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La résolution juridique du conflit au Darfour : mise en perspective de l'état de la justice pénale internationale

( Télécharger le fichier original )
par Mohamed HAMDANI
Université Panthéon-Assas Paris 2 - Master 1 de science politique 2010
  

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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS PARIS II

LA RESOLUTION JURIDIQUE DU

CONFLIT AU DARFOUR : MISE EN

PERSPECTIVE DE L'ETAT DE LA

JUSTICE PENALE INTERNATIONALE

Mémoire pour le Master 1 de Science Politique, présenté par :

Monsieur Mohamed Hamdani

Sous la direction de Madame Pascale Martin-Bidou, professeure à
l'Université Panthéon-Assas Paris 2.

1

Promotion 2010/2011

2

Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université de Paris-II.

3

« A mon père ».

4

Table des sigles

AMIS : African Union Mission for Sudan (Mission de l'Union Africaine au Soudan).

CPA : Comprehensive Peace Agreement (Accord compréhensif de paix). CPI : Cour pénale internationale

DPA : Darfur Peace Agreement (Accord de paix pour le Darfour).

FIAS : Force internationale d'assistance et de sécurité

IGAD : Intergovermental authority for development (Autorité

intergouvernementale pour le développement).

JEM/MJE : Justice and Equality Movement (Mouvement pour la justice et l'égalité).

SLM/MLS : Sudanese Liberation Movement (Mouvement pour la libération soudanais).

TPIR : Tribunal Pénal pour le Rwanda

TPIY : Tribunal Pénal pour l'Ex-Yougoslavie UA : Union Africaine

UNAMIS : United Nations Mission for Sudan (Mission onusienne pour le Soudan).

5

Sommaire

Introduction générale 4

Historique d'une région conflictuelle 5
2003 : Le point de non retour.....................................................................7

Première partie : La résolution juridique du conflit au Darfour : émancipation et universalisation de la justice pénale

internationale 9

Titre 1 : Aspects historico-théoriques du changement paradigmatique 9

Chapitre 1 : L'évolution de la justice pénale internationale : le passage du

paradigme réaliste à un paradigme libéral 9

Chapitre 2 : Le champ de compétence de la CPI, entre collusion libérale et

rupture avec le pouvoir juridique régalien des Etats 12

Titre 2 : Le Darfour : empiricité d'un nouveau mode de résolution des

conflits 16

Chapitre 1 : Le vote de la résolution 1593 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, caractéristique de l'émancipation de la Cour lors du processus de

résolution juridique du conflit au Darfour 16

Chapitre 2 : L'individualisation des sanctions à l'égard des auteurs de violations

des droits de l'Homme : le dépassement des frontières étatiques 18

Deuxième partie : La variable politique, contrainte limitative de

l'autonomisation de la justice pénale internationale 22

Titre 1: Freins institutionnels et carences opérationnelles du système

d'incrimination de la Cour pénale internationale 22

Chapitre 1 : Evaluation des freins institutionnels à l'autonomisation de la Cour

Pénale Internationale 23

Section 1.1) Le processus politique de résolution du conflit au Darfour : chronologie d'un échec...........................................................................23

Section 1.2) L'instabilité du Conseil de Sécurité des Nations Unies : le décalage

entre la résolution 1593 et les divergences idéologiques........................... 25

6

Chapitre 2 : La mise en application des sanctions juridiques dépendantes des Etats : la politisation de la justice pénale internationale dans le cas du conflit au

Darfour ..28

Section 2.1) L'incapacité de prévention, d'application et de finalisation de la

Cour 28

Section 2.2) De la position de l'Union Africaine à l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard » et solution à la contrainte

politique ? 30

Titre 2 : Solutions politico-institutionnelles nécessaires à la continuation de

l'exercice des compétences de la Cour 31

Chapitre 1 : L'hypothèse de la responsabilité de protéger comme principe

complémentaire de la Cour pénale internationale .32

Chapitre 2 : La relation entre la Cour Pénale Internationale et les Etats-Unis : l'impossible résistance étatique à l'idée d'une universalisation de la justice pénale

internationale ? 35

Conclusion générale 38

Bibliographie .39

Annexes .43

7

INTRODUCTION GENERALE

Le phénomène d'universalisation de la justice pénale internationale est en adéquation avec les récentes violations des droits de l'Homme par des chefs d'Etats en exercice1. En cela, le cas du Soudan s'inscrit directement dans cette tendance et constituerait un laboratoire d'analyse desdites violations. Au regard de l'écart entre la recrudescence des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies concernant la situation au Darfour2 et de leur efficience sur le terrain, les Etats, représentatifs stricto sensu de l'émanation des décisions politiques, ont été conduits à s'atteler à des décisions d'ordre juridique, concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationales3. La Cour pénale internationale (CPI) verrait ainsi son rôle renforcé concernant la mise en oeuvre des sanctions allant à l'encontre des auteurs de violations des droits de l'Homme. Néanmoins, le droit, et plus particulièrement le droit international, est confronté à un obstacle majeur qui n'est autre que le politique, d'où l'expression anglo-saxonne « peace versus justice »4. Le cas du conflit au Darfour constitue une mise en perspective du positionnement de la justice pénale internationale sur l'échiquier international, qui selon un nombre important d'auteurs serait partagé autour du débat « réalistes contre libéraux ». Qu'en est-t-il de ce débat ? Le réalisme voit la structure politique du Monde comme n'étant composé que d'Etats souverains n'oeuvrant ainsi dans une logique hobbesienne que pour leur survie et mus par le maintien de l'équilibre des pouvoirs5. Dès lors, la justice pénale internationale verrait son rôle limité et dépendant uniquement des Etats-nations. D'un autre côté, les libéraux acceptent l'idée d'une « transnationalisation » des frontières, ainsi que d'une justice qui serait indépendante des Etats, représentative non pas de ceux-ci, mais des individus qui les composent. La justice pénale internationale aurait donc dans

1 MSNBC Journal: «Flurry of Activity as ICC tackles current wars» (7 avril 2011), concernant l'ouverture d'une enquête par le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, à l'encontre des « possibles » crimes contre l'humanité commis par Mouammar Kadhafi.

2 Marc Lavergne, « Darfour : un Munich Tropical », in Politique Internationale, 4e trimestre, n°117, p145-171, 2007, qui pointe qu'entre 2004 et 2007, Le Conseil de Sécurité a adopté 12 résolutions, concernant la situation au Darfour (de 1556 à 1769) sans voir de réel résultat sur le terrain.

3 « Le maintien de la paix et de la sécurité internationales » était l'objectif principal de l'Organisation des Nations Unies, sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

4 Bubna Mayank, « The ICC's role in Sudan : Peace versus Justice », Institute for Defense Studies and Analyses, 2009.

5 Dario Batistella, Théorie des Relations internationales, Presses de Science Po, 2e Edition revue et augmentée, 2006.

8

cette situation une meilleure position sur l'échiquier international. Dans une certaine mesure, le cas du conflit au Darfour sera le baromètre qui va nous permettre de mettre en lumière la « santé » de la justice pénale internationale concernant « les crimes de masse », son positionnement sur l'échiquier international, et les avancées qui seront entre autre analysées en rupture de l'ancien modus operandi d'incrimination des auteurs de violations des droits de l'Homme, à l'image des tribunaux ad hoc. En effet, comme il sera étudié, la Cour pénale internationale est une juridiction permanente à vocation universelle qui n'a compétence que des crimes de masses « les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale »6. Dès lors, l'emphase sera mise sur cette juridiction afin d'évaluer le degré d'importance de son rôle dans la résolution du conflit au Darfour. Il convient donc d'opérer une contextualisation historique du conflit afin d'analyser la nature de la réaction de la Cour, les modalités de cette réaction, et l'analyse de son éventuelle émancipation des Etats-nations.

Historique d'une région conflictuelle

Géographiquement, le Darfour, dont la superficie est égale à environ 400 000 km2, est précisément la province Ouest du Soudan7. Le Darfour signifie en langue arabe « la Terre des Fours », ou encore la « Maison des Fours ».8 Cette traduction est importante à souligner pour l'étude du conflit en ce que ce dernier est souvent interprété comme étant de nature ethnique. En effet, les Fours sont les « africains » par opposition aux populations du Nord qui seraient des « arabes » et musulmans, bien que l'ensemble de la population soudanaise soit homogène. Comme il sera fait état, le Darfour fut l'objet d'une confrontation permanente entre les Soudanais africains Four et les Soudanais arabes. Les soubassements de la crise de l'Etat de droit ainsi que de la crise humanitaire sont ancrés dans une histoire remontant à une période antérieure à la colonisation britannique9.

En 1650, le Sultanat Fur fut établi afin de contenir les nomades arabes dont l'objectif était de conquérir cette partie du Soudan. Quant aux 17e et 18e siècles,

6 Préambule du Statut de Rome de 1998, définissant le champ de compétence de la Cour pénale internationale.

7 Voir Figure n°1 : Le Darfour, entre camps de déplacés et énergie à proximité.

8 De Waal, Alex, Who are the Darfurians ? Arab and African identities, violence, and external engagement, African Affairs, 104/415, p181-205.

9 Gérard Prunier, Le Darfour, un génocide ambigu, Edition La Table Ronde, 2005.

9

ceux-ci furent marqué par des confrontations entre ces nomades arabes et sédentaires Fours. Bien que les nomades aient réussis à faire chuter le Sultanat, l'intervention des Britanniques en 1898 permit aux Fours de s'imposer face à l'Etat Mahdiste nouvellement structuré par les nomades, dont les fondements furent basés sur les principes islamiques. Durant la colonisation, le condominium anglo-égyptien, établit en 1916 et qui dès lors contrôlait entièrement le Soudan, décida d'y intégrer la région du Darfour en l'annexant. Néanmoins, l'objectif principal de la Grande-Bretagne dans cette aire géographique fut de stabiliser le sud du Canal de Suez, point stratégique pour le passage de la Navy vers l'Inde, également colonisée. Une préoccupation plus secondaire fut de développer le Nord du Soudan, développement qui est constatable au regard du système ferroviaire performant, des infrastructures et des routes situées au Nord. Entre 1899 et 1956, date de l'indépendance du Soudan, les britanniques s'attachèrent à contrôler le Nord et le Sud, composé essentiellement de chrétiens animistes, qui fut également isolé. Dès lors, le Darfour fut quant à lui totalement « négligé »10 par les autorités anglaises.

La marginalisation politique, économique et sociale du Darfour fut donc un phénomène antérieur à celle qui s'opéra sous le gouvernement post-indépendance du Soudan.

En réalité, ce gouvernement du Nord du Soudan, composé essentiellement d'Arabes et ne représentant que 5% de la population, n'a oeuvré qu'en continuation de la marginalisation opérée par les autorités britanniques. La famine de 1984 accentua cette marginalisation post-indépendance, et conduisit la population du Darfour, dont les trois tribus majoritaires, les Zaghawa, les Fours et les Masalit, à s'organiser pour réagir à celle-ci. Cela déboucha sur la guerre civile de 1987, qui fut caractérisé par l'opposition entre le Rassemblement arabe dont l'instigateur ne fut autre que Sadiq Al Mahdi, premier ministre et les rebelles qui ne furent pas encore institutionnellement organisées. Dans ce contexte, les « Janjaweeds », milices à la portée du gouvernement central dont la caractéristique est d'être à cheval et munis d'armes automatiques, virent le jour pour contenir la rébellion de plus en plus grandissante.

10 De Waal, 2005. Prunier, 2005: Chapitre 3 : « De la marginalisation à la révolte : « l'arabisme » et l'anarchie ethnique 1985-2003 », p101.

10

L'arrivée d'Omar El Bachir au pouvoir le 12 décembre 1999, par la voie d'un « soft coup », obligeant Hassan Al Tourabi de quitter le pouvoir par la dissuasion et la proclamation de l'Etat national d'urgence11, changea la donne concernant la nature du conflit intra-soudanais. Le conflit devint désormais ethnique, de par la division du Darfour, effectuée immédiatement après la prise de pouvoir d'Omar El Bachir, en trois régions : Nord, Sud et Ouest qui selon De Waal, fut « un changement alarmant dans la nature du conflit dont l'ethnie est devenu le facteur principal ». En réaction à cette séparation, les principales tribus darfuriennes institutionnalisèrent leurs capacités politiques et militaires. Le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/ JEM), composé de Zaghawa et Masalit et d'anciens membres dissidents du gouvernement, est basé sur des principes islamiques, alors que le Mouvement de Libération du Soudan (SLM) est un mouvement séculier composé majoritairement de Fours. Le soubassement de ces mouvements fut inscrits dans le « Livre Noir » publié en 2000 (Black Book / Qitab Al Assouad). Les rebelles y exposent la marginalisation et ses conséquences, ainsi que la sous-représentation des populations du Darfour dans les institutions politiques, exposé qui servit de base à la mobilisation des mouvements nouvellement crées12.

L'accentuation de la légitimité des mouvements de rebelles n'est pas sans lien avec le point de non-retour qui fut indubitablement l'année 2003.

2003 : Le point de non retour

En effet, à cette date symbolique, l'attaque de l'aéroport d'Al Fasheir, où se trouve le matériel militaire du gouvernement par les deux mouvements de rebelles, provoqua une réponse par le gouvernement qui fut sans précédent dans l'aggravation du conflit. Le gouvernement soudanais répondit par l'envoi massif de bombardiers Antonov (russes), d'hélicoptères, ainsi qu'à la mise à disposition de matériel aux Janjaweeds, dont la seule motivation fut de s'en prendre à toute personne habitant cette région, indépendamment de sa qualité de soldat ou de simple agriculteur. Ces violations notables du droit international humanitaire et des Conventions de Genève de 1949, et le constat des massacres des populations

11 Prunier, 2005 : Chapitre 4 : « La peur du centre : de la campagne contre-insurrectionnelle au quasi-génocide (2003-2005), p143, où il est expliqué qu'Omar El Bachir force l'ancien guide de la révolution islamique « à démissionner de sa position de Président du Parlement ».

12 De Waal, 2005.

11

ouest-soudanaises provoqua une réaction dans un premier temps régionale. Le président tchadien Idriss Deby entreprit d'accueillir sur son territoire les déplacés et les rescapés des attaques, et de mettre en oeuvre une médiation entre Khartoum et les rebelles, via le cessez-le-feu d'Abéché en 2003. La paix d'Abuja en 2004 sous l'égide de l'Union Africaine (UA) fut également l'une des initiatives majeures dans l'objectif de cesser les hostilités. Cependant, l'opposition des différentes parties ralentissait les processus de paix.

Eu égard à la difficulté du politique à arrêter les combats permanents, les atteintes à la population civile, et dans l'incapacité à faire face à la hausse important du nombre de déplacés, le juridique fut « jugé » nécessaire à la mise en oeuvre d'une solution à l'égard des auteurs des violations des droits de l'Homme, inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, ainsi que dans le Statut de Rome de 1998. En effet, la CPI se verra « référée » par la résolution 1593 du Conseil de Sécurité du 31 mars 2005 afin de mettre en oeuvre un mandat d'arrêt à l'encontre des différents présumés coupables, essentiellement membres du Gouvernement soudanais. Cependant, il a fallu attendre le mois de juillet 2010 pour qualifier les actes du gouvernement central de génocide, bien qu'un mandat d'arrêt ait été lancé en mars 2009 à l'encontre d'Omar El Bachir. Concernant l'efficience actuelle, seuls deux prévenus, appartenant aux mouvements rebelles, se sont volontairement présentés devant la Cour, en raison de leur responsabilité présumée concernant l'attaque qui causa la mort de 12 soldats de la force hybride UNAMIS13.

Ce déroulé historique permit de constater la difficulté du conflit. Cependant qu'en est-il des modalités de résolution juridique de celui-ci ? En quoi cette décision des Etats à « déléguer » à la Cour le cas du Darfour justifie-t-il l'importance qui est donnée à la justice pénale internationale ? De manière plus centrale, en quoi la résolution juridique du Conflit au Darfour permet-elle de constater une émancipation voire un début d'universalisation de la justice pénale internationale ? Quels sont les freins qui empêchent la Cour Pénale Internationale

13 BBC News, 8 mars 2011 : «Darfur, Sudan Rebels to face ICC war crimes trials» concernant l'attaque préméditée par Abdallah Banda et Saleh Mohammed de forces de maintien de la paix de l'UNAMIS.

12

d'être reconnue comme une juridiction à vocation universelle en matière de sanction des crimes de masses (« mass atrocities ») ? Quelles peuvent être les solutions nécessaires à son émancipation de la tutelle étatique ?

Hypothétiquement, la création de la Cour pénale internationale constitue un changement majeur de référentiel d'incrimination des auteurs de violations des droits de l'Homme. A travers l'étude du déroulé juridique concernant la situation au Darfour, il convient d'affirmer que la place de la justice pénale internationale s'est indubitablement affirmé. Dès lors, cette résolution va indubitablement servir de jurisprudence aux futures incriminations.

Nonobstant, cet effort de punir les crimes de masses, mis en lumière par le conflit au Darfour, n'est pas sans lien avec le politique, politique qui acquiesce progressivement de la nécessité d'un organe supranational pour la résolution juridique des conflits de cette nature, où des crimes de masse ont été commis. Bien que des barrières politiques soient existantes, celles-ci sont de plus en plus minces. De nouvelles logiques, comme l'intervention humanitaire, contrebalancent fortement l'ancien référentiel basé sur la souveraineté des Etats. Dans cette logique, il existe une forte collusion entre le caractère transnational de la Cour et l'intervention humanitaire, au regard des nouveaux modes d'application des décisions juridiques émanant de celle-ci, notamment à travers la notion de « responsabilité de protéger » en réponse à l'incapacité des gouvernements de protéger leurs propres populations.

1ère PARTIE : LA RESOLUTION JURIDIQUE DU CONFLIT AU DARFOUR : EMANCIPATION ET UNIVERSALISATION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE

13

En termes de méthodologie inhérente aux courants de pensées des relations internationales, la résolution juridique du conflit au Darfour est représentative du passage du paradigme réaliste au paradigme néoinstitutionnaliste du courant libéral. Ce changement de référentiel est analysable de manière empirique par le constat d'une évolution progressive vers une individualisation des sanctions à l'égard des auteurs de crimes de masses ainsi que par le vote de la résolution 1593 du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ce vote historique constitue une jurisprudence émanant du politique et qui vient sonner le glas du garde-fou qui n'est autre que l'immunité présidentielle.

TITRE 1 : Aspects historico-théoriques du changement paradigmatique

Avant d'étudier de manière empirique les avancées de la justice pénale internationale, il convient d'étudier l'évolution de celle-ci, indépendamment du conflit soudanais.

CHAPITRE 1 : L'évolution de la justice pénale internationale : le passage du paradigme réaliste à un paradigme libéral

L'incrimination des auteurs de crimes de masse s'inscrit dans le temps long et est tributaire d'un cheminement historique caractérisé par le passage d'un paradigme réaliste à un paradigme libéral. Pour faire état de cette évolution, il convient de définir ces paradigmes et de les transposer à l'analyse de l'évolution de la justice pénale internationale.

Le réalisme et les variantes qui le composent (réalisme classique, libéral, néoréalisme) est par définition le courant des relations internationales qui postule que l'Etat est l'acteur principal des relations internationales. Selon Jean-Jacques

14

Roche : « Pour les réalistes, tout est politique et l'intervention de l'Etat permet d'objectiver les multiples demandes du corps social(...). L'exercice des prérogatives absolues de la souveraineté est donc considéré comme le moyen exclusif de contrôle de l'anarchie naturelle tant sur le plan interne que dans le champ des relations extérieures »14. La vision de Raymond Aron est plus prononcée en ce qu'elle considère que « le système international est la configuration du rapport de forces »15. Qu'en est-il de la place de la justice pénale internationale dans ce système international « stato-centré » ?

La conceptualisation de ces courants coïncide avec des systèmes internationaux à l'instar du Concert Européen du 19e siècle, ou encore de la première moitié du 20e siècle où les conflits étaient interétatiques16. Dans cette configuration, l'émergence d'une juridiction pénale internationale, et plus particulièrement dans le champ des droits de l'Homme, peina à s'affirmer. Néanmoins, les origines de la Cour pénale Internationale sont notables dès le 19e siècle17. Ces origines revêtent la caractéristique d'être basées sur les crimes de guerre, le contexte historique y étant propice (Guerre franco-prussienne, 1ère et 2nde Guerre Mondiale). Le fondateur du Comité de la Croix Rouge, Gustave Monier, proposa la création d'un « tribunal international sur la base de la Convention de Genève de 1864 »18 concernant les militaires blessés. Néanmoins, sa proposition était trop radicale au regard de son contexte19.

Le traité de Versailles établissant la Société des Nations tentera de mettre en oeuvre un effort de création d'une Cour pénale Internationale ad hoc dans l'optique de juger les responsables militaires allemands20, pour la perpétration de crimes de guerres21.

On constate que l'incrimination s'effectue toujours dans une perspective interétatique, à destination des Etats portant atteinte aux Conventions de Genève.

14 Jean-Jacques Roche, « Théorie des Relations Internationales », Edition Montchrestien, 2008.

15 Raymond Aron, « Paix et guerre entre les Nations », Edition Calmann Levy, 1962.

16 Jean Jacques Roche, « Relations Internationales », Edition L.G.D.J, 5e Edition, 2007. A propos du Concert Européen et de son éclatement, page 21 in Chapitre 1 : « Les relations internationales au XXème Siècle ».

17 Doreid Becheraoui, « L'exercice des compétences de la Cour pénale Internationale », International Review of Penal Law, Volume 76, (Date).

18 Becheraoui, p.342.

19 William Schabas, « An Introduction to the International Criminal Court », Cambridge University Press, 2002.

20 Idem, p.342.

21 Schabas, p.4.

15

16

Ce n'est qu'avec les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo que l'on constatera un début de changement paradigmatique, en termes de sanctions à l'égard d'individus portant atteinte aux droits de l'Homme. En effet, la période ante-2nde Guerre mondiale était mue par un système de sanctions juridiques internationales principalement inhérentes aux crimes de guerre. En effet comme le constate Richard J. Goldstone : « Avant la Seconde Guerre Mondiale, les individus n'avaient aucune place dans le droit international, mis à part quelques exceptions. De plus, le droit international humanitaire n'a jamais été réellement mis en application »22.

La Seconde Guerre Mondiale sera donc à la fois le point d'inflexion du changement de mode d'incrimination et le point d'évolution juridique de dispositions à l'égard d'atteintes sérieuses aux droits de l'Homme (la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 étant l'exemple le plus significatif de cet effort juridique post-2nde Guerre Mondiale). Subséquemment, le tribunal de Nuremberg constitua le soubassement du droit international en matière de crimes de guerres23. De l'horreur de la Shoah découlera en effet une innovation majeure par l'introduction de trois autres crimes : les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide et les crimes d'agressions24. Bien que « ce tribunal constitue une avancée juridique majeure et opère avec un certain degré d'indépendance, ils restent tributaire des systèmes politiques nationaux concernant l'incarcération des coupables et du rassemblement des témoins »25. De surcroît, la progressive individualisation des sanctions lors du jugement des militaires allemands rencontra l'obstacle national, la justice de Nuremberg ayant été jugée trop « sélective et politisée » selon Drumbl. Dès lors, le caractère extraordinaire des atrocités commises justifiera la nécessité de la mise en oeuvre d'un organe juridique supranational dès la sortie de l'ère post-2e guerre mondiale.

Ainsi, la codification des décisions (qui n'est pas sans lien avec l'Article 6 de la Convention pour la prévention et la répression du Génocide de 1948)26 et la réflexion sur des solutions transnationales débouche sur l'apparition d'un nouveau

22 Mark A. Drumbl, « Pluralizing International Criminal Justice », Review of Philippe Sands' book : «From Nuremberg to The Hague«, Cambridge University Press, 2003, in Michigan Law Review, Vol. 103, n°6, p.1295-1328,2005.

23 Drumbl, p.1298.

24 Idem, p.1299.

25 Idem, p1301.

26 Schabas, p. 8.

paradigme, le paradigme libéral. Le libéralisme en Relations Internationales part de « l'hypothèse de base selon laquelle les acteurs et structures internes d'un Etat influencent les identités et intérêts des Etats et par la même leur comportement externe »27. Dès lors, la place de l'Etat se verrait circonscrite à la satisfaction de l'intérêt des individus. En l'espèce, alors que l'état de la conjoncture politique internationale est réaliste28, le soubassement d'une justice pénale internationale s'inscrivant dans le paradigme libéral est avéré. En effet, nous assistons à une codification progressive du droit international par le biais d'instances issues de l'Assemblée Générale des Nations Unies.

Parallèlement à la création de la Commission du Droit International en 1950, l'Assemblée Générale va en effet créer un comité chargé d'élaborer le statut de la future CPI en 195229. L'Assemblée Générale des Nations Unies, organe le plus représentatif de la Communauté Internationale, travaillera jusqu'au début des années 1990 à l'élaboration du Statut de Rome de 1998, 1996 étant la date à laquelle ladite commission adopte « le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'Humanité » (« Code of crimes against the Peace and Security of Mankind »)30. Les « avant-projets » (« drafts ») de 1994 (relatifs aux aspects organisationnels de la Cour) et de 1996 préfigureront le statut de la CPI.

Le véritable moment juridique révélateur du positionnement libéral de la justice pénale internationale sera la création des deux tribunaux ad hoc pour les violations des droits de l'Homme commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) constitueront des modèles à l'élaboration d'une juridiction pénale internationale permanente.

La création du TPIY a pour origine une décision de l'Assemblée Générale de 1992. Le 22 février 1993, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, venant préciser la décision, consacre l'idée d'une responsabilité pénale individuelle en affirmant que ce tribunal a pour objet d'incriminer « les personnes responsables de sérieuses violations du droit humanitaire international dans le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ».

27 Batistella, p.174.

28 Idem, p.173. Batistella note cependant que bien qu'il fut dominant durant toute la Guerre Froide, le réalisme ne fut pas le paradigme central durant ce contexte.

29 Schabas, p8. 30Idem, p8.

17

La logique des comités réapparaitra sous l'égide de l'Assemblée Générale des Nations Unies. Un comité ad hoc sera mis en place, le Comité préparatoire (notamment à l'origine de la complémentarité de la Cour), afin de négocier le statut final de la CPI et d'opérer sa signature31. La session de 1995 de l'Assemblée réunit 160 Etats, une centaine d'organisations gouvernementales (ONG) et des organisations internationales.

Ces comités, sous l'égide de l'Assemblée, sont représentatifs du caractère universel que revêt la Cour dans ses origines (et dans son fonctionnement, comme il sera analysé dans un chapitre suivant). Après maintes discussions et compromis, les Etats et les ONG, représentants la société civile internationale, se sont inscrits pleinement à l'aune de cette dernière décennie du XXe siècle en créant une Cour Pénale Internationale soucieuse de la protection, non plus des Etats-Nations, mais bien des Nations et des « peuples unis par un lien étroit dont les cultures forment un patrimoine commun »32. Selon Schabas, « nous aurions atteint un point où la responsabilité pénale individuelle est établie pour ceux responsables de crimes portant atteinte aux droits de l'Homme ».

Théoriquement, la punition des auteurs de violations des droits de l'Homme est directement corrélée au courant libéral des relations internationales, la responsabilité pénale étant passée d'un stade national à un stade individuel. Par conséquent, la justice pénale internationale est désormais en adéquation avec le souci d'individualiser les sanctions, justice qui rompt avec le caractère « indissociable des pouvoirs régaliens de l'Etat »33.

L'évolution vers une justice pénale internationale, à travers la création de la Cour pénale internationale, est un phénomène sans précédent dans l'histoire du droit international public. Ce trait nouveau, symptomatique d'un « miracle diplomatique »34, étudié ci-dessus, s'affirme davantage par l'étude du conflit au Darfour qui vient démontrer ce postulat. Nonobstant, avant de faire le constat empirique de cette avancée majeure, il convient d'analyser le fonctionnement de ladite Cour.

31 Idem, p14 : Session de 1995 de l'Assemblée Générale.

32 Alinéa 1er du Préambule du Statut de Rome.

33 Jean-Paul Bazelaire, Thierry Cretin, « La justice pénale internationale », Edition PUF, p.67, 2000.

34 Julian Fernandez, « la politique juridique extérieure des Etats-Unis à l'égard de la Cour pénale Internationale », Edition A.Pedone, 2010.

18

CHAPITRE 2 : Le champ de compétence de la CPI, entre collusion libérale et rupture avec le pouvoir juridique régalien des Etats

Après avoir démontré le positionnement libéral de la CPI, on pourrait plus radicalement corréler celui-ci avec le courant transnational des Relations Internationales. Le transnationalisme accorde un rôle aux individus tel, qu'ils sont considérés comme des acteurs à part entière du système international, dans un ordre international interconnecté à l'image « d'une toile d'araignée »35. Mireille Delmas-Marty va même jusqu'à constater l'influence de la mondialisation culturelle (par la diffusion des idées) et de la mondialisation économique (par la diffusion des biens et services) sur « la mondialisation du droit »36. Dans le cas du conflit au Darfour et de sa résolution, ce lien serait imprécis en ce que la CPI est un organe juridique supranational certes, mais composé d'Etats membres qui acceptent sa compétence par la voie d'une signature et subséquemment d'une ratification. La CPI s'inscrit donc dans le courant libéral en ce qu'elle est mandatée par les Etats afin de protéger juridiquement la société civile internationale (un chapitre subséquent montrera également que la saisine de la CPI n'est pas sans lien avec la théorie du choix rationnel du champ économique). Il convient dès lors d'étudier le champ de compétence de la CPI afin de rendre compte du positionnement paradigmatique de cette Cour.

A l'instar d'une organisation internationale à vocation coopérative ou intégrationniste, la CPI est une personnalité juridique internationale régie par un texte. Le statut de Rome du 12 juillet 1998, entré en vigueur après que 60 Etats l'aient ratifié37, détermine la compétence de la CPI. La Cour, elle, est devenue opérationnelle qu'à partir du 1er Juillet 2002.

L'article 1er du Statut précise que la Cour a une compétence complémentaire des Etats38. Cela signifie que la Cour a compétence seulement si les Etats ne veulent pas (unwilling) ou ne peuvent pas (unable) exercer leur compétence juridique

35 Batistella, p214. Roche, « Théorie des Relations Internationales », à propos de la « Cobweb » de John Burton, qui s'inscrit plus radicalement dans le mondialisme.

36 Mireille Delmas-Marty, « La Charte des Nations Unies et la mondialisation du droit », in « La Charte des Nations Unies, constitution mondiale ? » de Régis Chemain et Alain Pellet, Cahiers Internationaux n°20, (date).

37 Becheraoui, p344.

38 Article 1er du Statut de Rome : «Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales ».

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nationale pour punir d'éventuelles atteintes au Statut39. Les modalités de la compétence de la Cour sont également précisées à l'article 17, alinéa 2 et 3 du Statut.

Quid des crimes relevant de la compétence de la Cour ? La Cour est compétente pour juger du crime contre l'humanité, du crime de génocide, du crime de guerre, et du crime d'agression en vertu de l'article 5 du Statut.

Le Président soudanais, Omar El Bachir, a fait l'objet d'un mandat d'arrêt dans lequel il est accusé de 3 crimes sur les quatre cités respectivement, le crime d'agression n'étant encore symbolique et n'entrera en vigueur qu'en 2017 au regard du résultat de la Conférence de Kampala sur le crime d'agression40.

L'article 12 prévoit les conditions de saisine de la CPI. Conformément à la condition sine qua non d'avoir accepté la compétence de la Cour, l'Etat partie pourra arrêter l'individu si celui-ci est sur son territoire, ou inversement si l'individu est citoyen d'un Etat ayant ratifié le Statut (Article 12 a) et b) respectivement). La procédure concernant le cas soudanais déroge à la règle, le Conseil de sécurité des Nations Unies ayant référé à la CPI l'autorisation de poursuivre le gouvernement soudanais, bien que celui-ci n'ait pas ratifié le Statut. On constate ici une supériorité entre les dispositions du Statut. L'article 13 prévoit les conditions d'exercice de la compétence de la Cour. En l'espèce, c'est sous cet article que la situation a pu être déférée à la CPI, l'article 13 prévoyant trois cas où « la Cour a compétence à l'égard d'un crime ». L'Etat peut se saisir lui-même (a), le Conseil de sécurité peut déférer au procureur s'il constate une violation grave d'un crime énoncé à l'article 5 (b), ou alors le Procureur peut décider de sa propre initiative « d'ouvrir une enquête en vertu de l'article 15 ». Le cas soudanais repose donc sur les articles 13.b) et 5 du Statut. Bien qu'il puisse être conclu que la Cour est dépendante en l'espèce du Conseil de Sécurité, nous verrons dans le chapitre suivant que les conditions précises du vote de la résolution permettent de rendre compte de l'aspect libéral du « référentiel global » (terminologie empruntée à l'analyse des politiques publiques).

Cet exposé est nécessaire dans la mesure qu'il permet d'évaluer dans le cas du conflit au Darfour les conditions et les raisons de la saisine de la CPI, et non

39 Frank Meyer, « Completing Complementarity », International Criminal Law Review, Vol.N°6, p549-583, 2006.

40 Claus Kreb, Leonie Van Holzendorff, « The Kampala Compromise on the Crime of aggression», Journal of International Criminal Justice, p1179-1217, 2010.

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pas par exemple la mise en oeuvre d'une commission de réconciliation ou d'une juridiction ad hoc à l'instar de l'ex-Yougoslavie, du Rwanda, ou hybride à l'instar du Sierra Leone.

Celui-ci permet de nous interroger sur le principe de complémentarité prévue à l'article 1er et 17 du Statut. Le cas du Darfour constitue l'exemple le plus significatif en matière d'universalisation de la justice pénale internationale. Si le principe de complémentarité et le respect du droit interne est la règle, les atteintes graves aux droits de l'Homme, comme en l'espèce par les gouvernements, viennent balayer ce principe. En règle générale, la primauté du droit interne des Etats parties au Statut est la norme. Comme le reconnait Mireille Delmas-Marty, « le principe de complémentarité, tel qu'il est posé par la Convention de Rome sur la Cour pénale internationale, implique en effet une répartition des compétences qui privilégie le droit interne sur le droit international »41. Cependant, il constitue une sorte de «concept régulateur comme le principe de subsidiarité » ajoute Delmas-Marty. C'est la raison pour laquelle les Etats « faillis » sont les plus ciblés par la Cour, les systèmes judiciaires nationaux étant soit en déliquescence, soit corrompus par les gouvernements de nature autoritaire. Dès lors, le principe de complémentarité, « pierre angulaire du Statut de Rome » 42, serait une sorte de responsabilité juridique de protéger. L'intervention supranationale est donc de facto « une responsabilité de juger », de la même manière que la Communauté Internationale doit agir en vertu du principe récent de « la responsabilité de protéger » (R2P) en cas d'incapacité du gouvernement en question de protéger sa propre population43.

De cet élan analytique, une analyse de nature philosophique du préambule du Statut nous conduirait indubitablement à conclure que les objectifs des Etats ayant négociés le Statut se sont inscrits dans des « idéaux » libéraux, universalistes, et furent soucieux de sanctionner non plus des Etats mais des individus. Ici s'opère un parallèle entre le libéralisme politique et un éventuel libéralisme juridique du Statut. Les terminologies comme « Bien-être du

41 Delmas-Marty, p212.

42 Omer Yousif El Galab, «Indicting the Sudanese President by the ICC : Resolution 1593 revisited», The International Journal of Human Rights, 2009, p.658.

43 Report of the International Commission on Intervention and State Sovereignty, «The Responsibility to protect», ICISS, 2001.

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Monde », « conscience humaine », ou « mosaïque délicate» sont symptomatiques d'une volonté d'un dépassement des Etats souverains.

Ces analyses de la disposition du Statut la plus interprétatrice du degré d'émancipation de la CPI des Etats concernant la complémentarité, des dispositions concernant les conditions d'exercice de la compétence de la CPI, et du préambule, nous amènent à évaluer comment ces considérations pratiques se manifestèrent en pratique. Plus précisément, en quoi, de manière empirique et au regard du déroulé politico-juridique factuel de la « tentative » de résolution du conflit soudanais au Darfour, ce cas constitue-t-il une avancée majeure en termes d'incrimination future d'auteurs desdits crimes figurant à l'article 5 du Statut ? Par la même occasion, assistons-nous à une résolution juridique supranationale du conflit qui s'inscrirait absolument dans le courant libéral ? Si l'on peut constater une émancipation notable, l'individualisation est d'autant plus vérifiable au regard de l'ébranlement de l'immunité présidentielle d'Omar El Bachir.

TITRE 2 : Le Darfour : empiricité d'un nouveau mode de résolution des conflits

Le vote de la résolution 1593 du Conseil de Sécurité marque une étape majeure concernant le rôle conféré à la Cour, rôle accru qui est également caractérisé par l'ébranlement de l'immunité présidentielle d'Omar El Bachir.

CHAPITRE 1 : Le vote de la résolution 1593 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, caractéristique de l'émancipation de la Cour lors du processus de résolution juridique du conflit au Darfour

Selon le Procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo, dans une déclaration du 29 Juin 2005, le renvoi par le Conseil de Sécurité à la CPI de la situation au Darfour constitue une progression de la justice pénale internationale en ce que ce renvoi « a apporté une justice indépendante et impartiale venant confirmer les efforts régionaux et internationaux d'en finir avec les atrocités commises au

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Darfour »44. En effet, à la date du 31 mars 2005, l'Organisation des Nations Unies (ONU) a décidé de référer la situation au Darfour à la CPI par la résolution 1593 du Conseil de Sécurité45.

Quels ont été les raisons de ce renvoi et les caractéristiques de celui-ci concernant la situation au Darfour ?

Ce renvoi constitue une nouveauté car c'est la première fois depuis la création de la CPI que la saisine de celle-ci s'effectue par la voie d'un « référé » (« referral ») du Conseil de Sécurité, les saisines précédentes étant été formulées à l'initiative des Etats eux-mêmes (Ouganda, République démocratique du Congo, etc..). Avant d'analyser minutieusement le vote, il convient de pointer le rôle d'une entité « sous-traitée » par l'ONU, la Commission d'enquête sur le Darfour.

Préalablement, ce sont en effet les résultats de la Commission d'enquête sur le Darfour qui ont permis de faire état de la gravité de la situation, et ainsi d'obtenir un certain nombre d'éléments nécessaire à la poursuite des officiels soudanais et de leurs milices Janjaweeds. Cette commission a établi un rapport « en application de la Résolution 1564 du 18 septembre 2004 »46 . Bien que cette commission ait été mandatée avant le vote de la résolution, le Procureur de la CPI n'a pu obtenir les résultats que quelques jours après le vote de la résolution 1593 à la date du 7 avril 2005. Subséquemment, le document de la Commission contenait des charges allant à l'encontre de 51 suspects pour lesquelles des preuves assez suffisantes révèlent leur responsabilité pénale concernant d'éventuels crimes commis au Darfour. Le 1er juin, le Procureur décida d'ouvrir une enquête47.

Quid du vote de la résolution 1593 ? Si ce vote fut symptomatique du franchissement d'une étape majeure, nous verrons que ce cap fut motivé par des considérations purement politiques, économiques et conjoncturelles.

Les membres permanents du Conseil de Sécurité, composé des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la France, dotés du pouvoir de s'opposer à une résolution par un veto, ainsi que les membres non permanents, se sont accordés le 31 mars 2005 à renvoyer la situation au Darfour aux mains de

44 Antonio Cassesse, « Is the ICC still have teething problems ?», Journal of International Criminal Justice, Vol. 4, p434-441, 2006.

45 Résolution 1593 du Conseil de Sécurité adopté lors de la 5158e séance. Alinéa 1er de la Résolution, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

46 Rapport de la Commission d'enquête sur le Darfour, contenue dans la lettre adressée le 31 Janvier 2005 au Président du Conseil de Sécurité par le Secrétaire général.

47 Cassesse, p437.

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Luis Moreno Ocampo. 11 votes ont été exprimés en faveur du renvoi à la CPI et 4 abstentions ont eu lieu (Algérie, Brésil, Chine et Etats-Unis)48. En science politique, l'abstention peut revêtir un message politique (différence entre abstentionnistes « hors-jeu » et « dans le jeu »). En l'espèce, l'analyse de l'abstention de la Chine et des Etats-Unis lors du vote nous amène à conclure paradoxalement de l'importance du rôle de la CPI.

En raison de sa tradition du respect des souverainetés et intégrités territoriales des Etats, la Chine s'est abstenu lors du vote. De plus, les officiels chinois ont revendiqués l'idée d'obtenir le consentement des autorités soudanaises49. Comme il fut étudié ci-dessus, il serait illogique au regard de la culpabilité avérée du gouvernement soudanais de laisser le choix à ce dernier quant à l'idée de se voir imposé ou non une enquête internationale de la CPI.

La position des Etats-Unis fut relative à la création d'une juridiction hybride à l'image de celle crée pour le Sierra Leone50. Bien que les Etats-Unis se soient abstenus, ils reconnurent, par la voie de leur ambassadeur auprès de l'ONU, que « ce fut important que la communauté internationale parle d'une seule voix dans l'objectif d'assurer une responsabilité internationale des coupables »51.

La position de ces deux Etats est intéressante puisqu'ils ne sont pas parties au Statut de Rome. Néanmoins, la nature de leurs votes, bien qu'ils pouvaient opposer leur veto, nous conduit à affirmer qu'ils ont reconnus tacitement la compétence de la Cour Pénale Internationale52.

Le vote de ce renvoi et la reconnaissance implicite par deux puissances mondiales majeures, constitue une légitimation de la Cour, en ce que les membres permanents se sont accordés à renvoyer la résolution du conflit à la CPI, renvoi qui ne fut entaché par aucun vote négatif, bien que des Etats non parties au Statut aient voté.

On retrouve ici notre interprétation libérale du positionnement de la CPI dans l'ordre juridique international. Plus précisément, ce vote pourrait être interprété par le néoinstitutionnalisme, une branche du courant libéral qui insiste sur l'importance des institutions internationales. Empiriquement, les Etats ont

48 Nsongurua Udombana, «Pay Back Time In Sudan : Darfur and the International Criminal Court», Tulsa Journal of Comparative and International Law, Vol. 13:1, 2006, p8.

49 Udombana, p.8 et 9.

50 Idem, p.10.

51 Idem, p.11.

52 Idem, p18.

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clairement affichés leur volonté de déléguer à un organe supranational la décision d'enquêter et de résoudre le conflit au Darfour, estimant que, du bilan coût-avantage juridique, adviendrait un gain supérieur en référant à la CPI.

Cette avancée, qui vient rompre avec les tribunaux crées pour des cas circonstanciels (Rwanda, Ex-Yougoslavie), souligne le caractère de plus en plus universel, au regard de ce vote concernant les crimes commis au Darfour.

Le positionnement de la Cour, par le biais de ce vote n'est pas sans lien avec l'individualisation des sanctions et la levée du garde-fou qu'est l'immunité présidentielle.

CHAPITRE 2 : L'individualisation des sanctions à l'égard des auteurs de violations des droits de l'Homme : le dépassement des frontières étatiques

L'actuel président soudanais, Omar El Bachir, en cas d'arrestation, verrait-il sa position de Chef d'Etat et son immunité ébranlée ?

Le statut de Rome est un traité international qui lie les Etats, sujets de droit international, donc logiquement n'ayant aucun impact juridique sur les individus53. Néanmoins, certaines dispositions de ce statut consacre une responsabilité pénale individuelle, mais pour les chefs d'Etats en exercice. En effet, l'article 25 du statut prévoit que « quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut être puni conformément au présent statut ». De plus, l'article 27 est directement en corrélation avec la responsabilité d'Omar El Bachir, prévoyant que « le présent statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut(...). Les immunités ou règles de procédure spéciale qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à

53 Marko Milanovic, « Is the Rome Statute binding on individuals (and why we should care)?», Journal of International Criminal Justice, Vol.9, p25-52, 2011.

l'égard de cette personne ». Au regard de cette disposition, toutes les conditions sont réunies pour arrêter légalement le Président Soudanais. Néanmoins, l'article 98 peut éventuellement faire obstacle à celle-ci54. L'article 98 prévoit que la Cour ne peut aucunement poursuivre un individu si l'Etat requis pour l'arrestation fait obstacle à cette dernière. Par conséquent, en l'espèce, Omar El Bachir, garant de la République islamique soudanaise, peut lui-même s'opposer à ce que la Cour entreprenne une quelconque mesure visant à l'arrêter, pourvu qu'il soit sur le territoire soudanais. Les tensions entre l'article 27 et l'article 98 sont donc un obstacle à la mise en application des décisions prises par la Cour. En effet, comme le pointe Allen, d'un côté, l'article 27 vient conférer à la Cour une émancipation notable des Etats, alors que l'article 98 est représentatif du souci de rester dans une logique stato-centrée concernant la mise en application des sanctions juridiques55.

Néanmoins, la portée du vote de la résolution 1593 vient conférer à la Cour la possibilité d'incriminer sans obstacles juridiques les auteurs de violations des droits de l'Homme au Darfour56. Dès lors, une hiérarchie entre les dispositions du Statut est à noter. En effet, l'article 13 (b) du statut de Rome vient balayer les exceptions relatives aux immunités. Et comme il fut conclu ci-dessus, la résolution 1593 s'inscrit non pas dans une logique stato-centrée mais plutôt dans une position supranationale. Cette résolution remet également à plat l'idée que le Soudan ne soit pas partie au statut de Rome.

Indépendamment de cette résolution, en vertu de la Convention de Vienne de 196957, le Soudan, pays n'ayant pas ratifié le statut de la CPI, est légitimement en droit d'invoquer que celui-ci ne lui est pas opposable. De plus, l'ordre juridique international est caractérisé par une absence de hiérarchie entre les normes internationales. La résolution du Conseil de Sécurité fut donc d'une nécessité majeure pour conférer à la Cour un poids important dans la résolution du conflit, les résolutions du Conseil de Sécurité rendant obligatoire leur portées à l'égard de tous les membres des Nations Unies58.

54 Jake Hirsh Allen,« Bashir's immunity », Thesis held on December 15th, 2008.

55 Allen, p4 : «While Article 27 represents the move away from traditional State sovereignty and Head of State immunity, Article 98 is evidence of the Statute's drafters' necessary concessions to power politics and a State-centric international system».

56 Allen, p7.

57 Pascale Martin-Bidou, « Fiches de Droit International Public », Ellipses Editions, 2009.

58 Allen, p17.

Néanmoins, étant dans le champ des droits de l'Homme, ceux-ci justifieraient l'intervention juridique de la CPI, ayant probablement une supériorité sur la souveraineté des Etats59. De la même manière que la R2P justifie une « ingérence » dans les affaires intérieures d'un Etat en cas de constat de crimes graves menaçant la paix et sécurité internationales, la gravité des crimes commis par le gouvernement soudanais justifierait une supériorité du Statut sur son immunité présidentielle.

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59 Idem, p17.

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L'autonomisation de la Cour pénale internationale est notable au regard des dispositions du Statut de Rome, Statut qui s'est vu conférer un rôle de premier plan au regard du vote historique de la Résolution 1593 du Conseil de Sécurité. Le passage progressif à un positionnement libéral de la CPI est du à la reconnaissance des Etats de la nécessité de poursuivre un mode opératoire transnational en matière de répression des auteurs de violations de droits de l'Homme.

La résolution du conflit au Darfour met également en lumière les carences de la CPI, et plus globalement, les carences de la justice pénale internationale. Cette tentative de résolution, malgré les efforts considérables de transnationalisation de la méthode employée, reste tributaire des Etats. De plus, plusieurs facteurs politiques font vaciller l'efficacité de la Cour. D'un côté, l'échec du politique sur le terrain pourrait redonner une marge de manoeuvre à la CPI. D'un autre côté, le caractère « africaniste » du conflit provoque une réticence de la part des Etats africains, au regard du positionnement de l'Union Africaine vis-à-vis de la politique de la CPI. Enfin, le pays clef qui pourrait contrebalancer la perception de la CPI et lui renforcer son rôle serait les Etats-Unis, pays qui peine à montrer une position claire concernant les violations des droits de l'Homme au Darfour.

2ème PARTIE : LA VARIABLE POLITIQUE, CONTRAINTE LIMITATIVE DE L'AUTONOMISATION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE

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Malgré les efforts entrepris par les Etats de déléguer la répression des violations des droits de l'Homme à une instance juridique supranationale, il n'en demeure pas moins que ceux-ci font souvent obstacle à cette volonté d'autonomisation60. Cette instance juridique connait une limite majeure qui n'est autre que la variable politique. En effet, comme l'argue Rodman, «international tribunals cannot deter criminal violence as long as States and international institutions are unwilling to take enforcement actions against perpetrators»61.

Néanmoins, le politique, dans la résolution du conflit au Darfour, peine à mettre un terme aux dites violations. Si la Cour éprouve des difficultés à la fois opérationnelles et « relationnelles », cela ne vient pas pointer une prépondérance du politique. Nous ne serions donc pas dans un jeu à somme nulle, où la faiblesse du juridique augmenterait la capacité d'action du politique. Dès lors, il est nécessaire d'évaluer les interactions entre le politique et le juridique, qui se manifeste dans un premier temps sur le plan supranational, entre l'ONU et la CPI et dans un second temps, qui se caractérise par une relation entre la CPI et les Etats pris indépendamment (Etats-Unis, Chine, etc..) ou siégeant au sein d'une institution internationale, l'Union Africaine étant la mieux placée pour rendre compte du degré des rapports conflictuels.

TITRE I : Freins institutionnels et carences opérationnelles du système d'incrimination de la Cour pénale internationale

Les freins institutionnels sont tributaires des Etats qui malgré un consensus sur la situation au Darfour ne constitue pas une garantie à la stabilité de ce système particulier de répression des crimes de masse. Les considérations

60 Kenneth Rodman, « Darfur and the limits of legal deterrence », Human Rights Quarterly, John Hopkins University Press, p529-560, 2008.

61 Rodman, p529.

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idéologiques des Etats constituent un frein qui vient entraver un éventuel consensus transnational.

CHAPITRE 1 : Evaluation des freins institutionnels à

l'autonomisation de la Cour Pénale Internationale

Indépendamment des freins institutionnels que l'on étudiera dans une deuxième section, un processus de paix a été mis en oeuvre par les parties « au conflit », sous la médiation d'Etats, ou d'institutions internationales, afin de mettre fin diplomatiquement au conflit au Darfour62.

Section 1.1) Le processus politique de résolution du conflit au Darfour : chronologie d'un échec

Au lendemain des attaques perpétrées par le gouvernement soudanais en 2003, un processus politique de résolution du conflit entre les groupes de rebelles et ledit gouvernement soudanais a été entrepris afin de mettre fin aux hostilités, bien que la réponse du gouvernement ait été jugée disproportionnée63. S'inscrivant dans le temps long, ce processus qui débuta en 2004, appelé le « Darfur Peace Agreement » (DPA/ Accord de paix du Darfour), n'a toujours pas abouti. Le 8 avril 2004 fut implémenté un accord pour le cessez-le-feu de N'Djamena (appelé « cessez-le-feu humanitaire »), entre plusieurs groupes de rebelles (le Mouvement de Libération du Soudan (MLS/SLM) et le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/JEM)) et le gouvernement du Soudan64. Ces négociations ne permirent pas de cesser les hostilités mais conduisirent à la création de la mission de l'Union Africaine pour le Soudan (AMIS). Subséquemment, au regard de l'échec de ce processus s'inscrivant dans le cadre du DPA, des médiateurs ont été chargés d'intervenir afin d'encadrer les pourparlers. En juillet 2004 s'ouvrirent donc les négociations d'Abuja sous la médiation de l'Union Africaine et du Tchad. La raison principale invoquée

62 Laurie Nathan « No ownership, no peace : The Darfur Peace Agreement », Working Paper n°5, Crisis States Research Centre, September 2006.

63 Nathan, p.1.

64 Article du Media Support Project : David Lanz, « Sudan/Darfur, Abuja Negotiations and the DPA », 2008.

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concernant la nécessité d'une médiation fut expliquée par le principe suivant : « Solutions africains pour un problème africain »65, la logique secondaire étant d'empêcher une ingérence des pouvoirs occidentaux dans le conflit.

Alors qu'en juillet 2005, les soubassements du processus de paix furent établis (adoption des « Déclarations de Principes »), celui-ci prit une tournure différente en Novembre de la même année, le MLS s'étant divisée en deux factions (une Fur et une Zaghawa). Conséquemment, la « date limite » fixée par le Conseil de Sécurité (31 décembre 2005) quant à la conclusion de l'accord de paix ne fut pas respectée66.

Le processus sera relancé par l'Union Africaine et le Conseil de Sécurité, avec comme « date limite » (« deadline ») le 30 avril 2006. Bien que les parties s'accordèrent sur un accord compréhensif (« Comprehensive Agreement »), celui-ci n'entra en vigueur seulement cinq jours avant le délai prévu67. L'accord fut signé le 5 mai 2006 par le gouvernement soudanais et une faction du MLS alors que parallèlement le MJE rejeta l'accord, considérant que les dispositions furent inégales, concernant les conditions de désarmement des milices Janjaweeds ainsi que le partage des ressources. Selon Lanz, « le fait que le Parti National (National Party Congress, parti central du gouvernement)) eut préservé une majorité dans toutes les législatures du Darfour, ne fut pas représentatif de la société civile. De plus, des doutes ont été émis par le « Justice and Equality Movement » à propos du fait que le Gouvernement soudanais puisse ou pas mener à bien le processus de désarmement des Janjaweeds »68. Les accords de Syrte de 2007, en Libye, aboutirent au même résultat et mêmes conclusions : partage inégal des ressources, sous-représentation politique, et désarmement des Janjaweeds non garanti.

Les principaux points du DPA sont effectivement axés sur le partage des pouvoirs, le partage des richesses et la sécurité (Chapitre 1 du texte sur le Partage des pouvoir (« Power sharing »), Chapitre 2 sur le partage des richesses (« Wealth sharing »), Chapitre 3 sur la sécurité (« Comprehensive Ceasefire and Final Security Arrangements »). Au regard des dispositions du texte du DPA, il est difficile de corréler celles-ci aux divisions, retards, et absence de consensus des

65 Lanz, p.2.

66 Nathan, p.4.

67 UN center press : «Security Council Calls for Smooth Transition to UN Operation in Darfur», 11 Avril 2006.

68 Lanz, p.8.

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parties. Néanmoins, plusieurs raisons permettent de rendre compte de l'échec politique de cette solution diplomatique.

Dans un premier temps, le contexte national et international n'était pas favorable. Le début des négociations (2003-2004) fut en adéquation avec la période, d'un côté de la tentative de résolution du conflit Nord-Sud au Soudan (Comprehensive Peace Agreement) et de l'autre le contexte de la guerre en Irak. La Communauté Internationale fut donc à la fois divisée et mue par d'autres préoccupations géopolitiques autres que le Darfour69. Sur le plan régional, le Soudan était en conflit avec le Tchad, bien que ce dernier ayant contribué à accueillir les déplacés et à tenter d'implémenter une paix dans la région.

Enfin, Laurie Nathan estime que « la diplomatie des délais » ou des « dates butoires » (« Deadline diplomacy ») est à l'origine des ralentissements du processus de paix et de l'échec de celui-ci, ces dates limites ne laissant pas le temps aux parties de négocier les dispositions du texte du DPA et leur conférant une faible marge de flexibilité.

L'échec de ce processus, qui continue de courir70, est actuellement entaché la querelle actuelle est le statut administratif du Darfour (choix entre l'unification des trois régions ou maintien du statu quo, choix dont le gouvernement du Soudan tenta de proposer un référendum).

Là où le politique a échoué, le juridique a-t-il un rôle à jouer ? Cet échec ne laisse t-il pas le choix à la mise en application des décisions juridiques ? Selon Lanz, les parties sont face à un dilemme : mener à bien le processus politique, ou « enforcer » les décisions juridiques de la CPI («The question thus arises whether international actors in Sudan want to give priority to peace negotiations or if they prefer other, potentially contradictory strategies, for example providing leverage for the enforcement of arrest warrants of the International Criminal Court»).

A travers l'étude de cette « chronologie d'un échec politique », un constat paradoxal peut être fait. La Cour pénale internationale et la résolution du conflit au Darfour relève d'un mode opératoire purement réaliste. Alors que des tentatives diplomatiques de résolution du conflit furent implémentées parallèlement aux décisions juridiques de la Cour, celles-ci n'ayant nullement

69 Idem, p.6.

70 Article de la Sudan Tribune : « JEM to resume direct peace talks if Sudan discusses Darfur status first », 18 Avril 2011.

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recours à la force s'inscrivent dans le courant libéral des relations internationales. Inversement, bien que la Cour soit un organe supranational, elle n'est que la continuation du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, dont l'organe garant de ce chapitre, le Conseil de Sécurité connait une instabilité qui pourrait handicaper l'efficacité de la Cour (Section 1.2).

Section 1.2) L'instabilité du Conseil de Sécurité des Nations Unies : le décalage entre la résolution 1593 et les divergences idéologiques

La résolution 1593 est loin de refléter les caractéristiques idéologiques qui opposent les membres du Conseil de Sécurité, et plus particulièrement les membres permanents. Le futur des renvois par le Conseil de Sécurité apparait incertain, le risque de division parmi les membres permanents étant élevé71 (malgré que la Libye ait pourtant fait l'objet d'un renvoi en 2011)72.

Les deux pays susceptibles de s'opposer à un futur renvoi sont la Chine et la Russie. La Chine, de tradition à respecter les souverainetés et intégrité territoriale, possède un important intérêt économique au Soudan. La Chine est en effet le plus grand investisseur du Soudan dans le domaine du pétrole73. Quant à la Russie, elle est le plus grand fournisseur d'armes du Soudan74.

Le préalable au vote de la Résolution 1593 fut ponctué par des considérations relatives aux politiques menées par certains Etats. En effet, au regard de la résolution 1591 votée deux jours avant le renvoi à la CPI par le Conseil de Sécurité de la situation au Darfour, on peut constater le manque de « coercition » de ladite résolution. Les dispositions n'incluaient nullement des questions relatives aux ressources pétrolières, qui représentent 90% des exportations du Soudan, de peur d'un veto chinois75. Concernant la Russie, les membres s'accordèrent à ne pas y mentionner un embargo sur les armes, concernant la région du Darfour. De surcroît, comme le note Rodman, pendant

71 Lutz Oette, « Peace and Justice : the repercussions of the Al-Bachir case for International Criminal Justice in Africa and Beyond», Journal of International Criminal Justice, Vol.8, p345365, 2010 (p359).

72 Voir la Résolution 1970 du Conseil de Sécurité du 26 février 2011, renvoyant à la CPI l'aval quant à une ouverture d'une enquête concernant les attaques commises par le pouvoir libyen.

73 Kenneth Rodman, « Darfur and the limits of legal deterrence », Human Rights Quarterly, John Hopkins University Press, p529-560, 2008.

74 Rodman, p.543

75 Rodman, p.547.

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que le vote de la résolution avait lieu, la Russie concluait un contrat de ventes de bombardiers de combat Antonov. Dans un article du Financial Times, Kenneth Roth, qui prédit le renvoi de 2005, affirma également quelques mois avant le vote, en novembre 2004, que les membres devaient être prudents à l'égard de l'intérêt pétrolier de la Chine au Soudan76 (« China's oil interests in Sudan make Beijing reluctant to endanger the Sudanese officials behind the Janjaweed. Yet, ending the killing would help prevent the conflict from disrupting oil supplies. And China should be reluctant to be the sole obstacle to helping Darfur»).

Le manque de volonté politique de la part du Conseil de Sécurité se manifeste également dans la mise en oeuvre de solutions opérationnelles. Alors que les forces de maintien de la paix furent mises en oeuvre par l'Union Africaine (AMIS) fondé en 2004, et composé de 7.000 hommes, l'ONU décida d'effectuer une collusion avec celle-ci, dans le souci d'avoir une force de maintien de la paix hybride, en créant l'UNAMID (« United Nations Hybrid Operation in Darfur »), force qui fut approuvé lors du vote de la résolution 1769 du 31 juillet 2007. Bien qu'elle fût dans un premier temps refusée par le Gouvernement du Soudan, cette force forte de 26.000 soldats fut acceptée par le gouvernement77.

Quant à son impact, celui-ci fut très limité au regard de la fraction très faible qui fût déployée au Darfour, la carte géographique (datant de Janvier 2009) montrant effectivement que la majeure partie des forces est concentrée au Sud (Cf. Carte :UNMIS).

76 Kenneth Roth, « Bring the Darfur killers to the world court», Financial Times, 18 Novembre 2004.

77 Rapport annuel des opérations de maintien de la paix de 2008, (Annual review of global peace operations), p77-78 (2008).

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Un dernier point relatif au « manque de volonté » du Conseil de Sécurité de résoudre le conflit et qui souligne le caractère symbolique des décisions politiques est la relative originalité du renvoi à la CPI par le Conseil. En réalité, la frontière est mince entre la résolution consacrant la création du TPIY et les résolutions 1593 et suivantes. Au manque de volonté du Conseil s'ajoute les carences de la Cour en matière de prévention, d'application et de finalisation (« enforcement ») des décisions.

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CHAPITRE 2 : La mise en application des sanctions juridiques dépendantes des Etats : la politisation de la justice pénale internationale dans le cas du conflit au Darfour

Section 2.1) L'incapacité de prévention, d'application et de finalisation de la Cour

Malgré l'efficacité et le caractère supranational de celle-ci, la CPI est confronté à deux carences majeures, à savoir son manque de prévention des crimes prévues à l'article 5 et suivants, ainsi sa difficulté à appliquer les décisions juridiques qu'elle entreprend.

Rodman, en opérant une comparaison entre l'aspect juridique et l'aspect politique du processus de sanctions des auteurs de crimes de masses, distingue la dissuasion (« deterrence »), qui est caractéristique de la Cour, de la capacité à exercer un pouvoir de coercition (« compellence »)78. En effet, il oppose le concept de « dissuasion juridique » à celui de « diplomatie coercitive », en affirmant que les tribunaux pénaux internationaux à l'image du TPIY, ont pour unique objectif de dissuader les auteurs de crimes de masses, les attaques comme celles de l'OTAN contre la Bosnie en 1999 revêtant le second caractère79. Enfin le point le plus important de son analyse est l'idée que le TPIY, en opérant une comparaison avec la CPI, « était handicapé par l'incapacité de mettre en application ses décisions car ce tribunal n'avait pas de force de polices propres, dans l'optique d'arrêter les coupables »80. En effet, la CPI ne dispose d'aucun mécanisme institutionnel lui permettant d'appliquer ses décisions81. Elle est par conséquent intégralement dépendante de la coopération des Etats, concernant la finalisation du processus d'incrimination. Mayank Bubna affirme le constat suivant : « On ne peut pénaliser Omar El Bachir seulement s'il est conduit devant la Cour. Néanmoins,

78 Rodman, p531.

79 Idem, p533.

80 Idem, p534 : «The ICTY lacked the capability to enforce its own decisions because it had no police force to stop and arrest those indicted».

81 Mayank Bubna, «The ICC's role in Sudan : Peace versus Justice», IDSA Issue Brief, 2008.

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si le gouvernement soudanais refuse de le délivrer, il n'y a rien que la CPI puisse faire »82.

Si Rodman entreprend une comparaison avec le TPIY, celle-ci peut être partiellement par le fait que cette juridiction fut ad hoc et circonstancielle au cas de la Bosnie. Par conséquent, elle n'est pas représentative de tous les crimes de masses. La CPI est une juridiction qui n'est pas entièrement politisée au regard des dispositions de l'article 13, dont l'alinéa c) prévoit une auto-saisine de la Cour par le procureur en cas de constatation de violations des droits de l'Homme. Seule la branche « finalisation » est un frein à ladite Cour.

Néanmoins, alors que le cas du Darfour fut saisi en vertu de l'article 13 b) (renvoi par le Conseil de Sécurité), la frontière entre le TPIY et la CPI est poreuse, une résolution du Conseil de Sécurité ayant crée le TPIY (résolution 827 de 1993).

Concernant le champ de la finalisation, elle ne pourrait donc nullement être résolue par une initiative juridique indépendante d'une initiative politique. Au regard de la faiblesse des forces de maintien de la paix de l'ONU déployées au Darfour (vu précédemment) et au regard de l'échec du processus politique de résolution du conflit, seule une intervention coercitive peut mettre fin aux violations commises de concert par les Janjaweeds et le gouvernement soudanais. Alex De Waal estime « qu'au contraire des forces de maintien de l'ONU opérant dans le cadre de l'UNAMIS, il serait plutôt judicieux de mettre en oeuvre un cessez-le-feu robuste, qui relève du consentement des deux parties, les rebelles ayant été aussi à l'origine de crimes qui tombe sous le coup des dispositions de la CPI »83. Rodman, lui, affirme radicalement que « dans des situations comme le Darfour, où le gouvernement est en partie la cause du problème, la solution appartient au politique, non au droit »84.

Alors que dans la pratique, la CPI requière la coopération des Etats, notamment pour arrêter Omar El Bachir, le préambule du Statut de Rome est paradoxalement en contradiction avec cette dépendance vis-à-vis des Etats. L'alinéa 8 prévoit en effet le principe suivant : « Soulignant à cet égard que rien

82 Bubna, p8 : « For one, the ICC has no enforcement mechanism. It can only penalize al Bashir if he is brought to court. But if the Sudanese government refuses to turn al Bashir over (which it would do as long as he is in power), there is little the ICC can do».

83 Rodman, p556 en référence à la déclaration d'Alex De Waal devant le Comité des Affaires Etrangères (« Current Situation in Darfur: Hearing Before the H. Comm. on Foreign Affairs », 110th Cong.

25-26 (2007)).

84 Rodman, p559.

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dans le présent Statut ne peut être interprété comme autorisant un État Partie à intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures d'un autre État ». Incriminer Omar El Bachir et ses milices passerait obligatoirement par une atteinte à la souveraineté de l'Etat soudanais (question qui sera étudiée dans un prochain chapitre). Encore faudrait-il qu'une opération soit mise en oeuvre, le manque de volonté politique de la part des pays occidentaux de mettre fin aux conflits ayant suivi le génocide du Darfour étant un frein majeur à l'exercice de la CPI85.

Comme le souligne le dernier sommet d'Addis-Abeba honorant la nouvelle Constitution du Kenya, la présence d'Omar El Bachir, venu assister à la conférence, ne poussa nullement le pays hôte à arrêter ce dernier. Le manque d'intervention extérieure est ponctué par un manque de coopération régionale au regard de la réticence des Etats africains concernant le mandat d'arrêt prononcé par la CPI à l'encontre du Président soudanais.

Section 2.2) De la position de l'Union Africaine à l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard » et solution à la contrainte politique ?

L'Union Africaine (UA), organisation internationale composé de tous les Etats africains à l'exception du Maroc (reconnaissance par l'UA du Sahara occidental), est en opposition totale avec le processus enclenché par la CPI. Au regard de la décision de 3 juillet 2009 de l'Assemblée de l'UA, qui s'est tenue à Syrte en Libye, l'Union a clairement exprimé sa préoccupation quant au mandat d'arrêt émis par la CPI la même année (4 Mars 2009)86. A la note n°4, il est inscrit que l'Union « exprime sa profonde inquiétude au regard des décisions prises par les pays européens à l'encontre des chefs d'Etats africains ». De plus, en juillet 2010, lors du sommet de Kampala en Uganda, l'UA a explicitement affirmé une

85 Rodman, p535. Rodman reprend une citation effectuée par Richard Goldstone, dans laquelle il affirme « le manque de volonté de la part des pays occidentaux de supporter les tribunaux internationaux ».

86 Compte rendu de la Session du 3 juillet 2009 de l'Assemblée de l'Union Africaine, page 1.

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position radicalement opposée au mandat d'arrêt contre Omar El Bachir, en s'en prenant directement à au procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo87.

Plusieurs raisons ont été invoquées concernant cette réticence des Etats Africains, et de manière plus globale, de l'UA. Le facteur culturel a été mis en avant par Lutz Oette, considérant que la culture juridique occidentale est incompatible avec les modes de justice et réconciliation africains (« the use of international criminal prosecutions is ignorant of, or even antithetical to, African modes of justice and reconciliation »)88. Un facteur régional peut également expliquer la défiance de l'UA à l'égard du rôle de la CPI au Darfour.

En effet, lors de la 207e session du Conseil de paix et de sécurité de l'UA, à Abuja au Nigéria, du 29 Octobre 2009, les chefs d'Etats et gouvernements ont émis un rapport sur la situation au Darfour. Ce rapport souligne les atrocités commises au Darfour par le Gouvernement soudanais et ses milices Janjaweeds, tout en affirmant l'idée de renforcer le système judiciaire soudanais, en vue de punir les auteurs desdites atrocités89. A la note n°17, on peut effectivement constater que les Etats « considèrent que la priorité doit être de renforcer le système légal soudanais afin de mener de manière appropriée à l'incrimination des auteurs de violations, et d'assurer des réparations aux victimes au Soudan »90. De surcroît, la note n°247 vient implicitement remettre l'efficacité de la Cour en l'espèce, en ce que « les tribunaux hybrides ad hoc, à l'instar de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, sont plus efficaces que les tribunaux internationaux, ces derniers étaient plus couteux et fonctionnant à un rythme moins rapide ».

Une autre raison invoquée par les Etats africains est le problème du « double-standard ». Alors que la CPI prétend être une juridiction permanente à vocation universelle, certains pays, dont le gouvernement soudanais, doutent de son universalité. En effet, la Cour a été saisie seulement pour des cas africains. Dans un entretien accordé au journal canadien Global Brief, Philippe Kirsch,

87 Article de la Nehanda Radio par Sanderson N'Makombe, « Africa's confused relationship with ICC », 26 Mars 2011.

88 Lutz Oette, « Peace and Justice : the repercussions of the Al-Bachir case for International Criminal Justice in Africa and Beyond», Journal of International Criminal Justice, Vol.8, p345365, 2010 (p359).

89 Rapport de l'UA sur le Darfur : « African Union Panel on Darfur » (AUPD), du 29 Octobre 2009.

90 Rapport de l'UA, p18.

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premier président de la CPI reconnait l'africanisation de la CPI tout en pointant le constat suivant :

« Avec le temps, il va être essentiel que la Cour pénale internationale aille au-delà de l'Afrique et s'attaque à des situations qui existent dans d'autres continents. Mais il faut se rappeler que la Cour est une cour très jeune, qui ne date que de quelques années. Le procureur, d'ailleurs, est en train d'effectuer les analyses préliminaires des situations dont certaines sont en dehors de l'Afrique (par exemple, l'Afghanistan, la Palestine, la Colombie et la Géorgie) »91.

Au regard de la position africaine, la CPI est dépendante de la coopération des Etats, et en l'occurrence, des Etats africains. Le poids colonial des pays occidentaux vis-à-vis des Etats africains contraint la Cour à se tourner vers des solutions moins enclines au « consensus occidental » traditionnel, au regard de la nomination récente d'une juge de la CPI africaine, chargée de superviser la situation au Darfour. Alors que Khartoum refuse toujours de reconnaitre la légitimité de la Cour, considérant qu'elle est n'est pas indépendante et instrumentalisée par les puissances occidentales, comme il fut reconnu par Alex de Waal (« Khartoum simply refuses to believe that the ICC is independent»), la nomination d'une juge africaine charge du conflit au Darfour pourrait opérer un changement de perception par le gouvernement soudanais.

Au regard de cette non-coopération régionale, il convient d'envisager des solutions quant à une éventuelle intervention destinée à mettre en application les décisions de la Cour au Darfour.

TITRE 2 : Solutions politico-institutionnelles nécessaires à la continuation de l'exercice des compétences de la Cour

Une intervention passe indubitablement par une légitimation. Deux logiques centrales pourraient justifier une intervention et ainsi contrebalancer le statu quo actuel. Le principe de la « responsabilité de protéger » apparait comme un instrument de légitimation de la Cour d'une part et de mise en application de ses décisions d'autre part. Néanmoins, cette logique n'est pas sans lien avec le

91 Article du Global Brief, « La primauté du droit et la realpolitik », Entretien avec Philippe Kirsch, 19 février 2010.

poids majeur des Etats-Unis dans la « gouvernance » des résolutions des différends. La reconnaissance par les Etats-Unis de la nécessité d'un organe supranational contribuerait à une accentuation du rôle de la Cour sur la scène internationale.

CHAPITRE 1 : L'hypothèse de la responsabilité de protéger comme principe complémentaire de la Cour pénale internationale

Une notion récente vit le jour concernant l'intervention militaire, qui se distingue de celle du maintien de la paix : la « responsabilité de protéger ». Ce principe fut évoqué pour la première fois par l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros Ghali à la fin des années 1990. Un rapport de décembre 2001 de la Commission Internationale sur l'Intervention et la Souveraineté (« Commission on International and State Sovereignty ») intitulé « La responsabilité de protéger » constitue également un des soubassements de ce principe. Cependant, il fut véritablement « conceptualisé» par le document final du Sommet mondial de 2005, lors de la 60e session de l'Assemblée générale des Nations Unies92, document qui suivit le rapport Brahimi sur les opérations de maintien de la paix de 2002.

La responsabilité de protéger peut être définie comme la justification d'une intervention de la communauté internationale en cas d'incapacité de l'Etat en question de protéger sa propre population du génocide et autres crimes de masse. Cette notion vient prolonger le respect de la souveraineté des Etats, mais sur le plan interne. En effet, il existe une responsabilité externe de respect des souverainetés par les Etats entre eux mais également « une responsabilité interne de respect de la dignité et des droits fondamentaux des populations vivant sur le territoire de l'Etat, à laquelle la Communauté internationale ne peut rester étrangère »93.

Le document final de 2005 définit précisément la responsabilité de protéger dans la section « Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l'humanité ». En

92 Document final du Sommet Mondial de l'Assemblée générale des Nations Unies, 60e session, 15 septembre 2005.

93 Site web du « Réseaux francophone de recherche sur les opérations de paix », (Université de Montréal) : http://www.operationspaix.net/Responsabilite-de-proteger,2513

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effet, à la note n°138, il est prévu que « C'est à chaque État qu'il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité. Ce devoir comporte la prévention de ces crimes, notamment l'incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés »94.

Au regard de l'échec politique décrit précédemment et de l'incapacité des forces de maintien de la paix à se déployer au Darfour, en raison du contexte de la guerre civile opposant le Nord et le Sud Soudan, la responsabilité de protéger constitue l'une des dernière solutions à « l'enforcement » des décisions de la Cour. Aussi, ce principe pourrait être directement corrélé en tant que prolongation opérationnelle de l'exercice des compétences de la Cour.

Selon Emmanuel Decaux95, une force de police propre à la Cour pénale internationale pourrait être une solution au manque de volonté des Etats à intervenir96. Si cet aspect opérationnel pourrait effectivement être envisageable à l'image des contributions des Etats aux forces de maintien de la paix de l'ONU ou des forces militaires de l'OTAN, il n'en demeure pas moins que la CPI reste un organe international juridique et non politique. Néanmoins, la spécialisation de la Cour dans les crimes « les plus graves » pourrait justifier la création d'une force d'interposition différente des casques bleus (ONU) et verts (UA).

Barbara Delcourt s'est interrogée quand à la possibilité d'ériger la responsabilité de protéger (R2P) comme une nouvelle norme juridique97. Elle estime que les Etats lors de la conclusion du sommet mondial de 2005 se sont

94 Dans la Note n°138 du Document final du Sommet de 2005, une indication quant à l'intervention de la « Communauté internationale » est mentionné tacitement, intervention qui revêt moins un caractère coercitif que d'assistance : « Nous acceptons cette responsabilité et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s'acquitter de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d'alerte rapide ».

95 Emmanuel Decaux, professeur à l'Université Panthéon-Assas Paris 2 et spécialiste des droits de l'Homme.

96 Conférence du 27 avril 2011 organisé par l'UEJF sur le thème « Enjeux géopolitiques au Darfour » avec la participation d'Emmanuel Decaux et du président du collectif « Urgence Darfour ». Réponse formulée par le professeur Decaux, suite à la question suivante : «Au regard du frein politique que représentent les Etats et de la forte dépendance de la Cour au Conseil de Sécurité de l'ONU, pensez-vous qu'on puisse assister dans les prochaines années à une justice pénale internationale, en l'occurrence la CPI, capable d'agir de manière autonome et apte à incriminer les « criminels aux pouvoirs » tels qu'Omar El Bachir ? Parallèlement, que pensez-vous d'une force opérationnelle propre à la CPI ? ».

97 Barbara Delcourt, « La responsabilité de protéger comme nouvelle norme juridique ? » in « La responsabilité de protéger », Colloque de Nanterre, Société française pour le droit international, Editions A.Pedone, 2006.

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montrés réticents voire « hostiles à l'introduction d'un tel droit ou à des interprétations plus souples des exceptions permettant l'usage de la force dans les relations internationales ». De plus, elle ajoute que « considérée souvent comme un test de la volonté des Etats à mettre en oeuvre la responsabilité de protéger, la situation au Darfour n'a pas conduit ceux-ci à exiger ou à lancer une intervention militaire pour mettre fin aux massacres ». En effet, le contexte de la conceptualisation de ce nouveau concept coïncidait avec la période durant laquelle ont été commises les attaques pro-gouvernementales.

Face à cette incapacité d'ériger la R2P en une norme juridique, il est difficile de soutenir la thèse selon laquelle la CPI puisse intégrer par la voie d'une révision du Statut de Rome la notion de R2P pour mettre en application elle-même ses décisions.

La R2P est au champ politique, ce qu'est le principe de complémentarité au champ juridique. En effet, l'intervention en vertu de la R2P ne peut être invoquée que lorsque l'Etat a failli à protéger sa propre population. De la même manière, le principe de complémentarité de la Cour signifie que la CPI ne peut être saisi que si les Etats ne veulent ou ne peuvent utiliser leurs systèmes juridictionnels nationaux pour incriminer les auteurs de « mass atrocities ».

Ainsi, il convient d'envisager que l'éventuelle force de police internationale propre à la CPI n'interviendrait qu'en cas d'incapacité ou de manque de volonté des Etats à intervenir dans une situation où l'Etat en question n'a lui-même pas été en mesure de protéger sa propre population. Dès lors, un principe de complémentarité s'appliquerait dès lors que la communauté des Etats constitués en coalition, ou sous l'égide d'un mandat d'une organisation internationale aurait failli à agir en cas de constat de violations des droits de l'Homme.

Subséquemment, ce raisonnement nous amène à dévaluer le rôle du Conseil de Sécurité, ce dernier n'ayant pas assuré sa fonction de maintenir la paix et la sécurité internationales au Soudan, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

En l'occurrence, le cas du Darfour nous amène à la mise en pratique de ce raisonnement hypothétique. Le Conseil de Sécurité a failli à sa mission de mettre fin aux atrocités, étant le continuateur de facto des décisions de la Cour pénale

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internationale. Dès lors, cette « failure »98vient redorer le rôle de la CPI (qui fait l'objet de plus en plus d'attention quant aux auteurs de crimes de masses à l'instar de Bachar El Assad, Mouammar Khadafi, Laurent Gbagbo, etc...). L'influence du Conseil de Sécurité est le dernier rempart à l'émancipation de la Cour, comme le montre les enquêtes d'opinion à propos d'éventuelles interventions en cas de « non protection de sa propre population »99. L'idée que « la légitimité prévaut sur la légalité » comme il fut invoqué lors de la guerre au Kosovo tend peu à peu à être contrebalancer. De la légalité découle la légitimité et non l'inverse. Alors que le Conseil de Sécurité est divisé par des intérêts politico-économiques, le droit pourrait constituer un instrument alternatif de mise en oeuvre de la paix et sécurité internationales.

Le risque inhérent à la Cour est qu'elle soit instrumentalisée à des fins de contourner la rigidité du Conseil de sécurité, risque qui, de manière originale, ne peut indubitablement se manifester en raison de la traditionnelle implication des Etats-Unis.

CHAPITRE 2 : La relation entre la Cour Pénale Internationale et les Etats-Unis : l'impossible résistance étatique à l'idée d'une universalisation de la justice pénale internationale ?

Comme il a été étudié précédemment, les Etats-Unis, Etat non partie au statut de Rome de la CPI, ont décidés, concernant la situation au Darfour, d'accepter tacitement la compétence de ladite Cour. En effet, les Etats-Unis, lors du vote de la résolution 1593 du Conseil de Sécurité, se sont abstenus, bien qu'ils aient pu opposer leur veto. Les Etats-Unis seraient-ils donc dans une démarche de légitimation progressive de la compétence de la Cour en matière de violations des droits de l'Homme ? Afin d'évaluer ce questionnement, il convient d'étudier l'historique de la relation entre la Cour pénale internationale et les Etats-Unis.

La position historique des Etats-Unis à l'égard de la Cour peut être qualifiée d'ambigüe. Alors qu'ils ont soutenus la création du TPIY en 1993 et du TPIR en

98 De Waal Alex, Darfur and the failure of the responsibility to protect, International Affairs, Vol n°83:6, 2007.

99 Delcourt, p309.

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1995100, le positionnement vis-à-vis de la CPI est plus complexe. Théoriquement, « l'exceptionnalisme américain »101 s'oppose à l'exceptionnalisme que constitue la Cour. En effet, la superpuissance juridique que constitue la CPI, indépendante de l'influence d'un quelconque Etat, vient contrecarrer la superpuissance politique américaine, autoproclamée garante de « l'exportation d'un modèle philosophique et juridique nationale »102.

Néanmoins, les Etats-Unis viennent confirmer l'idée étudiée qui est que la Cour est ancrée dans le courant libéral des relations internationales. Cette émancipation théorique est notable au regard de la position qu'ont adoptés les présidents américains successifs, à partir de la création, en passant par la signature du Statut, jusqu'au manque de volonté de ratifier celui-ci103.

Les Etats-Unis sont effectivement passés par plusieurs phases. La phase « conceptuelle » est celle qui a précédé la création de la Cour entre 1993 et 1998. Durant celle-ci, les Etats-Unis, par la voie de leurs négociateurs, se sont consacrés à la mise en oeuvre d'une importante variable étudiée précédemment, qui n'est autre que le lien entre le Conseil de Sécurité et la Cour, jugé indispensable pour être en adéquation avec le maintien de la paix et la sécurité internationale104. Il convient de noter que les Etats-Unis ont eu de facto la prétention d'immuniser les membres du Conseil de Sécurité d'une éventuelle incrimination.

La phase de la « négociation » fut ponctuée par l'influence de pays-cadres, communément qualifiés de « like-minded » (à l'image du Canada) et qui ont rendus plus robuste la compétence de la Cour (avec la création d'un procureur indépendant). Cette phase vit le début de la baisse du soutien des Etats-Unis à la Cour, la volonté de renforcer les prérogatives de la Cour ayant été perçue comme une « volonté d'encadrement du politique »105. On retrouve ici l'opposition entre l'exceptionnalisme américain et l'émancipation de la Cour.

Le stage de « l'acceptation » constitue une avancée majeure. Alors qu'ils signèrent le Statut en 2000, sous l'administration Clinton, un refus aurait été

100 Forsythe, David, Human Rights in International Relations, Cambridge University Press, 2000.

101 Forsythe, p.169.

102 Fernandez Julian, la politique juridique extérieure des Etats-Unis à l'égard de la Cour pénale Internationale, Edition A.Pedone, 2010.

103 Mills Kurt, Lott Anthony, From Rome to Darfur: Norms and Interests in US Policy Toward the International Criminal Court, Journal of Human Rights, 6: 4, p.497-521, 2007.

104 Mills, p.504.

105 Mills, p.506.

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considéré comme paradoxal au regard du soutien précédant le processus de création de la Cour. A la date du 31 décembre 2000, date limite de la ratification du statut, les Etats-Unis ont marqués une rupture quant à leur vision unilatéraliste de la protection des droits de l'Homme (à l'instar des bombardements en Serbie de 1995 sans l'aval de l'ONU), s'inscrivant dans une volonté de promouvoir une juridiction pénale universelle. Comme l'a déclaré Bill Clinton, «nonetheless, signature is the right action to take at this point. I believe that a properly constituted and structured International Criminal Court would make a profound contribution in deterring egregious human rights abuses worldwide»106.

Néanmoins, le stage de la «renonciation» brise cette tendance positive, se caractérisant par le paradoxal retrait de la signature des Etats-Unis en Mai 2002107. En effet, l'arrivée de Georges W. Bush à la Maison Blanche marqua une rupture avec la volonté d'universalisation de la justice pénale internationale en matière de droits de l'Homme. Ce coup d'arrêt est notable par deux facteurs. Dans un premier temps, le Congrès américain a voté « l'American Servicemembers' Protection Act » un an après la présidentielle controversée de 2000. Cette loi, qualifiée par l'ONG Human Rights Watch de « The Hague Invasion Act »108, confère une protection de tous les citoyens américains d'une éventuelle incrimination devant la Cour109. A ce jour, 18 Etats ont signés une convention bilatérale avec les Etats-Unis, interdisant l'extradition d'Américains vers la Haye110.

Le fait le plus marquant, dans un second temps, est le retrait de la signature du statut de Rome en Mai 2002. Alors que la dynamique américaine en matière de protection des droits de l'Homme a tendu vers une supranationalisation, celle-ci s'est essoufflée avec l'arrivée du candidat républicain et la volonté de se désolidariser d'une juridiction qui pourrait porter atteinte aux soldats américains engagés sous le mandat de l'FIAS (Force internationale d'assistance et de sécurité) en Afghanistan. Selon l'administration Bush, cette vision sceptique vis-à-vis du droit international aurait affecté « la liberté d'action américaine »111.

106BBC News, Clinton's statement on war crimes court, 31 décembre 2000.

107 Mills, p.512.

108 Human Rights Watch, «U.S.: 'Hague Invasion Act' Becomes Law». 3 August 2002.

109 Forsythe, p169.

110 Idem, p.170.

111 Mills, p.512.

Qu'en est-il de l'avenir de la position des Etats-Unis vis-à-vis de la Cour ? La résolution 1593 permet d'affirmer que les Etats-Unis voudront toujours exercer un droit de regard, au cas par cas, concernant la mise en oeuvre de mesures juridiques à portée internationale, au sein du Conseil de Sécurité. Ce changement paradigmatique vers une vision pragmatique de la perception de la CPI ne marque pas pour autant l'idée d'un point de non retour. Au contraire, les Etats-Unis sont favorables à une coopération, même si l'ère Obama et tous les idéaux qu'elle a pu véhiculer n'a pas conduit à la ratification du statut de Rome.

Cette idée de coopération pourrait conduire à une réduction de l'héritage laissé par Georges W. Bush. Selon Mills, «the cooperation could reduce American exceptionalism, undermine the force of the May 2002 unsigning, and help shift the United States toward a new, more pragmatic long-term policy of cooperating with the court on a case-by-case basis. The Darfur referral may be the catalyst for such an eventual policy shift».

La coopération avec la CPI pourrait conduire les Etats-Unis sur la voie de la ratification du Statut. Cette ratification constituerait une avancée majeure pour la justice pénale internationale, justice qui désormais disposera de l'entière légitimation d'une superpuissance politique.

Dès lors, la Cour pourra pleinement exercer un « soft power »112 juridique, assisté par le « soft power » traditionnel des Etats-Unis concernant la pacification des relations internationales, une éventuelle intervention s'inscrivant hypothétiquement en vertu du principe de la responsabilité de protéger.

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112 Nye, Joseph S. (1991), Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York: Basic Books.

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Conclusion générale

L'émancipation de la Cour pénale internationale vis-à-vis des Etats souverains constitue une avancée majeure de la justice pénale internationale. Le constat d'un passage d'un paradigme réaliste à un paradigme libéral souligne l'idée que la justice pénale internationale n'a plus de frontières. Dès lors, le positionnement de celle-ci est plus proche de l'universalisme que de l'étatisme. De plus, « la réalité du droit pénal international est clairement basée sur le libéralisme, mais la mise en application des droits de l'Homme reflète souvent une structure internationale réaliste »113. La résolution juridique des conflits est donc à l'image d'une balance où s'équilibrent le juridique et le politique. Néanmoins, le conflit soudanais au Darfour nous a permis de constater que la justice pénale internationale tend à rompre avec la rigidité de cette balance. Si le Conseil de Sécurité, inscrit dans les dispositions du statut de Rome, constitue l'organe de priorité quant à la mise en oeuvre de sanctions internationales en matière de violations des droits de l'Homme, celui-ci ne constitue pas une garantie théorique. En effet, la politisation de cet organe, entaché par de multiples divisions politiques, est opposée à l'idée d'un consensus juridique international tel qu'il est prévu dans le statut de Rome. La reconnaissance tacite de la compétence de la Cour par des Etats non parties au statut est symptomatique d'un choix rationnel des Etats signifiant que l'échelon supranational est le plus efficient pour incriminer les auteurs de violations des droits de l'Homme, indépendamment de leur qualité d'officiel, à l'instar d'Omar El Béchir.

La nouveauté du principe de la responsabilité de protéger est en corrélation directe avec l'exercice de la CPI. Intervention à caractère humanitaire, la Cour, compétente pour la sanction des crimes de masse, pourrait intégrer celle-ci dans des protocoles additionnels afin de pallier son manque d'efficacité sur le plan opérationnel. Ce postulat pourrait opérer le passage de l'aspect dissuasif du droit à un aspect coercitif. Si la Cour est considérée comme une juridiction « africaniste », il n'en demeure pas moins que son rôle sera accentuée au regard des récentes atteintes aux droits de l'Homme. Le choix politique d'une intervention étant trop sélectif au vu de la porosité entre intérêts et politiques, la justice pénale internationale est la garantie d'une « égalité de tous les Etats devant

113 Forsythe, p251.

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la loi », soubassement de la Charte des Nations Unies. Dès lors, le cas du Darfour, qui nous a permis de faire état des rouages de la justice pénale internationale, nous amène à conclure que le politique tend à ne plus être un obstacle à cette dernière.

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Annexes

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Document 1 : Rapport de la Commission d'enquête sur le Darfour Document 2 : Résolution 1593 du Conseil de Sécurité des Nations Unies Document 3 : Décision de l'Assemblée générale de l'Union Africaine

Document 4 : Entretien avec Philipe Kirsch, premier président de la CPI, « Global Brief »

Document 5 : Rapport sur la responsabilité de protéger (liste des principes) Document 4 : Carte pétrolière du Soudan






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand