1.3.2.4. Analyse comparative
Nous retrouvons une caractéristique commune à
tous ces groupes qui est la préparation psychologique de l'enfant avant
l'attentat. Il faut tout de même émettre une nuance significative.
Les talibans ont bien mis au point des camps d'entrainement pour
former les recrues, mais dans quelques cas, il semble qu'aucune formation n'ait
été dispensée à l'enfant avant que celui-ci
opère sa mission. Ces enfants sont très jeunes et seraient
trompés par les talibans. Pour les autres, qui sont conscients
de leur geste, il s'agit d'éviter qu'ils ne se rétractent
à la dernière minute. La crainte que l'enfant se rétracte
est omniprésente dans chaque cas. Et cet élément n'est pas
seulement lié à l'âge des recrues puisque nous savons que
les groupes palestiniens et les talibans (peut être aussi le
LTTE) procèdent de la même manière pour les adultes.
Cependant, nous pouvons remarquer que les groupes palestiniens ne dispensent
pas de formation physique particulière.
Nous remarquons également que tous les groupes
utilisant des enfants dans les attentats suicides ont mis en place un
entrainement type que nous avons pu retracer dans ses grandes lignes. Nous
pouvons donc en déduire que ce phénomène fait l'objet
d'une organisation spécifique et pensée par les leaders, ce qui
lui ôte de facto son caractère marginal. Le Pakistan et
le Sri Lanka particulièrement, par le biais de ses camps d'entrainement,
a mis en place de véritables « usines » à
fabriquer des kamikazes juvéniles.
L'entrainement des enfants est systématiquement
séparé de celui des adultes. Les groupes reconnaissent, par ce
biais, une spécificité propre à l'enfant qui les rend
pleinement coupables des violations des droits de l'enfant.
En ce qui concerne le contenu de la formation, tous les
formateurs ont recourt à l'exemple des ainés qui permet de les
ancrer dans une lignée de héros et qui peut conduire à
normaliser leur action. La notion de sacrifice est mise en avant par le biais
des poèmes dans le cas du LTTE et du Qu'ran pour les
autres cas.
Le point de divergence principale se situe dans le contenu
même des différentes formations. Au Pakistan et en Palestine,
l'accent est mis sur la vie après la mort. Chaque martyr va rejoindre le
Paradis. Dans cette logique, les instants qui précèdent
l'attentat sont consacrés à la prière. Tandis qu'au Sri
Lanka, cette dimension est absente et les recrues, avant d'effectuer leur
action, reçoivent « l'honneur » de partager leur
dernier repas avec le leader du LTTE. Le plaisir n'est donc pas dans
l'espoir d'une vie au Paradis après la mort, mais il est terrestre.
Conclusion
D'un côté, nous avons une guerre civile à
caractère ethno-nationaliste au Sri Lanka. D'un autre, nous avons une
guérilla dont l'objectif est l'élimination complète
d'Israël et la mise en place d'un Etat Islamique de Palestine. Et enfin,
il y a une guerre civile en Afghanistan contre un gouvernement soutenu par une
coalition internationale perçue comme une force d'occupation par les
talibans. Ces conflits ont une caractéristique commune : ils
opposent des acteurs gouvernementaux à des acteurs non-gouvernementaux
considérés par de nombreux pays occidentaux comme terroristes. Il
s'agit de guerres asymétriques conduites par des organisations
relativement bien structurées et soutenues par des financements
extérieurs non négligeables. Leurs revendications sont avant tout
politiques et territoriales. Les idéologies qu'ils soutiennent, leurs
revendications, le contrôle sur des parties du territoire leur assurent
un soutien, variable selon les cas, de la population. Il faut nuancer ce
propos dans le cas du LTTE qui a vu sa popularité auprès
de la population décliner dans les années 2000. Le LTTE
se distingue aussi par les opérations d'envergure menées contre
les forces indiennes et sri lankaise et qui s'inscrivent dans la lignée
des guerres conventionnelles, qu'ils alternent avec des actions de
guérillas.
Chacun de ces groupes, dans le cadre des guérillas
menées contre les forces armées adverses se servent de l'attentat
suicide comme moyen d'action violent. Dans le cas du LTTE, et dans une
moindre mesure des talibans, cette tactique s'inscrit dans une stratégie
globale dont le but est d'atteindre les objectifs fixés. En Palestine,
l'attentat suicide est avant tout un acte visant à se venger de
exactions commises par l'Etat hébreux, notamment les attaques
ciblées et les frappes aériennes. L'idée de vengeance au
nom des musulmans est un élément que l'on retrouve
également au Pakistan et en Afghanistan mais dans une mesure bien
moindre. Nous pouvons donc affirmer que les attentats suicides revêtent
un caractère « émotionnel », tandis qu'au Sri
Lanka, en Afghanistan et au Pakistan, il s'agit avant tout d'actes s'inscrivant
dans une stratégie militaire globale.
Tous utilisent ou ont utilisé des enfants dans les
attentats suicides. Nous avons relevé un élément notable
quant à la période du conflit durant laquelle les enfants sont
utilisés. Rappelons qu'au Sri Lanka, il semblerait que le recours aux
enfants soit continu, ce qui n'est pas le cas dans les autres conflits
où leur utilisation corrobore avec une intensification des combats.
L'utilisation des enfants au Sri Lanka ferait donc partie intégrante de
la stratégie globale du LTTE tandis que dans les autres cas,
les enfants pourraient constituer une réserve permettant l'augmentation
croissante de ces actions. Cependant, malgré la baisse de
l'intensité du conflit en Palestine ces dernières années,
il ne semble pas que l'utilisation des enfants dans les attentats suicides ait
décliné.
En ce qui concerne le recrutement, les différents
groupes étudiés ont des méthodes très
différentes. Les jeunes palestiniens, semblent-ils, vont
spontanément se présenter aux groupes armées dans le but
qui leur soit confié une mission suicide. Dans les autres cas, la
méthode coercitive semble être une composante importante de leur
méthodologie de recrutement. Par contre, nous avons observé de
grandes similitudes dans les entrainements suivis par les recrues avant le
passage à l'action.
|