Introduction
1. Le terme « parent » vient du latin «
parens », du verbe « parere », qui signifie
« enfanter ». Dans la langue arabe, le parent est appelé
« el walidou », qui signifie « celui qui met au monde
». Ces cultures s'accordent à définir le parent par sa
fonction. Il est celui qui enfante, celui qui crée un enfant. Cette
« création » passe par la conception et par la gestation, mais
pas uniquement. Car l'enfant c'est bien cette oeuvre, cet être en
devenir, innocent et inconscient, qui se construit autour de ses parents puis
de son environnement.
2. La psychologie du développement nous enseigne que
l'enfance est dans son ensemble un moment clé dans la construction de
l'être, mais aussi dans ses diverses phases. La psychanalyse de Sigmund
Freud a organisé sa théorie de la psychologie de l'enfant autour
de conflits affectifs et sexuels1.
Carl Gustav Jung percevait la construction de l'être
sous un angle plus dynamique. Cette construction passe par son «
individualisation », c'est-à-dire par sa capacité à
devenir un individu, synonyme de développement tant mental que physique.
Jung ajoute que la croissance de la personnalité se fait aussi à
partir de l'inconscient. L'individualisation est selon lui un processus de
différenciation psychologique, destiné à harmoniser les
rapports du conscient avec l'inconscient, et ayant pour but le
développement de la personnalité de l'individu2.
Jung ne réduit pas le processus d'individualisation au
simple stade de l'enfance, et l'élargit à toute la vie de
l'être humain. Il admet tout de même le particularisme de l'enfance
: « (...)les premières impressions de l'enfance accompagnent
l'homme dans toute sa vie et certaines influences éducatrices ont le
pouvoir de le maintenir toute sa vie aussi, dans certaines limites.
»3 . Il met également l'accent sur la difficulté
de la
1Freud distingue ainsi cinq stades de
développement définis en fonction du déplacement de la
zone érogène chez l'enfant. Au cours du premier stade, dit «
oral » (de 0 à 1 an), l'enfant prend son plaisir par l'acte de
manger. C'est le moment où l'enfant absorbe le monde extérieur,
que ce soit de la nourriture ou des informations sensorielles. Lors du
deuxième stade, dit « anal » (1 à 3 ans), l'enfant
prend conscience de sa puissance sur le monde. Lors du stade « phallique
prégénital» ou « oedipien » (3 à 6 ans),
l'enfant découvre son corps et prend conscience de sa sexualité.
C'est un stade où sont observées les prémices de
l'affirmation de soi et de la mise en place de l'identité sexuée.
La période de « latence » (6 à 12 ans) est une
période de socialisation de l'enfant. Son intérêt devient
intellectuel et son attention est davantage dirigée vers
l'apprentissage. La transmission par les parents de leurs valeurs et de leur(s)
culture(s) sera particulièrement influente durant cette période.
Enfin, durant le stade « génital » (adolescence),
l'identité, notamment sexuelle, se forme.
2Voir notamment C.G.Young, Types psychologiques
(1921), éditions Georg, 1977.
3Carl Gustav Jung, L'âme et la vie,
trad. Roland Cahen et Yves Le Lay, Paris, Buchet/Chastel, 1963, p 400.
6
mission éducative :« Qui veut éduquer doit
lui-même être éduqué. (...) On dit continuellement
qu'il faut développer la personnalité de l'enfant. J'admire bien
entendu ce haut idéal d'éducation. Mais qui éduque en vue
de la personnalité ? La première place, la plus importante, est
occupée par des parents d'ordinaire incompétents qui, bien
souvent, restent toute leur vie à moitié, sinon tout à
fait, des enfants »4.
Mais pour Alfred Adler, les aspirations humaines sont avant
tout tournées vers l'avenir, et ne se limitent pas aux fruits de moteurs
inconscients ou d'expériences infantiles. Il voit l'enfance, et plus
précisément le stade de nourrisson, comme la première
situation d'infériorité que connaît l'individu (impuissant,
le nourrisson dépend absolument de l'aide des personnes de son
entourage) et de la manière dont l'individu va surmonter cette
première situation d'infériorité, va dépendre la
façon dont il sera en mesure d'affronter plus tard les défis de
la vie.
Adler va même plus loin, en s'intéressant
à la « corrélation précoce » entre la
mère et l'enfant. Celle-ci va crée chez l'enfant un sentiment,
qu'il nomme « esprit communautaire », qui devient une part
inconsciente de sa personnalité. L'esprit communautaire serait la mesure
de la santé psychique de l'individu. Or, le corps et la psyché
sont primordiaux pour lui. Car, toute au long de sa vie, ils auront tendance
à compenser ses problèmes de santé et, plus
généralement, les difficultés de la vie 5.
3. Parmi ces différentes analyses, ce que le juriste
doit surtout retenir, c'est que l'enfance, tant dans son ensemble que dans ses
différentes étapes, est fondamentale dans la construction (tant
physique que psychique) de l'être. C'est dans ce caractère
fondamental qu'apparaît l'importance, et la difficulté, de toute
décision prise (ou à prendre) par les parents sur l'enfant. Parmi
elles, il existe des choix plus difficiles que d'autres, des choix plus intimes
que d'autres, qui concernent à la fois la culture, la moralité et
le corps de l'enfant, voir aussi sa sexualité. La difficulté de
ces choix peut être source de tensions entre les parents.
4. C'est dans ce contexte que la circoncision de l'enfant
apparaît comme l'une des décisions les plus difficiles à
prendre pour le couple. La circoncision, du verbe circoncire, vient du latin
« circumcidere », qui signifier « couper autour
». Elle est appelée en Hébreu, « berit milah
» et en Arabe « tahara », ou encore «
khitan ». Dans
4Carl Gustav Jung, Problèmes de
l'âme moderne, trad. Yves Le Lay,. Paris, buchet/Chastel, 1991.op.
Cit., p 246-247.
5« L'enfant, s'il n'est pas trop anormal, comme l'est par
exemple l'enfant idiot, se trouve déjà sous la contrainte de ce
développement ascendant qui incite son corps et son âme à
la croissance. La lutte pour le succès lui est déjà
tracée par la nature. Sa petitesse, sa faiblesse, son incapacité
de satisfaire ses propres besoins, les négligences plus ou moins grandes
sont des stimulants déterminantes pour le développement de sa
force. Sous la contrainte de son existence imparfaite, il crée des
formes de vie nou - velles et parfois originales. Ses jeux, toujours
orientés vers un but futur, sont des signes de sa force
créatrice, qu'on ne peut nullement expliquer par des réflexes
conditionnés. Il bâtit constamment dans le néant de
l'avenir, poussé par la nécessité de vaincre.
Envoûté par le « Tu dois » de la vie, il est
entraîné, avec toutes les exigences inéluctables qui
s'attachent à elle, par l'envie sans cesse croissante d'atteindre un
objectif final, supérieur au sort terrestre qui lui était
assigné. Et ce but qui l'attire s'anime et prend des couleurs dans
l'entourage restreint où l'enfant lutte pour triompher». Alfred
Adler, Le sens de la vie, Étude de psychologie individuelle
(1933), Page 58.
7
son sens le plus strict, la circoncision désigne
l'ablation du prépuce6. En ce sens, il s'agit plus d'une
posthectomie que d'une circoncision. Il serait en effet réducteur de
définir la circoncision en s'arrêtant à sa simple technique
opératoire, parce qu'elle est avant tout un rite, une coutume.
5. L'anthropologue et psychanalyste Malek Chebel rapporte que
le rite en lui-même se compose de plusieurs parties : la
préparation, l'ablation, la cure et la postcure. La préparation
connaît pour sa part une variation infinie de modèles. Chaque
culture, chaque civilisation, parfois chaque région a sa propre
façon de conditionner, tant psychologiquement, que physiquement, le
jeune garçon avant l'opération. Le même constat s'impose
à la lecture des différentes façons de pratiquer
l'ablation.
Les intentions dans lesquelles on circoncit le jeune
émule étant différentes, les outils employés sont
divers et les façons de faire varient sensiblement. Un
cérémonial haut en couleur accompagne la circoncision juive et
arabe, sans pour autant égaler celui des Africains qui en font une
affaire de la plus haute importance. Tout le village y participe, la
cérémonie réunissant souvent une
confédération de villages dont les membres sont
apparentés. Dans la plupart des cas, l'ablation du prépuce du
garçonnet offre la possibilité à sa famille d'exprimer sa
joie, la circoncision étant entendue comme une fête. L'âge
du circoncis varie lui aussi selon les cultures, les époques et la
fortune des familles. Si le rite est rigoureusement établi au
septième jour (huitième si l'on compte le jour de la naissance)
par la loi hébraïque, tous les cas de figure se retrouvent dans le
monde. Aujourd'hui, elle est à peu près pratiquée entre 3
et 7 ans dans les pays arabes et entre 7 et 10 ans en Afrique
noire7.
6. Ces variations dans la conception du rite s'expliquent par
l'ancienneté de la circoncision, dont l'origine se perd dans la nuit des
temps. Au fil des siècles, cette coutume s'est propagée dans
différentes civilisations, sous des formes sensiblement diverses.
Toutefois, nul chercheur - jusqu'à aujourd'hui - n'a pu valablement
avancer de date précise quant à son institution, moins encore
établir la raison qui, au départ, la justifia.
6Dans l'anatomie masculine, le prépuce est
une partie de peau à la pointe de la verge, qui recouvre le gland.
L'opération d'ablation du prépuce est notamment décrite
par le docteur Alphandéry, auteur de la partie chirurgicale de la
circoncision consacrée par La Grande Encyclopédie de Berthelot :
« Le procédé le plus simple est celui qui se fait sans
instruments spéciaux, à l'aide d'une simple pince, de ciseaux et
d'une sonde crénelée. Le chirurgien attirant en avant la peau du
prépuce met une pince en arrière du point où il veut
inciser (pour éviter d'endommager le gland), et coupe en avant de
celle-ci toute la portion excédante du prépuce. La muqueuse est
sectionnée dans un deuxième temps avec les ciseaux à
l'aide d'une sonde crénelée introduite entre le gland et cette
muqueuse. Il est nécessaire de bien relever ensuite le prépuce
jusqu'au niveau de la rainure du gland, ce qui offre parfois quelque
difficulté par suite de la présence des adhérences ».
L'anthropologue et psychanalyste Malek Chebel reprend ces lignes dans son
ouvrage, puis les commente : « Voilà un siècle que ces
lignes ont été écrites et rien n'a vraiment changé
quant à la technique du circonciseur. Certes, les progrès de
l'aseptie ayant sensiblement avancé, l'opération est
entourée aujourd'hui de toutes les précautions qui s'imposent
surtout lorsqu'elle est menée dans le cadre d'un établissement
spécialisé. Mais, au fond, le prépuce de l'enfant continue
à être dégagé du gland, le bistouri ou la lame
électrique ayant remplacé la paire de ciseaux, et l'ablation est
toujours la même. Une fois sectionnée, la peau qui recouvre le
pénis et qui a été tirée lors de l'opération
retrouve sa place naturelle en se rétractant en amont du gland. La
circoncision a atteint sa phase finale ; il ne reste plus qu'à soigner
la blessure en lui appliquant les produits hémostatiques habituels.
» M. Che-bel, Histoire de la circoncision -des origines à nos
jours-, Le Nadir Balland, 1997, page 19.
7Malek Chebel, Histoire de la circoncision -des
origines à nos jours-, Le Nadir Balland, 1997, p. 15 à 17.
8
Au 5ème siècle avant notre ère,
Hérodote, père de l'histoire événementielle en
Occident, admettait la difficulté de la question : « les
Colchidiens8, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les
seuls hommes qui se fassent circoncire de temps immémorial. (...) Comme
la circoncision paraît, chez les Égyptiens et les
Éthiopiens , remonter à la plus haute antiquité, je ne
saurais dire lequel de ces deux peuples la tient de l'autre
».9
7. L'ouvrage de Malek Chebel est le premier à
présenter une histoire complète de la circoncision. Il rapporte
qu'une circoncision juvénile existait déjà au début
du 15ème siècle avant notre ère, chez les anciens
Égyptiens ! Les fouilles archéologiques dans un temple de
Ramsès III à Medinet-Habou, faisant partie de la nécropole
thébaine (Nouvel Empire, autour de 1350 av. J.-C.), ont permis de
retrouver des représentations phalliques gravées, figurant sur
des bas-reliefs, célébrant les victoires de Pharaon contre les
peuples asiatiques. Un agrandissement de photos prises sur le site montre que
la circoncision était non seulement courante, mais qu'elle participait
au don que les artistes offraient au pharaon-dieu. Une multitude de phallus
circoncis favoriseraient la voûte, comme si le temple était
consacré à quelque divinité de fertilité. De
même, dans le temple de Karnak (Moyen Empire, entre 1400 et 1200 av.
J.-C.), le dieu Min est représenté sur les traits d'un personnage
ithyphallique10, clairement circoncis11.
8. M. Chebel explique que la circoncision des
Égyptiens et autres peuplades anciennes (notamment des Mayas et des
Phéniciens) est différente de celle que nous connaissons
aujourd'hui. Il la décrit comme étant une circoncision «
profane », c'est-à-dire qui n'est ni rituelle, ni laïque, tout
en se prévalant d'un lien assez sommaire avec le sacré. La forme
actuelle qui s'en rapprocherait le plus serait la circoncision initiatique
animiste des ethnies africaines traditionnelles. Celle-ci est pratiquée
de manière cyclique, sur une promotion d'individus d'une certaine
tranche d'âge et d'un même clan ou d'une même
tribu12.
8Les Colchidiens sont les habitants de la côte
orientale de la mer Noire.
9 Pour le récit au complet :« les Colchidiens,
les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls hommes qui se
fassent circoncire de temps immémorial. Les Phéniciens et les
Syriens de la Palestine conviennent eux-mêmes qu'ils ont appris la
circoncision des Égyptiens ; mais les Syriens qui habitent sur les bords
du Thermodon et du Parthénios, et les Macrons, leurs voisins, avouent
qu'ils la tiennent depuis peu des Colchidiens. Or, ce sont là les seuls
peuples qui pratiquent la circoncision, et encore parait-il qu'en cela ils ne
font qu'imiter les Égyptiens. Comme la circoncision paraît, chez
les Égyptiens et les Éthiopiens , remonter à la plus haute
antiquité, je ne saurais dire lequel de ces deux peuples la tient de
l'autre. A l'égard des autres peuples, ils l'ont prise des
Égyptiens, par le commerce qu'ils ont en cause avec eux. Je me fonde sur
ce que tous les Phéniciens qui fréquentent les Grecs ont perdu la
coutume, qu'ils te - naient des Égyptiens, de circoncire les enfants
nouveau-nés ». Hérodote (484-425 av. J.-C.) II, §
104. Enquête, Tome I (Livres I à IV), Editions paleo, les
sources de l'histoire européenne.
10On dit d'une représentation qu'elle est
ithyphallique, lorsque le phallus est surdimensionné par rapport au
corps.
11Malek chebel, préc., page 39. Un
répertoire des principales circoncisions conservées dans les
musées figure à la fin de l'ouvrage de Malek Chebel.
12 Malek Chebel, préc., pages 145 à 147.
9.
9
Moins ancienne est la circoncision qualifiée par
l'auteur de « monothéiste », qui réfère,
notamment, à la circoncision juive ou musulmane13. Celle-ci
est caractérisée par son ritualisme et ses symboles religieux
visant un double objectif : identification au dieu créateur et
conformité aux aspirations profondes de la communauté
d'appartenance. Cette deuxième catégorie est de loin la plus
dominante et vise à inscrire le sujet dans un cycle de rites collectifs
préétablis, lesquels le dépassent à la fois en
intention et en fonctionnement14.
10. Quid du christianisme ? Quels rapports la religion
chrétienne a-t-elle entretenu avec la circoncision? La question
mérite qu'on s'y attarde, d'autant plus que les chrétiens ont
beaucoup peint la circoncision de l'Enfant Jésus15. Nous
savons que la circoncision juive a été remplacée par le
baptême et l'imposition du nom. Toutefois, les recherches de M. Chebel
nous apprennent qu'avant d'en arriver à cet équilibre, une
violente polémique avait opposé juifs et chrétiens aux
premiers temps de l'évangélisation. Le conflit était
passé du niveau du rite à celui de la doctrine. Pour la doctrine
chrétienne, la circoncision induisait une étrange opposition
entre la perfection native de l'homme et le culte dû à Dieu. Les
débats furent longs et nombreux. L'opinion de l'Apôtre Paul a
finalement prévalu au plan de la doctrine. La circoncision
intérieure (celle du coeur) l'a emportée sur la circoncision
physique (celle du prépuce). Très vite, des lois
impériales vinrent réglementer cette zone de l'interdit tout le
temps que juifs et chrétiens se côtoyèrent sous la
bannière de Rome.
Mais le débat a tout de même continué
à prendre de l'ampleur, le prosélytisme juif ayant élargit
la circoncision au cercle de leurs esclaves de race étrangère et
des citoyens de Rome, qui le désiraient. L'autorité de Rome y vit
« un danger pour l'intégrité du caractère national
». L'empereur Hadrien pris alors une mesure radicale en interdisant
définitivement la circoncision pour tous les esclaves placés au
service des juifs. Les lois de Rome assimilaient la circoncision à la
castration, laquelle était pénalement considérée
comme un homicide (homicidium) 16. Notons que la
comparaison de la circoncision à la castration fait encore débat
aujourd'hui, au sein de la doctrine psychanalytique17.
13 La circoncision telle qu'on la retrouve dans la mythologie
bambara ou dogon relèverait aussi, par
certains aspects, de la circoncision « monothéiste
». Celle-ci est en effet caractérisée par une «
unicité de l'Inspirateur suprême, (une) soumission
inconditionnelle des sujets, (et une) uniformité des pratiques dans
l'espace et dans le temps. Mais la comparaison ne peut être
poussée plus loin». M. Chebel, préc., page 148.
14 M. Chebel, préc., pages 147 et 148.
15On compte une cinquantaine d'oeuvres importantes
sur la Circoncision du Christ, chez les peintres du Moyen âge et de la
Renaissance. Citons par exemple les oeuvres de Benvenuto Tisi (1481-1559),
conservées au Louvre et celle de Andrea Mantegna (1431-1506),
conservée à la Galerie des Offices, à Florence. (M.
Chebel, préc., pages 138 et 139).
16M. Chebel, préc., pages 77 à 86.
11.
10
Au XIXème siècle, Pierre Larousse a posé
la question de la place de la circoncision dans les moeurs chrétiennes
de son temps. Il souligne à cette occasion que « les avantages de
cette petite opération sont cependant incontestables » et dresse
une listes d'avantages médicaux procurés par
l'intervention18. M. Chebel explique que ces thèmes
médicaux sont ceux que nous retrouverons dans la majeure partie des
ouvrages scientifiques et parascientifiques qui paraîtront en France
pendant le premier quart du XXème siècle19. La
circoncision est ainsi détournée de sa visée initiale. On
en extrait les dimensions rituelles, pour n'en retenir que les dimensions
médicales. On retrouve ici une acception stricte de l'intervention, qui
est désormais perçue comme une simple posthectomie. Cette
approche moderne de l'intervention explique la récente apparition d'une
troisième catégorie de circoncision, qualifiée par M.
Chebel de « laïque ». Elle regroupe toute circoncision
volontaire, d'enfant ou d'adulte, pratiquée dans des zones
géographiques où le critère religieux n'intervient pas.
12. La circoncision « laïque » peut être
pratiquée à des fins hygiéniques ou médicales.
Elle est perçue sous un angle « fonctionnel ». L'intervention
est alors soit « thérapeutique » (remède curatif, que
les juristes français préfèrent appeler «
circoncision médicalement nécessaire »), soit «
prophylactique » (remède préventif, ignoré par le
droit français), le but étant de guérir ou de
prévenir (par exemple) une balanite20 ou
17 Dans la doctrine psychanalytique, la circoncision est
parfois rapprochée de la castration, mais en tant que structure
psychique (et non en tant qu'intervention chirurgicale). L'idée d'un
complexe de castration ressenti par le petit de l'homme en réponse
à la différence sexuelle est née au début du
XXème siècle. Selon Freud, son inventeur, il s'agit d'un
phénomène « normal » qui a pour fonction de structurer
la psyché de l'enfant mâle en la dotant en quelque sorte d'un
obstacle à franchir. Craignant d'être châtré par un
père perçu comme un rival (complexe d'oedipe), l'enfant sera
amené à développer,dans la douleur, un certain nombre de
mécanismes d'identifications qui lui permettront de dépasser la
crise. Pour M. Chebel, « le seul lien qui puisse exister entre le
complexe de castration, concept freudien, et la circoncision, ablation relevant
autant du culturel universel que de l'organique, est un lien fantasmatique,
celui de l'ablation totale du pénis. Les psychanalystes estiment en
effet que la circoncision est une sorte de « castration a minima »,
quelque chose qui permet à la structure paternelle de se déployer
sans beaucoup de frais, dans la mesure où le garçon se contente
de perdre son prépuce au lieu de disparaître lui-même dans
sa totalité ou de se voir châtrer par le père, au sens
psychanalytique du terme (...) Pour le père de la psychanalyse, la
circoncision est une sorte de tribut d'entrée à la sphère
culturelle : seuls les circoncis accèdent en quelque sorte à la
reconnaissance du père symbolique, pour devenir pères
réels à leur tour, c'est-à-dire des pères
doués d'une autorité reconnue par les tiers et faisant sens pour
les fils à la génération suivante (...) ». M.
Chebel, préc., pages 121 à 124.
18Pierre Larousse développe son propos en
disant que la circoncision « empêche l'accumulation, sous le
prépuce, de la matière subacée
sécrétée à la base du gland ; elle préserve
des banalités et des balanoposthites ; elle permet en cas de maladies
accidentelles, une action plus immédiate et plus efficace ; elle
préserve même, jusqu'à un certain point, de ces maladies en
rendant la muqueuse du gland plus résistante et, pour ainsi dire, plus
rustique ; elle provoque une développement plus précoce des
organes génitaux ; enfin, suivant quelques auteurs, elle ne serait pas
sans influence sur la fécondité masculine. Ce dernier point,
très contestable cependant, puise sa principale raison dans la
fécondité remarquable des mariages israélites ».
Grand Dictionnaire du XIXe siècle, IV, réimpr.,1982.
19M. Chebel, préc., page 85.
20Balanite : (du grec balanos, qui
signifie « gland ») est une inflammation de la muqueuse du gland
coïncidant souvent avec celle du prépuce (balanoposthite), laquelle
se caractérise par la formation d'oedèmes, de rougeurs et de
dysurie (état de celui qui n'arrive pas à uriner ou dont le
passage de l'urine est brûlant). (Malek Chebel, préc., pages 19 et
219).
11
un phimosis21.
On retrouve la circoncision prophylactique surtout aux
États-Unis, au Canada et en Suisse (cela est dû à la
récente vague hygiéniste qui sévit ces pays). Elle peut y
être perçue comme une intervention aussi banale que la suppression
précoce de l'appendice, d'une dent mal plantée ou d'une dent de
« sagesse ». Mais la circoncision « laïque » peut
aussi être pratiquée pour d'autres raisons, qui peuvent être
par exemple esthétiques ou encore érotologiques22.
13. On évalue aujourd'hui à plus d'un milliard
le nombre de circoncis dans le monde. L'Afrique semble être de loin le
continent le plus concerné, mais le Moyen et Proche Orient ne le sont
pas moins. Elle est en augmentation progressive aux États-Unis et au
Canada23.
14. L'ampleur de la pratique de la circoncision rend
difficilement acceptable la confusion, encore constatée aujourd'hui,
avec celle de l' « excision ». L'excision est une ablation du
clitoris et des petites lèvres, imposée à la fillette ou
à la femme. Elle est extrêmement répandue en Afrique
subsaharienne, au Mali, au Soudan et dans la Haute-Egypte24. La
confusion est aujourd'hui entretenue par l'emploi de l'expression «
circoncision féminine », pour désigner l'excision. Cette
terminologie a été dénoncée par une grande partie
de la doctrine, notamment par Mme Nga Beyeme, dans sa thèse sur les
mutilations génitales féminines. Cette dernière ajoute qu'
« il est démontré médicalement que (la
circoncision), contrairement aux opérations pratiquées sur le
sexe féminin, n'entraînait pas une altération de l'organe
sexuel masculin. La circoncision masculine aurait au contraire des
conséquences positives, ce qui justifierait la non application du droit
international en l'espèce ». Afin de désigner
l'excision par une appellation révélatrice de ses
conséquences pour la santé des fillettes et des femmes, ainsi que
de son « caractère aliénant et dégradant
»25, Mme Nga Beyeme propose l'emploi de la terminologie
« mutilation génitale féminine ». En effet, l'excision
est bien une mutilation, tant dans sa technique opératoire, que dans
l'intention dans laquelle elle est pratiquée (soumission de la femme et
diminution de son plaisir sexuel). C'est pourquoi l'excision et la circoncision
sont deux pratiques qui ne peuvent être rapprochées l'une de
l'autre. Les textes internationaux condamnant les mutilations
21 Phimosis : (du grec phimôsis, qui signifie
« resserrement ») est une affection caractérisée par
l'étroitesse anormale de l'anneau du prépuce, lequel
empêche le gland de paraître, ce qui rend difficile le fait
d'uriner ou de coïter. Il est admis que la circoncision est aujourd'hui
l'unique réponse adaptée en cas de phimosis « lourds ».
(Malek Chebel, préc., pages 19 et 230).
22M. Chebel. Préc., page 148. 23M.
Chebel, préc., page 37.
24M. Chebel, préc., page 225 ; Crescence Nga
Beyeme, Le Droit International de la Femme et son application dans le contexte
Africain, Le cas des Mutilations Génitales Féminines, Peter Lang,
Publications Universitaires Européennes, 2007, page 33.
25 Crescence Nga Beyeme, préc.,page 29.
12
génitales ne peuvent donc être appliqués
au cas de la circoncision. Par ailleurs, aucun autre texte, qu'il soit de
source internationale ou nationale, ne prohibe cette dernière pratique.
Le législateur français est lui aussi muet sur la question.
Aucune loi française n'interdit, n'autorise, ni n'encadre la pratique de
la circoncision.
15. Récemment, en Allemagne, on s'est posé des
questions sur la licéité de la circoncision. Tout a
commencé par une décision rendue le 7 mai 2012 par le Tribunal de
grande instance de Cologne. En l'espèce, des parents, de confession
musulmane, avaient demandé à un médecin de circoncire leur
enfant, alors âgé de quatre ans. Malgré une intervention
effectuée « dans les règles de l'art », une
complication a entraîné l'hospitalisation de l'enfant. Le parquet
de Cologne a engagé des poursuites contre le médecin. Statuant en
appel, le Tribunal de Cologne juge que les blessures physiques infligées
par la circoncision constituent l'élément matériel d'une
infraction pénale (celle d'atteinte à l'intégrité
physique de l'enfant), après avoir constaté successivement que ni
l'exercice de l'autorité parentale, ni la liberté des parents
quant à l'éducation de leur enfant ne peut conférer
à leur volonté un tel pouvoir. Mais l'arrêt prononce la
relaxe du médecin poursuivi en l'espèce pour avoir
pratiqué la circoncision rituelle du jeune garçon, en raison de
l'erreur commise par ce dernier quant à la licéité de son
acte, erreur dont les juges retiennent qu'elle était inévitable
en raison des incertitudes juridiques qui existaient jusqu'à
présent sur la question, au regard de la doctrine et en l'absence de
décision de justice tranchant la question. L'erreur qui fonde la relaxe
prononcée en l'espèce peut être rapprochée de la
notion d'erreur sur le droit, cause d'impunité prévue par
l'article 122-3 du Code pénal français.
16. Bien que cette décision n'ait pas eu a priori
vocation à s'appliquer à l'ensemble du territoire, ses
conséquences furent graves : en l'absence de législation
nationale sur le sujet, les risques de poursuite ont poussé les
hôpitaux, de Berlin à Zurich, y compris l'Hôpital juif de
Berlin, à arrêter leurs circoncisions non médicalement
indiquées. C'est dans ce climat de tensions politiques que des
manifestations ont éclaté en Allemagne, divisant le pays entre
« partisans » et « opposants » à la circoncision des
mineurs.
17. Le législateur allemand a dû intervenir
assez rapidement afin de trancher le débat. Le 12 décembre 2012,
la Chambre Basse du Parlement allemand, le Bundestag, a adopté par 434
voix contre 100 et 46 abstentions, une loi autorisant les parents à
faire effectuer une circoncision sur leurs enfants. L'accord des deux parents
est nécessaire pour que l'intervention soit faite. Ils n'ont pas
à donner de raison, religieuse ou autre, pour demander à faire
circoncire leur fils. En dehors des cas où la circoncision s'impose pour
des raisons médicales, elle ne devra pas être
impérativement effectuée par des médecins ou dans un
hôpital, mais «en accord avec la pratique médicale». Des
circonciseurs qualifiés pourront pratiquer l'acte pendant les six
premiers mois de la vie.
18. La décision de circoncire l'enfant apparaît,
dans un tel contexte, encore plus difficile à prendre pour le couple.
Cette pratique a, ces dernières années, quitté la
sphère intime du couple pour devenir une question publique, une opinion
politique.
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Quand le prépuce devient une affaire de Justice, «
couper ou ne pas couper ? », telle sera la grande question à
laquelle seront confrontés certains couples, de cultures ou de
confessions différentes (par exemple le couple unissant une personne de
confession chrétienne et une autre de confession musulmane). Leurs
divergences culturelles et/ou confessionnelles, rendront laborieux le dialogue
autour de la circoncision de leur garçon. De cette complexité va
naître des conflits.
19. C'est donc au juge qu'est revenue la délicate
mission de résoudre les conflits entre parents à propos de la
circoncision de leur enfant. La jurisprudence a dû construire le statut
et le régime juridiques de la circoncision des mineurs, dans le silence
du législateur. Cette mission est ardue, tant cette coutume fait
débat. Agrémenté de politique, de médecine, de
psychologie et de religion, le débat autour de la circoncision fait
bouillonner notre droit dans un mélange brumeux, que le juge devra
clarifier en répondant aux critères de la neutralité et de
l'objectivité.
20. Notre étude se fonde sur une typologie du
contentieux. Le contentieux de la circoncision commence en 1973. Le choix a
été fait de limiter l'étude aux décisions rendues
jusqu'à la fin de l'année 2012. Ce contentieux regroupe un total
de 82 décisions de justice, dont 62 concernent plus
spécifiquement les litiges entre parents a propos de la circoncision de
leur enfant. Comme la circoncision est avant tout une coutume et une marque
culturelle, la recherche a été davantage concentrée sur la
circoncision non médicalement nécessaire, qui représente
la majorité écrasante du contentieux (l'intervention
médicalement nécessaire, que nous préférons appeler
« posthectomie », ne sera citée qu'en marge dans notre
étude)* 26.
21. L'étude de ce contentieux nous a permis de mieux
comprendre la structure des conflits entre parents à propos de la
circoncision de leur enfant (Partie I), ainsi que les réponses
apportées par les juges dans la résolution de ces conflits
(Partie II).
26 Les décisions tirées de ce contentieux seront
suivies d'une astérisque (*). Celles-ci sont
référencées à la fin du mémoire, dans
l'Annexe n°1, accompagnées des références
nécessaires.
Notre étude porte uniquement sur les litiges opposant
les deux parents et ayant pour objet (exclusif ou pas) la circoncision de leur
enfant. Sont donc exclus les litiges opposant parents et médecin (ou
parents et circonciseur), ainsi que ceux portant sur la circoncision des
majeurs.
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