MINISTERE DES ENSEIGNEMENTS
SECONDAIRE ET SUPERIEUR ET DE
LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
UNIVERSITE ABDOU MOUMOUNI DE NIAMEY
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
(F.L.S.H)
Département de Lettres Modernes
Mémoire de maîtrise
Thème:
L'expression du réel dans l'Honneur perdu
d'Amadou Ousmane
Présenté Par:
Sous la direction de:
DOUMARI DOUBOU Abdoulaye Pr. ISSA DAOUDA Abdoul
Aziz
Maître de conférences.
H.D.R
Année Académique : 2009-2010
Introduction
L'écriture romanesque a connu un essor depuis le
XIXè siècle avec les auteurs réalistes
naturalistes qui se sont distingués dans l'observation de la
société. Le roman est ainsi une forme littéraire qui
semble le plus refléter la réalité sociale. Sa
spécificité réside essentiellement dans le fait qu'il a
pour domaine de prédilection les couches défavorisées,
longtemps marginalisées par l'art, parce qu'il était l'apanage
des élites, que sont la monarchie et la bourgeoisie. C'est pourquoi les
années 1850 représentent l'apogée du roman, comme l'a fait
remarquer Roland Barthes dans le Degré zéro de
l'écriture1(*).
En le paraphrasant, on dira que le roman a vu son plus grand
essor avec Balzac, tout comme l'Histoire avec Michelet. Il faut ainsi affirmer
que cette prédominance de la création romanesque s'explique
surtout par la dimension sociale de la thématique tout comme
l'esthétique exprimant le vécu quotidien ou les
préoccupations du milieu. Balzac s'est fait illustrer dans l'histoire du
réalisme français à travers son oeuvre emblématique
la Comédie humaine2(*), une compilation d'ouvrages où l'ambition
de l'auteur consistait à « faire concurrence à
l'état civil »3(*).
S'agissant de la littérature africaine, notamment le
roman, il se caractérise du point de vue thématique par une
adéquation et une harmonie avec les préoccupations du continent
en ce sens qu'il en reflète l'évolution sociopolitique à
travers les générations. L'Afrique précoloniale a
constitué une source d'inspiration depuis la Négritude. Ce
mouvement littéraire symbolise une nostalgie pour le passé
culturel ancestral, à travers des oeuvres comme Crépuscule
des temps anciens4(*)
du Burkinabé Nazi Boni.
On peut également faire cas du roman anticolonial, qui
fustige les abus à la fois politique et économique qu'incarne le
pouvoir blanc face aux populations noires, victimes de l'oppression raciale.
Les romans comme ceux d'Alexandre Biyidi traduisent avec netteté la
dénonciation du système colonial. C'est le cas de Ville
Cruelle5(*). Une autre
situation ayant fait l'objet de représentation artistique est surtout
les indépendances des Etats africains, qui étaient attendues avec
enthousiasme et euphorie, mais n'ont finalement été qu'un leurre,
d'où le roman du désenchantement qui dessine en toile de fond les
dirigeants africains face à leurs concitoyens.
Entre autres oeuvres, on peut citer le Cercle des
Tropiques6(*) ou
Gros plan7(*)
respectivement écrits par Alioum Fantouré et Idé Oumarou.
Ces deux romans rappellent l'esthétique balzacienne au regard de la
linéarité narrative et la description pittoresque des lieux.
Quant aux romanciers nigériens, ils font
également référence au modèle balzacien, puisqu'ils
relatent les faits avec clarté et précision. L'oeuvre d'Amadou
Ousmane est un exemple saisissant, parce qu'elle est foisonnante et se focalise
principalement sur l'évolution sociale et politique du Niger au cours de
trois décennies, de 1960 aux années 90. Auteur de trois romans
à savoir Quinze ans, ça suffit !8(*) Le Nouveau juge9(*) et l'Honneur
perdu10(*), auxquels
s'ajoutent deux autres récits tels que Chronique judiciaire11(*) et tout récemment
le Témoin gênant12(*), son dernier roman, l'Honneur perdu
constitue l'objet de cette étude.
Saisi par ce réalisme après la lecture de cette
oeuvre, il m'a paru intéressant d'étudier le rapport entre
fiction et réalité dans cet ouvrage nigérien. On pourrait
par exemple voir comme problématique pour un tel travail
l'expression du réel dans l'Honneur perdu d'Amadou
Ousmane. D'où la nécessité de démontrer
l'influence des faits réels, vrais, dans cette oeuvre d'imagination
à travers l'esthétique romanesque de l'auteur. Il s'agit de voir
le travail artistique d'esthétisation de la réalité de
tous les jours fait par le romancier pour obtenir l'oeuvre d'art qu'il nous
présente.
En effet, l'acception du terme `'réel'' est
définie dans le Dictionnaire du
littéraire13(*)
comme ce qui existe ou qui a existé dans le cadre des études
littéraires, d'où il est posé comme l'univers
d'expérience incluant les objets, la manière d'être, les
valeurs..., auxquels le texte renvoie.
Le choix de ce thème est du à l'admiration que
suscite en moi l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, à laquelle s'ajoute
la volonté de contribuer un tant soit peu à
l'interprétation des productions littéraires du pays. Issue d'un
patrimoine culturel séculaire, cette littérature se trouve
néanmoins peu explicitée, d'où cette modeste contribution.
Pour rendre le travail beaucoup plus efficient, j'ai fait
recours à deux méthodes d'analyse. D'abord, l'ouvrage de Lucien
Goldman, Pour une sociologie du roman14(*), semble édifiant en ce que l'oeuvre
littéraire « est plus que le simple produit d'une
psychologie individuelle, elle doit être considérée comme
la cristallisation cohérente d'une représentation du monde propre
à un groupe social »15(*).
En effet, le véritable sujet de la création
culturelle n'est pas l'individu. La genèse de l'oeuvre doit être
cherchée dans les rapports qui lient l'individu à la
collectivité. Par analogie, l'Honneur perdu est ancré
dans le milieu qui l'a vu naître, puisqu'il est comme une introspection
de la conscience du créateur et une exploration de l'univers qui y est
décrit.
Ensuite, la sémiotique ou l'étude des signes
s'impose, car l'analyse d'un roman déborde la sphère du sens
apparent. Elle fait en plus appel au décryptage du cadre
spatio-temporel qui, par exemple dans l'Honneur perdu, est fortement
marqué par l'imagination du créateur.
L'analyse qui va suivre s'articulera autour de cinq chapitres
au fil desquels il sera déterminé premièrement, la
structure réaliste de l'Honneur perdu, comprenant le
montage et la composition réaliste, dont les deux éléments
de la structure permettent d'étudier le lien qui unit les vingt
chapitres du roman. On constate au passage que le titre a également un
intérêt particulier du fait de son adéquation au contenu.
Dans la partie titrée réalisme et
causalité, on s'intéressera surtout à l'analyse de la
cohérence interne des parties dans l'oeuvre d'Amadou Ousmane.
Deuxièmement, il convient d'étudier la
description sous la dimension d'Espaces fictifs et l'illusion
réaliste. On va ainsi montrer la coïncidence du cadre
spatial avec des lieux réels ou même l'imitation de Balzac
à travers ses descriptions. Ce chapitre a également trois
sous-titres énoncés en ces termes : espaces réels et
description réaliste. Ici, il convient de mettre en évidence les
lieux réels auxquels le romancier fait allusion. Tout de même la
peinture qui y est faite réfère à la description
réaliste, vu la vraisemblance qu'elle suscite.
Toutefois, les référents imaginaires
nécessitent également une analyse, car ils abondent dans
l'ouvrage en question et contribuent à sa compréhension. Par
ailleurs, la description balzacienne permet de montrer l'influence du
réalisme dans l'Honneur perdu.
Puis, la troisième partie est consacrée à
la narration, d'où l'expression : Raconter le
réel. On vise à rapprocher les faits romanesques
à la réalité, le récit à l'histoire
réelle. Ainsi, il convient de s'intéresser à l'emprise des
faits réels dans l'Honneur perdu autant que
l'objectivité narrative. L'énonciation permet en plus
d'étudier la temporalité, le temps de la narration et le temps de
la fiction.
Quant à la caractérisation des personnages, elle
semble être calquée sur l'être humain, d'où
l'intitulé Personne réelle et personnage
romanesque. En effet, l'être fictif est non seulement le produit
d'une société, mais également son langage exprime une
identité.
La fin de l'analyse permettra quant à elle de voir
l'idéologie et le style d'Amadou Ousmane, sous l'angle d'un
observateur de la société. L'auteur de l'Honneur
perdu a consacré son art et son savoir-faire à
l'écriture journalistique. Par conséquent, ses romans en portent
assez souvent les marques ; d'où la clarté et un certain
automatisme dans le style, qui est à tout à fait proche de
l'information événementielle. S'il apparaît en observateur
de la société, c'est parce qu'il s'attache à critiquer les
moeurs, les us et coutumes, vue avec un regard vigilent.
La thématique de l'Honneur perdu se rapporte
essentiellement aux phénomènes sociaux qui ont
caractérisé le Niger aux lendemains de l'installation de la
démocratie. Il importe de dire qu'Amadou Ousmane a pris en
considération l'histoire contemporaine, notamment l'avènement du
multipartisme pendant les années 90, un type de régime qui est
jusqu'à preuve de contraire, matière à débat.
C'est ainsi que le narrateur
affirme : « Dans un pays où les gens vivaient
dans la hantise des lendemains incertains ; où les travailleurs,
toutes catégories confondues, étaient quotidiennement
confrontés aux multiples aléas de la vie, à la
montée vertigineuse des prix, à une incroyable crise du logement,
à l'inorganisation des transports collectifs, à l'arrogance de
petits patrons, à la grogne permanente des propriétaires de
maisons, et des commerçants qui s'obstinaient à refuser tout
crédit, `'la Déclaration du président'', dans ce
qu'elle comportait de promesses de changement, fut en effet perçue par
la quasi- totalité comme un le remède attendu à tous les
maux de la société. »16(*)
Le récit tel que rapporté par le
narrateur se résume ainsi : Le Général Okala,
président du Bamoul, a assisté à un sommet des chefs
d'Etat qui s'est tenu à la Baule17(*). Pendant ce temps, l'atmosphère sociale
est très explosive car les leaders syndicaux ont engagé un
mouvement pour l'avènement de la démocratie. C'est ainsi que les
forces de l'ordre qui entendent restaurer le calme, n'y parviennent pas. On
assiste par conséquent à un affrontement. Après avoir
dispersé les manifestants, la police s'est livrée à leur
persécution. On a ainsi enregistré quatre détenus et un
mort, Doudou, qui est le secrétaire général de l'Union
Nationale des Etudiants. Sa disparition a davantage tendu la
l'atmosphère, durci le mouvement et suscité la tenue d'une
conférence nationale.
Par ailleurs, le colonel Workou, préfet de Gariko,
ancien ministre d'Etat, s'oppose farouchement à la
démocratisation du pays, parce qu'il pense que le pouvoir est un honneur
à garder rigoureusement.
Plusieurs officiers de l'armée supposent que la
démocratisation du régime engendrera une certaine
désobéissance civile et une tendance au désordre. On
assiste donc à une crise politique entre partisans de l'ouverture du
régime et ceux d'un statu quo. Si bien qu'il n y a plus de
cohésion au sein de la classe dirigeante. Deux lieutenants colonels,
Wako et Zebada fomentent un coup d'Etat que le colonel Workou réussit
à déjouer. Contrairement aux nostalgiques de l'Etat d'exception,
lui croit fermement à la nécessité de l'avènement
d'un système politique nouveau, plus ouvert : le multipartisme.
En définitive, la situation politique et sociale
explosive, avec en toile de fond une atmosphère porteuse du désir
collectif de changement, a permis à la démocratie de voir le
jour.
Chapitre I : L'Honneur perdu : Une
structure réaliste
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Cette partie est d'abord consacrée à l'analyse
des éléments de l'économie romanesque qui renvoient
à la structure. Ensuite, on y présentera le découpage
concernant les parties et les chapitres de l'Honneur perdu. Puis,
l'étude de la structure de ce roman prendra en compte le montage et la
composition, deux procédés qui permettent de voir l'organisation
des parties, le lien qui les unit, d'où le rapport de cause à
effet.
Le roman d'Amadou Ousmane est une oeuvre structurée,
divisée en chapitres, à la fois différents et
complémentaires, au sens où ils forment un ensemble logique. En
effet, on note une certaine cohésion au niveau de la succession des
chapitres, au point où, le narrateur fait non seulement des projections
dans le futur, mais procède également à des retours en
arrière pour rappeler les idées de l'auteur.
De prime abord, on observe un prologue, à travers
lequel le romancier récapitule les événements majeurs qui
constituent la trame de l'oeuvre, sa structure même. D'ores et
déjà, il débute par le voyage du Général
Okala sur la Baule en vue d'assister à un sommet des chefs d'Etat. Mais
il rejoint vite son pays à cause de la situation sociale
délétère, qui s'est créée après lui,
avec l'affrontement entre étudiants et forces de l'ordre, ayant abouti
à la mort de Doudou, secrétaire général des
étudiants. On note également la réaction de la
société civile qui s'oppose au régime de Magama. Donc, en
dehors de l'option de la démocratie adoptée par la réunion
de La Baule, fait-il face aux pressions internes, avec les dignitaires
même qui ne s'entendent pas au sujet de la démocratie.
I.1 Montage et compositions
réalistes
Il apparaît que les chapitres de l'Honneur
perdu étayent de façon logique les idées
énoncées dans le prologue. Ils sont donc liés, puisque se
rapportant tous à l'intrigue. Le premier chapitre
intitulé L'Option, s'étend de la page 17 à
la 24, le deuxième qui a pour titre l'officier tout terrain,
ainsi que la déclaration (p.36-46) et
l'affrontement (pp.47-50). Ces quatre chapitres
évoquent le même thème. Ainsi, la situation de crise
sociopolitique qui précède l'avènement de la
démocratie y est développée de part et d'autre. Le colonel
Workou remet en cause la décision du Général Okala. L'un
désapprouve la démocratisation du Bamoul, parce qu'il est au
pouvoir qu'il pense qu'il faut préserver et que, seuls les militaires
sont aptes à gouverner ; alors que l'autre veut se conformer
à l'aspiration de son peuple et de ses concitoyens. Malgré le
refus du colonel Workou d'adhérer au multipartisme, le président
Okala envoie des émissaires dans les régions, notamment à
Gariko, pour prôner l'Etat de droit.
Pendant que les émissaires étaient à pied
d'oeuvre, les organisations syndicales et la société civile en
général, réagissent contre le pouvoir en place. Tandis que
la mission envoyée par le gouvernement travaille à sensibiliser
le peuple afin de comprendre la démocratie, les leaders syndicaux
expriment leur désarroi du fait de la lenteur du processus. On constate
alors des bouleversements sociaux à Magama, la capitale du Bamoul, ainsi
que des luttes syndicales, de plus en plus violentes, au point où les
étudiants parviennent à séquestrer le ministre de
l'éducation nationale. C'est ainsi que la police les persécute,
d'où la détention de cinq étudiants.
En juxtaposant les quatre premiers chapitres, Amadou Ousmane
met en évidence un thème prépondérant du fait de sa
récurrence dans son oeuvre romanesque : celui de la politique.
L'Honneur perdu traite de l'avènement de la démocratie
au Bamoul. Le découpage permet-il de dire que la
structure du roman est de type réaliste ?
Mais, on remarque une emphase à propos de la
controverse qui divise les dignitaires du régime au sujet du
multipartisme. Le narrateur affirme en ces termes que : « la
décision du général Okala d'engager son pays dans la voie
du multipartisme et de la démocratie ne fit (...) pas l'unanimité
ni au sein du gouvernement, ni dans les hautes sphères de l'armée
où elle apparaît comme une vaste entreprise de liquidation de tout
ce que l'armée avait fait de positif depuis tant
d'années. »18(*)En fait, Amadou Ousmane s'inspire des faits
réels, tels que le déclin du régime militaro civil des
années 90 au Niger et les foyers de tension ayant abouti à
l'avènement de la démocratie.
Par contre, le chapitre intitulé le fils
caché est un renseignement exclusif sur Doudou. Il est le
fils du colonel Workou et apparaît comme un militant engagé, en ce
sens qu'il dénonce le pouvoir. On observe donc une certaine nuance entre
ce chapitre et les précédents puisqu'il s'agit ici d'un
thème accessoire relatif à la situation sociale d'un personnage.
Malgré une telle nuance, il y a un lien de réciprocité qui
les rapproche dans la mesure où le voyage de Doudou suscite une angoisse
chez le politique. Tandis que le Colonel Workou fait obstacle au
Général Okala quant à son projet d'instauration du
multipartisme, son fils Doudou brise son espoir pour s'être opposé
au régime militaire. Ainsi, on peut noter les pourparlers
engagés par le gouvernement du Bamoul avec les étudiants afin de
résoudre la crise sociopolitique représentant de ce fait, le
noeud même de l'Honneur perdu. Le ministre d'Etat M Diboula lui,
ne parvient à un consensus avec les syndicalistes qui réclament
une amélioration de leurs conditions de vie, d'où la tension
persistante.
La Cinzala (pp.62-73) est un chapitre qui retrace les
difficultés auxquelles font face les étudiants à la
cité universitaire de Bamoul, ainsi que « la
présence quasi permanente de la police dont la tâche n'est pas
certainement d'assurer la sécurité des
étudiant»19(*)
affirme le narrateur.
Le huitième chapitre a pour titre la
convocation et se rapporte à l'intrigue principale. Il est
question des mouvements sociaux précédant le multipartisme qui
apparaît comme un gage de liberté et d'équité, du
moins pour Amadou Ousmane. Il faut dire que le personnage qui s'exprime
revendique une autonomie en disant : « Nous sommes
désormais en démocratie. Et la liberté de la presse est
un des fondements de la démocratie. »19(*) Il accuse le
régime de la museler et de la bâillonner. En conséquence,
les médias s'exposent à la censure dès qu'ils s'opposent
au pouvoir. Le journaliste Bello a été démis de ses
fonctions pour avoir interviewé un des manifestants qui revendiquent
l'Etat de droit.
Le chapitre 9 a pour titre Un taxi pour
l'université (pp.91-98). Il montre la vétusté
du parc automobile de l'institution et les conditions de vie drastiques.
S'agissant du découpage, les chapitres suivants
l'invitation, une si longue
audience, l'aveu, puis, la Parole d'un
sage et Un flic adorable,
évoquent tous le voyage de Doudou Workou sur Gariko. Il est en effet
invité par ses parents, notamment le colonel Workou, qui désire
faire sa connaissance. Donc le motif de ce voyage est d'ordre familial. Ils
veulent le persuader à renoncer au militantisme syndical. Après
une discussion à huis clos, entre le colonel Workou, Akaya qui avouent
leur culpabilité quant à leur passé commun, à
savoir les conditions de naissance du jeune Doudou. Le père fait son mea
culpa et reconsidère le jeune homme comme son fils légitime.
Celui-ci passe du statut de paria à celui de prince quand le Colonel
Workou le considère comme son fils : « dans un
geste qu'il voulait paternel et chargé d'une tendresse longtemps
contenue, le colonel lui tendit alors la main à cet enfant qu'il voyait
pour la première fois d'aussi près. »20(*)
En fait, le narrateur nous montre que le simple fait
de lui tendre la main n'est pas fortuit. Cela exprime toute sa
considération à l'endroit du fils qu'il souhaite rencontrer
depuis tant d'années.
Comme pour rassurer son interlocuteur, le préfet de
Gariko continue en ces termes : « Tu es bien mon
fils ! »21(*) Le point d'exclamation traduit ici toute la
charge affective, l'émotion intense et la sympathie du père
à l'égard de son fils. Il apparaît que le romancier
introduit dans son oeuvre les péripéties, les histoires
secondaires pour susciter l'envie de découvrir la suite du récit
auprès du lecteur. A la stupeur de ses parents, Doudou réagit en
leur disant : « Ecoutez (...) je ne voudrais pas vous
décevoir (...) c'est là une chose impossible que vous me
demandez. »22(*)
Ainsi, il se montre ferme à propos de l'action syndicale, parce
qu'il pense avoir déjà fait son choix.
L'intitulé, un flic
adorable est un chapitre dans lequel le narrateur exprime le
désarroi du personnage au cours de son voyage sur Magama. Doudou se rend
compte alors du péril qui le guette, car un agent des services secrets
lui a révélé qu'il est sur ses traces depuis dix jours
pendant lesquels, il finit par comprendre que le voyage du jeune homme est
véritablement d'ordre familial.
On peut dire ici que la situation se détériore,
puisque le personnage est non seulement en désaccord avec sa famille,
mais en plus, l'Etat de Bamoul le considère comme un anarchiste. Tandis
que sa conscience s'ébranle et s'agite, l'atmosphère sociale se
durcit dans la capitale. Doudou est également troublé par la
persécution des leaders syndicaux à laquelle se livre la police.
Il apparaît une interdépendance entre le
15è chapitre rapportant le retour de Doudou à Magama et le
suivant, La chasse à l'homme, où
il est question de la poursuite des militants de la société
civile. On observe une confrontation entre les policiers et les
étudiants. Il faut dire que Doudou rend l'âme dans ces
circonstances, sous les coups des assaillants, le commissaire Zabari et deux
hommes armés.
La mort de ce personnage est symbolique, en ce qu'elle a
occasionné l'accélération du processus démocratique
au Bamoul. C'est sans doute pourquoi Amadou Ousmane a superposé les
deux chapitres en évoquant le même thème. Dans le
messager et les funérailles, il s'agit de
l'envoi de deux émissaires chargés d'informer la famille d'Andilo
et le Colonel Workou du décès de leur fils, Doudou.
L'auteur de l'Honneur perdu rapporte les faits
romanesques avec une certaine impression du réel, d'où les
actions des personnages visent à donner sens au récit. On
remarque un autre fait qui confère à sa structure les
spécificités d'un roman réaliste. Il s'agit la
dépendance des deux derniers chapitres qui achèvent le roman. Ils
représentent le dénouement, d'où le narrateur
dévoile ainsi les idées maîtresses de l'auteur.
« J'ai décidé, annonça-t-il en appuyant sur les
mots, à la lumière de tous les événements que nous
venons de vivre ces derniers mois, et particulièrement ces deux
derniers jours, de donner un coup d'accélérateur au processus
démocratique. »23(*)
On constate que le bras de fer qui oppose les syndicalistes
aux forces de l'ordre a non seulement engendré des pertes en vies
humaines, mais il est en revanche à l'avant-garde de l'instauration de
la démocratie. L'avant-dernier chapitre ou la colère du
président traduit la compassion et la pitié du
président Okala envers ses concitoyens victimes de l'affrontement. Par
conséquent, la prise en compte du meurtre par le Général
Okala exprime son réel attachement au droit des citoyens du Bamoul et
son engagement en faveur d'un Etat de droit. On pressent dans cette partie
qu'Amadou Ousmane nous prépare à l'action finale, d'où la
mise en scène du personnage principal qui exprime tout son chagrin suite
à la disparition de Doudou. Grâce à sa perspicacité
et son expérience, le Général Okala se
déculpabilise en découvrant les auteurs de l'homicide.
Il apparaît une logique dans la progression des
idées, à travers les faits évoqués dans le roman.
On voit ainsi la présence du personnage principal du début
jusqu'à la fin de l'Honneur perdu. En amont, la crise
sociopolitique qui sévit au Bamoul le contraint à y retourner. Il
convoque ainsi un conseil des ministres pour débattre de la situation.
En aval, les dernières pages de l'oeuvre révèlent
l'idéologie de l'auteur qui est le multipartisme.
Enfin, le vingtième et, pratiquement, le dernier
chapitre est comme son titre l'indique des
Révélations car le Général Okala
parvient à déceler les difficultés qui freinent
l'instauration du système démocratique. S'il ignore les
manoeuvres de ses collaborateurs, en l'occurrence les lieutenants colonels Wako
et Zebada, le Colonel Workou déjoue quand même le coup d'Etat
fomenté. Donc il croit aussi à la démocratie,
malgré son opposition au début de l'oeuvre.
Le narrateur exprime en ces termes les convictions du
préfet de Gariko : « Depuis deux ou trois ans,
l'Afrique s'est résolument engagée dans un processus de
libéralisation de la vie politique par l'organisation d'élections
libres et démocratiques (...) Cette évolution doit se poursuivre
et déboucher sur une démocratisation totale de la vie politique
sur l'ensemble de notre continent. »24(*)
Vue sa volonté de créer l'illusion du
réel, Amadou Ousmane place ses personnages dans la même conception
des faits, au point où les personnages de conceptions politiques
opposées aspirent presque tous au fond à un régime
fondé sur le droit et le libre choix du citoyen. En fait, la
volonté de l'auteur de l'Honneur perdu est de créer
l'illusion du réel en rapport avec l'avènement de la
démocratie qui est apparue au Niger dans un contexte tumultueux.
On peut déclarer, à l'instar du narrateur
qu' « Il faut désormais oeuvrer résolument
pour un changement dans la paix en tenant compte des nouvelles aspirations de
nos peuples, par le multipartisme, le renforcement de l'Etat de droit et le
respect des droits de l'homme. »25(*) On est de plain-pied dans le dénouement,
une forme d'épilogue qui apparaît tel le reflet définitif
des idées de l'auteur. Autrement dit, on y retrouve toute sa vision du
monde, une société débarrassée de toute contrainte
et coercition. Il importe de dire que ce chapitre est consacré à
l'action finale, parce que le romancier entend intensifier l'apparence du
réel.
Ainsi le découpage des parties est logique à
cause de la progression des actions. Il ressort que le narrateur affirme le
caractère irréversible et imminent du
multipartisme : « Je vous annonce que (...)
l'armée va se retirer de toutes les institutions politiques où
elle est encore représentée pour se consacrer désormais et
exclusivement à sa mission originelle, celle d'une armée
républicaine, c'est-à-dire garante de la stabilité des
institutions. »25(*) On se rend donc compte que l'armée qui
est la seule force à faire obstacle au régime démocratique
a décidé, enfin de le faciliter ; d'où sa prise de
distance vis-à-vis de la gestion du pouvoir.
En outre, l'Honneur perdu est à l'instar de
Quinze ans ça suffit ! le premier roman d'Amadou Ousmane,
une oeuvre dont la construction structurale est traditionnelle, comme en
témoigne la succession linéaire des chapitres.
Elle permet de voir un ensemble de parties qui se
récapitulent comme suit : de l'ouverture du roman jusqu'au chapitre
9, on peut l'appeler première partie, car il est question d'une
entrée en matière dans l'histoire racontée, à
savoir la crise sociopolitique au Bamoul ; ensuite le voyage de Doudou
constitue la seconde partie et marque un apaisement de la situation explosive -
c'est pendant ce temps qu'on a tenté de le convaincre à renoncer
au syndicalisme - ; puis, l'autre partie permet de voir une
résurgence de la violence, telle que la persécution des
syndicalistes ; et enfin c'est la tenue de la conférence nationale.
L'étude de la structure de ce roman permet aussi de
déceler la technique qu'utilise Amadou Ousmane dans la disposition des
chapitres ainsi que l'organisation interne des thèmes basée sur
la causalité.
En définitive, le montage et la composition font de
l'Honneur perdu un roman à structure traditionnelle,
c'est-à-dire que l'organisation formelle des chapitres est conforme
à la récurrence du thème principal en leur sein. Toutes
les péripéties, tel que le voyage de Doudou, la crise sociale...
sont liées à l'avènement de la démocratie au
Bamoul.
En conséquence, l'école réaliste
naturaliste vers laquelle semble pencher Amadaou Ousmane
entend « nous montrer la vérité, rien la
vérité et toute la vérité.»26(*) Disons que la structure
réaliste fait en effet de l'Honneur perdu un roman à
travers lequel l'auteur recherche la vérité, ou du moins tend
à la créer, d'où l'illusion référentielle
qu'il suscite.
I.2 L'adéquation du
titre au contenu
D'ordinaire, le titre d'un roman n'est ni fortuit ni gratuit.
Au contraire, il reflète le choix de l'auteur qui lui confère un
sens latent ou manifeste. Ainsi, celui d'une oeuvre peut être
analysé tout naturellement ou revêtir une ambiguïté,
c'est-à-dire résister à l'analyse, ou à tout
rapprochement avec ce dont il va parler. Dans ce cas, sa compréhension
nécessite la saisie totale du sens de l'ouvrage. Pour Henri Benac, le
titre est : « Le nom, la désignation d'un livre
ou d'un chapitre (...) d'une oeuvre artistique, etc. »27(*) On constate qu'il est
d'une importance capitale au point où Benac l'assimile même
à la dénomination et à l'identité même du
livre, d'où le titre semble offrir une information sur le contenu global
d'un roman, puisqu'il permet de découvrir l'intention de l'auteur.
En considérant l'Honneur perdu l'on
étudiera le titre en rapport avec sa concordance au contenu. Il
apparaît une nette ressemblance entre la désignation de cette
oeuvre et le thème principal. Quelles connotations Amadou Ousmane en
confère-t-il ? Le roman en question aborde la thématique de
la démocratisation au Bamoul à l'issue de laquelle on note
plusieurs mutations sociopolitiques ayant caractérisé le
régime du Général Okala. C'est ainsi qu'il apparaît
des foyers de tension çà et là, du fait que les
syndicalistes réclament l'avènement du multipartisme alors que
ceux qui détiennent les rênes du pouvoir s'y opposent. Une telle
dissension donne à la titrologie de ce roman tout son sens par le fait
que les dignitaires du régime tel que le colonel Workou pensent que le
pouvoir est un honneur, voire un prestige qu'il faut sauvegarder
scrupuleusement.
Dès lors, le titre l'Honneur perdu se focalise
sur le statut de ce personnage qui répugne le système
démocratique sous peine de perdre son poste. Pour le narrateur :
« Lorsqu'au hasard d'un remaniement ministériel impromptu, le
colonel Workou alors ministre d'Etat avait été
relégué au rang de simple préfet, il avait d'abord
très mal pris la chose. »28(*) Le pouvoir, ainsi que le fait de gravir certains
de ses échelons est un privilège, un avantage sur lesquels se
fonde l'honneur recherché par le Colonel Workou. Par contre la crise
sociopolitique qui ébranle le Bamoul présage sa perte, une sorte
de déclin.
On peut affirmer qu'il y a une adéquation entre la
dénomination du roman d'Amadou Ousmane et son fond puisqu'il renvoie
à l'histoire principale. En conséquence, il l'inscrit dans la
perspective réaliste se fondant sur la coïncidence de ses
éléments de la structure.
En outre, on remarque une généralisation du sens
de l'oeuvre, au point où sa signification transcende la sphère
d'un personnage, pour s'étendre à tous les dignitaires du
régime. A l'exclusion du Général Okala, le chef de l'Etat,
tous ses collaborateurs estiment qu'il faut, vaille que vaille préserver
le pouvoir. C'est pourquoi l'énonciateur déclare en ces
termes : « Persuadés que le président
finirait, comme d'habitude, par leur donner raison, les officiers
s'étaient alors quittés avec le sentiment que `'l'heure du
multipartisme n'avait pas encore sonné'' pour leur
pays. »29(*)
On remarque ici qu'Amadou Ousmane livre une information au
sujet de certains politiciens de la IIè République du Niger qui,
à ses yeux, ne veulent pas perdre les avantages que leur procure le
pouvoir. Ils s'intéressent peu à la légalité. Vue
l'harmonie qui lie la dénomination d'un roman au récit des faits,
d'aucuns affirment que « le titre peut jouer un rôle
déterminant dans la signification de l'oeuvre. »30(*) En effet, le rôle
que joue l'Honneur perdu, en tant que titre de roman est
prépondérant car il offre un éclairage dans la
compréhension globale du texte. Il est comme son
résumé.
Amadou Ousmane emprunte dans son roman la technique
réaliste, notamment au niveau de la structure, parce qu'elle est soumise
à un ordre logique.
Tout de même, le titre de son oeuvre revêt une
apparente ambiguïté plus ou moins perceptible à l'issue
d'une approche rigoureuse. On peut dégager un second sens du titre
lorsqu'on considère un autre personnage central du roman, en
l'occurrence Doudou. Son statut social confère également à
l'Honneur perdu tout son sens.
Ce jeune homme de vingt cinq ans recherche dès le bas
âge l'identité de son père parce qu'il apparaît comme
un enfant illégitime. Doudou recherche l'honneur ainsi que la
dignité, parce qu'il est complexé, réduit parmi ses
camarades, malgré sa responsabilité de représentant des
étudiants dans la société.
C'est pourquoi, le choix de ce titre par Amadou Ousmane n'est
pas anodin, mais une manière pour le rapprocher, sinon de l'assimiler au
contenu du texte. Ainsi, le concept de l'honneur revêt chez lui une
dimension à la fois socioculturelle et politique. Ainsi le narrateur
nous met au courant, d'un dialogue de personnages qui oppose d'un
côté, le Colonel Workou à son chef de cabinet, Fadel
où l'on peut lire : « Fadel jura dès cet
instant-là de tout faire pour aider le colonel Workou à
récupérer son enfant perdu. »31(*)
Il est question d'un enfant perdu qui, dans la perspective du
roman met en lumière le bien fondé de l'Honneur perdu
qui apparaît comme un titre non pas surprenant, ou déconcertant,
mais clair, puisqu'il est intimement lié à l'évolution
sociale et politique, thème phare du roman.
On peut rapprocher l'Honneur perdu d'un autre roman
nigérien dont le titre s'identifie à l'histoire narrée. Le
Représentant32(*) d'Idé Oumarou se focalise sur le
personnage principal, Karim qui représente une circonscription. Celui-ci
se sert de son pouvoir pour exploiter les pauvres citoyens. Siddo en est une
illustration, car il l'a berné et exploité.
Les deux romanciers se contentent uniquement d'évoquer
les termes `'honneur'' et `'Représentant'' sans volonté d'une
quelconque explication. Ils incitent pareillement le lecteur à en
dégager lui-même la signification. Ainsi, le narrateur affirme
que «battant pour sa part tous les records de
longévité à la tête de la circonscription, le
successeur (le Représentant) de Fodé peut valablement se targuer
d'être un jeune cadre bien noté (...). Il connaît aussi,
par coeur, toutes les charges et tous les honneurs qui alourdissent, parfois,
et parfois auréolent les fonctions de Représentant. »
33(*)En effet,
l'auteur du Représentant se borne à critiquer les
travers des institutions par le biais de son personnage dont le nom
apparaît comme un titre honorifique, attribué à une haute
personnalité.
De même que le titre du roman, l'Honneur perdu
fait directement appel au contenu de l'histoire, les intitulés des
chapitres en expriment aussi une adéquation. Cela est évident
quand on considère quelques-uns, dans la mesure où ils
évoquent soit l'intrigue principale, la perte du pouvoir par les
militaires, soit les péripéties afférant à la
condition sociale des personnages, tels que Akaya et même Doudou, son
fils. En fait, '' l'officier tout terrain'' est le titre du second
chapitre dans lequel on montre le colonel Workou comme un fervent opposant
à la démocratisation de son pays. Il vise ainsi son propre son
intérêt, son honneur, au détriment de
l'intérêt général, contrairement au
Général Okala. On constate que ce titre renvoie à la
thématique développée, à laquelle il se conforme
harmonieusement. Tout le long du chapitre, on ne parle que de
lui : « Le colonel Workou (...) aime les honneurs
(...) l'argent (...) »34(*).
Dans le chapitre intitulé ''l'invitation'',
Amadou Ousmane abonde également dans le sens de la conformité du
titre au contenu, puisqu'il s'agit d'une réelle invitation à
l'issue de laquelle le colonel Workou propose à son fils une bourse
d'études au détriment du syndicalisme.
Au demeurant, il ressort que le titre d'un roman soit un
élément clé dans l'analyse de sa structure, d'où
l'intérêt porté à l Honneur perdu, qui se
singularise par sa conformité, sa cohésion avec le contenu. En
effet, le processus de démocratisation au Bamoul semble être
un fait indéniable au point où des dignitaires du régime,
à l'instar du colonel Workou s'en plaignent, parce qu'ils pensent perdre
le pouvoir, l'honneur. Amadou Ousmane vise à rendre son récit
romanesque vraisemblable. En conservant ainsi le titre il entend, à la
manière de Sembène Ousmane « rester au plus
près du réel »35(*). Chez l'auteur de L'Honneur perdu, la
proximité au réel se dégage essentiellement dans
l'harmonie du titre au contenu global de l'oeuvre, à savoir
l'avènement du multipartisme à l'issue des bouleversements
sociaux et politiques.
L'on peut également rapprocher le titre du roman qu'on
analyse aux Forces vives36(*) d'Idimama Kotoudi, écrivain
nigérien qui affirme que : « ...les forces vives
battent maintenant campagne jusque dans les plus petits villages, mon
ministère (de l'intérieur) enregistre chaque jour la naissance
d'au moins un parti politique, deux syndicats et trois associations, celui de
la justice reçoit chaque jour au moins trois plaintes contre le
gouvernement, pour violation de droits de l'homme, abus administratif,
etc. »37(*)
En effet, le roman de Kotoudi se focalise sur les actions des
forces vives, leur combat en faveur de l'Etat de droit. Donc, il y a une
adéquation entre le titre et le thème principal
développé dans l'oeuvre. C'est pourquoi, on peut
l'assimiler à l'Honneur perdu. De la même manière
que le régime de la première République du Niger a
inspiré les romanciers, l'avènement du multipartisme constitue
aussi la trame de plusieurs récits. Ils relatent ainsi cet état
de fait comme un rapport de forces entre les tenants du pouvoir et les
militants syndicaux.
Le Témoin gênant est le titre d'un autre
récit du romancier dans lequel il aborde la question judiciaire suite au
meurtre de Miki, un jeune mécanographe à la Banque Internationale
pour l'Afrique Occidentale (BIAO) qui constitue de ce fait, un
observateur importun pour El Hadj Mai Ajiya, un caissier de ladite banque.
Celui-ci est auteur d'une malversation financière et craint d'être
dénoncé par son collègue. Voilà pourquoi il le fait
tuer. Tel est le sens de ce titre.
En fait l'adéquation du titre d'un roman à son
contenu renvoie à la littéralité, son degré
d'exactitude avec l'histoire narrée. Et on peut noter en ce sens le
réalisme d'Amadou Ousmane dont l'objet est de créer une
harmonie entre le fond et la forme.
En conséquence, la dénomination de
l'Honneur perdu est pareille au résumé de l'oeuvre.
C'est pourquoi, on observe un rapport de cause à effet qui lie
intimement les personnages selon leurs actions.
I.3 Réalisme et
causalité
Le roman réaliste se distingue par sa structure qui
s'appuie principalement sur la causalité. Elle est le rapport unissant
les différentes parties ou les chapitres. En effet, ce lien n'est autre
qu'un choix narratif et descriptif émanant de l'auteur.
Fondamentalement, le romancier s'inspire de la société qu'il
s'engage à peindre dans ses réalités abstraites, tels que
les lieux et le temps, voire même concrètes, notamment les
êtres, les personnes qui sont représentées ainsi par les
personnages. C'est ainsi que l'étude de la causalité dans
l'Honneur perdu permet de dire que les actions aussi bien le statut
des personnages ne sont pas banals. Au contraire, ils permettent de voir une
certaine logique, au point où l'action posée au premier chapitre
aura comme conséquence l'action ultérieure. Ainsi, on peut
dire avec le narrateur qu': « Il (le Général Okala)
commença d'abord par démissionner de ses fonctions de
président honoraire du Parti Unique, se déchargea de son titre de
Ministre de la Défense, et ordonna à l'armée de se retirer
désormais en dehors du jeu politique. Il créa ensuite par
décret une commission nationale de concertation sur la
démocratisation. »38(*)
En effet, le passage précédent est non seulement
en harmonie avec `'l'Option'', le premier chapitre du roman dans
lequel on rapporte l'engagement du Général Okala en faveur de
l'Etat de droit. Donc sa démission ne fait que concrétiser ce
choix, mais encore les dernières pages laissent voir
l'effectivité de sa prise de position.
L'étude de la structure d'un roman réaliste
nécessite d'analyser de près la causalité. On fait
allusion ici au rapport entre les diverses parties tant dans la narration des
faits qu'au niveau de la chrono linéarité. En fait, on constate
que la causalité est un principe sur lequel se fonde le fait que tout
événement romanesque s'inscrit dans un espace précis et
ce, à un moment donné, car chaque phénomène a une
cause.
Chez Flaubert, on retrouve également cette technique
réaliste dans l'agencement des actions. Dans son roman Madame
Bovary par exemple, le suicide du personnage principal est la
conséquence des actes posés. En effet, Mme Bovary est une jeune
femme très passionnée et amoureuse de son amant au
détriment de son mari. Néanmoins, elle finit par se rendre compte
de l'impossibilité d'assouvir certains fantasmes, d'où les
remords. Le monde imaginaire et fantasmagorique qu'elle s'est
créé avec ses lectures apparaît de plus en plus comme un
horizon de chimères, qu'elle finira par abandonner, avec le suicide, qui
est la consécration de la rupture entre la réalité et ses
rêves. Une mort symbolique du héros, qui consacre l'oscillation
sans cesse entre réalisme et romantisme dans l'écriture de
Flaubert. Un peu à la façon de la mort symbolique du
Père Goriot de Balzac ou, plus près de nous, de celle
Samba Diallo de Cheick Hamidou Kane dans L'Aventure Ambiguë qui,
après maintes pérégrinations entre les deux cultures,
africaine et française, n'est plus capable de redevenir un
diallobé, de s'adapter à sa société d'origine, se
fait assassiner par le fou pour avoir refusé de prier.
Le roman réaliste se spécifie aussi au niveau de
la structure par la disposition linéaire des chapitres. Dans le fond ils
expriment une certaine causalité, une relation à même de
créer la cohérence interne, d'où les phrases, les
paragraphes, ainsi que les parties renvoient à la thématique.
A la différence de la structure externe d'une oeuvre,
relative au découpage et à la succession des chapitres, la
causalité est afférente à la structure interne puisqu'elle
lie logiquement les actions des personnages. C'est ainsi
qu' « avec l'établissement du roman de la
réalité et la définition conséquente du personnage
par la situation spatio temporelle, le principe de causalité devient une
motivation narrative majeure apte à dessiner les liaisons
antirhétoriques et assumer la parenté crédible des objets
de référence. »39(*) Partant de cette définition, nous
pouvons dire que le principe de causalité est, à priori un
élément spécifique au roman réaliste. Autrement
dit, le roman qui prône la vraisemblance des faits. En plus, on peut
affirmer que le rapport de cause à effet permet aussi d'intensifier
l'effet de réel.
Il convient également de dire que l'Honneur
perdu, à l'instar du roman balzacien se focalise sur la
causalité tant au plan spatio temporel, qu'au niveau du traitement des
personnages à travers leurs attributs. Dans l'oeuvre d'Amadou Ousmane,
on remarque que les lieux évoqués se recoupent
réciproquement, et les actions se déroulent à Magama tout
comme à Gariko, qui apparaît telle une extension du premier cadre
spatial, puisqu'il s'agit du même pays, le Bamoul.
Quand on considère les personnages, ils forment un
univers. Ses aspirations semblent divergentes, ce qui explique la contradiction
au plan organisationnel, politique et syndical. En conséquence, on
observe une certaine causalité ou le rapport de cause à effet
renforcé au regard de l'uniformité de l'histoire. C'est pourquoi,
dans l'Honneur perdu, les adjuvants et les opposants semblent
liés par un même fait. L'aspiration à un régime
multipartite fait l'objet de leur dissension.
En somme, les chapitres de l'Honneur perdu se
présentent sous la forme d'un rapport logique. La narration des faits
permet de voir l'éclatement du thème principal le long du roman.
Ainsi le processus de démocratisation du Bamoul donne lieu à la
tenue d'une éventuelle conférence nationale.
Chapitre II : Espaces fictifs et illusion
réaliste
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La représentation des lieux est déterminante
dans l'étude d'une esthétique romanesque. L'espace est en effet,
le cadre où se déplacent les personnages ainsi que leur univers
d'action. Il convient de considérer, premièrement les lieux
réels, c'est-à-dire existants et, dans un second moment, les
lieux imaginaires. Qu'il s'agisse des uns ou des autres, l'auteur essaie de les
rendre beaucoup plus subtils. Le roman réaliste se particularise par une
description abondante des lieux et espaces avec une certaine minutie en vue de
donner l'illusion du réel. Il y a lieu d'évoquer dans cette
partie les repères spatiaux qui renvoient à des espaces
réels c'est-à-dire connus ou localisables.
II.1 Espace réel et
description réaliste
En lisant l'Honneur perdu on se rend compte
que l'auteur fait référence à des lieux réels, des
villes existant dans la réalité. Il est un imitateur de Balzac
qui dans son roman le Père Goriot décrit
Paris : « Un des privilèges de Paris, c'est
qu'on peut y naître, y vivre, y mourir sans que personne fasse attention
à vous.»40(*)
En effet, l'image de Paris telle qu'on la représente est l'effet
d'un constat. Elle apparaît après les obsèques du
père Goriot pendant lesquelles deux personnages seulement y ont pris
part, à savoir Eugène de Rastignac, un étudiant et son
camarade Christophe. La peinture que fait l'auteur de Paris est empreinte
d'ironie, du sens de l'exagération et même de l'hyperbole,
à la manière de la description de la pension Vauquer, dont nous
en parlerons plus tard.
Il procède ainsi pour décrire les lieux
réels. Dans le fond il s'agit d'une ville réelle mais travestie
par l'imagination du romancier. Pour lui, elle est un lieu asocial où
les valeurs humaines se sont effondrées. A la mort du personnage, il n'y
a ni faste ni cortège funèbre, ni repas, pour paraphraser le
narrateur. Et même ses filles, la Vicomtesse Anastie de Restaud et la
Baronne de Nucingen encore moins ses gendres n'y ont assisté.
On remarque que la description d'un espace concret a pour
finalité la satire ou la critique des tares qui y prévalent. Chez
Amadou Ousmane, on note une description sommaire d'espaces réels sans
qu'il ne fasse des détails. On évoque principalement leurs noms.
Tout d'abord, on peut rappeler La Baule, ville française dans laquelle
s'est tenu un sommet qui a vu la participation du Général Okala.
Ensuite, le Canada est évoqué suite à la promesse d'une
bourse d'études par le colonel Workou à son fils Doudou.
Par ailleurs, certains romanciers privilégient la
description réaliste, parce qu'ils représentent un espace tout en
accroissant l'apparence du vrai. Ainsi, lors de la rencontre du colonel Workou
avec l'étudiant, « ils roulèrent encore
quelques minutes dans le dédale des petites rues encombrées et
sinueuses de ce quartier des Tanneurs, populeux et mal éclairé.
Puis ils s'arrêtèrent dans une sorte d'impasse, juste devant une
modeste concession où se trouvait enfin une bâtisse crasseuse, au
toit de tôle et aux murs lézardés »41(*).
Ce passage descriptif est réaliste car il met en
évidence un espace modeste, un taudis, un bidonville en l'occurrence. Il
se spécifie par ses voies assimilables aux labyrinthes, les maisons sont
également vieillissantes. Il faut dire que la fonction de la description
transparaît dès lors que l'auteur donne l'impression de voir un
univers quelconque. La densité est ainsi très forte et les
conditions de vie sont épouvantables. En conséquence,
l'évocation de l'espace réel et la description réaliste
d'un lieu fictif s'assimilent dans ce roman, car l'un et l'autre sont
vraisemblables.
On ne peut de ce fait croire leur existence réelle. Il
convient d'affirmer avec le narrateur « Figurez vous qu'ils
(les étudiants) ont l'intention de déclencher,
dès la semaine prochaine, une série de manifestations à
travers tout le pays, pour revendiquer une conférence nationale ! A
l'instar de ce qui s'est passé chez nos voisins du
sud. »42(*)
Le lieu qui ressort ici est principalement le «sud » et il
peut référer géographiquement au Bénin, pays
limitrophe du Niger qui a presque connu une expérience similaire, avec
une crise sociopolitique, qui a débouché sur une
conférence nationale, avant celle du Niger.
Ainsi, l'évolution du Bamoul, référent
textuel du Niger vers le multipartisme est un phénomène
général, puisqu'il concerne plusieurs pays. Cela tend à
intensifier l'apparence du réel. Dans le même sens, on peut
évoquer la coopération Sud/Sud, un espace réel, car les
pays du sud représentent un référent qui désigne le
Tiers-monde, l'Afrique, les Etats latino américains et une partie de
l'Asie.
En outre, la description dans L'Honneur perdu
déborde le cadre du réel. Elle n'est donc pas simplement un
décor, mais aussi un ornement esthétique propice à
l'évasion. Le romancier lui confère une fonction dans le
déroulement de l'histoire, elle devient une pause ralentissant le cours
du récit. « La mission chargée
de sillonner la sixième région, constituée d'une longue
caravane de véhicules, arriva dans un nuage de poussière, un
matin aux portes de Gariko. Elle fut reçue avec flûtes et tam-
tams, enfants des écoles et même quelques cavaliers rangés
en haie d'honneur à l'entrée de la ville selon un rite devenu
immuable... »43(*). En effet, l'intrigue principale ou
l'évolution du Bamoul vers le multipartisme n'est pas peinte selon un
tableau descriptif fixe, mais ambulatoire, car on observe un déplacement
d'un espace à un autre, de Magama, la capitale à Gariko, il y
apparaît plusieurs décors. Il semble que les personnages d'Amadou
Ousmane étaient en mouvement au regard de la séquence
descriptive. C'est ainsi qu'ils expriment leur engouement pour le
l'avènement du multipartisme.
L'évocation d'un lieu réel sous une peinture
réaliste apparaît dans le deuxième roman d'Amadou Ousmane,
le Nouveau juge, où il décrit le puits en ces
termes :
« ...au village, le puits est le principal point
de ralliement de toutes les femmes. C'est là que se colportent les
ragots les plus invraisemblables, les nouvelles les plus insensées.
C'est là que se transmettent de bouche à oreille les petits
faits et méfaits de la vie de tous les jours des petits villages. Plus
que tout lieu, le puits est dans le village un carrefour
privilégié de la communication. Il est aux femmes ce que l'arbre
à palabre est aux hommes. »44(*)
Le même type de description est faite au sujet de la
nomination du personnage principal, Ali Yobo comme président du tribunal
de première instance de Dadin Kowa. Par ailleurs, sa propre mère
a appris la nouvelle au puits, d'où la vraisemblance de la peinture du
romancier. Le lieu décrit n'est pas précis car il s'agit d'une
généralité, mais on peut admettre son caractère
réel. La description est pour l'auteur du Nouveau juge comme
une expression d'un espace réel ou réaliste,
référant donc à un milieu physique ou y renvoyant.
En somme, l'évocation de l'espace réel est
travaillée par l'imagination de l'auteur, ce qui donne lieu à une
description réaliste, le but ainsi visé est la vraisemblance.
II.2 Référents
imaginaires
D'ordinaire, le roman réaliste se particularise par la
clarté de l'histoire narrée, ses personnages beaucoup plus
proches des personnes réelles se déplaçant dans un espace.
Les référents spatiaux sont décisifs dans l'étude
d'une oeuvre, d'où l'intérêt de la description
et plus précisément les référents
imaginaires.
L'Honneur perdu est ponctué de
séquences descriptives. Ainsi, on note des tableaux d'où se
dessinent une panoplie de lieux, voire même d'espaces issus de
l'imagination d'Amadou Ousmane. Dès lors, on peut dire qu'il a
donné libre cours à sa faculté créatrice en
décrivant les espaces dans le roman. Le nom même du lieu
également exprime le romanesque. Tout d'abord, on a le Bamoul, pays
imaginaire qu'il décrit en référence au Niger, bien qu'il
n'y ait pas de rapprochement explicite dans l'oeuvre.
L'espace imaginaire est peint avec réalisme,
d'où l'illusion du réel que suscite l'Honneur perdu dans
la description des lieux malgré leur caractère fictif. Il
apparaît que le propre du romancier n'est pas d'offrir une image
réelle d'un lieu, d'un univers, mais il vise à le recréer,
d'où la notion de référent imaginaire. C'est pourquoi, la
dimension imaginative d'une description n'entache en rien son aspect
réaliste, la vraisemblance du lieu ou l'apparence qu'il a
vis-à-vis de la réalité.
En ce sens, on observe la description d'une ville en ces
termes : « Gariko, capitale régionale, et
deuxième ville du pays, métropole surpeuplée et centre
nerveux de l'économie, n'était pas le lieu idéal pour les
vacances. »45(*)
Il faut dire que le terme `'Gariko'' dérive d'abord du substantif
`'Gari'' qui désigne une ville en haoussa, langue maternelle du
romancier, ensuite le suffixe `'Ko'' peut être une
interrogation, une question signifiant « n'est-ce
pas ? » Littéralement, Gariko veut dire `' la ville,
n'est ce pas ?'' La question mérite d'être posée,
puisque la dénomination semble ambiguë non seulement chez Amadou
Ousmane qui suggère un sens, mais également le lecteur qui ne
cesse de se demander où se situe Gariko.
En effet, il s'agit d'une ville ou du reste, un
référent imaginaire tel que voulu par l'auteur, non pas pour
dérouter, mais susciter la réflexion. Donc, il invite le lecteur
à se représenter lui-même cet espace romanesque. Pour lui,
la ville de Gariko importe aussi bien que Magama dans la mesure où elle
incarne le refus de l'avènement du multipartisme à travers le
colonel Workou. C'est ainsi que les missionnaires y ont séjourné.
En conséquence, on entend rendre plausible l'implantation de la
démocratie, d'où le rôle de ce référent
spatial dans le déroulement de l'action.
Par ailleurs, la description d'un espace imaginaire est rendue
sensible aux yeux du lecteur à travers l'impression visuelle qui donne
à voir l'objet ou le cadre représenté, telle est la
conception de Jean François Marmontel, un encyclopédiste qui dit
que « si la description ne met pas son objet sous les yeux, elle
n'est ni oratoire, ni poétique, les bons historiens eux-mêmes
comme Tite Live et Tacite, ont fait des tableaux
vivants. »46(*) En effet, la description doit susciter l'illusion de
voir en rendant le cadre spatial merveilleux tout en accroissant le goût
de lire. Dans le Guide des idées littéraires d'Henri
Benac, on remarque cette même fonction de la description qui consiste
à faire voir et comprendre en stimulant l'impression de couleur et
beauté.
Dans le roman d Amadou Ousmane également, on observe
de référents imaginaires comme Gariko avec des quartiers tel que
`'le quartier des tanneurs'', `'une gare'', `'une villa d'hôtes','
où il a été prévu d'acheminer Doudou avant de
rencontrer le colonel Workou. Cependant, il choisit `'la partie basse'', un
autre quartier de Gariko dans lequel vit sa mère, Akaya. Ce choix du
jeune étudiant est une preuve d'humilité et de modestie. On
remarque ainsi le procédé du contraste hérité des
romanciers réalistes consistant à faire une peinture sociale,
satirique. Il fait non seulement ressortir la misère du'' quartier des
tanneurs'' mais également tout le confort de `'l'hôtel' et la
`'villa d'hôtes''. Ainsi l'auteur peint son espace à la
manière de Ferdinand Oyono dans le Vieux nègre et la
médaille47(*)
à travers l'image miséreuse du quartier indigène en face
de l'opulence de la résidence des Blancs.
L auteur de l'Honneur perdu confère à
la description une fonction symbolique. Donc au delà du tableau
décoratif qu'il dresse, une information y est
suggérée :
« Il se mit à pleuvoir sur Gariko. Mais
c'était une pluie fine et bienfaisante qu'accompagnait un vent
léger. Les rues étaient désertes. Seuls quelques taxis
infatigables flânaient à la recherche d'hypothétiques
clients. Les essuie-glaces de la puissante Mercedes balayaient, dans un bruit
sec et régulier, les feuilles mortes et les gouttes d'eau qui venaient
s'écraser sur le pare-brise couvert de buée. »48(*)
La fonction symbolique de la description peut être
liée à la pluie bienfaisante qui traduit la rencontre de Doudou
avec son père. D'abord, le but de cette rencontre est de l'amener
à renoncer au syndicalisme. Ensuite elle traduit la reconquête de
l'honneur pour le jeune militant car elle donne lieu à l'aveu ou la
reconnaissance de la paternité. En conséquence, la description du
lieu où se déplacent ces personnages est métaphorique. Le
décor est idéalisé. Ainsi, on a ''la puissante
Mercedes'' qui s'oppose aux `'taxis infatigables''.
Il faut dire que le descriptif dans ce roman a une fonction
narrative, puisqu' il est en rapport avec l'intrigue. L avènement du
multipartisme et de la démocratie apparaît comme un fait
plausible, parce que les deux personnages antithétiques semblent
réconciliés, le militaire Workou et le leader des
étudiants.
Par ailleurs le terme Magama qui désigne la capitale du
Bamoul fait penser à Niamey, capitale du Niger. Il revêt
également une connotation linguistique. En haoussa, il signifie un
carrefour, une sorte d'embranchement où se croisent plusieurs voies,
plusieurs personnages, plusieurs communautés. Ce référent
quoiqu'il soit imaginaire est réel en apparence vu sa position car il
est situé au coeur du pays.
D'un autre point de vue, le réalisme d'Amadou Ousmane
procède dans la représentation de faits vécus, mais peints
dans un décor exclusivement imaginaire, donc renvoyant à sa
faculté créatrice. Entre autres espaces imaginaires, on peut
citer Tambo, un point situé sur la voie Gariko- Magama. Il y a
également les plaines de Kadiago sans qu'il n'y ait une
référence précise. L'imprécision du lieu, loin
d'accroître la dimension fictive augmente cependant l'impression de voir,
grâce à la peinture réaliste.
Pour Pierre Fontanier « la description
consiste à exposer un objet aux yeux, et à le faire
connaître par le détail de toutes les circonstances les plus
intéressantes. »49(*) Il importe de dire que l'enjeu de la description
n'est pas de représenter uniquement un espace réel ou imaginaire,
mais de le peindre de manière à créer la vraisemblance.
Pour intensifier l'illusion référentielle quant au lieu
décrit, le romancier multiplie les espaces fictifs. C'est le cas de
l'université de Magama qui symbolise le paroxysme du militantisme
syndical. Elle a aussi un campus surnommé la Cinzala à cause des
conditions de vie difficiles qui transparaissent à travers la
description du narrateur.
En effet, il dit qu' « on se serre à
deux sur un lit d'une place (...). Ainsi va la vie à la Cinzala, surnom
affectueux que les étudiants avaient donné à leur jeune et
pittoresque université, par sympathie pour les nègres planteurs
de canne à sucre du Brésil, aux `'temps heureux de l
esclavage''. »50(*)
Au regard de cette peinture, on se rend
compte que le lieu est modeste et que les personnages qui y vivent
représentent une couche sociale défavorisée. Au demeurant,
la description, telle que la conçoit Amadou Ousmane, se base sur un
référent imaginaire mais exprime le réel. Dès lors,
l'espace apparaît plus visible, d'où le but décoratif et
ornemental de la description.
II.3 De la description
balzacienne
L'un des représentants de l'esthétique
réaliste est le romancier français Honoré de Balzac, connu
à travers les descriptions foisonnantes dans ses oeuvres, Il s'attache
à rendre visible les objets et les personnages qui évoluent dans
l'espace. A posteriori, l'observation de la société incombe au
romancier, puisqu'il tente d'en faire une peinture fidèle, c'est ce
qu'on entend par description balzacienne. En effet, il s'agit d'un
travestissement du réel, une représentation
déguisée en vue de susciter l'apparence de la
vérité.
Dans les Chouans51(*), Balzac offre un tableau descriptif illustratif
au regard du premier chapitre intitulé l'embuscade. Elle
est une longue peinture au travers de laquelle l'auteur expose les chouans, les
insurgés royalistes majoritairement représentés par les
paysans contre les Républicains. Le romancier offre une vue au moment de
leur déplacement.
« Du sommet de Pellerine apparaît aux yeux du
voyageur la grande vallée de Couesnon, dont l'un des points culminants
est occupé l'horizon par la ville de Fougères. Son château
domine, en haut du rocher où il est bâti, trois ou quatre routes
importantes, position qui rendaient jadis une des clés de la Bretagne...
De toutes parts, des montagnes de schistes s'élèvent en
amphithéâtres, elles déguisent leurs flancs
rougeâtres dans des forêts de chênes, et recèlent dans
leurs versants des vallons pleins de fraîcheur. »52(*)
En effet, les chouans ont quitté Fougères, qui
représente le point de départ, en traversant une région
montagnarde, avec une forêt dense, bref un lieu propice à
l'embuscade. Il semble que la description balzacienne vise
à « représenter ce qui se situe dans
l'espace. Elle est souvent introduite par des verbes de perception et se
reconnaît à la présence d'éléments visuels
(couleurs, formes, volume), des repères spatiaux, des verbes
d'état, des qualificatifs de
caractérisation. »53(*) Dans ce passage balzacien, on note en effet la
présence d'éléments visuels entre autres :
`'grande vallée'', `' l'horizon'' qui forment le
descriptif tout en accroissant la dimension, du ''voir'' ou même du
`'sentir''. Ainsi, la mise en exergue des indicateurs d'espace tels que `'Du
sommet `', `'en haut'', `'de toutes parts'', etc. crée l'illusion
réaliste, celle de voir le lieu décrit.
Nonobstant l'exposition du cadre spatial dans lequel
apparaissent d'innombrables personnages, selon un tableau descriptif
étendu, la description telle que la conçoit Balzac n'est pas
seulement synonyme de détails. En fait, elle est basée sur
l'observation du réel que l'auteur s'efforce de recréer,
d'où la vraisemblance du lieu décrit.
Quand on considère l'Honneur perdu, il est au
plan descriptif une imitation de l'auteur des Chouans, car les lieux
peints semblent être une photographie du monde réel. On remarque
dans le passage suivant son attachement au modèle descriptif
balzacien :
« Située en plein coeur de la
ville, dans un immense parc entouré de grands arbres centenaires, la
préfecture de Gariko est un vaste domaine de plusieurs centaines
d'hectares.
L'immeuble lui-même compte des dizaines de bureaux
dans lesquels travaillent quelques centaines d'employés de tous grades
et de toutes catégories : commis aux écritures, techniciens,
ouvriers, chauffeurs, manoeuvres, secrétaires-dactylos, etc.
L'endroit s'apparente à une véritable ruche
où s'affairent toutes sortes de visiteurs. » 54(*)Quand bien même, il
s'agit d'un espace fictif, Amadou Ousmane peint Gariko en suscitant
l'impression de vérité. Le cadre ainsi décrit est vaste
avec `'plusieurs centaines d'hectares''. Dans la perspective de la
description de l'extérieur du lieu, on se rend compte qu'il est
parsemé `'d'arbres géants'', il apparaît
également un immeuble où travaillent plusieurs personnes. L'objet
du romancier est non seulement d'imiter un milieu réel auquel il
rapproche l'espace décrit, c'est-à-dire la préfecture de
Gariko, mais également l'image qu'il offre est telle une
recréation d'un vrai décor.
Pour Gérard Genette : « On
sait que la rhétorique traditionnelle range la description, au
même titre que les autres figures de style, parmi les ornements du
discours : la description étendue et détaillée
apparaît ici comme une pause et une recréation dans le
récit, le rôle purement esthétique, comme celui de la
sculpture dans un édifice classique. »55(*)
A ce niveau, sémioticien Genette exprime le rôle
décoratif de la description, en ce qui concerne l'impression visuelle
consistant à faire voir et la fonction ornementale qui vise à
créer les images telle que l'hyperbole `'un immense parc'', la
comparaison :''s'apparente à une véritable
ruche'', pour donner l'impression de beauté.
Si la description est comparée à une figure de
rhétorique, c'est parce que le romancier peint l'espace en créant
un suspense, une pause qui donne une impression de beauté. Abondant dans
le même sens, on peut affirmer que « la
description correspond à une pause dans le récit : elle
interrompt le cours de la narration, et dans un récit au passé
l'imparfait remplace le passé simple. »56(*) En effet, l'emploi de
l'imparfait et le présent de l'indicatif ont la valeur d'exprimer la
simultanéité, un fait d'ordre général dans le but
de renforcer la vraisemblance. C'est ce qui ressort dans le
passage :
« Midi allait sonner à la grande horloge
de la poste centrale de Gariko. Accoudé à la fenêtre
vitrée, largement ouverte de son bureau situé au dernier
étage d'un immeuble planté comme, un joyau dans un écrin,
en plein coeur de la grande ville, le colonel Workou, préfet de la
sixième région (...) contemplait sa rutilante
Mercédès noire(...). »57(*)
Là, on insiste même sur les objets. Ainsi, il
apparaît une `'horloge'', une `' fenêtre'' et une
`'Mercédès'' en vue de les mettre en valeur. Ce qui explique
le confort du milieu vu de l'intérieur.
La description balzacienne se particularise par le fait
qu'elle est parlante, dans la mesure où elle est destinée
à faire voir, à montrer, car il la veut fidèle à
l'espace réel. D'aucuns n'ont pas hésité à
reconnaître que « La description balzacienne est
explicable, sémiotisable. »58(*) Autrement dit l'espace décrit, ainsi que
les objets apparaissent comme des signes qu'on peut décrypter. C'est le
cas de la pension Vauquer, un lieu modeste et délabré, en raison
de la misère des personnages qui y vivent, comme le père Goriot.
La misère de la pension annonce celle des pensionnaires, tout comme
celle de ces derniers est évocatrice de l'état de la pension,
lui-même résumé par le portrait succinct de Mme Vauquer
dressé par l'auteur.
Comme le dit si bien Genette quand il affirme
que « la seconde grande fonction de la description (...)
parce qu'elle s'est imposée, avec Balzac, dans la tradition du genre
romanesque, est d'ordre à la fois explicatif et symbolique : les
portraits physiques, les descriptions d'habillements et d'ameublements tendent,
chez Balzac, et ses successeurs réalistes à révéler
et en même temps la psychologie des personnages dont ils sont à la
fois signe, cause et effet. »59(*)
En effet, le portrait des personnages, aussi bien
que la peinture du mobilier, interviennent dans la description balzacienne.
Elle a deux fonctions chez G. Genette, d'une part, les objets donnent une
certaine explication de l'espace représenté en suscitant une
interprétation métaphorique. On peut l'illustrer à travers
le portrait d'un personnage : « Le colonel Workou
était assis à son bureau au fond de la salle, comme vissé
à son fauteuil, dans une attitude qui force le visiteur au respect.
Vêtu d'un boubou blanc immaculé et coiffé d'un bonnet
assorti aux couleurs du pays. »60(*)
Le portrait que donne Amadou Ousmane du personnage exprime
d'abord son statut social, la grandeur. Ensuite sa façon de s'asseoir
est symbolique. Elle force le visiteur au respect.
La description balzacienne telle qu'elle apparaît dans
l'Honneur perdu donne l'impression de voir l'espace peint et le
portrait des personnages leur confère une réalité. En
conséquence, le romancier devient le peintre du monde réel en
apparaissant comme Balzac pour avoir dressé un tableau presque
fidèle de la société de son temps. Pour
lui « décrire les lieux, l'habitat, le mobilier,
c'est déjà parler des hommes puisque leur cadre de vie est la
représentation matérielle qu'ils donnent à leur
pensée. »61(*) Il y a de ce point de vue une ressemblance entre
la représentation de l'espace et la caractérisation d'un
personnage, car ils concordent au regard du sens. L'image que l'auteur de
l'Honneur perdu offre à travers le portrait d'Akaya, la
mère de Doudou illustre la conformité du lieu à celui qui
y vit, lorsque Fadel, l'ami du colonel Workou arrive. Il la voit
« dans l'enclos, en train de donner à boire à ses
moutons, lorsqu'elle aperçut (...) Fadel, dans sa
concession. »62(*)
Au-delà du caractère imaginaire de cette
séquence descriptive, elle est réaliste, car le lieu est
vraisemblable. La modestie de l'espace coïncide avec le statut du
personnage. En effet, Akaya tout comme son mari Andilo, un agent de
sécurité est indigente. Au contraire, le colonel Workou a le
niveau de vie qui semble confortable, ce qui prouve l'illusion du prestige
dans l'espace où il vit.
En définitive, le réalisme chez Amadou Ousmane
ne se focalise pas dans la peinture d'un lieu existant. Il y a l'harmonie entre
l'homme, sinon le personnage, et son milieu. Idé Oumarou, l'auteur de
Gros plan se base sur un lieu connu pour procéder à sa
description : « Niamey. (...) le soleil,
fatigué, plonge en rougeoyant dans les profondeurs obscures de l'horizon
(...). L'air sec. »63(*)
En conséquence, la description a plusieurs fonctions
selon Gérard Genette qu'on retrouve chez Balzac et même l'auteur
de l'Honneur perdu. Ainsi elle crée non seulement la
beauté mais également explique l'espace représenté.
Chapitre III : Raconter le réel
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La narration est le fait de relater un récit, une
histoire. Le roman réaliste se spécifie au plan narratif par la
linéarité, les faits sont ainsi rapportés
chronologiquement. Quoiqu'il soit une oeuvre d'imagination, on remarque une
forte influence des faits réels car le vécu quotidien constitue
la source d'inspiration D'abord, il convient d'analyser L'honneur
perdu sous l'emprise des faits réels, plus
précisément on présentera succinctement l'économie
de ce roman et de l'histoire qui réfère à la
réalité sociale. Ensuite, on s'intéressera au
« roman miroir » ou même l'objectivité
narrative, c'est-à-dire que l'évocation des faits fictifs
rappelle dans une certaine mesure la technique narrative de Stendhal dans son
oeuvre le Rouge et le noir. Et puis, il y apparaît une
vraisemblance au regard du temps, la période à laquelle fait
allusion le narrateur et le référent temporel. On établira
de ce fait un rapport d'analogie entre la notion du temps pris dans son
acception historique et le temps narratif.
III.1 Le roman sous l'emprise
des faits réels
Pour étudier l'emprise du réel dans un roman, il
importe de rapporter succinctement les faits. Ainsi on peut faire
l'économie du récit de même que le rappel de certains faits
marquants. Ils constituent la trame du roman d'Amadou Ousmane. C'est pourquoi
il y a lieu de les mettre en rapport avec l'histoire romancée en vue de
démontrer leur coexistence.
A travers cet article de Diado Amadou, romancier et
journaliste nigérien, on se rend compte que :
« L'ancien président de la
République, le Général de corps d'Armée, Ali Saibou
est sans conteste le père de la jeune démocratie
nigérienne. Dès son accession à la magistrature
suprême le 14 Novembre 1987, il manifesta en effet la
prédisposition d'un homme acquis à la démocratie et
à l'Etat de droit. Il commença d'abord par vider les prisons de
tous les détenus politiques et n'en a pas enfermé d'autres
lui-même tout au long de son mandat.
En 1990, lorsque les syndicats, les scolaires et une
partie de la société civile insistaient pour l'instauration du
multipartisme immédiat et la convocation d'une conférence
nationale et que suivirent les événements douloureux du 9
février, le général Ali Saibou estima, en son for
intérieur qu'il devait opter pour l'instauration du multipartisme
intégral dont est issue la démocratie. »64(*)
S'agissant de l'Honneur perdu, il traduit nettement
l'influence des réalités sociopolitiques du Niger, pendant les
années 90 auxquels Diado Amadou fait justement allusion.
En effet, Amadou Ousmane y retrace les bouleversements sociaux
ayant marqué le Bamoul. On peut citer les revendications de la
société civile en faveur de l'instauration d'un régime
nouveau, la démocratie. Cette situation est rapportée en
disant :
« Ce processus d'un retour à un Etat de
droit a été précipité par la mort du
Général Seyni Kountché et l'arrivée au pouvoir du
très démocratique président Ali Saibou, avec sa politique
de décrispation qui a eu le mérite d'avoir détendu la
population et d'avoir suscité en elle l'envie toujours grandissante d'un
minimum de liberté et de démocratie. » 65(*)
En effet, la démocratie au Niger a vu le jour dans un
contexte particulier. D'abord, on note les quinze années de gouvernance
monopartite (de 1960 à 1974), ensuite le régime militaire du
Général Seyni Kountché s'en est suivi du 15 avril 1974
à l'année 1987. Puis celui d'Ali Saibou et enfin
l'avènement du multipartisme.
L'auteur s'est inspiré de ces métamorphoses
sociales pour écrire son roman, c'est pourquoi on y retrouve des faits
réels, relatifs à la crise sociopolitique. On remarque un
travestissement car ils reflètent le processus de démocratisation
au Bamoul. Ainsi le recours à un pays imaginaire tout en adaptant le
récit à l'histoire politique du Niger montre le réalisme
du romancier, de même que l'emprise des faits réels dans
l'Honneur perdu.
Par ailleurs, la caractérisation des personnages dans
l'Honneur perdu semble calquée sur la personne réelle.
Le but n'est pas de dissimuler l'influence de certaines personnalités
politiques et historiques, mais de la simuler. Ainsi, il dédie son
oeuvre au « Général Ali Saibou, pour le rôle
éminemment positif qu'il a joué dans l'avènement de la
démocratie au Niger. »66(*)
En effet, Amadou Ousmane s'intéresse aux hommes dans
leurs actions, puisqu'il part des faits vrais pour faire oeuvre d'art. Cela
montre son attachement à l'esthétique réaliste. Il raconte
donc le réel. On peut affirmer que l'auteur de l'Honneur perdu
apparaît tel un observateur de la scène politique du Niger, dans
la mesure où il en fait un tableau en exposant des faits romanesques
presque assimilables aux faits réels. En se référant
à Engels, on constate qu' « il avait plus
appris sur la société du XIXè siècle
dans Balzac que dans tous les livres des historiens, économistes et
statisticiens professionnels.»67(*) En effet, l'oeuvre romanesque de Balzac est
profondément ancrée dans la société du
XIXè en raison de la peinture des us et coutumes qui y est
faite.
Les faits dans l'Honneur perdu coïncident avec
d'autres beaucoup plus réels. C'est ce qu'on remarque dans l'ouvrage de
Soli Abdourahmane, un ancien procureur de la République du Niger
lorsqu'il dit : « Soudain, c'est le drame. L'un des
manifestants s'écroule, atteint d'une balle à la jambe. Il est
aussitôt relevé, soutenu et emporté par des camarades vers
l'arrière de ce qu'on peut considérer comme un véritable
front de bataille. »68(*) Il rapporte concrètement les
évènements du 09 février 1990 vécues par les
étudiants pour revendiquer l'avènement du multipartisme. En
conséquence, Soli Abdourahmane met l'accent sur ce qu'il appelle le
drame, la mort d'un manifestant. Quant à Amadou Ousmane, il s'inspire
des mêmes faits mais en les rendant vraisemblables, puisqu'il incrimine
la police s'agissant du même meurtre. L'un se base sur les faits tel
qu'ils apparaissent, dans leur réalité tandis que l'autre
crée la vraisemblance.
Dans une autre perspective, on dira que l'Honneur
perdu est fortement influencé par le réel. On y retrouve les
faits saillants qui ont marqué l'histoire récente de l'Afrique,
notamment celle du Niger. Pour le narrateur, la démocratie
apparaît comme un régime politique émanant de la
volonté des pays occidentaux. Et pareillement, on constate que cela
s'avère évident dans un autre article de Diado Amadou.
« ...le vent de la démocratie s'est
emparé aussitôt des pays de l'Est par la Roumanie, et a
déferlé aussitôt sur l'Afrique suite au discours de La
Baule prononcé par le président français, François
Mitterrand, à l'occasion du sommet des chefs d'Etat de France et
d'Afrique de Juin 1990.
Dans ce discours paternaliste, il appelait instamment ses
pairs africains à aller vers la démocratisation de leurs
régimes, en adoptant, le multipartisme, seul gage de l'Etat de droit et
d'élections libres, transparentes et équitables. Et pour les y
obliger, il leur signifia sans ambages, que l'aide de la France ne serait
octroyée désormais qu'aux seuls pays qui opteront pour ce
système politique. »69(*)
Par ailleurs, l'envoi des missionnaires dans des
régions, notamment Gariko prouve l'évolution du Bamoul vers le
multipartisme. L'auteur de l'Honneur perdu s'est inspiré d'un
fait vrai malgré l'aspect imaginatif du récit. En effet,
l'emprise du réel se dégage au regard de l'exactitude des preuves
fournies par l'auteur de la Conférence Nationale du Niger. Le
gouvernement de la IIè République a chargé son premier
ministre Aliou Mahamidou pour sensibiliser la population de l'avènement
du multipartisme. Sa mission a débuté lé 02 janvier 1991
et visait selon Soli Abdourahmane à informer le peuple sur la
nécessité d'assurer une transition pacifique du monopartisme vers
le multipartisme.
On constate que l'emprise des faits réels est
évidente dans l'Honneur perdu, d'où on y relate
l'histoire sociopolitique du Niger mais teintée par l'imagination
créatrice de l'auteur.
III.2 Le roman miroir ou
l'objectivité narrative
Il s'agit de prime abord d'insister sur une
des spécificités de la narration, notamment la focalisation ou le
point de vue du narrateur. En effet, elle se résume en trois formes.
Tout d'abord, on distingue la focalisation interne selon laquelle le narrateur
a une perception limitée ou subjective de l'histoire, car il fait
percevoir la scène à travers l'oeil ou les pensées d'un
personnage. Ensuite, l'énonciateur peut être le témoin des
événements lorsqu'il observe de l'extérieur les actions
des personnages. C'est ce qu'on appelle focalisation externe. Ce type de point
de vue est déterminant au sens où il paraît dominant dans
le roman qui fait l'objet de l'analyse. Il permet également de
déterminer la dimension impartiale voire même objective du
récit. Enfin, il y a lieu d'analyser l'omniscience du narrateur,
c'est-à-dire sa vision d'ensemble de l'espace aussi bien que du temps
romanesques.
Le roman est « un miroir que l'on projette le
long d'un chemin »70(*) affirme Stendhal depuis 1830, puisqu'il a le
rôle d'image dans la société. L'acception stendhalienne du
roman semble dire que l'oeuvre d'imagination exprime a priori le choix de
l'écrivain, censé tenir le miroir reflétant les
personnages. Le Rouge et le noir71(*) est un roman conçu à partir d'un
fait divers dénommé l'affaire
Berthet : « Antoine Berthet était un
séminariste, devenu précepteur, qui venait d'être
guillotiné pour avoir tiré deux coups de pistolet sur la femme
d'un notable, Mme Michoud, qui avait été sa
maîtresse. »72(*) En effet, l'auteur du Rouge et du noir
s'est inspiré d'un fait divers pour exprimer le réel au plan
narratif et même du récit. En paraphrasant Roland Barthes, on
constate que le roman se caractérise par la prédominance de la
troisième personne du singulier :''il''.
Dans l'Honneur perdu, le narrateur est omniscient,
puisque son degré de connaissance est supérieur à celui
des personnages, il maîtrise également le cadre spatio temporel
dans lequel ils se déplacent. Il affirme qu' « Ils (
les paysans ) savaient tout cela, et bien plus encore, car ils avaient vu
récemment à la télévision, un éminent
économiste expliquer que le multipartisme, autrement dit `'la nouvelle
société'' qu'on venait leur proposer sur un plateau d'argent,
était en réalité une exigence des bailleurs de fonds des
pays `'amis'' ou institutions internationales qui avaient toujours dicté
leur volonté aux dirigeants du Tiers monde, et qui maintenant,
entendaient que l'aide extérieure soit désormais liée
à la démocratie pluraliste. » 73(*)En effet,
l'énonciateur est un démiurge connaissant la volonté, les
pensées des personnages. Chez l'auteur de L'Honneur perdu, la
narration est une façon de raconter le réel, des faits vrais tel
que le néocolonialisme, le fait que l'Occident impose la
démocratie aux Etats africains sous peine de refuser l'aide
extérieure.
La narration permet de voir un discours romanesque
transposé, c'est-à-dire que le style est indirect
puisque « les paroles ou les actions du personnage
sont rapportées par un narrateur qui les présente selon son
interprétation (+ ou - distant) ».74(*) Le narrateur dans le
roman d'Amadou Ousmane est omniscient, parce qu'il ne donne pas au personnage
la latitude de s'exprimer, il prend lui en charge lui-même le fait de
raconter. Les faits sont en fait narrés avec réalisme. Autrement
dit, ils ne sont pas idéalisés.
En revanche, l'Honneur perdu semble refléter
à la fois l'être fictif dans ses actions et son
intériorité. De ce fait la conscience du personnage, ses
pensées et états d'âme font l'objet de
représentation au point de susciter la vraisemblance, d'où
l'objectivité narrative. De même, le Rouge et le
noir est vu comme un `'roman psychologique'', car on observe
l'évolution de la psychologie des personnages tels que Julien Sorel et
Mme de Rênal. « Dans le Rouge te le noir, Julien
Sorel fait l'objet d'une étude approfondie. Ambition, amour,
passé, tout est analysé. Le lecteur suit avec un
intérêt croissant les méandres de sa pensée, qui
conditionnent ses actions. Mathilde de la Mole et Madame de Rênal ne sont
pas en reste. Leur amour pour Julien, égal l'un à l'autre, sont
mis en perspective. Tout le monde est mis à nu sous la plume de
Stendhal. »75(*)
Ce roman est non seulement une chronique de la
société française du XIXè siècle qui tente
de restaurer la monarchie au détriment de la bourgeoisie, mais
également, il exprime une certaine crise de la conscience due à
l'ennui. Le héros stendhalien tente ainsi de se libérer. Julien
Sorel tout comme Doudou Workou sont animés de passion, d'énergie
et d'ambition.
Gérard Genette a répertorié
« cinq fonctions qui exposent le degré d'intervention
d'un narrateur au sein de son récit, selon son impersonnalité ou
l'implication voulue.»76(*) On a la fonction narrative qui représente
la fonction de base, dans la mesure où tout récit, qu'il soit
à narrateur absent ou non dans le texte, assume le rôle
d'impersonnalité.
Dans l'Honneur perdu, l'auteur a ainsi confié
l'histoire à un narrateur hétérodiégétique,
puisqu'il est absent du récit, mais rapporte les paroles et actions des
personnages. On y retrouve également la fonction testimoniale par
laquelle le narrateur atteste la vérité de son histoire, le
degré de précision de sa narration. «
...partout à travers le monde les régimes autocratiques sont en
train de s'effacer pour laisser s'éclore les
libertés. »77(*) Pour l'énonciateur, le processus de
démocratisation du Bamoul est un fait presque évident qui
concerne tous les pays, d'où il veut attester la véracité
de l'histoire qu'il raconte.
Quant à la fonction idéologique de la narration,
elle consiste selon Genette à interrompre l'histoire en vue d'apporter
un propos didactique. C'est ainsi que le narrateur entend que le progrès
d'un pays est indéniable si les citoyens ne sont pas intègres et
patriotes à l'image du Général Okala.
Au regard de l'analyse, le discours narratif dans l'oeuvre
d'Amadou Ousmane tend vers l'objectivité. Ce qui s'explique par le choix
du narrateur qui tente de raconter les faits tout en restant impartial.
L'emploi du `'il `' et l'omniscience dont il fait montre sont donc
illustratifs.
III.3 Temps historique et
temps narratif
La notion de temporalité est liée au concept du
roman, puisqu'on y raconte des faits supposés se passer dans un cadre
spatio temporel avec un narrateur prenant en charge l'histoire. Par
définition :
« ...la temporalité narrative se
présente sous deux faces indissolublement liées. D'un
côté, le temps narratif est déterminé par la nature
linéaire du signifiant linguistique...les romanciers sont tributaires de
la nature consécutive du langage: ainsi, c'est très
progressivement que le lecteur voit apparaître devant l'oeil de son
esprit les lieux et les personnages du roman dont il tourne les pages une
à une. Telle est la première face du temps narratif: c'est le
temps du récit (tR), déterminé par la succession
des mots sur la page. Ce temps racontant se repère par le
décompte d'unités de texte: nombre de lignes, de pages, de
chapitres, etc.
L'autre face de la temporalité narrative, c'est le
temps raconté. Les pages, les chapitres du roman défilent: un
monde fictif se constitue progressivement, avec ses décors, ses
personnages et sa chronologie. Pas plus que nous, les personnages de roman
n'échappent au temps: ils profitent des jours qui passent, vieillissent
et se souviennent. C'est là le temps de l'histoire (tH), un
temps calendaire fictif, qui se mesure en heures, jours, mois et
années. ».78(*)
En effet, le temps narratif est à l'image du
temps historique insaisissable, toutefois on peut tenter de les
déterminer dans l'oeuvre qui fait l'objet de cette analyse. Dans cette
perspective, on peut interpréter l'expression du temps qui s'y
dégage, notamment l'évolution des événements dans
l'histoire. En étudiant le temps narratif, on vise à
déterminer le moment pendant lequel le narrateur intervient pour faire
part de son récit. L'étude du temps dans l'Honneur perdu
n'est pas un fait exclusif au contraire elle renvoie à l'histoire, donc
il incombe de mettre en valeur l'époque évoquée.
De prime abord, on peut noter la situation initiale que
rapporte ainsi le narrateur :
« Midi allait sonner à (...)
Gariko. Dans quelques instants, il (le colonel Workou) ira lui-même
chercher Karim, le petit fils de six ans (...). En jetant un regard
rétrospectif sur son passé, il réalisa soudain combien sa
vie a été riche (...) depuis tant d'années (...) devenu
colonel en l'espace de vingt cinq ans, puis Ministre (...) aujourd'hui,
préfet rêve d'une vie meilleure. ».79(*)
En effet, l'ouverture de l'Honneur perdu est le lieu
où l'énonciateur présente le colonel Workou tel un
personnage dans un temps relativement long. Au plan narratif, le retour en
arrière permet de mettre en évidence les vingt cinq années
d'existence, pendant lesquelles cet être fictif acquiert plusieurs
statuts : celui de ministre et de préfet. Amadou Ousmane donne
l'impression que son personnage évolue, à l'instar d'une personne
réelle dans un temps, une période donnée. Pour lui, le
temps à la fois historique et romanesque semble insaisissable, puisqu'on
ne peut en attribuer une valeur concrète. C'est pourquoi il emprunte des
expressions temporelles plus ou moins vagues telles que `'Midi'', quelques
instants'', `'tant d'années'' auxquelles s'ajoutent des
références historiques. Entre autres expressions temporelles, on
peut énumérer d'abord l'âge du petit fils du colonel qui
est six ans, ensuite la récurrence de cette notion temporelle,'' vingt
cinq ans''. Ce nombre revêt une double connotation dans le roman, tant
narrative qu'historique, au sens où le récit s'étale sur
une telle durée. Mais également, les faits romanesques sont un
condensé des vingt cinq années qui représentent
l'âge d'un des personnages principaux, Doudou.
En effet, temps narratif et temps historique se fusionnent,
s'influencent mutuellement. Si l'auteur procède ainsi, c'est parce qu'il
entend exprimer le réel dans l'Honneur perdu.
On peut admettre avec Tzvetan Todorov
que : « le temps du récit, où s'exprime
le rapport entre le temps de l'histoire et celui du discours, les aspects du
récit, ou la manière dont l'histoire est perçue par le
narrateur, et les modes du récit, qui dépendent du type de
discours utilisé par le narrateur pour faire connaître
l'histoire. »80(*) Il ressort que le récit a pour temps
dominants : le passé simple, le passé composé et
parfois même le présent de l'indicatif selon lesquels le narrateur
exprime la coexistence de l'histoire narrée avec la
réalité.
Dans la terminologie de Todorov, le temps du récit ou
discours est plausible en ce qu'il renvoie à l'histoire, au temps dans
son acception réelle. Par conséquent, la narration est une
tentative d'explication des faits vécus et historiques apparaissant dans
une chronologie.
Par ailleurs, l'auteur de l'Honneur perdu dresse
l'histoire d'une époque à laquelle il a appartenu, le
récit d'une ère qu'il a vécu. Son roman rappelle
probablement la décennie 90, une époque où l'Afrique
traverse des mutations sociale et politique, en prélude à la
démocratisation du continent. La narration exprime en fait le choix
narratif du romancier hérité de l'école réaliste
qui se distingue dans la représentation des faits réels donc
vécus. Dans Quinze ans, ça suffit ! , il explore le
passé politique du Niger, plus précisément le temps du
parti unique ayant suivi les indépendances des Etats subsahariens
Malgré la proximité du temps narratif et du
temps historique dans l'Honneur perdu, on peut dégager une
différence notoire selon le narratologue Todorov qui pense
que : « le temps du discours est (...) un temps
linéaire alors que le temps de l'histoire est
pluridimensionnel. » Le temps narratif ou du discours est du
linéaire, parce que les actions des personnages sont agencées
suivant le déroulement des événements dans l'oeuvre.
D'un autre point de vue, le roman d'Amadou Ousmane
récapitule dans le prologue même la situation initiale et le
dénouement, ainsi le narrateur y raconte sommairement les faits
saillants de l'histoire. En amont, le retour du général Okala de
La Baule a pour cause le paroxysme de la crise sociopolitique au Bamoul et en
aval, l'assassinat de Doudou en est rapporté, représentant de ce
fait la trame du récit. Ce meurtre a provoqué la tenue d'une
conférence nationale et in fine l'instauration de la démocratie
qui correspond au dénouement dans le roman d'Amadou Ousmane. La
narration est donc un enchaînement d'actions liées à
l'intrigue principale tout aussi que les actions secondaires. Deux histoires
sont ainsi relatées par le narrateur, nonobstant le processus de
démocratisation du Bamoul. On narre cependant la vie de deux personnages
tels que le colonel Workou et Doudou. Ces histoires secondaires ou
péripéties occupent une place de choix. On affirme
que « Doudou redoutait le scandale que pourrait provoquer
sur le campus la visite de ce père tardif. »81(*) Le narrateur fait
allusion à une référence temporelle à valeur
historique, les vint cinq années qu'on évoque avec
récurrence correspondent à l'âge de Doudou. Le deux temps
coïncident donc dans la logique du romancier.
Par ailleurs, il importe de mettre l'accent sur l'expression
du temps de la fiction voire même de l'histoire, puisqu'il s'agit d'une
durée quantifiable, mesurable. On peut admettre que
« le temps de la fiction s'évalue en jour, mois,
année. C'est le temps global sur lequel se déroule
l'histoire. »82(*) En se référant à l'Honneur
perdu le narrateur rapporte des propos à l'intention du
général Okala : « Depuis plus de trente
ans, j'ai tout accepté venant de toi. » 83(*)Quand on replace ces propos
dans leur contexte on s'aperçoit que le reproche du personnage principal
à l'endroit du colonel prouve que celui-ci a freiné le processus
démocratique depuis trente ans, probablement depuis les années
60.
Chez Amadou Ousmane comme beaucoup d'autres romanciers
nigériens, le temps historique, notamment l'année 1960 constitue
un repère, même s'il ne l'exprime clairement. L'histoire
narrée se déroule peu ou prou pendant la troisième
décennie suivant les indépendances en Afrique noire et
spécifiquement les faits tels qu'ils se présentent dans l'oeuvre
réfèrent à l'évolution socio politique du Niger. Le
temps du discours acquiert ici un sens pluriel, multidimensionnel comme
l'histoire.
Dans le passage suivant, on peut déclarer avec le
narrateur : « ... l'affreuse machine, dont le moteur
semblait tourner à l'huile d'arachide, démarra telle une vieille
locomotive, en direction de la Cinzala... » 84(*)Bien qu'il soit question des
inconvénients de la crise socio politique au Bamoul, en l'occurrence la
vétusté du parc automobile de l'université, on rappelle la
Cinzala, un lieu afférant à la traite négrière au
XVIIè s. Pour le romancier la représentation du temps
réel vise la vraisemblance au niveau du temps de la narration :
« Le temps de la narration est la place et le
temps accordés aux événements dans le roman.»
85(*)En effet les
faits romanesques sont rapportés dans l'ordre de leur exécution,
de façon linéaire. L'Honneur perdu est une oeuvre dans
laquelle l'auteur privilégie la concision au niveau de la narration.
C'est ce qui explique la succession logique des faits. Tout de même la
narration y est ultérieure, l'énonciateur raconte les actions des
personnages dans un passé plus ou moins proche. Selon G. Genette, la
particularité de ce type de narration est qu'il met en exergue
l'expression temps narratif et temps historique. Ainsi le fait de narrer
renvoie à la période de démocratisation au Bamoul,
à un temps réel, puisque les faits évoqués
expriment le vécu :
« Il (le Général Okala)
avait inauguré, quelques mois (...) plus tôt, un nouveau mandat de
cinq ans, en faisant devant son peuple le sermon solennel de
`'préserver, à tout prix, les libertés individuelles de
chaque citoyen''. Il avait promis à tous et à toutes, une
nouvelle ère de justice et de liberté. Il avait vidé les
prisons de la plupart de leurs détenus,'' afin que les bras valides
puissent servir l'Agriculture''... »86(*)
En effet, on a l'impression que le narrateur relate une
histoire vraie, vue l'évocation insistante de certaines expressions de
temps. Mais en plus il tente de convaincre le lecteur de la
véracité des faits sinon de leur vraisemblance. Les
repères temporels permettent de replacer les faits dans un passé
approximativement récent sinon un dans une perspective future. Ainsi, on
a des notions telles que : « quelques mois plus
tôt », « cinq ans » ou « une
nouvelle ère », ces expressions de temps vise à
assimiler la narration et l'histoire. La spécificité se
dégage au regard de la séquence narrative ci-dessus en qu'elle
allie narration ultérieure et intercalée, au point où on
raconte des faits passés tout en anticipant dans le futur. Au regard de
cette analepse, Amadou Ousmane entend raconter le réel, l'exprimer
à travers la vraisemblance.
Par ailleurs, on peut déclarer à l'instar de
Jean Ricardou que « ...toute oeuvre romanesque n'est pas
indépendante de la narration qui l'instaure, alors sa temporalité
doit être observée aux niveaux distincts qui déterminent
respectivement le temps de la narration et le temps de la fiction. »
87(*) La
narration est de son point de vue indissociable du roman, en conséquence
le temps de la narration et le temps de la fiction concourent à
celle-ci. La durée pendant laquelle se déroule les
événements dans l'Honneur perdu et le'' temps global
`'de l'histoire sont une façon de raconter le réel, de susciter
l'illusion référentielle. Il importe d'étudier l'instance
narrative, c'est à dire l'articulation entre la voix narrative ou le
narrateur et le temps de la narration, c'est à dire le moment où
on raconte la fiction par rapport à l'histoire. Ainsi
l'interprétation de l'instance narrative dans ce roman permet de
comprendre la relation entre celui qui parle et l'histoire, en l'occurrence
l'avènement de la démocratie au Niger. Dans ce cadre,
Gérard Genette affirme qu' « On distinguera (...)
deux types de récits : l'un à narrateur absent de l'histoire
qu'il raconte et l'autre à narrateur présent de l'histoire qu'il
raconte. (...) Je nomme le premier type pour des raisons évidentes,
hétérodiégétique, et le second
homodiégétique »88(*). Principalement on distingue trois types de
récits suivant la position du narrateur dans un roman. D'abord, la
focalisation interne, ensuite la focalisation externe et puis celle dite
zéro. Ainsi le sémioticien français Denis Bertrand affirme
que :
« Dans le discours narratif, le point de vue
indique les modes de présence du narrateur. Conjurant la
polysémie de la notion et utilisant le terme de focalisation dans ce
contexte, Gérard Genette propose de distinguer
la « focalisation zéro » (c'est le cas du
narrateur omniscient, qui contrôle l'ensemble de la scène
narrative en sait plus que ses personnages, et entre dans leur
intériorité), la « focalisation
interne » (lorsque le narrateur s'efface derrière ses
personnages, leur délègue en charge du récit et n'en sait
pas plus qu'eux), la « focalisation externe » lorsque le
narrateur s'installe à l'extérieur du récit et ne donne
à connaître que ce que cette position du dehors
autorise) »89(*).
Quant au premier type de focalisation, il renvoie à un
énonciateur ayant une perception limitée ou subjective de
l'histoire, car il fait percevoir la scène à travers l'oeil ou
les pensées d'un personnage. Dans le second il peut être le
témoin des événements lorsqu'il observe de
l'extérieur les actions des personnages. Ce type de point de vue est
déterminant au sens où il paraît dominant dans le roman qui
fait l'objet de l'analyse. Il permet également de déterminer la
dimension impartiale voire même objective du récit. Enfin, il y a
lieu d'analyser l'omniscience du narrateur, c'est-à-dire sa vision
d'ensemble de l'espace aussi bien que du temps romanesques.
Dans l'oeuvre d'Amadou Ousmane, il semble que le
narrateur est hétérodiégétique, puisqu'il s'efface
de l'histoire qu'il raconte, cela implique la tendance objective de l'auteur.
Il convient également de dire que la focalisation zéro y abonde,
ce qui revient à dire que le narrateur sait plus que ses personnages,
parce qu'il connaît leurs pensées, faits et gestes. On le remarque
dans ce passage : « Déçu le colonel
Workou déposa alors le téléphone quelques instants plus
tard, après avoir murmuré les salutations usuelles et se laissa
choir sur son lit, sans se préoccuper du `'chapelet `' de visiteurs qui
l'attendaient impatiemment au salon. » 90(*)Ici le narrateur suggère
que le processus démocratique est un fait voire un
phénomène qui influence la psychologie des personnages, notamment
le colonel Workou. Ils expriment certains faits, corrobore et confirme cette
caractéristique de l'omniscience propre au narrateur `'démiurge''
qui sait tout des personnages. Entre autres participes passés ou
expressions traduisant cette l'omniscience, on peut énumérer
''déçu'', `'murmuré'', `'salutations
usuelles'' et concernant les autres personnages, ils se montrent
impatients''.
Si le temps de la narration concerne la relation qu'instaure
l'énonciateur entre le récit et l'histoire, on peut dès
lors déterminer sa position dans le temps. Excepté, le sommaire
qu'on observe dans le prologue à travers lequel est
récapitulé tout le récit, il y a un ordre. D'une part, Il
s'agit précisément des bouleversements sociaux au Bamoul ayant
dégénéré en un affrontement qui se s'est
soldé par un meurtre. Et d'autre part, « l'ordre est le
rapport entre la succession des événements dans l'histoire et
leur disposition dans le récit. 91(*)» C'est ainsi que le
narrateur présente les faits dans L'Honneur perdu avec ordre,
tels qu'ils se sont passés. Dans les premières pages du roman,
on évoque une déclaration annonçant le
multipartisme : « La décision (...) d'engager son
pays dans la voie du multipartisme et de la démocratie (...) apparut
bien comme une entreprise de liquidation de tout ce que l'armée avait
fait depuis tant d'années. » 92(*)Par le passé le
narrateur affirme que les militaires ont gouverné le Bamoul, d'où
leur refus de céder le pouvoir pour l'avènement de la
démocratie. Au niveau narratif, ce refus est un fait romanesque
engendrant la scission au sein de la classe politique et la crise sociale.
En outre l'étude du temps narratif et du temps
historique permet de mettre en évidence la vitesse narrative. Il
convient d'établir un rapport entre les deux conceptions temporelles.
Dans la terminologie de Genette le sommaire se définit
lorsque : « l'histoire événementielle est
résumée dans le récit, ce qui procure un effet
d'accélération. » 93(*)Un tel procédé narratologique consiste
à inscrire le récit dans la même perspective que l'histoire
événementielle, contingente, mais également le sommaire
offre le récapitulatif. L'usage qu'en fait Amadou Ousmane donne
l'impression que les faits se passent dans un temps limité.
« Pour le colonel Workou et beaucoup de ses compagnons, en effet,
le multipartisme ne peut engendrer agitations et instabilité dans le
pays. »94(*)
On observe le condensé de l'histoire à travers
l'intrigue principale, le processus de démocratisation au Niger. Au
niveau du récit, la vitesse narrative dans le roman dépasse
largement les faits historiques dans leur évolution. Ainsi l'histoire
qui constitue la trame de l'Honneur perdu s'étale sur plusieurs
années alors qu'elle est racontée en quelques phrases. Certaines
séquences de ce roman font penser à la scène qui se
caractérise par une équivalence entre le temps du récit et
le temps de l'histoire. On la remarque au niveau du dialogue des
personnages :
« (...) Vous êtes bien Doudou,
étudiant à l'université de Magama ?
- Oui
- (...) Je suis l'inspecteur de police à la
Direction des Renseignements Généraux (...). Il y a maintenant
plus de dix jours que je suis sur vos traces (...) ».95(*)
En effet il y apparaît une coïncidence entre le
temps de la narration et le temps de l'histoire, d'où la scène
ressemble à un suspens. En conséquence, l'étude du temps
narratif aussi bien que celle du temps historique a permis de comprendre que le
narrateur raconte le réel. Le récit exprime le vécu
quotidien, les faits réels prédominent. Les repères
temporels renvoient généralement à des indicateurs de
temps tels que `'aujourd'hui'', `'cinquante deux ans'', `'deux
semaines'', etc. Ils sont teintés par l'imagination du romancier
malgré le recours à l'Histoire. On remarque également la
présence du narrateur hétérodiégétique car
il observe les faits comme le témoin de l'histoire.
Chapitre IV : Personne réelle et
personnage romanesque
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Le roman réaliste semble refléter la
société à travers la représentation qu'il en fait,
d'où il met en évidence des personnages, des êtres fictifs
calqués sur la personne réelle. Le roman est en fait une forme
littéraire dans laquelle interviennent directement des personnages
crées par l'auteur qui les fait mouvoir selon la logique actancielle de
son texte. L'être fictif est vu dans l'Honneur perdu comme le
reflet d'une société, il y est ancré profondément.
Quant au dialogue des personnages, il est l'expression d'une identité,
puisque chaque personnage parle en harmonie avec ses réalités
socioculturelles. Par conséquent, on observe une évolution de sa
psychologie, d'où l'intérêt d'en faire une étude.
IV.1 Le personnage :
reflet d'une société
Le personnage est selon la formule d'Henri
Benac « Une personne fictive dans une oeuvre
littéraire, cinématographique ou
théâtrale. »96(*) La notion du personnage est, en effet
liée de façon intime à celle de la personne réelle,
parce que l'être fictif est un certain travestissement de l'humain,
vivant et existant dans la réalité quotidienne. Le romancier
crée les personnages en fonction d'un dessein esthétique, un
idéal ou même sa vision du monde, donc il peut lui conférer
une réalité qui apparaît tant au niveau des traits
physiques que moraux. Dans le Père Goriot, Balzac affirme
que :
« Madame Vauquer née de Conflans,
est une vieille femme qui, depuis quarante ans tient à Paris une pension
bourgeoise établie rue Neuve Sainte- Marceau. Cette pension, connue sous
le nom de pension Vauquer admet également des hommes et des femmes, des
jeunes gens et des vieillards, sans que jamais la médisance ait
attaqué les moeurs de ce respectable
établissement. »97(*)
Balzac campe ses personnages dans un espace vraisemblable. Par
conséquent, on observe ainsi une symbiose entre le cadre social
décrit et ceux qui sont peints, leur psychologie révèle
les moeurs et par delà, elle reflète un milieu que les tares de
la société mondaine comme le snobisme et l'hypocrisie n'ont pas
affecté.
Amadou Ousmane est pareil à un observateur de la
société et des individus qui la composent. Il procède par
analogie dans le traitement de ses personnages. En effet, l'Honneur
perdu est une oeuvre peuplée des êtres fictifs et imaginaires
sans pour autant perdre de vue l'apparence du réel qu'ils suscitent.
Ainsi, les personnages qui en transparaissent ont des référents
dans la société, car elle est la première source
d'inspiration du romancier, de même leur dénomination
révèle une origine sociale. On peut dire que le personnage dans
le roman d'Amadou Ousmane a pour référent l'être humain se
situant, d'ordinaire dans la société. Le Général
Okala est, en fait, le personnage principal, puisqu'il est au centre de
l'histoire, d'une part, il renvoie à une catégorie sociale,
l'armée, et d'autre part, le titre du général exprime un
niveau dans la hiérarchie militaire. Dans le roman, il est
représenté avec réalisme, en ce sens que ses traits
physiques ainsi que son portrait moral rappellent une personne réelle.
C'est ainsi que le Général Okala est en quelque sorte le portrait
du Général Ali Saibou. L'on peut également affirmer que le
choix du général, en tant que chef d'Etat, est une manière
d'insinuer l'illusion référentielle. Même s'il est une
personnalité, président de la IIè République du
Niger, sa vision du monde s'assimile à celle du personnage. Le fait de
camper un personnage dans un cadre social notamment conforme à son
statut, prouve, non seulement que l'auteur veut lui donner une certaine
identité, mais aussi un rôle actanciel défini. Par
ailleurs, il semble que les relations privilégiées entre Amadou
Ousmane et le référent réel du Général
Okala, le Général Ali Saibou, l'ont conduit à en faire une
bienveillante peinture. Il ressort que l'auteur de l'Honneur perdu
n'entend pas critiquer l'armée. Au contraire, il la loue afin de montrer
le rôle qu'elle a joué dans l'avènement de la
démocratie. Tel est le sens de la représentation qu'il fait du
Général Okala. Ce personnage romanesque rappelle très
profondément le Général Ali Saibou, qui a
présidé aux destinées de la II è République
du Niger de 1987 à 1993. Le portrait moral permet de voir que son
rôle dans l'avènement de la démocratie a été
déterminant, puisqu'il a suscité un éveil de conscience,
tout en incarnant la décrispation. Cette détente a permis
à ses concitoyens de se manifester pour exprimer leur liberté.
Son esprit consciencieux et intègre fait de lui un brave. Il se
préoccupe aussi du bien-être de ses semblables. Pour le
narrateur : « L'heureux père de douze enfants
qu'il est, avait du mal à comprendre comment on avait pu arriver
là, dans un pays où l'enfant représente tout de
même la plus grande richesse de
l'homme ... »98(*) En effet, il exprime sa compassion lors d'un
décès, cela traduit un humanisme, le respect de la personne
humaine. Dire que l'enfant est la'' la grande richesse humaine'',
fait allusion à la place que lui confère la société
africaine, par conséquent Amadou Ousmane porte les marques de son
milieu. L'Afrique traditionnelle est célèbre dans la
préservation des valeurs sociales telles que l'hospitalité, la
solidarité et l'entraide, autant de valeurs qu'incarnent les personnages
qu'il met en scène.
Il ressort que la frontière entre la personne
réelle et le personnage romanesque est très étroite, pour
le fait que l'être fictif est l'expression des coutumes et valeurs qui
dominent dans la société où il est
caractérisé. Notre romancier entend associer l'imaginaire au
réel, le personnage à la personne.
Néanmoins, on trouve rarement l'onomastique, dans
l'oeuvre d'Amadou Ousmane. C'est un mot d'étymologie grecque, il
dérive en effet, du terme onoma qui veut dire nom. Ainsi
l'onomastique « est la science qui étudie les noms
propres. »99(*) Un tel procédé permet au
romancier d'emprunter un mot de la langue maternelle pour qualifier un
personnage en vue de faire couleur locale. Il consiste donc à le camper
dans un milieu social précis.
André Salifou en use dans son roman, Tels
pères, tels fils100(*), parce qu'il nomme les personnages en leur
donnant une connotation socioculturelle. En effet, l'exemple du personnage
'`Kasko'' est une illustration, car le nom est issu de la langue haoussa et
désigne le tesson ou le débris de poterie. On a en plus un autre
personnage nommé `'Alatoumi'', signifiant en zarma un orphelin. Dans
l'un comme dans l'autre cas, la dénomination de ces personnages
réfère à leur milieu d'origine, le Niger. Les langues
haoussa et zarma sont dominantes à Bakin-Dawa, d'où l'auteur met
en scène une société marquée par les coutumes
ancestrales. C'est ainsi que le nom des personnages l'atteste.
Par ailleurs, on remarque que le nom des personnages dans
l'Honneur perdu n'a pas un sens en rapport avec le milieu d'origine.
On a par exemple le colonel Workou. Dans la mesure où l'appellation du
personnage est indépendante de son contexte social, l'on peut dire que
la personne fictive est, pour l'auteur de l'Honneur perdu accessoire,
l'important est le rôle qu'elle joue dans l'oeuvre. En fait, les
attributs du colonel Workou nous permettent cependant d'affirmer qu'il est
l'incarnation d'un certain type sociopolitique réel, car il symbolise la
passion et l'appétit du pouvoir. Il se caractérise par son
comportement démesuré. Les basses moeurs font de lui un
anti-héros refusant le processus démocratique. Et tout un
paragraphe est consacré au portrait de sa personnalité. Le
narrateur affirme : « Quel destin extraordinaire, en
effet, que celui de ce jeune maître d'école engagé comme
volontaire dans l'armée coloniale, devenu colonel en l'espace de vingt
cinq ans de carrière, puis ministre à la faveur d'un coup d'Etat,
et qui aujourd'hui, préfet, rêve encore d'une vie meilleure.
»101(*)
On observe ainsi que le colonel Workou est le reflet d'une
classe politique hantée par le désir ou l'ambition de gravir les
échelons de la société, puisqu'il recherche le bonheur,
à travers l'ascension sociale. Il surenchérit à propos du
colonel Workou en disant : « (...). Ce haut personnage
que les mauvaises langues nombreuses dans le pays, ont souvent vanté
publiquement d'être l'instigateur et le vrai cerveau du putsch militaire
qui avait renversé le régime civil quelques années plus
tôt ».102(*) L'auteur dénonce et condamne le coup d'Etat
comme une manoeuvre vile et abjecte, vue ses conséquences
néfastes, telle que la compromission de l'ordre social. Faut-il voir
là le caractère insaisissable d'un auteur ou l'évolution
de sa mentalité, lorsqu'il qu'il présente le coup d'Etat du
Général Wata comme salvateur dans Quinze ans, ça
suffit ! « Dans les rues, les manifestants par
milliers, défilaient aux cris de :'` vive l'armée !''
Abas le parti ! Quinze ans, ça suffit ! »103(*). A la différence
du colonel Workou, le général Wata semble annoncer une
époque nouvelle, un renouveau. Bref, il suscite un engouement, une
euphorie dans le rang du peuple. Il est un personnage marginal et ses
propres alliés le suspectent :
« Ses adversaires, nombreux dans l'Armée
avaient bien sûr, une autre version des faits. Par exemple, il aurait
tiré de sang froid sur les civils sans défense la nuit du coup
d'Etat, et aurait même pillé par la suite les coffres du palais.
Ce qui, à les croire serait à l'origine de sa fabuleuse
fortune. »104(*)
Le romancier entend défendre les opprimés, car
ils sont victimes pendant les conflits ou les tensions sociales, même
s'ils sont innocents. Nonobstant la dénonciation des travers de
l'armée du fait de sa brutalité, on peut dégager un autre
trait qui fait du colonel Workou un type social. Il représente en effet,
les arrivistes. La caractérisation des personnages dans ce roman a pour
but de les rapprocher de la réalité en les fixant dans un cadre
social déterminé. L'auteur critique ici une classe sociale, il
fustige le personnage du tyran, du dictateur qui est un usurpateur du pouvoir
et l'exerce arbitrairement. Concernant les romanciers, d'aucuns affirment
que :
« Les personnages qu'ils inventent ne sont
nullement créés, si la création consiste à faire
quelque chose de rien, nos prétendues créatures sont
formées d'éléments pris au réel, nous combinons
avec plus ou moins d'adresse, ce que nous fournissent l'observation des autres
hommes et la connaissance que nous avons de nous-mêmes. Les héros
de romans naissent du mariage que le romancier contracte avec la
réalité. » 105(*)
On s'aperçoit que le critique Goldenstein nie
le caractère fictif du personnage, parce qu'il provient de l'observation
du réel, il est le miroir qui reflète la personne humaine.
Le personnage est, au regard du romancier, le miroitement de
la personne réelle évoluant dans une société.
Doudou Workou incarne l'image du héros, le vaillant qui sacrifie sa vie
pour que subsistent les autres. Rappelons que Doudou est le secrétaire
général de l'union nationale des étudiants à
l'image du personnage de Sembène Ousmane, dans Les Bouts de bois de
Dieu106(*) qui
porte le même nom et a le même statut. A travers ce personnage,
Amadou Ousmane nous fixe dans une époque précise, les
années 90, qui marquent le paroxysme des luttes syndicales au Niger. On
note ainsi les victimes du 09 février de la même année,
à savoir les trois étudiants qui ont rendu l'âme au cours
d'une manifestation pour l'enracinement d'un régime multipartite. Il
importe de dire que le romancier tente de nous convaincre lorsqu'il fait parler
un personnage exaltant le sens de l'honneur de Doudou :
« Je sais même ce qui s'est passé
entre le colonel Workou et vous et je sais que vous avez refusé tout ce
qu'il vous a proposé, y compris la promesse d'une bourse d'études
au Canada (...) Vraiment je vous félicite pour avoir su rester digne, en
refusant de laisser acheter ainsi votre conscience de
militant. »107(*)
Le portrait moral de Doudou atteste une
sagesse : le respect des valeurs qui spécifient un bon leader,
convaincu de sa mission, il se reconnaît à travers le groupe
social qu'il dirige, et vice versa. Les propos qui suivent
démontrent clairement la sympathie du peuple à son
égard :
« Lorsqu'on entendit donc sur les ondes de la
B.B .C et à une heure de grande écoute, Doudou, le leader
incontesté du mouvement des étudiants annoncer lui-même sa
libération et celle de ses quatre camarades, on entendit aussi des cris
de victoire. Ils furent ainsi des milliers d'auditeurs à exprimer leur
joie de diverses façons, leur joie de savoir enfin libres ces jeunes
gens qui avaient osé défier si ouvertement le
pouvoir. »108(*)
Au regard de ce qui précède, on se rend compte
que Doudou est l'incarnation de l'idéal de l'auteur et de certaines
valeurs auxquelles il croit, entre autres le sacrifice de soi et la
défense des couches sociales opprimées.
Le personnage n'est pas, distinct de la personne
réelle, dans l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, à cause de
leurs traits physiques et moraux qui sont communs. C'est le constat qu'en fait
Abdoul Aziz Issa Daouda lorsqu'il déclare :
« S'il existe un trait qui caractérise
le personnage du roman réaliste, c'est bien sa dimension
''réelle'', sa vraisemblance. C'est assurément là la
moindre preuve d'objectivité d'une création romanesque qui entend
être `'la traduction littérale des `'faits'' par l'observation
des faits »109(*).
En effet, le personnage est l'expression d'une certaine
réalité. On le caractérise avec vivacité, en le
faisant apparaître dès lors plus près de la personne
réelle, en ce qu'il peut posséder quelques-uns de ses traits.
Il faut noter d'autres personnages non moins importants,
autrement dits les personnages collectifs tels que le peuple de Bamoul, le
monde estudiantin, l'élite politique, etc. A travers les masses
représentées, le romancier veut déterminer la
mentalité ou la psychologie d'une couche sociale, d'un peuple. Si le
peuple de Bentoba a exprimé son désarroi face au Parti unique,
dans Quinze ans, ça suffit ! Les gens de Magama ont fait
autant pour l'avènement de la démocratie. Ainsi, à chaque
peuple ses aspirations. Une telle attitude ou réaction d'un peuple
à une période de son évolution montre l'éveil de
l'esprit, le changement de mentalité. Donc le personnage collectif a
également une réalité psychologique comme le personnage
tout court. D'où le reflet des personnes humaines qui changent de vision
en fonction des circonstances, des occurrences... On peut également
noter la réaction du peuple de Bamoul : « La
déclaration du président dans ce qu'elle comportait de promesses
de changement, fut en effet perçue par la quasi-totalité du
peuple comme le remède attendu à tous les maux de la
société. »110(*)
A travers ce passage, l'auteur semble nous dire que chaque
personnage reflète le milieu dans lequel il est
représenté. Ainsi, un regard rétrospectif permet de dire
que l'Africain a d'abord, par le passé réclamé son
identité, ensuite l'autonomie. Kasko, le personnage de Mahamadou Halilou
Sabo dans Caprices du destin111(*) en est révélateur, car il
incarne, à la fois l'anticolonialisme et dans une certaine mesure le
désenchantement et la désillusion du peuple colonisé face
au nouveau dirigeant. Par contre, le roman d'Amadou Ousmane met en scène
un personnage contemporain, plus proche de nous, de la société
actuelle, parce qu'il n'aspire qu'à la démocratie. En effet,
Doudou réfère aux militants syndicaux des années 90 pour
avoir revendiqué le multipartisme. Donc la personne réelle et le
personnage se confondent parfois.
L'Honneur perdu est un roman dans lequel les
personnages sont peints de façon réaliste, c'est-à-dire
que leur caractérisation suscite une apparence du réel. De ce
fait, on peut les comparer aux personnages balzaciens qui « sont
les images de leur temps, d'un régime ou parfois d'un
mode. »112(*) Aussi notre romancier caractérise ses
êtres fictifs en les adaptant à une époque et on l'observe
à travers le portrait d'Akaya. Elle est vue comme une femme
conservatrice car issue d'une époque révolue. Sa profondeur
morale fait référence à la féodalité
puisqu'elle se soumet à son mari comme un vassal au suzerain.
Au regard de ce qui précède, on constate qu'il y
a une interdépendance entre la personne réelle et le personnage
romanesque. Les deux semblent refléter une même
réalité, la société.
IV.2 Le dialogue des
personnages, tel père, tel fils
En tant qu'être imaginaire, le personnage est
calqué sur la personne humaine, de part sa représentation. Ils
possèdent des traits physiques et moraux qui concourent à les
rendre semblables. L'un et l'autre sont non seulement, le produit d'un univers
imaginaire ou réel, mais encore leur langage n'en fait pas abstraction.
Il révèle une identité. Ce principe réaliste est
avant hérité du romancier français Raymond Queneau dans
son ouvrage Zazie dans le métro113(*). La particularité de ce roman est qu'il
met en scène le personnage principal « Zazie,
une enfant de douze ans aux manières
délurées, arrive de sa province, impatiente de connaître le
métro parisien. » Le langage qu'utilise le romancier
exprime le réalisme, la couleur locale, puisque le dialecte parlé
réfère à une province, un terroir. Parfois on y retrouve
l'argot. C'est ainsi que Zazie prononce « homosessuel »
à la place du terme « homosexuel ». Chez Raymond
Queneau, le discours romanesque est également emprunt des mots de la
langue orale en vue de mettre en exergue le dialogue des personnages.
Quant à Amadou Ousmane, il fait parler ses personnages
au point où leurs propos font songer à des personnes
réelles. On peut les identifier lorsqu'ils ils communiquent. En effet,
le dialogue qui oppose le président du Bamoul, le général
Okala au colonel Workou montre que les propos de chacun d'eux reflètent
vraisemblablement une identité, une marque de la personnalité du
locuteur.
-« Dites donc, colonel Workou, vous avez bien
un fils à l'université, m'a-t-on dit ?
- Oui mon Général...
- Est-ce lui qui est prénommé
Doudou ?
- (...) mais qu'y a-t-il, donc, Monsieur le président,
si je puis me permettre ?
- Il y a que ce garçon ne semble pas avoir reçu
une éducation convenable, pour un enfant
d'officier... »114(*)
A la lecture d'un tel dialogue, il y apparaît un
réalisme puisque le langage du président se distingue des propos
du colonel Workou, d'une part, le style est soutenu, les mots bien choisis et
d'autre part, il y a l'expression de la civilité. Le
général Okala symbolise l'autorité, l'ordre, parce qu'il
est le chef de l'Etat, tandis que son interlocuteur exprime la discipline de
l'armée, sa classe sociale. Dans l'Honneur perdu, le dialogue
des personnages révèle l'identité de ceux-là, au
point de s'y assimiler. On peut même établir un rapport de
ressemblance en ce qui concerne les modalités du dialogue réel
entre deux personnes de condition sociale différentes. Tel est le
sérieux qu'on observe à ce niveau. L'identité du
général Okala apparaît au regard de son idéal de
sécurité qui vise même le bonheur collectif. Le but de
l'auteur en rapprochant ses personnages de leur cadre social, est la
vraisemblance historique ou la couleur locale qui consiste à les
contextualiser dans un espace précis.
On remarque une prédominance de la
caractérisation directe, dans la mesure où les informations sur
le personnage sont données par lui-même. Doudou, par exemple,
parle au nom de son groupe social. Il représente les étudiants
à travers cet extrait:
« Sans doute, ne sommes nous pas le peuple,
rétorqua Doudou, mais l'armée et le gouvernement au nom desquels
vous parlez, ont-ils plus que nous le droit de se prendre pour le peuple ?
Le régime militaire est désormais anachronique ! Partout
à travers le monde, les régimes autocratiques sont en train de
s'effacer pour laisser s'éclore les
libertés. »115(*)
Il ressort que Doudou défend un idéal telle que
la liberté individuelle pour que règne la démocratie. En
conséquence, son langage est révélateur de son
identité. Au regard du militantisme syndical, ce jeune étudiant
vise à reformer et changer la société. Il oeuvre pour des
lendemains meilleurs, car ses concitoyens semblent ne rien comprendre à
la gestion du pouvoir. Le dialogue qui le met aux prises avec le ministre
d'Etat montre clairement l'appartenance sociale de chacun d'eux. En amont, M.
Diboula fait l'apologie de l'Etat comme garant de l'intérêt
général, des libertés individuelles. Il montre
également l'intégrité et le sens de responsabilité
du chef suprême, le général Okala. Les étudiants
estiment quant à eux qu'il leur tient un discours démagogique,
flatteur. Il ne défend que les intérêts de sa classe. Le
dialogue des personnages est à leur image, c'est à dire
vraisemblable. Il est le produit d'une société dont il porte la
marque et les caractéristiques. Amadou Ousmane procède de la
sorte pour rendre visible les personnages qu'il représente. De
même on peut dire que le langage est comme l'expression d'une
identité au sens où il traduit la profondeur morale du
personnage. Ils sont, à l'instar des personnages balzaciens,
passionnés puisqu'ils sont caractérisés par un amour
excessif et outrancier. C'est le cas du Père Goriot lorsqu'il qualifie
ses filles Madame Restaud et la Baronne de Nucingen d'anges. Certains
personnages parlent comme pour dévoiler leur identité. Le statut
ou l'origine sociale transparaît à travers le langage. Ainsi pour
le colonel Workou : « la démocratie, c'est la
connerie ! »116(*) Du moins le narrateur fait croire que c'est ce
qu'on dit dans les casernes. Donc le personnage ne fait révéler
l'identité de son groupe sociale. Parler d'une catégorie sociale
en insistant sur la spécificité de sa langue découle du
procédé de couleur locale. Ainsi les propos permettent de
dégager le rang social qu'incarne le personnage.
Dans son oeuvre Pour lire le roman, Goldenstein
rapporte que :
« Pour amener ses personnages à la
fiction du récit le romancier dispose d'un certain nombre des
procédés de caractérisation. Caractériser un
personnage de roman, c'est lui donner, bien que dans la fiction, les attributs
que la personne réelle qu'il est censé représenter
posséderait dans la vie réelle. Le langage du personnage
constitue évidemment un moyen privilégié de
caractérisation. Style `'soutenu'', tendance au verbiage, amour de la
recherche ; par le `'niveau de langue'' qui est le sien et par le
`'registre `' qu'il emploie se révèlent à nous d'autres
caractéristiques. Tout importe alors, non seulement ce qu'il dit et la
façon qu'il a de s'exprimer, mais aussi ce qu'il ne dit et que nous
n'apprendrons d'autres moyens ou que nous devinerons par projection
psychologique. »117(*)
La réflexion du critique s'applique, en
effet, au roman réaliste, en l'occurrence l'Honneur perdu car,
il s'agit de conférer au personnage l'apparence d'exister en vue de
faire vrai.
La représentation des personnages en harmonie avec leur
dialogue transparaît encore dans le second roman d'Amadou Ousmane. C'est
que rapporte Abdoul Aziz Issa Daouda dans la Double tentation du roman
nigérien, il cite :
- «La radio a annoncé ce midi que ton fils est
nommé juge...
- Zuze ?
- Non juge.
- Cela veut dire quoi... »118(*)
En effet, on a l'impression que l'interlocutrice parle
approximativement la langue française en traduisant les mots d'une
langue autochtone, puisque le parler n'est pas académique. Quant
à la mère du nouveau juge, Ali Yobo, elle ne comprend pas
cependant le code. Et du point de vue linguistique la lettre `'j'' n'existe
pas en zarma, sa langue parlée, d'où la prononciation
« Zuze ».
En définitive, Amadou Ousmane caractérise ses
personnages en les adaptant aux critères du personnage réaliste.
Le dialogue de chaque être imaginaire est spécifique, il peut
être un dialecte, un jargon ou même refléter une
personnalité.
IV.3 L'être fictif et
évolution psychologique
De façon générale, le traitement d'un
personnage romanesque dépend de l'esthétique qu'emprunte
l'auteur. Le réalisme balzacien se démarque au niveau des
personnages par leur psychologie évolutive, donc ils ont une
réalité morale. S'agissant d'Amadou Ousmane, ses êtres
fictifs se distinguent par le changement de vue au fil de l'oeuvre. Il
apparaît que les personnages dans l'Honneur perdu ne sont pas
statiques. Ayant une psychologie évolutive, ils changent. C'est ainsi
que le romancier les rapproche de la réalité. Le colonel Workou
s'oppose de prime abord au processus de démocratisation au Bamoul tandis
qu'il l'approuve vers la fin du roman. Donc son changement de vision, bien
qu'il soit circonstanciel, atteste une évolution de sa psychologie. Par
conséquent, il entend se présenter aux élections.
Néanmoins, Doudou est peint de sorte qu'il
présente une unité. Elle se caractérise par la stagnation
de sa conception des choses. Il a donc une réalité morale
intacte, d'où son dévouement et sa détermination
persistants. Conscient du but qu'il s'est fixé, il s'engage
résolument. L'identité de Doudou est semblable à celle
d'un militant convaincu et optimiste de ce fait. Il croit au changement.
En somme, le portrait moral des personnages
représentés est emprunt de réalisme. D'une part, on
constate que le colonel Workou fait preuve de clairvoyance et de sagesse en
optant pour le multipartisme, d'autre part, Doudou s'entête car, il est
convaincu de la noblesse de sa cause, la démocratie. Pour lui, seule
l'action est à même de matérialiser le militantisme
syndical. Aussi la masse qu'il représente porte les marques de son
identité :
« Repose toi en paix Doudou, nous vengerons ta
mémoire...En ton nom, nous prenons ici solennellement l'engagement de
poursuivre la lutte, sans aucun répit, jusqu'à la victoire
finale, c'est-à-dire la tenue dans ce pays de la Conférence
Nationale Souveraine pour laquelle tu t'es tant battu et qui jettera
définitivement les bases d'une société
véritablement démocratique.»119(*) L'oraison
funèbre que prononce Bachir, l'ami du défunt, montre tout
l'engagement et le dévouement des étudiants à combattre le
régime dictatorial en vue d'un idéal de justice mais encore de
démocratie. En effet, le langage de notre personnage exprime
l'identité de son groupe social, lequel a pour credo la conviction dans
la défense des droits humains. On peut admettre que l'auteur de
l'Honneur perdu tente de faire concurrence à l'état
civil à la manière de Balzac dans le sens où l'être
de ses personnages est conforme à leur comportement apparent. Ils ne
trahissent pas leur personnalité. Dès lors, on peut attester que
cette adéquation est une technique de caractérisation qui les
rapproche de l'être humain. Le dialogue des personnages est en fait
vraisemblable. Autrement dit, il tend vers le vrai. Leurs paroles nous donnent
l'impression de les connaître dans leur réalité
psychologique.
Une telle caractérisation abonde chez Amadou Ousmane,
notamment dans Quinze ans, ça suffit ! où on
retrouve une variété de personnages issus de différentes
couches sociales et parlant chacun en rapport avec son milieu. C'est le cas au
cours de la réunion clandestine tenue dans une mosquée contre le
Parti unique. Ainsi, le choix de ce lieu montre l'ampleur de la privation des
libertés individuelles. Pendant cette réunion, ouvriers,
syndicalistes, étudiants, religieux, etc. ont dénoncé
l'impasse politique et la mauvaise gestion du pouvoir. On remarque une
spécificité au niveau de chaque personnage, qui agit en fonction
de ses réalités morales. Cela traduit parfaitement le statut et
l'origine sociale de chacun d'eux.
Le dialogue qui oppose le journaliste Bello au
ministre de l'information le met en évidence. En effet, Bello
apparaît indépendant, débarrassé de toute
allégeance vis-à-vis du pouvoir politique, alors que son
interlocuteur le conteste, parce qu'il parle au nom de l'Etat.
« Certes, mais il y a plusieurs manières de
servir l'Etat. On peut le servir sans s'inféoder au régime.
»
« Ah, parce que pour vous, c'est s'inféoder
au régime que de servir l'Etat ?
« Ce n'est pas ce que j'ai dit, Monsieur
le Ministre ! Nous sommes désormais en démocratie. Et la
liberté de la presse est un des fondements de démocratie.
-Foutaises...Foutaises... »
120(*)
On assiste à un dialogue des sourds, puisque chacun
défend acharnement son point de vue. Pour l'un, le journaliste doit
exercer, sans contrainte son métier tandis que l'autre
désapprouve en pensant que la liberté de la presse est
restrictive. En conséquence, on ne doit pas interroger tout
détracteur de l'Etat. En effet, les personnages dans le dialogue se
reconnaissent en ce qu'ils disent, leurs propos permettent au lecteur de les
distinguer en leur donnant une unité.
Chapitre V : Amadou Ousmane : un
observateur de la société
|
A l'instar des romanciers africains du
désenchantement, les romanciers nigériens accordent un
intérêt particulier à la situation sociopolitique ayant
caractérisé le continent au sortir de la colonisation. La
société, à travers les manifestations socioculturelles
constitue une source d'inspiration pour les romanciers. Entre autres
manifestations en cours dans la société, on peut évoquer
les mutations politiques auxquelles s'ajoutent les coutumes ancestrales.
Dès lors, elles font l'objet d'observation chez Amadou Ousmane qui, dans
l'Honneur perdu a pour ainsi dire le dessein de peindre la
société. C'est ainsi qu'il importe d'étudier le rapport
qui fait des romans d'Amadou Ousmane une chronique sociopolitique de l'univers
décrit. Ce romancier est un observateur de la
société, d'où ses moeurs font l'objet de satire. Dans une
autre perspective, on étudiera sa vision du monde, une idéologie
qui exprime clairement son attachement à l'écriture
journalistique.
V.1 De la chronique
sociopolitique au récit romanesque
Rappelons le processus de
décolonisation à l'issue duquel la majorité des Etats
africains ont acquis l'indépendance depuis les années 1960, il
constitue en effet, une phase décisive dans l'évolution du roman
africain. Ce roman, est en fait, identiquement une observation du corps social
et est, par conséquent, le reflet de la société. Ainsi,
l'instauration du multipartisme, à travers le Rassemblement
Démocratique Africain (RDA) a inspiré d'éminents
écrivains nigériens tels que Mahamadou Halilou Sabo, dans
Caprices du destin, Idé Oumarou avec Gros plan, etc.
Pendant le monopartisme, sous la 1ère République de
Diori Hamani, l'observation de la scène politique a engendré une
littérature foisonnante, remarquablement représentée par
Quinze ans, ça suffit, par exemple. Ce roman
évoque les tares de la première République du Niger, en
insistant sur les inégalités sociales qui se traduisent par une
petite élite, la classe politique, face au nombre pléthorique des
dominés.
En effet, la domination s'accroît au fur et à
mesure que l'impôt devient exorbitant, les pluies de plus en plus rares
et, conséquemment, on assiste à une paupérisation des
couches sociales, d'où la famine. Ainsi, on note la distribution des
vivres généreusement envoyés par la communauté
internationale. Or, certains dignitaires véreux profitent de leur
pouvoir pour les détourner. La mémoire collective du Niger a
encore souvenance de l'année 1973 durant laquelle la sécheresse
et la famine vont générer des conséquences dramatiques. La
situation de cette sécheresse est rapportée ainsi dans le
roman :
« Vous imaginez ce fléau, quelque
chose comme la peste au Moyen-âge. Des morts-vivants à la
dérive, errant parmi les amoncellements de cadavres, un pays
foudroyé (...) C'est le drame : parce que la famine africaine
vient d'entrer dans sa vitesse de croisière, on n'en parle plus ;
Or six millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont en train de mourir
à petit feu dans les camps du Sahel... Toute la question, maintenant,
est de savoir si la pluie viendra. De toute façon, ce sera encore la
famine : s'il ne pleut pas il n'y aura pas de
récolte. »121(*)
On voit clairement qu'Amadou Ousmane se fait
chroniqueur social en ce qu'il rapporte des faits sociaux qui se sont
passés à un moment de l'histoire. Son oeuvre romanesque
apparaît en fait comme une chronique sociopolitique. Il
s'intéresse aussi à la réalité quotidienne et,
l'observation des faits réels, historiques et culturels atteste de
l'intérêt qu'il porte aux questions sociales et politiques. Ainsi,
la position privilégiée d'attaché de presse du chef de
l'Etat auprès du Général Kountché, puis avec le
Général Ali Saïbou qu'a occupée Amadou Ousmane lui
permet de dresser une vue exhaustive.
Dans l'Honneur perdu, il touche encore du
doigt les problèmes brûlants du Niger, notamment la crise
sociopolitique qui a secoué la IIè République, ayant
occasionné l'ouverture de la Conférence Nationale Souveraine le
29 juillet 1991. En effet, C'est une oeuvre qui traite des faits tangibles
observés durant les années 90. L'on peut citer entre autres les
débats d'idées relatifs à la liberté
d'expression et la démocratisation des pays africains à cette
époque. Dans cette optique, le narrateur du roman pose la
problématique de la question sociale au Niger :
« Dans un pays où les gens
vivaient dans la hantise des lendemains incertains, où les travailleurs,
toutes catégories, étaient quotidiennement confrontés aux
multiples aléas de la vie, à la montée vertigineuse des
prix, à une incroyable crise de logement, à l'inorganisation des
transports collectifs, à l'arrogance des patrons, à la grogne
permanente des propriétaires de maison et des commerçants qui
s'obstinaient à refuser tout crédit,'' la Déclaration du
président'' dans ce qu'elle comportait de promesses, de changement, fut
en effet perçue par la quasi-totalité du peuple comme un
remède attendu à tous les maux de la
société. »122(*)
A travers le récit, on
constate que le climat social est explosif, puisque la crise qui secoue la
classe politique a des répercutions, telles que les tensions sociales
rapportées comme dans le récit d'une chronique. Si le
général Okala, président du Bamoul est sensible aux
aspirations du peuple, son allié, le colonel Workou s'y oppose. Certes,
les faits sont romanesques, c'est-à-dire émanant de l'imagination
de l'auteur mais ils traduisent une réalité, vécue ou
censée l'être, car les protagonistes de l'histoire, les
personnages notamment, sont choisis de sorte qu'ils renvoient à une
époque dans la réalité spatio- temporelle.
Amadou Ousmane procède ainsi pour faire oeuvre de
chroniqueur. On peut dire que le romancier chroniqueur n'est pas un historien,
parce que ni la date ni la scientificité des faits ne priment chez lui.
Au contraire, la chronique le conduit à traiter des faits passés
en respectant leur chronologie. Ainsi l'on peut affirmer que l'auteur de
l'Honneur perdu ne se contente pas seulement de juxtaposer les
événements de l'histoire, mais les observe également avec
une certaine minutie. Elle apparaît du moment où le romancier
conte les actions des personnages avec clarté et exactitude. Pendant que
le général Okala se trouve à La Baule, la
situation sociale dans son pays devient de plus en plus tendue. Il y revient
promptement. Des investigations ont permis de situer les
responsabilités, puis on tend vers la tenue de la conférence
nationale. Le romancier, en tant qu'observateur de la société,
est soucieux de se faire clair pour en être compris. Donc la saisie du
sens de son message suppose nécessairement une grande minutie dans
l'exposition des faits.
Dans l'Honneur perdu, le général
Okala, personnage principal, dont le rôle dans l'avènement de la
démocratie a été déterminant a favorisé le
multipartisme. Par analogie, le président de la IIè
République du Niger, le Général Ali Saibou a lui aussi
suscité dans l'esprit de ses concitoyens un engouement, le désir
de liberté et de son expression, d'où il a servi de
piédestal au multipartisme. Cependant, il est à noter que la
démocratie a vu le jour en Afrique tout comme au Niger dans une
atmosphère délétère. Le narrateur l'atteste
ainsi :
« Ils (les politiques) savaient que
les bouleversements en cours un peu partout dans le monde n'ont pas pu
épargner leur propre pays. Ils avaient entendu parler du vent des
libertés qui souffle depuis les lointains pays d'Europe,
commençait à déferler sur l'ensemble du continent (...) de
grèves, de tracts, de perquisitions, d'arrestations massives
d'étudiants, de marche de protestation ou de soutien dans tel ou tel
pays, et même de la réussite ou l'échec d'un coup d'Etat
ici ou là. »123(*)
Dans la narration des événements sociaux et
politiques, Amadou Ousmane fait référence à la fois
à l'espace immédiat, le Niger et ailleurs, l'Afrique. On constate
qu'il y a une certaine harmonie dans l'évolution des pays africains,
dans la mesure où les années 60 ont représenté
l'ère des indépendances, puis une décennie après,
on a assisté aux coups de force voire même des coups d'Etat,
ensuite la démocratisation est intervenue dans un contexte tumultueux.
L'auteur de l'Honneur perdu fixe les faits dans un décor
à travers lequel on peut situer, à la fois le lieu et le temps
qui sont deux éléments majeurs quand on se réfère
à la chronique. D'ores et déjà, la lecture de ce roman
devient un décryptage des faits saillants agitant l'espace décrit
(le Bamoul) à une période (pendant les années 90). Cette
période correspond approximativement à l'instauration du
multipartisme au Niger.
Dire que le romancier est un chroniqueur, n'est pas une
assertion arbitraire. Elle est le résultat d'un constat
avéré. Car, dans l'Honneur perdu, il narre l'histoire
contemporaine de l'Afrique, en général, et celle du Niger, en
particulier. Il s'agit d'une période décisive qui symbolise la
maturité du peuple africain s'opposant à tout abus de droit et
toute spoliation de liberté. C'est ce qui fait dire que les
années 1990 sont une sorte de deuxième désenchantement,
puisque le peuple s'est désillusionné à nouveau. Il est
encore déçu par le règne des dictateurs après la
déception des indépendances.
S'agissant d'Amadou Ousmane, il s'inscrit dans la perspective
de la chronique tant du point de vue des thèmes abordés qu'au
niveau même de la parution de ses oeuvres, ses deux premiers romans
à savoir 15 ans, ça suffit !, le Nouveau
juge sont une chronique de la Ière République du Niger,
à travers la satire du pouvoir judiciaire, supposé être
indépendant.
Néanmoins, la justice n'est guère impartiale car
elle est rendue en faveur de certains dignitaires du régime. De la
description de la sécheresse meurtrière, au détournent des
vivres destinées aux populations sinistrées, en évoquant
notamment la perversion des moeurs judiciaires, Amadou Ousmane fait oeuvre de
chroniqueur dans le traitement des thèmes. Ces derniers traduisent
nettement les faits ayant caractérisé la première
République du Niger, du moins les pratiques qui dominent. Il est
attentif aux faits saillants ou même accessoires en ce qu'il les
rapporte dans un ordre chronologique.
L'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane est une chronique, car
ses trois oeuvres rappellent trois décennies (1960-1990). Pendant cette
période, plusieurs mutations ont caractérisé le pays.
L'évolution sociopolitique, à travers quelques
événements majeurs est minutieusement représentée.
Entre autres faits, citons le coup d'Etat du Général Wata
dans Quinze ans, ça suffit ! qui clôt le roman.
Alors que dans l'Honneur perdu, on relate les mouvements qui ont
abouti aux débats houleux au cours de la conférence nationale et
ayant, peu après, engendré la démocratisation des
institutions étatiques.
Fondamentalement, les romanciers nigériens du
désenchantement ont fait cause commune la dénonciation des
errements du Parti Unique, ils ont pour ainsi dire fait son procès.
Depuis lors, la période charnière s`est
caractérisée par un silence chronique, de l'année 1974 qui
marque le premier coup d'Etat militaire au Niger jusqu'à l'instauration
de la IIè République. C'est ainsi qu'Amadou Ousmane rompt ce
silence, d'où la remarque d'Abdoul Aziz Issa Daouda critique
nigérien:
« L'Honneur perdu, conformément aux
habitudes d'Amadou Ousmane, s'inscrit dans une des voies
privilégiées du roman contemporain nigérien qui est la
satire politique. Au demeurant Amadou Ousmane se révèle comme un
scrutateur régulier de la vie politique et du dysfonctionnement des
institutions du Niger, et à ce titre son dernier roman correspond
à une suite logique de son Quinze ans, ça suffit qui fait la
satire de la première République nigérienne, comme pour
répondre à ceux qui seraient tentés de demander :''
Et aujourd'hui après les quinze ans?'' »124(*)
En effet, l'auteur de L'Honneur perdu se
distingue du panégyrique, du défenseur d'une thèse ou de
la position politico idéologique partisane. Par contre, il est un
observateur de la réalité sociale ou politique en vue de la
représenter. Il mêle faits socio politiques et imagination
personnelle. Il fait aussi une chronique sociale et politique dans son
récit. Ses romans sont parus successivement de 1977 à 1993. Ils
rappellent chronologiquement les périodes prépondérantes
de l'histoire socio politique du Niger telles que l'année 1973-74, le
temps de la sécheresse et 1993 qui représente l'ère du
multipartisme.
En d'autres termes, la société est la
première source d'inspiration du romancier, d'où l'observation
des mécanismes qui la régissent lui confère le talent d'un
chroniqueur. Chronique sociale et chronique politique sont intimement
liées dans l'Honneur perdu, puisqu'on ne saurait discerner la
description des métamorphoses sociales des manifestations, tantôt
latentes, tantôt manifestes qui sous tendent la crise politique. Le roman
s'ouvre d'emblée dans un décor dramatique car,
l'atmosphère sociale est tendue. Dans cette perspective, on peut retenir
l'évocation de l'assassinat d'un étudiant par la police. Un
crime rajouté à la réalité par Amadou Ousmane,
désirant mettre à nu les affrontements du 09 février 1990
et les faire percevoir par le lecteur conformément à la
signification voulue.
Le travail de chroniqueur ne correspond pas uniquement
à un agencement des faits réels mais, il consiste aussi à
les mêler à l'imagination créatrice de l'auteur. Le
romancier ne privilégie pas l'exactitude et la véracité
des faits. Il tend plutôt à les replacer dans une
atmosphère plus ou moins vraisemblable. Le but visé est,
évidemment de rendre visible les faits remarquables. Qu'elle soit le
reflet d'un fait social ou même politique, la chronique suppose avant
tout un travail rigoureux, telle que l'observation directe voire participante
qui incombe au romancier.
La chronique, si elle fait partie intégrante des
romans d'Amadou Ousmane, constitue à elle seule la matière d'un
de ses ouvrages aux échos retentissants
intitulé Chronique judiciaire. Il s'agit, en effet, d'une
chronique qui s'inspire des procès auxquels l'auteur a pris part. La
finalité est d'ordre juridique, car on nous dresse une fresque sociale
dans laquelle apparaissent plusieurs coupables face à une même
machine judiciaire.
Amadou Ousmane est imbu de la vocation de chroniqueur. La
dimension sociale de son écriture le prouve de façon notoire. Il
entend représenter dans son texte ce qui se passe dans la
réalité. Conscient de cette mission, il puise dans la
réalité sociopolitique pour ancrer ses récits dans le
terroir. La vocation de chroniqueur apparaît potentiellement dans son
dernier roman, c'est pourquoi l'éditeur admet qu' Amadou Ousmane a fait
dans l'Honneur perdu la « chronique d'une
démocratisation amorcée »125(*).
Son oeuvre est le fruit d'une observation qui reflète
l'évolution de la société nigérienne dans un
contexte multipartite. C'est ce qu'on observe ici : « Et
chacun s'octroyait le droit de dire ce qu'il voulait, quand il voulait comme
s'il avait une revanche à prendre sur tant d'années de silence
imposé par l'Etat d'exception »126(*). On voit que le
romancier dresse de façon exhaustive les faits marquants de l'histoire
politique du Niger. Il fait une chronique de l'avènement de l'ère
démocratique comme il l'a fait dans Quinze ans ça
suffit ! concernant le parti unique.
La chronique est, en conséquence une façon de
voir le monde chez Amadou Ousmane parce qu'il a le souci de présenter la
réalité en évoquant certains faits de l'histoire
nationale. Ses romans, Quinze ans ça suffit, Le Nouveau juge et
L'Honneur perdu sont une chronique romanesque. Il y apparaît
l'évolution des mentalités et des idées ainsi que
l'histoire sociopolitique du Niger. A ce niveau, on peut citer Balzac dans son
roman les Chouans où il rapporte la réaction des
insurgés contre les Républicains.
En somme, Amadou Ousmane manifeste dans son dernier roman la
volonté de faire oeuvre de chroniqueur. Il a ainsi le regard
braqué sur le réel, l'actualité d'où la
société constitue sa source d'inspiration. Sa chronique est le
résultat d'une expérience, du vécu quotidien. En
conséquence, il ne veut se livrer ni à une imagination
débridée, ni à des aventures merveilleuse et
irréaliste, mais comme un auteur qui prend uniquement en compte les
événements majeurs afin de les décrire avec
réalisme.
V.2 Le scrutateur des moeurs
Scruter veut dire examiner attentivement, observer et
même évaluer. Quant au substantif scrutateur, il renvoie à
l'examinateur, l'observateur. La création romanesque d'Amadou Ousmane le
conduit à observer avec minutie les moeurs, les us et coutumes. Son
observation concerne spécialement le cadre social, politique et
culturel du fait de sa proximité et sa prépondérance. Le
roman est, en effet un laboratoire de la société, un lieu
où l'on expérimente les faits sociaux. C'est cette conception du
roman que l'on retrouve chez Emile Zola dans le Roman
expérimental127(*) pour aboutir à la formulation de
théories générales de la société. On peut
dire que « Zola assigne aux romanciers deux étapes
dans leur démarche : `'l'observation'' des faits d'abord, et
ensuite l'indispensable ''expérimentation, où ces faits sont
soumis à l'épreuve de ce qu'il appelle'' les modifications des
circonstances et des milieux.»128(*)
Pour revenir à l'auteur de l'Honneur perdu, il
est attentif aux mutations sociopolitiques qui ont secoué l'Afrique
à travers le cas particulier du Bamoul, pays imaginaire qu'il
évoque dans son roman. D'un point de vue politique, il parait qu'Amadou
Ousmane fait l'éloge du Général Okala qui incarne selon
lui le dévouement, l'esprit de sacrifice et le nationalisme. Dans son
entendement, ces vertus traduisent l'idéal d un chef en ce qu'elles
suscitent en lui la prise en compte des aspirations du peuple.
Si le Général Okala à l'instar du peuple
opte pour l'instauration d'un régime nouveau, la démocratie en
l'occurrence, beaucoup de dignitaires, cependant s'y oppose car ils pensent que
« L'heure du multipartisme n'avait pas encore sonné pour
leur pays. »129(*) En effet, les uns plus intransigeants que
les autres décident de se maintenir au pouvoir pour ne pas perdre
l'honneur. Ainsi, le romancier critique les moeurs politiques néfastes,
parce qu'elles excluent la majorité des citoyens. A l'opposé de
la dictature, la démocratie est le pouvoir du peuple, car il choisit
lui-même ses représentants légaux à travers le
suffrage universel.
Bien que le multipartisme soit l'expression de la
volonté générale, il apparaît comme un régime
nouveau, un changement plus ou moins brusque que certains contestent
catégoriquement. Un tel état de fait permet à l'auteur de
critiquer certains dirigeants qui refusent de se conformer à la
légalité, au choix du peuple mais défendent des positions
partisanes ou même l'intérêt individuel au détriment
du bien être collectif.
Notre romancier cherche à ironiser une telle classe
politique. C'est pourquoi il critique la bassesse de ses moeurs en utilisant la
voix des personnages. Ainsi on affirme que :
« Nous sommes en pleine dérive. Les
principes cardinaux qui constituaient notre idéal, et en vertu desquels
nous nous sommes emparés du pouvoir pour le bien du pays, sont
aujourd'hui scandaleusement bafoués (...) Nous sommes en train de
piétiner l'honneur et la dignité de notre armée (...)
Dites à nos officiers de quitter le pouvoir avant que l'Histoire ne les
déshonore ! »130(*)
Amadou Ousmane apparaît comme un observateur scrupuleux
des moeurs. Sa méthode consiste à les saper, d'où il
invite le lecteur à une réflexion personnelle en vue d'une prise
de conscience individuelle et même collective.
Par ailleurs, on peut dire que l'auteur de l'Honneur
perdu oppose deux mondes, d'un côté, l'Afrique traditionnelle
que représente certains personnages, notamment Andilo, un agent de
sécurité et sa famille ; de l'autre côté, il
peint la société moderne.
Quant au cadre traditionnel, il se caractérise
par la modestie de ceux qui y vivent, aussi ils sont profondément
attachés à l'honneur. On peut l'illustrer à travers la
réaction d'Andilo à l'endroit de Fadel, lorsque celui-ci lui
annonce le décès de Doudou. Le Colonel Workou, par le biais de
son chef de cabinet propose à Akaya et son mari un véhicule pour
les acheminer à Magama où vont se dérouler les
obsèques, mais la mère du défunt refuse. C'est
ainsi que s'exprime le mari d'Akaya : « Ce n'est pas
nécessaire de vous donner tant de mal, nous irons par nos propres
moyens ! Coupa alors le brigadier Andilo, avant même que sa femme ne
songe à dire quoique ce soit. »131(*)
L'attitude d'Andilo dénote une satisfaction morale, une
sorte de contentement de soi. Pour le romancier, le bonheur ne veut pas
forcément dire l'opulence. Il est une disposition d'esprit qui conduit
l'homme à se réjouir de ses biens propres, aussi minimes
soient-ils. Le narrateur surenchérit en disant : «Il
(Fadel) se retira ensuite sans bruit, après avoir laissé sur
la table une enveloppe contenant quelques billets de banque. Ce qui ne fit
qu'ajouter à la douleur de ce couple pétri de dignité et
d'orgueil. »132(*)
Il ressort que ces deux personnages incarnent la
dignité, le respect de certaines valeurs morales malgré leur
indigence, telle est la manière par laquelle Amadou Ousmane loue les
moeurs qu'il juge appréciables. Toutefois, le Colonel Workou aussi bien
que Fadel révèlent selon lui la dépravation des moeurs,
car les deux se caractérisent par un comportement
répréhensible. C'est ainsi qu'il déclare :
« Que de fois n'avait-on pas vu, en
effet, ce vénérable père de famille (Fadel), courant
littéralement derrière de petites filles dont certaines n'ont
même pas l'âge de ses enfants ! Les mauvaises langues
n'hésitaient pas alors à dire que dans ses affaires- là,
il ne travaillait pas seulement pour lui-même. Allusion sans nuance
à certains `'appétits'' de son patron, le colonel Workou, qui
lui- même est loin d'être un saint (...). »133(*)
Partant de ce constat, l'on peut affirmer qu'Amadou
Ousmane s'inscrit dans la droite ligne des nouveaux romanciers africains, parce
qu'il ne cherche point à idéaliser l'Afrique ancestrale ou
même contemporaine, encore moins les moeurs qui y prévalent. Il
s'oppose à toute tentative tendant à incriminer l'homme sans en
être coupable, il scrute les coutumes et pratiques sans aucune
complaisance. Cependant, il les critique même de façon acerbe.
Dans son oeuvre, il fait le procès des valeurs et l'un des cas
illustrateurs est le statut de son personnage Doudou, un enfant
illégitime marginalisé dans la société, alors qu'il
ne subit que la conséquence de l'acte posé par ses parents.
Une Sénégalaise du nom de Fatou Diome a
abordé le même phénomène dans roman le Ventre de
l'Atlantique134(*),
puisque l'héroïne Salie est elle aussi une enfant
illégitime et se trouve non seulement rejetée par sa mère,
son milieu natal, Niordior semble défavorable. Son refuge, la France est
également un lieu où prévalent le racisme et la
xénophobie.
Si les romanciers contemporains font la satire des moeurs,
c'est parce qu'elles constituent un frein à la fois pour l'individu et
la société. Des telles pratiques ne favorisent pas donc
l'épanouissement socio culturel. En conséquence, Amadou Ousmane
s'oppose à toute discrimination. Il n'admet pas non plus d'écart
entre individu et société. Il prône l'intégration et
l'insertion de l'homme dans son milieu, d'où sa vision du monde est
humaniste, car l'homme est au centre de sa réflexion.
Le roman, affirme Stendhal est « un miroir que
l'on promène le long d'un chemin. »135(*) En fait, il
reflète la réalité sociale. Ainsi tout ce qui est concret,
en fait l'objet de représentation. Par delà, le roman stendhalien
est une introspection, un examen de la conscience du personnage. Aussi, le fait
de scruter les moeurs suppose une observation consciencieuse, leur exposition
en vue d'amener l'autre à méditer, ce qui nous amène
à dire que la finalité de la dénonciation chez l'auteur
de l'Honneur perdu est la conscientisation. Il apparaît
là une conception chère à la littérature africaine,
à savoir la dimension utilitaire de l'art. Le romancier africain, parce
qu'il appartient à une société où
l'analphabétisme semble généralisé, n'a de cesse
d'oeuvrer en défendant le peuple pour le conscientiser et le
responsabiliser. Il ne s'intéresse pas exclusivement aux couches
défavorisées, l'élite politique ou même
l'intelligentsia représente aussi une cible privilégiée,
car pour lui elle fait fi des problèmes réels qui assaillent le
peuple. Il se veut donc pragmatique tout en préconisant l'efficience et
l'efficacité. Les théories révolutionnaires peuvent avoir
un impact tantôt manifeste, tantôt latent au sein d'une
société, mais ce romancier pense autrement :
« Il comprit alors combien étaient alors
illusoires et chimériques ses discours prétendument
révolutionnaires, au regard des problèmes réels qui
assaillaient encore son peuple, et qui se trouvaient être : la faim,
le paludisme, l'analphabétisme, le tribalisme, etc.
L'Afrique, réalisa-t-il soudain, avait donc
davantage besoin de Nivaquine que de slogans ?
L'ayant compris bien qu'un peu tard, le Recteur Bombery
avait donc fini par jeter ses illusions dans les poubelles de l'Histoire, pour
épouser des thèses plus réalistes. »136(*)
Le romancier semble dire que les moeurs à
proprement parler, sont en harmonie avec les aspirations et les attentes d'une
société. Dès lors, l'Honneur perdu
transparaît telle une étude des moeurs à même de
susciter un éveil d'esprit au niveau des individus. En scrutant les
moeurs, il ne dresse pas uniquement un tableau sombre mais également sa
position laisse voir une nouvelle société,
métamorphosée avec des valeurs culturelles de plus en plus
positives.
Quoique quelques-uns soient réfractaires au changement,
on peut noter que les analphabètes illustrent plus l'attachement aux
moeurs séculaires à travers le comportement d'Akaya à
l'égard de Doudou.
« Elle osa à peine poser son
regard sur le visage de son fils adoré. La pudeur que certaines
mères observent encore à l'égard du premier enfant
l'empêchait de se précipiter sur lui, de le serrer fort contre
elle, comme les mères modernes n'auraient pas hésité
à le faire en pareilles circonstances. Elle n'avait pas vu ce fils
depuis plus d'un an, mais il était toujours présent au fin fond
de son coeur. »137(*)
En effet, dans la société
nigérienne d'antan, l'aîné de la famille acquiert un statut
à multiples connotations. D'abord il atteste de la
fécondité de la femme ; ensuite ses parents observent
généralement une certaine pudeur vis à vis de lui,
notamment sa mère. Cette pratique se retrouve surtout chez les femmes au
point où dans certaines cultures elles ne prononcent même pas
peine le nom de l'aîné et Akaya semble intérioriser une
telle tradition. Il faut dire que le respect de ces moeurs est capital,
puisqu'il favorise la pérennisation du patrimoine culturel.
Toutefois, l'examen des us peut à la fois conduire
à les blâmer ou les louer. Cela semble évident dans
l'Honneur perdu à travers l'exemple de Doudou en qui un
personnage témoigne son esprit de discernement et de
sagesse : « (...) et je sais que vous avez
refusé tout ce qu'il (le colonel Workou) vous a proposé, y
compris la promesse d'une bourse d'études au Canada. Je tiens à
vous dire très franchement que votre désintéressement m'a
plu. Il est tout de dignité (...) je vous félicite pour avoir su
rester digne, en refusant de laisser acheter votre conscience de
militant. » 138(*)
Il s'agit là des révélations d'un agent
de police de la part du secrétaire général des
étudiants qui l'a suivi au cours de son voyage sur Gariko. A l'issue
de dix jours, le policier parvient à comprendre que le jeune
étudiant est un militant intègre et consciencieux. Il
s'avère qu'Amadou Ousmane est un scrutateur réaliste des moeurs
au point où, il prend soin de représenter les vertus et les vices
qu'elles véhiculent. On peut énumérer des déviances
comme le commérage, la calomnie, la diffamation, etc. qu'Amadou Ousmane
considère comme des pratiques compromettant ainsi l'ordre social. En les
exposant au grand jour, le romancier nous interpelle à les prohiber.
Dans la Comédie humaine, le projet de Balzac
est d' « explorer les différentes classes et les
individus qui les composent, pour faire `'concurrence à l'état
civil'' (...) les Etudes des moeurs sont de très loin les plus
nombreuses. » 139(*)En fait, on retrouve la même conception chez
le scrutateur qui suggère qu'au-delà de l'islamisation de la
société nigérienne, les croyances traditionnelles tel que
l'animisme et le syncrétisme religieux y persistent. C'est ainsi que
dans l'Honneur perdu, le narrateur rapporte la prédiction d'une
voyante aveugle : « Votre fils, lui avait-elle dit
connaîtra bientôt une nouvelle vie. Et Tante Ayou, très
versée dans cette science ancestrale, avait longtemps attendue,
convaincue que `' la terre ne ment pas'' la concrétisation de la bonne
aventure prédite par la vieille voyante. »140(*)
En, effet, la rencontre de Doudou avec le colonel Workou est
connue au préalable. Elle se trouve révélée par la
prédicatrice. Quant à la nouvelle vie, elle est relative à
la reconnaissance de sa paternité.
En somme, le roman d'Amadou Ousmane est comme un traité
de moeurs vu la peinture qu'il en fait. On découvre ainsi son rôle
de scrutateur dans une perspective ambivalente lui permettant soit de les
saper, soit de les magnifier.
V.3 L'influence du
journalisme, un style concis
En général, l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane
est écrite dans un style clair. Ainsi, la clarté et la concision
dans la façon d'écrire peuvent être dues à sa vision
du monde consistant à représenter le vrai, le réel. Il
apparaît comme l'un des rares romanciers nigériens qui se sont
intéressés à la carrière du journalisme. Et on
remarque essentiellement son influence dans la plupart de ses romans.
On peut déclarer avec Abdoul Aziz Issa Daouda
que : « (...) Le journalisme va également avoir
beaucoup d'influence dans l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane, notamment dans
Quinze ans, ça suffit et le Nouveau juge. Nous avons
déjà évoqué l'adjonction de coupures de presse
censées être écrites par des journalistes étrangers
et qui auraient une fonction descriptive et polémique dans le
roman. »141(*)
Cette assertion s'avère aussi évidente lorsqu'on
l'assimile à son tout dernier roman. En effet, dans l'Honneur
perdu, le style journalistique prédomine car l'auteur se pose comme
un observateur de la société dans ses différents aspects,
entre autres, l'aspect politico social, et historico-culturel. L'observation se
dirige sur le réel, c'est-à-dire l'actualité et ce,
à la différence de ceux qui attachent un intérêt
particulier à la situation de l'Afrique pré ou post coloniale, le
romancier journaliste, lui, examine de près les faits qu'il a
vécus. Il est donc le témoin des mutations décrites.
On peut énumérer au nombre des
métamorphoses ainsi rapportées dans l'Honneur perdu les
réactions de la société civile, les grèves
estudiantines auxquelles s'ajoute la crise sociopolitique,
énoncées dans un langage accessible à un large
lectorat :
« Ils (les leaders politiques) savaient que les
bouleversements qui ont cours un peu partout dans ce monde n'ont pas pu
épargner leur propre pays. Ils avaient entendu parler du vent de
libertés qui, soufflant depuis les lointains pays d'Europe,
commençait à gagner les côtes africaines et
s'apprêtait à déferler sur l'ensemble du
continent.»142(*)
Chez Amadou Ousmane, le langage littéraire ne
fonctionne pas sur la base de sous entendus ou de présupposés. Il
n'est pas non plus imagé. Il exprime plutôt son désir de
rendre sa pensée suffisamment claire pour être compris par un
large public qui, pour la plupart sait à peine lire, sinon est
analphabète. La lecture de son roman permet de comprendre qu'en
matière de journalisme, il n'est pas un amateur, mais un professionnel
dont la vocation transparaît à travers les pages de ces
oeuvres. Quinze ans, ça suffit est semblable à
l'Honneur perdu car les articles de presse y abondent
également. Mais ils sont écrits par des étudiants comme
le fait croire le narrateur :
« Un tour dans les bibliothèques des
différentes facultés, si tant et qu'elles méritent ce nom,
permettrait de constater qu'il s'agit plutôt d'un savoir en
désuétude, où les ouvrages indispensables à la
formation des étudiants font le plus souvent défaut. Ces derniers
en sont réduits à faire les couloirs de certains organismes
spécialisés détenant les informations dont ils ont besoin.
Les étudiants en géographie ou en sociologie en savent quelque
chose. »143(*)
La spécificité de cet article est qu'il
révèle une situation réelle en apparence. Il paraît
réaliste en ce qu'il évoque les problèmes qui font
obstacle aux étudiants dans la recherche du savoir, notamment
l'insuffisance des documents. Le romancier mêle dans le passage
évoqué deux faits notoires au regard du journalisme. D'abord le
reportage, qui est pris en charge par un étudiant en rapport à sa
situation. Ensuite, la satire qu'il en fait apparaît comme un autre
procédé de la presse écrite en vue susciter la
sensibilité du lecteur. On remarque également une distanciation
permettant à l'auteur de se désengager de la paternité des
propos qu'il attribue au personnage, comme dans une interview : «
Quant à la vie à la cité universitaire, c'est un
véritable calvaire ! ajoute l'article de
l'étudiant. »144(*)
Le journaliste, parce qu'il s'intéresse à
l'actualité, est tenu de rapporter des informations fiables et
crédibles. Ainsi, la source doit aussi être authentique. C'est ce
que semble dire l'auteur de l'Honneur perdu. A défaut
de l'objectivité, les médias recourent à certains
procédés stylistiques leur permettant de prendre distance
vis-à-vis de l'énoncé, tel est le cas du mode
conditionnel. « ...le conditionnel indique que le journaliste ne prend
pas l'information à son compte s'il écrit : Le
président serait malade. Par opposition à le président est
malade. »145(*) En effet, le mode conditionnel est un temps qui
exprime l'hypothèse, l'éventualité, en l'utilisant, on
peut donc livrer des informations sans risque d'être inculpé par
une autorité ou être accusé de diffamation. Dans le roman
d'Amadou Ousmane, les hypothèses foisonnent aussi et cela, à
travers le portrait moral du colonel Workou. Pareillement, il n'entend pas
exprimer une évidence mais fait une supposition. Il affirme que
« Nul doute qu'avec lui, le pays se serait mieux
porté. En tout cas, jamais, il n'aurait accepté que
l'autorité de l'Etat soit ouvertement bafouée. Il aurait
restauré la discipline dans les casernes et les lycées, il aurait
imposé le respect des horaires dans toutes les administrations, il
aurait réduit les syndicats au silence ; il auraient convaincu
les Musulmans et les Chrétiens à observer plus de
tolérance (...) il aurait agrandi les prisons pour recevoir ces `'
bandits d'Etat `' qui continuent à dilapider les fonds publics au
gré de leurs fantaisies, pour s'offrir des villas cossues, des voitures
et maints petits plaisirs, au nez et à la barbe du petit
peuple. »146(*)
A travers ce passage, le romancier exprime son
idéal, celui d'une société équitable et harmonieuse
où l'on vit paisiblement dans le respect réciproque et la
compréhension mutuelle. En insistant sur l'emploi du conditionnel, il
nous montre qu'il n'interprète pas les propos du personnage mais les
rapporte. Il expose sa vision du monde par le biais de l'être fictif et,
par delà, entend donner une leçon car pour lui, le style
journalistique peut viser une fin didactique.
La concision du style peut être due par ailleurs,
à l'agencement des phrases simples, une façon de dire sans
détour le mot juste, ainsi, on a dans le même
sens : « Je crois en la justice. »147(*)
Toutefois, le langage journalistique diffère de la
communication littéraire, de l'écriture romanesque puisque l'un
s'adresse, principalement à un lectorat sensationnel tandis que l'autre
repose sur les images et la polysémie. Donc la fonction poétique
est dominante. Elle s'adresse à une élite. Tout de même,
Amadou Ousmane n'emprunte pas la rhétorique journalistique pour plaire,
mais l'emploie en vue d'une meilleure compréhension. Peut-on dire que
l'influence de la presse n'est qu'une réminiscence, un souvenir plus ou
moins réfléchi ? L'auteur de la Double tentation du
roman nigérien, offre un éclairage à cette
problématique : « (...) La plus grande marque du
journalisme chez Amadou Ousmane est en rapport avec la fonction de
chroniqueur judiciaire qu'avait occupée le romancier au sein de la
presse écrite nigérienne. »148(*)
A l'instar du journaliste, ce romancier prend distance
vis-à-vis de son discours. Autrement dit, il ne s'y implique pas et
emploie rarement le pronom `'je'', les termes valorisants ou laudatifs,
d'où il se pose comme un rapporteur. On peut noter que
« Les médias d'Etat, restés longtemps inaccessibles
aux syndicats commencent à s'ouvrir à toutes les
sensibilités. Les syndicalistes purent ainsi parler à la
télévision, et des reportages sur les activités du monde
scolaire commencèrent à trouver place dans les colonnes de
l'unique quotidien national. »149(*)
Au-delà de la concision, l'auteur de l'Honneur
perdu observe l'univers de la presse avec discernement. Par
conséquent, cet esprit d'analyse et de synthèse le conduit
à distinguer une presse indépendante d'une presse partisane. En
effet, il critique le journal national car il semble parler uniquement de
l'Etat, de son gouvernement. Pour lui, il se détourne de sa mission
originale consistant à informer les citoyens.
Cependant, l'émergence des médias privés
parait prometteuse dans l'optique d'Amadou Ousmane bien qu'elle engendre
séquestrations et brimades des journalistes par le pouvoir. C'est ainsi
qu'il présente l'image de Bello, de façon controversée. Il
est détenu sous prétexte qu'il met l'autorité de l'Etat en
cause, le narrateur ne tarde pas à lui rendre hommage
ici : « Bello, journaliste de renom (...) Sa rigueur
morale et son professionnalisme étant connus de
tous. »150(*) Par contre, le ministre de l'information
reprouve son attitude en la qualifiant d' « Un acte
irresponsable, un acte de sabotage visant à ternir l'image de marque du
régime. »151(*)
L'Honneur perdu apparaît comme un magazine,
dans lequel on retrouve plusieurs articles dénonçant les travers
d'un régime qui amenuise la liberté d'expression et à
cause d'une seule personne à qui l'Etat a conféré un
pouvoir. Pour l'énonciateur : « Le Ministre de
l'information (...) n'hésitait pas parfois à se transporter
jusque dans les studios de la Radio et Télévision, pour censurer
ou orienter le contenu de certaines informations. »152(*)
Selon l'auteur la finalité des médias est de
répondre aux attentes des citoyens, donner des informations efficaces.
On constate qu'il y a un attachement, un penchant entre l'homme et son
métier, entre Amadou Ousmane et sa profession. D'où il rend
hommage aux médias internationaux, notamment les radios qui
émettent en langues nationales, car pour lui, elles participent à
la formation et à la conscientisation des masses populaires. Il se veut,
en fait impartial et critique les tares quand il le faut. Ainsi il prône
le respect des valeurs humaines dans la perspective de son métier, la
presse.
Par ailleurs, il ne tarde pas à s'interroger au sujet
de certains médias qui jettent le discrédit sur les pays
africains, notamment les hommes politiques au cas où ils ne se
soumettent surtout pas aux velléités de la métropole.
Ainsi, il affirme qu' : « Il (le colonel Workou) ne
comprenait pas comment un pays indépendant et souverain encore accepte
de se laisser ainsi insulter à longueur d'antenne, par une Radio
étrangère relevant d'un gouvernement soit disant `'
ami''. »153(*) En effet, Amadou Ousmane transcende la
sphère de la défense du peuple, il prend de ce fait position
pour se faire le porte parole de sa nation, de l'Afrique et du Tiers monde en
général. Il s'inscrit donc dans une perspective cosmopolite.
D'un autre point de vue, la clarté du style se traduit
chez le romancier dans sa tendance au reportage. Son oeuvre ressemble à
un article dans lequel le journaliste rapporte les faits auxquels il a pris
part. Pour le narrateur, « Certains grands commis, ou même
de simples hommes d'affaires qui avaient, oublié jusqu'au goût de
l'eau du puits, coururent ainsi précipitamment au village où ils
se dépêchèrent de renouer avec leurs proches dans la
perspective des futures échéances
électorales. »154(*)
L'avènement de la démocratie a suscité,
en conséquence, un engouement et un enthousiasme chez l'élite
politique malgré sa méconnaissance des réalités
dans lesquelles vivent les populations. Le style journalistique se
caractérise par la clarté et cela amène le lecteur
à découvrir la vérité de lui-même. En
revanche, Amadou Ousmane déplore le fait que le choix
démocratique soit basé parfois sur des affinités
ethnolinguistiques ou des considérations d'ordre social. Pour lui, le
processus de démocratisation demeure critique dans un pays où la
majorité de la population ne sait ni lire ni écrire. C'est ainsi
qu'il envisage une instruction à l'échelle nationale afin de
favoriser d'abord la prise de conscience du peuple, ensuite sa prise en charge,
conditions sine qua non pour l'épanouissement humain.
A l'instar d'Idé Oumarou dans Gros plan qui
brosse le tableau des moeurs sociales et pratiques politiques sous la
Ière République du Niger, l'auteur de l'Honneur perdu,
lui, s'inspire de l'actualité et, les faits qu'il évoque sont
récents. On le remarque à ce niveau lorsqu'il dit :
« Lentement, la vie reprit son cours
normal. On oublia pour un temps les grèves perlées qui, durant
des mois, avaient soumis le pays à rude épreuve. On oublia les
sautes d'humeur des conducteurs de taxi et d'autobus, les longues coupures
d'électricité ; les obstructions de voies publiques par des
transporteurs en colère, les journaux télévisés
vite `'expédiés'' par des journalistes qui saisissaient le
moindre prétexte pour `'débrayer''.»155(*)
En observant la société, Amadou Ousmane peint
des faits réels, et la représentation de la réalité
a pour conséquence le recours à une méthode
d'écriture qui traduit le mieux cette réalité, d'où
on note une quasi absence du merveilleux et du surnaturel dans son oeuvre, son
but est de rapporter des faits avérés.
En définitive, la clarté du style apparaît
comme une vision du monde chez notre romancier, puisqu'il vise à
informer un large public des métamorphoses de sa société
lesquelles, peuvent paraître inaperçues sans une
représentation plus ou moins sensible de la réalité.
Au regard de l'analyse de L'Honneur perdu, on
remarque une nette influence du réel. Ainsi son expression y est
dominante, comme dans l'essentiel de l'oeuvre romanesque d'Amadou Ousmane,
d'où son caractère réaliste. Dans un premier temps,
l'étude de la structure a permis de comprendre que cette oeuvre est
à l'image du roman balzacien composée en chapitres. Ils sont
liés logiquement, parce qu'il y apparaît une certaine progression
au niveau de l'intrigue. On observe une cohérence du point de vue
interne et externe, dans la mesure où le nombre de pages est quasiment
la même au sein de chaque chapitre. Les intitulés s'identifient
également au contenu. Quant au titre, il est littéral,
c'est-à-dire qu'il renvoie au contenu de l'oeuvre.
La description est réaliste en ce que l'auteur
s'inspire parfois des lieux réels tout en les rendant vraisemblables.
Celle des lieux imaginaires suscite une impression du réel. Et
Réciproquement, le cadre spatial est peint au point d'être
assimilé à un lieu réel, donc il suscite une impression de
vue. Tous ces éléments contribuent à rapprocher la
peinture des lieux dans le roman d'Amadou Ousmane à la description
balzacienne. L'espace et le temps réfèrent au Niger pendant la
période de démocratisation, d'où le Bamoul, pays
imaginaire ainsi que la référence temporelle expriment un lieu
précis à une période repérable.
S'agissant du personnage romanesque, il ressemble à la
personne réelle au sens où les deux semblent avoir la même
appartenance sociopolitique. L'être fictif se spécifie à la
fois par son origine sociale et son langage est comme un idiolecte, voire
même un sociolecte. On peut dès lors comprendre que la
caractérisation des personnages chez le romancier vise à leur
donner une unité. C'est pourquoi l'évolution psychologique
apparaît de plus en plus vive.
En ce qui concerne la narration, elle est fortement
marquée par un effort constant de l'auteur se rapprocher des faits
vrais. C'est pourquoi L'Honneur perdu est un roman dans
lequel il s'est beaucoup intéressé à l'histoire
contemporaine du Niger. L'impersonnalité du récit s'explique par
la recherche de l'objectivité. La temporalité permet de ressortir
la coïncidence du temps de la narration avec le temps de l'histoire.
En somme, l'écriture romanesque d'Amadou Ousmane est
largement dominée par le style journalistique. C'est un observateur
vigilent de la société. Ses romans s'assimilent à une
longue chronique et s'efforcent de coller de plus près à la
réalité sociopolitique vécue par la communauté,
à laquelle l'auteur reste attaché. Dans le fond, il y ressort une
large prise en compte de l'actualité. Les faits sociaux et politiques
récents constituent la trame. Cela fait de l'auteur un observateur de la
société, et un scrutateur des moeurs.
Deux méthodes critiques ont servi à
l'étude de cette oeuvre. Tout d'abord, il faut noter la sociologie du
roman en raison de l'interaction entre l'auteur et son milieu d'origine qui
sont les principales sources de l'oeuvre. Une telle méthode a
permis de déterminer l'influence des faits sociaux de même que la
faculté créatrice dans l'oeuvre. Ensuite, la sémiotique,
qui a consisté au décryptage des repères spatiotemporels
qui traduisent surtout l'emprise de l'imagination du romancier.
En conséquence, on peut affirmer sans risque de se
tromper que l'Honneur perdu est un roman réaliste, puisque
Amadou Ousmane s'est inspiré du vécu quotidien. Cette
écriture fait donc référence au réalisme balzacien.
Mais, le roman nigérien est il essentiellement
d'inspiration nationale ou doit il tendre vers une perspective cosmopolite,
universelle ?
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1997.
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1990.
KOTOUDI Idimama, les Forces vives, Niamey, INN,
2005.
OUMAROU Idé, Gros plan Abidjan, NEA,
1977.
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africaine, 1980.
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Présence africaine, 1960.
OYONO Ferdinand, Le Vieux nègre et la
médaille, 10/18, 1956.
SALIFOU André, Tels pères, tels fils,
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QUENEAU Raimond, Zazie dans le métro, Paris,
Gallimard, 1959.
V- Thèse
ISSA DAOUDA Abdoul Aziz, La Double tentation du roman
nigérien, L'Harmattan, Paris, 2006.
III Ouvrages spécialisés.
ARON Paul, DENIS Saint- Jacques, VIALA Alain, Le
Dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
BARTHES Roland, Le Degré zéro de
l'écriture, Paris, Seuil, 1953.
BARTHES Roland, KAYSER, Wolfang, WAYNE C. Booth et Hamon
Philippe, Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977.
ETERSTEIN Claude et al, Littérature
française de A à Z, Paris, Hatier, 1998.
DANIELLE Leeman, « La communication » in
Dictionnaire universel, Hachette/Edicef, 2002, p.1462.
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GENETTE Gérard, « Frontières du
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TZVETAN Todorov, « Les catégories du
récit littéraires » in Poétique du
récit, Paris, Seuil, 1977, pp131-157.
GOLDENSTEIN J.P., Pour lire le roman,
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GOLDMAN Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris,
Gallimard, 1980.
HENRI Benac, Guide des idées
littéraires, Hachette, 2003.
JEAN Michel Adam, « Les structures de l'oeuvre
» in Les Grands Atlas Universalis, Encyclopédie
universalis, 1990, P34.
JEAN Ricardou, « Temps de la narration, Temps de la
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MARTINE Lani Bayle, Ecrire une recherche, mémoire
ou thèse, Lyon, Chronique sociale, 2002.
III- Sources électroniques
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F:/ Le Rouge et le noir-Wikipédia .mht.
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Onomastique Wikipédia.
IV Articles de presse :
DIADO Amadou, « Le Général Ali
Saïbou, un grand démocrate pétri de patriotisme »
in Magazine La Voix Libérée, Niamey, Imprimerie IMBA,
Août 2010, p.24.
DIADO Amadou, « La Baule, François Mitterrand
et l'Afrique » ibid, pp.26-27.
Table des matières
Introduction
2
Chapitre I : L'Honneur perdu :
Une structure réaliste
7
I.1 Montage et compositions réalistes
8
I.2 L'adéquation du titre au contenu
14
I.3 Réalisme et causalité
18
Chapitre II : Espaces fictifs et illusion
réaliste
21
II.1 Espace réel et description
réaliste
22
II.2 Référents imaginaires
24
II.3 De la description balzacienne
27
Chapitre III : Raconter le réel
32
III.1 Le roman sous l'emprise des faits
réels
33
III.2 Le roman miroir ou l'objectivité
narrative
36
III.3 Temps historique et temps narratif
38
Chapitre IV : Personne réelle et
personnage romanesque
46
IV.1 Le personnage : reflet d'une
société
47
IV.2 Le dialogue des personnages, tel père,
tel fils
53
IV.3 L'être fictif et évolution
psychologique
56
Chapitre V : Amadou Ousmane : un
observateur de la société
58
V.1 De la chronique sociopolitique au récit
romanesque
59
V.2 Le scrutateur des moeurs
65
V.3 L'influence du journalisme, un style concis
70
Conclusion
76
Bibliographie
79
* 1 BARTHES Roland, le
Degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1953.
* 2 Honoré de BALZAC,
la Comédie humaine, Paris, Dubochet Fume et Hetzel, 1901.
* 3 F:/ la Comédie
humaine. Wikipédia.mht.
* 4 BONI Nazi,
Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence africaine,
1962.
* 5 BOTO Eza, Ville
cruelle, Paris, Présence africaine, 1954.
* 6 FANTOURE Alioum, le
Cercle des tropiques, Présence africaine, 1972.
* 7 OUMAROU Idé, Gros
plan, Abidjan, NEA, 1977.
* 8 OUSMANE Amadou, Quinze
ans, ça suffit !, Présence africaine, 1985.
* 9 OUSMANE Amadou, le
Nouveau juge, NEA, 1981.
* 10 OUSMANE Amadou,
l'Honneur perdu, Niamey, NIN, 1993.
* 11 OUSMANE Amadou,
Chronique judiciaire, Niamey, INN, 1987.
* 12 OUSMANE Amadou, le
Témoin gênant, Médis, 1994.
* 13 ARON Paul, DENIS Saint
Jacques, VIALA Alain, le Dictionnaire du littéraire, PUF, 2002.
* 14 GOLDMAN Lucien, Pour
une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1980.
* 15 Idem, p338.
* 16 L'Honneur perdu
op. Cit., p36-37.
* 17 La Baule, ville
française où s'est tenu en 1989 un sommet des chefs d'Etat
africains dans le cadre de la démocratisation du continent.
* 18 L'Honneur perdu,
op. cit.p.36.
* 17 L'Honneur perdu, op. Cit.,
p.79.
* 19 Idem, p.86.
* 20 L'Honneur perdu,
p.126.
* 21 Idem, p.127.
* 22 Idem, p.152.
* 23 L'Honneur perdu,
p.208.
* 24 L'Honneur perdu,
p.209.
* 25 Ibidem, P.209.
* 26 Guy de MAUPASSANT
cité par HENRI Benac in `'Guide des idées
littéraires, Hachette, 2003.
* 27 Guide des idées
littéraires, p.505.
* 28 L'Honneur perdu,
p.33
* 29 Idem, p.20.
* 30 Encyclopédie
universelle, Vol 20, Paris, 1980, p.2090.
* 31 L'Honneur perdu,
op. Cit., p.61.
* 32 OUMAROU Idé, le
Représentant, Abidjan, NEA, 1984.
* 33 Idem, p.199.
* 34 L'Honneur perdu,
p.34.
* 35 OUSMANE Sembène,
l'Harmattan, Présence africaine, 1980, p.9.
* 36 KOTOUDI Idimama, les
Forces vives, Niamey, N.I.N, 2005.
* 37 Idem, p.52.
* 38 L'Honneur perdu,
op. Cit., p.47.
* 39 Dictionnaire des
littératures françaises et étrangères,
Larousse, 1994.286.
* 40 Honoré de BALZAC,
le Père Goriot, Hatier, 2004.
* 41 L'Honneur perdu,
op. Cit, p.134.
* 42 Idem, p.57.
* 43 L'Honneur perdu, op. Cit.,
p.36.
* 44 Le Nouveau juge,
op, cit, p.25
* 45 L'Honneur perdu,
op, cit, p.113.
* 46 JEAN Michel Adam,
« les Structures de l'oeuvre » in les Grands atlas
universalis, Encyclopédie universelle, 1990 p.34.
* 47 OYONO Ferdinand, le
Vieux nègre et la médaille, 10/18, 1956.
* 48 L'Honneur perdu,
op. Cit. p.132.
* 49 JEAN Michel Adam,
« les Structures de l'oeuvre » in les Grands atlas
universalis, Encyclopédie universelle, op., cit., p.34.
* 50 L'Honneur perdu,
op. Cit. p.78-79.
* 51 Honoré de
BALZAC, les Chouans, presses pocket, 1990.
* 52 Idem p. 31
* 53 La littérature
française de A à Z, Paris, Hatier, 1998, p.129
* 54 L'Honneur perdu,
op. cit, p. 124
* 55 GENETTE Gérard,
« Frontières du récit » in
Poétique du récit, Seuil, 1977, p. 163
* 56 La littérature
Française de A à Z, op. Cit, p. 296
* 57 L'Honneur perdu,
op. cit, p. 77
* 58 http : members.
Home//ngr idscheepers/pdf
* 59 GENETTE Gérard
« Frontières du récit » in
Poétique du récit, p. 163.
* 60 L'honneur perdu,
op. cit, p. 125
* 61 Http: members. home n
//ngr idshepers/pdf
* 62 L'Honneur perdu,
0p cit, p. 175
* 63 Gros plan, op.
cit, p. 5
* 64 DIADO
Amadou, « Le général Ali Saibou, un grand
démocrate pétri de patriotisme » in la Voix
Libérée, Niamey, Imprimerie IMBA, Août 2010, p.24.
* 65 Evolution Politique du
Niger de 1987 à nos jours, Niamey, FONDS Niger, 1995, p 10
* 66 L'Honneur perdu,
op. Cit. p 7.
* 67 http :
//fr.wikipedia.org
* 68 SOLI Abdourahmane,
Conférence Nationale du Niger, Niamey, Presses de l'imprimerie
des Arts graphiques du Niger, p. 26.
* 69 DIADO Amadou,
« La Baule, François Mitterrand et l'Afrique » in
la Voix libérée, op. Cit, p.26.
* 70 F : /Le rouge et
le noir-wikipedia-mht
* 71 Stendhal, Le Rouge et
le Noir, Presses pocket, 1990.
* 72 F : /Le rouge et
le noir-wikipedia-mht
* 73 L'Honneur perdu,
op. Cit, p. 44
* 74 File:// fr. Genette
Narratologie Signo Théories sémiotiques appliquées.htm.
* 75 F:/ le Rouge et le noir-
Wikipédia-org.
* 76
File:///Genette-Narratologie-Signo-Théories
sémiotiques appliquées.-htm.
* 77 L'Honneur perdu,
op.cit, p69.
* 78 F:/ La temporalité
narrative.mht.
* 79 L'Honneur perdu,
op, cit, p.17.
* 80 TZVETAN
Todorov, « Les catégories du récit
littéraire » in Poétique du récit,
p.145.
* 81 L'Honneur perdu, op, cit,
p.113.
* 82 Http://
WWW.Google.com.La temporalité
dans le roman.
* 83 L'Honneur perdu, op. Cit,
p..214.
* 84 L'Honneur perdu,
op, cit., p.95.
* 85 http:// Google-.com.la
temporalité dans le roman
* 86 L'Honneur perdu,
op., cit., p.10-11.
* 87 RICARDOU
Jean « Temps de la narration, Temps de la fiction »
in Problèmes du nouveau roman, Paris, Seuil, p.161.
* 88 File://
Genette-Narratologie-Signo-Théories sémiotiques
appliquées.hmt.
* 89 DENIS
Bertrand, « Positions énonciatives » in
Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000,
P.71.
* 90 L'Honneur perdu,
op. Cit, p.27.
* 91
Genette-Narratologie-hmt.
* 92 L'Honneur perdu, op, cit.
p.36.
* 93
Genette-Narratologie-hmt.
* 94 L'Honneur perdu, op, cit.
p.19.
* 95 L'Honneur perdu,
p.155-156.
* 96 Guide des idées
littéraires, op cit, p.
* 97 Honoré de BALZAC,
le Père Goriot, Hachette, 1997, p.11.
* 98 L'Honneur perdu,
op, cit, p.12.
* 99
Onomastique-Wipédia
* 100 SALIFOU André,
Tels pères tels fils, Niamey, INN, 1993.
* 101 L' Honneur
perdu op, cit, p.17.
* 102 Idem, p.114.
* 103 Quinze ans,
ça suffit !, p.134.
* 104 L'Honneur
perdu, p.114
* 105 J. P. GOLDEINSTEIN,
Pour Lire le roman, DEBOECK-DUCULOT, p. 43.
* 106 OUSMANE Sembène,
les Bouts de bois de Dieu, Présence africaine, 1960.
* 107 L'Honneur
perdu, op cit, p.157.
* 108 Idem, p.74.
* 109 ISSA DAOUDA Abdoul Aziz,
la Double tentation du roman nigérien, Paris, L'Harmattan,
2006, p.210.
* 110 L'Honneur
perdu, p.37
* 111 HALILOU SABO Mahamadou,
Caprices du destin, Niamey, INN, 1981.
* 112 http : members.
Home.n/ngr idshepers/pdf.
* 113 Raymond QUENEAU,
Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, 1959.
* 114 L'Honneur
perdu, P.52-53.
* 115 L'Honneur
perdu, p.69.
* 116 Idem, p.41.
* 117 J P GOLDENSTEIN,
Pour lire le roman, op. Cit. p.51.
* 118 La Double tentation
du roman nigérien, op, cit, p.177.
* 119 L'Honneur
perdu, p.183-184.
* 120 Idem, p.86.
* 121 Quinze ans
ça suffit, op. Cit., p.28-30.
* 122 L'Honneur
perdu, op. Cit., p.36-37.
* 123 L'Honneur
perdu, op. Cit, p.44.
* 124 La Double tentation
du roman nigérien, op. Cit., p.23.
* 125 Note de l'éditeur
sur la couverture du roman.
* 126 L'Honneur
perdu, p.38.
* 127 EMILE Zola, le Roman
expérimental, 1880.
* 128 Collection Henri
Mitterrand, littérature française du XIXè s,
p.463.
* 129 L'Honneur
perdu, op. Cit. p.20.
* 130 Idem, p.111.
* 131 L'Honneur
perdu, op. Cit. p.77.
* 132 Ibidem, p.177.
* 133 Idem, p.121.
* 134 DIOME Fatou, le
Ventre de l'Atlantique, Paris, Anne Carrière, 2003.
* 135 F:/ le Rouge et le
noir -Wikipédia-org.
* 136 L'Honneur
perdu, op.cit., p.107.
* 137 L'honneur perdu
op. Cit, p.117
* 138 Idem, 157.
* 139
http://fr. . Wikipédia.org/Wiki R0/0
C30/0( litt0/0 c3 rature).
* 140 L'Honneur
perdu, op, cit, p.144.
* 141 La Double tentation
du roman nigérien, op. Cit. p.167.
* 142 L'Honneur
perdu, p.44.
* 143 Idem, p.78.
* 144 L'Honneur
perdu, op., cit, p. 23.
* 145 DANIELLE Leeman,
« La communication » in Dictionnaire universel,
Hachette/Edicef, 2002, p.1462.
* 146 L'Honneur
perdu, op. Cit. p.24.
* 147 Idem,p.206.
* 148 La Double tentation
du roman nigérien, op., cit, p.267-268
.
* 149 L'Honneur
perdu, op., cit., p.39.
* 150 Idem, p.82.
* 151 L'Honneur
perdu, op, cit., p.82.
* 152 Idem, p.37.
* 153 L'Honneur
perdu, op. Cit, p.33.
* 154 Idem, p.37.
* 155 L'Honneur perdu, op,
cit, p.38.
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