La règle du double degré de l'instruction dans le droit répressif camerounais( Télécharger le fichier original )par Rodrigue TCHATCHOUANG TCHEJIP Université de Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies (DEA) en droit privé 2011 |
CHAPITRE I : MECANISME GENERATEUR DE LENTEURS PROCEDURALESConsidérée à juste titre comme une phase essentielle du procès pénal, l'instruction préparatoire n'a jamais cessé de subir les assauts des juristes et des politiques. Destinée à la recherche de la vérité, mais surtout à l'orientation de la procédure et à l'enrichissement des faits considérés par le Procureur de la République dans son acte de saisine, la phase d'instruction connait régulièrement des mutations souvent justifiées par le besoin de rapidité184(*) et de célérité185(*) de la procédure pénale. Si la célérité reste le but majeur de la procédure d'instruction dans le procès pénal, la rapidité quant à elle en constitue le talon d'Achille. Trop longue l'a juge-t-on. Le doyen Fernand BOULAN estimait déjà que : «L'instruction préparatoire est trop longue. Lorsqu'elle se déroule durant de longs mois, sinon des années, par nécessité ou par commodité, les détentions provisoires sont prolongées et alimentant les établissements pénitentiaires à concurrence de la moitié de la population carcérale. La présomption d'innocence est bafouée et les droits de la défense vides de signification face à l'omnipotence pour les uns du juge d'instruction pour les autres du parquet»186(*). Hors mis la durée de l'instruction, on peut aussi remarquer une remise en cause des droits à la liberté et des droits de la défense autant des victimes que des délinquants, le plus souvent dictée par les pouvoirs à la fois du juge d'instruction lui-même ou du Procureur de la République. A la suite de tout ceci, on peut s'interroger sur les conséquences de l'instruction, surtout du double degré de l'instruction sur la procédure pénale. Ce principe bien qu'étant fondamental ne présente pas toujours les mêmes objectifs que le double degré de juridiction proprement dit. Si le dernier tend à obtenir la meilleure justice possible, le premier quant à lui peut être une véritable arme de dissuasion de la procédure aux mains des parties au procès. Une considération à laquelle la loi s'attèle tant bien que mal à combattre, mais ne pourra l'abdiquer que par une réforme de la procédure pénale. Tout compte fait, on peut admettre que les causes de lenteurs judiciaires au cours de l'instruction (section I) ne sont pas sans conséquences sur l'ensemble du système judiciaire (section II). SECTION-I : LES CAUSES DES LENTEURS PROCEDURALESLa justice recoupe pour sa mise en oeuvre à la fois les hommes qui vont dire le droit pour rendre la justice et un ensemble de règles et de moyens mis à la disposition de ces derniers pour accomplir leurs missions. Ceci suppose que les causes de lenteurs procédurales peuvent provenir vraisemblablement des hommes qui tiennent la justice, qui la sollicitent ou encore qui sont sollicités par la justice (§I), mais aussi des textes qui régissent cette justice (§II). §-I Les causes subjectives des lenteurs procéduralesIl n'y a plus de doute que l'on admette le principe du double degré de l'instruction comme une cause de lenteur judiciaire dans le procès pénal. Le plus souvent on peut penser que les lenteurs judiciaires sont le seul apanage des juges. Mais il n'en demeure pas moins vrai pour ce qui concerne la procédure d'instruction que les parties peuvent en vertu des prérogatives dont elles jouissent constituer une véritable source de lenteur judiciaire au cours de cette phase procédurale. En effet, l'instruction se faisant à un double degré, toutes les parties au procès disposent du droit de remettre en cause les actes du juge d'instruction et partant même de la Chambre de Contrôle de l'Instruction devant une juridiction suprême. S'il est vrai que le principe du double degré de juridiction est un principe fondamental, on doit admettre au niveau de l'instruction que cette règle connait un revers comme toute garantie procédurale. C'est dans cette logique qu'il est admis que : «L'appel dans la phase de l'instruction qui, on le sait et sans le dire assez, est, par la fréquence et le caractère systématique de son usage l'une des causes essentielles de la longueur des procédures»187(*). Un tel usage de l'appel au niveau de l'instruction préparatoire constitue ce que le professeur LARGUIER a qualifié de « côtés fâcheux » de la règle du double degré de l'instruction et même de revers de toute garantie de procédure188(*). Dès lors, nous devons sans ambages admettre l'appel au cours de l'instruction comme un moyen de dissuasion de la procédure répressive. Toutes les parties au procès pouvant jouir de ce droit, il reste que l'attitude des parties, autant celles chargées de rendre la justice (B), que celles qui demandent ou défend en justice (A) peuvent aisément contribuer au prolongement des procédures. A- L'attitude des parties privéesIl faut ici entendre par parties privées la partie civile, l'inculpé et leurs conseils. Les voies de recours ainsi reconnues aux parties au nom de la règle du double degré de juridiction entrainent des défaillances de la procédure pénale au niveau de l'instruction préparatoire. En effet, la doctrine se demandait déjà si la célérité ne serait pas mieux garantie si un seul organe assurait d'un bout à l'autre le suivi d'une affaire189(*). L'organe unique qui, s'il était constitué n'aura certainement pas à attendre un quelconque réquisitoire ou une plainte pour se saisir de l'affaire. Nous remarquons dès lors que les parties privées même si elles sont plus enclines à dissuader la procédure, nous ne pouvons exclure systématiquement une telle attitude à l'égard des autres acteurs de la procédure pénale. Il ne se fait plus de doute que les parties privées constituent aujourd'hui et surtout en vertu du principe du double degré de l'instruction un véritable obstacle à l'avancée de la procédure pénale. Ceux-ci étant de nos jours de véritables acteurs de l'instruction préparatoire, le doyen BOULAN redoutait déjà que l'information ne soit en permanence ralentie par les demandes dilatoires. Toutefois, si l'hypothèse des demandes dilatoires est moins présente et moins imaginables à l'égard des demandeurs aux procès, elles ne sont pas exclues. La partie civile plus que l'inculpé qui a des voies de recours plus renforcées peut étendre la procédure jusqu'à la Cassation. Nous imaginons aussi bien que les demandes de la partie civile peuvent constituer des demandes dilatoires lorsqu'elle interjette appel contre un non lieu du juge ou un pourvoi contre l'arrêt de la Chambre de Contrôle de l'Instruction, voulant à tout prix la réparation d'un préjudice qui en réalité n'en est pas un. Il en est de même des appels contre les ordonnances et arrêt de refus d'expertise ou de contre expertise. Le plus souvent, c'est du côté de l'inculpé que l'on relève les appels dilatoires. Celui-ci ne disposant pas de droit de se pourvoir en cassation. Aussi, comme le remarquait LARGUIER, «l'inculpé de meurtre, détenu, demandera sa mise en liberté tous les lundis matin, avec appel de l'ordonnance de rejet». Dans la même logique il remarque que : «On sait combien le temps travaille pour l'inculpé, en apaisant l'émotion du public (donc, les affaires criminelles, celle des jurés), ou en rendant incertaines les preuves et douteux ce qui était net. Et le retard dans la condamnation civile purement pécuniaire n'est pas sans profit pour le condamné malgré l'augmentation du taux d'intérêt judiciaire »190(*). Il est donc important de comprendre que les manoeuvres dilatoires dont usent les inculpés sont biens organisées. Un autre argument fort permettant d'user de ces manoeuvres au cours de l'instruction est le ralentissement même de l'issue de la procédure. En effet, un inculpé qui doit être condamné à une peine correctionnelle peut faire trainer la procédure pour accomplir sa peine en détention provisoire. L'imputation étant de droit, l'inculpé qui traine la procédure pour purger sa peine en détention provisoire profite des bienfaits de la loi de 2005 qui dispose que : «Les inculpés, les prévenus et les accusés détenus provisoirement sont incarcérés dans un quartier spécial séparé de celui des condamnés et sont soumis autant que possible, au régime de l'emprisonnement individuel. Ils sont s'ils le désirent, employés aux travaux d'entretien de la prison. Les effets personnels des détenus sont laissés à leur disposition sauf décisions contraires soit de l'autorité pénitentiaire dans un souci d'ordre, de sécurité ou de propreté, soit de l'autorité judiciaire dans l`intérêt de l'information judiciaire»191(*). Il sera cependant injuste de croire que le droit est resté muet sur les machinations dont usent les parties privées pour faire trainer la procédure. La théorie de l'abus de droit érigée il y a longtemps par SALEILLES se hisse comme un véritable moyen de contrôle des manoeuvres dilatoires par l'usage du droit. Pour cette raison, toute partie qui s'engage dans une telle mission pourra voir sa responsabilité civile engagée : pour la partie civile, en ce qui concerne l'usage abusif des voies de recours pour les intérêts civils, et, pour l'inculpé en ce qui touche l'action publique. Si les parties privées sont souvent à l'origine des tractations tendant à la prolongation de la procédure de l'instruction, il faut reconnaître que celles-ci sont aussi souvent dues au fonctionnement et à l'organisation de la justice. De manière plus simple, on peut imputer les causes de lenteurs judiciaires à l'attitude même des magistrats au procès. * 184 C'est dans cette optique que l'ordonnance de 1972 faisait du magistrat du parquet le magistrat compétent pour connaître de l'information judiciaire au Cameroun. * 185 La doctrine dans ce sens a le plus souvent émis l'idée d'une collégialité de la juridiction d'instruction au premier degré, d'un contrôle plus renforcé des actes d'instruction et même d'un renforcement de la loyauté de l'instruction. * 186 Boulan (F), ``La réforme de l'instruction'', op.cit., P.50. * 187 Larguier (J), «Remarques sur l'évolution d'une voie de recours : le domaine de l'appel des ordonnances rendues par le juge d'instruction», in Droit pénal contemporain, op.cit., P. 289. * 188 Ibid. * 189 Mebu Nchimi, op.cit. P.244. Dans cette même lancée, l'auteur relevait déjà le népotisme et les lenteurs comme des maux qui minent l'administration publique camerounaise. Cette idée était déjà relevée par le professeur, Minkoa She qui faisait des lenteurs judiciaires excessives une caractéristique principale de la justice camerounaise. * 190 Larguier, op.cit., P.289. * 191 Article 553 |
|