2. Jouer avec les supports
L'état des murs accessibles devient lui aussi une aubaine
en cela que les impacts et la forme qu'ils ont
Façade du Holiday Inn par Potato Nose, Downtown Beyrouth.
(c) Mass Appeal
pris au cours des divers événements deviennent
partie intégrante de l'oeuvre. L'illustration la plus probante de cette
utilisation de l'espace et du mobilier urbains sont les pièces de Potato
Nose. Bien sûr, l'adaptation
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des graffeurs et de leurs pièces aux murs sur lesquels
ils pratiquent n'est pas une innovation dans le champ du graffiti, toutefois
celle-ci recouvre un sens particulièrement fort puisque la pièce
vise à révéler le mur et son histoire, sur un ton presque
mythique, plutôt qu'une simple adaptation à ses
aspérités. Les oeuvres de Potato Nose sont directement issues du
mur et ne peuvent être transposées à un autre endroit,
à l'instar de ses persos sur la façade du Holiday Inn. Ces persos
sont effectivement censés montrer, raconter et mettre en exergue
l'histoire de cet hôtel, devenu lui aussi un symbole de la nostalgie du
Liban des années 1960. D'autres, comme Yazan Halwani, adoptent une
attitude plus conventionnelle et la réalisation des pièces n'est
pas directement corrélée à l'espace sur lequel ils
opèrent, bien que cette adaptation soit toujours censée marquer
un respect pour la bâtisse et, surtout, pour l'histoire qu'elle raconte
à travers sa destruction ou les impacts de balles qu'elle a
reçus.
Ces adaptations sont pensées sur le mode ludique : les
graffeurs, et ceux qui en font la promotion, comme Meuh, considèrent que
cet espace urbain doit être l'objet d'amusement et donner lieu, par le
graffiti, à une sorte de chasse au trésor. Lors des visites que
ce graffeur procurait, à des proches comme à toute personne
intéressée par les Beirut Photo Graff Tour, un véritable
parcours se dessinait. La visite doit permettre à la fois d'apprendre
l'histoire, les artistes, les particularités de la scène graffiti
beyrouthine et de redécouvrir une ville « terriblement hostile
aux piétons »169 sur ce mode ludique, et ainsi lui
redonner une certaine attractivité. Ce type d'initiative permet de
comprendre comment l'histoire du graffiti a par exemple démarré
à la Quarantaine, et pourquoi ce lieu en particulier paraissait
adéquat à cette époque, qui y était alors
présent, etc. Passer devant le mur du rond-point Dawra marque, quant
à lui, un épisode important de la scène graffiti en 2014,
où les graffeurs les plus influents côtoyaient et
réalisaient une pièce aux côtés de graffeurs
internationaux, en particulier français et américains. D'autres
endroits pourraient être cités, mais la Quarantaine et Dawra sont
des lieux pauvres et a priori dénués de toute
attractivité pour le paysage urbain, les deux étant des axes
routiers donnant sur des quartiers pauvres et où l'activité qui
s'y est développée les rend rebutants170.
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