CHAPITRE CINQUIEME
L'AVENIR GEOPOLITIQUE DU DRAPEAU
A l'heure de la mondialisation ou autre globalisation, quels
rôles peuvent encore tenir les drapeaux ?
I - Fin des frontières, fin des territoires, fin
des
drapeaux ?
On annonçait à la fin du XXème
siècle plusieurs « fins »1. La « fin de
l'Histoire » (ré)annoncée par Fukuyama en juin 1989 avec
« l'universalisation de la démocratie libérale
»2, la « fin des territoires »
révélée par Badie parallèlement à
l'épuisement des conflits possédant des enjeux
territoriaux3, et la « fin de la géographie
»4 signalée par O'Brien en 1992 constatant
l'achèvement des localisations géographiques par les techniques
modernes. Qu'ont en commun toutes ces fins annoncées ? Et bien
simplement la remise en cause du rôle des Etats, des territoires et des
iconographies et par conséquent du drapeau national.
Notre théorie gottmanienne, qui expliquait le constant
rapport de force entre circulation et iconographie, s'écroulerait
complètement. La circulation aurait étouffé toutes les
iconographies, aurait détruit toutes les frontières,
décloisonné l'espace géographique, aurait condamné
le rôle des iconographies. Le territoire aurait pris fin par la perte de
sa fonction refuge, perdue au détriment des logiques de circulation des
armes, de la portée toujours plus lointaine des missiles et autres armes
de dissuasions. La circulation aurait donc annihilé le rôle des
drapeaux, ces derniers perdant alors leur rôle de lien symbolique
d'unification d'un peuple et de son territoire. Est-ce pour autant une victoire
finale de la circulation ?
II - L'insatiable besoin
d'identité
Nous serions tentés de dire non. Les conjonctures
actuelles prouvent le contraire. L'importance de la frontière en
Afrique, ou encore ces murs qui s'érigent aux frontières par
delà le monde exprime l'idée que les territoires ne sont pas
finis. Par conséquent les iconographies non plus.
En temps normal, la circulation entraîne progressivement
la fin des identités fortes et indivisibles, ou du moins les
fragilisent. Or l'Histoire n'a cessé de démontrer que les
identités finissaient toujours par resurgir. En vérité, il
n'y pas de fin de l'iconographie. Celle-ci, et plus particulièrement les
drapeaux, permettent la formation d'un équilibre identitaire. Celui-ci
est nécessaire pour le maintien d'un ordre mondial, oeuvrant pour la
paix. Il réalise la symbiose entre cloisons mentales et identité
nationale d'un côté, et ouverture à la mondialisation de
l'autre. Nos drapeaux ne sont pas prêts de sombrer. Il n'y a qu'à
voir leur profusion lors de
1 PREVELAKIS, 1996 : 85
2 FUKUYAMA, 1992
3 BADIE, 1995
4 O'BRIEN, 1992
76
rencontres de football. Celles-ci sont d'ailleurs
éloquentes : elles associent circulation et iconographie. En effet, on
se présente à des compétitions internationales nées
de la circulation, mais on soutient sa propre équipe nationale.
La préservation de spécificités
nationales1 est ainsi loin d'être détruite par les lois
de la circulation, particulièrement dans les pays récemment
indépendants. Même si le rôle des territoires est
différent qu'auparavant (de protecteur, il passe désormais au
rôle de cadre identitaire), les iconographies sont elles toujours
tenaces. C'est là toute la subtilité du raisonnement de Jean
Gottmann : ce qu'elles ont créé (des territoires pour les
protéger), les iconographies savent le perdre, et leur donner de
nouveaux rôles. Le territoire sert désormais de cadre de
préservation d'une identité. Le drapeau n'exprime plus le
caractère intangible des frontières du territoire qu'il
représente, il catalyse des spécificités nationales
inhérentes à un territoire. Le drapeau s'adapte donc à
l'évolution des territoires2.
Plus un modèle universel est diffusé, plus les
hommes se tournent vers des territoires où les iconographies sont
spécifiques3.
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