Université de la Réunion 15 Avenue René
Cassin 97400 Saint-Denis
Mémoire de Recherche
Le droit à l'autodétermination pour les
peuples
autochtones
À la lumière de l'exemple australien
Paguiel KOHLER
Master Relations Internationales, Mention Europe et
océan Indien
Sous la direction de :
Mme Lucie DELABIE
Professeur des Universités à l'Université de
la Réunion
Mr Jérôme DORVIDAL
Enseignant-Chercheur à l'Université de La
Réunion
Année universitaire 2012-2013
3
Je souhaiterais en premier lieu
témoigner ma gratitude à mes directeurs de
recherche, Mme Lucie Delabie et Mr Jérôme Dorvidal pour l'aide et
le soutien qu'ils m'ont apporté dans la réalisation de
ce travail.
Je souhaite également exprimer mes
sincères remerciements à toutes les personnes qui ont
contribué directement ou indirectement à l'élaboration de
ce mémoire. Je pense notamment aux auteurs des différents travaux
qui m'ont permis d'orienter ma réflexion, Mme Marie-Claire
Bertin pour son travail sur la situation des peuples autochtones en droit
international, et Mme Ludivine Royer ainsi que Mme Isabelle
Auguste pour leurs travaux sur la situation des
Aborigènes sur le territoire australien.
4
Abréviations et Acronymes
AAL Australian Aborigines' League
ABS Australian Bureau of Statistics
Australian
ADC Aboriginal Development Commission
AIATSIS Australian Institute for Aboriginal
and Torres Strait Islander Studies
ALFC Aboriginal Land Fund Commission
ALP Australian Labor Party
ALRA Aboriginal Land Rights Act (Loi de 1976
pour le territoire du Nord)
APG Aboriginal Provisional Government
ATC Aboriginal Treaty Committee
ATSIC Aboriginal and Torres Strait Islander
Commission
ATSISJC Aboriginal and Torres Strait Islander
Social Justice Commissioner
CAA Council for Aboriginal Affairs
CAD Council for Aboriginal Development
CAR Council for Aboriginal Reconciliation
DAA Department of Aboriginal Affairs
(Ministère des Affaires Aborigènes)
HREOC Human Rights and Equal Opportunity
Commission
LCP Liberal Country Party
LNCP Liberal National Country Party
LNP Liberal National Party
NAC National Aboriginal Conference
NACC National Aboriginal Consultative
Committee
NLC Northern Land Council
5
NNTT National Native Title Tribunal
NTA Native Title Act
NTAA Native Title Amendment Act
NTC National Tribe Council
OAA Office of Aboriginal Council
OIT Organisation Internationale du Travail
OMS Organisation Mondiale de la
Santé
ONU Organisation des Nations Unies
PLRA Pitjantjatjara Land Rights Act
RCIADIC Royal Commission into Aboriginal
Deaths in Custody
RDA Racial Discrimination Act
TSRA Torres Strait Regional Authority
6
Sommaire
Introduction
Partie I - L'évolution du droit des peuples
autochtones : De l'internalisation à
l'internationalisation
A) L'origine de la notion d'autochtonie
B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones
C) Le processus de reconnaissance des aborigènes dans la
société australienne : de l'intégration à la
réconciliation
Partie II - L'exercice par les peuples autochtones du
droit à
l'autodétermination
A) Les contours du droit à l'autodétermination
pour les peuples autochtones
B) La réception du droit à l'autonomie
gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations
internationales
C) La politique d'autodétermination des aborigènes
australiens Conclusion
7
Introduction :
« Nous les peuples indigènes,
exigeons que soient reconnues nos différentes
cultures ainsi que notre droit à la libre
détermination, dans les mêmes termes que ceux
qui sont reconnus à tous les peuples du monde par les
traités internationaux des Droits de l'Homme »
Rigoberta Menchù, prix Nobel de la paix 1
Le début du siècle a été
marqué par la montée en puissance des mouvements indigènes
de résistance et d'affirmation identitaire associée à une
solidarité internationale résolue à rompre
définitivement avec l'héritage colonial. Ainsi
s'élèvent les voix de différents peuples sur tous les
continents, déterminés à se faire respecter par un monde
qui les a longtemps ignorés après les avoir spoliés,
stigmatisés et persécutés. Du fait de cette situation de
marginalisation, les peuples autochtones ont été privés de
la possibilité de décider de leur propre destin, et donc de leur
capacité à disposer d'eux-mêmes. Ce droit est pourtant la
condition indispensable à la préservation des communautés
autochtones. C'est à cette question du droit des peuples autochtones
à disposer d'eux-mêmes que nous allons nous intéresser au
cours de ce travail.
Les peuples autochtones sont disséminés dans
l'ensemble du monde de l'Arctique au Pacifique Sud, et représentent plus
de 300 millions d'individus. Ils sont ainsi dénommés car ils
vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d'ailleurs ne s'y
installent. Ils sont tous différents les uns des autres, et ont des
caractéristiques, une culture, un mode de vie propres à chaque
communauté. La plupart des peuples autochtones ont conservé des
caractéristiques sociales, culturelles, économiques et politiques
qui se distinguent nettement de celles des autres groupes qui composent les
populations nationales. Malgré leurs différences, ils
possèdent un passé commun de marginalisation, de spoliation et
d'exclusion.
1 Discours prononcé au Sommet mondial du
développement durable de Johannesburg en 2002
8
Selon une définition fournie par l'Organisation des
Nations Unies, ils sont « les descendants de ceux qui habitaient dans
un pays ou une région géographique à l'époque
où des groupes de population de cultures ou d'origines
ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus
par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la
colonisation ou d'autres moyens » 2. D'autres termes ont
parfois été utilisés par les États pour les
désigner, comme « aborigène », « peuple premier
», « peuple racine », « première nation » ou
encore « peuple natif », succédant à l'appellation
péjorative de « peuple primitif ». Il apparaissait donc
nécessaire de trouver une définition commune de la notion de
peuple autochtone.
Avant d'aborder la définition fournie par les Nations
Unies des peuples autochtones, une première question va se poser sur la
conception classique de la notion de peuple. Si l'on veut construire un nouveau
type de régime international du droit des peuples autochtones à
l'autodétermination, il faut commencer par définir le concept de
« peuples » lui-même. En effet, beaucoup d'interrogations
subsistent quant à l'utilisation de ce terme pour qualifier des
minorités vivant sur le territoire d'un État. Pour cela il est
intéressant de se pencher sur les enseignements du débat opposant
plusieurs thèses au cours du XIXe siècle.
Selon la conception objective de la notion, ce qui constitue
un peuple c'est le fait d'avoir en commun certains traits objectifs, tels que
la race, la langue ou encore la religion. Vivement contestée,
jugée trop restrictive, cette conception ne permettait pas de cerner un
peuple, « une nationalité », un concept qui avait
émergé lors du printemps des peuples au milieu du XIXe
siècle.
On opposa alors aux critères distinctifs des peuples,
longtemps basés sur l'anthropomorphisme, une vision nouvelle, plus
subjective, élaborée à partir de la réponse
qu'adressa Fustel de Coulanges aux prétentions allemandes sur l'Alsace :
« Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le
langage, mais par la nationalité et par le sentiment de la patrie, elle
est française » 3. Cette conception, qui à
l'inverse de la première n'est pas basée sur l'ethnologie, est
plus émancipatrice : n'importe quel groupe d'individus peut
bénéficier du droit de disposer de lui même, le peuple
étant ici désigné par la manifestation de sa
volonté. Cependant elle fut également critiquée, du fait
de son caractère trop excessif.
La doctrine finit donc par adopter une conception plus
nuancée, celle du maître italien Mancini,
2 ONU, Fiche d'information No.9 (Rev.1) - Les droits des
peuples autochtones ; HCDH 1996-2004
3 Lettre à Mommsen, du 27 octobre 1870, citée par
BASDEVANT (S.), Le principe des nationalités dans la doctrine,
in La Nationalité, Paris Institut de droit comparé, 1993,
pp. 87 et suiv.
9
qui met au premier plan la conscience nationale. Selon celle
ci en effet, c'est le sentiment qu'a un groupe de son individualité, de
sa spécificité, qui font de lui un peuple. La conscience
nationale naît de plusieurs éléments objectifs : la
parenté ethnique, la communauté de moeurs, de langue, d'histoire,
de religion, de culture, de territoire.
Ces débats sur la notion de peuple peuvent être
mis en rapprochement avec ceux sur la conception de la nation. Deux visions
s'opposent :
Une définition « subjective » du peuple,
entité collective constituée en nation et reconnue de la sorte,
qui insiste sur le sentiment d'appartenance. Particulièrement
présente dans la conception française, cette vision a
été formalisée par Ernest Renan, auteur français de
la fin du Ixe, dans son discours à la Sorbonne Qu'est-ce qu'une
nation ? en 1882 :
« Une nation est donc une grande solidarité[...].
Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le
présent par un fait tangible : le consentement, le désir
clairement exprimé de continuer la vie commune [...] un
plébiscite de tous les jours [...]. Une nation n'a jamais un
véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un
pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul
critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir
[...]
L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa
religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de
montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de
coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation » 4
Cette vision est celle du droit du sol, où une personne
devient membre d'une nation au nom du lieu ou elle est née, ou elle vit
et dont elle partage le destin.
Et il existe une définition « objective » de
cette entité collective constituée en nation, qui insiste sur une
ascendance commune, un territoire commun et une langue commune. Cette vision
est particulièrement présente dans la conception Allemande, et a
été formalisée par Johann Gottlieb Fichte, dans son
Discours à la nation allemande, en 1807-1808. Selon lui, la
Nation se détermine par la culture, l'histoire et la langue, donc de
façon objective. Elle s'incarne en outre dans l'État,
4 « Une nation est donc une grande
solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices
qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé
à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume
pourtant dans le présent par un fait tangible : le
consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie
commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un
plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une
affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins
métaphysique que le droit divin, moins brutal
que le droit prétendu historique. Dans l'ordre
d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus
qu'un roi le droit de dire à une province : «Tu
m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses
habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit
d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un
véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un
pays malgré lui. Le voeu des nations est, en
définitive, le seul critérium légitime, celui
auquel il faut toujours en revenir ». RENAN Ernest
(1823-1892), Qu'est-ce qu'une nation?, 1882. [EN LIGNE] Version html
disponible sur le site de La bibliothèque
électronique de Lisieux.
10
lequel représente et décide « l'orientation
de toutes les forces individuelles vers la finalité de l'espèce
». L'État doit être démocratique, assurant la
liberté de chacun, et la possibilité pour chacun d'avoir une vie
heureuse et profitable, en assurant une distribution équitable des
richesses. Cette vision mène plutôt à une conception de la
nationalité basée sur le « droit du sang », où
il est difficile pour un allogène de devenir membre du corps
national.
La Nation est donc devenue la source des différents
pouvoirs. Elle peut être définie comme le peuple constitué
en corps politique, détenteur de la Souveraineté, dont la
volonté est mise en oeuvre par des représentants élus,
sans qu'aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle.
Pour cette raison l'État et la nation sont très
souvent associés. Ainsi, toute nation a le droit de disposer d'un
État et tout État doit s'appuyer sur l'existence d'une Nation.
L'existence des États-nations apparaît dès lors comme une
conséquence logique du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes, dont le principe s'est imposé au XXe siècle
dans la conduite des relations internationales.
Selon José Echeverria « La nation, comme le
peuple, sont des communautés humaines caractérisées par la
participation à un même passé et par la volonté de
se construire un futur. Dans le cas de la nation, l'accent est mis sur
l'origine commune. Dans le cas du peuple, il est mis sur la volonté d'un
futur. La légitimation, pour la nation, est rétrospective, pour
le peuple, elle est prospective » 5.
Ainsi, « la nation tend à se reproduire, à
répéter dans le présent son passé. En revanche, le
peuple tend au changement. Il tend à s'inventer un destin qu'il choisit
librement et affirme ensuite dans des décisions. Ainsi, c'est au peuple,
non à la nation, que l'on attribue le droit à la libre
détermination de lui-même car on suppose que la nation est
déjà « déterminée ». Face au droit de
souveraineté, dont la nation est titulaire, le peuple revendique le
droit à la souveraineté » 6.
Il apparaît que le terme de peuple est indissociablement
lié à une signification politique : un ensemble de personnes
reconnu comme un peuple se voit reconnu implicitement comme un groupe ayant des
droits politiques spécifiques, voire le droit de former une nation
souveraine. Il s'agit dès lors de préciser la notion de peuple
« autochtone ».
Pour interpréter correctement l'expression «
peuples autochtones » en droit international, il convient de
définir les deux termes, autrement dit il faut déterminer ce qui
caractérise les « peuples » et donner un sens juridique au mot
« autochtones » (1). Une fois les notions de peuple
et
5 Voir CASSESE A. et JOUVE E. (dir.), Pour un droit des
peuples, Paris, Berger-Levrault, 1978. p. 95 et s. ; E.Jouve, Le droit des
peuples, Paris, PUF, 1992, 2ème éd.
6 JOUVE Edmond, « Où en est le droit des peuples
à l'aube du IIIème millénaire ? » , ; Actes de la
cinquième réunion préparatoire au symposium de
Bamako : La culture démocratique (juin 2000)
11
d'autochtonie définies, nous nous intéresserons
à l'applicabilité du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes aux différentes communautés autochtones. Chaque
peuple étant libre de déterminer la forme de son régime
politique, nous aborderons donc les fondements du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes (2). Enfin, nous traiterons de la
mise en pratique à un niveau interne de ces règles
internationales. Nous terminerons donc notre propos introductif par un
récapitulatif historique de la place des aborigènes dans l'ordre
interne australien (3).
1 - Le statut de « peuple autochtone »,
notion et contexte en droit International
Il s'agit ici de traiter de la notion d'autochtonie
elle-même, de la définir et d'en analyser les
caractéristiques (a), avant d'aborder le contexte
historique dans lequel cette notion a pu émerger sur la scène
internationale (b).
a) La notion de peuple autochtone en droit
International
Le terme « autochtone » (du grec
autokhthôn, de autos « soi même » et
khthôn « terre ») désigne ce qui est issu du
sol même où il habite, qui est censé ne pas être venu
par l'immigration ou n'être pas que de passage 7. Cette
définition renvoie à une relation particulière de
l'individu et du groupe à la terre, appréhendée le plus
souvent comme « Terre-mère » ; tandis que le terme «
indigène » (du latin indi ou endu « à
l'intérieur, dans le pays » et de gena
« né »), est considéré comme « relatif
à la population autochtone d'un pays placé sous un régime
colonial ou de protectorat » 8.
La première institution internationale à
s'être intéressé à la notion d'autochtonie a
été le Bureau International du Travail. Selon cet organe, les
autochtones sont nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays
avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les
ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir.
Le critère de l'antériorité de
l'occupation d'un territoire implique l'établissement d'un «
contact permanent entre deux éléments ethniques différents
sur un territoire donné, où l'un est survenu alors que l'autre,
qualifié d'aborigène ou d'autochtone, y était
déjà installé ». On retrouve ce terme dans la
Convention 169 de l'OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 27
juin 1989.
7 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue
Française, 2002
8 Cf. Dictionnaire de l'Académie francaise, 9e
éd.,
http://academie-francaise.fr/dictionnaire
12
Bien qu'en anglais la formulation soit celle
d'indigenous peoples ; elle devient en français:
peuples autochtones. En effet, le mot Indigène en
français est marqué du sceau du régime de
l'indigénat, le cadre légal pratiqué dans les colonies
françaises du milieu du XIXe siècle à 1944-1947.
Le terme « aborigène »
(du latin ab- et origines « qui sont nos
lointaines origines », désigne un autochtone dont les
ancêtres sont considérés comme étant à
l'origine du peuplement 9. Il qualifie plus particulièrement
« la situation d'un peuple indigène dont les revendications
identitaires se basent sur le fait qu'il est en situation de dépendance
de type colonial vis à vis d'un État, même si l'annexion ou
l'occupation datent de plusieurs siècles et ne prennent pas la forme
juridique stricto sensu de la colonisation » 10.
La notion d'« aborigène » a également un
caractère relatif, que fait apparaître dans la définition
du B.I.T. la mention de « vagues successives de conquête
». Ils représentent, par rapport aux colonisateurs, une
population que sa civilisation inférieure a réduite à un
état de subordination. Deux éléments forment donc la
définition de l'aborigène : le premier est
l'antériorité de l'occupation du territoire; le second est celui
de l'infériorité et de la subordination à l'égard
des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants.
« Sont aborigènes les descendants de la population
autochtone qui habitait un pays déterminé à
l'époque de la colonisation ou de la conquête (ou de plusieurs
vagues successives de conquête) réalisée par certains des
ancêtres des groupes non autochtones détenant actuellement le
pouvoir politique et économique » 11.
Ce terme est quant à lui plutôt tombé en
désuétude, désignant ces populations souvent de
façon péjorative. On le retrouve dans la Convention 107 de l'OIT
relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957. Ce
terme a été peu utilisée en France, puisque les terres
occupées lors de la colonisation française étaient
très souvent dépeuplées. Actuellement il est
utilisé pour désigner spécifiquement les populations
autochtones d'Australie.
La seule définition juridique au plan international
reste celle de l'OIT dans sa Convention 169 de 1989 relative aux peuples
indigènes et tribaux. Selon celle ci, les peuples indigènes sont
des
« (p)euples dans les pays indépendants qui sont
considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des
populations qui habitaient le pays, ou une région géographique
à laquelle
9 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue
Française, 2002
10 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE
Jacques « Droit des minorités et des peuples
autochtones », PUF, 1996, p. 428
11 B.I.T., 1953, p. 27
13
appartient le pays, à l'époque de
la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement
des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur
statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques,
culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles »
« Le sentiment d'appartenance
indigène ou tribale doit être considéré
comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels
s'appliquent les dispositions de la présente convention »
12
On trouve dans cette définition trois
éléments principaux caractérisant les peuples autochtones
: le lien historique, la différence culturelle et l'auto-identification.
La situation de domination n'est toutefois pas explicitement citée.
Une autre définition de la notion d'autochtonie a
été fournie par J. Martinez Cobo dans son Étude du
problème de la discrimination à l'encontre des populations
autochtones :
« Par communautés, populations et nations
autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une
continuité historique avec les sociétés antérieures
à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales
qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment
distinctes des autres segments de la société qui dominent
à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires.
Elles constituent maintenant des segments non dominants de la
société et elles sont déterminées à
préserver, développer et transmettre aux futures
générations leurs territoires ancestraux et leur identité
ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en
tant que peuples, conformément à leurs propres modèles
culturels, à leurs institutions sociales et à leurs
systèmes juridiques » 13.
Au niveau individuel, l'autochtone est donc la personne qui
appartient à une population autochtone par auto-identification, et qui a
donc une conscience de groupe ; et c'est également la personne qui est
reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses
membres. On retrouve ici les quatre éléments importants de la
définition des peuples autochtones : la différence culturelle, la
situation de domination, la continuité historique et
l'auto-identification.
Pendant longtemps les États ont utilisé des
expressions telles que « natif (Native) » qui vise la
12 Convention OIT n°169 Article 1.1.b.
13 MARTINEZ COBO José, Étude du problème de
la discrimination à l'encontre des populations autochtones :
E/CN.4/Sub.2/1986/7/Adds.4
14
naissance d'un individu ou son origine, «
premières nations », « peuples premiers », ou encore
« populations indigènes ». Certains préfèrent
employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne
convient pas aux peuples autochtones 14.
Les Nations Unies n'ont toujours pas donné de
définition précise de la notion de « peuples autochtones
», ceux ci revendiquant le droit de définir eux mêmes le
contenu de cette notion. Cette imprécision suscite parfois des tensions
aux seins des États abritant des communautés pouvant être
considérées comme autochtones. Le problème peut se poser
également lors de l'identification de ces peuples en cas de litige avec
un État.
On constate que la définition du peuple est une
opération très délicate puisqu'elle consacre le droit
à l'Autodétermination et peut ainsi affecter l'unité
nationale et l'intégrité territoriale de l'État. Afin de
pallier ce manque de définition juridique conventionnelle,
l'Assemblée générale de l'ONU doit pouvoir identifier les
peuples se revendiquant comme autochtones. Ceux ci s'opposent néanmoins
à toute prétention étatique de les définir sans
leur consentement. C'est pour cette raison que la doctrine retient les
critères développés par le rapporteur spécial
Martinez Cobo, qui permettent une caractérisation large de la notion
d'autochtonie, basée en grande partie sur l'auto-identification, et la
conscience d'appartenir à un groupe.
Les peuples autochtones peuvent être définis
comme étant les descendants des peuples qui occupaient et
contrôlaient souverainement des territoires au moment de la colonisation
de celui ci. Nous allons donc nous intéresser au contexte historique qui
a permis l'essor de la notion d'autochtonie.
b) Le contexte historique de l'essor du
mouvement autochtone
À partir du XVIe siècle, lors de l'expansion
européenne, c'est le colonialisme moderne qui va être responsable
du déplacement forcé de communautés autochtones, allant
même jusqu'à des massacres ethniques ou des assimilations
forcées au sein de la société colonisatrice. Selon
certains auteurs, les autochtones sont nés de cette conquête :
« l'afflux de colons, l'exploitation des richesses naturelles,
14 Il faut en effet distinguer les droits des minorités,
qui oscillent entre droits collectifs et droits individuels, ne donnant pas
accès au droit à l'autodétermination ; des droits des
Peuples autochtones, qui sont des droits collectifs, donnant accès au
droit à l'autodétermination. En droit international, une
minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des
affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques,
englobées dans une population plus importante d'un État, de
langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes.
15
l'asservissement accessoire les ont transformés en
cette catégorie résiduelle » 15. Les
sociétés autochtones ont souvent des valeurs qui sont très
différentes de celle de l'Occident, et le coeur de leur identité
reste, dans le monde entier, un sens profond d'appartenance à la «
terre-mère ». Pour ces communautés, la terre est un
bien collectif, dont l'humanité n'aura jamais que l'usufruit ; ce qui
correspond peu à la notion occidentale de la propriété.
Les peuples autochtones parlent en effet de droit collectif et
inaliénable à la terre. Elle ne représente pas pour eux
une marchandise qui peut être achetée ou vendue, mais bien une
responsabilité collective de la communauté qui doit la
transmettre aux générations futures. La situation des peuples
autochtones est le résultat d'un processus historique d'usurpation et
d'extinction de leur souveraineté par le colonialisme. Les peuples
autochtones ont ainsi été victimes de la colonisation,
privés de leur capacité à disposer d'eux-mêmes, de
leur qualité de peuple indépendant 16.
Pour tous ces peuples, un développement viable dans un
environnement sain et en paix constitue une priorité. Les peuples
autochtones furent en effet décimés par les politiques des
États et constituent aujourd'hui un des groupes sociaux les plus
défavorisés. Cette pauvreté
généralisée trouve ses sources dans l'histoire de la
colonisation ainsi que dans la discrimination persistante et
systématique et dans la non-reconnaissance des droits individuels et
collectifs des peuples autochtones. Ceux-ci ont ainsi été
dépossédés des terres de leurs ancêtres, ont perdu
leurs connaissances ancestrales et le contrôle de leurs ressources
naturelles, et ont été forcés de s'assimiler dans la
culture dominante et de s'intégrer dans l'économie de
marché. Les membres des peuples autochtones représentent une part
disproportionnée des populations les plus pauvres, aussi bien dans les
pays développés que dans les pays en développement.
Mais les peuples autochtones dans l'Histoire ne sont pas que
de passives victimes, et ont maintes fois lutté contre le colonialisme
par le biais de la négociation, l'opposition politique, ou encore la
lutte armée.
En Australie par exemple, lorsque les envahisseurs se sont
emparés des territoires autochtones, démembrant ainsi leurs
systèmes juridiques et politiques, ils se sont heurtés à
une très vive résistance. Les Aborigènes se sont
engagés dans une longue guerre de guérilla, attaquant les routes
d'approvisionnement et les propriétés. D'un autre coté, en
Amérique du Nord, les nations amérindiennes ont tenu tête
au colonialisme pendant plus de trois siècles. L'acte de
résistance le
15 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des
peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 348
16 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones
en droit international » / Atelier National de Reproduction des
Thèses / 2008
16
plus connu est celui du peuple Sioux, qui en 1876, avait fait
subir aux soldats américains l'humiliante défaite de Little Big
Horn River. Des actes de résistance ont également eu lieu en
Inde, sous l'Empire britannique, qui s'était trouvé
confronté à plusieurs rébellions des Santal, des Munda et
d'autres peuples tribaux ; ou encore en Amérique latine, où les
peuples de langue quecha se sont soulevés contre les colons espagnols en
1770 et en 1780.
Aujourd'hui, il semble que le colonialisme apparaisse sous un
nouveau visage : celui de la mondialisation que les peuples autochtones partout
dans le monde doivent affronter. Elle commence par l'intervention des
gouvernements qui proclament leur souveraineté sur des ressources
auxquelles les peuples autochtones n'ont jamais renoncé, et qu'ils
protègent depuis des siècles. Cette mondialisation les a
contraint à devenir des acteurs au plan international, et à
établir des liens entre eux en vue de former une union symbolique. La
mondialisation est en effet le recouvrement progressif du monde par le
modèle économique libéral. Considéré comme
valeur universelle, le processus démocratique à l'occidentale ne
convenait cependant pas à tous les États. Au total, l'emprise des
pays riches sur les pays pauvres se révèle bien plus lourde que
du temps de la colonisation.
Face à ce « nouveau visage du colonialisme »
17, les peuples autochtones se sont rassemblés pour
dénoncer les politiques des gouvernements aux Nations Unies. Avec
l'essor de la mondialisation, c'est toute la diversité culturelle des
peuples qui est remise en question. En effet comment préserver
l'identité culturelle de chacun au sein d'un État-nation ?
D'autant qu'aujourd'hui la demande de reconnaissance de la part de
minorités telles que les populations autochtones est grandissante. Les
populations autochtones sont en effet souvent sous domination culturelle,
économique, sociale, politique d'un ou de plusieurs autres peuples, et
ne représentent alors qu'une minorité au sein d'États qui
ne les reconnaissent pas en tant que peuples distincts.
Depuis quelques années, les peuples autochtones se
mobilisent pour retrouver une place en droit International. Une grande partie
de cette mobilisation s'effectue sur la scène internationale, et
particulièrement à l'ONU.
Les rapports des peuples autochtones avec les organes des
Nations Unies sont très particuliers. En effet, au regard du droit
International, les peuples autochtones vivent sur le territoire d'États
indépendants et souverains, et ne situent donc pas dans une situation
coloniale, bien que se revendiquant comme des peuples colonisés,
titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Leurs
17 BURGER Julian « Premières Nations : Un
Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands Témoins
« Image » Anako Éditions, 2000, p.8
17
situations sont en outre très diverses, mais tous
militent pour obtenir la reconnaissance de leur identité
spécifique en qualité de peuples autochtones pour retrouver une
autonomie et le contrôle de leurs territoires. Les peuples autochtones
vont donc utiliser la scène onusienne pour dénoncer les effets du
colonialisme et réclamer la restitution de ce dont ils ont
été privés. Revendiquant un statut de peuple en droit
International, ils ne souhaitent cependant pas, en général, se
séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent, mais
veulent jouir d'une réelle autonomie au sein de celui ci. Afin de
retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes et de leurs
territoires, de jouir de tous leurs droits collectifs, ces peuples demandent
à ce que le droit à l'autodétermination leur soit
reconnu.
À l'échelle internationale, le mouvement
autochtone est renforcé par la coordination des actions locales. En
développant des liens et des programmes communs entre groupes
autochtones, la recherche d'un soutien international va s'effectuer au sein de
l'Organisation des Nations Unies, qui représente une nouvelle instance
internationale permettant le dialogue entre peuples autochtones et
gouvernements. Les représentants autochtones disposent en effet d'un
temps de parole limité à la Commission des Droits de l'Homme qui
se réunit deux fois par an à Genève.
Des organisations non gouvernementales, comme Amnesty
International, ont également participé au débat pour
parvenir à l'adoption de la Déclaration des Nations unies sur les
droits des peuples autochtones.
Le mouvement actuel fait donc partie de ce processus de lutte
pour leur survie en tant que peuples. Aujourd'hui, les peuples autochtones
utilisent des techniques politiques modernes pour conjuguer leurs forces et
obtenir des soutiens à l'échelle mondiale. Ainsi il existe
plusieurs milliers d'organisations autochtones dans le monde, dont la plupart
ont été fondées au cours des vingt dernières
années. La décolonisation a été le moteur politique
de ce mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes,
les relations internationales ont été transformées, et les
nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la
condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et
moral.
Les peuples autochtones sont donc parvenus à quitter la
sphère strictement interne dans laquelle ils étaient maintenus
depuis bien longtemps, et peuvent désormais dénoncer leur
situation de peuples dominés, situation reconnue par la
Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones
adoptée le 13 septembre 2007 par l'Assemblée
générale de l'ONU après une vingtaine d'années de
préparation.
18
En remplissant les conditions posées par
l'Assemblée générale des Nations Unies, les peuples
autochtones peuvent être juridiquement qualifiés de peuples au
sens international du terme. Puisque chaque peuple est libre de
déterminer la forme de son régime politique, il devrait en
être de même pour les communautés autochtones
qualifiées en tant que peuple. Pourtant, à part quelques
exceptions, les peuples autochtones ne peuvent pas exercer le droit à
l'Autodétermination tel qu'il a été strictement
développé par l'Assemblée générale. En
effet, ce droit assimilé à la décolonisation est
associé à une issue unique : l'indépendance. La lutte pour
l'autodétermination des peuples autochtones s'apparente à une
lutte pour la liberté, ceux ci ne demandant rien de plus que le droit de
déterminer leur propre développement et leur avenir.
Analysons donc les fondements de ce droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes.
2 - Fondements et exercice du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est
le principe selon lequel « chaque peuple dispose d'un choix libre et
souverain de déterminer la forme de son régime politique ».
Cela suppose que tout peuple lorsqu'il est victime d'un oppresseur à le
droit de se défendre. Il est défini dans l'article premier du
Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 :
« tous les peuples ont le droit de disposer
d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur
statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel. »
Initialement appelée droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, l'autodétermination est le principe issu du
droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et
souverain de déterminer la forme de son régime politique,
indépendamment de toute influence étrangère. Le principe
établit qu'un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre
forme de gouvernement, indépendamment de toute influence
étrangère. Il semble donc aller à l'encontre du concept
d'intégrité territoriale de l'État. Il s'agit d'un droit
collectif qui ne peut être mis en oeuvre qu'au niveau d'un peuple
Mais le conflit tient généralement à la
définition du mot peuple, et à la définition des peuples
eux-mêmes : si les États défendant
l'intégrité de leur territoire considèrent
généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique,
certaines minorités nationales se considèrent comme des peuples
à part entière et revendiquent leur droit à
l'autodétermination.
19
Du XVIIIe au XIXe siècle, le concept de peuple a
beaucoup évolué, finissant par s'imposer sur la scène
internationale à la faveur des deux guerres mondiales.
Le premier instrument international a avoir confié au
peuple le rôle d'acteur de sa propre histoire est la Déclaration
d'Indépendance des États Unis d'Amérique du 4 juillet
1776. Puis vinrent les différentes Conventions françaises qui ont
suivi la Révolution. Il faudra attendre le milieu du XIXe pour voir
émerger « le printemps des peuples », avec la
Révolution de 1848 qui suscitera une explosion des nationalités
en Europe.
Le concept du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes connut une première formulation politique par le
président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses quatorze points,
à la fin de la Première Guerre mondiale. Plusieurs points de son
célèbre discours furent d'ailleurs partiellement utilisés
pour la rédaction du traité de Versailles de 1919.
Avec la Première guerre mondiale, le concept
d'autodétermination fut remis à jour, et les premiers à
s'en emparer sont les Russes lors de la Révolution de 1917, qui mena
à l'adoption d'une Déclaration des peuples de Russie, qui
proclame le droit des peuples à disposer librement d'eux mêmes, y
compris celui se se séparer et de se constituer en un État
indépendant. C'est en vertu de ce principe que bon nombre de pays
Européens obtiennent leur indépendance, bien que le droit des
peuples à disposer d'eux mêmes ne se trouve pas inscrit dans le
Pacte de la SDN.
Après la Seconde Guerre Mondiale, c'est le
phénomène de décolonisation qui va porter ce principe de
libre détermination des peuples. L'évolution des idées de
liberté et d'égalité dans le cadre interne s'est
répercutée sur le plan des relations internationales, passant
ainsi à une revendication de l'égalité et la
liberté « réelles ». Le principe de libre disposition
se devait donc de régir les situations comportant un
élément étranger : le colonisateur.
Dès le 14 août 1941, la Charte de l'Atlantique
affirmant le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous
laquelle ils veulent vivre » énonçait un Code universel des
droits des nations. Ainsi, cette Charte « entreprend de jeter les
fondements d'une nouvelle politique internationale » 18.
En octobre 1944 va se dérouler la Conférence de
Dumbarton Oaks à Washington. Cette conférence, à laquelle
participent les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union soviétique et
la République de Chine, a jeté les bases de l'Organisation des
Nations unies. Il s'agissait de promouvoir les Nations Unies en s'inspirant de
la Société des Nations, mais cette fois avec une
18 La Conquête mondiale des droits de
l'homme, Le cherche midi et Unesco, 1998
20
implication particulière des États-Unis. On y
retient le principe de certaines institutions : l'Assemblée
générale, le Conseil de sécurité, le
Secrétariat et la Cour de justice internationale de La Haye.
C'est l'ONU, avec la Charte des Nations Unies, qui va recevoir
pour mission de « développer entre les nations des relations
amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité
de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux mêmes
» (Art.1)
Le droit à l'autodétermination va donc
être valorisé, devenant selon la formule de Philippe
Moreau-Defarges le « pivot » des droits collectifs.
Par la suite, l'ONU va considérer que de ce droit
découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc
possible de faire une distinction théorique entre «
l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par
lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et
se libère lui-même du joug de « l'étranger », et
de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait
essentiellement au choix du système politique et administratif, et
à la nature profonde du régime choisi »
Aujourd'hui encore, le droit International se refuse à
reconnaître l'existence d'un droit à l'autodétermination
externe en dehors du cadre de la décolonisation et l'avis de la Cour
internationale de Justice sur la Conformité au droit international
de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo
n'y a rien changé. Rappelant le principe de souveraineté des
États et d'intégrité territoriale, la Cour a voulu
éviter de répondre à la question de l'élargissement
du champ d'application du droit à l'Autodétermination. Certains
représentants des peuples autochtones soutiennent alors que les
populations autochtones ont été colonisées, ce qui
justifierait leur revendication à l'autodétermination externe.
L'autodétermination externe peut s'exercer dans trois
situations : une domination coloniale, un régime de domination ou un
apartheid, et une domination étrangère. Son exercice peut par
ailleurs se traduire par la création d'un État souverain et
indépendant, par une libre association ou une intégration avec un
État indépendant, ou par l'acquisition de tout autre statut
politique librement décidé par le peuple en question.
D'un autre coté, l'autodétermination interne
concerne la libre détermination, par chaque peuple, de son statut et de
son régime politiques. L'autodétermination comporte aussi un
certain nombre de droits économiques, des droits en matière
culturelle, et enfin des droits sociaux.
21
Le caractère ambigu du principe
d'autodétermination découle de la nature de ses
bénéficiaires, et du fait qu'il a souvent été
associé aux mouvements de libération nationale. Enfin, ce
principe a souvent été décrit comme dangereux pour la
stabilité internationale, parce qu'il est susceptible de remettre en
cause l'ordre existant, mais aussi parce qu'il engendre troubles et
incertitudes.
C'est donc une conception restrictive de
l'autodétermination qui l'a progressivement emporté sur la
scène internationale, et ce depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela a
ainsi contribuer à renforcer les États existants plutôt
qu'à permettre une réelle expression du « droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes ».
Confrontées à des politiques gouvernementales
néfastes, l'autodétermination prend souvent sa source au niveau
local. Les peuples autochtones ont donc ranimé la pratique de leurs
langues, offerts aux enfants des conditions d'éducation traditionnelles,
transmettant ainsi leur culture aux plus jeunes. Ils ont également mis
en avant leur patrimoine culturel très important, comme l'ont fait par
exemple les communautés autochtones d'Australie avec le
développement de l'art Aborigène.
En outre, les communications entre les groupes autochtones se
sont fortement développées, aidant ainsi à promouvoir le
débat sur les questions vitales et la préservation de
l'identité culturelle. Cette question pose beaucoup de problèmes
au sein d'un État-nation, dont le fondement est la souveraineté.
En effet, ces peuples demandent un partage de la souveraineté,
impliquant que les notions de citoyenneté et d'identité nationale
soient remises en cause.
C'est cette problématique autochtone au sein du
continent Australien que nous allons soulever au cours de notre travail. La
question de la définition des peuples autochtones et de la
reconnaissance de leur droit l'autodétermination se pose en particulier
pour l'Australie, puisque ce pays était à l'origine peuplé
par des communautés que l'on peut caractériser comme
autochtones.
3 - L'Australie et ses peuples autochtones
Les peuples autochtones entretiennent une relation longue et
complexe avec le territoire australien. Certaines estimations affirment que
cette relation dure depuis au moins 40000 ans. Au moment de la colonisation de
l'Australie en 1788, les Aborigènes représentaient un ensemble
d'à peu près 1,5 millions d'individus, répartis en plus de
cinq cents groupes linguistiques et vivants dans toutes les régions de
l'Australie.
22
Le gouvernement australien a par le passé
modifié plusieurs fois sa politique à l'égard des peuples
autochtones allant de l'extinction à l'assimilation, à la
reconnaissance de l'autodétermination, à l'autonomie
gouvernementale, à la prise en charge 19. Actuellement la
situation des autochtones n'a cependant guère évoluée, et
les statistiques démontrent qu'ils sont toujours les victimes d'une
certaine marginalisation.
Au moment de l'arrivée des premiers européens,
les aborigènes étaient environ 400 000 sur le continent, se
répartissant en plus de 500 tribus ayant chacune sa propre langue et son
propre système de parenté 20. Vivant essentiellement
de chasse, pêche et cueillette, leur organisation sociale était
fondée sur le respect de l'intérêt commun et de la
propriété collective. En outre, selon leur conception, c'est
l'individu qui appartient à la terre et non l'inverse.
Les sociétés aborigènes diffèrent
beaucoup selon les régions et leur environnement. Mais certains
principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming,
désignant le Temps du Rêve, conception aborigène de l'ordre
physique et spirituel qui régit l'univers et qui unit, de manière
dynamique, passé, présent et futur 21.
Un deuxième groupe d'indigènes, les Insulaires
du Détroit de Torres, est proche des peuples aborigènes, tout en
possédant sa propre Histoire et sa propre culture. Ce groupe peuplait,
à l'origine, des îles du Détroit de Torres, séparant
l'extrémité Nord de l'Australie (plus précisément
du Queensland) de la côte Sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Dès le début de la colonisation, un racisme fort
s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long
du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle
à l'expansion britannique, et donc furent violemment chassés de
leurs terres. Pourtant, dès 1788, le gouverneur Arthur Phillip avait
émis la volonté de protéger ces autochtones contre les
violences des colons.
À la fin du XIXe siècle, après avoir
chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le
gouvernement commença à créer des réserves
où l'on parqua les survivants, limitant de ce fait les
possibilités d'éducation et les offres d'emploi. C'est pour
remédier à cela que fut créée la Ligue pour
19 Séminaire Droit à l'autodétermination
des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada,
second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.) Synthèse, p. 60
20 Il est probable qu'à l'origine, l'indigène
australien était un Caucasien qui aurait immigré d'Europe en Asie
lorsque la plaque indo australienne était toujours rattachée
à la plaque eurasienne.
21 Le Dreaming renvoie aux origines mythiques ou des êtres
prodigieux façonnèrent la surface du continent australien alors
totalement plat. Ces êtres du Rêve - animaux, plantes ou
phénomènes naturels - créèrent pour
l'éternité parallèle à celle des hommes, et
interviennent auprès des vivants dans leurs rêves Le Temps du
Rêve relève aussi d'une dynamique spatiale inscrite dans les
chemins qui relient les sites sacrés entre eux, héritage des
voyages ancestraux, que les hommes continuent à parcourir et dont ils
sont les gardiens. Chaque Aborigène est attaché à un ou
plusieurs Rêves, liés à un lieu spécifique ou
à un itinéraire sur le territoire.
23
la promotion des Aborigènes (Aborigines
Advancement League ; AAL). En 1938, à
l'occasion du 150e anniversaire de la First Fleet, l'AAL organisa une
démonstration appelée « jour du deuil » (Day of
Mourning) et lança un appel pour les droits civiques des
Aborigènes.
C'est alors que les législateurs lancèrent le
programme d'« assimilation » qui devait achever la destruction des
populations indigènes. Selon les directives officielles, les
Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des
réserves, et privés de la plupart des droits civiques.
Dans les années 1940, face aux difficiles conditions de
vie dans les réserves, fut créé un système de
laissez-passer pour les travailleurs indigènes. En 1949, le droit de
vote aux élections fédérales fut accordé aux
indigènes qui avaient servi dans les forces armées ou
étaient inscrits sur les listes pour voter dans les élections
d'état. En 1962, le Premier ministre Robert Menzies octroya aux
Aborigènes le droit de s'inscrire et de voter aux élections
fédérales, par le Commonwealth Electoral Act.
C'est en 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt,
qu'eut lieu un important référendum en vue d'inclure les
Aborigènes dans le recensement national. Il obtint l'appui de plus de
90% des électeurs.
Vint ensuite l'arrivée d'un nouveau gouvernement, avec
à sa tête Gough Whitlam. Celui ci va appliquer une nouvelle
politique : celle du multiculturalisme, qui sera par la suite consolidée
par les différents gouvernements. Cependant, cette politique n'accordera
pas une place suffisante aux premiers habitants de l'Australie. Les
autorités australiennes décidèrent donc, à partir
de 1972, de préconiser une nouvelle approche, promettant à ces
populations un degré important d'autonomie. Dès lors,
l'autodétermination devenait en effet la politique officielle du
Commonwealth d'Australie. Le gouvernement australien proclamait d'ailleurs que
« l'autogestion et l'autosuffisance sont les concepts de base de la
politique australienne contemporaine concernant sa population autochtone »
22.
Entre les années 1970 et 1980, les différents
gouvernements successifs entreprirent la création d'une floraison
d'organisations aborigènes chargées de la mise en place de la
politique d'autodétermination. Le rôle des gouvernements
consistait surtout à valoriser la différence culturelle et la
spécificité historique des autochtones, tout en entérinant
le principe d'auto-identification, si fondamental au principe
d'autodétermination. La reconnaissance des cultures autochtones fut donc
un moteur et un enjeu des droits fonciers, de la création du Secteur
autochtone, que nous verrons plus en détail au cours de ce travail, et
de la mise en place de programmes ou services spécifiques.
22 Ibid ; p. 152
24
En 1983, le Parti travailliste s'installa au pouvoir avec
comme Premier Ministre Robert Hawke qui restera en fonction jusqu'en 1991.
C'est durant cette période qu'émergea l'idée de
réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Il
s'agissait de réconcilier tout un pays avec son histoire, son pluralisme
et ses valeurs. Cette réconciliation pouvait se révéler
être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de
l'autodétermination au sein de l'État, ou au contraire un moyen
d'intégrer les Aborigènes en favorisant leur assimilation
structurelle.
En 1992, la propriété foncière ancestrale
des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo, et la fiction
juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute
Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois
des Territoires ont dû être révisées en tenant compte
de ce nouveau « droit ancestral ».
Il faudra attendre décembre 1993, pour que le Parlement
Fédéral vote le «Native Title Act» (Loi sur
les titres Autochtones) afin de définir le principe des droits fonciers
des premiers habitants. Cette loi établit que les titres de
propriété ou de location rendent caducs les droits
aborigènes, limitant ainsi l'application de leurs droits fonciers aux
terres dépourvues de propriétaire ou de locataire.
C'est en février 2008 qu'a eu lieu la reconnaissance
symbolique lorsque le nouveau Premier ministre Kevin Rudd s'est excusé
devant le Parlement au nom du peuple australien pour les crimes commis par le
passé envers les Aborigènes :
« We apologise for the laws and policies
of successive parliaments and governments that have inflicted
profound grief, suffering and loss on these our fellow Australians. We
apologise especially for the removal of Aboriginal and Torres Strait Islander
children from their families, their communities and their country »
23
Aujourd'hui les Aborigènes sont près de 257 000
individus dont 28 000 insulaires du Détroit de Torres et un tiers de
métis ; et représentent 1,5 % de la population totale. Un tiers
d'entre eux vivent en zone rurale, et moins d'un quart en zone urbaine. Le
reste, soit la majorité, vit dans l'arrière-pays semi-aride de
l'Outback, selon leurs coutumes et usages traditionnels.
En militant et faisant valoir leurs droits, ils tentent de
construire au sein du continent australien une nation aborigène qu'ils
s'efforcent de faire reconnaître sur le plan international.
23 Prime Minister Kevin Rudd, MP - Apology to Australia's
Indigenous peoples ; Wednesday, February 13, 2008
25
L'objet de ce mémoire va donc être d'analyser la
situation juridique des peuples autochtones, ainsi que leur capacité
à disposer d'eux mêmes, en se concentrant particulièrement
sur l'interaction entre le droit International et le droit interne australien.
Il s'agit de se demander comment, et dans quelle mesure les peuples
autochtones, et particulièrement les aborigènes australiens,
peuvent-ils bénéficier du droit à disposer
d'eux-mêmes. L'intérêt de ce travail est donc d'analyser la
situation juridique des peuples autochtones qui découle de leur
capacité à disposer d'eux mêmes. Il s'agit de
s'intéresser à la naissance d'une mobilisation autochtone sur les
scènes nationales, puis à l'émergence de ce mouvement
à l'échelle internationale ; avant de voir de quelle
manière les peuples autochtones exercent ils leur droit à
l'autodétermination.
Ce choix régional s'explique par le fait que les
peuples autochtones de ce continent présentent toutes les
caractéristiques pour être qualifiés de peuples autochtones
: dépouillés de leurs attributs en tant que peuple souverain,
dépossédés de leurs territoires, ils ont ensuite
été exclus de la société dominante et
marginalisés au sein du pays qu'ils occupaient de manière
traditionnelle.
À l'image de la mobilisation autochtone, les
revendications des aborigènes Australiens pour l'exercice de leur droit
à l'autodétermination ont émergé depuis les
années 1960, allant de la reconnaissance de l'autodétermination
à celle d'une autonomie gouvernementale. Nous nous intéresserons
tout particulièrement à la situation des communautés
Aborigènes présentes sur le Territoire du Nord, ainsi que dans le
Détroit de Torres.
Au nom de la souveraineté des États, chacun est
libre de définir selon sa propre conception la notion de peuples
autochtones. Néanmoins, depuis une trentaine d'années, la
question autochtone tend à émerger sur la scène
internationale, avec pour but de créer un régime international
effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur
diversité.
La première partie de ce travail est donc
consacrée à l'analyse de l'évolution du droit des peuples
autochtones sur la scène internationale, et à l'émergence
d'un droit pour ces peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'agit donc
d'analyser le passage d'une conception interne de l'autochtonie à une
conception internationale.
Dans un second temps, nous allons traiter de l'exercice du
droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones.
Après avoir vécu durant des années dans une situation
coloniale, les peuples autochtones ont demandé réparation de
cette situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et
26
internationaux afin d'être reconnus en qualité de
peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité
à disposer d'eux-mêmes.
27
I - Évolution du droit des peuples autochtones
: De l'internalisation à l'internationalisation
Après avoir été « oubliés
» par la communauté internationale pendant des années, les
peuples autochtones se mobilisent pour obtenir la reconnaissance et le respect
de leurs droits collectifs aussi bien sur les plans nationaux que sur le plan
international. En effet, au regard du droit international, les peuples
autochtones ne bénéficient d'aucun statut collectif, et seuls les
individus sont pris en considération, dans le cadre de la protection des
Droits de l'Homme.
Le droit relatif aux peuples autochtones est un droit
emprunté au droit général des droits de l'homme d'abord,
comme le sont beaucoup de droits individuels et même collectifs. Pour les
peuples autochtones, le recours aux Droits de l'Homme est inapproprié
car ce ne sont que des normes individuelles de protection qui ne permettent pas
de défendre des droits collectifs. Ils ne sont donc pas suffisants pour
répondre à toutes leurs revendications en vue de sauvegarder leur
identité collective.
Le statut et les attributs des peuples autochtones ont
été continuellement manipulés, instrumentalisés
pour servir les intérêts des États colonisateurs. Ainsi,
pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la
première moitié du XXe, les peuples autochtones sont sous la
souveraineté d'un État et sont absents de la scène
internationale. Il y a donc eu pendant cette période une négation
systématique et soutenue de la réalité autochtone
manifestée par les tentatives d'anéantissement des cultures et
institutions. Cette méconnaissance de l'Histoire est responsable des
préjugés et des préconstruits entretenus à
l'égard des peuples autochtones.
C'est avec le mouvement de décolonisation que bon
nombre d'entre eux vont retrouver leurs territoire, leur indépendance,
et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Cependant,
certains vivent toujours dans des situations de colonisation sur le territoire
d'États indépendants. D'où l'intérêt pour ces
communautés de porter leur cause à l'échelle
internationale pour faire entendre leur droit à un identité
propre impliquant le respect de leurs droits économiques, sociaux et
culturels. Dans les années 1960, ces peuples vont
réapparaître sur la scène internationale en revendiquant la
reconnaissance de leur qualité de peuples, et de leur droit à
l'Autodétermination.
Nous allons donc nous intéresser dans un premier temps
à l'origine même de la notion d'autochtonie (A),
avant de traiter de l'émergence d'un droit international applicable aux
peuples
28
autochtones (B). Nous illustrerons notre
propos par un exemple concret en abordant le traitement des autochtones sur le
territoire australien (C).
A) L'origine de la notion d'autochtonie
Il n'existe aucune définition, en droit international,
des peuples autochtones, ce qui peut s'expliquer par l'importance du
critère d'auto-identification du caractère autochtone. En outre,
ils s'opposent à toute prétention étatique de les
définir sans leur consentement ou participation. Pourtant ces peuples
ont besoin d'un statut juridique international pour retrouver ce dont ils ont
été privés.
Selon sa conception originelle, la notion de peuple autochtone
était assimilée à la notion de peuple colonisé. En
effet, les autochtones étaient nommés ainsi parce qu'ils
étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été
colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant
actuellement le pouvoir. Cette conception est d'ailleurs celle retenue par les
Conventions de l'OIT.
Il convient donc de traiter des différentes tentatives
de définition de la notion de « peuple autochtone », en
abordant dans un premier temps les définitions conventionnelles
(i.), puis les définitions doctrinales
(ii.). Nous terminerons notre réflexion en
traitant du statut atypique des peuples autochtones en droit international
(iii.).
i. Les définitions conventionnelles de
l'autochtonie
Une certaine organisation a beaucoup oeuvré pour poser
une définition internationale de l'autochtonie : l'Organisation
internationale du Travail. Celle-ci, ainsi que le Bureau international du
Travail portent depuis longtemps une attention particulière aux peuples
autochtones. Son mandat consistant à protéger les droits des
individus dans le cadre du travail et à assurer la justice sociale, elle
va donc par le biais de Conventions intervenir sur la question de la protection
des peuples autochtones, mais en tant qu'individus et non en tant que
collectivité.
Dès 1921, le Bureau international du Travail effectue
des études sur les travailleurs autochtones dans les pays
indépendants, et en 1926 est créé un Comité
d'experts du travail des autochtones qui sera à l'origine de bon nombre
de Conventions relatives aux autochtones. Ainsi sera définie dans la
29
Convention 50 sur le recrutement des travailleurs autochtones
de 1936, la notion de travailleur indigène : «
travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population
indigène des territoires dépendants des membres de
l'organisation, ainsi que les travailleurs appartenant, ou assimilés,
à la population indigène non indépendante des territoires
métropolitains des membres de l'organisation ».
En 1953, le BIT publie une étude sur les conditions de
vie des autochtones : Les populations aborigènes . conditions de vie
et de travail des populations autochtones des pays indépendants,
qui est le premier document de référence sur le plan mondial. Il
y complète sa définition, en précisant que les
aborigènes « ont tendance à mener une vie plus conforme aux
institutions sociales, économiques et culturelles antérieures
à la colonisation ou à la conquête qu'à la
civilisation de la nation à laquelle ils appartiennent »
24. C'est ce qu'il faut entendre par les termes « structures
tribales » qui seront utilisés dans des définitions
ultérieures.
Mais c'est par deux textes majeurs que l'OIT va
réellement jouer un rôle important pour les peuples autochtones :
les Conventions 107 (1.) et 169
(2.), que nous allons aborder
séparément. Ces deux Conventions opèrent un passage de
l'assimilation au pluralisme 25.
1) La Convention 107 : l'Assimilation
En 1957, la Conférence internationale du Travail adopte
le texte de la Convention 107 sur la protection et l'intégration des
populations indigènes et autres populations tribales et semi-tribales
dans les pays indépendants, qui sera ratifiée par 27 pays.
Basée sur le préjugé évolutionniste selon lequel
les autochtones seraient « en retard » par rapport aux
sociétés dominantes, cette Convention est d'inspiration
assimilationniste. Elle parle de populations et non de peuples, et ne fait
aucune allusion à une éventuelle autonomie. Son objectif est donc
de protéger les peuples autochtones afin qu'à terme, ils
s'intègrent aux populations dominantes des États.
L'OIT distingue entre peuples tribaux et peuples autochtones,
mais leur assure la même protection, comme elle le précise dans
l'article 1er de la Convention 107 :
« 1. La présente convention s'applique:
a) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les
pays indépendants, dont les conditions sociales et économiques
correspondent à un stade moins avancé que le stade
24 BIT, 1953, pp. 27-28
25 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS
Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des
minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p.
406
30
atteint par les autres secteurs de la communauté
nationale et qui sont régies totalement ou partiellement par des
coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation
spéciale;
b) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans
les pays indépendants, qui sont considérées comme
aborigènes du fait qu'elles descendent des populations qui habitaient le
pays, ou une région géographique à laquelle appartient le
pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation et
qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme
aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette
époque qu'aux institutions propres à la nation à laquelle
elles appartiennent.
2. Aux fins de la présente convention, le terme
semi-tribal comprend les groupes et personnes qui, bien que sur le point de
perdre leurs caractéristiques tribales, ne sont pas encore
intégrés dans la communauté nationale.
3. Les populations aborigènes et autres populations
tribales ou semi-tribales mentionnées aux paragraphes 1 et 2 du
présent article sont désignées, dans les articles qui
suivent, par les mots "populations intéressées". »
La distinction est ici opérée entre populations
indigènes qui ont été conquises ou colonisées par
une puissance coloniale européenne, et populations tribales qui ne l'ont
pas été. Les populations indigènes sont
caractérisées par leur antériorité sur le
territoire : ce sont des populations tribales qui « descendent des
populations qui habitaient le pays (...) à l'époque de la
conquête ou de la colonisation ». La qualification de tribal
résulte donc de leur évolution jugée « moins
avancée ».
Du fait de son inspiration assimilationniste, cette Convention
va être fortement critiquée tant par les peuples autochtones que
par d'autres, tels que les anthropologistes ou les scientifiques. Selon eux, le
modèle intégrationniste n'empêche pas la dégradation
du statut des autochtones et ne correspond plus à leur situation.
L'OIT va donc convoquer un Comité d'experts
chargé de se prononcer sur une éventuelle révision de la
Convention. Réuni en 86, le Comité opte pour une révision
afin d'adopter des politiques pluralistes. Le processus de révision
implique les peuples autochtones au cours de ses différentes phases,
mais leur participation reste limitée : ils ne participent pas à
la rédaction de la nouvelle Convention.
31
2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel
La Convention 169 concernant les peuples
indigènes et tribaux dans les pays indépendants,
adoptée en 1989 et entrée en vigueur en septembre 1991, vient
réviser et fermer toute ratification à la Convention 107. Le
préambule de ce texte expose l'évolution du paradigme de la
question autochtone. Alors que le texte de 1957 reposait sur l'assimilation et
préconisait l'intégration et l'égalité de droits
pour les citoyen autochtones, celui de 1989 préconise le maintien et le
développement des peuples autochtones en tant que collectivités
distinctes de l'État sur le territoire duquel ils vivent.
Basée sur la croyance selon laquelle les peuples
indigènes constitueraient des sociétés permanentes, elle
se réfère aux « peuples indigènes et tribaux
», et s'engage à reconnaître et à respecter leur
diversité ethnique et culturelle. Elle va donc poser une nouvelle
définition de l'autochtonie.
La Convention insiste également sur le fait que les
autochtones doivent participer aux décisions les concernant
élaborées par les États. Constituant une avancée
dans la protection de leurs droits, elle contient des normes a minima
qui peuvent améliorer le sort des peuples autochtones. Bien qu'elle
ne traite pas de leur autodétermination, cette Convention va permettre
aux peuples autochtones de devenir de véritables sujets de droit, avec
une capacité de production normative importante.
À l'inverse de la première, la Convention
n°169 dissocie peuples autochtones et Peuples tribaux en deux
catégories distinctes. Voyons son article 1 :
« 1. La présente convention s'applique:
a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui
se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs
conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis
totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont
propres ou par une législation spéciale;
b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont
considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des
populations qui habitaient le pays, ou une région géographique
à laquelle appartient le pays, à l'époque de la
conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des
frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut
juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques,
culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.
2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit
être considéré comme un critère
32
fondamental pour déterminer les groupes auxquels
s'appliquent les dispositions de la présente convention.
3. L'emploi du terme peuples dans la présente
convention ne peut en aucune manière être interprété
comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui
peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international. »
La Convention abandonne donc le critère du «
stade moins avancé », et les peuples tribaux se
distinguent désormais par leurs conditions de vie et leurs coutumes et
traditions propres. Elle précise en outre, que les peuples autochtones
peuvent être les descendants de ceux qui occupaient le territoire
à l'époque de « l'établissement des frontières
actuelles de l'État ». Cette distinction peuples autochtones et
peuples tribaux est le résultat de pressions exercées par
certains États nouvellement indépendants (Inde, Indonésie,
Pakistan, Bangladesh) qui craignaient pour leur unité nationale. Le
caractère de « tribal » vient alors récuser celui d'
« indigène » dans la mesure où celui ci pouvait fonder
des revendications séparatistes 26.
Les bénéficiaires des Conventions de l'OIT sont
donc entendus dans une large mesure, celle ci ne voulant pas poser une
définition juridique stricte qui exclurait un grand nombre de
peuples.
C'est grâce à l'OIT que le mouvement autochtone a
pu être porté sur la scène internationale. La mobilisation
autochtone a en effet suscité l'intérêt de l'Organisation,
et l'attention portée par celle ci a fortifié la volonté
des peuples autochtones de poursuivre et d'intensifier leur mouvement
revendicatif.
Mais cette caractérisation de l'autochtonie
conditionnée par la nécessité d'avoir subi la colonisation
reste trop restrictive. D'autres définitions furent donc
proposées pour obtenir une conception plus large de la notion de peuples
autochtones.
ii. L'élaboration d'une définition au
sein de l'ONU
Au sein de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation
internationale du Travail, il est
26 En pratique la Convention ne fait aucune différence
quant à son application et accorde la même protection aux deux
catégories. Selon Erica-Irene Daes, ancienne présidente du groupe
de travail sur les peuples autochtones, la distinction est inutile : «
à l'instar de la Convention 107 de l'OIT, la Convention 169
reconnaît les mêmes droits aux peuples « indigènes
» et « tribaux », ce qui rend la distinction entre ces
catégories de peuples encore moins utile » (c'est l'auteur
qui souligne)
33
reconnu que la définition et la protection des droits
des peuples autochtones constituent une partie essentielle des droits de
l'homme et une préoccupation légitime de la communauté
internationale.
Parmi les définitions les plus utilisées par la
doctrine, il convient de citer celle de Julian Burger, qui a été
le responsable pendant vingt ans du programme des peuples autochtones et
minorités au Haut-Commissariat des droits de l'homme des Nations Unies
:
« Un peuple autochtone peut réunir toutes les
caractéristiques suivantes, ou seulement certaines d'entre elles. Les
peuples autochtones sont .
·
1/ les descendants des premiers habitants d'un territoire
acquis par la conquête ,
·
2/ des peuples nomades et semi-nomades, tels
que des agriculteurs itinérants, des pasteurs,
chasseurs et collecteurs qui pratiquent une agriculture à forte
intensité de travail produisant peu de surplus et requérant peu
de ressources énergétiques ,
·
3/ ils n'ont pas d'institutions politiques
centralisées, ont une forme communautaire d'organisation et
prennent les décisions sur une base consensuelle ,
·
4/ ils ont tous les caractères d'une
minorité nationale .
· ils partagent les mêmes langue,
religion, culture et autres traits caractéristiques ainsi qu'un lien
à un territoire spécifique, mais sont intériorisés
par une culture et une société dominantes ,
·
5/ ils ont une vision globale du monde
différente, consistant dans une attitude non matérialiste et
protectrice vis à vis de la terre et des ressources matérielles,
et veulent continuer à se développer suivant des processus
différents de ceux proposés par les sociétés
dominantes ,
·
6/ ils sont formés par des individus qui
se considèrent subjectivement comme autochtones, et sont acceptés
comme tels par le groupe » 27.
L'auteur précise que la totalité des traits
énumérés n'est pas requise pour caractériser
l'autochtonie. Il convient donc de s'intéresser à
l'évolution de la notion de peuples autochtones au sein de la doctrine
internationale en traitant d'abord du rapport présenté par le
rapporteur spécial José R. Martinez Cobo
(1.), et ensuite des deux critères les plus
importants dégagés dans ce rapport : l'antériorité
de l'occupation territoriale et l'Auto-définition en tant qu'autochtone
(2.).
1) L'étude du rapporteur spécial José R.
Martinez Cobo :
Dans les années 1960, les Nations Unies sont
essentiellement concernées par la discrimination
27 BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the
World's Indegenous Peoples, Londres, Zed Books, 1987, p. 9
34
raciale, et vont d'ailleurs adopter la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965. On
peut considérer que la généralité de ces
instruments atténue la spécificité de leurs besoins et
porte atteinte à la justification de leur protection 28.
Il faudra attendre 1971 pour que le Conseil économique
et social donne mandat à la Sous-Commission de la promotion et de la
protection des Droits de l'Homme, pour réaliser une « étude
sur la discrimination à l'encontre des peuples autochtones ».
Cette mission sera confiée à José R.
Martinez Cobo qui sera chargé d'examiner tous les aspects de la
condition des peuples autochtones. Martinez Cobo va donc recueillir des
données auprès des États, des peuples autochtones eux
mêmes, des organisations autochtones, d'ONG ainsi que d'experts. Les
différentes conférences internationales sont également
très utiles pour enrichir le rapport.
Le rapporteur spécial va donc étudier une gamme
de problèmes touchant les droits de l'homme, notamment une
définition des peuples autochtones, le rôle des organisations
intergouvernementales et non gouvernementales, l'élimination de la
discrimination, ou encore les problèmes fondamentaux touchant les droits
de l'homme. Martinez Cobo finira par rendre un rapport en cinq volumes, dans
lequel il dresse un tableau précis de la situation des peuples
autochtones 29.
Cette étude va en outre poser une définition des
peuples autochtones. Le rapport contient plusieurs parties : une
première partie descriptive qui dresse un état des lieux de la
situation des peuples autochtones, puis une partie doctrinale dans laquelle est
abordée la problématique des droits des autochtones, et enfin une
dernière partie qui énumère un certain nombre de
recommandations en vue d'améliorer leur situation.
Dans le premier rapport de Martinez Cobo, celui ci associe
l'autochtone à la colonisation, de la même manière que
l'Assemblée générale de l'ONU ou que l'OIT, mais ajoute
cependant qu'il peut exister des groupes autochtones qui sont seulement
isolés ou marginalisés et qui se distinguent de la
société dominante nationale. Le rapporteur spécial va en
outre ajouter au critère de la colonisation, celui de l'invasion, et
tente ainsi de cerner toutes les situations de domination dans lesquelles des
peuples ont été dépossédés de leurs
territoires. Il tente par cela de sortir du clivage produit par la conception
onusienne de la colonisation.
Dans son rapport final, rédigé en 1986, il va donc
proposer une définition globale qui n'opère plus
28 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies
au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? »
Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62
29 Il va en outre émettre bon nombre de recommandations :
la proclamation par l'ONU d'une décennie internationale pour les peuples
autochtones, la révision de la Convention 107, ou encore la
nécessité d'élaborer une « déclaration des
droits et libertés des peuples autochtones ».
35
de distinction entre peuples autochtones et tribaux :
« Par communautés, populations et nations
autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une
continuité historique avec les sociétés antérieures
à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales
qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment
distinctes des autres segments de la société
qui dominent à présent sur leurs territoires ou
parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non
dominants de la société et elles sont déterminées
à préserver, développer et transmettre aux futures
générations leurs territoires ancestraux et leur identité
ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en
tant que peuples, conformément à leurs propres
modèles culturels, à leurs institutions sociales et à
leurs systèmes juridiques. f...]
Du point de vue de l'individu, l'autochtone est la
personne qui appartient à une population autochtone par
auto-identification (conscience de groupe) et qui est reconnue et
acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres
(acceptation par le groupe) » 30.
Cette définition plus élargie ne fait pourtant
pas l'unanimité. En effet, certains, tels que les États
asiatiques et africains, estiment qu'il n'y pas de « peuples »
autochtones sur leurs territoires, mais qu'ils sont eux même autochtones
puisqu'ils étaient là avant la présence d'une quelconque
puissance colonisatrice.
On a donc ici quatre points intéressants : la
différence culturelle, la situation de domination, la continuité
historique et l'auto-identification. Ce dernier critère, bien que
très subjectif, est essentiel puisqu'un peuple autochtone est seul
habilité à déterminer qui sont ses membres. On peut douter
de sa pertinence qui ne peut être soutenue du point de vue juridique. Les
deux premiers critères quant à eux pourraient tout aussi bien
être attribués aux minorités ou à tout groupe
susceptible d'être discriminé.
Intéressons nous donc à ces deux principaux
critères posés par cette définition,
l'antériorité de l'occupation territoriale et
l'auto-identification en tant qu'autochtone.
2) L'antériorité de l'occupation territoriale
et l'Auto-définition :
Les peuples autochtones se définissent par rapport aux
territoires dont ils ont été dépossédés et
sur
30 E/CN.4/ sub 2/1986/87 §379-381
36
lequel ils vivent dans un État de subordination. Cette
antériorité sur un territoire est le fondement de leur
revendication à exercer le droit à disposer d'eux-mêmes.
Aujourd'hui, bon nombre de peuples autochtones revendiquent le droit de vivre
sur leurs territoires, dont ils ont toujours été les « vrais
maîtres », selon leurs propres systèmes et institutions.
Ce critère permet d'identifier les descendants actuels
de peuples dont le territoire a été envahi par d'autres peuples
venus d'autres régions du monde et qui les ont dominés.
Martinez Cobo préfère lui parler de «
continuité historique » entre le peuple qui se revendique
être autochtone, et celui qui occupait le territoire au moment de sa
spoliation. La continuité historique se manifeste par l'occupation de
terres ancestrales ou d'au moins une partie de ces terres, ou encore par
l'ascendance commune avec les premiers occupants de ces terres. Il
énumère d'ailleurs plusieurs critères tels que le maintien
de la culture ou la pratique de la même langue, qui permettent
d'établir cette continuité historique par d'autres
manières qu'une occupation physique.
L'appréciation de l'antériorité
territoriale est cependant assez délicate, et la question se pose de
savoir comment le lien territorial doit il être maintenu. Il s'agit
également de déterminer quels sont les droits qui peuvent
être reconnus à un peuple au titre de cette occupation
antérieure.
La séparation physique avec le territoire ne fait pas
obstacle à la qualification de peuple autochtone, mais si la population
dominante est installée sur le territoire en question, le peuple
spolié ne pourra qu'obtenir une compensation financière.
L'antériorité territoriale est un
élément inhérent à la notion de peuples
autochtones. Ce critère montre que ces peuples ont perdu, à un
certain moment, leur capacité à disposer de leurs territoires, et
vivent depuis dans un état de subordination et de marginalisation. Mais
on retrouve également d'autres critères au sein des
différentes définitions des peuples autochtones, comme le
maintien d'une culture distincte, l'existence d'institutions sociales et
politiques coutumières distinctes, la langue autochtone ou encore la
situation de vulnérabilité.
Pour prétendre obtenir la qualification de peuple, les
peuples autochtones doivent donc démontrer qu'ils sont
géographiquement séparés d'un État ethniquement
différent, qui les domine, et qu'ils sont majoritaires sur le territoire
sur lequel ils vivent. Bien qu'ils puissent parfois être majoritaires sur
une zone territoriale déterminée, en général leurs
territoires traditionnels, dans la plupart des situations, les peuples
autochtones sont minoritaires au sein de l'ensemble de la population de
l'État. En outre ils vivent souvent à l'intérieur des
frontières nationales de l'État, portant ainsi atteinte au
37
critère très important de la séparation
géographique du peuple colonisé avec l'État
métropolitain.
Ainsi pour remplir les conditions posées par
l'Assemblée générale des Nations Unies, « un peuple
autochtone doit être ethniquement et culturellement différent de
la population de l'État auquel il est soumis et doit vivre sur un
territoire séparé de cet État, à l'exclusion de
tout autre groupe ou du moins sur lequel il est nettement majoritaire »
31.
Selon cette conception restrictive, ne sont concernés
que les peuples autochtones vivant sur les territoires outre-mer d'un
État. Les insulaires du Détroit de Torres (Nord de l'Australie)
peuvent entrer dans cette catégorie, mais le droit international exige
qu'ils constituent pour cela la majorité de la population du
territoire.
Sont également concernés les peuples
résidant, à l'exclusion de tout autre groupe, sur un territoire
bien déterminé, dans la situation particulière d'une
violation grave et continue des Droits de l'Homme.
Bien que la plupart des instances internationales aient
posé plusieurs critères d'identification, parmi lesquels la
continuité historique avec les sociétés
pré-coloniales et/ou les sociétés ayant
précédé les colonies de peuplement,
l'antériorité de l'occupation d'un territoire par une population
par rapport à l'arrivée d'une autre population ou encore
l'infériorité et la subordination à l'égard des
descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants ; les
Nations Unies préfèrent soumettre la reconnaissance de ces
peuples à un critère d'auto-identification.
Un autre critère important est l'auto-identification en
tant qu'autochtone. Pour un individu, l'appartenance à un groupe
autochtone est revendiquée à la fois par l'individu et le groupe
auquel il appartient.
Il s'agit du sentiment, de la conscience d'être
autochtone. En raison de ce caractère très subjectif, il ne
s'agit pas à proprement parler d'un critère d'identification. Ce
principe peut avoir deux significations : on peut soit entendre par là
les définitions que se donnent eux-mêmes les peuples autochtones
au sein de leurs associations ; soit que le critère subjectif doit
être déterminant dans la définition d'un autochtone. Dans
de nombreux États, l'autochtone est défini soit de manière
unilatérale par l'État, soit en consultation avec les peuples
autochtones présents sur le territoire.
Les peuples autochtones actuels attachent beaucoup d'importance
au principe d'auto-
31 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des
peuples autochtones », PUF, 1996, p. 338
38
identification. En effet, ils ne veulent pas que les
États qui les dominent se réservent le pouvoir de
déterminer s'ils sont autochtones ou non, comme c'est le cas dans
plusieurs pays comme le Canada où l'Indian Act (1876)
définit qui est indien et quelles sont les terres qui sont
réservées aux Indiens.
Le principe d'autodéfinition est donc un aspect
fondamental du droit à l'autodétermination. Il permet aux
autochtones de devenir des sujets de droit en s'identifiant eux-mêmes, et
leur confère implicitement la possibilité de
réinterpréter leurs propres traditions 32. Ce principe
est donc particulièrement important, dans la mesure où il
sauvegarde les droits des individus : chacun a le droit d'appartenir ou non
à la communauté de son choix. Mais l'auto-identification ne doit
pas être seulement un exercice individuel. Elle est en effet essentielle
pour protéger les collectivités elles-mêmes, puisque les
autochtones veulent participer aux débats internationaux collectivement
en qualité de peuples.
Certes, ce critère d'auto-identification doit
être encadré pour empêcher que n'importe quel groupe ne se
prétende autochtone par pur intérêt stratégique. Il
faut donc que cette conscience d'être autochtone soit
étayée par des critères objectifs. En effet, il y a
toujours un risque que des groupes se prétendent autochtones pour
réclamer l'exercice du droit à l'autodétermination sans
présenter aucun des critères pour constituer un peuple
autochtone.
Ces consécrations du principe d'autodéfinition
sont particulièrement importantes, puisque cette capacité permet
aux autochtones de se distinguer des groupes auxquels ils furent longtemps
assimilés : les minorités ethniques. Analysons donc le statut
particulier accordé aux peuples autochtones.
iii. Le statut atypique des peuples autochtones en
droit international
Le statut des peuples autochtones en droit international a
longtemps été l'objet d'un débat entre les
représentants autochtones et les États. Pendant longtemps les
États ont préféré employer l'expression de «
minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples
autochtones. Il faut en effet distinguer le droit des minorités du droit
des peuples autochtones.
Nous nous intéresserons donc aux différentes
raisons de distinguer ces deux catégories juridiques
(1.), avant de traiter de la qualification sui
generis de peuples autochtones (2.).
32 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS
Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des
minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p.
434
39
1) La distinction peuples autochtones/Minorités
ethniques
En droit international, une minorité est un groupement
de personnes liées entre elles par des affinités religieuses,
linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus
importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique
différentes.
Le droit des minorités a pris naissance dans l'histoire
européenne, des guerres de religion aux modifications de
frontières survenues après les deux conflits mondiaux
33. La situation des peuples autochtones ne présente pas
cette même spécificité, car leurs origines historiques et
ethniques, mais également leurs traits culturels les distinguent plus
profondément des sociétés dominantes.
La volonté des autochtones de se distinguer des
minorités possède de solides arguments historiques et correspond
à une stratégie politique bien réfléchie. Cette
volonté s'est d'ailleurs progressivement traduite dans le droit. En
effet, de nombreux textes et institutions concernant les peuples autochtones de
façon spécifique se sont multipliés, accompagnant la
mobilisation autochtone.
Les autochtones n'ont pas voulu qu'une définition
apparaisse dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones. Ils craignaient en effet que cette définition ne
recouvre pas toutes les diversités socio-politiques de leurs peuples et
qu'elle soit interprétée, à leur insu, par les
États dont ils dépendent.
Des leaders des associations autochtones
représentées dans le Groupe de travail de l'ONU se sont plaints
de ce que leurs « gouvernements utilisaient l'absence de définition
des peuples autochtones en droit international comme un prétexte pour
les qualifier de "minorités nationales " et leur refuser le statut
politique et les droits des peuples autochtones » 34.
La plupart des États préfèrent qualifier
les communautés autochtones de minorités, ce qui ne leur
confère aucun statut international. Mais tous les peuples
constitués ou se reconnaissant dans le cadre politique des
minorités ne sont pas considérés comme « autochtones
» au sens onusien de la définition. Ainsi le nombre d'États
favorables à l'emploi du terme « peuple » s'est accru, bien
qu'aucun consensus n'ait pu être adopté à ce sujet. Cette
qualification permet aux peuples
33 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS
Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des
minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, 581p.
34 E/CN. 4/Sub.2/1994/30, p. 17, §57
40
autochtones d'exercer leur droit à disposer
d'eux-mêmes dans le cadre de l'État, pour leurs affaires «
intérieures et locales ». Cet exercice est donc circonscrit
à une application interne.
Les autochtones récusent en tout cas la qualification
de « minorités ethniques » et même parfois celle de
« populations », à laquelle les États cherchent
à substituer la notion de « peuple ». Cette notion, beaucoup
plus vague, présente pour eux l'avantage de pouvoir englober des groupes
autochtones aussi bien que non autochtones. Cependant, on peut voir avec
l'exemple canadien où en 1982 ont été
constitutionnalisés les droits des Indiens, Inuit et Métis, en
terme de « peuples » ; que cette qualification ne conduit pas
fatalement à l'affrontement ethnique et à la sécession
35.
Globalement, tout le droit international des minorités
est applicable aux peuples autochtones s'ils souhaitent s'en prévaloir,
de même que le droit international des Droits de l'Homme. Ainsi un
autochtone pourra-t-il invoquer une Convention à laquelle le pays sur le
territoire duquel il se trouve a adhéré, mais cela à titre
individuel, et non pas à titre de sanction de droits reconnus à
une collectivité autochtone. Le danger est que les États
européens ont, pour la plupart, un mode de formation historique qui a
mis fin à l'existence collective des entités territoriales et
humaines à partir desquelles ils se sont constitués. Les
autochtones ont donc tout intérêt à se voir
reconnaître des droits spécifiques. Ils sont en effet mieux
placés que les minorités pour revendiquer des droits collectifs
et la qualité de peuples, afin de pouvoir invoquer le droit à
l'autodétermination.
Si les peuples autochtones se distinguent des minorités
par un lien privilégié au territoire et à l'histoire, ils
revendiquent tout comme elles la reconnaissance de leur identité. Le
succès de ces revendications est conditionné par le choix de la
tactique adoptée pour faire valoir leurs droits. Ainsi il arrive parfois
que les minorités ne reculent pas devant l'emploi de la force et
même du terrorisme, ce qui reste un cas exceptionnel chez les
autochtones.
On a parfois du mal à relever la
spécificité des droits invoqués par les peuples
autochtones par rapport aux droits des minorités. En effet, les
problématiques semblent être les mêmes et les obstacles
à une plus grande précision et efficacité de ces droits
sont semblables. Certains auteurs rétorquent toutefois que « le
fondement des droits revendiqués par ces deux catégories de
peuple est différent, le caractère minoritaire pour les uns et
antérieur pour les autres, justifiant ainsi la spécificité
de la protection accordée aux peuples autochtones. Cependant,
l'antériorité des peuples
35 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples
autochtones , PUF, 1996, p. 436
41
autochtones n'est sans doute pas un critère suffisant
pour justifier un droit plus attentatoire à la souveraineté de
l'État » 36.
Le droit des peuples autochtones ne serait donc pas
spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait
différente de celle du droit international, en ce qu'il serait
constitutif d'une exception au principe de souveraineté des
États.
La qualification de peuples autochtones est une qualification
sui generis, avec une portée juridique interne permettant aux
peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de
l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son
intégrité territoriale. Le statut des peuples autochtones en
droit international est donc un statut atypique.
2) Une qualification de peuples sui generis
La définition des peuples autochtones est à
triple effet : elle porte sur la notion de « peuples », sur celle
«d'autochtonie » et sur le caractère pluraliste de
l'entité ainsi forgée. Les spécificités dont se
réclament les peuples autochtones sont très nombreuses, mais
peuvent être englobées dans le concept de « droit à la
différence ». D'autre part, on observe que de façon
constante les autochtones relient leur identité à leurs droits
territoriaux.
Le rapport au territoire est fondamental dans l'identification
d'un peuple, mais il n'est ni exclusif ni suffisant. D'autres critères
sont importants, comme les constructions identitaires, la reconnaissance de
systèmes culturels distincts des systèmes majoritaires, ainsi que
la disposition de structures légales et d'institutions sociales
propres.
Bien qu'elle s'impose progressivement en droit international,
la qualification de peuples autochtones n'est dotée que d'une
portée relative. Dans l'ensemble, les États sont hostiles
à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du
terme. En effet en cette qualité les peuples autochtones deviendraient
titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes.
Pendant longtemps les États ont utilisé des
expressions telles que « natif (Native) » qui vise la
naissance d'un individu ou son origine, « premières nations »,
« peuples premiers », ou encore « populations indigènes
».
36 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au
service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » ,
Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62
42
Le concept de « population », terme accepté
et utilisé par les États et n'ayant pas de portée en droit
international, se différencie du terme « peuple » qui lui a
une valeur symbolique forte et une portée politique. La catégorie
« peuple autochtone » n'est retenue que dans un seul instrument
international de type contraignant, à savoir la Convention 169 de l'OIT
37.
Les États demeurent le cadre constitutionnel, politique
et juridique légitimant les organisations autochtones, en fonction de
catégories politiques reconnues dans le pays. Ils conservent une
puissance décisionnelle tant pour la signature d'accords internationaux
que pour la mise en oeuvre des recommandations des agences onusiennes ou
européennes. Ce sont les interlocuteurs des peuples autochtones à
l'ONU.
Les États, ainsi que les agences onusiennes, retiennent
le terme « population » qui autorise le comptage des individus.
En Anglais, le terme people employé pour
désigner l'ensemble des groupes autochtones, correspond au mot
français population conçu comme l'addition d'individus.
Employé au pluriel, ce terme peoples trouve d'avantage son
équivalent dans la notion de peuple. Va donc naître un
débat su le choix du terme à employer pour caractériser
les autochtones.
Le Groupe de travail à l'ONU s'intitule «
Working Group on Indigenous Populations », bien
que ses rapports visent depuis 1988 les pratiques discriminatoires à
l'encontre des « indigenous peoples ». L'ONU a
également intitulé la décennie 1995-2005 comme celle
des Indigenous People. Le problème rebondit à Vienne en
1993 lors de la Conférence mondiale de l'ONU sur les Droits de l'Homme.
L'adoption d'une Déclaration des Droits des Peuples Autochtones est
censée avoir réglé la question du S, dans «
peoples » pour distinguer ce concept de peuple. En effet, la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,
adoptée en 2007, utilise le terme de « peuple autochtone ».
Toutefois, les États n'entendent pas lui donner une portée
juridique internationale, il faut donc plutôt l'entendre comme ayant une
signification sui generis avec une portée juridique
interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans
le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son
intégrité territoriale.
Rappelons que bien que les instruments internationaux citent
souvent le droit des peuples, il n'existe pas à l'heure actuelle en
droit international de définition du mot « peuple ». Toutefois
l'expression « populations autochtones » reste très couramment
utilisée dans les documents onusiens et surtout dans les
déclarations étatiques. L'utilisation de l'expression «
peuples
37 Selon que les représentants autochtones sont
associés ou non aux travaux des agences de l'ONU (PNUD, Banque Mondiale,
UNESCO, etc.), on observe sur la scène internationale une oscillation
dans l'usage des termes « population » ou « peuple ».
43
autochtones » dans la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones constitue donc une avancée
et une victoire pour les peuples autochtones, mais il reste encore beaucoup de
chemin à parcourir pour que la qualification de peuples soit
dotée de toute sa portée juridique en droit international et
qu'elle soit pleinement acceptée.
Depuis une trentaine d'années, un droit
spécifique des autochtones émanant de l'activité normative
d'institutions pour la plupart reliées à l'ONU est en cours
d'élaboration. Les réflexions doctrinales sur ce domaine sont
également très nombreuses.
Intéressons nous donc à l'apparition et
l'évolution de ce droit international des peuples autochtones.
B) L'émergence d'un droit des peuples
autochtones
Si plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la
zone Asie-Pacifique, ce sont les Amérindiens du Nord, du Centre et du
Sud des Amériques qui se sont le plus tôt mobilisés dans la
défense de l'identité « autochtone », parvenant
à ouvrir les cadres constitutionnels de la reconnaissance comme peuples
spécifiques.
La mobilisation autochtone, rendue possible par la saisine de
l'ONU dans les années 1970, se fait par étapes, à mesure
que se démocratisent les États. L'ONU constitue donc une sorte
d'ossature d'un mouvement international dont les développements se
réalisent au gré de réunions continentales,
régionales ou transcontinentales.
Les Nations unies représentent à la fois le
principal lieu de rassemblement des autochtones et d'identification des
perspectives communes et le lieu de production mondialisée d'une
réflexion sur des normes internationales adaptées à
l'insertion des populations vulnérables.
L'émergence d'un droit spécifique autochtone ne
signifie pas qu'ils se trouvaient dans un vide juridique, puisqu'ils pouvaient
se prévaloir de toutes les dispositions contenues dans les instruments
internationaux des Droits de l'Homme. Néanmoins, l'activité
normative des institutions internationales va faire émerger un corpus
juridique spécialisé pour les peuples autochtones, et ce depuis
le début du XXe siècle.
Nous allons donc nous intéresser à
l'émergence de ce mouvement autochtone au sein de l'ONU
(i.), avant de traiter de la reconnaissance de droits
collectifs qu'implique la notion de « peuple autochtone »
(ii.), et de l'apparition d'une identité
transnationale autochtone (iii.).
i. La mobilisation autochtone dans le contexte
onusien
Les peuples autochtones vont profiter du cadre fourni par la
décolonisation, et donc du processus « d'internationalisation
» des minorités, pour faire entendre leur voix sur la
scène internationale. La reconnaissance de la qualité de «
peuples autochtones » constitue en effet une condition
essentielle au respect de leur identité collective en droit
international. L'objectif du mouvement autochtone est donc la création
d'une catégorie juridique spécifique aux peuples autochtones.
Bien qu'il y ait une grande disparité parmi les différents
peuples, la notion d'autodétermination reste au coeur de leur discours
car elle constitue la réparation de leur situation coloniale.
Le mouvement autochtone s'est construit en réaction au
colonialisme, qui a nié l'identité collective de ces peuples. Il
convient de rappeler que la motivation officielle de la colonisation
était l'apport de la civilisation européenne,
considérée comme une « mission sacrée
». Il s'agissait donc pour les États d'éduquer les
peuples autochtones dont l'état de développement semblait
arriéré. C'est cette conception qui a donné naissance aux
politiques assimilationnistes qui ont eu des conséquences dramatiques
sur les peuples autochtones, les privant de leur identité collective.
Ces conceptions assimilationnistes ont pourtant guidé les politiques des
États vis à vis des peuples autochtones vivant sur leur
territoire jusqu'au milieu des années 1970, et ont donc influencé
la position du droit international vis à vis de ces peuples.
Les problèmes vécus par les peuples autochtones
vont finir par toucher la société internationale. Les
préoccupations furent au début simplement humanitaires, et il
fallu attendre la mobilisation des nations autochtones pour que puisse
émerger la question d'un statut collectif pour ces peuples.
L'internationalisation est en effet indispensable à la cause des peuples
autochtones, et peut se réaliser de plusieurs manières. Les
peuples autochtones peuvent porter directement leurs revendications devant les
instances internationales, ou bien se former en Organisations Non
Gouvernementales pour porter plus efficacement ces revendications.
44
Nous allons donc traiter de l'émergence de ce mouvement
autochtone sur la scène internationale
45
(1.), avant d'aborder la multitude
d'organes créés au sein de l'ONU pour défendre la cause
autochtone (2.).
1) Début d'une mobilisation autochtone devant les
Instances
internationales
Dans les années 1920, la Société des
Nations apparaît pour les peuples autochtones comme une tribune
internationale susceptible de les écouter. C'est la raison pour laquelle
la Confédération iroquoise menée par son chef Deskaheh va,
en 1923, entreprendre des démarches auprès d'elle pour le
règlement d'un litige qui l'oppose au Canada. Était en cause un
projet du développement du gouvernement canadien qui affectait les
terres de la réserve de la Confédération. Après
s'être adressé sans succès aux autorités
britanniques, puisque le Canada était à l'époque un
dominion de la Grande Bretagne, le chef indien avait réussi à
obtenir le soutien du ministre néerlandais des Affaires
étrangères qui accepta de soutenir sa demande à la SDN,
seul un État étant habilité à le faire. Finalement
la requête ne fut pas communiquée, et Deskaheh alla lui même
jusqu'au siège à Genève porter une pétition
à l'attention du Secrétaire général, qui fut
également rejetée.
Face à la vive réaction du Canada, la SDN vint
certifier une position : les nations autochtones sont des minorités
ethniques, sur un plan strictement juridique elles n'ont pas d'existence en
droit international.
On constate donc qu'à l'époque les États
sont encore maîtres de la situation, protégés par le
principe de non-intervention dans leurs affaires internes. Même à
la conférence de San Francisco, en 1945, à l'issue de laquelle
naquît l'Organisation des Nations unies avec la signature de la Charte
des Nations unies, la reconnaissance internationale des peuples autochtones en
qualité de nations souveraines fut refusée. La Charte ne
mentionne d'ailleurs pas les peuples autochtones, à la différence
du Pacte de la SDN 38.
Ce n'est que trente ans plus tard, en 1957, que pour la
première fois un organisme international va adopter un document sur les
populations autochtones : la Convention n° 107 de l'Organisation
internationale du Travail relative aux populations aborigènes et
tribales. Adoptée à la demande du système de l'ONU, cette
convention est un instrument de développement complet qui couvre
toute
38 L'article 23.b du Pacte de la SDN dispose : « (...) les
Membres de la Société : s'engagent à assurer le traitement
équitable des populations indigènes dans les territoires soumis
à leur administration »
46
une gamme de questions, telles que les droits aux terres, le
recrutement et les conditions d'emploi, la formation professionnelle,
l'artisanat et l'industrie rurale, la sécurité sociale et la
santé, et l'éducation et les moyens de communication. Elle
garantit donc aux peuples autochtones le respect de leur identité
culturelle.
Elle n'a cependant été ratifiée que par
27 pays, présentant une approche intégrationniste qui
reflète le discours sur le développement à l'époque
à laquelle elle a été adoptée.
Un comité d'experts, convoqué en 1986 par le
Conseil d'administration de l'OIT, a conclu que « l'approche
intégrationniste de la convention était obsolète et que sa
mise en oeuvre était préjudiciable dans le monde actuel
». Suite à cela, la convention a été
révisée entre 1988 et 1989 et la convention n° 169 a
été adoptée en 1989. Depuis la convention n° 107 est
toujours en vigueur dans 18 pays, dont certains ont une forte population
indigène, et reste un instrument utile car elle couvre de nombreux
domaines essentiels pour les peuples indigènes.
Grâce au principe d'autodétermination des peuples
proclamé dans la Charte des Nations Unies, les mouvements
d'indépendance vont se multiplier pendant les années 1970. De
leur coté, les peuples autochtones souffrent des politiques
d'assimilation qui leur sont appliquées, et voient leurs territoires de
plus en plus convoités pour leurs ressources. Va donc naître la
nécessité pour ces communautés vulnérables de
s'unir au sein d'organisations internationales.
La première sera la National Indian
Brotherhood, créée en 1969, qui organisera une
réunion 6 ans plus tard à l'issue de laquelle sera
créé le Conseil Mondial des peuples autochtones, ONG
regroupant des peuples autochtones de différents continents.
Dès lors, les organisations autochtones vont se
multiplier, permettant une meilleure structuration du discours revendicatif de
ces communautés. Parfois même l'initiative ne viendra pas des
peuples autochtones eux mêmes, mais de la communauté
internationale : c'est ainsi que des anthropologistes vont créer en 1968
l'international Group for Indigenous Affairs (I.W.G.I.A.) basé
à Copenhague. Et en 1991, l'Organisation des Peuples Non
Représentés (Unrepresented Nations and Peoples Organization,
U.N.P.O.) sera fondée à la Haye, afin de porter à
l'ONU la voix de tous ces peuples.
Ainsi à partir des années 1970 vont
émerger diverses institutions internationales, afin de mieux faire
connaître ces populations et de permettre de regrouper leurs forces. On
peut citer l'international Indian Treaty Council, créé
aux USA en 1974 et devenu une ONG en 1977 ; ou encore la Federation of
Lands Council et le National Organisation for Aboriginal and Islander
Legal Services en Australie.
47
L'Organisation des Peuples Non
Représentés (U.N.P.O.) joue aussi un rôle important :
elle doit défendre les autochtones et les minorités non
représentés à l'ONU, par des voies légales et non
violentes. Pour mener à bien son action devant les instances
internationales, elle entend créer une juridiction qui recevra les
plaintes en matière de Droits de l'Homme et l'exercice du droit à
l'Autodétermination, et constituer un Conseil juridique dont le
rôle sera de conseiller les membres sur les aspects légaux du
droit à l'autodétermination 39. Il convient toutefois
de noter que ces organisations sont principalement composée de
représentants Amérindiens 40, et qu'une
minorité d'entre elles est dotée du statut consultatif
auprès du Conseil économique et social de l'ONU.
En 1977 fut organisée à Genève la
Conférence des ONG sur la discrimination contre les peuples
indigènes des pays d'Amérique, à laquelle
participeront une soixantaine de nations autochtones. Ce fut la première
fois que des représentants autochtones pouvaient dialoguer avec les
délégués gouvernementaux et faire entendre leur voix sur
les liens particuliers qui les unissait à la terre, sur l'importance du
droit et des coutumes traditionnels, sur les problèmes posés par
l'exploitation des ressources naturelles dans leur territoire et leur manque de
contrôle sur ces exploitations, sur la nécessité de
respecter leur culture et de protéger leur héritage, et sur leur
volonté d'autodétermination.
Ses recommandations mettent l'accent sur le respect du droit
international, les relations entre les peuples autochtones et la terre, et le
contrôle du développement de leurs territoires. Dans la
Déclaration des principes pour la défense des nations et
peuples autochtones de l'hémisphère occidental, qui sera
adoptée au cours de cette conférence, les participants demandent
leur reconnaissance en qualité de nation à part entière,
dotée d'une personnalité juridique internationale, ce qui
implique également le droit à l'autodétermination.
Une autre conférence suivra en 1981 : la
Conférence des ONG sur les peuples autochtones et la terre, qui
concerne cette fois les peuples autochtones du monde entier. Cela va être
l'occasion d'approfondir la relation particulière entretenue par les
autochtones avec leur territoire. L'une des recommandations importantes du
rapport final reprit l'une des propositions de 1977, la création d'un
Groupe de Travail sur les peuples autochtones
Ce sera chose faite en 1982 avec le Groupe de travail sur
les populations autochtones. Ce groupe dépend de la Commission
des Droits de l'Homme et de la Sous-Commission de la lutte contre
les
39 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des
peuples autochtones », PUF, 1996, p. 490
40 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1993/8, 15 juillet 1993
48
mesures discriminatoires et de la protection des
minorités. Ce groupe a participé à l'organisation
d'une Année internationale des peuples autochtones, ouverte en
décembre 1992, puis d'une Décennie internationale,
commencée en janvier 1995, malgré des réactions peu
favorables de certains États tels que le Brésil, la Colombie ou
encore l'Inde. Il est en outre à l'origine du texte de la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Sur le plan financier, un Fonds de contributions volontaires pour la
Décennie a été prévu, en plus de celui
déjà existant pour l'Année internationale, et du Fonds
des contributions volontaires pour les Populations autochtones. Ces fonds
sont chargés d'aider les représentants des autochtones à
assister à Genève aux sessions annuelles du Groupe de travail.
L'action de l'ONU s'illustre donc par une prolifération
de mécanismes prenant en compte la problématique autochtone. Il
s'agit aussi bien d'organes généraux que d'organes
spécifiquement créés pour répondre à cette
problématique. Les organes principaux ont rapidement créé
des organes subsidiaires spécialement dédiés à
cette problématique.
Voyons tout d'abord, l'Assemblée générale
de l'ONU qui agit au titre de sa compétence générale sur
toute question non directement traitée par le Conseil de
sécurité. Elle peut agir également au titre de sa
compétence spécifique en matière de développement
du droit international. L'Assemblée générale essaye
d'ailleurs d'impliquer plus souvent les associations autochtones et le Groupe
de travail dans ses prises de décisions.
Outre ces organes spécialement consacrés aux
peuples autochtones, l'Assemblée générale décida de
proclamer 1993 comme Année internationale des peuples autochtones. Elle
décida ensuite, lors de la Conférence de Vienne sur les droits de
l'Homme en 1993, de proclamer une Décennie internationale des peuples
autochtones, de 1995 à 2005, dont le thème est « les
populations autochtones : un nouveau partenariat ». L'objectif de cette
Décennie est de renforcer la coopération internationale pour
résoudre les problèmes qui affectent les communautés
autochtones dans tous les domaines. Toutefois, la situation des peuples
autochtones ne s'est guère améliorée, ce qui a mené
l'Assemblée générale à proclamer une seconde
décennie consacrée aux peuples autochtones pour « renforcer
encore la coopération internationale afin de résoudre les
problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels
que la culture, l'éducation, la santé, les Droits de l'Homme,
l'environnement et le développement économique et social, au
moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une
assistance technique accrue et d'activités
49
normatives dans les domaines en question » 41.
Suite à cela, la Commission des Droits de l'Homme
reconnaissait alors la valeur intrinsèque de la diversité des
cultures et des formes d'organisation sociale propres aux peuples autochtones.
Elle invitait donc toutes les instances de l'ONU, les États et les
organismes non-gouvernementaux et autochtones à mettre en place un
programme d'activités accompagné d'un financement volontaire de
ces activités 42.
Au cours de cette décennie, les organes de surveillance
des principaux traités des Droits de l'Homme ont adopté des
positions précises relativement à la reconnaissance de leurs
droits. Ainsi a pu être élaboré un corpus de
référence pour l'élimination de la discrimination
systémique et l'affirmation des droits des peuples autochtones, portant
sur des sujets tels que le droit à l'Autodétermination, le lien
particulier qui unit les peuples autochtones à leurs terres, ou encore
leur droit relativement aux ressources naturelles de ces territoires.
Le 20 décembre 2004, l'Assemblée
générale proclamait la deuxième décennie
internationale des populations autochtones, en lui assignant pour but de
continuer de renforcer la coopération internationale dans ces
domaines.
L'Assemblée générale de l'ONU est donc un
organe qui a une compétence générale sur les questions
autochtones.
L'action de l'ONU en matière de protection des peuples
autochtones se décline ainsi sur trois degrés différents :
celui des organes principaux, de leurs organes subsidiaires
dédiés principalement à la protection des droits de
l'homme et des organes subsidiaires de ces derniers dédiés
particulièrement aux droits des peuples autochtones.
2) La création d'organes spéciaux
dédiés à la problématique autochtone
Il convient de mentionner ici, le Conseil économique et
social, qui est très actif en la matière du fait de ses
compétences en matière de développement économique
et social. Ainsi on compte au sein de ce dernier une quinzaine d'organisations
représentant des peuples autochtones disposant d'un statut consultatif.
Ce statut leur donne le droit d'assister et de participer à diverses
conférences internationales et intergouvernementales.
41 Résolution de l'Assemblée générale
59/174 du 20 décembre 2004
42 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit
international : une trajectoire en plein essor » ; In: Liber amicorum
Peter Leuprect / textes réunis par Olivier Delas et Michaela
Leuprecht, 2012 p.361
50
La promotion et la protection des droits de l'homme aux
Nations Unies sont assurées par deux types d'organismes : les organes de
la Charte des Nations unies, dont le Conseil des droits de l'homme, et les
organes créés au nom des traités internationaux des droits
de l'homme 43.
Tous ces organes peuvent être amenés à
traiter de la problématique de l'autochtonie à travers leurs
compétences générales.
Le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme
s'est par exemple illustré dans la protection des droits des peuples
autochtones en favorisant le développement et la mise en oeuvre de la
Déclaration de 2007 (Résolution de l'Assemblée
générale, A/RES/61295 du 13 septembre 2007). Il participe
également au Groupe d'appui inter-organisations sur les questions
autochtones.
Le Conseil des droits de l'homme, créé par la
résolution 60/251 de l'Assemblée générale en date
du 15 mars 2006, a pour but principal d'émettre des recommandations
à propos des situations de violation des droits de l'homme. Bien qu'il
ne s'intéresse pas de manière directe aux peuples autochtones, le
Conseil a toutefois été amené à débattre de
la question et surtout s'est illustré par la création du
Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones,
créé pour discuter des mécanismes les plus
appropriés pour poursuivre les travaux du Groupe de travail sur les
peuples autochtones. Composé de cinq membres, cet organe est
chargé de doter le Conseil d'une expertise thématique sur les
droits des peuples autochtones.
Rattaché à l'Assemblée
générale, le Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD) s'est également intéressé
à la question en élaborant une « politique d'engagement
». Ce programme s'engage ainsi à réduire la pauvreté,
promouvoir les droits de l'homme, la gouvernance démocratique, la
mondialisation, les connaissances des peuples autochtones. Il ne fait ici
qu'appliquer ses actions générales au domaine particulier des
peuples autochtones sans qu'une réelle spécificité de ces
populations soit mise en valeur.
La logique qui semble la plus efficace serait donc d'adapter les
programmes et institutions existants au problème de l'autochtonie
plutôt que de développer une problématique
spécifique. Ainsi la mise en place de groupes de travail permet
l'identification de problématiques particulières, et
l'instauration d'institutions chargées de rendre compte de la pratique
des États et de qualifier ainsi
43 Il existe huit organes créés au nom de
traités sur les droits de l'homme qui surveillent la mise en oeuvre des
principaux traités internationaux dans ce domaine: le Comité des
droits de l'homme ; le Comité des droits économiques, sociaux et
culturels ; le Comité pour l'élimination de la discrimination
raciale ; le Comité pour l'élimination de la discrimination
à l'égard des femmes ; le Comité contre la torture et le
Sous-comité pour la prévention de la torture ; le Comité
des droits de l'enfant ; le Comité des travailleurs migrants ; le
Comité des droits des personnes handicapées ; le Comité
des disparitions forcées.
51
leur comportement.
Le Groupe de travail sur les populations autochtones :
En réponse à une recommandation du Rapporteur
spécial Martinez Cobo, la Sous Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités va proposer en 1981
la création par la Commission des Droits de l'Homme d'un groupe de
travail sur les populations autochtones. Ce sera chose faite dès
l'année suivante, confirmant ainsi que l'ONU est disposée
à traiter les peuples autochtones comme une question spécifique.
De 1982 à 1993, ce groupe a permis d'élaborer un premier projet
de déclaration.
Le Groupe de travail sur les populations autochtones
(G.T.P.A.) a un double mandat :
· faire le bilan des faits nouveaux intervenus en ce qui
concerne la promotion et la protection des droits de l'homme et les
libertés fondamentales des populations autochtones
· suivre l'évolution des normes internationales
relatives aux droits des populations autochtones 44.
Composé de cinq experts indépendants et de
membres de la Sous-Commission , le Groupe est ouvert aux représentants
de toutes les populations autochtones, de leurs groupements et associations.
Les sessions du Groupe de travail, qui ont lieu tous les ans, et auxquelles
participent des représentants des gouvernements, des organisations non
gouvernementales et des organismes des Nations Unies sont
caractérisées par un fort esprit d'ouverture. Le GTPA constitue
donc une tribune où les peuples autochtones peuvent porter leurs
revendications devant le système onusien. Les propositions faites lors
des réunions du Groupe sont ensuite transmises à la
Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme puis
à la Commission des Droits de l'Homme, et enfin au Conseil
économique et social.
Le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour
les populations autochtones a été créé par la
résolution de l'Assemblée Générale 40/131 du 13
décembre 1985 pour apporter une assistance financière à
des représentants de communautés autochtones et d'organisations
de populations autochtones souhaitant participer aux débats du Groupe de
travail sur les populations autochtones de la Sous-Commission de la promotion
et de la protection des droits de l'homme. Le Fonds reçoit des
contributions volontaires de Gouvernements, d'organisations non
gouvernementales et d'autres entités privées ou publiques. Il est
géré par le Secrétaire général de
44 Conseil économique et social, résolution
1982/34
52
l'ONU avec le concours d'un Conseil d'administration
composé de cinq membres.
Cette même année 1985, le Groupe de travail
commença d'élaborer un projet de déclaration sur les
droits des populations autochtones. Ce texte, composé d'un long
préambule et de 45 articles, affirme la spécificité des
peuples autochtones et leur droit à la différence. Ce projet de
Déclaration garantit le respect de l'autonomie autochtone, et
reconnaît leurs droits territoriaux, culturels... À sa
onzième session, en juillet 1993, le Groupe de travail se mit d'accord
sur le texte final du projet de déclaration des Nations Unies sur les
droits des populations autochtones et le soumit à la Sous-Commission. Il
sera finalement adopté par la Sous-Commission à sa 46e session en
1994 45.
En décembre 1995, l'Assemblée
générale a décidé que le Fonds de contributions
servirait aussi à fournir une aide financière aux
représentants des organisations de peuples autochtones autorisées
par le Comité chargé des organisations non gouvernementales
à participer aux travaux du Groupe de travail de la Commission des
droits de l'homme chargé d'élaborer le projet de
déclaration.
Lors de l'élaboration de ce projet, certaines
organisations, telles que l'Aboriginal and Torres Strait
Islander Commission, organisation autochtone dotée du statut
consultatif auprès du Conseil économique et social,
étaient d'avis que les définitions portant sur les termes
"peuples autochtones" devraient être élaborées par les
peuples autochtones eux-mêmes.
Il a d'ailleurs été indiqué à la
première session du Groupe de travail de la Commission des droits de
l'homme en novembre-décembre 1995 à Genève que :
- l'Organisation des Nations Unies s'abstient
généralement d'élaborer des définitions strictes,
susceptibles de restreindre la marge de manoeuvre des gouvernements et des
peuples dans l'application des instruments pertinents compte tenu de leurs
propres conditions nationales ;
- d'autres instruments tels que la Déclaration de Rio
sur l'environnement et le développement - Action 21 se
réfèrent à la participation des peuples autochtones dans
le domaine de l'environnement, sans donner une définition de ces
peuples.
La reconnaissance du statut juridique de "peuple autochtone"
comportait jusqu'ici deux phases : - l'identification par le peuple
lui-même;
- la reconnaissance par une entité souveraine ou une
institution internationale.
Le Groupe participe activement à la plupart des
instances internationales et régionales de
45 Résolution 1994/45 du 26 août 1994
53
discussions sur les questions Autochtones qui sont :
· Le Conseil des Droits de l'Homme (CoDH)
· L'Instance Permanente des Nations Unies sur les
questions concernant les peuples Autochtones (IPQA)
· Le Mécanisme d'experts sur les droits des
peuples autochtones ( MEDPA)
· L'Organisation des États Américains
(OEA).
· La Commission des Droits de l'Homme et des Peuples de
l'Union Africaine (CDHP/ UA)
· Le Conseil Arctique (CA).
· L'Union Européenne (UE).
Le GTPA analyse les problèmes auxquels sont
confrontés les peuples autochtones et s'efforce d'y apporter des
réponses en droit international et en droit interne. Dans ce lieu de
réflexions entre les États et les peuples autochtones, chacun des
participants est invité à s'exprimer et à participer
à un dialogue constructif. Néanmoins, face à la
difficulté d'obtenir un consensus sur des articles capitaux tels que
ceux relatifs à l'autodétermination, aux droits territoriaux, ou
encore aux ressources naturelles, les travaux du Groupe sont marqués par
une extrême lenteur.
Le Rapporteur spécial sur la situation des Droits de
l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones :
L'évolution de la question autochtone aux Nations
Unies va se poursuivre avec la création en 2001 par la Commission des
droits de l'homme du poste de Rapporteur spécial sur la situation des
Droits de l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones.
Son mandat fut renouvelé pour une période de deux ans par la
Commission des droits de l'Homme en 2004 et par le Conseil de Droits de l'Homme
en 2007. Dans l'accomplissement de ce mandat, le Rapporteur spécial :
· Présente des rapports annuels sur des sujets ou
situations particuliers ayant une importance spéciale pour la promotion
et la protection des droits des peuples autochtones. Lors de son rapport, le
Rapporteur spécial identifie plusieurs thèmes méritant une
attention spéciale, et recommande aux États de réexaminer
leur législation pour mieux protéger les droits des populations
autochtones
· Entreprend des visites dans les pays. Cela permet de
mener des recherches sur le terrain et de mieux appréhender les
situations concrètes. Ces visites permettent également
d'évaluer le
54
degré de protection, d'assistance et de
développement dont bénéficient les peuples autochtones au
niveau local et national.
· Répond à l'information reçue
portant sur des allégations concernant la situation des droits des
peuples autochtones dans des pays en particulier. Le rapporteur analyse les
allégations - provenant essentiellement d'ONG, d'organisations ou
d'individus autochtones - et décide s'il y a lieu de prendre des
mesures
· Entreprend des activités dans des pays pour
réaliser un suivi des recommandations inclues dans ses rapports par
pays.
L'expert doit donc fournir des recommandations et des
propositions pour remédier aux différentes violations des droits
de l'Homme des peuples autochtones. Cette institution présente
l'avantage de personnaliser la question des droits des peuples autochtones,
afin d'améliorer les conditions d'action de l'ONU.
Un des apports les plus importants de la première
Décennie des peuples autochtones a été l'Instance
permanente sur les questions autochtones.
L'Instance permanente sur les questions autochtones :
L'accent mis sur les questions autochtones a abouti à
la création le 28 juillet 2000 d'une Instance permanente sur les
questions autochtones, par la résolution 2000/22 du Conseil
économique et social. Elle est chargée d'évaluer chaque
année les problèmes concernant les peuples autochtones. Au sein
de cette instance, composée de seize membres, les experts autochtones
siègent à un niveau de parité avec les experts
nommés par les gouvernements. Cette composition mixte est le fruit d'un
compromis entre les différents acteurs concernés.
Elle fournit des services consultatifs au Conseil
économique et social, participe à la coordination des
activités que mène l'ONU dans ce domaine et examine les questions
autochtones ayant trait au développement économique et social,
à la culture, à l'éducation, à l'environnement,
à la santé et aux droits de l'homme. Son rôle est de
coordonner les activités menées dans l'ensemble des Nations Unies
et de diffuser des informations sur les peuples autochtones 46.
46 Pour cela,, l'Instance est assistée d'un
Secrétariat permanent établi au Siège de l'ONU à
New York, dans la Division des politiques sociales et du développement
social du Département des affaires économiques et sociales. Il
prépare et organise les sessions annuelles et assiste les membres de
l'Instance. Il facilite ainsi la prise en compte des questions autochtones dans
le système de l'ONU en participant à plusieurs mécanismes
interdépartementaux tels que : le Groupe de développement (UNDG)
ou le Comité permanent interinstitutionnel sur les affaires humanitaires
(IASC). Le Secrétariat propose également un soutien à la
gestion du Fonds de contribution au soutien des peuples autochtones.
55
Organe subsidiaire du Conseil économique et social,
l'Instance permanente est placée à un niveau élevé
dans la hiérarchie du système des Nations Unies, et c'est
d'ailleurs la première fois qu'un organe est composé de membres
non gouvernementaux qui ont le même statut que les membres
gouvernementaux. Elle est composée de seize membres : huit
gouvernementaux, et huit autochtones, tous siégeant pour trois ans,
renouvelable une fois.
L'Instance examine « les questions autochtones relevant
du mandat du Conseil en matière de développement
économique et social, de culture, d'environnement, d'éducation,
de santé et de Droits de l'Homme » 47. En outre, elle
fait des recommandations au Conseil économique et social, et a pour
fonction de diffuser toutes les informations utiles pour une meilleure prise en
compte des questions autochtones. Elle n'est cependant qu'un organe consultatif
et n'a pas de rôle normatif.
L'Instance tient une session annuelle de dix jours, qui ont
toutes eu lieu, jusqu'à présent, au Siège de l'ONU
à New York. Lors de ces réunions, la participation est largement
ouverte, et l'on retrouvera donc des représentants étatiques, des
organes et institutions des Nations Unies, des organisations internationales,
des organisations autochtones et des organisations non gouvernementales,
dotées ou non d'un statut consultatif. Les organes onusiens sont ainsi
directement confrontés aux bénéficiaires de leurs travaux.
Le rapport élaboré est ensuite soumis au Conseil
économique et social.
Toutes ces instances invitent les peuples autochtones
à participer pleinement à leurs travaux. Pourtant, cette
structure originale est menacée par certaines délégations
gouvernementales souhaitant la disparition du Groupe de travail sur les
populations autochtones, ce dernier étant jugé inutile depuis la
création de l'Instance permanente. Une telle disparition verrait la fin
de la principale structure de réflexion et de création normative
en faveur des peuples autochtones, l'instance permanente disposant plutôt
d'un rôle politique. Le mandat du Groupe de travail fut néanmoins
pérennisé en 2004, après un combat politique et
diplomatique acharné, même si son avenir à long terme reste
incertain.
Cet ensemble disparate d'institutions soulève
nécessairement le problème de leur coordination. Face à
cette prolifération de règles, il apparaît donc
délicat de justifier l'existence de mécanismes et de
règles propres. Selon Anne-Thida Norodom, « le droit des peuples
autochtones n'est pas spécifique au point de justifier un droit dont la
logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il
serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des
États » 48.
47 Résolution 2000/22, article 2
48 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations
unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? »
Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 63
56
Au regard d'une mobilisation internationale sans
précédent, les avancées de ce mouvement autochtone restent
cependant très modestes, et ce du fait de la réticence des
États qui abritent des communautés autochtones sur leurs
territoires. En effet, ceux ci se sentent menacés par les revendications
de nature collective, qui remettent en cause la colonisation et donc les
fondements de l'État.
Il s'agit dès lors de s'intéresser à la
vocation collective de ce droit et à la reconnaissance de droits
collectifs pour les communautés autochtones.
ii. Un droit à vocation
collective
Les droits des peuples sont des droits d'exercice collectif ,
ce qui rend leur manipulation assez malaisée. Il s'agit dès lors
de dépasser la conception individualiste des droits de l'Homme pour
aller vers la dimension collective du droit des peuples. Sur un plan
général, les Droits de l'Homme, dont l'idéologie demeure
marquée par l'Occident, apparaissent comme plus limités que les
droits des peuples. Ceux ci, au contraire, ont une vocation fondamentalement
universaliste. Le discours autochtone se centre sur les droits collectifs qui
permettent aux peuples d'exister et de se développer. Dans cette
optique, les droits collectifs sont une condition de l'exercice des droits
individuels.
Les autochtones doivent donc dépasser leur
identités locales pour constituer une entité globale autochtone,
ayant comme ressources des valeurs qui les rassemblent, et qui
légitiment la frontière symbolique qui les différencie des
non autochtones. Ils invoquent par exemple le concept de «
terre-mère », selon lequel la terre est de nature collective, et
doit être préservée afin d'assumer leurs
responsabilités envers les générations futures.
Reconnu dans les instruments internationaux comme un attribut
de tous les peuples, le droit à l'autodétermination est le
premier droit collectif qui permet d'exercer tous les autres. Cependant, son
exercice n'empêche pas qu'un individu se réclame à la fois
de son appartenance au peuple qui inclue tous les ressortissants de
l'État et à un autre peuple composé d'individus partageant
une conscience collective et des liens de nature différente qui les
distinguent en tant que peuple 49.
49 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.47
57
Voyons donc la spécificité du droit des peuples
autochtones qui impose une reconnaissance de droits collectifs
(1.), avant de s'intéresser au droit des
peuples autochtones à la participation collective aux décisions
prises les concernant (2.).
1) Spécificité : reconnaissance de droits
collectifs.
Le respect de l'identité collective des peuples
autochtones est la condition sine qua non à leur participation
effective aux processus de décisions. Ils entendent démontrer,
dans une variété de secteurs, que l'universalisme des droits
humains fondés sur l'individu ne résout pas leurs
problèmes, y compris dans les pays démocratiques, ce qui les
conduit à défendre la formulation de principes de droit
collectifs.
La France s'est toujours opposée à la
reconnaissance de droits collectifs, même pour les minorités et
les peuples autochtones. Le juriste Jean Rivero écrivait d'ailleurs :
« Lorsqu'il s'agit de collectivités qui ne
reposent pas sur l'adhésion volontaire, le danger augmente à la
mesure de leur puissance et de leurs ambitions. Face aux intérêts
du groupe, les Droits de l'Homme pèsent peu [...] Que le groupe cherche
son unité dans une idéologie, et le goulag s'ouvre pour ceux qui
la refusent. Que cette idéologie soit la supériorité de la
race, et le droit de l'ethnie aryenne à imposer au monde sa juste
domination légitime Dachau, Auschwitz et Maydanek. Sur les droits des
collectivités, la fumée des fours crématoires projette la
plus grande des menaces, car leur reconnaissance risque de donner le sceau de
la justice à la domination du plus fort sur le faible » 50.
La position des auteurs Norbert Rouland , Stéphane
Pierré-Caps et Jacques Poumarède est cependant moins excessive,
ceux ci soutenant que la collectivisation de certains droits peut être la
condition de leur effectivité, particulièrement dans le cas des
minorités et des peuples autochtones. Selon eux « l'Homme a des
droits en tant qu'être humain, mais il ne les réalise, dans toute
société, qu'au sein et en fonction de groupes, dans un jeu de
droits et obligations réciproques entre la personne et les groupes
auxquels elle appartient. Les droits collectifs sont inséparables de la
dimension sociale de l'homme et lui sont bénéfiques, à
condition qu'ils ne détruisent pas la personne » 51.
50 RIVERO Jean, Les Droits de l'Homme : droits
individuels ou droits collectifs ?, dans A.Fenet (dir.), Les
Droits de l'Homme :droits collectifs ou droits individuels ?, Paris, PUF,
1982, pp.23
51 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS
Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des
minorités et des peuples
58
Ils reconnaissent donc une dimension collective de ces droits
sous trois conditions :
- Ils doivent reposer sur la participation volontaire des
membres du groupe à celui-ci et à ses valeurs.
- Ils doivent être compris dans une hiérarchie
des normes juridiques, et donc ne pas être contraires aux libertés
et droits fondamentaux.
- Leur processus d'élaboration doit être pris
très au sérieux, autant que la détermination de leur
contenu.
Le principe de la non-discrimination est nécessaire
à la reconnaissance des droits collectifs des autochtones. C'est
d'ailleurs par le biais de ce principe, reconnu et accepté par de
nombreux instruments internationaux, qu'a été abordée leur
situation aux Nations Unies. Pourtant en droit international, le principe de
non-discrimination est essentiellement un droit individuel, dont le but est de
garantir que tous les individus d'une société soient
égaux, qu'ils jouissent des mêmes droits et qu'ils se voient
imposés les mêmes devoirs, sans distinction d'origine ethnique, de
langue, de sexe ou de religion.
C'est avec l'article 2 de la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones que va apparaître le
caractère collectif de la non-discrimination :
« Les autochtones, peuples et individus, sont libre
et égaux à tous les autres, et ont le droit de ne faire l'objet,
dans l'exercice de leurs droits, d'aucune forme de discrimination
fondée, en particulier, sur leur origine ou leurs identités
autochtones ».
L'application de ce principe aux peuples autochtones vise
à réparer les effets des situations coloniales qui les ont
marginalisés. La réparation doit donc être individuelle,
mais aussi et surtout collective. Il s'agit donc de redonner aux
communautés autochtones leurs différentes compétences : se
gérer, s'administrer avec leurs propres institutions, se
développer, décider de leur avenir dans le respect de leurs
coutumes et traditions... Plusieurs dispositions dans la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sont consacrées au
respect de ces formes traditionnelles d'organisation.
Le principe de non-discrimination est cependant
délicat à mettre en oeuvre, vu que l'État, pour mettre fin
à une situation de discrimination, doit adopter des mesures
spéciales qui peuvent être elles mêmes discriminatoires,
puisqu'elles ne visent qu'un groupe. Il s'agit donc pour l'État de faire
en sorte que ces mesures n'aient pas d' « effets discriminatoires
disproportionnés vis-à-vis des autres éléments de
la population. Elles doivent avoir une base objective ainsi qu'une cause
raisonnable et
autochtones », PUF, 1996, pp.
458-459
59
légitime » 52.
L'application collective de ce principe implique en outre que
les peuples autochtones ont notamment droit au respect de leur
intégrité culturelle. En effet, malgré les impacts des
différentes politiques coloniales, les autochtones sont parvenus
à conserver leurs institutions traditionnelles, auxquelles ils veulent
redonner pleine compétence avec le droit à
l'autodétermination. C'est au travers de ces institutions qu'ils vont
pouvoir exercer leurs droits collectifs et contrôler les
événements qui les concernent. Le respect de l'identité
culturelle des autochtones est donc fondamental pour l'exercice du droit
à l'Autodétermination.
Le principe de l'intégrité culturelle a
été admis en droit international par la C.P.I.J en 1935, dans un
avis consultatif sur l'affaire des Écoles minoritaires en Albanie
53. Dans cet avis, la Cour déclare que les
minorités ont le droit de préserver leurs caractéristiques
distinctives propres, et qu'au nom de l'égalité entre la
majorité et la minorité, cette dernière doit disposer de
ses propres institutions ; et demande que des moyens appropriés soient
mis en oeuvre afin que la minorité ne soit pas « contrainte
à renoncer à ce qui constitue l'essence même de sa vie en
tant que minorité » 54.
Les peuples autochtones exigent ainsi que leurs cultures et
leur droit à la libre détermination soient reconnus au même
titre que ceux des autres peuples. Cela suppose donc que leurs droits fonciers
soient déclarés inaliénables ainsi que leurs droits sur
les ressources naturelles. De la même manière, les droits
collectifs que les peuples autochtones possèdent sur la connaissance de
leurs propriétés doivent être garantis comme le stipule la
convention sur la diversité biologique.
La seule chose qui garantisse l'autodétermination,
c'est l'amélioration des relations entre les peuples autochtones et
leurs voisins non autochtones. Il s'agit donc d'avoir un respect mutuel entre
ces communautés. L'autodétermination n'est en effet jamais
garantie quand elle repose sur des mesures législatives ou des
décisions politiques, car les philosophies politiques des gouvernements
nationaux changent, comme cela a été le cas pour les
Aborigènes d'Australie ou les Amérindiens.
Dès lors que les principes de la non-discrimination et
de l'intégrité culturelle sont respectés, le droit
à l'autodétermination peut être exercé. Une des
modalités de base de ce droit est le droit de participer à la
prise de décision dans tous les domaines qui concernent les peuples
autochtones.
52 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones
en droit international » / Atelier National de Reproduction des
Theses / 2008 ; pp.367
53 C.P.I.J, Écoles minoritaires en Albanie, Avis
consultatif, 6 avril 1935, série A/B, n°64
54 Jbid, p.17
60
2) Le droit des peuples autochtones à la participation
collective
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones évoque deux types de participation :
· la participation à la vie publique de
l'État, reconnue à l'article 5 qui énonce le droit «
de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale
et culturelle de l'État ».
· la participation aux processus de prises de
décisions, prévue à l'article 18 qui énonce le
droit de participer à la prise de décisions pour les questions
qui concernent leurs droits.
La Déclaration demande que les États prennent
en compte la volonté des peuples autochtones dans tous les domaines les
concernant : elle requiert que les États consultent, coopèrent,
se concertent avec les peuples autochtones pour « combattre les
préjugés et éliminer la discrimination » (art.15.2),
pour prendre des mesures pour protéger les femmes et les enfants (art.27
et 17.2), pour « reconnaître les droits des peuples autochtones en
ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources » (art.27), pour
reconnaître les droits des peuples autochtones à leur patrimoine
culturel, traditionnel, et intellectuel (art.31.2) etc.
Elle précise en outre que les États doivent
consulter les peuples autochtones dans certains domaines, dans le but d'obtenir
leur consentement préalable, donné librement et en connaissance
de cause. Bien que cette exigence d'un consentement ne soit pas à
l'heure actuelle considérée comme une obligation internationale,
on constate que le principe de la participation collective
bénéficie d'une autorité grandissante.
Il est d'ailleurs affirmé dans la Convention 169 de l'OIT
qui lui consacre deux articles :
· l'article 6, qui pose l'obligation pour les
Gouvernements de consulter les peuples autochtones « à travers
leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des
mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher
directement » ainsi que d'assurer leur participation à la prise de
décisions dans tous les organes « responsables des politiques et
des programmes qui les concernent » ;
· l'article 7, qui prévoit que les peuples
autochtones « doivent avoir le droit de décider de leurs propres
priorités en ce qui concerne le processus du développement »
55.
55 Au sens de cette Convention, la participation est donc
entendue comme un droit d'exprimer un point de vue et de pouvoir influencer la
décision. Les consultations, quant à elles, doivent être
transparentes et permettre aux peuples autochtones de donner leur avis
éclairé.
Le Comité des Droits de l'Homme affirme en outre que le
droit des peuples autochtones de participer à la prise de
décisions les concernant est une application du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes. Il fonde ce droit sur l'article premier du
Pacte des droits fondamentaux de 1966, ainsi que sur l'article 27, relatif au
principe de l'intégrité culturelle.
Sur la scène internationale, cette participation des
peuples autochtones est assurée au travers de l'Instance permanente sur
les questions autochtones grâce aux délibérations du Groupe
de travail. Il existe plusieurs sortes d'institutions représentatives
autochtones, soumises à l'approbation d'autorités
étatiques, qui sont soit consultatives, soit dotées d'un pouvoir
de décision.
Dans l'ensemble, les États admettent ce principe de
participation à tous les niveaux de décision, dans tous les
domaines qui les concernent, mais sont toujours réticents à
accepter qu'un groupe puisse bénéficier d'un droit collectif
à participer avec une structure institutionnelle distincte. Pour les
États, reconnaître un tel droit de véto supposerait
également qu'ils reconnaissent aux peuples autochtones des droits
territoriaux.
Certains États ont accordé aux peuples
autochtones vivant sur leurs territoires une certaine autonomie, qui
équivaut à un droit des peuples autochtones à participer
aux prises de décisions qui les concernent. Pour déterminer si
ces peuples disposent d'une réelle autonomie, il faut examiner si les
autorités autonomes disposent de compétences propres et d'un
réel pouvoir de décision.
Il existe différentes formes d'autonomie, elle peut
être culturelle, territoriale ou politique ; et dans chaque
catégorie, il y a différents degrés en fonction des
compétences exercées et du pouvoir de décisions dont
disposent les autorités autonomes. Chaque situation est donc
particulière bien que les expériences présentent des
caractéristiques communes.
Il semble donc qu'une norme coutumière de droit
international se forme en ce qui concerne la participation des peuples
autochtones à la prise de décisions qui les concernent. Les
États sont en effet nombreux à admettre progressivement la
nécessité de prendre en compte les besoins, l'opinion des peuples
autochtones et de les consulter avant de prendre une décision les
concernant.
iii. L'apparition d'une identité
transnationale autochtone
61
Dès les années 1970, les militants de la cause
autochtone accompagnent son internationalisation, à
62
travers leurs ONG spécialisées, en soutenant les
rencontres entre organisations des différents pays, en soulignant les
revendications communes et en opérant un travail de sensibilisation de
l'opinion publique de la communauté internationale.
Ce travail va permettre de faire émerger une
véritable identité autochtone sur la scène internationale.
Nous allons donc nous intéresser à ces nouveaux sujets du droit
international (1.), avant de traiter de
l'identité transnationale autochtone (2.).
1) Des sujets en devenir du droit international
« La participation des autochtones aux processus
internationaux est un véritable succès dont on mesure
l'importance en termes quantitatifs puisque le nombre des représentants
accrédités a été multiplié par cinq ou six,
et en termes institutionnels puisque la question autochtone est à
l'agenda de pratiquement toutes les agences de la famille onusienne »
56.
C'est donc sous l'impulsion des peuples autochtones eux
mêmes que va naître un véritable mouvement autochtone dans
la deuxième moitié du XXe siècle. Les peuples autochtones
veulent devenir des « acteurs » de la scène internationale, et
demandent la reconnaissance par le droit international de la qualification de
peuples autochtones, en vue de pouvoir disposer d'une capacité à
décider d'eux-mêmes, et à disposer de leurs territoires
traditionnels et de leurs ressources. Mais ils ne veulent pas
nécessairement se séparer de l'État sur le territoire
duquel ils vivent. Les revendications autochtones ne sont, en
général, pas sécessionnistes, et c'est plutôt
l'autonomie régionale qu'ils envisagent.
L'ONU va donc leur fournir les outils pour construire un
mouvement international autochtone. Ainsi après avoir reconnu leur
spécificité, elle a accepté de leur attribuer un espace,
le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones, où ils viennent
chaque année élaborer leurs droits collectifs autochtones. Leur
présence dans le contexte onusien va se pérenniser en 2002 avec
la création de l'Instance Permanente sur les Questions Autochtones.
Plusieurs centaines de représentants d'ONG autochtones sont
également accréditées à l'ONU, et ont pour mandat
de faire des recommandations à l'ECOSOC.
Au fil du temps, d'autres organismes vont s'attaquer à
la problématique autochtone.
56 BELLIER Irène, « La participation des peuples
autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence
institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et
pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.19
63
L'UNESCO va proposer dans son rapport sur la réunion
internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le
concept de droit des peuples en novembre 1989, une nouvelle définition
de la notion de peuple :
« 1. un groupe d'êtres humains qui ont en commun
plusieurs ou la totalité des caractéristiques suivantes :
(a) une tradition historique commune ;
(b) une identité raciale ou ethnique ;
(c) une homogénéité culturelle ;
(d) une unité linguistique ;
(e) des affinités religieuses ou idéologiques ;
(f) des liens territoriaux ;
(g) une vie économique commune ;
2. le groupe, sans nécessairement être
considérable (par exemple, la population des micro-Etats), doit
être plus qu'une simple association d'individus au sein d'un État
;
3. le groupe en tant que tel doit désirer être
identifié comme un peuple ou avoir conscience d'être un peuple -
étant entendu que des groupes ou des membres de ces groupes, tout en
partageant les caractéristiques susmentionnées, peuvent ne pas
avoir cette volonté ou cette conscience ; et, éventuellement ;
4. le groupe doit avoir des institutions ou d'autres moyens
d'exprimer ses caractéristiques communes et son désir
d'identité » 57.
On retrouve dans cette définition quelques
éléments distinctifs des peuples autochtones, qui sont des
communautés homogènes, conscientes d'elles mêmes et de leur
identité collective, et qui se distinguent de la population dominante du
territoire sur lequel elles vivent.
Une autre institution a joué un rôle important en
la matière : la Banque Mondiale. Agence spécialisée de
l'ONU dans le domaine financier, elle est chargée de contribuer à
améliorer le niveau de vie dans le monde. Après avoir
défini sa politique envers les groupes qu'elle appelait alors les «
populations tribales » en 1982, la Banque Mondiale dressa un premier bilan
de ses activités en lien avec les peuples autochtones en 1986.
Après l'adoption de la Convention 69 de l'OIT en 1989, elle pris en 1991
la directive opérationnelle 4.20. Elle y donne sa propre
définition des peuples autochtones :
57 Réunion internationale d'experts sur
l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples,
UNESCO, Paris 2730 novembre 1989, SHS-89/CONF.602/7, p.8
64
« Les peuples autochtones (Indigenous
Peoples) sont identifiés dans des zones géographiques
particulières par l'existence à des degrés variables des
caractéristiques suivantes : a) le ferme attachement aux
territoires ancestraux et aux ressources naturelles de ces zones ; b)
l'auto-identification et l'identification par les autres comme des membres
d'un groupe culturellement distinct ; c) une langue autochtone
(indigenous language) ; d)
l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières ; et
e) un mode de production principalement orienté vers la
subsistance » 58.
Elle vise ici les « peuples autochtones », parlant
de la nécessité de les protéger contre les projets de
développement qui pourraient leur nuire, tout en permettant de
s'associer à ceux qui leur conviennent.
En outre une année puis deux décennies
internationales leur ont été consacrées, le but
étant de « renforcer davantage la coopération internationale
aux fins de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples
autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la
santé, les droits de l'homme, l'environnement et le développement
économique et social, au moyen de programmes orientés vers
l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et
d'activités normatives en la matière » .
Le droit international ayant parfois une portée et des
implications limitées, un tel bilan pourrait sembler dérisoire.
Pourtant, la décennie internationale a contribué à changer
les mentalités à l'égard des peuples autochtones et
à rendre visible leurs problèmes tout en contribuant à en
faire des acteurs de leur avenir par une participation efficace et
dorénavant reconnue. Le droit semble donc être le seul outil
à la disposition de la communauté internationale, des
États et des communautés autochtones elles mêmes pour
établir un lieu de dialogue et de reconnaissance.
L'intensification des relations sociales planétaires a
ouvert un nouvel espace politique pour ces peuples autochtones, et a ainsi
instauré un nouveau rapport de force avec les sociétés
nationales. Il n'est pas possible pour l'ONU d'obliger un État à
résoudre directement le litige que soulève une organisation
autochtone, mais la verbalisation de celui ci sur la scène
internationale peut conduire l'État à trouver des solutions.
C'est pour cette raison que le dialogue onusien s'est intensifié dans
les années 1990. Ce partenariat d'un genre nouveau se construit sur la
scène onusienne qui représente sans doute la forme la plus
politique de la communauté internationale.
58 World Bank Operationnal Manual, Operationnal Directive
4.20, Septembre 1991
65
Les peuples autochtones « ont fait leur place à
l'ONU » en s'appropriant le Groupe de Travail pour qu'il ne soit pas
seulement un lieu de discussion avec les experts et les représentants
des États, ou une tribune où ils peuvent présenter leurs
doléances, mais pour qu'il soit aussi un outil politique identitaire. Le
Groupe de Travail est ainsi devenu, selon la métaphore d'Arjun
Appadurai, célèbre anthropologue indien, un lieu essentiel du
« paysage autochtone ». Les peuples autochtones sont, chacun, le
porte-parole d'un « local » dont ils véhiculent, dans leurs
déclarations, des images et des valeurs. C'est ainsi que se construit au
niveau international l'autochtonie 59.
Soutenues sur le plan financier par divers Fonds de
contribution, les organisations autochtones ont su exploiter la dynamique du
forum pour se construire comme des représentants légitimes
capables de proposer un modèle alternatif à une gouvernance qui
les exclue. D'une manière générale, la raison de
l'entrée des peuples autochtones sur la scène internationale est
de participer à la contestation d'un modèle global dans lequel
ils se sentent totalement écrasés.
Par leur constante implication dans les mécanismes
onusiens, les représentants autochtones sont devenus « partenaires
» des États, mais ces derniers demeurent les véritables
« maîtres » du jeu puisqu'ils détiennent le pouvoir de
décision. On observe donc un « décalage entre la
scène internationale qui avance à grands pas dans la prise en
compte des perspectives autochtones en raison de la participation des
représentants non étatiques qui ont su construire une
véritable expertise, et les scènes nationales dans lesquelles les
bases sociales du mouvement international évoluent à un rythme
différent dans les cinq continents concernés par la
présence autochtone » 60.
Cet enjeu du partenariat et de l'égalité
s'incarne dans la volonté autochtone de se voir reconnaître le
statut de « peuples », afin de jouir du droit internationalement
reconnu à l'autodétermination.
Pour parvenir à leurs fins, les autochtones ont
progressivement imposé deux modalités de participation :
· La première concerne le principe de
l'assemblée générale (caucus) qui attire
quotidiennement l'ensemble des organisations autochtones présentes pour
discuter des problèmes à l'ordre du jour, sous une
présidence bicéphale, à double parité de genre et
de langues. Contrairement aux états, le Caucus s'entend sur un certain
nombre de concepts de base mais il n'est pas exempt de conflits et de
dissensions.
· La seconde est le principe de la décision par
consensus, par lequel rien ne peut être adopté
59 MORIN Françoise, « L'ONU comme creuset de
l'Autochtonie » , Parcours
Anthropologiques, n°5, p. 40
60 BELLIER Irène, « La participation des peuples
autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence
institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et
pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.2
66
sans l'assentiment actif ou passif de la totalité des
organisations présentes, ce qui donne force à la voix autochtone
et conforte le sentiment de son unité.
Tous les autochtones ne participent pas non plus aux travaux
de l'ONU. En effet, certains manquent de moyens financiers pour assurer une
représentation égale à celle des États, et les
réglementations onusiennes limitent l'accès à la plupart
des instances de l'ONU aux organisations accréditées par le
Conseil Économique et Social.
Aujourd'hui il apparaît que les États, les
Organisations internationales, ou encore les multinationales partagent la
qualité de sujets de droit international avec les peuples. Selon R-J
Dupuy « le peuple, titulaire de droits, sinon de devoirs », est
« en train de devenir - si ce n'est déjà fait - un 'sujet'
de droit international » 61. Néanmoins, subsiste
toujours un conflit entre les différentes interprétations du mot
« peuple » : les États défendant leur
intégrité territoriale considèrent
généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique
; tandis que les mouvements séparatistes de certaines minorités
nationales considèrent les communautés (linguistiques,
religieuses ou autres) qu'ils affirment représenter, comme des peuples
à part entière et revendiquent leur droit à
l'autodétermination.
L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones a conduit à la formulation
rhétorique de l'identité globale peuples autochtones, en tant que
sujets de droits. « Elle configure un nouvel imaginaire, en postulant une
égalité de traitement entre ces derniers et les peuples (à
État) des Nations unies, via la reconnaissance de droits collectifs dans
le respect du droit international (art. 46) » 62.
Voyons donc comment le droit des peuples autochtones a
évolué depuis son émergence dans les années 1970,
jusqu'à constituer un champ d'activité international aux formes
d'interactions multiples.
2) L'identité transnationale autochtone
Confronté à une forte marginalisation
politique, les peuples autochtones se sont organisés à plusieurs
niveaux en construisant des identités interethniques voire
transnationales. L'inscription
61 R-J DUPUY, « Communauté internationale et
disparités de développement », La Haye, Martinus
Nijhoff, 1981
62 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux
Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
», Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.78
67
des acteurs autochtones dans une forme de démocratie
transnationale induit une dynamique politique de transformation des situations
de négociation tant dans le cadre des grandes conférences
onusiennes, qu'au niveau local. Cette notion de démocratie participative
nourrit une demande profonde de mutation des rapports de forces locaux, avec
pour objectif de faire évoluer les systèmes politiques et
juridiques dominants.
Les peuples autochtones du monde ont, en effet,
progressivement entrepris un processus de résistance qui s'exprime
à l'occasion des diverses rencontres ou forums organisés en vue
de délégitimer l'ordre libéral mondialisé et de
proposer des alternatives. Les voix de ces peuples s'y sont faites entendre et
ils ont pu acquérir un statut de négociateurs à part
entière non seulement avec les organisations non gouvernementales mais
aussi directement avec les gouvernements. En même temps, les processus de
destruction des communautés autochtones, qu'ils soient
génocidaires, ethnocidaires ou écocidaires, les ont
obligés à s'organiser et à développer des
propositions alternatives fondées sur le concept de l'unité dans
la diversité. Les peuples autochtones ne demandent donc rien d'autre que
d'être les principaux acteurs de leur propre construction sociale,
expression de leur droit fondamental à l'autodétermination
63.
L'entrée des peuples autochtones à l'ONU a
scellé le début d'un processus d'institutionnalisation
fondamental pour la construction d'une voix collective. Cet espace de parole a
été organisé par les représentants autochtones, qui
se posent en acteurs doués d'autonomie réflexive pour construire
les moyens de la reconnaissance comme « peuple » en droit
international. Le groupe de travail de l'ONU a constitué d'ailleurs un
lieu essentiel pour les rencontres transnationales, l'échange
d'informations et, finalement, la création d'une identité
autochtone mondiale. Celle-ci prend la forme d'une « communauté
imaginée transnationale » 64 sous le signe de laquelle les
dirigeants du monde entier partagent leurs problèmes, leurs
revendications, et réaffirment leur « identité autochtone
» .
L'institutionnalisation internationale de la cause des
peuples indigènes est perceptible à la fois dans la
multiplication des normes internationales, les financements disponibles et les
réunions interagences. Elle oblige aujourd'hui à prendre en
compte une arène complexe à laquelle participent des acteurs
étatiques, des organisations intergouvernementales et des experts de la
cause autochtone. Ces systèmes de réseaux transnationaux
militants sont appelés des « champs
63 GESLIN Albane, « La protection internationale des
peuples autochtones : de la reconnaissance d'une identité transnationale
autochtone à l'interculturalité normative » , Annuaire
français de droit international ; vol. 56 (2010), p.
665
64 DUMOULIN David, « Les réseaux transnationaux de
défense des populations autochtones : évolution des alliances et
dilemmes d'institutionnalisation », Colloque SEl « Les
solidarités transnationales », 21-22 Octobre 2003 ; p. 3
68
globalisés » dans la mesure où la
focalisation sur un problème commun et leurs interactions multiples
tendent à mieux définir les acteurs que leurs divisions nationaux
/ internationaux, gouvernementaux / non-gouvernementaux, experts / militants.
Cette notion aide à voir les conflits puisqu'il s'agit d'un champ de
position ou les acteurs ne s'entendent pas toujours sur la définition du
« problème indigène ». Ce fonctionnement se retrouve
dans les cas de l'institutionnalisation internationale d'autres
thématiques militantes, comme le montre par exemple une comparaison
entre les logiques d'action qui gouvernent aujourd'hui le champ indigène
et celui de la protection de l'environnement 65.
Pour construire un espace politique commun, encore faut il
reconnaître l'autre. L'enjeu n'est pas de tenter de masquer les
différences existant entre les peuples autochtones au nom d'une commune
vision du monde, il est celui de l'altérité. « Identifier
» c'est, étymologiquement, faire du même, rendre semblable.
« Reconnaître » c'est poser comme déjà connu,
sans l'a priori d'un projet d'assimilation. L'enjeu est donc de porter
les valeurs communes de ces peuples sur la scène internationale pour la
reconnaissance de leurs existence et de leurs droits.
La cause des peuples autochtones est un des domaines par
excellence de la solidarité transnationale, où des militants des
pays du Nord défendent des victimes lointaines oppressées par
leurs États. Prise dans le sens de collaboration entre organisations
indigènes par-delà les frontières, la notion de
solidarité nationale doit être encore étendue pour parvenir
à saisir l'influence du contexte institutionnel ainsi que
l'évolution des alliances stratégiques et des cibles de ces
réseaux militants. Ainsi, selon David Dumoulin, doctorant à l'IEP
de Paris :
« La recherche d'efficacité dans l'action
transnationale oblige à étudier comment la mise en scène
de l'identité indigène, la définition du
«problème indigène», et les répertoires d'action
peuvent évoluer suivant les époques et des pays. De nombreux
autres acteurs doivent ainsi être pris en compte pour comprendre la
trajectoire d'ensemble de l'internationalisation de la cause indigène
» 66.
Cette solidarité se traduit en deux volets : des
collaborations entre organisations indigènes qui parviennent à
créer une nouvelle « identité autochtone » au niveau
mondial, et des collaborations très dynamiques entre organisations
indigènes et « ONG de soutien » qui épousent la cause
des premières 67.
La construction de solidarités transnationales est
donc profondément stratégique, puisque des
65 Jbid ; p. 9
66 Jbid ; p. 5
67 Jbid ; p. 2
collaborations doivent se tisser entre acteurs dont les
objectifs ultimes sont différents radicalement différents. Elle
doit être perçue comme une instrumentalisation réciproque,
car les acteurs internationaux ont besoin de la légitimité
indigène.
Aujourd'hui cependant, la dimension proprement transnationale
et militante n'est plus qu'une des logiques d'action de ce qui est devenu un
champ globalisé où se confrontent des acteurs de
différents statuts.
Il convient dès lors d'illustrer nos propos par la
présentation d'un exemple concret : le traitement des autochtones sur le
territoire australien.
C) Le processus de reconnaissance des Aborigènes
dans la société australienne (de l'intégration à la
réconciliation)
Les peuples autochtones océaniens présentent la
caractéristique d'avoir été formellement reconnus
indépendants sur leurs territoires avant d'être
dépouillés de leurs attributs en tant que peuples souverains.
Nous allons donc nous intéresser au traitement des
communautés autochtones sur le territoire australien. Leurs
revendications ont en effet été à l'image de la
mobilisation autochtone, et ont émergé dans les années
1960 avant de se répercuter sur la scène internationale avec la
reconnaissance de représentants autochtones au sein du Conseil
économique et social. Nous traiterons donc de l'assimilation et
l'intégration des aborigènes au sein de la société
australienne (i.) puis de leur reconnaissance
institutionnelle (ii.), avant d'en aborder
les enjeux et les limites (iii.).
i. Assimilation et intégration des
aborigènes au sein de la société
australienne
Il s'agit ici de traiter du contexte historique qui a vu
naître les premières relations entre colonisateurs et habitants
(1.), avant de s'intéresser à la
période d'Assimilation des Aborigènes au sein de la
société australienne (2.).
69
1) Le contexte historique
70
« Aborigène » est un terme technique qui
signifie « depuis le début ». En
réalité, il désigne des peuples comme étant les
« premiers peuples » d'une région ou d'un endroit
donné. L'Australie n'a pas adopté irrévocablement une
définition définitive des « peuples autochtones », que
ce soit dans sa législation nationale ou en droit international.
Une définition a été donnée par
la Cour suprême de l'Australie, qui figure dans le
Commonwealth
of Australia and Anor.v State of Tasmania (1983) 46 ALR
625 at 817, et dont les critères figurent
également dans la définition qui a
été donnée par M. Cobo en 1983. On peut y lire ce qui suit
: « Par 'Australien aborigène' j'entends (...) une
personne d'origine aborigène, même
partiellement, qui s'identifie comme telle et qui est reconnue par la
communauté aborigène comme faisant partie de cette
communauté ». (Deane J.)
En 1770, lorsque James Cook pris possession de l'Australie au
nom de la couronne d'Angleterre, sa mission était de rechercher un
nouveau continent à l'ouest de la Nouvelle Zélande. Cette mission
fut un succès, et Cook, après avoir rencontré pour la
première fois les natifs du pays, ceux qu'il appela les « bons
sauvages », planta le drapeau britannique, en signe de prise de
possession du territoire, sur la côte orientale de l'Australie et la
baptisa Nouvelle Galles du Sud. À l'époque, un racisme fort
s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long
du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle
à l'expansion britannique, et furent donc violemment chassés de
leurs terres.
La colonisation en Australie n'a pas été
pacifique, et les Aborigènes n'en n'ont pas été les
victimes passives. Ils ont en effet su développer au fil du temps des
formes de résistance et d'opposition politique et culturelle devant
l'usurpation de leurs terres.
La doctrine qui prévalait au XVIIIe siècle,
était celle de la terra nullius (terres n'appartenant à
personne) qui autorisait les colonisateurs à acquérir un
territoire habité dès lors qu'ils jugeaient l'organisation
sociale des populations indigènes trop primitive. C'est ainsi que la
couronne britannique s'empara de l'Australie, les aborigènes
étant considérés comme des peuplades primitives, qui ne
possédaient aucun lien avec la terre. Cette doctrine avait donc pour
effet immédiat d'affirmer les droits exclusifs de la Couronne devenue,
par la prise de possession, l'unique propriétaire foncier en
Australie.
Auparavant, selon la conception du common law, le
Droit anglais avait seul vocation à s'appliquer dans les colonies de la
Couronne, ces « Terres de peuplement » aux sociétés
considérées comme archaïques. L'Australie fut classée
dans cette catégorie, et dès lors les droits subjectifs des
Aborigènes furent niés, et leurs biens considérés
comme des res nullius. Le pays fut donc considéré
comme une colonie de peuplement dont l'existence était
fondée sur un acte unilatéral de prise de possession. Une fois
devenue une colonie de peuplement anglaise, l'île resta très
fermée et ne connut qu'une faible expansion démographique. Cela
peut s'expliquer par une politique d'immigration très restrictive
appliquée par la Couronne, qui voulait faire de l'Australie une sorte de
nouveau royaume anglo-saxon.
Du fait des théories de Darwin sur l'évolution
de l'espèce humaine, et de la forte influence du mouvement
évangélique à la fin du XVIIIe siècle, qui
condamnait l'idée du bon sauvage, il fut impossible d'éviter le
racisme et ses conséquences socio-culturelles. L'opinion publique en
Angleterre voyait en ces êtres des spécimens incapables
d'être civilisés et ne s'émouvait guère de leur
sort. Ainsi l'on va considérer que l'aborigène est, par essence,
incapable d'accéder à la civilisation blanche et protestante,
l'infériorité étant inscrite dans sa nature. Le
développement de la colonie se fera donc sans l'aborigène qui
restera enfermé dans ses traditions ancestrales. Les Aborigènes
sont d'ailleurs considéré comme un peuple en voie d'extinction,
dont il faudrait assouplir la disparition.
Plus tard, en 1787, le Parlement britannique décide de
faire de ce pays une colonie pénitentiaire : l'Australie devint
dès lors une terre d'exportation des bagnards. Le pays a servi de
colonie pénale entre 1788 et 1868, recevant plus de 160 000
condamnés, originaires pour l'essentiel des îles Britanniques. Le
capitaine Arthur Phillip, réaffirmant la souveraineté
britannique, devint le premier gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud. Il
reçut d'ailleurs comme instructions de lier d'amitié avec les
indigènes présents sur le territoire.
Au début du XIXe, plusieurs tentatives d'approches,
menées par le Gouverneur à qui il revenait de gérer les
relations avec les Aborigènes, se révélèrent
infructueuses. Après les échecs successifs d'Arthur Phillip, le
gouverneur Macquarie essaya en 1816 de sédentariser les
Aborigènes en leur proposant des parcelles de terre. Ce fut là le
début de la politique d'assimilation, censée mener les
Aborigènes vers la « civilisation ». Deux protectorats furent
mis en place après la production d'un rapport sur la situation des
Aborigènes dans les colonies qui reconnaissait la dépossession de
leurs terres, et préconisait qu'ils soient protégés et
éduqués. L'objectif de ces protectorats était de
rassembler les différentes communautés en un lieu paisible pour
les protéger du comportement des colons. Cette pratique
ségrégationniste va se solder par un échec, et va se
révéler être extrêmement préjudiciable pour la
préservation de l'identité culturelle des Aborigènes.
71
A la fin du XIXe siècle, après avoir chassé
les Aborigènes des terres les plus fertiles, le
72
gouvernement commença à créer des
réserves où l'on parqua les survivants. Les Aborigènes
furent placés sous la tutelle du gouvernement ou des missions
religieuses. Une nouvelle politique fut menée à l'égard
des Aborigènes de « sang pur », les parquant dans les
réserves, tandis que les Métis et les enfants étaient
exclus de celles ci. Cette politique visait à faire disparaître
avec les Aborigènes de pure souche les souvenirs de la
dépossession de leurs terres, de façon à ce que les
Métis soient assimilés plus facilement. Cette politique fut
qualifiée de « protection » et des fonctionnaires
furent nommés « protecteurs » pour régir et
contrôler la vie et la localisation de ces tribus autrefois nomades.
Le 1er janvier 1901, la nouvelle Constitution australienne va
prendre effet, et marquer une étape importante de l'Histoire
australienne : la Fédération, avec son gouvernement
installé provisoirement à Melbourne. Les six colonies, la
Nouvelle-Galles du Sud (le premier État, fondé en 1788), la
Tasmanie (fondée en 1824 sous le nom de Van Diemen's Land),
l'Australie-Occidentale (1829), l'Australie-Méridionale (1836), le
Victoria (1851) et le Queensland (1859), décident donc de s'unir pour
former une fédération.
N'ayant pas pris part à l'élaboration de ce
processus, les Aborigènes étaient une nouvelle fois exclus, bien
qu'ils possédaient le droit de vote dans certains États comme la
Nouvelle Galles du Sud, l'Australie-Méridionale, la Tasmanie et le
Victoria. Le texte de la Constitution de 1901 excluait les Aborigènes de
la fédération, ces derniers n'apparaissant que dans deux
brèves références :
· Le Placitum 26 de la section 51 donnait au Parlement
du Commonwealth le pouvoir de légiférer pour les personnes de
toutes les races, « à l'exception de la race aborigène, et
ce dans tous les États ».
· La section 127 excluait, elle, les Aborigènes
des recensements, ce qui témoignait du statut humiliant qui leur
était réservé.
La nouvelle nation affirme en outre avec force son
identité « blanche », et le Parlement fédéral
adopte cette même année l'Immigration Restriction Act qui
vise à prévenir l'immigration d'une main d'oeuvre bon
marché asiatique ou « de couleur ».
Toutefois, le besoin de main d'oeuvre va faire naître
une nouvelle politique d'immigration, ouvrant les frontières aux
ressortissants de l'Europe de l'Est, ainsi qu'aux méditerranéens
Italiens et Grecs. N'ayant pas pris part à l'élaboration du
processus fédéral, les Aborigènes ne sont guère
concernés par cette nouvelle organisation politique. Ils ne sont donc
pas considérés comme des citoyens de la Fédération
des États d'Australie, et subissent la même politique
ségrégationniste basée sur des
73
critères racistes.
Au cours des années qui suivirent, la situation
évolua et en 1936 fut pour la première fois posée la
question du contrôle fédéral des affaires aborigènes
lors de la réunion des Premiers 68 à
Adélaïde, qui sera suivie d'une autre conférence
l'année suivante. Après s'être interrogé sur
l'augmentation croissante de la population Aborigène et sur la place des
métis dans la société, le gouvernement en arrive à
la conclusion que les Aborigènes de pure souche doivent rester dans les
camps, mais les métis doivent être absorbés dans la
communauté blanche. Ainsi les autorités semblaient espérer
l'extinction des Aborigènes de pure souche, et la décoloration
des métis en les mêlant à la population, en
général blanche.
C'est au cours de la 2e Guerre mondiale que la condition
aborigène connaît ses premières avancées. Le
gouvernement fédéral étend en effet peu à peu ses
aides sociales à certains Aborigènes, comme les « non
nomades » à partir de 1941, ou les femmes aborigènes en cas
de grossesse ou de veuvage à partir de 1942. Les Aborigènes ayant
servi pendant la guerre se voient octroyer le droit de vote à partir de
1943, et en 1949 le Commonwealth Electoral Act est amendé afin
d'étendre le droit de vote aux élections du Commonwealth à
ceux qui ont déjà le droit de vote aux élections locales
de leur État. Bien qu'ayant accédé à la
citoyenneté australienne depuis 1948, ils restent très largement
exclus de la vie politique et continuent d'occuper les positions les plus
basses de l'espace social.
À partir des années 1950, les Australiens ont
commencé à repenser leur attitude à l'égard des
questions raciales. Un mouvement pour les droits des autochtones fut
créé et une campagne contre la politique de l'Australie blanche
fut également lancée.
À la fin des années 1960, va apparaître
un mouvement pour la défense de leurs droits fonciers. La doctrine
Terra Nullius niant toute appropriation du sol, n'était que la
conséquence d'un principe plus général : l'absence de
personnalité juridique reconnue aux Aborigènes. C'est pour cette
raison que le gouvernement fit le choix de les assimiler au sein de la
société dominante.
2) La période d'assimilation
C'est dans les années 1950 que les législateurs
lancèrent le programme d'« assimilation » qui
68 Premier désigne le chef de gouvernement d'un
État
74
devait amener les Aborigènes à « obtenir
dans le futur le même mode de vie que les autres australiens ».
Le gouvernement fédéral était alors
confronté à un problème : l'augmentation croissante de la
population Aborigène qui pouvait constituer un « péril noir
».
Selon A. O. Neville, protecteur en chef des Aborigènes en
Australie-Occidentale :
« Les différents États créent
des institutions pour le confort de la race aborigène et cette politique
a pour conséquence d'augmenter la population aborigène. Quelle
sera la limite ? Aurons-nous une population d'un million de noirs dans le
Commonwealth, ou allons-nous les mélanger à la
communauté blanche et oublier au bout du compte qu'il y a eu
des Aborigènes en Australie ? » 69
Ainsi, en favorisant les mariages avec des européens,
on éliminerait progressivement toute population de couleur. L'objectif
était de faire des Aborigènes des citoyens « utiles »,
c'est à dire des citoyens actifs dans le système
économique et non dépendants dudit système, en
prétendant les élever au même rang que leurs concitoyens
blancs. Les autorités semblaient donc compter d'une part sur
l'extinction des Aborigènes de pure souche, et de l'autre semblaient
espérer une décoloration des métis en les mêlant
à la population générale. Cette politique qui envisageait
l'octroi des droits de citoyenneté, a également
nécessité la suppression de l'identité culturelle
70.
Les différentes administrations se mirent d'accord sur
une certaine uniformité dans leurs législations et
exprimèrent leur préférence pour l'emploi du terme «
Native » tel que défini dans le Native Administration
Act 1905-1936 de l'Australie-Occidentale.
Selon les directives officielles, les Aborigènes de
sang pur devaient être confinés dans des réserves, et
privés de la plupart des droits civiques. D'autre part, l'existence d'un
nombre important de métis représentait une menace pour
l'idéal d'une Australie blanche. Le gouvernement décida donc
d'arracher les enfants métis à leurs mères pour les
élever dans des orphelinats où ils pourraient être
assimilés à la population blanche en rompant les liens avec leur
culture d'origine. Les enfants métis étaient enlevés par
des fonctionnaires des services sociaux, aidés lorsqu'il le fallait des
forces de police. Les conditions de vie dans les camps d'Aborigènes
étaient pénibles et carcérales, punitions corporelles et
sévices sexuels étant fréquents.
En réalité, cette politique a conduit à
de nombreux abus, et nombre de ces enfants, appelés les «
générations volées », se retrouvèrent
marginalisés et stigmatisés, et donc incapables d'obtenir une
place digne dans la société australienne. Cette formule
désigne les victimes des enlèvements
69 Commonwealth of Australia, Aboriginal
Welfare.
70 The First Australians: A Fair Deal for a Dark Race
par SBS TV 2008.
75
arbitraires qui furent commis légalement sur une base
raciale à l'encontre de milliers d'enfants issus du métissage.
Cette expression est un rappel constant de la politique d'Assimilation de
l'Australie aborigène noire par l'Australie blanche et, par
conséquent, des inégalités sociales accentuées par
ces politiques.
Pour la grande majorité de ces enfants, les
dégâts ont été irrémédiables :
impossibilité et incapacité à trouver une place, que ce
soit dans la société blanche qui les rejette ou dans la
société aborigène qui ne les reconnaît plus
puisqu'ils ont été privés des codes sociaux qui
régissent les tribus aborigènes. Parfois même s'ajoute une
impossibilité de communiquer autrement qu'en anglais, dans la mesure
où les enfants enlevés ont été forcés
à ne plus utiliser leur dialecte.
Ces actes sont reconnus par la majorité de la classe
politique australienne comme l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire
du pays. En 1997, un rapport intitulé « Bringing them home
» 71 détaille l'histoire de ces pratiques, publie des
témoignages, et suggère qu'environ cent mille enfants
appartiennent aux « générations volées ». Le
rapport révèle en outre que les enfants aborigènes
placés dans des institutions ou familles d'adoption se virent souvent
interdits de pratiquer leur langue, l'idée étant de les couper
définitivement de leurs racines culturelles aborigènes.
D'après ce même rapport, 17 % des filles et 8 % des garçons
des « générations volées » furent victimes
d'abus sexuels au sein des institutions d'accueil et des familles d'adoption
72.
Le rapport révèle en outre que les enfants
« volés » ont en moyenne, par la suite, connu un taux
d'éducation légèrement plus faible que les enfants
aborigènes qui n'avaient pas été retirés à
leurs parents, un taux de chômage légèrement plus
élevé, et un taux d'incarcération pour crimes et
délits trois fois plus élevé 73.
Ainsi, à partir de 1950, chaque État australien
disposait d'un arsenal législatif permettant à la police et aux
agences gouvernementales d'enlever les enfants métis de la
communauté aborigène, et de les confier à des institutions
spécialisées.
L'idée d'une assimilation des Aborigènes est
ravivée dans les années cinquante par le Ministre des Territoires
Paul Hasluck. Constatant que plus de deux tiers des Aborigènes vivaient
en contact direct avec le monde européen, il prône une certaine
avancée sociale de l'ensemble de ces individus dans la
société australienne :
« Leur avenir se situe en association avec nous, et
ils doivent s'associer à nous sur des normes qui leur donneront une
opportunité de vivre dignement et heureux ou ils seront réduits
au statut social de parias et de proscrits vivant sans une place stable dans
la
71 « Bringing them Home: The "Stolen Children" report
», 1997
72 « Bringing them Home », « 10 Childrens
Experiences » , 1997
73 « Bringing them Home », « Introduction »
, 1997
76
communauté. En d'autres termes, soit nous
permettons cette plaie sociale, soit nous y remédions »
74.
C'est à son initiative que va se tenir la Native
Welfare Conference à Canberra les 3 et 4 septembre 1951, au cours
de laquelle va être adopté cette nouvelle politique d'assimilation
pour tous les Aborigènes.
« Assimilation signifie en termes pratiques qu'au
cour du temps, il est attendu que toutes les personnes de sang aborigène
ou de sang-mêlé, en Australie vivront comme des Australiens.
L'acceptation de cette politique gouverne tous les autres
aspects de l'administration des affaires indigènes (natives) »
75.
Depuis cette conférence la politique d'assimilation
est associée à l'idée d'une avancée sociale et de
droits égalitaires pour les Aborigènes. Mais dans la
réalité, ces derniers continuent d'être une
catégorie à part, et l'essentiel des législations de
ségrégation reste en vigueur. L'Australie était à
cette période un État raciste pratiquant ouvertement la
discrimination envers ses populations indigènes, et le contrôle
sur leur vie restait très oppressif.
Nous allons donc nous intéresser à la
reconnaissance progressive des populations indigènes au sein de la
société australienne.
ii. La reconnaissance institutionnelle des
aborigènes dans la société australienne : de
l'intégration à la réconciliation
Nous allons ici nous intéresser à
l'évolution progressive du traitement accordé aux population
indigènes par le gouvernement australien. Pour cela, il s'agit de
traiter de la période d'intégration des Aborigènes au sein
de la société dominante (1.), avant
d'aborder la révolution judiciaire engendrée par l'arrêt
Mabo (2.).
74 « Their future lies in association with us, and they
must either associate with us on standards that will give them full opportunity
to live worthily and happily or be reduced to the social status of pariahs and
outcasts living without a firm place in the community . In other words, we
either permit this social evil, or we remedy it » ; HASLUCK, Native
Welfare
75 « Assimilation means in practical terms that in the
course of time, it is expected that all persons of aboriginal blood or mixed
blood in Australia will live like Australians. The acceptance of this policy
governs all other aspects of native affairs administration » HASLUCK,
Native Welfare
77
1) La période d'intégration des
Aborigènes
L'idée d'un droit des autochtones à
l'autodétermination apparaissait déjà dans les
années 1960 accompagnant la revendication de droits de
citoyenneté et de droits fonciers.
À partir de 1962, les politiques autochtones
contemporaines laisseront transparaître la volonté
d'acquérir une certaine autonomie politique, administrative,
socio-économique et culturelle.
Ces politiques doivent donc être perçues comme
la preuve de l'échec de l'assimilation structurelle, et à la fois
comme son produit. En effet, la plupart des leaders aborigènes avaient
bénéficié d'une éducation de type occidental, leur
permettant d'utiliser des concepts, des outils et des arguments politiques
directement issus de la tradition politique occidentale 76.
En 1966, le peuple Gurindji dirigé par Vincent
Lingiari organisa une grève contre leurs mauvaises conditions et
rémunérations. Ce qui était à l'origine un
problème de salaire devint très vite une réclamation pour
la récupération des terres traditionnelles.
La grève Gurindji a été l'un des
premiers mouvements pour les droits fonciers autochtones à obtenir un
large soutien. Elle fut un tournant important et un symbole essentiel de la
lutte pour les droits fonciers autochtones en pleine émergence. Neuf
longues années plus tard, la demande Gurindji aboutit : en 1975, le
terrain fut remis à la population par le premier ministre Gough
Whitlam.
En 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, eu
lieu un important référendum en vue d'inclure les
Aborigènes dans le recensement national. Il donna lieu a un vote massif
approuvant la modification de la Constitution, en supprimant les
références discriminatoires et en donnant au Parlement
fédéral le pouvoir de légiférer
spécifiquement pour les Australiens autochtones. Le
référendum fut approuvé par plus de 90 % de la population.
Il ne s'agissait pas de leur donner le droit de vote : ils l'avaient
déjà en théorie dans la plupart des États (sauf
dans le Queensland et l'Australie-Occidentale), même si ce droit
n'était pas toujours effectif car ils participaient rarement aux
scrutins.
La période 1966-1972 ne doit pas pour autant
être perçue comme le véritable début d'une politique
d'autodétermination. En effet, pour les différents gouvernements
libéraux qui se succédèrent, la défense des
velléités autochtones ne constituait pas une priorité.
Cette période de transition qui a
76 Paul HASLUCK, Shades of Darkness : Aboriginal
Affairs 1925-1963, Melbourne University Press,1998, pp. 139-141
78
suivi le référendum de 1967 fut baptisée
par certains analystes « période
d'intégration ». Ce référendum fut
très important pour les communautés aborigènes et obtint
l'appui de plus de 90% des électeurs.
Peu après vont être élus bon nombre
d'Aborigènes à des postes importants, comme Neville Bonner qui
devint, en 1971, le premier membre indigène du Parlement
fédéral, ou encore Ernie Bridge qui fut le premier membre
indigène du parlement d'Australie-Occidentale en 1980. La loi issue de
ce référendum donna au gouvernement fédéral un
pouvoir législatif en matière de questions aborigènes, les
États étant dans l'obligation de fournir aux Aborigènes
les mêmes services qu'aux autres citoyens. À cette occasion fut
créé le « Department of Aboriginal Affairs »
(Ministère des Affaires Aborigènes) dont les buts étaient
de définir les besoins spécifiques des Aborigènes et de
garantir leur application sur le plan législatif.
Vers la fin des années soixante, la politique de
l'Australie blanche commença d'être assouplie. C'est dans cette
même période que les aborigènes se mirent à militer
pour leurs droits. Avec l'accession de Gough Whitlam au poste de premier
ministre en 1972, fut inaugurée une politique de multiculturalisme,
ayant pour objectif de permettre aux minorités ethniques de
préserver leur patrimoine culturel au sein de la société
australienne. Whitlam prit donc les premières mesures pour satisfaire la
principale revendication des aborigènes : la récupération
de leurs terres ancestrales dont ils avaient été
dépossédés pendant la colonisation. Considérant la
question aborigène comme « le problème central sur lequel
l'Australie sera jugée par le reste du monde », Whitlam va donc
accorder une importance nouvelle à la politique
d'autodétermination, soutenue par la mise en place d'une bureaucratie
aborigène.
Le 26 janvier 1972, un groupe d'activistes inaugura une
« ambassade aborigène » en montant une tente devant le
parlement à Canberra. À l'époque leur revendications
portaient sur la reconnaissance du droit à la propriété
des terres traditionnelles, mais par la suite le discours s'élargit et
la « Tent embassy » est devenue le symbole de toutes les
causes aborigènes.
Le problème avec les Aborigènes était,
à l'époque, culturel, l'État contrôlant la
répartition des aides. C'est alors que ceux ci ont commencé
à développer leurs propres programmes de santé, de
services juridiques, ou encore d'assistance sociale et sanitaire. Soutenant ce
mouvement, le gouvernement va nommer plusieurs Aborigènes à de
hauts postes du Department of Aboriginal Affairs, et va
également constituer la Commission des Aborigènes et des peuples
des îles du Détroit de Torres (ATSIC), organisme
chargé de gérer le budget des activités essentielles pour
leurs peuples,
79
et composé d'Aborigènes élus par leur
propre communauté.
Certains ont fait valoir qu'il s'agissait d'une forme
d'autodétermination ou représentait, à tout le moins, une
première étape vers l'autodétermination car on accordait
aux Aborigènes un statut d'autonomie. Cependant, d'autres ont fait
valoir que ce n'était pas suffisant, tout simplement parce que le
gouvernement fédéral conservait et parfois exerçait son
pouvoir sur les communautés autochtones et sur l'ATSIC.
En novembre 1975 le gouverneur général, Sir
John Kerr destitue Whitlam en profitant d'une crise constitutionnelle
inédite due à la montée des oppositions internes et
externes, et convoque de nouvelles élections. Le successeur de Whitlam,
Malcom Fraser, bien que conservateur, ne revint pas sur les transformations
engagées par le précédent gouvernement. Il y a même
une certaine continuité dans de nombreux domaines, tels que le
multiculturalisme, l'immigration ou encore les affaires aborigènes. Ce
mouvement va se poursuivre avec les gouvernements travaillistes de Bob Hawke
arrivé au pouvoir en 1953, et de son ministre des Finances Paul Keating
qui lui succède en 1991. Hawke sera pourtant contraint par le lobby
minier à renoncer à la politique de droits fonciers qu'il avait
annoncée pour les Aborigènes.
À partir de 1976, le gouvernement australien va
entreprendre la restitution partielle de terres à de nombreux
Aborigènes. Ils sont pour la plupart concentrés dans les
régions septentrionales du pays, se rassemblant dans des réserves
appelées « communautés », et subissent les
fléaux de l'alcool et de l'acculturation. Cette même année,
le gouvernement produit l'Aboriginal Land Rights
Act (Northern Territory), (Loi sur les Droits fonciers des
Aborigènes dans le Territoire du Nord), qui définit les droits
fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord, où se situent
une bonne partie des communautés autochtones.
Avec l'arrivée du Parti travailliste au pouvoir en
1983, va se développer l'idée de réconciliation entre
Aborigènes et non-Aborigènes. Cette réconciliation pouvait
se révéler être un moyen d'accompagner les
Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de
l'État, et requérait donc de la société dominante
qu'elle offre aux Aborigènes « un développement
socio-économique, des droits fonciers, une garantie de justice, une
admission des méfaits de la colonisation et une reconnaissance de leurs
peuples comme premiers peuples australiens » 77
77 Voir les discours de Robert HAWKE, 1984 ; Voir aussi :
Department of the Prime Minister & Cabinet - Clyde Holding devant la
Chambre des Représentants, 8 décembre 1983
80
Il faudra attendre 1992 pour que le débat sur les
droits fonciers autochtones soit relancé. C'est au gouvernement Keating
qu'il reviendra de répondre au problème du Titre Indigène
soulevé par une nouvelle décision juridique qui ébranla
l'Australie.
2) La « révolution judiciaire » avec
l'arrêt Mabo
Parachevant la remise en cause des options assimilationnistes
condamnées par le référendum de 1967, la
propriété foncière ancestrale des Aborigènes est
reconnue avec le jugement Mabo le 3 juin 1992, et la fiction juridique de
terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour.
Dès lors, la législation fédérale et les lois des
Territoires ont dû être révisées en tenant compte de
ce nouveau « droit ancestral ».
Dans cette décision, la Haute Cour a
déclaré qu'une concession consentie par la couronne sur son
domaine ne conférait à son bénéficiaire qu'un
simple droit d'usage, et n'éteignait pas les droits fonciers
traditionnels exercés par les populations indigènes, à
condition que celles ci aient gardé suffisamment de liens traditionnels
avec la terre en question. La Haute Cour affirmait, pour la première
fois, la coexistence de deux types de droits « privés »
s'exerçant concurremment sur un même fonds à charge pour
leurs divers titulaires de respecter les droits de l'autre 78.
À l'origine, la Cour devait juger de la
validité des revendications d'un groupe d'Insulaires dirigé par
Edward Koiki Mabo, qui demandait la reconnaissance de leurs droits territoriaux
sur les îles Murray dans le Détroit de Torres, lesquelles avaient
été annexées à la Couronne en 1879. Il était
allégué que leurs habitants, en dépit de cette annexion,
n'avaient pu voir leurs droits éteints, qu'il s'agissait de droit
immémoriaux s'exerçant sur ces îles, et qu'ils n'avaient
jamais cessé d'avoir, à l'égard de ces îles, la
qualité de possesseurs et un usage continu. Ils fondaient leur demande
sur trois moyens : le premier étant la reconnaissance par le Droit
anglo-australien, du Droit coutumier et, donc de l'existence de titre fonciers
traditionnels et enfin, la constatation d'un exercice continu de ces droits. En
outre, ces droits n'avaient jamais été éteints par la
Couronne britannique ou par la Fédération Australienne qui avait
depuis l'indépendance hérité de ce droit de
légiférer sur ce domaine 79.
Dépassant ce cas particulier du Queensland au cas
général de l'Australie, la Cour décréta qu'il
78 La Cour précisait également que que les droits
traditionnels cèdent toujours le pas face aux droits détenus en
pleine propriété (freehold titles). La Haute Cour a, ainsi,
élaboré un compromis fondé sur une discrimination
juridique en créant un principe général
d'irrecevabilité opposable aux revendications dirigées à
l'encontre des droits fonciers « modernes » détenus en pleine
propriété.
79 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou
les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes
d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science
Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1337
81
existait des titres autochtones valables et reconnaissable sur
l'ensemble du territoire australien.
La Cour considéra que la common law «
perpétuerait l'injustice si elle continuait à embrasser la notion
élargie de terra nullius et si elle persistait à
définir les habitants autochtones des colonies australiennes comme des
personnes trop basses dans l'échelle de l'organisation sociale pour que
leurs droits et leurs intérêts sur la terre soient reconnus »
80.
La Haute Cour revient ainsi sur le terme de terra nullius
adoptant ainsi la même position de principe que la Cour
Internationale de Justice, qui avait estimé en 1975 dans son avis
consultatif relatif au Sahara occidental que ce terme devait être
réservé aux terres véritablement inhabitées
81.
À l'issue du jugement Mabo, les Aborigènes
pouvaient prétendre à la reconnaissance d'un titre autochtone sur
toutes les terres domaniales que la Couronne avait laissé libre de
droits en ne posant aucun acte de propriété, ainsi que sur les
terres restées dans le domaine public, comme les réserves ou les
parcs nationaux. Pour obtenir des droits sur leurs terres traditionnelles en
vertu d'un titre autochtone, les Aborigènes devaient démontrer
qu'ils constituent une « communauté organisée distincte
depuis la déclaration de la souveraineté britannique, qu'ils
avaient toujours maintenu un lien à leurs terres coutumières,
qu'ils continuaient d'utiliser ou d'occuper ces terres, et parce qu'elles
justifiaient que des titres autochtones soient octroyés, que les lois et
les coutumes traditionnelles avaient été en grande partie
conservées » 82.
Cette décision allait faire jurisprudence et
transformer la manière dont l'histoire et l'identité
australiennes étaient conçues. Elle fut interprétée
comme l'amorce d'une remise en cause des droits fonciers hérités
de la colonisation sur l'ensemble du pays. L'Australie reconnaissait la
souveraineté initiale des autochtones, l'existence de droits et coutumes
sur le continent australien avant 1788, et la loi avait ainsi été
alignée sur la nouvelle historiographie. En rejetant ainsi le concept de
Terra nullius, la Cour traduisait l'abandon des dernières
séquelles du colonialisme en imposant une réinterprétation
de l'histoire de ce pays et la définition de nouveaux rapports
inter-ethniques.
Cette décision de la High Court fit l'effet
d'une révolution judiciaire tant elle provoqua de bouleversements.
Pourtant, les principes formulés dans cet arrêt n'avaient rien de
très « révolutionnaires ». En effet, bon nombre de
colons avaient déjà fait remarquer que dans les premières
années de la colonisation les Aborigènes possédaient la
terre selon des lois et des
80 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en
droit international , / Atelier National de Reproduction des Thèses /
2008, p. 284
81 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre
1975
82 Mabo v. Queensland (No2) (1992) 175 C.L.R. :
J.BRENNAN à 58, JJ. DEANE & GAUDRON à 59 et 61 ; JJ. DEANE
& GAUDRON à 90, 110 ; J.TOOHEY à 188.
82
traditions coutumières. Par ailleurs, le principe de
titres autochtones avait déjà été accepté
par la plupart des anciennes colonies britanniques. En Nouvelle Zélande
par exemple, les droits autochtones des Maoris furent reconnus en 1975 dans la
Loi sur le traité de Waitangi, puis confirmés par la
Cour d'Appel en 1986. Au Canada c'est l'affaire Calder de 1973 qui va faire
admettre l'existence de titres autochtones, et qui sera plus tard
confirmée par la Cour Suprême du Canada dans l'affaire
Delgamuukw v. British Columbia en 1997. L'arrêt Mabo
s'inscrivait donc dans l'alignement de la jurisprudence internationale.
En outre, l'arrêt Mabo a exclu la contestation
des droits fonciers attribués aux colons, de même que toute
tentative d'anéantissement du principe selon lequel l'État
fédéral exerce un droit sur ces terres. Pour motiver son refus,
la High Court a ainsi affirmé qu'elle n'avait pas à
connaître des actes de gouvernement. « Il n'appartient donc pas aux
juridictions qui ont nié la validité de la doctrine Terra
nullius afin de reconnaître des droits subjectifs à des
individus ou à des communautés d'en pousser les
conséquences jusqu'à exercer un contrôle sur les actes
relevant soit du droit international, soit d'une décision politique tel
l'acte par lequel, le 7 février 1788 fut établie la «
colonie de Peuplement » à l'origine de l'Australie actuelle
83.
Telles sont les limites de la jurisprudence Mabo
mais elles ne doivent pas en dissimuler l'importance. L'arrêt
Mabo ouvre en effet une voie nouvelle avec la reconnaissance
officielle au sein de l'Australie, de deux société, deux cultures
et deux systèmes juridiques. Il est ainsi apparu comme une
consécration de l'action menée par le gouvernement depuis le
référendum de 1967 : la High Court a
entériné les réformes passées en conférant
au pouvoir politique une légitimité à poursuivre son
action jusqu'alors paralysée par les États.
Ce jugement s'inscrivait en essence dans la logique de
réconciliation telle qu'elle était comprise par les partisans de
l'autodétermination des autochtones au sein de l'État. Il est
d'ailleurs fort probable que « la réconciliation ait
participé à créer un environnement favorable à la
prise de décision de la High Court, parce que le
processus garantissait une meilleure compréhension et une meilleure
réception de ce type de décision dans la société
australienne » 84.
Le Premier Ministre travailliste Paul Keating tenta
d'établir un lien fort entre la décision Mabo et la
réconciliation recherchée entre Aborigènes et
non-Aborigènes, présentant cette dernière comme une
décision juste, motivée par une recherche de justice et de
vérité, comme une preuve du courage et de la sagesse de la nation
australienne 85. Cette décision s'inscrit donc dans son grand
dessein de
83 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou
les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes
d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science
Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1343
84 Voir Lisa Strelein, 25 Octobre 2001, Entretien M ,
(annexe) BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit
international , / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008, p.
289
85 Department of the Prime Minister & Cabinet - Paul
KEATING, 30 août 1994, dans Mark RYAN (ed), 1995.
83
faire de l'Australie, libérée de son douloureux
passé et de son allégeance à la Couronne britannique, la
Grande République fondée sur la réconciliation des
communautés qui pourra s'imposer comme un modèle de
démocratie pour tous les pays du Sud-Est asiatique 86.
En 1993, il fit d'ailleurs voter une loi très
importante pour les Aborigènes : le Native Title Act (la
Loi sur le Titre Autochtone) qui avait pour objectif de «
permettre la reconnaissance et la protection du titre autochtone ;
établir un processus et des normes pour les opérations futures
qui affecteraient les titres autochtones ; établir un mécanisme
pour déterminer les revendications de titres autochtones, prévoir
la validité d'actes passés, comme l'octroi de titres, qui peuvent
être invalides du fait de leur effet sur les titres autochtones »
87.
Cette loi visait donc à définir les conditions
et les procédures de réclamation relatives au titre autochtone.
Elle confirmait que certains actes législatifs ou exécutifs
purent avoir mis fin au titre autochtone sur certaines terres, et validait
rétroactivement tous les titres de propriété clairement
définis. En outre, cette loi accordait aux autochtones un droit
spécifique : le « droit de négocier » (Right to
Negociate), qui contraint les gouvernements et les entrepreneurs
privés à consulter les populations Aborigènes en amont de
tout projet d'acquisition ou de développement conçu à
partir du 1er janvier 1994. Ce droit prévoyait une période de six
mois durant laquelle les investisseurs devaient trouver un compromis direct
avec les Aborigènes. Si toutefois aucun accord n'était
trouvé, le litige était soumis à l'arbitrage du Tribunal
National pour les Titres Autochtones (National Native Title Tribunal)
spécifiquement créé par la Loi sur le Titre
Autochtone.
En résumé, le Native Title Act
comportait quatre éléments principaux :
· Il établissait un processus de reconnaissance
des droits fonciers autochtones dans le système juridique australien;
· Il assurait la protection future des droits fonciers
autochtones, puisque en common law, les droits fonciers autochtones
étaient susceptibles d'extinction du fait de l'octroi de droits
incompatibles;
· Il garantissait, pour les gouvernements et les autres
intéressés, la sécurité des activités de
gestion des terres passées et à venir;
· Il fournissait un cadre permettant de régler
les questions se rapportant aux droits fonciers autochtones.
En 1996, c'est l'arrêt Wik Peoples, rendu le
23 décembre, qui vient préciser la portée de la
jurisprudence Mabo. Dans cet arrêt, la Haute Cour affirmait la
coexistence possible de droits de
86 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou
les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes
d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science
Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1356
87 Native Title Act, S.3.
84
nature différente sur un même fonds, pourvu que
ces droits ne soient pas incompatibles dans leur exercice pratique. La High
Court établissait ainsi une hiérarchie de normes au regard
de laquelle le freehold title ne peut jamais être mis en danger
par le titre indigène et au regard de laquelle le titre indigène
n'est qu'un droit subsidiaire ou concurrent par rapport au leasehold
title.
En l'espèce, les populations Wik et Thayorre du nord
du Queensland soulevaient une ambiguïté majeure de la Loi sur
le Titre Autochtone : le statut du titre autochtone sur les
pâturages loués à bail qui constituait une zone d'ombre
dans la législation. La question était donc de savoir si l'octroi
de baux pastoraux constituait un acte de propriété de la part de
la Couronne, et le cas échéant, si les baux pastoraux
étaient concernés, ou pas, par des titres « exclusifs
».
La High Court jugea que les baux pastoraux
étaient assimilables à des licences statutaires ; ils donnaient
à leurs bénéficiaires des droits exclusifs de
pâturage, mais en aucun cas ils ne donnaient de droit exclusif
d'occupation des terres.
Cette décision fit l'effet d'une nouvelle
révolution judiciaire, puisque les pâturages loués à
bail représentent environ 42% de l'Australie 88. Elle
constituait en outre un autre pas important vers la réconciliation
nationale, puisqu'elle reconnaissait que les droits et les
intérêts des Aborigènes et des non-Aborigènes
n'étaient pas mutuellement exclusifs.
La reconnaissance institutionnelle des Aborigènes a
donc été le fruit d'un long processus. Il convient pour terminer
notre propos de traiter des enjeux et des limites de cette reconnaissance.
iii. Enjeux et limites de la
reconnaissance
Nous allons ici nous intéresser à la situation
actuelle des communautés autochtones, sur le continent australien
(1.), et plus particulièrement dans le
Territoire du Nord et sur les îles du Détroit de Torres
(2.).
1) Bilan sur le continent Australien
Les différentes politiques gouvernementales ont eu un
impact considérable sur le développement et la
pérennité des cultures aborigènes, qui dépendaient
très largement de leurs droits fonciers.
La question se posait de savoir si « une reconnaissance
accrue, une prise en charge politique et une
88 Wik (1996) 141 ALR 129, J.KIRBY en 260.
85
protection légale des droits autochtones iraient
plutôt dans le sens d'une séparation au sein de l'État, ou
bien d'une intégration, ainsi rendue possible, dans la
société multiculturelle » 89.
Avec l'élection de John Howard en 1996, c'est une
révolution « conservatrice » qui se met en place dans de
nombreux domaines. Le nouveau gouvernement dénigre le multiculturalisme
mis en place par Whitlam et adopte une nouvelle politique d'immigration
très restrictive.
Howard va revenir en outre sur la question aborigène.
Il conteste toutefois la légitimité des organisations
communautaires, refuse de présenter des excuses aux Aborigènes et
aux générations volées au nom de l'État australien,
et défend une conception positive de l'histoire australienne, contre une
vision de la repentance (ce qu'il appelait la Black Armband History).
En réponse à cela, de gigantesques manifestations sont
organisées en faveur de la réconciliation avec les
Aborigènes en 2000.
En 2001, à l'issue de la décennie officielle de
la réconciliation, les Aborigènes possédaient ou
contrôlaient un peu plus de 15% du continent australien. La presque
totalité des titres autochtones avait été obtenue et
déterminée par la négociation.
En 2007, aura lieu une nouvelle alternance : dans une
volonté de se distinguer clairement de son prédécesseur,
le Premier ministre travailliste Kevin Rudd, accepte enfin de présenter
des excuses aux peuples aborigènes pour les souffrances qu'ils ont
dû subir. Il présentera ses excuses, au nom du Parlement et de la
nation australienne, le 13 février 2008, dans un discours «
historique » télévisé en direct et projeté sur
des écrans géants installés sur des places publiques
à travers le pays. Cette présentation d'excuses ne concerne pas
uniquement les gestes et faits du passé, mais aussi l'absence de
mémoire dont l'Australie a été coupable.
Deux points essentiels se dégagent de ce discours :
· s'atteler à réduire la différence en
termes d'espérance de vie, de réussite scolaire et
d'opportunités économiques 90 ;
· promouvoir l'égalité des chances et une
part égale dans l'avenir du pays.
Le discours est axé sur un avenir où les
Aborigènes pourront prétendre prendre une réelle place
dans la société australienne et dans l'univers économique
du pays. Pour de nombreux Aborigènes, les excuses formelles du
gouvernement vont permettre d'évoluer vers une véritable
réconciliation
89 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en
droit international , / Atelier National de Reproduction des Theses /
2008, p. 283
90 Discours du 13 février 2008, « New
Beginning » « Close tue gap
between us in life expectancy, educationnal achievement and economic
opportunity ».
86
entre les peuples. Au delà de l'intensité
symbolique du moment, l'annonce de mesures concrètes de la part du
nouveau gouvernement pour attaquer certains des déséquilibres
sociaux les plus alarmants a fait naître en Australie un réel
espoir de changement.
Ainsi, le 20 mars 2008, le gouvernement, des organismes de
santé aborigènes et non aborigènes, le Commissaire pour la
justice sociale, l'opposition et de nombreuses organisations nationales signent
la Déclaration d'intention pour réduire l'écart entre les
populations (« Close the Gap, Statement of Intent ») afin de
mettre en oeuvre la politique de réduction des écarts entre
Aborigènes et non-Aborigènes.
Ce plan ambitieux concerne en priorité le domaine de
la santé, mais aussi l'éducation ainsi que la question des
qualifications professionnelles. Les six objectifs fixés visent la
réduction des inégalités sociales et structurelles :
augmentation de l'espérance de vie chez les Aborigènes,
diminution du taux de mortalité chez les enfants Aborigènes
âgés de moins de 5 ans, garantie d'un accès à
l'éducation pour les enfants de 4 ans vivant dans des communautés
éloignées, augmentation du taux d'alphabétisation,
diminution de moitié des différences entre les
élèves obtenant le baccalauréat ou un niveau
équivalent d'ici à 2020 et, enfin, diminution des
différences en termes d'emploi 91.
Ce projet va donc tenter, en partenariat avec les
Aborigènes et le reste de la population australienne, de remédier
aux injustices dont ils souffrent afin de leur garantir un avenir meilleur.
En 2007, le Gouvernement Australien avait refusé
d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones, prétextant que ce texte ne correspondait
pas à la norme souhaitée par l'Australie.
Revenant sur son opposition afin d'améliorer les
relations entre aborigènes et descendants de colons britanniques,
l'Australie a adhéré, le 3 avril 2009, à la cette
Déclaration. Dans le contexte australien, elle représente un
énoncé complet des obligations existantes en matière de
droits de l'homme pour les Aborigènes et pour les habitants insulaires
du Détroit de Torres. Bien qu'elle ne crée pas de nouveaux
droits, elle fournit au gouvernement australien un cadre global d'action. Elle
constitue une garantie que les droits des peuples autochtones à
l'autodétermination, à la terre et aux territoires, à
l'identité culturelle, à l'auto-représentation seront
respectées au niveau international.
« En tant qu'instrument international, la
Déclaration fournit un schéma directeur pour les peuples
autochtones et les gouvernements partout dans le monde, fondée sur les
principes
91 HAVIEL Gwénaëlle, « Situation des
Aborigènes australiens : inégalités sociales et
réponses politiques », Informations sociales, 2012/3 n° 171,
p. 76
87
de l'autodétermination et de la participation, en
vue de respecter les droits et les rôles des peuples autochtones au sein
de la société. C'est l'instrument qui contient les normes
minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples
autochtones du monde entier » - Mick Gooda, Commissaire à la
Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit
de Torres 92.
Lors d'une séance à l'Assemblée
générale en 2010 93, le représentant de
l'Australie s'est réjoui que la Nouvelle-Zélande ait suivi la
même démarche, et que le Canada ait annoncé des mesures
similaires, alors que les États-Unis ont indiqué qu'ils
étaient prêts à revoir leur position.
Le représentant a exprimé l'engagement du
Gouvernement australien à travailler avec les peuples autochtones et la
volonté des Australiens à obtenir la reconnaissance
constitutionnelle des peuples autochtones. Il a également
précisé que l'Australie était heureuse d'avoir
contribué au Mécanisme d'experts des Nations Unies sur les
peuples autochtones sur la question des droits de ces peuples à la
participation au processus de prise de décisions 94.
Ce soutien à la Déclaration s'ajoute aux
fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement
fédéral, les peuples aborigènes du continent, ceux du
Détroit de Torres, et la communauté générale.
Cependant, les communautés aborigènes restent plutôt
marginalisées en Australie, et font face à de nouvelles
menaces.
Le réchauffement climatique constitue par exemple une
véritable menace pour la santé et les cultures des peuples
autochtones. Ses effets suscitent donc des inquiétudes importantes,
particulièrement pour les peuples des petites nations insulaires et de
la région du détroit de Torres, qui sont très
touchées par le problème de la montée des eaux. D'autres
craintes sont portées sur la perte d'accès aux terres
traditionnelles, ou sur les changements dans les modes de migrations des
espèces et dans la répartition de la végétation.
Le rapport de la Commission Australienne des Droits de
l'Homme paru en 2009, intitulé Native Title Report 2008, a mis
en évidence face aux effets du réchauffement climatique le souci
immédiat du « maintien de la vie, de la langue et de la culture
traditionnelles » 95. Le rapport a en outre souligné la
reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples
92 «As an international instrument, the
Declaration provides a blueprint for Indigenous peoples and
governments around the world, based on the principles of
self-determination and participation, to respect the rights and
roles of Indigenous peoples within society. It is the instrument
that contains the minimum standards for the survival, dignity and
well-being of Indigenous peoples all over the world»
; Mick Gooda, Commissaire à la Justice sociale pour les
Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres
93 Assemblée générale
Troisième Commission - 18e et 19e séances, AG/SHC/3982 ,
18/10/2010
94 Voir ANAYA James, « La
déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un
impératif moral et politique », Assemblée
générale Troisième Commission - 18e et 19e
séances, AG/SHC/3982 , 18/10/2010
95 Australian Human Rights Commission. 2009. 2008 Native
Title Report. Human Rights and Equal Opportunity Commission. Sydney ;
http://humanrights.gov.au/social_justice/nt_report/ntreport08/p124
autochtones par le gouvernent australien comme un pas
important pour répondre aux complexités du réchauffement
climatique.
En outre, les projets d'exploitation du sous-sol, le
développement du tourisme et le lancement de grands programmes de
développement agro-pastoral menacent gravement l'intégrité
des droits des aborigènes sur leurs terres et risquent d'entraîner
la disparition de sites sacrés. Le Native Title Act 1993 ouvre
la possibilité pour les communautés autochtones de
bénéficier de la création de richesses découlant du
développement de leurs terres, en particulier par les mines. En 2011,
les négociations se sont poursuivies entre communautés
autochtones, gouvernements et compagnies minières quant à
l'utilisation de terres sujettes au Native Title, en particulier dans
le nord du pays.
D'importantes questions demeurent quant à la
capacité à la fois des parties autochtones et non- autochtones
à effectivement mettre en oeuvre et gérer de tels services et de
telles opportunités économiques sur le long terme.
Le Pitjantjatjara Land Rights Act 1981 (South
Australia) (Loi sur les Droits fonciers des Pitjantjatjara en Australie
Méridionale datant de 1981) est le deuxième texte
législatif du pays. Il reconnaît aux Aborigènes
visés la pleine propriété de 10 % de l'Australie
Méridionale. Un autre texte existe : l'Aboriginal Land
Trust Act 1966 (South Australia), (Loi sur les terres
aborigènes en Australie Méridionale datant de 1966) qui accorde
aux Aborigènes un certain contrôle sur leurs terres et qui a
permis la création d'autres petites réserves
Dans le Queensland, moins de 2 % du territoire appartient
officiellement aux Aborigènes. Les terres qu'ils peuvent revendiquer en
invoquant l'Aboriginal Land Act 1991 (Queensland),
(Loi sur les terres aborigènes dans le Queensland datant de 1991) sont
celles que les autorités déclarent disponibles par voie de
presse.
En Australie Occidentale, les réserves
aborigènes s'étendent sur 13 % du territoire : 1/3 leur
appartient au moyen d'un bail de 99 ans ; 2/3 dépendent de
l'Aboriginal Affairs Planning Authority,
(L'autorité d'organisation des affaires aborigènes) un
organisme gouvernemental.
En Nouvelle-Galles du Sud, l'Aboriginal Land Rights Act
1983 (New South Wales), (Loi sur les Droits fonciers des
Aborigènes en Nouvelle-Galles du Sud datant de 1983) a
transféré la pleine propriété des réserves
à leurs occupants, qui peuvent prétendre à celle d'une
petite portion d'autres terres.
Enfin, en Tasmanie et dans le Victoria, les droits fonciers
des Aborigènes sont réduits à leur plus simple
expression
88
En 2008, selon l'Australian Bureau of Statistics (ABS),
30 % des Aborigènes vivaient en
89
Nouvelle-Galles-du-Sud, 28 % dans le Queensland, 13 % en
Australie-Occidentale et 12 % dans le Territoire du Nord 96.
Selon le recensement de 2000 établi par ce même
Bureau 97, le Territoire du Nord comptait 202 729 habitants, dont 50
785 autochtones (aussi bien Aborigènes qu'insulaires du détroit
de Torres), soit 25,1 % de la population de l'État. Toutefois, en
effectif absolu de population aborigène, le Territoire du Nord n'arrive
qu'en quatrième position au niveau national, derrière la Nouvelle
Galles-du-Sud avec 119 865 autochtones (1,9 % de la population de
l'État), le Queensland avec 112 772 (3,1 % de la population) et
l'Australie Occidentale avec 58 496 (3,2 % de la population). Il devance le
Victoria, qui compte 25 078 autochtones (0,5 % de la population), l'Australie
Méridionale avec 23 425 (1,6 % de la population), la Tasmanie avec 15
773 (3,5 % de la population) et le Territoire de la Capitale avec 3 576 (1,2 %
de la population). Bien que l'effectif absolu de la population aborigène
du Territoire du Nord soit moindre que dans d'autres États, il
représente néanmoins en pourcentage de la population totale une
plus grosse part dans ce Territoire.
En 2008, 68 % des Aborigènes vivaient à
l'extérieur des grandes villes, soit 44 % dans des « zones
régionales » (le bush) et 24 % dans des régions
éloignées ou très éloignées. À titre
indicatif, les Aborigènes représentaient alors 2,2 % de la
population totale australienne avec un total de 410 003 individus. À
l'arrivée des premiers colons, en 1788, les estimations de la population
aborigène varient, selon les recherches anthropologiques, entre 300 000
et 1 million d'individus. Le chiffre le plus communément accepté
se situe aux alentours de 300 000 personnes réparties entre 600 à
700 tribus différentes et parlant 500 langues différentes
98.
Les Aborigènes demeurent fortement attachés
à leurs traditions sociales et religieuses, mais ils sont de plus en
plus contraints d'abandonner leurs anciennes activités de subsistance.
Il semble que ces communautés autochtones soient amenées à
choisir entre la préservation de leur culture traditionnelle et
l'amélioration de leur niveau de vie, autrement dit entre le spirituel
et le matériel. Imposé par les conséquences de la
colonisation, ce choix place les Aborigènes dans une situation
difficile.
Bien qu'ils aient quand même réussi à
récupérer une partie de leur terres ancestrales (ils
contrôlent désormais près d'un million et demi de
kilomètres carrés, soit environ 20% du pays), cela n'a pas
résolu tous leurs problèmes. En effet, les régions
reculées où vivent bien des communautés offrent
96
http://www.abs.gov.au/AUSSTATS/abs@.nsf/Latestproducts/4714.0Main%20Features42008?
opendocument&tabname=Summary&prodno=4714.0&issue=2008&num=&view=
97
http://www.abs.gov.au/websitedbs/d3310114.nsf/Home/census
, 2001 Census data by Location, QuickStats.
98 Hamel Gwénaëlle, « Situation des
Aborigènes australiens : inégalités sociales et
réponses politiques », Informations sociales, 2012/3
n° 171, p. 71
90
très peu d'opportunités économiques. En
outre, ils forment la communauté la plus défavorisée
d'Australie. Ce groupe social à part cumule une multitude de handicaps
sociaux depuis plus de deux siècles. Le taux de mortalité
infantile parmi ces communautés demeure beaucoup trop
élevé (10 à15%), et leur espérance de vie (59 pour
les hommes et 65 ans pour les femmes) est de 17 ans inférieure à
celle des autres ; il y a proportionnellement moins d'Aborigènes qui
poursuivent leur scolarité jusqu'au Bac ; leur taux de chômage est
plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale ; ils sont
six fois plus souvent victimes d'homicides que les autres Australiens, du fait
de la violence qui règne dans leurs communautés, et ont onze fois
plus de chances que ces derniers de se retrouver en prison. Le taux
d'incarcération des personnes autochtones est en effet beaucoup plus
élevé que celui applicable à l'ensemble de la
population.
En Australie, les enfants Aborigènes ont un risque de
détention largement supérieur à celui des autres jeunes
Australiens, et un nombre important d'Aborigènes meurent en
détention. C'est pour répondre à cela que le gouvernement
va créer en 1992, par le biais de l'organisme indépendant
chargé de surveiller le respect des Droits de l'Homme : The Human
Rights and Equal Opportunity Commission, une unité spéciale
pour contrôler le racisme et la discrimination envers les
Aborigènes. En dépit de cette création, l'incidence des
décès de ces personnes demeure toujours élevée.
Malgré les efforts des gouvernements
fédéraux et des États, les Aborigènes des villes,
au nombre de 90 000 forment la seule classe nécessiteuse d'Australie. Le
problème le plus préoccupant est le chômage et sa
conséquence : l'alcoolisme.
Mais le principal problème des Aborigènes
d'Australie n'est pas l'alcool mais l'acculturation. Les
générations d'aujourd'hui ont non seulement perdu leur propre
culture, pourtant très forte, mais se sont approprié la culture
australienne occidentalisée. Les Aborigènes sont donc incompris,
perdus et ne trouvent pas facilement leur place au sein de la
société Australienne.
Bill Jonas, le Commissaire à la Justice sociale pour
les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres
déclarait en 2002 lors d'un séminaire sur le droit à
l'autodétermination des peuples autochtones que :
« En Australie, les politiques et les programmes
gouvernementaux à l'endroit des peuples autochtones obéissent
à une approche que je qualifierai de «
gestion de crise » et qui alimente
l'inégalité que subissent les autochtones australiens en
accordant les subsides destinés à pallier à leurs
problèmes de santé, d'éducation, de logement, de
chômage, etc.
Malgré des budgets énormes, cette approche
ne fait rien d'autre que gérer l'inégalité que nous vivons
en tant que peuples. Ce qu'il convient de faire, c'est
d'adopter une approche fondée sur le partenariat et le respect mutuel et
qui vise à faciliter la participation des
91
autochtones sur un pied d'égalité,
ou à permettre aux peuples autochtones, pour reprendre l'expression de
Mme Daes de « bien vivre ».
Nous n'avons besoin de rien de moins que de la
reconnaissance de notre droit à l'autodétermination pour
commencer à remédier à la situation » 99.
Voyons maintenant le résultat des politiques
gouvernementales sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres
2) Bilan sur le Territoire du Nord et le Détroit de
Torres
Le Territoire du Nord possède la plus grande
densité d'Aborigènes et 22 % de la population aborigène
totale, plus ou moins sédentarisées.
Aujourd'hui, près de la moitié du Territoire du
Nord a fait ou fait l'objet d'une revendication de ses propriétaires
traditionnels. Les Aborigènes doivent prouver que la loi
aborigène leur donne la responsabilité des sites sacrés
sur ces terres. Lorsque leur droit a été reconnu, les
Aborigènes peuvent négocier avec les compagnies minières
et accepter ou non l'exploitation.
Auparavant, le Territoire du Nord faisait partie de
l'État d'Australie méridionale. Pendant longtemps, le Territoire
du Nord a exprimé le voeu de devenir un État à part
entière. Un référendum sur cette question a eu lieu en
octobre 1998, après un processus au cours duquel un comité de
la
législature du Territoire du Nord avait
étudié les diverses options possibles pour devenir un État
et rédigé un projet de Constitution, prévoyant un certain
nombre de dispositions cruciales pour les peuples autochtones du Territoire,
qui sera rejeté par le gouvernement de l'époque. Lors du
référendum, 52 % des citoyens du Territoire ont voté non
à l'accession au statut d'État et ont rejeté la
proposition gouvernementale de remplacer leur Constitution. Les Nations
aborigènes se sont à nouveau réunies en décembre
1998 afin de définir des critères pour encadrer
l'élaboration d'une Constitution. Les résultats de leurs
différentes rencontres ont pris le nom de Stratégie
constitutionnelle pour le Territoire du Nord 100.
Il s'agit d'un élément important, dans le
contexte de l'Australie, car les autochtones du Territoire du Nord constituent
28,5 % de la population. Rappelons que le Territoire du Nord possède un
régime de droits fonciers qui a permis aux autochtones de devenir
propriétaires de 80 % de la côte et de plus de 50 % du territoire,
et que c'est un endroit où le droit, les langues et les cultures
99 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; «
L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p.
37
100 Indigenous Constitutionnal Convention Secretariat,
Indigenous Constitutionnal Strategy Northern
Territory, Northern Land Council and Central Land Council, Casuarina and
Alice Springs, 1998
92
autochtones sont bien préservés et largement
pratiqués 101.
Vu les ressources et les terres dont disposent les
autochtones, ainsi que leur poids démographique, le Territoire du Nord
semble être l'endroit où le désir de sécession ou de
rupture avec les structures gouvernementales australiennes pourrait le plus se
justifier.
D'autres développements vont progressivement prendre
place, en particulier dans le domaine de la gestion interculturelles des
terres, et la reconnaissance des domaines maritimes aborigènes. C'est
pour cela qu'a été créé le programme de Zone
Protégée autochtone, affirmant les droits des autochtones
à la gestion de la terre et de la mer. Il s'agit d'une « portion de
terre ou de mer que les Aborigènes déclarent volontairement et
gèrent pour la conservation de la biodiversité et des valeurs
culturelles dans les catégories UICN. » 102 (Union internationale
pour la conservation de la nature). Ce système fournit un lien important
entre les diverses priorités culturelles, sociales et économiques
des Australiens autochtones et les buts de biodiversité du gouvernement
australien. À ce jour, on compte en Australie 33 ZPA et 40 projets
consultatifs en cours 103.
L'arrêt Blue Mud Bay de la Haute Cour de
Canberra du 31 juillet 2008 est venu renforcer la protection et la gestion
autochtone des zones côtières isolées en Australie. La Cour
a ainsi décidé qu'il était illégal d'autoriser la
délivrance de certificats de pêche dans les eaux qui se trouvent
dans les limites du territoire couvert par l'Aboriginal Land Rights
Act. Bien que la décision du tribunal porte sur la baie de Blue
Mud, à environ 550 km à l'est de Darwin, elle aura une incidence
sur 80% des côtes du Territoire du Nord.
Dans le cadre de l'Aboriginal Land
Rights (Northern Territory) Act 1976 (ALRA), la
propriété aborigène ne s'étend que jusqu'à
la ligne de marée haute. Cette décision a donc accordé aux
propriétaires traditionnels les droits fonciers autochtones, jugeant que
l'ALRA s'applique également à la zone intertidale (estran). Cela
signifie que les licences de pêche délivrées par le
gouvernement du Territoire du Nord sont illégales. Il n'y a que le
Conseil foncier autochtone qui a le droit d'accorder ces licences. Par
conséquent, les licences de pêche devront être
négociées avec les communautés autochtones sur une zone
intertidale qui couvre 80% de la cote du Territoire duNord.
De plus, cela signifie que les pêcheurs commerciaux ne
peuvent pas entrer sans autorisation dans des terres autochtones, ce qui
signifie qu'ils ne peuvent pas pêcher là non plus. Cette
décision confère donc d'importants droits de
propriété et de gestion au peuple autochtone de terre d'Arnhem et
génère également un potentiel pour le développement
d'opportunités économiques. L'affaire Blue
101 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; «
L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p.
34
102 KAJLICH Anton , JULL Peter « Australie
»
http://sogip.ehess.fr/IMG/pdf/monde_autochtone_2011_australie_gitpa.pdf
;
103 EPA 2010. About Indigenous Protected
Areas. Retrieved Jan 29, 2010, from
http://www.environment.gov.au/indigenous/ipa/background.html
93
Mud Bay est l'une des plus importantes pour les
propriétaires fonciers autochtones depuis la décision Mabo.
Le gouvernement du Territoire du Nord, le Northern Land
Council et les intérêts économiques liés à la
pêche commerciale et de loisir, principales parties prenantes de la
décision, se sont mis d'accord en 2011 pour étendre
jusqu'à la mi 2012 le moratoire pendant qu'un accord de plus long terme
est négocié 104.
Le Détroit de Torres :
S'étendant de la pointe du cap York à la
Papouasie-Nouvelle-Guinée et composée de plus de 270 iles, le
Détroit de Torres est perçu comme un coin de
Mélanésie sous juridiction australienne. Les Insulaires du
détroit de Torres forment la majorité de la population avec leur
culture unique et leur histoire propre, distinctes de celles des
Aborigènes d'Australie. Ils militent pour une forme d'autonomie
régionale et la reconnaissance de leurs droits sur la mer depuis des
décennies. Malgré le fait que la Droite comme la Gauche soient
généralement attentives aux aspirations des Insulaires, dans les
dernières décennies la question de l'autonomie est restée
bloquée.
La population totale actuelle des deux communautés
métropolitaines dans le Détroit de Torres et des 14
communautés des îles au large se monte à 8.000 habitants
dont environ 6.000 sont des Insulaires du Détroit de Torres et des
Aborigènes. Quelque 21.000 Insulaires du Détroit de Torres vivent
dans une autre région, essentiellement sur la côte du nord du
Queensland, particulièrement à Townsville et à Cairns. Une
quinzaine de communautés de 30 à 400 personnes chacune vivent
toujours dans les îles. «Thursday Island» a encore
plus de 2 000 habitants.
Les Insulaires du Détroit de Torres du Détroit
de Torres et de la métropole ont une voix distincte dans les affaires
nationales. Avec la création en 1990 de la Commission des
Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres (ATSIC), ils ont
obtenu une reconnaissance officielle. L'ATSIC comporte un Bureau des Affaires
des Insulaires du Détroit de Torres dans le cadre de son siège
à Canberra et un Conseil des Insulaires du Détroit de Torres avec
des membres de chaque État et Territoire 105.
En outre, l'Autorité Régionale du
Détroit de Torres (TSRA) a été
créée pour représenter les intérêts des
Insulaires du Détroit de Torres dans le Détroit de Torres. Elle
reconnaît que la réconciliation entre les indigènes et les
non-indigènes d'Australie est fondamentale quant à la condition
des
104 KAJLICH Anton , JULL Peter , MOORES Gareth «
Australie » ; IWGIA, The Indigenous World
2012
105 Voir
http://terrescontees.free.fr/evenements/aborigenes.htm
94
Insulaires du Détroit de Torres et des Aborigènes
en Australie et quant à l'essor de la nation.
Depuis plus de vingt ans, les Insulaires du détroit de
Torres cherchent à accéder à une autonomie
régionale par la mise en place d'un gouvernement régional qui
représente les intérêts des autochtones comme des non
autochtones.
Lors d'un discours prononcé à la
Conférence de réconciliation australienne sur la gouvernance
autochtone du 3 avril 2002, le Président de l'Autorité
régionale du détroit de Torres, M. Terry Waia a
déclaré :
« Ce à quoi aspirent depuis longtemps les
Insulaires du détroit de Torres, c'est une région autonome...
L'une des raisons pour lesquelles nous tenons à acquérir une plus
grande autonomie, c'est parce que nous voulons être habilités
à nous occuper de nos propres affaires. Une autre raison, c'est
que nous savons que celui qui est sur le
terrain est en meilleure position pour identifier les besoins. Il est
arrivé par le passé, et cela se passe encore aujourd'hui, que
certaines décisions prises à Canberra ou à Brisbane
fassent abstraction de nos besoins et de notre culture. La bonne gouvernance
implique que les décisions soient prises par les gens
qu'il faut à l'échelon qu'il faut, au bon
endroit et au bon moment » 106.
Cette démarche est largement soutenue par le
gouvernement fédéral australien, bien que les choses progressent
encore lentement.
La question de l'autonomie politique des îles du
détroit de Torres a été soulevée et mise en avant
par le premier ministre du Queensland, Anna Bligh, en octobre 2011 au moment
où il fut révélé que le Premier Ministre du
gouvernement fédéral prêtait attention aux appels des
insulaires à un « territoire autogouverné » au sein de
la fédération australienne. Alors que cette mise en avant de
l'autonomie par le premier ministre du Queensland a suscité beaucoup
d'enthousiasme à l'idée d'un changement progressif dans cette
région, le Premier Ministre fédéral a pris beaucoup de
précautions et n'a que timidement accepté de continuer à
se pencher sur la question.
Une évolution significative eu lieu en 2011 avec les
consultations menées par le gouvernement national sur la possible
reconnaissance des Aborigènes et des Insulaires du Détroit de
Torres, ainsi que sur d'éventuels changements au sein de la Constitution
australienne. Le nouveau Groupe
106 WAIA, T. , Greater autonomy and improved
governance in the Torres Straits Islands Region
95
d'experts sur la reconnaissance constitutionnelle des
Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres
a pour ambition de lancer un débat national sur la réforme
constitutionnelle.
Une autre entité a été formée en
2011, le Congrès national des Premiers Peuples de l'Australie.
Il s'agit d'un organe de pointe pour les peuples autochtones créé
indépendamment du gouvernement. Le rôle le plus important pour le
congrès sera de plaider pour la reconnaissance des droits des
Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres. Ces
évolutions laissent espérer des changements constitutionnels
progressifs ainsi que des possibilités d'amélioration de
l'engagement des peuples autochtones dans l'élaboration des politiques
autochtones.
En 2007, la voie vers la reconnaissance et la
réconciliation a de nouveau subi un dur revers à la suite de la
mise en place par le gouvernement Howard de « mesures d'urgence
», à caractère nettement coercitif et
interventionniste, dans les communautés aborigènes du Territoire
du Nord. Le gouvernement fédéral a utilisé le
prétexte d'un rapport de recherche (Little Children are sacred)
déposé en juin 2007 (Northern Territory Government),
lequel expose les problèmes sociaux que rencontrent les
communautés du Territoire du Nord, pour mettre en place ces mesures.
Leur mise en place a d'ailleurs nécessité la suspension du
Racial Discrimination Act (1975). Le gouvernement
travailliste de Kevin Rudd, élu en 2007, a maintenu ces mesures.
Le rapport d'évaluation du gouvernement sur
l'intervention, publié en octobre 2011, Closing the gap
in the Northern Territory Monitoring Report (January-June
2011), relève un déclin mesurable dans les inscriptions
scolaires, une hausse du nombre d'allocataires sociaux, une hausse des cas
rapportés d'abus contre les enfants et de violences faites aux femmes,
ainsi qu'une hausse dans le nombre confirmé de tentatives de suicide ou
d'automutilation dans les communautés visées par la
Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord. En outre, comme l'a
souligné le Rapporteur Spécial des Nations Unies James Anaya dans
son rapport de 2010, ces mesures ont pour effet de saper
l'autodétermination aborigène, de limiter leur contrôle de
leurs propriétés, d'inhiber l'intégrité culturelle
et de restreindre l'autonomie individuelle 107.
À la suite de critiques
généralisées contre ces mesures, le gouvernement
fédéral a annoncé en 2011 qu'il remplacerait la
Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord en 2012 par l'ensemble de
mesures spéciales réunies sous le nom de « des futurs
plus solides » (stronger futures).
107 ANAYA James, « Rapport du Rapporteur
spécial sur la situation des droits de l'homme et des libertés
fondamentales des peuples autochtones », A 2010
/HRC/15/37/Add.4
96
Depuis une trentaine d'années, la question autochtone
tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but
de créer un régime international effectif capable de régir
les peuples autochtones dans toute leur diversité. Après avoir
analysé le passage d'une conception interne de l'autochtonie à la
conception internationale, il s'agit de traiter de l'exercice du droit à
disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Ces derniers ont en
effet demandé réparation de leur situation, en se mobilisant sur
les plans internationaux afin d'être reconnus en qualité de
peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité
à disposer d'eux-mêmes.
97
II - L'exercice par les peuples autochtones du droit
à l'autodétermination
Pilier du droit international contemporain, le droit à
l'autodétermination est en vigueur depuis 1945, année de la
signature Charte des Nations Unies. Il a été renforcé en
1960, lors de l'adoption de la Résolution 1514 sur la
décolonisation et, par la suite, lors de la rédaction des Pactes
relatifs aux Droits de l'Homme. Dans le cadre de la décolonisation, bon
nombre de peuples ont exercé ce droit afin d'acquérir leur
indépendance, et la structure politique mondiale s'en est trouvé
profondément modifiée.
Le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
minorités Aureliu Cristescu affirmait que :
« En tant qu'un des droits fondamentaux
de l'homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la
dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe
de l'égalité de droits et de l'autodétermination des
peuples et le respect des droits fondamentaux de l'homme et de la justice. Le
principe de l'autodétermination est le corollaire naturel du principe de
la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une
domination étrangère constitue un déni des droits
fondamentaux de l'homme » 108.
Les violences exercées contre les populations
autochtones, en particulier dans le contexte des conflits liés aux
droits à la terre, sont les séquelles persistantes de plusieurs
siècles d'assujettissement. Aujourd'hui les communautés
autochtones revendiquent la restitution de leurs terres, le respect de leurs
cultures ainsi que la reconnaissance de leur droit à
l'autodétermination. En effet, juridiquement, les peuples autochtones
n'ont pas bénéficié du processus de décolonisation
tel qu'il est inscrit dans le cadre du droit international.
En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones adoptée par l'Assemblée
générale en septembre 2007, les peuples autochtones ont le droit
à l'autodétermination et les droits sur leurs terres et
ressources. Ce n'est pas le cas des minorités ethniques, religieuses
et
108 Cf. § 221 de l'étude intitulée Le
droit à l'audodétermination : développement
historique et actuel sur la base des instruments des Nations
Unies, élaborée par Aureliu Cristescu, Rapporteur
spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités, 1981.
98
linguistiques, dont le droit de jouir de leur propre culture, de
professer et pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue
est consacré à l'article 27 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques. À ce propos, les pratiques des États
varient selon les pays. Certains nient même le statut de minorités
à des entités qui constituent des peuples au sein de leur
nation.
Nous allons donc traiter de l'élaboration de ce droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes en analysant ses contours
(A), puis nous aborderons ensuite la réception du droit
à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones
(B). Enfin, nous reviendrons sur l'exemple Australien, en
analysant la mise en place de la politique d'autodétermination des
aborigènes (C).
A) Les contours du droit à
l'autodétermination pour les peuples autochtones
Si l'indépendance et la naissance de nouveaux
États a semblé être l'exercice normal du droit à
l'Autodétermination pour les peuples sous domination coloniale ou
occupation étrangère, dans le cas des peuples non soumis à
la domination coloniale ou l'occupation, cet exercice doit se faire normalement
dans le cadre des États, à condition que les conditions
politico-juridiques nécessaires existent ou puissent être
créées.
Nous verrons dans cette sous partie les différentes
formes sous lesquelles se présente l'exercice de ce droit
(i.). Nous verrons ensuite les raisons pour
lesquelles ce droit est généralement assimilé à la
notion de décolonisation (ii.). Enfin nous
nous intéresserons à la portée juridique interne du droit
des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
(iii.).
i. Les différentes formes de l'exercice du
droit à l'autodétermination
Ce principe de « libre option des peuples
» est la clé du programme du président des
États-Unis Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre
mondiale. Bien que la notion ne soit pas explicitement mentionnée dans
son célèbre discours, plusieurs points sont clairement
sous-tendus par le principe du droit à l'autodétermination, avec
pour aspect essentiel le droit des peuples, à l'intérieur de
l'État, de se gouverner eux mêmes. Son inscription parmi les buts
de guerre américains a conduit à sa transformation en
règle de droit international à travers les traités de
paix, qui ont établi de nouvelles frontières étatiques
dessinées autour de territoires réputés
homogènes.
99
Dans ce cadre, l'autodétermination apparaît comme
la composante politique principale du droit des peuples 109.
Au moment de la création de l'ONU,
l'autodétermination des peuples était conçue comme une
aspiration de la communauté internationale. L'autodétermination
relève du statut même de peuple, et du pouvoir qu'il a de
décider quelles sont les responsabilités dont il a besoin pour
gouverner. Le droit à l'autodétermination peut être
défini par son essence, qui est le droit de choisir. L'ONU va donc
considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement
son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction
théorique entre « l'autodétermination « externe
», qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son
futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug
de « l'étranger », et de l'autre,
l'autodétermination « interne », qui a trait
essentiellement au choix du système politique et administratif, et
à la nature profonde du régime choisi.
Le droit à l'autodétermination a
été réaffirmé dans l'Acte final d'Helsinki de la
Conférence sur la sécurité et la coopération en
Europe de 1975 qui énonce que « les États participants
respectent l'égalité de droits des peuples et leur droit à
disposer d'eux-mêmes en agissant à tout moment conformément
aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes
pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à
l'intégrité territoriale des États ».
Dans l'Acte final de la conférence la distinction
autodétermination « interne », et « externe
» a été également reprise :
« En vertu du principe de l'égalité de
droit des peuples et leur droit à disposer d'eux mêmes, tous les
peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer,
lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur
statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure,
et de poursuivre à leur gré leur développement politique,
économique, social et culturel ».
Nous allons donc traiter de la dimension interne et externe
du droit à l'Autodétermination (1.),
avant d'aborder de manière spécifique l'exercice de ce droit par
les peuples autochtones (2.).
1) L'autodétermination externe et interne
La Déclaration sur l'octroi de l'indépendance
aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 va consacrer le
droit à l'autodétermination externe, en rendant contraire
à la Charte des Nations Unies toute domination et/ou exploitation
étrangère d'un peuple. Bien que dénuée de valeur
109 FÉRON Élise , « Autodétermination
», Encyclopoedia Universalis [en ligne], consulté le 15
janvier 2012
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obligatoire, cette Déclaration réaffirma avec
vigueur le droit à l'autodétermination en refusant tout retard
dans l'accession ou l'octroi de l'indépendance, sous quelque
prétexte que ce soit
À l'époque, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes se rattachait aux idées de liberté, de
justice, d'égalité et vise à redresser des torts, à
défendre les faibles et à bâtir un monde meilleur. Mais ce
principe peut s'avérer contradictoire, comme le démontre
l'opposition entre le caractère révolutionnaire lorsqu'il
soutient la sécession, ce qui met en présence l'État et
une partie de sa population, et le caractère conservateur lorsqu'il
protège les États, mettant ici en présence deux
États. Il n'existe pas de droit de sécession unilatérale
pour les communautés infra-étatiques, sauf dans certains cas
particulièrement graves et irrémédiables de violation des
droits de l'Homme. Faute d'être autorisée, une sécession
est néanmoins possible si elle réussit à s'imposer.
Le droit à l'autodétermination externe peut
s'exercer de plusieurs manières. Selon la Déclaration relative
aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la
Charte des Nations Unies adoptée par l'Assemblée
générale de l'ONU en 1970 :
« La création d'un État souverain et
indépendant, la libre association ou l'intégration
avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut
politique librement décidé par un peuple constituent pour ce
peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même
».
Il convient de constater que les États
constitués en fédération ou en confédération
offrent plus de possibilités aux peuples qui les composent d'exercer
leur droit à l'autodétermination. Nous reviendrons plus tard sur
ce point
Le droit à l'autodétermination interne sera lui
consacré par une résolution de l'Assemblée
générale du 14 décembre 1960, même jour que la
Déclaration sur l'octroi de l'indépendance, qui énonce
:
« Tous les peuples ont le droit de libre
détermination ; en vertu de ce droit ils déterminent librement
leur statut politique ».
Cependant, la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États conformément à la Charte des Nations Unies
dispose que c'est « chaque État (qui) a le droit de choisir et
développer librement son système politique, social,
économique et culturel ».
101
Un compromis sera trouvé dans la Charte des droits et
devoirs économiques des États du 12 décembre 1974 :
« Chaque État a le droit souverain et
inaliénable de choisir son système politique, social, et
culturel, conformément à la volonté de son peuple, sans
ingérence, pression ou menace extérieure d'aucune sorte
».
La Déclaration d'Alger de 1976 viendra préciser
dans son article 5 que tout peuple « détermine son statut
politique en toute liberté, sans aucune ingérence
étrangère extérieure ». Le droit à
l'autodétermination interne c'est donc, au sens de cette
déclaration, le droit pour chaque peuple « à un
régime démocratique représentant l'ensemble des
citoyens... capable d'assurer le respect effectif des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales pour tous ».
Ainsi, dans la Charte des Nations Unies et dans les
déclarations adoptées dans les années 1960 et 1970, le
droit à l'autodétermination a été consacré
pour donner une base juridique à l'autodétermination des peuples
colonisés. L'exercice de ce droit a donc une dimension
externe/internationale, puisqu'il s'agit de permettre la décolonisation
et l'indépendance des peuples colonisés.
En vertu des deux Pactes internationaux relatifs aux droits
humains de 1966 et de la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre
les États et conformément à la Charte des Nations Unies,
les États ont des obligations à la fois négatives et
positives.
Premièrement, tout État a le devoir de respecter
le droit à l'autodétermination en conformité avec la
Charte des Nations Unies. Deuxièmement, tout État a le devoir de
favoriser la réalisation du droit des peuples à
l'autodétermination et d'aider l'ONU à s'acquitter de ses
responsabilités dans l'application de ce principe, afin de :
· Favoriser les relations amicales et la coopération
entre les États ;
· Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant
dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples
intéressés 110.
Les événements consécutifs au
démembrement de l'U.R.S.S. et de la Fédération yougoslave
ont néanmoins mis en évidence la difficulté d'application
du principe d'autodétermination lorsque de nombreuses minorités
se partagent un même territoire. Le débat suscité par la
reconnaissance de l'indépendance du Kosovo à partir de 2008
révèle la vigueur des controverses que suscite encore le
110 Cf. résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée
générale de l'ONU, adoptée le 24 octobre 1970.
102
droit à l'autodétermination.
Le Kosovo était une région autonome de la
République populaire de Serbie, comprise jusqu'en 1989 dans le cadre de
la République fédérale de Yougoslavie. Avec
l'indépendance du Monténégro, la RFY a pris le nom de
Serbie, et considère le Kosovo comme une des ses provinces. En
février 2008, cet État a proclamé unilatéralement
son indépendance, avec l'appui de certaines grandes puissances. Dans son
arrêt rendu le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice a
conclu que la déclaration d'indépendance du Kosovo du 17
février 2008 n'a pas violé le droit international 111.
Tous ces instruments stipulent que « tous les peuples ont
le droit de disposer d'eux-mêmes », mais il n'a jamais
été spécifiquement fait mention des peuples
autochtones.
2) L'autodétermination des peuples
autochtones
Les bénéficiaires du droit à
l'autodétermination sont les peuples. L'État est l'instrument de
l'exercice de ce droit entre les mains du (ou des) peuple(s) qui le
compose(nt). Lorsqu'il est utilisé pour désigner un groupe
titulaire de droits collectifs lui permettant d'assurer sa
pérennité, le terme « peuple » comprend l'idée
d'un droit, pour ce groupe, à sa libre disposition
(autodétermination). Aujourd'hui, dans le cas des peuples autochtones,
certains États ont pris le parti de contester que ce droit accorde le
statut de peuple à ceux qui se réclament de l'appartenance
à un peuple.
Les peuples autochtones revendiquent aujourd'hui leur droit
à l'autodétermination dans un monde qui est devenu
extrêmement interdépendant. Dans ce contexte, la majorité
d'entre eux désirent aujourd'hui une forme de libre association avec les
États dans lesquels ils se trouvent sous l'arbitrage du droit
international. Certains États ont d'ailleurs profité de cette
volonté sincère des peuples autochtones de négocier un
partenariat pour exiger un rétrécissement formel de leur droit
à l'Autodétermination. Le gouvernement américain, par
exemple, défendait une position se disant disposé à
accepter les termes « peuples » et «
autodétermination » dans le Projet de Déclaration
sur les peuples autochtones à condition que le premier n'implique en
aucune façon l'exercice du droit à l'autodétermination, et
que l'on formule le second de manière à préciser qu'il
s'agit d'une autonomie ou d'une auto-administration à l'intérieur
de l'État-nation existant 112.
111 Cour internationale de Justice, Conformité au
droit international de la déclaration unilatérale
d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet
2010
112 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.20
103
Cette position représente une menace pour les peuples
autochtones. En effet, puisque aucun instrument juridique international ne
définit les termes « autodétermination interne
»,
« autonomie », « autonomie
gouvernementale » ou « auto-administration », ils
sont donc sujets à l'interprétation que les États leur
donnent.
Dans son rapport sur la situation des peuples autochtones,
Martinez Cobo distingue six types de politiques suivies par les États
vis-à-vis des autochtones. Tout d'abord :
« la ségrégation , reposant en
général sur la croyance en une hiérarchie des cultures,
elle revêt souvent la forme inadmissible de l'apartheid et des
réserves-ghettos. L'assimilation repose également sur
l'idée de hiérarchie : l'autre est accepté... à
condition qu'il abandonne ses spécificités en faveur de la
société dominante. L'intégration
représenterait une voie moyenne : elle n'implique que la
suppression des spécificités qui, dans chaque culture contiennent
des obstacles à l'unité de l'ensemble. Elle repose sur repose sur
l'élimination des clivages purement ethniques, l'égalité
juridique de tous les citoyens, à chaque groupe qu'ils appartiennent.
Mais on peut observer que, dans la pratique, l'intégration est soumise
à des rapports de force (les cultures en présence sont rarement
sur un pied d'égalité in concreto), et a donc tendance
à se muer en forme plus progressive d'assimilation. La fusion,
" processus en vertu duquel deux cultures au moins s'associent pour en produire
une autre qui diffère de façon marquée de chacune d'entre
elles ainsi que de nouveaux éléments produits par le contact... "
[...] Le pluralisme, quant à lui, "... vise à unir
différents groupes ethniques dans un rapport d'interdépendance,
de respect mutuel et d'égalité, tout en leur permettant de
maintenir et de développer leur mode de vie propre. Il peut comporter
une séparation physique, mais le plus souvent ce n'est pas le cas. Toute
séparation existante est choisie volontairement : elle n'est pas
imposée" [...] Enfin l'autonomie, corollaire fréquent de
l'orientation précédente. Elle ne se confond pas avec la
sécession, mais peut s'identifier à une autogestion interne des
groupes autochtones. La plupart d'entre eux insistent sur le caractère
déterminant des facteurs culturels dans le développement
économique ; la nécessité de la reconnaissance juridique
du caractère collectif de la propriété des terres ; la
mise en oeuvre d'une autonomie politique » 113.
Jusqu'à récemment, le seul instrument
international offrant une protection spécifique aux droits des peuples
autochtones était la Convention n°169 de l'OIT, dont les articles
13 à 17, en particulier, consacrent les droits des peuples autochtones
à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de
113 Voir Rouland Norbert, Pierré-Caps
Stéphane, Poumarède Jacques « Droit des
minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996,
pp. 399-400 ; Chap IX « Politique fondamentale »,
Doc. E/CN.4/Sub.2/1983/21/Add.1, p. 4-10 ; §22, p. 6 ; §28 p. 8 ;
§29 p. 9
104
participer à l'utilisation, à la gestion et
à la conservation de leurs ressources. Ils consacrent également
les droits des peuples autochtones à la consultation avant toute
utilisation des ressources situées sur leurs terres et l'interdiction de
les déplacer de leurs terres et territoires.
L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones par l'Assemblée générale en
septembre 2007, permet d'aller plus loin que la Convention de l'OIT. La
Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones
ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de
tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus
dans les instruments relatifs aux Droits de l'Homme. Puis elle reconnaît
le droit des peuples autochtones à l'autodétermination et leurs
droits sur leurs terres et ressources.
De par leur droit fondamental à
l'autodétermination, les peuples autochtones ont le droit de promouvoir,
de développer et de conserver leurs structures institutionnelles, le
droit d'être autonomes et d'administrer eux-mêmes leurs affaires
intérieures et locales, le droit d'appartenir à une
communauté ou une nation autochtone, le droit d'acquérir une
citoyenneté autochtone qui ne remette pas en cause leur
citoyenneté nationale et le droit de participer pleinement à
l'élaboration des mesures légales ou administratives susceptibles
de les concerner. Ils ont le droit de posséder, de gérer et
d'utiliser leurs terres et territoires, le droit de négocier ou de
refuser tout projet d'exploitation de leurs terres, le droit d'obtenir la
restitution des terres et des ressources qu'ils possédaient, occupaient
ou exploitaient traditionnellement, ou à défaut, lorsque la
restitution de leurs terres traditionnelles se révèle impossible,
le droit d'être indemnisés de manière juste. Ils ont le
droit de contrôler, développer et protéger leurs cultures,
leurs traditions, leurs savoirs et leurs arts, le droit de conserver leurs lois
et leurs pratiques juridiques à condition que ces dernières
soient conformes avec les Droits de l'Homme, le droit de pratiquer librement
leurs rites religieux, le droit de maintenir leur économie
traditionnelle, le droit d'utiliser et de revivifier leurs langues, et le droit
de recevoir une éducation dispensée dans leurs propres langues,
conformément à leurs méthodes culturelles d'enseignement
et d'apprentissage. Ils ont également le droit de
bénéficier de mesures spéciales du fait de leurs
désavantages socio-économiques, le droit de définir leurs
priorités et leurs stratégies de développement, le droit
d'élaborer les programmes économiques et sociaux qui les
concernent, et autant que possible, le droit de les administrer au moyen de
leurs propres institutions. Enfin, ils ont le droit de s'identifier librement
en tant qu'autochtones et le droit d'être pleinement
protégés contre toute forme de discrimination ou de
génocide 114.
La réalisation du droit à
l'Autodétermination consiste à engager un dialogue soutenu avec
la
114 Ibid, p. 95
105
population dominante, et à poursuivre les campagnes de
sensibilisation auprès des organes gouvernementaux. Potentiellement, le
droit à l'autodétermination des peuples autochtones et celui des
États dans lesquels ils vivent pourraient entrer en conflit, surtout
s'il n'y a pas de concertation sur les intérêts divergents des
divers acteurs mentionnés, ni le respect des droits humains fondamentaux
et des principes démocratiques. Il s'agit également de renforcer
la solidarité entre les peuples autochtones du monde entier, et ce
grâce à une participation active au sein des Nations Unies.
Selon Rodolfo Stavenhagen, Rapporteur spécial de l'ONU
sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales
pour les peuples autochtones, il existe divers niveaux d'approche et d'analyse
de la question du droit à l'autodétermination. Ainsi il parle
d'approche verticale, de haut en bas, et d'approche pyramidale, de la base vers
le sommet.
La première est celle que les États ont
traditionnellement adoptée, parce que ce qui les préoccupe, c'est
une application valide du droit à l'autodétermination tel qu'il
est défini par les instruments nationaux et internationaux
pertinents.
L'approche pyramidale, pour sa part, peut être
considérée comme une approche constructiviste : « le droit
à l'autodétermination entendu, en fait, comme un droit des
peuples plutôt qu'un droit des États; comme un droit de
collectivités organisées d'une certaine manière »
115.
Du fait de l'importance politique des différents textes
internationaux, la doctrine estime que ce droit ne peut s'appliquer aux peuples
autochtones qui ne sont pas soumis à la domination coloniale. Elle
opère donc une dissociation entre le droit des peuples et le principe
d'autodétermination hors les cas de domination coloniale.
ii. L'autodétermination assimilée
à la décolonisation
Il apparaît que l'existence d'une situation de
colonisation, présente ou passée, est un point commun à
toutes les communautés autochtones. Selon la définition de l'ONU,
un territoire non autonome, donc colonisé, doit être
séparé par la mer de l'État qui l'administre. Les colonies
ne peuvent donc qu'être en dehors du territoire national, au delà
des mers. Les territoires qui satisfont à ces critères
bénéficient donc du droit à l'autodétermination
116.
115 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 44
116 Résolution 1514 (XV), Déclaration sur
l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux,
adoptée par l'Assemblée
106
Toutefois, selon Marie-Claire Bertin, « cette
définition de la colonisation a des conséquences
différentes sur les peuples autochtones selon l'endroit où ils se
trouvent. Elle circonscrit la qualification de peuples autochtones aux groupes
qui vivent sous la domination d'États européens ou d'origine
européenne. Ces États reconnaissent que des peuples autochtones
vivent sur leurs territoires. La condition de la séparation
géographique est satisfaite dans la mesure où ces peuples sont
les descendants de ceux qui occupaient et contrôlaient les territoires au
moment où les colons européens sont venus s'installer et les
déposséder. En revanche, ils vivent maintenant sur le territoire
métropolitain d'États indépendants, il n'y a donc plus de
séparation géographique. Ces peuples vivent sur le territoire
d'États indépendants et non dans des colonies, ils en constituent
donc pas des populations non autonomes. Par conséquent, ces peuples
autochtones ne peuvent pas obtenir la qualification de peuples au sens du droit
international et donc ne peuvent pas prétendre exercer le droit à
l'autodétermination » 117. Il faut donc assouplir cette
conception, jugée par les Nations Unies comme trop restrictive.
Nous allons donc définir cette domination coloniale,
qui peut avoir des formes différentes selon le territoire où elle
est exercée (1.), avant de traiter de
l'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé
(2.).
1) Définition de la décolonisation
La décolonisation est un mouvement de l'histoire
résultant de la conjonction de forces diverses se renforçant
mutuellement - affaiblissement des empires coloniaux dû à la
guerre, prise de conscience de l'exploitation coloniale par une élite
autochtone, rivalité Est-Ouest, tribune de l'ONU... - et rendant
finalement intenable le maintien des dominations coloniales 118.
La décolonisation imposait deux exigences objectives :
la rupture totale des liens qui maintenaient le territoire non autonome sous la
domination politique de la puissance coloniale, et la sauvegarde de
l'unité territoriale de l'ancienne colonie qui risquait de se
désagréger en perdant le cadre colonial qui la maintenait de
gré ou de force unie. Ces exigences ont été
imposées aux peuples colonisés, au
générale des Nations Unies le 14 décembre
1960.
117 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; pp. 271-272
118 CHARPENTIER Jean, « Autodétermination et
décolonisation » ; In : Mélanges Chaumont (Charles). - Paris
: A. Pedone, 1984. - p. 119
107
besoin contre leurs intérêts 119.
Il fallait donc distinguer les peuples colonisés des
autres, en se basant sur plusieurs critères : la séparation
géographique, la spécificité ethnique et culturelle, ou
encore l'état de subordination. C'est donc une certaine qualification
qui peut discerner ceux des peuples qui ont droit à
l'autodétermination. Celle ci peut être opérée par
un organe extérieur aux bénéficiaires des droits ainsi
reconnus, ou encore par le peuple lui même qui témoignerait de son
aptitude à accéder à l'indépendance. Le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes devient ainsi, selon la forte
expression de Charles Chaumont, le droit des peuples à témoigner
d'eux-mêmes 120.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le
mouvement de décolonisation pris la forme d'une obligation
coutumière de décolonisation, basée sur la situation
objective des peuples concernés. Le problème se posait pour les
peuples dépendants, que l'on appelle aussi « nations dans la nation
», ou minorités nationales, qui restaient soumis à
l'autorité des États. La reconnaissance de leur droit à
l'Autodétermination impliquait que leur statut au sein de l'État
soit revu dans un processus de décolonisation interne.
Aujourd'hui, si l'on suit le sens classique du terme, peu de
peuples sont encore l'objet de la colonisation, mais on peut toutefois
mentionner les Kurdes, les Saraouis ou encore les Tibétains.
C'est en ce sens que la Cour internationale de Justice a
statué en 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental, et a reconnu
dans un avis consultatif « qu'on ne pouvait pas qualifier de Terra
Nullius des territoires habités par des populations dont les
critères d'organisation sociopolitiques, s'ils diffèrent de ceux
des sociétés étatiques, n'en existent pas moins, et ne les
disqualifient pas pour l'exercice d'un droit à
l'Autodétermination » 121.
En outre, la Résolution 2625 ne restreint pas
explicitement le droit à l'Autodétermination aux peuples sous
domination coloniale dans la mesure où elle ne dit rien des États
où persiste une domination de type colonial sous les apparences de
l'unité politique, ce qui est le cas aujourd'hui de bon nombre de pays
abritant des peuples autochtones sur leurs territoires. En effet, la domination
de type colonial à l'égard des peuples autochtones peut se
manifester à l'intérieur d'États qui sont eux même
sortis de la situation coloniale 122.
La Charte de l'ONU contient plusieurs références
à ce droit, ainsi que les Pactes de 1966 sur les Droits de l'Homme. Mais
c'est l'Assemblée générale qui, au travers de ses
nombreuses résolutions, a
119 Ibid, p. 124
120 Ch. CHAUMONT, « Le droit des peuples à
témoigner d'eux-mêmes », i A.T.M., 1976, pp.15 et
suiv.
121 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane,
POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples
autochtones », PUF, 1996, pp. 447 ; CIJ Avis consultatif sur
le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, §75 à 83
122 Cf. N. Rouland, Les colonisations juridiques : de
l'Arctique à l'Afrique noire, Journal of Legal
Pluralism, 29 (1990), pp. 39-136
108
spécifiquement appliqué ce droit au contexte de
la décolonisation. Les deux plus importantes sont la Résolution
1514 (XV), appelée la « déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux peuples et pays coloniaux », et la
Résolution 2625 (XXV) « déclaration relative aux
principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les États conformément à la
Charte des Nations Unies ». Selon ces résolutions, le peuple
non autonome peut déterminer librement son destin, soit en devenant un
État indépendant souverain, soit en s'associant à un
État indépendant ou en s'y intégrant. Dans sa
Déclaration de 1970, l'Assemblée générale a
circonscrit le droit à l'autodétermination dans la mesure
où elle énonce que l'on doit considérer tout État
souverain et indépendant, doté d'un gouvernement
représentant l'ensemble de sa population, comme un État qui se
conduit conformément au principe de l'égalité de droits et
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à
l'égard de cette population.
Intéressons nous donc à l'assimilation qui est
opérée entre peuple autochtone et peuple colonisé.
2) L'assimilation peuple autochtone/peuple
colonisé
L'indépendance n'est qu'une des formes possibles
d'exercice du droit à l'Autodétermination. Ainsi il serait
possible d'envisager un cadre juridique international plus précis que
celui qui s'appuie sur la Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et peuples coloniaux de 1960, et sur la
Déclaration sur les relations amicales de 1970. La
responsabilité des États est de rendre possible l'exercice de
l'autodétermination des peuples, tandis que celle de la
communauté internationale est plutôt de s'assurer que celui-ci
s'effectue de manière pacifique. Il s'agit donc d'un défi pour
les États de se démocratiser pour permettre aux peuples d'exercer
leurs droits sans être soumis à la domination, et de fournir ainsi
les conditions internes qui permettent l'exercice pacifique du droit à
l'Autodétermination.
Selon Nina Pacari, députée à
l'Assemblée nationale de l'équateur, la question de la
reconnaissance du droit à l'Autodétermination aux peuples
autochtones est une question politique.
« Il s'agit de peuples en situation d'exclusion au sein
d'un État uninational hégémonique, dont le
caractère mono-ethnique a, de fait, empêché les peuples
autochtones de prendre part aux décisions concernant leur avenir.
Dès l'origine, ces peuples s'inscrivent donc dans une continuité
historique. Cependant, les États nationaux, en se constituant, ont
oublié leur
109
existence et imposé des institutions qui ne
correspondent pas à la réalité nationale, si diverse et si
plurielle. D'où un problème d'exclusion qu'il faut corriger en
reconnaissant le caractère multiethnique de la société et
de l'État, dans un cadre dépassant le déclaratif »
123
Il faut donc de nouveaux modèles d'États ; des
États qui soient inclusifs et plurinationaux. Après que bon
nombre d'États aient arraché leur indépendance aux
puissances coloniales, le concept « une seule nation, un seul État
» a gommé la diversité des peuples autochtones
installés sur un territoire. La Convention 169 de l'OIT reconnaît
aux peuples autochtones l'auto-affirmation de leur identité, et souligne
le droit à l'identité autonome à laquelle ils ont droit.
Cependant, il en coûte aux États de reconnaître pleinement
cette auto-identification collective qui, par voie de conséquence,
détermine le caractère plurinational d'un État
124. Ce principe de plurinationalité implique d'ailleurs des
réaménagements territoriaux qui devront être
effectués dans le respect de la diversité culturelle des
différentes communautés autochtones. Ainsi, la participation et
le contrôle des peuples autochtones ne seront possibles qu'à
travers la décentralisation et les autonomies, en fonction des
caractéristiques spécifiques de chaque État. Un
État plurinational survit si son système politico-juridique est
adéquat ou s'il s'adapte en vue de l'exercice de
l'autodétermination de tous les peuples qui le composent.
La Charte des Nations Unies, en affirmant « le principe
de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à
disposer d'eux-mêmes », ne définit pas les
bénéficiaires de ce droit. C'est l'Assemblée
générale des Nations Unies qui va apporter les précisions
nécessaires au travers de ses résolutions, attestant de ce fait
que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une
règle du droit coutumier international. Ces résolutions expriment
l'opinio furis selon laquelle le colonialisme est contraire à
la Charte.
Les modalités d'exercice du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes sont posées dans la résolution 1514
(XV) du 14 décembre 1960, intitulée Déclaration sur
l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Cette
résolution confirme que le mouvement de décolonisation a
donné ses caractéristiques au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes : « il concerne tous les peuples des territoires
colonisés par des États européens, des territoires qui
sont tous géographiquement séparés de ces États et
il s'exerce dans le cadre des frontières coloniales, en vertu du
principe de l'uti pussidetis furis » 125. Ce principe
consiste à respecter les frontières tracées par
123 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 26
124 Ibid, p. 26
125 BERTIN Marie-Claire « Le statut des
peuples autochtones en droit international » / Atelier
National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 322
110
l'État colonisateur, et ainsi maintenir les
délimitations territoriales administratives coloniales.
Considérée comme la Charte de la
décolonisation, cette résolution pose problème lorsqu'on
aborde la question de l'autodétermination, qui n'a été
développée par l'Assemblée générale que dans
le cadre de la décolonisation. Celle ci considère que l'exercice
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes amène
nécessairement à l'indépendance, l'issue par excellence
d'une situation de colonisation.
Lorsqu'il ne conduit pas à l'indépendance, mais
aboutit sur une association ou une intégration dans un État
indépendant, l'Assemblée générale exige un
référendum, afin de prendre conscience de la volonté
réelle du peuple colonisé 126.
Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne
peut donc être exercé que sur un peuple colonisé, et
assimile l'autodétermination avec l'indépendance. Cette
conception ne facilite pas son application en dehors du contexte colonial. Afin
d'exercer pleinement ce droit, les peuples autochtones doivent démontrer
qu'ils constituent des peuples au sens du droit international. Il n'existe pas
de définition unique en droit international de la notion de peuple, mais
au sens de la décolonisation un peuple désigne l'ensemble de la
population colonisée d'un territoire, qui est géographiquement
séparé de l'État qui l'administre. Cette définition
implique que le peuple soit la population entière, et exclut
l'idée qu'un groupe minoritaire puisse constituer un peuple. En effet
selon cette conception, « lorsque le droit à
l'autodétermination a été exercé, la population
forme une unité, tous les individus ont la même nationalité
; il n'y a qu'un seul peuple, il ne peut y avoir au mieux que des
minorités. Par conséquent, il ne peut pas exister plusieurs
peuples sur le territoire métropolitain d'un État
indépendant » 127.
La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme
confirme cette conception dans son rapport sur les Indiens Miskito du Nicaragua
128. Elle considère que ces communautés sont des
groupes, des minorités ethniques et ne sont pas par conséquent
bénéficiaires du droit à l'autodétermination.
Toutefois, la Cour leur reconnaît un droit à
l'autodétermination interne de manière implicite : constatant
qu'ils n'ont pas pu se développer sur les plans culturel et ethnique,
elle suggère à l'État nicaraguayen de faire en sorte qu'il
puissent être consultés et qu'ils participent aux prises de
décisions politiques. La Commission reste ici dans le cadre du droit
interne de l'État, et respecte ainsi son intégrité
territoriale.
126 Cette exigence est posée dans les principes VII
à IX de la Résolution 1514 (XV)
127 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 336
128 Report on the situation of human rights of a
segment of the Nicaraguan population of Miskito
origin, OAS Doc. OEA/Ser.L/VLII.62, doc.26 (1984)
111
Il est extrêmement important de sortir du cadre de la
domination coloniale ou de l'occupation étrangère et d'accorder
au droit d'autodétermination l'attention qu'il mérite. C'est en
effet hors de ce cadre que l'exercice de ce droit a donné lieu aux
changements les plus importants et catégoriques au sein de la
communauté internationale.
Il est donc indispensable de fournir un travail d'ordre
technique plus poussé aux échelons national, régional et
international afin d'appréhender les implications concrètes du
droit à l'Autodétermination.
Analysons maintenant la portée juridique du droit des
peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes.
iii. La portée juridique interne du droit des
peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
L'autodétermination, la souveraineté et
l'autonomie gouvernementale sont inhérentes au statut juridique des
peuples autochtones. Il en existe de multiples approches et
interprétations.
Le rapport rendu par Martinez Cobo en 1986 concluait que
l'ethnocide des peuples autochtones durant l'ère moderne était
directement associé à l'absence d'un droit à
l'autodétermination reconnu. Il est donc très important pour eux
qu'ils acquièrent la personnalité juridique internationale que
confère ce droit, de manière à ce qu'ils puissent :
1) négocier avec les États sur la base d'une
égalité formelle;
2) faire appel facilement à la communauté
internationale pour demander protection contre les abus des États le cas
échéant;
3) participer comme il se doit aux instances internationales
où, de plus en plus, se prennent des décisions qui ont des
retombées énormes sur leurs communautés.
Pourtant, dans un très grand nombre de cas, les peuples
autochtones cherchent à acquérir une personnalité
juridique internationale sans pour autant chercher à devenir des
États indépendants.
Il s'agit ici de traiter de la dimension purement interne du
droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones
(1.), avant d'aborder les limites posées par
le respect des droits territoriaux des autochtones et de
l'intégrité territoriale des États
(2.).
112
1) La dimension interne du droit à
l'Autodétermination pour les peuples
autochtones
Il n'existe pas à proprement parler de dimension
interne de ce droit, mais des conditions internes au sein des États
permettant de l'exercer pacifiquement vis-à-vis de l'autorité
dirigeante et de l'intégrité du territoire. Si ces conditions
n'existent pas ou ne peuvent être générées, le droit
d'autodétermination pourra justifier la rébellion ou la
sécession et exigera des réponses externes ou internationales,
à commencer par la reconnaissance.
Au cours de sa séance de 1997, le Groupe de travail de
la Commission des droits de l'homme et les États ont alimenté un
débat autour des notions d'autodétermination « interne
» et d'autodétermination « externe ». Le but était
de circonscrire le droit des peuples autochtones à disposer
d'eux-mêmes dans les limites d'un droit prescrit par les autorités
internes ou par l'État 129.
Pour les peuples autochtones le droit à
l'Autodétermination ne peut être interprété comme un
droit à la sécession, sauf en dernier recours. Il s'agit
plutôt d'une part d'un droit à coexister pacifiquement à
l'intérieur d'un État avec le reste de la population, et d'autre
part d'un droit à disposer de leur destin, par l'intermédiaire de
leurs représentants avec les autorités de l'État. Ainsi,
après la décolonisation externe, visant des territoires qui
aboutissent à leur indépendance, et qui était autrefois la
seule prise en compte, va émerger un nouveau concept : la
décolonisation interne. Elle concerne les territoires
indépendants, et n'aboutit qu'à une autodétermination
interne, sans sécession. Cela signifie donc pour les peuples autochtones
l'auto-administration pour les questions les concernant spécifiquement,
la participation de l'État aux décisions les visant à
l'échelon national, ou encore la participation à la vie politique
de l'État. Cette distinction a par ailleurs été reprise
par Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples
autochtones :
« En théorie, du moins, il est possible de faire
une distinction entre, d'une part, l'autodétermination "externe", qui
signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au
niveau international et se libère du joug de "l'étranger", et, de
l'autre, l'autodétermination "interne", qui a trait essentiellement au
choix du système politique et administratif et à la nature
profonde du régime choisi. [...] La meilleure façon d'envisager
le droit à "l'autodétermination interne" est de le
considérer comme le droit d'un peuple de
129 Cette conception est assez controversée. En effet, les
gouvernements ne peuvent pas déclarer que les peuples autochtones ont le
droit de disposer d'eux-mêmes tout en affirmant qu'ils ne disposent que
du droit à une autonomie interne ou à une autonomie
gouvernementale.
113
choisir son propre régime politique, d'influer sur
l'ordre politique de la région dans laquelle il vit et de sauvegarder
son identité culturelle, ethnique, historique ou territoriale. [...]
Dès lors qu'un État indépendant a été
créé et reconnu, les peuples qui le constituent doivent essayer
d'exprimer leurs aspirations par l'intermédiaire du système
politique national et non en créant de nouveaux États, sauf si le
système politique national devenait si exclusif et si peu
démocratique qu'on ne pourrait plus le considérer comme
"représentant l'ensemble du peuple ". À ce stade, et si toutes
les mesures prises au niveau international et diplomatique étaient
impuissantes à protéger les peuples concernés de
l'État en question, ils auraient sans doute raison de créer un
nouvel État pour assurer leur sécurité [...] La
communauté internationale et l'auteur du présent document
dissuadent les peuples de recourir à la sécession pour
remédier à la violation de leurs droits fondamentaux mais, comme
le montrent des événements récemment survenus de par le
monde, le recours à la sécession ne peut être
entièrement écarté » 130.
Les États ont des positions diverses sur la question de
l'autodétermination, et bon nombre d'entre eux s'opposent fortement
à l'assimilation de l'autodétermination à la
sécession.
Néanmoins, en 1993 lors de la réunion du Groupe
de travail de l'ONU, certains États manifestaient leur soutien à
l'autodétermination des autochtones. L'Australie, par exemple, admettait
que l'autodétermination pouvait servir à la «
réconciliation nationale ».
En outre, la question des titulaires du droit à
l'autodétermination est un problème pour certains États
qui croient que tous les peuples autochtones ne sont pas des peuples au sens du
droit international.
Plusieurs États voulaient ainsi voir des balises
inclues dans le texte du projet de Déclaration sur les droits des
peuples autochtones : libre détermination interne, autonomie
gouvernementale, respect de l'intégrité territoriale et/ou de la
souveraineté des États démocratiques. Face à cela,
il a été reconnu par l'ensemble des représentants
autochtones à l'ONU que le droit à l'Autodétermination des
peuples autochtones doit être reconnu sans qualification, limitation ou
discrimination. Les peuples autochtones refusent en effet de se voir imposer
des conditions différentes de celles auxquelles sont soumises les autres
peuples, le but de la reconnaissance du droit à
l'autodétermination des peuples autochtones étant celle de leur
égalité avec les autres peuples. L'exercice de ce droit doit donc
se définir au cas par cas, avec la participation pleine et
entière, effective et directe des peuples concernés.
130 DAES e.i., Note explicative concernant le projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones, Doc.
E/CN.4/Sub.2/1993/26/Add.1, 19 juillet 1993, §17 p. 19, 21, 23
114
Les peuples autochtones doivent donc concilier leur droit
à disposer d'eux-mêmes et la nécessité d'une
collaboration avec les États sans lesquels ils ne peuvent agir. Le droit
à l'Autodétermination doit être exercé « en
conformité avec le droit international ». Ainsi, selon cette
conception, le droit à l'Autodétermination est un droit
modifié qui ne donne accès qu'à une
autodétermination interne, c'est à dire une certaine forme
d'autonomie gouvernementale limitée à l'intérieur d'un
État existant.
Selon Irene Daes, dans le cadre d'une autodétermination
interne, les peuples autochtones concernés auront acquis un certain
nombre de droits de manière progressive. Il s'agit donc de retrouver le
droit au développement des sociétés autochtones selon
leurs propres besoins. En effet, l'autodétermination inclut, en plus du
domaine politique, le contrôle de l'éducation locale, de la
santé et même des médias. Aujourd'hui, peu de peuples
autochtones sont représentés politiquement et cela même
lorsqu'ils constituent un pourcentage important de la population nationale du
pays. L'exercice de ce droit est une condition essentielle et indispensable
pour la protection de l'identité collective autochtone, ainsi que de
leur intégrité culturelle.
Reconnaître aux peuples autochtones qu'ils aient le
droit à l'Autodétermination est une façon de
reconnaître que ce ne sont pas des peuples de seconde catégorie
mais biens des peuples égaux en droits et en dignité, ce qui
implique qu'ils se conforment aux normes des Droits de l'Homme, qu'ils
négocient de bonne foi et qu'ils épuisent toues les voies de
négociation possibles afin d'exercer leurs droits. C'est donc la
reconnaissance du fait que les peuples autochtones ont le droit d'être
partie prenante aux décisions qui les concernent et qu'ils ont le droit,
comme entité collective, de choisir les arrangements qui garantiront
leur pérennité en tant que peuple. Cela implique également
des États qu'ils acceptent l'accession des peuples autochtones aux
forums internationaux et qu'ils négocient en égaux avec eux.
Parmi les peuples autochtones, on constate une multitude de
points de vue sur la question de l'autodétermination. Ils ont donc
diverses conceptions de ce droit et de quelle manière il opère
dans leurs communautés et sociétés respectives.
Pour certains, il s'agit d'ententes d'autonomie
régionale comme la création du Nunavut ou le statut de territoire
autonome du Groenland (Greenland Home Rule) ; d'autres ont
évoqué la souveraineté tribale aux États-Unis,
comme dans le cas de la Nation Navajo ; d'autres encore, comme la Commission
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres
(ATSIC), estiment qu'il est fondamental, pour
l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné
sans ambiguïté le droit à l'autodétermination.
115
Conformément au droit international, ce droit ne doit
pas être interprété comme autorisant ou encourageant une
action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement
ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité
politique de tout État souverain et indépendant se conduisant
conformément au principe de l'égalité de droit et du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes et doté d'un
gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire
sans distinction de race, de croyance ou de couleur.
Le droit à l'Autodétermination pour les peuples
autochtones s'exerce dans le respect de l'intégrité territoriale
de l'État. Analysons donc l'objet de cette garantie.
2) La garantie du respect des droits territoriaux et de
l'intégrité territoriale de l'État
Par définition, les peuples autochtones sont les
descendants des occupants originaires des territoires sur lesquels ils vivent
ou vivaient et dont ils ont été dépossédés
par un groupe d'origine différente. C'est sur la base de cette
occupation originaire qu'ils revendiquent la reconnaissance de leurs droits
territoriaux, autrement dit d'un droit territorial reconnu par le droit
international et mis en oeuvre, protégé par les États
131.
La relation des peuples avec leurs terres et ressources est un
élément essentiel du droit à l'autodétermination
comme en témoigne le second paragraphe de l'article 1 des deux pactes
:
« Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent
disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans
préjudice des obligations qui découlent de la coopération
économique internationale, fondée sur le principe de
l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un
peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance.
»
La terre constitue donc une partie intégrante de
l'identité autochtone, et leur relation particulière avec cette
dernière est « au centre de leur existence » 132.
Cette relation à la terre n'a cependant pas été comprise
par les colons européens, les amenant à déclarer des
terres comme inutilisées,
131 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 389
132 Rapport du Groupe de travail sur les populations autochtones,
E/CN.4/Subb.2/1999/19, §84
116
inoccupées et donc appropriables. Ce refus de prendre
en compte et de respecter le lien particulier entre les peuples autochtones et
leurs territoires a donc eu des conséquences dramatiques. Le territoire
est en effet pour eux source d'identité culturelle, de savoirs et de
spiritualité. Il est étroitement lié à leur
survie.
Deux articles de la Convention 169 de l'OIT, et neuf articles
de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, ainsi que le
Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le
développement (Rio 1992) tiennent compte du lien particulier des peuples
autochtones à la terre.
Aujourd'hui les peuples autochtones subissent
profondément l'empreinte de la modernité et tentent donc de
valoriser le lien territorial comme élément essentiel de leur
définition. Le territoire est en effet essentiel à leur survie :
la dépossession de ce territoire conduit à une assimilation. En
1985, le Conseil mondial des peuples autochtones rappelait que :
« La Terre est le fondement des peuples autochtones. Elle
est le siège de notre spiritualité, le terreau sur lequel
fleurissent nos cultures et nos langages. La Terre est notre histoire, la
mémoire des événements, l'abri des os de nos
prédécesseurs. La Terre nous donne la nourriture, les
médicament, nous abrite et nous nourrit. Elle est la source de notre
indépendance ; elle est notre Mère. Nous ne La dominons pas :
nous devons être en harmonie avec Elle. Si l'on veut éliminer les
peuples autochtones, le meilleur moyen de nous tuer est de nous séparer
de la part de nous-mêmes qui n'appartient qu'à la Terre »
133.
L'intégrité et le développement culturels
des peuples autochtones dépendent aussi de leur capacité
d'exercer leur droit de définir leur rapport à tout ce que
recèlent leurs territoires respectifs. Les autochtones peuvent
éventuellement s'enrichir grâce aux subsides gouvernementaux ou
encore en développant ou en vendant leurs forêts et leurs
ressources minières, mais resteront privés d'un authentique droit
de disposer d'eux-mêmes s'ils ne peuvent plus exercer un contrôle
réel sur leur territoire et leurs ressources naturelles 134.
Les peuples autochtones ont toujours soutenu que leur rapport à la terre
ou au territoire était au coeur de leurs cultures respectives.
Cet attachement au lien territorial est toutefois fortement
mis à mal par les spoliations dont sont victimes les peuples
autochtones. Toutes leurs revendications ont en effet pour fondement les
spoliations de territoires et de souveraineté, et portent notamment sur
le droit pour les peuples
133 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1985/WP.4, p. 5
134 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN:
2-922084-67-1.)
117
autochtones à disposer d'eux-mêmes. Elles
risquent donc de mettre en cause la souveraineté et
l'intégrité de l'État, ce qui explique la
difficulté de faire avancer le mouvement au sein de l'ONU 135.
Les territoires autochtones, vu qu'ils n'ont pas
été exploités, sont souvent très riches en
ressources. Cette richesse attire bon nombre de multinationales qui
désirent donc s'approprier les terres afin d'en exploiter les
ressources. Ainsi, à l'heure de la mondialisation économique, bon
nombre de gouvernements sont submergés par les forces du marché.
Seuls, ils ne sont pas en mesure de réglementer les activités des
grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des
approches destructrices.
En résultat de la forte mobilisation autochtone, les
États vont prendre conscience de la nécessité de
protéger les droits des peuples autochtones sur leurs territoires
traditionnels. La nature juridique et l'étendue de ces droits varient
selon les États 136.
Les autochtones attachent donc beaucoup d'importance à
la spécificité du lien territorial. Il est d'ailleurs pris en
compte dans certains instruments internationaux, tels que la Convention 169 de
l'OIT, dont les articles 13 à 19 s'y réfèrent ; ou encore,
depuis peu, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, dans son article 25. Cette évolution dénote une
prise de conscience de la nécessité impérieuse de
protéger les territoires des peuples autochtones.
L'article 13 de la Convention 169 dispose que :
« les Gouvernements doivent respecter l'importance
spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des
peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les
terres ou territoires, ou avec les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou
utilisent d'une autre manière, et en particulier des aspects collectifs
de cette relation »
L'article 25 de la Déclaration dispose quant à lui
que :
« les peuples autochtones ont le droit de conserver
ou de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres,
territoires, eaux et zone maritimes côtières et autres ressources
qu'ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et
d'assumer leurs
135 En général, ces spoliations datent de
l'époque des grandes découvertes où les conquérants
soutenaient que les terres étaient inoccupées, ou
inexploitées par les indigènes. Ces dépossessions de
territoires se sont effectuées de diverses manières. En
Amérique du Nord, elles ont par exemple pris la forme de traités
qui entraînèrent cession de droits territoriaux.
136 Ainsi, certaines communautés autochtones disposent de
titres de valeur constitutionnelle, comme c'est le cas au Brésil ou au
Canada tandis que d'autres voient leurs droits reconnus par la loi ou par la
jurisprudence. En outre, certains titres confèrent un pouvoir de
gestion, tandis que d'autres sont des titres de propriété
collective avec un régime juridique spécifique.
118
responsabilités en la matière à
l'égard des générations futures
».
Les droits territoriaux ont donc une place importante dans les
revendications autochtones. Toutefois, ils ne peuvent être
revendiqués que sur la base de l'occupation originaire ou parfois sur la
base de traités signés avec les puissances coloniales. Le
débat sur l'occupation originaire fut posé lors de
l'élaboration de la Convention 169 de l'OIT. À l'époque,
les peuples autochtones souhaitaient que l'occupation traditionnelle s'applique
aux territoires qu'ils occupaient et dont ils ont été
expulsés pour retrouver l'ensemble de leurs territoires traditionnels.
Ce à quoi les États s'opposaient, arguant que cette conception
s'applique à la quasi totalité des territoires de
l'État.
C'est l'article 24 de la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones qui viendra apporter une
précision sur les termes du débat :
« Les peuples autochtones ont le droit aux terres,
territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent
traditionnellement ou qu'ils ont utilisé ou acquis ».
D'application très étendue, cet article ne
concerne pas uniquement le sol, mais tout ce qui est nécessaire au mode
de vie des autochtones. L'État doit donc respecter les systèmes
juridiques autochtones.
Les droits territoriaux sont préexistants à
l'État, car ils sont fondés sur l'occupation et/ou l'utilisation
traditionnelle des territoires. Ainsi, « ce n'est pas ce dernier qui les
accorde ou les octroie selon sa bonne volonté, il doit les
reconnaître parce qu'ils existaient avant l'établissement de sa
souveraineté sur les territoires dont il a
dépossédés les peuples autochtones » 137.
Jusqu'au début du XXe siècle, les
sociétés autochtones sont jugées arriérées,
non civilisées, et leurs systèmes juridiques inaptes à
leur conférer des droits sur les territoires qu'ils occupent. Ces
territoires sont donc considérés « sans maître »,
et sont donc, comme tout territoire qui n'est pas étatique, des
terra nullius. Cette conception a été remise en cause
par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de 1975 sur
l'affaire du Sahara Occidental. La Cour a reconnu que des tribus
nomades, socialement et politiquement organisées, pouvaient avoir des
droits sur les territoires qu'elles occupent 138. Ainsi une simple
organisation, même minimale suffit pour rendre inopérante la
qualification de terra nullius.
Après l'avoir officiellement utilisée pour
établir sa souveraineté, l'Australie a fini par dénoncer
la
137 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 395
138 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre
1975, p. 12
119
doctrine de la terra nullius. En 1889, le Conseil
Privé de la Couronne britannique (Privy Council) avait
déclaré le territoire australien terra nullius dans sa
décision Cooper v. Stuart. Il faudra attendre 1992 avec
l'arrêt Mabo, rendue par la Cour suprême (High
Court) d'Australie, pour que cette doctrine soit remise en cause
139. Après avoir été saisi pour faire
reconnaître les droits ancestraux d'une communauté autochtone, la
Cour suprême déclare que l'Australie n'était pas une
terra nullius lorsque sont arrivés les premiers colons en 1788,
car elle était déjà occupée par le peuple
aborigène. Nous reviendrons plus tard sur cette importante
décision prise par la Haute Cour Australienne.
Les peuples autochtones ne peuvent cependant pas revendiquer
tous leurs territoires ancestraux. En effet, les revendications sont
limitées aux territoires avec lesquels ils ont maintenu un lien depuis
qu'ils en ont perdu le contrôle. C'est ce que précise
l'alinéa 2 de l'article 26 de la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones :
« Les peuples autochtones ont le droit de
posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les
terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur
appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi
que ceux qu'ils ont acquis ».
Le droit aux terres, territoires et ressources que les peuples
autochtones peuvent revendiquer est donc limité. En effet, ils ne
peuvent revendiquer des droits que sur des territoires qui relèvent du
domaine de l'État, et ne peuvent porter atteinte aux droits acquis par
les colons et leurs descendants. Ils ne peuvent donc se voir reconnaître
des droits sur des territoires sur lesquels une autre population s'est
installée, même s'il les avaient autrefois occupés.
En Australie, le peuple aborigène ne peut revendiquer
des droits que sur les territoires qu'il occupe et qui sont du domaine de la
Couronne. C'est le Native Title Act de décembre 1993 qui fixe
le cadre juridique dans lequel ces droits peuvent être exercés.
Sont donc exclus les territoires qui appartiennent à des personnes
privées, sur lesquels les droits des autochtones et des «
propriétaires » doivent coexister 140.
L'exclusivité de la compétence territoriale est
à la fois un attribut de l'État, une condition de reconnaissance
d'un sujet comme souverain et un principe protecteur de l'indépendance ;
aucune de ces caractéristiques n'est aujourd'hui susceptible
d'être accordée aux peuples autochtones. Finalement, la question
des terres et des ressources est clairement liée à celle de
l'autodétermination et plusieurs craintes des États pourraient
s'y loger.
139 Voir Infra, « La Révolution judiciaire avec
l'arrêt Mabo ».
140 Ibid ; Arret Wik
120
En 1957 la Convention 107 de l'OIT, d'inspiration
assimilationniste, garantissait aux autochtones des droits territoriaux tant
qu'ils restaient distincts de la société dominante. Cette
protection s'appliquait uniquement sur les terres traditionnellement
occupées, sans prévoir les cas où l'occupation avait pris
fin soit spontanément, soit par expropriation. L'article 11 de cette
Convention reconnaît le caractère collectif de la
propriété autochtone : « Le droit de
propriété, collectif ou individuel, sera reconnu aux membres des
populations intéressées sur les terres qu'elles occupent
traditionnellement ».
C'est avec la Convention 169 de 1989 que les
spécificités autochtones vont commencer à être
reconnues et préservées. L'article 14 précise par exemple
que « les droits de propriété et de possession sur les
terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux
peuples intéressés ». Cet article contient donc les notions
de propriété et de possession, et doit être lu
conjointement avec l'article 13 qui souligne la relation collective que les
peuples autochtones entretiennent avec leurs territoires. Les autochtones
souhaitent que leurs droits soient reconnus dans la plus forte acception :
celle de la propriété. L'article 16 traite lui de la question du
déplacement des autochtones et de la restitution de leurs territoires.
Ce déplacement ne peut être qu'exceptionnel et donne lieu à
des indemnités. En outre, il n'éteint pas le droit au retour des
populations qui occupaient le territoire. Le Comité d'experts de l'OIT
sur l'application des Conventions et Recommandations insiste sur le respect de
la propriété collective autochtone, et sur la
nécessité de la respecter, afin de ne pas porter atteinte au
modèle structurel des communautés autochtones.
Enfin, bien que son texte ait une dimension collective, la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne
reconnaît pas expressément la propriété collective.
L'article 26.2 qui affirme que les peuples autochtones « ont le droit de
posséder », mais aussi « d'utiliser », ne cite pourtant
pas la propriété collective. Elle est toutefois sous entendue, au
sens de l'article 27 qui demande que la reconnaissance des droits des peuples
autochtones aux terres, territoires et ressources soit faite en « prenant
dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes
fonciers des peuples autochtones ».
Voyons maintenant la limite posée par le respect de
l'intégrité territoriale de l'État.
La notion d'intégrité territoriale fait partie
intégrante du droit international. La Déclaration de 1970
relative aux principes touchant les relations amicales entre États
insiste d'ailleurs sur ce point. Selon U.Umozurike « le but ultime de
l'intégrité territoriale, c'est de protéger les
intérêts des
121
peuples d'un territoire ». 141
Ainsi, l'intégrité des peuples autochtones et
leurs autres intérêts fondamentaux sont intimement liés
à ce principe. Les revendications autochtones ne portent pas
nécessairement atteinte à ce concept d'intégrité
territoriale. Les peuples autochtones s'opposent simplement aux manoeuvres des
États qui cherchent à modifier les principes juridiques
internationaux quand ils s'appliquent aux peuples autochtones.
Les demandes autochtones ne sont donc pas forcément
sécessionnistes. Il arrive également qu'elles visent leur
inclusion dans la communauté internationale et dans les États
dans lesquels ils vivent ainsi que la possibilité de se
développer selon leurs propres valeurs.
Selon une grande partie de la doctrine,
l'intégrité territoriale d'un État donné peut
être mise en cause dans deux situations :
· Les menaces contre la paix et la sécurité
internationale. Elles permettent au Conseil de sécurité de l'ONU
d'intervenir dans les affaires intérieures d'un État
donné.
· Des violations graves et systématiques des
droits humains. De nombreux États, multiethniques, ne respectent pas
leurs obligations en matière de droits humains en général
et du droit à l'autodétermination en particulier.
La Déclaration et le Programme d'action de Vienne
conditionnent en quelque sorte le respect de l'intégrité
territoriale d'un État au respect « du principe de
l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples
et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la
totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction
aucune. » (chapitre I.2.§ 3)
La question de la conciliation du droit à
l'Autodétermination avec les principes d'unité nationale et
d'intégrité territoriale de l'État est abordée par
l'Assemblée générale de l'ONU dans sa résolution
2625 (XXV). Elle y précise que l'exercice du droit à
l'Autodétermination n'aboutit pas nécessairement à
l'indépendance, tout en réaffirmant avec fermeté le
principe de l'intégrité territoriale d'un État. Ainsi, le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut «
démembrer ou menacer totalement ou partiellement
l'intégrité territoriale d'un État ».
Toutefois, la résolution peut également
être interprétée autrement, comme autorisant explicitement
la sécession. Selon certains membres de la doctrine tels que Antonio
Cassese, cette résolution dispose que l'intégrité
territoriale d'un État est garantie s'il « se conduit
conformément au principe
141 U.UMOZURIKE, Self-Determination in international Law
(Hamden, Connecticut : Archon Books, 1972), p. 234
122
de l'égalité de droits et droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes (...) et dotée ainsi d'un
gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire
sans distinction de race, de croyance et de couleur ». Ainsi, si
l'État viole cette exigence d'un gouvernement représentatif, son
intégrité n'est alors plus protégée et le peuple
est en droit d'exercer son droit à disposer de lui même sur le
plan externe 142. Il n'y a donc pas incompatibilité entre
l'autodétermination et les principes d'unité nationale et
d'intégrité territoriale de l'État.
La plupart des peuples autochtones vivant sur le territoire
d'États indépendants, il s'agit donc de savoir s'ils sont
bénéficiaires du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes et donc d'un droit à la sécession.
« Les peuples autochtones peuvent revendiquer l'exercice
de leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de
l'État à l'intérieur duquel ils vivent afin que ce dernier
assure leur représentation et leur participation dans le système
politique et qu'il leur permette de se développer économiquement,
socialement, culturellement. » Cette conception peut donc être
applicable aux peuples autochtones.
Certains États, comme les États-Unis et le
Canada, soutiennent qu'une reconnaissance explicite du droit des peuples
autochtones à l'autodétermination constitue une menace pour
l'intégrité territoriale des États existants. Pourtant, au
Canada, les actions menées par les peuples autochtones depuis une
vingtaine d'années ont contribué à préserver
l'intégrité territoriale du pays.
En fait, rares sont les peuples autochtones qui cherchent
à déstabiliser ou démembrer les États-nations
existants. Au contraire, de plus en plus s'efforcent d'établir des
relations qui permettent aux tensions normales de la souveraineté
partagée et des régimes et arrangements trans-culturels de
protéger et de promouvoir leurs intérêts distincts 143.
Les peuples autochtones ont déjà avancé
des arguments juridiques face aux craintes « non fondées » de
démembrement nourries par les États. Certains États ont en
effet soutenu que l'article 3 de la Déclaration sur les droits des
peuples autochtones devait être modifié de manière à
y inscrire de façon permanente le principe de l'intégrité
territoriale. Les peuples autochtones se sont opposés à ces
propositions dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires et
qu'elles risquent de réprimer l'évolution naturelle du droit
à l'autodétermination en droit international.
142 BERTIN Marie-Claire « Le statut des
peuples autochtones en droit international » / Atelier
National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 329
143 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le
18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 53
123
Il s'agit dès lors d'aborder les conséquences du
droit à l'autodétermination des peuples autochtones sur le plan
international.
B) La réception du droit à l'autonomie
gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations
internationales
Au fil du temps la communauté internationale va
prendre conscience de la situation des peuples autochtones. Les peuples
autochtones ont désormais un statut international, et les questions
concernant leur situation de peuples dominés sur le territoire
d'États indépendants deviennent d'ordre international et non plus
seulement interne. En outre ils sont consultés, et participent parfois
à l'élaboration des décisions qui les concernent
directement, ou même indirectement. Ils ont ainsi participé
à la rédaction de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones et ont une place importante au sein de
l'Instance Permanente où ils siègent à
égalité avec les États. Bien qu'ils ne soient pas reconnus
comme sujets du droit international ils sont pleinement intégrés
dans le système onusien. Les peuples autochtones vont donc être
les bénéficiaires d'ensembles normatifs nouveaux,
résultats d'un long processus de compromis entre représentants
autochtones et les États.
Il s'agit ici de traiter de la réception du droit
à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Nous
évoquerons donc la récente Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît pleinement leur
identité internationale (i.), avant de traiter
des difficultés de collaboration entre communautés autochtones et
gouvernements étatiques (ii.). Nous
terminerons cette sous-partie en abordant le rôle des peuples autochtones
aux Nations Unies en tant que nouvel acteur international
(iii.).
i. La Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
« La Déclaration des Nations unies sur les
droits des peuples autochtones, ce n'est pas la fin, ni le commencement de la
fin, mais la fin du commencement. »
Irené Erica Daez, Présidente-Rapporteuse du
Groupe de travail sur les peuples autochtones
124
Le 13 septembre 2007, l'Assemblée
générale a adopté la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones, après une vingtaine
d'années de préparation. Dès sa première session,
le Conseil des Droits de l'Homme, dans sa résolution 1/2 du 29 juin
2006, avait lui même adopté, par vote, le projet. Mais
l'Assemblée générale avait rouvert le débat, avant
de finir par adopter le texte non sans réticences. De manière
tout à fait inhabituelle pour un texte de portée
déclaratoire, la résolution 61/295 a fait l'objet d'un vote
nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le Canada, les
États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions - (Colombie,
Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération
de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya). Cette
réticence d'États comportant en leur sein de nombreuses
populations autochtones ne doit pas éclipser le pas historique qui est
franchi, en reconnaissant les droits des « peuples » autochtones en
tant que tels.
Il s'agit donc de traiter ici de l'adoption de cette
déclaration (1.), ainsi que de son impact sur
les résolutions prises par l'ONU (2.).
1) L'adoption de la Déclaration
Cette adoption tombe après 12 ans d'âpres
discussions, certains États étant peu disposés à la
reconnaissance de ces peuples et plus encore de leurs droits, surtout
territoriaux. La longueur de ces négociations s'explique par le fait que
les États sont réticents à évoquer les droits des
peuples autochtones sur le plan international, car ils considèrent que
cela relève de leur compétence interne. Se pose aussi la question
très controversée de la reconnaissance de droits collectifs, et
donc d'une identité collective des peuples autochtones. L'adoption de
cette résolution par un vote démontre d'ailleurs
l'impossibilité d'un consensus.
Le cheminement en a été particulièrement
lent, et certaines questions comme les droits collectifs ou individuels, les
terres et les ressources ont fait l'objet de débats approfondis.
En 1985, le Groupe de travail a commencé à
préparer un projet de Déclaration sur les droits des peuples
autochtones, qu'il a terminé en 1993, le soumettant à la
Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités. Celle-ci a approuvé le texte en 1994
144.
144 Le projet a ensuite été envoyé à
la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, qui a créé
un groupe de travail chargé de rédiger un projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones.
125
Le Sommet mondial de 2005 et la Cinquième session de
l'Instance permanente en 2006 sur les questions autochtones ont proposé
d'adopter la Déclaration le plus rapidement possible, ce qui sera fait
en juin 2006 par le Conseil des droits de l'homme, et l'Assemblée
générale a fait de même en septembre 2007. Une
décision de compromis renvoya ensuite les instruments prêts pour
l'adoption à la Troisième Commission et le rapport du Conseil
directement à la plénière de l'Assemblée
générale. Presque un an s'est écoulé entre
l'adoption du texte à la Troisième Commission et le vote final de
l'Assemblée générale le 13 septembre 2007.
Au niveau de l'engagement des États, il est possible
de distinguer l'engagement à travers l'instrumentum c'est
à dire le support formel de l'acte d'une part, et leur engagement
à travers le negotium c'est à dire l'opération
juridique qui constitue l'acte, d'autre part.
La Déclaration aborde les droits tant individuels que
collectifs, les droits culturels et l'identité, les droits à
l'éducation, la santé, l'emploi, la langue, etc...Elle
établit que les peuples autochtones ont le droit, en tant que
collectivités ou en tant qu'individus, à tous les droits de
l'Homme et aux libertés fondamentales reconnues par l'ONU. C'est donc
une nouvelle étape dans la reconnaissance des cultures et traditions
spirituelles de plus de 300 millions d'individus dans le monde, et dans leur
droit à conserver leurs propres institutions, leurs cultures et
traditions spirituelles sans qu'elles soient victimes de souffrances dues au
racisme et à la discrimination.
Recommandée par le programme d'action de Vienne, elle
affirme notamment que les peuples autochtones ont le droit à
l'autodétermination interne et qu'en vertu de ce droit ils
déterminent librement leur statut politique et recherchent librement
leur développement économique, social et culturel. Elle stipule
que les peuples autochtones ne peuvent être expulsés de leur
terre, et qu'ils ont droit aux ressources naturelles situées sur celle
ci.
Le texte affirme en outre que les peuples autochtones peuvent
jouir pleinement, collectivement ou individuellement, de l'ensemble des droits
de l'homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des
Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la
législation internationale relative aux droits de l'homme. La
Déclaration devient la référence de l'ONU pour le respect
des droits des peuples indigènes ; elle permet d'évaluer
l'attitude des États envers les peuples indigènes, mais n'est pas
doté d'effet contraignant en droit international. Elle a
néanmoins un poids normatif important qu'elle tient de la très
forte légitimité dont elle bénéficie, et sa mise en
oeuvre doit être considérée comme un impératif moral
et politique 145.
L'adoption de ce texte a été obtenue grâce
à la persévérance des représentants autochtones
à
145 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des
peuples autochtones doit être un impératif moral et politique
», Assemblée générale Troisième Commission -
18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010
126
l'ONU, qui ont porté ce texte pendant toutes les
négociations, et qui continuent aujourd'hui à le porter en
veillant à ce que les États en appliquent les dispositions. Elle
constitue une victoire considérable pour les peuples autochtones : elle
énonce des droits existants, individuels, mais également
collectifs, reconnus dans d'autres instruments internationaux, mais dont
l'application leur avait toujours été refusée.
Désormais, les organisations autochtones vont devoir travailler
ensemble, à connaître leurs réalités mutuelles et
à défendre leurs droits d'une façon globale.
Voyons donc l'impact sur la situation des peuples autochtones de
l'adoption de cette Déclaration.
2) Les conséquences et impacts de la
Déclaration
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones constitue une grande victoire pour ces peuples car elle
leur reconnaît un statut en droit international, et les qualifie
juridiquement. C'est donc une reconnaissance de leur spécificité,
qui requiert un régime juridique propre. Elle reconnaît en outre
l'identité collective des peuples autochtones. Cette reconnaissance est
essentielle, car à cette qualification est attaché le coeur des
revendications autochtones : le droit à l'autodétermination.
Cette déclaration est pourtant un texte de compromis.
Les peuples autochtones ont en effet été contraints de faire des
concessions aux États pour permettre son adoption. Le texte
reflète donc tous les débats et les oppositions suscités
par la question de la qualification des peuples autochtones. Bon nombre
d'États étaient en effet opposés à l'idée de
l'auto-identification de ces peuples, sans aucun critère reconnu en
droit international. Ainsi, bien qu'elle leur reconnaisse le « droit
d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone »
(article 9) , et le droit de « décider de leur propre
identité ou appartenance » (article 33) ; la Déclaration ne
reconnaît pas expressément le droit aux peuples autochtones de
s'identifier seuls, sans l'intervention de l'État. L'article 46
réaffirme en outre le principe fondamental de l'intégrité
territoriale et l'unité politique des États souverains et
indépendants. L'État est donc libre de définir lui
même les peuples autochtones.
Bien qu'elle ne définisse pas les peuples autochtones,
la déclaration donne plusieurs indications pour identifier ses
bénéficiaires, et ce dès le Préambule : ils se
caractérisent par leur lien historique, leur profond attachement aux
territoires dont ils ont été dépossédés ;
mais également par leurs institutions politiques, juridiques,
économiques, sociales distinctes, ainsi que par leur culture
différente de celle de la population dominante. On y retrouve
également les critères de l'antériorité
territoriale, de la continuité historique, et de la différence de
culture. Elle reprend ainsi les différents
127
critères d'identification proposés par les
experts internationaux, la doctrine et les peuples autochtones eux
mêmes.
L'adoption de cette Déclaration implique qu'on aborde
sous un angle nouveau des questions d'ordre mondial, comme le
développement, ou la démocratie multiculturelle. Les États
devront donc adopter une approche concertée pour les questions
autochtones, avec de réelles consultations et la création de
partenariats avec ces peuples. L'impact de la Déclaration
dépendra en grande partie de l'énergie que mettront les
différentes organisations autochtones et de droits humains à
exiger de leurs gouvernements qu'ils la mettent en oeuvre.
Les débats suscités par les
représentants autochtones depuis 20 ans ont porté leurs fruits.
Ainsi, même avant son adoption finale, certains articles de la
Déclaration ont été repris par des gouvernements, des
instances internationales et des cours de justice. Ce consensus
émergeant est qualifié par James Anaya de début de droit
international coutumier. Selon lui ce droit international émergeant
repose sur les principes suivants : « une reconnaissance de l'existence
d'un droit à l'autodétermination, celle d'un droit à
préserver et développer sa culture, un droit sur les terres et
ressources et à une compensation dans les cas de dépossession
sans consentement, un accès à des services de bien-être
social sans discrimination, un droit au gouvernement autonome comme à un
droit de participation à la démocratie nationale et une
obligation particulière de protection de la part des états dans
lesquels vivent les peuples autochtones », ou encore l'obligation de
consulter sinon de chercher la participation des peuples, conformément
à la Convention 169 de l'OIT 146.
Conformément à l'article 42, l'Instance
permanente sur les questions autochtones est chargée de veiller à
l'application de la Déclaration. Elle veillera donc par ses
recommandations à ce que les principes qui sous-tendent la
Déclaration sous-tendent également les politiques et programmes
des différentes agences des Nations Unies.
Le Rapporteur spécial a quant à lui
déclaré « qu'il s'emploierait à utiliser la
Déclaration dans son travail d'enquête sur les violations des
droits humains ». Les différents organes de surveillance des
traités utiliseront aussi la Déclaration comme outil
d'interprétation.
Toutes les étapes de cette déclaration auront
été longues et ardues, et ce temps passé à
débattre a eu un effet contradictoire. D'une part l'acharnement et la
patience des peuples autochtones à faire reconnaître leurs droits
a porté certains fruits. La reconnaissance de certains droits a
indéniablement progressé. Par contre, pendant tout ce temps les
peuples autochtones du monde n'ont pas eu droit à
146 LEGER Marie, « L'Histoire de la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », Recherches
Amérindiennes au Québec, Vol XXXVII, NOS 2-3, 2007 ; p.
153
128
ce minimum de protection que constitue une
déclaration.
L'esprit de ce texte est animé par la volonté
de rétablir la situation des peuples autochtones en leur redonnant un
statut en droit international. En reconnaissant leur identité culturelle
spécifique, cette déclaration met un terme à la
période d'exclusion de ces peuples, « oubliés » par le
droit international de la décolonisation. Elle a donc pour objet de
réparer les conséquences de cet héritage dont les effets
affectent encore profondément les peuples autochtones. La
Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et
évoque les menaces qu'implique actuellement la mondialisation. Elle
protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les
ressources génétiques et impose des limites aux activités
que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones. Ainsi,
elle permet d'envisager un dialogue où se réconcilient les
spécificités des histoires des peuples et des États, et de
travailler à l'amélioration des niveaux de vie des
différentes populations autochtones. De plus, un réseau
d'organisations de tous les continents s'est créé et sait
maintenant utiliser les instances internationales pour défendre ses
droits et pour forcer le dialogue avec les autorités.
Cette reconnaissance des peuples autochtones en droit
international est une première étape avant qu'ils puissent
retrouver leur capacité à décider d'eux-mêmes et de
leurs territoires, et obtenir réparation de leur situation de peuples
colonisés. Elle ouvre surtout la voie à la revendication
principale des peuples autochtones, le droit à
l'autodétermination.
Il s'agit dès lors de s'intéresser à
l'exercice de ce droit à l'autodétermination des peuples
autochtones difficilement conciliable avec les politiques des États.
ii. Une collaboration difficile avec les
gouvernements
Partant du constat de leur propre situation, les
organisations autochtones ont en premier lieu estimé essentiel la
reconnaissance de leur droit à exister en tant que peuple. À ce
titre, elles estiment que « le droit à l'autodétermination
doit être admis et effectif non en vue de faire sécession
(autonomie mais pas séparation) mais pour être destinataires de
droits collectifs garantis et reconnus par les corpus juridiques des
États sur la base des instruments internationaux pertinents
(intégration mais pas assimilation) » 147.
Nous aborderons ici la limite entre autodétermination
et autonomie des peuples autochtones (1.).
147 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement
international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » ,
(co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005 ;
p. 8
129
Nous verrons ensuite que le droit à
l'Autodétermination s'exprime plus facilement au sein d'un État
fédéral (2.).
1) Autodétermination/Autonomie
En 1999, Luis Enrique Chavez, le président du Groupe
de travail chargé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU
d'élaborer une déclaration des droits des peuples autochtones, a
conclu qu'il y avait accord sur le fait que l'autodétermination
était la pierre angulaire de la déclaration. La reconnaissance de
ce droit est une condition essentielle pour les représentants
autochtones.
Ce droit est affirmé dans la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans deux articles, le 3
et le 4 :
« Article 3 :
Les peuples autochtones ont le droit à
l'autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent
librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel.
Article 4 :
Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit
à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de
s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs
affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de
financer leurs activités autonomes. »
L'article 3 reprend, en ajoutant le terme autochtone, la
formulation de l'article 1er, alinéa premier des deux Pactes
internationaux de 1966. Mais l'exercice de ce droit, qui est pourtant la
condition essentielle pour la protection de leur identité collective,
est conçu de manière assez restrictive et n'a pas la même
portée juridique que le classique droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
La reconnaissance de ce droit a en effet été
longue et difficile en raison de la réticence des États qui
craignaient une potentielle menace pour leur intégrité
territoriale. Pendant près de 20 ans, cette question a suscité
des débats au sein des conférences internationales entre acteurs
gouvernementaux
130
et autochtones. Ces derniers, ayant la qualité de
peuple au sens international, auraient donc pu exercer librement leur droit
à disposer d'eux mêmes et éventuellement choisir
l'indépendance. Apparaît ici toute la menace : les États
craignent ce droit car son exercice peut potentiellement porter atteinte
à leur intégrité territoriale.
Bon nombre d'États s'opposaient donc aux dispositions
émancipatrices pour les peuples autochtones comprises dans la
Déclaration ; et ce bien qu'elle n'ait qu'une valeur déclarative.
Cette absence de force contraignante amène en outre à
s'interroger sur la portée juridique du droit à
l'autodétermination pour les peuples autochtones. Celle ci est
conditionnée par la conception traditionnelle du droit à
l'autodétermination, qui a jusqu'à présent
été mis en oeuvre dans le cadre de la décolonisation et
s'est traduite par l'accession du peuple concerné à
l'indépendance. L'exercice du droit à l'autodétermination
a donc été utilisé dans le seul but de mettre fin à
la colonisation et de permettre aux populations colonisés de retrouver
leur souveraineté.
Il convient donc de se demander dans quelles mesures le droit
à l'autodétermination peut il être applicable aux peuples
autochtones. Il y a unanimité parmi ces peuples quant à la
nécessité de reconnaître leur droit à
l'autodétermination sans autre qualificatif. Selon sa conception
traditionnelle, et en l'état actuel du droit international, ce droit est
limité et n'équivaut pas au droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes consacré dans la Charte des Nations Unies.
La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones n'a pas de force contraignante, mais elle reflète
l'engagement des États à avancer dans une certaine direction.
Elle ne fait pourtant qu'interpréter les droits de l'homme
définis dans d'autres instruments internationaux. C'est en ce sens que
la Déclaration a un caractère contraignant pour la promotion, le
respect et l'accomplissement des droits des peuples autochtones du monde
entier. Elle les aidera, eux et les États, à lutter contre la
discrimination et la marginalisation. Elle joue donc un rôle comparable
à celui de la déclaration relative à l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, celui « d'un
puissant catalyseur dans la formation du droit [...] parce que cette
résolution a été précédée et suivie
par une pratique abondante conforme aux règles qu'elle énonce
» 148.
Le fait que le droit à l'autodétermination soit
effectivement assimilé à la décolonisation, et donc
à l'indépendance, explique la réticence des États
à admettre que les peuples autochtones puissent en être
bénéficiaires. Ces oppositions ont pourtant été
dépassées via l'adoption de la Déclaration des Nations
Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le droit des
peuples autochtones
148 DAILLIER Patrick, PELLET Alain, FORTEAU Mathias,
Droit international public, L.G.D.J. Lextenso
Éditions, 8e édition, Paris
131
à disposer d'eux-mêmes, avec cependant quelques
réserves. Cette évolution progressive des mentalités va
amener à dissocier de plus en plus le principe du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes de la décolonisation.
Toutefois, le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est entendu dans la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones comme étant d'application interne,
puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais
seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit
d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui
touche à leurs affaires intérieures et locales » 149.
Le Comité des Droits de l'Homme a lui aussi une
approche interne de l'autodétermination, lorsqu'il se prononce sur
l'application de l'article premier du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. Il indique d'ailleurs dans son Observation
générale n°12 que les États parties ont l'obligation
d'appliquer le droit à l'autodétermination dans leurs
systèmes politique et constitutionnel. Interprété de la
sorte, l'article premier est plus à même de satisfaire les
revendications des peuples autochtones que les résolutions de
l'Assemblée générale, fortement marquées par la
décolonisation.
Le Comité demande donc que les États fassent
état de l'application de l'autodétermination interne aux peuples
autochtones sur leur territoire, afin qu'il puisse donner son opinion. Il
recommande également aux États parties de « prendre les
mesures nécessaires pour que les Autochtones interviennent davantage
dans la prise de décisions concernant leurs terres ancestrales et
ressources naturelles (article premier, alinéa 2) » 150.
Le Comité a donc toujours examiné l'exercice du
droit à l'autodétermination du point de vue interne et ne l'a
jamais envisagé sous l'angle de la sécession. Cela ne
paraît pas nécessaire, puisque les recommandations
proposées par le Comité répondent à la plupart des
revendications formulées par les peuples autochtones eux-mêmes :
ils souhaitent disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources naturelles
dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent.
Bien que le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à
l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa
portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples
autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de
l'intégrité territoriale de l'État. Les État
opposés à l'autodétermination soutiennent que ce droit va
trop loin, et que celle ci ne devrait être circonscrite
149 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
150 Voir par exemple, Observations finales, Australie A/55/40,
§507.
132
qu'au contexte de la décolonisation.
Préférant donc parler d ' « autonomie », ils
veulent que la portée juridique de ce droit soit strictement
limitée.
La position de l'Australie illustre bien cette tendance :
avant l'arrivée du parti travailliste au pouvoir en 2007, le
gouvernement conservateur en place depuis 1997 refusait l'inclusion du droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le texte de la
déclaration et préférait parler d'autonomie. Lors de
l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones en 2007, le représentant australien avait
indiqué que le gouvernement s'opposait à
l'autodétermination, sauf si ce concept s'appliquait à des
situations de décolonisation. Il avait par ailleurs
précisé que l'Australie s'opposait à la reconnaissance
pour les autochtones de droits sur leurs ressources naturelles qui pourrait
porter préjudice aux droits d'autres groupes de personnes ; ainsi qu'au
concept de l'information préalable au sujet des décisions du
gouvernement et à l'inclusion dans le texte du droit à la
propriété intellectuelle.
Cependant cette position s'est infléchie en 2009,
lorsque le gouvernement Australien décida le 3 avril d'adhérer
à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones. Ce soutien manifesté à la Déclaration
s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement
fédéral et les peuples aborigènes. Ce premier s'engage
ainsi à « créer un système qui respecte pleinement
les droits des peuples autochtones et qui donne l'opportunité pour tous
les australiens d'être véritablement égaux »
151. Ainsi, la Déclaration va fournir une série de
standards pour guider les relations avec les peuples autochtones dans le
respect de leurs cultures, et aider le Gouvernement dans la lutte contre
certains éléments discriminatoires qui persistent encore.
Bien que hostiles à qualifier les peuples autochtones
de peuples, au sens juridique du terme, les États évoluent de
manière favorable en ce qui concerne l'acceptation d'une forme
d'autonomie. La reconnaissance d'un degré d'autonomie est en effet plus
facile à admettre que celle de la qualification de peuples, lourde de
conséquences en droit international.
Le terme « autonomie » fait normalement
référence à la capacité d'un groupe de
réglementer un certain nombre de champs que l'État supervise
habituellement, mais que celui-ci permet au groupe d'administrer pour assurer
son propre bien-être tout en demeurant un élément
constitutif de cet État152. L'entité autonome peut
donc à tout moment se faire imposer unilatéralement par
l'État où elle se trouve des restrictions de son
autorité.
Bien qu'elles aient lourdement subi les impacts des
politiques coloniales, le droit à l'autonomie
151 3 avril 2009 « L'Union fait la force,
Soutien à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones,
un moment critique pour l'Australie »
http://www.hreoc.gov.au/about/media/media_releases/2009/21_09.html
152 Voir Louis Sohn « The Concept of Autonomy in
international Law and the Practice of the United Nations » , 15
Israël Law Review 2 (1980)
133
appartient aux nations autochtones dans leur ensemble.
L'article 46 de la Déclaration limite la portée
juridique du droit à disposer d'eux-mêmes en disposant qu' «
aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être
(...) considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte
ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou
partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité
politique d'un État souverain et indépendant ». Le but est
donc d'empêcher un exercice externe de l'autodétermination. Ce
droit s'exerce donc sur un plan interne et même plus restrictivement sur
un plan local 153. Ainsi, pour une grande partie des États,
l'exercice du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes
consiste à leur accorder une plus grande autonomie dans la gestion et
l'administration de leurs affaires locales. Le moyen de savoir s'il y a
autodétermination, c'est de vérifier si les peuples autochtones
ont réellement le sentiment de pouvoir choisir leur propre mode de
vie.
Même avec l'adoption de la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, leur droit à
disposer d'eux-mêmes n'a pas encore acquis une valeur juridique positive.
En effet, l'exercice interne du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est nouveau en droit international, et ce droit est en pleine
construction. Au sens de la Déclaration, l'exercice de ce droit est un
processus dont les modalités varient selon les situations, et qui laisse
la place à la négociation entre les États et les peuples
autochtones.
Ce droit à l'autodétermination s'exprime
pleinement au sein d'un État fédéral. Voyons donc les
avantages que possèdent ces États pour l'exercice du droit
à l'autodétermination.
2) Les avantages du fédéralisme
Dans la tradition occidentale, l'idée de
fédéralisme remonte aux travaux d'Althusius (XVIIe
siècle), qui mettait l'accent sur l'autonomie, l'interdépendance,
les processus de communication et le caractère collectif des
décisions. Le fédéralisme tel que le concevait Althusius
exige aussi des institutions flexibles et la recherche d'une certaine forme
d'union. Ainsi, il semblait s'en être fait à peu près la
même conception que les autochtones.
Le droit des peuples autochtones à disposer
d'eux-mêmes dans le cadre des États s'affirme souvent
153 Voir E/CN.4/2001/85, §76
134
sur deux plans à la fois : ils demandent une plus large
autonomie, et une plus large représentation au sein des organes de
décision de l'État.
Ces deux expressions du droit des autochtones à
disposer d'eux-mêmes correspondent aux deux piliers du
fédéralisme : l'autonomie et le partage du pouvoir. Les
États fédéraux peuvent en effet fournir un cadre favorable
aux aspirations des peuples autochtones, et sont capables de témoigner
du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples
autochtones.
On trouve dans les traditions autochtones des conceptions du
fédéralisme analogues aux conceptions occidentales. Bien avant
l'arrivée des Européens sur leurs terres, les nations autochtones
d'Amérique avaient des organisations politiques de type
fédéral ou confédéral : confédération
des Mi'kmaq en Acadie, des Haudenasaunee (Iroquois) dans la région des
Grands Lacs, des Blackfoot dans l'Ouest, etc 154.
Il apparaît donc que les États
fédéraux peuvent fournir un cadre favorable aux aspirations des
peuples autochtones. Tout d'abord, le fédéralisme repose sur le
respect de la diversité. Il est capable de témoigner du respect
pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones.
Les institutions des États fédéraux peuvent aussi traduire
cette diversité dans leurs symboles et dans leur pratique officiels, et
montrer ainsi leur respect pour la culture politique des peuples autochtones
155. Les États fédéraux possèdent en
général une grande capacité d'adaptation et d'innovation,
ce qui permet de prendre en considération les diverses aspirations des
peuples autochtones.
Le fédéralisme permet également la
coexistence d'identités multiples dans un même État, et il
suppose plusieurs niveaux de gouvernement, dont certains se
caractérisent par un partage de la souveraineté. En Australie par
exemple, l'État fédéral et les États
fédérés sont tous souverains dans leurs domaines de
compétence respectifs.
Dans les États fédéraux, les peuples
autochtones essaient d'exercer le droit de disposer d'eux-mêmes en
négociant des arrangements qui leur accordent l'autonomie. Ces accords
déterminent les compétences que peuvent exercer les gouvernements
des peuples autochtones, et leur confèrent la suprématie dans
certains domaines en cas de conflit entre leurs lois et celles de l'État
fédéral ou des États fédérés.
Certains essaient simplement d'exercer les compétences
qui découlent de leur droit naturel à l'autonomie ; d'autres
essaient d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes en se dotant
d'un
154 HAWKES David C., « Les peuples autochtones : autonomie
et relations intergouvernementales », Revue internationale des
sciences sociales , 2001/1 n° 167, p. 168
155 Ibid, p. 167
135
gouvernement régional. Cette aspiration des peuples
autochtones à l'autonomie émane du désir de ces peuples de
conserver leurs valeurs et leurs traditions, leurs modes de vie, leurs langues
et leurs cultures.
En outre, les peuples autochtones tendent à prendre
une part accrue à l'élaboration des décisions publiques
notamment dans le cadre des institutions fédérales et des
relations intergouvernementales existantes.
Après avoir occupé une place réduite au
sein des assemblées législatives, au niveau fédéral
comme à celui des États fédérés, les
autochtones demandent une plus large représentation au sein de ces
assemblées, et plus particulièrement au sein des organes de
l'État chargés du règlement des différends ou de
créer des organismes et des procédures de règlement des
différends qui soient adaptés à leurs besoins. Dans les
assemblées législatives de plusieurs pays, tels que le Canada, un
certain nombre de sièges sont réservés aux peuples
autochtones. Dans d'autres pays, comme les pays scandinaves, les autochtones
possèdent leur propre parlement.
Cette volonté des autochtones de participer plus
largement à l'élaboration des décisions publiques
s'étend aux relations intergouvernementales. Lorsque la population
autochtone est majoritaire dans une région, l'aspiration à une
plus large autonomie peut se réaliser dans le cadre d'un gouvernement
régional. Les peuples autochtones peuvent aussi exercer leur droit
ancestral à l'autonomie en négociant des accords
intergouvernementaux. On peut donc associer les autochtones aux relations
intergouvernementales au sein de l'État fédéral.
En Australie, le fédéralisme fait
référence à un modèle d'organisation de
l'État qui divise les pouvoirs publics entre deux sphères de
gouvernement, dont chacune possède ses propres institutions, son domaine
de compétence protégé par la Constitution, et est
démocratiquement responsable devant le peuple australien ou une partie
de celui-ci. En ce sens, il protège l'autonomie gouvernementale de
sections de la population définies par un territoire.
Les représentants autochtones tirent des
modalités de leur reconnaissance internationale comme sujets de droits
collectifs une légitimité qui leur permet de poursuivre des
actions sur différents terrains. Intéressons nous donc à
ces nouveaux acteurs de la communauté internationale.
136
iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un
nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
L'émergence de la question autochtone à l'ONU a
permis à la communauté internationale de prendre conscience d'un
phénomène qui dépasse les limites territoriales des
États. De nouveaux acteurs qui s'identifient à des « peuples
» et à des « nations » prennent pied dans un monde
globalisé, en revendiquant des droits de nature collective et la
production de normes internationales susceptibles de les protéger.
Nous allons donc traiter ici de la participation des
autochtones, à travers leurs représentants, au sein de l'ONU
(1.), puis nous verrons les menaces que le
phénomène de mondialisation fait peser sur les peuples
autochtones (2.).
1) La participation sur la scène onusienne
Les entités investies d'une personnalité
juridique internationale doivent nécessairement accepter de s'acquitter
des obligations internationales qui vont de pair, comme le respect des droits
fondamentaux de leurs membres ou le respect des normes de la communauté
internationale relatives à la pollution transfrontalière. Une
fois que le droit de disposer d'eux-mêmes a été reconnu aux
peuples autochtones, ces obligations, ainsi que les moyens et les
méthodes pour les mettre en application, devront être
définis dans le cadre de processus de formulation à
l'échelle internationale.
En revendiquant des droits humains collectifs, les peuples
autochtones entendent renégocier leur place dans l'espace politique de
leur État, en mobilisant la communauté internationale. Ils
entendent, non seulement ne plus être exclus des processus de
développement, mais surtout peser sur la définition des
politiques et des programmes les concernant.
Leur participation sur la scène internationale passe
donc par « des mesures de sauvegarde des peuples en voie de disparition et
de protection des peuples existants, en construisant les normes juridiques
opposables au tiers, en particulier les compagnies transnationales. Cela passe
aussi par l'ouverture d'un dialogue avec les sociétés dominantes
et la reconstruction des équilibres politiques, juridiques et
constitutionnels des États pour prendre en considération le
caractère multiculturel des sociétés modernes »
156.
156 BELLIER Irène, « Les deux faces de la
mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » ; in La mesure de
la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31 ; 2007 ; p. 94
137
Les quelques évolutions favorables enregistrées
témoignent de l'utilité d'une mobilisation rendue plus
aisée par les nouvelles techniques d'information et de communication. En
effet, depuis la fin des années 1990, les autochtones sont
progressivement incorporés dans le tissu planétaire des
communications par Internet. Cela les rapproche des militants altermondialistes
qui se sont intéressés aux autochtones de terrain, sans souhaiter
pour autant les convertir en « classe paysanne » comme durant les
années 1970.
Les peuples autochtones construisent leur expertise dans le
triple champ de l'appartenance à un peuple, de la connaissance technique
et de la maitrise du langage et des rapports de pouvoir internationaux 157.
La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et
le développement, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a
été un événement important pour les populations
autochtones et leurs relations avec l'ONU. Ce fut l'un des plus grands
rassemblements de peuples autochtones qui aient jamais eu lieu, lors du Forum
des ONG, dont la tenue a coïncidé avec celle du Sommet
appelé « planète Terre » et où les peuples
autochtones ont adopté leur propre déclaration sur
l'environnement et le développement, la Déclaration Kari-Oka.
Il a été reconnu, qu'en raison de leur savoir
et de leurs pratiques traditionnelles, les populations autochtones ont un
rôle essentiel à jouer dans le domaine de la gestion de
l'environnement et du développement. Depuis, elles sont parties
prenantes de tous les sommets de la planète, avec un
intérêt spécial pour ce qui concerne le
développement durable et le gestion des ressources naturelles, la lutte
contre la discrimination, la protection de la diversité culturelle,
ainsi que l'information et les nouvelles technologies de communication.
D'autres conférences de haut niveau, notamment la
Conférence internationale sur la population et le développement
(Le Caire, 1994), le Sommet mondial pour le développement social
(Copenhague, 1995), la quatrième Conférence mondiale sur les
femmes (Beijing, 1995) et la Conférence des Nations Unies sur les
établissements humains (Habitat II) (Istanbul, 1996), ont
toutes fait des recommandations concernant les populations autochtones. Au
cours de ces conférences, les peuples autochtones tentent, à
chaque fois, d'inscrire les priorités des «
indigènes/autochtones » dans l'agenda des dominants. Ils traduisent
ainsi en termes globaux les préoccupations de leurs peuples, qui sont
à la fois singulières et généralisées.
157 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux
Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
», Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.
77
138
En effet, les problèmes posés par les
activités extractives et minières des firmes transnationales sont
similaires pour tous les peuples autochtones. Mais dans chaque cas, la
résolution des problèmes passe par l'adoption de normes aux
niveaux internationaux, et par une volonté politique aux niveaux
national et local.
Les résolutions autochtones figurent donc dans les
rapports émanant des sommets planétaires sur la terre, l'eau, le
changement climatique, les femmes, les enfants, le racisme, ou les objectifs de
développement du millénaire. Leurs revendications et les
solutions qu'ils proposent ont mûri dans des réseaux
transnationaux, et dans l'activisme international.
L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones, en 2007, par l'Assemblée et le
ralliement en 2009 et 2010 des quatre seuls opposants déclarés
(Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis) marquent une
étape significative de la manière dont les États prennent
en considération les sociétés autochtones. La
Déclaration ouvre donc la voie a la redéfinition de leur place
dans la communauté internationale.
Il convient donc d'analyser la scène internationale
comme « un lieu de renégociation des altérités,
où la formation d'un "nous", peuples autochtones, rencontre
l'expression d'un "nous", communauté internationale » 158.
Ce « nous » autochtone, qui fait écho aux
premiers mots de la Charte des Nations Unies, est représenté sur
le site web de l'Instance par deux logos superposés. Le premier
suggère la rencontre entre les peuples du monde sous la forme d'une
poignée de main de couleurs différentes ; le second inscrit
« We, the Peoples » au centre du logo des Nations unies en
filigrane.
Cette volonté d'union des peuples autochtones est la
conséquence du passé tumultueux des peuples autochtones, elle
s'appuie donc sur l'histoire des rencontres entre les pionniers et les
autochtones, ainsi que sur des catégories linguistiques.
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) s'efforce
d'intégrer les questions autochtones dans les agences onusiennes.
L'Instance permanente sur les questions autochtones, dont le mandat est de
formuler des recommandations aux États, répond donc à cet
objectif dit de mainstreaming, en transformant les discours en actes
politiques, juridiques et techniques, afin de répondre à des
situations de tensions et de conflits.
158 Jbid ; p. 66
139
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
l'agriculture a lancé, en septembre 2010, une politique sur les
populations tribales et indigènes tendant à l'intégration
de cette dimension dans tous les travaux de l'Organisation. Les autochtones
doivent être considérés non seulement comme des
bénéficiaires mais comme des partenaires dans le dialogue et les
politiques qui les concernent.
De son coté, le Fonds international de
développement agricole (FIDA), a fait remarquer que les peuples
autochtones représentaient environ un tiers des peuples ruraux les plus
pauvres du monde. En même temps, ils ont fait des progrès dans le
sens d'une meilleure reconnaissance de leurs droits, et pour sauvegarder leur
héritage et promouvoir leur culture. Ils jouent un rôle vital en
tant que gardiens des ressources naturelles et possèdent une richesse de
savoirs sur leur environnement. En septembre 2009, le FIDA a approuvé sa
politique d'engagement avec les peuples autochtones, qui vise à les
aider à sortir de la pauvreté en respectant leur identité
et leur culture 159.
Certains États, tels que les pays
latino-américains, ont été poussés par la politique
de reconnaissance poursuivie par le mouvement international à faire des
changements constitutionnels significatifs du glissement vers le
multiculturalisme, et ainsi aller vers la construction d'un État
plurinational 160.
« L'enjeu pour les représentants autochtones
reste de sortir du cercle des experts onusiens pour se positionner comme
interlocuteurs légitimes des autorités nationales. L'enjeu pour
le système onusien est de poursuivre dans le champ labellise «
droits des peuples autochtones » les réformes des systèmes
nationaux » 161.
Bien qu'ils soient pleinement intégrés sur la
scène internationale, il convient d'analyser les rapports entre les
peuples autochtones et le phénomène de la mondialisation.
2) Les menaces dues à la mondialisation
« La "mondialisation", qui n'est que la
mondialisation d'un certain type de pensée et de comportement, ruine
tout autre système de valeurs au nom du progrès. Et pourtant,
sauf à être un intégriste du libéralisme, on ne peut
se cacher qu'un certain nombre de nos valeurs
159 ANAYA James, « La déclaration sur les droits
des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique
», Assemblée générale Troisième Commission -
18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010
160 RAQUEL Z., YRIGOYEN Fajardo (coord.), Pueblos
indIgenas : constituciones y reformas polIticas en América
latina, Lima, ILSA, IIDS, INESC, 2010.
161 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux
Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales
», Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.
79
140
occidentales sèment la mort »
Danielle Mitterrand 162
À l'heure de la mondialisation économique, le
pouvoir des sociétés transnationales éclipse bien souvent
celui des États. Bon nombre de gouvernements, submergés par les
forces du marché, ne sont pas en mesure de réglementer les
activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples
autochtones contre des approches destructrices. Il est donc très
important d'élaborer une machinerie juridique internationale afin de
donner aux États davantage de moyens pour défendre leurs citoyens
et leur environnement contre les activités de multinationales
irresponsables, et en particulier celles qui perturbent, déplacent et
annihilent les peuples autochtones 163.
Nous allons donc nous intéresser à
manière dont la mondialisation est perçue par les autochtones
tant pour utiliser les aspects qui leur sont bénéfiques que pour
s'opposer à ceux qui leur sont néfastes. La dynamique du
mouvement international des peuples autochtones est un prisme d'analyse de la
mondialisation, car il constitue un bel exemple de dialogue
institutionnalisé entre des acteurs de statuts aussi différents
que les États, les organisations internationales, les associations
autochtones, les organisations de développement ou de droits humains.
Le phénomène de mondialisation fait que bien
des décisions ne sont même pas prises par les gouvernements, qui
ont parfois les mains liées à cause de leurs obligations, ou
parce qu'ils sont lourdement endettés. Les décisions se prennent
à l'Organisation mondiale du commerce, à la Banque mondiale, au
Fonds monétaire international, etc. C'est pourquoi il arrive que les
peuples autochtones travaillent en collaboration étroite avec les
gouvernements dans des instances comme l'OMC, afin d'affirmer leur droit de
contrôler le territoire national et leurs propres ressources
nationales.
La mondialisation semble également s'accompagner de
mécanismes générateurs de pauvreté pour les
autochtones. Celle-ci est liée à la non reconnaissance de leurs
droits, à l'expropriation des terres traditionnelles, à la
dégradation de leur environnement, à la réduction de leur
accès aux ressources naturelles et productives, et à la migration
forcée. La mondialisation synonyme d'intégration
économique est assimilée à un néocolonialisme, avec
un effet fortement destructeur sur les peuples
162 Préface de Danielle MITTERRAND, dans BURGER Julian,
Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous
Peoples , Londres, Zed Books, 1987, 310p.
163 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002, p. 13
141
autochtones.
L'urbanisation rapide est également mise en relation
avec les migrations que suscite le développement d'une agriculture
commerciale provoquant une pression sur les terres indigènes et une
diminution de leur autonomie. D'autres facteurs concourent également aux
migrations tels l'accroissement de la pauvreté des communautés
autochtones, les déplacements forcés par la réalisation de
grands travaux et la militarisation des territoires.
Face à la déferlante uniformisatrice de la
mondialisation et à l'assimilation paternaliste des autorités
nationales, les communautés autochtones répondent par un «
indianisme » respectueux des identités : « Être reconnus
égaux et différents, citoyens nationaux et indigènes dans
des démocraties plurielles qui sachent faire l'unité dans la
diversité » 164. Ces revendications multiples portent en
elles une volonté d'émancipation, d'appropriation et de
maîtrise de leur avenir. Ce qui est en jeu ce sont les modes d'autonomie,
d'intégration sociale et d'unité nationale à l'ère
de la mondialisation de l'économie et de la culture occidentale.
Cette méfiance vis-à-vis de la mondialisation
résulte de la relation idenficatoire des peuples autochtones qui se
sentent menacés, avec des territoires dont les ressources naturelles
sont convoités par les compagnies transnationales. Les
représentants des organisations autochtones se sont donc
entraîné à la discussion afin d'être capables de
porter leurs critiques sur la scène internationale. Ils se sont
efforcés de devenir des partenaires consultés et si possible
écoutés dans les instances internationales dévolues aux
questions autochtones. Les « autochtones de l'ONU» sont donc devenus
des « autochtones mondialisés » par le fait de dialoguer avec
des interlocuteurs extrêmement diversifiés, et par les savoirs,
juridiques ou experts qu'ils construisent afin d'occuper l'espace de dialogue
et de participation.
D'un autre coté les nouvelles technologies qui se
développent avec la mondialisation permettent d'échanger des
idées, de développer des réseaux de soutien et de
travailler au blocage des effets les plus visibles de
l'insécurité économique et sociale induite par les formes
nouvelles du capitalisme libéralisé, à une échelle
plus vaste que celle des communautés locales.
Un représentant des îles Norfolk, à
l'Ouest de l'Australie, soulignait ce « double visage » de la
mondialisation :
« La mondialisation a deux visages. D'un
côté, elle peut offrir plus d'emploi et de
prospérité en un lieu, de l'autre elle ignore totalement les
préoccupations indigènes et minoritaires ».
164 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement
international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » ,
(co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de
l'IDRP, 2005, p. 9
142
Aujourd'hui, les puissantes firmes internationales, qui
n'évoluent que pour le profit, s'affranchissent de toutes règles
notamment celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ainsi
on constate bon nombre de situations conduisant à la
déforestation, aux déplacements de groupes de populations,
à la construction de barrages par immersion des terres ou au pillage des
ressources naturelles, incluant désormais la brevetabilité du
savoir traditionnel.
Les grands projets d'investissement qui encouragent la
construction de barrages, le développement de zones touristiques, de
centres de communications, l'implantation d'usines, ou encore l'exploitation de
ressources, sont particulièrement problématiques. En effet, bien
qu'ils soient rédigés avec l'accord des élites nationales,
ils ne prennent pas en considération la nécessité
de consulter les populations locales et d'obtenir leur
consentement.
L'International Forum on globalisation,
une institution Nord-Sud de recherche qui réunit des universitaires, des
juristes et des experts autochtones, signale que :
« les peuples autochtones sont assis sur les
frontières de l'expansion de la mondialisation parce qu'ils occupent les
derniers écrins de la terre où abondent les ressources :
forêt, minerais, eau, diversité
génétique. Tous férocement
convoités par les corporations mondialisées »
Cette institution travaille dans le cadre d'un «
Programme sur les peuples autochtones et la mondialisation » qui analyse
l'impact sur les communautés indigènes des avancées
technologiques et des marchés financiers globalisés, des accords
régionaux de libre-échange, des accords de commerce et
d'investissement qui ouvrent les territoires inaccessibles aux industries
extractives (grands barrages, forages, mines, pipelines, routes) ainsi que de
la militarisation croissante de zones dites de sécurité, qu'elles
soient en région frontalière ou bien définies de
façon ad hoc pour lutter contre « le terrorisme » dans le
cadre de politiques « recommandées » par les bailleurs de
fonds 165.
L'une des plus grandes menaces pour les peuples autochtones
est l'industrie minière, qui s'est fortement développée
à la fin du XXe siècle pour satisfaire les demandes en
énergie. De tels projets entraînent la détérioration
environnementale des terres traditionnelles en plus d'une perte de la culture,
des connaissances traditionnelles et des moyens de subsistance des peuples
autochtones, et leur imposent une économie et des valeurs sociales
étrangères.
165 BELLIER Irène, « Les deux faces de la
mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » in La mesure de la
mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31, 2007, pp. 80-95.
143
Plus généralement, l'accaparement des terres
à large échelle entraîne des violations graves des droits
humains des populations locales, qui sont le plus souvent expulsées de
leurs terres sans être consultées et sans obtenir une compensation
adéquate ou une proposition de relocalisation sur d'autres terres
166.
En Australie, pratiquement toutes les réserves
minérales importantes sont sur des territoires Aborigènes. Ainsi,
l'implantation de mines dans l'Ouest de l'Australie équivaut à la
mort spirituelle de nombreux Aborigènes habitant sur ces territoires.
Les chassant de leur habitat, profanant leurs sites sacrés,
l'implantation de ces mines les prive de leur intégrité
culturelle. Selon Patrick Dodson, directeur du Central Lands Council :
« Quand vous séparez un aborigène de
sa terre, vous le séparez de l'esprit qui lui donne la vie ,
·
cet esprit ne peut pas se régénérer en un autre lieu. Il
ne reste plus que les formes vides d'êtres humains vivant dans les pays
d'autres peuples » 167.
En outre, il arrive parfois que ce soit les forces
armées de l'État qui désirent s'approprier les territoires
autochtones, justifiant la spoliation par l'exploitation de « zones de
concentration de ressources stratégiques ».
Pour terminer, reprenons notre illustration
précédente, et intéressons nous à l'exercice du
droit à l'autodétermination par les Aborigènes sur le
territoire australien.
C) La politique d'autodétermination des
aborigènes australiens
Nous analyserons ici la mise en place de la politique
d'autodétermination des aborigènes. Cette question est
décisive à double titre, d'une part en raison de
l'évolution du concept au niveau international et d'autre part du fait
que ce concept a été préconisé comme principe de
base de l'administration fédérale des Aborigènes en
1972.
Nous aborderons tout d'abord l'avènement de la
politique de multiculturalisme avec le Gouvernement Whitlam
(i.). Nous traiterons ensuite des différents
instruments chargés d'assister et de veiller à l'application du
droit à l'autodétermination (ii.).
Enfin nous terminerons par la remise en question de cette politique
d'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien
(iii.).
166 OZDEN Melik, GOLAY Christophe, « Le droit des peuples
à l'autodétermination, et à la souveraineté
permanente sur leurs ressources naturelles sous l'angle des droits humains ,
Brochure (CETIM), p. 42
167 Ibid. ; p. 103
144
i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une
politique d'autodétermination.
À la fin des années 1970, le gouvernement
australien pratiqua une nouvelle politique quant au traitement de ses
communautés indigènes (1.). L'adoption
de cette politique permit de faciliter la création de structures
représentantes séparées, ainsi que la formalisation d'un
processus d'autodétermination des Aborigènes au sein du
territoire australien (2.).
1) L'avènement du multiculturalisme dans la
société australienne
En remportant les élections fédérales de
1972 contre William Mac Mahon, Gough Whitlam devint le premier Premier Ministre
travailliste depuis vingt-trois ans. Les tergiversations du gouvernement de Mac
Mahon dans la gestion de la crise de la Tent Embassy 168
ont contribué à la chute de la coalition qui commençait
à ressentir l'usure du pouvoir après autant de temps à la
tête du pays. Whitlam devint donc le vingt-sixième Premier
ministre du Commonwealth d'Australie. Fervent défenseur des Droits de
l'Homme, il n'eut de cesse de faire campagne pour l'adhésion totale de
l'Australie aux conventions des Nations Unies.
Ainsi, l'une de ses premières mesures fut de mettre
fin à la politique officielle d'Assimilation. Considérant que le
monoculturalisme n'était plus adapté à la
réalité sociodémographique de l'Australie, il introduisit
dès 1973 le concept de multiculturalisme dans l'espace australien par le
biais de son Ministre de l'Immigration Al Grassby. Le Gouvernement souhaitait
ainsi reconnaître la diversité ethnoculturelle du pays, et donner
le ton de ses futures politiques socioculturelles. Pour Whitlam, le pluralisme
culturel était un moyen de créer de l'harmonie sociale et de la
cohésion nationale. Il considérait d'une part que la
reconnaissance des particularités de chaque groupe ehtnoculturel
était une condition de leur incorporation, et estimait d'autre part
qu'une discrimination positive était nécessaire pour construire
une société égalitaire. En outre, il jugeait qu'aucun
résultat tangible ne pourrait être obtenu tant que les
gouvernements imposeraient leurs politiques aux minorités ethniques
plutôt que de travailler en collaboration avec elles.
La définition du multiculturalisme dans ses dimensions
culturelle, sociale et économique n'en a fait comme limites que
l'acceptation « des structures de base et des principes de la
société
168 Voir infra, Partie I ; C) ; ii) La reconnaissance
institutionnelle des aborigènes
145
australienne - la Constitution, la légalité, la
tolérance et l'égalité, la démocratie
parlementaire, la liberté d'expression et de religion, l'anglais comme
langue nationale et l'égalité des sexes ». Cette politique
permet à l'Australie de se présenter comme une
société tolérante qui répond aux défis
posés par sa diversité culturelle. Le multiculturalisme repose
sur certains principes fondamentaux, tels que la reconnaissance des
héritages, le respect des spécificités et le maintien des
particularités ethnoculturelles.
Cette politique d'intégration visait à terme
à l'égalité socioéconomique de tous les citoyens et
la participation des minorités aux structures politiques australiennes.
Whitlam proposait donc la mise en place d'une démocratie sociale par des
réformes accompagnant la politique de multiculturalisme. Le Gouvernement
conduisit par exemple le Parlement à voter la Loi sur la
discrimination raciale de 1975. Ce texte fédéral de
portée générale interdisait toute discrimination raciale,
mettant ainsi en oeuvre dans le droit interne les engagements internationaux de
la fédération, celle ci ayant ratifié en 1975 la
Convention internationale de 1966 sur l'élimination de toutes les formes
de discrimination raciale.
Il faut bien comprendre que le multiculturalisme n'est pas
antinomique à l'acculturation des minorités, à condition
qu'elle reste choisie et partielle. L'acculturation est nécessaire
à la réalisation du modèle d'intégration, qui vise
à la création d'une société plurielle, c'est
à dire une société unique au sein de laquelle les
différences ethnoculturelles peuvent être exprimées.
L'intégration des minorités ethniques dépend ainsi de leur
acculturation. Mais ces dernières ne considèrent pas toujours
l'intégration comme une politique progressiste, et
préfèrent plutôt revendiquer une autonomie dans certains
cas.
En entrant dans l'ère du multiculturalisme,
l'Australie adoptait une nouvelle approche dans le traitement de son «
problème aborigène ». Quasi deux-cent ans après la
colonisation, les autorités australiennes préconisaient une
nouvelle politique qui semblait promettre un degré important d'autonomie
aux Aborigènes.
Au sein de la classe politique, le multiculturalisme ne
faisait pas l'unanimité : les conservateurs continuaient de
défendre l'idéal d'une Australie britannique monoculturelle, et
les progressistes de gauche estimaient que les politiques du gouvernement ne
suffisaient pas à confronter les inégalités
économiques, sociales et raciales qui continuaient de diviser
l'Australie.
Cette politique du multiculturalisme a démontré
ses limites : d'une part les réformes socio-économiques
envisagées ne pouvaient suffire à soulager les populations
autochtones ; et d'autre
146
part, cette politique ne pouvait apporter à elle seule
des réponses à la « question aborigène ». Les
Aborigènes devaient donc faire l'objet d'une politique à part,
qui prenne en considération leurs spécificités culturelles
et socio-économiques, qui reconnaisse le poids de l'histoire et la
particularité de leur statut, qui prenne en compte leurs demandes
politiques et qui réponde à leurs revendications foncières
169.
Un territoire, un groupe organisé, une
société auto-suffisante, des valeurs culturelles et spirituelles
sont les caractères communs aux Aborigènes. Il y a donc des
communautés aborigènes dont l'identité commune a
été cimentée par la colonisation pour en faire un peuple
autochtone qui aujourd'hui réclame l'autodétermination. Voyons
donc comment s'est formalisé ce processus de construction de
l'identité autochtone.
2) Formalisation d'un processus
L'introduction du principe de l'autodétermination des
Aborigènes en tant que politique gouvernementale en 1972 marqua une
rupture importante par rapport aux politiques d'Assimilation et
d'Intégration qui avaient été menées jusqu'alors.
À l'instar de ces politiques, l'autodétermination s'opposait au
principe d'assimilation culturelle. Ainsi les différences des
Aborigènes étaient respectées, valorisées,
protégées et encouragées. Dans le cadre de
l'autodétermination, la reconnaissance de la différence
culturelle impliquait une différenciation structurelle ; « les
spécificités historiques et culturelles de la minorité
autochtone ne devaient pas être simplement juxtaposées aux
spécificités historiques et culturelles des autres
minorités, elles devaient constituer la base de systèmes
repensés, de structures remaniés, de politiques
séparées, de programmes spécifiques et de droits distincts
» 170.
Les gouvernements placèrent ainsi la notion de choix
au coeur des affaires aborigènes. Cette notion est fondamentale à
l'autodétermination des autochtones, et implique qu'ils puissent choisir
de pratiquer leurs cultures sans encombres et sans contraintes, qu'ils puissent
opter pour un mode de vie qui s'inscrive dans la continuité de la
tradition, ou bien au contraire qu'ils puissent décider de s'acculturer
davantage pour s'assimiler à la société dominante. Non
seulement ils pouvaient théoriquement choisir la séparation
plutôt que l'assimilation structurelle à condition de ne
menacer
169 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
91
170 ROYER Ludivine, L'Australie de la
réconciliation : politiques, logiques et réalités
socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones,
Université Paris IV - Sorbonne, 2007 ; p. 112
147
ni l'intégrité territoriale ni la
souveraineté de l'État, mais les choix qui leur étaient
donnés de faire restaient ouverts, flexibles, et peu contraignants.
L'autodétermination requiert donc des gouvernements
qu'ils mettent en place des politiques et des programmes spécifiques qui
permettent aux autochtones de choisir la séparation plutôt que
l'assimilation ou l'intégration. Selon Ludivine Royer et Tim Rowse, ces
politiques et programmes s'agencent autour de trois axes : la prise en compte
de l'existence d'une minorité à part et la liberté des
autochtones de s'identifier en tant que tels, la reconnaissance légale
des droits fonciers des premiers habitants et l'émergence de structures
représentantes autochtones 171 :
« On peut considérer que la
reconnaissance des population aborigènes et insulaires du
détroit de Torres, la législation d'une base foncière
autochtone et la promotion du secteur autochtone violent chacun un principe
fondamental pour les défenseurs de l'assimilation, parce qu'ils
établissent un système de propriété et une base
institutionnelle séparés en vue du développement d'un
peuple autochtone reconnu » 172.
Le principe d'autodétermination des Aborigènes
s'appuie sur cinq piliers principaux : le développement
socio-économique, le respect des cultures et des modes de vie, la
liberté d'être et de s'identifier, les droits fonciers et le
transfert des pouvoirs via les structures autochtones.
Les gouvernements qui succédèrent au
gouvernement Whitlam entre 1975 et 2006 accordèrent plus ou moins
d'importance à ces piliers de l'autodétermination. Ils
préférèrent d'ailleurs parler d'autogestion ou d'autonomie
plutôt que d'autodétermination. Néanmoins, le gouvernement
de la coalition de Malcolm Fraser (1975-1983) et le gouvernement travailliste
de Bob Hawke (19831991) acceptèrent le principe d'un
développement séparé des Aborigènes au sein de
l'État.
Dans les années 1970 et 1980, les différents
gouvernements successifs vont donc soutenir un même processus en
multipliant les programmes pour donner corps à ces piliers de
l'autodétermination. Ainsi, le développement des droits des
Aborigènes sur leurs terres fut un processus constant et soutenu,
l'octroi aux Aborigènes de droits statutaires sur les terres s'imposant
très vite comme une conditions sine qua non de
l'autodétermination. La restitution aux Aborigènes de certaines
terres était nécessaire pour qu'ils puissent librement pratiquer
leur culture, et maintenir leurs structures sociales. En outre, le principe de
rétrocession des terres était fondamental au projet de
développement économique tel qu'il fut imaginé à
partir de 1972.
171 Jbid, p. 99
172 ROWSE Tim « Contesting assimilation » (ed), Perth
: Australian Public Intellectual Network, 2005e, p. 19
148
Néanmoins, les implications du droit à
l'Autodétermination des Aborigènes ne firent jamais l'objet d'un
consensus en Australie. Il ne fut jamais sérieusement question d'une
sécession politique et territoriale des Aborigènes. Bien que le
gouvernement s'accorde à dire que cette politique
d'autodétermination implique que les Aborigènes puissent
définir les moyens, les objectifs, et le rythme de leur
développement, la définition exacte de
l'autodétermination, ses conséquences et la manière de la
mettre en oeuvre sont conçues différemment par différents
groupes.
Lors du séminaire sur le Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones qui s'est tenu à New
York, le 18 mai 2002, le Commissaire à la Justice sociale pour les
Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, Bill Jonas,
releva quatre grands constats :
· Tout d'abord, pour les Aborigènes et les
habitants des îles du détroit de Torres,
l'autodétermination signifie une autonomie gouvernementale totale et une
participation effective des autochtones aux instances qui définissent et
contrôlent leur existence ;
· Deuxièmement, les autochtones australiens ne
partagent pas l'idée voulant que l'autodétermination
débouche sur la sécession ou la formation d'États
séparés ;
· Troisièmement, les autochtones australiens
considèrent que l'autodétermination est essentielle à la
protection et à la vie de leurs cultures, ainsi qu'à la
préservation de leur intégrité culturelle ;
· Quatrièmement, en dépit de ces facteurs,
les peuples autochtones en Australie n'estiment pas que leur droit à
l'autodétermination devrait être réduit à ce qu'on
appelle
« l'autodétermination interne » 173.
La loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes
de 1976 (Aboriginal Councils and Associations Act 1976),
reflétait une volonté gouvernementale d'encourager la formation
d'un Secteur autochtone capable de défendre les intérêts
des communautés aborigènes. Voyons donc les différents
instruments d'autodétermination mis en place par les gouvernements
successifs.
ii. Les différents instruments
d'autodétermination sur le territoire australien
Cette politique d'autodétermination des
Aborigènes australiens avait conduit à la création de
plusieurs organisations représentantes au sein de ces
communautés. Le gouvernement avait d'abord
173 Séminaire Droit à
l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le
18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; «
L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p.
34
149
créé bon nombre d'organismes aborigènes
à partir de 1973 participant à ce que Tim Rowse, professeur
à l'Université de Sydney, a appelé le « Secteur
autochtone » (1.). Nous analyserons ensuite la
Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres,
principal instrument d'autodétermination des Aborigènes
(2.).
1) Le Secteur autochtone
Favorable à l'autodétermination des peuples, le
gouvernement Whitlam avait donc décidé de créer une
multitude d'organismes aborigènes chargés de la mise en place de
cette politique d'autodétermination.
Le gouvernement créa divers services
ministériels destinés à gérer et surveiller
certains domaines intéressant la minorité autochtone tels la
santé ou l'éducation, et mettra en place une structure de conseil
destinée à protéger ses intérêts : «
The Aboriginal Legal Service. Le Ministère des Affaires
Aborigènes fut également créé afin de gérer
les affaires spécifiques aux communautés indigènes.
Le gouvernement nomma également une Commission
(Aboriginal Land Rights Commission) pour enquêter sur les moyens
de réaliser les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire
du Nord. La présentation de son rapport final en 2004 permis au
gouvernement Whtitlam d'introduire un projet de loi (NT Land Rights
Bill) qui prévoyait la rétrocession de certaines terres
à leurs propriétaires traditionnels. S'ensuivit en 1976
l'adoption d'un des textes de loi les plus importants de l'histoire
contemporaine des Aborigènes. La Loi sur les droits fonciers des
Aborigènes dans le Territoire du Nord (Aboriginal Land Rights (Northern
Territory) Act 1796) reconnut la légitimité des
revendications aborigènes sur les terres inoccupées de la
Couronne et mit en place une Commission (Aboriginal Land
Commission) afin de recevoir et examiner les revendications des
autochtones.
Divers organismes furent donc créés pour
représenter les populations locales. D'une part, des Fondations
(Land Trusts) furent établies pour faire valoir les droits
découlant des titres accordés aux propriétaires
traditionnels.
D'autre part des Conseils (Land Councils) furent
créés pour aider les Aborigènes à revendiquer leurs
terres puis à gérer ou exploiter les différentes
ressources de leurs territoires ou encore pour soumettre des projets de
développement aux populations locales.
Par ailleurs, une Commission (Aboriginal Land Fund
Commission) avait été mise en place dès 1975 pour
administrer les fonds publics destinés à l'achat de terres
privées. Elle fut remplacée en
150
1980 par la Commission pour le développement
aborigène (Aboriginal Development Commission).
La création de ces organismes participait à la
reconnaissance des droits de propriété, de contrôle et de
négociation des Aborigènes.
Le principe d'autodétermination avait également
conduit à la création d'organismes aborigènes élus
dès 1973. Il convient de citer le Comité Consultatif National
Aborigène (National Aboriginal Consultative Committee, NACC)
corps de 41 représentants élus, chargé de consulter les
populations autochtones et de conseiller le Ministère des Affaires
Aborigènes.
Le Gouvernement de Malcom Fraser le remplaça en 1977
par une Commission Nationale Aborigène (National Aboriginal
Conference) constituée de 10 représentants. Ce gouvernement
fit également voter la Loi sur les Associations et les Conseils
Aborigènes en 1976 qui ouvrit la voie à la création
de milliers de structures aborigènes, qu'il s'agisse d'organismes
statutaires, de conseils élus, de groupes consultatifs ou encore
d'associations.
Il convient de rappeler également le rôle du
Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les
insulaires du Détroit de Torres. Membre de la Commission des droits de
l'homme et de l'égalité des chances, le Commissaire à la
justice sociale est désigné conformément aux dispositions
du Human Rights and Equal Opportunity Commission Act 1986 (loi de 1986
sur la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des
chances). Le poste de Commissaire à la justice sociale pour les
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres a
été créé en 1992 pour donner suite aux
constatations de la Royal Commission into Aboriginal Deaths in
Custody (Commission royale chargée d'étudier les
décès d'aborigènes en garde à vue) et de la
National Inquiry into Racist Violence (enquête nationale sur la
violence à fondement raciste).
Ses principales fonctions sont les suivantes :
· Présenter chaque année au ministre un
rapport concernant la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres ;
· Promouvoir la discussion et la meilleure connaissance des
droits de l'homme relativement aux aborigènes et aux insulaires du
détroit de Torres ;
· Entreprendre des programmes visant à promouvoir
le respect des droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du
détroit de Torres et à promouvoir la jouissance et l'exercice des
droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit
de Torres;
·
151
Examiner les dispositions législatives adoptées
ou proposées, pour vérifier qu'elles reconnaissent et
protègent les droits de l'homme des aborigènes et des insulaires
du détroit de Torres et faire rapport au ministre sur les
résultats de cet examen.
Cette effervescence d'organismes aborigènes devait
leur permettre de définir leurs objectifs et leurs priorités afin
d'exercer un pouvoir décisionnel plus important sur les politiques qui
les concernaient, et participer ainsi à la mise en place de programmes
spécifiques à leurs communautés.
Cela participait aussi d'un mouvement plus large,
caractéristique de la politique d'autodétermination : la
création de ce que l'on appelle le Secteur Autochtone. Selon Tim Rowse
:
« Le Secteur Autochtone n'est ni l'État (bien
qu'il soit presque intégralement financé par des fonds publics),
ni la société civile (bien que ces organisations soient surtout
des entreprises privées sur un plan légal). Le Secteur Autochtone
est plutôt une troisième entité, créée
à partir de l'interaction - parfois mais pas toujours, conflictuelle -
entre le gouvernement et le domaine autochtone » 174.
La formation de ce Secteur Autochtone reflétait la
volonté gouvernementale d'encourager le transfert de pouvoirs à
des structures aborigènes représentatives. Elle était
également intimement liée au principe de discrimination positive,
puisque la mise en place de structures aborigènes pour administrer des
programmes séparés et des services distincts s'imposa très
vite comme une condition de la réalisation des choix collectifs et
individuels. Ce Secteur Autochtone avait donc pour objet de fournir des
services aux Aborigènes dans des domaines aussi fondamentaux que la
santé, l'éducation, le logement ou l'emploi. La nature même
des Aborigènes requérait un certain traitement
différentiel, et leur implication dans la conception et l'application
des programmes spécifiques favorisait leur chance de succès.
Ces différentes organisations aborigènes ont
joué un rôle majeur dans le développement
socio-économique des communautés aborigènes depuis les
années 1970. Elles avaient ainsi financé et organisé
d'importantes campagnes politiques, sensibilisé l'opinion sur la
question des droits autochtones et porté la cause aborigène sur
la scène internationale.
Néanmoins ce Secteur autochtone a souffert de beaucoup
de carences et les organisations aborigènes étaient bien souvent
sous-financées et sous-équipées. La réponse juste
à ces problèmes devait venir de gouvernements prêts
à assumer leurs responsabilités, prêts à entamer de
profondes
174 Tim ROWSE dans Diane AUSTIN-BROOS & Gaynord MACDONALD
(eds), 2005a, p. 214
152
réformes et prêts à donner aux
Aborigènes les véritables moyens de leur
autodétermination.
Dans la logique d'autodétermination qu'il
défendait, le Secteur autochtone devait devenir, à terme, plus
performant et plus autonome, moyennant des réformes structurelles ou
fonctionnelles, et à condition que les gouvernements remplissent leurs
obligations de prestataires de service, développent des liens entre et
avec les organisations aborigènes, augmentent leur budget, et favorisent
aussi bien l'implication d'acteurs compétents que l'acquisition de
savoir-faire dans ces structures 175.
Le début des années 1990 va voir la
concrétisation d'un nouveau projet du gouvernement s'appuyant sur les
mêmes principes de consultation, de négociation et de
participation qui avaient fait naître le Secteur autochtone : la
création d'un organisme aborigène qui combinerait des conseils
élus au niveau national et régional, et qui conjuguerait des
pouvoirs consultatifs, administratifs, exécutifs et
décisionnaires. Le gouvernement avait ainsi souhaité donner aux
Aborigènes un vrai pouvoir de contrôle sur les politiques, les
programmes, les services et les financements qui les concernaient. Ce projet
fut donc associé à l'idée d'une réconciliation
entre les Aborigènes et la société dominante.
Il s'agit donc d'analyser la création de la Commission
des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, organisme
aborigène chargé de la mise en place de la politique
d'autodétermination.
2) L'ATSIC instrument d'autodétermination
Le gouvernement entreprit donc la mise en place d'une
Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres
(Aboriginal and Torres Strait Islander Commission) qui prit
ses fonctions en mars 1990. Cet organisme visait à combler les lacunes
des diverses structures mises en place par le gouvernement, en poussant plus
loin l'idée d'autodétermination. Organisme de droit public, la
Commission était une commission nationale élue au niveau des
régions, qui disposait de pouvoirs de représentation,
d'exécution et de décision. Cet organisme avait trois objectifs :
il devait d'une part « favoriser l'autogestion et la prise d'autonomie des
autochtones, d'autre part garantir une très forte participation des
Aborigènes dans la formulation et l'exécution des politiques
gouvernementales, et, enfin, promouvoir le développement
économique, social et culturel de la minorité autochtone. En
conséquence il incombait à la Commission de remplir les fonctions
suivantes :
175 ANDERSON & SANDERS, 1996, p.17 ; R.NEILL, 2002, pp.
65-66 ; Gillian COWLISHAW, Dialogue n°23, 2004, pp.
48-49
·
153
défendre la reconnaissance des droits autochtones aux
niveaux régional, national et international
· assister, conseiller et coopérer avec les
communautés, les organisations et les individus autochtones
· développer des politiques qui répondent
aux besoins et aux priorités des Aborigènes aux niveaux
fédéral, étatique/territorial et régional
· prendre des mesures raisonnables pour protéger
les informations ou les objets culturels considérés comme
sacrés par les Aborigènes
· représenter les intérêts des
autochtones aux différents niveaux de gouvernement et garantir la
coordination de leurs politiques et programmes
· contrôler la performance des autres agences
gouvernementales chargées d'offrir leurs services aux
Aborigènes
· administrer et mettre en oeuvre certains des
programmes et services que le gouvernement du Commonwealth avait conçus
pour les Aborigènes
· gérer une partie du budget
fédéral alloué aux Aborigènes et répartir
les financements gouvernementaux entre les différents programmes
existants, en respectant les minima éventuels imposés par le
gouvernement » 176.
Ces différentes fonctions étaient
réparties entre un corps aborigène élu, constitué
d'une commission nationale et de conseils régionaux, et qui
possède, en accord avec le principe d'autodétermination, tous les
pouvoirs de décision ; et un corps administratif, qui n'a lui qu'un
simple rôle d'exécutant. Ainsi, les pouvoirs de décision
revenaient à un corps représentant responsable devant son
électorat, tandis que les pouvoirs d'exécution revenaient
à un corps assimilable à un département gouvernemental,
responsable devant le Ministre des Affaires Aborigènes.
Cette commission reposait sur un triple concept d'autonomie,
de démocratie représentative, et de responsabilité
ministérielle.
Dès sa création, l'ATSIC inspira des
réactions très différentes au sein de la communauté
aborigène. Certains voyaient en la création de cette Commission
une petite « révolution 177 », ou l'adoption
176 Voir la Loi sur la Commission des
Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres,
Partie 2, Division 2, Section 7
177 Tim ROWSE, Australian Society, Mars 1990, pp.
15-18
154
d'une réforme importante qui leur donnerait de fait
« une voix effective au sein du gouvernement australien » 178 .
D'autres soutenaient que cette structure occidentale, pur
produit du gouvernement, ne restait qu'un instrument d'autodétermination
limité. L'autodétermination des Aborigènes
requérait en effet « l'application des politiques formées
par des Conseils élus, et de ce fait, elle dépendait aussi bien
de la coopération de certains organismes privés que de la
collaboration des fonctionnaires d'ATSIC, responsables devant le gouvernement
» 179 . La commission était d'ailleurs financée par
l'État.
D'un autre coté, l'ATSIC ne contrôlait pas
l'ensemble des services liés aux Affaires aborigènes, puisque de
grands domaines tels que l'éducation ou la santé restaient sous
la responsabilité des départements gouvernementaux.
Ainsi, bien qu'elle ait acquis le statut d'organisation
indépendante non-gouvernementale aux Nations Unies, l'ATSIC n'avait pas
toute autonomie, l'État ayant conservé un droit de regard sur les
politiques aborigènes.
La législation d'ATSIC fut également
très controversée au Parlement, opposant les partis d'opposition
de la Coalition aux partis démocrates. La première crainte
était que la législation permette la sécession politique
ou territoriale des Aborigènes. La Coalition fit donc passer une
résolution afin que l'autodétermination des Aborigènes
soit exclusivement assujettie à la Constitution et aux lois de
l'État australien 180.
L'ATSIC ne faisait donc pas l'unanimité dans la
communauté aborigène. C'est d'ailleurs suite à sa
création que que plusieurs Aborigènes décidèrent de
créer le Gouvernement Provisoire Aborigène (Aboriginal
Provisionnal Government). Cet organisme, l'un des plus radicaux de
l'histoire du militantisme aborigène, se présentait comme une
structure gouvernementale alternative. « Il revendiquait le droit des
peuples à l'autodétermination politique, scandait la
souveraineté aborigène, présentait la création d'un
État aborigène indépendant comme une option »
181. Ce Gouvernement Provisoire symbolisait alors la persistance de
la lutte pour la réalisation de l'autodétermination des
Aborigènes et pour la reconnaissance de leur souveraineté.
178 « To provide them with an effective voice within the
Australian Government ». Note d'intention, préambule de la Loi
sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du
Détroit de Torres.
179 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation
: politiques, logiques et réalités socioculturelles ,
Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV -
Sorbonne, 2007, p. 145
180 Frank BRENNAN, avril 1992
181 Jbid , p. 147
155
En 1997, l'ATSIC et d'autres organisations aborigènes
ont à nouveau abordé la question du droit à
l'autodétermination :
« On peut voir, à la lumière de la
pratique à l'échelle internationale, que
l'autodétermination peut se réaliser sous bien des formes
différentes. Dans le cas des peuples autochtones, ces formes varieront
en fonction des coutumes, besoins et aspirations propres à chacun... Le
contrôle et le consentement sont deux notions centrales du droit à
l'autodétermination : contrôle sur les prises de décisions
qui nous touchent et consentement quant aux modalités de nos relations
avec les États. Ces deux notions sont de plus en plus reconnues comme
des principes essentiels qui doivent figurer dans n'importe quel catalogue des
droits des peuples autochtones et, de façon implicite, dans le principe
de non-discrimination raciale tel qu'il s'applique aux peuples autochtones
» 182.
Lors des débats pour l'adoption de la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,
l'ATSIC estimait qu'il était fondamental, pour l'intégrité
de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté
le droit à l'autodétermination. Elle considère en effet
« qu'il serait inapproprié de limiter l'application du concept
d'autodétermination sous prétexte qu'en ne le restreignant pas,
on pourrait laisser entendre qu'il représente une menace pour
l'État-nation ».
L'autodétermination est donc perçue comme un
droit « dynamique » sous l'égide duquel les peuples
aborigènes et les insulaires du détroit de Torres vont poursuivre
leurs efforts pour élargir leur autonomie en matière de prises de
décision.
Toutefois, avec l'arrivée des conservateurs, comme
John Howard, au pouvoir, la possibilité d'obtenir du gouvernement une
reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement
exclue.
iii. Le principe d'autodétermination en
question
Les politiques d'autodétermination qui eurent cours
depuis les années 1970 n'ont pas vraiment donné les
résultats initialement escomptés.
182 Déclaration faite par l'ATSIC, le Commissaire
à la justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du
détroit de Torres, la Foundation for Aboriginal and Islander Research
Group, l'Indigenous Women Aboriginal Corporation, le National Aboriginal and
Islander Services Secretariat, le New South Wales Aboriginal Land Council et le
Tasmanian Aboriginal Centre, Groupe de travail de la Commission des droits de
l'homme, troisième session, octobre 1997.
156
Comme pratique et comme idéologie,
l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient
apprendre à s'autogérer, au sein des communautés
sédentaires, ce qui impliquait, entre autres, qu'ils adoptent les formes
appropriées de socialité et de subjectivité
sanctionnées par l'État. Du point de vue de celui-ci,
l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient
gérer eux mêmes leur entrée dans la modernité et
qu'ils partageaient les visions, les façons de faire et les
priorités des politiciens et des bureaucrates.
Nous traiterons dans cette dernière partie de la
remise en question du principe d'autodétermination, en particulier
durant la période des mandats de John Howard, et Paul
Keating (1.), puis nous terminerons par l'exercice
réel du droit à l'autodétermination des Aborigènes
sur le territoire australien (2.).
1) Ère Keating - Ère Howard
John Howard, le Premier ministre libéral de 1996
à 2007, prônait une approche pragmatique de la
réconciliation et de la gestion des Affaires aborigènes, dont
témoignent les politiques menées par ses différents
gouvernements. Il s'opposait au droit à l'autodétermination des
Aborigènes arguant qu'il rejetait toute notion de séparation au
sein de la communauté australienne, mettant ainsi un terme, ou au moins
un frein, à la reconnaissance du statut unique des Aborigènes au
sein de la communauté.
Le gouvernement Howard rédigea ainsi plus de trois
cents pages d'amendements sur la Loi sur le titre Autochtone, sur la
base d'un « Plan en Dix Points » (Ten Points Plan) qui
devait réduire les droits définis pour les Aborigènes de
manière considérable.
Divulgué en mai 1997, le Plan prévoyait de
confirmer que les titres autochtones n'avaient pas survécu sur les
terres annexées par des droits « exclusifs », de souligner que
les titres autochtones seraient définitivement éteints s'ils
n'étaient pas compatibles avec les titres et les droits des loueurs
à bail, d'introduire de nouvelles mesures visant à faciliter les
négociations en dehors des cours de justice, et peut être surtout,
par différents moyens, de limiter le « droit de négocier
» des Aborigènes183.
Ce projet de loi du gouvernement visait à
dégager les producteurs du secteur primaire de l'obligation de
négocier avec les Aborigènes d'une part, et d'autre part à
abolir le « droit de négocier » des Aborigènes sur
toutes les terres réquisitionnées pour le développement
183 John HOWARD, « Wik 10 point plan », Media
Release, 1 Mai 1997
157
d'infrastructures et de travaux publics, sur toutes les terres
utilisées pour la gestion des ressources en eau et le contrôle de
l'espace aérien, et sur toutes les terres destinées au
développement de constructions urbaines 184.
La Loi sur l'amendement du Titre Autochtone
(Native Title Amendment Act 1998) fut finalement votée en
juillet 1998, limitant ainsi considérablement les droits des
communautés autochtones. La même année fut rendu un rapport
: le Rapport Reeves (the Reeves Report) 185 , qui
montra que les droits fonciers des Aborigènes ne participaient pas de
manière claire à leur développement
socio-économique. Ce rapport donnait au gouvernement une
opportunité formidable de critiquer les structures et les principes de
la politique d'Autodétermination, politique à laquelle il
était farouchement opposé. Il lui permettait également de
justifier a posteriori le bien-fondé des amendements apportés
à la Loi sur le Titre Autochtone, lui offrant ainsi la «
possibilité d'argumenter avec plus de force encore que les droits
fonciers des Aborigènes devaient surtout servir le développement
socio-économique de leur communauté » 186.
Dans la plupart des domaines relatifs aux question
Aborigènes, John Howard avait imposé sa logique de
réconciliation en limitant les droits spécifiques des
autochtones, en pointant du doigt les structures mises en place pour
réaliser l'autodétermination aborigène et en minimisant
l'importance du symbolique, de la justice et des cultures, pour insister sur
l'urgence du développement économique des communautés.
À l'issue de la décennie de la
réconciliation, la possibilité d'obtenir du gouvernement une
reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement
exclue. En tant que telle, la réconciliation n'était pas
contraire au développement du droit des Aborigènes à
l'autodétermination : « elle intervenait dans les
sociétés pour permettre un rapprochement entre les peuples, sans
dicter précisément les modalités de ce rapprochement
» 187 .
Le changement de cap qui s'était produit dans les
affaires aborigènes au début des années 1990 avait ouvert
la voie à une reconsidération du principe
d'autodétermination qui les régissait depuis 1972. Ainsi,
à partir de 1996, le gouvernement préféra parler
d'autogestion que d'autodétermination,
184 Explanatory Memorandum, pp.145-146, 153, 154, 158.
Native Title Amendment Bill 1997, ss.24E-24L & 26A-26D, 251C
185 Department of Reconciliation & ATSI Affairs -
Building on Land Rights for the next Generation :
Report of the Review of the Aboriginal Land Rights
(Northern Territory) Act 1976, par John Reeves, 1998
186 Department of Reconciliation & ATSI Affairs, 2001
187 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
323
158
les efforts visant à permettre aux communautés
autochtones de décider de leurs priorités et de leur
stratégie de développement furent relâchés, et le
principe selon lequel les autochtones étaient en droit légitime
d'être les principaux décisionnaires dans les affaires qui les
concernaient fut remis en cause 188.
Le gouvernement défendait en fait le droit des peuples
à l'autodétermination, selon le droit international, mais en
dépit des revendications aborigènes 189. Il refusait
donc de considérer les Aborigènes et les Insulaires du
Détroit de Torres comme des « peuples distincts » aux fins de
la loi internationale.
John Howard proposa d'ailleurs de remplacer « le droit
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres à
l'autodétermination dans la vie de la nation » par « le droit
des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres, commun
à tous les Australiens, de déterminer leur propre destinée
» dans la Déclaration Australienne pour la
réconciliation.
En outre, il n'existait pas en Australie de mouvement
politique sérieux pour une sécession des populations autochtones.
Les revendications du droit à l'autodétermination allaient donc
rarement de pair avec des revendications pour une autonomie politique et
territoriale. Le plus souvent, ce droit était invoqué pour
demander à ce que les formes d'autonomie trouvées au niveau local
s'étendent au niveau régional 190, pour demander
à exercer une plus grande autorité et une plus grande
responsabilité dans tous les domaines qui les concernaient
191, pour demander à ce que le nécessaire soit fait
pour leur permettre de participer équitablement à la vie
politique de la nation australienne 192, ou bien simplement, pour
demander à ce que des mesures soient prises pour favoriser leur
complète égalité et leur complète
intégration dans l'État australien.
Le gouvernement Howard ne voulait donc poser aucun acte qui
puisse laisser entendre que les Aborigènes formaient des peuples
distincts qui possédaient collectivement des droits distincts. Il
considérait que le principe de l'autodétermination autochtone
était ainsi en profonde contradiction avec les principes qu'ils
défendait, soit l'égalité, l'unité et la
primauté, voire l'exclusivité des droits de l'individu.
Le gouvernement refusait donc de reconnaître le droit
des Aborigènes à l'autodétermination parce qu'il craignait
qu'il ait des conséquence sur l'intégrité territoriale,
parce qu'il rejetait le principe de droits séparés pour la
collectivité autochtone, et aussi parce qu'il considérait que
l'autodétermination et les droits collectifs appartenaient à
« une politique du symbolisme » qui risquait de devenir « une
188 HREOC - ATSI Social Justice Commission - William Jonas,
SJR 2002, 2003, p. 51
189 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission -
Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 41
190 HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON,
SJR 1993, 1994, p. 63
191 CAR, 2000d, p. 14
192 Ibid., p. 15
159
distraction par rapport aux réelles taches et
priorités » 193.
Lors des sessions d'adoption du projet de Déclaration
sur les droits des peuples autochtones, l'Australie fut l'une des nations les
plus intransigeantes sur la question de l'autodétermination des
autochtones. Le gouvernement australien souhaitait en effet que le terme «
autodétermination » disparaisse complètement du
Projet, parce qu'il impliquait des « formes de
souveraineté et d'autonomie gouvernementale pour les Aborigènes
» 194.
Les différentes politiques du gouvernement eurent
ainsi beaucoup d'impact sur les cinq grands piliers de
l'autodétermination : la liberté de s'identifier et d'être
identifié, le développement socio-économique, le maintien
et la promotion des cultures, le développement de droits fonciers et le
transfert de pouvoirs à des structures représentantes
aborigènes.
Concernant le droit de s'identifier, les Aborigènes
continuaient d'être libres de s'identifier à la communauté
Aborigène et les procédures d'identification restaient
globalement les mêmes. En ce qui concerne les droits fonciers, nous avons
vu avec l'arrêt Wik et la Loi sur le titre autochtone
195, que le gouvernement entendait bien contenir, voire amputer les droits
fonciers des autochtones. Pour ce qui est de leur développement
économique, le gouvernement lui accordait une plus grande importance
relativement aux questions d'ordre « symbolique » et refusait de le
fonder sur des programmes et services séparés. En ce qui concerne
les cultures autochtones, le gouvernement essaya de limiter le respect et la
promotion des cultures au cadre du multiculturalisme. Enfin, concernant le
dernier pilier, la dévolution des pouvoirs, le gouvernement
n'accéda pas aux demandes qui avaient été faites pour une
meilleure représentation des Aborigènes dans la
société australienne. Les autochtones étaient donc
très peu représentés dans les partis politiques. Ainsi,
bien que les Aborigènes aient eu le droit de participer à la
conduite des affaires publiques de la nation depuis les années 1960,
leur « participation politique » effective restait à
pleinement réaliser.
Ainsi, le gouvernement de John Howard semblait ne pas
s'opposer seulement à la reconnaissance légale ou symbolique du
droit des Aborigènes à l'autodétermination. Apparemment,
il s'opposait au principe même de leur autodétermination 196.
Avant l'arrivée de Howard au pouvoir, l'ATSIC
était critiquée par une partie de la population
193 Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John
Herron, Statement at the 17th session of the United Nations
Group on Indigenous Populations, 29 juillet 1999
194 « Forms of Aboriginal sovereign self-government »
(Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John HERRON, The UN
Working Group on Indigenous Populations . the Australian
Contribution 1999, 1999, p.11)
195 Voir infra.
196 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation
: politiques, logiques et réalités socioculturelles ,
Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV -
Sorbonne, 2007, p. 332
160
Aborigène qui voyait en elle l'expression d'une forme
limitée d'autodétermination : la Commission avait
été créée simplement pour représenter des
populations autochtones dont l'identité et le statut uniques avaient
été reconnus 197. En outre elle restait
étroitement contrôlée par le gouvernement puisqu'elle en
dépendait sur le plan financier, et que son corps administratif
était responsable devant le Ministre.
Avec l'arrivée de Howard, l'autonomie de la Commission
fut encore plus réduite. Le gouvernement lui imposa différents
types de restrictions financières telles qu'une forte réduction
de la proportion du budget de l'État pour les Affaires aborigènes
géré par ATSIC, ou le durcissement du régime de
responsabilité financière auquel la Commission était
soumise, ou encore une imposition importante de « minima » qui porta
atteinte à l'autodétermination des Aborigènes. En effet,
ce système de minima permit au gouvernement d'imposer ses choix, et les
minima imposés dans certains domaines contraignirent la Commission
à arrêter de nombreux programmes.
La Commission apparut alors comme « un simple
prestataire de service, mis au service du gouvernement et de son projet de
réconciliation, réduit à compléter les programmes
d'un gouvernement ouvertement hostile à l'autodétermination
qu'elle représentait originellement » 198.
En 2004, toujours dans une optique d'opposition à ce
qu'il considère être une séparation entre les
communautés, Howard abolit l'ATSIC au motif que sa gestion a
été un échec. Depuis, aucun autre organisme n'a
été mis sur pied par le gouvernement pour remplacer cette
commission.
Pour terminer il convient de s'intéresser à la
manière dont le droit à l'Autodétermination est-il
réellement exercé sur le territoire australien.
2) Autonomie et autodétermination
Au cours de la période qui a débuté avec
Whitlam, les Aborigènes ont vu la mise en place d'éléments
leur assurant un certain degré d'autodétermination. Ils n'ont
cependant pas, comme le précisait Mick Dodson, « exercé ni
joui de ce droit » (Assimilation vs. Self Determination). Ainsi,
ni la politique des travaillistes, ni celle des libéraux n'ont conduit
à une reconnaissance formelle d'une autodétermination qui ne peut
commencer qu'avec un accord négocié. La signature d'un tel accord
permettrait d'instaurer une autodétermination politique pour laisser la
place à un possible développement socio-économique et
culturel.
197 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission -
Michael DODSON, SJR 1993, 1994, pp. 42-43
198 ATSIC, 1996a, p. 23
161
Il convient de souligner un aspect majeur du principe
d'autodétermination, à savoir qu'il signifie établir des
rapports équitables au sein de la société. Erica-Irene
Daes soulignait d'ailleurs que ,
« [...] le droit à l'autodétermination
des peuples autochtones devrait en général être
interprété comme étant leur droit de
négocier librement leur statut et leur représentation
au sein de l'État dans lequel ils vivent. La meilleure définition
qu'on puisse en donner est celle d'une sorte de « construction tardive de
l'État en vertu de laquelle les peuples autochtones seraient à
même de s'associer à tous les autres peuples qui constituent
l'État, dans des conditions justes et acceptées par tous
» 199.
On parle ici de la création d'un gouvernement
représentant l'ensemble du peuple, au sein duquel les autochtones ont
légitimement voix au chapitre quand il s'agit de déterminer leurs
priorités et leur avenir.
Selon cette même auteur :
« L'État existant a le devoir de tenir compte
des aspirations des peuples autochtones en adoptant des réformes
constitutionnelles destinées à assurer un partage
démocratique du pouvoir. Cette approche signifie
également que les peuples autochtones ont le devoir d'essayer de
parvenir à un accord, de bonne foi, concernant le partage du pouvoir
à l'intérieur de l'État existant et d'exercer leur droit
à l'autodétermination par ce moyen et par d'autres moyens
pacifiques, dans la mesure du possible » 200.
Il apparaît qu'en l'espace d'une décennie,
l'autodétermination des Aborigènes ne se traduisit plus par une
forme étendue d'autonomie non-territoriale, mais par une forme
d'autonomie réduite, parfois appelée autogestion. L'alternative
qui se présentait aux Aborigènes ressemblait donc à
l'alternative des autres citoyens, entre intégration et assimilation.
John Howard, qui rejetait le principe d'un traité avec
les Aborigènes, déclarait d'ailleurs :
« Lorsque j'ai utilisé le terme d'inclusion
au préalable, certains commentateurs l'ont confondu avec les vieilles
politiques d'assimilation du passé. Ce n'est pas du tout ce
que je dis f...] Les Australiens autochtones doivent avoir le droit
de jouir de leur propre culture et de partager les avantages et les
responsabilités que ce pays offre à tous les citoyens. Par
inclusion, je veux parler d'embrasser et de célébrer la
différence parce que ce sont ces
199 DAES, Erica-Irene, Discrimination à l'encontre des
peuples autochtones : Note explicative concernant le Projet de
déclaration sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 25.
200 Ibid, paragraphe 26
162
différences qui déterminent ce
que nous sommes en tant que nation » 201
En 1999, Howard proposa au Parlement une motion de
réconciliation qui fait suite à la publication, en 1997, du
rapport Bringing Them Home (« Les ramener
chez eux ») par la Human Rights and Equal Opportunity
Commission (HREOC - Commission pour les droits de l'homme et
l'égalité des chances). Cependant, cette motion n'est
restée qu'une déclaration d'intention qui n'a pas
été suivie de mesures sociales concrètes.
Au début des années 2000, une débat
d'idées semblait avoir pris le pas sur les stigmatisations politiques.
Deux grands groupes de pensée s'opposaient donc : l'un prônant
l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante,
l'autre recommandant la réalisation de l'autodétermination
autochtone.
Pour le premier, l'assimilation des Aborigènes
était souhaitable, et souhaitée par les concernés. Le
devoir du gouvernement était dès lors de faciliter
l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante,
plutôt sur une base individuelle que collective. En vue d'une
assimilation structurelle des Aborigènes à terme, il était
urgent de démanteler l'ensemble des structures et des organisations qui
avaient été créées par le gouvernement dans une
logique d'autodétermination. Ce groupe considérait donc que la
politique menée depuis le gouvernement Whitlam était un
échec fracassant, et que tout ce qui avait été mis en
place dans une logique de séparatisme, comme le Secteur autochtone, les
programmes et les financements séparés, l'identité
collective ou encore les droits fonciers ; devait progressivement
disparaître pour permettre aux Aborigènes de sortir de l'impasse
socio-économique.
Pour le second groupe, le principe d'autodétermination
devait rester le principe phare des Affaires aborigènes. Selon leur
conception, la lenteur des progrès socio-économiques depuis 1972
était due à un ensemble de facteurs annexes, et non pas à
l'apparition de l'autodétermination dans les politiques
gouvernementales. Il considéraient au contraire que cette politique
était la plus appropriée pour permettre aux communautés
autochtones de se relever, puis de s'émanciper, dans un contexte fait
d'égalité citoyenne et de droits autochtones. Le gouvernement
devait donc prendre toutes les mesures requises pour donner aux
Aborigènes les moyens de s'autodéterminer dans une nation
attachée à ses principes de justice et d'égalité.
Il s'agissait dès lors d'assurer la pérennité des
programmes réservés aux autochtones et d'augmenter le budget des
Affaires Aborigènes, et ce particulièrement dans les domaines du
logement et de la santé.
201 DIMIA - Phillip Ruddock, ATSIC National Treaty
Conference, 29 août 2002
163
Le principe de l'auto-gouvernance autochtone pose la question
de la citoyenneté aborigène, qui suppose la reconnaissance des
droits indigènes, parmi lesquels figurent les droits fonciers.
Après avoir connu une évolution certaine, la question des droits
à la possession de la terre, du droit aux ressources naturelles, du
droit à l'indemnisation, ou encore du droit à l'utilisation de la
terre semble avoir atteint ses limites aujourd'hui en Australie. Rappelons que
l'Australie est la seule colonie du Commonweatlth à n'avoir jamais
signé de traité avec les autochtones.
Depuis quelques années, les gouvernements ont
cherché à passer avec les communautés des accords dits
« de responsabilité partagée », leur proposant un
soutien généralement matériel « en échange
» d'un « effort » de prise en main. Cet « échange
» consiste souvent pour les communautés à confier leurs
terres au gouvernement pour des périodes très longues, ce qui
s'assimile à la perte de leur souveraineté locale.
Trente ans après l'introduction du principe de
l'autodétermination dans les Affaires aborigènes, le
contrôle qu'exerçaient les autochtones sur les politiques et les
programmes qui les concernaient restait très limité. Les moyens
de leur développement économique continuaient d'être
déterminés pas les gouvernements, limitant de ce fait la
portée de leurs voix dans les structures programmes qui leur
étaient réservés. En outre, leur pouvoir de
décision sur les services qui les concernaient était quasiment
nul. Les Aborigènes devaient donc reprendre le contrôle de leurs
affaires, aux niveaux national, régional et local, de la prise de
décision en amont, à l'application des décisions en aval,
dans une logique d'autodétermination 202.
Ainsi il reste un sentiment d'inachevé dans la
décolonisation interne débutée en 1972 avec le Premier
Ministre Whitlam. Pour reprendre la formule du professeur John Borrows, «
l'Australie semble prendre la voie de la re-colonisation ». Après
avoir servi de slogan à la politique officielle aborigène et
malgré les avancées incontestables du statut des
Aborigènes, l'autodétermination reste en question.
202 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation :
politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse
doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p.
389
164
Conclusion :
Durant des années, les peuples autochtones ont
vécu dans une situation coloniale : dominés sur leurs territoires
traditionnels par un État qui leur est étranger. Ils
étaient alors les victimes de politiques assimilationnistes, qui les ont
marginalisés, discriminés en raison de leurs
caractéristiques distinctives. Leur histoire est donc une longue suite
de soumission, de dépossession de territoires, de perte de leur
liberté, et d'atteinte à leur culture et à leur
identité. On a là tous les éléments constitutifs
d'une discrimination politique, systémique et historique.
Les peuples autochtones demandent réparation de cette
situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et internationaux afin
d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et
ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Il
est clair que le principe de l'autodétermination pour tous les peuples
est fermement établi dans le droit international et les droits de
l'homme et qu'on ne peut le dénier aux peuples autochtones.
La particularité des peuples autochtones est qu'ils
vivent sur les territoires d'États indépendants, et donc ne sont
pas reconnus, au sens international du terme, comme peuples. Ils ne sont pas
non plus des peuples colonisés car ils vivent sur le territoire
métropolitain, à l'intérieur des frontières de
l'État. Ils revendiquent pourtant cette qualification de peuples
colonisés pour exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes.
C'est en vertu de leur statut de peuple qu'ils peuvent déterminer leur
statut politique, et assurer leur développement économique,
social et culturel.
Parti des organisations amérindiennes qui se sont
développées depuis une quarantaine d'années, le mouvement
autochtone concerne aujourd'hui l'ensemble de la planète avec
l'arrivée chaque année, aux Groupes de travail de l'ONU, de
nouvelles organisations issues des États qui sont touchés
à la fois par la mondialisation et par les transformations politiques.
La décolonisation a été le moteur politique de ce
mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes, les
relations internationales ont été transformées, et les
nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la
condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et
moral. Aujourd'hui les revendications autochtones et les solutions qu'ils
proposent ont mûri dans des réseaux transnationaux, des centres de
recherches et dans l'activisme international. L'écho de ces luttes et la
transformation du traitement institutionnel de « la question
indigène » 203 nourrissent le
203 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples
autochtones, Bruxelles, Bruylant, 1997 ; Jean-Claude FRITZ,
Frédéric DEROCHE, Raphaël PORTEILLA, La nouvelle question
indigène. Peuples autochtones et ordre mondial, Paris,
165
mouvement international des peuples autochtones.
Mais ce mouvement autochtone est confronté à de
nombreuses difficultés. En effet, aujourd'hui les peuples autochtones
vivent sur le territoire d'États indépendants, et sont en quelque
sorte enclavés au sein de ce territoire. L'acquisition d'un statut
juridique en droit International ne peut être possible que dans un cadre
précis compatible avec le respect de la souveraineté de
l'État, de son intégrité territoriale et son unité
politique.
Craignant pour leur intégrité territoriale, les
États ne sont pas prêts à qualifier les autochtones de
peuple avec tout ce que ce statut implique, et sont donc très souvent
réticents à la reconnaissance de droits collectifs sur leurs
territoires. En effet, il reviendrait alors à l'État de prendre
en compte et concilier les intérêts et les droits des autres
parties de sa population pour éviter les tensions.
Toute réflexion sur le statut des peuples autochtones
implique la question de l'intégrité territoriale et
l'unité politique des États indépendants sur le territoire
desquels ces communautés vivent. Les peuples autochtones sont en effet
considérés comme des sujets internes relevant exclusivement de la
souveraineté de l'État. L'examen de la situation des peuples
autochtones est donc un sujet très sensible.
Aujourd'hui, il convient de constater que les peuples
autochtones ne sont plus ignorés par le droit international. Celui ci
admet que les peuples autochtones sont des groupes distincts au sein des
États dont il faut garantir l'identité collective,
l'intégrité culturelle et le libre développement
économique, social et culturel. Tous les organes et institutions de
l'ONU doivent prendre en considération la situation particulière
des peuples autochtones dans leurs programmes. Cette situation est d'ailleurs
évoquée dans de nombreux domaines tels que la protection de
l'environnement, les changements climatiques, le droit à l'alimentation,
etc... Bien que leur statut ne leur permette pas encore d'obtenir la
qualité de sujets de droit International, il prouve tout de même
que les autochtones ne sont plus des objets passifs, mais deviennent au
contraire acteurs de leur destin, acteurs avec lesquels les États
doivent négocier dans un partenariat basé sur le respect mutuel.
Ils utilisent d'ailleurs des techniques politiques modernes pour conjuguer
leurs forces et obtenir des soutiens à l'échelle mondiale.
Les peuples autochtones sont parvenus à «
s'internationaliser » en acquérant un statut spécifique au
sein de l'ONU. Membres, à égalité avec les États,
de l'Instance permanente sur les questions
L'Harmattan, 2006.
166
autochtones, ils ont obtenu l'adoption de la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le
13 septembre 2007, qui leur reconnaît notamment le droit à exister
de manière spécifique et distincte en qualité de groupes,
au sein des États. Cette évolution positive va donc permettre aux
autochtones de retrouver une voix en qualité de peuples, et ainsi de
peser plus de poids à la fois sur la scène internationale, et sur
la scène interne.
Ainsi, un nombre croissant d'instruments internationaux
demande à ce que les peuples autochtones soient consultés, et
même associés sur de nombreux domaines les concernant, tels que le
droit à la terre, la protection de l'environnement, le
développement durable, etc... Il convient ici de mentionner la
contribution positive que les groupes autochtones peuvent apporter à la
protection de l'environnement.
En outre, les organisations autochtones sont invitées
à participer aux conférences internationales, ne laissant plus
les États discuter seuls de leur situation. Elles se construisent pour
réagir à une atteinte particulière sur le plan local, pour
agir dans un sens politique au plan national en s'appuyant sur les formes
transnationales de campagne, pour capter des fonds et enfin pour s'efforcer
d'être reconnus comme acteurs de plein droit et participer au
développement les concernant 204.
Cette évolution a des conséquences fortes
même au niveau interne, et l'on constate que les États consultent
davantage les peuples autochtones lorsqu'il s'agit de prendre des
décisions les concernant. Dans certaines régions du monde, un
dialogue permanent s'est établi. Dans d'autres, peuples autochtones et
gouvernements ont entrepris des négociations directes qui progressent,
en vue d'améliorer leurs relations et de garantir aux peuples
autochtones une meilleure protection de leurs droits. Ces dernières
années, plusieurs gouvernements ont modifié leur constitution et
leur législation compte tenu du caractère multiculturel de la
société nationale.
Désormais, face aux peuples autochtones, l'ONU et ses
États membres doivent obéir aux normes et principes
internationaux que sont l'égalité, la non-discrimination et
l'interdiction de la discrimination raciale. Il n'entre pas dans les
compétences de l'ONU ou de ses États membres de s'engager dans un
processus qui éroderait le statut de « peuples » des peuples
autochtones, ou le droit des autochtones à l'autodétermination.
Ainsi, il faut que les peuples autochtones obtiennent le droit à
l'Autodétermination formulé dans les mêmes termes que ceux
que l'on retrouve dans les pactes internationaux relatifs aux droits
humains.
L'ONU participe de plus en plus largement aux
activités visant à assurer la promotion et la protection des
droits des peuples autochtones. La Décennie internationale offre
l'occasion de
204 BELLIER Irène, « Les Peuples autochtones
à l'ONU : genèse d'une identité globale, avatars
régionaux et logiques représentatives » , in P. Boudreault
(dir.), L'identité en miettes. Limites et beaux risques
politiques aux multiculturalismes extrêmes, Paris, 2006,
L'Harmattan, p. 86
167
sensibiliser davantage l'opinion publique, d'éveiller
davantage son intérêt et de mettre au point, au niveau
international, un plan d'action visant à améliorer les conditions
de vie des peuples autochtones. L'Instance Permanente sur les questions
autochtones veille à l'intégration des questions relatives aux
peuples autochtones dans tous les programmes et les activités des
organismes onusiens ainsi qu'à leur coordination.
La qualification de peuples autochtones sur certains
territoires tels que l'Asie ou l'Afrique peut parfois poser problème.
L'identification de ces groupes devrait donc être faite avec les groupes
intéressés eux-mêmes, les États sur les territoires
desquels ils vivent et des experts internationaux indépendants.
Concernant le régime juridique des peuples
autochtones, il n'existe que deux instruments internationaux contraignants :
les Conventions 107 et 169 de l'OIT. Ce régime est fixé
également dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits
des peuples autochtones, qui n'a cependant aucune valeur contraignante,
même si elle participe à la formation de normes coutumières
en exprimant une certaine opinio juris qui pourrait être suivie
d'une pratique étatique conforme.
Cette Déclaration a été adoptée
le 13 septembre 2007, par l'Assemblée générale,
après de longues négociations entre les États. Elle a fait
l'objet d'un vote nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le
Canada, les États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions
- (Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi,
Fédération de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et
Kenya).
Grâce à l'adoption de la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones un nombre croissant
d'États va prendre conscience de la spécificité des
peuples autochtones et admettre les différentes particularités de
leur situation. Cela n'est cependant pas suffisant pour les autochtones, qui
désirent également être qualifiés de peuples au sens
international du terme, pour être titulaires du droit à disposer
d'eux-mêmes. Ils ne demandent cependant pas à se séparer de
l'État sur le territoire duquel ils vivent, conscients qu'un retour
à un statu quo ante est impossible, mais simplement à ce
que celui ci reconnaisse leur identité collective, et leur assure un
libre développement conformément à leurs coutumes et
traditions.
Cette Déclaration porte la marque d'un droit
International en plein essor pour la reconnaissance des enjeux sociaux,
économiques, et culturels qui confrontent les États. L'adoption
de ce texte marque donc le changement d'un paradigme : « on est
passé de l'assimilation vers une fausse égalité
168
de droits à l'affirmation et au respect de
l'identité distincte des peuples autochtones » 205.
Reconnu au sein de cette déclaration, le droit des
peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes est progressivement
accepté par les États. Le droit International confine l'exercice
de ce droit à la dimension interne de l'autodétermination,
puisqu'il ne reconnaît pas les autochtones en qualité de peuples
titulaires de la plénitude de l'autodétermination. Ce droit est
donc entendu comme un droit à être autonomes pour tout ce qui les
concerne sur le plan local. Le droit à l'Autodétermination est en
effet conçu comme étant un exercice interne, puisqu'il permet aux
peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans le cadre
de l'État. Ils ont donc « le droit d'être autonomes et de
s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires
intérieures et locales » 206.
Tous les représentants autochtones qui se sont
exprimées aux Nations Unies ont indiqué que le droit à
l'autodétermination des peuples autochtones devait être reconnu
sans qualification, limitation ou discrimination. Ce droit s'applique de
façon universelle et ne peut être divisé selon une
dichotomie interne/externe. Il s'exerce toutefois de multiples façons.
Les peuples autochtones veulent que l'exercice du droit à
l'autodétermination se définisse cas par cas avec la pleine et
directe participation des peuples concernés.
Pour cela, il est donc nécessaire que
l'identité collective et la spécificité des peuples
autochtones, ainsi que leurs droits sur leurs territoires traditionnels, soient
reconnus et protégés au sein des États. Il est
également crucial que des modalités adéquates soient
développées aux niveaux national et international pour assurer
que, dans le cas où l'autodétermination passe par l'autonomie
politique et l'autonomie de gouvernement, celles-ci remplissent bien les
critères de consentement libre et informé des peuples
concernés 207.
Les modalités nécessaires à l'exercice
de ce droit sont la participation aux processus de prises de décisions
et la reconnaissance de leurs droits sur leurs territoires traditionnels. Ces
droits sont d'ores et déjà reconnus dans certaines
législations et commencent à recevoir une valeur positive. Les
peuples autochtones concentrent en outre leurs efforts sur un autre
élément essentiel à l'exercice du droit à disposer
d'eux-mêmes : le droit à un consentement préalable, libre
et éclairé, pour toutes les questions qui les concernent. Ce
droit est énoncé comme un objectif à atteindre, une
obligation de moyens 208.
205 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit
international : une trajectoire en plein essor » ; 2012. p. 366
206 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
207 HENRIKSEN John B., « La mise en oeuvre du Droit
à l'autodetermination des peuples autochtones », IWGIA
Indigenous Affairs 3/01 - traduction GITPA
208 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples
autochtones en droit international » / Atelier National de
Reproduction des
169
Toutefois, même si les peuples autochtones obtiennent la
reconnaissance de leurs droits sur leurs terres, territoires et ressources,
cela ne représente qu'une petite partie de ce dont ils ont
été dépossédés au cours de l'Histoire. Du
fait que, souvent, les droits collectifs revendiqués concernent des
territoires riches en ressources et en richesses naturelles, et qui
appartiennent à l'État, celui ci n'entend pas renoncer à
sa propriété. Ainsi bon nombre de peuples autochtones sont
aujourd'hui encore des victimes sur le territoire de l'État dans lequel
ils vivent, et subissent encore la violence, la discrimination, la
pauvreté, les difficultés pour accéder à leurs
ressources, aux soins, à l'éducation...
En outre, il est inadapté de parler d'une
communauté unique autochtone, et il serait plus exact de parler de
situations différentes, du fait de leur extrême diversité
d'un État à un autre. Ainsi dans certains États, tels que
le Canada ou les pays scandinaves, les autochtones voient leur identité
collective reconnue et respectée, jouissant de ce fait d'une certaine
autonomie. À l'inverse, certains États, tels que l'Australie ou
le Canada, abritent des peuples autochtones encore discriminés et
marginalisés, qui luttent pour la protection de leurs droits
fondamentaux et leur sécurité.
Grâce à leur mobilisation sur la scène
internationale, les peuples autochtones ont obtenus de grands progrès,
et acquis une certaine visibilité qui est loin d'être
négligeable. Progressivement, ils ont fait valoir leur statut en droit
International, imposant ainsi l'obligation de respecter leur identité
culturelle et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Ils ont
donc réussi à faire appliquer un droit ostentatoire, dans son
principe, à la souveraineté de l'État et à
l'intégrité territoriale.
La multiplication des institutions et des instruments
juridiques contribue à l'amélioration de la protection des
peuples autochtones. La spécificité des droits autochtone
étant tellement réduite, il est difficile d'affirmer l'existence
d'un droit propre à ces communautés. Il existe toutefois un
corpus normatif susceptible de protéger ces peuples : le droit
international des droits de l'homme.
Bien que certains progrès aient été
accomplis, il reste encore beaucoup à faire pour résoudre les
divergences qui subsistent entre les intérêts des peuples
autochtones et le développement national, entre les moyens d'existence
et les modes de vie des peuples concernés et les politiques et les
projets des États.
En outre, les effets néfastes de la mondialisation sur
ces communautés persistants, c'est toute la diversité culturelle
des peuples qui est aujourd'hui remise en question. Ce phénomène
fait que bien
Thèses / 2008, p. 425
170
des décisions ne sont même pas prises par les
gouvernements, et se prennent à l'Organisation mondiale du commerce,
à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international, etc.
C'est pourquoi il importe pour les peuples autochtones de travailler en
collaboration étroite avec les gouvernements dans des instances comme
l'OMC, afin d'affirmer leur droit de contrôler le territoire national et
leurs propres ressources nationales.
Dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits
des peuples autochtones, le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes est entendu comme étant d'application interne,
puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais
seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit
d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui
touche à leurs affaires intérieures et locales » 209.
Bien que le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à
l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa
portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples
autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de
l'intégrité territoriale de l'État.
Lors d'une séance du Groupe de travail de
l'Organisation des États Américains en mars 2002, le Canada tenta
de déterminer par quelles voies le droit à
l'autodétermination pouvait être mis en oeuvre dans des
États dotés d'un gouvernement représentatif de l'ensemble
du peuple appartenant au territoire, sans distinction de race, de croyance ou
de couleur :
· Ce droit à l'autodétermination respecte
l'intégrité politique, constitutionnelle et territoriale des
États démocratiques.
· L'exercice de ce droit implique des
négociations entre les États et les divers peuples autochtones
qui vivent dans ces États sur les moyens de poursuivre le
développement politique, économique, social et culturel des
peuples autochtones concernés.
· Ces négociations doivent refléter les
juridictions et les compétences des gouvernements existants et prendre
en compte les différents besoins, situations et aspirations des peuples
autochtones concernés.
· Ce droit à l'autodétermination a pour
but de promouvoir des accords harmonieux sur l'autonomie gouvernementale
autochtone au sein d'États souverains et indépendants.
209 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
Nous terminerons ce travail en reprenant les propos de Julian
Burger :
« Les peuples autochtones ne demandent rien de plus
que le droit de déterminer leur propre développement et leur
avenir. Nous n'en souhaitons pas moins pour nous-mêmes. Un siècle
violent vient de s'écouler et le temps est venu de prêter
attention aux voix les plus saines dont l'origine remonte au sources de la
société humaine » 210.
171
210 BURGER Julian « Premières Nations :
Un Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands
Témoins « Image » Anako Éditions, 2000, p.174
172
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· Les Saphirs - Wayne Blair (2012) avec Chris O'Dowd,
Deborah Mailman, Jessica Mauboy
· Mabo, Life Of An Island Man - Trevor Graham (1997)
181
Table des matières
Introduction . 7
I - Évolution du droit des peuples autochtones :
De l'internalisation à
l'internationalisation 27
A) L'origine de la notion d'autochtonie 28
i. Les définitions conventionnelles de l'autochtonie
28
1) La Convention 107 : l'Assimilation 29
2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel 31
ii. L'élaboration d'une définition au sein de
l'ONU 32
1) L'étude du rapporteur spécial José R.
Martinez Cobo : 33
2) L'antériorité de l'occupation territoriale et
l'Auto-définition : 35
iii. Le statut atypique des peuples autochtones en droit
international 38
1) La distinction peuples autochtones/Minorités ethniques
39
2) Une qualification de peuples sui generis 41
B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones
43
i. La mobilisation autochtone dans le contexte onusien
44
1) Début d'une mobilisation autochtone devant les
Instances internationales 45
2) La création d'organes spéciaux
dédiés à la problématique autochtone 49
ii. Un droit à vocation collective 56
1) Spécificité : reconnaissance de droits
collectifs 57
2) Le droit des peuples autochtones à la participation
collective 60
iii. L'apparition d'une identité transnationale
autochtone 61
1) Des sujets en devenir du droit international 62
2) L'identité transnationale autochtone 66
C) Le processus de reconnaissance des Aborigènes
dans la société australienne (de
l'intégration à la réconciliation)
69
i. Assimilation et intégration des aborigènes
au sein de la société australienne 69
1) Le contexte historique 69
2) La période d'assimilation 73
ii. La reconnaissance institutionnelle des aborigènes
dans la société australienne : de
l'intégration à la réconciliation
76
1) La période d'intégration des Aborigènes
77
2) La « révolution judiciaire » avec
l'arrêt Mabo 80
iii. Enjeux et limites de la reconnaissance 84
1) Bilan sur le continent Australien 84
2) Bilan sur le Territoire du Nord et le Détroit de
Torres 91
182
II - L'exercice par les peuples autochtones du droit
à l'autodétermination 97
A) Les contours du droit à
l'autodétermination pour les peuples autochtones 98
i. Les différentes formes de l'exercice du droit
à l'autodétermination 98
1) L'autodétermination externe et interne 99
2) L'autodétermination des peuples autochtones 102
ii. L'autodétermination assimilée à la
décolonisation 105
1) Définition de la décolonisation 106
2) L'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé
108
iii. La portée juridique interne du droit des peuples
autochtones à disposer d'eux-mêmes 111
1) La dimension interne du droit à
l'Autodétermination pour les peuples autochtones 112
2) La garantie du respect des droits territoriaux et de
l'intégrité territoriale de l'État 115
B) La réception du droit à l'autonomie
gouvernementale des peuples autochtones :
Autonomie et relations internationales 123
i. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones 123
1) L'adoption de la Déclaration 124
2) Les conséquences et impacts de la Déclaration
126
ii. Une collaboration difficile avec les gouvernements
128
1) Autodétermination/Autonomie 129
2) Les avantages du fédéralisme 133
iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un nouvel
acteur dans la fabrique des normes
internationales 136
1) La participation sur la scène onusienne 136
2) Les menaces dues à la mondialisation 139
C) La politique d'autodétermination des
aborigènes australiens 143
i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une
politique d'autodétermination 144
1) L'avènement du multiculturalisme dans la
société australienne 144
2) Formalisation d'un processus 146
ii. Les différents instruments
d'autodétermination sur le territoire australien 148
1) Le Secteur autochtone 149
2) L'ATSIC instrument d'autodétermination 152
iii. Le principe d'autodétermination en question
155
1) Ère Keating - Ère Howard 156
2) Autonomie et autodétermination 160
Conclusion . 164
Bibliographie 172
Annexes 183
183
Annexes
Liste des annexes :
1 - Cartes : Répartition des Aborigènes sur
le territoire australien
2 - Chronologie : Évolution de la situation des
Aborigènes
3 - Ressources documentaires
4 - Déclaration des Nations Unies sur les droits
des peuples autochtones (2007)
1 - Cartes :
Répartition des Aborigènes sur le
territoire australien
Source : Aboriginal Australia de
David Horton ; éditée par The Australian Institute of Aboriginal
and Torres Strait Islander Studies (AIATSIS)
Aboriginal and Torres Strait Islander population distribution
- 2006 *
Source: ABS data available on
request, Australian Demographic Statistics (cat. no. 3101.0)
* Final estimates based on the 2006 Census of
Population and Housing.
2 - Chronologie :
1770
· Le Capitaine Cook prend possession de la côte
Est de l'Australie au nom de la Couronne britannique et déclare le
territoire terra nullius.
1788
· Début de la colonisation avec l'arrivée
du premier bateau britannique, installation d'une colonie
pénitentiaire.
1791
· Début de l'expansion territoriale de la
colonie, de la dépossession à large échelle des terres
aborigènes, et des conflits récurrents entre colons et
Aborigènes.
1871
· Charles Darwin publie La filiation de
l'homme, un ouvrage dans lequel il présente l'extermination des
peuples aborigènes comme une étape nécessaire dans le
processus de l'évolution.
1900
· Le parlement britannique vote l'Australian
Constitution Act, qui donne l'indépendance aux colonies
britanniques d'Australie.
· Constitution de la Fédération des
colonies.
· Création du Commonwealth australien.
1901
· L'Australie cesse d'être une colonie Britannique
est devient un État fédéral autonome, dominion
Britannique.
1910
· Début des politiques des «
générations volées »
1936
· Réunion des Premiers à
Adélaïde
1937
· Adoption d'une politique officielle d'assimilation des
métisses aborigènes.
· Une loi sur les Aborigènes donne au responsable
de l'Aboriginal Protection Board l'instrument légal pour « se
débarrasser » du gène Aborigène et aboutir à
une « solution finale » au problème racial en Australie
Occidentale.
1938
· Les Aborigènes commémorent le
150ème anniversaire de l'invasion Britannique en décrétant
cette date « jour de deuil » (Day of Mourning).
1949
· Amendement de l'Electoral Act
1951
· Native Welfare Conference à Canberra
à l'initiative de Paul Hasluck, Ministre des Territoires.
· L'assimilation devient la politique officielle de
l'Australie
1958
· Mise en place du Federal Council for Aboriginal
Advencement and Torres Straits Islands. (FCAA/ TSI)
1962
· Obtention du droit de vote pour tous les autochtones au
niveau fédéral.
1965
· Manifestations et grèves des Gurindji
à Wave Hill qui réclament pour les aborigènes des
salaires égaux à ceux de non aborigènes. Les grèves
ont duré de 1966 à 1975.
1967
· Succès retentissant (90% de oui) d'un
référendum reconnaissant certains droits aux Aborigènes.
Ils sont désormais inclus lors des recensements.
1970
· Scission au sein de FCAA/ TSI, création du
National Tribal Council.
· Fin des politiques des «
générations volées ».
1971
· Neville Bonner devient le premier parlementaire
aborigène en Australie.
1972
· 26 janvier 1972, l'ambassade aborigène est
érigée le jour de la Fête nationale australienne en
réponse au refus du gouvernement McMahon de reconnaître les droits
des Aborigènes à leurs terres coutumières.
· Le Premier ministre Gough Whitlam créé
un Département des affaires aborigènes et nomme un ministre
uniquement responsable des affaires aborigènes.
· L'autodétermination devient la politique
officielle du gouvernement.
· Le Comité Consultatif National Aborigène
(NACC) est établit.
1975
· La grève de Wave Hill se termine par la
restitution à la tribu gurindji de 3200 km2 qui leur avait
été volés.
1976
La loi fédérale Aboriginal Land Rights
(Northen Territory) Act permet aux groupes aborigènes
de revendiquer leurs terres ancestrales, mais elle ne concerne que le
Territoire du Nord.
1977
· Le NACC est remplacé par la Commission Nationale
Aborigène (NAC)
1984
· Le vote devient obligatoire pour les
Aborigènes.
· La NAC est dissoute.
1985
· Uluru (Ayers Rock) est rendu
à ses propriétaires d'origines, la tribu anangu,
à condition que le site reste accessible aux touristes.
1990
· Mise en place de l'Aboriginal and Torres Strait
Islander Commission (ATSIC).
· Création du Gouvernement Aborigène
Provisoire.
1991
· Rapport de la Commission Royale sur les morts
aborigènes en milieu carcéral.
· Célébration de l'année du peuple
aborigène.
· Le Conseil pour la Réconciliation
Aborigène est établit par accord unanime du Parlement
Fédéral en vue d'encourager la coopération et
d'améliorer l'harmonie entre les Australiens aborigènes et
non-aborigènes.
1992
· 3 juin : Conclusion par la High Court de l'
affaire Mabo qui met fin à la fiction juridique de terra
nullius. La propriété foncière ancestrale des
Aborigènes est reconnue.
1993
· La Loi sur le Titre Autochtone (Native Title
Act) est votée.
1996
· Affaire Wik : la High Court confirme
que les droits au Titre Autochtone peuvent coexister avec les baux
pastoraux.
1997
· Rapport Bringing Them Home ; la
vérité au sujet des Générations volées
éclate au grand jour.
· Début des National Sorry Days
("journée nationale du pardon") le 26 mai de chaque année.
1998
· La loi sur le Titre Autochtone de 1993 est
amendée.
· L'Australie est déclarée en violation de la
convention internationale sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination raciale.
1999-2000
· Rapports accablants des Nations Unies sur la situation
des Aborigènes en Australie.
· Marches pour la Réconciliation organisées
dans les capitales des États.
2001
· L'Australie célèbre les 100 ans de la
fédération.
· Fin du Conseil pour la Réconciliation
Aborigène.
· Suppression du Ministère chargé uniquement
des affaires autochtones.
2004
· Décision du gouvernement australien de suppression
de l'ATSIC
2008
Le Premier ministre Kevin Rudd demande pardon aux «
générations volées ».
2009
· 3 avril : l'Australie adhère à la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Sources :
· CASTEJON Vanessa, 2005, Les
aborigènes et l'apartheid politique australien, Ed
l'Harmattan,
· LINDQVIST Sven, 2007, Terra
nullius, Ed. des Arènes, 263p.
· MUECKE Stephen, SHOEMAKER Adam, 2002, Les
Aborigènes d'Australie, Découvertes Gallimard,
127p.
3 - Ressources documentaires
:
n 1945. Charte des Nations Unies
n 1948. Déclaration universelle des
droits de l'homme
n 1957. Convention n°107- OIT relative aux
populations aborigènes et tribales
n 1960. Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux
n 1963. Déclaration des Nations unies
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
n 1965. Convention internationale sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
n 1966. Pacte international relatif aux droits
civils et politiques
n 1966. Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
n 1978. Déclaration sur la race et les
préjugés raciaux
n 1986. Déclaration sur le droit au
développement
n 1986. Charte africaine des droits de l'homme
et des peuples
n 1989. Convention n°169 - OIT relative
aux peuples indigènes et tribaux
n 1992. Convention sur la diversité
biologique
n 1992. Déclaration des droits des
personnes appartenant à des minorités nationales, ethniques,
religieuses et linguistiques
n 1993. Conférence mondiale sur les
droits de l'homme : déclaration et programme d'action de
Vienne
n 1994. Conférence internationale sur la
population et le développement : programme d'action, Le Caire
n 1995. Rapport final de E.-I. Daes sur la
Protection du patrimoine des populations autochtones
n 1995. Conférence mondiale sur les
femmes : déclaration de Beijing
n 1995. Rapport du sommet mondial pour le
développement durable
n 1999. Rapport final de M.-A. Martinez sur
l'étude des traités, accords et autres arrangements constructifs
entre les États et les populations autochtones
n 2001. Conférence mondiale contre le
racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et
l'intolérance qui y est associée : rapport de Durban
n 2001. Déclaration universelle de
l'Unesco sur la diversité culturelle
n 2001. Document de travail final de E.-I. Daes
sur les peuples autochtones et leur relation à la terre
n 2002. Sommet mondial pour le
développement durable : communiqué final de Johannesburg
n 2003. Rapport du groupe de travail d'experts
de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur les
populations / communautés autochtones (publié en 2005)
n 2004. Acte de fondation de la Coordination
autochtone francophone, ONU - New York
n 2004. Rapport final de E.-I. Daes sur la
souveraineté permanente des peuples autochtones sur les ressources
naturelles
n 2004. Rapport du séminaire sur les
traités, accords et autres arrangements constructifs entre les
États et les peuples autochtones, par Wilton Littlechild
n 2004. Document de travail
présenté par M.-A. Martinez sur les peuples autochtones et la
résolution des conflits
n 2005. Banque Mondiale, Politiques
opérationnelles P.O 4.10, concernant les populations autochtones
n 2005. Projet de programme d'action pour la
deuxième Décennie internationale des populations autochtones,
rapport du Secrétaire général des Nations Unies
n 2007. Déclaration des Nations unies
sur les droits des peuples autochtones
4 - Déclaration des Nations Unies sur
les
droits des peuples autochtones
(2007)
Nations Unies A/RES/61/295
06-51208
|
Distr. générale
Assemblée générale 2
octobre 2007
|
Soixante et unième session Point 68 de
l'ordre du jour
Résolution adoptée par l'Assemblée
générale
[sans renvoi à une grande commission (A/61/L.67 et
Add.1)]
61/295. Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones
L'Assemblée générale,
Prenant note de la recommandation faite par le Conseil
des droits de l'homme
dans sa résolution 1/2 du 29 juin 20061, par
laquelle il a adopté le texte de la Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones,
Rappelant sa résolution 61/178 du 20
décembre 2006, par laquelle elle a décidé, d'une part,
d'attendre, pour examiner la Déclaration et prendre une décision
à son sujet, d'avoir eu le temps de tenir des consultations
supplémentaires sur la question, et, de l'autre, de finir de l'examiner
avant la fin de sa soixante et unième session,
Adopte la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones dont le texte figure en annexe à la
présente résolution.
107e séance plénière 13
septembre 2007
Annexe
Déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones
L'Assemblée générale,
Guidée par les buts et principes
énoncés dans la Charte des Nations Unies et
convaincue que les États se conformeront aux obligations
que leur impose la Charte,
Affirmant que les peuples autochtones sont égaux
à tous les autres peuples,
tout en reconnaissant le droit de tous les peuples
d'être différents, de s'estimer différents et d'être
respectés en tant que tels,
1 Voir Documents officiels de l'Assemblée
générale, soixante et unième session, Supplément
no 53 (A/61/53), première partie, chap. II, sect. A.
2
A/RES/61/295
Affirmant également que tous les peuples
contribuent à la diversité et à la
richesse des civilisations et des cultures, qui constituent le
patrimoine commun de l'humanité,
Affirmant en outre que toutes les doctrines,
politiques et pratiques qui invoquent ou prônent la
supériorité de peuples ou d'individus en se fondant sur des
différences d'ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel
sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement
condamnables et socialement injustes,
Réaffirmant que les peuples autochtones, dans
l'exercice de leurs droits, ne doivent faire l'objet d'aucune forme de
discrimination,
Préoccupée par le fait que les peuples
autochtones ont subi des injustices historiques à cause, entre autres,
de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et
ressources, ce qui les a empêchés d'exercer, notamment, leur droit
au développement conformément à leurs propres besoins et
intérêts,
Consciente de la nécessité urgente de
respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples
autochtones, qui découlent de leurs structures politiques,
économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions
spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs
droits à leurs terres, territoires et ressources,
Consciente également de la
nécessité urgente de respecter et de promouvoir les
droits des peuples autochtones affirmés dans les
traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec les
États,
Se félicitant du fait que les peuples autochtones
s'organisent pour améliorer
leur situation sur les plans politique, économique,
social et culturel et mettre fin à toutes les formes de discrimination
et d'oppression partout où elles se produisent,
Convaincue que le contrôle, par les peuples
autochtones, des événements qui les concernent, eux et leurs
terres, territoires et ressources, leur permettra de perpétuer et de
renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir
leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins,
Considérant que le respect des savoirs, des
cultures et des pratiques
traditionnelles autochtones contribue à une mise en
valeur durable et équitable de l'environnement et à sa bonne
gestion,
Soulignant la contribution de la
démilitarisation des terres et territoires des peuples autochtones
à la paix, au progrès économique et social et au
développement, à la compréhension et aux relations
amicales entre les nations et les peuples du monde,
Considérant en particulier le droit des
familles et des communautés autochtones de conserver la
responsabilité partagée de l'éducation, de la formation,
de l'instruction et du bien-être de leurs enfants, conformément
aux droits de l'enfant,
Estimant que les droits affirmés dans les
traités, accords et autres arrangements constructifs entre les
États et les peuples autochtones sont, dans certaines situations, des
sujets de préoccupation, d'intérêt et de
responsabilité à l'échelle internationale et
présentent un caractère international,
Estimant également que les traités,
accords et autres arrangements constructifs,
ainsi que les relations qu'ils représentent, sont la
base d'un partenariat renforcé entre les peuples autochtones et les
États,
3
A/RES/61/295
Constatant que la Charte des Nations Unies, le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels2 et le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques2, ainsi que la Déclaration et le Programme
d'action de Vienne3, affirment l'importance fondamentale du droit de
tous les peuples de disposer d'eux-mêmes, droit en vertu duquel ils
déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur
développement économique, social et culturel,
Consciente qu'aucune disposition de la
présente Déclaration ne pourra être
invoquée pour dénier à un peuple quel
qu'il soit son droit à l'autodétermination, exercé
conformément au droit international,
Convaincue que la reconnaissance des droits des
peuples autochtones dans la présente Déclaration encouragera des
relations harmonieuses et de coopération entre les États et les
peuples autochtones, fondées sur les principes de justice, de
démocratie, de respect des droits de l'homme, de non-discrimination et
de bonne foi,
Encourageant les États à respecter et
à mettre en oeuvre effectivement toutes leurs obligations applicables
aux peuples autochtones en vertu des instruments internationaux, en particulier
ceux relatifs aux droits de l'homme, en consultation et en coopération
avec les peuples concernés,
Soulignant que l'Organisation des Nations Unies a un
rôle important et continu à jouer dans la promotion et la
protection des droits des peuples autochtones,
Convaincue que la présente Déclaration
est une nouvelle étape importante sur la voie de la reconnaissance, de
la promotion et de la protection des droits et libertés des peuples
autochtones et dans le développement des activités pertinentes du
système des Nations Unies dans ce domaine,
Considérant et réaffirmant que les
autochtones sont admis à bénéficier sans aucune
discrimination de tous les droits de l'homme reconnus en droit international,
et que les peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont
indispensables à leur existence, à leur bien-être et
à leur développement intégral en tant que peuples,
Considérant que la situation des peuples
autochtones n'est pas la même selon les régions et les pays, et
qu'il faut tenir compte de l'importance des particularités nationales ou
régionales, ainsi que de la variété des contextes
historiques et culturels,
Proclame solennellement la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, dont le texte figure ci-après, qui
constitue un idéal à atteindre dans un esprit de partenariat et
de respect mutuel :
Article premier
Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif
ou individuel, de jouir pleinement de l'ensemble des droits de l'homme et des
libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la
Déclaration universelle des droits de l'homme4 et le droit
international relatif aux droits de l'homme.
2 Voir résolution 2200 A (XXI), annexe.
3 A/CONF.157/24 (Part I), chap. III.
4 Résolution 217 A (III).
4
A/RES/61/295
Article 2
Les autochtones, peuples et individus, sont libres et
égaux à tous les autres et
ont le droit de ne faire l'objet, dans l'exercice de leurs
droits, d'aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur
leur origine ou leur identité autochtones.
Article 3
Les peuples autochtones ont le droit à
l'autodétermination. En vertu de ce
droit, ils déterminent librement leur statut politique
et assurent librement leur développement économique, social et
culturel.
Article 4
Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit
à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de
s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires
intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer
leurs activités autonomes.
Article 5
Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de
renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques,
sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est
leur choix, de participer pleinement à la vie politique,
économique, sociale et culturelle de l'État.
Article 6
Tout autochtone a droit à une nationalité.
Article 7
1. Les autochtones ont droit à la vie, à
l'intégrité physique et mentale, à la liberté et
à la sécurité de la personne.
2. Les peuples autochtones ont le droit, à titre
collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la
sécurité en tant que peuples distincts et ne font l'objet d'aucun
acte de génocide ou autre acte de violence, y compris le transfert
forcé d'enfants autochtones d'un groupe à un autre.
Article 8
1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne
pas subir d'assimilation forcée ou de destruction de leur culture.
2. Les États mettent en place des mécanismes de
prévention et de réparation efficaces visant :
a) Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les
autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou
de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;
b) Tout acte ayant pour but ou pour effet de les
déposséder de leurs terres, territoires ou ressources ;
c) Toute forme de transfert forcé de population ayant
pour but ou pour effet de violer ou d'éroder l'un quelconque de leurs
droits ;
d) Toute forme d'assimilation ou d'intégration
forcée ;
5
A/RES/61/295
e) Toute forme de propagande dirigée contre eux
dans le but d'encourager la discrimination raciale ou ethnique ou d'y
inciter.
Article 9
Les autochtones, peuples et individus, ont le droit
d'appartenir à une communauté ou à une nation autochtone,
conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la
nation considérée. Aucune discrimination quelle qu'elle soit ne
saurait résulter de l'exercice de ce droit.
Article 10
Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés
de force à leurs terres ou territoires. Aucune réinstallation ne
peut avoir lieu sans le consentement préalable - donné librement
et en connaissance de cause - des peuples autochtones concernés et un
accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est
possible, la faculté de retour.
Article 11
1. Les peuples autochtones ont le droit d'observer et de
revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le
droit de conserver, de protéger et de développer les
manifestations passées, présentes et futures de leur culture,
telles que les sites archéologiques et historiques, l'artisanat, les
dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du
spectacle et la littérature.
2. Les États doivent accorder réparation par le
biais de mécanismes efficaces - qui peuvent comprendre la restitution -
mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce qui concerne
les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont
été pris sans leur consentement préalable, donné
librement et en connaissance de cause, ou en violation de leurs lois,
traditions et coutumes.
Article 12
1. Les peuples autochtones ont le droit de manifester, de
pratiquer, de promouvoir et d'enseigner leurs traditions, coutumes et rites
religieux et spirituels ; le droit d'entretenir et de protéger leurs
sites religieux et culturels et d'y avoir accès en privé ; le
droit d'utiliser leurs objets rituels et d'en disposer ; et le droit au
rapatriement de leurs restes humains.
2. Les États veillent à permettre
l'accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession
et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents
et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones
concernés.
Article 13
1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier,
d'utiliser, de développer et de transmettre aux
générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions
orales, leur philosophie, leur système d'écriture et leur
littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms
pour les communautés, les lieux et les personnes.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour
protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent
comprendre et être compris dans les
6
A/RES/61/295
procédures politiques, juridiques et administratives, en
fournissant, si nécessaire, des services d'interprétation ou
d'autres moyens appropriés.
Article 14
1. Les peuples autochtones ont le droit d'établir et
de contrôler leurs propres systèmes et établissements
scolaires où l'enseignement est dispensé dans leur propre langue,
d'une manière adaptée à leurs méthodes culturelles
d'enseignement et d'apprentissage.
2. Les autochtones, en particulier les enfants, ont le droit
d'accéder à tous les niveaux et à toutes les formes
d'enseignement public, sans discrimination aucune.
3. Les États, en concertation avec les peuples
autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les autochtones, en
particulier les enfants, vivant à l'extérieur de leur
communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à
un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre
langue.
Article 15
1. Les peuples autochtones ont droit à ce que
l'enseignement et les moyens d'information reflètent fidèlement
la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs
traditions, de leur histoire et de leurs aspirations.
2. Les États prennent des mesures efficaces, en
consultation et en coopération avec les peuples autochtones
concernés, pour combattre les préjugés et éliminer
la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la
compréhension et de bonnes relations entre les peuples autochtones et
toutes les autres composantes de la société.
Article 16
1. Les peuples autochtones ont le droit d'établir
leurs propres médias dans leur propre langue et d'accéder
à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination
aucune.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour faire
en sorte que les médias publics reflètent dûment la
diversité culturelle autochtone. Les États, sans préjudice
de l'obligation d'assurer pleinement la liberté d'expression,
encouragent les médias privés à refléter de
manière adéquate la diversité culturelle autochtone.
Article 17
1. Les autochtones, individus et peuples, ont le droit de
jouir pleinement de tous les droits établis par le droit du travail
international et national applicable.
2. Les États doivent, en consultation et en
coopération avec les peuples autochtones, prendre des mesures visant
spécifiquement à protéger les enfants autochtones contre
l'exploitation économique et contre tout travail susceptible
d'être dangereux ou d'entraver leur éducation ou de nuire à
leur santé ou à leur développement physique, mental,
spirituel, moral ou social, en tenant compte de leur
vulnérabilité particulière et de l'importance de
l'éducation pour leur autonomisation.
3. Les autochtones ont le droit de n'être soumis
à aucune condition de travail discriminatoire, notamment en
matière d'emploi ou de rémunération.
7
A/RES/61/295
Article 18
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la
prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits,
par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes
choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que
le droit de conserver et de développer leurs propres institutions
décisionnelles.
Article 19
Les États se concertent et coopèrent de bonne
foi avec les peuples autochtones intéressés - par
l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives -
avant d'adopter et d'appliquer des mesures législatives ou
administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin
d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en
connaissance de cause.
Article 20
1. Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de
développer leurs systèmes ou institutions politiques,
économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de
leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer
librement à toutes leurs activités économiques,
traditionnelles et autres.
2. Les peuples autochtones privés de leurs moyens de
subsistance et de développement ont droit à une indemnisation
juste et équitable.
Article 21
1. Les peuples autochtones ont droit, sans discrimination
d'aucune sorte, à l'amélioration de leur situation
économique et sociale, notamment dans les domaines de
l'éducation, de l'emploi, de la formation et de la reconversion
professionnelles, du logement, de l'assainissement, de la santé et de la
sécurité sociale.
2. Les États prennent des mesures efficaces et, selon
qu'il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une
amélioration continue de la situation économique et sociale des
peuples autochtones. Une attention particulière est accordée aux
droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des
enfants et des personnes handicapées autochtones.
Article 22
1. Une attention particulière est accordée aux
droits et aux besoins spéciaux des anciens, des femmes, des jeunes, des
enfants et des personnes handicapées autochtones dans l'application de
la présente Déclaration.
2. Les États prennent des mesures, en concertation
avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les
enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les
formes de violence et de discrimination et bénéficient des
garanties voulues.
Article 23
Les peuples autochtones ont le droit de définir et
d'élaborer des priorités et des stratégies en vue
d'exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit
d'être activement associés à l'élaboration et
à la définition des programmes de santé, de logement et
d'autres programmes économiques et sociaux les concernant,
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et, autant que possible, de les administrer par
l'intermédiaire de leurs propres institutions.
Article 24
1. Les peuples autochtones ont droit à leur
pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs
pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes
médicinales, animaux et minéraux d'intérêt vital.
Les autochtones ont aussi le droit d'avoir accès, sans aucune
discrimination, à tous les services sociaux et de santé.
2. Les autochtones ont le droit, en toute
égalité, de jouir du meilleur état possible de
santé physique et mentale. Les États prennent les mesures
nécessaires en vue d'assurer progressivement la pleine
réalisation de ce droit.
Article 25
Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de
renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires,
eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu'ils
possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d'assumer
leurs responsabilités en la matière à l'égard des
générations futures.
Article 26
1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres,
territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent
traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis.
2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder,
d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires
et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils
les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont
acquis.
3. Les États accordent reconnaissance et protection
juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance
se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes
fonciers des peuples autochtones concernés.
Article 27
Les États mettront en place et appliqueront, en
concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus
équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant
dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes
fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des
peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources,
y compris ceux qu'ils possèdent, occupent ou utilisent
traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones
auront le droit de participer à ce processus.
Article 28
1. Les peuples autochtones ont droit à
réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela
n'est pas possible, d'une indemnisation juste, correcte et équitable
pour les terres, territoires et ressources qu'ils possédaient
traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été
confisqués, pris, occupés, exploités ou
dégradés sans leur consentement préalable, donné
librement et en connaissance de cause.
2. Sauf si les peuples concernés en décident
librement d'une autre façon, l'indemnisation se fait sous forme de
terres, de territoires et de ressources
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équivalents par leur qualité, leur étendue
et leur régime juridique, ou d'une indemnité pécuniaire ou
de toute autre réparation appropriée.
Article 29
1. Les peuples autochtones ont droit à la
préservation et à la protection de leur environnement et de la
capacité de production de leurs terres ou territoires et ressources.
À ces fins, les États établissent et mettent en oeuvre des
programmes d'assistance à l'intention des peuples autochtones, sans
discrimination d'aucune sorte.
2. Les États prennent des mesures efficaces pour
veiller à ce qu'aucune matière dangereuse ne soit stockée
ou déchargée sur les terres ou territoires des peuples
autochtones sans leur consentement préalable, donné librement et
en connaissance de cause.
3. Les États prennent aussi, selon que de besoin, des
mesures efficaces pour veiller à ce que des programmes de surveillance,
de prévention et de soins de santé destinés aux peuples
autochtones affectés par ces matières, et conçus et
exécutés par eux, soient dûment mis en oeuvre.
Article 30
1. Il ne peut y avoir d'activités militaires sur les
terres ou territoires des peuples autochtones, à moins que ces
activités ne soient justifiées par des raisons
d'intérêt public ou qu'elles n'aient été librement
décidées en accord avec les peuples autochtones concernés,
ou demandées par ces derniers.
2. Les États engagent des consultations effectives
avec les peuples autochtones concernés, par le biais de
procédures appropriées et, en particulier, par
l'intermédiaire de leurs institutions représentatives, avant
d'utiliser leurs terres et territoires pour des activités militaires.
Article 31
1. Les peuples autochtones ont le droit de préserver,
de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine
culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles
traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et
culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs
semences, leur pharmacopée, leur connaissance des
propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales,
leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux
traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également
le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de
développer leur propriété intellectuelle collective de ce
patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions
culturelles traditionnelles.
2. En concertation avec les peuples autochtones, les
États prennent des mesures efficaces pour reconnaître ces droits
et en protéger l'exercice.
Article 32
1. Les peuples autochtones ont le droit de définir et
d'établir des priorités et des stratégies pour la mise en
valeur et l'utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.
2. Les États consultent les peuples autochtones
concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par
l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives,
en
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vue d'obtenir leur consentement, donné librement et en
connaissance de cause, avant l'approbation de tout projet ayant des incidences
sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui
concerne la mise en valeur, l'utilisation ou l'exploitation des ressources
minérales, hydriques ou autres.
3. Les États mettent en place des mécanismes
efficaces visant à assurer une réparation juste et
équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures
adéquates sont prises pour en atténuer les effets néfastes
sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou
spirituel.
Article 33
1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de
leur propre identité ou appartenance conformément à leurs
coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones
d'obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l'État
dans lequel ils vivent.
2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer
les structures de leurs institutions et d'en choisir les membres selon leurs
propres procédures.
Article 34
Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de
développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs
coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques
particulières et, lorsqu'ils existent, leurs systèmes ou coutumes
juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux
droits de l'homme.
Article 35
Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les
responsabilités des individus envers leur communauté.
Article 36
1. Les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de
part et d'autre de frontières internationales, ont le droit d'entretenir
et de développer, à travers ces frontières, des contacts,
des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres
ainsi qu'avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts
spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux.
2. Les États prennent, en consultation et en
coopération avec les peuples autochtones, des mesures efficaces pour
faciliter l'exercice de ce droit et en assurer l'application.
Article 37
1. Les peuples autochtones ont droit à ce que les
traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des
États ou leurs successeurs soient reconnus et effectivement
appliqués, et à ce que les États honorent et respectent
lesdits traités, accords et autres arrangements constructifs.
2. Aucune disposition de la présente
Déclaration ne peut être interprétée de
manière à diminuer ou à nier les droits des peuples
autochtones énoncés dans des traités, accords et autres
arrangements constructifs.
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Article 38
Les États prennent, en consultation et en
coopération avec les peuples
autochtones, les mesures appropriées, y compris
législatives, pour atteindre les buts de la présente
Déclaration.
Article 39
Les peuples autochtones ont le droit d'avoir accès
à une assistance financière
et technique, de la part des États et dans le cadre de
la coopération internationale, pour jouir des droits
énoncés dans la présente Déclaration.
Article 40
Les peuples autochtones ont le droit d'avoir accès
à des procédures justes et équitables pour le
règlement des conflits et des différends avec les États ou
d'autres parties et à une décision rapide en la matière,
ainsi qu'à des voies de recours efficaces pour toute violation de leurs
droits individuels et collectifs. Toute décision en la matière
prendra dûment en considération les coutumes, traditions,
règles et systèmes juridiques des peuples autochtones
concernés et les normes internationales relatives aux droits de
l'homme.
Article 41
Les organes et les institutions spécialisées du
système des Nations Unies et d'autres organisations
intergouvernementales contribuent à la pleine mise en oeuvre des
dispositions de la présente Déclaration par la mobilisation,
notamment, de la coopération financière et de l'assistance
technique. Les moyens d'assurer la participation des peuples autochtones
à l'examen des questions les concernant doivent être mis en
place.
Article 42
L'Organisation des Nations Unies, ses organes, en particulier
l'Instance permanente sur les questions autochtones, les institutions
spécialisées, notamment au niveau des pays, et les États
favorisent le respect et la pleine application des dispositions de la
présente Déclaration et veillent à en assurer
l'efficacité.
Article 43
Les droits reconnus dans la présente Déclaration
constituent les normes
minimales nécessaires à la survie, à la
dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde.
Article 44
Tous les droits et libertés reconnus dans la
présente Déclaration sont garantis de la même façon
à tous les autochtones, hommes et femmes.
Article 45
Aucune disposition de la présente Déclaration ne
peut être interprétée comme
entraînant la diminution ou l'extinction de droits que
les peuples autochtones ont déjà ou sont susceptibles
d'acquérir à l'avenir.
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Article 46
1. Aucune disposition de la présente
Déclaration ne peut être interprétée comme
impliquant pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un
droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un
acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni
considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour
effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou partiellement,
l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'un
État souverain et indépendant.
2. Dans l'exercice des droits énoncés dans la
présente Déclaration, les droits de l'homme et les
libertés fondamentales de tous sont respectés. L'exercice des
droits énoncés dans la présente Déclaration est
soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi et conformes aux
obligations internationales relatives aux droits de l'homme. Toute restriction
de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire
à seule fin d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et
libertés d'autrui et de satisfaire aux justes exigences qui s'imposent
dans une société démocratique.
3. Les dispositions énoncées dans la
présente Déclaration seront interprétées
conformément aux principes de justice, de démocratie, de respect
des droits de l'homme, d'égalité, de non-discrimination, de bonne
gouvernance et de bonne foi.