Conclusion générale
Au regard de tout ce qui a été dit, quelle
conclusion peut-on avancer ? Tout d'abord, il faut rappeler qu'à travers
ce travail, nous avons tenté d'analyser et de comprendre les processus
d'insertion des TIC au sein de la diaspora sénégalaise en France,
la manière dont les migrants se servent de ces nouveaux outils de
communication et l'impact de ces outils sur la dynamique des réseaux.
Car un trait essentiel de la migration internationale
sénégalaise, c'est la constitution de réseaux sociaux
basés essentiellement sur les liens familiaux, les appartenances
confrériques et ethniques. Nous avons essayé de voir ce que
faisaient réellement les migrants sénégalais en France
avec les nouveaux objets techniques de communication et plus
particulièrement le téléphone mobile et Internet. Plus
précisément quelles sont les mutations induites par les TIC dans
les relations que les migrants sénégalais en France entretiennent
avec leurs lieux ou territoires d'origine ou d'installation ? La quête
intellectuelle que nous avons menée à travers la question des
réseaux et des systèmes de communication dans la diaspora
sénégalaise en France nous a permis de mieux appréhender
les différentes facettes de la migration sénégalaise en
France et les mutations induites par les outils modernes de communication dans
les rapports que les migrants sénégalais en France entretiennent
avec leurs pays d'origine et de résidence. Les effets des TIC sont
très différents selon la nature des migrants. Ceux qui disposent
des compétences pour les exploiter pleinement n'hésitent pas
à s'en servir afin de maintenir et renforcer aisément les
relations avec le pays d'origine, mais aussi en même temps afin de mieux
s'insérer dans le pays de résidence. Par leurs capacités
à répondre à certains des besoins des migrants -
renforcement des liens communautaires, maintien des liens avec le pays
d'origine et accès à des informations utiles et pratiques sur le
pays de résidence - les TIC conduisent à la
nécessité d'une redéfinition des liens que les migrants
entretiennent avec les pays d'origine et de résidence.
Les migrants sénégalais en France se servent des
TIC non seulement pour maintenir et renforcer les relations avec les proches
restés dans le pays d'origine ou dispersés dans le monde, mais en
même temps ils s'en servent comme moyen d'intégration dans leur
pays de résidence. D'une façon générale, on
constate une dynamique dans les pratiques et formes de communication des
migrants sénégalais en France. En effet, dans un passé pas
aussi lointain que cela, la communication téléphonique
constituait quelque chose d'assez
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aléatoire, voire même un luxe notamment pour bon
nombre de migrants, les étudiants surtout. Une part importante des
revenus des migrants pouvait en effet être consacrée aux frais de
communication téléphonique avec la famille restée au pays,
notamment les parents et l'épouse ou les épouses. Le maintien des
relations à distance avec les membres de la famille résidant dans
le pays ainsi que l'accès aux informations relatives au pays d'origine
se faisaient très difficilement. Aujourd'hui, avec la diminution des
coûts de communication téléphonique liée à
l'ouverture du marché des télécommunications et la
démocratisation de l'accès à Internet, les relations avec
le pays d'origine se sont considérablement renforcées. Les
migrants accèdent facilement et régulièrement aux espaces
virtuels dans lesquels se déploient l'information relative au pays
d'origine. Ces supports modernes de communication contribuent en outre au
maintien et au renforcement de la communication interpersonnelle. Ce qui
constitue quand même un élément fondamental dans la
cohésion au sein de la communauté de migrants
sénégalais en France. De manière générale,
les migrants ont fait preuve d'une grande aptitude à utiliser le
téléphone mobile et Internet, du moins pour certains d'entre-eux,
pour résoudre en partie des problèmes spécifiques
rencontrés dans la vie de tous les jours.
Ce qui fait un peu l'originalité de l'Internet
sénégalais, c'est l'engouement réel des internautes de la
diaspora pour les sites portails généralistes dont la plupart
sont l'oeuvre des migrants. Cela s'explique surtout par le fait que ces sites
proposent gratuitement des informations variées (sous forme de textes et
sur supports audio ou vidéo) sur l'actualité du pays d'origine.
Ces sites leur proposent souvent des espaces de discussion en ligne où
ils peuvent s'exprimer librement et donner leurs avis en temps réel sur
la situation politique, économique et sociale du pays d'origine. Il
convient de relever l'ampleur démesurée des débats
politiques à travers les forums. En outre, ces sites portails mettent
régulièrement à la disposition des migrants des produits
et services susceptibles d'intéresser de potentiels investisseurs au
sein de la diaspora. Les migrants ont alors la possibilité parfois
d'accéder aux offres proposées par les banques et les agences
immobilières du pays d'origine en même temps que leurs
compatriotes au pays.
Internet est devenu un lieu où se croisent
virtuellement des individus situés à des lieux extrêmement
distants et où se nouent des relations entre des
Sénégalais dispersés aux quatre coins de la
planète. A ce propos, il semble que les relations qui se tissent dans
cet espace virtuel contribuent, à bien des égards, à la
cohésion socioculturelle de cette
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communauté. C'est aussi dans certains cas un espace
d'apprentissage de la démocratie et de participation citoyenne. Ainsi,
non seulement, les migrants sont de gros consommateurs de web
sénégalais, mais également il est fondamental de souligner
leur rôle important dans la production de contenus web hybrides
marqués par la culture de l'entre-deux. Un élément qui
nous semble important de souligner, c'est ce processus, noté à
travers les échanges dans les espaces de discussions
électroniques, d'identification à une communauté de
concitoyens sénégalais malgré la séparation
géographique. Internet a réussi en un temps record à une
remarquable prise de conscience de l'existence d'une communauté
sénégalaise hors du territoire national, mais fortement
attachée à son pays d'origine et également très
intéressée par son devenir. On distingue néanmoins
l'existence d'une fracture numérique au sein de la diaspora
sénégalaise en France entre les « migrants connectés
» et les « migrants non connectés ». Quoiqu'il en soit,
force est de constater toutefois le rôle considérable des migrants
dans la réduction de la fracture numérique à travers
l'ampleur de leurs contributions dans l'équipement des ménages
dans le pays d'origine.
Cependant, ne serait-ce qu'en raison du rôle
extrêmement important qu'ils jouent comme régulateur social et
comme porteur de progrès à travers notamment les transferts
d'argent effectués vers le pays d'origine pour y améliorer les
conditions de vie des populations, les pouvoirs publics devraient accorder plus
d'attention à ces acteurs du développement ici et là-bas.
A présent, les TIC offrent aux pouvoirs publics l'opportunité de
se saisir, de façon stratégique, des problèmes
réels des migrants et aussi de les aider à agir de façon
bien plus efficace sur les espaces d'origine.
Contrairement à la France où les
démarches administratives, même pour les services publics les plus
élémentaires, sont disponibles en ligne, le Sénégal
reste encore très en retard dans ce domaine. Dans le pays de
résidence, Internet, en permettant facilement l'accès à
certaines informations, contribue à atténuer les tensions qui
pouvaient parfois apparaître entre les migrants et certains
établissements publics chargés de les accueillir ou de leur
fournir certains services.
Au moment où les emplois sont plus rares et plus
difficiles à trouver, Internet et le téléphone mobile sont
devenus des instruments indispensables pour sortir de l'isolement,
accéder aux informations et s'insérer professionnellement.
Internet est à la fois un lieu d'information, un espace de communication
et de loisirs. Mais cela ne suffit pas à croire
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que ces outils vont forcément résoudre la
question fondamentale de l'intégration des migrants. On constate que de
la même manière qu'Internet contribue au rapprochement des
migrants avec leur pays d'origine, cette technologie contribue, dans une
moindre mesure, au rapprochement des migrants avec leur pays de
résidence. Dans ce dernier cas de figure, Internet est l'outil qui
permet de donner une plus grande visibilité aux migrants, à leurs
associations ainsi qu'aux activités culturelles organisées afin
de rassembler les migrants dans un cadre de solidarité et d'entraide, de
faire la promotion de certains aspects de la culture du pays d'origine et aussi
afin de faciliter l'intégration de l'ensemble des membres de la
communauté sénégalaise résidant sur le territoire
français. Contrairement à l'idée véhiculée
sur un éventuel risque de marginalisation ou de replis identitaires, on
observe que les migrants se servent des TIC plutôt pour manifester
concrètement leur volonté d'intégration.
La fascination exercée par Internet réside dans
le fait qu'elle donne l'impression que le monde entier est désormais
accessible en tous ses points et en temps réel. Dans ce contexte, il
semble bien que l'on assiste aujourd'hui à l'émergence du «
migrant connecté » qui se saisit des opportunités offertes
par les TIC pour mieux vivre son déracinement et articulé cet
espace de l'entre-deux dans les méandres duquel il évolue. Avec
le durcissement généralisé des conditions d'entrée
et les politiques publiques relatives au séjour dans les pays
occidentaux en particulier, certains migrants abandonnent le projet de retour
et envisagent peu à peu leur installation définitive dans leur
pays de résidence. Étant entendu qu'ils devront sûrement
rester plus longtemps que prévu, certains d'entre eux tentent par
conséquent de s'approprier les TIC pour organiser, plus
spécifiquement, leur vie et leurs activités sur l'entre-deux et
les allers-retours entre le pays de résidence et le pays d'origine. Ce
qui met en évidence une nouvelle configuration ou entraîne de
nouvelles recompositions dans le champ migratoire sénégalais. Par
ailleurs, l'étude des pratiques de communication des migrants conduit
forcément à réinterroger les concepts d'intégration
et de communautarisme. Ce qui nous amène en fait à distinguer
deux modèles d'intégration radicalement opposés : le
modèle français d'intégration aux valeurs et idéaux
de la République et le modèle anglo-saxon basé sur
l'affirmation des différences ethniques, culturelles et religieuses.
Ainsi, l'analyse géographique des pratiques de
communication des migrants sénégalais en France
révèle une forte imbrication des différents espaces
composant le
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champ migratoire sénégalais, c'est-à-dire
l'espace d'origine, l'espace de résidence et les autres pôles
migratoires. La multidirectionnalité des flux informationnels et
communicationnels sénégalais témoigne de la grande
diversité des lieux d'émission et de réception de ces
flux. En supprimant les contraintes spatio-temporelles, les moyens de
communication modernes favorisent l'acheminement instantané des
informations produites aussi bien par les acteurs locaux que par des acteurs
localisés dans des espaces éloignés et distants de
plusieurs milliers de kilomètres. De nouveaux acteurs apparaissent au
sein de la diaspora. Le champ médiatique sénégalais
transcende l'espace géographique national. Grâce aux moyens de
télécommunication modernes, les flux médiatiques
sénégalais, déterritorialisés, se déploient
à présent dans un univers indifférencié. Les
internautes consommateurs des contenus web sénégalais au sein de
la diaspora représentent quasiment la même proportion que les
internautes basés au Sénégal. Ainsi, les pratiques de
communication se rapprochent entre ici et là-bas et tendent à
s'homogénéiser. La distance ne constitue plus un obstacle pour
participer aux débats publics. En affranchissant les individus des
contraintes spatiales, les TIC, en particulier Internet, contribuent à
l'émergence d'une démocratie participative. Par ailleurs, les TIC
« augmentent les échanges interindividuels et collectifs ». Ce
qui renforce la cohésion au sein des réseaux ainsi que le
sentiment d'appartenance communautaire. L'identitaire communautaire est
véhiculée par ces outils à transmettre en temps
réel et à toute distance des messages de toutes sortes. Les
échanges qui se déroulent dans les agoras numériques
participent au renforcement de l'identité culturelle de la
société d'origine. Non seulement, les migrants ont
désormais un accès permanent à leur culture, mais aussi
ils produisent des applications Internet (sites web, blogs) au sein desquelles
ils contribuent à valoriser et vulgariser certains aspects de leur
culture d'origine. On assiste à l'émergence de nouvelles
proximités, moins physiques, mais plus actives et dynamiques dans de
nombreuses activités du pays d'origine. Les relations avec les familles
et les proches restés dans l'espace d'origine deviennent permanentes et
se banalisent. On demeure ici tout en étant là-bas. Mais à
vrai dire, on observe un processus de recentrage culturel et territorial en
direction du pays d'origine.
D'autre part, ce travail nous a permis d'appréhender la
difficulté consistant à donner une définition
précise et nette de la notion de diaspora. Les auteurs qui articulent
leurs réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à
l'appliquer à des réalités ou à des
réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à
l'appliquer à des réalités ou à des
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formes de migration complètement différentes.
D'où le caractère aujourd'hui plutôt polysémique du
mot. Ce qui fait que le débat sur la pureté où l'extension
du concept de diaspora est encore loin d'être tranché à
l'heure actuelle. A notre avis, bien que l'usage du mot nécessite
beaucoup de précautions, nous pensons que son extension ne peut que
contribuer à enrichir la production littéraire ou scientifique
dans ce champ de recherche. Toutefois, nous avons préféré
recourir largement au concept de migrant qui nous semble plus adapté
à la structuration de la migration internationale
sénégalaise. Ce concept permet de porter un regard nouveau
notamment sur les stratégies multiples élaborées et
développées par les acteurs de cette migration afin de
s'intégrer dans le pays d'installation, tout en maintenant et
renforçant des relations multiformes avec le pays d'origine.
Loin de nous l'idée ou la prétention, à
travers ce travail, de penser avoir appréhendé ou cerné la
totalité des aspects du problème lié aux usages des TIC
par les migrants sénégalais en France. Nous sommes en effet bien
conscients de ne pas avoir répondu à toutes les questions
relatives à l'impact des TIC et les mutations observées dans les
relations que les migrants entretiennent avec leurs territoires d'origine et de
résidence. Toutefois, nous avons essayé d'analyser et de rendre
compte, de façon objective et empirique, la manière dont les
migrants sénégalais en France se servent des TIC pour maintenir
et renforcer les relations avec le pays d'origine et pour faciliter leur
insertion dans le pays de résidence, à travers une approche
géographique. Aussi, nous espérons avoir posé les jalons
ou balisé la réflexion pour des recherches plus fructueuses. Des
recherches fécondes qui pourront contribuer non seulement à
améliorer les conditions d'existence des migrants ici, mais aussi
à mieux encadrer les actions initiées par ces derniers en faveur
de l'amélioration des conditions de vie de celles de leurs familles
là-bas. Nous avons vu que les migrants sénégalais sont des
récepteurs et consommateurs de ressources Internet
sénégalais, mais aussi ce sont des acteurs incontournables dans
la production de ressources Internet sénégalais. Un autre
enseignement que l'on peut tirer de ce travail, c'est que les TIC peuvent
contribuer à donner une autre perception de l'immigration pour qu'elle
ne soit plus considérée uniquement comme un problème mais
plutôt comme une ressource dans cette société en
réseaux qui se construit sous nos yeux à l'ère du village
planétaire. Philippe Breton (2007) nous rappelle que les TIC sont
là avec des technophiles, des technophobes et entre les deux ceux qui en
appellent à des usages raisonnés. Quoi qu'il en soit, ces
instruments de communication permettant à
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l'information de circuler à la vitesse de la
lumière, donnant aux individus l'impression de disposer d'un don
d'ubiquité et de pouvoir faire fi de la distance géographique ne
peuvent être ignorés dans le déchiffrement de ce village
planétaire dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Quant à
moi, j'ai eu l'étrange sensation à travers ce travail que j'avais
vraiment sous-estimé cette volonté, cette détermination et
cette énergie déployées par les membres de la
communauté sénégalaise en France pour essayer de mieux
s'intégrer dans le pays de résidence.
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