PPE a un impact limité tant sur l'offre de
travail et l'emploi que sur son aspect redistributif (Cour des comptes,
2006).
Le manque de visibilité de la Prime pour l'emploi lui
tient à trois facteurs. D'abord, la prime n'est perçue qu'avec un
important décalage dans le temps (9 à 18 mois). Ce
décalage, dû au rattachement de la PPE à l'impôt sur
le revenu, affaiblit le message selon lequel « le travail paie »
(Making work pay) (Arnaud et al., 2008 ; Attali, 2008 ; Cahuc
et al., 2008 ; Cour des comptes 2006 ; Cour des comptes 2011). Afin
d'y remédier, la loi de finances pour 2004 a instauré un
système d'acompte pour certains demandeurs d'emploi et titulaires de
minima sociaux reprenant une activité. Mais, complexe, mal connu et mal
compris, ce dispositif est très peu utilisé (Cour des comptes,
2006).
En second lieu, la complexité du mode de calcul de la
PPE et de ses conditions d'attribution et de versement a pour
conséquence qu'un bénéficiaire sur quatre de la
72
PPE, une année donnée, n'est pas en mesure de
déterminer si, au vu de son comportement d'activité, il en
bénéficiera encore l'année suivante. Ce manque de
prévisibilité affecte de la même façon les personnes
qui reprennent pour la première fois une activité professionnelle
(ils ignorent si elle leur ouvrira droit à la prime).
Ce manque de visibilité affaiblit d'autant plus la
dimension incitative de la PPE que les personnes concernées font souvent
face à d'importantes contraintes de liquidité (Cour des comptes,
2006).
Enfin, et en réponse à la question de Sirugue en
2013, l'information faite sur la Prime pour l'emploi est lacunaire (Bonnefoy et
al., 2008 - 1), tel que le démontre les annexes 6, 7, et 8 :
les enquêtes « terrain » réalisées ont
démontré une faible connaissance du dispositif,
particulièrement en catégorie « employés et ouvriers
» (essentiellement le coeur de cible de la PPE). La prime étant un
avantage fiscal et non un élément de paie, elle ne figure pas sur
le bulletin de salaire. A cet égard, une forte communication aurait
été nécessaire pour faire clairement percevoir le
dispositif au grand public. Mais le service public de l'emploi ne relaie pas
l'information auprès des demandeurs d'emploi, ce qui représente
une incohérence. L'ANPE70/71, par exemple, ne
formulait aucune instruction visant à ce que la question de la PPE soit
abordée lors des entretiens d'accompagnement. Le constat est similaire
dans les autres administrations et services sociaux (caisses d'allocations
familiales, ASSEDIC, centres communaux d'action sociale (CCAS)). La Prime pour
l'emploi souffre de ce fait d'un réel déficit de
notoriété : si une enquête de l'INSEE a montré que
81 % des ménages interrogés avaient déjà «
entendu parler » de la PPE, cela signifie, a contrario, que
près de 20 % d'entre eux ignoraient jusqu'à son existence (Cour
des comptes, 2006). Ce point très important constituerait, selon la Cour
des comptes en 2006, une des raisons essentielles de l'échec du
dispositif sur l'incitation au travail (Cour des comptes, 2006).
La PPE a fait l'objet de critiques
répétées de la Cour des comptes, qui la juge trop
complexe, pas assez redistributive et illisible. La complexité du
barème de la PPE rend effectivement sa lisibilité difficile
(Legendre et al., 2004).
Pour conclure sur le dispositif de la PPE, il peut être
souligné en point positif que d'aspect financier (matériel et
repérable) le dispositif a permis des actions immatérielles
(discours, etc.) valorisant son existence, et l'intérêt
porté à la pauvreté (laborieuse notamment), aux
inégalités, et à l'exclusion sociale. D'autre part, bien
que créant une segmentation (les assujettis et les non assujettis), elle
a permis de préserver une confidentialité, évitant la
stigmatisation (car utilisant le canal fiscal).
L'évaluation de l'impact de la PPE est difficile
à mettre en oeuvre dans une analyse «
coût-bénéfice », la Prime pour l'emploi étant
de montant réduit mais d'assiette large (contrairement au modèle
du « Earned Income Tax Credit » américain et du
« Working
70 Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
71 Pôle-Emploi aujourd'hui a le même
comportement, après renseignement pris par téléphone le 11
juin 2015 auprès de Madame Sophie Sourisse, conseillère emploi
à l'agence de Saint-Chamond dans la Loire.
73
Family Tax Credit » britannique qui comprennent
des montants plus importants car ciblés sur une population
réduite, donc plus facilement mesurable). L'optimalité
résiderait dans une solution permettant de réaliser le meilleur
arbitrage entre la redistribution souhaitée et la perte
d'efficacité économique qu'elle engendre, tout en
préservant le principe de justice sociale.
La difficulté récemment rencontrée par le
gouvernement pour baisser les cotisations sociales salariées sur les bas
salaires (mesure censurée par le Conseil constitutionnel) a
relancé le débat sur les réformes des dispositifs
existants pour les plus bas revenus: la Prime pour l'emploi et le Revenu de
solidarité active (Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation
des politiques publiques (LIEPP), 2014 ; Ministère des Finances et des
Comptes Publics, Secrétariat d'Etat au Budget, 2014). La tentation de
désactiver une dépense « passive » a été
à plusieurs reprises abordée. De plus, malgré que l'Europe
ait été favorable à une époque aux incitations
financières des Etats membres pour l'emploi (« afin de
rendre l'emploi attrayant et d'encourager les hommes et les femmes à
rechercher, occuper et conserver un emploi »), le Conseil
européen déclarait pour la France que « le
système d'incitation et les finances publiques auraient tout à
gagner de la suppression de la PPE, compte tenu notamment de son coût
budgétaire (environ 4 milliards d'euros par an) ». La
PPE, présentée comme la seule voie efficace de soutien aux bas
revenus, était en fait dénoncée depuis plusieurs
années comme étant une « dépense passive »
(Gomel, Serverin, 2013).
Les débats sur la fusion de la PPE avec le RSA
activité ont eu lieu à l'Assemblée nationale et au
Sénat. La loi de finances rectificative pour 2014 fait annonce du projet
de Prime d'activité, par fusion du RSA activité et de la PPE,
pour une mise en oeuvre en 2016. Elle annonce également, à cet
effet, la suppression de la PPE (en appui des conclusions du rapport Sirugue et
du rapport Lefebvre et Auvigne sur la fiscalité des ménages)
(Assemblée Nationale, 2014 ; Auvigne et Lefebvre, 2014 ; De Mongolfier,
2014 ; Mouiller, 2014 ; Puren, 2015 ; Sirugue, 2013).
La PPE doit donc disparaître fin 2015 au profit d'une
Prime d'activité. Pour l'économiste Thomas Piketty, auteur de
l'ouvrage Pour une révolution fiscale, la suppression de la PPE
est une bonne chose car elle est versée avec un an de retard
(Lévêque, 2012).
Concernant l'évolution annoncée du dispositif
pour 2016, il est à souligner que déjà en 2000, soit avant
le vote instituant la PPE, le rapport Belorgey72 sur les minima
sociaux, les revenus d'activité, et la précarité,
préconisait d'approfondir les débats autour de
l'éventuelle fusion des minima sociaux et de leur relation avec les
autres prestations, et de prolonger les réflexions du rapport
Boissonnat73 sur la continuité de la protection sociale et la
sécurisation de la relation de travail (« flexicurité
», stratégie de Lisbonne,
72 Jean-Michel Bélorgey est un Énarque
(promotion Turgot). Il est membre du Conseil d'État dont il
présida la Section du rapport et des études jusqu'au 3 novembre
2009.
73 Jean Boissonnat est un économiste,
journaliste et homme de presse français.
74
2000). Ce rapport proposait d'étudier l'articulation
des minima sociaux et des revenus d'activité, pour en apprécier
les conséquences sur les incitations à l'activité, et
émettait des propositions visant à harmoniser les minima sociaux
et à encourager l'activité (et à plus long terme à
rechercher une articulation entre minima et dispositif social et fiscal).
Plus récemment, le diagnostic dressé dans le
rapport Sirugue est relativement consensuel : RSA activité et PPE
n'atteignent pas les objectifs d'incitation et de redistribution. Le rapport
souligne ainsi que les effets redistributifs des deux instruments sont
limités et l'impact sur le retour et le maintien dans l'emploi est
relativement faible. Il souligne toutefois que le fait de rapprocher les deux
dispositifs dans cette critique est trompeur puisque leurs limites proviennent
de spécificités diamétralement opposées.
En effet, la PPE est un crédit d'impôt
essentiellement individualisé, dont le montant maximal est atteint au
niveau d'un SMIC à temps plein. Son impact redistributif est
faible : le dispositif verse de faibles primes à
beaucoup de foyers (il bénéficie à 6,3 millions de foyers
fiscaux pour un montant moyen mensuel de 36 euros, en 2012), ce qui dilue son
éventuel impact incitatif (Allègre, 2013). « De
plus, la PPE n'est pas particulièrement ciblée sur les plus
pauvres : près de 30 % des foyers fiscaux bénéficiaires
ont un niveau de vie supérieur à la médiane nationale
» (Allègre, 2013 : p. 1).
Concernant le RSA activité, « il
s'agit d'une prestation sociale « familialisée »
bénéficiant à environ 700 000 foyers pour un montant moyen
de 170 euros mensuel, en 2012. Le dispositif est ciblé sur les foyers
les plus pauvres : environ les deux tiers des dépenses sont
perçues par des ménages des deux premiers déciles de
niveau de vie. En fait, la limite redistributive du RSA activité est
liée au non-recours à la prestation, estimé à 68 %
en 2011 » (Allègre, 2013 : p. 2). Selon certains
auteurs, le passage du recours partiel au plein recours au RSA activité
ferait sortir près de 500 000 individus de la pauvreté
(Allègre, 2013). « Si les motifs de non-recours sont
multiples, deux causes essentielles peuvent être mises en avant : la
complexité des formalités de demande et la non-demande volontaire
(par peur de stigmatisation, peur de devoir rembourser des sommes indues ou
dans une volonté d'autonomie...) -le RSA activité restant
associé à l'image de minimum social- ces deux explications
étant évidemment complémentaires »
(Allègre, 2013 : p. 2).
Le rapport Sirugue proposait l'instauration d'un dispositif
hybride entre RSA activité et PPE qui se substituerait aux deux
instruments74 (Sirugue, 2013). « La Prime
d'activité serait individualisée mais sous conditions de
ressources familiales (de même que la PPE) ; elle serait maximale pour
des revenus équivalent à 0,7 SMIC, donc plus faibles que pour la
PPE, mais plus élevés que pour le RSA activité. La
prestation serait versée mensuellement et reposerait sur une
déclaration de revenus trimestrielle (de même que le RSA
activité) » (Allègre, 2013 : p. 2).
« Le rapport propose de « compenser les effets de
l'individualisation du complément financier » avec des mesures
à destination des enfants (complément enfant,
74 Sachant que l'OCDE en mars 2013 arrivait aux
mêmes conclusions : l'idée de fusion de la PPE et du RSA (OCDE,
2013).
75
majoration de l'Allocation rentrée scolaire) »
(Allègre, 2013 : p. 3). « En termes d'incitation
au travail, la réforme proposée permet, pour les couples,
d'augmenter les gains de retour à l'emploi du travailleur additionnel -
le plus souvent la femme - ce qui serait plutôt favorable à
l'égalité au sein des couples. Toutefois, l'individualisation
avec prime maximale au niveau de 0,7 SMIC comporte un risque : celui du
développement de l'offre et la demande d'emplois au SMIC à temps
partiel long (4/5e) » (Allègre, 2013 : p.
5).
Déjà évoqué en avant-gardisme en
2008, pour finalement une application avortée en 2009 (Mongin, 2008), la
PPE va enfin être abandonnée en 2016 au profit d'une « Prime
d'activité » (fusion de la PPE et du RSA activité), allant
peut-être en direction du modèle américain ou britannique,
suivant le paradigme international, l'Etat semblant se positionner en Etat
régulateur. La future prime d'activité touchera en effet moins de
bénéficiaires mais sera plus efficace au travers de sommes
distribuées plus substantielles (Julia, 2015).
« La fusion des deux aides devrait permettre
de créer une prime plus cohérente, elle sera versée tous
les mois mais calculée par trimestre. Et concentrée sur les
travailleurs qui gagnent entre 570 et 1360 euros nets, soit entre 0.5 et 1.2
SMIC. Elle devrait au final concerner 4 millions de
bénéficiaires, et pour une enveloppe de 4 milliards d'euros. Ce
qui correspond au budget du RSA activité et de la Prime pour l'emploi
cumulés. Son montant maximum avoisinera les 200 euros. Autre
nouveauté, cette prime sera ouverte aussi aux 18/25 ans qui n'ont pas
accès aujourd'hui au RSA. Ce qui répond à une demande
forte des associations caritatives » (Julia, 2015).
« Fusionner les deux aides va permettre d'en créer une
nouvelle - la Prime d'activité - plus incitative et mieux ciblée.
Une aide non fiscale qui sera accordée à toute personne dont les
revenus ne dépassent pas 1,2 SMIC par mois
(1 734 € sur la base du SMIC 2014), et dont
le montant maximal pourrait atteindre 215 € par mois pour ceux gagnant
moins de 0,7 SMIC par mois » (Puren, 2015).
La Prime activité touchera 4 à 5 millions de
bénéficiaires (Puren, 2015).
Cependant, bien que l'assiette des bénéficiaires
soit plus réduite et que les montants distribués soient plus
importants, sur le modèle britannique et américain, la fourchette
de bénéfice ouverte (de 0.5 à 1.2 SMIC pour la Prime
d'activité, contre une fourchette de 0.3 à 1.4 SMIC pour la PPE)
semble ne rien résoudre, en ces périodes de présence d'un
chômage de masse structurel, au problème de la pauvreté
liée à l'absence d'emploi ou à celle
représentée par un temps de travail discontinu ou très
partiel. Toutefois, au sein du nouveau dispositif, il est à
constaté qu'un choix a enfin été fait en faveur de
l'incitation au travail, préférentiellement à celui de la
redistribution des revenus.
« Grande est notre faute, si la misère
de nos pauvres découle non pas de lois naturelles, mais de nos
institutions »
(Charles Darwin, Le voyage du Beagle in Laroque, Salanié,
2000)
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84
TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT... ... ... ... ... ... ......
I
REMERCIEMENTS ... ... ... .........
II
RESUME... ... ...... ... ...... ...
III
SOMMAIRE ... ... ... .........
...... IV
LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES... ... ... ......
... V
LISTE DES TABLEAUX... ... ...... VII
LISTE DES GRAPHIQUES ... ......
... ...... VIII
LISTE DES SHEMAS...... ...... ... ......... ...
IX
LISTE DES ENCADRES ... ... ...
......... ..... X
LISTE DES ANNEXES...... ... ... ... ... ......
XI
INTRODUCTION GENERALE... ... ... ... ......
1
CHAPITRE I - Présentation du
dispositif de la Prime pour l'emploi (PPE) 6
A - La Genèse du dispositif...
... ...
|
7
|
a - Pauvreté laborieuse, trappes à
inactivité, et exclusion sociale
|
...... 12
|
1 - La pauvreté laborieuse...
... ... ... ......
|
...... 13
|
2 - Les trappes à inactivité...
... ... ...
|
17
|
3 - L'exclusion sociale... ......
... ......
|
18
|
b - Contexte politique de l'époque et
exemples étrangers... ...
|
...... 18
|
1 - Le contexte politique de l'époque
... ... ... ......
|
18
|
2 - Les exemples étrangers... ......
...
|
20
|
e - Redistribution et politique de l'emploi...
... ......
|
.... 22
|
1 - La redistribution des revenus...
... ... ... ......
|
...... 23
|
2 - L'incitation à l'emploi...
... ... ... ......
|
25
|
B - L'historique des réformes et
revalorisations... ... ......
|
...... 26
|
a - Les réformes... ...
...... ... ......
|
26
|
b- Les revalorisations... ... ......
|
28
|
e - Le dispositif aujourd'hui ...
...... ... ......
|
....32
|
1 - Le dispositif actuel... ... ...
...... ... ......
|
33
|
2 - Un accès sous conditions de
ressources et d'activité ...
|
......... 33
|
3 - Quel est le montant de la PPE ?
|
34
|
85
CHAPITRE II - L'actualité du dispositif
PPE ... ...... 37
A - De la non-optimalité à la contreperformance de
l'impact
redistributif et de la stimulation de l'emploi...... ......
39
a - Impact redistributif ... ... ......
... ...... 40
b - Stimulation de l'emploi ...... ...
44
1 - L'emploi en général...... ...... ...
...... 46
2 - L'emploi des femmes... ... ... ... 47
B - Analyse séquentielle de la Prime pour l'emploi : un
recentrage ... 50
a - Contexte et analyse qui conduit du besoin social au
dispositif ... ..... 51
b - Problème social et rôle des acteurs...
... ... ...... ...... 52 e - Référentiel
global, référentiel sectoriel, et rapport
global sectoriel (RGS) ... ... ... ... ... 54
C - Prime pour l'emploi et justice sociale.. ... ... 56
a - Un creusement des inégalités entre situation de
temps pleins,
de temps partiels, et de chômage ... ... ... ......
..... 58
b - Les femmes en emploi... ...... ...
...... ....... 59
e - Analyse par les capabilités... ... ...
...... ... 60
CONCLUSION GENERALE ... ... ... ...
...... 67
BIBLIOGRAPHIE ... ...... ...
...... 76
ANNEXES... ... ... ... ... ......
...... 86
ANNEXE 1... ... ... ... ...
......... 87
ANNEXE 2... ... ... ... ... ......
88
ANNEXE 3... ... ... ... ... ......
89
ANNEXE 4... ... ... ... ... ......
90
ANNEXE 5... ... ... ... ... ......
91
ANNEXE 6... ... ... ... ... ......
92
ANNEXE 7... ... ... ... ...
...... 93
ANNEXE 8... ... ... ... ... ......
94
86
ANNEXES
87
ANNEXES 1
Description du modèle de micro simulation
Ines
Source : Duval et al., 2012 : p. 72.
88
ANNEXES 2
Schéma de présentation du modèle
Ines
Lecture : Dans l'ordre de citation : Etude des
revenus familiaux (ERF) ; Allocation supplémentaire d'invalidité
(ASI) ; Allocation adulte handicapé (AAH) ; Allocation de rentrée
scolaire (ARS) ; Allocation de soutien familial (ASF) ; Allocation
d'éducation spéciale (AES) remplacée par l'Allocation
d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) ; Allocation pour jeune
enfant (APJE) ; Allocation parentale d'éducation (APE) remplacée
par le Complément de libre choix d'activité (CLCA) ; Allocations
familiales (AF) ; Caisse d'allocation familiale (CAF).
Source : Fugazza, Le Minez,
Pucci, 2003 : p. 84
89
ANNEXES 3
Brève description du modèle de
micro-simulation MYRIADE
« Le nom de MYRIADE n'est
pas d'un acronyme : il symbolise le très grand nombre d'individus dont
le modèle cherche à reproduire la situation économique et
sociale. Les nouvelles enquêtes revenus fiscaux de l'INSEE constituent le
point de départ de MYRIADE. Notre année de base est toutefois
l'année 2000. Nous avons recours à deux procédés
pour faire « vieillir » les données. D'une part, les
pondérations de l'enquête sont redressées pour, en
particulier, rendre compte des statuts d'activité de l'année
d'intérêt - ces derniers étant évalués
à partir de l'enquête emploi de l'année 2000. D'autre part,
les revenus individuels sont actualisés en fonction de leur taux de
croissance moyen, évalué par la Comptabilité nationale.
Par ailleurs, un retraitement achevé des données est
réalisé, qui poursuit trois objectifs. D'abord, il permet d'avoir
une représentation à taux constant de la population
française de métropole : chaque individu du modèle a le
même poids.
Ensuite, il vise à reconstituer les foyers fiscaux
afin de recalculer au mieux l'impôt sur le revenu. Enfin, il permet de
renseigner correctement l'année de base du modèle, en se calant
sur la pyramide des âges correspondante, en imputant sur barème
les revenus bruts et en étalonnant un certain nombre de transferts
sociaux. Parallèlement, MYRIADE reproduit la plupart des
éléments de notre système redistributif. Bien sûr,
il nous a fallu arbitrer entre simplicité de la modélisation et
complexité de la « réalité » - par exemple, pour
les cotisations sociales des non-salariés, nous avons simulé
trois régimes «représentatifs » pour chacun des trois
revenus catégoriels distingués dans la déclaration
fiscale. Il nous faut cependant concéder l'absence de deux grands
prélèvements considérés habituellement à la
charge des ménages : la taxe à la valeur ajoutée et la
taxe intérieure sur les produits pétroliers. Nous souffrons
là de ne pas disposer d'informations relatives à la consommation
des familles. Côté transferts, nous n'intégrons pas
certaines contreparties des prélèvements obligatoires qui peuvent
être, plus ou moins, individualisées : les remboursements de
l'assurance maladie, les dépenses publiques d'éducation, l'aide
sociale locale...
Enfin, le pas temporel de MYRIADE est l'année car
les données qui proviennent de la source fiscale sont des grandeurs de
flux, relatives à l'année précédente
écoulée, et que nous ne voulons pas nous priver de cette
information a priori robuste. Ce choix de modélisation a notamment pour
conséquence l'affectation à chaque individu du modèle d'un
et un seul statut d'occupation dans l'année défini à
partir du calendrier d'activité mensuel de l'enquête emploi : pour
MYRIADE, un individu est par exemple chômeur si ce statut est celui qui
présente la plus forte occurrence dans l'année. Deux
approximations sont ainsi commises. En premier lieu, le revenu annuel
porté dans la déclaration fiscale est considéré
comme relevant en totalité du statut d'occupation dominant. Par exemple,
le revenu d'un individu dont le statut dans MYRIADE est salarié est
traité dans son intégralité comme un salaire : il supporte
les cotisations sociales à ce titre, la contribution sociale
généralisée à ce titre, etc. En second lieu, la
législation est, quand cela est nécessaire, «
annualisée ». Par exemple, la condition de ressources du revenu
minimum d'insertion porte sur un revenu trimestriel ; dans MYRIADE, elle porte
sur le montant annuel correspondant ».
Source : Legendre, Lorgnet,
Thibault, 2002 : p. 561.
90
ANNEXES 4
Récapitulatif de l'évolution du barème de
la PPE depuis sa création
Sources : Guide de l'impôt sur le revenu
(2002, 2003, 2006, 2008) et calculs Dress in Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave,
2009 : p. 101.
91
ANNEXES 5
Comment se calcule la PPE d'un foyer fiscal
Source : Guide de l'impôt
sur le revenu 2008 in Bonnefoy, Buffeteau, Cazenave, 2009 : p.
102.
92
ANNEXES 6
Enquête PPE
Pôle-Emploi de Saint-Chamond (Loire) Les 6 et
7 août 2015
Synthèse des réponses au
questionnaire
Question 1 :
|
OUI
|
NON
|
Connaissez-vous l'existence de la PPE ?
|
78 %
|
22
|
%
|
Question 2 :
|
79 %
|
21
|
%
|
Savez-vous si vous en avez bénéficié, ou pas
?
|
Question 3 :
|
63 %
|
37
|
%
|
Si vous en avez bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 4 :
|
59 %
|
41
|
%
|
Si vous n'en avez pas bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 5* :
|
7 %
|
93
|
%
|
Vous semble-t-il connaître précisément le
dispositif (conditions d'éligibilité, critères de calcul,
mode et délai de paiement) ?
|
Question 6 :
|
61 %
|
39
|
%
|
Savez-vous que ce dispositif est appelé à
disparaître ?
|
Lecture : 157 personnes ont été
questionnées, en face-à-face, sur l'ensemble des deux
journées.
L'ensemble des questionnés faisait partie de la
catégorie « ouvriers-employés ».
Les réponses ont été exprimées en
pourcentages (%) arrondis.
(*) Cette question n'a pas fondé ses réponses sur
l'avis que les questionnés avaient d'eux-mêmes, mais sur leur
réelle connaissance du dispositif, avec un questionnement
d'approfondissement précis sur les conditions
d'éligibilité, les critères de calcul, et les modes et
délai de paiement. Cet aspect sous-tend que ceux qui ont répondu
« oui » à la question 3 et 4, n'ont pas une réelle
connaissance de la réponse apportée à la question
posée. Ainsi, il peut être estimé que seulement 7 % d'entre
eux avaient répondu en réelle connaissance de cause.
93
ANNEXES 7
Enquête PPE
Viadeo (base contacts)
Le 7 août 2015 (finalisation et compilation des
réponses)
Synthèse des réponses au
questionnaire
Question 1 :
|
OUI
|
NON
|
Connaissez-vous l'existence de la PPE ?
|
99 %
|
1 %
|
Question 2 :
|
93 %
|
7 %
|
Savez-vous si vous en avez bénéficié, ou pas
?
|
Question 3 :
|
71 %
|
29 %
|
Si vous en avez bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 4 :
|
82%
|
18 %
|
Si vous n'en avez pas bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 5* :
|
42 %
|
58 %
|
Vous semble-t-il connaître précisément le
dispositif (conditions d'éligibilité, critères de calcul,
mode et délai de paiement) ?
|
Question 6 :
|
95%
|
5 %
|
Savez-vous que ce dispositif est appelé à
disparaître ?
|
Lecture : 230 personnes ont été
questionnées par mail (base contacts Viadeo) 136 ont réellement
répondu.
L'ensemble des questionnés faisait partie de la
catégorie « agents de maîtrise et cadres».
Les réponses ont été exprimées en
pourcentages (%) arrondis.
L'ensemble des réponses ont été
fondées sur ce que pensaient les interrogés d'eux-mêmes
(sans question d'approfondissement, sans réelle vérification des
réponses apportées aux questions).
94
ANNEXES 8
Enquête PPE
LinkedIn (base contacts)
Le 6 août 2015 (finalisation et compilation des
réponses)
Synthèse des réponses au
questionnaire
Question 1 :
|
OUI
|
%
|
NON
|
Connaissez-vous l'existence de la PPE ?
|
100
|
0
|
%
|
Question 2 :
|
96
|
%
|
4
|
%
|
Savez-vous si vous en avez bénéficié, ou pas
?
|
Question 3 :
|
85
|
%
|
15
|
%
|
Si vous en avez bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 4 :
|
95
|
%
|
5
|
%
|
Si vous n'en avez pas bénéficié, savez-vous
pourquoi ?
|
Question 5* :
|
51
|
%
|
49
|
%
|
Vous semble-t-il connaître précisément le
dispositif (conditions d'éligibilité, critères de calcul,
mode et délai de paiement) ?
|
Question 6 :
|
98
|
%
|
2
|
%
|
Savez-vous que ce dispositif est appelé à
disparaître ?
|
Lecture : 150 personnes ont été
questionnées par mail (base contacts LinkedIn) 102 ont réellement
répondu.
L'ensemble des questionnés faisait partie de la
catégorie « agents de maîtrise et cadres». Il est
à noté que la catégorie « cadres » comprenait 11
% de cadres supérieurs ou dirigeants.
Les réponses ont été exprimées en
pourcentages (%) arrondis.
L'ensemble des réponses ont été
fondées sur ce que pensaient les interrogés d'eux-mêmes
(sans question d'approfondissement, sans réelle vérification des
réponses apportées aux questions).
|
|