Pétrole et jeu des acteurs dans la fabrication des politiques publiques des hydrocarbures au Cameroun.( Télécharger le fichier original )par Yves Patrick MBANGUE NKOMBA Université de Yaoundé II (SOA) - Diplôme d'études approfondies en science politique 2006 |
SECTION 2 : LA COMPLEXIFICATION DES SYSTÈMES DE RÉFÉRENCELes flux des ressources liées au boom pétrolier au Cameroun depuis la fin des années 1970, réorienteront les logiques d'accumulation et par là les systèmes référence dans le cadre de la politique économique et la politique globale de développement du Cameroun ; le pétrole au Cameroun durant au moins trois décennies (1970-2000), a servi de manière silencieuse l'appareil politico-administratif, mais celui-ci a trouvé des moyens d'orientation et d'explication d'une politique globale par des ressources autres que le pétrole. Il s'agira donc dans cette section à partir d'une démarche constructiviste, de voir comment la ressource pétrolière, élément tampon de la politique globale rend complexe la société en créant un environnement favorable (Paragraphe I) à une action des sous systèmes auto référentiel (Paragraphe II) Paragraphe I : Un environnement politiquement favorableIl s'agira de voir la diversification des systèmes de référence à partir de la culture de rente comme levier de l'économie et de l'agro Industrie comme système de référence des politiques globales de l'Etat Camerounais (A), puis l'apport des ressources pétrolières dans la scolarisation des citoyens Camerounais (B).
A- L'apport des ressources pétrolières dans la construction d'un Etat Agro-industriel : la diversion d'une pratiqueLa construction de la logique gouvernementale de placer son développement sur les cultures directes, voir l'agriculture et non sur les richesses de sous-sol est bien connu fort longtemps avant la prise du pouvoir du Président Biya, car, de manière officielle, sous la présidence d'Amadou Ahidjo, le Cameroun conçoit et place sa stratégie de développement sur le travail du sol et non sur l'exploitation pétrolière et minière. De nombreux projets structurants sont en outre là pour démonter la pertinence de l'officialité de cette position de la part de l'appareil politico administratif. Aussi il est de bon ton de rappeler qu'au lendemain de l'indépendance le président Ahidjo consacre en 1963 une place particulière à la paysannerie et la baptise "l'année du paysan" dix ans plus tard c'est la « révolution verte » ; il y a une ferme croyance à la culture de la terre, ainsi, le Président considère ces ressources comme étant une richesse impérissable, il faudrait avoir juste la volonté et un peu de moyen, c'est ce que le gouvernement mettra en place en matérialisant la vocation agricole et pastorale du Camerounais, en mobilisant massivement la paysannerie ; le lancement de la révolution verte est faite à Buéa avec l'inauguration d'une "foire agricole" ;on note alors une extension des structures de production agricole qui va bien être visible sur la scène nationale et même internationale et selon la typologie des observatoires mondiaux de l'économie, des pays Africains que ressort Ombé Ndzana dans son ouvrage55(*) ; dès lors on peut noter que le Cameroun est bel et bien inscrit et classé dans le rayon des pays non minier à économie essentiellement agricole. L'Etat Camerounais s'inscrit dans une logique de construction permanente et de conception selon laquelle on le perçoit comme un Etat agricole à partir de l'équation suivante : Cameroun = Economie Agricole. Ainsi, pour consolider cette perception, l'Etat va publier un nombre important de document assortis des précisions de pourcentage ; pour légitimer cette posture et sauvegarder la nature agricole de l'économie camerounaise, toujours à la même période, il se fait grand paysan et industriel en investissant dans le secteur agricole tels, le palmier à huile, la banane, l'hévéa, le thé. Il sollicite une main d'oeuvre abondante laquelle précise le sens de son action qui est bien basé sur la redynamisation de l'agriculture renforcés par l'industrie ; cette action, la plupart de temps emprunte des désirs de légitimation sur la scène internationale en intégrant dans la chaîne agricole des étrangers, des organismes de coopération, des banques, des Multinationales, en recherchant dans ces contrats d'action et d'opération la hausse de la rentabilité, l'échange de connaissance et le transfert de technologie et de technique agricole profitable non seulement à l'Etat, mais également aux populations (agriculteurs et paysans) ; étant le plus gros paysan, l'Etat va engager de grandes plantations des cultures de rente, embaucher massivement les villageois, les intégrer progressivement dans des programmes pensés en amont tels le MIDEVIV, le programme Yabassi-Bafang devenu par la suite le SODENKAM. Ce dispositif de financement de ce secteur s'appuie sur les ressources pétrolières dans une large mesure. Il ne faudrait surtout pas croire que c'est une question du Président de l'époque, c'est-à-dire propre au règne Ahidjo ; d'ailleurs, le Président Biya qui a été le produit de la haute Administration Camerounaise est parfaitement au courant de cette feinte de l'appareil politico administratif qui s'appui sur les ressources agricoles pour empêcher de compter sur le pétrole et de penser pétrole. C'est pourquoi, en accédant au pouvoir en 1982, même s'il s'inscrit sous un ton de dialogue, d'ouverture avec ses populations sur le langage de la vérité, de la rigueur et de la moralisation en termes d'action publique, il reste dans la même équation, Cameroun = Economie Agricole. C'est dans cette logique qu' au lendemain de son accession à la Magistrature Suprême en mai 1983, il réaffirme dans les colonnes du courrier, le rôle prépondérant de l'agriculture dans l'économie nationale : "Notre accession à l'indépendance, l'agriculture constitue (...) la première priorité de la stratégie du développement du Cameroun parce qu'elle est l'activité économique fondamentale du pays, celle qui occupe la majeure partie de la population et assure son autosuffisance, celle qui apporte une contribution importante à la production intérieure brute fournit la majeure partie des matières premières nécessaires à notre jeune industrie et demeure le débouché principal de notre main d'oeuvre"56(*). Voilà une pratique, celle de la diversion politique d'un produit notamment l'agriculture, et principalement en ce qui concerne les produits de rente, considéré au grand jour par le Chef d'Etat comme étant le socle de l'économie camerounaise alors même que les pratiques d'exploration et d'exploitation du pétrole se font dans le pays, et dont on ne fait jamais mention, et quand bien même les pensées oseraient se tourner vers cet angle, on détourne la conscience de ceux-ci par des subterfuges de manière subtile. C'est d'ailleurs dans cette dialectique que tout comme le Président Ahidjo, le Président Biya dans le même temps notamment le 26 mai 1983 banalise l'apport du pétrole dans le secteur de l'économie dans une interview accordée au Quotidien à Paris match en précisant que : "...Le pétrole n'est pas une manne intarissable, mais une ressource passagère et limitée dans le temps, une ressource soumise aux aléas du marché et qui par conséquent, ne saurait contribuer un appoint éphémère et fluctuant à nos ressources permanentes ou renouvelables. Aussi avons-nous opté, au lendemain de notre accession à l'indépendance, de faire de l'agriculture la base de notre développement"57(*). L'agro-industrie par ailleurs peut aussi être considérée comme un système de référencé des politiques globales de l'Etat Camerounais, c'est pourquoi, au-delà de l'Etat planteur, l'appareil politico administratif va construire un autre référentiel dans sa politique globale, celle de "l'Etat bâtisseur" et "l'Etat constructeur" du secteur industriel prenant appui sur l'agriculture. Il est important ici de voir comment à travers l'émergence de l'industrialisation du secteur agricole, le pouvoir central écarte les vues et les visées sur le pétrole ; le fait de se proclamer pays à économie agricole, voudrait nécessairement avoir à investir pour une quantité considérable sur des produits cultivés à savoir les produits de rente tels, le cacao, le thé, le café, la banane, le plantain, le riz, le blé, le coton, etc. ; les paysans ne peuvent plus satisfaire les attentes du gouvernement en termes de production élevés pour une commercialisation qui dans ses prévisions budgétaires compte pour beaucoup. L'important ici étant de pouvoir justifier au terme des exercices budgétaires la place à accorder pour plus d'investissement de création de ces structures agro-industrielles. À travers cette logique, le pouvoir central voit dans cette politique de référence un moyen pour le développement de l'Etat en ce sens qu'il faudra créer les sociétés agricoles non pas dans les grandes métropoles comme Douala, Yaoundé, mais développer en zones les plus reculées comme ce fut le cas des structures HEVECAM mis en place dans le département de l'Océan à Kribi, la CAMSUCO, la SOSUCAM, dans les zones reculées du Centre, la CDC qui exerce sa souveraineté dans les département du Fako, et de la Mémé région du Sud-Ouest et de l'Ouest, la SOCAPALM dans le Mungo; dans la zone du Grand Nord la SODECOTON, MAÏSCAM. La mise en place de toutes ces structures à caractère industriel, répond dans les normes et au grand jour à un souci, celui de pouvoir rendre cohérent sa logique d'Etat qui ne vit qu'à partir des ressources agricoles et dont le salut du développement ne provient que de ce secteur ; il faudrait quand même se poser quelques questions : si l'Etat (pouvoir central) allait en campagne médiatique pour le développement du secteur agricole et multipliant les appels aux populations ou citoyens à devenir des grands plateaux ? Où trouvait-il les sources de financement ? S'il est vrai que l'Etat tire la majeure parti de ses revenues dans les taxes et impôts, le domaine fiscal à cette période de grand investissement dans les grandes sociétés industrielles agricoles n'était pas encore stable et ne rapportait pas autant d'argent à l'Etat au point de créer des structures qui à peine qu'elles aient été mises sur pied tombaient en faillite sans regret du pouvoir central. Cette politique du pouvoir central rend complexe le système de référence et ne permet pas alors d'avoir une lisibilité nette sur ce qui est fait à partir de la politique globale. Cette complexité est aussi marquée par la multiplicité dans le même temps des sous-systèmes autoréférentiels. * 55 Agriculture, Pétrole et Politique, publiés en 1987 * 56 X.L Deutchoua, « Noir silence sur l'on noir », in Les cahiers de Mutations, vol 040, oct. 2006, p. 4. * 57 Idem. |
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