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Dynamique des réseaux et des systèmes de communication des migrants sénégalais en France

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par Moda GUEYE
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - Doctorat de géographie 2010
  

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Conclusion générale

Au regard de tout ce qui a été dit, quelle conclusion peut-on avancer ? Tout d'abord, il faut rappeler qu'à travers ce travail, nous avons tenté d'analyser et de comprendre les processus d'insertion des TIC au sein de la diaspora sénégalaise en France, la manière dont les migrants se servent de ces nouveaux outils de communication et l'impact de ces outils sur la dynamique des réseaux. Car un trait essentiel de la migration internationale sénégalaise, c'est la constitution de réseaux sociaux basés essentiellement sur les liens familiaux, les appartenances confrériques et ethniques. Nous avons essayé de voir ce que faisaient réellement les migrants sénégalais en France avec les nouveaux objets techniques de communication et plus particulièrement le téléphone mobile et Internet. Plus précisément quelles sont les mutations induites par les TIC dans les relations que les migrants sénégalais en France entretiennent avec leurs lieux ou territoires d'origine ou d'installation ? La quête intellectuelle que nous avons menée à travers la question des réseaux et des systèmes de communication dans la diaspora sénégalaise en France nous a permis de mieux appréhender les différentes facettes de la migration sénégalaise en France et les mutations induites par les outils modernes de communication dans les rapports que les migrants sénégalais en France entretiennent avec leurs pays d'origine et de résidence. Les effets des TIC sont très différents selon la nature des migrants. Ceux qui disposent des compétences pour les exploiter pleinement n'hésitent pas à s'en servir afin de maintenir et renforcer aisément les relations avec le pays d'origine, mais aussi en même temps afin de mieux s'insérer dans le pays de résidence. Par leurs capacités à répondre à certains des besoins des migrants - renforcement des liens communautaires, maintien des liens avec le pays d'origine et accès à des informations utiles et pratiques sur le pays de résidence - les TIC conduisent à la nécessité d'une redéfinition des liens que les migrants entretiennent avec les pays d'origine et de résidence.

Les migrants sénégalais en France se servent des TIC non seulement pour maintenir et renforcer les relations avec les proches restés dans le pays d'origine ou dispersés dans le monde, mais en même temps ils s'en servent comme moyen d'intégration dans leur pays de résidence. D'une façon générale, on constate une dynamique dans les pratiques et formes de communication des migrants sénégalais en France. En effet, dans un passé pas aussi lointain que cela, la communication téléphonique constituait quelque chose d'assez

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aléatoire, voire même un luxe notamment pour bon nombre de migrants, les étudiants surtout. Une part importante des revenus des migrants pouvait en effet être consacrée aux frais de communication téléphonique avec la famille restée au pays, notamment les parents et l'épouse ou les épouses. Le maintien des relations à distance avec les membres de la famille résidant dans le pays ainsi que l'accès aux informations relatives au pays d'origine se faisaient très difficilement. Aujourd'hui, avec la diminution des coûts de communication téléphonique liée à l'ouverture du marché des télécommunications et la démocratisation de l'accès à Internet, les relations avec le pays d'origine se sont considérablement renforcées. Les migrants accèdent facilement et régulièrement aux espaces virtuels dans lesquels se déploient l'information relative au pays d'origine. Ces supports modernes de communication contribuent en outre au maintien et au renforcement de la communication interpersonnelle. Ce qui constitue quand même un élément fondamental dans la cohésion au sein de la communauté de migrants sénégalais en France. De manière générale, les migrants ont fait preuve d'une grande aptitude à utiliser le téléphone mobile et Internet, du moins pour certains d'entre-eux, pour résoudre en partie des problèmes spécifiques rencontrés dans la vie de tous les jours.

Ce qui fait un peu l'originalité de l'Internet sénégalais, c'est l'engouement réel des internautes de la diaspora pour les sites portails généralistes dont la plupart sont l'oeuvre des migrants. Cela s'explique surtout par le fait que ces sites proposent gratuitement des informations variées (sous forme de textes et sur supports audio ou vidéo) sur l'actualité du pays d'origine. Ces sites leur proposent souvent des espaces de discussion en ligne où ils peuvent s'exprimer librement et donner leurs avis en temps réel sur la situation politique, économique et sociale du pays d'origine. Il convient de relever l'ampleur démesurée des débats politiques à travers les forums. En outre, ces sites portails mettent régulièrement à la disposition des migrants des produits et services susceptibles d'intéresser de potentiels investisseurs au sein de la diaspora. Les migrants ont alors la possibilité parfois d'accéder aux offres proposées par les banques et les agences immobilières du pays d'origine en même temps que leurs compatriotes au pays.

Internet est devenu un lieu où se croisent virtuellement des individus situés à des lieux extrêmement distants et où se nouent des relations entre des Sénégalais dispersés aux quatre coins de la planète. A ce propos, il semble que les relations qui se tissent dans cet espace virtuel contribuent, à bien des égards, à la cohésion socioculturelle de cette

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communauté. C'est aussi dans certains cas un espace d'apprentissage de la démocratie et de participation citoyenne. Ainsi, non seulement, les migrants sont de gros consommateurs de web sénégalais, mais également il est fondamental de souligner leur rôle important dans la production de contenus web hybrides marqués par la culture de l'entre-deux. Un élément qui nous semble important de souligner, c'est ce processus, noté à travers les échanges dans les espaces de discussions électroniques, d'identification à une communauté de concitoyens sénégalais malgré la séparation géographique. Internet a réussi en un temps record à une remarquable prise de conscience de l'existence d'une communauté sénégalaise hors du territoire national, mais fortement attachée à son pays d'origine et également très intéressée par son devenir. On distingue néanmoins l'existence d'une fracture numérique au sein de la diaspora sénégalaise en France entre les « migrants connectés » et les « migrants non connectés ». Quoiqu'il en soit, force est de constater toutefois le rôle considérable des migrants dans la réduction de la fracture numérique à travers l'ampleur de leurs contributions dans l'équipement des ménages dans le pays d'origine.

Cependant, ne serait-ce qu'en raison du rôle extrêmement important qu'ils jouent comme régulateur social et comme porteur de progrès à travers notamment les transferts d'argent effectués vers le pays d'origine pour y améliorer les conditions de vie des populations, les pouvoirs publics devraient accorder plus d'attention à ces acteurs du développement ici et là-bas. A présent, les TIC offrent aux pouvoirs publics l'opportunité de se saisir, de façon stratégique, des problèmes réels des migrants et aussi de les aider à agir de façon bien plus efficace sur les espaces d'origine.

Contrairement à la France où les démarches administratives, même pour les services publics les plus élémentaires, sont disponibles en ligne, le Sénégal reste encore très en retard dans ce domaine. Dans le pays de résidence, Internet, en permettant facilement l'accès à certaines informations, contribue à atténuer les tensions qui pouvaient parfois apparaître entre les migrants et certains établissements publics chargés de les accueillir ou de leur fournir certains services.

Au moment où les emplois sont plus rares et plus difficiles à trouver, Internet et le téléphone mobile sont devenus des instruments indispensables pour sortir de l'isolement, accéder aux informations et s'insérer professionnellement. Internet est à la fois un lieu d'information, un espace de communication et de loisirs. Mais cela ne suffit pas à croire

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que ces outils vont forcément résoudre la question fondamentale de l'intégration des migrants. On constate que de la même manière qu'Internet contribue au rapprochement des migrants avec leur pays d'origine, cette technologie contribue, dans une moindre mesure, au rapprochement des migrants avec leur pays de résidence. Dans ce dernier cas de figure, Internet est l'outil qui permet de donner une plus grande visibilité aux migrants, à leurs associations ainsi qu'aux activités culturelles organisées afin de rassembler les migrants dans un cadre de solidarité et d'entraide, de faire la promotion de certains aspects de la culture du pays d'origine et aussi afin de faciliter l'intégration de l'ensemble des membres de la communauté sénégalaise résidant sur le territoire français. Contrairement à l'idée véhiculée sur un éventuel risque de marginalisation ou de replis identitaires, on observe que les migrants se servent des TIC plutôt pour manifester concrètement leur volonté d'intégration.

La fascination exercée par Internet réside dans le fait qu'elle donne l'impression que le monde entier est désormais accessible en tous ses points et en temps réel. Dans ce contexte, il semble bien que l'on assiste aujourd'hui à l'émergence du « migrant connecté » qui se saisit des opportunités offertes par les TIC pour mieux vivre son déracinement et articulé cet espace de l'entre-deux dans les méandres duquel il évolue. Avec le durcissement généralisé des conditions d'entrée et les politiques publiques relatives au séjour dans les pays occidentaux en particulier, certains migrants abandonnent le projet de retour et envisagent peu à peu leur installation définitive dans leur pays de résidence. Étant entendu qu'ils devront sûrement rester plus longtemps que prévu, certains d'entre eux tentent par conséquent de s'approprier les TIC pour organiser, plus spécifiquement, leur vie et leurs activités sur l'entre-deux et les allers-retours entre le pays de résidence et le pays d'origine. Ce qui met en évidence une nouvelle configuration ou entraîne de nouvelles recompositions dans le champ migratoire sénégalais. Par ailleurs, l'étude des pratiques de communication des migrants conduit forcément à réinterroger les concepts d'intégration et de communautarisme. Ce qui nous amène en fait à distinguer deux modèles d'intégration radicalement opposés : le modèle français d'intégration aux valeurs et idéaux de la République et le modèle anglo-saxon basé sur l'affirmation des différences ethniques, culturelles et religieuses.

Ainsi, l'analyse géographique des pratiques de communication des migrants sénégalais en France révèle une forte imbrication des différents espaces composant le

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champ migratoire sénégalais, c'est-à-dire l'espace d'origine, l'espace de résidence et les autres pôles migratoires. La multidirectionnalité des flux informationnels et communicationnels sénégalais témoigne de la grande diversité des lieux d'émission et de réception de ces flux. En supprimant les contraintes spatio-temporelles, les moyens de communication modernes favorisent l'acheminement instantané des informations produites aussi bien par les acteurs locaux que par des acteurs localisés dans des espaces éloignés et distants de plusieurs milliers de kilomètres. De nouveaux acteurs apparaissent au sein de la diaspora. Le champ médiatique sénégalais transcende l'espace géographique national. Grâce aux moyens de télécommunication modernes, les flux médiatiques sénégalais, déterritorialisés, se déploient à présent dans un univers indifférencié. Les internautes consommateurs des contenus web sénégalais au sein de la diaspora représentent quasiment la même proportion que les internautes basés au Sénégal. Ainsi, les pratiques de communication se rapprochent entre ici et là-bas et tendent à s'homogénéiser. La distance ne constitue plus un obstacle pour participer aux débats publics. En affranchissant les individus des contraintes spatiales, les TIC, en particulier Internet, contribuent à l'émergence d'une démocratie participative. Par ailleurs, les TIC « augmentent les échanges interindividuels et collectifs ». Ce qui renforce la cohésion au sein des réseaux ainsi que le sentiment d'appartenance communautaire. L'identitaire communautaire est véhiculée par ces outils à transmettre en temps réel et à toute distance des messages de toutes sortes. Les échanges qui se déroulent dans les agoras numériques participent au renforcement de l'identité culturelle de la société d'origine. Non seulement, les migrants ont désormais un accès permanent à leur culture, mais aussi ils produisent des applications Internet (sites web, blogs) au sein desquelles ils contribuent à valoriser et vulgariser certains aspects de leur culture d'origine. On assiste à l'émergence de nouvelles proximités, moins physiques, mais plus actives et dynamiques dans de nombreuses activités du pays d'origine. Les relations avec les familles et les proches restés dans l'espace d'origine deviennent permanentes et se banalisent. On demeure ici tout en étant là-bas. Mais à vrai dire, on observe un processus de recentrage culturel et territorial en direction du pays d'origine.

D'autre part, ce travail nous a permis d'appréhender la difficulté consistant à donner une définition précise et nette de la notion de diaspora. Les auteurs qui articulent leurs réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à l'appliquer à des réalités ou à des réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à l'appliquer à des réalités ou à des

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formes de migration complètement différentes. D'où le caractère aujourd'hui plutôt polysémique du mot. Ce qui fait que le débat sur la pureté où l'extension du concept de diaspora est encore loin d'être tranché à l'heure actuelle. A notre avis, bien que l'usage du mot nécessite beaucoup de précautions, nous pensons que son extension ne peut que contribuer à enrichir la production littéraire ou scientifique dans ce champ de recherche. Toutefois, nous avons préféré recourir largement au concept de migrant qui nous semble plus adapté à la structuration de la migration internationale sénégalaise. Ce concept permet de porter un regard nouveau notamment sur les stratégies multiples élaborées et développées par les acteurs de cette migration afin de s'intégrer dans le pays d'installation, tout en maintenant et renforçant des relations multiformes avec le pays d'origine.

Loin de nous l'idée ou la prétention, à travers ce travail, de penser avoir appréhendé ou cerné la totalité des aspects du problème lié aux usages des TIC par les migrants sénégalais en France. Nous sommes en effet bien conscients de ne pas avoir répondu à toutes les questions relatives à l'impact des TIC et les mutations observées dans les relations que les migrants entretiennent avec leurs territoires d'origine et de résidence. Toutefois, nous avons essayé d'analyser et de rendre compte, de façon objective et empirique, la manière dont les migrants sénégalais en France se servent des TIC pour maintenir et renforcer les relations avec le pays d'origine et pour faciliter leur insertion dans le pays de résidence, à travers une approche géographique. Aussi, nous espérons avoir posé les jalons ou balisé la réflexion pour des recherches plus fructueuses. Des recherches fécondes qui pourront contribuer non seulement à améliorer les conditions d'existence des migrants ici, mais aussi à mieux encadrer les actions initiées par ces derniers en faveur de l'amélioration des conditions de vie de celles de leurs familles là-bas. Nous avons vu que les migrants sénégalais sont des récepteurs et consommateurs de ressources Internet sénégalais, mais aussi ce sont des acteurs incontournables dans la production de ressources Internet sénégalais. Un autre enseignement que l'on peut tirer de ce travail, c'est que les TIC peuvent contribuer à donner une autre perception de l'immigration pour qu'elle ne soit plus considérée uniquement comme un problème mais plutôt comme une ressource dans cette société en réseaux qui se construit sous nos yeux à l'ère du village planétaire. Philippe Breton (2007) nous rappelle que les TIC sont là avec des technophiles, des technophobes et entre les deux ceux qui en appellent à des usages raisonnés. Quoi qu'il en soit, ces instruments de communication permettant à

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l'information de circuler à la vitesse de la lumière, donnant aux individus l'impression de disposer d'un don d'ubiquité et de pouvoir faire fi de la distance géographique ne peuvent être ignorés dans le déchiffrement de ce village planétaire dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Quant à moi, j'ai eu l'étrange sensation à travers ce travail que j'avais vraiment sous-estimé cette volonté, cette détermination et cette énergie déployées par les membres de la communauté sénégalaise en France pour essayer de mieux s'intégrer dans le pays de résidence.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard