7.2 Les associations des confréries musulmanes
sénégalaises
Le Sénégal est un pays peuplé très
majoritairement de musulmans adhérant pour la plupart à des
confréries, dont les principales sont les tidjanes, les mourides, les
khadirs et les layènes. Largement répandus dans le pays avec
près de 51% de la population, les
313
tidjanes sont essentiellement représentés par
les descendants du marabout Elhadj Malick Sy à Tivaouane et par ceux du
marabout Baye Niass dans la ville de Kaolack. Fortement
représentés au sein de la diaspora, les disciples mourides de
Cheikh Ahmadou Bamba ont investi toutes les places fortes de l'économie
mondiale dans lesquelles ils tentent de se constituer leur « little Touba
». C'est ainsi que l'on trouve le mot Touba associé quasiment
à toutes les villes importantes dans le monde: Touba Paris, Touba New
York, Touba Londres, Touba Milan, Touba Madrid, Touba Tokyo, etc. En France,
Touba a investi quasiment toutes les villes de l'Hexagone. On y trouve Touba
Bordeaux, Touba Pau, Touba Toulouse, Touba Aix-Marseille, Touba Lyon, Touba
Grenoble, Touba Lille, Touba France Aulnay, etc. A présent Touba, le
symbole du mouridisme, s'est massivement invitée sur le web. La
confrérie des khadirs, la plus ancienne confrérie
sénégalaise fut introduite au Sénégal par le
marabout Cheikh Bou Kounta dont les successeurs se trouvent aujourd'hui dans la
cité religieuse de Ndiassane à Thiès. Les disciples
layènes sont surtout originaires des villages lébous de Dakar, en
particulier Yoff, lieu de rassemblement de la communauté à
l'occasion de la célébration annuelle de l'appel du marabout
Seydina Limamou Laye, le fondateur de la confrérie.
La confrérie est un aspect fondamental de la migration
sénégalaise. Elle est présente à tous les niveaux
du processus migratoire, du départ jusqu'à l'arrivée en
passant par les étapes de l'hébergement et de l'activité
exercée dans le pays d'installation. L'émergence du
phénomène confrérique dans la migration
sénégalaise remonterait, selon Fatou Gassama145,
à la première guerre mondiale avec l'arrivée des
tirailleurs sénégalais. Depuis cette date, les
Sénégalais ont toujours entretenu une vie religieuse relativement
intense dans leur pays de migration. Aujourd'hui, toutes les confréries
(mouride, tidjane, layène, khadir) sont représentées dans
la migration internationale sénégalaise. Mais la confrérie
mouride constitue sans aucun doute la confrérie la plus influente et la
plus visible, celle dont les membres sont les plus nombreux dans la diaspora
sénégalaise. La dissémination massive des disciples
mourides à travers le monde a permis à la confrérie
d'acquérir aujourd'hui une dimension quasi planétaire et ainsi
une plus grande notoriété.
145 Dans sa thèse de doctorat d'histoire soutenue
à Lille en 2005 sur « L'immigration sénégalaise en
France de 1914 à 1993 : étude de l'implantation et du rôle
des confréries musulmanes sénégalaises ».
314
7.2.1 Une forte prédominance des associations
mourides
Comme nous l'avons précédemment souligné,
l'appartenance confrérique, mouride en particulier, a été
l'élément moteur ou le « push factor » dans la
réalisation du projet migratoire pour la grande majorité des
migrants modou-modou notamment. L'appartenance mouride leur a permis
en effet d'accéder aux moyens financiers permettant de payer le voyage,
de bénéficier par exemple des filières mourides
implantées en France, en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis et dans le
reste du monde pour leur accueil et leur intégration dans le tissu
socio-professionnel au sein des différentes villes
d'établissement. Devant l'ampleur de la migration en masse et à
un rythme de plus en plus rapide vers les pays occidentaux des disciples ou
talibés au cours de la décennie 1980-1990, certains responsables
de la confrérie mouride ont senti la nécessité de se
rapprocher davantage des fidèles. Il fallait en effet les réunir
dans leurs lieux d'installation et les organiser au profit d'une expansion
cohérente de la confrérie et aussi dans le but de mieux
maîtriser la dispersion de ses disciples.
Pour les migrants mourides, surtout modou-modou, il
est fondamental de vivre, même dans la mobilité, leurs pratiques
religieuses et entretenir leurs fibres confrériques, c'est-à-dire
leur mouridité. Pour eux, la confrérie est en quelque sorte une
soupape de sécurité et un facteur d'unification. La migration est
non seulement un moyen d'acquérir des ressources permettant de
participer au développement de la cité religieuse de Touba, haut
lieu emblématique du mouridisme, mais aussi une opportunité pour
vulgariser les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba auprès des
populations locales dans les pays d'installation. Aujourd'hui, le
prosélytisme et le dynamisme de la confrérie mouride ont
largement contribué à donner une plus grande visibilité et
aussi un plus grand retentissement à la migration internationale
sénégalaise. On assiste de ce fait à un foisonnement
d'associations mourides au sein de la communauté des
Sénégalais de l'extérieur.
Par ailleurs, afin de communier et magnifier plus largement la
vie et l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba, de divulguer ses enseignements, de
stimuler l'adhésion d'autres populations et de renforcer le rayonnement
transnational de la confrérie mouride, les talibés se mettent au
diapason des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Internet devient pour certaines associations mourides, une vitrine permettant
de donner une envergure planétaire à la confrérie. C'est
ainsi qu'on assiste à
315
la création d'un nombre important de sites web par des
associations de migrants mourides.
Aujourd'hui, les sites qui oeuvrent pour le prestige de la
confrérie mouride sont de plus en plus nombreux. Ces sites ont en effet
été réalisés parfois sous la responsabilité
des marabouts ou de simples talibés, mais le plus souvent ils ont
été mis en place par des dahiras basés surtout hors du
Sénégal. Il importe en effet de souligner que les dahiras
mourides implantés à l'étranger constituent l'immense
majorité des dahiras ayant une présence sur le web. Au
Sénégal, on note essentiellement la présence significative
sur le web du dahira des étudiants mourides, Hizbuth Tarquiyah. Ces
sites sont destinés avant tout à la diffusion de l'oeuvre et des
enseignements du fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba. En
effet, comme le révèle Ibrahima Sarr146, le webmaster
du site de l'Association des Mourides de France, la réalisation de leur
site web résulte d'une volonté de contribuer à la
vulgarisation et à la diffusion de l'oeuvre, de la pensée et du
message universel de Cheikh Ahmadou Bamba.
Force est de reconnaître que la confrérie mouride
est actuellement très active sur Internet. En France, la plupart des
dahiras mourides ont effectivement investi Internet pour tirer profit de son
potentiel ainsi que de ses multiples opportunités. On constate en effet
que les dahiras des mourides implantés dans les différentes
villes de la France jouent un rôle actif dans le développement du
web sénégalais. Parmi les dahiras des mourides de France
présents sur le web, on peut citer l'Association Bordelaise des
Etudiants Mourides (ABEM), le dahira des étudiants mourides de Lille, le
dahira Touba Aix-Marseille, le dahira des mourides de Grenoble, le dahira des
mourides de Lyon, le dahira des mourides de Toulouse, le dahira des mourides de
Pau, etc. Autre illustration de ce dynamisme, c'est la présence
significative sur le web de la fédération des mourides de France
et aussi celle de l'Association des Mourides de France.
146 Ibrahima Sarr est l'administrateur du site web de
l'Association des Mourides de France. Dans sa correspondance
électronique du 26 décembre 2005, il précise que c'est un
groupement d'étudiants sénégalais établis à
Paris qui a été à l'origine de la création du site.
Créée en 1995, l'Association des Mourides de France, Al Khidmat
(qui signifie en arabe le Service) était présidée à
l'époque par un petit-fils de Serigne Touba. Aujourd'hui, la majeure
partie des membres fondateurs est rentrée au Sénégal.
Ibrahima quant à lui est resté à Paris où il
continue de gérer le site. La décision de créer le site a
été prise au moment de la fondation de l'association. Ibrahima
reconnaît que le site a apporté des changements dans
l'évolution de l'association. Il ajoute que le nombre de messages
d'encouragements et de félicitations reçus dans la page dans
laquelle se trouve le « Livre d'or » constitue pour lui un plaisir
personnel et l'encourage à mieux gérer le site.
316
En outre, à travers leurs contenus, il apparaît
que, plus concrètement, ces sites servent d'abord à faire
connaître le fondateur du mouridisme et participer à la diffusion
de son oeuvre. Ensuite, les sites permettent de connaître sa descendance
et les réalisations effectuées par chacun d'entre elle. Mais, on
peut dire que, d'une manière générale, ces sites jouent un
rôle prépondérant dans la diffusion des informations
liées aux différentes manifestations religieuses et culturelles
organisées aussi bien en France qu'au Sénégal ou dans les
autres pays rassemblant de fortes communautés mourides. Ces sites
permettent d'informer les disciples de l'arrivée des marabouts
importants de la confrérie comme celle organisée par exemple
à la maison « keur Serigne Touba d'Aulnay-sous-Bois ».
Certaines associations mourides utilisent leurs sites web pour le rappel des
contributions financières dont les membres doivent s'acquitter dans le
cadre de la réalisation de certains projets. C'est le cas de celle des
mourides de Bordeaux qui utilise son site web pour rappeler à ses
membres qu'ils doivent apporter leurs cotisations dans le cadre d'un projet
d'achat d'une maison « keur Serigne Touba » à
Marseille147. De ce point de vue, il nous paraît aussi
particulièrement important de souligner l'utilisation du web par
l'association des mourides de Toulouse pour informer les disciples mourides du
Téléthon organisé en vue de collecter de l'argent pour
l'achat de cette « maison Serigne Touba » à Marseille.
Les médiathèques regroupent souvent des
enregistrements audio et vidéo permettant d'écouter ou de
visualiser les sermons, discours et appels de l'actuel Khalife ou ceux
effectués par certains de ses prédécesseurs. Les appels
constituent des moments de rassemblement et de ferveur où le khalife
rappelle aux disciples certains enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Mais, ce
sont aussi des occasions pour faire quelques recommandations à travers
les médias traditionnels (radios et télévision) et
désormais à travers Internet. Il s'agit en fait d'enregistrements
audio ou vidéo sur les journées de commémoration des
évènements mourides célébrés en France ou au
Sénégal. Les vidéos peuvent être ainsi des
commémorations célébrées par le collectif des
mourides de France (par exemple départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba
organisé à l'UNESCO) ou des causeries religieuses
organisées par les dahiras. Sur certains sites, les visiteurs ont non
seulement la possibilité d'écouter des khassaïdes, mais
également de les télécharger. Les photos prises à
l'occasion des fêtes religieuses ou des évènements comme le
Magal, la
147 Il s'agit en fait d'un projet de la
fédération des mourides du sud de la France, consistant à
l'achat d'une maison située dans le 14ème arrondissement de
Marseille, pour une valeur de 400.000 euros (soit 262.382.800 FCFA).
317
fête de Korité et celle de la Tabaski ou autres
manifestations culturelles sont aussi parfois entreposées dans les
médiathèques.
Généralement, chaque site propose des liens vers
d'autres sites web de dahiras mourides implantés en France, aux
Etats-Unis ou ailleurs. Il y a un autre aspect qu'il faut remarquer sur
quasiment tous les sites, c'est la présence des photos du fondateur de
la confrérie, des khalifes successifs et aussi celles de la ville de
Touba, sa mosquée en particulier. Certains sites se sont aussi
dotés d'un forum où les internautes peuvent s'exprimer et
échanger sur divers sujets relatifs au mouridisme en particulier. A
travers les messages enregistrés dans les « Livre d'or », on
perçoit à tel point les disciples mourides sont attachés
à la vulgarisation de l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. D'une
manière générale, les visiteurs des sites mourides
considèrent leur réalisation comme étant une mission parmi
celles que tout mouride doit entreprendre afin d'apporter sa pierre à
l'édifice liée à l'expansion du mouridisme et des
enseignements de son fondateur.
L'analyse des contenus de ces sites tend aussi à
montrer que contrairement à l'idée d'un prétendu repli
exclusif à la communauté, Internet témoigne des relations
pouvant exister entre les associations mourides et certains acteurs locaux dans
le pays de résidence. Dans un certain nombre de cas, Internet contribue
à rendre plus visible ces relations. C'est ainsi qu'il faut comprendre
les relations de partenariat nouées par exemple entre l'Association
Bordelaise des Etudiants Mourides et des établissements publics
français comme le CROUS et les municipalités de Bordeaux, Pessac,
Mérignac, Lormont et Cenon de même qu'avec la
société d'imprimerie et de sérigraphie Copy Sud
implantée à Agen dans le Lot-et-Garonne.
Parmi les sites des associations mourides de France, ceux des
associations mourides de Lille et de Marseille apparaissent comme les plus
intéressants autant au niveau de l'abondance et de la diversité
des contenus proposés (articles, enregistrements audio et vidéo,
liens disponibles...) que de la qualité graphique. Ils sont tous les
deux relativement facile à utiliser et les informations sur la
communauté présentent un grand intérêt.
318
Le site des mourides de Lille présente la
particularité de proposer une littérature intéressante sur
la communauté mouride. Dans la rubrique « Actualités »
du site, le visiteur peut y trouver quelques livres écrits sur Khadimou
Rassoul tels que celui de Didier Hamoneau, Vie et Enseignements de Cheikh
Ahmadou Bamba, celui du guide spirituel du mouvement tidjane des «
Moustarchidines », Cheikh Tidiane Sy, La confrérie
Sénégalaise des Mourides, celui de D.B. Cruise O'Brien,
The Mourides Of Sénégal. The Political and Economic
Organisation of an Islamic Brotherhood, etc.
Site web 31. Site web des étudiants mourides de
Lille
Le site du dahira Touba Aix-Marseille se différencie
des autres sites des associations mourides en France par l'importance des
formats audiovisuels utilisés. Le site diffuse les séances de
récitation des poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba effectuées
non seulement par les différentes sections du dahira de Marseille,
notamment celle des enfants comme celle des adultes, mais aussi celles
effectuées par les membres de la fédération des mourides
de France. On peut les écouter ou les télécharger ainsi
que bien d'autres fichiers audio contenant des traductions et des discussions.
Il existe également une rubrique « Xibaar » consacrée
spécialement à l'actualité relative à la
communauté mouride. Les auteurs y présentent également les
biographies de Cheikh Ahmadou Bamba et de son fidèle compagnon Mame
Cheikh Ibrahima Fall ainsi que celles de ses khalifes. Ceux qui le souhaitent
peuvent se rendre dans le forum et discuter librement sur l'actualité
mouride et sur l'intégration des étudiants mourides en France, en
particulier à Aix-Marseille.
319
Site web 32. Site web des mourides de
Marseille
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