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Le droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones - à la lumière de l'exemple australien

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par Paguiel KOHLER
Université de La Réunion - Master Relations Internationales, Mention Europe et océan Indien 2013
  

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    Université de la Réunion 15 Avenue René Cassin 97400 Saint-Denis

    Mémoire de Recherche

    Le droit à l'autodétermination pour les peuples

    autochtones

    À la lumière de l'exemple australien

    Paguiel KOHLER

    Master Relations Internationales, Mention Europe et océan Indien

    Sous la direction de :

    Mme Lucie DELABIE

    Professeur des Universités à l'Université de la Réunion

    Mr Jérôme DORVIDAL

    Enseignant-Chercheur à l'Université de La Réunion

    Année universitaire 2012-2013

    3

    Je souhaiterais en premier lieu témoigner ma gratitude à mes directeurs de recherche, Mme Lucie Delabie et Mr Jérôme Dorvidal pour l'aide et le soutien qu'ils m'ont apporté dans la réalisation de ce travail.

    Je souhaite également exprimer mes sincères remerciements à toutes les personnes qui ont contribué directement ou indirectement à l'élaboration de ce mémoire. Je pense notamment aux auteurs des différents travaux qui m'ont permis d'orienter ma réflexion, Mme Marie-Claire Bertin pour son travail sur la situation des peuples autochtones en droit international, et Mme Ludivine Royer ainsi que Mme Isabelle Auguste pour leurs travaux sur la situation des Aborigènes sur le territoire australien.

    4

    Abréviations et Acronymes

    AAL Australian Aborigines' League

    ABS Australian Bureau of Statistics Australian

    ADC Aboriginal Development Commission

    AIATSIS Australian Institute for Aboriginal and Torres Strait Islander Studies

    ALFC Aboriginal Land Fund Commission

    ALP Australian Labor Party

    ALRA Aboriginal Land Rights Act (Loi de 1976 pour le territoire du Nord)

    APG Aboriginal Provisional Government

    ATC Aboriginal Treaty Committee

    ATSIC Aboriginal and Torres Strait Islander Commission

    ATSISJC Aboriginal and Torres Strait Islander Social Justice Commissioner

    CAA Council for Aboriginal Affairs

    CAD Council for Aboriginal Development

    CAR Council for Aboriginal Reconciliation

    DAA Department of Aboriginal Affairs (Ministère des Affaires Aborigènes)

    HREOC Human Rights and Equal Opportunity Commission

    LCP Liberal Country Party

    LNCP Liberal National Country Party

    LNP Liberal National Party

    NAC National Aboriginal Conference

    NACC National Aboriginal Consultative Committee

    NLC Northern Land Council

    5

    NNTT National Native Title Tribunal

    NTA Native Title Act

    NTAA Native Title Amendment Act

    NTC National Tribe Council

    OAA Office of Aboriginal Council

    OIT Organisation Internationale du Travail

    OMS Organisation Mondiale de la Santé

    ONU Organisation des Nations Unies

    PLRA Pitjantjatjara Land Rights Act

    RCIADIC Royal Commission into Aboriginal Deaths in Custody

    RDA Racial Discrimination Act

    TSRA Torres Strait Regional Authority

    6

    Sommaire

    Introduction

    Partie I - L'évolution du droit des peuples autochtones : De l'internalisation à l'internationalisation

    A) L'origine de la notion d'autochtonie

    B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones

    C) Le processus de reconnaissance des aborigènes dans la société australienne : de l'intégration à la réconciliation

    Partie II - L'exercice par les peuples autochtones du droit à

    l'autodétermination

    A) Les contours du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones

    B) La réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations internationales

    C) La politique d'autodétermination des aborigènes australiens Conclusion

    7

    Introduction :

    « Nous les peuples indigènes, exigeons que soient reconnues nos différentes cultures ainsi que notre droit à la libre détermination, dans les mêmes termes que ceux qui sont reconnus à tous les peuples du monde par les traités internationaux des Droits de l'Homme »

    Rigoberta Menchù, prix Nobel de la paix 1

    Le début du siècle a été marqué par la montée en puissance des mouvements indigènes de résistance et d'affirmation identitaire associée à une solidarité internationale résolue à rompre définitivement avec l'héritage colonial. Ainsi s'élèvent les voix de différents peuples sur tous les continents, déterminés à se faire respecter par un monde qui les a longtemps ignorés après les avoir spoliés, stigmatisés et persécutés. Du fait de cette situation de marginalisation, les peuples autochtones ont été privés de la possibilité de décider de leur propre destin, et donc de leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Ce droit est pourtant la condition indispensable à la préservation des communautés autochtones. C'est à cette question du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes que nous allons nous intéresser au cours de ce travail.

    Les peuples autochtones sont disséminés dans l'ensemble du monde de l'Arctique au Pacifique Sud, et représentent plus de 300 millions d'individus. Ils sont ainsi dénommés car ils vivaient sur leurs terres avant que des colons venus d'ailleurs ne s'y installent. Ils sont tous différents les uns des autres, et ont des caractéristiques, une culture, un mode de vie propres à chaque communauté. La plupart des peuples autochtones ont conservé des caractéristiques sociales, culturelles, économiques et politiques qui se distinguent nettement de celles des autres groupes qui composent les populations nationales. Malgré leurs différences, ils possèdent un passé commun de marginalisation, de spoliation et d'exclusion.

    1 Discours prononcé au Sommet mondial du développement durable de Johannesburg en 2002

    8

    Selon une définition fournie par l'Organisation des Nations Unies, ils sont « les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l'époque où des groupes de population de cultures ou d'origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête, l'occupation, la colonisation ou d'autres moyens » 2. D'autres termes ont parfois été utilisés par les États pour les désigner, comme « aborigène », « peuple premier », « peuple racine », « première nation » ou encore « peuple natif », succédant à l'appellation péjorative de « peuple primitif ». Il apparaissait donc nécessaire de trouver une définition commune de la notion de peuple autochtone.

    Avant d'aborder la définition fournie par les Nations Unies des peuples autochtones, une première question va se poser sur la conception classique de la notion de peuple. Si l'on veut construire un nouveau type de régime international du droit des peuples autochtones à l'autodétermination, il faut commencer par définir le concept de « peuples » lui-même. En effet, beaucoup d'interrogations subsistent quant à l'utilisation de ce terme pour qualifier des minorités vivant sur le territoire d'un État. Pour cela il est intéressant de se pencher sur les enseignements du débat opposant plusieurs thèses au cours du XIXe siècle.

    Selon la conception objective de la notion, ce qui constitue un peuple c'est le fait d'avoir en commun certains traits objectifs, tels que la race, la langue ou encore la religion. Vivement contestée, jugée trop restrictive, cette conception ne permettait pas de cerner un peuple, « une nationalité », un concept qui avait émergé lors du printemps des peuples au milieu du XIXe siècle.

    On opposa alors aux critères distinctifs des peuples, longtemps basés sur l'anthropomorphisme, une vision nouvelle, plus subjective, élaborée à partir de la réponse qu'adressa Fustel de Coulanges aux prétentions allemandes sur l'Alsace : « Il se peut que l'Alsace soit allemande par la race et par le langage, mais par la nationalité et par le sentiment de la patrie, elle est française » 3. Cette conception, qui à l'inverse de la première n'est pas basée sur l'ethnologie, est plus émancipatrice : n'importe quel groupe d'individus peut bénéficier du droit de disposer de lui même, le peuple étant ici désigné par la manifestation de sa volonté. Cependant elle fut également critiquée, du fait de son caractère trop excessif.

    La doctrine finit donc par adopter une conception plus nuancée, celle du maître italien Mancini,

    2 ONU, Fiche d'information No.9 (Rev.1) - Les droits des peuples autochtones ; HCDH 1996-2004

    3 Lettre à Mommsen, du 27 octobre 1870, citée par BASDEVANT (S.), Le principe des nationalités dans la doctrine, in La Nationalité, Paris Institut de droit comparé, 1993, pp. 87 et suiv.

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    qui met au premier plan la conscience nationale. Selon celle ci en effet, c'est le sentiment qu'a un groupe de son individualité, de sa spécificité, qui font de lui un peuple. La conscience nationale naît de plusieurs éléments objectifs : la parenté ethnique, la communauté de moeurs, de langue, d'histoire, de religion, de culture, de territoire.

    Ces débats sur la notion de peuple peuvent être mis en rapprochement avec ceux sur la conception de la nation. Deux visions s'opposent :

    Une définition « subjective » du peuple, entité collective constituée en nation et reconnue de la sorte, qui insiste sur le sentiment d'appartenance. Particulièrement présente dans la conception française, cette vision a été formalisée par Ernest Renan, auteur français de la fin du Ixe, dans son discours à la Sorbonne Qu'est-ce qu'une nation ? en 1882 :

    « Une nation est donc une grande solidarité[...]. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune [...] un plébiscite de tous les jours [...]. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir [...]

    L'homme n'est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d'hommes, saine d'esprit et chaude de coeur, crée une conscience morale qui s'appelle une nation » 4

    Cette vision est celle du droit du sol, où une personne devient membre d'une nation au nom du lieu ou elle est née, ou elle vit et dont elle partage le destin.

    Et il existe une définition « objective » de cette entité collective constituée en nation, qui insiste sur une ascendance commune, un territoire commun et une langue commune. Cette vision est particulièrement présente dans la conception Allemande, et a été formalisée par Johann Gottlieb Fichte, dans son Discours à la nation allemande, en 1807-1808. Selon lui, la Nation se détermine par la culture, l'histoire et la langue, donc de façon objective. Elle s'incarne en outre dans l'État,

    4 « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh ! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province : «Tu m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le voeu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir ». RENAN Ernest (1823-1892), Qu'est-ce qu'une nation?, 1882. [EN LIGNE] Version html disponible sur le site de La bibliothèque électronique de Lisieux.

    10

    lequel représente et décide « l'orientation de toutes les forces individuelles vers la finalité de l'espèce ». L'État doit être démocratique, assurant la liberté de chacun, et la possibilité pour chacun d'avoir une vie heureuse et profitable, en assurant une distribution équitable des richesses. Cette vision mène plutôt à une conception de la nationalité basée sur le « droit du sang », où il est difficile pour un allogène de devenir membre du corps national.

    La Nation est donc devenue la source des différents pouvoirs. Elle peut être définie comme le peuple constitué en corps politique, détenteur de la Souveraineté, dont la volonté est mise en oeuvre par des représentants élus, sans qu'aucun corps intermédiaire ne puisse y faire obstacle.

    Pour cette raison l'État et la nation sont très souvent associés. Ainsi, toute nation a le droit de disposer d'un État et tout État doit s'appuyer sur l'existence d'une Nation. L'existence des États-nations apparaît dès lors comme une conséquence logique du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dont le principe s'est imposé au XXe siècle dans la conduite des relations internationales.

    Selon José Echeverria « La nation, comme le peuple, sont des communautés humaines caractérisées par la participation à un même passé et par la volonté de se construire un futur. Dans le cas de la nation, l'accent est mis sur l'origine commune. Dans le cas du peuple, il est mis sur la volonté d'un futur. La légitimation, pour la nation, est rétrospective, pour le peuple, elle est prospective » 5.

    Ainsi, « la nation tend à se reproduire, à répéter dans le présent son passé. En revanche, le peuple tend au changement. Il tend à s'inventer un destin qu'il choisit librement et affirme ensuite dans des décisions. Ainsi, c'est au peuple, non à la nation, que l'on attribue le droit à la libre détermination de lui-même car on suppose que la nation est déjà « déterminée ». Face au droit de souveraineté, dont la nation est titulaire, le peuple revendique le droit à la souveraineté » 6.

    Il apparaît que le terme de peuple est indissociablement lié à une signification politique : un ensemble de personnes reconnu comme un peuple se voit reconnu implicitement comme un groupe ayant des droits politiques spécifiques, voire le droit de former une nation souveraine. Il s'agit dès lors de préciser la notion de peuple « autochtone ».

    Pour interpréter correctement l'expression « peuples autochtones » en droit international, il convient de définir les deux termes, autrement dit il faut déterminer ce qui caractérise les « peuples » et donner un sens juridique au mot « autochtones » (1). Une fois les notions de peuple et

    5 Voir CASSESE A. et JOUVE E. (dir.), Pour un droit des peuples, Paris, Berger-Levrault, 1978. p. 95 et s. ; E.Jouve, Le droit des peuples, Paris, PUF, 1992, 2ème éd.

    6 JOUVE Edmond, « Où en est le droit des peuples à l'aube du IIIème millénaire ? » , ; Actes de la cinquième réunion préparatoire au symposium de Bamako : La culture démocratique (juin 2000)

    11

    d'autochtonie définies, nous nous intéresserons à l'applicabilité du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes aux différentes communautés autochtones. Chaque peuple étant libre de déterminer la forme de son régime politique, nous aborderons donc les fondements du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (2). Enfin, nous traiterons de la mise en pratique à un niveau interne de ces règles internationales. Nous terminerons donc notre propos introductif par un récapitulatif historique de la place des aborigènes dans l'ordre interne australien (3).

    1 - Le statut de « peuple autochtone », notion et contexte en droit International

    Il s'agit ici de traiter de la notion d'autochtonie elle-même, de la définir et d'en analyser les caractéristiques (a), avant d'aborder le contexte historique dans lequel cette notion a pu émerger sur la scène internationale (b).

    a) La notion de peuple autochtone en droit International

    Le terme « autochtone » (du grec autokhthôn, de autos « soi même » et khthôn « terre ») désigne ce qui est issu du sol même où il habite, qui est censé ne pas être venu par l'immigration ou n'être pas que de passage 7. Cette définition renvoie à une relation particulière de l'individu et du groupe à la terre, appréhendée le plus souvent comme « Terre-mère » ; tandis que le terme « indigène » (du latin indi ou endu « à l'intérieur, dans le pays » et de gena « né »), est considéré comme « relatif à la population autochtone d'un pays placé sous un régime colonial ou de protectorat » 8.

    La première institution internationale à s'être intéressé à la notion d'autochtonie a été le Bureau International du Travail. Selon cet organe, les autochtones sont nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir.

    Le critère de l'antériorité de l'occupation d'un territoire implique l'établissement d'un « contact permanent entre deux éléments ethniques différents sur un territoire donné, où l'un est survenu alors que l'autre, qualifié d'aborigène ou d'autochtone, y était déjà installé ». On retrouve ce terme dans la Convention 169 de l'OIT relative aux peuples indigènes et tribaux du 27 juin 1989.

    7 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002

    8 Cf. Dictionnaire de l'Académie francaise, 9e éd., http://academie-francaise.fr/dictionnaire

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    Bien qu'en anglais la formulation soit celle d'indigenous peoples ; elle devient en français: peuples autochtones. En effet, le mot Indigène en français est marqué du sceau du régime de l'indigénat, le cadre légal pratiqué dans les colonies françaises du milieu du XIXe siècle à 1944-1947.

    Le terme « aborigène » (du latin ab- et origines « qui sont nos lointaines origines », désigne un autochtone dont les ancêtres sont considérés comme étant à l'origine du peuplement 9. Il qualifie plus particulièrement « la situation d'un peuple indigène dont les revendications identitaires se basent sur le fait qu'il est en situation de dépendance de type colonial vis à vis d'un État, même si l'annexion ou l'occupation datent de plusieurs siècles et ne prennent pas la forme juridique stricto sensu de la colonisation » 10.

    La notion d'« aborigène » a également un caractère relatif, que fait apparaître dans la définition du B.I.T. la mention de « vagues successives de conquête ». Ils représentent, par rapport aux colonisateurs, une population que sa civilisation inférieure a réduite à un état de subordination. Deux éléments forment donc la définition de l'aborigène : le premier est l'antériorité de l'occupation du territoire; le second est celui de l'infériorité et de la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants.

    « Sont aborigènes les descendants de la population autochtone qui habitait un pays déterminé à l'époque de la colonisation ou de la conquête (ou de plusieurs vagues successives de conquête) réalisée par certains des ancêtres des groupes non autochtones détenant actuellement le pouvoir politique et économique » 11.

    Ce terme est quant à lui plutôt tombé en désuétude, désignant ces populations souvent de façon péjorative. On le retrouve dans la Convention 107 de l'OIT relative aux populations aborigènes et tribales du 26 juin 1957. Ce terme a été peu utilisée en France, puisque les terres occupées lors de la colonisation française étaient très souvent dépeuplées. Actuellement il est utilisé pour désigner spécifiquement les populations autochtones d'Australie.

    La seule définition juridique au plan international reste celle de l'OIT dans sa Convention 169 de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux. Selon celle ci, les peuples indigènes sont des

    « (p)euples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle

    9 Cf. Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, 2002

    10 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 428

    11 B.I.T., 1953, p. 27

    13

    appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles »

    « Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention » 12

    On trouve dans cette définition trois éléments principaux caractérisant les peuples autochtones : le lien historique, la différence culturelle et l'auto-identification. La situation de domination n'est toutefois pas explicitement citée.

    Une autre définition de la notion d'autochtonie a été fournie par J. Martinez Cobo dans son Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones :

    « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques » 13.

    Au niveau individuel, l'autochtone est donc la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification, et qui a donc une conscience de groupe ; et c'est également la personne qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres. On retrouve ici les quatre éléments importants de la définition des peuples autochtones : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification.

    Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la

    12 Convention OIT n°169 Article 1.1.b.

    13 MARTINEZ COBO José, Étude du problème de la discrimination à l'encontre des populations autochtones : E/CN.4/Sub.2/1986/7/Adds.4

    14

    naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ». Certains préfèrent employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones 14.

    Les Nations Unies n'ont toujours pas donné de définition précise de la notion de « peuples autochtones », ceux ci revendiquant le droit de définir eux mêmes le contenu de cette notion. Cette imprécision suscite parfois des tensions aux seins des États abritant des communautés pouvant être considérées comme autochtones. Le problème peut se poser également lors de l'identification de ces peuples en cas de litige avec un État.

    On constate que la définition du peuple est une opération très délicate puisqu'elle consacre le droit à l'Autodétermination et peut ainsi affecter l'unité nationale et l'intégrité territoriale de l'État. Afin de pallier ce manque de définition juridique conventionnelle, l'Assemblée générale de l'ONU doit pouvoir identifier les peuples se revendiquant comme autochtones. Ceux ci s'opposent néanmoins à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement. C'est pour cette raison que la doctrine retient les critères développés par le rapporteur spécial Martinez Cobo, qui permettent une caractérisation large de la notion d'autochtonie, basée en grande partie sur l'auto-identification, et la conscience d'appartenir à un groupe.

    Les peuples autochtones peuvent être définis comme étant les descendants des peuples qui occupaient et contrôlaient souverainement des territoires au moment de la colonisation de celui ci. Nous allons donc nous intéresser au contexte historique qui a permis l'essor de la notion d'autochtonie.

    b) Le contexte historique de l'essor du mouvement autochtone

    À partir du XVIe siècle, lors de l'expansion européenne, c'est le colonialisme moderne qui va être responsable du déplacement forcé de communautés autochtones, allant même jusqu'à des massacres ethniques ou des assimilations forcées au sein de la société colonisatrice. Selon certains auteurs, les autochtones sont nés de cette conquête : « l'afflux de colons, l'exploitation des richesses naturelles,

    14 Il faut en effet distinguer les droits des minorités, qui oscillent entre droits collectifs et droits individuels, ne donnant pas accès au droit à l'autodétermination ; des droits des Peuples autochtones, qui sont des droits collectifs, donnant accès au droit à l'autodétermination. En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes.

    15

    l'asservissement accessoire les ont transformés en cette catégorie résiduelle » 15. Les sociétés autochtones ont souvent des valeurs qui sont très différentes de celle de l'Occident, et le coeur de leur identité reste, dans le monde entier, un sens profond d'appartenance à la « terre-mère ». Pour ces communautés, la terre est un bien collectif, dont l'humanité n'aura jamais que l'usufruit ; ce qui correspond peu à la notion occidentale de la propriété. Les peuples autochtones parlent en effet de droit collectif et inaliénable à la terre. Elle ne représente pas pour eux une marchandise qui peut être achetée ou vendue, mais bien une responsabilité collective de la communauté qui doit la transmettre aux générations futures. La situation des peuples autochtones est le résultat d'un processus historique d'usurpation et d'extinction de leur souveraineté par le colonialisme. Les peuples autochtones ont ainsi été victimes de la colonisation, privés de leur capacité à disposer d'eux-mêmes, de leur qualité de peuple indépendant 16.

    Pour tous ces peuples, un développement viable dans un environnement sain et en paix constitue une priorité. Les peuples autochtones furent en effet décimés par les politiques des États et constituent aujourd'hui un des groupes sociaux les plus défavorisés. Cette pauvreté généralisée trouve ses sources dans l'histoire de la colonisation ainsi que dans la discrimination persistante et systématique et dans la non-reconnaissance des droits individuels et collectifs des peuples autochtones. Ceux-ci ont ainsi été dépossédés des terres de leurs ancêtres, ont perdu leurs connaissances ancestrales et le contrôle de leurs ressources naturelles, et ont été forcés de s'assimiler dans la culture dominante et de s'intégrer dans l'économie de marché. Les membres des peuples autochtones représentent une part disproportionnée des populations les plus pauvres, aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement.

    Mais les peuples autochtones dans l'Histoire ne sont pas que de passives victimes, et ont maintes fois lutté contre le colonialisme par le biais de la négociation, l'opposition politique, ou encore la lutte armée.

    En Australie par exemple, lorsque les envahisseurs se sont emparés des territoires autochtones, démembrant ainsi leurs systèmes juridiques et politiques, ils se sont heurtés à une très vive résistance. Les Aborigènes se sont engagés dans une longue guerre de guérilla, attaquant les routes d'approvisionnement et les propriétés. D'un autre coté, en Amérique du Nord, les nations amérindiennes ont tenu tête au colonialisme pendant plus de trois siècles. L'acte de résistance le

    15 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 348

    16 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008

    16

    plus connu est celui du peuple Sioux, qui en 1876, avait fait subir aux soldats américains l'humiliante défaite de Little Big Horn River. Des actes de résistance ont également eu lieu en Inde, sous l'Empire britannique, qui s'était trouvé confronté à plusieurs rébellions des Santal, des Munda et d'autres peuples tribaux ; ou encore en Amérique latine, où les peuples de langue quecha se sont soulevés contre les colons espagnols en 1770 et en 1780.

    Aujourd'hui, il semble que le colonialisme apparaisse sous un nouveau visage : celui de la mondialisation que les peuples autochtones partout dans le monde doivent affronter. Elle commence par l'intervention des gouvernements qui proclament leur souveraineté sur des ressources auxquelles les peuples autochtones n'ont jamais renoncé, et qu'ils protègent depuis des siècles. Cette mondialisation les a contraint à devenir des acteurs au plan international, et à établir des liens entre eux en vue de former une union symbolique. La mondialisation est en effet le recouvrement progressif du monde par le modèle économique libéral. Considéré comme valeur universelle, le processus démocratique à l'occidentale ne convenait cependant pas à tous les États. Au total, l'emprise des pays riches sur les pays pauvres se révèle bien plus lourde que du temps de la colonisation.

    Face à ce « nouveau visage du colonialisme » 17, les peuples autochtones se sont rassemblés pour dénoncer les politiques des gouvernements aux Nations Unies. Avec l'essor de la mondialisation, c'est toute la diversité culturelle des peuples qui est remise en question. En effet comment préserver l'identité culturelle de chacun au sein d'un État-nation ? D'autant qu'aujourd'hui la demande de reconnaissance de la part de minorités telles que les populations autochtones est grandissante. Les populations autochtones sont en effet souvent sous domination culturelle, économique, sociale, politique d'un ou de plusieurs autres peuples, et ne représentent alors qu'une minorité au sein d'États qui ne les reconnaissent pas en tant que peuples distincts.

    Depuis quelques années, les peuples autochtones se mobilisent pour retrouver une place en droit International. Une grande partie de cette mobilisation s'effectue sur la scène internationale, et particulièrement à l'ONU.

    Les rapports des peuples autochtones avec les organes des Nations Unies sont très particuliers. En effet, au regard du droit International, les peuples autochtones vivent sur le territoire d'États indépendants et souverains, et ne situent donc pas dans une situation coloniale, bien que se revendiquant comme des peuples colonisés, titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Leurs

    17 BURGER Julian « Premières Nations : Un Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands Témoins « Image » Anako Éditions, 2000, p.8

    17

    situations sont en outre très diverses, mais tous militent pour obtenir la reconnaissance de leur identité spécifique en qualité de peuples autochtones pour retrouver une autonomie et le contrôle de leurs territoires. Les peuples autochtones vont donc utiliser la scène onusienne pour dénoncer les effets du colonialisme et réclamer la restitution de ce dont ils ont été privés. Revendiquant un statut de peuple en droit International, ils ne souhaitent cependant pas, en général, se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent, mais veulent jouir d'une réelle autonomie au sein de celui ci. Afin de retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes et de leurs territoires, de jouir de tous leurs droits collectifs, ces peuples demandent à ce que le droit à l'autodétermination leur soit reconnu.

    À l'échelle internationale, le mouvement autochtone est renforcé par la coordination des actions locales. En développant des liens et des programmes communs entre groupes autochtones, la recherche d'un soutien international va s'effectuer au sein de l'Organisation des Nations Unies, qui représente une nouvelle instance internationale permettant le dialogue entre peuples autochtones et gouvernements. Les représentants autochtones disposent en effet d'un temps de parole limité à la Commission des Droits de l'Homme qui se réunit deux fois par an à Genève.

    Des organisations non gouvernementales, comme Amnesty International, ont également participé au débat pour parvenir à l'adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

    Le mouvement actuel fait donc partie de ce processus de lutte pour leur survie en tant que peuples. Aujourd'hui, les peuples autochtones utilisent des techniques politiques modernes pour conjuguer leurs forces et obtenir des soutiens à l'échelle mondiale. Ainsi il existe plusieurs milliers d'organisations autochtones dans le monde, dont la plupart ont été fondées au cours des vingt dernières années. La décolonisation a été le moteur politique de ce mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes, les relations internationales ont été transformées, et les nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et moral.

    Les peuples autochtones sont donc parvenus à quitter la sphère strictement interne dans laquelle ils étaient maintenus depuis bien longtemps, et peuvent désormais dénoncer leur situation de peuples dominés, situation reconnue par la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones adoptée le 13 septembre 2007 par l'Assemblée générale de l'ONU après une vingtaine d'années de préparation.

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    En remplissant les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, les peuples autochtones peuvent être juridiquement qualifiés de peuples au sens international du terme. Puisque chaque peuple est libre de déterminer la forme de son régime politique, il devrait en être de même pour les communautés autochtones qualifiées en tant que peuple. Pourtant, à part quelques exceptions, les peuples autochtones ne peuvent pas exercer le droit à l'Autodétermination tel qu'il a été strictement développé par l'Assemblée générale. En effet, ce droit assimilé à la décolonisation est associé à une issue unique : l'indépendance. La lutte pour l'autodétermination des peuples autochtones s'apparente à une lutte pour la liberté, ceux ci ne demandant rien de plus que le droit de déterminer leur propre développement et leur avenir.

    Analysons donc les fondements de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

    2 - Fondements et exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

    Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est le principe selon lequel « chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique ». Cela suppose que tout peuple lorsqu'il est victime d'un oppresseur à le droit de se défendre. Il est défini dans l'article premier du Pacte sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 :

    « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »

    Initialement appelée droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'autodétermination est le principe issu du droit international selon lequel chaque peuple dispose d'un choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime politique, indépendamment de toute influence étrangère. Le principe établit qu'un peuple doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement, indépendamment de toute influence étrangère. Il semble donc aller à l'encontre du concept d'intégrité territoriale de l'État. Il s'agit d'un droit collectif qui ne peut être mis en oeuvre qu'au niveau d'un peuple

    Mais le conflit tient généralement à la définition du mot peuple, et à la définition des peuples eux-mêmes : si les États défendant l'intégrité de leur territoire considèrent généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique, certaines minorités nationales se considèrent comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l'autodétermination.

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    Du XVIIIe au XIXe siècle, le concept de peuple a beaucoup évolué, finissant par s'imposer sur la scène internationale à la faveur des deux guerres mondiales.

    Le premier instrument international a avoir confié au peuple le rôle d'acteur de sa propre histoire est la Déclaration d'Indépendance des États Unis d'Amérique du 4 juillet 1776. Puis vinrent les différentes Conventions françaises qui ont suivi la Révolution. Il faudra attendre le milieu du XIXe pour voir émerger « le printemps des peuples », avec la Révolution de 1848 qui suscitera une explosion des nationalités en Europe.

    Le concept du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes connut une première formulation politique par le président des États-Unis Woodrow Wilson dans ses quatorze points, à la fin de la Première Guerre mondiale. Plusieurs points de son célèbre discours furent d'ailleurs partiellement utilisés pour la rédaction du traité de Versailles de 1919.

    Avec la Première guerre mondiale, le concept d'autodétermination fut remis à jour, et les premiers à s'en emparer sont les Russes lors de la Révolution de 1917, qui mena à l'adoption d'une Déclaration des peuples de Russie, qui proclame le droit des peuples à disposer librement d'eux mêmes, y compris celui se se séparer et de se constituer en un État indépendant. C'est en vertu de ce principe que bon nombre de pays Européens obtiennent leur indépendance, bien que le droit des peuples à disposer d'eux mêmes ne se trouve pas inscrit dans le Pacte de la SDN.

    Après la Seconde Guerre Mondiale, c'est le phénomène de décolonisation qui va porter ce principe de libre détermination des peuples. L'évolution des idées de liberté et d'égalité dans le cadre interne s'est répercutée sur le plan des relations internationales, passant ainsi à une revendication de l'égalité et la liberté « réelles ». Le principe de libre disposition se devait donc de régir les situations comportant un élément étranger : le colonisateur.

    Dès le 14 août 1941, la Charte de l'Atlantique affirmant le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre » énonçait un Code universel des droits des nations. Ainsi, cette Charte « entreprend de jeter les fondements d'une nouvelle politique internationale » 18.

    En octobre 1944 va se dérouler la Conférence de Dumbarton Oaks à Washington. Cette conférence, à laquelle participent les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Union soviétique et la République de Chine, a jeté les bases de l'Organisation des Nations unies. Il s'agissait de promouvoir les Nations Unies en s'inspirant de la Société des Nations, mais cette fois avec une

    18 La Conquête mondiale des droits de l'homme, Le cherche midi et Unesco, 1998

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    implication particulière des États-Unis. On y retient le principe de certaines institutions : l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Secrétariat et la Cour de justice internationale de La Haye.

    C'est l'ONU, avec la Charte des Nations Unies, qui va recevoir pour mission de « développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux mêmes » (Art.1)

    Le droit à l'autodétermination va donc être valorisé, devenant selon la formule de Philippe Moreau-Defarges le « pivot » des droits collectifs.

    Par la suite, l'ONU va considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction théorique entre « l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug de « l'étranger », et de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif, et à la nature profonde du régime choisi »

    Aujourd'hui encore, le droit International se refuse à reconnaître l'existence d'un droit à l'autodétermination externe en dehors du cadre de la décolonisation et l'avis de la Cour internationale de Justice sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo n'y a rien changé. Rappelant le principe de souveraineté des États et d'intégrité territoriale, la Cour a voulu éviter de répondre à la question de l'élargissement du champ d'application du droit à l'Autodétermination. Certains représentants des peuples autochtones soutiennent alors que les populations autochtones ont été colonisées, ce qui justifierait leur revendication à l'autodétermination externe.

    L'autodétermination externe peut s'exercer dans trois situations : une domination coloniale, un régime de domination ou un apartheid, et une domination étrangère. Son exercice peut par ailleurs se traduire par la création d'un État souverain et indépendant, par une libre association ou une intégration avec un État indépendant, ou par l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par le peuple en question.

    D'un autre coté, l'autodétermination interne concerne la libre détermination, par chaque peuple, de son statut et de son régime politiques. L'autodétermination comporte aussi un certain nombre de droits économiques, des droits en matière culturelle, et enfin des droits sociaux.

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    Le caractère ambigu du principe d'autodétermination découle de la nature de ses bénéficiaires, et du fait qu'il a souvent été associé aux mouvements de libération nationale. Enfin, ce principe a souvent été décrit comme dangereux pour la stabilité internationale, parce qu'il est susceptible de remettre en cause l'ordre existant, mais aussi parce qu'il engendre troubles et incertitudes.

    C'est donc une conception restrictive de l'autodétermination qui l'a progressivement emporté sur la scène internationale, et ce depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela a ainsi contribuer à renforcer les États existants plutôt qu'à permettre une réelle expression du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».

    Confrontées à des politiques gouvernementales néfastes, l'autodétermination prend souvent sa source au niveau local. Les peuples autochtones ont donc ranimé la pratique de leurs langues, offerts aux enfants des conditions d'éducation traditionnelles, transmettant ainsi leur culture aux plus jeunes. Ils ont également mis en avant leur patrimoine culturel très important, comme l'ont fait par exemple les communautés autochtones d'Australie avec le développement de l'art Aborigène.

    En outre, les communications entre les groupes autochtones se sont fortement développées, aidant ainsi à promouvoir le débat sur les questions vitales et la préservation de l'identité culturelle. Cette question pose beaucoup de problèmes au sein d'un État-nation, dont le fondement est la souveraineté. En effet, ces peuples demandent un partage de la souveraineté, impliquant que les notions de citoyenneté et d'identité nationale soient remises en cause.

    C'est cette problématique autochtone au sein du continent Australien que nous allons soulever au cours de notre travail. La question de la définition des peuples autochtones et de la reconnaissance de leur droit l'autodétermination se pose en particulier pour l'Australie, puisque ce pays était à l'origine peuplé par des communautés que l'on peut caractériser comme autochtones.

    3 - L'Australie et ses peuples autochtones

    Les peuples autochtones entretiennent une relation longue et complexe avec le territoire australien. Certaines estimations affirment que cette relation dure depuis au moins 40000 ans. Au moment de la colonisation de l'Australie en 1788, les Aborigènes représentaient un ensemble d'à peu près 1,5 millions d'individus, répartis en plus de cinq cents groupes linguistiques et vivants dans toutes les régions de l'Australie.

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    Le gouvernement australien a par le passé modifié plusieurs fois sa politique à l'égard des peuples autochtones allant de l'extinction à l'assimilation, à la reconnaissance de l'autodétermination, à l'autonomie gouvernementale, à la prise en charge 19. Actuellement la situation des autochtones n'a cependant guère évoluée, et les statistiques démontrent qu'ils sont toujours les victimes d'une certaine marginalisation.

    Au moment de l'arrivée des premiers européens, les aborigènes étaient environ 400 000 sur le continent, se répartissant en plus de 500 tribus ayant chacune sa propre langue et son propre système de parenté 20. Vivant essentiellement de chasse, pêche et cueillette, leur organisation sociale était fondée sur le respect de l'intérêt commun et de la propriété collective. En outre, selon leur conception, c'est l'individu qui appartient à la terre et non l'inverse.

    Les sociétés aborigènes diffèrent beaucoup selon les régions et leur environnement. Mais certains principes leur sont communs, notamment le concept de Dreaming, désignant le Temps du Rêve, conception aborigène de l'ordre physique et spirituel qui régit l'univers et qui unit, de manière dynamique, passé, présent et futur 21.

    Un deuxième groupe d'indigènes, les Insulaires du Détroit de Torres, est proche des peuples aborigènes, tout en possédant sa propre Histoire et sa propre culture. Ce groupe peuplait, à l'origine, des îles du Détroit de Torres, séparant l'extrémité Nord de l'Australie (plus précisément du Queensland) de la côte Sud de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

    Dès le début de la colonisation, un racisme fort s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle à l'expansion britannique, et donc furent violemment chassés de leurs terres. Pourtant, dès 1788, le gouverneur Arthur Phillip avait émis la volonté de protéger ces autochtones contre les violences des colons.

    À la fin du XIXe siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants, limitant de ce fait les possibilités d'éducation et les offres d'emploi. C'est pour remédier à cela que fut créée la Ligue pour

    19 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.) Synthèse, p. 60

    20 Il est probable qu'à l'origine, l'indigène australien était un Caucasien qui aurait immigré d'Europe en Asie lorsque la plaque indo australienne était toujours rattachée à la plaque eurasienne.

    21 Le Dreaming renvoie aux origines mythiques ou des êtres prodigieux façonnèrent la surface du continent australien alors totalement plat. Ces êtres du Rêve - animaux, plantes ou phénomènes naturels - créèrent pour l'éternité parallèle à celle des hommes, et interviennent auprès des vivants dans leurs rêves Le Temps du Rêve relève aussi d'une dynamique spatiale inscrite dans les chemins qui relient les sites sacrés entre eux, héritage des voyages ancestraux, que les hommes continuent à parcourir et dont ils sont les gardiens. Chaque Aborigène est attaché à un ou plusieurs Rêves, liés à un lieu spécifique ou à un itinéraire sur le territoire.

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    la promotion des Aborigènes (Aborigines Advancement League ; AAL). En 1938, à l'occasion du 150e anniversaire de la First Fleet, l'AAL organisa une démonstration appelée « jour du deuil » (Day of Mourning) et lança un appel pour les droits civiques des Aborigènes.

    C'est alors que les législateurs lancèrent le programme d'« assimilation » qui devait achever la destruction des populations indigènes. Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des réserves, et privés de la plupart des droits civiques.

    Dans les années 1940, face aux difficiles conditions de vie dans les réserves, fut créé un système de laissez-passer pour les travailleurs indigènes. En 1949, le droit de vote aux élections fédérales fut accordé aux indigènes qui avaient servi dans les forces armées ou étaient inscrits sur les listes pour voter dans les élections d'état. En 1962, le Premier ministre Robert Menzies octroya aux Aborigènes le droit de s'inscrire et de voter aux élections fédérales, par le Commonwealth Electoral Act.

    C'est en 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, qu'eut lieu un important référendum en vue d'inclure les Aborigènes dans le recensement national. Il obtint l'appui de plus de 90% des électeurs.

    Vint ensuite l'arrivée d'un nouveau gouvernement, avec à sa tête Gough Whitlam. Celui ci va appliquer une nouvelle politique : celle du multiculturalisme, qui sera par la suite consolidée par les différents gouvernements. Cependant, cette politique n'accordera pas une place suffisante aux premiers habitants de l'Australie. Les autorités australiennes décidèrent donc, à partir de 1972, de préconiser une nouvelle approche, promettant à ces populations un degré important d'autonomie. Dès lors, l'autodétermination devenait en effet la politique officielle du Commonwealth d'Australie. Le gouvernement australien proclamait d'ailleurs que « l'autogestion et l'autosuffisance sont les concepts de base de la politique australienne contemporaine concernant sa population autochtone » 22.

    Entre les années 1970 et 1980, les différents gouvernements successifs entreprirent la création d'une floraison d'organisations aborigènes chargées de la mise en place de la politique d'autodétermination. Le rôle des gouvernements consistait surtout à valoriser la différence culturelle et la spécificité historique des autochtones, tout en entérinant le principe d'auto-identification, si fondamental au principe d'autodétermination. La reconnaissance des cultures autochtones fut donc un moteur et un enjeu des droits fonciers, de la création du Secteur autochtone, que nous verrons plus en détail au cours de ce travail, et de la mise en place de programmes ou services spécifiques.

    22 Ibid ; p. 152

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    En 1983, le Parti travailliste s'installa au pouvoir avec comme Premier Ministre Robert Hawke qui restera en fonction jusqu'en 1991. C'est durant cette période qu'émergea l'idée de réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Il s'agissait de réconcilier tout un pays avec son histoire, son pluralisme et ses valeurs. Cette réconciliation pouvait se révéler être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de l'État, ou au contraire un moyen d'intégrer les Aborigènes en favorisant leur assimilation structurelle.

    En 1992, la propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo, et la fiction juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois des Territoires ont dû être révisées en tenant compte de ce nouveau « droit ancestral ».

    Il faudra attendre décembre 1993, pour que le Parlement Fédéral vote le «Native Title Act» (Loi sur les titres Autochtones) afin de définir le principe des droits fonciers des premiers habitants. Cette loi établit que les titres de propriété ou de location rendent caducs les droits aborigènes, limitant ainsi l'application de leurs droits fonciers aux terres dépourvues de propriétaire ou de locataire.

    C'est en février 2008 qu'a eu lieu la reconnaissance symbolique lorsque le nouveau Premier ministre Kevin Rudd s'est excusé devant le Parlement au nom du peuple australien pour les crimes commis par le passé envers les Aborigènes :

    « We apologise for the laws and policies of successive parliaments and governments that have inflicted profound grief, suffering and loss on these our fellow Australians. We apologise especially for the removal of Aboriginal and Torres Strait Islander children from their families, their communities and their country » 23

    Aujourd'hui les Aborigènes sont près de 257 000 individus dont 28 000 insulaires du Détroit de Torres et un tiers de métis ; et représentent 1,5 % de la population totale. Un tiers d'entre eux vivent en zone rurale, et moins d'un quart en zone urbaine. Le reste, soit la majorité, vit dans l'arrière-pays semi-aride de l'Outback, selon leurs coutumes et usages traditionnels.

    En militant et faisant valoir leurs droits, ils tentent de construire au sein du continent australien une nation aborigène qu'ils s'efforcent de faire reconnaître sur le plan international.

    23 Prime Minister Kevin Rudd, MP - Apology to Australia's Indigenous peoples ; Wednesday, February 13, 2008

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    L'objet de ce mémoire va donc être d'analyser la situation juridique des peuples autochtones, ainsi que leur capacité à disposer d'eux mêmes, en se concentrant particulièrement sur l'interaction entre le droit International et le droit interne australien. Il s'agit de se demander comment, et dans quelle mesure les peuples autochtones, et particulièrement les aborigènes australiens, peuvent-ils bénéficier du droit à disposer d'eux-mêmes. L'intérêt de ce travail est donc d'analyser la situation juridique des peuples autochtones qui découle de leur capacité à disposer d'eux mêmes. Il s'agit de s'intéresser à la naissance d'une mobilisation autochtone sur les scènes nationales, puis à l'émergence de ce mouvement à l'échelle internationale ; avant de voir de quelle manière les peuples autochtones exercent ils leur droit à l'autodétermination.

    Ce choix régional s'explique par le fait que les peuples autochtones de ce continent présentent toutes les caractéristiques pour être qualifiés de peuples autochtones : dépouillés de leurs attributs en tant que peuple souverain, dépossédés de leurs territoires, ils ont ensuite été exclus de la société dominante et marginalisés au sein du pays qu'ils occupaient de manière traditionnelle.

    À l'image de la mobilisation autochtone, les revendications des aborigènes Australiens pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination ont émergé depuis les années 1960, allant de la reconnaissance de l'autodétermination à celle d'une autonomie gouvernementale. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la situation des communautés Aborigènes présentes sur le Territoire du Nord, ainsi que dans le Détroit de Torres.

    Au nom de la souveraineté des États, chacun est libre de définir selon sa propre conception la notion de peuples autochtones. Néanmoins, depuis une trentaine d'années, la question autochtone tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but de créer un régime international effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur diversité.

    La première partie de ce travail est donc consacrée à l'analyse de l'évolution du droit des peuples autochtones sur la scène internationale, et à l'émergence d'un droit pour ces peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'agit donc d'analyser le passage d'une conception interne de l'autochtonie à une conception internationale.

    Dans un second temps, nous allons traiter de l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Après avoir vécu durant des années dans une situation coloniale, les peuples autochtones ont demandé réparation de cette situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et

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    internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes.

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    I - Évolution du droit des peuples autochtones : De l'internalisation à l'internationalisation

    Après avoir été « oubliés » par la communauté internationale pendant des années, les peuples autochtones se mobilisent pour obtenir la reconnaissance et le respect de leurs droits collectifs aussi bien sur les plans nationaux que sur le plan international. En effet, au regard du droit international, les peuples autochtones ne bénéficient d'aucun statut collectif, et seuls les individus sont pris en considération, dans le cadre de la protection des Droits de l'Homme.

    Le droit relatif aux peuples autochtones est un droit emprunté au droit général des droits de l'homme d'abord, comme le sont beaucoup de droits individuels et même collectifs. Pour les peuples autochtones, le recours aux Droits de l'Homme est inapproprié car ce ne sont que des normes individuelles de protection qui ne permettent pas de défendre des droits collectifs. Ils ne sont donc pas suffisants pour répondre à toutes leurs revendications en vue de sauvegarder leur identité collective.

    Le statut et les attributs des peuples autochtones ont été continuellement manipulés, instrumentalisés pour servir les intérêts des États colonisateurs. Ainsi, pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe, les peuples autochtones sont sous la souveraineté d'un État et sont absents de la scène internationale. Il y a donc eu pendant cette période une négation systématique et soutenue de la réalité autochtone manifestée par les tentatives d'anéantissement des cultures et institutions. Cette méconnaissance de l'Histoire est responsable des préjugés et des préconstruits entretenus à l'égard des peuples autochtones.

    C'est avec le mouvement de décolonisation que bon nombre d'entre eux vont retrouver leurs territoire, leur indépendance, et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Cependant, certains vivent toujours dans des situations de colonisation sur le territoire d'États indépendants. D'où l'intérêt pour ces communautés de porter leur cause à l'échelle internationale pour faire entendre leur droit à un identité propre impliquant le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels. Dans les années 1960, ces peuples vont réapparaître sur la scène internationale en revendiquant la reconnaissance de leur qualité de peuples, et de leur droit à l'Autodétermination.

    Nous allons donc nous intéresser dans un premier temps à l'origine même de la notion d'autochtonie (A), avant de traiter de l'émergence d'un droit international applicable aux peuples

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    autochtones (B). Nous illustrerons notre propos par un exemple concret en abordant le traitement des autochtones sur le territoire australien (C).

    A) L'origine de la notion d'autochtonie

    Il n'existe aucune définition, en droit international, des peuples autochtones, ce qui peut s'expliquer par l'importance du critère d'auto-identification du caractère autochtone. En outre, ils s'opposent à toute prétention étatique de les définir sans leur consentement ou participation. Pourtant ces peuples ont besoin d'un statut juridique international pour retrouver ce dont ils ont été privés.

    Selon sa conception originelle, la notion de peuple autochtone était assimilée à la notion de peuple colonisé. En effet, les autochtones étaient nommés ainsi parce qu'ils étaient dans le pays avant que celui-ci n'ait été colonisé ou conquis par les ancêtres des groupes détenant actuellement le pouvoir. Cette conception est d'ailleurs celle retenue par les Conventions de l'OIT.

    Il convient donc de traiter des différentes tentatives de définition de la notion de « peuple autochtone », en abordant dans un premier temps les définitions conventionnelles (i.), puis les définitions doctrinales (ii.). Nous terminerons notre réflexion en traitant du statut atypique des peuples autochtones en droit international (iii.).

    i. Les définitions conventionnelles de l'autochtonie

    Une certaine organisation a beaucoup oeuvré pour poser une définition internationale de l'autochtonie : l'Organisation internationale du Travail. Celle-ci, ainsi que le Bureau international du Travail portent depuis longtemps une attention particulière aux peuples autochtones. Son mandat consistant à protéger les droits des individus dans le cadre du travail et à assurer la justice sociale, elle va donc par le biais de Conventions intervenir sur la question de la protection des peuples autochtones, mais en tant qu'individus et non en tant que collectivité.

    Dès 1921, le Bureau international du Travail effectue des études sur les travailleurs autochtones dans les pays indépendants, et en 1926 est créé un Comité d'experts du travail des autochtones qui sera à l'origine de bon nombre de Conventions relatives aux autochtones. Ainsi sera définie dans la

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    Convention 50 sur le recrutement des travailleurs autochtones de 1936, la notion de travailleur indigène : « travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène des territoires dépendants des membres de l'organisation, ainsi que les travailleurs appartenant, ou assimilés, à la population indigène non indépendante des territoires métropolitains des membres de l'organisation ».

    En 1953, le BIT publie une étude sur les conditions de vie des autochtones : Les populations aborigènes . conditions de vie et de travail des populations autochtones des pays indépendants, qui est le premier document de référence sur le plan mondial. Il y complète sa définition, en précisant que les aborigènes « ont tendance à mener une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles antérieures à la colonisation ou à la conquête qu'à la civilisation de la nation à laquelle ils appartiennent » 24. C'est ce qu'il faut entendre par les termes « structures tribales » qui seront utilisés dans des définitions ultérieures.

    Mais c'est par deux textes majeurs que l'OIT va réellement jouer un rôle important pour les peuples autochtones : les Conventions 107 (1.) et 169 (2.), que nous allons aborder séparément. Ces deux Conventions opèrent un passage de l'assimilation au pluralisme 25.

    1) La Convention 107 : l'Assimilation

    En 1957, la Conférence internationale du Travail adopte le texte de la Convention 107 sur la protection et l'intégration des populations indigènes et autres populations tribales et semi-tribales dans les pays indépendants, qui sera ratifiée par 27 pays. Basée sur le préjugé évolutionniste selon lequel les autochtones seraient « en retard » par rapport aux sociétés dominantes, cette Convention est d'inspiration assimilationniste. Elle parle de populations et non de peuples, et ne fait aucune allusion à une éventuelle autonomie. Son objectif est donc de protéger les peuples autochtones afin qu'à terme, ils s'intègrent aux populations dominantes des États.

    L'OIT distingue entre peuples tribaux et peuples autochtones, mais leur assure la même protection, comme elle le précise dans l'article 1er de la Convention 107 :

    « 1. La présente convention s'applique:

    a) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, dont les conditions sociales et économiques correspondent à un stade moins avancé que le stade

    24 BIT, 1953, pp. 27-28

    25 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 406

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    atteint par les autres secteurs de la communauté nationale et qui sont régies totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;

    b) aux membres des populations tribales ou semi-tribales dans les pays indépendants, qui sont considérées comme aborigènes du fait qu'elles descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation et qui, quel que soit leur statut juridique, mènent une vie plus conforme aux institutions sociales, économiques et culturelles de cette époque qu'aux institutions propres à la nation à laquelle elles appartiennent.

    2. Aux fins de la présente convention, le terme semi-tribal comprend les groupes et personnes qui, bien que sur le point de perdre leurs caractéristiques tribales, ne sont pas encore intégrés dans la communauté nationale.

    3. Les populations aborigènes et autres populations tribales ou semi-tribales mentionnées aux paragraphes 1 et 2 du présent article sont désignées, dans les articles qui suivent, par les mots "populations intéressées". »

    La distinction est ici opérée entre populations indigènes qui ont été conquises ou colonisées par une puissance coloniale européenne, et populations tribales qui ne l'ont pas été. Les populations indigènes sont caractérisées par leur antériorité sur le territoire : ce sont des populations tribales qui « descendent des populations qui habitaient le pays (...) à l'époque de la conquête ou de la colonisation ». La qualification de tribal résulte donc de leur évolution jugée « moins avancée ».

    Du fait de son inspiration assimilationniste, cette Convention va être fortement critiquée tant par les peuples autochtones que par d'autres, tels que les anthropologistes ou les scientifiques. Selon eux, le modèle intégrationniste n'empêche pas la dégradation du statut des autochtones et ne correspond plus à leur situation.

    L'OIT va donc convoquer un Comité d'experts chargé de se prononcer sur une éventuelle révision de la Convention. Réuni en 86, le Comité opte pour une révision afin d'adopter des politiques pluralistes. Le processus de révision implique les peuples autochtones au cours de ses différentes phases, mais leur participation reste limitée : ils ne participent pas à la rédaction de la nouvelle Convention.

    31

    2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel

    La Convention 169 concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, adoptée en 1989 et entrée en vigueur en septembre 1991, vient réviser et fermer toute ratification à la Convention 107. Le préambule de ce texte expose l'évolution du paradigme de la question autochtone. Alors que le texte de 1957 reposait sur l'assimilation et préconisait l'intégration et l'égalité de droits pour les citoyen autochtones, celui de 1989 préconise le maintien et le développement des peuples autochtones en tant que collectivités distinctes de l'État sur le territoire duquel ils vivent.

    Basée sur la croyance selon laquelle les peuples indigènes constitueraient des sociétés permanentes, elle se réfère aux « peuples indigènes et tribaux », et s'engage à reconnaître et à respecter leur diversité ethnique et culturelle. Elle va donc poser une nouvelle définition de l'autochtonie.

    La Convention insiste également sur le fait que les autochtones doivent participer aux décisions les concernant élaborées par les États. Constituant une avancée dans la protection de leurs droits, elle contient des normes a minima qui peuvent améliorer le sort des peuples autochtones. Bien qu'elle ne traite pas de leur autodétermination, cette Convention va permettre aux peuples autochtones de devenir de véritables sujets de droit, avec une capacité de production normative importante.

    À l'inverse de la première, la Convention n°169 dissocie peuples autochtones et Peuples tribaux en deux catégories distinctes. Voyons son article 1 :

    « 1. La présente convention s'applique:

    a) aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;

    b) aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu'ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l'époque de la conquête ou de la colonisation ou de l'établissement des frontières actuelles de l'État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d'entre elles.

    2. Le sentiment d'appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère

    32

    fondamental pour déterminer les groupes auxquels s'appliquent les dispositions de la présente convention.

    3. L'emploi du terme peuples dans la présente convention ne peut en aucune manière être interprété comme ayant des implications de quelque nature que ce soit quant aux droits qui peuvent s'attacher à ce terme en vertu du droit international. »

    La Convention abandonne donc le critère du « stade moins avancé », et les peuples tribaux se distinguent désormais par leurs conditions de vie et leurs coutumes et traditions propres. Elle précise en outre, que les peuples autochtones peuvent être les descendants de ceux qui occupaient le territoire à l'époque de « l'établissement des frontières actuelles de l'État ». Cette distinction peuples autochtones et peuples tribaux est le résultat de pressions exercées par certains États nouvellement indépendants (Inde, Indonésie, Pakistan, Bangladesh) qui craignaient pour leur unité nationale. Le caractère de « tribal » vient alors récuser celui d' « indigène » dans la mesure où celui ci pouvait fonder des revendications séparatistes 26.

    Les bénéficiaires des Conventions de l'OIT sont donc entendus dans une large mesure, celle ci ne voulant pas poser une définition juridique stricte qui exclurait un grand nombre de peuples.

    C'est grâce à l'OIT que le mouvement autochtone a pu être porté sur la scène internationale. La mobilisation autochtone a en effet suscité l'intérêt de l'Organisation, et l'attention portée par celle ci a fortifié la volonté des peuples autochtones de poursuivre et d'intensifier leur mouvement revendicatif.

    Mais cette caractérisation de l'autochtonie conditionnée par la nécessité d'avoir subi la colonisation reste trop restrictive. D'autres définitions furent donc proposées pour obtenir une conception plus large de la notion de peuples autochtones.

    ii. L'élaboration d'une définition au sein de l'ONU

    Au sein de l'Organisation des Nations Unies et de l'Organisation internationale du Travail, il est

    26 En pratique la Convention ne fait aucune différence quant à son application et accorde la même protection aux deux catégories. Selon Erica-Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples autochtones, la distinction est inutile : « à l'instar de la Convention 107 de l'OIT, la Convention 169 reconnaît les mêmes droits aux peuples « indigènes » et « tribaux », ce qui rend la distinction entre ces catégories de peuples encore moins utile » (c'est l'auteur qui souligne)

    33

    reconnu que la définition et la protection des droits des peuples autochtones constituent une partie essentielle des droits de l'homme et une préoccupation légitime de la communauté internationale.

    Parmi les définitions les plus utilisées par la doctrine, il convient de citer celle de Julian Burger, qui a été le responsable pendant vingt ans du programme des peuples autochtones et minorités au Haut-Commissariat des droits de l'homme des Nations Unies :

    « Un peuple autochtone peut réunir toutes les caractéristiques suivantes, ou seulement certaines d'entre elles. Les peuples autochtones sont .
    ·

    1/ les descendants des premiers habitants d'un territoire acquis par la conquête ,
    ·

    2/ des peuples nomades et semi-nomades, tels que des agriculteurs itinérants, des pasteurs, chasseurs et collecteurs qui pratiquent une agriculture à forte intensité de travail produisant peu de surplus et requérant peu de ressources énergétiques ,
    ·

    3/ ils n'ont pas d'institutions politiques centralisées, ont une forme communautaire d'organisation et prennent les décisions sur une base consensuelle ,
    ·

    4/ ils ont tous les caractères d'une minorité nationale .
    · ils partagent les mêmes langue, religion, culture et autres traits caractéristiques ainsi qu'un lien à un territoire spécifique, mais sont intériorisés par une culture et une société dominantes ,
    ·

    5/ ils ont une vision globale du monde différente, consistant dans une attitude non matérialiste et protectrice vis à vis de la terre et des ressources matérielles, et veulent continuer à se développer suivant des processus différents de ceux proposés par les sociétés dominantes ,
    ·

    6/ ils sont formés par des individus qui se considèrent subjectivement comme autochtones, et sont acceptés comme tels par le groupe » 27.

    L'auteur précise que la totalité des traits énumérés n'est pas requise pour caractériser l'autochtonie. Il convient donc de s'intéresser à l'évolution de la notion de peuples autochtones au sein de la doctrine internationale en traitant d'abord du rapport présenté par le rapporteur spécial José R. Martinez Cobo (1.), et ensuite des deux critères les plus importants dégagés dans ce rapport : l'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition en tant qu'autochtone (2.).

    1) L'étude du rapporteur spécial José R. Martinez Cobo :

    Dans les années 1960, les Nations Unies sont essentiellement concernées par la discrimination

    27 BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous Peoples, Londres, Zed Books, 1987, p. 9

    34

    raciale, et vont d'ailleurs adopter la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965. On peut considérer que la généralité de ces instruments atténue la spécificité de leurs besoins et porte atteinte à la justification de leur protection 28.

    Il faudra attendre 1971 pour que le Conseil économique et social donne mandat à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme, pour réaliser une « étude sur la discrimination à l'encontre des peuples autochtones ».

    Cette mission sera confiée à José R. Martinez Cobo qui sera chargé d'examiner tous les aspects de la condition des peuples autochtones. Martinez Cobo va donc recueillir des données auprès des États, des peuples autochtones eux mêmes, des organisations autochtones, d'ONG ainsi que d'experts. Les différentes conférences internationales sont également très utiles pour enrichir le rapport.

    Le rapporteur spécial va donc étudier une gamme de problèmes touchant les droits de l'homme, notamment une définition des peuples autochtones, le rôle des organisations intergouvernementales et non gouvernementales, l'élimination de la discrimination, ou encore les problèmes fondamentaux touchant les droits de l'homme. Martinez Cobo finira par rendre un rapport en cinq volumes, dans lequel il dresse un tableau précis de la situation des peuples autochtones 29.

    Cette étude va en outre poser une définition des peuples autochtones. Le rapport contient plusieurs parties : une première partie descriptive qui dresse un état des lieux de la situation des peuples autochtones, puis une partie doctrinale dans laquelle est abordée la problématique des droits des autochtones, et enfin une dernière partie qui énumère un certain nombre de recommandations en vue d'améliorer leur situation.

    Dans le premier rapport de Martinez Cobo, celui ci associe l'autochtone à la colonisation, de la même manière que l'Assemblée générale de l'ONU ou que l'OIT, mais ajoute cependant qu'il peut exister des groupes autochtones qui sont seulement isolés ou marginalisés et qui se distinguent de la société dominante nationale. Le rapporteur spécial va en outre ajouter au critère de la colonisation, celui de l'invasion, et tente ainsi de cerner toutes les situations de domination dans lesquelles des peuples ont été dépossédés de leurs territoires. Il tente par cela de sortir du clivage produit par la conception onusienne de la colonisation.

    Dans son rapport final, rédigé en 1986, il va donc proposer une définition globale qui n'opère plus

    28 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62

    29 Il va en outre émettre bon nombre de recommandations : la proclamation par l'ONU d'une décennie internationale pour les peuples autochtones, la révision de la Convention 107, ou encore la nécessité d'élaborer une « déclaration des droits et libertés des peuples autochtones ».

    35

    de distinction entre peuples autochtones et tribaux :

    « Par communautés, populations et nations autochtones, il faut entendre celles qui, liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l'invasion et avec les sociétés pré-coloniales qui se sont développées sur leurs territoires, s'estiment distinctes des autres segments de la société qui dominent à présent sur leurs territoires ou parties de ces territoires. Elles constituent maintenant des segments non dominants de la société et elles sont déterminées à préserver, développer et transmettre aux futures générations leurs territoires ancestraux et leur identité ethnique, qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuples, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques. f...]

    Du point de vue de l'individu, l'autochtone est la personne qui appartient à une population autochtone par auto-identification (conscience de groupe) et qui est reconnue et acceptée par cette population en tant que l'un de ses membres (acceptation par le groupe) » 30.

    Cette définition plus élargie ne fait pourtant pas l'unanimité. En effet, certains, tels que les États asiatiques et africains, estiment qu'il n'y pas de « peuples » autochtones sur leurs territoires, mais qu'ils sont eux même autochtones puisqu'ils étaient là avant la présence d'une quelconque puissance colonisatrice.

    On a donc ici quatre points intéressants : la différence culturelle, la situation de domination, la continuité historique et l'auto-identification. Ce dernier critère, bien que très subjectif, est essentiel puisqu'un peuple autochtone est seul habilité à déterminer qui sont ses membres. On peut douter de sa pertinence qui ne peut être soutenue du point de vue juridique. Les deux premiers critères quant à eux pourraient tout aussi bien être attribués aux minorités ou à tout groupe susceptible d'être discriminé.

    Intéressons nous donc à ces deux principaux critères posés par cette définition, l'antériorité de l'occupation territoriale et l'auto-identification en tant qu'autochtone.

    2) L'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition :

    Les peuples autochtones se définissent par rapport aux territoires dont ils ont été dépossédés et sur

    30 E/CN.4/ sub 2/1986/87 §379-381

    36

    lequel ils vivent dans un État de subordination. Cette antériorité sur un territoire est le fondement de leur revendication à exercer le droit à disposer d'eux-mêmes. Aujourd'hui, bon nombre de peuples autochtones revendiquent le droit de vivre sur leurs territoires, dont ils ont toujours été les « vrais maîtres », selon leurs propres systèmes et institutions.

    Ce critère permet d'identifier les descendants actuels de peuples dont le territoire a été envahi par d'autres peuples venus d'autres régions du monde et qui les ont dominés.

    Martinez Cobo préfère lui parler de « continuité historique » entre le peuple qui se revendique être autochtone, et celui qui occupait le territoire au moment de sa spoliation. La continuité historique se manifeste par l'occupation de terres ancestrales ou d'au moins une partie de ces terres, ou encore par l'ascendance commune avec les premiers occupants de ces terres. Il énumère d'ailleurs plusieurs critères tels que le maintien de la culture ou la pratique de la même langue, qui permettent d'établir cette continuité historique par d'autres manières qu'une occupation physique.

    L'appréciation de l'antériorité territoriale est cependant assez délicate, et la question se pose de savoir comment le lien territorial doit il être maintenu. Il s'agit également de déterminer quels sont les droits qui peuvent être reconnus à un peuple au titre de cette occupation antérieure.

    La séparation physique avec le territoire ne fait pas obstacle à la qualification de peuple autochtone, mais si la population dominante est installée sur le territoire en question, le peuple spolié ne pourra qu'obtenir une compensation financière.

    L'antériorité territoriale est un élément inhérent à la notion de peuples autochtones. Ce critère montre que ces peuples ont perdu, à un certain moment, leur capacité à disposer de leurs territoires, et vivent depuis dans un état de subordination et de marginalisation. Mais on retrouve également d'autres critères au sein des différentes définitions des peuples autochtones, comme le maintien d'une culture distincte, l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières distinctes, la langue autochtone ou encore la situation de vulnérabilité.

    Pour prétendre obtenir la qualification de peuple, les peuples autochtones doivent donc démontrer qu'ils sont géographiquement séparés d'un État ethniquement différent, qui les domine, et qu'ils sont majoritaires sur le territoire sur lequel ils vivent. Bien qu'ils puissent parfois être majoritaires sur une zone territoriale déterminée, en général leurs territoires traditionnels, dans la plupart des situations, les peuples autochtones sont minoritaires au sein de l'ensemble de la population de l'État. En outre ils vivent souvent à l'intérieur des frontières nationales de l'État, portant ainsi atteinte au

    37

    critère très important de la séparation géographique du peuple colonisé avec l'État métropolitain.

    Ainsi pour remplir les conditions posées par l'Assemblée générale des Nations Unies, « un peuple autochtone doit être ethniquement et culturellement différent de la population de l'État auquel il est soumis et doit vivre sur un territoire séparé de cet État, à l'exclusion de tout autre groupe ou du moins sur lequel il est nettement majoritaire » 31.

    Selon cette conception restrictive, ne sont concernés que les peuples autochtones vivant sur les territoires outre-mer d'un État. Les insulaires du Détroit de Torres (Nord de l'Australie) peuvent entrer dans cette catégorie, mais le droit international exige qu'ils constituent pour cela la majorité de la population du territoire.

    Sont également concernés les peuples résidant, à l'exclusion de tout autre groupe, sur un territoire bien déterminé, dans la situation particulière d'une violation grave et continue des Droits de l'Homme.

    Bien que la plupart des instances internationales aient posé plusieurs critères d'identification, parmi lesquels la continuité historique avec les sociétés pré-coloniales et/ou les sociétés ayant précédé les colonies de peuplement, l'antériorité de l'occupation d'un territoire par une population par rapport à l'arrivée d'une autre population ou encore l'infériorité et la subordination à l'égard des descendants des nouveaux arrivants colonisateurs ou conquérants ; les Nations Unies préfèrent soumettre la reconnaissance de ces peuples à un critère d'auto-identification.

    Un autre critère important est l'auto-identification en tant qu'autochtone. Pour un individu, l'appartenance à un groupe autochtone est revendiquée à la fois par l'individu et le groupe auquel il appartient.

    Il s'agit du sentiment, de la conscience d'être autochtone. En raison de ce caractère très subjectif, il ne s'agit pas à proprement parler d'un critère d'identification. Ce principe peut avoir deux significations : on peut soit entendre par là les définitions que se donnent eux-mêmes les peuples autochtones au sein de leurs associations ; soit que le critère subjectif doit être déterminant dans la définition d'un autochtone. Dans de nombreux États, l'autochtone est défini soit de manière unilatérale par l'État, soit en consultation avec les peuples autochtones présents sur le territoire.

    Les peuples autochtones actuels attachent beaucoup d'importance au principe d'auto-

    31 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 338

    38

    identification. En effet, ils ne veulent pas que les États qui les dominent se réservent le pouvoir de déterminer s'ils sont autochtones ou non, comme c'est le cas dans plusieurs pays comme le Canada où l'Indian Act (1876) définit qui est indien et quelles sont les terres qui sont réservées aux Indiens.

    Le principe d'autodéfinition est donc un aspect fondamental du droit à l'autodétermination. Il permet aux autochtones de devenir des sujets de droit en s'identifiant eux-mêmes, et leur confère implicitement la possibilité de réinterpréter leurs propres traditions 32. Ce principe est donc particulièrement important, dans la mesure où il sauvegarde les droits des individus : chacun a le droit d'appartenir ou non à la communauté de son choix. Mais l'auto-identification ne doit pas être seulement un exercice individuel. Elle est en effet essentielle pour protéger les collectivités elles-mêmes, puisque les autochtones veulent participer aux débats internationaux collectivement en qualité de peuples.

    Certes, ce critère d'auto-identification doit être encadré pour empêcher que n'importe quel groupe ne se prétende autochtone par pur intérêt stratégique. Il faut donc que cette conscience d'être autochtone soit étayée par des critères objectifs. En effet, il y a toujours un risque que des groupes se prétendent autochtones pour réclamer l'exercice du droit à l'autodétermination sans présenter aucun des critères pour constituer un peuple autochtone.

    Ces consécrations du principe d'autodéfinition sont particulièrement importantes, puisque cette capacité permet aux autochtones de se distinguer des groupes auxquels ils furent longtemps assimilés : les minorités ethniques. Analysons donc le statut particulier accordé aux peuples autochtones.

    iii. Le statut atypique des peuples autochtones en droit international

    Le statut des peuples autochtones en droit international a longtemps été l'objet d'un débat entre les représentants autochtones et les États. Pendant longtemps les États ont préféré employer l'expression de « minorités ethniques » ce qui ne convient pas aux peuples autochtones. Il faut en effet distinguer le droit des minorités du droit des peuples autochtones.

    Nous nous intéresserons donc aux différentes raisons de distinguer ces deux catégories juridiques (1.), avant de traiter de la qualification sui generis de peuples autochtones (2.).

    32 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 434

    39

    1) La distinction peuples autochtones/Minorités ethniques

    En droit international, une minorité est un groupement de personnes liées entre elles par des affinités religieuses, linguistiques, ethniques, politiques, englobées dans une population plus importante d'un État, de langue, d'ethnie, de religion, de politique différentes.

    Le droit des minorités a pris naissance dans l'histoire européenne, des guerres de religion aux modifications de frontières survenues après les deux conflits mondiaux 33. La situation des peuples autochtones ne présente pas cette même spécificité, car leurs origines historiques et ethniques, mais également leurs traits culturels les distinguent plus profondément des sociétés dominantes.

    La volonté des autochtones de se distinguer des minorités possède de solides arguments historiques et correspond à une stratégie politique bien réfléchie. Cette volonté s'est d'ailleurs progressivement traduite dans le droit. En effet, de nombreux textes et institutions concernant les peuples autochtones de façon spécifique se sont multipliés, accompagnant la mobilisation autochtone.

    Les autochtones n'ont pas voulu qu'une définition apparaisse dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ils craignaient en effet que cette définition ne recouvre pas toutes les diversités socio-politiques de leurs peuples et qu'elle soit interprétée, à leur insu, par les États dont ils dépendent.

    Des leaders des associations autochtones représentées dans le Groupe de travail de l'ONU se sont plaints de ce que leurs « gouvernements utilisaient l'absence de définition des peuples autochtones en droit international comme un prétexte pour les qualifier de "minorités nationales " et leur refuser le statut politique et les droits des peuples autochtones » 34.

    La plupart des États préfèrent qualifier les communautés autochtones de minorités, ce qui ne leur confère aucun statut international. Mais tous les peuples constitués ou se reconnaissant dans le cadre politique des minorités ne sont pas considérés comme « autochtones » au sens onusien de la définition. Ainsi le nombre d'États favorables à l'emploi du terme « peuple » s'est accru, bien qu'aucun consensus n'ait pu être adopté à ce sujet. Cette qualification permet aux peuples

    33 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, 581p.

    34 E/CN. 4/Sub.2/1994/30, p. 17, §57

    40

    autochtones d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État, pour leurs affaires « intérieures et locales ». Cet exercice est donc circonscrit à une application interne.

    Les autochtones récusent en tout cas la qualification de « minorités ethniques » et même parfois celle de « populations », à laquelle les États cherchent à substituer la notion de « peuple ». Cette notion, beaucoup plus vague, présente pour eux l'avantage de pouvoir englober des groupes autochtones aussi bien que non autochtones. Cependant, on peut voir avec l'exemple canadien où en 1982 ont été constitutionnalisés les droits des Indiens, Inuit et Métis, en terme de « peuples » ; que cette qualification ne conduit pas fatalement à l'affrontement ethnique et à la sécession 35.

    Globalement, tout le droit international des minorités est applicable aux peuples autochtones s'ils souhaitent s'en prévaloir, de même que le droit international des Droits de l'Homme. Ainsi un autochtone pourra-t-il invoquer une Convention à laquelle le pays sur le territoire duquel il se trouve a adhéré, mais cela à titre individuel, et non pas à titre de sanction de droits reconnus à une collectivité autochtone. Le danger est que les États européens ont, pour la plupart, un mode de formation historique qui a mis fin à l'existence collective des entités territoriales et humaines à partir desquelles ils se sont constitués. Les autochtones ont donc tout intérêt à se voir reconnaître des droits spécifiques. Ils sont en effet mieux placés que les minorités pour revendiquer des droits collectifs et la qualité de peuples, afin de pouvoir invoquer le droit à l'autodétermination.

    Si les peuples autochtones se distinguent des minorités par un lien privilégié au territoire et à l'histoire, ils revendiquent tout comme elles la reconnaissance de leur identité. Le succès de ces revendications est conditionné par le choix de la tactique adoptée pour faire valoir leurs droits. Ainsi il arrive parfois que les minorités ne reculent pas devant l'emploi de la force et même du terrorisme, ce qui reste un cas exceptionnel chez les autochtones.

    On a parfois du mal à relever la spécificité des droits invoqués par les peuples autochtones par rapport aux droits des minorités. En effet, les problématiques semblent être les mêmes et les obstacles à une plus grande précision et efficacité de ces droits sont semblables. Certains auteurs rétorquent toutefois que « le fondement des droits revendiqués par ces deux catégories de peuple est différent, le caractère minoritaire pour les uns et antérieur pour les autres, justifiant ainsi la spécificité de la protection accordée aux peuples autochtones. Cependant, l'antériorité des peuples

    35 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques, Droit des minorités et des peuples autochtones , PUF, 1996, p. 436

    41

    autochtones n'est sans doute pas un critère suffisant pour justifier un droit plus attentatoire à la souveraineté de l'État » 36.

    Le droit des peuples autochtones ne serait donc pas spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des États.

    La qualification de peuples autochtones est une qualification sui generis, avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale. Le statut des peuples autochtones en droit international est donc un statut atypique.

    2) Une qualification de peuples sui generis

    La définition des peuples autochtones est à triple effet : elle porte sur la notion de « peuples », sur celle «d'autochtonie » et sur le caractère pluraliste de l'entité ainsi forgée. Les spécificités dont se réclament les peuples autochtones sont très nombreuses, mais peuvent être englobées dans le concept de « droit à la différence ». D'autre part, on observe que de façon constante les autochtones relient leur identité à leurs droits territoriaux.

    Le rapport au territoire est fondamental dans l'identification d'un peuple, mais il n'est ni exclusif ni suffisant. D'autres critères sont importants, comme les constructions identitaires, la reconnaissance de systèmes culturels distincts des systèmes majoritaires, ainsi que la disposition de structures légales et d'institutions sociales propres.

    Bien qu'elle s'impose progressivement en droit international, la qualification de peuples autochtones n'est dotée que d'une portée relative. Dans l'ensemble, les États sont hostiles à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du terme. En effet en cette qualité les peuples autochtones deviendraient titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes.

    Pendant longtemps les États ont utilisé des expressions telles que « natif (Native) » qui vise la naissance d'un individu ou son origine, « premières nations », « peuples premiers », ou encore « populations indigènes ».

    36 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » , Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 62

    42

    Le concept de « population », terme accepté et utilisé par les États et n'ayant pas de portée en droit international, se différencie du terme « peuple » qui lui a une valeur symbolique forte et une portée politique. La catégorie « peuple autochtone » n'est retenue que dans un seul instrument international de type contraignant, à savoir la Convention 169 de l'OIT 37.

    Les États demeurent le cadre constitutionnel, politique et juridique légitimant les organisations autochtones, en fonction de catégories politiques reconnues dans le pays. Ils conservent une puissance décisionnelle tant pour la signature d'accords internationaux que pour la mise en oeuvre des recommandations des agences onusiennes ou européennes. Ce sont les interlocuteurs des peuples autochtones à l'ONU.

    Les États, ainsi que les agences onusiennes, retiennent le terme « population » qui autorise le comptage des individus.

    En Anglais, le terme people employé pour désigner l'ensemble des groupes autochtones, correspond au mot français population conçu comme l'addition d'individus. Employé au pluriel, ce terme peoples trouve d'avantage son équivalent dans la notion de peuple. Va donc naître un débat su le choix du terme à employer pour caractériser les autochtones.

    Le Groupe de travail à l'ONU s'intitule « Working Group on Indigenous Populations », bien que ses rapports visent depuis 1988 les pratiques discriminatoires à l'encontre des « indigenous peoples ». L'ONU a également intitulé la décennie 1995-2005 comme celle des Indigenous People. Le problème rebondit à Vienne en 1993 lors de la Conférence mondiale de l'ONU sur les Droits de l'Homme. L'adoption d'une Déclaration des Droits des Peuples Autochtones est censée avoir réglé la question du S, dans « peoples » pour distinguer ce concept de peuple. En effet, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007, utilise le terme de « peuple autochtone ». Toutefois, les États n'entendent pas lui donner une portée juridique internationale, il faut donc plutôt l'entendre comme ayant une signification sui generis avec une portée juridique interne permettant aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent, sans menacer son intégrité territoriale.

    Rappelons que bien que les instruments internationaux citent souvent le droit des peuples, il n'existe pas à l'heure actuelle en droit international de définition du mot « peuple ». Toutefois l'expression « populations autochtones » reste très couramment utilisée dans les documents onusiens et surtout dans les déclarations étatiques. L'utilisation de l'expression « peuples

    37 Selon que les représentants autochtones sont associés ou non aux travaux des agences de l'ONU (PNUD, Banque Mondiale, UNESCO, etc.), on observe sur la scène internationale une oscillation dans l'usage des termes « population » ou « peuple ».

    43

    autochtones » dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue donc une avancée et une victoire pour les peuples autochtones, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que la qualification de peuples soit dotée de toute sa portée juridique en droit international et qu'elle soit pleinement acceptée.

    Depuis une trentaine d'années, un droit spécifique des autochtones émanant de l'activité normative d'institutions pour la plupart reliées à l'ONU est en cours d'élaboration. Les réflexions doctrinales sur ce domaine sont également très nombreuses.

    Intéressons nous donc à l'apparition et l'évolution de ce droit international des peuples autochtones.

    B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones

    Si plus de 60 % des peuples autochtones se situent dans la zone Asie-Pacifique, ce sont les Amérindiens du Nord, du Centre et du Sud des Amériques qui se sont le plus tôt mobilisés dans la défense de l'identité « autochtone », parvenant à ouvrir les cadres constitutionnels de la reconnaissance comme peuples spécifiques.

    La mobilisation autochtone, rendue possible par la saisine de l'ONU dans les années 1970, se fait par étapes, à mesure que se démocratisent les États. L'ONU constitue donc une sorte d'ossature d'un mouvement international dont les développements se réalisent au gré de réunions continentales, régionales ou transcontinentales.

    Les Nations unies représentent à la fois le principal lieu de rassemblement des autochtones et d'identification des perspectives communes et le lieu de production mondialisée d'une réflexion sur des normes internationales adaptées à l'insertion des populations vulnérables.

    L'émergence d'un droit spécifique autochtone ne signifie pas qu'ils se trouvaient dans un vide juridique, puisqu'ils pouvaient se prévaloir de toutes les dispositions contenues dans les instruments internationaux des Droits de l'Homme. Néanmoins, l'activité normative des institutions internationales va faire émerger un corpus juridique spécialisé pour les peuples autochtones, et ce depuis le début du XXe siècle.

    Nous allons donc nous intéresser à l'émergence de ce mouvement autochtone au sein de l'ONU (i.), avant de traiter de la reconnaissance de droits collectifs qu'implique la notion de « peuple autochtone » (ii.), et de l'apparition d'une identité transnationale autochtone (iii.).

    i. La mobilisation autochtone dans le contexte onusien

    Les peuples autochtones vont profiter du cadre fourni par la décolonisation, et donc du processus « d'internationalisation » des minorités, pour faire entendre leur voix sur la scène internationale. La reconnaissance de la qualité de « peuples autochtones » constitue en effet une condition essentielle au respect de leur identité collective en droit international. L'objectif du mouvement autochtone est donc la création d'une catégorie juridique spécifique aux peuples autochtones. Bien qu'il y ait une grande disparité parmi les différents peuples, la notion d'autodétermination reste au coeur de leur discours car elle constitue la réparation de leur situation coloniale.

    Le mouvement autochtone s'est construit en réaction au colonialisme, qui a nié l'identité collective de ces peuples. Il convient de rappeler que la motivation officielle de la colonisation était l'apport de la civilisation européenne, considérée comme une « mission sacrée ». Il s'agissait donc pour les États d'éduquer les peuples autochtones dont l'état de développement semblait arriéré. C'est cette conception qui a donné naissance aux politiques assimilationnistes qui ont eu des conséquences dramatiques sur les peuples autochtones, les privant de leur identité collective. Ces conceptions assimilationnistes ont pourtant guidé les politiques des États vis à vis des peuples autochtones vivant sur leur territoire jusqu'au milieu des années 1970, et ont donc influencé la position du droit international vis à vis de ces peuples.

    Les problèmes vécus par les peuples autochtones vont finir par toucher la société internationale. Les préoccupations furent au début simplement humanitaires, et il fallu attendre la mobilisation des nations autochtones pour que puisse émerger la question d'un statut collectif pour ces peuples. L'internationalisation est en effet indispensable à la cause des peuples autochtones, et peut se réaliser de plusieurs manières. Les peuples autochtones peuvent porter directement leurs revendications devant les instances internationales, ou bien se former en Organisations Non Gouvernementales pour porter plus efficacement ces revendications.

    44

    Nous allons donc traiter de l'émergence de ce mouvement autochtone sur la scène internationale

    45

    (1.), avant d'aborder la multitude d'organes créés au sein de l'ONU pour défendre la cause autochtone (2.).

    1) Début d'une mobilisation autochtone devant les Instances

    internationales

    Dans les années 1920, la Société des Nations apparaît pour les peuples autochtones comme une tribune internationale susceptible de les écouter. C'est la raison pour laquelle la Confédération iroquoise menée par son chef Deskaheh va, en 1923, entreprendre des démarches auprès d'elle pour le règlement d'un litige qui l'oppose au Canada. Était en cause un projet du développement du gouvernement canadien qui affectait les terres de la réserve de la Confédération. Après s'être adressé sans succès aux autorités britanniques, puisque le Canada était à l'époque un dominion de la Grande Bretagne, le chef indien avait réussi à obtenir le soutien du ministre néerlandais des Affaires étrangères qui accepta de soutenir sa demande à la SDN, seul un État étant habilité à le faire. Finalement la requête ne fut pas communiquée, et Deskaheh alla lui même jusqu'au siège à Genève porter une pétition à l'attention du Secrétaire général, qui fut également rejetée.

    Face à la vive réaction du Canada, la SDN vint certifier une position : les nations autochtones sont des minorités ethniques, sur un plan strictement juridique elles n'ont pas d'existence en droit international.

    On constate donc qu'à l'époque les États sont encore maîtres de la situation, protégés par le principe de non-intervention dans leurs affaires internes. Même à la conférence de San Francisco, en 1945, à l'issue de laquelle naquît l'Organisation des Nations unies avec la signature de la Charte des Nations unies, la reconnaissance internationale des peuples autochtones en qualité de nations souveraines fut refusée. La Charte ne mentionne d'ailleurs pas les peuples autochtones, à la différence du Pacte de la SDN 38.

    Ce n'est que trente ans plus tard, en 1957, que pour la première fois un organisme international va adopter un document sur les populations autochtones : la Convention n° 107 de l'Organisation internationale du Travail relative aux populations aborigènes et tribales. Adoptée à la demande du système de l'ONU, cette convention est un instrument de développement complet qui couvre toute

    38 L'article 23.b du Pacte de la SDN dispose : « (...) les Membres de la Société : s'engagent à assurer le traitement équitable des populations indigènes dans les territoires soumis à leur administration »

    46

    une gamme de questions, telles que les droits aux terres, le recrutement et les conditions d'emploi, la formation professionnelle, l'artisanat et l'industrie rurale, la sécurité sociale et la santé, et l'éducation et les moyens de communication. Elle garantit donc aux peuples autochtones le respect de leur identité culturelle.

    Elle n'a cependant été ratifiée que par 27 pays, présentant une approche intégrationniste qui reflète le discours sur le développement à l'époque à laquelle elle a été adoptée.

    Un comité d'experts, convoqué en 1986 par le Conseil d'administration de l'OIT, a conclu que « l'approche intégrationniste de la convention était obsolète et que sa mise en oeuvre était préjudiciable dans le monde actuel ». Suite à cela, la convention a été révisée entre 1988 et 1989 et la convention n° 169 a été adoptée en 1989. Depuis la convention n° 107 est toujours en vigueur dans 18 pays, dont certains ont une forte population indigène, et reste un instrument utile car elle couvre de nombreux domaines essentiels pour les peuples indigènes.

    Grâce au principe d'autodétermination des peuples proclamé dans la Charte des Nations Unies, les mouvements d'indépendance vont se multiplier pendant les années 1970. De leur coté, les peuples autochtones souffrent des politiques d'assimilation qui leur sont appliquées, et voient leurs territoires de plus en plus convoités pour leurs ressources. Va donc naître la nécessité pour ces communautés vulnérables de s'unir au sein d'organisations internationales.

    La première sera la National Indian Brotherhood, créée en 1969, qui organisera une réunion 6 ans plus tard à l'issue de laquelle sera créé le Conseil Mondial des peuples autochtones, ONG regroupant des peuples autochtones de différents continents.

    Dès lors, les organisations autochtones vont se multiplier, permettant une meilleure structuration du discours revendicatif de ces communautés. Parfois même l'initiative ne viendra pas des peuples autochtones eux mêmes, mais de la communauté internationale : c'est ainsi que des anthropologistes vont créer en 1968 l'international Group for Indigenous Affairs (I.W.G.I.A.) basé à Copenhague. Et en 1991, l'Organisation des Peuples Non Représentés (Unrepresented Nations and Peoples Organization, U.N.P.O.) sera fondée à la Haye, afin de porter à l'ONU la voix de tous ces peuples.

    Ainsi à partir des années 1970 vont émerger diverses institutions internationales, afin de mieux faire connaître ces populations et de permettre de regrouper leurs forces. On peut citer l'international Indian Treaty Council, créé aux USA en 1974 et devenu une ONG en 1977 ; ou encore la Federation of Lands Council et le National Organisation for Aboriginal and Islander Legal Services en Australie.

    47

    L'Organisation des Peuples Non Représentés (U.N.P.O.) joue aussi un rôle important : elle doit défendre les autochtones et les minorités non représentés à l'ONU, par des voies légales et non violentes. Pour mener à bien son action devant les instances internationales, elle entend créer une juridiction qui recevra les plaintes en matière de Droits de l'Homme et l'exercice du droit à l'Autodétermination, et constituer un Conseil juridique dont le rôle sera de conseiller les membres sur les aspects légaux du droit à l'autodétermination 39. Il convient toutefois de noter que ces organisations sont principalement composée de représentants Amérindiens 40, et qu'une minorité d'entre elles est dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l'ONU.

    En 1977 fut organisée à Genève la Conférence des ONG sur la discrimination contre les peuples indigènes des pays d'Amérique, à laquelle participeront une soixantaine de nations autochtones. Ce fut la première fois que des représentants autochtones pouvaient dialoguer avec les délégués gouvernementaux et faire entendre leur voix sur les liens particuliers qui les unissait à la terre, sur l'importance du droit et des coutumes traditionnels, sur les problèmes posés par l'exploitation des ressources naturelles dans leur territoire et leur manque de contrôle sur ces exploitations, sur la nécessité de respecter leur culture et de protéger leur héritage, et sur leur volonté d'autodétermination.

    Ses recommandations mettent l'accent sur le respect du droit international, les relations entre les peuples autochtones et la terre, et le contrôle du développement de leurs territoires. Dans la Déclaration des principes pour la défense des nations et peuples autochtones de l'hémisphère occidental, qui sera adoptée au cours de cette conférence, les participants demandent leur reconnaissance en qualité de nation à part entière, dotée d'une personnalité juridique internationale, ce qui implique également le droit à l'autodétermination.

    Une autre conférence suivra en 1981 : la Conférence des ONG sur les peuples autochtones et la terre, qui concerne cette fois les peuples autochtones du monde entier. Cela va être l'occasion d'approfondir la relation particulière entretenue par les autochtones avec leur territoire. L'une des recommandations importantes du rapport final reprit l'une des propositions de 1977, la création d'un Groupe de Travail sur les peuples autochtones

    Ce sera chose faite en 1982 avec le Groupe de travail sur les populations autochtones. Ce groupe dépend de la Commission des Droits de l'Homme et de la Sous-Commission de la lutte contre les

    39 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, p. 490

    40 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1993/8, 15 juillet 1993

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    mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Ce groupe a participé à l'organisation d'une Année internationale des peuples autochtones, ouverte en décembre 1992, puis d'une Décennie internationale, commencée en janvier 1995, malgré des réactions peu favorables de certains États tels que le Brésil, la Colombie ou encore l'Inde. Il est en outre à l'origine du texte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Sur le plan financier, un Fonds de contributions volontaires pour la Décennie a été prévu, en plus de celui déjà existant pour l'Année internationale, et du Fonds des contributions volontaires pour les Populations autochtones. Ces fonds sont chargés d'aider les représentants des autochtones à assister à Genève aux sessions annuelles du Groupe de travail.

    L'action de l'ONU s'illustre donc par une prolifération de mécanismes prenant en compte la problématique autochtone. Il s'agit aussi bien d'organes généraux que d'organes spécifiquement créés pour répondre à cette problématique. Les organes principaux ont rapidement créé des organes subsidiaires spécialement dédiés à cette problématique.

    Voyons tout d'abord, l'Assemblée générale de l'ONU qui agit au titre de sa compétence générale sur toute question non directement traitée par le Conseil de sécurité. Elle peut agir également au titre de sa compétence spécifique en matière de développement du droit international. L'Assemblée générale essaye d'ailleurs d'impliquer plus souvent les associations autochtones et le Groupe de travail dans ses prises de décisions.

    Outre ces organes spécialement consacrés aux peuples autochtones, l'Assemblée générale décida de proclamer 1993 comme Année internationale des peuples autochtones. Elle décida ensuite, lors de la Conférence de Vienne sur les droits de l'Homme en 1993, de proclamer une Décennie internationale des peuples autochtones, de 1995 à 2005, dont le thème est « les populations autochtones : un nouveau partenariat ». L'objectif de cette Décennie est de renforcer la coopération internationale pour résoudre les problèmes qui affectent les communautés autochtones dans tous les domaines. Toutefois, la situation des peuples autochtones ne s'est guère améliorée, ce qui a mené l'Assemblée générale à proclamer une seconde décennie consacrée aux peuples autochtones pour « renforcer encore la coopération internationale afin de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les Droits de l'Homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités

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    normatives dans les domaines en question » 41.

    Suite à cela, la Commission des Droits de l'Homme reconnaissait alors la valeur intrinsèque de la diversité des cultures et des formes d'organisation sociale propres aux peuples autochtones. Elle invitait donc toutes les instances de l'ONU, les États et les organismes non-gouvernementaux et autochtones à mettre en place un programme d'activités accompagné d'un financement volontaire de ces activités 42.

    Au cours de cette décennie, les organes de surveillance des principaux traités des Droits de l'Homme ont adopté des positions précises relativement à la reconnaissance de leurs droits. Ainsi a pu être élaboré un corpus de référence pour l'élimination de la discrimination systémique et l'affirmation des droits des peuples autochtones, portant sur des sujets tels que le droit à l'Autodétermination, le lien particulier qui unit les peuples autochtones à leurs terres, ou encore leur droit relativement aux ressources naturelles de ces territoires.

    Le 20 décembre 2004, l'Assemblée générale proclamait la deuxième décennie internationale des populations autochtones, en lui assignant pour but de continuer de renforcer la coopération internationale dans ces domaines.

    L'Assemblée générale de l'ONU est donc un organe qui a une compétence générale sur les questions autochtones.

    L'action de l'ONU en matière de protection des peuples autochtones se décline ainsi sur trois degrés différents : celui des organes principaux, de leurs organes subsidiaires dédiés principalement à la protection des droits de l'homme et des organes subsidiaires de ces derniers dédiés particulièrement aux droits des peuples autochtones.

    2) La création d'organes spéciaux dédiés à la problématique autochtone

    Il convient de mentionner ici, le Conseil économique et social, qui est très actif en la matière du fait de ses compétences en matière de développement économique et social. Ainsi on compte au sein de ce dernier une quinzaine d'organisations représentant des peuples autochtones disposant d'un statut consultatif. Ce statut leur donne le droit d'assister et de participer à diverses conférences internationales et intergouvernementales.

    41 Résolution de l'Assemblée générale 59/174 du 20 décembre 2004

    42 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit international : une trajectoire en plein essor » ; In: Liber amicorum Peter Leuprect / textes réunis par Olivier Delas et Michaela Leuprecht, 2012 p.361

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    La promotion et la protection des droits de l'homme aux Nations Unies sont assurées par deux types d'organismes : les organes de la Charte des Nations unies, dont le Conseil des droits de l'homme, et les organes créés au nom des traités internationaux des droits de l'homme 43.

    Tous ces organes peuvent être amenés à traiter de la problématique de l'autochtonie à travers leurs compétences générales.

    Le Haut-commissariat des Nations Unies aux Droits de l'Homme s'est par exemple illustré dans la protection des droits des peuples autochtones en favorisant le développement et la mise en oeuvre de la Déclaration de 2007 (Résolution de l'Assemblée générale, A/RES/61295 du 13 septembre 2007). Il participe également au Groupe d'appui inter-organisations sur les questions autochtones.

    Le Conseil des droits de l'homme, créé par la résolution 60/251 de l'Assemblée générale en date du 15 mars 2006, a pour but principal d'émettre des recommandations à propos des situations de violation des droits de l'homme. Bien qu'il ne s'intéresse pas de manière directe aux peuples autochtones, le Conseil a toutefois été amené à débattre de la question et surtout s'est illustré par la création du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, créé pour discuter des mécanismes les plus appropriés pour poursuivre les travaux du Groupe de travail sur les peuples autochtones. Composé de cinq membres, cet organe est chargé de doter le Conseil d'une expertise thématique sur les droits des peuples autochtones.

    Rattaché à l'Assemblée générale, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) s'est également intéressé à la question en élaborant une « politique d'engagement ». Ce programme s'engage ainsi à réduire la pauvreté, promouvoir les droits de l'homme, la gouvernance démocratique, la mondialisation, les connaissances des peuples autochtones. Il ne fait ici qu'appliquer ses actions générales au domaine particulier des peuples autochtones sans qu'une réelle spécificité de ces populations soit mise en valeur.

    La logique qui semble la plus efficace serait donc d'adapter les programmes et institutions existants au problème de l'autochtonie plutôt que de développer une problématique spécifique. Ainsi la mise en place de groupes de travail permet l'identification de problématiques particulières, et l'instauration d'institutions chargées de rendre compte de la pratique des États et de qualifier ainsi

    43 Il existe huit organes créés au nom de traités sur les droits de l'homme qui surveillent la mise en oeuvre des principaux traités internationaux dans ce domaine: le Comité des droits de l'homme ; le Comité des droits économiques, sociaux et culturels ; le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale ; le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes ; le Comité contre la torture et le Sous-comité pour la prévention de la torture ; le Comité des droits de l'enfant ; le Comité des travailleurs migrants ; le Comité des droits des personnes handicapées ; le Comité des disparitions forcées.

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    leur comportement.

    Le Groupe de travail sur les populations autochtones :

    En réponse à une recommandation du Rapporteur spécial Martinez Cobo, la Sous Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités va proposer en 1981 la création par la Commission des Droits de l'Homme d'un groupe de travail sur les populations autochtones. Ce sera chose faite dès l'année suivante, confirmant ainsi que l'ONU est disposée à traiter les peuples autochtones comme une question spécifique. De 1982 à 1993, ce groupe a permis d'élaborer un premier projet de déclaration.

    Le Groupe de travail sur les populations autochtones (G.T.P.A.) a un double mandat :

    · faire le bilan des faits nouveaux intervenus en ce qui concerne la promotion et la protection des droits de l'homme et les libertés fondamentales des populations autochtones

    · suivre l'évolution des normes internationales relatives aux droits des populations autochtones 44.

    Composé de cinq experts indépendants et de membres de la Sous-Commission , le Groupe est ouvert aux représentants de toutes les populations autochtones, de leurs groupements et associations. Les sessions du Groupe de travail, qui ont lieu tous les ans, et auxquelles participent des représentants des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des organismes des Nations Unies sont caractérisées par un fort esprit d'ouverture. Le GTPA constitue donc une tribune où les peuples autochtones peuvent porter leurs revendications devant le système onusien. Les propositions faites lors des réunions du Groupe sont ensuite transmises à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l'Homme puis à la Commission des Droits de l'Homme, et enfin au Conseil économique et social.

    Le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les populations autochtones a été créé par la résolution de l'Assemblée Générale 40/131 du 13 décembre 1985 pour apporter une assistance financière à des représentants de communautés autochtones et d'organisations de populations autochtones souhaitant participer aux débats du Groupe de travail sur les populations autochtones de la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Le Fonds reçoit des contributions volontaires de Gouvernements, d'organisations non gouvernementales et d'autres entités privées ou publiques. Il est géré par le Secrétaire général de

    44 Conseil économique et social, résolution 1982/34

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    l'ONU avec le concours d'un Conseil d'administration composé de cinq membres.

    Cette même année 1985, le Groupe de travail commença d'élaborer un projet de déclaration sur les droits des populations autochtones. Ce texte, composé d'un long préambule et de 45 articles, affirme la spécificité des peuples autochtones et leur droit à la différence. Ce projet de Déclaration garantit le respect de l'autonomie autochtone, et reconnaît leurs droits territoriaux, culturels... À sa onzième session, en juillet 1993, le Groupe de travail se mit d'accord sur le texte final du projet de déclaration des Nations Unies sur les droits des populations autochtones et le soumit à la Sous-Commission. Il sera finalement adopté par la Sous-Commission à sa 46e session en 1994 45.

    En décembre 1995, l'Assemblée générale a décidé que le Fonds de contributions servirait aussi à fournir une aide financière aux représentants des organisations de peuples autochtones autorisées par le Comité chargé des organisations non gouvernementales à participer aux travaux du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme chargé d'élaborer le projet de déclaration.

    Lors de l'élaboration de ce projet, certaines organisations, telles que l'Aboriginal and Torres Strait Islander Commission, organisation autochtone dotée du statut consultatif auprès du Conseil économique et social, étaient d'avis que les définitions portant sur les termes "peuples autochtones" devraient être élaborées par les peuples autochtones eux-mêmes.

    Il a d'ailleurs été indiqué à la première session du Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme en novembre-décembre 1995 à Genève que :

    - l'Organisation des Nations Unies s'abstient généralement d'élaborer des définitions strictes, susceptibles de restreindre la marge de manoeuvre des gouvernements et des peuples dans l'application des instruments pertinents compte tenu de leurs propres conditions nationales ;

    - d'autres instruments tels que la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement - Action 21 se réfèrent à la participation des peuples autochtones dans le domaine de l'environnement, sans donner une définition de ces peuples.

    La reconnaissance du statut juridique de "peuple autochtone" comportait jusqu'ici deux phases : - l'identification par le peuple lui-même;

    - la reconnaissance par une entité souveraine ou une institution internationale.

    Le Groupe participe activement à la plupart des instances internationales et régionales de

    45 Résolution 1994/45 du 26 août 1994

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    discussions sur les questions Autochtones qui sont :

    · Le Conseil des Droits de l'Homme (CoDH)

    · L'Instance Permanente des Nations Unies sur les questions concernant les peuples Autochtones (IPQA)

    · Le Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones ( MEDPA)

    · L'Organisation des États Américains (OEA).

    · La Commission des Droits de l'Homme et des Peuples de l'Union Africaine (CDHP/ UA)

    · Le Conseil Arctique (CA).

    · L'Union Européenne (UE).

    Le GTPA analyse les problèmes auxquels sont confrontés les peuples autochtones et s'efforce d'y apporter des réponses en droit international et en droit interne. Dans ce lieu de réflexions entre les États et les peuples autochtones, chacun des participants est invité à s'exprimer et à participer à un dialogue constructif. Néanmoins, face à la difficulté d'obtenir un consensus sur des articles capitaux tels que ceux relatifs à l'autodétermination, aux droits territoriaux, ou encore aux ressources naturelles, les travaux du Groupe sont marqués par une extrême lenteur.

    Le Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones :

    L'évolution de la question autochtone aux Nations Unies va se poursuivre avec la création en 2001 par la Commission des droits de l'homme du poste de Rapporteur spécial sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones. Son mandat fut renouvelé pour une période de deux ans par la Commission des droits de l'Homme en 2004 et par le Conseil de Droits de l'Homme en 2007. Dans l'accomplissement de ce mandat, le Rapporteur spécial :

    · Présente des rapports annuels sur des sujets ou situations particuliers ayant une importance spéciale pour la promotion et la protection des droits des peuples autochtones. Lors de son rapport, le Rapporteur spécial identifie plusieurs thèmes méritant une attention spéciale, et recommande aux États de réexaminer leur législation pour mieux protéger les droits des populations autochtones

    · Entreprend des visites dans les pays. Cela permet de mener des recherches sur le terrain et de mieux appréhender les situations concrètes. Ces visites permettent également d'évaluer le

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    degré de protection, d'assistance et de développement dont bénéficient les peuples autochtones au niveau local et national.

    · Répond à l'information reçue portant sur des allégations concernant la situation des droits des peuples autochtones dans des pays en particulier. Le rapporteur analyse les allégations - provenant essentiellement d'ONG, d'organisations ou d'individus autochtones - et décide s'il y a lieu de prendre des mesures

    · Entreprend des activités dans des pays pour réaliser un suivi des recommandations inclues dans ses rapports par pays.

    L'expert doit donc fournir des recommandations et des propositions pour remédier aux différentes violations des droits de l'Homme des peuples autochtones. Cette institution présente l'avantage de personnaliser la question des droits des peuples autochtones, afin d'améliorer les conditions d'action de l'ONU.

    Un des apports les plus importants de la première Décennie des peuples autochtones a été l'Instance permanente sur les questions autochtones.

    L'Instance permanente sur les questions autochtones :

    L'accent mis sur les questions autochtones a abouti à la création le 28 juillet 2000 d'une Instance permanente sur les questions autochtones, par la résolution 2000/22 du Conseil économique et social. Elle est chargée d'évaluer chaque année les problèmes concernant les peuples autochtones. Au sein de cette instance, composée de seize membres, les experts autochtones siègent à un niveau de parité avec les experts nommés par les gouvernements. Cette composition mixte est le fruit d'un compromis entre les différents acteurs concernés.

    Elle fournit des services consultatifs au Conseil économique et social, participe à la coordination des activités que mène l'ONU dans ce domaine et examine les questions autochtones ayant trait au développement économique et social, à la culture, à l'éducation, à l'environnement, à la santé et aux droits de l'homme. Son rôle est de coordonner les activités menées dans l'ensemble des Nations Unies et de diffuser des informations sur les peuples autochtones 46.

    46 Pour cela,, l'Instance est assistée d'un Secrétariat permanent établi au Siège de l'ONU à New York, dans la Division des politiques sociales et du développement social du Département des affaires économiques et sociales. Il prépare et organise les sessions annuelles et assiste les membres de l'Instance. Il facilite ainsi la prise en compte des questions autochtones dans le système de l'ONU en participant à plusieurs mécanismes interdépartementaux tels que : le Groupe de développement (UNDG) ou le Comité permanent interinstitutionnel sur les affaires humanitaires (IASC). Le Secrétariat propose également un soutien à la gestion du Fonds de contribution au soutien des peuples autochtones.

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    Organe subsidiaire du Conseil économique et social, l'Instance permanente est placée à un niveau élevé dans la hiérarchie du système des Nations Unies, et c'est d'ailleurs la première fois qu'un organe est composé de membres non gouvernementaux qui ont le même statut que les membres gouvernementaux. Elle est composée de seize membres : huit gouvernementaux, et huit autochtones, tous siégeant pour trois ans, renouvelable une fois.

    L'Instance examine « les questions autochtones relevant du mandat du Conseil en matière de développement économique et social, de culture, d'environnement, d'éducation, de santé et de Droits de l'Homme » 47. En outre, elle fait des recommandations au Conseil économique et social, et a pour fonction de diffuser toutes les informations utiles pour une meilleure prise en compte des questions autochtones. Elle n'est cependant qu'un organe consultatif et n'a pas de rôle normatif.

    L'Instance tient une session annuelle de dix jours, qui ont toutes eu lieu, jusqu'à présent, au Siège de l'ONU à New York. Lors de ces réunions, la participation est largement ouverte, et l'on retrouvera donc des représentants étatiques, des organes et institutions des Nations Unies, des organisations internationales, des organisations autochtones et des organisations non gouvernementales, dotées ou non d'un statut consultatif. Les organes onusiens sont ainsi directement confrontés aux bénéficiaires de leurs travaux. Le rapport élaboré est ensuite soumis au Conseil économique et social.

    Toutes ces instances invitent les peuples autochtones à participer pleinement à leurs travaux. Pourtant, cette structure originale est menacée par certaines délégations gouvernementales souhaitant la disparition du Groupe de travail sur les populations autochtones, ce dernier étant jugé inutile depuis la création de l'Instance permanente. Une telle disparition verrait la fin de la principale structure de réflexion et de création normative en faveur des peuples autochtones, l'instance permanente disposant plutôt d'un rôle politique. Le mandat du Groupe de travail fut néanmoins pérennisé en 2004, après un combat politique et diplomatique acharné, même si son avenir à long terme reste incertain.

    Cet ensemble disparate d'institutions soulève nécessairement le problème de leur coordination. Face à cette prolifération de règles, il apparaît donc délicat de justifier l'existence de mécanismes et de règles propres. Selon Anne-Thida Norodom, « le droit des peuples autochtones n'est pas spécifique au point de justifier un droit dont la logique serait différente de celle du droit international, en ce qu'il serait constitutif d'une exception au principe de souveraineté des États » 48.

    47 Résolution 2000/22, article 2

    48 NORODOM Anne Thida, « L'Organisation des Nations unies au service des peuples autochtones : quelle efficacité ? » Cahiers d'anthropologie du droit, 2011, p. 63

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    Au regard d'une mobilisation internationale sans précédent, les avancées de ce mouvement autochtone restent cependant très modestes, et ce du fait de la réticence des États qui abritent des communautés autochtones sur leurs territoires. En effet, ceux ci se sentent menacés par les revendications de nature collective, qui remettent en cause la colonisation et donc les fondements de l'État.

    Il s'agit dès lors de s'intéresser à la vocation collective de ce droit et à la reconnaissance de droits collectifs pour les communautés autochtones.

    ii. Un droit à vocation collective

    Les droits des peuples sont des droits d'exercice collectif , ce qui rend leur manipulation assez malaisée. Il s'agit dès lors de dépasser la conception individualiste des droits de l'Homme pour aller vers la dimension collective du droit des peuples. Sur un plan général, les Droits de l'Homme, dont l'idéologie demeure marquée par l'Occident, apparaissent comme plus limités que les droits des peuples. Ceux ci, au contraire, ont une vocation fondamentalement universaliste. Le discours autochtone se centre sur les droits collectifs qui permettent aux peuples d'exister et de se développer. Dans cette optique, les droits collectifs sont une condition de l'exercice des droits individuels.

    Les autochtones doivent donc dépasser leur identités locales pour constituer une entité globale autochtone, ayant comme ressources des valeurs qui les rassemblent, et qui légitiment la frontière symbolique qui les différencie des non autochtones. Ils invoquent par exemple le concept de « terre-mère », selon lequel la terre est de nature collective, et doit être préservée afin d'assumer leurs responsabilités envers les générations futures.

    Reconnu dans les instruments internationaux comme un attribut de tous les peuples, le droit à l'autodétermination est le premier droit collectif qui permet d'exercer tous les autres. Cependant, son exercice n'empêche pas qu'un individu se réclame à la fois de son appartenance au peuple qui inclue tous les ressortissants de l'État et à un autre peuple composé d'individus partageant une conscience collective et des liens de nature différente qui les distinguent en tant que peuple 49.

    49 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.47

    57

    Voyons donc la spécificité du droit des peuples autochtones qui impose une reconnaissance de droits collectifs (1.), avant de s'intéresser au droit des peuples autochtones à la participation collective aux décisions prises les concernant (2.).

    1) Spécificité : reconnaissance de droits collectifs.

    Le respect de l'identité collective des peuples autochtones est la condition sine qua non à leur participation effective aux processus de décisions. Ils entendent démontrer, dans une variété de secteurs, que l'universalisme des droits humains fondés sur l'individu ne résout pas leurs problèmes, y compris dans les pays démocratiques, ce qui les conduit à défendre la formulation de principes de droit collectifs.

    La France s'est toujours opposée à la reconnaissance de droits collectifs, même pour les minorités et les peuples autochtones. Le juriste Jean Rivero écrivait d'ailleurs :

    « Lorsqu'il s'agit de collectivités qui ne reposent pas sur l'adhésion volontaire, le danger augmente à la mesure de leur puissance et de leurs ambitions. Face aux intérêts du groupe, les Droits de l'Homme pèsent peu [...] Que le groupe cherche son unité dans une idéologie, et le goulag s'ouvre pour ceux qui la refusent. Que cette idéologie soit la supériorité de la race, et le droit de l'ethnie aryenne à imposer au monde sa juste domination légitime Dachau, Auschwitz et Maydanek. Sur les droits des collectivités, la fumée des fours crématoires projette la plus grande des menaces, car leur reconnaissance risque de donner le sceau de la justice à la domination du plus fort sur le faible » 50.

    La position des auteurs Norbert Rouland , Stéphane Pierré-Caps et Jacques Poumarède est cependant moins excessive, ceux ci soutenant que la collectivisation de certains droits peut être la condition de leur effectivité, particulièrement dans le cas des minorités et des peuples autochtones. Selon eux « l'Homme a des droits en tant qu'être humain, mais il ne les réalise, dans toute société, qu'au sein et en fonction de groupes, dans un jeu de droits et obligations réciproques entre la personne et les groupes auxquels elle appartient. Les droits collectifs sont inséparables de la dimension sociale de l'homme et lui sont bénéfiques, à condition qu'ils ne détruisent pas la personne » 51.

    50 RIVERO Jean, Les Droits de l'Homme : droits individuels ou droits collectifs ?, dans A.Fenet (dir.), Les Droits de l'Homme :droits collectifs ou droits individuels ?, Paris, PUF, 1982, pp.23

    51 Voir ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMARÈDE Jacques « Droit des minorités et des peuples

    58

    Ils reconnaissent donc une dimension collective de ces droits sous trois conditions :

    - Ils doivent reposer sur la participation volontaire des membres du groupe à celui-ci et à ses valeurs.

    - Ils doivent être compris dans une hiérarchie des normes juridiques, et donc ne pas être contraires aux libertés et droits fondamentaux.

    - Leur processus d'élaboration doit être pris très au sérieux, autant que la détermination de leur contenu.

    Le principe de la non-discrimination est nécessaire à la reconnaissance des droits collectifs des autochtones. C'est d'ailleurs par le biais de ce principe, reconnu et accepté par de nombreux instruments internationaux, qu'a été abordée leur situation aux Nations Unies. Pourtant en droit international, le principe de non-discrimination est essentiellement un droit individuel, dont le but est de garantir que tous les individus d'une société soient égaux, qu'ils jouissent des mêmes droits et qu'ils se voient imposés les mêmes devoirs, sans distinction d'origine ethnique, de langue, de sexe ou de religion.

    C'est avec l'article 2 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones que va apparaître le caractère collectif de la non-discrimination :

    « Les autochtones, peuples et individus, sont libre et égaux à tous les autres, et ont le droit de ne faire l'objet, dans l'exercice de leurs droits, d'aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leurs identités autochtones ».

    L'application de ce principe aux peuples autochtones vise à réparer les effets des situations coloniales qui les ont marginalisés. La réparation doit donc être individuelle, mais aussi et surtout collective. Il s'agit donc de redonner aux communautés autochtones leurs différentes compétences : se gérer, s'administrer avec leurs propres institutions, se développer, décider de leur avenir dans le respect de leurs coutumes et traditions... Plusieurs dispositions dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sont consacrées au respect de ces formes traditionnelles d'organisation.

    Le principe de non-discrimination est cependant délicat à mettre en oeuvre, vu que l'État, pour mettre fin à une situation de discrimination, doit adopter des mesures spéciales qui peuvent être elles mêmes discriminatoires, puisqu'elles ne visent qu'un groupe. Il s'agit donc pour l'État de faire en sorte que ces mesures n'aient pas d' « effets discriminatoires disproportionnés vis-à-vis des autres éléments de la population. Elles doivent avoir une base objective ainsi qu'une cause raisonnable et

    autochtones », PUF, 1996, pp. 458-459

    59

    légitime » 52.

    L'application collective de ce principe implique en outre que les peuples autochtones ont notamment droit au respect de leur intégrité culturelle. En effet, malgré les impacts des différentes politiques coloniales, les autochtones sont parvenus à conserver leurs institutions traditionnelles, auxquelles ils veulent redonner pleine compétence avec le droit à l'autodétermination. C'est au travers de ces institutions qu'ils vont pouvoir exercer leurs droits collectifs et contrôler les événements qui les concernent. Le respect de l'identité culturelle des autochtones est donc fondamental pour l'exercice du droit à l'Autodétermination.

    Le principe de l'intégrité culturelle a été admis en droit international par la C.P.I.J en 1935, dans un avis consultatif sur l'affaire des Écoles minoritaires en Albanie 53. Dans cet avis, la Cour déclare que les minorités ont le droit de préserver leurs caractéristiques distinctives propres, et qu'au nom de l'égalité entre la majorité et la minorité, cette dernière doit disposer de ses propres institutions ; et demande que des moyens appropriés soient mis en oeuvre afin que la minorité ne soit pas « contrainte à renoncer à ce qui constitue l'essence même de sa vie en tant que minorité » 54.

    Les peuples autochtones exigent ainsi que leurs cultures et leur droit à la libre détermination soient reconnus au même titre que ceux des autres peuples. Cela suppose donc que leurs droits fonciers soient déclarés inaliénables ainsi que leurs droits sur les ressources naturelles. De la même manière, les droits collectifs que les peuples autochtones possèdent sur la connaissance de leurs propriétés doivent être garantis comme le stipule la convention sur la diversité biologique.

    La seule chose qui garantisse l'autodétermination, c'est l'amélioration des relations entre les peuples autochtones et leurs voisins non autochtones. Il s'agit donc d'avoir un respect mutuel entre ces communautés. L'autodétermination n'est en effet jamais garantie quand elle repose sur des mesures législatives ou des décisions politiques, car les philosophies politiques des gouvernements nationaux changent, comme cela a été le cas pour les Aborigènes d'Australie ou les Amérindiens.

    Dès lors que les principes de la non-discrimination et de l'intégrité culturelle sont respectés, le droit à l'autodétermination peut être exercé. Une des modalités de base de ce droit est le droit de participer à la prise de décision dans tous les domaines qui concernent les peuples autochtones.

    52 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Theses / 2008 ; pp.367

    53 C.P.I.J, Écoles minoritaires en Albanie, Avis consultatif, 6 avril 1935, série A/B, n°64

    54 Jbid, p.17

    60

    2) Le droit des peuples autochtones à la participation collective

    La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones évoque deux types de participation :

    · la participation à la vie publique de l'État, reconnue à l'article 5 qui énonce le droit « de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l'État ».

    · la participation aux processus de prises de décisions, prévue à l'article 18 qui énonce le droit de participer à la prise de décisions pour les questions qui concernent leurs droits.

    La Déclaration demande que les États prennent en compte la volonté des peuples autochtones dans tous les domaines les concernant : elle requiert que les États consultent, coopèrent, se concertent avec les peuples autochtones pour « combattre les préjugés et éliminer la discrimination » (art.15.2), pour prendre des mesures pour protéger les femmes et les enfants (art.27 et 17.2), pour « reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources » (art.27), pour reconnaître les droits des peuples autochtones à leur patrimoine culturel, traditionnel, et intellectuel (art.31.2) etc.

    Elle précise en outre que les États doivent consulter les peuples autochtones dans certains domaines, dans le but d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Bien que cette exigence d'un consentement ne soit pas à l'heure actuelle considérée comme une obligation internationale, on constate que le principe de la participation collective bénéficie d'une autorité grandissante.

    Il est d'ailleurs affirmé dans la Convention 169 de l'OIT qui lui consacre deux articles :

    · l'article 6, qui pose l'obligation pour les Gouvernements de consulter les peuples autochtones « à travers leurs institutions représentatives, chaque fois que l'on envisage des mesures législatives ou administratives susceptibles de les toucher directement » ainsi que d'assurer leur participation à la prise de décisions dans tous les organes « responsables des politiques et des programmes qui les concernent » ;

    · l'article 7, qui prévoit que les peuples autochtones « doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement » 55.

    55 Au sens de cette Convention, la participation est donc entendue comme un droit d'exprimer un point de vue et de pouvoir influencer la décision. Les consultations, quant à elles, doivent être transparentes et permettre aux peuples autochtones de donner leur avis éclairé.

    Le Comité des Droits de l'Homme affirme en outre que le droit des peuples autochtones de participer à la prise de décisions les concernant est une application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il fonde ce droit sur l'article premier du Pacte des droits fondamentaux de 1966, ainsi que sur l'article 27, relatif au principe de l'intégrité culturelle.

    Sur la scène internationale, cette participation des peuples autochtones est assurée au travers de l'Instance permanente sur les questions autochtones grâce aux délibérations du Groupe de travail. Il existe plusieurs sortes d'institutions représentatives autochtones, soumises à l'approbation d'autorités étatiques, qui sont soit consultatives, soit dotées d'un pouvoir de décision.

    Dans l'ensemble, les États admettent ce principe de participation à tous les niveaux de décision, dans tous les domaines qui les concernent, mais sont toujours réticents à accepter qu'un groupe puisse bénéficier d'un droit collectif à participer avec une structure institutionnelle distincte. Pour les États, reconnaître un tel droit de véto supposerait également qu'ils reconnaissent aux peuples autochtones des droits territoriaux.

    Certains États ont accordé aux peuples autochtones vivant sur leurs territoires une certaine autonomie, qui équivaut à un droit des peuples autochtones à participer aux prises de décisions qui les concernent. Pour déterminer si ces peuples disposent d'une réelle autonomie, il faut examiner si les autorités autonomes disposent de compétences propres et d'un réel pouvoir de décision.

    Il existe différentes formes d'autonomie, elle peut être culturelle, territoriale ou politique ; et dans chaque catégorie, il y a différents degrés en fonction des compétences exercées et du pouvoir de décisions dont disposent les autorités autonomes. Chaque situation est donc particulière bien que les expériences présentent des caractéristiques communes.

    Il semble donc qu'une norme coutumière de droit international se forme en ce qui concerne la participation des peuples autochtones à la prise de décisions qui les concernent. Les États sont en effet nombreux à admettre progressivement la nécessité de prendre en compte les besoins, l'opinion des peuples autochtones et de les consulter avant de prendre une décision les concernant.

    iii. L'apparition d'une identité transnationale autochtone

    61

    Dès les années 1970, les militants de la cause autochtone accompagnent son internationalisation, à

    62

    travers leurs ONG spécialisées, en soutenant les rencontres entre organisations des différents pays, en soulignant les revendications communes et en opérant un travail de sensibilisation de l'opinion publique de la communauté internationale.

    Ce travail va permettre de faire émerger une véritable identité autochtone sur la scène internationale. Nous allons donc nous intéresser à ces nouveaux sujets du droit international (1.), avant de traiter de l'identité transnationale autochtone (2.).

    1) Des sujets en devenir du droit international

    « La participation des autochtones aux processus internationaux est un véritable succès dont on mesure l'importance en termes quantitatifs puisque le nombre des représentants accrédités a été multiplié par cinq ou six, et en termes institutionnels puisque la question autochtone est à l'agenda de pratiquement toutes les agences de la famille onusienne » 56.

    C'est donc sous l'impulsion des peuples autochtones eux mêmes que va naître un véritable mouvement autochtone dans la deuxième moitié du XXe siècle. Les peuples autochtones veulent devenir des « acteurs » de la scène internationale, et demandent la reconnaissance par le droit international de la qualification de peuples autochtones, en vue de pouvoir disposer d'une capacité à décider d'eux-mêmes, et à disposer de leurs territoires traditionnels et de leurs ressources. Mais ils ne veulent pas nécessairement se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent. Les revendications autochtones ne sont, en général, pas sécessionnistes, et c'est plutôt l'autonomie régionale qu'ils envisagent.

    L'ONU va donc leur fournir les outils pour construire un mouvement international autochtone. Ainsi après avoir reconnu leur spécificité, elle a accepté de leur attribuer un espace, le Groupe de Travail sur les Populations Autochtones, où ils viennent chaque année élaborer leurs droits collectifs autochtones. Leur présence dans le contexte onusien va se pérenniser en 2002 avec la création de l'Instance Permanente sur les Questions Autochtones. Plusieurs centaines de représentants d'ONG autochtones sont également accréditées à l'ONU, et ont pour mandat de faire des recommandations à l'ECOSOC.

    Au fil du temps, d'autres organismes vont s'attaquer à la problématique autochtone.

    56 BELLIER Irène, « La participation des peuples autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.19

    63

    L'UNESCO va proposer dans son rapport sur la réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples en novembre 1989, une nouvelle définition de la notion de peuple :

    « 1. un groupe d'êtres humains qui ont en commun plusieurs ou la totalité des caractéristiques suivantes :

    (a) une tradition historique commune ;

    (b) une identité raciale ou ethnique ;

    (c) une homogénéité culturelle ;

    (d) une unité linguistique ;

    (e) des affinités religieuses ou idéologiques ;

    (f) des liens territoriaux ;

    (g) une vie économique commune ;

    2. le groupe, sans nécessairement être considérable (par exemple, la population des micro-Etats), doit être plus qu'une simple association d'individus au sein d'un État ;

    3. le groupe en tant que tel doit désirer être identifié comme un peuple ou avoir conscience d'être un peuple - étant entendu que des groupes ou des membres de ces groupes, tout en partageant les caractéristiques susmentionnées, peuvent ne pas avoir cette volonté ou cette conscience ; et, éventuellement ;

    4. le groupe doit avoir des institutions ou d'autres moyens d'exprimer ses caractéristiques communes et son désir d'identité » 57.

    On retrouve dans cette définition quelques éléments distinctifs des peuples autochtones, qui sont des communautés homogènes, conscientes d'elles mêmes et de leur identité collective, et qui se distinguent de la population dominante du territoire sur lequel elles vivent.

    Une autre institution a joué un rôle important en la matière : la Banque Mondiale. Agence spécialisée de l'ONU dans le domaine financier, elle est chargée de contribuer à améliorer le niveau de vie dans le monde. Après avoir défini sa politique envers les groupes qu'elle appelait alors les « populations tribales » en 1982, la Banque Mondiale dressa un premier bilan de ses activités en lien avec les peuples autochtones en 1986. Après l'adoption de la Convention 69 de l'OIT en 1989, elle pris en 1991 la directive opérationnelle 4.20. Elle y donne sa propre définition des peuples autochtones :

    57 Réunion internationale d'experts sur l'approfondissement de la réflexion sur le concept de droit des peuples, UNESCO, Paris 2730 novembre 1989, SHS-89/CONF.602/7, p.8

    64

    « Les peuples autochtones (Indigenous Peoples) sont identifiés dans des zones géographiques particulières par l'existence à des degrés variables des caractéristiques suivantes : a) le ferme attachement aux territoires ancestraux et aux ressources naturelles de ces zones ; b) l'auto-identification et l'identification par les autres comme des membres d'un groupe culturellement distinct ; c) une langue autochtone (indigenous language) ; d) l'existence d'institutions sociales et politiques coutumières ; et e) un mode de production principalement orienté vers la subsistance » 58.

    Elle vise ici les « peuples autochtones », parlant de la nécessité de les protéger contre les projets de développement qui pourraient leur nuire, tout en permettant de s'associer à ceux qui leur conviennent.

    En outre une année puis deux décennies internationales leur ont été consacrées, le but étant de « renforcer davantage la coopération internationale aux fins de résoudre les problèmes qui se posent aux peuples autochtones dans des domaines tels que la culture, l'éducation, la santé, les droits de l'homme, l'environnement et le développement économique et social, au moyen de programmes orientés vers l'action et de projets concrets, d'une assistance technique accrue et d'activités normatives en la matière » .

    Le droit international ayant parfois une portée et des implications limitées, un tel bilan pourrait sembler dérisoire. Pourtant, la décennie internationale a contribué à changer les mentalités à l'égard des peuples autochtones et à rendre visible leurs problèmes tout en contribuant à en faire des acteurs de leur avenir par une participation efficace et dorénavant reconnue. Le droit semble donc être le seul outil à la disposition de la communauté internationale, des États et des communautés autochtones elles mêmes pour établir un lieu de dialogue et de reconnaissance.

    L'intensification des relations sociales planétaires a ouvert un nouvel espace politique pour ces peuples autochtones, et a ainsi instauré un nouveau rapport de force avec les sociétés nationales. Il n'est pas possible pour l'ONU d'obliger un État à résoudre directement le litige que soulève une organisation autochtone, mais la verbalisation de celui ci sur la scène internationale peut conduire l'État à trouver des solutions. C'est pour cette raison que le dialogue onusien s'est intensifié dans les années 1990. Ce partenariat d'un genre nouveau se construit sur la scène onusienne qui représente sans doute la forme la plus politique de la communauté internationale.

    58 World Bank Operationnal Manual, Operationnal Directive 4.20, Septembre 1991

    65

    Les peuples autochtones « ont fait leur place à l'ONU » en s'appropriant le Groupe de Travail pour qu'il ne soit pas seulement un lieu de discussion avec les experts et les représentants des États, ou une tribune où ils peuvent présenter leurs doléances, mais pour qu'il soit aussi un outil politique identitaire. Le Groupe de Travail est ainsi devenu, selon la métaphore d'Arjun Appadurai, célèbre anthropologue indien, un lieu essentiel du « paysage autochtone ». Les peuples autochtones sont, chacun, le porte-parole d'un « local » dont ils véhiculent, dans leurs déclarations, des images et des valeurs. C'est ainsi que se construit au niveau international l'autochtonie 59.

    Soutenues sur le plan financier par divers Fonds de contribution, les organisations autochtones ont su exploiter la dynamique du forum pour se construire comme des représentants légitimes capables de proposer un modèle alternatif à une gouvernance qui les exclue. D'une manière générale, la raison de l'entrée des peuples autochtones sur la scène internationale est de participer à la contestation d'un modèle global dans lequel ils se sentent totalement écrasés.

    Par leur constante implication dans les mécanismes onusiens, les représentants autochtones sont devenus « partenaires » des États, mais ces derniers demeurent les véritables « maîtres » du jeu puisqu'ils détiennent le pouvoir de décision. On observe donc un « décalage entre la scène internationale qui avance à grands pas dans la prise en compte des perspectives autochtones en raison de la participation des représentants non étatiques qui ont su construire une véritable expertise, et les scènes nationales dans lesquelles les bases sociales du mouvement international évoluent à un rythme différent dans les cinq continents concernés par la présence autochtone » 60.

    Cet enjeu du partenariat et de l'égalité s'incarne dans la volonté autochtone de se voir reconnaître le statut de « peuples », afin de jouir du droit internationalement reconnu à l'autodétermination.

    Pour parvenir à leurs fins, les autochtones ont progressivement imposé deux modalités de participation :

    · La première concerne le principe de l'assemblée générale (caucus) qui attire quotidiennement l'ensemble des organisations autochtones présentes pour discuter des problèmes à l'ordre du jour, sous une présidence bicéphale, à double parité de genre et de langues. Contrairement aux états, le Caucus s'entend sur un certain nombre de concepts de base mais il n'est pas exempt de conflits et de dissensions.

    · La seconde est le principe de la décision par consensus, par lequel rien ne peut être adopté

    59 MORIN Françoise, « L'ONU comme creuset de l'Autochtonie » , Parcours Anthropologiques, n°5, p. 40

    60 BELLIER Irène, « La participation des peuples autochtones dans la constellation onusienne : les enjeux d'une présence institutionnelle » ; LAIOS - CNRS ; Colloques Cultures et pratiques participatives ; 20 et 21 janvier 2004 ; p.2

    66

    sans l'assentiment actif ou passif de la totalité des organisations présentes, ce qui donne force à la voix autochtone et conforte le sentiment de son unité.

    Tous les autochtones ne participent pas non plus aux travaux de l'ONU. En effet, certains manquent de moyens financiers pour assurer une représentation égale à celle des États, et les réglementations onusiennes limitent l'accès à la plupart des instances de l'ONU aux organisations accréditées par le Conseil Économique et Social.

    Aujourd'hui il apparaît que les États, les Organisations internationales, ou encore les multinationales partagent la qualité de sujets de droit international avec les peuples. Selon R-J Dupuy « le peuple, titulaire de droits, sinon de devoirs », est « en train de devenir - si ce n'est déjà fait - un 'sujet' de droit international » 61. Néanmoins, subsiste toujours un conflit entre les différentes interprétations du mot « peuple » : les États défendant leur intégrité territoriale considèrent généralement l'ensemble de leurs citoyens comme un peuple unique ; tandis que les mouvements séparatistes de certaines minorités nationales considèrent les communautés (linguistiques, religieuses ou autres) qu'ils affirment représenter, comme des peuples à part entière et revendiquent leur droit à l'autodétermination.

    L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a conduit à la formulation rhétorique de l'identité globale peuples autochtones, en tant que sujets de droits. « Elle configure un nouvel imaginaire, en postulant une égalité de traitement entre ces derniers et les peuples (à État) des Nations unies, via la reconnaissance de droits collectifs dans le respect du droit international (art. 46) » 62.

    Voyons donc comment le droit des peuples autochtones a évolué depuis son émergence dans les années 1970, jusqu'à constituer un champ d'activité international aux formes d'interactions multiples.

    2) L'identité transnationale autochtone

    Confronté à une forte marginalisation politique, les peuples autochtones se sont organisés à plusieurs niveaux en construisant des identités interethniques voire transnationales. L'inscription

    61 R-J DUPUY, « Communauté internationale et disparités de développement », La Haye, Martinus Nijhoff, 1981

    62 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p.78

    67

    des acteurs autochtones dans une forme de démocratie transnationale induit une dynamique politique de transformation des situations de négociation tant dans le cadre des grandes conférences onusiennes, qu'au niveau local. Cette notion de démocratie participative nourrit une demande profonde de mutation des rapports de forces locaux, avec pour objectif de faire évoluer les systèmes politiques et juridiques dominants.

    Les peuples autochtones du monde ont, en effet, progressivement entrepris un processus de résistance qui s'exprime à l'occasion des diverses rencontres ou forums organisés en vue de délégitimer l'ordre libéral mondialisé et de proposer des alternatives. Les voix de ces peuples s'y sont faites entendre et ils ont pu acquérir un statut de négociateurs à part entière non seulement avec les organisations non gouvernementales mais aussi directement avec les gouvernements. En même temps, les processus de destruction des communautés autochtones, qu'ils soient génocidaires, ethnocidaires ou écocidaires, les ont obligés à s'organiser et à développer des propositions alternatives fondées sur le concept de l'unité dans la diversité. Les peuples autochtones ne demandent donc rien d'autre que d'être les principaux acteurs de leur propre construction sociale, expression de leur droit fondamental à l'autodétermination 63.

    L'entrée des peuples autochtones à l'ONU a scellé le début d'un processus d'institutionnalisation fondamental pour la construction d'une voix collective. Cet espace de parole a été organisé par les représentants autochtones, qui se posent en acteurs doués d'autonomie réflexive pour construire les moyens de la reconnaissance comme « peuple » en droit international. Le groupe de travail de l'ONU a constitué d'ailleurs un lieu essentiel pour les rencontres transnationales, l'échange d'informations et, finalement, la création d'une identité autochtone mondiale. Celle-ci prend la forme d'une « communauté imaginée transnationale » 64 sous le signe de laquelle les dirigeants du monde entier partagent leurs problèmes, leurs revendications, et réaffirment leur « identité autochtone » .

    L'institutionnalisation internationale de la cause des peuples indigènes est perceptible à la fois dans la multiplication des normes internationales, les financements disponibles et les réunions interagences. Elle oblige aujourd'hui à prendre en compte une arène complexe à laquelle participent des acteurs étatiques, des organisations intergouvernementales et des experts de la cause autochtone. Ces systèmes de réseaux transnationaux militants sont appelés des « champs

    63 GESLIN Albane, « La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d'une identité transnationale autochtone à l'interculturalité normative » , Annuaire français de droit international ; vol. 56 (2010), p. 665

    64 DUMOULIN David, « Les réseaux transnationaux de défense des populations autochtones : évolution des alliances et dilemmes d'institutionnalisation », Colloque SEl « Les solidarités transnationales », 21-22 Octobre 2003 ; p. 3

    68

    globalisés » dans la mesure où la focalisation sur un problème commun et leurs interactions multiples tendent à mieux définir les acteurs que leurs divisions nationaux / internationaux, gouvernementaux / non-gouvernementaux, experts / militants. Cette notion aide à voir les conflits puisqu'il s'agit d'un champ de position ou les acteurs ne s'entendent pas toujours sur la définition du « problème indigène ». Ce fonctionnement se retrouve dans les cas de l'institutionnalisation internationale d'autres thématiques militantes, comme le montre par exemple une comparaison entre les logiques d'action qui gouvernent aujourd'hui le champ indigène et celui de la protection de l'environnement 65.

    Pour construire un espace politique commun, encore faut il reconnaître l'autre. L'enjeu n'est pas de tenter de masquer les différences existant entre les peuples autochtones au nom d'une commune vision du monde, il est celui de l'altérité. « Identifier » c'est, étymologiquement, faire du même, rendre semblable. « Reconnaître » c'est poser comme déjà connu, sans l'a priori d'un projet d'assimilation. L'enjeu est donc de porter les valeurs communes de ces peuples sur la scène internationale pour la reconnaissance de leurs existence et de leurs droits.

    La cause des peuples autochtones est un des domaines par excellence de la solidarité transnationale, où des militants des pays du Nord défendent des victimes lointaines oppressées par leurs États. Prise dans le sens de collaboration entre organisations indigènes par-delà les frontières, la notion de solidarité nationale doit être encore étendue pour parvenir à saisir l'influence du contexte institutionnel ainsi que l'évolution des alliances stratégiques et des cibles de ces réseaux militants. Ainsi, selon David Dumoulin, doctorant à l'IEP de Paris :

    « La recherche d'efficacité dans l'action transnationale oblige à étudier comment la mise en scène de l'identité indigène, la définition du «problème indigène», et les répertoires d'action peuvent évoluer suivant les époques et des pays. De nombreux autres acteurs doivent ainsi être pris en compte pour comprendre la trajectoire d'ensemble de l'internationalisation de la cause indigène » 66.

    Cette solidarité se traduit en deux volets : des collaborations entre organisations indigènes qui parviennent à créer une nouvelle « identité autochtone » au niveau mondial, et des collaborations très dynamiques entre organisations indigènes et « ONG de soutien » qui épousent la cause des premières 67.

    La construction de solidarités transnationales est donc profondément stratégique, puisque des

    65 Jbid ; p. 9

    66 Jbid ; p. 5

    67 Jbid ; p. 2

    collaborations doivent se tisser entre acteurs dont les objectifs ultimes sont différents radicalement différents. Elle doit être perçue comme une instrumentalisation réciproque, car les acteurs internationaux ont besoin de la légitimité indigène.

    Aujourd'hui cependant, la dimension proprement transnationale et militante n'est plus qu'une des logiques d'action de ce qui est devenu un champ globalisé où se confrontent des acteurs de différents statuts.

    Il convient dès lors d'illustrer nos propos par la présentation d'un exemple concret : le traitement des autochtones sur le territoire australien.

    C) Le processus de reconnaissance des Aborigènes dans la société australienne (de l'intégration à la réconciliation)

    Les peuples autochtones océaniens présentent la caractéristique d'avoir été formellement reconnus indépendants sur leurs territoires avant d'être dépouillés de leurs attributs en tant que peuples souverains.

    Nous allons donc nous intéresser au traitement des communautés autochtones sur le territoire australien. Leurs revendications ont en effet été à l'image de la mobilisation autochtone, et ont émergé dans les années 1960 avant de se répercuter sur la scène internationale avec la reconnaissance de représentants autochtones au sein du Conseil économique et social. Nous traiterons donc de l'assimilation et l'intégration des aborigènes au sein de la société australienne (i.) puis de leur reconnaissance institutionnelle (ii.), avant d'en aborder les enjeux et les limites (iii.).

    i. Assimilation et intégration des aborigènes au sein de la société australienne

    Il s'agit ici de traiter du contexte historique qui a vu naître les premières relations entre colonisateurs et habitants (1.), avant de s'intéresser à la période d'Assimilation des Aborigènes au sein de la société australienne (2.).

    69

    1) Le contexte historique

    70

    « Aborigène » est un terme technique qui signifie « depuis le début ». En réalité, il désigne des peuples comme étant les « premiers peuples » d'une région ou d'un endroit donné. L'Australie n'a pas adopté irrévocablement une définition définitive des « peuples autochtones », que ce soit dans sa législation nationale ou en droit international.

    Une définition a été donnée par la Cour suprême de l'Australie, qui figure dans le Commonwealth

    of Australia and Anor.v State of Tasmania (1983) 46 ALR 625 at 817, et dont les critères figurent

    également dans la définition qui a été donnée par M. Cobo en 1983. On peut y lire ce qui suit : « Par 'Australien aborigène' j'entends (...) une personne d'origine aborigène, même partiellement, qui s'identifie comme telle et qui est reconnue par la communauté aborigène comme faisant partie de cette communauté ». (Deane J.)

    En 1770, lorsque James Cook pris possession de l'Australie au nom de la couronne d'Angleterre, sa mission était de rechercher un nouveau continent à l'ouest de la Nouvelle Zélande. Cette mission fut un succès, et Cook, après avoir rencontré pour la première fois les natifs du pays, ceux qu'il appela les « bons sauvages », planta le drapeau britannique, en signe de prise de possession du territoire, sur la côte orientale de l'Australie et la baptisa Nouvelle Galles du Sud. À l'époque, un racisme fort s'exerçait à l'égard des aborigènes. Tout au long du XIXe siècle, ils furent considérés comme un obstacle à l'expansion britannique, et furent donc violemment chassés de leurs terres.

    La colonisation en Australie n'a pas été pacifique, et les Aborigènes n'en n'ont pas été les victimes passives. Ils ont en effet su développer au fil du temps des formes de résistance et d'opposition politique et culturelle devant l'usurpation de leurs terres.

    La doctrine qui prévalait au XVIIIe siècle, était celle de la terra nullius (terres n'appartenant à personne) qui autorisait les colonisateurs à acquérir un territoire habité dès lors qu'ils jugeaient l'organisation sociale des populations indigènes trop primitive. C'est ainsi que la couronne britannique s'empara de l'Australie, les aborigènes étant considérés comme des peuplades primitives, qui ne possédaient aucun lien avec la terre. Cette doctrine avait donc pour effet immédiat d'affirmer les droits exclusifs de la Couronne devenue, par la prise de possession, l'unique propriétaire foncier en Australie.

    Auparavant, selon la conception du common law, le Droit anglais avait seul vocation à s'appliquer dans les colonies de la Couronne, ces « Terres de peuplement » aux sociétés considérées comme archaïques. L'Australie fut classée dans cette catégorie, et dès lors les droits subjectifs des Aborigènes furent niés, et leurs biens considérés comme des res nullius. Le pays fut donc considéré

    comme une colonie de peuplement dont l'existence était fondée sur un acte unilatéral de prise de possession. Une fois devenue une colonie de peuplement anglaise, l'île resta très fermée et ne connut qu'une faible expansion démographique. Cela peut s'expliquer par une politique d'immigration très restrictive appliquée par la Couronne, qui voulait faire de l'Australie une sorte de nouveau royaume anglo-saxon.

    Du fait des théories de Darwin sur l'évolution de l'espèce humaine, et de la forte influence du mouvement évangélique à la fin du XVIIIe siècle, qui condamnait l'idée du bon sauvage, il fut impossible d'éviter le racisme et ses conséquences socio-culturelles. L'opinion publique en Angleterre voyait en ces êtres des spécimens incapables d'être civilisés et ne s'émouvait guère de leur sort. Ainsi l'on va considérer que l'aborigène est, par essence, incapable d'accéder à la civilisation blanche et protestante, l'infériorité étant inscrite dans sa nature. Le développement de la colonie se fera donc sans l'aborigène qui restera enfermé dans ses traditions ancestrales. Les Aborigènes sont d'ailleurs considéré comme un peuple en voie d'extinction, dont il faudrait assouplir la disparition.

    Plus tard, en 1787, le Parlement britannique décide de faire de ce pays une colonie pénitentiaire : l'Australie devint dès lors une terre d'exportation des bagnards. Le pays a servi de colonie pénale entre 1788 et 1868, recevant plus de 160 000 condamnés, originaires pour l'essentiel des îles Britanniques. Le capitaine Arthur Phillip, réaffirmant la souveraineté britannique, devint le premier gouverneur de la Nouvelle Galles du Sud. Il reçut d'ailleurs comme instructions de lier d'amitié avec les indigènes présents sur le territoire.

    Au début du XIXe, plusieurs tentatives d'approches, menées par le Gouverneur à qui il revenait de gérer les relations avec les Aborigènes, se révélèrent infructueuses. Après les échecs successifs d'Arthur Phillip, le gouverneur Macquarie essaya en 1816 de sédentariser les Aborigènes en leur proposant des parcelles de terre. Ce fut là le début de la politique d'assimilation, censée mener les Aborigènes vers la « civilisation ». Deux protectorats furent mis en place après la production d'un rapport sur la situation des Aborigènes dans les colonies qui reconnaissait la dépossession de leurs terres, et préconisait qu'ils soient protégés et éduqués. L'objectif de ces protectorats était de rassembler les différentes communautés en un lieu paisible pour les protéger du comportement des colons. Cette pratique ségrégationniste va se solder par un échec, et va se révéler être extrêmement préjudiciable pour la préservation de l'identité culturelle des Aborigènes.

    71

    A la fin du XIXe siècle, après avoir chassé les Aborigènes des terres les plus fertiles, le

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    gouvernement commença à créer des réserves où l'on parqua les survivants. Les Aborigènes furent placés sous la tutelle du gouvernement ou des missions religieuses. Une nouvelle politique fut menée à l'égard des Aborigènes de « sang pur », les parquant dans les réserves, tandis que les Métis et les enfants étaient exclus de celles ci. Cette politique visait à faire disparaître avec les Aborigènes de pure souche les souvenirs de la dépossession de leurs terres, de façon à ce que les Métis soient assimilés plus facilement. Cette politique fut qualifiée de « protection » et des fonctionnaires furent nommés « protecteurs » pour régir et contrôler la vie et la localisation de ces tribus autrefois nomades.

    Le 1er janvier 1901, la nouvelle Constitution australienne va prendre effet, et marquer une étape importante de l'Histoire australienne : la Fédération, avec son gouvernement installé provisoirement à Melbourne. Les six colonies, la Nouvelle-Galles du Sud (le premier État, fondé en 1788), la Tasmanie (fondée en 1824 sous le nom de Van Diemen's Land), l'Australie-Occidentale (1829), l'Australie-Méridionale (1836), le Victoria (1851) et le Queensland (1859), décident donc de s'unir pour former une fédération.

    N'ayant pas pris part à l'élaboration de ce processus, les Aborigènes étaient une nouvelle fois exclus, bien qu'ils possédaient le droit de vote dans certains États comme la Nouvelle Galles du Sud, l'Australie-Méridionale, la Tasmanie et le Victoria. Le texte de la Constitution de 1901 excluait les Aborigènes de la fédération, ces derniers n'apparaissant que dans deux brèves références :

    · Le Placitum 26 de la section 51 donnait au Parlement du Commonwealth le pouvoir de légiférer pour les personnes de toutes les races, « à l'exception de la race aborigène, et ce dans tous les États ».

    · La section 127 excluait, elle, les Aborigènes des recensements, ce qui témoignait du statut humiliant qui leur était réservé.

    La nouvelle nation affirme en outre avec force son identité « blanche », et le Parlement fédéral adopte cette même année l'Immigration Restriction Act qui vise à prévenir l'immigration d'une main d'oeuvre bon marché asiatique ou « de couleur ».

    Toutefois, le besoin de main d'oeuvre va faire naître une nouvelle politique d'immigration, ouvrant les frontières aux ressortissants de l'Europe de l'Est, ainsi qu'aux méditerranéens Italiens et Grecs. N'ayant pas pris part à l'élaboration du processus fédéral, les Aborigènes ne sont guère concernés par cette nouvelle organisation politique. Ils ne sont donc pas considérés comme des citoyens de la Fédération des États d'Australie, et subissent la même politique ségrégationniste basée sur des

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    critères racistes.

    Au cours des années qui suivirent, la situation évolua et en 1936 fut pour la première fois posée la question du contrôle fédéral des affaires aborigènes lors de la réunion des Premiers 68 à Adélaïde, qui sera suivie d'une autre conférence l'année suivante. Après s'être interrogé sur l'augmentation croissante de la population Aborigène et sur la place des métis dans la société, le gouvernement en arrive à la conclusion que les Aborigènes de pure souche doivent rester dans les camps, mais les métis doivent être absorbés dans la communauté blanche. Ainsi les autorités semblaient espérer l'extinction des Aborigènes de pure souche, et la décoloration des métis en les mêlant à la population, en général blanche.

    C'est au cours de la 2e Guerre mondiale que la condition aborigène connaît ses premières avancées. Le gouvernement fédéral étend en effet peu à peu ses aides sociales à certains Aborigènes, comme les « non nomades » à partir de 1941, ou les femmes aborigènes en cas de grossesse ou de veuvage à partir de 1942. Les Aborigènes ayant servi pendant la guerre se voient octroyer le droit de vote à partir de 1943, et en 1949 le Commonwealth Electoral Act est amendé afin d'étendre le droit de vote aux élections du Commonwealth à ceux qui ont déjà le droit de vote aux élections locales de leur État. Bien qu'ayant accédé à la citoyenneté australienne depuis 1948, ils restent très largement exclus de la vie politique et continuent d'occuper les positions les plus basses de l'espace social.

    À partir des années 1950, les Australiens ont commencé à repenser leur attitude à l'égard des questions raciales. Un mouvement pour les droits des autochtones fut créé et une campagne contre la politique de l'Australie blanche fut également lancée.

    À la fin des années 1960, va apparaître un mouvement pour la défense de leurs droits fonciers. La doctrine Terra Nullius niant toute appropriation du sol, n'était que la conséquence d'un principe plus général : l'absence de personnalité juridique reconnue aux Aborigènes. C'est pour cette raison que le gouvernement fit le choix de les assimiler au sein de la société dominante.

    2) La période d'assimilation

    C'est dans les années 1950 que les législateurs lancèrent le programme d'« assimilation » qui

    68 Premier désigne le chef de gouvernement d'un État

    74

    devait amener les Aborigènes à « obtenir dans le futur le même mode de vie que les autres australiens ».

    Le gouvernement fédéral était alors confronté à un problème : l'augmentation croissante de la population Aborigène qui pouvait constituer un « péril noir ».

    Selon A. O. Neville, protecteur en chef des Aborigènes en Australie-Occidentale :

    « Les différents États créent des institutions pour le confort de la race aborigène et cette politique a pour conséquence d'augmenter la population aborigène. Quelle sera la limite ? Aurons-nous une population d'un million de noirs dans le Commonwealth, ou allons-nous les mélanger à la communauté blanche et oublier au bout du compte qu'il y a eu des Aborigènes en Australie ? » 69

    Ainsi, en favorisant les mariages avec des européens, on éliminerait progressivement toute population de couleur. L'objectif était de faire des Aborigènes des citoyens « utiles », c'est à dire des citoyens actifs dans le système économique et non dépendants dudit système, en prétendant les élever au même rang que leurs concitoyens blancs. Les autorités semblaient donc compter d'une part sur l'extinction des Aborigènes de pure souche, et de l'autre semblaient espérer une décoloration des métis en les mêlant à la population générale. Cette politique qui envisageait l'octroi des droits de citoyenneté, a également nécessité la suppression de l'identité culturelle 70.

    Les différentes administrations se mirent d'accord sur une certaine uniformité dans leurs législations et exprimèrent leur préférence pour l'emploi du terme « Native » tel que défini dans le Native Administration Act 1905-1936 de l'Australie-Occidentale.

    Selon les directives officielles, les Aborigènes de sang pur devaient être confinés dans des réserves, et privés de la plupart des droits civiques. D'autre part, l'existence d'un nombre important de métis représentait une menace pour l'idéal d'une Australie blanche. Le gouvernement décida donc d'arracher les enfants métis à leurs mères pour les élever dans des orphelinats où ils pourraient être assimilés à la population blanche en rompant les liens avec leur culture d'origine. Les enfants métis étaient enlevés par des fonctionnaires des services sociaux, aidés lorsqu'il le fallait des forces de police. Les conditions de vie dans les camps d'Aborigènes étaient pénibles et carcérales, punitions corporelles et sévices sexuels étant fréquents.

    En réalité, cette politique a conduit à de nombreux abus, et nombre de ces enfants, appelés les « générations volées », se retrouvèrent marginalisés et stigmatisés, et donc incapables d'obtenir une place digne dans la société australienne. Cette formule désigne les victimes des enlèvements

    69 Commonwealth of Australia, Aboriginal Welfare.

    70 The First Australians: A Fair Deal for a Dark Race par SBS TV 2008.

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    arbitraires qui furent commis légalement sur une base raciale à l'encontre de milliers d'enfants issus du métissage. Cette expression est un rappel constant de la politique d'Assimilation de l'Australie aborigène noire par l'Australie blanche et, par conséquent, des inégalités sociales accentuées par ces politiques.

    Pour la grande majorité de ces enfants, les dégâts ont été irrémédiables : impossibilité et incapacité à trouver une place, que ce soit dans la société blanche qui les rejette ou dans la société aborigène qui ne les reconnaît plus puisqu'ils ont été privés des codes sociaux qui régissent les tribus aborigènes. Parfois même s'ajoute une impossibilité de communiquer autrement qu'en anglais, dans la mesure où les enfants enlevés ont été forcés à ne plus utiliser leur dialecte.

    Ces actes sont reconnus par la majorité de la classe politique australienne comme l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire du pays. En 1997, un rapport intitulé « Bringing them home » 71 détaille l'histoire de ces pratiques, publie des témoignages, et suggère qu'environ cent mille enfants appartiennent aux « générations volées ». Le rapport révèle en outre que les enfants aborigènes placés dans des institutions ou familles d'adoption se virent souvent interdits de pratiquer leur langue, l'idée étant de les couper définitivement de leurs racines culturelles aborigènes. D'après ce même rapport, 17 % des filles et 8 % des garçons des « générations volées » furent victimes d'abus sexuels au sein des institutions d'accueil et des familles d'adoption 72.

    Le rapport révèle en outre que les enfants « volés » ont en moyenne, par la suite, connu un taux d'éducation légèrement plus faible que les enfants aborigènes qui n'avaient pas été retirés à leurs parents, un taux de chômage légèrement plus élevé, et un taux d'incarcération pour crimes et délits trois fois plus élevé 73.

    Ainsi, à partir de 1950, chaque État australien disposait d'un arsenal législatif permettant à la police et aux agences gouvernementales d'enlever les enfants métis de la communauté aborigène, et de les confier à des institutions spécialisées.

    L'idée d'une assimilation des Aborigènes est ravivée dans les années cinquante par le Ministre des Territoires Paul Hasluck. Constatant que plus de deux tiers des Aborigènes vivaient en contact direct avec le monde européen, il prône une certaine avancée sociale de l'ensemble de ces individus dans la société australienne :

    « Leur avenir se situe en association avec nous, et ils doivent s'associer à nous sur des normes qui leur donneront une opportunité de vivre dignement et heureux ou ils seront réduits au statut social de parias et de proscrits vivant sans une place stable dans la

    71 « Bringing them Home: The "Stolen Children" report », 1997

    72 « Bringing them Home », « 10 Childrens Experiences » , 1997

    73 « Bringing them Home », « Introduction » , 1997

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    communauté. En d'autres termes, soit nous permettons cette plaie sociale, soit nous y remédions » 74.

    C'est à son initiative que va se tenir la Native Welfare Conference à Canberra les 3 et 4 septembre 1951, au cours de laquelle va être adopté cette nouvelle politique d'assimilation pour tous les Aborigènes.

    « Assimilation signifie en termes pratiques qu'au cour du temps, il est attendu que toutes les personnes de sang aborigène ou de sang-mêlé, en Australie vivront comme des Australiens. L'acceptation de cette politique gouverne tous les autres aspects de l'administration des affaires indigènes (natives) » 75.

    Depuis cette conférence la politique d'assimilation est associée à l'idée d'une avancée sociale et de droits égalitaires pour les Aborigènes. Mais dans la réalité, ces derniers continuent d'être une catégorie à part, et l'essentiel des législations de ségrégation reste en vigueur. L'Australie était à cette période un État raciste pratiquant ouvertement la discrimination envers ses populations indigènes, et le contrôle sur leur vie restait très oppressif.

    Nous allons donc nous intéresser à la reconnaissance progressive des populations indigènes au sein de la société australienne.

    ii. La reconnaissance institutionnelle des aborigènes dans la société australienne : de l'intégration à la réconciliation

    Nous allons ici nous intéresser à l'évolution progressive du traitement accordé aux population indigènes par le gouvernement australien. Pour cela, il s'agit de traiter de la période d'intégration des Aborigènes au sein de la société dominante (1.), avant d'aborder la révolution judiciaire engendrée par l'arrêt Mabo (2.).

    74 « Their future lies in association with us, and they must either associate with us on standards that will give them full opportunity to live worthily and happily or be reduced to the social status of pariahs and outcasts living without a firm place in the community . In other words, we either permit this social evil, or we remedy it » ; HASLUCK, Native Welfare

    75 « Assimilation means in practical terms that in the course of time, it is expected that all persons of aboriginal blood or mixed blood in Australia will live like Australians. The acceptance of this policy governs all other aspects of native affairs administration » HASLUCK, Native Welfare

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    1) La période d'intégration des Aborigènes

    L'idée d'un droit des autochtones à l'autodétermination apparaissait déjà dans les années 1960 accompagnant la revendication de droits de citoyenneté et de droits fonciers.

    À partir de 1962, les politiques autochtones contemporaines laisseront transparaître la volonté d'acquérir une certaine autonomie politique, administrative, socio-économique et culturelle.

    Ces politiques doivent donc être perçues comme la preuve de l'échec de l'assimilation structurelle, et à la fois comme son produit. En effet, la plupart des leaders aborigènes avaient bénéficié d'une éducation de type occidental, leur permettant d'utiliser des concepts, des outils et des arguments politiques directement issus de la tradition politique occidentale 76.

    En 1966, le peuple Gurindji dirigé par Vincent Lingiari organisa une grève contre leurs mauvaises conditions et rémunérations. Ce qui était à l'origine un problème de salaire devint très vite une réclamation pour la récupération des terres traditionnelles.

    La grève Gurindji a été l'un des premiers mouvements pour les droits fonciers autochtones à obtenir un large soutien. Elle fut un tournant important et un symbole essentiel de la lutte pour les droits fonciers autochtones en pleine émergence. Neuf longues années plus tard, la demande Gurindji aboutit : en 1975, le terrain fut remis à la population par le premier ministre Gough Whitlam.

    En 1967, sous le mandat du premier ministre Harold Holt, eu lieu un important référendum en vue d'inclure les Aborigènes dans le recensement national. Il donna lieu a un vote massif approuvant la modification de la Constitution, en supprimant les références discriminatoires et en donnant au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer spécifiquement pour les Australiens autochtones. Le référendum fut approuvé par plus de 90 % de la population. Il ne s'agissait pas de leur donner le droit de vote : ils l'avaient déjà en théorie dans la plupart des États (sauf dans le Queensland et l'Australie-Occidentale), même si ce droit n'était pas toujours effectif car ils participaient rarement aux scrutins.

    La période 1966-1972 ne doit pas pour autant être perçue comme le véritable début d'une politique d'autodétermination. En effet, pour les différents gouvernements libéraux qui se succédèrent, la défense des velléités autochtones ne constituait pas une priorité. Cette période de transition qui a

    76 Paul HASLUCK, Shades of Darkness : Aboriginal Affairs 1925-1963, Melbourne University Press,1998, pp. 139-141

    78

    suivi le référendum de 1967 fut baptisée par certains analystes « période d'intégration ». Ce référendum fut très important pour les communautés aborigènes et obtint l'appui de plus de 90% des électeurs.

    Peu après vont être élus bon nombre d'Aborigènes à des postes importants, comme Neville Bonner qui devint, en 1971, le premier membre indigène du Parlement fédéral, ou encore Ernie Bridge qui fut le premier membre indigène du parlement d'Australie-Occidentale en 1980. La loi issue de ce référendum donna au gouvernement fédéral un pouvoir législatif en matière de questions aborigènes, les États étant dans l'obligation de fournir aux Aborigènes les mêmes services qu'aux autres citoyens. À cette occasion fut créé le « Department of Aboriginal Affairs » (Ministère des Affaires Aborigènes) dont les buts étaient de définir les besoins spécifiques des Aborigènes et de garantir leur application sur le plan législatif.

    Vers la fin des années soixante, la politique de l'Australie blanche commença d'être assouplie. C'est dans cette même période que les aborigènes se mirent à militer pour leurs droits. Avec l'accession de Gough Whitlam au poste de premier ministre en 1972, fut inaugurée une politique de multiculturalisme, ayant pour objectif de permettre aux minorités ethniques de préserver leur patrimoine culturel au sein de la société australienne. Whitlam prit donc les premières mesures pour satisfaire la principale revendication des aborigènes : la récupération de leurs terres ancestrales dont ils avaient été dépossédés pendant la colonisation. Considérant la question aborigène comme « le problème central sur lequel l'Australie sera jugée par le reste du monde », Whitlam va donc accorder une importance nouvelle à la politique d'autodétermination, soutenue par la mise en place d'une bureaucratie aborigène.

    Le 26 janvier 1972, un groupe d'activistes inaugura une « ambassade aborigène » en montant une tente devant le parlement à Canberra. À l'époque leur revendications portaient sur la reconnaissance du droit à la propriété des terres traditionnelles, mais par la suite le discours s'élargit et la « Tent embassy » est devenue le symbole de toutes les causes aborigènes.

    Le problème avec les Aborigènes était, à l'époque, culturel, l'État contrôlant la répartition des aides. C'est alors que ceux ci ont commencé à développer leurs propres programmes de santé, de services juridiques, ou encore d'assistance sociale et sanitaire. Soutenant ce mouvement, le gouvernement va nommer plusieurs Aborigènes à de hauts postes du Department of Aboriginal Affairs, et va également constituer la Commission des Aborigènes et des peuples des îles du Détroit de Torres (ATSIC), organisme chargé de gérer le budget des activités essentielles pour leurs peuples,

    79

    et composé d'Aborigènes élus par leur propre communauté.

    Certains ont fait valoir qu'il s'agissait d'une forme d'autodétermination ou représentait, à tout le moins, une première étape vers l'autodétermination car on accordait aux Aborigènes un statut d'autonomie. Cependant, d'autres ont fait valoir que ce n'était pas suffisant, tout simplement parce que le gouvernement fédéral conservait et parfois exerçait son pouvoir sur les communautés autochtones et sur l'ATSIC.

    En novembre 1975 le gouverneur général, Sir John Kerr destitue Whitlam en profitant d'une crise constitutionnelle inédite due à la montée des oppositions internes et externes, et convoque de nouvelles élections. Le successeur de Whitlam, Malcom Fraser, bien que conservateur, ne revint pas sur les transformations engagées par le précédent gouvernement. Il y a même une certaine continuité dans de nombreux domaines, tels que le multiculturalisme, l'immigration ou encore les affaires aborigènes. Ce mouvement va se poursuivre avec les gouvernements travaillistes de Bob Hawke arrivé au pouvoir en 1953, et de son ministre des Finances Paul Keating qui lui succède en 1991. Hawke sera pourtant contraint par le lobby minier à renoncer à la politique de droits fonciers qu'il avait annoncée pour les Aborigènes.

    À partir de 1976, le gouvernement australien va entreprendre la restitution partielle de terres à de nombreux Aborigènes. Ils sont pour la plupart concentrés dans les régions septentrionales du pays, se rassemblant dans des réserves appelées « communautés », et subissent les fléaux de l'alcool et de l'acculturation. Cette même année, le gouvernement produit l'Aboriginal Land Rights Act (Northern Territory), (Loi sur les Droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord), qui définit les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord, où se situent une bonne partie des communautés autochtones.

    Avec l'arrivée du Parti travailliste au pouvoir en 1983, va se développer l'idée de réconciliation entre Aborigènes et non-Aborigènes. Cette réconciliation pouvait se révéler être un moyen d'accompagner les Aborigènes sur la voie de l'autodétermination au sein de l'État, et requérait donc de la société dominante qu'elle offre aux Aborigènes « un développement socio-économique, des droits fonciers, une garantie de justice, une admission des méfaits de la colonisation et une reconnaissance de leurs peuples comme premiers peuples australiens » 77

    77 Voir les discours de Robert HAWKE, 1984 ; Voir aussi : Department of the Prime Minister & Cabinet - Clyde Holding devant la Chambre des Représentants, 8 décembre 1983

    80

    Il faudra attendre 1992 pour que le débat sur les droits fonciers autochtones soit relancé. C'est au gouvernement Keating qu'il reviendra de répondre au problème du Titre Indigène soulevé par une nouvelle décision juridique qui ébranla l'Australie.

    2) La « révolution judiciaire » avec l'arrêt Mabo

    Parachevant la remise en cause des options assimilationnistes condamnées par le référendum de 1967, la propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue avec le jugement Mabo le 3 juin 1992, et la fiction juridique de terra nullius est finalement rejetée par la Haute Cour. Dès lors, la législation fédérale et les lois des Territoires ont dû être révisées en tenant compte de ce nouveau « droit ancestral ».

    Dans cette décision, la Haute Cour a déclaré qu'une concession consentie par la couronne sur son domaine ne conférait à son bénéficiaire qu'un simple droit d'usage, et n'éteignait pas les droits fonciers traditionnels exercés par les populations indigènes, à condition que celles ci aient gardé suffisamment de liens traditionnels avec la terre en question. La Haute Cour affirmait, pour la première fois, la coexistence de deux types de droits « privés » s'exerçant concurremment sur un même fonds à charge pour leurs divers titulaires de respecter les droits de l'autre 78.

    À l'origine, la Cour devait juger de la validité des revendications d'un groupe d'Insulaires dirigé par Edward Koiki Mabo, qui demandait la reconnaissance de leurs droits territoriaux sur les îles Murray dans le Détroit de Torres, lesquelles avaient été annexées à la Couronne en 1879. Il était allégué que leurs habitants, en dépit de cette annexion, n'avaient pu voir leurs droits éteints, qu'il s'agissait de droit immémoriaux s'exerçant sur ces îles, et qu'ils n'avaient jamais cessé d'avoir, à l'égard de ces îles, la qualité de possesseurs et un usage continu. Ils fondaient leur demande sur trois moyens : le premier étant la reconnaissance par le Droit anglo-australien, du Droit coutumier et, donc de l'existence de titre fonciers traditionnels et enfin, la constatation d'un exercice continu de ces droits. En outre, ces droits n'avaient jamais été éteints par la Couronne britannique ou par la Fédération Australienne qui avait depuis l'indépendance hérité de ce droit de légiférer sur ce domaine 79.

    Dépassant ce cas particulier du Queensland au cas général de l'Australie, la Cour décréta qu'il

    78 La Cour précisait également que que les droits traditionnels cèdent toujours le pas face aux droits détenus en pleine propriété (freehold titles). La Haute Cour a, ainsi, élaboré un compromis fondé sur une discrimination juridique en créant un principe général d'irrecevabilité opposable aux revendications dirigées à l'encontre des droits fonciers « modernes » détenus en pleine propriété.

    79 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1337

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    existait des titres autochtones valables et reconnaissable sur l'ensemble du territoire australien.

    La Cour considéra que la common law « perpétuerait l'injustice si elle continuait à embrasser la notion élargie de terra nullius et si elle persistait à définir les habitants autochtones des colonies australiennes comme des personnes trop basses dans l'échelle de l'organisation sociale pour que leurs droits et leurs intérêts sur la terre soient reconnus » 80.

    La Haute Cour revient ainsi sur le terme de terra nullius adoptant ainsi la même position de principe que la Cour Internationale de Justice, qui avait estimé en 1975 dans son avis consultatif relatif au Sahara occidental que ce terme devait être réservé aux terres véritablement inhabitées 81.

    À l'issue du jugement Mabo, les Aborigènes pouvaient prétendre à la reconnaissance d'un titre autochtone sur toutes les terres domaniales que la Couronne avait laissé libre de droits en ne posant aucun acte de propriété, ainsi que sur les terres restées dans le domaine public, comme les réserves ou les parcs nationaux. Pour obtenir des droits sur leurs terres traditionnelles en vertu d'un titre autochtone, les Aborigènes devaient démontrer qu'ils constituent une « communauté organisée distincte depuis la déclaration de la souveraineté britannique, qu'ils avaient toujours maintenu un lien à leurs terres coutumières, qu'ils continuaient d'utiliser ou d'occuper ces terres, et parce qu'elles justifiaient que des titres autochtones soient octroyés, que les lois et les coutumes traditionnelles avaient été en grande partie conservées » 82.

    Cette décision allait faire jurisprudence et transformer la manière dont l'histoire et l'identité australiennes étaient conçues. Elle fut interprétée comme l'amorce d'une remise en cause des droits fonciers hérités de la colonisation sur l'ensemble du pays. L'Australie reconnaissait la souveraineté initiale des autochtones, l'existence de droits et coutumes sur le continent australien avant 1788, et la loi avait ainsi été alignée sur la nouvelle historiographie. En rejetant ainsi le concept de Terra nullius, la Cour traduisait l'abandon des dernières séquelles du colonialisme en imposant une réinterprétation de l'histoire de ce pays et la définition de nouveaux rapports inter-ethniques.

    Cette décision de la High Court fit l'effet d'une révolution judiciaire tant elle provoqua de bouleversements. Pourtant, les principes formulés dans cet arrêt n'avaient rien de très « révolutionnaires ». En effet, bon nombre de colons avaient déjà fait remarquer que dans les premières années de la colonisation les Aborigènes possédaient la terre selon des lois et des

    80 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008, p. 284

    81 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975

    82 Mabo v. Queensland (No2) (1992) 175 C.L.R. : J.BRENNAN à 58, JJ. DEANE & GAUDRON à 59 et 61 ; JJ. DEANE & GAUDRON à 90, 110 ; J.TOOHEY à 188.

    82

    traditions coutumières. Par ailleurs, le principe de titres autochtones avait déjà été accepté par la plupart des anciennes colonies britanniques. En Nouvelle Zélande par exemple, les droits autochtones des Maoris furent reconnus en 1975 dans la Loi sur le traité de Waitangi, puis confirmés par la Cour d'Appel en 1986. Au Canada c'est l'affaire Calder de 1973 qui va faire admettre l'existence de titres autochtones, et qui sera plus tard confirmée par la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Delgamuukw v. British Columbia en 1997. L'arrêt Mabo s'inscrivait donc dans l'alignement de la jurisprudence internationale.

    En outre, l'arrêt Mabo a exclu la contestation des droits fonciers attribués aux colons, de même que toute tentative d'anéantissement du principe selon lequel l'État fédéral exerce un droit sur ces terres. Pour motiver son refus, la High Court a ainsi affirmé qu'elle n'avait pas à connaître des actes de gouvernement. « Il n'appartient donc pas aux juridictions qui ont nié la validité de la doctrine Terra nullius afin de reconnaître des droits subjectifs à des individus ou à des communautés d'en pousser les conséquences jusqu'à exercer un contrôle sur les actes relevant soit du droit international, soit d'une décision politique tel l'acte par lequel, le 7 février 1788 fut établie la « colonie de Peuplement » à l'origine de l'Australie actuelle 83.

    Telles sont les limites de la jurisprudence Mabo mais elles ne doivent pas en dissimuler l'importance. L'arrêt Mabo ouvre en effet une voie nouvelle avec la reconnaissance officielle au sein de l'Australie, de deux société, deux cultures et deux systèmes juridiques. Il est ainsi apparu comme une consécration de l'action menée par le gouvernement depuis le référendum de 1967 : la High Court a entériné les réformes passées en conférant au pouvoir politique une légitimité à poursuivre son action jusqu'alors paralysée par les États.

    Ce jugement s'inscrivait en essence dans la logique de réconciliation telle qu'elle était comprise par les partisans de l'autodétermination des autochtones au sein de l'État. Il est d'ailleurs fort probable que « la réconciliation ait participé à créer un environnement favorable à la prise de décision de la High Court, parce que le processus garantissait une meilleure compréhension et une meilleure réception de ce type de décision dans la société australienne » 84.

    Le Premier Ministre travailliste Paul Keating tenta d'établir un lien fort entre la décision Mabo et la réconciliation recherchée entre Aborigènes et non-Aborigènes, présentant cette dernière comme une décision juste, motivée par une recherche de justice et de vérité, comme une preuve du courage et de la sagesse de la nation australienne 85. Cette décision s'inscrit donc dans son grand dessein de

    83 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1343

    84 Voir Lisa Strelein, 25 Octobre 2001, Entretien M , (annexe) BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008, p. 289

    85 Department of the Prime Minister & Cabinet - Paul KEATING, 30 août 1994, dans Mark RYAN (ed), 1995.

    83

    faire de l'Australie, libérée de son douloureux passé et de son allégeance à la Couronne britannique, la Grande République fondée sur la réconciliation des communautés qui pourra s'imposer comme un modèle de démocratie pour tous les pays du Sud-Est asiatique 86.

    En 1993, il fit d'ailleurs voter une loi très importante pour les Aborigènes : le Native Title Act (la Loi sur le Titre Autochtone) qui avait pour objectif de « permettre la reconnaissance et la protection du titre autochtone ; établir un processus et des normes pour les opérations futures qui affecteraient les titres autochtones ; établir un mécanisme pour déterminer les revendications de titres autochtones, prévoir la validité d'actes passés, comme l'octroi de titres, qui peuvent être invalides du fait de leur effet sur les titres autochtones » 87.

    Cette loi visait donc à définir les conditions et les procédures de réclamation relatives au titre autochtone. Elle confirmait que certains actes législatifs ou exécutifs purent avoir mis fin au titre autochtone sur certaines terres, et validait rétroactivement tous les titres de propriété clairement définis. En outre, cette loi accordait aux autochtones un droit spécifique : le « droit de négocier » (Right to Negociate), qui contraint les gouvernements et les entrepreneurs privés à consulter les populations Aborigènes en amont de tout projet d'acquisition ou de développement conçu à partir du 1er janvier 1994. Ce droit prévoyait une période de six mois durant laquelle les investisseurs devaient trouver un compromis direct avec les Aborigènes. Si toutefois aucun accord n'était trouvé, le litige était soumis à l'arbitrage du Tribunal National pour les Titres Autochtones (National Native Title Tribunal) spécifiquement créé par la Loi sur le Titre Autochtone.

    En résumé, le Native Title Act comportait quatre éléments principaux :

    · Il établissait un processus de reconnaissance des droits fonciers autochtones dans le système juridique australien;

    · Il assurait la protection future des droits fonciers autochtones, puisque en common law, les droits fonciers autochtones étaient susceptibles d'extinction du fait de l'octroi de droits incompatibles;

    · Il garantissait, pour les gouvernements et les autres intéressés, la sécurité des activités de gestion des terres passées et à venir;

    · Il fournissait un cadre permettant de régler les questions se rapportant aux droits fonciers autochtones.

    En 1996, c'est l'arrêt Wik Peoples, rendu le 23 décembre, qui vient préciser la portée de la jurisprudence Mabo. Dans cet arrêt, la Haute Cour affirmait la coexistence possible de droits de

    86 LAFARGUE Régis, « La Révolution Mabo ou les fondements constitutionnels du nouveau statut des Aborigènes d'Australie », Revue du Droit Public et de la Science Politique, n°5, septembre-octobre 1994, p. 1356

    87 Native Title Act, S.3.

    84

    nature différente sur un même fonds, pourvu que ces droits ne soient pas incompatibles dans leur exercice pratique. La High Court établissait ainsi une hiérarchie de normes au regard de laquelle le freehold title ne peut jamais être mis en danger par le titre indigène et au regard de laquelle le titre indigène n'est qu'un droit subsidiaire ou concurrent par rapport au leasehold title.

    En l'espèce, les populations Wik et Thayorre du nord du Queensland soulevaient une ambiguïté majeure de la Loi sur le Titre Autochtone : le statut du titre autochtone sur les pâturages loués à bail qui constituait une zone d'ombre dans la législation. La question était donc de savoir si l'octroi de baux pastoraux constituait un acte de propriété de la part de la Couronne, et le cas échéant, si les baux pastoraux étaient concernés, ou pas, par des titres « exclusifs ».

    La High Court jugea que les baux pastoraux étaient assimilables à des licences statutaires ; ils donnaient à leurs bénéficiaires des droits exclusifs de pâturage, mais en aucun cas ils ne donnaient de droit exclusif d'occupation des terres.

    Cette décision fit l'effet d'une nouvelle révolution judiciaire, puisque les pâturages loués à bail représentent environ 42% de l'Australie 88. Elle constituait en outre un autre pas important vers la réconciliation nationale, puisqu'elle reconnaissait que les droits et les intérêts des Aborigènes et des non-Aborigènes n'étaient pas mutuellement exclusifs.

    La reconnaissance institutionnelle des Aborigènes a donc été le fruit d'un long processus. Il convient pour terminer notre propos de traiter des enjeux et des limites de cette reconnaissance.

    iii. Enjeux et limites de la reconnaissance

    Nous allons ici nous intéresser à la situation actuelle des communautés autochtones, sur le continent australien (1.), et plus particulièrement dans le Territoire du Nord et sur les îles du Détroit de Torres (2.).

    1) Bilan sur le continent Australien

    Les différentes politiques gouvernementales ont eu un impact considérable sur le développement et la pérennité des cultures aborigènes, qui dépendaient très largement de leurs droits fonciers.

    La question se posait de savoir si « une reconnaissance accrue, une prise en charge politique et une

    88 Wik (1996) 141 ALR 129, J.KIRBY en 260.

    85

    protection légale des droits autochtones iraient plutôt dans le sens d'une séparation au sein de l'État, ou bien d'une intégration, ainsi rendue possible, dans la société multiculturelle » 89.

    Avec l'élection de John Howard en 1996, c'est une révolution « conservatrice » qui se met en place dans de nombreux domaines. Le nouveau gouvernement dénigre le multiculturalisme mis en place par Whitlam et adopte une nouvelle politique d'immigration très restrictive.

    Howard va revenir en outre sur la question aborigène. Il conteste toutefois la légitimité des organisations communautaires, refuse de présenter des excuses aux Aborigènes et aux générations volées au nom de l'État australien, et défend une conception positive de l'histoire australienne, contre une vision de la repentance (ce qu'il appelait la Black Armband History). En réponse à cela, de gigantesques manifestations sont organisées en faveur de la réconciliation avec les Aborigènes en 2000.

    En 2001, à l'issue de la décennie officielle de la réconciliation, les Aborigènes possédaient ou contrôlaient un peu plus de 15% du continent australien. La presque totalité des titres autochtones avait été obtenue et déterminée par la négociation.

    En 2007, aura lieu une nouvelle alternance : dans une volonté de se distinguer clairement de son prédécesseur, le Premier ministre travailliste Kevin Rudd, accepte enfin de présenter des excuses aux peuples aborigènes pour les souffrances qu'ils ont dû subir. Il présentera ses excuses, au nom du Parlement et de la nation australienne, le 13 février 2008, dans un discours « historique » télévisé en direct et projeté sur des écrans géants installés sur des places publiques à travers le pays. Cette présentation d'excuses ne concerne pas uniquement les gestes et faits du passé, mais aussi l'absence de mémoire dont l'Australie a été coupable.

    Deux points essentiels se dégagent de ce discours :

    · s'atteler à réduire la différence en termes d'espérance de vie, de réussite scolaire et d'opportunités économiques 90 ;

    · promouvoir l'égalité des chances et une part égale dans l'avenir du pays.

    Le discours est axé sur un avenir où les Aborigènes pourront prétendre prendre une réelle place dans la société australienne et dans l'univers économique du pays. Pour de nombreux Aborigènes, les excuses formelles du gouvernement vont permettre d'évoluer vers une véritable réconciliation

    89 BERTIN Marie-Claire, Le statut des peuples autochtones en droit international , / Atelier National de Reproduction des Theses / 2008, p. 283

    90 Discours du 13 février 2008, « New Beginning » « Close tue gap between us in life expectancy, educationnal achievement and economic opportunity ».

    86

    entre les peuples. Au delà de l'intensité symbolique du moment, l'annonce de mesures concrètes de la part du nouveau gouvernement pour attaquer certains des déséquilibres sociaux les plus alarmants a fait naître en Australie un réel espoir de changement.

    Ainsi, le 20 mars 2008, le gouvernement, des organismes de santé aborigènes et non aborigènes, le Commissaire pour la justice sociale, l'opposition et de nombreuses organisations nationales signent la Déclaration d'intention pour réduire l'écart entre les populations (« Close the Gap, Statement of Intent ») afin de mettre en oeuvre la politique de réduction des écarts entre Aborigènes et non-Aborigènes.

    Ce plan ambitieux concerne en priorité le domaine de la santé, mais aussi l'éducation ainsi que la question des qualifications professionnelles. Les six objectifs fixés visent la réduction des inégalités sociales et structurelles : augmentation de l'espérance de vie chez les Aborigènes, diminution du taux de mortalité chez les enfants Aborigènes âgés de moins de 5 ans, garantie d'un accès à l'éducation pour les enfants de 4 ans vivant dans des communautés éloignées, augmentation du taux d'alphabétisation, diminution de moitié des différences entre les élèves obtenant le baccalauréat ou un niveau équivalent d'ici à 2020 et, enfin, diminution des différences en termes d'emploi 91.

    Ce projet va donc tenter, en partenariat avec les Aborigènes et le reste de la population australienne, de remédier aux injustices dont ils souffrent afin de leur garantir un avenir meilleur.

    En 2007, le Gouvernement Australien avait refusé d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, prétextant que ce texte ne correspondait pas à la norme souhaitée par l'Australie.

    Revenant sur son opposition afin d'améliorer les relations entre aborigènes et descendants de colons britanniques, l'Australie a adhéré, le 3 avril 2009, à la cette Déclaration. Dans le contexte australien, elle représente un énoncé complet des obligations existantes en matière de droits de l'homme pour les Aborigènes et pour les habitants insulaires du Détroit de Torres. Bien qu'elle ne crée pas de nouveaux droits, elle fournit au gouvernement australien un cadre global d'action. Elle constitue une garantie que les droits des peuples autochtones à l'autodétermination, à la terre et aux territoires, à l'identité culturelle, à l'auto-représentation seront respectées au niveau international.

    « En tant qu'instrument international, la Déclaration fournit un schéma directeur pour les peuples autochtones et les gouvernements partout dans le monde, fondée sur les principes

    91 HAVIEL Gwénaëlle, « Situation des Aborigènes australiens : inégalités sociales et réponses politiques », Informations sociales, 2012/3 n° 171, p. 76

    87

    de l'autodétermination et de la participation, en vue de respecter les droits et les rôles des peuples autochtones au sein de la société. C'est l'instrument qui contient les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones du monde entier » - Mick Gooda, Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres 92.

    Lors d'une séance à l'Assemblée générale en 2010 93, le représentant de l'Australie s'est réjoui que la Nouvelle-Zélande ait suivi la même démarche, et que le Canada ait annoncé des mesures similaires, alors que les États-Unis ont indiqué qu'ils étaient prêts à revoir leur position.

    Le représentant a exprimé l'engagement du Gouvernement australien à travailler avec les peuples autochtones et la volonté des Australiens à obtenir la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones. Il a également précisé que l'Australie était heureuse d'avoir contribué au Mécanisme d'experts des Nations Unies sur les peuples autochtones sur la question des droits de ces peuples à la participation au processus de prise de décisions 94.

    Ce soutien à la Déclaration s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement fédéral, les peuples aborigènes du continent, ceux du Détroit de Torres, et la communauté générale. Cependant, les communautés aborigènes restent plutôt marginalisées en Australie, et font face à de nouvelles menaces.

    Le réchauffement climatique constitue par exemple une véritable menace pour la santé et les cultures des peuples autochtones. Ses effets suscitent donc des inquiétudes importantes, particulièrement pour les peuples des petites nations insulaires et de la région du détroit de Torres, qui sont très touchées par le problème de la montée des eaux. D'autres craintes sont portées sur la perte d'accès aux terres traditionnelles, ou sur les changements dans les modes de migrations des espèces et dans la répartition de la végétation.

    Le rapport de la Commission Australienne des Droits de l'Homme paru en 2009, intitulé Native Title Report 2008, a mis en évidence face aux effets du réchauffement climatique le souci immédiat du « maintien de la vie, de la langue et de la culture traditionnelles » 95. Le rapport a en outre souligné la reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples

    92 «As an international instrument, the Declaration provides a blueprint for Indigenous peoples and governments around the world, based on the principles of self-determination and participation, to respect the rights and roles of Indigenous peoples within society. It is the instrument that contains the minimum standards for the survival, dignity and well-being of Indigenous peoples all over the world» ; Mick Gooda, Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres

    93 Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances, AG/SHC/3982 , 18/10/2010

    94 Voir ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances, AG/SHC/3982 , 18/10/2010

    95 Australian Human Rights Commission. 2009. 2008 Native Title Report. Human Rights and Equal Opportunity Commission. Sydney ; http://humanrights.gov.au/social_justice/nt_report/ntreport08/p124

    autochtones par le gouvernent australien comme un pas important pour répondre aux complexités du réchauffement climatique.

    En outre, les projets d'exploitation du sous-sol, le développement du tourisme et le lancement de grands programmes de développement agro-pastoral menacent gravement l'intégrité des droits des aborigènes sur leurs terres et risquent d'entraîner la disparition de sites sacrés. Le Native Title Act 1993 ouvre la possibilité pour les communautés autochtones de bénéficier de la création de richesses découlant du développement de leurs terres, en particulier par les mines. En 2011, les négociations se sont poursuivies entre communautés autochtones, gouvernements et compagnies minières quant à l'utilisation de terres sujettes au Native Title, en particulier dans le nord du pays.

    D'importantes questions demeurent quant à la capacité à la fois des parties autochtones et non- autochtones à effectivement mettre en oeuvre et gérer de tels services et de telles opportunités économiques sur le long terme.

    Le Pitjantjatjara Land Rights Act 1981 (South Australia) (Loi sur les Droits fonciers des Pitjantjatjara en Australie Méridionale datant de 1981) est le deuxième texte législatif du pays. Il reconnaît aux Aborigènes visés la pleine propriété de 10 % de l'Australie Méridionale. Un autre texte existe : l'Aboriginal Land Trust Act 1966 (South Australia), (Loi sur les terres aborigènes en Australie Méridionale datant de 1966) qui accorde aux Aborigènes un certain contrôle sur leurs terres et qui a permis la création d'autres petites réserves

    Dans le Queensland, moins de 2 % du territoire appartient officiellement aux Aborigènes. Les terres qu'ils peuvent revendiquer en invoquant l'Aboriginal Land Act 1991 (Queensland), (Loi sur les terres aborigènes dans le Queensland datant de 1991) sont celles que les autorités déclarent disponibles par voie de presse.

    En Australie Occidentale, les réserves aborigènes s'étendent sur 13 % du territoire : 1/3 leur appartient au moyen d'un bail de 99 ans ; 2/3 dépendent de l'Aboriginal Affairs Planning Authority, (L'autorité d'organisation des affaires aborigènes) un organisme gouvernemental.

    En Nouvelle-Galles du Sud, l'Aboriginal Land Rights Act 1983 (New South Wales), (Loi sur les Droits fonciers des Aborigènes en Nouvelle-Galles du Sud datant de 1983) a transféré la pleine propriété des réserves à leurs occupants, qui peuvent prétendre à celle d'une petite portion d'autres terres.

    Enfin, en Tasmanie et dans le Victoria, les droits fonciers des Aborigènes sont réduits à leur plus simple expression

    88

    En 2008, selon l'Australian Bureau of Statistics (ABS), 30 % des Aborigènes vivaient en

    89

    Nouvelle-Galles-du-Sud, 28 % dans le Queensland, 13 % en Australie-Occidentale et 12 % dans le Territoire du Nord 96.

    Selon le recensement de 2000 établi par ce même Bureau 97, le Territoire du Nord comptait 202 729 habitants, dont 50 785 autochtones (aussi bien Aborigènes qu'insulaires du détroit de Torres), soit 25,1 % de la population de l'État. Toutefois, en effectif absolu de population aborigène, le Territoire du Nord n'arrive qu'en quatrième position au niveau national, derrière la Nouvelle Galles-du-Sud avec 119 865 autochtones (1,9 % de la population de l'État), le Queensland avec 112 772 (3,1 % de la population) et l'Australie Occidentale avec 58 496 (3,2 % de la population). Il devance le Victoria, qui compte 25 078 autochtones (0,5 % de la population), l'Australie Méridionale avec 23 425 (1,6 % de la population), la Tasmanie avec 15 773 (3,5 % de la population) et le Territoire de la Capitale avec 3 576 (1,2 % de la population). Bien que l'effectif absolu de la population aborigène du Territoire du Nord soit moindre que dans d'autres États, il représente néanmoins en pourcentage de la population totale une plus grosse part dans ce Territoire.

    En 2008, 68 % des Aborigènes vivaient à l'extérieur des grandes villes, soit 44 % dans des « zones régionales » (le bush) et 24 % dans des régions éloignées ou très éloignées. À titre indicatif, les Aborigènes représentaient alors 2,2 % de la population totale australienne avec un total de 410 003 individus. À l'arrivée des premiers colons, en 1788, les estimations de la population aborigène varient, selon les recherches anthropologiques, entre 300 000 et 1 million d'individus. Le chiffre le plus communément accepté se situe aux alentours de 300 000 personnes réparties entre 600 à 700 tribus différentes et parlant 500 langues différentes 98.

    Les Aborigènes demeurent fortement attachés à leurs traditions sociales et religieuses, mais ils sont de plus en plus contraints d'abandonner leurs anciennes activités de subsistance. Il semble que ces communautés autochtones soient amenées à choisir entre la préservation de leur culture traditionnelle et l'amélioration de leur niveau de vie, autrement dit entre le spirituel et le matériel. Imposé par les conséquences de la colonisation, ce choix place les Aborigènes dans une situation difficile.

    Bien qu'ils aient quand même réussi à récupérer une partie de leur terres ancestrales (ils contrôlent désormais près d'un million et demi de kilomètres carrés, soit environ 20% du pays), cela n'a pas résolu tous leurs problèmes. En effet, les régions reculées où vivent bien des communautés offrent

    96 http://www.abs.gov.au/AUSSTATS/abs@.nsf/Latestproducts/4714.0Main%20Features42008? opendocument&tabname=Summary&prodno=4714.0&issue=2008&num=&view=

    97 http://www.abs.gov.au/websitedbs/d3310114.nsf/Home/census , 2001 Census data by Location, QuickStats.

    98 Hamel Gwénaëlle, « Situation des Aborigènes australiens : inégalités sociales et réponses politiques », Informations sociales, 2012/3 n° 171, p. 71

    90

    très peu d'opportunités économiques. En outre, ils forment la communauté la plus défavorisée d'Australie. Ce groupe social à part cumule une multitude de handicaps sociaux depuis plus de deux siècles. Le taux de mortalité infantile parmi ces communautés demeure beaucoup trop élevé (10 à15%), et leur espérance de vie (59 pour les hommes et 65 ans pour les femmes) est de 17 ans inférieure à celle des autres ; il y a proportionnellement moins d'Aborigènes qui poursuivent leur scolarité jusqu'au Bac ; leur taux de chômage est plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale ; ils sont six fois plus souvent victimes d'homicides que les autres Australiens, du fait de la violence qui règne dans leurs communautés, et ont onze fois plus de chances que ces derniers de se retrouver en prison. Le taux d'incarcération des personnes autochtones est en effet beaucoup plus élevé que celui applicable à l'ensemble de la population.

    En Australie, les enfants Aborigènes ont un risque de détention largement supérieur à celui des autres jeunes Australiens, et un nombre important d'Aborigènes meurent en détention. C'est pour répondre à cela que le gouvernement va créer en 1992, par le biais de l'organisme indépendant chargé de surveiller le respect des Droits de l'Homme : The Human Rights and Equal Opportunity Commission, une unité spéciale pour contrôler le racisme et la discrimination envers les Aborigènes. En dépit de cette création, l'incidence des décès de ces personnes demeure toujours élevée.

    Malgré les efforts des gouvernements fédéraux et des États, les Aborigènes des villes, au nombre de 90 000 forment la seule classe nécessiteuse d'Australie. Le problème le plus préoccupant est le chômage et sa conséquence : l'alcoolisme.

    Mais le principal problème des Aborigènes d'Australie n'est pas l'alcool mais l'acculturation. Les générations d'aujourd'hui ont non seulement perdu leur propre culture, pourtant très forte, mais se sont approprié la culture australienne occidentalisée. Les Aborigènes sont donc incompris, perdus et ne trouvent pas facilement leur place au sein de la société Australienne.

    Bill Jonas, le Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres déclarait en 2002 lors d'un séminaire sur le droit à l'autodétermination des peuples autochtones que :

    « En Australie, les politiques et les programmes gouvernementaux à l'endroit des peuples autochtones obéissent à une approche que je qualifierai de « gestion de crise » et qui alimente l'inégalité que subissent les autochtones australiens en accordant les subsides destinés à pallier à leurs problèmes de santé, d'éducation, de logement, de chômage, etc.

    Malgré des budgets énormes, cette approche ne fait rien d'autre que gérer l'inégalité que nous vivons en tant que peuples. Ce qu'il convient de faire, c'est d'adopter une approche fondée sur le partenariat et le respect mutuel et qui vise à faciliter la participation des

    91

    autochtones sur un pied d'égalité, ou à permettre aux peuples autochtones, pour reprendre l'expression de Mme Daes de « bien vivre ».

    Nous n'avons besoin de rien de moins que de la reconnaissance de notre droit à l'autodétermination pour commencer à remédier à la situation » 99.

    Voyons maintenant le résultat des politiques gouvernementales sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres

    2) Bilan sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres

    Le Territoire du Nord possède la plus grande densité d'Aborigènes et 22 % de la population aborigène totale, plus ou moins sédentarisées.

    Aujourd'hui, près de la moitié du Territoire du Nord a fait ou fait l'objet d'une revendication de ses propriétaires traditionnels. Les Aborigènes doivent prouver que la loi aborigène leur donne la responsabilité des sites sacrés sur ces terres. Lorsque leur droit a été reconnu, les Aborigènes peuvent négocier avec les compagnies minières et accepter ou non l'exploitation.

    Auparavant, le Territoire du Nord faisait partie de l'État d'Australie méridionale. Pendant longtemps, le Territoire du Nord a exprimé le voeu de devenir un État à part entière. Un référendum sur cette question a eu lieu en octobre 1998, après un processus au cours duquel un comité de la

    législature du Territoire du Nord avait étudié les diverses options possibles pour devenir un État et rédigé un projet de Constitution, prévoyant un certain nombre de dispositions cruciales pour les peuples autochtones du Territoire, qui sera rejeté par le gouvernement de l'époque. Lors du référendum, 52 % des citoyens du Territoire ont voté non à l'accession au statut d'État et ont rejeté la proposition gouvernementale de remplacer leur Constitution. Les Nations aborigènes se sont à nouveau réunies en décembre 1998 afin de définir des critères pour encadrer l'élaboration d'une Constitution. Les résultats de leurs différentes rencontres ont pris le nom de Stratégie constitutionnelle pour le Territoire du Nord 100.

    Il s'agit d'un élément important, dans le contexte de l'Australie, car les autochtones du Territoire du Nord constituent 28,5 % de la population. Rappelons que le Territoire du Nord possède un régime de droits fonciers qui a permis aux autochtones de devenir propriétaires de 80 % de la côte et de plus de 50 % du territoire, et que c'est un endroit où le droit, les langues et les cultures

    99 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 37

    100 Indigenous Constitutionnal Convention Secretariat, Indigenous Constitutionnal Strategy Northern Territory, Northern Land Council and Central Land Council, Casuarina and Alice Springs, 1998

    92

    autochtones sont bien préservés et largement pratiqués 101.

    Vu les ressources et les terres dont disposent les autochtones, ainsi que leur poids démographique, le Territoire du Nord semble être l'endroit où le désir de sécession ou de rupture avec les structures gouvernementales australiennes pourrait le plus se justifier.

    D'autres développements vont progressivement prendre place, en particulier dans le domaine de la gestion interculturelles des terres, et la reconnaissance des domaines maritimes aborigènes. C'est pour cela qu'a été créé le programme de Zone Protégée autochtone, affirmant les droits des autochtones à la gestion de la terre et de la mer. Il s'agit d'une « portion de terre ou de mer que les Aborigènes déclarent volontairement et gèrent pour la conservation de la biodiversité et des valeurs culturelles dans les catégories UICN. » 102 (Union internationale pour la conservation de la nature). Ce système fournit un lien important entre les diverses priorités culturelles, sociales et économiques des Australiens autochtones et les buts de biodiversité du gouvernement australien. À ce jour, on compte en Australie 33 ZPA et 40 projets consultatifs en cours 103.

    L'arrêt Blue Mud Bay de la Haute Cour de Canberra du 31 juillet 2008 est venu renforcer la protection et la gestion autochtone des zones côtières isolées en Australie. La Cour a ainsi décidé qu'il était illégal d'autoriser la délivrance de certificats de pêche dans les eaux qui se trouvent dans les limites du territoire couvert par l'Aboriginal Land Rights Act. Bien que la décision du tribunal porte sur la baie de Blue Mud, à environ 550 km à l'est de Darwin, elle aura une incidence sur 80% des côtes du Territoire du Nord.

    Dans le cadre de l'Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1976 (ALRA), la propriété aborigène ne s'étend que jusqu'à la ligne de marée haute. Cette décision a donc accordé aux propriétaires traditionnels les droits fonciers autochtones, jugeant que l'ALRA s'applique également à la zone intertidale (estran). Cela signifie que les licences de pêche délivrées par le gouvernement du Territoire du Nord sont illégales. Il n'y a que le Conseil foncier autochtone qui a le droit d'accorder ces licences. Par conséquent, les licences de pêche devront être négociées avec les communautés autochtones sur une zone intertidale qui couvre 80% de la cote du Territoire duNord.

    De plus, cela signifie que les pêcheurs commerciaux ne peuvent pas entrer sans autorisation dans des terres autochtones, ce qui signifie qu'ils ne peuvent pas pêcher là non plus. Cette décision confère donc d'importants droits de propriété et de gestion au peuple autochtone de terre d'Arnhem et génère également un potentiel pour le développement d'opportunités économiques. L'affaire Blue

    101 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 34

    102 KAJLICH Anton , JULL Peter « Australie » http://sogip.ehess.fr/IMG/pdf/monde_autochtone_2011_australie_gitpa.pdf ;

    103 EPA 2010. About Indigenous Protected Areas. Retrieved Jan 29, 2010, from http://www.environment.gov.au/indigenous/ipa/background.html

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    Mud Bay est l'une des plus importantes pour les propriétaires fonciers autochtones depuis la décision Mabo.

    Le gouvernement du Territoire du Nord, le Northern Land Council et les intérêts économiques liés à la pêche commerciale et de loisir, principales parties prenantes de la décision, se sont mis d'accord en 2011 pour étendre jusqu'à la mi 2012 le moratoire pendant qu'un accord de plus long terme est négocié 104.

    Le Détroit de Torres :

    S'étendant de la pointe du cap York à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et composée de plus de 270 iles, le Détroit de Torres est perçu comme un coin de Mélanésie sous juridiction australienne. Les Insulaires du détroit de Torres forment la majorité de la population avec leur culture unique et leur histoire propre, distinctes de celles des Aborigènes d'Australie. Ils militent pour une forme d'autonomie régionale et la reconnaissance de leurs droits sur la mer depuis des décennies. Malgré le fait que la Droite comme la Gauche soient généralement attentives aux aspirations des Insulaires, dans les dernières décennies la question de l'autonomie est restée bloquée.

    La population totale actuelle des deux communautés métropolitaines dans le Détroit de Torres et des 14 communautés des îles au large se monte à 8.000 habitants dont environ 6.000 sont des Insulaires du Détroit de Torres et des Aborigènes. Quelque 21.000 Insulaires du Détroit de Torres vivent dans une autre région, essentiellement sur la côte du nord du Queensland, particulièrement à Townsville et à Cairns. Une quinzaine de communautés de 30 à 400 personnes chacune vivent toujours dans les îles. «Thursday Island» a encore plus de 2 000 habitants.

    Les Insulaires du Détroit de Torres du Détroit de Torres et de la métropole ont une voix distincte dans les affaires nationales. Avec la création en 1990 de la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres (ATSIC), ils ont obtenu une reconnaissance officielle. L'ATSIC comporte un Bureau des Affaires des Insulaires du Détroit de Torres dans le cadre de son siège à Canberra et un Conseil des Insulaires du Détroit de Torres avec des membres de chaque État et Territoire 105.

    En outre, l'Autorité Régionale du Détroit de Torres (TSRA) a été créée pour représenter les intérêts des Insulaires du Détroit de Torres dans le Détroit de Torres. Elle reconnaît que la réconciliation entre les indigènes et les non-indigènes d'Australie est fondamentale quant à la condition des

    104 KAJLICH Anton , JULL Peter , MOORES Gareth « Australie » ; IWGIA, The Indigenous World 2012

    105 Voir http://terrescontees.free.fr/evenements/aborigenes.htm

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    Insulaires du Détroit de Torres et des Aborigènes en Australie et quant à l'essor de la nation.

    Depuis plus de vingt ans, les Insulaires du détroit de Torres cherchent à accéder à une autonomie régionale par la mise en place d'un gouvernement régional qui représente les intérêts des autochtones comme des non autochtones.

    Lors d'un discours prononcé à la Conférence de réconciliation australienne sur la gouvernance autochtone du 3 avril 2002, le Président de l'Autorité régionale du détroit de Torres, M. Terry Waia a déclaré :

    « Ce à quoi aspirent depuis longtemps les Insulaires du détroit de Torres, c'est une région autonome... L'une des raisons pour lesquelles nous tenons à acquérir une plus grande autonomie, c'est parce que nous voulons être habilités à nous occuper de nos propres affaires. Une autre raison, c'est que nous savons que celui qui est sur le terrain est en meilleure position pour identifier les besoins. Il est arrivé par le passé, et cela se passe encore aujourd'hui, que certaines décisions prises à Canberra ou à Brisbane fassent abstraction de nos besoins et de notre culture. La bonne gouvernance implique que les décisions soient prises par les gens qu'il faut à l'échelon qu'il faut, au bon endroit et au bon moment » 106.

    Cette démarche est largement soutenue par le gouvernement fédéral australien, bien que les choses progressent encore lentement.

    La question de l'autonomie politique des îles du détroit de Torres a été soulevée et mise en avant par le premier ministre du Queensland, Anna Bligh, en octobre 2011 au moment où il fut révélé que le Premier Ministre du gouvernement fédéral prêtait attention aux appels des insulaires à un « territoire autogouverné » au sein de la fédération australienne. Alors que cette mise en avant de l'autonomie par le premier ministre du Queensland a suscité beaucoup d'enthousiasme à l'idée d'un changement progressif dans cette région, le Premier Ministre fédéral a pris beaucoup de précautions et n'a que timidement accepté de continuer à se pencher sur la question.

    Une évolution significative eu lieu en 2011 avec les consultations menées par le gouvernement national sur la possible reconnaissance des Aborigènes et des Insulaires du Détroit de Torres, ainsi que sur d'éventuels changements au sein de la Constitution australienne. Le nouveau Groupe

    106 WAIA, T. , Greater autonomy and improved governance in the Torres Straits Islands Region

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    d'experts sur la reconnaissance constitutionnelle des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres a pour ambition de lancer un débat national sur la réforme constitutionnelle.

    Une autre entité a été formée en 2011, le Congrès national des Premiers Peuples de l'Australie. Il s'agit d'un organe de pointe pour les peuples autochtones créé indépendamment du gouvernement. Le rôle le plus important pour le congrès sera de plaider pour la reconnaissance des droits des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres. Ces évolutions laissent espérer des changements constitutionnels progressifs ainsi que des possibilités d'amélioration de l'engagement des peuples autochtones dans l'élaboration des politiques autochtones.

    En 2007, la voie vers la reconnaissance et la réconciliation a de nouveau subi un dur revers à la suite de la mise en place par le gouvernement Howard de « mesures d'urgence », à caractère nettement coercitif et interventionniste, dans les communautés aborigènes du Territoire du Nord. Le gouvernement fédéral a utilisé le prétexte d'un rapport de recherche (Little Children are sacred) déposé en juin 2007 (Northern Territory Government), lequel expose les problèmes sociaux que rencontrent les communautés du Territoire du Nord, pour mettre en place ces mesures. Leur mise en place a d'ailleurs nécessité la suspension du Racial Discrimination Act (1975). Le gouvernement travailliste de Kevin Rudd, élu en 2007, a maintenu ces mesures.

    Le rapport d'évaluation du gouvernement sur l'intervention, publié en octobre 2011, Closing the gap in the Northern Territory Monitoring Report (January-June 2011), relève un déclin mesurable dans les inscriptions scolaires, une hausse du nombre d'allocataires sociaux, une hausse des cas rapportés d'abus contre les enfants et de violences faites aux femmes, ainsi qu'une hausse dans le nombre confirmé de tentatives de suicide ou d'automutilation dans les communautés visées par la Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord. En outre, comme l'a souligné le Rapporteur Spécial des Nations Unies James Anaya dans son rapport de 2010, ces mesures ont pour effet de saper l'autodétermination aborigène, de limiter leur contrôle de leurs propriétés, d'inhiber l'intégrité culturelle et de restreindre l'autonomie individuelle 107.

    À la suite de critiques généralisées contre ces mesures, le gouvernement fédéral a annoncé en 2011 qu'il remplacerait la Réponse d'Urgence dans le Territoire du Nord en 2012 par l'ensemble de mesures spéciales réunies sous le nom de « des futurs plus solides » (stronger futures).

    107 ANAYA James, « Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme et des libertés fondamentales des peuples autochtones », A 2010 /HRC/15/37/Add.4

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    Depuis une trentaine d'années, la question autochtone tend à émerger sur la scène internationale, avec pour but de créer un régime international effectif capable de régir les peuples autochtones dans toute leur diversité. Après avoir analysé le passage d'une conception interne de l'autochtonie à la conception internationale, il s'agit de traiter de l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes par les peuples autochtones. Ces derniers ont en effet demandé réparation de leur situation, en se mobilisant sur les plans internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes.

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    II - L'exercice par les peuples autochtones du droit à l'autodétermination

    Pilier du droit international contemporain, le droit à l'autodétermination est en vigueur depuis 1945, année de la signature Charte des Nations Unies. Il a été renforcé en 1960, lors de l'adoption de la Résolution 1514 sur la décolonisation et, par la suite, lors de la rédaction des Pactes relatifs aux Droits de l'Homme. Dans le cadre de la décolonisation, bon nombre de peuples ont exercé ce droit afin d'acquérir leur indépendance, et la structure politique mondiale s'en est trouvé profondément modifiée.

    Le Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités Aureliu Cristescu affirmait que :

    « En tant qu'un des droits fondamentaux de l'homme, la reconnaissance du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est liée à la reconnaissance de la dignité humaine des peuples, car il existe un rapport entre le principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et le respect des droits fondamentaux de l'homme et de la justice. Le principe de l'autodétermination est le corollaire naturel du principe de la liberté individuelle et la sujétion des peuples à une domination étrangère constitue un déni des droits fondamentaux de l'homme » 108.

    Les violences exercées contre les populations autochtones, en particulier dans le contexte des conflits liés aux droits à la terre, sont les séquelles persistantes de plusieurs siècles d'assujettissement. Aujourd'hui les communautés autochtones revendiquent la restitution de leurs terres, le respect de leurs cultures ainsi que la reconnaissance de leur droit à l'autodétermination. En effet, juridiquement, les peuples autochtones n'ont pas bénéficié du processus de décolonisation tel qu'il est inscrit dans le cadre du droit international.

    En vertu de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l'Assemblée générale en septembre 2007, les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination et les droits sur leurs terres et ressources. Ce n'est pas le cas des minorités ethniques, religieuses et

    108 Cf. § 221 de l'étude intitulée Le droit à l'audodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations Unies, élaborée par Aureliu Cristescu, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, 1981.

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    linguistiques, dont le droit de jouir de leur propre culture, de professer et pratiquer leur propre religion ou d'employer leur propre langue est consacré à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. À ce propos, les pratiques des États varient selon les pays. Certains nient même le statut de minorités à des entités qui constituent des peuples au sein de leur nation.

    Nous allons donc traiter de l'élaboration de ce droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en analysant ses contours (A), puis nous aborderons ensuite la réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones (B). Enfin, nous reviendrons sur l'exemple Australien, en analysant la mise en place de la politique d'autodétermination des aborigènes (C).

    A) Les contours du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones

    Si l'indépendance et la naissance de nouveaux États a semblé être l'exercice normal du droit à l'Autodétermination pour les peuples sous domination coloniale ou occupation étrangère, dans le cas des peuples non soumis à la domination coloniale ou l'occupation, cet exercice doit se faire normalement dans le cadre des États, à condition que les conditions politico-juridiques nécessaires existent ou puissent être créées.

    Nous verrons dans cette sous partie les différentes formes sous lesquelles se présente l'exercice de ce droit (i.). Nous verrons ensuite les raisons pour lesquelles ce droit est généralement assimilé à la notion de décolonisation (ii.). Enfin nous nous intéresserons à la portée juridique interne du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes (iii.).

    i. Les différentes formes de l'exercice du droit à l'autodétermination

    Ce principe de « libre option des peuples » est la clé du programme du président des États-Unis Woodrow Wilson à la fin de la Première Guerre mondiale. Bien que la notion ne soit pas explicitement mentionnée dans son célèbre discours, plusieurs points sont clairement sous-tendus par le principe du droit à l'autodétermination, avec pour aspect essentiel le droit des peuples, à l'intérieur de l'État, de se gouverner eux mêmes. Son inscription parmi les buts de guerre américains a conduit à sa transformation en règle de droit international à travers les traités de paix, qui ont établi de nouvelles frontières étatiques dessinées autour de territoires réputés homogènes.

    99

    Dans ce cadre, l'autodétermination apparaît comme la composante politique principale du droit des peuples 109.

    Au moment de la création de l'ONU, l'autodétermination des peuples était conçue comme une aspiration de la communauté internationale. L'autodétermination relève du statut même de peuple, et du pouvoir qu'il a de décider quelles sont les responsabilités dont il a besoin pour gouverner. Le droit à l'autodétermination peut être défini par son essence, qui est le droit de choisir. L'ONU va donc considérer que de ce droit découle le droit de fixer librement son statut politique. Il est donc possible de faire une distinction théorique entre « l'autodétermination « externe », qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère lui-même du joug de « l'étranger », et de l'autre, l'autodétermination « interne », qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif, et à la nature profonde du régime choisi.

    Le droit à l'autodétermination a été réaffirmé dans l'Acte final d'Helsinki de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe de 1975 qui énonce que « les États participants respectent l'égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes en agissant à tout moment conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies et aux normes pertinentes du droit international, y compris celles qui ont trait à l'intégrité territoriale des États ».

    Dans l'Acte final de la conférence la distinction autodétermination « interne », et « externe » a été également reprise :

    « En vertu du principe de l'égalité de droit des peuples et leur droit à disposer d'eux mêmes, tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique, social et culturel ».

    Nous allons donc traiter de la dimension interne et externe du droit à l'Autodétermination (1.), avant d'aborder de manière spécifique l'exercice de ce droit par les peuples autochtones (2.).

    1) L'autodétermination externe et interne

    La Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux du 14 décembre 1960 va consacrer le droit à l'autodétermination externe, en rendant contraire à la Charte des Nations Unies toute domination et/ou exploitation étrangère d'un peuple. Bien que dénuée de valeur

    109 FÉRON Élise , « Autodétermination », Encyclopoedia Universalis [en ligne], consulté le 15 janvier 2012

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    obligatoire, cette Déclaration réaffirma avec vigueur le droit à l'autodétermination en refusant tout retard dans l'accession ou l'octroi de l'indépendance, sous quelque prétexte que ce soit

    À l'époque, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes se rattachait aux idées de liberté, de justice, d'égalité et vise à redresser des torts, à défendre les faibles et à bâtir un monde meilleur. Mais ce principe peut s'avérer contradictoire, comme le démontre l'opposition entre le caractère révolutionnaire lorsqu'il soutient la sécession, ce qui met en présence l'État et une partie de sa population, et le caractère conservateur lorsqu'il protège les États, mettant ici en présence deux États. Il n'existe pas de droit de sécession unilatérale pour les communautés infra-étatiques, sauf dans certains cas particulièrement graves et irrémédiables de violation des droits de l'Homme. Faute d'être autorisée, une sécession est néanmoins possible si elle réussit à s'imposer.

    Le droit à l'autodétermination externe peut s'exercer de plusieurs manières. Selon la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en 1970 :

    « La création d'un État souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec un État indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même ».

    Il convient de constater que les États constitués en fédération ou en confédération offrent plus de possibilités aux peuples qui les composent d'exercer leur droit à l'autodétermination. Nous reviendrons plus tard sur ce point

    Le droit à l'autodétermination interne sera lui consacré par une résolution de l'Assemblée générale du 14 décembre 1960, même jour que la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance, qui énonce :

    « Tous les peuples ont le droit de libre détermination ; en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique ».

    Cependant, la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies dispose que c'est « chaque État (qui) a le droit de choisir et développer librement son système politique, social, économique et culturel ».

    101

    Un compromis sera trouvé dans la Charte des droits et devoirs économiques des États du 12 décembre 1974 :

    « Chaque État a le droit souverain et inaliénable de choisir son système politique, social, et culturel, conformément à la volonté de son peuple, sans ingérence, pression ou menace extérieure d'aucune sorte ».

    La Déclaration d'Alger de 1976 viendra préciser dans son article 5 que tout peuple « détermine son statut politique en toute liberté, sans aucune ingérence étrangère extérieure ». Le droit à l'autodétermination interne c'est donc, au sens de cette déclaration, le droit pour chaque peuple « à un régime démocratique représentant l'ensemble des citoyens... capable d'assurer le respect effectif des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour tous ».

    Ainsi, dans la Charte des Nations Unies et dans les déclarations adoptées dans les années 1960 et 1970, le droit à l'autodétermination a été consacré pour donner une base juridique à l'autodétermination des peuples colonisés. L'exercice de ce droit a donc une dimension externe/internationale, puisqu'il s'agit de permettre la décolonisation et l'indépendance des peuples colonisés.

    En vertu des deux Pactes internationaux relatifs aux droits humains de 1966 et de la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États et conformément à la Charte des Nations Unies, les États ont des obligations à la fois négatives et positives.

    Premièrement, tout État a le devoir de respecter le droit à l'autodétermination en conformité avec la Charte des Nations Unies. Deuxièmement, tout État a le devoir de favoriser la réalisation du droit des peuples à l'autodétermination et d'aider l'ONU à s'acquitter de ses responsabilités dans l'application de ce principe, afin de :

    · Favoriser les relations amicales et la coopération entre les États ;

    · Mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés 110.

    Les événements consécutifs au démembrement de l'U.R.S.S. et de la Fédération yougoslave ont néanmoins mis en évidence la difficulté d'application du principe d'autodétermination lorsque de nombreuses minorités se partagent un même territoire. Le débat suscité par la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo à partir de 2008 révèle la vigueur des controverses que suscite encore le

    110 Cf. résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale de l'ONU, adoptée le 24 octobre 1970.

    102

    droit à l'autodétermination.

    Le Kosovo était une région autonome de la République populaire de Serbie, comprise jusqu'en 1989 dans le cadre de la République fédérale de Yougoslavie. Avec l'indépendance du Monténégro, la RFY a pris le nom de Serbie, et considère le Kosovo comme une des ses provinces. En février 2008, cet État a proclamé unilatéralement son indépendance, avec l'appui de certaines grandes puissances. Dans son arrêt rendu le 22 juillet 2010, la Cour internationale de Justice a conclu que la déclaration d'indépendance du Kosovo du 17 février 2008 n'a pas violé le droit international 111.

    Tous ces instruments stipulent que « tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes », mais il n'a jamais été spécifiquement fait mention des peuples autochtones.

    2) L'autodétermination des peuples autochtones

    Les bénéficiaires du droit à l'autodétermination sont les peuples. L'État est l'instrument de l'exercice de ce droit entre les mains du (ou des) peuple(s) qui le compose(nt). Lorsqu'il est utilisé pour désigner un groupe titulaire de droits collectifs lui permettant d'assurer sa pérennité, le terme « peuple » comprend l'idée d'un droit, pour ce groupe, à sa libre disposition (autodétermination). Aujourd'hui, dans le cas des peuples autochtones, certains États ont pris le parti de contester que ce droit accorde le statut de peuple à ceux qui se réclament de l'appartenance à un peuple.

    Les peuples autochtones revendiquent aujourd'hui leur droit à l'autodétermination dans un monde qui est devenu extrêmement interdépendant. Dans ce contexte, la majorité d'entre eux désirent aujourd'hui une forme de libre association avec les États dans lesquels ils se trouvent sous l'arbitrage du droit international. Certains États ont d'ailleurs profité de cette volonté sincère des peuples autochtones de négocier un partenariat pour exiger un rétrécissement formel de leur droit à l'Autodétermination. Le gouvernement américain, par exemple, défendait une position se disant disposé à accepter les termes « peuples » et « autodétermination » dans le Projet de Déclaration sur les peuples autochtones à condition que le premier n'implique en aucune façon l'exercice du droit à l'autodétermination, et que l'on formule le second de manière à préciser qu'il s'agit d'une autonomie ou d'une auto-administration à l'intérieur de l'État-nation existant 112.

    111 Cour internationale de Justice, Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance relative au Kosovo, avis consultatif du 22 juillet 2010

    112 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p.20

    103

    Cette position représente une menace pour les peuples autochtones. En effet, puisque aucun instrument juridique international ne définit les termes « autodétermination interne »,

    « autonomie », « autonomie gouvernementale » ou « auto-administration », ils sont donc sujets à l'interprétation que les États leur donnent.

    Dans son rapport sur la situation des peuples autochtones, Martinez Cobo distingue six types de politiques suivies par les États vis-à-vis des autochtones. Tout d'abord :

    « la ségrégation , reposant en général sur la croyance en une hiérarchie des cultures, elle revêt souvent la forme inadmissible de l'apartheid et des réserves-ghettos. L'assimilation repose également sur l'idée de hiérarchie : l'autre est accepté... à condition qu'il abandonne ses spécificités en faveur de la société dominante. L'intégration représenterait une voie moyenne : elle n'implique que la suppression des spécificités qui, dans chaque culture contiennent des obstacles à l'unité de l'ensemble. Elle repose sur repose sur l'élimination des clivages purement ethniques, l'égalité juridique de tous les citoyens, à chaque groupe qu'ils appartiennent. Mais on peut observer que, dans la pratique, l'intégration est soumise à des rapports de force (les cultures en présence sont rarement sur un pied d'égalité in concreto), et a donc tendance à se muer en forme plus progressive d'assimilation. La fusion, " processus en vertu duquel deux cultures au moins s'associent pour en produire une autre qui diffère de façon marquée de chacune d'entre elles ainsi que de nouveaux éléments produits par le contact... " [...] Le pluralisme, quant à lui, "... vise à unir différents groupes ethniques dans un rapport d'interdépendance, de respect mutuel et d'égalité, tout en leur permettant de maintenir et de développer leur mode de vie propre. Il peut comporter une séparation physique, mais le plus souvent ce n'est pas le cas. Toute séparation existante est choisie volontairement : elle n'est pas imposée" [...] Enfin l'autonomie, corollaire fréquent de l'orientation précédente. Elle ne se confond pas avec la sécession, mais peut s'identifier à une autogestion interne des groupes autochtones. La plupart d'entre eux insistent sur le caractère déterminant des facteurs culturels dans le développement économique ; la nécessité de la reconnaissance juridique du caractère collectif de la propriété des terres ; la mise en oeuvre d'une autonomie politique » 113.

    Jusqu'à récemment, le seul instrument international offrant une protection spécifique aux droits des peuples autochtones était la Convention n°169 de l'OIT, dont les articles 13 à 17, en particulier, consacrent les droits des peuples autochtones à leurs terres et à leurs territoires et leur droit de

    113 Voir Rouland Norbert, Pierré-Caps Stéphane, Poumarède Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 399-400 ; Chap IX « Politique fondamentale », Doc. E/CN.4/Sub.2/1983/21/Add.1, p. 4-10 ; §22, p. 6 ; §28 p. 8 ; §29 p. 9

    104

    participer à l'utilisation, à la gestion et à la conservation de leurs ressources. Ils consacrent également les droits des peuples autochtones à la consultation avant toute utilisation des ressources situées sur leurs terres et l'interdiction de les déplacer de leurs terres et territoires.

    L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l'Assemblée générale en septembre 2007, permet d'aller plus loin que la Convention de l'OIT. La Déclaration commence par reconnaître que les peuples autochtones ont le droit de jouir pleinement, soit collectivement soit individuellement, de tous les droits humains et de toutes les libertés fondamentales reconnus dans les instruments relatifs aux Droits de l'Homme. Puis elle reconnaît le droit des peuples autochtones à l'autodétermination et leurs droits sur leurs terres et ressources.

    De par leur droit fondamental à l'autodétermination, les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles, le droit d'être autonomes et d'administrer eux-mêmes leurs affaires intérieures et locales, le droit d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone, le droit d'acquérir une citoyenneté autochtone qui ne remette pas en cause leur citoyenneté nationale et le droit de participer pleinement à l'élaboration des mesures légales ou administratives susceptibles de les concerner. Ils ont le droit de posséder, de gérer et d'utiliser leurs terres et territoires, le droit de négocier ou de refuser tout projet d'exploitation de leurs terres, le droit d'obtenir la restitution des terres et des ressources qu'ils possédaient, occupaient ou exploitaient traditionnellement, ou à défaut, lorsque la restitution de leurs terres traditionnelles se révèle impossible, le droit d'être indemnisés de manière juste. Ils ont le droit de contrôler, développer et protéger leurs cultures, leurs traditions, leurs savoirs et leurs arts, le droit de conserver leurs lois et leurs pratiques juridiques à condition que ces dernières soient conformes avec les Droits de l'Homme, le droit de pratiquer librement leurs rites religieux, le droit de maintenir leur économie traditionnelle, le droit d'utiliser et de revivifier leurs langues, et le droit de recevoir une éducation dispensée dans leurs propres langues, conformément à leurs méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage. Ils ont également le droit de bénéficier de mesures spéciales du fait de leurs désavantages socio-économiques, le droit de définir leurs priorités et leurs stratégies de développement, le droit d'élaborer les programmes économiques et sociaux qui les concernent, et autant que possible, le droit de les administrer au moyen de leurs propres institutions. Enfin, ils ont le droit de s'identifier librement en tant qu'autochtones et le droit d'être pleinement protégés contre toute forme de discrimination ou de génocide 114.

    La réalisation du droit à l'Autodétermination consiste à engager un dialogue soutenu avec la

    114 Ibid, p. 95

    105

    population dominante, et à poursuivre les campagnes de sensibilisation auprès des organes gouvernementaux. Potentiellement, le droit à l'autodétermination des peuples autochtones et celui des États dans lesquels ils vivent pourraient entrer en conflit, surtout s'il n'y a pas de concertation sur les intérêts divergents des divers acteurs mentionnés, ni le respect des droits humains fondamentaux et des principes démocratiques. Il s'agit également de renforcer la solidarité entre les peuples autochtones du monde entier, et ce grâce à une participation active au sein des Nations Unies.

    Selon Rodolfo Stavenhagen, Rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour les peuples autochtones, il existe divers niveaux d'approche et d'analyse de la question du droit à l'autodétermination. Ainsi il parle d'approche verticale, de haut en bas, et d'approche pyramidale, de la base vers le sommet.

    La première est celle que les États ont traditionnellement adoptée, parce que ce qui les préoccupe, c'est une application valide du droit à l'autodétermination tel qu'il est défini par les instruments nationaux et internationaux pertinents.

    L'approche pyramidale, pour sa part, peut être considérée comme une approche constructiviste : « le droit à l'autodétermination entendu, en fait, comme un droit des peuples plutôt qu'un droit des États; comme un droit de collectivités organisées d'une certaine manière » 115.

    Du fait de l'importance politique des différents textes internationaux, la doctrine estime que ce droit ne peut s'appliquer aux peuples autochtones qui ne sont pas soumis à la domination coloniale. Elle opère donc une dissociation entre le droit des peuples et le principe d'autodétermination hors les cas de domination coloniale.

    ii. L'autodétermination assimilée à la décolonisation

    Il apparaît que l'existence d'une situation de colonisation, présente ou passée, est un point commun à toutes les communautés autochtones. Selon la définition de l'ONU, un territoire non autonome, donc colonisé, doit être séparé par la mer de l'État qui l'administre. Les colonies ne peuvent donc qu'être en dehors du territoire national, au delà des mers. Les territoires qui satisfont à ces critères bénéficient donc du droit à l'autodétermination 116.

    115 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 44

    116 Résolution 1514 (XV), Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux, adoptée par l'Assemblée

    106

    Toutefois, selon Marie-Claire Bertin, « cette définition de la colonisation a des conséquences différentes sur les peuples autochtones selon l'endroit où ils se trouvent. Elle circonscrit la qualification de peuples autochtones aux groupes qui vivent sous la domination d'États européens ou d'origine européenne. Ces États reconnaissent que des peuples autochtones vivent sur leurs territoires. La condition de la séparation géographique est satisfaite dans la mesure où ces peuples sont les descendants de ceux qui occupaient et contrôlaient les territoires au moment où les colons européens sont venus s'installer et les déposséder. En revanche, ils vivent maintenant sur le territoire métropolitain d'États indépendants, il n'y a donc plus de séparation géographique. Ces peuples vivent sur le territoire d'États indépendants et non dans des colonies, ils en constituent donc pas des populations non autonomes. Par conséquent, ces peuples autochtones ne peuvent pas obtenir la qualification de peuples au sens du droit international et donc ne peuvent pas prétendre exercer le droit à l'autodétermination » 117. Il faut donc assouplir cette conception, jugée par les Nations Unies comme trop restrictive.

    Nous allons donc définir cette domination coloniale, qui peut avoir des formes différentes selon le territoire où elle est exercée (1.), avant de traiter de l'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé (2.).

    1) Définition de la décolonisation

    La décolonisation est un mouvement de l'histoire résultant de la conjonction de forces diverses se renforçant mutuellement - affaiblissement des empires coloniaux dû à la guerre, prise de conscience de l'exploitation coloniale par une élite autochtone, rivalité Est-Ouest, tribune de l'ONU... - et rendant finalement intenable le maintien des dominations coloniales 118.

    La décolonisation imposait deux exigences objectives : la rupture totale des liens qui maintenaient le territoire non autonome sous la domination politique de la puissance coloniale, et la sauvegarde de l'unité territoriale de l'ancienne colonie qui risquait de se désagréger en perdant le cadre colonial qui la maintenait de gré ou de force unie. Ces exigences ont été imposées aux peuples colonisés, au

    générale des Nations Unies le 14 décembre 1960.

    117 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; pp. 271-272

    118 CHARPENTIER Jean, « Autodétermination et décolonisation » ; In : Mélanges Chaumont (Charles). - Paris : A. Pedone, 1984. - p. 119

    107

    besoin contre leurs intérêts 119.

    Il fallait donc distinguer les peuples colonisés des autres, en se basant sur plusieurs critères : la séparation géographique, la spécificité ethnique et culturelle, ou encore l'état de subordination. C'est donc une certaine qualification qui peut discerner ceux des peuples qui ont droit à l'autodétermination. Celle ci peut être opérée par un organe extérieur aux bénéficiaires des droits ainsi reconnus, ou encore par le peuple lui même qui témoignerait de son aptitude à accéder à l'indépendance. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes devient ainsi, selon la forte expression de Charles Chaumont, le droit des peuples à témoigner d'eux-mêmes 120.

    Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le mouvement de décolonisation pris la forme d'une obligation coutumière de décolonisation, basée sur la situation objective des peuples concernés. Le problème se posait pour les peuples dépendants, que l'on appelle aussi « nations dans la nation », ou minorités nationales, qui restaient soumis à l'autorité des États. La reconnaissance de leur droit à l'Autodétermination impliquait que leur statut au sein de l'État soit revu dans un processus de décolonisation interne.

    Aujourd'hui, si l'on suit le sens classique du terme, peu de peuples sont encore l'objet de la colonisation, mais on peut toutefois mentionner les Kurdes, les Saraouis ou encore les Tibétains.

    C'est en ce sens que la Cour internationale de Justice a statué en 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental, et a reconnu dans un avis consultatif « qu'on ne pouvait pas qualifier de Terra Nullius des territoires habités par des populations dont les critères d'organisation sociopolitiques, s'ils diffèrent de ceux des sociétés étatiques, n'en existent pas moins, et ne les disqualifient pas pour l'exercice d'un droit à l'Autodétermination » 121.

    En outre, la Résolution 2625 ne restreint pas explicitement le droit à l'Autodétermination aux peuples sous domination coloniale dans la mesure où elle ne dit rien des États où persiste une domination de type colonial sous les apparences de l'unité politique, ce qui est le cas aujourd'hui de bon nombre de pays abritant des peuples autochtones sur leurs territoires. En effet, la domination de type colonial à l'égard des peuples autochtones peut se manifester à l'intérieur d'États qui sont eux même sortis de la situation coloniale 122.

    La Charte de l'ONU contient plusieurs références à ce droit, ainsi que les Pactes de 1966 sur les Droits de l'Homme. Mais c'est l'Assemblée générale qui, au travers de ses nombreuses résolutions, a

    119 Ibid, p. 124

    120 Ch. CHAUMONT, « Le droit des peuples à témoigner d'eux-mêmes », i A.T.M., 1976, pp.15 et suiv.

    121 ROULAND Norbert, PIERRÉ-CAPS Stéphane, POUMAREDE Jacques « Droit des minorités et des peuples autochtones », PUF, 1996, pp. 447 ; CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, §75 à 83

    122 Cf. N. Rouland, Les colonisations juridiques : de l'Arctique à l'Afrique noire, Journal of Legal Pluralism, 29 (1990), pp. 39-136

    108

    spécifiquement appliqué ce droit au contexte de la décolonisation. Les deux plus importantes sont la Résolution 1514 (XV), appelée la « déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux peuples et pays coloniaux », et la Résolution 2625 (XXV) « déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies ». Selon ces résolutions, le peuple non autonome peut déterminer librement son destin, soit en devenant un État indépendant souverain, soit en s'associant à un État indépendant ou en s'y intégrant. Dans sa Déclaration de 1970, l'Assemblée générale a circonscrit le droit à l'autodétermination dans la mesure où elle énonce que l'on doit considérer tout État souverain et indépendant, doté d'un gouvernement représentant l'ensemble de sa population, comme un État qui se conduit conformément au principe de l'égalité de droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à l'égard de cette population.

    Intéressons nous donc à l'assimilation qui est opérée entre peuple autochtone et peuple colonisé.

    2) L'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé

    L'indépendance n'est qu'une des formes possibles d'exercice du droit à l'Autodétermination. Ainsi il serait possible d'envisager un cadre juridique international plus précis que celui qui s'appuie sur la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux de 1960, et sur la Déclaration sur les relations amicales de 1970. La responsabilité des États est de rendre possible l'exercice de l'autodétermination des peuples, tandis que celle de la communauté internationale est plutôt de s'assurer que celui-ci s'effectue de manière pacifique. Il s'agit donc d'un défi pour les États de se démocratiser pour permettre aux peuples d'exercer leurs droits sans être soumis à la domination, et de fournir ainsi les conditions internes qui permettent l'exercice pacifique du droit à l'Autodétermination.

    Selon Nina Pacari, députée à l'Assemblée nationale de l'équateur, la question de la reconnaissance du droit à l'Autodétermination aux peuples autochtones est une question politique.

    « Il s'agit de peuples en situation d'exclusion au sein d'un État uninational hégémonique, dont le caractère mono-ethnique a, de fait, empêché les peuples autochtones de prendre part aux décisions concernant leur avenir. Dès l'origine, ces peuples s'inscrivent donc dans une continuité historique. Cependant, les États nationaux, en se constituant, ont oublié leur

    109

    existence et imposé des institutions qui ne correspondent pas à la réalité nationale, si diverse et si plurielle. D'où un problème d'exclusion qu'il faut corriger en reconnaissant le caractère multiethnique de la société et de l'État, dans un cadre dépassant le déclaratif » 123

    Il faut donc de nouveaux modèles d'États ; des États qui soient inclusifs et plurinationaux. Après que bon nombre d'États aient arraché leur indépendance aux puissances coloniales, le concept « une seule nation, un seul État » a gommé la diversité des peuples autochtones installés sur un territoire. La Convention 169 de l'OIT reconnaît aux peuples autochtones l'auto-affirmation de leur identité, et souligne le droit à l'identité autonome à laquelle ils ont droit. Cependant, il en coûte aux États de reconnaître pleinement cette auto-identification collective qui, par voie de conséquence, détermine le caractère plurinational d'un État 124. Ce principe de plurinationalité implique d'ailleurs des réaménagements territoriaux qui devront être effectués dans le respect de la diversité culturelle des différentes communautés autochtones. Ainsi, la participation et le contrôle des peuples autochtones ne seront possibles qu'à travers la décentralisation et les autonomies, en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque État. Un État plurinational survit si son système politico-juridique est adéquat ou s'il s'adapte en vue de l'exercice de l'autodétermination de tous les peuples qui le composent.

    La Charte des Nations Unies, en affirmant « le principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes », ne définit pas les bénéficiaires de ce droit. C'est l'Assemblée générale des Nations Unies qui va apporter les précisions nécessaires au travers de ses résolutions, attestant de ce fait que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est une règle du droit coutumier international. Ces résolutions expriment l'opinio furis selon laquelle le colonialisme est contraire à la Charte.

    Les modalités d'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes sont posées dans la résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et peuples coloniaux. Cette résolution confirme que le mouvement de décolonisation a donné ses caractéristiques au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : « il concerne tous les peuples des territoires colonisés par des États européens, des territoires qui sont tous géographiquement séparés de ces États et il s'exerce dans le cadre des frontières coloniales, en vertu du principe de l'uti pussidetis furis » 125. Ce principe consiste à respecter les frontières tracées par

    123 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 26

    124 Ibid, p. 26

    125 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 322

    110

    l'État colonisateur, et ainsi maintenir les délimitations territoriales administratives coloniales.

    Considérée comme la Charte de la décolonisation, cette résolution pose problème lorsqu'on aborde la question de l'autodétermination, qui n'a été développée par l'Assemblée générale que dans le cadre de la décolonisation. Celle ci considère que l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes amène nécessairement à l'indépendance, l'issue par excellence d'une situation de colonisation.

    Lorsqu'il ne conduit pas à l'indépendance, mais aboutit sur une association ou une intégration dans un État indépendant, l'Assemblée générale exige un référendum, afin de prendre conscience de la volonté réelle du peuple colonisé 126.

    Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut donc être exercé que sur un peuple colonisé, et assimile l'autodétermination avec l'indépendance. Cette conception ne facilite pas son application en dehors du contexte colonial. Afin d'exercer pleinement ce droit, les peuples autochtones doivent démontrer qu'ils constituent des peuples au sens du droit international. Il n'existe pas de définition unique en droit international de la notion de peuple, mais au sens de la décolonisation un peuple désigne l'ensemble de la population colonisée d'un territoire, qui est géographiquement séparé de l'État qui l'administre. Cette définition implique que le peuple soit la population entière, et exclut l'idée qu'un groupe minoritaire puisse constituer un peuple. En effet selon cette conception, « lorsque le droit à l'autodétermination a été exercé, la population forme une unité, tous les individus ont la même nationalité ; il n'y a qu'un seul peuple, il ne peut y avoir au mieux que des minorités. Par conséquent, il ne peut pas exister plusieurs peuples sur le territoire métropolitain d'un État indépendant » 127.

    La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme confirme cette conception dans son rapport sur les Indiens Miskito du Nicaragua 128. Elle considère que ces communautés sont des groupes, des minorités ethniques et ne sont pas par conséquent bénéficiaires du droit à l'autodétermination. Toutefois, la Cour leur reconnaît un droit à l'autodétermination interne de manière implicite : constatant qu'ils n'ont pas pu se développer sur les plans culturel et ethnique, elle suggère à l'État nicaraguayen de faire en sorte qu'il puissent être consultés et qu'ils participent aux prises de décisions politiques. La Commission reste ici dans le cadre du droit interne de l'État, et respecte ainsi son intégrité territoriale.

    126 Cette exigence est posée dans les principes VII à IX de la Résolution 1514 (XV)

    127 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 336

    128 Report on the situation of human rights of a segment of the Nicaraguan population of Miskito origin, OAS Doc. OEA/Ser.L/VLII.62, doc.26 (1984)

    111

    Il est extrêmement important de sortir du cadre de la domination coloniale ou de l'occupation étrangère et d'accorder au droit d'autodétermination l'attention qu'il mérite. C'est en effet hors de ce cadre que l'exercice de ce droit a donné lieu aux changements les plus importants et catégoriques au sein de la communauté internationale.

    Il est donc indispensable de fournir un travail d'ordre technique plus poussé aux échelons national, régional et international afin d'appréhender les implications concrètes du droit à l'Autodétermination.

    Analysons maintenant la portée juridique du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes.

    iii. La portée juridique interne du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes

    L'autodétermination, la souveraineté et l'autonomie gouvernementale sont inhérentes au statut juridique des peuples autochtones. Il en existe de multiples approches et interprétations.

    Le rapport rendu par Martinez Cobo en 1986 concluait que l'ethnocide des peuples autochtones durant l'ère moderne était directement associé à l'absence d'un droit à l'autodétermination reconnu. Il est donc très important pour eux qu'ils acquièrent la personnalité juridique internationale que confère ce droit, de manière à ce qu'ils puissent :

    1) négocier avec les États sur la base d'une égalité formelle;

    2) faire appel facilement à la communauté internationale pour demander protection contre les abus des États le cas échéant;

    3) participer comme il se doit aux instances internationales où, de plus en plus, se prennent des décisions qui ont des retombées énormes sur leurs communautés.

    Pourtant, dans un très grand nombre de cas, les peuples autochtones cherchent à acquérir une personnalité juridique internationale sans pour autant chercher à devenir des États indépendants.

    Il s'agit ici de traiter de la dimension purement interne du droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones (1.), avant d'aborder les limites posées par le respect des droits territoriaux des autochtones et de l'intégrité territoriale des États (2.).

    112

    1) La dimension interne du droit à l'Autodétermination pour les peuples

    autochtones

    Il n'existe pas à proprement parler de dimension interne de ce droit, mais des conditions internes au sein des États permettant de l'exercer pacifiquement vis-à-vis de l'autorité dirigeante et de l'intégrité du territoire. Si ces conditions n'existent pas ou ne peuvent être générées, le droit d'autodétermination pourra justifier la rébellion ou la sécession et exigera des réponses externes ou internationales, à commencer par la reconnaissance.

    Au cours de sa séance de 1997, le Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme et les États ont alimenté un débat autour des notions d'autodétermination « interne » et d'autodétermination « externe ». Le but était de circonscrire le droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes dans les limites d'un droit prescrit par les autorités internes ou par l'État 129.

    Pour les peuples autochtones le droit à l'Autodétermination ne peut être interprété comme un droit à la sécession, sauf en dernier recours. Il s'agit plutôt d'une part d'un droit à coexister pacifiquement à l'intérieur d'un État avec le reste de la population, et d'autre part d'un droit à disposer de leur destin, par l'intermédiaire de leurs représentants avec les autorités de l'État. Ainsi, après la décolonisation externe, visant des territoires qui aboutissent à leur indépendance, et qui était autrefois la seule prise en compte, va émerger un nouveau concept : la décolonisation interne. Elle concerne les territoires indépendants, et n'aboutit qu'à une autodétermination interne, sans sécession. Cela signifie donc pour les peuples autochtones l'auto-administration pour les questions les concernant spécifiquement, la participation de l'État aux décisions les visant à l'échelon national, ou encore la participation à la vie politique de l'État. Cette distinction a par ailleurs été reprise par Irene Daes, ancienne présidente du groupe de travail sur les peuples autochtones :

    « En théorie, du moins, il est possible de faire une distinction entre, d'une part, l'autodétermination "externe", qui signifie l'acte par lequel un peuple détermine son futur statut au niveau international et se libère du joug de "l'étranger", et, de l'autre, l'autodétermination "interne", qui a trait essentiellement au choix du système politique et administratif et à la nature profonde du régime choisi. [...] La meilleure façon d'envisager le droit à "l'autodétermination interne" est de le considérer comme le droit d'un peuple de

    129 Cette conception est assez controversée. En effet, les gouvernements ne peuvent pas déclarer que les peuples autochtones ont le droit de disposer d'eux-mêmes tout en affirmant qu'ils ne disposent que du droit à une autonomie interne ou à une autonomie gouvernementale.

    113

    choisir son propre régime politique, d'influer sur l'ordre politique de la région dans laquelle il vit et de sauvegarder son identité culturelle, ethnique, historique ou territoriale. [...] Dès lors qu'un État indépendant a été créé et reconnu, les peuples qui le constituent doivent essayer d'exprimer leurs aspirations par l'intermédiaire du système politique national et non en créant de nouveaux États, sauf si le système politique national devenait si exclusif et si peu démocratique qu'on ne pourrait plus le considérer comme "représentant l'ensemble du peuple ". À ce stade, et si toutes les mesures prises au niveau international et diplomatique étaient impuissantes à protéger les peuples concernés de l'État en question, ils auraient sans doute raison de créer un nouvel État pour assurer leur sécurité [...] La communauté internationale et l'auteur du présent document dissuadent les peuples de recourir à la sécession pour remédier à la violation de leurs droits fondamentaux mais, comme le montrent des événements récemment survenus de par le monde, le recours à la sécession ne peut être entièrement écarté » 130.

    Les États ont des positions diverses sur la question de l'autodétermination, et bon nombre d'entre eux s'opposent fortement à l'assimilation de l'autodétermination à la sécession.

    Néanmoins, en 1993 lors de la réunion du Groupe de travail de l'ONU, certains États manifestaient leur soutien à l'autodétermination des autochtones. L'Australie, par exemple, admettait que l'autodétermination pouvait servir à la « réconciliation nationale ».

    En outre, la question des titulaires du droit à l'autodétermination est un problème pour certains États qui croient que tous les peuples autochtones ne sont pas des peuples au sens du droit international.

    Plusieurs États voulaient ainsi voir des balises inclues dans le texte du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones : libre détermination interne, autonomie gouvernementale, respect de l'intégrité territoriale et/ou de la souveraineté des États démocratiques. Face à cela, il a été reconnu par l'ensemble des représentants autochtones à l'ONU que le droit à l'Autodétermination des peuples autochtones doit être reconnu sans qualification, limitation ou discrimination. Les peuples autochtones refusent en effet de se voir imposer des conditions différentes de celles auxquelles sont soumises les autres peuples, le but de la reconnaissance du droit à l'autodétermination des peuples autochtones étant celle de leur égalité avec les autres peuples. L'exercice de ce droit doit donc se définir au cas par cas, avec la participation pleine et entière, effective et directe des peuples concernés.

    130 DAES e.i., Note explicative concernant le projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones, Doc. E/CN.4/Sub.2/1993/26/Add.1, 19 juillet 1993, §17 p. 19, 21, 23

    114

    Les peuples autochtones doivent donc concilier leur droit à disposer d'eux-mêmes et la nécessité d'une collaboration avec les États sans lesquels ils ne peuvent agir. Le droit à l'Autodétermination doit être exercé « en conformité avec le droit international ». Ainsi, selon cette conception, le droit à l'Autodétermination est un droit modifié qui ne donne accès qu'à une autodétermination interne, c'est à dire une certaine forme d'autonomie gouvernementale limitée à l'intérieur d'un État existant.

    Selon Irene Daes, dans le cadre d'une autodétermination interne, les peuples autochtones concernés auront acquis un certain nombre de droits de manière progressive. Il s'agit donc de retrouver le droit au développement des sociétés autochtones selon leurs propres besoins. En effet, l'autodétermination inclut, en plus du domaine politique, le contrôle de l'éducation locale, de la santé et même des médias. Aujourd'hui, peu de peuples autochtones sont représentés politiquement et cela même lorsqu'ils constituent un pourcentage important de la population nationale du pays. L'exercice de ce droit est une condition essentielle et indispensable pour la protection de l'identité collective autochtone, ainsi que de leur intégrité culturelle.

    Reconnaître aux peuples autochtones qu'ils aient le droit à l'Autodétermination est une façon de reconnaître que ce ne sont pas des peuples de seconde catégorie mais biens des peuples égaux en droits et en dignité, ce qui implique qu'ils se conforment aux normes des Droits de l'Homme, qu'ils négocient de bonne foi et qu'ils épuisent toues les voies de négociation possibles afin d'exercer leurs droits. C'est donc la reconnaissance du fait que les peuples autochtones ont le droit d'être partie prenante aux décisions qui les concernent et qu'ils ont le droit, comme entité collective, de choisir les arrangements qui garantiront leur pérennité en tant que peuple. Cela implique également des États qu'ils acceptent l'accession des peuples autochtones aux forums internationaux et qu'ils négocient en égaux avec eux.

    Parmi les peuples autochtones, on constate une multitude de points de vue sur la question de l'autodétermination. Ils ont donc diverses conceptions de ce droit et de quelle manière il opère dans leurs communautés et sociétés respectives.

    Pour certains, il s'agit d'ententes d'autonomie régionale comme la création du Nunavut ou le statut de territoire autonome du Groenland (Greenland Home Rule) ; d'autres ont évoqué la souveraineté tribale aux États-Unis, comme dans le cas de la Nation Navajo ; d'autres encore, comme la Commission des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres (ATSIC), estiment qu'il est fondamental, pour l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté le droit à l'autodétermination.

    115

    Conformément au droit international, ce droit ne doit pas être interprété comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout État souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l'égalité de droit et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et doté d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur.

    Le droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones s'exerce dans le respect de l'intégrité territoriale de l'État. Analysons donc l'objet de cette garantie.

    2) La garantie du respect des droits territoriaux et de l'intégrité territoriale de l'État

    Par définition, les peuples autochtones sont les descendants des occupants originaires des territoires sur lesquels ils vivent ou vivaient et dont ils ont été dépossédés par un groupe d'origine différente. C'est sur la base de cette occupation originaire qu'ils revendiquent la reconnaissance de leurs droits territoriaux, autrement dit d'un droit territorial reconnu par le droit international et mis en oeuvre, protégé par les États 131.

    La relation des peuples avec leurs terres et ressources est un élément essentiel du droit à l'autodétermination comme en témoigne le second paragraphe de l'article 1 des deux pactes :

    « Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. »

    La terre constitue donc une partie intégrante de l'identité autochtone, et leur relation particulière avec cette dernière est « au centre de leur existence » 132. Cette relation à la terre n'a cependant pas été comprise par les colons européens, les amenant à déclarer des terres comme inutilisées,

    131 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 389

    132 Rapport du Groupe de travail sur les populations autochtones, E/CN.4/Subb.2/1999/19, §84

    116

    inoccupées et donc appropriables. Ce refus de prendre en compte et de respecter le lien particulier entre les peuples autochtones et leurs territoires a donc eu des conséquences dramatiques. Le territoire est en effet pour eux source d'identité culturelle, de savoirs et de spiritualité. Il est étroitement lié à leur survie.

    Deux articles de la Convention 169 de l'OIT, et neuf articles de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, ainsi que le Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio 1992) tiennent compte du lien particulier des peuples autochtones à la terre.

    Aujourd'hui les peuples autochtones subissent profondément l'empreinte de la modernité et tentent donc de valoriser le lien territorial comme élément essentiel de leur définition. Le territoire est en effet essentiel à leur survie : la dépossession de ce territoire conduit à une assimilation. En 1985, le Conseil mondial des peuples autochtones rappelait que :

    « La Terre est le fondement des peuples autochtones. Elle est le siège de notre spiritualité, le terreau sur lequel fleurissent nos cultures et nos langages. La Terre est notre histoire, la mémoire des événements, l'abri des os de nos prédécesseurs. La Terre nous donne la nourriture, les médicament, nous abrite et nous nourrit. Elle est la source de notre indépendance ; elle est notre Mère. Nous ne La dominons pas : nous devons être en harmonie avec Elle. Si l'on veut éliminer les peuples autochtones, le meilleur moyen de nous tuer est de nous séparer de la part de nous-mêmes qui n'appartient qu'à la Terre » 133.

    L'intégrité et le développement culturels des peuples autochtones dépendent aussi de leur capacité d'exercer leur droit de définir leur rapport à tout ce que recèlent leurs territoires respectifs. Les autochtones peuvent éventuellement s'enrichir grâce aux subsides gouvernementaux ou encore en développant ou en vendant leurs forêts et leurs ressources minières, mais resteront privés d'un authentique droit de disposer d'eux-mêmes s'ils ne peuvent plus exercer un contrôle réel sur leur territoire et leurs ressources naturelles 134. Les peuples autochtones ont toujours soutenu que leur rapport à la terre ou au territoire était au coeur de leurs cultures respectives.

    Cet attachement au lien territorial est toutefois fortement mis à mal par les spoliations dont sont victimes les peuples autochtones. Toutes leurs revendications ont en effet pour fondement les spoliations de territoires et de souveraineté, et portent notamment sur le droit pour les peuples

    133 Doc. E/CN.4/Sub.2/AC.4/1985/WP.4, p. 5

    134 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002. ISBN: 2-922084-67-1.)

    117

    autochtones à disposer d'eux-mêmes. Elles risquent donc de mettre en cause la souveraineté et l'intégrité de l'État, ce qui explique la difficulté de faire avancer le mouvement au sein de l'ONU 135.

    Les territoires autochtones, vu qu'ils n'ont pas été exploités, sont souvent très riches en ressources. Cette richesse attire bon nombre de multinationales qui désirent donc s'approprier les terres afin d'en exploiter les ressources. Ainsi, à l'heure de la mondialisation économique, bon nombre de gouvernements sont submergés par les forces du marché. Seuls, ils ne sont pas en mesure de réglementer les activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des approches destructrices.

    En résultat de la forte mobilisation autochtone, les États vont prendre conscience de la nécessité de protéger les droits des peuples autochtones sur leurs territoires traditionnels. La nature juridique et l'étendue de ces droits varient selon les États 136.

    Les autochtones attachent donc beaucoup d'importance à la spécificité du lien territorial. Il est d'ailleurs pris en compte dans certains instruments internationaux, tels que la Convention 169 de l'OIT, dont les articles 13 à 19 s'y réfèrent ; ou encore, depuis peu, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dans son article 25. Cette évolution dénote une prise de conscience de la nécessité impérieuse de protéger les territoires des peuples autochtones.

    L'article 13 de la Convention 169 dispose que :

    « les Gouvernements doivent respecter l'importance spéciale que revêt pour la culture et les valeurs spirituelles des peuples intéressés la relation qu'ils entretiennent avec les terres ou territoires, ou avec les deux, selon le cas, qu'ils occupent ou utilisent d'une autre manière, et en particulier des aspects collectifs de cette relation »

    L'article 25 de la Déclaration dispose quant à lui que :

    « les peuples autochtones ont le droit de conserver ou de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zone maritimes côtières et autres ressources qu'ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d'assumer leurs

    135 En général, ces spoliations datent de l'époque des grandes découvertes où les conquérants soutenaient que les terres étaient inoccupées, ou inexploitées par les indigènes. Ces dépossessions de territoires se sont effectuées de diverses manières. En Amérique du Nord, elles ont par exemple pris la forme de traités qui entraînèrent cession de droits territoriaux.

    136 Ainsi, certaines communautés autochtones disposent de titres de valeur constitutionnelle, comme c'est le cas au Brésil ou au Canada tandis que d'autres voient leurs droits reconnus par la loi ou par la jurisprudence. En outre, certains titres confèrent un pouvoir de gestion, tandis que d'autres sont des titres de propriété collective avec un régime juridique spécifique.

    118

    responsabilités en la matière à l'égard des générations futures ».

    Les droits territoriaux ont donc une place importante dans les revendications autochtones. Toutefois, ils ne peuvent être revendiqués que sur la base de l'occupation originaire ou parfois sur la base de traités signés avec les puissances coloniales. Le débat sur l'occupation originaire fut posé lors de l'élaboration de la Convention 169 de l'OIT. À l'époque, les peuples autochtones souhaitaient que l'occupation traditionnelle s'applique aux territoires qu'ils occupaient et dont ils ont été expulsés pour retrouver l'ensemble de leurs territoires traditionnels. Ce à quoi les États s'opposaient, arguant que cette conception s'applique à la quasi totalité des territoires de l'État.

    C'est l'article 24 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui viendra apporter une précision sur les termes du débat :

    « Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisé ou acquis ».

    D'application très étendue, cet article ne concerne pas uniquement le sol, mais tout ce qui est nécessaire au mode de vie des autochtones. L'État doit donc respecter les systèmes juridiques autochtones.

    Les droits territoriaux sont préexistants à l'État, car ils sont fondés sur l'occupation et/ou l'utilisation traditionnelle des territoires. Ainsi, « ce n'est pas ce dernier qui les accorde ou les octroie selon sa bonne volonté, il doit les reconnaître parce qu'ils existaient avant l'établissement de sa souveraineté sur les territoires dont il a dépossédés les peuples autochtones » 137.

    Jusqu'au début du XXe siècle, les sociétés autochtones sont jugées arriérées, non civilisées, et leurs systèmes juridiques inaptes à leur conférer des droits sur les territoires qu'ils occupent. Ces territoires sont donc considérés « sans maître », et sont donc, comme tout territoire qui n'est pas étatique, des terra nullius. Cette conception a été remise en cause par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif de 1975 sur l'affaire du Sahara Occidental. La Cour a reconnu que des tribus nomades, socialement et politiquement organisées, pouvaient avoir des droits sur les territoires qu'elles occupent 138. Ainsi une simple organisation, même minimale suffit pour rendre inopérante la qualification de terra nullius.

    Après l'avoir officiellement utilisée pour établir sa souveraineté, l'Australie a fini par dénoncer la

    137 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 395

    138 CIJ Avis consultatif sur le Sahara Occidental, 16 octobre 1975, p. 12

    119

    doctrine de la terra nullius. En 1889, le Conseil Privé de la Couronne britannique (Privy Council) avait déclaré le territoire australien terra nullius dans sa décision Cooper v. Stuart. Il faudra attendre 1992 avec l'arrêt Mabo, rendue par la Cour suprême (High Court) d'Australie, pour que cette doctrine soit remise en cause 139. Après avoir été saisi pour faire reconnaître les droits ancestraux d'une communauté autochtone, la Cour suprême déclare que l'Australie n'était pas une terra nullius lorsque sont arrivés les premiers colons en 1788, car elle était déjà occupée par le peuple aborigène. Nous reviendrons plus tard sur cette importante décision prise par la Haute Cour Australienne.

    Les peuples autochtones ne peuvent cependant pas revendiquer tous leurs territoires ancestraux. En effet, les revendications sont limitées aux territoires avec lesquels ils ont maintenu un lien depuis qu'ils en ont perdu le contrôle. C'est ce que précise l'alinéa 2 de l'article 26 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :

    « Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis ».

    Le droit aux terres, territoires et ressources que les peuples autochtones peuvent revendiquer est donc limité. En effet, ils ne peuvent revendiquer des droits que sur des territoires qui relèvent du domaine de l'État, et ne peuvent porter atteinte aux droits acquis par les colons et leurs descendants. Ils ne peuvent donc se voir reconnaître des droits sur des territoires sur lesquels une autre population s'est installée, même s'il les avaient autrefois occupés.

    En Australie, le peuple aborigène ne peut revendiquer des droits que sur les territoires qu'il occupe et qui sont du domaine de la Couronne. C'est le Native Title Act de décembre 1993 qui fixe le cadre juridique dans lequel ces droits peuvent être exercés. Sont donc exclus les territoires qui appartiennent à des personnes privées, sur lesquels les droits des autochtones et des « propriétaires » doivent coexister 140.

    L'exclusivité de la compétence territoriale est à la fois un attribut de l'État, une condition de reconnaissance d'un sujet comme souverain et un principe protecteur de l'indépendance ; aucune de ces caractéristiques n'est aujourd'hui susceptible d'être accordée aux peuples autochtones. Finalement, la question des terres et des ressources est clairement liée à celle de l'autodétermination et plusieurs craintes des États pourraient s'y loger.

    139 Voir Infra, « La Révolution judiciaire avec l'arrêt Mabo ».

    140 Ibid ; Arret Wik

    120

    En 1957 la Convention 107 de l'OIT, d'inspiration assimilationniste, garantissait aux autochtones des droits territoriaux tant qu'ils restaient distincts de la société dominante. Cette protection s'appliquait uniquement sur les terres traditionnellement occupées, sans prévoir les cas où l'occupation avait pris fin soit spontanément, soit par expropriation. L'article 11 de cette Convention reconnaît le caractère collectif de la propriété autochtone : « Le droit de propriété, collectif ou individuel, sera reconnu aux membres des populations intéressées sur les terres qu'elles occupent traditionnellement ».

    C'est avec la Convention 169 de 1989 que les spécificités autochtones vont commencer à être reconnues et préservées. L'article 14 précise par exemple que « les droits de propriété et de possession sur les terres qu'ils occupent traditionnellement doivent être reconnus aux peuples intéressés ». Cet article contient donc les notions de propriété et de possession, et doit être lu conjointement avec l'article 13 qui souligne la relation collective que les peuples autochtones entretiennent avec leurs territoires. Les autochtones souhaitent que leurs droits soient reconnus dans la plus forte acception : celle de la propriété. L'article 16 traite lui de la question du déplacement des autochtones et de la restitution de leurs territoires. Ce déplacement ne peut être qu'exceptionnel et donne lieu à des indemnités. En outre, il n'éteint pas le droit au retour des populations qui occupaient le territoire. Le Comité d'experts de l'OIT sur l'application des Conventions et Recommandations insiste sur le respect de la propriété collective autochtone, et sur la nécessité de la respecter, afin de ne pas porter atteinte au modèle structurel des communautés autochtones.

    Enfin, bien que son texte ait une dimension collective, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne reconnaît pas expressément la propriété collective. L'article 26.2 qui affirme que les peuples autochtones « ont le droit de posséder », mais aussi « d'utiliser », ne cite pourtant pas la propriété collective. Elle est toutefois sous entendue, au sens de l'article 27 qui demande que la reconnaissance des droits des peuples autochtones aux terres, territoires et ressources soit faite en « prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones ».

    Voyons maintenant la limite posée par le respect de l'intégrité territoriale de l'État.

    La notion d'intégrité territoriale fait partie intégrante du droit international. La Déclaration de 1970 relative aux principes touchant les relations amicales entre États insiste d'ailleurs sur ce point. Selon U.Umozurike « le but ultime de l'intégrité territoriale, c'est de protéger les intérêts des

    121

    peuples d'un territoire ». 141

    Ainsi, l'intégrité des peuples autochtones et leurs autres intérêts fondamentaux sont intimement liés à ce principe. Les revendications autochtones ne portent pas nécessairement atteinte à ce concept d'intégrité territoriale. Les peuples autochtones s'opposent simplement aux manoeuvres des États qui cherchent à modifier les principes juridiques internationaux quand ils s'appliquent aux peuples autochtones.

    Les demandes autochtones ne sont donc pas forcément sécessionnistes. Il arrive également qu'elles visent leur inclusion dans la communauté internationale et dans les États dans lesquels ils vivent ainsi que la possibilité de se développer selon leurs propres valeurs.

    Selon une grande partie de la doctrine, l'intégrité territoriale d'un État donné peut être mise en cause dans deux situations :

    · Les menaces contre la paix et la sécurité internationale. Elles permettent au Conseil de sécurité de l'ONU d'intervenir dans les affaires intérieures d'un État donné.

    · Des violations graves et systématiques des droits humains. De nombreux États, multiethniques, ne respectent pas leurs obligations en matière de droits humains en général et du droit à l'autodétermination en particulier.

    La Déclaration et le Programme d'action de Vienne conditionnent en quelque sorte le respect de l'intégrité territoriale d'un État au respect « du principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant, dotés d'un gouvernement représentant la totalité de la population appartenant au territoire, sans distinction aucune. » (chapitre I.2.§ 3)

    La question de la conciliation du droit à l'Autodétermination avec les principes d'unité nationale et d'intégrité territoriale de l'État est abordée par l'Assemblée générale de l'ONU dans sa résolution 2625 (XXV). Elle y précise que l'exercice du droit à l'Autodétermination n'aboutit pas nécessairement à l'indépendance, tout en réaffirmant avec fermeté le principe de l'intégrité territoriale d'un État. Ainsi, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut « démembrer ou menacer totalement ou partiellement l'intégrité territoriale d'un État ».

    Toutefois, la résolution peut également être interprétée autrement, comme autorisant explicitement la sécession. Selon certains membres de la doctrine tels que Antonio Cassese, cette résolution dispose que l'intégrité territoriale d'un État est garantie s'il « se conduit conformément au principe

    141 U.UMOZURIKE, Self-Determination in international Law (Hamden, Connecticut : Archon Books, 1972), p. 234

    122

    de l'égalité de droits et droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (...) et dotée ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance et de couleur ». Ainsi, si l'État viole cette exigence d'un gouvernement représentatif, son intégrité n'est alors plus protégée et le peuple est en droit d'exercer son droit à disposer de lui même sur le plan externe 142. Il n'y a donc pas incompatibilité entre l'autodétermination et les principes d'unité nationale et d'intégrité territoriale de l'État.

    La plupart des peuples autochtones vivant sur le territoire d'États indépendants, il s'agit donc de savoir s'ils sont bénéficiaires du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et donc d'un droit à la sécession.

    « Les peuples autochtones peuvent revendiquer l'exercice de leur droit à disposer d'eux-mêmes dans le cadre de l'État à l'intérieur duquel ils vivent afin que ce dernier assure leur représentation et leur participation dans le système politique et qu'il leur permette de se développer économiquement, socialement, culturellement. » Cette conception peut donc être applicable aux peuples autochtones.

    Certains États, comme les États-Unis et le Canada, soutiennent qu'une reconnaissance explicite du droit des peuples autochtones à l'autodétermination constitue une menace pour l'intégrité territoriale des États existants. Pourtant, au Canada, les actions menées par les peuples autochtones depuis une vingtaine d'années ont contribué à préserver l'intégrité territoriale du pays.

    En fait, rares sont les peuples autochtones qui cherchent à déstabiliser ou démembrer les États-nations existants. Au contraire, de plus en plus s'efforcent d'établir des relations qui permettent aux tensions normales de la souveraineté partagée et des régimes et arrangements trans-culturels de protéger et de promouvoir leurs intérêts distincts 143.

    Les peuples autochtones ont déjà avancé des arguments juridiques face aux craintes « non fondées » de démembrement nourries par les États. Certains États ont en effet soutenu que l'article 3 de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones devait être modifié de manière à y inscrire de façon permanente le principe de l'intégrité territoriale. Les peuples autochtones se sont opposés à ces propositions dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires et qu'elles risquent de réprimer l'évolution naturelle du droit à l'autodétermination en droit international.

    142 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des Thèses / 2008 ; p. 329

    143 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones (New York, le 18 mai 2002 ; National Library of Canada, second quarter 2002.) p. 53

    123

    Il s'agit dès lors d'aborder les conséquences du droit à l'autodétermination des peuples autochtones sur le plan international.

    B) La réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones : Autonomie et relations internationales

    Au fil du temps la communauté internationale va prendre conscience de la situation des peuples autochtones. Les peuples autochtones ont désormais un statut international, et les questions concernant leur situation de peuples dominés sur le territoire d'États indépendants deviennent d'ordre international et non plus seulement interne. En outre ils sont consultés, et participent parfois à l'élaboration des décisions qui les concernent directement, ou même indirectement. Ils ont ainsi participé à la rédaction de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et ont une place importante au sein de l'Instance Permanente où ils siègent à égalité avec les États. Bien qu'ils ne soient pas reconnus comme sujets du droit international ils sont pleinement intégrés dans le système onusien. Les peuples autochtones vont donc être les bénéficiaires d'ensembles normatifs nouveaux, résultats d'un long processus de compromis entre représentants autochtones et les États.

    Il s'agit ici de traiter de la réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Nous évoquerons donc la récente Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît pleinement leur identité internationale (i.), avant de traiter des difficultés de collaboration entre communautés autochtones et gouvernements étatiques (ii.). Nous terminerons cette sous-partie en abordant le rôle des peuples autochtones aux Nations Unies en tant que nouvel acteur international (iii.).

    i. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

    « La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ce n'est pas la fin, ni le commencement de la fin, mais la fin du commencement. »

    Irené Erica Daez, Présidente-Rapporteuse du Groupe de travail sur les peuples autochtones

    124

    Le 13 septembre 2007, l'Assemblée générale a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, après une vingtaine d'années de préparation. Dès sa première session, le Conseil des Droits de l'Homme, dans sa résolution 1/2 du 29 juin 2006, avait lui même adopté, par vote, le projet. Mais l'Assemblée générale avait rouvert le débat, avant de finir par adopter le texte non sans réticences. De manière tout à fait inhabituelle pour un texte de portée déclaratoire, la résolution 61/295 a fait l'objet d'un vote nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions - (Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya). Cette réticence d'États comportant en leur sein de nombreuses populations autochtones ne doit pas éclipser le pas historique qui est franchi, en reconnaissant les droits des « peuples » autochtones en tant que tels.

    Il s'agit donc de traiter ici de l'adoption de cette déclaration (1.), ainsi que de son impact sur les résolutions prises par l'ONU (2.).

    1) L'adoption de la Déclaration

    Cette adoption tombe après 12 ans d'âpres discussions, certains États étant peu disposés à la reconnaissance de ces peuples et plus encore de leurs droits, surtout territoriaux. La longueur de ces négociations s'explique par le fait que les États sont réticents à évoquer les droits des peuples autochtones sur le plan international, car ils considèrent que cela relève de leur compétence interne. Se pose aussi la question très controversée de la reconnaissance de droits collectifs, et donc d'une identité collective des peuples autochtones. L'adoption de cette résolution par un vote démontre d'ailleurs l'impossibilité d'un consensus.

    Le cheminement en a été particulièrement lent, et certaines questions comme les droits collectifs ou individuels, les terres et les ressources ont fait l'objet de débats approfondis.

    En 1985, le Groupe de travail a commencé à préparer un projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, qu'il a terminé en 1993, le soumettant à la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités. Celle-ci a approuvé le texte en 1994

    144.

    144 Le projet a ensuite été envoyé à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, qui a créé un groupe de travail chargé de rédiger un projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones.

    125

    Le Sommet mondial de 2005 et la Cinquième session de l'Instance permanente en 2006 sur les questions autochtones ont proposé d'adopter la Déclaration le plus rapidement possible, ce qui sera fait en juin 2006 par le Conseil des droits de l'homme, et l'Assemblée générale a fait de même en septembre 2007. Une décision de compromis renvoya ensuite les instruments prêts pour l'adoption à la Troisième Commission et le rapport du Conseil directement à la plénière de l'Assemblée générale. Presque un an s'est écoulé entre l'adoption du texte à la Troisième Commission et le vote final de l'Assemblée générale le 13 septembre 2007.

    Au niveau de l'engagement des États, il est possible de distinguer l'engagement à travers l'instrumentum c'est à dire le support formel de l'acte d'une part, et leur engagement à travers le negotium c'est à dire l'opération juridique qui constitue l'acte, d'autre part.

    La Déclaration aborde les droits tant individuels que collectifs, les droits culturels et l'identité, les droits à l'éducation, la santé, l'emploi, la langue, etc...Elle établit que les peuples autochtones ont le droit, en tant que collectivités ou en tant qu'individus, à tous les droits de l'Homme et aux libertés fondamentales reconnues par l'ONU. C'est donc une nouvelle étape dans la reconnaissance des cultures et traditions spirituelles de plus de 300 millions d'individus dans le monde, et dans leur droit à conserver leurs propres institutions, leurs cultures et traditions spirituelles sans qu'elles soient victimes de souffrances dues au racisme et à la discrimination.

    Recommandée par le programme d'action de Vienne, elle affirme notamment que les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination interne et qu'en vertu de ce droit ils déterminent librement leur statut politique et recherchent librement leur développement économique, social et culturel. Elle stipule que les peuples autochtones ne peuvent être expulsés de leur terre, et qu'ils ont droit aux ressources naturelles situées sur celle ci.

    Le texte affirme en outre que les peuples autochtones peuvent jouir pleinement, collectivement ou individuellement, de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme et la législation internationale relative aux droits de l'homme. La Déclaration devient la référence de l'ONU pour le respect des droits des peuples indigènes ; elle permet d'évaluer l'attitude des États envers les peuples indigènes, mais n'est pas doté d'effet contraignant en droit international. Elle a néanmoins un poids normatif important qu'elle tient de la très forte légitimité dont elle bénéficie, et sa mise en oeuvre doit être considérée comme un impératif moral et politique 145.

    L'adoption de ce texte a été obtenue grâce à la persévérance des représentants autochtones à

    145 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010

    126

    l'ONU, qui ont porté ce texte pendant toutes les négociations, et qui continuent aujourd'hui à le porter en veillant à ce que les États en appliquent les dispositions. Elle constitue une victoire considérable pour les peuples autochtones : elle énonce des droits existants, individuels, mais également collectifs, reconnus dans d'autres instruments internationaux, mais dont l'application leur avait toujours été refusée. Désormais, les organisations autochtones vont devoir travailler ensemble, à connaître leurs réalités mutuelles et à défendre leurs droits d'une façon globale.

    Voyons donc l'impact sur la situation des peuples autochtones de l'adoption de cette Déclaration.

    2) Les conséquences et impacts de la Déclaration

    La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones constitue une grande victoire pour ces peuples car elle leur reconnaît un statut en droit international, et les qualifie juridiquement. C'est donc une reconnaissance de leur spécificité, qui requiert un régime juridique propre. Elle reconnaît en outre l'identité collective des peuples autochtones. Cette reconnaissance est essentielle, car à cette qualification est attaché le coeur des revendications autochtones : le droit à l'autodétermination.

    Cette déclaration est pourtant un texte de compromis. Les peuples autochtones ont en effet été contraints de faire des concessions aux États pour permettre son adoption. Le texte reflète donc tous les débats et les oppositions suscités par la question de la qualification des peuples autochtones. Bon nombre d'États étaient en effet opposés à l'idée de l'auto-identification de ces peuples, sans aucun critère reconnu en droit international. Ainsi, bien qu'elle leur reconnaisse le « droit d'appartenir à une communauté ou une nation autochtone » (article 9) , et le droit de « décider de leur propre identité ou appartenance » (article 33) ; la Déclaration ne reconnaît pas expressément le droit aux peuples autochtones de s'identifier seuls, sans l'intervention de l'État. L'article 46 réaffirme en outre le principe fondamental de l'intégrité territoriale et l'unité politique des États souverains et indépendants. L'État est donc libre de définir lui même les peuples autochtones.

    Bien qu'elle ne définisse pas les peuples autochtones, la déclaration donne plusieurs indications pour identifier ses bénéficiaires, et ce dès le Préambule : ils se caractérisent par leur lien historique, leur profond attachement aux territoires dont ils ont été dépossédés ; mais également par leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales distinctes, ainsi que par leur culture différente de celle de la population dominante. On y retrouve également les critères de l'antériorité territoriale, de la continuité historique, et de la différence de culture. Elle reprend ainsi les différents

    127

    critères d'identification proposés par les experts internationaux, la doctrine et les peuples autochtones eux mêmes.

    L'adoption de cette Déclaration implique qu'on aborde sous un angle nouveau des questions d'ordre mondial, comme le développement, ou la démocratie multiculturelle. Les États devront donc adopter une approche concertée pour les questions autochtones, avec de réelles consultations et la création de partenariats avec ces peuples. L'impact de la Déclaration dépendra en grande partie de l'énergie que mettront les différentes organisations autochtones et de droits humains à exiger de leurs gouvernements qu'ils la mettent en oeuvre.

    Les débats suscités par les représentants autochtones depuis 20 ans ont porté leurs fruits. Ainsi, même avant son adoption finale, certains articles de la Déclaration ont été repris par des gouvernements, des instances internationales et des cours de justice. Ce consensus émergeant est qualifié par James Anaya de début de droit international coutumier. Selon lui ce droit international émergeant repose sur les principes suivants : « une reconnaissance de l'existence d'un droit à l'autodétermination, celle d'un droit à préserver et développer sa culture, un droit sur les terres et ressources et à une compensation dans les cas de dépossession sans consentement, un accès à des services de bien-être social sans discrimination, un droit au gouvernement autonome comme à un droit de participation à la démocratie nationale et une obligation particulière de protection de la part des états dans lesquels vivent les peuples autochtones », ou encore l'obligation de consulter sinon de chercher la participation des peuples, conformément à la Convention 169 de l'OIT 146.

    Conformément à l'article 42, l'Instance permanente sur les questions autochtones est chargée de veiller à l'application de la Déclaration. Elle veillera donc par ses recommandations à ce que les principes qui sous-tendent la Déclaration sous-tendent également les politiques et programmes des différentes agences des Nations Unies.

    Le Rapporteur spécial a quant à lui déclaré « qu'il s'emploierait à utiliser la Déclaration dans son travail d'enquête sur les violations des droits humains ». Les différents organes de surveillance des traités utiliseront aussi la Déclaration comme outil d'interprétation.

    Toutes les étapes de cette déclaration auront été longues et ardues, et ce temps passé à débattre a eu un effet contradictoire. D'une part l'acharnement et la patience des peuples autochtones à faire reconnaître leurs droits a porté certains fruits. La reconnaissance de certains droits a indéniablement progressé. Par contre, pendant tout ce temps les peuples autochtones du monde n'ont pas eu droit à

    146 LEGER Marie, « L'Histoire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », Recherches Amérindiennes au Québec, Vol XXXVII, NOS 2-3, 2007 ; p. 153

    128

    ce minimum de protection que constitue une déclaration.

    L'esprit de ce texte est animé par la volonté de rétablir la situation des peuples autochtones en leur redonnant un statut en droit international. En reconnaissant leur identité culturelle spécifique, cette déclaration met un terme à la période d'exclusion de ces peuples, « oubliés » par le droit international de la décolonisation. Elle a donc pour objet de réparer les conséquences de cet héritage dont les effets affectent encore profondément les peuples autochtones. La Déclaration constate les injustices commises pendant la colonisation et évoque les menaces qu'implique actuellement la mondialisation. Elle protège les savoirs traditionnels, la biodiversité et les ressources génétiques et impose des limites aux activités que des tiers peuvent mener sur les territoires des peuples autochtones. Ainsi, elle permet d'envisager un dialogue où se réconcilient les spécificités des histoires des peuples et des États, et de travailler à l'amélioration des niveaux de vie des différentes populations autochtones. De plus, un réseau d'organisations de tous les continents s'est créé et sait maintenant utiliser les instances internationales pour défendre ses droits et pour forcer le dialogue avec les autorités.

    Cette reconnaissance des peuples autochtones en droit international est une première étape avant qu'ils puissent retrouver leur capacité à décider d'eux-mêmes et de leurs territoires, et obtenir réparation de leur situation de peuples colonisés. Elle ouvre surtout la voie à la revendication principale des peuples autochtones, le droit à l'autodétermination.

    Il s'agit dès lors de s'intéresser à l'exercice de ce droit à l'autodétermination des peuples autochtones difficilement conciliable avec les politiques des États.

    ii. Une collaboration difficile avec les gouvernements

    Partant du constat de leur propre situation, les organisations autochtones ont en premier lieu estimé essentiel la reconnaissance de leur droit à exister en tant que peuple. À ce titre, elles estiment que « le droit à l'autodétermination doit être admis et effectif non en vue de faire sécession (autonomie mais pas séparation) mais pour être destinataires de droits collectifs garantis et reconnus par les corpus juridiques des États sur la base des instruments internationaux pertinents (intégration mais pas assimilation) » 147.

    Nous aborderons ici la limite entre autodétermination et autonomie des peuples autochtones (1.).

    147 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » , (co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005 ; p. 8

    129

    Nous verrons ensuite que le droit à l'Autodétermination s'exprime plus facilement au sein d'un État fédéral (2.).

    1) Autodétermination/Autonomie

    En 1999, Luis Enrique Chavez, le président du Groupe de travail chargé par la Commission des droits de l'homme de l'ONU d'élaborer une déclaration des droits des peuples autochtones, a conclu qu'il y avait accord sur le fait que l'autodétermination était la pierre angulaire de la déclaration. La reconnaissance de ce droit est une condition essentielle pour les représentants autochtones.

    Ce droit est affirmé dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans deux articles, le 3 et le 4 :

    « Article 3 :

    Les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

    Article 4 :

    Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes. »

    L'article 3 reprend, en ajoutant le terme autochtone, la formulation de l'article 1er, alinéa premier des deux Pactes internationaux de 1966. Mais l'exercice de ce droit, qui est pourtant la condition essentielle pour la protection de leur identité collective, est conçu de manière assez restrictive et n'a pas la même portée juridique que le classique droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

    La reconnaissance de ce droit a en effet été longue et difficile en raison de la réticence des États qui craignaient une potentielle menace pour leur intégrité territoriale. Pendant près de 20 ans, cette question a suscité des débats au sein des conférences internationales entre acteurs gouvernementaux

    130

    et autochtones. Ces derniers, ayant la qualité de peuple au sens international, auraient donc pu exercer librement leur droit à disposer d'eux mêmes et éventuellement choisir l'indépendance. Apparaît ici toute la menace : les États craignent ce droit car son exercice peut potentiellement porter atteinte à leur intégrité territoriale.

    Bon nombre d'États s'opposaient donc aux dispositions émancipatrices pour les peuples autochtones comprises dans la Déclaration ; et ce bien qu'elle n'ait qu'une valeur déclarative. Cette absence de force contraignante amène en outre à s'interroger sur la portée juridique du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones. Celle ci est conditionnée par la conception traditionnelle du droit à l'autodétermination, qui a jusqu'à présent été mis en oeuvre dans le cadre de la décolonisation et s'est traduite par l'accession du peuple concerné à l'indépendance. L'exercice du droit à l'autodétermination a donc été utilisé dans le seul but de mettre fin à la colonisation et de permettre aux populations colonisés de retrouver leur souveraineté.

    Il convient donc de se demander dans quelles mesures le droit à l'autodétermination peut il être applicable aux peuples autochtones. Il y a unanimité parmi ces peuples quant à la nécessité de reconnaître leur droit à l'autodétermination sans autre qualificatif. Selon sa conception traditionnelle, et en l'état actuel du droit international, ce droit est limité et n'équivaut pas au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes consacré dans la Charte des Nations Unies.

    La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n'a pas de force contraignante, mais elle reflète l'engagement des États à avancer dans une certaine direction. Elle ne fait pourtant qu'interpréter les droits de l'homme définis dans d'autres instruments internationaux. C'est en ce sens que la Déclaration a un caractère contraignant pour la promotion, le respect et l'accomplissement des droits des peuples autochtones du monde entier. Elle les aidera, eux et les États, à lutter contre la discrimination et la marginalisation. Elle joue donc un rôle comparable à celui de la déclaration relative à l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, celui « d'un puissant catalyseur dans la formation du droit [...] parce que cette résolution a été précédée et suivie par une pratique abondante conforme aux règles qu'elle énonce » 148.

    Le fait que le droit à l'autodétermination soit effectivement assimilé à la décolonisation, et donc à l'indépendance, explique la réticence des États à admettre que les peuples autochtones puissent en être bénéficiaires. Ces oppositions ont pourtant été dépassées via l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui reconnaît le droit des peuples autochtones

    148 DAILLIER Patrick, PELLET Alain, FORTEAU Mathias, Droit international public, L.G.D.J. Lextenso Éditions, 8e édition, Paris

    131

    à disposer d'eux-mêmes, avec cependant quelques réserves. Cette évolution progressive des mentalités va amener à dissocier de plus en plus le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes de la décolonisation.

    Toutefois, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est entendu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comme étant d'application interne, puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales » 149.

    Le Comité des Droits de l'Homme a lui aussi une approche interne de l'autodétermination, lorsqu'il se prononce sur l'application de l'article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il indique d'ailleurs dans son Observation générale n°12 que les États parties ont l'obligation d'appliquer le droit à l'autodétermination dans leurs systèmes politique et constitutionnel. Interprété de la sorte, l'article premier est plus à même de satisfaire les revendications des peuples autochtones que les résolutions de l'Assemblée générale, fortement marquées par la décolonisation.

    Le Comité demande donc que les États fassent état de l'application de l'autodétermination interne aux peuples autochtones sur leur territoire, afin qu'il puisse donner son opinion. Il recommande également aux États parties de « prendre les mesures nécessaires pour que les Autochtones interviennent davantage dans la prise de décisions concernant leurs terres ancestrales et ressources naturelles (article premier, alinéa 2) » 150.

    Le Comité a donc toujours examiné l'exercice du droit à l'autodétermination du point de vue interne et ne l'a jamais envisagé sous l'angle de la sécession. Cela ne paraît pas nécessaire, puisque les recommandations proposées par le Comité répondent à la plupart des revendications formulées par les peuples autochtones eux-mêmes : ils souhaitent disposer d'eux-mêmes et de leurs ressources naturelles dans le cadre de l'État sur le territoire duquel ils vivent.

    Bien que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'État. Les État opposés à l'autodétermination soutiennent que ce droit va trop loin, et que celle ci ne devrait être circonscrite

    149 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

    150 Voir par exemple, Observations finales, Australie A/55/40, §507.

    132

    qu'au contexte de la décolonisation. Préférant donc parler d ' « autonomie », ils veulent que la portée juridique de ce droit soit strictement limitée.

    La position de l'Australie illustre bien cette tendance : avant l'arrivée du parti travailliste au pouvoir en 2007, le gouvernement conservateur en place depuis 1997 refusait l'inclusion du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans le texte de la déclaration et préférait parler d'autonomie. Lors de l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007, le représentant australien avait indiqué que le gouvernement s'opposait à l'autodétermination, sauf si ce concept s'appliquait à des situations de décolonisation. Il avait par ailleurs précisé que l'Australie s'opposait à la reconnaissance pour les autochtones de droits sur leurs ressources naturelles qui pourrait porter préjudice aux droits d'autres groupes de personnes ; ainsi qu'au concept de l'information préalable au sujet des décisions du gouvernement et à l'inclusion dans le texte du droit à la propriété intellectuelle.

    Cependant cette position s'est infléchie en 2009, lorsque le gouvernement Australien décida le 3 avril d'adhérer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce soutien manifesté à la Déclaration s'ajoute aux fondements d'un nouveau partenariat entre le Gouvernement fédéral et les peuples aborigènes. Ce premier s'engage ainsi à « créer un système qui respecte pleinement les droits des peuples autochtones et qui donne l'opportunité pour tous les australiens d'être véritablement égaux » 151. Ainsi, la Déclaration va fournir une série de standards pour guider les relations avec les peuples autochtones dans le respect de leurs cultures, et aider le Gouvernement dans la lutte contre certains éléments discriminatoires qui persistent encore.

    Bien que hostiles à qualifier les peuples autochtones de peuples, au sens juridique du terme, les États évoluent de manière favorable en ce qui concerne l'acceptation d'une forme d'autonomie. La reconnaissance d'un degré d'autonomie est en effet plus facile à admettre que celle de la qualification de peuples, lourde de conséquences en droit international.

    Le terme « autonomie » fait normalement référence à la capacité d'un groupe de réglementer un certain nombre de champs que l'État supervise habituellement, mais que celui-ci permet au groupe d'administrer pour assurer son propre bien-être tout en demeurant un élément constitutif de cet État152. L'entité autonome peut donc à tout moment se faire imposer unilatéralement par l'État où elle se trouve des restrictions de son autorité.

    Bien qu'elles aient lourdement subi les impacts des politiques coloniales, le droit à l'autonomie

    151 3 avril 2009 « L'Union fait la force, Soutien à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, un moment critique pour l'Australie » http://www.hreoc.gov.au/about/media/media_releases/2009/21_09.html

    152 Voir Louis Sohn « The Concept of Autonomy in international Law and the Practice of the United Nations » , 15 Israël Law Review 2 (1980)

    133

    appartient aux nations autochtones dans leur ensemble.

    L'article 46 de la Déclaration limite la portée juridique du droit à disposer d'eux-mêmes en disposant qu' « aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être (...) considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'un État souverain et indépendant ». Le but est donc d'empêcher un exercice externe de l'autodétermination. Ce droit s'exerce donc sur un plan interne et même plus restrictivement sur un plan local 153. Ainsi, pour une grande partie des États, l'exercice du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes consiste à leur accorder une plus grande autonomie dans la gestion et l'administration de leurs affaires locales. Le moyen de savoir s'il y a autodétermination, c'est de vérifier si les peuples autochtones ont réellement le sentiment de pouvoir choisir leur propre mode de vie.

    Même avec l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, leur droit à disposer d'eux-mêmes n'a pas encore acquis une valeur juridique positive. En effet, l'exercice interne du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est nouveau en droit international, et ce droit est en pleine construction. Au sens de la Déclaration, l'exercice de ce droit est un processus dont les modalités varient selon les situations, et qui laisse la place à la négociation entre les États et les peuples autochtones.

    Ce droit à l'autodétermination s'exprime pleinement au sein d'un État fédéral. Voyons donc les avantages que possèdent ces États pour l'exercice du droit à l'autodétermination.

    2) Les avantages du fédéralisme

    Dans la tradition occidentale, l'idée de fédéralisme remonte aux travaux d'Althusius (XVIIe siècle), qui mettait l'accent sur l'autonomie, l'interdépendance, les processus de communication et le caractère collectif des décisions. Le fédéralisme tel que le concevait Althusius exige aussi des institutions flexibles et la recherche d'une certaine forme d'union. Ainsi, il semblait s'en être fait à peu près la même conception que les autochtones.

    Le droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes dans le cadre des États s'affirme souvent

    153 Voir E/CN.4/2001/85, §76

    134

    sur deux plans à la fois : ils demandent une plus large autonomie, et une plus large représentation au sein des organes de décision de l'État.

    Ces deux expressions du droit des autochtones à disposer d'eux-mêmes correspondent aux deux piliers du fédéralisme : l'autonomie et le partage du pouvoir. Les États fédéraux peuvent en effet fournir un cadre favorable aux aspirations des peuples autochtones, et sont capables de témoigner du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones.

    On trouve dans les traditions autochtones des conceptions du fédéralisme analogues aux conceptions occidentales. Bien avant l'arrivée des Européens sur leurs terres, les nations autochtones d'Amérique avaient des organisations politiques de type fédéral ou confédéral : confédération des Mi'kmaq en Acadie, des Haudenasaunee (Iroquois) dans la région des Grands Lacs, des Blackfoot dans l'Ouest, etc 154.

    Il apparaît donc que les États fédéraux peuvent fournir un cadre favorable aux aspirations des peuples autochtones. Tout d'abord, le fédéralisme repose sur le respect de la diversité. Il est capable de témoigner du respect pour la culture, la langue, le droit et le mode de vie des peuples autochtones. Les institutions des États fédéraux peuvent aussi traduire cette diversité dans leurs symboles et dans leur pratique officiels, et montrer ainsi leur respect pour la culture politique des peuples autochtones 155. Les États fédéraux possèdent en général une grande capacité d'adaptation et d'innovation, ce qui permet de prendre en considération les diverses aspirations des peuples autochtones.

    Le fédéralisme permet également la coexistence d'identités multiples dans un même État, et il suppose plusieurs niveaux de gouvernement, dont certains se caractérisent par un partage de la souveraineté. En Australie par exemple, l'État fédéral et les États fédérés sont tous souverains dans leurs domaines de compétence respectifs.

    Dans les États fédéraux, les peuples autochtones essaient d'exercer le droit de disposer d'eux-mêmes en négociant des arrangements qui leur accordent l'autonomie. Ces accords déterminent les compétences que peuvent exercer les gouvernements des peuples autochtones, et leur confèrent la suprématie dans certains domaines en cas de conflit entre leurs lois et celles de l'État fédéral ou des États fédérés.

    Certains essaient simplement d'exercer les compétences qui découlent de leur droit naturel à l'autonomie ; d'autres essaient d'exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes en se dotant d'un

    154 HAWKES David C., « Les peuples autochtones : autonomie et relations intergouvernementales », Revue internationale des sciences sociales , 2001/1 n° 167, p. 168

    155 Ibid, p. 167

    135

    gouvernement régional. Cette aspiration des peuples autochtones à l'autonomie émane du désir de ces peuples de conserver leurs valeurs et leurs traditions, leurs modes de vie, leurs langues et leurs cultures.

    En outre, les peuples autochtones tendent à prendre une part accrue à l'élaboration des décisions publiques notamment dans le cadre des institutions fédérales et des relations intergouvernementales existantes.

    Après avoir occupé une place réduite au sein des assemblées législatives, au niveau fédéral comme à celui des États fédérés, les autochtones demandent une plus large représentation au sein de ces assemblées, et plus particulièrement au sein des organes de l'État chargés du règlement des différends ou de créer des organismes et des procédures de règlement des différends qui soient adaptés à leurs besoins. Dans les assemblées législatives de plusieurs pays, tels que le Canada, un certain nombre de sièges sont réservés aux peuples autochtones. Dans d'autres pays, comme les pays scandinaves, les autochtones possèdent leur propre parlement.

    Cette volonté des autochtones de participer plus largement à l'élaboration des décisions publiques s'étend aux relations intergouvernementales. Lorsque la population autochtone est majoritaire dans une région, l'aspiration à une plus large autonomie peut se réaliser dans le cadre d'un gouvernement régional. Les peuples autochtones peuvent aussi exercer leur droit ancestral à l'autonomie en négociant des accords intergouvernementaux. On peut donc associer les autochtones aux relations intergouvernementales au sein de l'État fédéral.

    En Australie, le fédéralisme fait référence à un modèle d'organisation de l'État qui divise les pouvoirs publics entre deux sphères de gouvernement, dont chacune possède ses propres institutions, son domaine de compétence protégé par la Constitution, et est démocratiquement responsable devant le peuple australien ou une partie de celui-ci. En ce sens, il protège l'autonomie gouvernementale de sections de la population définies par un territoire.

    Les représentants autochtones tirent des modalités de leur reconnaissance internationale comme sujets de droits collectifs une légitimité qui leur permet de poursuivre des actions sur différents terrains. Intéressons nous donc à ces nouveaux acteurs de la communauté internationale.

    136

    iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales

    L'émergence de la question autochtone à l'ONU a permis à la communauté internationale de prendre conscience d'un phénomène qui dépasse les limites territoriales des États. De nouveaux acteurs qui s'identifient à des « peuples » et à des « nations » prennent pied dans un monde globalisé, en revendiquant des droits de nature collective et la production de normes internationales susceptibles de les protéger.

    Nous allons donc traiter ici de la participation des autochtones, à travers leurs représentants, au sein de l'ONU (1.), puis nous verrons les menaces que le phénomène de mondialisation fait peser sur les peuples autochtones (2.).

    1) La participation sur la scène onusienne

    Les entités investies d'une personnalité juridique internationale doivent nécessairement accepter de s'acquitter des obligations internationales qui vont de pair, comme le respect des droits fondamentaux de leurs membres ou le respect des normes de la communauté internationale relatives à la pollution transfrontalière. Une fois que le droit de disposer d'eux-mêmes a été reconnu aux peuples autochtones, ces obligations, ainsi que les moyens et les méthodes pour les mettre en application, devront être définis dans le cadre de processus de formulation à l'échelle internationale.

    En revendiquant des droits humains collectifs, les peuples autochtones entendent renégocier leur place dans l'espace politique de leur État, en mobilisant la communauté internationale. Ils entendent, non seulement ne plus être exclus des processus de développement, mais surtout peser sur la définition des politiques et des programmes les concernant.

    Leur participation sur la scène internationale passe donc par « des mesures de sauvegarde des peuples en voie de disparition et de protection des peuples existants, en construisant les normes juridiques opposables au tiers, en particulier les compagnies transnationales. Cela passe aussi par l'ouverture d'un dialogue avec les sociétés dominantes et la reconstruction des équilibres politiques, juridiques et constitutionnels des États pour prendre en considération le caractère multiculturel des sociétés modernes » 156.

    156 BELLIER Irène, « Les deux faces de la mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » ; in La mesure de la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31 ; 2007 ; p. 94

    137

    Les quelques évolutions favorables enregistrées témoignent de l'utilité d'une mobilisation rendue plus aisée par les nouvelles techniques d'information et de communication. En effet, depuis la fin des années 1990, les autochtones sont progressivement incorporés dans le tissu planétaire des communications par Internet. Cela les rapproche des militants altermondialistes qui se sont intéressés aux autochtones de terrain, sans souhaiter pour autant les convertir en « classe paysanne » comme durant les années 1970.

    Les peuples autochtones construisent leur expertise dans le triple champ de l'appartenance à un peuple, de la connaissance technique et de la maitrise du langage et des rapports de pouvoir internationaux 157.

    La Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, qui a eu lieu à Rio de Janeiro en juin 1992, a été un événement important pour les populations autochtones et leurs relations avec l'ONU. Ce fut l'un des plus grands rassemblements de peuples autochtones qui aient jamais eu lieu, lors du Forum des ONG, dont la tenue a coïncidé avec celle du Sommet appelé « planète Terre » et où les peuples autochtones ont adopté leur propre déclaration sur l'environnement et le développement, la Déclaration Kari-Oka.

    Il a été reconnu, qu'en raison de leur savoir et de leurs pratiques traditionnelles, les populations autochtones ont un rôle essentiel à jouer dans le domaine de la gestion de l'environnement et du développement. Depuis, elles sont parties prenantes de tous les sommets de la planète, avec un intérêt spécial pour ce qui concerne le développement durable et le gestion des ressources naturelles, la lutte contre la discrimination, la protection de la diversité culturelle, ainsi que l'information et les nouvelles technologies de communication.

    D'autres conférences de haut niveau, notamment la Conférence internationale sur la population et le développement (Le Caire, 1994), le Sommet mondial pour le développement social (Copenhague, 1995), la quatrième Conférence mondiale sur les femmes (Beijing, 1995) et la Conférence des Nations Unies sur les établissements humains (Habitat II) (Istanbul, 1996), ont toutes fait des recommandations concernant les populations autochtones. Au cours de ces conférences, les peuples autochtones tentent, à chaque fois, d'inscrire les priorités des « indigènes/autochtones » dans l'agenda des dominants. Ils traduisent ainsi en termes globaux les préoccupations de leurs peuples, qui sont à la fois singulières et généralisées.

    157 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p. 77

    138

    En effet, les problèmes posés par les activités extractives et minières des firmes transnationales sont similaires pour tous les peuples autochtones. Mais dans chaque cas, la résolution des problèmes passe par l'adoption de normes aux niveaux internationaux, et par une volonté politique aux niveaux national et local.

    Les résolutions autochtones figurent donc dans les rapports émanant des sommets planétaires sur la terre, l'eau, le changement climatique, les femmes, les enfants, le racisme, ou les objectifs de développement du millénaire. Leurs revendications et les solutions qu'ils proposent ont mûri dans des réseaux transnationaux, et dans l'activisme international.

    L'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en 2007, par l'Assemblée et le ralliement en 2009 et 2010 des quatre seuls opposants déclarés (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis) marquent une étape significative de la manière dont les États prennent en considération les sociétés autochtones. La Déclaration ouvre donc la voie a la redéfinition de leur place dans la communauté internationale.

    Il convient donc d'analyser la scène internationale comme « un lieu de renégociation des altérités, où la formation d'un "nous", peuples autochtones, rencontre l'expression d'un "nous", communauté internationale » 158.

    Ce « nous » autochtone, qui fait écho aux premiers mots de la Charte des Nations Unies, est représenté sur le site web de l'Instance par deux logos superposés. Le premier suggère la rencontre entre les peuples du monde sous la forme d'une poignée de main de couleurs différentes ; le second inscrit « We, the Peoples » au centre du logo des Nations unies en filigrane.

    Cette volonté d'union des peuples autochtones est la conséquence du passé tumultueux des peuples autochtones, elle s'appuie donc sur l'histoire des rencontres entre les pionniers et les autochtones, ainsi que sur des catégories linguistiques.

    Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH) s'efforce d'intégrer les questions autochtones dans les agences onusiennes. L'Instance permanente sur les questions autochtones, dont le mandat est de formuler des recommandations aux États, répond donc à cet objectif dit de mainstreaming, en transformant les discours en actes politiques, juridiques et techniques, afin de répondre à des situations de tensions et de conflits.

    158 Jbid ; p. 66

    139

    L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture a lancé, en septembre 2010, une politique sur les populations tribales et indigènes tendant à l'intégration de cette dimension dans tous les travaux de l'Organisation. Les autochtones doivent être considérés non seulement comme des bénéficiaires mais comme des partenaires dans le dialogue et les politiques qui les concernent.

    De son coté, le Fonds international de développement agricole (FIDA), a fait remarquer que les peuples autochtones représentaient environ un tiers des peuples ruraux les plus pauvres du monde. En même temps, ils ont fait des progrès dans le sens d'une meilleure reconnaissance de leurs droits, et pour sauvegarder leur héritage et promouvoir leur culture. Ils jouent un rôle vital en tant que gardiens des ressources naturelles et possèdent une richesse de savoirs sur leur environnement. En septembre 2009, le FIDA a approuvé sa politique d'engagement avec les peuples autochtones, qui vise à les aider à sortir de la pauvreté en respectant leur identité et leur culture 159.

    Certains États, tels que les pays latino-américains, ont été poussés par la politique de reconnaissance poursuivie par le mouvement international à faire des changements constitutionnels significatifs du glissement vers le multiculturalisme, et ainsi aller vers la construction d'un État plurinational 160.

    « L'enjeu pour les représentants autochtones reste de sortir du cercle des experts onusiens pour se positionner comme interlocuteurs légitimes des autorités nationales. L'enjeu pour le système onusien est de poursuivre dans le champ labellise « droits des peuples autochtones » les réformes des systèmes nationaux » 161.

    Bien qu'ils soient pleinement intégrés sur la scène internationale, il convient d'analyser les rapports entre les peuples autochtones et le phénomène de la mondialisation.

    2) Les menaces dues à la mondialisation

    « La "mondialisation", qui n'est que la mondialisation d'un certain type de pensée et de comportement, ruine tout autre système de valeurs au nom du progrès. Et pourtant, sauf à être un intégriste du libéralisme, on ne peut se cacher qu'un certain nombre de nos valeurs

    159 ANAYA James, « La déclaration sur les droits des peuples autochtones doit être un impératif moral et politique », Assemblée générale Troisième Commission - 18e et 19e séances ; AG/SHC/3982 ; 18/10/2010

    160 RAQUEL Z., YRIGOYEN Fajardo (coord.), Pueblos indIgenas : constituciones y reformas polIticas en América latina, Lima, ILSA, IIDS, INESC, 2010.

    161 BELLIER Irène, « Les peuples autochtones aux Nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes internationales », Critique internationale, 2012/1 n° 54, p. 79

    140

    occidentales sèment la mort »

    Danielle Mitterrand 162

    À l'heure de la mondialisation économique, le pouvoir des sociétés transnationales éclipse bien souvent celui des États. Bon nombre de gouvernements, submergés par les forces du marché, ne sont pas en mesure de réglementer les activités des grandes entreprises ni de protéger les peuples autochtones contre des approches destructrices. Il est donc très important d'élaborer une machinerie juridique internationale afin de donner aux États davantage de moyens pour défendre leurs citoyens et leur environnement contre les activités de multinationales irresponsables, et en particulier celles qui perturbent, déplacent et annihilent les peuples autochtones 163.

    Nous allons donc nous intéresser à manière dont la mondialisation est perçue par les autochtones tant pour utiliser les aspects qui leur sont bénéfiques que pour s'opposer à ceux qui leur sont néfastes. La dynamique du mouvement international des peuples autochtones est un prisme d'analyse de la mondialisation, car il constitue un bel exemple de dialogue institutionnalisé entre des acteurs de statuts aussi différents que les États, les organisations internationales, les associations autochtones, les organisations de développement ou de droits humains.

    Le phénomène de mondialisation fait que bien des décisions ne sont même pas prises par les gouvernements, qui ont parfois les mains liées à cause de leurs obligations, ou parce qu'ils sont lourdement endettés. Les décisions se prennent à l'Organisation mondiale du commerce, à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international, etc. C'est pourquoi il arrive que les peuples autochtones travaillent en collaboration étroite avec les gouvernements dans des instances comme l'OMC, afin d'affirmer leur droit de contrôler le territoire national et leurs propres ressources nationales.

    La mondialisation semble également s'accompagner de mécanismes générateurs de pauvreté pour les autochtones. Celle-ci est liée à la non reconnaissance de leurs droits, à l'expropriation des terres traditionnelles, à la dégradation de leur environnement, à la réduction de leur accès aux ressources naturelles et productives, et à la migration forcée. La mondialisation synonyme d'intégration économique est assimilée à un néocolonialisme, avec un effet fortement destructeur sur les peuples

    162 Préface de Danielle MITTERRAND, dans BURGER Julian, Report from the Frontier. The State of the World's Indegenous Peoples , Londres, Zed Books, 1987, 310p.

    163 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002, p. 13

    141

    autochtones.

    L'urbanisation rapide est également mise en relation avec les migrations que suscite le développement d'une agriculture commerciale provoquant une pression sur les terres indigènes et une diminution de leur autonomie. D'autres facteurs concourent également aux migrations tels l'accroissement de la pauvreté des communautés autochtones, les déplacements forcés par la réalisation de grands travaux et la militarisation des territoires.

    Face à la déferlante uniformisatrice de la mondialisation et à l'assimilation paternaliste des autorités nationales, les communautés autochtones répondent par un « indianisme » respectueux des identités : « Être reconnus égaux et différents, citoyens nationaux et indigènes dans des démocraties plurielles qui sachent faire l'unité dans la diversité » 164. Ces revendications multiples portent en elles une volonté d'émancipation, d'appropriation et de maîtrise de leur avenir. Ce qui est en jeu ce sont les modes d'autonomie, d'intégration sociale et d'unité nationale à l'ère de la mondialisation de l'économie et de la culture occidentale.

    Cette méfiance vis-à-vis de la mondialisation résulte de la relation idenficatoire des peuples autochtones qui se sentent menacés, avec des territoires dont les ressources naturelles sont convoités par les compagnies transnationales. Les représentants des organisations autochtones se sont donc entraîné à la discussion afin d'être capables de porter leurs critiques sur la scène internationale. Ils se sont efforcés de devenir des partenaires consultés et si possible écoutés dans les instances internationales dévolues aux questions autochtones. Les « autochtones de l'ONU» sont donc devenus des « autochtones mondialisés » par le fait de dialoguer avec des interlocuteurs extrêmement diversifiés, et par les savoirs, juridiques ou experts qu'ils construisent afin d'occuper l'espace de dialogue et de participation.

    D'un autre coté les nouvelles technologies qui se développent avec la mondialisation permettent d'échanger des idées, de développer des réseaux de soutien et de travailler au blocage des effets les plus visibles de l'insécurité économique et sociale induite par les formes nouvelles du capitalisme libéralisé, à une échelle plus vaste que celle des communautés locales.

    Un représentant des îles Norfolk, à l'Ouest de l'Australie, soulignait ce « double visage » de la mondialisation :

    « La mondialisation a deux visages. D'un côté, elle peut offrir plus d'emploi et de prospérité en un lieu, de l'autre elle ignore totalement les préoccupations indigènes et minoritaires ».

    164 DEROCHE Frédéric, « Le mouvement international des peuples autochtones. Bilan, enjeux et perspectives » , (co-écrit avec Raphaël Porteilla), Les documents de l'IDRP, 2005, p. 9

    142

    Aujourd'hui, les puissantes firmes internationales, qui n'évoluent que pour le profit, s'affranchissent de toutes règles notamment celle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ainsi on constate bon nombre de situations conduisant à la déforestation, aux déplacements de groupes de populations, à la construction de barrages par immersion des terres ou au pillage des ressources naturelles, incluant désormais la brevetabilité du savoir traditionnel.

    Les grands projets d'investissement qui encouragent la construction de barrages, le développement de zones touristiques, de centres de communications, l'implantation d'usines, ou encore l'exploitation de ressources, sont particulièrement problématiques. En effet, bien qu'ils soient rédigés avec l'accord des élites nationales, ils ne prennent pas en considération la nécessité

    de consulter les populations locales et d'obtenir leur consentement.

    L'International Forum on globalisation, une institution Nord-Sud de recherche qui réunit des universitaires, des juristes et des experts autochtones, signale que :

    « les peuples autochtones sont assis sur les frontières de l'expansion de la mondialisation parce qu'ils occupent les derniers écrins de la terre où abondent les ressources : forêt, minerais, eau, diversité génétique. Tous férocement convoités par les corporations mondialisées »

    Cette institution travaille dans le cadre d'un « Programme sur les peuples autochtones et la mondialisation » qui analyse l'impact sur les communautés indigènes des avancées technologiques et des marchés financiers globalisés, des accords régionaux de libre-échange, des accords de commerce et d'investissement qui ouvrent les territoires inaccessibles aux industries extractives (grands barrages, forages, mines, pipelines, routes) ainsi que de la militarisation croissante de zones dites de sécurité, qu'elles soient en région frontalière ou bien définies de façon ad hoc pour lutter contre « le terrorisme » dans le cadre de politiques « recommandées » par les bailleurs de fonds 165.

    L'une des plus grandes menaces pour les peuples autochtones est l'industrie minière, qui s'est fortement développée à la fin du XXe siècle pour satisfaire les demandes en énergie. De tels projets entraînent la détérioration environnementale des terres traditionnelles en plus d'une perte de la culture, des connaissances traditionnelles et des moyens de subsistance des peuples autochtones, et leur imposent une économie et des valeurs sociales étrangères.

    165 BELLIER Irène, « Les deux faces de la mondialisation : l'ONU et les peuples autochtones » in La mesure de la mondialisation, Cahier du Gemdev, n°31, 2007, pp. 80-95.

    143

    Plus généralement, l'accaparement des terres à large échelle entraîne des violations graves des droits humains des populations locales, qui sont le plus souvent expulsées de leurs terres sans être consultées et sans obtenir une compensation adéquate ou une proposition de relocalisation sur d'autres terres 166.

    En Australie, pratiquement toutes les réserves minérales importantes sont sur des territoires Aborigènes. Ainsi, l'implantation de mines dans l'Ouest de l'Australie équivaut à la mort spirituelle de nombreux Aborigènes habitant sur ces territoires. Les chassant de leur habitat, profanant leurs sites sacrés, l'implantation de ces mines les prive de leur intégrité culturelle. Selon Patrick Dodson, directeur du Central Lands Council :

    « Quand vous séparez un aborigène de sa terre, vous le séparez de l'esprit qui lui donne la vie ,
    · cet esprit ne peut pas se régénérer en un autre lieu. Il ne reste plus que les formes vides d'êtres humains vivant dans les pays d'autres peuples
    » 167.

    En outre, il arrive parfois que ce soit les forces armées de l'État qui désirent s'approprier les territoires autochtones, justifiant la spoliation par l'exploitation de « zones de concentration de ressources stratégiques ».

    Pour terminer, reprenons notre illustration précédente, et intéressons nous à l'exercice du droit à l'autodétermination par les Aborigènes sur le territoire australien.

    C) La politique d'autodétermination des aborigènes australiens

    Nous analyserons ici la mise en place de la politique d'autodétermination des aborigènes. Cette question est décisive à double titre, d'une part en raison de l'évolution du concept au niveau international et d'autre part du fait que ce concept a été préconisé comme principe de base de l'administration fédérale des Aborigènes en 1972.

    Nous aborderons tout d'abord l'avènement de la politique de multiculturalisme avec le Gouvernement Whitlam (i.). Nous traiterons ensuite des différents instruments chargés d'assister et de veiller à l'application du droit à l'autodétermination (ii.). Enfin nous terminerons par la remise en question de cette politique d'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien (iii.).

    166 OZDEN Melik, GOLAY Christophe, « Le droit des peuples à l'autodétermination, et à la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles sous l'angle des droits humains , Brochure (CETIM), p. 42

    167 Ibid. ; p. 103

    144

    i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une politique d'autodétermination.

    À la fin des années 1970, le gouvernement australien pratiqua une nouvelle politique quant au traitement de ses communautés indigènes (1.). L'adoption de cette politique permit de faciliter la création de structures représentantes séparées, ainsi que la formalisation d'un processus d'autodétermination des Aborigènes au sein du territoire australien (2.).

    1) L'avènement du multiculturalisme dans la société australienne

    En remportant les élections fédérales de 1972 contre William Mac Mahon, Gough Whitlam devint le premier Premier Ministre travailliste depuis vingt-trois ans. Les tergiversations du gouvernement de Mac Mahon dans la gestion de la crise de la Tent Embassy 168 ont contribué à la chute de la coalition qui commençait à ressentir l'usure du pouvoir après autant de temps à la tête du pays. Whitlam devint donc le vingt-sixième Premier ministre du Commonwealth d'Australie. Fervent défenseur des Droits de l'Homme, il n'eut de cesse de faire campagne pour l'adhésion totale de l'Australie aux conventions des Nations Unies.

    Ainsi, l'une de ses premières mesures fut de mettre fin à la politique officielle d'Assimilation. Considérant que le monoculturalisme n'était plus adapté à la réalité sociodémographique de l'Australie, il introduisit dès 1973 le concept de multiculturalisme dans l'espace australien par le biais de son Ministre de l'Immigration Al Grassby. Le Gouvernement souhaitait ainsi reconnaître la diversité ethnoculturelle du pays, et donner le ton de ses futures politiques socioculturelles. Pour Whitlam, le pluralisme culturel était un moyen de créer de l'harmonie sociale et de la cohésion nationale. Il considérait d'une part que la reconnaissance des particularités de chaque groupe ehtnoculturel était une condition de leur incorporation, et estimait d'autre part qu'une discrimination positive était nécessaire pour construire une société égalitaire. En outre, il jugeait qu'aucun résultat tangible ne pourrait être obtenu tant que les gouvernements imposeraient leurs politiques aux minorités ethniques plutôt que de travailler en collaboration avec elles.

    La définition du multiculturalisme dans ses dimensions culturelle, sociale et économique n'en a fait comme limites que l'acceptation « des structures de base et des principes de la société

    168 Voir infra, Partie I ; C) ; ii) La reconnaissance institutionnelle des aborigènes

    145

    australienne - la Constitution, la légalité, la tolérance et l'égalité, la démocratie parlementaire, la liberté d'expression et de religion, l'anglais comme langue nationale et l'égalité des sexes ». Cette politique permet à l'Australie de se présenter comme une société tolérante qui répond aux défis posés par sa diversité culturelle. Le multiculturalisme repose sur certains principes fondamentaux, tels que la reconnaissance des héritages, le respect des spécificités et le maintien des particularités ethnoculturelles.

    Cette politique d'intégration visait à terme à l'égalité socioéconomique de tous les citoyens et la participation des minorités aux structures politiques australiennes. Whitlam proposait donc la mise en place d'une démocratie sociale par des réformes accompagnant la politique de multiculturalisme. Le Gouvernement conduisit par exemple le Parlement à voter la Loi sur la discrimination raciale de 1975. Ce texte fédéral de portée générale interdisait toute discrimination raciale, mettant ainsi en oeuvre dans le droit interne les engagements internationaux de la fédération, celle ci ayant ratifié en 1975 la Convention internationale de 1966 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

    Il faut bien comprendre que le multiculturalisme n'est pas antinomique à l'acculturation des minorités, à condition qu'elle reste choisie et partielle. L'acculturation est nécessaire à la réalisation du modèle d'intégration, qui vise à la création d'une société plurielle, c'est à dire une société unique au sein de laquelle les différences ethnoculturelles peuvent être exprimées. L'intégration des minorités ethniques dépend ainsi de leur acculturation. Mais ces dernières ne considèrent pas toujours l'intégration comme une politique progressiste, et préfèrent plutôt revendiquer une autonomie dans certains cas.

    En entrant dans l'ère du multiculturalisme, l'Australie adoptait une nouvelle approche dans le traitement de son « problème aborigène ». Quasi deux-cent ans après la colonisation, les autorités australiennes préconisaient une nouvelle politique qui semblait promettre un degré important d'autonomie aux Aborigènes.

    Au sein de la classe politique, le multiculturalisme ne faisait pas l'unanimité : les conservateurs continuaient de défendre l'idéal d'une Australie britannique monoculturelle, et les progressistes de gauche estimaient que les politiques du gouvernement ne suffisaient pas à confronter les inégalités économiques, sociales et raciales qui continuaient de diviser l'Australie.

    Cette politique du multiculturalisme a démontré ses limites : d'une part les réformes socio-économiques envisagées ne pouvaient suffire à soulager les populations autochtones ; et d'autre

    146

    part, cette politique ne pouvait apporter à elle seule des réponses à la « question aborigène ». Les Aborigènes devaient donc faire l'objet d'une politique à part, qui prenne en considération leurs spécificités culturelles et socio-économiques, qui reconnaisse le poids de l'histoire et la particularité de leur statut, qui prenne en compte leurs demandes politiques et qui réponde à leurs revendications foncières 169.

    Un territoire, un groupe organisé, une société auto-suffisante, des valeurs culturelles et spirituelles sont les caractères communs aux Aborigènes. Il y a donc des communautés aborigènes dont l'identité commune a été cimentée par la colonisation pour en faire un peuple autochtone qui aujourd'hui réclame l'autodétermination. Voyons donc comment s'est formalisé ce processus de construction de l'identité autochtone.

    2) Formalisation d'un processus

    L'introduction du principe de l'autodétermination des Aborigènes en tant que politique gouvernementale en 1972 marqua une rupture importante par rapport aux politiques d'Assimilation et d'Intégration qui avaient été menées jusqu'alors. À l'instar de ces politiques, l'autodétermination s'opposait au principe d'assimilation culturelle. Ainsi les différences des Aborigènes étaient respectées, valorisées, protégées et encouragées. Dans le cadre de l'autodétermination, la reconnaissance de la différence culturelle impliquait une différenciation structurelle ; « les spécificités historiques et culturelles de la minorité autochtone ne devaient pas être simplement juxtaposées aux spécificités historiques et culturelles des autres minorités, elles devaient constituer la base de systèmes repensés, de structures remaniés, de politiques séparées, de programmes spécifiques et de droits distincts » 170.

    Les gouvernements placèrent ainsi la notion de choix au coeur des affaires aborigènes. Cette notion est fondamentale à l'autodétermination des autochtones, et implique qu'ils puissent choisir de pratiquer leurs cultures sans encombres et sans contraintes, qu'ils puissent opter pour un mode de vie qui s'inscrive dans la continuité de la tradition, ou bien au contraire qu'ils puissent décider de s'acculturer davantage pour s'assimiler à la société dominante. Non seulement ils pouvaient théoriquement choisir la séparation plutôt que l'assimilation structurelle à condition de ne menacer

    169 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 91

    170 ROYER Ludivine, L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007 ; p. 112

    147

    ni l'intégrité territoriale ni la souveraineté de l'État, mais les choix qui leur étaient donnés de faire restaient ouverts, flexibles, et peu contraignants.

    L'autodétermination requiert donc des gouvernements qu'ils mettent en place des politiques et des programmes spécifiques qui permettent aux autochtones de choisir la séparation plutôt que l'assimilation ou l'intégration. Selon Ludivine Royer et Tim Rowse, ces politiques et programmes s'agencent autour de trois axes : la prise en compte de l'existence d'une minorité à part et la liberté des autochtones de s'identifier en tant que tels, la reconnaissance légale des droits fonciers des premiers habitants et l'émergence de structures représentantes autochtones 171 :

    « On peut considérer que la reconnaissance des population aborigènes et insulaires du détroit de Torres, la législation d'une base foncière autochtone et la promotion du secteur autochtone violent chacun un principe fondamental pour les défenseurs de l'assimilation, parce qu'ils établissent un système de propriété et une base institutionnelle séparés en vue du développement d'un peuple autochtone reconnu » 172.

    Le principe d'autodétermination des Aborigènes s'appuie sur cinq piliers principaux : le développement socio-économique, le respect des cultures et des modes de vie, la liberté d'être et de s'identifier, les droits fonciers et le transfert des pouvoirs via les structures autochtones.

    Les gouvernements qui succédèrent au gouvernement Whitlam entre 1975 et 2006 accordèrent plus ou moins d'importance à ces piliers de l'autodétermination. Ils préférèrent d'ailleurs parler d'autogestion ou d'autonomie plutôt que d'autodétermination. Néanmoins, le gouvernement de la coalition de Malcolm Fraser (1975-1983) et le gouvernement travailliste de Bob Hawke (19831991) acceptèrent le principe d'un développement séparé des Aborigènes au sein de l'État.

    Dans les années 1970 et 1980, les différents gouvernements successifs vont donc soutenir un même processus en multipliant les programmes pour donner corps à ces piliers de l'autodétermination. Ainsi, le développement des droits des Aborigènes sur leurs terres fut un processus constant et soutenu, l'octroi aux Aborigènes de droits statutaires sur les terres s'imposant très vite comme une conditions sine qua non de l'autodétermination. La restitution aux Aborigènes de certaines terres était nécessaire pour qu'ils puissent librement pratiquer leur culture, et maintenir leurs structures sociales. En outre, le principe de rétrocession des terres était fondamental au projet de développement économique tel qu'il fut imaginé à partir de 1972.

    171 Jbid, p. 99

    172 ROWSE Tim « Contesting assimilation » (ed), Perth : Australian Public Intellectual Network, 2005e, p. 19

    148

    Néanmoins, les implications du droit à l'Autodétermination des Aborigènes ne firent jamais l'objet d'un consensus en Australie. Il ne fut jamais sérieusement question d'une sécession politique et territoriale des Aborigènes. Bien que le gouvernement s'accorde à dire que cette politique d'autodétermination implique que les Aborigènes puissent définir les moyens, les objectifs, et le rythme de leur développement, la définition exacte de l'autodétermination, ses conséquences et la manière de la mettre en oeuvre sont conçues différemment par différents groupes.

    Lors du séminaire sur le Droit à l'autodétermination des peuples autochtones qui s'est tenu à New York, le 18 mai 2002, le Commissaire à la Justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, Bill Jonas, releva quatre grands constats :

    · Tout d'abord, pour les Aborigènes et les habitants des îles du détroit de Torres, l'autodétermination signifie une autonomie gouvernementale totale et une participation effective des autochtones aux instances qui définissent et contrôlent leur existence ;

    · Deuxièmement, les autochtones australiens ne partagent pas l'idée voulant que l'autodétermination débouche sur la sécession ou la formation d'États séparés ;

    · Troisièmement, les autochtones australiens considèrent que l'autodétermination est essentielle à la protection et à la vie de leurs cultures, ainsi qu'à la préservation de leur intégrité culturelle ;

    · Quatrièmement, en dépit de ces facteurs, les peuples autochtones en Australie n'estiment pas que leur droit à l'autodétermination devrait être réduit à ce qu'on appelle

    « l'autodétermination interne » 173.

    La loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes de 1976 (Aboriginal Councils and Associations Act 1976), reflétait une volonté gouvernementale d'encourager la formation d'un Secteur autochtone capable de défendre les intérêts des communautés aborigènes. Voyons donc les différents instruments d'autodétermination mis en place par les gouvernements successifs.

    ii. Les différents instruments d'autodétermination sur le territoire australien

    Cette politique d'autodétermination des Aborigènes australiens avait conduit à la création de plusieurs organisations représentantes au sein de ces communautés. Le gouvernement avait d'abord

    173 Séminaire Droit à l'autodétermination des peuples autochtones , New York, le 18 mai 2002, National Library of Canada, second quarter 2002 ; « L'Autodétermination, une perspective australienne » Bill Jonas, p. 34

    149

    créé bon nombre d'organismes aborigènes à partir de 1973 participant à ce que Tim Rowse, professeur à l'Université de Sydney, a appelé le « Secteur autochtone » (1.). Nous analyserons ensuite la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, principal instrument d'autodétermination des Aborigènes (2.).

    1) Le Secteur autochtone

    Favorable à l'autodétermination des peuples, le gouvernement Whitlam avait donc décidé de créer une multitude d'organismes aborigènes chargés de la mise en place de cette politique d'autodétermination.

    Le gouvernement créa divers services ministériels destinés à gérer et surveiller certains domaines intéressant la minorité autochtone tels la santé ou l'éducation, et mettra en place une structure de conseil destinée à protéger ses intérêts : « The Aboriginal Legal Service. Le Ministère des Affaires Aborigènes fut également créé afin de gérer les affaires spécifiques aux communautés indigènes.

    Le gouvernement nomma également une Commission (Aboriginal Land Rights Commission) pour enquêter sur les moyens de réaliser les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord. La présentation de son rapport final en 2004 permis au gouvernement Whtitlam d'introduire un projet de loi (NT Land Rights Bill) qui prévoyait la rétrocession de certaines terres à leurs propriétaires traditionnels. S'ensuivit en 1976 l'adoption d'un des textes de loi les plus importants de l'histoire contemporaine des Aborigènes. La Loi sur les droits fonciers des Aborigènes dans le Territoire du Nord (Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1796) reconnut la légitimité des revendications aborigènes sur les terres inoccupées de la Couronne et mit en place une Commission (Aboriginal Land Commission) afin de recevoir et examiner les revendications des autochtones.

    Divers organismes furent donc créés pour représenter les populations locales. D'une part, des Fondations (Land Trusts) furent établies pour faire valoir les droits découlant des titres accordés aux propriétaires traditionnels.

    D'autre part des Conseils (Land Councils) furent créés pour aider les Aborigènes à revendiquer leurs terres puis à gérer ou exploiter les différentes ressources de leurs territoires ou encore pour soumettre des projets de développement aux populations locales.

    Par ailleurs, une Commission (Aboriginal Land Fund Commission) avait été mise en place dès 1975 pour administrer les fonds publics destinés à l'achat de terres privées. Elle fut remplacée en

    150

    1980 par la Commission pour le développement aborigène (Aboriginal Development Commission).

    La création de ces organismes participait à la reconnaissance des droits de propriété, de contrôle et de négociation des Aborigènes.

    Le principe d'autodétermination avait également conduit à la création d'organismes aborigènes élus dès 1973. Il convient de citer le Comité Consultatif National Aborigène (National Aboriginal Consultative Committee, NACC) corps de 41 représentants élus, chargé de consulter les populations autochtones et de conseiller le Ministère des Affaires Aborigènes.

    Le Gouvernement de Malcom Fraser le remplaça en 1977 par une Commission Nationale Aborigène (National Aboriginal Conference) constituée de 10 représentants. Ce gouvernement fit également voter la Loi sur les Associations et les Conseils Aborigènes en 1976 qui ouvrit la voie à la création de milliers de structures aborigènes, qu'il s'agisse d'organismes statutaires, de conseils élus, de groupes consultatifs ou encore d'associations.

    Il convient de rappeler également le rôle du Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les insulaires du Détroit de Torres. Membre de la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances, le Commissaire à la justice sociale est désigné conformément aux dispositions du Human Rights and Equal Opportunity Commission Act 1986 (loi de 1986 sur la Commission des droits de l'homme et de l'égalité des chances). Le poste de Commissaire à la justice sociale pour les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres a été créé en 1992 pour donner suite aux constatations de la Royal Commission into Aboriginal Deaths in Custody (Commission royale chargée d'étudier les décès d'aborigènes en garde à vue) et de la National Inquiry into Racist Violence (enquête nationale sur la violence à fondement raciste).

    Ses principales fonctions sont les suivantes :

    · Présenter chaque année au ministre un rapport concernant la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres ;

    · Promouvoir la discussion et la meilleure connaissance des droits de l'homme relativement aux aborigènes et aux insulaires du détroit de Torres ;

    · Entreprendre des programmes visant à promouvoir le respect des droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres et à promouvoir la jouissance et l'exercice des droits de l'homme par les aborigènes et les insulaires du détroit de Torres;

    ·

    151

    Examiner les dispositions législatives adoptées ou proposées, pour vérifier qu'elles reconnaissent et protègent les droits de l'homme des aborigènes et des insulaires du détroit de Torres et faire rapport au ministre sur les résultats de cet examen.

    Cette effervescence d'organismes aborigènes devait leur permettre de définir leurs objectifs et leurs priorités afin d'exercer un pouvoir décisionnel plus important sur les politiques qui les concernaient, et participer ainsi à la mise en place de programmes spécifiques à leurs communautés.

    Cela participait aussi d'un mouvement plus large, caractéristique de la politique d'autodétermination : la création de ce que l'on appelle le Secteur Autochtone. Selon Tim Rowse :

    « Le Secteur Autochtone n'est ni l'État (bien qu'il soit presque intégralement financé par des fonds publics), ni la société civile (bien que ces organisations soient surtout des entreprises privées sur un plan légal). Le Secteur Autochtone est plutôt une troisième entité, créée à partir de l'interaction - parfois mais pas toujours, conflictuelle - entre le gouvernement et le domaine autochtone » 174.

    La formation de ce Secteur Autochtone reflétait la volonté gouvernementale d'encourager le transfert de pouvoirs à des structures aborigènes représentatives. Elle était également intimement liée au principe de discrimination positive, puisque la mise en place de structures aborigènes pour administrer des programmes séparés et des services distincts s'imposa très vite comme une condition de la réalisation des choix collectifs et individuels. Ce Secteur Autochtone avait donc pour objet de fournir des services aux Aborigènes dans des domaines aussi fondamentaux que la santé, l'éducation, le logement ou l'emploi. La nature même des Aborigènes requérait un certain traitement différentiel, et leur implication dans la conception et l'application des programmes spécifiques favorisait leur chance de succès.

    Ces différentes organisations aborigènes ont joué un rôle majeur dans le développement socio-économique des communautés aborigènes depuis les années 1970. Elles avaient ainsi financé et organisé d'importantes campagnes politiques, sensibilisé l'opinion sur la question des droits autochtones et porté la cause aborigène sur la scène internationale.

    Néanmoins ce Secteur autochtone a souffert de beaucoup de carences et les organisations aborigènes étaient bien souvent sous-financées et sous-équipées. La réponse juste à ces problèmes devait venir de gouvernements prêts à assumer leurs responsabilités, prêts à entamer de profondes

    174 Tim ROWSE dans Diane AUSTIN-BROOS & Gaynord MACDONALD (eds), 2005a, p. 214

    152

    réformes et prêts à donner aux Aborigènes les véritables moyens de leur autodétermination.

    Dans la logique d'autodétermination qu'il défendait, le Secteur autochtone devait devenir, à terme, plus performant et plus autonome, moyennant des réformes structurelles ou fonctionnelles, et à condition que les gouvernements remplissent leurs obligations de prestataires de service, développent des liens entre et avec les organisations aborigènes, augmentent leur budget, et favorisent aussi bien l'implication d'acteurs compétents que l'acquisition de savoir-faire dans ces structures 175.

    Le début des années 1990 va voir la concrétisation d'un nouveau projet du gouvernement s'appuyant sur les mêmes principes de consultation, de négociation et de participation qui avaient fait naître le Secteur autochtone : la création d'un organisme aborigène qui combinerait des conseils élus au niveau national et régional, et qui conjuguerait des pouvoirs consultatifs, administratifs, exécutifs et décisionnaires. Le gouvernement avait ainsi souhaité donner aux Aborigènes un vrai pouvoir de contrôle sur les politiques, les programmes, les services et les financements qui les concernaient. Ce projet fut donc associé à l'idée d'une réconciliation entre les Aborigènes et la société dominante.

    Il s'agit donc d'analyser la création de la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, organisme aborigène chargé de la mise en place de la politique d'autodétermination.

    2) L'ATSIC instrument d'autodétermination

    Le gouvernement entreprit donc la mise en place d'une Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres (Aboriginal and Torres Strait Islander Commission) qui prit ses fonctions en mars 1990. Cet organisme visait à combler les lacunes des diverses structures mises en place par le gouvernement, en poussant plus loin l'idée d'autodétermination. Organisme de droit public, la Commission était une commission nationale élue au niveau des régions, qui disposait de pouvoirs de représentation, d'exécution et de décision. Cet organisme avait trois objectifs : il devait d'une part « favoriser l'autogestion et la prise d'autonomie des autochtones, d'autre part garantir une très forte participation des Aborigènes dans la formulation et l'exécution des politiques gouvernementales, et, enfin, promouvoir le développement économique, social et culturel de la minorité autochtone. En conséquence il incombait à la Commission de remplir les fonctions suivantes :

    175 ANDERSON & SANDERS, 1996, p.17 ; R.NEILL, 2002, pp. 65-66 ; Gillian COWLISHAW, Dialogue n°23, 2004, pp. 48-49

    ·

    153

    défendre la reconnaissance des droits autochtones aux niveaux régional, national et international

    · assister, conseiller et coopérer avec les communautés, les organisations et les individus autochtones

    · développer des politiques qui répondent aux besoins et aux priorités des Aborigènes aux niveaux fédéral, étatique/territorial et régional

    · prendre des mesures raisonnables pour protéger les informations ou les objets culturels considérés comme sacrés par les Aborigènes

    · représenter les intérêts des autochtones aux différents niveaux de gouvernement et garantir la coordination de leurs politiques et programmes

    · contrôler la performance des autres agences gouvernementales chargées d'offrir leurs services aux Aborigènes

    · administrer et mettre en oeuvre certains des programmes et services que le gouvernement du Commonwealth avait conçus pour les Aborigènes

    · gérer une partie du budget fédéral alloué aux Aborigènes et répartir les financements gouvernementaux entre les différents programmes existants, en respectant les minima éventuels imposés par le gouvernement » 176.

    Ces différentes fonctions étaient réparties entre un corps aborigène élu, constitué d'une commission nationale et de conseils régionaux, et qui possède, en accord avec le principe d'autodétermination, tous les pouvoirs de décision ; et un corps administratif, qui n'a lui qu'un simple rôle d'exécutant. Ainsi, les pouvoirs de décision revenaient à un corps représentant responsable devant son électorat, tandis que les pouvoirs d'exécution revenaient à un corps assimilable à un département gouvernemental, responsable devant le Ministre des Affaires Aborigènes.

    Cette commission reposait sur un triple concept d'autonomie, de démocratie représentative, et de responsabilité ministérielle.

    Dès sa création, l'ATSIC inspira des réactions très différentes au sein de la communauté aborigène. Certains voyaient en la création de cette Commission une petite « révolution 177 », ou l'adoption

    176 Voir la Loi sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres, Partie 2, Division 2, Section 7

    177 Tim ROWSE, Australian Society, Mars 1990, pp. 15-18

    154

    d'une réforme importante qui leur donnerait de fait « une voix effective au sein du gouvernement australien » 178 .

    D'autres soutenaient que cette structure occidentale, pur produit du gouvernement, ne restait qu'un instrument d'autodétermination limité. L'autodétermination des Aborigènes requérait en effet « l'application des politiques formées par des Conseils élus, et de ce fait, elle dépendait aussi bien de la coopération de certains organismes privés que de la collaboration des fonctionnaires d'ATSIC, responsables devant le gouvernement » 179 . La commission était d'ailleurs financée par l'État.

    D'un autre coté, l'ATSIC ne contrôlait pas l'ensemble des services liés aux Affaires aborigènes, puisque de grands domaines tels que l'éducation ou la santé restaient sous la responsabilité des départements gouvernementaux.

    Ainsi, bien qu'elle ait acquis le statut d'organisation indépendante non-gouvernementale aux Nations Unies, l'ATSIC n'avait pas toute autonomie, l'État ayant conservé un droit de regard sur les politiques aborigènes.

    La législation d'ATSIC fut également très controversée au Parlement, opposant les partis d'opposition de la Coalition aux partis démocrates. La première crainte était que la législation permette la sécession politique ou territoriale des Aborigènes. La Coalition fit donc passer une résolution afin que l'autodétermination des Aborigènes soit exclusivement assujettie à la Constitution et aux lois de l'État australien 180.

    L'ATSIC ne faisait donc pas l'unanimité dans la communauté aborigène. C'est d'ailleurs suite à sa création que que plusieurs Aborigènes décidèrent de créer le Gouvernement Provisoire Aborigène (Aboriginal Provisionnal Government). Cet organisme, l'un des plus radicaux de l'histoire du militantisme aborigène, se présentait comme une structure gouvernementale alternative. « Il revendiquait le droit des peuples à l'autodétermination politique, scandait la souveraineté aborigène, présentait la création d'un État aborigène indépendant comme une option » 181. Ce Gouvernement Provisoire symbolisait alors la persistance de la lutte pour la réalisation de l'autodétermination des Aborigènes et pour la reconnaissance de leur souveraineté.

    178 « To provide them with an effective voice within the Australian Government ». Note d'intention, préambule de la Loi sur la Commission des Aborigènes et Insulaires du Détroit de Torres.

    179 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 145

    180 Frank BRENNAN, avril 1992

    181 Jbid , p. 147

    155

    En 1997, l'ATSIC et d'autres organisations aborigènes ont à nouveau abordé la question du droit à l'autodétermination :

    « On peut voir, à la lumière de la pratique à l'échelle internationale, que l'autodétermination peut se réaliser sous bien des formes différentes. Dans le cas des peuples autochtones, ces formes varieront en fonction des coutumes, besoins et aspirations propres à chacun... Le contrôle et le consentement sont deux notions centrales du droit à l'autodétermination : contrôle sur les prises de décisions qui nous touchent et consentement quant aux modalités de nos relations avec les États. Ces deux notions sont de plus en plus reconnues comme des principes essentiels qui doivent figurer dans n'importe quel catalogue des droits des peuples autochtones et, de façon implicite, dans le principe de non-discrimination raciale tel qu'il s'applique aux peuples autochtones » 182.

    Lors des débats pour l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l'ATSIC estimait qu'il était fondamental, pour l'intégrité de la déclaration, qu'y soit mentionné sans ambiguïté le droit à l'autodétermination. Elle considère en effet « qu'il serait inapproprié de limiter l'application du concept d'autodétermination sous prétexte qu'en ne le restreignant pas, on pourrait laisser entendre qu'il représente une menace pour l'État-nation ».

    L'autodétermination est donc perçue comme un droit « dynamique » sous l'égide duquel les peuples aborigènes et les insulaires du détroit de Torres vont poursuivre leurs efforts pour élargir leur autonomie en matière de prises de décision.

    Toutefois, avec l'arrivée des conservateurs, comme John Howard, au pouvoir, la possibilité d'obtenir du gouvernement une reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement exclue.

    iii. Le principe d'autodétermination en question

    Les politiques d'autodétermination qui eurent cours depuis les années 1970 n'ont pas vraiment donné les résultats initialement escomptés.

    182 Déclaration faite par l'ATSIC, le Commissaire à la justice sociale pour les Aborigènes et les Insulaires du détroit de Torres, la Foundation for Aboriginal and Islander Research Group, l'Indigenous Women Aboriginal Corporation, le National Aboriginal and Islander Services Secretariat, le New South Wales Aboriginal Land Council et le Tasmanian Aboriginal Centre, Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme, troisième session, octobre 1997.

    156

    Comme pratique et comme idéologie, l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient apprendre à s'autogérer, au sein des communautés sédentaires, ce qui impliquait, entre autres, qu'ils adoptent les formes appropriées de socialité et de subjectivité sanctionnées par l'État. Du point de vue de celui-ci, l'autodétermination signifiait que les Aborigènes allaient gérer eux mêmes leur entrée dans la modernité et qu'ils partageaient les visions, les façons de faire et les priorités des politiciens et des bureaucrates.

    Nous traiterons dans cette dernière partie de la remise en question du principe d'autodétermination, en particulier durant la période des mandats de John Howard, et Paul Keating (1.), puis nous terminerons par l'exercice réel du droit à l'autodétermination des Aborigènes sur le territoire australien (2.).

    1) Ère Keating - Ère Howard

    John Howard, le Premier ministre libéral de 1996 à 2007, prônait une approche pragmatique de la réconciliation et de la gestion des Affaires aborigènes, dont témoignent les politiques menées par ses différents gouvernements. Il s'opposait au droit à l'autodétermination des Aborigènes arguant qu'il rejetait toute notion de séparation au sein de la communauté australienne, mettant ainsi un terme, ou au moins un frein, à la reconnaissance du statut unique des Aborigènes au sein de la communauté.

    Le gouvernement Howard rédigea ainsi plus de trois cents pages d'amendements sur la Loi sur le titre Autochtone, sur la base d'un « Plan en Dix Points » (Ten Points Plan) qui devait réduire les droits définis pour les Aborigènes de manière considérable.

    Divulgué en mai 1997, le Plan prévoyait de confirmer que les titres autochtones n'avaient pas survécu sur les terres annexées par des droits « exclusifs », de souligner que les titres autochtones seraient définitivement éteints s'ils n'étaient pas compatibles avec les titres et les droits des loueurs à bail, d'introduire de nouvelles mesures visant à faciliter les négociations en dehors des cours de justice, et peut être surtout, par différents moyens, de limiter le « droit de négocier » des Aborigènes183.

    Ce projet de loi du gouvernement visait à dégager les producteurs du secteur primaire de l'obligation de négocier avec les Aborigènes d'une part, et d'autre part à abolir le « droit de négocier » des Aborigènes sur toutes les terres réquisitionnées pour le développement

    183 John HOWARD, « Wik 10 point plan », Media Release, 1 Mai 1997

    157

    d'infrastructures et de travaux publics, sur toutes les terres utilisées pour la gestion des ressources en eau et le contrôle de l'espace aérien, et sur toutes les terres destinées au développement de constructions urbaines 184.

    La Loi sur l'amendement du Titre Autochtone (Native Title Amendment Act 1998) fut finalement votée en juillet 1998, limitant ainsi considérablement les droits des communautés autochtones. La même année fut rendu un rapport : le Rapport Reeves (the Reeves Report) 185 , qui montra que les droits fonciers des Aborigènes ne participaient pas de manière claire à leur développement socio-économique. Ce rapport donnait au gouvernement une opportunité formidable de critiquer les structures et les principes de la politique d'Autodétermination, politique à laquelle il était farouchement opposé. Il lui permettait également de justifier a posteriori le bien-fondé des amendements apportés à la Loi sur le Titre Autochtone, lui offrant ainsi la « possibilité d'argumenter avec plus de force encore que les droits fonciers des Aborigènes devaient surtout servir le développement socio-économique de leur communauté » 186.

    Dans la plupart des domaines relatifs aux question Aborigènes, John Howard avait imposé sa logique de réconciliation en limitant les droits spécifiques des autochtones, en pointant du doigt les structures mises en place pour réaliser l'autodétermination aborigène et en minimisant l'importance du symbolique, de la justice et des cultures, pour insister sur l'urgence du développement économique des communautés.

    À l'issue de la décennie de la réconciliation, la possibilité d'obtenir du gouvernement une reconnaissance de la souveraineté aborigène semblait totalement exclue. En tant que telle, la réconciliation n'était pas contraire au développement du droit des Aborigènes à l'autodétermination : « elle intervenait dans les sociétés pour permettre un rapprochement entre les peuples, sans dicter précisément les modalités de ce rapprochement » 187 .

    Le changement de cap qui s'était produit dans les affaires aborigènes au début des années 1990 avait ouvert la voie à une reconsidération du principe d'autodétermination qui les régissait depuis 1972. Ainsi, à partir de 1996, le gouvernement préféra parler d'autogestion que d'autodétermination,

    184 Explanatory Memorandum, pp.145-146, 153, 154, 158. Native Title Amendment Bill 1997, ss.24E-24L & 26A-26D, 251C

    185 Department of Reconciliation & ATSI Affairs - Building on Land Rights for the next Generation : Report of the Review of the Aboriginal Land Rights (Northern Territory) Act 1976, par John Reeves, 1998

    186 Department of Reconciliation & ATSI Affairs, 2001

    187 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 323

    158

    les efforts visant à permettre aux communautés autochtones de décider de leurs priorités et de leur stratégie de développement furent relâchés, et le principe selon lequel les autochtones étaient en droit légitime d'être les principaux décisionnaires dans les affaires qui les concernaient fut remis en cause 188.

    Le gouvernement défendait en fait le droit des peuples à l'autodétermination, selon le droit international, mais en dépit des revendications aborigènes 189. Il refusait donc de considérer les Aborigènes et les Insulaires du Détroit de Torres comme des « peuples distincts » aux fins de la loi internationale.

    John Howard proposa d'ailleurs de remplacer « le droit des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres à l'autodétermination dans la vie de la nation » par « le droit des Aborigènes et des Insulaires du détroit de Torres, commun à tous les Australiens, de déterminer leur propre destinée » dans la Déclaration Australienne pour la réconciliation.

    En outre, il n'existait pas en Australie de mouvement politique sérieux pour une sécession des populations autochtones. Les revendications du droit à l'autodétermination allaient donc rarement de pair avec des revendications pour une autonomie politique et territoriale. Le plus souvent, ce droit était invoqué pour demander à ce que les formes d'autonomie trouvées au niveau local s'étendent au niveau régional 190, pour demander à exercer une plus grande autorité et une plus grande responsabilité dans tous les domaines qui les concernaient 191, pour demander à ce que le nécessaire soit fait pour leur permettre de participer équitablement à la vie politique de la nation australienne 192, ou bien simplement, pour demander à ce que des mesures soient prises pour favoriser leur complète égalité et leur complète intégration dans l'État australien.

    Le gouvernement Howard ne voulait donc poser aucun acte qui puisse laisser entendre que les Aborigènes formaient des peuples distincts qui possédaient collectivement des droits distincts. Il considérait que le principe de l'autodétermination autochtone était ainsi en profonde contradiction avec les principes qu'ils défendait, soit l'égalité, l'unité et la primauté, voire l'exclusivité des droits de l'individu.

    Le gouvernement refusait donc de reconnaître le droit des Aborigènes à l'autodétermination parce qu'il craignait qu'il ait des conséquence sur l'intégrité territoriale, parce qu'il rejetait le principe de droits séparés pour la collectivité autochtone, et aussi parce qu'il considérait que l'autodétermination et les droits collectifs appartenaient à « une politique du symbolisme » qui risquait de devenir « une

    188 HREOC - ATSI Social Justice Commission - William Jonas, SJR 2002, 2003, p. 51

    189 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 41

    190 HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, p. 63

    191 CAR, 2000d, p. 14

    192 Ibid., p. 15

    159

    distraction par rapport aux réelles taches et priorités » 193.

    Lors des sessions d'adoption du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, l'Australie fut l'une des nations les plus intransigeantes sur la question de l'autodétermination des autochtones. Le gouvernement australien souhaitait en effet que le terme « autodétermination » disparaisse complètement du Projet, parce qu'il impliquait des « formes de souveraineté et d'autonomie gouvernementale pour les Aborigènes » 194.

    Les différentes politiques du gouvernement eurent ainsi beaucoup d'impact sur les cinq grands piliers de l'autodétermination : la liberté de s'identifier et d'être identifié, le développement socio-économique, le maintien et la promotion des cultures, le développement de droits fonciers et le transfert de pouvoirs à des structures représentantes aborigènes.

    Concernant le droit de s'identifier, les Aborigènes continuaient d'être libres de s'identifier à la communauté Aborigène et les procédures d'identification restaient globalement les mêmes. En ce qui concerne les droits fonciers, nous avons vu avec l'arrêt Wik et la Loi sur le titre autochtone 195, que le gouvernement entendait bien contenir, voire amputer les droits fonciers des autochtones. Pour ce qui est de leur développement économique, le gouvernement lui accordait une plus grande importance relativement aux questions d'ordre « symbolique » et refusait de le fonder sur des programmes et services séparés. En ce qui concerne les cultures autochtones, le gouvernement essaya de limiter le respect et la promotion des cultures au cadre du multiculturalisme. Enfin, concernant le dernier pilier, la dévolution des pouvoirs, le gouvernement n'accéda pas aux demandes qui avaient été faites pour une meilleure représentation des Aborigènes dans la société australienne. Les autochtones étaient donc très peu représentés dans les partis politiques. Ainsi, bien que les Aborigènes aient eu le droit de participer à la conduite des affaires publiques de la nation depuis les années 1960, leur « participation politique » effective restait à pleinement réaliser.

    Ainsi, le gouvernement de John Howard semblait ne pas s'opposer seulement à la reconnaissance légale ou symbolique du droit des Aborigènes à l'autodétermination. Apparemment, il s'opposait au principe même de leur autodétermination 196.

    Avant l'arrivée de Howard au pouvoir, l'ATSIC était critiquée par une partie de la population

    193 Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John Herron, Statement at the 17th session of the United Nations Group on Indigenous Populations, 29 juillet 1999

    194 « Forms of Aboriginal sovereign self-government » (Departement of Reconciliation & ATSI Affairs - John HERRON, The UN Working Group on Indigenous Populations . the Australian Contribution 1999, 1999, p.11)

    195 Voir infra.

    196 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 332

    160

    Aborigène qui voyait en elle l'expression d'une forme limitée d'autodétermination : la Commission avait été créée simplement pour représenter des populations autochtones dont l'identité et le statut uniques avaient été reconnus 197. En outre elle restait étroitement contrôlée par le gouvernement puisqu'elle en dépendait sur le plan financier, et que son corps administratif était responsable devant le Ministre.

    Avec l'arrivée de Howard, l'autonomie de la Commission fut encore plus réduite. Le gouvernement lui imposa différents types de restrictions financières telles qu'une forte réduction de la proportion du budget de l'État pour les Affaires aborigènes géré par ATSIC, ou le durcissement du régime de responsabilité financière auquel la Commission était soumise, ou encore une imposition importante de « minima » qui porta atteinte à l'autodétermination des Aborigènes. En effet, ce système de minima permit au gouvernement d'imposer ses choix, et les minima imposés dans certains domaines contraignirent la Commission à arrêter de nombreux programmes.

    La Commission apparut alors comme « un simple prestataire de service, mis au service du gouvernement et de son projet de réconciliation, réduit à compléter les programmes d'un gouvernement ouvertement hostile à l'autodétermination qu'elle représentait originellement » 198.

    En 2004, toujours dans une optique d'opposition à ce qu'il considère être une séparation entre les communautés, Howard abolit l'ATSIC au motif que sa gestion a été un échec. Depuis, aucun autre organisme n'a été mis sur pied par le gouvernement pour remplacer cette commission.

    Pour terminer il convient de s'intéresser à la manière dont le droit à l'Autodétermination est-il réellement exercé sur le territoire australien.

    2) Autonomie et autodétermination

    Au cours de la période qui a débuté avec Whitlam, les Aborigènes ont vu la mise en place d'éléments leur assurant un certain degré d'autodétermination. Ils n'ont cependant pas, comme le précisait Mick Dodson, « exercé ni joui de ce droit » (Assimilation vs. Self Determination). Ainsi, ni la politique des travaillistes, ni celle des libéraux n'ont conduit à une reconnaissance formelle d'une autodétermination qui ne peut commencer qu'avec un accord négocié. La signature d'un tel accord permettrait d'instaurer une autodétermination politique pour laisser la place à un possible développement socio-économique et culturel.

    197 Voir par exemple HREOC - ATSI Social Justice Commission - Michael DODSON, SJR 1993, 1994, pp. 42-43

    198 ATSIC, 1996a, p. 23

    161

    Il convient de souligner un aspect majeur du principe d'autodétermination, à savoir qu'il signifie établir des rapports équitables au sein de la société. Erica-Irene Daes soulignait d'ailleurs que ,

    « [...] le droit à l'autodétermination des peuples autochtones devrait en général être interprété comme étant leur droit de négocier librement leur statut et leur représentation au sein de l'État dans lequel ils vivent. La meilleure définition qu'on puisse en donner est celle d'une sorte de « construction tardive de l'État en vertu de laquelle les peuples autochtones seraient à même de s'associer à tous les autres peuples qui constituent l'État, dans des conditions justes et acceptées par tous » 199.

    On parle ici de la création d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple, au sein duquel les autochtones ont légitimement voix au chapitre quand il s'agit de déterminer leurs priorités et leur avenir.

    Selon cette même auteur :

    « L'État existant a le devoir de tenir compte des aspirations des peuples autochtones en adoptant des réformes constitutionnelles destinées à assurer un partage démocratique du pouvoir. Cette approche signifie également que les peuples autochtones ont le devoir d'essayer de parvenir à un accord, de bonne foi, concernant le partage du pouvoir à l'intérieur de l'État existant et d'exercer leur droit à l'autodétermination par ce moyen et par d'autres moyens pacifiques, dans la mesure du possible » 200.

    Il apparaît qu'en l'espace d'une décennie, l'autodétermination des Aborigènes ne se traduisit plus par une forme étendue d'autonomie non-territoriale, mais par une forme d'autonomie réduite, parfois appelée autogestion. L'alternative qui se présentait aux Aborigènes ressemblait donc à l'alternative des autres citoyens, entre intégration et assimilation.

    John Howard, qui rejetait le principe d'un traité avec les Aborigènes, déclarait d'ailleurs :

    « Lorsque j'ai utilisé le terme d'inclusion au préalable, certains commentateurs l'ont confondu avec les vieilles politiques d'assimilation du passé. Ce n'est pas du tout ce que je dis f...] Les Australiens autochtones doivent avoir le droit de jouir de leur propre culture et de partager les avantages et les responsabilités que ce pays offre à tous les citoyens. Par inclusion, je veux parler d'embrasser et de célébrer la différence parce que ce sont ces

    199 DAES, Erica-Irene, Discrimination à l'encontre des peuples autochtones : Note explicative concernant le Projet de déclaration sur les droits des peuples autochtones, paragraphe 25.

    200 Ibid, paragraphe 26

    162

    différences qui déterminent ce que nous sommes en tant que nation » 201

    En 1999, Howard proposa au Parlement une motion de réconciliation qui fait suite à la publication, en 1997, du rapport Bringing Them Home (« Les ramener chez eux ») par la Human Rights and Equal Opportunity Commission (HREOC - Commission pour les droits de l'homme et l'égalité des chances). Cependant, cette motion n'est restée qu'une déclaration d'intention qui n'a pas été suivie de mesures sociales concrètes.

    Au début des années 2000, une débat d'idées semblait avoir pris le pas sur les stigmatisations politiques. Deux grands groupes de pensée s'opposaient donc : l'un prônant l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante, l'autre recommandant la réalisation de l'autodétermination autochtone.

    Pour le premier, l'assimilation des Aborigènes était souhaitable, et souhaitée par les concernés. Le devoir du gouvernement était dès lors de faciliter l'incorporation des Aborigènes dans la société dominante, plutôt sur une base individuelle que collective. En vue d'une assimilation structurelle des Aborigènes à terme, il était urgent de démanteler l'ensemble des structures et des organisations qui avaient été créées par le gouvernement dans une logique d'autodétermination. Ce groupe considérait donc que la politique menée depuis le gouvernement Whitlam était un échec fracassant, et que tout ce qui avait été mis en place dans une logique de séparatisme, comme le Secteur autochtone, les programmes et les financements séparés, l'identité collective ou encore les droits fonciers ; devait progressivement disparaître pour permettre aux Aborigènes de sortir de l'impasse socio-économique.

    Pour le second groupe, le principe d'autodétermination devait rester le principe phare des Affaires aborigènes. Selon leur conception, la lenteur des progrès socio-économiques depuis 1972 était due à un ensemble de facteurs annexes, et non pas à l'apparition de l'autodétermination dans les politiques gouvernementales. Il considéraient au contraire que cette politique était la plus appropriée pour permettre aux communautés autochtones de se relever, puis de s'émanciper, dans un contexte fait d'égalité citoyenne et de droits autochtones. Le gouvernement devait donc prendre toutes les mesures requises pour donner aux Aborigènes les moyens de s'autodéterminer dans une nation attachée à ses principes de justice et d'égalité. Il s'agissait dès lors d'assurer la pérennité des programmes réservés aux autochtones et d'augmenter le budget des Affaires Aborigènes, et ce particulièrement dans les domaines du logement et de la santé.

    201 DIMIA - Phillip Ruddock, ATSIC National Treaty Conference, 29 août 2002

    163

    Le principe de l'auto-gouvernance autochtone pose la question de la citoyenneté aborigène, qui suppose la reconnaissance des droits indigènes, parmi lesquels figurent les droits fonciers. Après avoir connu une évolution certaine, la question des droits à la possession de la terre, du droit aux ressources naturelles, du droit à l'indemnisation, ou encore du droit à l'utilisation de la terre semble avoir atteint ses limites aujourd'hui en Australie. Rappelons que l'Australie est la seule colonie du Commonweatlth à n'avoir jamais signé de traité avec les autochtones.

    Depuis quelques années, les gouvernements ont cherché à passer avec les communautés des accords dits « de responsabilité partagée », leur proposant un soutien généralement matériel « en échange » d'un « effort » de prise en main. Cet « échange » consiste souvent pour les communautés à confier leurs terres au gouvernement pour des périodes très longues, ce qui s'assimile à la perte de leur souveraineté locale.

    Trente ans après l'introduction du principe de l'autodétermination dans les Affaires aborigènes, le contrôle qu'exerçaient les autochtones sur les politiques et les programmes qui les concernaient restait très limité. Les moyens de leur développement économique continuaient d'être déterminés pas les gouvernements, limitant de ce fait la portée de leurs voix dans les structures programmes qui leur étaient réservés. En outre, leur pouvoir de décision sur les services qui les concernaient était quasiment nul. Les Aborigènes devaient donc reprendre le contrôle de leurs affaires, aux niveaux national, régional et local, de la prise de décision en amont, à l'application des décisions en aval, dans une logique d'autodétermination 202.

    Ainsi il reste un sentiment d'inachevé dans la décolonisation interne débutée en 1972 avec le Premier Ministre Whitlam. Pour reprendre la formule du professeur John Borrows, « l'Australie semble prendre la voie de la re-colonisation ». Après avoir servi de slogan à la politique officielle aborigène et malgré les avancées incontestables du statut des Aborigènes, l'autodétermination reste en question.

    202 ROYER Ludivine ; L'Australie de la réconciliation : politiques, logiques et réalités socioculturelles , Thèse doctorat Etudes Anglophones, Université Paris IV - Sorbonne, 2007, p. 389

    164

    Conclusion :

    Durant des années, les peuples autochtones ont vécu dans une situation coloniale : dominés sur leurs territoires traditionnels par un État qui leur est étranger. Ils étaient alors les victimes de politiques assimilationnistes, qui les ont marginalisés, discriminés en raison de leurs caractéristiques distinctives. Leur histoire est donc une longue suite de soumission, de dépossession de territoires, de perte de leur liberté, et d'atteinte à leur culture et à leur identité. On a là tous les éléments constitutifs d'une discrimination politique, systémique et historique.

    Les peuples autochtones demandent réparation de cette situation, en se mobilisant sur les plans nationaux et internationaux afin d'être reconnus en qualité de peuples en droit International, et ainsi retrouver leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Il est clair que le principe de l'autodétermination pour tous les peuples est fermement établi dans le droit international et les droits de l'homme et qu'on ne peut le dénier aux peuples autochtones.

    La particularité des peuples autochtones est qu'ils vivent sur les territoires d'États indépendants, et donc ne sont pas reconnus, au sens international du terme, comme peuples. Ils ne sont pas non plus des peuples colonisés car ils vivent sur le territoire métropolitain, à l'intérieur des frontières de l'État. Ils revendiquent pourtant cette qualification de peuples colonisés pour exercer leur droit à disposer d'eux-mêmes. C'est en vertu de leur statut de peuple qu'ils peuvent déterminer leur statut politique, et assurer leur développement économique, social et culturel.

    Parti des organisations amérindiennes qui se sont développées depuis une quarantaine d'années, le mouvement autochtone concerne aujourd'hui l'ensemble de la planète avec l'arrivée chaque année, aux Groupes de travail de l'ONU, de nouvelles organisations issues des États qui sont touchés à la fois par la mondialisation et par les transformations politiques. La décolonisation a été le moteur politique de ce mouvement : en effet, avec le retrait des puissances européennes, les relations internationales ont été transformées, et les nouvelles législations internationales ont permis d'améliorer la condition des peuples autochtones, leur fournissant un cadre légal et moral. Aujourd'hui les revendications autochtones et les solutions qu'ils proposent ont mûri dans des réseaux transnationaux, des centres de recherches et dans l'activisme international. L'écho de ces luttes et la transformation du traitement institutionnel de « la question indigène » 203 nourrissent le

    203 Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF, La question des peuples autochtones, Bruxelles, Bruylant, 1997 ; Jean-Claude FRITZ, Frédéric DEROCHE, Raphaël PORTEILLA, La nouvelle question indigène. Peuples autochtones et ordre mondial, Paris,

    165

    mouvement international des peuples autochtones.

    Mais ce mouvement autochtone est confronté à de nombreuses difficultés. En effet, aujourd'hui les peuples autochtones vivent sur le territoire d'États indépendants, et sont en quelque sorte enclavés au sein de ce territoire. L'acquisition d'un statut juridique en droit International ne peut être possible que dans un cadre précis compatible avec le respect de la souveraineté de l'État, de son intégrité territoriale et son unité politique.

    Craignant pour leur intégrité territoriale, les États ne sont pas prêts à qualifier les autochtones de peuple avec tout ce que ce statut implique, et sont donc très souvent réticents à la reconnaissance de droits collectifs sur leurs territoires. En effet, il reviendrait alors à l'État de prendre en compte et concilier les intérêts et les droits des autres parties de sa population pour éviter les tensions.

    Toute réflexion sur le statut des peuples autochtones implique la question de l'intégrité territoriale et l'unité politique des États indépendants sur le territoire desquels ces communautés vivent. Les peuples autochtones sont en effet considérés comme des sujets internes relevant exclusivement de la souveraineté de l'État. L'examen de la situation des peuples autochtones est donc un sujet très sensible.

    Aujourd'hui, il convient de constater que les peuples autochtones ne sont plus ignorés par le droit international. Celui ci admet que les peuples autochtones sont des groupes distincts au sein des États dont il faut garantir l'identité collective, l'intégrité culturelle et le libre développement économique, social et culturel. Tous les organes et institutions de l'ONU doivent prendre en considération la situation particulière des peuples autochtones dans leurs programmes. Cette situation est d'ailleurs évoquée dans de nombreux domaines tels que la protection de l'environnement, les changements climatiques, le droit à l'alimentation, etc... Bien que leur statut ne leur permette pas encore d'obtenir la qualité de sujets de droit International, il prouve tout de même que les autochtones ne sont plus des objets passifs, mais deviennent au contraire acteurs de leur destin, acteurs avec lesquels les États doivent négocier dans un partenariat basé sur le respect mutuel. Ils utilisent d'ailleurs des techniques politiques modernes pour conjuguer leurs forces et obtenir des soutiens à l'échelle mondiale.

    Les peuples autochtones sont parvenus à « s'internationaliser » en acquérant un statut spécifique au sein de l'ONU. Membres, à égalité avec les États, de l'Instance permanente sur les questions

    L'Harmattan, 2006.

    166

    autochtones, ils ont obtenu l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le 13 septembre 2007, qui leur reconnaît notamment le droit à exister de manière spécifique et distincte en qualité de groupes, au sein des États. Cette évolution positive va donc permettre aux autochtones de retrouver une voix en qualité de peuples, et ainsi de peser plus de poids à la fois sur la scène internationale, et sur la scène interne.

    Ainsi, un nombre croissant d'instruments internationaux demande à ce que les peuples autochtones soient consultés, et même associés sur de nombreux domaines les concernant, tels que le droit à la terre, la protection de l'environnement, le développement durable, etc... Il convient ici de mentionner la contribution positive que les groupes autochtones peuvent apporter à la protection de l'environnement.

    En outre, les organisations autochtones sont invitées à participer aux conférences internationales, ne laissant plus les États discuter seuls de leur situation. Elles se construisent pour réagir à une atteinte particulière sur le plan local, pour agir dans un sens politique au plan national en s'appuyant sur les formes transnationales de campagne, pour capter des fonds et enfin pour s'efforcer d'être reconnus comme acteurs de plein droit et participer au développement les concernant 204.

    Cette évolution a des conséquences fortes même au niveau interne, et l'on constate que les États consultent davantage les peuples autochtones lorsqu'il s'agit de prendre des décisions les concernant. Dans certaines régions du monde, un dialogue permanent s'est établi. Dans d'autres, peuples autochtones et gouvernements ont entrepris des négociations directes qui progressent, en vue d'améliorer leurs relations et de garantir aux peuples autochtones une meilleure protection de leurs droits. Ces dernières années, plusieurs gouvernements ont modifié leur constitution et leur législation compte tenu du caractère multiculturel de la société nationale.

    Désormais, face aux peuples autochtones, l'ONU et ses États membres doivent obéir aux normes et principes internationaux que sont l'égalité, la non-discrimination et l'interdiction de la discrimination raciale. Il n'entre pas dans les compétences de l'ONU ou de ses États membres de s'engager dans un processus qui éroderait le statut de « peuples » des peuples autochtones, ou le droit des autochtones à l'autodétermination. Ainsi, il faut que les peuples autochtones obtiennent le droit à l'Autodétermination formulé dans les mêmes termes que ceux que l'on retrouve dans les pactes internationaux relatifs aux droits humains.

    L'ONU participe de plus en plus largement aux activités visant à assurer la promotion et la protection des droits des peuples autochtones. La Décennie internationale offre l'occasion de

    204 BELLIER Irène, « Les Peuples autochtones à l'ONU : genèse d'une identité globale, avatars régionaux et logiques représentatives » , in P. Boudreault (dir.), L'identité en miettes. Limites et beaux risques politiques aux multiculturalismes extrêmes, Paris, 2006, L'Harmattan, p. 86

    167

    sensibiliser davantage l'opinion publique, d'éveiller davantage son intérêt et de mettre au point, au niveau international, un plan d'action visant à améliorer les conditions de vie des peuples autochtones. L'Instance Permanente sur les questions autochtones veille à l'intégration des questions relatives aux peuples autochtones dans tous les programmes et les activités des organismes onusiens ainsi qu'à leur coordination.

    La qualification de peuples autochtones sur certains territoires tels que l'Asie ou l'Afrique peut parfois poser problème. L'identification de ces groupes devrait donc être faite avec les groupes intéressés eux-mêmes, les États sur les territoires desquels ils vivent et des experts internationaux indépendants.

    Concernant le régime juridique des peuples autochtones, il n'existe que deux instruments internationaux contraignants : les Conventions 107 et 169 de l'OIT. Ce régime est fixé également dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui n'a cependant aucune valeur contraignante, même si elle participe à la formation de normes coutumières en exprimant une certaine opinio juris qui pourrait être suivie d'une pratique étatique conforme.

    Cette Déclaration a été adoptée le 13 septembre 2007, par l'Assemblée générale, après de longues négociations entre les États. Elle a fait l'objet d'un vote nominal, avec 143 voix pour, 4 voix contre - (l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle Zélande) - et 11 abstentions - (Colombie, Azerbaïdjan, Bangladesh, Géorgie, Burundi, Fédération de Russie, Samoa, Nigéria, Ukraine, Bhoutan et Kenya).

    Grâce à l'adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones un nombre croissant d'États va prendre conscience de la spécificité des peuples autochtones et admettre les différentes particularités de leur situation. Cela n'est cependant pas suffisant pour les autochtones, qui désirent également être qualifiés de peuples au sens international du terme, pour être titulaires du droit à disposer d'eux-mêmes. Ils ne demandent cependant pas à se séparer de l'État sur le territoire duquel ils vivent, conscients qu'un retour à un statu quo ante est impossible, mais simplement à ce que celui ci reconnaisse leur identité collective, et leur assure un libre développement conformément à leurs coutumes et traditions.

    Cette Déclaration porte la marque d'un droit International en plein essor pour la reconnaissance des enjeux sociaux, économiques, et culturels qui confrontent les États. L'adoption de ce texte marque donc le changement d'un paradigme : « on est passé de l'assimilation vers une fausse égalité

    168

    de droits à l'affirmation et au respect de l'identité distincte des peuples autochtones » 205.

    Reconnu au sein de cette déclaration, le droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes est progressivement accepté par les États. Le droit International confine l'exercice de ce droit à la dimension interne de l'autodétermination, puisqu'il ne reconnaît pas les autochtones en qualité de peuples titulaires de la plénitude de l'autodétermination. Ce droit est donc entendu comme un droit à être autonomes pour tout ce qui les concerne sur le plan local. Le droit à l'Autodétermination est en effet conçu comme étant un exercice interne, puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales » 206.

    Tous les représentants autochtones qui se sont exprimées aux Nations Unies ont indiqué que le droit à l'autodétermination des peuples autochtones devait être reconnu sans qualification, limitation ou discrimination. Ce droit s'applique de façon universelle et ne peut être divisé selon une dichotomie interne/externe. Il s'exerce toutefois de multiples façons. Les peuples autochtones veulent que l'exercice du droit à l'autodétermination se définisse cas par cas avec la pleine et directe participation des peuples concernés.

    Pour cela, il est donc nécessaire que l'identité collective et la spécificité des peuples autochtones, ainsi que leurs droits sur leurs territoires traditionnels, soient reconnus et protégés au sein des États. Il est également crucial que des modalités adéquates soient développées aux niveaux national et international pour assurer que, dans le cas où l'autodétermination passe par l'autonomie politique et l'autonomie de gouvernement, celles-ci remplissent bien les critères de consentement libre et informé des peuples concernés 207.

    Les modalités nécessaires à l'exercice de ce droit sont la participation aux processus de prises de décisions et la reconnaissance de leurs droits sur leurs territoires traditionnels. Ces droits sont d'ores et déjà reconnus dans certaines législations et commencent à recevoir une valeur positive. Les peuples autochtones concentrent en outre leurs efforts sur un autre élément essentiel à l'exercice du droit à disposer d'eux-mêmes : le droit à un consentement préalable, libre et éclairé, pour toutes les questions qui les concernent. Ce droit est énoncé comme un objectif à atteindre, une obligation de moyens 208.

    205 DEMERS Diane L. « Les autochtones et le droit international : une trajectoire en plein essor » ; 2012. p. 366

    206 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

    207 HENRIKSEN John B., « La mise en oeuvre du Droit à l'autodetermination des peuples autochtones », IWGIA Indigenous Affairs 3/01 - traduction GITPA

    208 BERTIN Marie-Claire « Le statut des peuples autochtones en droit international » / Atelier National de Reproduction des

    169

    Toutefois, même si les peuples autochtones obtiennent la reconnaissance de leurs droits sur leurs terres, territoires et ressources, cela ne représente qu'une petite partie de ce dont ils ont été dépossédés au cours de l'Histoire. Du fait que, souvent, les droits collectifs revendiqués concernent des territoires riches en ressources et en richesses naturelles, et qui appartiennent à l'État, celui ci n'entend pas renoncer à sa propriété. Ainsi bon nombre de peuples autochtones sont aujourd'hui encore des victimes sur le territoire de l'État dans lequel ils vivent, et subissent encore la violence, la discrimination, la pauvreté, les difficultés pour accéder à leurs ressources, aux soins, à l'éducation...

    En outre, il est inadapté de parler d'une communauté unique autochtone, et il serait plus exact de parler de situations différentes, du fait de leur extrême diversité d'un État à un autre. Ainsi dans certains États, tels que le Canada ou les pays scandinaves, les autochtones voient leur identité collective reconnue et respectée, jouissant de ce fait d'une certaine autonomie. À l'inverse, certains États, tels que l'Australie ou le Canada, abritent des peuples autochtones encore discriminés et marginalisés, qui luttent pour la protection de leurs droits fondamentaux et leur sécurité.

    Grâce à leur mobilisation sur la scène internationale, les peuples autochtones ont obtenus de grands progrès, et acquis une certaine visibilité qui est loin d'être négligeable. Progressivement, ils ont fait valoir leur statut en droit International, imposant ainsi l'obligation de respecter leur identité culturelle et leur capacité à disposer d'eux-mêmes. Ils ont donc réussi à faire appliquer un droit ostentatoire, dans son principe, à la souveraineté de l'État et à l'intégrité territoriale.

    La multiplication des institutions et des instruments juridiques contribue à l'amélioration de la protection des peuples autochtones. La spécificité des droits autochtone étant tellement réduite, il est difficile d'affirmer l'existence d'un droit propre à ces communautés. Il existe toutefois un corpus normatif susceptible de protéger ces peuples : le droit international des droits de l'homme.

    Bien que certains progrès aient été accomplis, il reste encore beaucoup à faire pour résoudre les divergences qui subsistent entre les intérêts des peuples autochtones et le développement national, entre les moyens d'existence et les modes de vie des peuples concernés et les politiques et les projets des États.

    En outre, les effets néfastes de la mondialisation sur ces communautés persistants, c'est toute la diversité culturelle des peuples qui est aujourd'hui remise en question. Ce phénomène fait que bien

    Thèses / 2008, p. 425

    170

    des décisions ne sont même pas prises par les gouvernements, et se prennent à l'Organisation mondiale du commerce, à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international, etc. C'est pourquoi il importe pour les peuples autochtones de travailler en collaboration étroite avec les gouvernements dans des instances comme l'OMC, afin d'affirmer leur droit de contrôler le territoire national et leurs propres ressources nationales.

    Dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est entendu comme étant d'application interne, puisqu'il permet aux peuples autochtones de disposer d'eux-mêmes mais seulement dans le cadre de l'État. Ils ont donc « le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales » 209.

    Bien que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes soit énoncé sans réserves à l'article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, certaines dispositions viennent restreindre sa portée sous l'angle interne, c'est à dire accorder aux peuples autochtones un droit à l'autonomie, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'État.

    Lors d'une séance du Groupe de travail de l'Organisation des États Américains en mars 2002, le Canada tenta de déterminer par quelles voies le droit à l'autodétermination pouvait être mis en oeuvre dans des États dotés d'un gouvernement représentatif de l'ensemble du peuple appartenant au territoire, sans distinction de race, de croyance ou de couleur :

    · Ce droit à l'autodétermination respecte l'intégrité politique, constitutionnelle et territoriale des États démocratiques.

    · L'exercice de ce droit implique des négociations entre les États et les divers peuples autochtones qui vivent dans ces États sur les moyens de poursuivre le développement politique, économique, social et culturel des peuples autochtones concernés.

    · Ces négociations doivent refléter les juridictions et les compétences des gouvernements existants et prendre en compte les différents besoins, situations et aspirations des peuples autochtones concernés.

    · Ce droit à l'autodétermination a pour but de promouvoir des accords harmonieux sur l'autonomie gouvernementale autochtone au sein d'États souverains et indépendants.

    209 Article 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

    Nous terminerons ce travail en reprenant les propos de Julian Burger :

    « Les peuples autochtones ne demandent rien de plus que le droit de déterminer leur propre développement et leur avenir. Nous n'en souhaitons pas moins pour nous-mêmes. Un siècle violent vient de s'écouler et le temps est venu de prêter attention aux voix les plus saines dont l'origine remonte au sources de la société humaine » 210.

    171

    210 BURGER Julian « Premières Nations : Un Avenir pour les Peuples Autochtones » Grands Témoins « Image » Anako Éditions, 2000, p.174

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    · Report on the situation of human rights of a segment of the Nicaraguan population of Miskito origin, OAS Doc. OEA/Ser.L/VLII.62, doc.26 (1984)

    Cour Suprême d'Australie :

    · Mabo and Others v. Queensland N° 2 ; (1992) 175 CLR 1 (3 June 1992)

    · The Wik Peoples v. The State of Queensland and ors ; (1996) 141 ALR 129 (23 December 1996)

    Internet :

    · http://impact22.amnesty.org/en/library/asset/ASA12/008/1996/en/0e6c1f17-eb0a-11dd-aad1-ed57e7e5470b/asa120081996en.html (Australia: Human rights violations rooted in systematic discrimination against Aborigines)

    · http://www.nit.com.au/ (National Indigenous Times)

    · http://www.abc.net.au/indigenous (ABC Indigenous Online)

    · http://www.dia.wa.gov.au/ (Department of Indigenous Affairs)

    · http://www.indigenous.gov.au/ (Australian Goverment page on indigenous people)

    · http://pandora.nla.gov.au/pan/41033/20060106-0000/ATSIC/default.html (Aboriginal and Torres Strait Islanders Commission)

    · http://home.vicnet.net.au/~aar/ (Action for aboriginal rights)

    · http://www.reconciliation.org.au/ (Reconciliation Australia)

    · http://antar.org.au/ (Australians for Native Title And Reconciliation)

    · http://www.creativespirits.info/aboriginalculture/selfdetermination/ (Creative Spirits,

    180

    Aboriginal self determination and autonomy)

    · http://caepr.anu.edu.au/ (Centre for Aboriginal Economic Policy Research)

    · http://www.eniar.org/issues/native-title/ (European Network for Indigenous Australian Rights (ENIAR) CIC )

    · http://terrescontees.free.fr/evenements/aborigenes.htm (Fiche récapitulative sur les Aborigènes)

    · http://www.ausanthrop.net/french/ (Recherches anthropologiques sur les Aborigènes)

    · http://anthropology.free.fr/pages/16.html (Éléments d'Anthropologie du Droit)

    · http://www.aiatsis.gov.au/corporate/about.html (Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies page)

    · http://www.records.nsw.gov.au/ (New South Wales State Records)

    · http://www.gitpa.org/Accueil%20Frame%20.htm (Groupe International de Travail sur les Peuples Autochtones)

    Filmographie :

    · Le Chemin de la liberté - Phillip Noyce (2002) avec Everlyn Sampi, Kenneth Branagh, David Gulpilil

    · Les Saphirs - Wayne Blair (2012) avec Chris O'Dowd, Deborah Mailman, Jessica Mauboy

    · Mabo, Life Of An Island Man - Trevor Graham (1997)

    181

    Table des matières

    Introduction . 7

    I - Évolution du droit des peuples autochtones : De l'internalisation à

    l'internationalisation 27

    A) L'origine de la notion d'autochtonie 28

    i. Les définitions conventionnelles de l'autochtonie 28

    1) La Convention 107 : l'Assimilation 29

    2) La Convention 169 : le pluralisme conditionnel 31

    ii. L'élaboration d'une définition au sein de l'ONU 32

    1) L'étude du rapporteur spécial José R. Martinez Cobo : 33

    2) L'antériorité de l'occupation territoriale et l'Auto-définition : 35

    iii. Le statut atypique des peuples autochtones en droit international 38

    1) La distinction peuples autochtones/Minorités ethniques 39

    2) Une qualification de peuples sui generis 41

    B) L'émergence d'un droit des peuples autochtones 43

    i. La mobilisation autochtone dans le contexte onusien 44

    1) Début d'une mobilisation autochtone devant les Instances internationales 45

    2) La création d'organes spéciaux dédiés à la problématique autochtone 49

    ii. Un droit à vocation collective 56

    1) Spécificité : reconnaissance de droits collectifs 57

    2) Le droit des peuples autochtones à la participation collective 60

    iii. L'apparition d'une identité transnationale autochtone 61

    1) Des sujets en devenir du droit international 62

    2) L'identité transnationale autochtone 66

    C) Le processus de reconnaissance des Aborigènes dans la société australienne (de

    l'intégration à la réconciliation) 69

    i. Assimilation et intégration des aborigènes au sein de la société australienne 69

    1) Le contexte historique 69

    2) La période d'assimilation 73

    ii. La reconnaissance institutionnelle des aborigènes dans la société australienne : de

    l'intégration à la réconciliation 76

    1) La période d'intégration des Aborigènes 77

    2) La « révolution judiciaire » avec l'arrêt Mabo 80

    iii. Enjeux et limites de la reconnaissance 84

    1) Bilan sur le continent Australien 84

    2) Bilan sur le Territoire du Nord et le Détroit de Torres 91

    182

    II - L'exercice par les peuples autochtones du droit à l'autodétermination 97

    A) Les contours du droit à l'autodétermination pour les peuples autochtones 98

    i. Les différentes formes de l'exercice du droit à l'autodétermination 98

    1) L'autodétermination externe et interne 99

    2) L'autodétermination des peuples autochtones 102

    ii. L'autodétermination assimilée à la décolonisation 105

    1) Définition de la décolonisation 106

    2) L'assimilation peuple autochtone/peuple colonisé 108

    iii. La portée juridique interne du droit des peuples autochtones à disposer d'eux-mêmes 111

    1) La dimension interne du droit à l'Autodétermination pour les peuples autochtones 112

    2) La garantie du respect des droits territoriaux et de l'intégrité territoriale de l'État 115

    B) La réception du droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones :

    Autonomie et relations internationales 123

    i. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones 123

    1) L'adoption de la Déclaration 124

    2) Les conséquences et impacts de la Déclaration 126

    ii. Une collaboration difficile avec les gouvernements 128

    1) Autodétermination/Autonomie 129

    2) Les avantages du fédéralisme 133

    iii. Les peuples autochtones aux nations unies : un nouvel acteur dans la fabrique des normes

    internationales 136

    1) La participation sur la scène onusienne 136

    2) Les menaces dues à la mondialisation 139

    C) La politique d'autodétermination des aborigènes australiens 143

    i. Le gouvernement Whitlam, l'avènement d'une politique d'autodétermination 144

    1) L'avènement du multiculturalisme dans la société australienne 144

    2) Formalisation d'un processus 146

    ii. Les différents instruments d'autodétermination sur le territoire australien 148

    1) Le Secteur autochtone 149

    2) L'ATSIC instrument d'autodétermination 152

    iii. Le principe d'autodétermination en question 155

    1) Ère Keating - Ère Howard 156

    2) Autonomie et autodétermination 160

    Conclusion . 164

    Bibliographie 172

    Annexes 183

    183

    Annexes

    Liste des annexes :

    1 - Cartes : Répartition des Aborigènes sur le territoire australien

    2 - Chronologie : Évolution de la situation des Aborigènes

    3 - Ressources documentaires

    4 - Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (2007)

    1 - Cartes :

    Répartition des Aborigènes sur le territoire australien

    Source : Aboriginal Australia de David Horton ; éditée par The Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies (AIATSIS)

    Aboriginal and Torres Strait Islander population distribution - 2006 *

    Source: ABS data available on request, Australian Demographic Statistics (cat. no. 3101.0)

    * Final estimates based on the 2006 Census of Population and Housing.

    2 - Chronologie :

    1770

    · Le Capitaine Cook prend possession de la côte Est de l'Australie au nom de la Couronne britannique et déclare le territoire terra nullius.

    1788

    · Début de la colonisation avec l'arrivée du premier bateau britannique, installation d'une colonie pénitentiaire.

    1791

    · Début de l'expansion territoriale de la colonie, de la dépossession à large échelle des terres aborigènes, et des conflits récurrents entre colons et Aborigènes.

    1871

    · Charles Darwin publie La filiation de l'homme, un ouvrage dans lequel il présente l'extermination des peuples aborigènes comme une étape nécessaire dans le processus de l'évolution.

    1900

    · Le parlement britannique vote l'Australian Constitution Act, qui donne l'indépendance aux colonies britanniques d'Australie.

    · Constitution de la Fédération des colonies.

    · Création du Commonwealth australien.

    1901

    · L'Australie cesse d'être une colonie Britannique est devient un État fédéral autonome, dominion Britannique.

    1910

    · Début des politiques des « générations volées »

    1936

    · Réunion des Premiers à Adélaïde

    1937

    · Adoption d'une politique officielle d'assimilation des métisses aborigènes.

    · Une loi sur les Aborigènes donne au responsable de l'Aboriginal Protection Board l'instrument légal pour « se débarrasser » du gène Aborigène et aboutir à une « solution finale » au problème racial en Australie Occidentale.

    1938

    · Les Aborigènes commémorent le 150ème anniversaire de l'invasion Britannique en décrétant cette date « jour de deuil » (Day of Mourning).

    1949

    · Amendement de l'Electoral Act

    1951

    · Native Welfare Conference à Canberra à l'initiative de Paul Hasluck, Ministre des Territoires.

    · L'assimilation devient la politique officielle de l'Australie

    1958

    · Mise en place du Federal Council for Aboriginal Advencement and Torres Straits Islands. (FCAA/ TSI)

    1962

    · Obtention du droit de vote pour tous les autochtones au niveau fédéral.

    1965

    · Manifestations et grèves des Gurindji à Wave Hill qui réclament pour les aborigènes des salaires égaux à ceux de non aborigènes. Les grèves ont duré de 1966 à 1975.

    1967

    · Succès retentissant (90% de oui) d'un référendum reconnaissant certains droits aux Aborigènes. Ils sont désormais inclus lors des recensements.

    1970

    · Scission au sein de FCAA/ TSI, création du National Tribal Council.

    · Fin des politiques des « générations volées ».

    1971

    · Neville Bonner devient le premier parlementaire aborigène en Australie.

    1972

    · 26 janvier 1972, l'ambassade aborigène est érigée le jour de la Fête nationale australienne en réponse au refus du gouvernement McMahon de reconnaître les droits des Aborigènes à leurs terres coutumières.

    · Le Premier ministre Gough Whitlam créé un Département des affaires aborigènes et nomme un ministre uniquement responsable des affaires aborigènes.

    · L'autodétermination devient la politique officielle du gouvernement.

    · Le Comité Consultatif National Aborigène (NACC) est établit.

    1975

    · La grève de Wave Hill se termine par la restitution à la tribu gurindji de 3200 km2 qui leur avait été volés.

    1976

    La loi fédérale Aboriginal Land Rights (Northen Territory) Act permet aux groupes aborigènes de revendiquer leurs terres ancestrales, mais elle ne concerne que le Territoire du Nord.

    1977

    · Le NACC est remplacé par la Commission Nationale Aborigène (NAC)

    1984

    · Le vote devient obligatoire pour les Aborigènes.

    · La NAC est dissoute.

    1985

    · Uluru (Ayers Rock) est rendu à ses propriétaires d'origines, la tribu anangu, à condition que le site reste accessible aux touristes.

    1990

    · Mise en place de l'Aboriginal and Torres Strait Islander Commission (ATSIC).

    · Création du Gouvernement Aborigène Provisoire.

    1991

    · Rapport de la Commission Royale sur les morts aborigènes en milieu carcéral.

    · Célébration de l'année du peuple aborigène.

    · Le Conseil pour la Réconciliation Aborigène est établit par accord unanime du Parlement Fédéral en vue d'encourager la coopération et d'améliorer l'harmonie entre les Australiens aborigènes et non-aborigènes.

    1992

    · 3 juin : Conclusion par la High Court de l' affaire Mabo qui met fin à la fiction juridique de terra nullius. La propriété foncière ancestrale des Aborigènes est reconnue.

    1993

    · La Loi sur le Titre Autochtone (Native Title Act) est votée.

    1996

    · Affaire Wik : la High Court confirme que les droits au Titre Autochtone peuvent coexister avec les baux pastoraux.

    1997

    · Rapport Bringing Them Home ; la vérité au sujet des Générations volées éclate au grand jour.

    · Début des National Sorry Days ("journée nationale du pardon") le 26 mai de chaque année.

    1998

    · La loi sur le Titre Autochtone de 1993 est amendée.

    · L'Australie est déclarée en violation de la convention internationale sur l'élimination de

    toutes les formes de discrimination raciale.

    1999-2000

    · Rapports accablants des Nations Unies sur la situation des Aborigènes en Australie.

    · Marches pour la Réconciliation organisées dans les capitales des États.

    2001

    · L'Australie célèbre les 100 ans de la fédération.

    · Fin du Conseil pour la Réconciliation Aborigène.

    · Suppression du Ministère chargé uniquement des affaires autochtones.

    2004

    · Décision du gouvernement australien de suppression de l'ATSIC

    2008

    Le Premier ministre Kevin Rudd demande pardon aux « générations volées ».

    2009

    · 3 avril : l'Australie adhère à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

    Sources :

    · CASTEJON Vanessa, 2005, Les aborigènes et l'apartheid politique australien, Ed l'Harmattan,

    · LINDQVIST Sven, 2007, Terra nullius, Ed. des Arènes, 263p.

    · MUECKE Stephen, SHOEMAKER Adam, 2002, Les Aborigènes d'Australie, Découvertes Gallimard, 127p.

    3 - Ressources documentaires :

    n 1945. Charte des Nations Unies

    n 1948. Déclaration universelle des droits de l'homme

    n 1957. Convention n°107- OIT relative aux populations aborigènes et tribales

    n 1960. Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux

    n 1963. Déclaration des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale

    n 1965. Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale

    n 1966. Pacte international relatif aux droits civils et politiques

    n 1966. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels

    n 1978. Déclaration sur la race et les préjugés raciaux

    n 1986. Déclaration sur le droit au développement

    n 1986. Charte africaine des droits de l'homme et des peuples

    n 1989. Convention n°169 - OIT relative aux peuples indigènes et tribaux

    n 1992. Convention sur la diversité biologique

    n 1992. Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales, ethniques, religieuses et linguistiques

    n 1993. Conférence mondiale sur les droits de l'homme : déclaration et programme d'action de

    Vienne

    n 1994. Conférence internationale sur la population et le développement : programme d'action, Le Caire

    n 1995. Rapport final de E.-I. Daes sur la Protection du patrimoine des populations autochtones

    n 1995. Conférence mondiale sur les femmes : déclaration de Beijing

    n 1995. Rapport du sommet mondial pour le développement durable

    n 1999. Rapport final de M.-A. Martinez sur l'étude des traités, accords et autres arrangements constructifs entre les États et les populations autochtones

    n 2001. Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée : rapport de Durban

    n 2001. Déclaration universelle de l'Unesco sur la diversité culturelle

    n 2001. Document de travail final de E.-I. Daes sur les peuples autochtones et leur relation à la terre

    n 2002. Sommet mondial pour le développement durable : communiqué final de Johannesburg

    n 2003. Rapport du groupe de travail d'experts de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples sur les populations / communautés autochtones (publié en 2005)

    n 2004. Acte de fondation de la Coordination autochtone francophone, ONU - New York

    n 2004. Rapport final de E.-I. Daes sur la souveraineté permanente des peuples autochtones sur les ressources naturelles

    n 2004. Rapport du séminaire sur les traités, accords et autres arrangements constructifs entre les États et les peuples autochtones, par Wilton Littlechild

    n 2004. Document de travail présenté par M.-A. Martinez sur les peuples autochtones et la résolution des conflits

    n 2005. Banque Mondiale, Politiques opérationnelles P.O 4.10, concernant les populations autochtones

    n 2005. Projet de programme d'action pour la deuxième Décennie internationale des populations autochtones, rapport du Secrétaire général des Nations Unies

    n 2007. Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones

    4 - Déclaration des Nations Unies sur les

    droits des peuples autochtones (2007)

    Nations Unies A/RES/61/295

    06-51208

     

    Distr. générale

    Assemblée générale 2 octobre 2007

    Soixante et unième session Point 68 de l'ordre du jour

    Résolution adoptée par l'Assemblée générale

    [sans renvoi à une grande commission (A/61/L.67 et Add.1)]

    61/295. Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

    L'Assemblée générale,

    Prenant note de la recommandation faite par le Conseil des droits de l'homme

    dans sa résolution 1/2 du 29 juin 20061, par laquelle il a adopté le texte de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,

    Rappelant sa résolution 61/178 du 20 décembre 2006, par laquelle elle a décidé, d'une part, d'attendre, pour examiner la Déclaration et prendre une décision à son sujet, d'avoir eu le temps de tenir des consultations supplémentaires sur la question, et, de l'autre, de finir de l'examiner avant la fin de sa soixante et unième session,

    Adopte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dont le texte figure en annexe à la présente résolution.

    107e séance plénière 13 septembre 2007

    Annexe

    Déclaration des Nations Unies

    sur les droits des peuples autochtones

    L'Assemblée générale,

    Guidée par les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et

    convaincue que les États se conformeront aux obligations que leur impose la Charte,

    Affirmant que les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples,

    tout en reconnaissant le droit de tous les peuples d'être différents, de s'estimer différents et d'être respectés en tant que tels,

    1 Voir Documents officiels de l'Assemblée générale, soixante et unième session, Supplément no 53 (A/61/53), première partie, chap. II, sect. A.

    2

    A/RES/61/295

    Affirmant également que tous les peuples contribuent à la diversité et à la

    richesse des civilisations et des cultures, qui constituent le patrimoine commun de l'humanité,

    Affirmant en outre que toutes les doctrines, politiques et pratiques qui invoquent ou prônent la supériorité de peuples ou d'individus en se fondant sur des différences d'ordre national, racial, religieux, ethnique ou culturel sont racistes, scientifiquement fausses, juridiquement sans valeur, moralement condamnables et socialement injustes,

    Réaffirmant que les peuples autochtones, dans l'exercice de leurs droits, ne doivent faire l'objet d'aucune forme de discrimination,

    Préoccupée par le fait que les peuples autochtones ont subi des injustices historiques à cause, entre autres, de la colonisation et de la dépossession de leurs terres, territoires et ressources, ce qui les a empêchés d'exercer, notamment, leur droit au développement conformément à leurs propres besoins et intérêts,

    Consciente de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les droits intrinsèques des peuples autochtones, qui découlent de leurs structures politiques, économiques et sociales et de leur culture, de leurs traditions spirituelles, de leur histoire et de leur philosophie, en particulier leurs droits à leurs terres, territoires et ressources,

    Consciente également de la nécessité urgente de respecter et de promouvoir les

    droits des peuples autochtones affirmés dans les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec les États,

    Se félicitant du fait que les peuples autochtones s'organisent pour améliorer

    leur situation sur les plans politique, économique, social et culturel et mettre fin à toutes les formes de discrimination et d'oppression partout où elles se produisent,

    Convaincue que le contrôle, par les peuples autochtones, des événements qui les concernent, eux et leurs terres, territoires et ressources, leur permettra de perpétuer et de renforcer leurs institutions, leur culture et leurs traditions et de promouvoir leur développement selon leurs aspirations et leurs besoins,

    Considérant que le respect des savoirs, des cultures et des pratiques

    traditionnelles autochtones contribue à une mise en valeur durable et équitable de l'environnement et à sa bonne gestion,

    Soulignant la contribution de la démilitarisation des terres et territoires des peuples autochtones à la paix, au progrès économique et social et au développement, à la compréhension et aux relations amicales entre les nations et les peuples du monde,

    Considérant en particulier le droit des familles et des communautés autochtones de conserver la responsabilité partagée de l'éducation, de la formation, de l'instruction et du bien-être de leurs enfants, conformément aux droits de l'enfant,

    Estimant que les droits affirmés dans les traités, accords et autres arrangements constructifs entre les États et les peuples autochtones sont, dans certaines situations, des sujets de préoccupation, d'intérêt et de responsabilité à l'échelle internationale et présentent un caractère international,

    Estimant également que les traités, accords et autres arrangements constructifs,

    ainsi que les relations qu'ils représentent, sont la base d'un partenariat renforcé entre les peuples autochtones et les États,

    3

    A/RES/61/295

    Constatant que la Charte des Nations Unies, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels2 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques2, ainsi que la Déclaration et le Programme d'action de Vienne3, affirment l'importance fondamentale du droit de tous les peuples de disposer d'eux-mêmes, droit en vertu duquel ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel,

    Consciente qu'aucune disposition de la présente Déclaration ne pourra être

    invoquée pour dénier à un peuple quel qu'il soit son droit à l'autodétermination, exercé conformément au droit international,

    Convaincue que la reconnaissance des droits des peuples autochtones dans la présente Déclaration encouragera des relations harmonieuses et de coopération entre les États et les peuples autochtones, fondées sur les principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l'homme, de non-discrimination et de bonne foi,

    Encourageant les États à respecter et à mettre en oeuvre effectivement toutes leurs obligations applicables aux peuples autochtones en vertu des instruments internationaux, en particulier ceux relatifs aux droits de l'homme, en consultation et en coopération avec les peuples concernés,

    Soulignant que l'Organisation des Nations Unies a un rôle important et continu à jouer dans la promotion et la protection des droits des peuples autochtones,

    Convaincue que la présente Déclaration est une nouvelle étape importante sur la voie de la reconnaissance, de la promotion et de la protection des droits et libertés des peuples autochtones et dans le développement des activités pertinentes du système des Nations Unies dans ce domaine,

    Considérant et réaffirmant que les autochtones sont admis à bénéficier sans aucune discrimination de tous les droits de l'homme reconnus en droit international, et que les peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples,

    Considérant que la situation des peuples autochtones n'est pas la même selon les régions et les pays, et qu'il faut tenir compte de l'importance des particularités nationales ou régionales, ainsi que de la variété des contextes historiques et culturels,

    Proclame solennellement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des

    peuples autochtones, dont le texte figure ci-après, qui constitue un idéal à atteindre dans un esprit de partenariat et de respect mutuel :

    Article premier

    Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif ou individuel, de jouir pleinement de l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales reconnus par la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme4 et le droit international relatif aux droits de l'homme.

    2 Voir résolution 2200 A (XXI), annexe.

    3 A/CONF.157/24 (Part I), chap. III.

    4 Résolution 217 A (III).

    4

    A/RES/61/295

    Article 2

    Les autochtones, peuples et individus, sont libres et égaux à tous les autres et

    ont le droit de ne faire l'objet, dans l'exercice de leurs droits, d'aucune forme de discrimination fondée, en particulier, sur leur origine ou leur identité autochtones.

    Article 3

    Les peuples autochtones ont le droit à l'autodétermination. En vertu de ce

    droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.

    Article 4

    Les peuples autochtones, dans l'exercice de leur droit à l'autodétermination, ont le droit d'être autonomes et de s'administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes.

    Article 5

    Les peuples autochtones ont le droit de maintenir et de renforcer leurs institutions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles distinctes, tout en conservant le droit, si tel est leur choix, de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle de l'État.

    Article 6

    Tout autochtone a droit à une nationalité.

    Article 7

    1. Les autochtones ont droit à la vie, à l'intégrité physique et mentale, à la liberté et à la sécurité de la personne.

    2. Les peuples autochtones ont le droit, à titre collectif, de vivre dans la liberté, la paix et la sécurité en tant que peuples distincts et ne font l'objet d'aucun acte de génocide ou autre acte de violence, y compris le transfert forcé d'enfants autochtones d'un groupe à un autre.

    Article 8

    1. Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d'assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

    2. Les États mettent en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant :

    a) Tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique ;

    b) Tout acte ayant pour but ou pour effet de les déposséder de leurs terres, territoires ou ressources ;

    c) Toute forme de transfert forcé de population ayant pour but ou pour effet de violer ou d'éroder l'un quelconque de leurs droits ;

    d) Toute forme d'assimilation ou d'intégration forcée ;

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    e) Toute forme de propagande dirigée contre eux dans le but d'encourager la discrimination raciale ou ethnique ou d'y inciter.

    Article 9

    Les autochtones, peuples et individus, ont le droit d'appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Aucune discrimination quelle qu'elle soit ne saurait résulter de l'exercice de ce droit.

    Article 10

    Les peuples autochtones ne peuvent être enlevés de force à leurs terres ou territoires. Aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans le consentement préalable - donné librement et en connaissance de cause - des peuples autochtones concernés et un accord sur une indemnisation juste et équitable et, lorsque cela est possible, la faculté de retour.

    Article 11

    1. Les peuples autochtones ont le droit d'observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l'artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature.

    2. Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces - qui peuvent comprendre la restitution - mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes.

    Article 12

    1. Les peuples autochtones ont le droit de manifester, de pratiquer, de promouvoir et d'enseigner leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels ; le droit d'entretenir et de protéger leurs sites religieux et culturels et d'y avoir accès en privé ; le droit d'utiliser leurs objets rituels et d'en disposer ; et le droit au rapatriement de leurs restes humains.

    2. Les États veillent à permettre l'accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés.

    Article 13

    1. Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d'utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d'écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.

    2. Les États prennent des mesures efficaces pour protéger ce droit et faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et être compris dans les

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    procédures politiques, juridiques et administratives, en fournissant, si nécessaire, des services d'interprétation ou d'autres moyens appropriés.

    Article 14

    1. Les peuples autochtones ont le droit d'établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l'enseignement est dispensé dans leur propre langue, d'une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d'enseignement et d'apprentissage.

    2. Les autochtones, en particulier les enfants, ont le droit d'accéder à tous les niveaux et à toutes les formes d'enseignement public, sans discrimination aucune.

    3. Les États, en concertation avec les peuples autochtones, prennent des mesures efficaces pour que les autochtones, en particulier les enfants, vivant à l'extérieur de leur communauté, puissent accéder, lorsque cela est possible, à un enseignement dispensé selon leur propre culture et dans leur propre langue.

    Article 15

    1. Les peuples autochtones ont droit à ce que l'enseignement et les moyens d'information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations.

    2. Les États prennent des mesures efficaces, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones concernés, pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la compréhension et de bonnes relations entre les peuples autochtones et toutes les autres composantes de la société.

    Article 16

    1. Les peuples autochtones ont le droit d'établir leurs propres médias dans leur propre langue et d'accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune.

    2. Les États prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent dûment la diversité culturelle autochtone. Les États, sans préjudice de l'obligation d'assurer pleinement la liberté d'expression, encouragent les médias privés à refléter de manière adéquate la diversité culturelle autochtone.

    Article 17

    1. Les autochtones, individus et peuples, ont le droit de jouir pleinement de tous les droits établis par le droit du travail international et national applicable.

    2. Les États doivent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, prendre des mesures visant spécifiquement à protéger les enfants autochtones contre l'exploitation économique et contre tout travail susceptible d'être dangereux ou d'entraver leur éducation ou de nuire à leur santé ou à leur développement physique, mental, spirituel, moral ou social, en tenant compte de leur vulnérabilité particulière et de l'importance de l'éducation pour leur autonomisation.

    3. Les autochtones ont le droit de n'être soumis à aucune condition de travail discriminatoire, notamment en matière d'emploi ou de rémunération.

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    Article 18

    Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.

    Article 19

    Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés - par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives - avant d'adopter et d'appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

    Article 20

    1. Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités économiques, traditionnelles et autres.

    2. Les peuples autochtones privés de leurs moyens de subsistance et de développement ont droit à une indemnisation juste et équitable.

    Article 21

    1. Les peuples autochtones ont droit, sans discrimination d'aucune sorte, à l'amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l'éducation, de l'emploi, de la formation et de la reconversion professionnelles, du logement, de l'assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.

    2. Les États prennent des mesures efficaces et, selon qu'il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones.

    Article 22

    1. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins spéciaux des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones dans l'application de la présente Déclaration.

    2. Les États prennent des mesures, en concertation avec les peuples autochtones, pour veiller à ce que les femmes et les enfants autochtones soient pleinement protégés contre toutes les formes de violence et de discrimination et bénéficient des garanties voulues.

    Article 23

    Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'élaborer des priorités et des stratégies en vue d'exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit d'être activement associés à l'élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d'autres programmes économiques et sociaux les concernant,

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    et, autant que possible, de les administrer par l'intermédiaire de leurs propres institutions.

    Article 24

    1. Les peuples autochtones ont droit à leur pharmacopée traditionnelle et ils ont le droit de conserver leurs pratiques médicales, notamment de préserver leurs plantes médicinales, animaux et minéraux d'intérêt vital. Les autochtones ont aussi le droit d'avoir accès, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé.

    2. Les autochtones ont le droit, en toute égalité, de jouir du meilleur état possible de santé physique et mentale. Les États prennent les mesures nécessaires en vue d'assurer progressivement la pleine réalisation de ce droit.

    Article 25

    Les peuples autochtones ont le droit de conserver et de renforcer leurs liens spirituels particuliers avec les terres, territoires, eaux et zones maritimes côtières et autres ressources qu'ils possèdent ou occupent et utilisent traditionnellement, et d'assumer leurs responsabilités en la matière à l'égard des générations futures.

    Article 26

    1. Les peuples autochtones ont le droit aux terres, territoires et ressources qu'ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu'ils ont utilisés ou acquis.

    2. Les peuples autochtones ont le droit de posséder, d'utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu'ils possèdent parce qu'ils leur appartiennent ou qu'ils les occupent ou les utilisent traditionnellement, ainsi que ceux qu'ils ont acquis.

    3. Les États accordent reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources. Cette reconnaissance se fait en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés.

    Article 27

    Les États mettront en place et appliqueront, en concertation avec les peuples autochtones concernés, un processus équitable, indépendant, impartial, ouvert et transparent prenant dûment en compte les lois, traditions, coutumes et régimes fonciers des peuples autochtones, afin de reconnaître les droits des peuples autochtones en ce qui concerne leurs terres, territoires et ressources, y compris ceux qu'ils possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement, et de statuer sur ces droits. Les peuples autochtones auront le droit de participer à ce processus.

    Article 28

    1. Les peuples autochtones ont droit à réparation, par le biais, notamment, de la restitution ou, lorsque cela n'est pas possible, d'une indemnisation juste, correcte et équitable pour les terres, territoires et ressources qu'ils possédaient traditionnellement ou occupaient ou utilisaient et qui ont été confisqués, pris, occupés, exploités ou dégradés sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

    2. Sauf si les peuples concernés en décident librement d'une autre façon, l'indemnisation se fait sous forme de terres, de territoires et de ressources

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    équivalents par leur qualité, leur étendue et leur régime juridique, ou d'une indemnité pécuniaire ou de toute autre réparation appropriée.

    Article 29

    1. Les peuples autochtones ont droit à la préservation et à la protection de leur environnement et de la capacité de production de leurs terres ou territoires et ressources. À ces fins, les États établissent et mettent en oeuvre des programmes d'assistance à l'intention des peuples autochtones, sans discrimination d'aucune sorte.

    2. Les États prennent des mesures efficaces pour veiller à ce qu'aucune matière dangereuse ne soit stockée ou déchargée sur les terres ou territoires des peuples autochtones sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

    3. Les États prennent aussi, selon que de besoin, des mesures efficaces pour veiller à ce que des programmes de surveillance, de prévention et de soins de santé destinés aux peuples autochtones affectés par ces matières, et conçus et exécutés par eux, soient dûment mis en oeuvre.

    Article 30

    1. Il ne peut y avoir d'activités militaires sur les terres ou territoires des peuples autochtones, à moins que ces activités ne soient justifiées par des raisons d'intérêt public ou qu'elles n'aient été librement décidées en accord avec les peuples autochtones concernés, ou demandées par ces derniers.

    2. Les États engagent des consultations effectives avec les peuples autochtones concernés, par le biais de procédures appropriées et, en particulier, par l'intermédiaire de leurs institutions représentatives, avant d'utiliser leurs terres et territoires pour des activités militaires.

    Article 31

    1. Les peuples autochtones ont le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur patrimoine culturel, leur savoir traditionnel et leurs expressions culturelles traditionnelles ainsi que les manifestations de leurs sciences, techniques et culture, y compris leurs ressources humaines et génétiques, leurs semences, leur pharmacopée, leur connaissance des propriétés de la faune et de la flore, leurs traditions orales, leur littérature, leur esthétique, leurs sports et leurs jeux traditionnels et leurs arts visuels et du spectacle. Ils ont également le droit de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle collective de ce patrimoine culturel, de ce savoir traditionnel et de ces expressions culturelles traditionnelles.

    2. En concertation avec les peuples autochtones, les États prennent des mesures efficaces pour reconnaître ces droits et en protéger l'exercice.

    Article 32

    1. Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l'utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.

    2. Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en

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    vue d'obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l'approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources, notamment en ce qui concerne la mise en valeur, l'utilisation ou l'exploitation des ressources minérales, hydriques ou autres.

    3. Les États mettent en place des mécanismes efficaces visant à assurer une réparation juste et équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures adéquates sont prises pour en atténuer les effets néfastes sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou spirituel.

    Article 33

    1. Les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, sans préjudice du droit des autochtones d'obtenir, à titre individuel, la citoyenneté de l'État dans lequel ils vivent.

    2. Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d'en choisir les membres selon leurs propres procédures.

    Article 34

    Les peuples autochtones ont le droit de promouvoir, de développer et de conserver leurs structures institutionnelles et leurs coutumes, spiritualité, traditions, procédures ou pratiques particulières et, lorsqu'ils existent, leurs systèmes ou coutumes juridiques, en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l'homme.

    Article 35

    Les peuples autochtones ont le droit de déterminer les responsabilités des individus envers leur communauté.

    Article 36

    1. Les peuples autochtones, en particulier ceux qui vivent de part et d'autre de frontières internationales, ont le droit d'entretenir et de développer, à travers ces frontières, des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu'avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux.

    2. Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, des mesures efficaces pour faciliter l'exercice de ce droit et en assurer l'application.

    Article 37

    1. Les peuples autochtones ont droit à ce que les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus avec des États ou leurs successeurs soient reconnus et effectivement appliqués, et à ce que les États honorent et respectent lesdits traités, accords et autres arrangements constructifs.

    2. Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée de manière à diminuer ou à nier les droits des peuples autochtones énoncés dans des traités, accords et autres arrangements constructifs.

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    Article 38

    Les États prennent, en consultation et en coopération avec les peuples

    autochtones, les mesures appropriées, y compris législatives, pour atteindre les buts de la présente Déclaration.

    Article 39

    Les peuples autochtones ont le droit d'avoir accès à une assistance financière

    et technique, de la part des États et dans le cadre de la coopération internationale, pour jouir des droits énoncés dans la présente Déclaration.

    Article 40

    Les peuples autochtones ont le droit d'avoir accès à des procédures justes et équitables pour le règlement des conflits et des différends avec les États ou d'autres parties et à une décision rapide en la matière, ainsi qu'à des voies de recours efficaces pour toute violation de leurs droits individuels et collectifs. Toute décision en la matière prendra dûment en considération les coutumes, traditions, règles et systèmes juridiques des peuples autochtones concernés et les normes internationales relatives aux droits de l'homme.

    Article 41

    Les organes et les institutions spécialisées du système des Nations Unies et d'autres organisations intergouvernementales contribuent à la pleine mise en oeuvre des dispositions de la présente Déclaration par la mobilisation, notamment, de la coopération financière et de l'assistance technique. Les moyens d'assurer la participation des peuples autochtones à l'examen des questions les concernant doivent être mis en place.

    Article 42

    L'Organisation des Nations Unies, ses organes, en particulier l'Instance permanente sur les questions autochtones, les institutions spécialisées, notamment au niveau des pays, et les États favorisent le respect et la pleine application des dispositions de la présente Déclaration et veillent à en assurer l'efficacité.

    Article 43

    Les droits reconnus dans la présente Déclaration constituent les normes

    minimales nécessaires à la survie, à la dignité et au bien-être des peuples autochtones du monde.

    Article 44

    Tous les droits et libertés reconnus dans la présente Déclaration sont garantis de la même façon à tous les autochtones, hommes et femmes.

    Article 45

    Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme

    entraînant la diminution ou l'extinction de droits que les peuples autochtones ont déjà ou sont susceptibles d'acquérir à l'avenir.

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    Article 46

    1. Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un peuple, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte contraire à la Charte des Nations Unies, ni considérée comme autorisant ou encourageant aucun acte ayant pour effet de détruire ou d'amoindrir, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique d'un État souverain et indépendant.

    2. Dans l'exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration, les droits de l'homme et les libertés fondamentales de tous sont respectés. L'exercice des droits énoncés dans la présente Déclaration est soumis uniquement aux restrictions prévues par la loi et conformes aux obligations internationales relatives aux droits de l'homme. Toute restriction de cette nature sera non discriminatoire et strictement nécessaire à seule fin d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et de satisfaire aux justes exigences qui s'imposent dans une société démocratique.

    3. Les dispositions énoncées dans la présente Déclaration seront interprétées conformément aux principes de justice, de démocratie, de respect des droits de l'homme, d'égalité, de non-discrimination, de bonne gouvernance et de bonne foi.






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo