La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais( Télécharger le fichier original )par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011 |
Le premier degré de l'instruction est l'oeuvre d'une juridiction particulière, il serait donc utopique de penser à un second degré de juridiction conçue dans un classicisme habituel, une juridiction de fond n'ayant encore été saisie103(*). Pour cette raison, l'organisation judiciaire au Cameroun prévoit au sein des Cours d'Appel et, selon les nécessités de services plusieurs chambres dont la Chambre de Contrôle de l'Instruction. Cette dernière est compétente pour connaitre des contestations nées au cours de l'instruction devant le juge d'instruction.Autrefois qualifié de chambre de mise en accusation, le second degré de l'instruction est aujourd'hui constitué de la Chambre de Contrôle de l'Instruction logée à la Cour d'Appel. En tant que juridiction de second degré, l'examen des contestations est l'oeuvre d'un collège de juges. Cependant, l'instruction devant la Chambre de contrôle n'est possible que si celle-ci est saisie (§-I). C'est cette saisine qui permettra à la Chambre de mettre en oeuvre ses pouvoirs en la matière (§-II).
§-I- La saisine de la Chambre de ContrôleAdmis par certains comme juge « naturel » de l'instruction104(*), la Chambre de Contrôle de l'Instruction est de principe le second degré de juridiction en matière d'instruction. En effet, selon l'article 267, « Les actes du juge d'instruction peuvent être frappés d'appel devant la Chambre de Contrôle de l'Instruction (...) ». À la lecture de cet article, on peut penser que la Chambre n'est saisie que par le mécanisme d'appel, mode traditionnel de contestation des décisions des juridictions de premier degré. Il n'en est rien, car la loi pénale de 2005 prévoit bien d'autres mécanismes de saisine cette instance qu'il importe d'examiner (A). On ne pourra en douter que la diversité de moyens de saisine de la Chambre produise des effets identiques (B).
A- Les mécanismes de saisine de la Chambre de Contrôle de l'InstructionÀ l'image des parties concernées par le procès pénal, on ne peut se douter de ce que les modes de saisine du juge de l'instruction soient diversifiés. En effet, la saisine de la Chambre peut aussi dépendre des actes querellés. En tout état de cause, les mécanismes de saisine restent conditionnés par la partie qui entend porter sa contestation devant cette chambre. On peut toutefois parler des modes ordinaires de saisine (i) et du mode réservé de saisine de la Chambre de Contrôle de l'Instruction (ii). i- Le mode ordinaire de saisine de la Chambre de Contrôle L'appel est considéré comme le mode ordinaire, voir même traditionnel de saisine de la Cour d'Appel. La Chambre de Contrôle de l'Instruction qui constitue une section spéciale de cette juridiction ne peut déroger à ce mode de saisine. Alors, considéré comme voie de recours ordinaire contre les décisions des juridictions de premier degré, il nous échoit dans le cadre de cette étude de remarquer l'inégale répartition du droit d'appel entre les principaux bénéficiaires au cours de l'instruction préparatoire (a). Il faut cependant constater qu'il est soumis à un formalisme simple (b). a- L'inégale répartition du droit d'appel entre les bénéficiaires Au cours de l'instruction, seuls le ministère public et les parties bénéficient du droit de contestation des actes du juge d'instruction par voie d'appel. Ce droit est réparti de manière inégale entre ces derniers. 1- Le droit d'appel du ministère public Le ministère public dispose d'un droit d'appel plus large. En effet, comme le confirme l'article 268, « Le ministère public peut sauf dispositions contraires ; interjeter appel contre les ordonnances rendues par le juge d'instruction (...)». Ce texte ne limite pas le champ d'action du ministère public dans ce domaine. On pourrait se dire que le législateur camerounais à l'image de son homologue français parle de « toute » ordonnance du juge d'instruction. Cependant, on s'accorde pour reconnaitre l'existence de la nature différente des ordonnances. La préoccupation sera donc celle de savoir si quelque soit sa nature, l'ordonnance est sujette au recours. Selon la doctrine majoritaire cette question est tranchée par la négative. Sont seules sujettes à appel les ordonnances juridictionnelles du juge105(*). Dans le même sens, une partie de la doctrine affirme que les ordonnances du juge d'instruction sont susceptibles d'appel « quelle que soit leur nature juridique »106(*). La position de cet auteur paraît la plus acceptable dans la mesure où la distinction ordonnance administrative-ordonnance juridictionnelle n'est qu'une oeuvre de la doctrine et de la jurisprudence, la loi elle-même ne faisant pas une telle distinction. Le ministère public peut donc interjeter appel contre toutes les ordonnances, y compris celles qui sont conformes à son réquisitoire107(*). Ceci se justifie par le fait que celui-ci ne « doit jamais être lié par une prise de position qui, ultérieurement, pourrait lui sembler peut conforme à l'intérêt général »108(*). Le fait de contester toutes les ordonnances du juge d'instruction peut aussi être fondé par le rôle que la loi accorde au juge. Selon l'article 150, «lorsque le juge d'instruction décide d'informer, il procède à tous les actes d'information qu'il juge utiles à la manifestation de la vérité ». Considérant à cet effet que, rentrent dans les actes utiles à la manifestation de la vérité les décisions administratives et juridictionnelles du juge d'instruction, ces dernières devant être consignées dans les ordonnances, il est admis que par voie de conséquence, elles devraient être toutes sujettes au droit d'appel reconnu au ministère public. Nous pouvons sans ambages remarquer l'ambigüité de la portée d'une telle prérogative. D'abord, elle pourra consister en une véritable atteinte à l'indépendance du juge d'instruction. Si l'indépendance suppose la «liberté d'action» sans crainte possible de contrôle, le juge d'instruction pourrait se voir retirer même la possibilité d'organiser sa propre mission dans la mesure où même ses ordonnances administratives sont susceptibles d'appel. Ensuite, un tel droit constitue un atout à la bonne administration de la justice, gage d'une bonne procédure même si parfois le droit d'appel peut contribuer aux lenteurs judiciaires. 2- Le droit d'appel des parties La loi est claire et non équivoque : «l'inculpé ne peut relever appel que des ordonnances relatives à la détention provisoire, à la demande d'expertise ou de contre expertise et à la restitution des objets saisis». «La partie civile ne peut relever appel que des ordonnances de refus d'informer, d'irrecevabilité de la constitution de partie civile, de rejet d'une demande d'expertise ou de contre expertise, de restitution des objets saisis ou de non-lieu»109(*). De ces deux textes, il ressort que le domaine d'action des parties (l'inculpé et la partie civile) est limité en ce qui concerne l'appel. Contrairement au ministère public qui peut «interjeter appel contre les ordonnances rendues par le juge d'instruction» sans précision aucune, les parties ne le peuvent que contre des ordonnances, précises. Il s'agit uniquement de celles qui portent atteinte à leurs droits. Certains auteurs parlant du droit d'appel des parties, le caractérise d'exceptionnel110(*). Si le droit camerounais se range sur cette position, il n'en va pas autrement pour le droit français. Seulement, ce dernier élargit un peu plus le droit d'appel des parties. L'article 186 du Code de Procédure Pénale français permet aux parties de faire appel des ordonnances de non informer, de non lieu, de l'ordonnance par laquelle le juge a statué sur sa compétence. Bref le code parle des ordonnances « faisant grief aux intérêts civils». De la même manière qu'une ordonnance fait grief à une partie prenante au procès, elle peut en faire autant aux tiers. Lors des perquisitions et saisies, il peut arriver que le juge saisisse des biens n'appartenant pas à l'inculpé. On se demande alors si ces actes faisant grief sont susceptibles d'appel. La loi semble claire sur ce point. Il n'existe en principe pas de droit d'appel pour les tiers. En effet, l'article 179 alinéa 5 est formel. Il dispose : «toute personne qui prétend avoir droit sur les objets et documents saisis peut réclamer la restitution au juge d'instruction qui statue après réquisition du Procureur de la République, par ordonnance non susceptible de recours, notifiée au partie».
Si les personnes et les actes sur lesquels l'instruction a porté sont considérés comme conditions de fond de l'exercice du droit d'appel, il est important de scruter le contenu et les contours formels de l'appel. S'agissant de la forme, on doit préciser qu'elle est une exigence de la loi. En effet, elle précise que, « les actes du juge d'instruction peuvent être frappés d'appel devant la chambre de contrôle de l'instruction, dans les formes et délais prévus aux articles 271 et 274»111(*). En ce qui concerne les modalités technico-pratiques de l'appel, il se fait par requête non timbrée adressée en quatre exemplaires au président de la chambre. L'ordonnance querellée y est jointe sous forme de copie. Comme tout acte de contestation devant la justice, il doit « à peine d'irrecevabilité, articuler et développer les moyens produits à l'appui de l'appel». Il faut dire que la juridiction supérieure s'oblige en cas d'appel de dresser le procès-verbal de réception, de notifier l'acte au Procureur Général près la Cour d'appel et aux autres parties. S'agissant des délais, l'appel doit être interjeté dans les quarante huit (48) heures qui suivent, à compter du jour de la notification de l'ordonnance. La loi requiert aussi les délais au Procureur Général et aux autres parties pour le dépôt de leurs conclusions. Cette forme d'interpellation de la Chambre de Contrôle n'est pas unique. Il existe un autre qui peut sans risque aucun être jugé de réservé. ii- Le mode ``réservé'' de saisine de la chambre de contrôle Nous pouvons dire de ce mode qu'il est réservé dans la mesure où seul le juge d'instruction peut le mettre en oeuvre pour saisir la Chambre de contrôle de l'instruction. Il s'agit de l'ordonnance de transmission du dossier. Cette ordonnance peut être requise par le juge d'instruction lui-même ou par les parties. En effet, selon l'article 253 : «s'il apparait au juge d'instruction qu'un acte d'instruction est entaché de nullité, il en avise par écrit le Procureur de la République qui requiert la transmission du duplicata du dossier de procédure au président de la chambre de contrôle de l'instruction. Le juge d'instruction prend une ordonnance de transmission du dossier au président de la chambre de contrôle de l'instruction. Cette ordonnance est notifiée au Procureur de la République et aux parties». Dans le même sens, l'article 254 dispose ; « si une partie estime qu'un acte d'instruction, à l'exception des ordonnances énumérées à l'article 257 (1) fait grief à ses intérêts ou à la bonne administration de la justice, elle adresse au juge d'instruction une requête tendant à l'annulation dudit acte. Le juge d'instruction procède comme indiqué à l'article 253, puis rend soit une ordonnance de rejet, soit une ordonnance de transmission du dossier à la chambre de contrôle de l'instruction...». Il faut ici remarquer que l'ordonnance de transmission qui saisit la Chambre de Contrôle pourrait produire les mêmes effets que l'appel. Elle tendra le plus souvent à saisir la chambre pour un contentieux en annulation. Elle offre une part de contrôle de l'administration de la justice aux parties. L'ordonnance de transmission ne peut être requise que par le Procureur de la République, même lorsque la requête est faite par les parties. Dans tous les cas, ce mécanisme permet de « purger les nullités dès que le juge s'en aperçoit afin de repartir sur des bases solides sans que toute la suite de la procédure soit atteinte»112(*). L'ordonnance de transmission présente une autre image en droit français. Si la loi camerounaise de procédure permet aux parties de demander au juge d'instruction de saisir la Chambre de Contrôle de l'Instruction par ordonnance de transmission, le Code de Procédure Pénale français, permet lui, à celles-ci de saisir directement la Chambre par requête en annulation. Cette requête peut buter sur trois bornes. La requête doit être motivée et copie doit être adressée à la chambre. Ensuite, la requête à peine d'irrecevabilité doit faire l'objet d'une déclaration au greffe de la Chambre. Enfin, la requête à fin de nullité ne doit pas porter sur les vices de procédure pouvant faire l'objet d'appel113(*). Le Procureur de la République dispose aussi de cette faculté en droit français. Nous pourrions donc résumer ces propos en admettant quatre modes de saisine de la Chambre de Contrôle. Même si le mode de saisine par requête n'existe pas au Cameroun, nous estimons que le législateur devrait emboiter le pas au législateur français, question de renforcer le droit des parties et une grande lisibilité dans la procédure d'instruction. * 103 Dans le même sens, Emmanuel Ndjere affirmait qu' « il est donc maladroit que ce genre d'affaires soient instruites dans la salle d'audience de la Cour avec trois conseillers ou vice-présidents sur le siège de la Cour, un représentant du parquet général sur le banc du ministère public, plusieurs personnes dont certaines ne sont même pas inculpées, mais sont assistées de conseil sur le prétoire ». Ndjere (E), op.cit. P.134. * 104 Pradel (J), op.cit., P.641. * 105 Pradel (J), op.cit, n°74, Guinchard et Buisson cités par Yawaga (S), op.cit. P.166. * 106 Rassat (M.L), Procédure pénale, Paris, PUF, 1990, P.547. * 107 Crim., 15 novembre 1956, BC n°753, 14 octobre 1997, BC n° 332. * 108 Pradel (J), Ibid. * 109 Article 269 et 270. * 110 Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T. II, Procédure pénale, 5e éd, Cujas, 2001. * 111 Article 267 * 112 Guichard et Buisson, Procédure pénale, Paris, litec, 2000, P.688. * 113 Sur l'ensemble de la question, confer article 173 Code Procédure Pénale français, Pradel (J), op.cit. n° 742. |
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