Section I - Les difficultés de certains couples
mixtes
97. Les couples mixtes en général (et
Franco-Maghrébins en particulier) cristallisent autour d'eux un certain
nombre de problèmes, réels ou supposés. La plupart du
temps, le couple mixte n'a pas su gérer sa mixité. Il s'est
construit sur un château de cartes, dont l'équilibre se trouvera
d'autant plus fragilisé par l'arrivée du premier enfant. Le
couple devra alors se poser des questions nouvelles, qui creuseront encore plus
les frontières entre leurs deux cultures. Afin d'insister sur cette
gradation des problèmes, une première distinction d'ordre
chronologique a été choisie. Seront ainsi traités les
conflits antérieurs à la naissance de l'enfant (I), puis ceux qui
lui sont postérieurs et inhérents (II).
98. Dans chacun de ces deux grands paragraphes, a
été tenté un classement des difficultés par
thèmes de désaccord (choix de la langue, choix des vacances
etc...). Il aurait été en effet réducteur de diviser ces
désaccords en fonction leurs origines, en distinguant les
désaccords liés à la différence de cultures, et
ceux liés à la différence de religion. Culture et Religion
sont, dans le passé, indissociables l'un de l'autre et, dans le
présent, en constante interaction.
I - Difficultés antérieures à la
naissance de l'enfant
99. Les principales difficultés renvoient tout autant
au fonctionnement du couple lui-même (A), qu'à son environnement
(B).
A - Difficultés renvoyant au fonctionnement du
couple lui-même
100. L'appropriation de certaines coutumes, règles,
moeurs de la culture de l'autre ne se fait pas automatiquement. Elle implique
des niveaux d'affrontement culturels. Le sociologue A. Barbara relève
que le couple mixte réunissant deux intellectuels va peut-être
trouver un mode de vie harmonieux par la maîtrise - quelquefois plus
facile - de certaines situations. Tous les couples mixtes n'ont pas toujours ce
recul et cette compréhension intellectuelle qui leur seraient
nécessaires. « Ce partage culturel équitable, cet
affrontement dans un échange qualifié peuvent être un luxe
difficile d'accès pour certains ménages mixtes ».
« L'adhésion, voire la conversion inconditionnelle à la
culture de l'autre ne pourront souvent intervenir qu'après plusieurs
étapes, dans un système subtil et complexe de concessions, de
nécessités et d'adaptations constantes
»79.
« Nous vivons sous le même toit, mais dans deux
pays différents »80
101. Ce constat est valable même pour les choix les plus
quotidiens et les plus
79A. Barbara, « Les couples mixtes », Bayard
éditions, page 152.
80Témoignage d'une Française de 40
ans, mariée depuis quinze ans à un étranger. A Barbara,
préc. page 322.
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secondaires : choix de la musique, de la cuisine et de la
décoration de la maison. Ce même sociologue donne l'exemple du
couple Franco-Africain qui sort acheter des meubles pour la maison. Il est
alors observé que le partenaire Africain essayera constamment de
reconstituer un environnement, lui donnant l'impression de vivre toujours en
Afrique et de « récupérer » son identité
africaine (tentures et pagnes seront accrochés à coté d'un
xylophone en bois).
102. Dans le même ordre d'idées, une
Française ayant épousé un étranger raconte que son
conjoint est beaucoup plus intéressé par la lecture des journaux
de son pays. Elle se plaint que, lorsqu'il s'y passe des
événements importants tels que des élections, ceux-ci vont
absorber une grande partie de ses loisirs81.
103. Le sociologue B. Laffort parle plus
généralement de « nostalgie » relative au pays
d'origine. Il y intègre en plus le choix des vacances et le désir
éventuel de s'y faire enterrer. Précisément, les choix des
vacances, loin d'une escapade romantique au café des délices,
peuvent devenir source de tensions entre les partenaires :«
Souhaitées comme des périodes de repos et de ressourcement,
les vacances représentent parfois un enjeu annuel de discussion : d'un
côté, lassitude de devoir retourner chaque année au
même endroit, de l'autre, frustration de ne voir sa famille qu'une fois
par an »
82
.
104. La langue est elle aussi un obstacle majeur à
l'harmonie du couple. Les auteurs ont observé que c'est souvent le
conjoint étranger qui doit fournir des efforts pour s'exprimer dans la
langue du pays de résidence (dans notre étude, la langue
Française). L'un d'entre eux témoigne : « Faire toujours
le pas linguistique vers l'autre peut devenir frustrant et fatigant, surtout
quand on n'a pas la maîtrise parfaite de la langue : on garde un accent,
on prononce mal certains sons, on se trompe d'expression... et chaque remarque
sur ces erreurs rappelle à l'étranger son étrangeté
».
105. Plus rarement, le conjoint français va tenter
d'apprendre la langue de son partenaire. « Ce choix est (...) assez
simple à assumer pour ceux qui ont épousé un italien. Mais
ceux qui ont épousé un marocain se trouvent, eux, devant des
obstacles linguistiques bien plus importants, qui peuvent décourager les
meilleurs volontés polyglottes »83.
« Même quand nous avons la même langue,
nous ne parlons pas le même langage »84
81Témoignages récoltés par A.
Barbara, préc., pages 149 et 150.
82Bruno Laffort, « Les couples mixtes chez les
enfants de l'immigration algérienne », L'Harmattan, page 18.
83B. Laffort, préc., pages 18 et 19
84 Témoignage d'une française mariée a un
étranger, A Barbara, préc., page 128.
106.
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Par ailleurs, si l'on en croit les auteurs de Double
Mixte85, l'exil dans un pays où l'on se retrouve en
minorité renforce le sentiment religieux, celui de l'appartenance
à une communauté religieuse. Ce serait notamment le cas pour le
conjoint Maghrébin, à travers la communauté musulmane.
« La mixité religieuse , qu'elle recouvre une différence
de foi ou une différence de pratiques, semble être la plus dure
des pierres d'achoppement sur lesquelles se brisent concessions et
compréhensions. Accentué par l'exil, le sentiment religieux prend
une autre dimension, s'identifiant aux traditions qu'il faudra garder comme
signes intérieurs et extérieurs de l'identité : la
religion devant être sauvegardée dans son intégrité
rend tout « mélange » indésirable et suspect
».
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