8.3 Les TIC, de nouveaux moyens de contrôle, de
surveillance
et de répression ?
Les applications des TIC offrent aux institutions s'occupant
de tâches proprement sécuritaires de nouveaux outils de
surveillance et de contrôle des citoyens. Dans les pays occidentaux, de
nombreux espaces publics ont été équipés de
caméras de surveillance ou vidéosurveillance durant ces
dernières années, afin de dissuader d'éventuels actes mal
intentionnés. Comme on peut le voir plus particulièrement dans
les centre-villes, les aéroports, les gares, le long des routes pour
réprimer les excès de vitesse et diminuer les accidents et dans
les transports publics, des politiques de vidéosurveillance de grande
ampleur ont été mises en place par les pouvoirs publics en
France. Des lois instaurant l'installation de caméras de
vidéosurveillance dans certains lieux publics, ces non lieux
explorés par Marc Augé (1992) dans son Anthropologie de la
surmodernité, ont été votées dans d'autres
pays occidentaux, notamment l'Angleterre, la Suisse... Le déploiement de
cet arsenal souvent très coûteux répond au tout
sécuritaire initié par les autorités face à la
recrudescence des actes de vandalisme et de délinquance et autres
délits. Toutefois, ces initiatives rencontrent de nombreux
détracteurs qui doutent, à juste raison, de leur
efficacité réelle et redoutent leur usage abusif dans la vie
privée. L'extension de l'installation des caméras de
vidéosurveillance dans les zones résidentielles a provoqué
un gigantesque tollé qui a fini par populariser l'expression « Big
Brother » pour dénoncer les dérives liberticides. Dans son
ouvrage La globalisation de la surveillance, Armand Mattelart (2007)
lance en quelque sorte une alerte sur les menaces que font peser l'intrusion de
techniques de surveillance de plus en plus sophistiquées dans la vie des
individus. Il montre que dans les pays développés, la
prolifération des systèmes de contrôle des citoyens,
notamment empreintes génétiques, fichage,
vidéosurveillance, écoutes, puces... a permis et permet encore de
réaliser des prélèvements d'informations utiles pour
dresser des profils et géolocaliser plus simplement les citoyens.
Claude-Marie Vadrot (2007) estime que cette grande surveillance est en train de
créer une obsession sécuritaire d'où peut découler
une démocratie en liberté surveillée.
Dans un contexte où la migration est
considérée comme un problème de sécurité, on
constate que certains aspects du problème évoluent vers un
amalgame entre délinquance, immigration et illégalité.
Pour certains hommes politiques et une partie de l'opinion publique, il y a un
lien établi entre migration, chômage et insécurité.
Ce sentiment
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d'insécurité suscite des peurs que certains
hommes politiques n'hésitent pas à utiliser comme fonds de
commerce. C'est en ce sens que l'on assiste à la mise en place d'un
dispositif sécuritaire de plus en plus coûteux et draconien pour
surveiller les frontières et contrôler les déplacements des
migrants et un durcissement généralisé des politiques
migratoires. En revanche, il est également à craindre que les
nouveaux outils de communication accentuent davantage les contrôles et
les répressions dont les migrants font déjà l'objet.
8.3.1 Surveillance des frontières et traçage
des migrants
Pour empêcher les arrivées éventuelles de
migrants sur leurs territoires, la plupart des pays occidentaux ont mis en
oeuvre des stratégies complexes de surveillance et de restriction des
mouvements au niveau de leurs frontières géographiques. Non
seulement, les frontières sont maintenant surveillées jour et
nuit par des technologies de plus en plus sophistiquées, « dont la
caractéristique la plus saillante est d'être à la fois
mobiles et intelligentes, c'est-à-dire capables de s'adapter à la
mobilité des individus, de les suivre, de tracer leur itinéraire
et de déterminer leur véritable identité (A. Ceyhan,
2010), mais aussi par des gardes-frontières mieux formés, mieux
entraînés et dotés davantage d'équipements. D'autant
plus que notent Bertrand Badie et Catherine Withol de Wenden « les flux
migratoires font figure d'intrus qu'il s'agit de maîtriser et de
contrôler159 ». L'objectif visé, à travers
toutes ces mesures, consiste principalement à rendre ces
frontières les moins étanches possibles. Ces «
frontières intelligentes », intelligentes dans la mesure où
elles doivent être capables de filtrer et détecter les
entrées et sorties des « individus à risque » en
devenant aussi mobiles qu'eux, deviennent en quelque sorte la ligne de front
où la richesse se dresse toutes griffes dehors face à
l'avancée de cette effrayante pauvreté. Ainsi, dans l'espace
Schengen, la gestion des frontières extérieures de chaque
État membre de l'Union Européenne est désormais
coordonnée par l'Agence européenne pour le contrôle des
frontières extérieures (FRONTEX) créée en 2004 par
l'Union Européenne. En effet, souligne Ayse Ceyhan (2010), «
l'Union européenne hésite à faire de la mobilité un
atout. Plutôt que de bâtir une politique d'immigration
adaptée
159 BADIE, Bertrand et WITHOLD DE WENDEN, Catherine. Le
Défi migratoire. Paris : Presses de la Fondation nationale de
Sciences Po, 1994.
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aux nouvelles dynamiques de la mobilité, elle continue
de mélanger une logique sécuritaire de contrôle, qu'elle
valorise plus que tout, avec une logique utilitariste d'accueil de migrants
qualifiés pour combler le manque de main-d'oeuvre dans certains domaines
bien précis comme l'informatique ».
Au niveau des systèmes utilisés pour le
traçage des migrants, on peut mentionner les puces présentes au
niveau des visas collés sur les passeports et les documents de titres de
séjour, la biométrie, les caméras, les capteurs et les
radars. La biométrie est une technique qui permet d'obtenir des
renseignements extrêmement précis sur des individus. Elle permet
de reconnaître chaque individu en fonction de ses caractéristiques
biologiques propres. Cela peut se faire à travers par exemple une
analyse morphologique des empreintes digitales ou des traits du visage. Les
moindres présences suspectes peuvent en général être
détectées par les capteurs et les radars.
Toutes ces mesures combinées font que les migrants
rencontrent aujourd'hui des obstacles insurmontables pour traverser certaines
frontières terrestres ou maritimes. Mais une chose est certaine, ces
mesures ne peuvent en aucun cas constituer un frein à la volonté
inébranlable des candidats de migrer au péril de leur vie. Etant
donné l'absence désespérante de perspectives de promotion
sociale dans les pays d'origine et leur forte détermination à
franchir ou contourner, dans des conditions de précarité
extrêmes, les obstacles de toutes sortes pour rejoindre ces pays
où ils espèrent tout simplement des conditions de vie
meilleures.
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