UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS PARIS II
LA RESOLUTION JURIDIQUE DU
CONFLIT AU DARFOUR : MISE EN
PERSPECTIVE DE L'ETAT DE LA
JUSTICE PENALE INTERNATIONALE
Mémoire pour le Master 1 de Science Politique,
présenté par :
Monsieur Mohamed Hamdani
Sous la direction de Madame Pascale
Martin-Bidou, professeure à l'Université
Panthéon-Assas Paris 2.
1
Promotion 2010/2011
2
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont
propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université de
Paris-II.
3
« A mon père ».
4
Table des sigles
AMIS : African Union Mission for Sudan (Mission
de l'Union Africaine au Soudan).
CPA : Comprehensive Peace Agreement (Accord
compréhensif de paix). CPI : Cour pénale
internationale
DPA : Darfur Peace Agreement (Accord de paix
pour le Darfour).
FIAS : Force internationale d'assistance et de
sécurité
IGAD : Intergovermental authority for
development (Autorité
intergouvernementale pour le développement).
JEM/MJE : Justice and Equality Movement
(Mouvement pour la justice et l'égalité).
SLM/MLS : Sudanese Liberation Movement
(Mouvement pour la libération soudanais).
TPIR : Tribunal Pénal pour le Rwanda
TPIY : Tribunal Pénal pour
l'Ex-Yougoslavie UA : Union Africaine
UNAMIS : United Nations Mission for Sudan
(Mission onusienne pour le Soudan).
5
Sommaire
Introduction générale 4
Historique d'une région conflictuelle
5 2003 : Le point de non
retour.....................................................................7
Première partie : La résolution
juridique du conflit au Darfour : émancipation et universalisation de
la justice pénale
internationale 9
Titre 1 : Aspects
historico-théoriques du changement paradigmatique 9
Chapitre 1 : L'évolution de la justice
pénale internationale : le passage du
paradigme réaliste à un paradigme
libéral 9
Chapitre 2 : Le champ de compétence de la CPI,
entre collusion libérale et
rupture avec le pouvoir juridique régalien des
Etats 12
Titre 2 : Le Darfour : empiricité d'un nouveau
mode de résolution des
conflits 16
Chapitre 1 : Le vote de la résolution 1593 du Conseil
de Sécurité des Nations Unies, caractéristique de
l'émancipation de la Cour lors du processus de
résolution juridique du conflit au Darfour 16
Chapitre 2 : L'individualisation des sanctions à
l'égard des auteurs de violations
des droits de l'Homme : le dépassement des
frontières étatiques 18
Deuxième partie : La variable politique,
contrainte limitative de
l'autonomisation de la justice pénale
internationale 22
Titre 1: Freins institutionnels et carences
opérationnelles du système
d'incrimination de la Cour pénale internationale
22
Chapitre 1 : Evaluation des freins institutionnels
à l'autonomisation de la Cour
Pénale Internationale 23
Section 1.1) Le processus politique de résolution du
conflit au Darfour : chronologie d'un
échec...........................................................................23
Section 1.2) L'instabilité du Conseil de
Sécurité des Nations Unies : le décalage
entre la résolution 1593 et les divergences
idéologiques........................... 25
6
Chapitre 2 : La mise en application des sanctions juridiques
dépendantes des Etats : la politisation de la justice pénale
internationale dans le cas du conflit au
Darfour ..28
Section 2.1) L'incapacité de prévention,
d'application et de finalisation de la
Cour 28
Section 2.2) De la position de l'Union Africaine à
l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard » et
solution à la contrainte
politique ? 30
Titre 2 : Solutions politico-institutionnelles
nécessaires à la continuation de
l'exercice des compétences de la Cour 31
Chapitre 1 : L'hypothèse de la
responsabilité de protéger comme principe
complémentaire de la Cour pénale
internationale .32
Chapitre 2 : La relation entre la Cour Pénale
Internationale et les Etats-Unis : l'impossible résistance
étatique à l'idée d'une universalisation de la justice
pénale
internationale ? 35
Conclusion générale 38
Bibliographie .39
Annexes .43
7
INTRODUCTION GENERALE
Le phénomène d'universalisation de la justice
pénale internationale est en adéquation avec les récentes
violations des droits de l'Homme par des chefs d'Etats en exercice1.
En cela, le cas du Soudan s'inscrit directement dans cette tendance et
constituerait un laboratoire d'analyse desdites violations. Au regard de
l'écart entre la recrudescence des résolutions du Conseil de
Sécurité des Nations Unies concernant la situation au
Darfour2 et de leur efficience sur le terrain, les Etats,
représentatifs stricto sensu de l'émanation des décisions
politiques, ont été conduits à s'atteler à des
décisions d'ordre juridique, concernant le maintien de la paix et de la
sécurité internationales3. La Cour pénale
internationale (CPI) verrait ainsi son rôle renforcé concernant la
mise en oeuvre des sanctions allant à l'encontre des auteurs de
violations des droits de l'Homme. Néanmoins, le droit, et plus
particulièrement le droit international, est confronté à
un obstacle majeur qui n'est autre que le politique, d'où l'expression
anglo-saxonne « peace versus justice »4. Le cas du conflit
au Darfour constitue une mise en perspective du positionnement de la justice
pénale internationale sur l'échiquier international, qui selon un
nombre important d'auteurs serait partagé autour du débat «
réalistes contre libéraux ». Qu'en est-t-il de ce
débat ? Le réalisme voit la structure politique du Monde comme
n'étant composé que d'Etats souverains n'oeuvrant ainsi dans une
logique hobbesienne que pour leur survie et mus par le maintien de
l'équilibre des pouvoirs5. Dès lors, la justice
pénale internationale verrait son rôle limité et
dépendant uniquement des Etats-nations. D'un autre côté,
les libéraux acceptent l'idée d'une « transnationalisation
» des frontières, ainsi que d'une justice qui serait
indépendante des Etats, représentative non pas de ceux-ci, mais
des individus qui les composent. La justice pénale internationale aurait
donc dans
1 MSNBC Journal: «Flurry of Activity as ICC tackles
current wars» (7 avril 2011), concernant l'ouverture d'une enquête
par le procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo,
à l'encontre des « possibles » crimes contre l'humanité
commis par Mouammar Kadhafi.
2 Marc Lavergne, « Darfour : un Munich
Tropical », in Politique Internationale, 4e trimestre,
n°117, p145-171, 2007, qui pointe qu'entre 2004 et 2007, Le Conseil de
Sécurité a adopté 12 résolutions, concernant la
situation au Darfour (de 1556 à 1769) sans voir de réel
résultat sur le terrain.
3 « Le maintien de la paix et de la
sécurité internationales » était l'objectif principal
de l'Organisation des Nations Unies, sous le chapitre VII de la Charte des
Nations Unies.
4 Bubna Mayank, « The ICC's role in Sudan :
Peace versus Justice », Institute for Defense Studies and Analyses,
2009.
5 Dario Batistella, Théorie des Relations
internationales, Presses de Science Po, 2e Edition revue et
augmentée, 2006.
8
cette situation une meilleure position sur l'échiquier
international. Dans une certaine mesure, le cas du conflit au Darfour sera le
baromètre qui va nous permettre de mettre en lumière la «
santé » de la justice pénale internationale concernant
« les crimes de masse », son positionnement sur l'échiquier
international, et les avancées qui seront entre autre analysées
en rupture de l'ancien modus operandi d'incrimination des auteurs de violations
des droits de l'Homme, à l'image des tribunaux ad hoc. En
effet, comme il sera étudié, la Cour pénale internationale
est une juridiction permanente à vocation universelle qui n'a
compétence que des crimes de masses « les plus graves qui
touchent l'ensemble de la communauté internationale
»6. Dès lors, l'emphase sera mise sur cette
juridiction afin d'évaluer le degré d'importance de son
rôle dans la résolution du conflit au Darfour. Il convient donc
d'opérer une contextualisation historique du conflit afin d'analyser la
nature de la réaction de la Cour, les modalités de cette
réaction, et l'analyse de son éventuelle émancipation des
Etats-nations.
Historique d'une région conflictuelle
Géographiquement, le Darfour, dont la superficie est
égale à environ 400 000 km2, est
précisément la province Ouest du Soudan7. Le Darfour
signifie en langue arabe « la Terre des Fours », ou encore la «
Maison des Fours ».8 Cette traduction est importante à
souligner pour l'étude du conflit en ce que ce dernier est souvent
interprété comme étant de nature ethnique. En effet, les
Fours sont les « africains » par opposition aux populations du Nord
qui seraient des « arabes » et musulmans, bien que l'ensemble de la
population soudanaise soit homogène. Comme il sera fait état, le
Darfour fut l'objet d'une confrontation permanente entre les Soudanais
africains Four et les Soudanais arabes. Les soubassements de la crise de l'Etat
de droit ainsi que de la crise humanitaire sont ancrés dans une histoire
remontant à une période antérieure à la
colonisation britannique9.
En 1650, le Sultanat Fur fut établi afin de contenir
les nomades arabes dont l'objectif était de conquérir cette
partie du Soudan. Quant aux 17e et 18e siècles,
6 Préambule du Statut de Rome de 1998,
définissant le champ de compétence de la Cour pénale
internationale.
7 Voir Figure n°1 : Le Darfour, entre camps de
déplacés et énergie à proximité.
8 De Waal, Alex, Who are the Darfurians ? Arab
and African identities, violence, and external engagement, African
Affairs, 104/415, p181-205.
9 Gérard Prunier, Le Darfour, un
génocide ambigu, Edition La Table Ronde, 2005.
9
ceux-ci furent marqué par des confrontations entre ces
nomades arabes et sédentaires Fours. Bien que les nomades aient
réussis à faire chuter le Sultanat, l'intervention des
Britanniques en 1898 permit aux Fours de s'imposer face à l'Etat
Mahdiste nouvellement structuré par les nomades, dont les fondements
furent basés sur les principes islamiques. Durant la colonisation, le
condominium anglo-égyptien, établit en 1916 et qui dès
lors contrôlait entièrement le Soudan, décida d'y
intégrer la région du Darfour en l'annexant. Néanmoins,
l'objectif principal de la Grande-Bretagne dans cette aire géographique
fut de stabiliser le sud du Canal de Suez, point stratégique pour le
passage de la Navy vers l'Inde, également colonisée. Une
préoccupation plus secondaire fut de développer le Nord du
Soudan, développement qui est constatable au regard du système
ferroviaire performant, des infrastructures et des routes situées au
Nord. Entre 1899 et 1956, date de l'indépendance du Soudan, les
britanniques s'attachèrent à contrôler le Nord et le Sud,
composé essentiellement de chrétiens animistes, qui fut
également isolé. Dès lors, le Darfour fut quant à
lui totalement « négligé »10 par les
autorités anglaises.
La marginalisation politique, économique et sociale du
Darfour fut donc un phénomène antérieur à celle qui
s'opéra sous le gouvernement post-indépendance du Soudan.
En réalité, ce gouvernement du Nord du Soudan,
composé essentiellement d'Arabes et ne représentant que 5% de la
population, n'a oeuvré qu'en continuation de la marginalisation
opérée par les autorités britanniques. La famine de 1984
accentua cette marginalisation post-indépendance, et conduisit la
population du Darfour, dont les trois tribus majoritaires, les Zaghawa, les
Fours et les Masalit, à s'organiser pour réagir à
celle-ci. Cela déboucha sur la guerre civile de 1987, qui fut
caractérisé par l'opposition entre le Rassemblement arabe dont
l'instigateur ne fut autre que Sadiq Al Mahdi, premier ministre et les rebelles
qui ne furent pas encore institutionnellement organisées. Dans ce
contexte, les « Janjaweeds », milices à la portée du
gouvernement central dont la caractéristique est d'être à
cheval et munis d'armes automatiques, virent le jour pour contenir la
rébellion de plus en plus grandissante.
10 De Waal, 2005. Prunier, 2005: Chapitre 3 : «
De la marginalisation à la révolte : « l'arabisme » et
l'anarchie ethnique 1985-2003 », p101.
10
L'arrivée d'Omar El Bachir au pouvoir le 12
décembre 1999, par la voie d'un « soft coup », obligeant
Hassan Al Tourabi de quitter le pouvoir par la dissuasion et la proclamation de
l'Etat national d'urgence11, changea la donne concernant la nature
du conflit intra-soudanais. Le conflit devint désormais ethnique, de par
la division du Darfour, effectuée immédiatement après la
prise de pouvoir d'Omar El Bachir, en trois régions : Nord, Sud et Ouest
qui selon De Waal, fut « un changement alarmant dans la nature du
conflit dont l'ethnie est devenu le facteur principal ». En
réaction à cette séparation, les principales tribus
darfuriennes institutionnalisèrent leurs capacités politiques et
militaires. Le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/ JEM),
composé de Zaghawa et Masalit et d'anciens membres dissidents du
gouvernement, est basé sur des principes islamiques, alors que le
Mouvement de Libération du Soudan (SLM) est un mouvement séculier
composé majoritairement de Fours. Le soubassement de ces mouvements fut
inscrits dans le « Livre Noir » publié en 2000 (Black Book /
Qitab Al Assouad). Les rebelles y exposent la marginalisation et ses
conséquences, ainsi que la sous-représentation des populations du
Darfour dans les institutions politiques, exposé qui servit de base
à la mobilisation des mouvements nouvellement
crées12.
L'accentuation de la légitimité des mouvements
de rebelles n'est pas sans lien avec le point de non-retour qui fut
indubitablement l'année 2003.
2003 : Le point de non retour
En effet, à cette date symbolique, l'attaque de
l'aéroport d'Al Fasheir, où se trouve le matériel
militaire du gouvernement par les deux mouvements de rebelles, provoqua une
réponse par le gouvernement qui fut sans précédent dans
l'aggravation du conflit. Le gouvernement soudanais répondit par l'envoi
massif de bombardiers Antonov (russes), d'hélicoptères, ainsi
qu'à la mise à disposition de matériel aux Janjaweeds,
dont la seule motivation fut de s'en prendre à toute personne habitant
cette région, indépendamment de sa qualité de soldat ou de
simple agriculteur. Ces violations notables du droit international humanitaire
et des Conventions de Genève de 1949, et le constat des massacres des
populations
11 Prunier, 2005 : Chapitre 4 : « La peur du
centre : de la campagne contre-insurrectionnelle au quasi-génocide
(2003-2005), p143, où il est expliqué qu'Omar El Bachir force
l'ancien guide de la révolution islamique « à
démissionner de sa position de Président du Parlement ».
12 De Waal, 2005.
11
ouest-soudanaises provoqua une réaction dans un premier
temps régionale. Le président tchadien Idriss Deby entreprit
d'accueillir sur son territoire les déplacés et les
rescapés des attaques, et de mettre en oeuvre une médiation entre
Khartoum et les rebelles, via le cessez-le-feu d'Abéché en 2003.
La paix d'Abuja en 2004 sous l'égide de l'Union Africaine (UA) fut
également l'une des initiatives majeures dans l'objectif de cesser les
hostilités. Cependant, l'opposition des différentes parties
ralentissait les processus de paix.
Eu égard à la difficulté du politique
à arrêter les combats permanents, les atteintes à la
population civile, et dans l'incapacité à faire face à la
hausse important du nombre de déplacés, le juridique fut «
jugé » nécessaire à la mise en oeuvre d'une solution
à l'égard des auteurs des violations des droits de l'Homme,
inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948,
ainsi que dans le Statut de Rome de 1998. En effet, la CPI se verra «
référée » par la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité du 31 mars 2005 afin de mettre en oeuvre un mandat
d'arrêt à l'encontre des différents présumés
coupables, essentiellement membres du Gouvernement soudanais. Cependant, il a
fallu attendre le mois de juillet 2010 pour qualifier les actes du gouvernement
central de génocide, bien qu'un mandat d'arrêt ait
été lancé en mars 2009 à l'encontre d'Omar El
Bachir. Concernant l'efficience actuelle, seuls deux prévenus,
appartenant aux mouvements rebelles, se sont volontairement
présentés devant la Cour, en raison de leur responsabilité
présumée concernant l'attaque qui causa la mort de 12 soldats de
la force hybride UNAMIS13.
Ce déroulé historique permit de constater la
difficulté du conflit. Cependant qu'en est-il des modalités de
résolution juridique de celui-ci ? En quoi cette décision des
Etats à « déléguer » à la Cour le cas du
Darfour justifie-t-il l'importance qui est donnée à la justice
pénale internationale ? De manière plus centrale, en quoi la
résolution juridique du Conflit au Darfour permet-elle de constater une
émancipation voire un début d'universalisation de la justice
pénale internationale ? Quels sont les freins qui empêchent la
Cour Pénale Internationale
13 BBC News, 8 mars 2011 : «Darfur, Sudan
Rebels to face ICC war crimes trials» concernant l'attaque
préméditée par Abdallah Banda et Saleh Mohammed de forces
de maintien de la paix de l'UNAMIS.
12
d'être reconnue comme une juridiction à vocation
universelle en matière de sanction des crimes de masses (« mass
atrocities ») ? Quelles peuvent être les solutions
nécessaires à son émancipation de la tutelle
étatique ?
Hypothétiquement, la création de la Cour
pénale internationale constitue un changement majeur de
référentiel d'incrimination des auteurs de violations des droits
de l'Homme. A travers l'étude du déroulé juridique
concernant la situation au Darfour, il convient d'affirmer que la place de la
justice pénale internationale s'est indubitablement affirmé.
Dès lors, cette résolution va indubitablement servir de
jurisprudence aux futures incriminations.
Nonobstant, cet effort de punir les crimes de masses, mis en
lumière par le conflit au Darfour, n'est pas sans lien avec le
politique, politique qui acquiesce progressivement de la
nécessité d'un organe supranational pour la résolution
juridique des conflits de cette nature, où des crimes de masse ont
été commis. Bien que des barrières politiques soient
existantes, celles-ci sont de plus en plus minces. De nouvelles logiques, comme
l'intervention humanitaire, contrebalancent fortement l'ancien
référentiel basé sur la souveraineté des Etats.
Dans cette logique, il existe une forte collusion entre le caractère
transnational de la Cour et l'intervention humanitaire, au regard des nouveaux
modes d'application des décisions juridiques émanant de celle-ci,
notamment à travers la notion de « responsabilité de
protéger » en réponse à l'incapacité des
gouvernements de protéger leurs propres populations.
1ère PARTIE : LA RESOLUTION JURIDIQUE DU CONFLIT
AU DARFOUR : EMANCIPATION ET UNIVERSALISATION DE LA JUSTICE PENALE
INTERNATIONALE
13
En termes de méthodologie inhérente aux courants
de pensées des relations internationales, la résolution juridique
du conflit au Darfour est représentative du passage du paradigme
réaliste au paradigme néoinstitutionnaliste du courant
libéral. Ce changement de référentiel est analysable de
manière empirique par le constat d'une évolution progressive vers
une individualisation des sanctions à l'égard des auteurs de
crimes de masses ainsi que par le vote de la résolution 1593 du Conseil
de Sécurité des Nations Unies. Ce vote historique constitue une
jurisprudence émanant du politique et qui vient sonner le glas du
garde-fou qui n'est autre que l'immunité présidentielle.
TITRE 1 : Aspects historico-théoriques du
changement paradigmatique
Avant d'étudier de manière empirique les
avancées de la justice pénale internationale, il convient
d'étudier l'évolution de celle-ci, indépendamment du
conflit soudanais.
CHAPITRE 1 : L'évolution de la justice pénale
internationale : le passage du paradigme réaliste à un paradigme
libéral
L'incrimination des auteurs de crimes de masse s'inscrit dans
le temps long et est tributaire d'un cheminement historique
caractérisé par le passage d'un paradigme réaliste
à un paradigme libéral. Pour faire état de cette
évolution, il convient de définir ces paradigmes et de les
transposer à l'analyse de l'évolution de la justice pénale
internationale.
Le réalisme et les variantes qui le composent
(réalisme classique, libéral, néoréalisme) est par
définition le courant des relations internationales qui postule que
l'Etat est l'acteur principal des relations internationales. Selon
Jean-Jacques
14
Roche : « Pour les réalistes, tout est
politique et l'intervention de l'Etat permet d'objectiver les multiples
demandes du corps social(...). L'exercice des prérogatives absolues de
la souveraineté est donc considéré comme le moyen exclusif
de contrôle de l'anarchie naturelle tant sur le plan interne que dans le
champ des relations extérieures »14. La vision de
Raymond Aron est plus prononcée en ce qu'elle considère que
« le système international est la configuration du rapport de
forces »15. Qu'en est-il de la place de la justice
pénale internationale dans ce système international «
stato-centré » ?
La conceptualisation de ces courants coïncide avec des
systèmes internationaux à l'instar du Concert Européen du
19e siècle, ou encore de la première moitié du
20e siècle où les conflits étaient
interétatiques16. Dans cette configuration,
l'émergence d'une juridiction pénale internationale, et plus
particulièrement dans le champ des droits de l'Homme, peina à
s'affirmer. Néanmoins, les origines de la Cour pénale
Internationale sont notables dès le 19e
siècle17. Ces origines revêtent la
caractéristique d'être basées sur les crimes de guerre, le
contexte historique y étant propice (Guerre franco-prussienne,
1ère et 2nde Guerre Mondiale). Le fondateur du Comité
de la Croix Rouge, Gustave Monier, proposa la création d'un «
tribunal international sur la base de la Convention de Genève de 1864
»18 concernant les militaires blessés. Néanmoins,
sa proposition était trop radicale au regard de son
contexte19.
Le traité de Versailles établissant la
Société des Nations tentera de mettre en oeuvre un effort de
création d'une Cour pénale Internationale ad hoc dans
l'optique de juger les responsables militaires allemands20, pour la
perpétration de crimes de guerres21.
On constate que l'incrimination s'effectue toujours dans une
perspective interétatique, à destination des Etats
portant atteinte aux Conventions de Genève.
14 Jean-Jacques Roche, « Théorie des
Relations Internationales », Edition Montchrestien, 2008.
15 Raymond Aron, « Paix et guerre entre les
Nations », Edition Calmann Levy, 1962.
16 Jean Jacques Roche, « Relations
Internationales », Edition L.G.D.J, 5e Edition, 2007. A propos
du Concert Européen et de son éclatement, page 21 in Chapitre 1 :
« Les relations internationales au XXème Siècle ».
17 Doreid Becheraoui, « L'exercice des
compétences de la Cour pénale Internationale »,
International Review of Penal Law, Volume 76, (Date).
18 Becheraoui, p.342.
19 William Schabas, « An Introduction to the
International Criminal Court », Cambridge University Press, 2002.
20 Idem, p.342.
21 Schabas, p.4.
15
16
Ce n'est qu'avec les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo que
l'on constatera un début de changement paradigmatique, en termes de
sanctions à l'égard d'individus portant atteinte aux
droits de l'Homme. En effet, la période ante-2nde
Guerre mondiale était mue par un système de sanctions juridiques
internationales principalement inhérentes aux crimes de guerre. En effet
comme le constate Richard J. Goldstone : « Avant la Seconde Guerre
Mondiale, les individus n'avaient aucune place dans le droit international, mis
à part quelques exceptions. De plus, le droit international humanitaire
n'a jamais été réellement mis en application
»22.
La Seconde Guerre Mondiale sera donc à la fois le point
d'inflexion du changement de mode d'incrimination et le point
d'évolution juridique de dispositions à l'égard
d'atteintes sérieuses aux droits de l'Homme (la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme de 1948 étant l'exemple le plus
significatif de cet effort juridique post-2nde Guerre Mondiale).
Subséquemment, le tribunal de Nuremberg constitua le soubassement du
droit international en matière de crimes de guerres23. De
l'horreur de la Shoah découlera en effet une innovation majeure par
l'introduction de trois autres crimes : les crimes contre l'humanité,
les crimes de génocide et les crimes d'agressions24. Bien que
« ce tribunal constitue une avancée juridique majeure et
opère avec un certain degré d'indépendance, ils restent
tributaire des systèmes politiques nationaux concernant
l'incarcération des coupables et du rassemblement des témoins
»25. De surcroît, la progressive individualisation
des sanctions lors du jugement des militaires allemands rencontra l'obstacle
national, la justice de Nuremberg ayant été jugée trop
« sélective et politisée » selon Drumbl. Dès
lors, le caractère extraordinaire des atrocités commises
justifiera la nécessité de la mise en oeuvre d'un organe
juridique supranational dès la sortie de l'ère
post-2e guerre mondiale.
Ainsi, la codification des décisions (qui n'est pas
sans lien avec l'Article 6 de la Convention pour la prévention et la
répression du Génocide de 1948)26 et la
réflexion sur des solutions transnationales débouche sur
l'apparition d'un nouveau
22 Mark A. Drumbl, « Pluralizing International
Criminal Justice », Review of Philippe Sands' book : «From Nuremberg
to The Hague«, Cambridge University Press, 2003, in Michigan Law Review,
Vol. 103, n°6, p.1295-1328,2005.
23 Drumbl, p.1298.
24 Idem, p.1299.
25 Idem, p1301.
26 Schabas, p. 8.
paradigme, le paradigme libéral. Le libéralisme
en Relations Internationales part de « l'hypothèse de base
selon laquelle les acteurs et structures internes d'un Etat influencent les
identités et intérêts des Etats et par la même leur
comportement externe »27. Dès lors, la place de
l'Etat se verrait circonscrite à la satisfaction de
l'intérêt des individus. En l'espèce, alors que
l'état de la conjoncture politique internationale est
réaliste28, le soubassement d'une justice pénale
internationale s'inscrivant dans le paradigme libéral est
avéré. En effet, nous assistons à une codification
progressive du droit international par le biais d'instances issues de
l'Assemblée Générale des Nations Unies.
Parallèlement à la création de la
Commission du Droit International en 1950, l'Assemblée
Générale va en effet créer un comité chargé
d'élaborer le statut de la future CPI en 195229.
L'Assemblée Générale des Nations Unies, organe le plus
représentatif de la Communauté Internationale, travaillera
jusqu'au début des années 1990 à l'élaboration du
Statut de Rome de 1998, 1996 étant la date à laquelle ladite
commission adopte « le Code des crimes contre la paix et la
sécurité de l'Humanité » (« Code of crimes
against the Peace and Security of Mankind »)30. Les «
avant-projets » (« drafts ») de 1994 (relatifs aux
aspects organisationnels de la Cour) et de 1996 préfigureront le statut
de la CPI.
Le véritable moment juridique révélateur
du positionnement libéral de la justice pénale internationale
sera la création des deux tribunaux ad hoc pour les violations des
droits de l'Homme commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Le Tribunal
Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda (TPIR) constitueront des
modèles à l'élaboration d'une juridiction pénale
internationale permanente.
La création du TPIY a pour origine une décision
de l'Assemblée Générale de 1992. Le 22 février
1993, le Conseil de Sécurité des Nations Unies, venant
préciser la décision, consacre l'idée d'une
responsabilité pénale individuelle en affirmant que ce tribunal a
pour objet d'incriminer « les personnes responsables
de sérieuses violations du droit humanitaire international dans le
territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ».
27 Batistella, p.174.
28 Idem, p.173. Batistella note cependant que bien
qu'il fut dominant durant toute la Guerre Froide, le réalisme ne fut pas
le paradigme central durant ce contexte.
29 Schabas, p8. 30Idem, p8.
17
La logique des comités réapparaitra sous
l'égide de l'Assemblée Générale des Nations Unies.
Un comité ad hoc sera mis en place, le Comité préparatoire
(notamment à l'origine de la complémentarité de la Cour),
afin de négocier le statut final de la CPI et d'opérer sa
signature31. La session de 1995 de l'Assemblée réunit
160 Etats, une centaine d'organisations gouvernementales (ONG) et des
organisations internationales.
Ces comités, sous l'égide de l'Assemblée,
sont représentatifs du caractère universel que revêt la
Cour dans ses origines (et dans son fonctionnement, comme il sera
analysé dans un chapitre suivant). Après maintes discussions et
compromis, les Etats et les ONG, représentants la société
civile internationale, se sont inscrits pleinement à l'aune de cette
dernière décennie du XXe siècle en créant une Cour
Pénale Internationale soucieuse de la protection, non plus des
Etats-Nations, mais bien des Nations et des « peuples unis par un lien
étroit dont les cultures forment un patrimoine commun
»32. Selon Schabas, « nous aurions atteint un
point où la responsabilité pénale individuelle est
établie pour ceux responsables de crimes portant atteinte aux droits de
l'Homme ».
Théoriquement, la punition des auteurs de violations
des droits de l'Homme est directement corrélée au courant
libéral des relations internationales, la responsabilité
pénale étant passée d'un stade national à un stade
individuel. Par conséquent, la justice pénale internationale est
désormais en adéquation avec le souci d'individualiser les
sanctions, justice qui rompt avec le caractère « indissociable
des pouvoirs régaliens de l'Etat »33.
L'évolution vers une justice pénale
internationale, à travers la création de la Cour pénale
internationale, est un phénomène sans précédent
dans l'histoire du droit international public. Ce trait nouveau, symptomatique
d'un « miracle diplomatique »34,
étudié ci-dessus, s'affirme davantage par l'étude du
conflit au Darfour qui vient démontrer ce postulat. Nonobstant, avant de
faire le constat empirique de cette avancée majeure, il convient
d'analyser le fonctionnement de ladite Cour.
31 Idem, p14 : Session de 1995 de l'Assemblée
Générale.
32 Alinéa 1er du Préambule du
Statut de Rome.
33 Jean-Paul Bazelaire, Thierry Cretin, « La
justice pénale internationale », Edition PUF, p.67, 2000.
34 Julian Fernandez, « la politique juridique
extérieure des Etats-Unis à l'égard de la Cour
pénale Internationale », Edition A.Pedone, 2010.
18
CHAPITRE 2 : Le champ de compétence de la CPI, entre
collusion libérale et rupture avec le pouvoir juridique régalien
des Etats
Après avoir démontré le positionnement
libéral de la CPI, on pourrait plus radicalement corréler
celui-ci avec le courant transnational des Relations Internationales. Le
transnationalisme accorde un rôle aux individus tel, qu'ils sont
considérés comme des acteurs à part entière du
système international, dans un ordre international interconnecté
à l'image « d'une toile d'araignée
»35. Mireille Delmas-Marty va même jusqu'à
constater l'influence de la mondialisation culturelle (par la diffusion des
idées) et de la mondialisation économique (par la diffusion des
biens et services) sur « la mondialisation du droit
»36. Dans le cas du conflit au Darfour et de sa
résolution, ce lien serait imprécis en ce que la CPI est un
organe juridique supranational certes, mais composé d'Etats membres qui
acceptent sa compétence par la voie d'une signature et
subséquemment d'une ratification. La CPI s'inscrit donc dans le courant
libéral en ce qu'elle est mandatée par les Etats afin de
protéger juridiquement la société civile internationale
(un chapitre subséquent montrera également que la saisine de la
CPI n'est pas sans lien avec la théorie du choix rationnel du champ
économique). Il convient dès lors d'étudier le champ de
compétence de la CPI afin de rendre compte du positionnement
paradigmatique de cette Cour.
A l'instar d'une organisation internationale à vocation
coopérative ou intégrationniste, la CPI est une
personnalité juridique internationale régie par un texte. Le
statut de Rome du 12 juillet 1998, entré en vigueur après que 60
Etats l'aient ratifié37, détermine la
compétence de la CPI. La Cour, elle, est devenue opérationnelle
qu'à partir du 1er Juillet 2002.
L'article 1er du Statut précise que la Cour
a une compétence complémentaire des Etats38. Cela
signifie que la Cour a compétence seulement si les Etats ne veulent pas
(unwilling) ou ne peuvent pas (unable) exercer leur
compétence juridique
35 Batistella, p214. Roche, « Théorie
des Relations Internationales », à propos de la « Cobweb
» de John Burton, qui s'inscrit plus radicalement dans le mondialisme.
36 Mireille Delmas-Marty, « La Charte des
Nations Unies et la mondialisation du droit », in « La Charte des
Nations Unies, constitution mondiale ? » de Régis Chemain et Alain
Pellet, Cahiers Internationaux n°20, (date).
37 Becheraoui, p344.
38 Article 1er du Statut de Rome :
«Elle est complémentaire des juridictions pénales nationales
».
19
nationale pour punir d'éventuelles atteintes au
Statut39. Les modalités de la compétence de la Cour
sont également précisées à l'article 17,
alinéa 2 et 3 du Statut.
Quid des crimes relevant de la compétence de la Cour ?
La Cour est compétente pour juger du crime contre l'humanité, du
crime de génocide, du crime de guerre, et du crime d'agression en vertu
de l'article 5 du Statut.
Le Président soudanais, Omar El Bachir, a fait l'objet
d'un mandat d'arrêt dans lequel il est accusé de 3 crimes sur les
quatre cités respectivement, le crime d'agression n'étant encore
symbolique et n'entrera en vigueur qu'en 2017 au regard du résultat de
la Conférence de Kampala sur le crime d'agression40.
L'article 12 prévoit les conditions de saisine de la
CPI. Conformément à la condition sine qua non d'avoir
accepté la compétence de la Cour, l'Etat partie pourra
arrêter l'individu si celui-ci est sur son territoire, ou inversement si
l'individu est citoyen d'un Etat ayant ratifié le Statut (Article 12 a)
et b) respectivement). La procédure concernant le cas soudanais
déroge à la règle, le Conseil de
sécurité des Nations Unies ayant référé
à la CPI l'autorisation de poursuivre le gouvernement soudanais, bien
que celui-ci n'ait pas ratifié le Statut. On constate ici une
supériorité entre les dispositions du Statut. L'article 13
prévoit les conditions d'exercice de la compétence de la Cour. En
l'espèce, c'est sous cet article que la situation a pu être
déférée à la CPI, l'article 13 prévoyant
trois cas où « la Cour a compétence à l'égard
d'un crime ». L'Etat peut se saisir lui-même (a), le Conseil de
sécurité peut déférer au procureur s'il constate
une violation grave d'un crime énoncé à l'article 5 (b),
ou alors le Procureur peut décider de sa propre initiative «
d'ouvrir une enquête en vertu de l'article 15 ». Le cas
soudanais repose donc sur les articles 13.b) et 5 du Statut. Bien qu'il puisse
être conclu que la Cour est dépendante en l'espèce du
Conseil de Sécurité, nous verrons dans le chapitre suivant que
les conditions précises du vote de la résolution permettent de
rendre compte de l'aspect libéral du « référentiel
global » (terminologie empruntée à l'analyse des politiques
publiques).
Cet exposé est nécessaire dans la mesure qu'il
permet d'évaluer dans le cas du conflit au Darfour les conditions et les
raisons de la saisine de la CPI, et non
39 Frank Meyer, « Completing Complementarity
», International Criminal Law Review, Vol.N°6, p549-583, 2006.
40 Claus Kreb, Leonie Van Holzendorff, « The
Kampala Compromise on the Crime of aggression», Journal of International
Criminal Justice, p1179-1217, 2010.
20
pas par exemple la mise en oeuvre d'une commission de
réconciliation ou d'une juridiction ad hoc à l'instar de
l'ex-Yougoslavie, du Rwanda, ou hybride à l'instar du Sierra Leone.
Celui-ci permet de nous interroger sur le principe de
complémentarité prévue à l'article 1er
et 17 du Statut. Le cas du Darfour constitue l'exemple le plus significatif en
matière d'universalisation de la justice pénale internationale.
Si le principe de complémentarité et le respect du droit interne
est la règle, les atteintes graves aux droits de l'Homme, comme en
l'espèce par les gouvernements, viennent balayer ce principe. En
règle générale, la primauté du droit interne des
Etats parties au Statut est la norme. Comme le reconnait Mireille Delmas-Marty,
« le principe de complémentarité, tel qu'il est
posé par la Convention de Rome sur la Cour pénale internationale,
implique en effet une répartition des compétences qui
privilégie le droit interne sur le droit international
»41. Cependant, il constitue une sorte de
«concept régulateur comme le principe de subsidiarité
» ajoute Delmas-Marty. C'est la raison pour laquelle les Etats «
faillis » sont les plus ciblés par la Cour, les systèmes
judiciaires nationaux étant soit en déliquescence, soit corrompus
par les gouvernements de nature autoritaire. Dès lors, le principe de
complémentarité, « pierre angulaire du Statut de Rome
» 42, serait une sorte de responsabilité
juridique de protéger. L'intervention supranationale est donc
de facto « une responsabilité de juger », de la
même manière que la Communauté Internationale doit agir en
vertu du principe récent de « la responsabilité de
protéger » (R2P) en cas d'incapacité du gouvernement en
question de protéger sa propre population43.
De cet élan analytique, une analyse de nature
philosophique du préambule du Statut nous conduirait indubitablement
à conclure que les objectifs des Etats ayant négociés le
Statut se sont inscrits dans des « idéaux » libéraux,
universalistes, et furent soucieux de sanctionner non plus des Etats mais des
individus. Ici s'opère un parallèle entre le libéralisme
politique et un éventuel libéralisme juridique du Statut. Les
terminologies comme « Bien-être du
41 Delmas-Marty, p212.
42 Omer Yousif El Galab, «Indicting the
Sudanese President by the ICC : Resolution 1593 revisited», The
International Journal of Human Rights, 2009, p.658.
43 Report of the International Commission on
Intervention and State Sovereignty, «The Responsibility to protect»,
ICISS, 2001.
21
Monde », « conscience humaine », ou «
mosaïque délicate» sont symptomatiques d'une volonté
d'un dépassement des Etats souverains.
Ces analyses de la disposition du Statut la plus
interprétatrice du degré d'émancipation de la CPI des
Etats concernant la complémentarité, des dispositions concernant
les conditions d'exercice de la compétence de la CPI, et du
préambule, nous amènent à évaluer comment ces
considérations pratiques se manifestèrent en pratique. Plus
précisément, en quoi, de manière empirique et au regard du
déroulé politico-juridique factuel de la « tentative »
de résolution du conflit soudanais au Darfour, ce cas constitue-t-il une
avancée majeure en termes d'incrimination future d'auteurs desdits
crimes figurant à l'article 5 du Statut ? Par la même occasion,
assistons-nous à une résolution juridique supranationale du
conflit qui s'inscrirait absolument dans le courant libéral ? Si l'on
peut constater une émancipation notable, l'individualisation est
d'autant plus vérifiable au regard de l'ébranlement de
l'immunité présidentielle d'Omar El Bachir.
TITRE 2 : Le Darfour : empiricité d'un nouveau
mode de résolution des conflits
Le vote de la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité marque une étape majeure concernant le rôle
conféré à la Cour, rôle accru qui est
également caractérisé par l'ébranlement de
l'immunité présidentielle d'Omar El Bachir.
CHAPITRE 1 : Le vote de la résolution 1593 du
Conseil de Sécurité des Nations Unies, caractéristique de
l'émancipation de la Cour lors du processus de résolution
juridique du conflit au Darfour
Selon le Procureur de la CPI Luis Moreno-Ocampo, dans une
déclaration du 29 Juin 2005, le renvoi par le Conseil de
Sécurité à la CPI de la situation au Darfour constitue une
progression de la justice pénale internationale en ce que ce renvoi
« a apporté une justice indépendante et impartiale
venant confirmer les efforts régionaux et internationaux d'en finir avec
les atrocités commises au
22
Darfour »44. En effet, à la
date du 31 mars 2005, l'Organisation des Nations Unies (ONU) a
décidé de référer la situation au Darfour à
la CPI par la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité45.
Quels ont été les raisons de ce renvoi et les
caractéristiques de celui-ci concernant la situation au Darfour ?
Ce renvoi constitue une nouveauté car c'est la
première fois depuis la création de la CPI que la saisine de
celle-ci s'effectue par la voie d'un « référé »
(« referral ») du Conseil de Sécurité, les
saisines précédentes étant été
formulées à l'initiative des Etats eux-mêmes (Ouganda,
République démocratique du Congo, etc..). Avant d'analyser
minutieusement le vote, il convient de pointer le rôle d'une
entité « sous-traitée » par l'ONU, la Commission
d'enquête sur le Darfour.
Préalablement, ce sont en effet les résultats de
la Commission d'enquête sur le Darfour qui ont permis de faire
état de la gravité de la situation, et ainsi d'obtenir un certain
nombre d'éléments nécessaire à la poursuite des
officiels soudanais et de leurs milices Janjaweeds. Cette commission a
établi un rapport « en application de la Résolution 1564 du
18 septembre 2004 »46 . Bien que cette commission ait
été mandatée avant le vote de la résolution, le
Procureur de la CPI n'a pu obtenir les résultats que quelques jours
après le vote de la résolution 1593 à la date du 7 avril
2005. Subséquemment, le document de la Commission contenait des charges
allant à l'encontre de 51 suspects pour lesquelles des preuves assez
suffisantes révèlent leur responsabilité pénale
concernant d'éventuels crimes commis au Darfour. Le 1er juin,
le Procureur décida d'ouvrir une enquête47.
Quid du vote de la résolution 1593 ? Si ce vote fut
symptomatique du franchissement d'une étape majeure, nous verrons que ce
cap fut motivé par des considérations purement politiques,
économiques et conjoncturelles.
Les membres permanents du Conseil de Sécurité,
composé des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie, de la Grande-Bretagne
et de la France, dotés du pouvoir de s'opposer à une
résolution par un veto, ainsi que les membres non permanents, se sont
accordés le 31 mars 2005 à renvoyer la situation au Darfour aux
mains de
44 Antonio Cassesse, « Is the ICC still have
teething problems ?», Journal of International Criminal Justice, Vol. 4,
p434-441, 2006.
45 Résolution 1593 du Conseil de
Sécurité adopté lors de la 5158e séance.
Alinéa 1er de la Résolution, en vertu du Chapitre VII
de la Charte des Nations Unies.
46 Rapport de la Commission d'enquête sur le
Darfour, contenue dans la lettre adressée le 31 Janvier 2005 au
Président du Conseil de Sécurité par le Secrétaire
général.
47 Cassesse, p437.
23
Luis Moreno Ocampo. 11 votes ont été
exprimés en faveur du renvoi à la CPI et 4 abstentions ont eu
lieu (Algérie, Brésil, Chine et Etats-Unis)48. En
science politique, l'abstention peut revêtir un message politique
(différence entre abstentionnistes « hors-jeu » et « dans
le jeu »). En l'espèce, l'analyse de l'abstention de la Chine et
des Etats-Unis lors du vote nous amène à conclure paradoxalement
de l'importance du rôle de la CPI.
En raison de sa tradition du respect des souverainetés
et intégrités territoriales des Etats, la Chine s'est abstenu
lors du vote. De plus, les officiels chinois ont revendiqués
l'idée d'obtenir le consentement des autorités
soudanaises49. Comme il fut étudié ci-dessus, il
serait illogique au regard de la culpabilité avérée du
gouvernement soudanais de laisser le choix à ce dernier quant à
l'idée de se voir imposé ou non une enquête internationale
de la CPI.
La position des Etats-Unis fut relative à la
création d'une juridiction hybride à l'image de celle crée
pour le Sierra Leone50. Bien que les Etats-Unis se soient abstenus,
ils reconnurent, par la voie de leur ambassadeur auprès de l'ONU, que
« ce fut important que la communauté internationale parle d'une
seule voix dans l'objectif d'assurer une responsabilité internationale
des coupables »51.
La position de ces deux Etats est intéressante
puisqu'ils ne sont pas parties au Statut de Rome. Néanmoins, la nature
de leurs votes, bien qu'ils pouvaient opposer leur veto, nous conduit à
affirmer qu'ils ont reconnus tacitement la compétence de la Cour
Pénale Internationale52.
Le vote de ce renvoi et la reconnaissance implicite par deux
puissances mondiales majeures, constitue une légitimation de la Cour, en
ce que les membres permanents se sont accordés à renvoyer la
résolution du conflit à la CPI, renvoi qui ne fut entaché
par aucun vote négatif, bien que des Etats non parties au Statut aient
voté.
On retrouve ici notre interprétation libérale du
positionnement de la CPI dans l'ordre juridique international. Plus
précisément, ce vote pourrait être interprété
par le néoinstitutionnalisme, une branche du courant libéral qui
insiste sur l'importance des institutions internationales. Empiriquement, les
Etats ont
48 Nsongurua Udombana, «Pay Back Time In Sudan :
Darfur and the International Criminal Court», Tulsa Journal of Comparative
and International Law, Vol. 13:1, 2006, p8.
49 Udombana, p.8 et 9.
50 Idem, p.10.
51 Idem, p.11.
52 Idem, p18.
24
25
clairement affichés leur volonté de
déléguer à un organe supranational la décision
d'enquêter et de résoudre le conflit au Darfour, estimant que, du
bilan coût-avantage juridique, adviendrait un gain supérieur en
référant à la CPI.
Cette avancée, qui vient rompre avec les tribunaux
crées pour des cas circonstanciels (Rwanda, Ex-Yougoslavie), souligne le
caractère de plus en plus universel, au regard de ce vote concernant les
crimes commis au Darfour.
Le positionnement de la Cour, par le biais de ce vote n'est
pas sans lien avec l'individualisation des sanctions et la levée du
garde-fou qu'est l'immunité présidentielle.
CHAPITRE 2 : L'individualisation des sanctions à
l'égard des auteurs de violations des droits de l'Homme : le
dépassement des frontières étatiques
L'actuel président soudanais, Omar El Bachir, en cas
d'arrestation, verrait-il sa position de Chef d'Etat et son immunité
ébranlée ?
Le statut de Rome est un traité international qui lie
les Etats, sujets de droit international, donc logiquement n'ayant aucun impact
juridique sur les individus53. Néanmoins, certaines
dispositions de ce statut consacre une responsabilité pénale
individuelle, mais pour les chefs d'Etats en exercice. En effet, l'article 25
du statut prévoit que « quiconque commet un crime relevant de
la compétence de la Cour est individuellement responsable et peut
être puni conformément au présent statut ». De
plus, l'article 27 est directement en corrélation avec la
responsabilité d'Omar El Bachir, prévoyant que « le
présent statut s'applique à tous de manière égale,
sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En
particulier, la qualité officielle de chef d'Etat ou de gouvernement, de
membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu
ou d'agent d'un Etat, n'exonère en aucun cas de la responsabilité
pénale au regard du présent Statut(...). Les immunités ou
règles de procédure spéciale qui peuvent s'attacher
à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne
ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa
compétence à
53 Marko Milanovic, « Is the Rome Statute binding
on individuals (and why we should care)?», Journal of International
Criminal Justice, Vol.9, p25-52, 2011.
l'égard de cette personne ». Au regard de
cette disposition, toutes les conditions sont réunies pour arrêter
légalement le Président Soudanais. Néanmoins, l'article 98
peut éventuellement faire obstacle à celle-ci54.
L'article 98 prévoit que la Cour ne peut aucunement poursuivre un
individu si l'Etat requis pour l'arrestation fait obstacle à cette
dernière. Par conséquent, en l'espèce, Omar El Bachir,
garant de la République islamique soudanaise, peut lui-même
s'opposer à ce que la Cour entreprenne une quelconque mesure visant
à l'arrêter, pourvu qu'il soit sur le territoire soudanais. Les
tensions entre l'article 27 et l'article 98 sont donc un obstacle à la
mise en application des décisions prises par la Cour. En effet, comme le
pointe Allen, d'un côté, l'article 27 vient conférer
à la Cour une émancipation notable des Etats, alors que l'article
98 est représentatif du souci de rester dans une logique
stato-centrée concernant la mise en application des sanctions
juridiques55.
Néanmoins, la portée du vote de la
résolution 1593 vient conférer à la Cour la
possibilité d'incriminer sans obstacles juridiques les auteurs de
violations des droits de l'Homme au Darfour56. Dès lors, une
hiérarchie entre les dispositions du Statut est à noter. En
effet, l'article 13 (b) du statut de Rome vient balayer les exceptions
relatives aux immunités. Et comme il fut conclu ci-dessus, la
résolution 1593 s'inscrit non pas dans une logique stato-centrée
mais plutôt dans une position supranationale. Cette résolution
remet également à plat l'idée que le Soudan ne soit pas
partie au statut de Rome.
Indépendamment de cette résolution, en vertu de
la Convention de Vienne de 196957, le Soudan, pays n'ayant pas
ratifié le statut de la CPI, est légitimement en droit d'invoquer
que celui-ci ne lui est pas opposable. De plus, l'ordre juridique international
est caractérisé par une absence de hiérarchie entre les
normes internationales. La résolution du Conseil de
Sécurité fut donc d'une nécessité majeure pour
conférer à la Cour un poids important dans la résolution
du conflit, les résolutions du Conseil de Sécurité rendant
obligatoire leur portées à l'égard de tous les membres des
Nations Unies58.
54 Jake Hirsh Allen,« Bashir's immunity »,
Thesis held on December 15th, 2008.
55 Allen, p4 : «While Article 27 represents
the move away from traditional State sovereignty and Head of State immunity,
Article 98 is evidence of the Statute's drafters' necessary concessions to
power politics and a State-centric international system».
56 Allen, p7.
57 Pascale Martin-Bidou, « Fiches de Droit
International Public », Ellipses Editions, 2009.
58 Allen, p17.
Néanmoins, étant dans le champ des droits de
l'Homme, ceux-ci justifieraient l'intervention juridique de la CPI, ayant
probablement une supériorité sur la souveraineté des
Etats59. De la même manière que la R2P justifie une
« ingérence » dans les affaires intérieures d'un Etat
en cas de constat de crimes graves menaçant la paix et
sécurité internationales, la gravité des crimes commis par
le gouvernement soudanais justifierait une supériorité du Statut
sur son immunité présidentielle.
26
59 Idem, p17.
27
L'autonomisation de la Cour pénale internationale
est notable au regard des dispositions du Statut de Rome, Statut qui s'est vu
conférer un rôle de premier plan au regard du vote historique de
la Résolution 1593 du Conseil de Sécurité. Le passage
progressif à un positionnement libéral de la CPI est du à
la reconnaissance des Etats de la nécessité de poursuivre un mode
opératoire transnational en matière de répression des
auteurs de violations de droits de l'Homme.
La résolution du conflit au Darfour met
également en lumière les carences de la CPI, et plus globalement,
les carences de la justice pénale internationale. Cette tentative de
résolution, malgré les efforts considérables de
transnationalisation de la méthode employée, reste tributaire des
Etats. De plus, plusieurs facteurs politiques font vaciller l'efficacité
de la Cour. D'un côté, l'échec du politique sur le terrain
pourrait redonner une marge de manoeuvre à la CPI. D'un autre
côté, le caractère « africaniste » du conflit
provoque une réticence de la part des Etats africains, au regard du
positionnement de l'Union Africaine vis-à-vis de la politique de la CPI.
Enfin, le pays clef qui pourrait contrebalancer la perception de la CPI et lui
renforcer son rôle serait les Etats-Unis, pays qui peine à montrer
une position claire concernant les violations des droits de l'Homme au
Darfour.
2ème PARTIE : LA VARIABLE POLITIQUE, CONTRAINTE
LIMITATIVE DE L'AUTONOMISATION DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE
28
Malgré les efforts entrepris par les Etats de
déléguer la répression des violations des droits de
l'Homme à une instance juridique supranationale, il n'en demeure pas
moins que ceux-ci font souvent obstacle à cette volonté
d'autonomisation60. Cette instance juridique connait une limite
majeure qui n'est autre que la variable politique. En effet, comme l'argue
Rodman, «international tribunals cannot deter criminal violence as
long as States and international institutions are unwilling to take enforcement
actions against perpetrators»61.
Néanmoins, le politique, dans la résolution du
conflit au Darfour, peine à mettre un terme aux dites violations. Si la
Cour éprouve des difficultés à la fois
opérationnelles et « relationnelles », cela ne vient pas
pointer une prépondérance du politique. Nous ne serions donc pas
dans un jeu à somme nulle, où la faiblesse du juridique
augmenterait la capacité d'action du politique. Dès lors, il est
nécessaire d'évaluer les interactions entre le politique et le
juridique, qui se manifeste dans un premier temps sur le plan supranational,
entre l'ONU et la CPI et dans un second temps, qui se caractérise par
une relation entre la CPI et les Etats pris indépendamment (Etats-Unis,
Chine, etc..) ou siégeant au sein d'une institution internationale,
l'Union Africaine étant la mieux placée pour rendre compte du
degré des rapports conflictuels.
TITRE I : Freins institutionnels et carences
opérationnelles du système d'incrimination de la Cour
pénale internationale
Les freins institutionnels sont tributaires des Etats qui
malgré un consensus sur la situation au Darfour ne constitue pas une
garantie à la stabilité de ce système particulier de
répression des crimes de masse. Les considérations
60 Kenneth Rodman, « Darfur and the limits of
legal deterrence », Human Rights Quarterly, John Hopkins University Press,
p529-560, 2008.
61 Rodman, p529.
29
idéologiques des Etats constituent un frein qui vient
entraver un éventuel consensus transnational.
CHAPITRE 1 : Evaluation des freins institutionnels
à
l'autonomisation de la Cour Pénale
Internationale
Indépendamment des freins institutionnels que l'on
étudiera dans une deuxième section, un processus de paix a
été mis en oeuvre par les parties « au conflit », sous
la médiation d'Etats, ou d'institutions internationales, afin de mettre
fin diplomatiquement au conflit au Darfour62.
Section 1.1) Le processus politique de
résolution du conflit au Darfour : chronologie d'un échec
Au lendemain des attaques perpétrées par le
gouvernement soudanais en 2003, un processus politique de résolution du
conflit entre les groupes de rebelles et ledit gouvernement soudanais a
été entrepris afin de mettre fin aux hostilités, bien que
la réponse du gouvernement ait été jugée
disproportionnée63. S'inscrivant dans le temps long, ce
processus qui débuta en 2004, appelé le « Darfur Peace
Agreement » (DPA/ Accord de paix du Darfour), n'a toujours pas abouti. Le
8 avril 2004 fut implémenté un accord pour le cessez-le-feu de
N'Djamena (appelé « cessez-le-feu humanitaire »), entre
plusieurs groupes de rebelles (le Mouvement de Libération du Soudan
(MLS/SLM) et le Mouvement pour la Justice et l'Egalité (MJE/JEM)) et le
gouvernement du Soudan64. Ces négociations ne permirent pas
de cesser les hostilités mais conduisirent à la création
de la mission de l'Union Africaine pour le Soudan (AMIS). Subséquemment,
au regard de l'échec de ce processus s'inscrivant dans le cadre du DPA,
des médiateurs ont été chargés d'intervenir afin
d'encadrer les pourparlers. En juillet 2004 s'ouvrirent donc les
négociations d'Abuja sous la médiation de l'Union Africaine et du
Tchad. La raison principale invoquée
62 Laurie Nathan « No ownership, no peace :
The Darfur Peace Agreement », Working Paper n°5, Crisis States
Research Centre, September 2006.
63 Nathan, p.1.
64 Article du Media Support Project : David Lanz,
« Sudan/Darfur, Abuja Negotiations and the DPA », 2008.
30
concernant la nécessité d'une médiation
fut expliquée par le principe suivant : « Solutions africains
pour un problème africain »65, la logique
secondaire étant d'empêcher une ingérence des pouvoirs
occidentaux dans le conflit.
Alors qu'en juillet 2005, les soubassements du processus de
paix furent établis (adoption des « Déclarations de
Principes »), celui-ci prit une tournure différente en Novembre de
la même année, le MLS s'étant divisée en deux
factions (une Fur et une Zaghawa). Conséquemment, la « date limite
» fixée par le Conseil de Sécurité (31
décembre 2005) quant à la conclusion de l'accord de paix ne fut
pas respectée66.
Le processus sera relancé par l'Union Africaine et le
Conseil de Sécurité, avec comme « date limite »
(« deadline ») le 30 avril 2006. Bien que les parties
s'accordèrent sur un accord compréhensif («
Comprehensive Agreement »), celui-ci n'entra en vigueur seulement
cinq jours avant le délai prévu67. L'accord fut
signé le 5 mai 2006 par le gouvernement soudanais et une faction du MLS
alors que parallèlement le MJE rejeta l'accord, considérant que
les dispositions furent inégales, concernant les conditions de
désarmement des milices Janjaweeds ainsi que le partage des ressources.
Selon Lanz, « le fait que le Parti National (National Party Congress,
parti central du gouvernement)) eut préservé une majorité
dans toutes les législatures du Darfour, ne fut pas représentatif
de la société civile. De plus, des doutes ont été
émis par le « Justice and Equality Movement » à propos
du fait que le Gouvernement soudanais puisse ou pas mener à bien le
processus de désarmement des Janjaweeds »68. Les
accords de Syrte de 2007, en Libye, aboutirent au même résultat et
mêmes conclusions : partage inégal des ressources,
sous-représentation politique, et désarmement des Janjaweeds non
garanti.
Les principaux points du DPA sont effectivement axés
sur le partage des pouvoirs, le partage des richesses et la
sécurité (Chapitre 1 du texte sur le Partage des pouvoir («
Power sharing »), Chapitre 2 sur le partage des richesses
(« Wealth sharing »), Chapitre 3 sur la
sécurité (« Comprehensive Ceasefire and Final Security
Arrangements »). Au regard des dispositions du texte du DPA, il est
difficile de corréler celles-ci aux divisions, retards, et absence de
consensus des
65 Lanz, p.2.
66 Nathan, p.4.
67 UN center press : «Security Council Calls for
Smooth Transition to UN Operation in Darfur», 11 Avril 2006.
68 Lanz, p.8.
31
parties. Néanmoins, plusieurs raisons permettent de
rendre compte de l'échec politique de cette solution diplomatique.
Dans un premier temps, le contexte national et international
n'était pas favorable. Le début des négociations
(2003-2004) fut en adéquation avec la période, d'un
côté de la tentative de résolution du conflit Nord-Sud au
Soudan (Comprehensive Peace Agreement) et de l'autre le contexte de la guerre
en Irak. La Communauté Internationale fut donc à la fois
divisée et mue par d'autres préoccupations géopolitiques
autres que le Darfour69. Sur le plan régional, le Soudan
était en conflit avec le Tchad, bien que ce dernier ayant
contribué à accueillir les déplacés et à
tenter d'implémenter une paix dans la région.
Enfin, Laurie Nathan estime que « la diplomatie des
délais » ou des « dates butoires » (« Deadline
diplomacy ») est à l'origine des ralentissements du processus
de paix et de l'échec de celui-ci, ces dates limites ne laissant pas le
temps aux parties de négocier les dispositions du texte du DPA et leur
conférant une faible marge de flexibilité.
L'échec de ce processus, qui continue de
courir70, est actuellement entaché la querelle actuelle est
le statut administratif du Darfour (choix entre l'unification des trois
régions ou maintien du statu quo, choix dont le gouvernement du Soudan
tenta de proposer un référendum).
Là où le politique a échoué, le
juridique a-t-il un rôle à jouer ? Cet échec ne laisse t-il
pas le choix à la mise en application des décisions juridiques ?
Selon Lanz, les parties sont face à un dilemme : mener à bien le
processus politique, ou « enforcer » les décisions
juridiques de la CPI («The question thus arises whether international
actors in Sudan want to give priority to peace negotiations or if they prefer
other, potentially contradictory strategies, for example providing leverage for
the enforcement of arrest warrants of the International Criminal
Court»).
A travers l'étude de cette « chronologie d'un
échec politique », un constat paradoxal peut être fait. La
Cour pénale internationale et la résolution du conflit au Darfour
relève d'un mode opératoire purement réaliste. Alors que
des tentatives diplomatiques de résolution du conflit furent
implémentées parallèlement aux décisions juridiques
de la Cour, celles-ci n'ayant nullement
69 Idem, p.6.
70 Article de la Sudan Tribune : « JEM to resume
direct peace talks if Sudan discusses Darfur status first », 18 Avril
2011.
32
recours à la force s'inscrivent dans le courant
libéral des relations internationales. Inversement, bien que la Cour
soit un organe supranational, elle n'est que la continuation du chapitre VII de
la Charte des Nations Unies, dont l'organe garant de ce chapitre, le Conseil de
Sécurité connait une instabilité qui pourrait handicaper
l'efficacité de la Cour (Section 1.2).
Section 1.2) L'instabilité du Conseil de
Sécurité des Nations Unies : le décalage entre la
résolution 1593 et les divergences idéologiques
La résolution 1593 est loin de refléter les
caractéristiques idéologiques qui opposent les membres du Conseil
de Sécurité, et plus particulièrement les membres
permanents. Le futur des renvois par le Conseil de Sécurité
apparait incertain, le risque de division parmi les membres permanents
étant élevé71 (malgré que la Libye ait
pourtant fait l'objet d'un renvoi en 2011)72.
Les deux pays susceptibles de s'opposer à un futur
renvoi sont la Chine et la Russie. La Chine, de tradition à respecter
les souverainetés et intégrité territoriale,
possède un important intérêt économique au Soudan.
La Chine est en effet le plus grand investisseur du Soudan dans le domaine du
pétrole73. Quant à la Russie, elle est le plus grand
fournisseur d'armes du Soudan74.
Le préalable au vote de la Résolution 1593 fut
ponctué par des considérations relatives aux politiques
menées par certains Etats. En effet, au regard de la résolution
1591 votée deux jours avant le renvoi à la CPI par le Conseil de
Sécurité de la situation au Darfour, on peut constater le manque
de « coercition » de ladite résolution. Les dispositions
n'incluaient nullement des questions relatives aux ressources
pétrolières, qui représentent 90% des exportations du
Soudan, de peur d'un veto chinois75. Concernant la Russie, les
membres s'accordèrent à ne pas y mentionner un embargo sur les
armes, concernant la région du Darfour. De surcroît, comme le note
Rodman, pendant
71 Lutz Oette, « Peace and Justice : the
repercussions of the Al-Bachir case for International Criminal Justice in
Africa and Beyond», Journal of International Criminal Justice, Vol.8,
p345365, 2010 (p359).
72 Voir la Résolution 1970 du Conseil de
Sécurité du 26 février 2011, renvoyant à la CPI
l'aval quant à une ouverture d'une enquête concernant les attaques
commises par le pouvoir libyen.
73 Kenneth Rodman, « Darfur and the limits of
legal deterrence », Human Rights Quarterly, John Hopkins University Press,
p529-560, 2008.
74 Rodman, p.543
75 Rodman, p.547.
33
que le vote de la résolution avait lieu, la Russie
concluait un contrat de ventes de bombardiers de combat Antonov. Dans un
article du Financial Times, Kenneth Roth, qui prédit le renvoi de 2005,
affirma également quelques mois avant le vote, en novembre 2004, que les
membres devaient être prudents à l'égard de
l'intérêt pétrolier de la Chine au Soudan76
(« China's oil interests in Sudan make Beijing reluctant to endanger the
Sudanese officials behind the Janjaweed. Yet, ending the killing would help
prevent the conflict from disrupting oil supplies. And China should be
reluctant to be the sole obstacle to helping Darfur»).
Le manque de volonté politique de la part du Conseil de
Sécurité se manifeste également dans la mise en oeuvre de
solutions opérationnelles. Alors que les forces de maintien de la paix
furent mises en oeuvre par l'Union Africaine (AMIS) fondé en 2004, et
composé de 7.000 hommes, l'ONU décida d'effectuer une collusion
avec celle-ci, dans le souci d'avoir une force de maintien de la paix hybride,
en créant l'UNAMID (« United Nations Hybrid Operation in
Darfur »), force qui fut approuvé lors du vote de la
résolution 1769 du 31 juillet 2007. Bien qu'elle fût dans un
premier temps refusée par le Gouvernement du Soudan, cette force forte
de 26.000 soldats fut acceptée par le gouvernement77.
Quant à son impact, celui-ci fut très
limité au regard de la fraction très faible qui fût
déployée au Darfour, la carte géographique (datant de
Janvier 2009) montrant effectivement que la majeure partie des forces est
concentrée au Sud (Cf. Carte :UNMIS).
76 Kenneth Roth, « Bring the Darfur killers to
the world court», Financial Times, 18 Novembre 2004.
77 Rapport annuel des opérations de maintien
de la paix de 2008, (Annual review of global peace operations), p77-78
(2008).
34
Un dernier point relatif au « manque de volonté
» du Conseil de Sécurité de résoudre le conflit et
qui souligne le caractère symbolique des décisions politiques est
la relative originalité du renvoi à la CPI par le Conseil. En
réalité, la frontière est mince entre la résolution
consacrant la création du TPIY et les résolutions 1593 et
suivantes. Au manque de volonté du Conseil s'ajoute les carences de la
Cour en matière de prévention, d'application et de finalisation
(« enforcement ») des décisions.
35
CHAPITRE 2 : La mise en application des sanctions
juridiques dépendantes des Etats : la politisation de la justice
pénale internationale dans le cas du conflit au Darfour
Section 2.1) L'incapacité de prévention,
d'application et de finalisation de la Cour
Malgré l'efficacité et le caractère
supranational de celle-ci, la CPI est confronté à deux carences
majeures, à savoir son manque de prévention des crimes
prévues à l'article 5 et suivants, ainsi sa difficulté
à appliquer les décisions juridiques qu'elle entreprend.
Rodman, en opérant une comparaison entre l'aspect
juridique et l'aspect politique du processus de sanctions des auteurs de crimes
de masses, distingue la dissuasion (« deterrence »), qui est
caractéristique de la Cour, de la capacité à exercer un
pouvoir de coercition (« compellence »)78. En
effet, il oppose le concept de « dissuasion juridique » à
celui de « diplomatie coercitive », en affirmant que les tribunaux
pénaux internationaux à l'image du TPIY, ont pour unique objectif
de dissuader les auteurs de crimes de masses, les attaques comme celles de
l'OTAN contre la Bosnie en 1999 revêtant le second
caractère79. Enfin le point le plus important de son analyse
est l'idée que le TPIY, en opérant une comparaison avec la CPI,
« était handicapé par l'incapacité de mettre en
application ses décisions car ce tribunal n'avait pas de force de
polices propres, dans l'optique d'arrêter les coupables
»80. En effet, la CPI ne dispose d'aucun mécanisme
institutionnel lui permettant d'appliquer ses décisions81.
Elle est par conséquent intégralement dépendante de la
coopération des Etats, concernant la finalisation du processus
d'incrimination. Mayank Bubna affirme le constat suivant : « On ne
peut pénaliser Omar El Bachir seulement s'il est conduit devant la Cour.
Néanmoins,
78 Rodman, p531.
79 Idem, p533.
80 Idem, p534 : «The ICTY lacked the capability
to enforce its own decisions because it had no police force to stop and arrest
those indicted».
81 Mayank Bubna, «The ICC's role in Sudan : Peace
versus Justice», IDSA Issue Brief, 2008.
36
si le gouvernement soudanais refuse de le délivrer,
il n'y a rien que la CPI puisse faire »82.
Si Rodman entreprend une comparaison avec le TPIY, celle-ci
peut être partiellement par le fait que cette juridiction fut ad hoc et
circonstancielle au cas de la Bosnie. Par conséquent, elle n'est pas
représentative de tous les crimes de masses. La CPI est une juridiction
qui n'est pas entièrement politisée au regard des dispositions de
l'article 13, dont l'alinéa c) prévoit une auto-saisine de la
Cour par le procureur en cas de constatation de violations des droits de
l'Homme. Seule la branche « finalisation » est un frein à
ladite Cour.
Néanmoins, alors que le cas du Darfour fut saisi en
vertu de l'article 13 b) (renvoi par le Conseil de Sécurité), la
frontière entre le TPIY et la CPI est poreuse, une résolution du
Conseil de Sécurité ayant crée le TPIY (résolution
827 de 1993).
Concernant le champ de la finalisation, elle ne pourrait donc
nullement être résolue par une initiative juridique
indépendante d'une initiative politique. Au regard de la faiblesse des
forces de maintien de la paix de l'ONU déployées au Darfour (vu
précédemment) et au regard de l'échec du processus
politique de résolution du conflit, seule une intervention coercitive
peut mettre fin aux violations commises de concert par les Janjaweeds et le
gouvernement soudanais. Alex De Waal estime « qu'au contraire des
forces de maintien de l'ONU opérant dans le cadre de l'UNAMIS, il serait
plutôt judicieux de mettre en oeuvre un cessez-le-feu robuste, qui
relève du consentement des deux parties, les rebelles ayant
été aussi à l'origine de crimes qui tombe sous le coup des
dispositions de la CPI »83. Rodman, lui, affirme
radicalement que « dans des situations comme le Darfour, où le
gouvernement est en partie la cause du problème, la solution appartient
au politique, non au droit »84.
Alors que dans la pratique, la CPI requière la
coopération des Etats, notamment pour arrêter Omar El Bachir, le
préambule du Statut de Rome est paradoxalement en contradiction avec
cette dépendance vis-à-vis des Etats. L'alinéa 8
prévoit en effet le principe suivant : « Soulignant à
cet égard que rien
82 Bubna, p8 : « For one, the ICC has no
enforcement mechanism. It can only penalize al Bashir if he is brought to
court. But if the Sudanese government refuses to turn al Bashir over (which it
would do as long as he is in power), there is little the ICC can
do».
83 Rodman, p556 en référence à
la déclaration d'Alex De Waal devant le Comité des Affaires
Etrangères (« Current Situation in Darfur: Hearing Before the
H. Comm. on Foreign Affairs », 110th Cong.
25-26 (2007)).
84 Rodman, p559.
37
dans le présent Statut ne peut être
interprété comme autorisant un État Partie à
intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures
d'un autre État ». Incriminer Omar El Bachir et ses milices
passerait obligatoirement par une atteinte à la souveraineté de
l'Etat soudanais (question qui sera étudiée dans un prochain
chapitre). Encore faudrait-il qu'une opération soit mise en oeuvre, le
manque de volonté politique de la part des pays occidentaux de mettre
fin aux conflits ayant suivi le génocide du Darfour étant un
frein majeur à l'exercice de la CPI85.
Comme le souligne le dernier sommet d'Addis-Abeba honorant la
nouvelle Constitution du Kenya, la présence d'Omar El Bachir, venu
assister à la conférence, ne poussa nullement le pays hôte
à arrêter ce dernier. Le manque d'intervention extérieure
est ponctué par un manque de coopération régionale au
regard de la réticence des Etats africains concernant le mandat
d'arrêt prononcé par la CPI à l'encontre du
Président soudanais.
Section 2.2) De la position de l'Union Africaine
à l'africanisation de la Cour : rupture avec le « double standard
» et solution à la contrainte politique ?
L'Union Africaine (UA), organisation internationale
composé de tous les Etats africains à l'exception du Maroc
(reconnaissance par l'UA du Sahara occidental), est en opposition totale avec
le processus enclenché par la CPI. Au regard de la décision de 3
juillet 2009 de l'Assemblée de l'UA, qui s'est tenue à Syrte en
Libye, l'Union a clairement exprimé sa préoccupation quant au
mandat d'arrêt émis par la CPI la même année (4 Mars
2009)86. A la note n°4, il est inscrit que l'Union «
exprime sa profonde inquiétude au regard des décisions prises par
les pays européens à l'encontre des chefs d'Etats africains
». De plus, en juillet 2010, lors du sommet de Kampala en Uganda, l'UA a
explicitement affirmé une
85 Rodman, p535. Rodman reprend une citation
effectuée par Richard Goldstone, dans laquelle il affirme « le
manque de volonté de la part des pays occidentaux de supporter les
tribunaux internationaux ».
86 Compte rendu de la Session du 3 juillet 2009 de
l'Assemblée de l'Union Africaine, page 1.
38
position radicalement opposée au mandat d'arrêt
contre Omar El Bachir, en s'en prenant directement à au procureur de la
CPI, Luis Moreno-Ocampo87.
Plusieurs raisons ont été invoquées
concernant cette réticence des Etats Africains, et de manière
plus globale, de l'UA. Le facteur culturel a été mis en avant par
Lutz Oette, considérant que la culture juridique occidentale est
incompatible avec les modes de justice et réconciliation africains
(« the use of international criminal prosecutions is ignorant of, or
even antithetical to, African modes of justice and reconciliation
»)88. Un facteur régional peut également
expliquer la défiance de l'UA à l'égard du rôle de
la CPI au Darfour.
En effet, lors de la 207e session du Conseil de
paix et de sécurité de l'UA, à Abuja au Nigéria, du
29 Octobre 2009, les chefs d'Etats et gouvernements ont émis un rapport
sur la situation au Darfour. Ce rapport souligne les atrocités commises
au Darfour par le Gouvernement soudanais et ses milices Janjaweeds, tout en
affirmant l'idée de renforcer le système judiciaire soudanais, en
vue de punir les auteurs desdites atrocités89. A la note
n°17, on peut effectivement constater que les Etats «
considèrent que la priorité doit être de renforcer le
système légal soudanais afin de mener de manière
appropriée à l'incrimination des auteurs de violations, et
d'assurer des réparations aux victimes au Soudan
»90. De surcroît, la note n°247 vient
implicitement remettre l'efficacité de la Cour en l'espèce, en ce
que « les tribunaux hybrides ad hoc, à l'instar de
l'ex-Yougoslavie et du Rwanda, sont plus efficaces que les tribunaux
internationaux, ces derniers étaient plus couteux et fonctionnant
à un rythme moins rapide ».
Une autre raison invoquée par les Etats africains est
le problème du « double-standard ». Alors que la CPI
prétend être une juridiction permanente à vocation
universelle, certains pays, dont le gouvernement soudanais, doutent de son
universalité. En effet, la Cour a été saisie seulement
pour des cas africains. Dans un entretien accordé au journal canadien
Global Brief, Philippe Kirsch,
87 Article de la Nehanda Radio par Sanderson
N'Makombe, « Africa's confused relationship with ICC », 26 Mars
2011.
88 Lutz Oette, « Peace and Justice : the
repercussions of the Al-Bachir case for International Criminal Justice in
Africa and Beyond», Journal of International Criminal Justice, Vol.8,
p345365, 2010 (p359).
89 Rapport de l'UA sur le Darfur : « African
Union Panel on Darfur » (AUPD), du 29 Octobre 2009.
90 Rapport de l'UA, p18.
39
40
premier président de la CPI reconnait l'africanisation
de la CPI tout en pointant le constat suivant :
« Avec le temps, il va être essentiel que la
Cour pénale internationale aille au-delà de l'Afrique et
s'attaque à des situations qui existent dans d'autres continents. Mais
il faut se rappeler que la Cour est une cour très jeune, qui ne date que
de quelques années. Le procureur, d'ailleurs, est en train d'effectuer
les analyses préliminaires des situations dont certaines sont en dehors
de l'Afrique (par exemple, l'Afghanistan, la Palestine, la Colombie et la
Géorgie) »91.
Au regard de la position africaine, la CPI est
dépendante de la coopération des Etats, et en l'occurrence, des
Etats africains. Le poids colonial des pays occidentaux vis-à-vis des
Etats africains contraint la Cour à se tourner vers des solutions moins
enclines au « consensus occidental » traditionnel, au regard de la
nomination récente d'une juge de la CPI africaine, chargée de
superviser la situation au Darfour. Alors que Khartoum refuse toujours de
reconnaitre la légitimité de la Cour, considérant qu'elle
est n'est pas indépendante et instrumentalisée par les puissances
occidentales, comme il fut reconnu par Alex de Waal (« Khartoum simply
refuses to believe that the ICC is independent»), la nomination d'une
juge africaine charge du conflit au Darfour pourrait opérer un
changement de perception par le gouvernement soudanais.
Au regard de cette non-coopération régionale, il
convient d'envisager des solutions quant à une éventuelle
intervention destinée à mettre en application les
décisions de la Cour au Darfour.
TITRE 2 : Solutions politico-institutionnelles
nécessaires à la continuation de l'exercice des
compétences de la Cour
Une intervention passe indubitablement par une
légitimation. Deux logiques centrales pourraient justifier une
intervention et ainsi contrebalancer le statu quo actuel. Le principe de la
« responsabilité de protéger » apparait comme un
instrument de légitimation de la Cour d'une part et de mise en
application de ses décisions d'autre part. Néanmoins, cette
logique n'est pas sans lien avec le
91 Article du Global Brief, « La primauté
du droit et la realpolitik », Entretien avec Philippe Kirsch, 19
février 2010.
poids majeur des Etats-Unis dans la « gouvernance »
des résolutions des différends. La reconnaissance par les
Etats-Unis de la nécessité d'un organe supranational
contribuerait à une accentuation du rôle de la Cour sur la
scène internationale.
CHAPITRE 1 : L'hypothèse de la responsabilité
de protéger comme principe complémentaire de la Cour
pénale internationale
Une notion récente vit le jour concernant
l'intervention militaire, qui se distingue de celle du maintien de la paix : la
« responsabilité de protéger ». Ce principe fut
évoqué pour la première fois par l'ancien
secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros
Ghali à la fin des années 1990. Un rapport de décembre
2001 de la Commission Internationale sur l'Intervention et la
Souveraineté (« Commission on International and State
Sovereignty ») intitulé « La responsabilité de
protéger » constitue également un des soubassements de ce
principe. Cependant, il fut véritablement «
conceptualisé» par le document final du Sommet mondial de 2005,
lors de la 60e session de l'Assemblée générale
des Nations Unies92, document qui suivit le rapport Brahimi sur les
opérations de maintien de la paix de 2002.
La responsabilité de protéger peut être
définie comme la justification d'une intervention de la
communauté internationale en cas d'incapacité de l'Etat en
question de protéger sa propre population du génocide et autres
crimes de masse. Cette notion vient prolonger le respect de la
souveraineté des Etats, mais sur le plan interne. En effet, il existe
une responsabilité externe de respect des souverainetés par les
Etats entre eux mais également « une responsabilité
interne de respect de la dignité et des droits fondamentaux des
populations vivant sur le territoire de l'Etat, à laquelle la
Communauté internationale ne peut rester étrangère
»93.
Le document final de 2005 définit
précisément la responsabilité de protéger dans la
section « Devoir de protéger des populations contre le
génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes
contre l'humanité ». En
92 Document final du Sommet Mondial de
l'Assemblée générale des Nations Unies, 60e
session, 15 septembre 2005.
93 Site web du « Réseaux francophone de
recherche sur les opérations de paix », (Université de
Montréal) :
http://www.operationspaix.net/Responsabilite-de-proteger,2513
41
effet, à la note n°138, il est prévu que
« C'est à chaque État qu'il incombe de protéger
les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique
et des crimes contre l'humanité. Ce devoir comporte la prévention
de ces crimes, notamment l'incitation à les commettre, par les moyens
nécessaires et appropriés »94.
Au regard de l'échec politique décrit
précédemment et de l'incapacité des forces de maintien de
la paix à se déployer au Darfour, en raison du contexte de la
guerre civile opposant le Nord et le Sud Soudan, la responsabilité de
protéger constitue l'une des dernière solutions à «
l'enforcement » des décisions de la Cour. Aussi, ce principe
pourrait être directement corrélé en tant que prolongation
opérationnelle de l'exercice des compétences de la Cour.
Selon Emmanuel Decaux95, une force de police propre
à la Cour pénale internationale pourrait être une solution
au manque de volonté des Etats à intervenir96. Si cet
aspect opérationnel pourrait effectivement être envisageable
à l'image des contributions des Etats aux forces de maintien de la paix
de l'ONU ou des forces militaires de l'OTAN, il n'en demeure pas moins que la
CPI reste un organe international juridique et non politique. Néanmoins,
la spécialisation de la Cour dans les crimes « les plus graves
» pourrait justifier la création d'une force d'interposition
différente des casques bleus (ONU) et verts (UA).
Barbara Delcourt s'est interrogée quand à la
possibilité d'ériger la responsabilité de protéger
(R2P) comme une nouvelle norme juridique97. Elle estime que les
Etats lors de la conclusion du sommet mondial de 2005 se sont
94 Dans la Note n°138 du Document final du
Sommet de 2005, une indication quant à l'intervention de la «
Communauté internationale » est mentionné tacitement,
intervention qui revêt moins un caractère coercitif que
d'assistance : « Nous acceptons cette responsabilité et agirons de
manière à nous y conformer. La communauté internationale
devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à
s'acquitter de cette responsabilité et aider l'Organisation des Nations
Unies à mettre en place un dispositif d'alerte rapide ».
95 Emmanuel Decaux, professeur à
l'Université Panthéon-Assas Paris 2 et spécialiste des
droits de l'Homme.
96 Conférence du 27 avril 2011
organisé par l'UEJF sur le thème « Enjeux
géopolitiques au Darfour » avec la participation d'Emmanuel Decaux
et du président du collectif « Urgence Darfour ».
Réponse formulée par le professeur Decaux, suite à la
question suivante : «Au regard du frein politique que représentent
les Etats et de la forte dépendance de la Cour au Conseil de
Sécurité de l'ONU, pensez-vous qu'on puisse assister dans les
prochaines années à une justice pénale internationale, en
l'occurrence la CPI, capable d'agir de manière autonome et apte à
incriminer les « criminels aux pouvoirs » tels qu'Omar El Bachir ?
Parallèlement, que pensez-vous d'une force opérationnelle propre
à la CPI ? ».
97 Barbara Delcourt, « La
responsabilité de protéger comme nouvelle norme juridique ?
» in « La responsabilité de protéger », Colloque
de Nanterre, Société française pour le droit
international, Editions A.Pedone, 2006.
42
montrés réticents voire « hostiles
à l'introduction d'un tel droit ou à des interprétations
plus souples des exceptions permettant l'usage de la force dans les relations
internationales ». De plus, elle ajoute que «
considérée souvent comme un test de la volonté des
Etats à mettre en oeuvre la responsabilité de protéger, la
situation au Darfour n'a pas conduit ceux-ci à exiger ou à lancer
une intervention militaire pour mettre fin aux massacres ». En effet,
le contexte de la conceptualisation de ce nouveau concept coïncidait avec
la période durant laquelle ont été commises les attaques
pro-gouvernementales.
Face à cette incapacité d'ériger la R2P
en une norme juridique, il est difficile de soutenir la thèse selon
laquelle la CPI puisse intégrer par la voie d'une révision du
Statut de Rome la notion de R2P pour mettre en application elle-même ses
décisions.
La R2P est au champ politique, ce qu'est le principe de
complémentarité au champ juridique. En effet, l'intervention en
vertu de la R2P ne peut être invoquée que lorsque l'Etat a failli
à protéger sa propre population. De la même manière,
le principe de complémentarité de la Cour signifie que la CPI ne
peut être saisi que si les Etats ne veulent ou ne peuvent utiliser leurs
systèmes juridictionnels nationaux pour incriminer les auteurs de
« mass atrocities ».
Ainsi, il convient d'envisager que l'éventuelle force
de police internationale propre à la CPI n'interviendrait qu'en cas
d'incapacité ou de manque de volonté des Etats à
intervenir dans une situation où l'Etat en question n'a lui-même
pas été en mesure de protéger sa propre population.
Dès lors, un principe de complémentarité s'appliquerait
dès lors que la communauté des Etats constitués en
coalition, ou sous l'égide d'un mandat d'une organisation internationale
aurait failli à agir en cas de constat de violations des droits de
l'Homme.
Subséquemment, ce raisonnement nous amène
à dévaluer le rôle du Conseil de Sécurité, ce
dernier n'ayant pas assuré sa fonction de maintenir la paix et la
sécurité internationales au Soudan, en vertu du Chapitre VII de
la Charte des Nations Unies.
En l'occurrence, le cas du Darfour nous amène à
la mise en pratique de ce raisonnement hypothétique. Le Conseil de
Sécurité a failli à sa mission de mettre fin aux
atrocités, étant le continuateur de facto des décisions de
la Cour pénale
43
internationale. Dès lors, cette « failure
»98vient redorer le rôle de la CPI (qui fait l'objet de
plus en plus d'attention quant aux auteurs de crimes de masses à
l'instar de Bachar El Assad, Mouammar Khadafi, Laurent Gbagbo, etc...).
L'influence du Conseil de Sécurité est le dernier rempart
à l'émancipation de la Cour, comme le montre les enquêtes
d'opinion à propos d'éventuelles interventions en cas de «
non protection de sa propre population »99. L'idée que
« la légitimité prévaut sur la légalité
» comme il fut invoqué lors de la guerre au Kosovo tend peu
à peu à être contrebalancer. De la légalité
découle la légitimité et non l'inverse. Alors que le
Conseil de Sécurité est divisé par des
intérêts politico-économiques, le droit pourrait constituer
un instrument alternatif de mise en oeuvre de la paix et sécurité
internationales.
Le risque inhérent à la Cour est qu'elle soit
instrumentalisée à des fins de contourner la rigidité du
Conseil de sécurité, risque qui, de manière originale, ne
peut indubitablement se manifester en raison de la traditionnelle implication
des Etats-Unis.
CHAPITRE 2 : La relation entre la Cour Pénale
Internationale et les Etats-Unis : l'impossible résistance
étatique à l'idée d'une universalisation de la justice
pénale internationale ?
Comme il a été étudié
précédemment, les Etats-Unis, Etat non partie au statut de Rome
de la CPI, ont décidés, concernant la situation au Darfour,
d'accepter tacitement la compétence de ladite Cour. En effet, les
Etats-Unis, lors du vote de la résolution 1593 du Conseil de
Sécurité, se sont abstenus, bien qu'ils aient pu opposer leur
veto. Les Etats-Unis seraient-ils donc dans une démarche de
légitimation progressive de la compétence de la Cour en
matière de violations des droits de l'Homme ? Afin d'évaluer ce
questionnement, il convient d'étudier l'historique de la relation entre
la Cour pénale internationale et les Etats-Unis.
La position historique des Etats-Unis à l'égard
de la Cour peut être qualifiée d'ambigüe. Alors qu'ils ont
soutenus la création du TPIY en 1993 et du TPIR en
98 De Waal Alex, Darfur and the failure of the
responsibility to protect, International Affairs, Vol n°83:6,
2007.
99 Delcourt, p309.
44
1995100, le positionnement vis-à-vis de la
CPI est plus complexe. Théoriquement, « l'exceptionnalisme
américain »101 s'oppose à l'exceptionnalisme que
constitue la Cour. En effet, la superpuissance juridique que constitue la CPI,
indépendante de l'influence d'un quelconque Etat, vient contrecarrer la
superpuissance politique américaine, autoproclamée garante de
« l'exportation d'un modèle philosophique et juridique
nationale »102.
Néanmoins, les Etats-Unis viennent confirmer
l'idée étudiée qui est que la Cour est ancrée dans
le courant libéral des relations internationales. Cette
émancipation théorique est notable au regard de la position
qu'ont adoptés les présidents américains successifs,
à partir de la création, en passant par la signature du Statut,
jusqu'au manque de volonté de ratifier celui-ci103.
Les Etats-Unis sont effectivement passés par plusieurs
phases. La phase « conceptuelle » est celle qui a
précédé la création de la Cour entre 1993 et 1998.
Durant celle-ci, les Etats-Unis, par la voie de leurs négociateurs, se
sont consacrés à la mise en oeuvre d'une importante variable
étudiée précédemment, qui n'est autre que le lien
entre le Conseil de Sécurité et la Cour, jugé
indispensable pour être en adéquation avec le maintien de la paix
et la sécurité internationale104. Il convient de noter
que les Etats-Unis ont eu de facto la prétention d'immuniser les membres
du Conseil de Sécurité d'une éventuelle incrimination.
La phase de la « négociation » fut
ponctuée par l'influence de pays-cadres, communément
qualifiés de « like-minded » (à l'image du
Canada) et qui ont rendus plus robuste la compétence de la Cour (avec la
création d'un procureur indépendant). Cette phase vit le
début de la baisse du soutien des Etats-Unis à la Cour, la
volonté de renforcer les prérogatives de la Cour ayant
été perçue comme une « volonté d'encadrement
du politique »105. On retrouve ici l'opposition entre
l'exceptionnalisme américain et l'émancipation de la Cour.
Le stage de « l'acceptation » constitue une
avancée majeure. Alors qu'ils signèrent le Statut en 2000, sous
l'administration Clinton, un refus aurait été
100 Forsythe, David, Human Rights in International
Relations, Cambridge University Press, 2000.
101 Forsythe, p.169.
102 Fernandez Julian, la politique
juridique extérieure des Etats-Unis à l'égard de la Cour
pénale Internationale, Edition A.Pedone, 2010.
103 Mills Kurt, Lott Anthony, From Rome to Darfur: Norms
and Interests in US Policy Toward the International Criminal Court,
Journal of Human Rights, 6: 4, p.497-521, 2007.
104 Mills, p.504.
105 Mills, p.506.
45
considéré comme paradoxal au regard du soutien
précédant le processus de création de la Cour. A la date
du 31 décembre 2000, date limite de la ratification du statut, les
Etats-Unis ont marqués une rupture quant à leur vision
unilatéraliste de la protection des droits de l'Homme (à l'instar
des bombardements en Serbie de 1995 sans l'aval de l'ONU), s'inscrivant dans
une volonté de promouvoir une juridiction pénale universelle.
Comme l'a déclaré Bill Clinton, «nonetheless, signature
is the right action to take at this point. I believe that a properly
constituted and structured International Criminal Court would make a profound
contribution in deterring egregious human rights abuses
worldwide»106.
Néanmoins, le stage de la «renonciation»
brise cette tendance positive, se caractérisant par le paradoxal retrait
de la signature des Etats-Unis en Mai 2002107. En effet,
l'arrivée de Georges W. Bush à la Maison Blanche marqua une
rupture avec la volonté d'universalisation de la justice pénale
internationale en matière de droits de l'Homme. Ce coup d'arrêt
est notable par deux facteurs. Dans un premier temps, le Congrès
américain a voté « l'American Servicemembers' Protection Act
» un an après la présidentielle controversée de 2000.
Cette loi, qualifiée par l'ONG Human Rights Watch de « The Hague
Invasion Act »108, confère une protection de
tous les citoyens américains d'une éventuelle incrimination
devant la Cour109. A ce jour, 18 Etats ont signés une
convention bilatérale avec les Etats-Unis, interdisant l'extradition
d'Américains vers la Haye110.
Le fait le plus marquant, dans un second temps, est le retrait
de la signature du statut de Rome en Mai 2002. Alors que la dynamique
américaine en matière de protection des droits de l'Homme a tendu
vers une supranationalisation, celle-ci s'est essoufflée avec
l'arrivée du candidat républicain et la volonté de se
désolidariser d'une juridiction qui pourrait porter atteinte aux soldats
américains engagés sous le mandat de l'FIAS (Force
internationale d'assistance et de sécurité) en Afghanistan.
Selon l'administration Bush, cette vision sceptique vis-à-vis du droit
international aurait affecté « la liberté d'action
américaine »111.
106BBC News, Clinton's statement on war crimes court,
31 décembre 2000.
107 Mills, p.512.
108 Human Rights Watch, «U.S.: 'Hague Invasion Act'
Becomes Law». 3 August 2002.
109 Forsythe, p169.
110 Idem, p.170.
111 Mills, p.512.
Qu'en est-il de l'avenir de la position des Etats-Unis
vis-à-vis de la Cour ? La résolution 1593 permet d'affirmer que
les Etats-Unis voudront toujours exercer un droit de regard, au cas par cas,
concernant la mise en oeuvre de mesures juridiques à portée
internationale, au sein du Conseil de Sécurité. Ce changement
paradigmatique vers une vision pragmatique de la perception de la CPI ne marque
pas pour autant l'idée d'un point de non retour. Au contraire, les
Etats-Unis sont favorables à une coopération, même si
l'ère Obama et tous les idéaux qu'elle a pu véhiculer n'a
pas conduit à la ratification du statut de Rome.
Cette idée de coopération pourrait conduire
à une réduction de l'héritage laissé par Georges W.
Bush. Selon Mills, «the cooperation could reduce American
exceptionalism, undermine the force of the May 2002 unsigning, and help shift
the United States toward a new, more pragmatic long-term policy of cooperating
with the court on a case-by-case basis. The Darfur referral may be the catalyst
for such an eventual policy shift».
La coopération avec la CPI pourrait conduire les
Etats-Unis sur la voie de la ratification du Statut. Cette ratification
constituerait une avancée majeure pour la justice pénale
internationale, justice qui désormais disposera de l'entière
légitimation d'une superpuissance politique.
Dès lors, la Cour pourra pleinement exercer un «
soft power »112 juridique, assisté par le « soft
power » traditionnel des Etats-Unis concernant la pacification des
relations internationales, une éventuelle intervention s'inscrivant
hypothétiquement en vertu du principe de la responsabilité de
protéger.
46
112 Nye, Joseph S. (1991), Bound to Lead: The Changing
Nature of American Power, New York: Basic Books.
47
Conclusion générale
L'émancipation de la Cour pénale internationale
vis-à-vis des Etats souverains constitue une avancée majeure de
la justice pénale internationale. Le constat d'un passage d'un paradigme
réaliste à un paradigme libéral souligne l'idée que
la justice pénale internationale n'a plus de frontières.
Dès lors, le positionnement de celle-ci est plus proche de
l'universalisme que de l'étatisme. De plus, « la
réalité du droit pénal international est clairement
basée sur le libéralisme, mais la mise en application des droits
de l'Homme reflète souvent une structure internationale réaliste
»113. La résolution juridique des conflits est donc
à l'image d'une balance où s'équilibrent le juridique et
le politique. Néanmoins, le conflit soudanais au Darfour nous a permis
de constater que la justice pénale internationale tend à rompre
avec la rigidité de cette balance. Si le Conseil de
Sécurité, inscrit dans les dispositions du statut de Rome,
constitue l'organe de priorité quant à la mise en oeuvre de
sanctions internationales en matière de violations des droits de
l'Homme, celui-ci ne constitue pas une garantie théorique. En effet, la
politisation de cet organe, entaché par de multiples divisions
politiques, est opposée à l'idée d'un consensus juridique
international tel qu'il est prévu dans le statut de Rome. La
reconnaissance tacite de la compétence de la Cour par des Etats non
parties au statut est symptomatique d'un choix rationnel des Etats signifiant
que l'échelon supranational est le plus efficient pour incriminer les
auteurs de violations des droits de l'Homme, indépendamment de leur
qualité d'officiel, à l'instar d'Omar El Béchir.
La nouveauté du principe de la responsabilité de
protéger est en corrélation directe avec l'exercice de la CPI.
Intervention à caractère humanitaire, la Cour, compétente
pour la sanction des crimes de masse, pourrait intégrer celle-ci dans
des protocoles additionnels afin de pallier son manque d'efficacité sur
le plan opérationnel. Ce postulat pourrait opérer le passage de
l'aspect dissuasif du droit à un aspect coercitif. Si la Cour est
considérée comme une juridiction « africaniste », il
n'en demeure pas moins que son rôle sera accentuée au regard des
récentes atteintes aux droits de l'Homme. Le choix politique d'une
intervention étant trop sélectif au vu de la porosité
entre intérêts et politiques, la justice pénale
internationale est la garantie d'une « égalité de tous les
Etats devant
113 Forsythe, p251.
48
la loi », soubassement de la Charte des Nations Unies.
Dès lors, le cas du Darfour, qui nous a permis de faire état des
rouages de la justice pénale internationale, nous amène à
conclure que le politique tend à ne plus être un obstacle à
cette dernière.
49
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53
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http://www.operationspaix.net/Responsabilite-de-proteger,2513
ONU :
http://www.un.com
ICC/CPI :
http://www.icc-cpi.int/Menus/ICC?lan=fr-FR
Annexes
54
Document 1 : Rapport de la Commission d'enquête
sur le Darfour Document 2 : Résolution 1593 du Conseil de
Sécurité des Nations Unies Document 3 : Décision de
l'Assemblée générale de l'Union Africaine
Document 4 : Entretien avec Philipe Kirsch, premier
président de la CPI, « Global Brief »
Document 5 : Rapport sur la responsabilité de
protéger (liste des principes) Document 4 : Carte
pétrolière du Soudan
|