La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais( Télécharger le fichier original )par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011 |
§-II La création des « justices pénales parallèles »La création des justices parallèles consiste en la réponse des populations camerounaises à la crise de la justice étatique227(*). En effet, les lenteurs procédurales ne frappent pas seulement la procédure pénale, encore moins l'information judiciaire. Même les juridictions presque essentiellement tournées vers la réparation en souffrent228(*). Ceci peut pousser à s'interroger sur le point de savoir si le divorce entre la justice et les justiciables est un divorce général. Si on venait à répondre par l'affirmative, on devrait tout de même remarquer que c'est la justice pénale qui semble de plus en plus s'éloigner des justiciables. Du jour au lendemain, les justiciables remettent sur la sellette la fameuse loi du Talion. Ils créaient leurs propres juges qui peuvent être commis selon l'âge ou la capacité physique, ou selon des superstitions que l'on se fait sur leurs pouvoirs mystiques. Dans tous les cas, la justice parallèle est une justice dotée d'une procédure expéditive et des sanctions sévères (A), une procédure judiciaire qui n'est pas sans conséquence sur la conception de l'Etat de droit garante de l'accès à un procès équitable (B). A- La procédure dans les « justices pénales parallèles »Il faut d'abord reconnaître que les justices pénales parallèles se présentent sous plusieurs formes. Elle revêt parfois la forme d'une justice populaire où chaque individu doit faire répondre à un autre, présumé « coupable » tous les forfaits qu'il a subit. L'autre forme, sans considérer les côtés métaphysiques est la justice des groupes dit d'auto défense. Il s'agit en l'occurrence des comités de vigilance institués dans les villages et dans certains quartiers urbains. Dotés le plus souvent d'une hiérarchie bien structurée, la justice pénale est loin d'être l'affaire de tous. Seuls les membres influents du groupe en sont responsables de la procédure à suivre et des sanctions à infliger. Dans ces formes de justice, on peut souvent remarquer la simplicité de la procédure. En effet, la plainte est faite de manière très informelle par la victime ou un ayant droit, par un tiers qui a simplement vu la scène ou encore comme le reconnait le Code de Procédure Pénale par la ``clameur publique''229(*). Dès lors, une foule se rassemble spontanément auprès du « présumé coupable » si ce dernier venait à être maîtrisé. Un ``magistrat'' auto désigné ou commis sur le tas procède à une enquête et une instruction sommaire. Des fouilles et saisies sont effectuées. A partir des objets saisis, on peut reconnaître l'innocence ou la culpabilité du suspect. Dans l'hypothèse où ce dernier est innocent, il est relâché et ne peut poursuivre personne pour dénonciation calomnieuse, séquestration etc. l'identification des plaignants et des juges n'étant pas possible. Dans le cas contraire, la sanction est immédiate. C'est une sanction de masse. L'assemblée se rue sur l'individu dans l'intention de lui arracher simplement la vie afin qu'il ne constitue plus jamais un danger pour qui que ce soit. Les techniques de sanction sont diverses. Mais l'objet est unique. Il s'agit de l'éradication de toute forme de criminalité et de toute forme de criminels. MAROLLEAU faisait déjà une remarque sur cette forme de sanction. Il écrivait : « Le coté grandement spectaculaire de la cérémonie d'exécution du coupable, la terreur et l'honneur qui l'accompagnent montrent que les populations veulent que cela serve à décourager tous ceux qui cherchent à emprunter la voie de la criminalité. Le corps brûlé et mutilé du coupable reste ainsi exposé en plein carrefour toute la journée durant afin que nul ne l'ignore »230(*). Le caractère de cette justice, atroce et irrespectueuse de la dignité humaine semble de jour en jour devenir la préoccupation de l'Etat qui ne doit pas simplement vouloir la combattre, mais doit mettre tout en oeuvre pour l'éradiquer. * 227 Nkou Mvondo, ibid. * 228 Allusion est ici faite aux juridictions civiles et administratives ou l'instruction n'est pas moins présente. Dans son article ``L'accès à la justice au Cameroun'', le Docteur Kenfack (P.E) remarquait déjà plusieurs causes de lenteurs judiciaires ; il écrivait ``le problème en droit administratif est qu'aucun délai n'est imparti au juge pour statuer sur les demandes y relatives'' parlant des mesures conservatoires pendant l'instruction. Dans le même sens on peut citer l'affaire Mbong Yomb Silas y Despotakis qui a duré vingt cinq ans pour être jugée cf. A.D Tjouen, le code du travail camerounais. * 229 La clameur publique qui intervient généralement après la commission de l'infraction est selon l'article 103 Cpp un moyen de définition du délit flagrant. * 230 Morolleau (J.L) « Le massacre des bandits, une stratégie. Des voleurs assassinés », L'effort camerounais, cité par Nkou Mvondo (P), op.cit, P.378. |
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