UNIVERSITE MICHEL DE MONTAIGNE BORDEAUX III
Ecole Doctorale «Montaigne-Humanités» ED
480
UMR 5185 ADES-DYMSET
DOCTORAT de Géographie
Réseaux et systèmes de communication
dans la diaspora sénégalaise en France
THÈSE
Présentée et soutenue publiquement
le 09
juillet 2010
par
Moda GUEYE
Sous la direction de
Mme Annie Chéneau-Loquay
MEMBRES DU JURY :
BRUNEAU Jean Claude, Professeur de
Géographie, Université Paul Valéry Montpellier III
CHÉNEAU-LOQUAY Annie, Directrice de
recherche CNRS, CEAN (UMR
CNRS-IEP)
FALL Alioune Badara, RAPPORTEUR,
Professeur de Droit, Université Montesquieu Bordeaux IV
LENOBLE-BART Annie, Professeur de
Sciences de l'Information et de la Communication, Université Michel de
Montaigne Bordeaux 3
LESOURD Michel, RAPPORTEUR,
Professeur de Géographie, Université de Rouen
2
3
Remerciements
Je voudrais d'abord commencer par remercier Madame Annie
Chéneau-Loquay pour avoir accepté de diriger cette thèse.
Si ce travail a pu arriver à son terme, c'est en grande partie
grâce à elle. Tout au long de ce parcours, elle n'a
ménagé aucun effort pour m'appuyer sur le plan
méthodologique, orienter ma réflexion, corriger mes imperfections
et me donner le goût de la recherche scientifique. Qu'elle trouve
l'expression de ma gratitude et de ma reconnaissance pour ses conseils
avisés, ses critiques, sa disponibilité et toute son assistance
dans le cadre du programme Africa'NTI ou du GDRI Netsuds.
Je souhaite remercier toutes les personnes en France, au
Sénégal, en Belgique, en Italie qui ont accepté de me
recevoir chez eux et de répondre à mes questions. Merci de
m'avoir accordé de votre précieux temps. Un grand merci à
toutes ces personnes qui sont allées sur mon site web pour
répondre à mon questionnaire. J'ai pu avoir des informations
préciseuses sur Seneweb grâce à son fondateur Abdou Salam
Fall que je remercie pour sa disponibilité. Merci aussi au laboratoire
mixte CNRS-IRD ADES de Talence pour m'avoir accueilli dans ses locaux toutes
ces années. Vraiment que toutes les personnes qui ont permis la
réalisation de ce travail veuillent bien y trouver l'expression de ma
profonde gratitude, notamment mes collègues au sein d'Africanti et du
GDRI Netsuds, Martial Makanga Bala, Ousmane Sary, Eric Bernard, sans oublier
les autres. Je remercie mes collègues de la SIMAF de leur patience et de
leur compréhension.
Je remercie aussi tout particulièrement mon ami et
frère Cheikh Sarr Ndao pour sa générosité et mon
amie Hawa Watt. Merci également à mes amis Pavel Kabaccof,
Stéphane Canarias et Florent Cornu.
Qu'il me soit enfin permis de remercier sincèrement mon
père Arona Guèye pour son soutien constant. Je tiens aussi
à remercier ma tante Fatou Diouf, mes soeurs Astou Guèye,
Nafissatou Guèye, Khadidiatou Guèye, Mariama Guèye et
Marie Guèye, ainsi que mon cousin, frère et homonyme Moda
Guèye, de même que mon frère Babacar Guèye et mon
cousin Macoumba Wade.
4
Mes remerciements sincères vont également
à mes beaux-parents Samba Tokossel Dia et Fama Sène pour leurs
conseils et leur soutien moral, à mes belles-soeurs Aminata Dia et
à mon beau-frère Ousmane Georges Dia.
Je suis à tous très reconnaissant. Merci.
5
Dédicaces
Je dédie cette thèse :
A ma mère qui n'est plus là mais qui tient
toujours une place immense dans mon coeur. Pour ses encouragements à
aller si loin dans les études.
A mon oncle Mamadou Mansour Guèye qui m'a
inculqué la droiture et m'a toujours encouragé à
persévérer dans les études. Merci de m'avoir donné
cette éducation.
A ma femme Rosalie Dia. J'espère que tu trouveras
dans ce travail, l'expression de mon amour, de ma profonde gratitude et de mon
amitié. Merci pour tes aides précieuses.
A mes enfants Arona et Mamadou Mansour.
A ma soeur Soukeyna Guèye et ses enfants Aldiouma
Dieng et Aynina Dieng.
6
7
Table des matières
Table des illustrations 11
RESUME 13
ABSTRACT 14
Introduction générale
15
Introduction générale
15
Outils conceptuels et méthodologie 23
Outils conceptuels et théoriques 23
Partie méthodologique 43
Première partie. Formes modernes et formes
anciennes de communication 54
Chapitre 1. Des migrants caractérisés
par une grande hétérogénéité
59
1.1 Les migrants originaires du bassin du fleuve
Sénégal 62
1.1.1 Une vie communautaire confinée dans les foyers pour
immigrés 63
1.1.2 Des relations multiformes et intenses avec les lieux
d'origine 68
1.2 Les migrants commerçants mourides
70
1.2.1 Avec le pays de résidence, des relations
tournées essentiellement autour de l'activité
commerciale et du « religieux » 72
1.2.1.1 Un maillage commercial de tout l'espace français
72
1.2.1.2 Un rôle prépondérant du religieux
dans la migration 75
1.2.2 Des liens multiples et forts avec le pays d'origine 76
1.2.2.1 La ville sainte de Touba, lieu de retour final et de vie
rêvé 76
1.2.2.2 Un rôle considérable dans les
activités commerciales au Sénégal 78
1.3 Les étudiants 78
1.3.1 Des conditions de vie et d'études
généralement difficiles 82
1.3.2 L'éloignement familial : un fardeau pénible
et pesant 84
1.4 Les migrants qualifiés ou hautement qualifiés
85
Chapitre 2. Pratiques taditionnelles et formes modernes de
communication 91
2.1 Les lettres, les cassettes audio et le bouche à
oreille 94
2.1.1 Le bouche à oreille, un moyen de communication
très apprécié pour établir des relations de
proximité 94
2.1.2 La lettre a été le
principal moyen permettant de communiquer à distance avec la famille
avant
de connaître un net recul 97
2.1.3 Les cassettes
audio, un moyen de communication apprécié par les migrants
analphabètes _ 100
2.2 Le fax, un instrument utilisé pour les
démarches administratives et les affaires
économiques 101
2.3 La télévision, le magnétoscope, le
caméscope et aussi les cassettes vidéo et les
DVD, pour rester au diapason de la vie sociale et culturelle du
pays d'origine 102
2.4 Worldspace, la radio de l'interactivité et de la
téléprésence 105
Chapitre 3. Appropriation et usages du
téléphone 115
3.1 Des usages divers et une vie sociale plus
développée dans le pays de résidence
117
3.1.1 Une utilisation communautaire du téléphone
fixe et du téléphone mobile 120
3.1.2 Les téléboutiques 124
3.1.3 Les cartes téléphoniques à codes
126
3.1.4 Un réel engouement pour le téléphone
mobile 129
8
3.2 Des relations presque quotidiennes avec le pays d'origine
132
3.2.1 Une gestion quotidienne à distance de l'espace
domestique 134
3.2.2 Le téléphone mobile, pour rattacher les
jeunes étudiants au cocon familial 137
Chapitre 4. Le Secteur de la téléphonie au
Sénégal : infrastractures et services
143
4.1 La téléphonie fixe : un secteur encore sous le
monopole de l'opérateur historique _ 141
4.2 Les télécentres au Sénégal : mort
définitive de « la poule aux oeufs d'or » ou amorce
d'une nouvelle « success story » ?
142
4.3 L'essor extraordinaire du téléphone mobile dans
le pays d'origine 144
4.4 Une utilisation collective du téléphone fixe et
du téléphone mobile 146
Deuxième partie. Les migrants
sénégalais et Internet : accès, usages et modes
d'appropriation
148
Chapitre 5. Internet au Sénégal et le
Sénégal sur Internet 154
5.1 Historique et dynamique de l'Internet au
Sénégal 155
5.1.1 La coopération internationale 157
5.1.1.1 Le rôle pionnier dès 1989 du réseau
RIO 158
5.1.1.2 En 1992, le Sénégal dispose d'un noeud du
projet RINAF de l'UNESCO 158
5.1.1.3 Le réseau REFER de l'AUPELF est lancé en
1994 159
5.1.1.4 Une participation tous azimuts aux programmes de
coopération internationaux mais
aussi régionaux 160
5.1.2 Une forte impulsion des acteurs étatiques 162
5.1.3 Les fournisseurs d'accès à internet (les FAI)
ou providers 164
5.1.4 Les points d'accès 167
5.2 Le Sénégal dans le cyberespace
173
5.2.1 Les services administratifs en ligne 174
5.2.2 Internet, au service de la consolidation de la
démocratie sénégalaise 176
5.2.3 Favoriser l'utilisation d'Internet pour le
développement des activités commerciales et
industrielles 177
5.2.4 Dans le domaine de l'enseignement 177
Chapitre 6. Usages et pratiques de l'Internet des migrants
sénégalais en France 180
6.1 Les migrants sénégalais et le World Wide Web
(la Toile Mondiale) 186
6.2 Le courrier électronique, un outil de communication
largement utilisé pour effectuer
des correspondances privées ou publiques
189
6.3 Les espaces électroniques de discussions et
d'échanges 193
6.3.1 Les forums de discussion 195
6.3.2 Les «chats» 199
6.4 Les sites portails, mettre à la disposition des
Sénégalais de la diaspora des plateformes
d'informations, d'échanges et de rencontres
201
6.4.1 Des sites destinés à élargir
la palette des sources d'informations sénégalaises et à
connecter les
migrants aux temps forts de l'actualité
sénégalaise 202
6.4.2 Des lieux virtuels de rencontres et d'échanges en
dépit des frontières géographiques 203
6.4.3 Une panoplie de services qui répondent aux besoins
des migrants 204
6.4.4 Des sites créés et gérés
essentiellement par des migrants 205
6.4.5 Seneweb, le lieu virtuel de convergence des
Sénégalais éparpillés dans le monde entier 206
6.4.6
Homeviewsenegal.sn, connecter
les migrants aux temps forts de l'actualité sénégalaise
214
6.4.7
Xalimasn.com 215
6.4.8 Un nombre croissant de sites portails pour fournir une
multitude d'informations sur le Sénégal
216
6.5 Les médias en ligne 220
6.5.1 Les médias proches du gouvernement : Le Soleil et la
RTS 226
9
6.5.2 Les médias des groupes de presse indépendants
229
6.5.2.1 Les médias du groupe Sud Communication 230
6.5.2.2 Les médias du groupe Wal Fadjri 234
6.5.2.3 Les médias du groupe Futur Médias 237
6.5.2.4 Les médias du groupe Avenir Communication 240
6.5.3 La presse sénégalaise diffusée
uniquement sur Internet 248
6.5.3.1
Rewmi.com 250
6.5.3.2
Nettali.net 251
6.5.4 Les stations radios diffusées uniquement sur
Internet : les webradios ou netradios 252
6.5.4.1 Seneweb Radio, la radio de la diaspora
sénégalaise 253
6.5.4.2
Khassaide.net, la webradio mouride en
direct de Grenoble 256
6.5.4.3 Keurgoumak webradio émettant depuis Houston aux
États-Unis 258
6.5.5 Les télévisions sénégalaises
diffusées uniquement sur Internet : les web TVs ou
web-télés _ 260
6.5.5.1 La télévision News Box Network 261
6.5.5.2 La web TV Diamono TV 262
6.6 La téléphonie par Internet
264
6.6.1 Skype, un cadeau tombé du cyberespace pour «
communiquer sans compter » avec la famille et
les amis proches et lointains 266
6.6.2 MSN Messenger, la messagerie instantanée des jeunes
migrants 268
6.6.3 Yahoo Messenger, une utilisation un peu plus timide 269
6.7 Ferveur et adhésion aux sites web de
réseaux sociaux en ligne : Facebook et hi5 274
6.8 Des migrants producteurs de blogs 277
6.8.1 Les blogs citoyens 279
6.8.2 Quand les
Sénégalaises de France se mettent à bloguer ou le blog
comme outil d'intégration 281
6.8.3 Une blogosphère fortement marquée par les
blogs « religieux » 282
Chapitre 7. Les associations sénégalaises en
France à l'heure d'Internet 287
7.1 Les associations d'étudiants dans les
principales régions françaises 290
7.1.1 Dans le sud-ouest de la France 291
7.1.2 Dans le sud-est de la France 295
7.1.2.1 En Provence -Alpes-Côte d'Azur 295
7.1.2.2 En Rhône-Alpes 298
7.1.3 Dans le sud de la France 300
7.1.4 Dans le nord de la France 301
7.1.5 Dans le nord-ouest de la France, en Bretagne et Normandie
304
7.1.6 Dans le nord-est de le France : l'Amicale des Etudiants et
Stagiaires de Strasbourg (AESS) 307
7.1.7 Dans le centre de la France 309
7.2 Les associations des confréries musulmanes
sénégalaises 312
7.2.1 Une forte prédominance des associations mourides
314
7.2.2 Les talibés de Cheikh Béthio Thioune, les
Thiantacounes sur
Santati.net 319
7.2.3
Ansaroudine.org, « les
talibés de Baye en France » 321
7.3 Les mouvements associatifs pour le
développement 323
7.3.1 Les associations des ressortissants de la vallée du
fleuve Sénégal 324
7.3.2 Le réseau des cadres Sénégalais,
l'Espace Jappo 329
Troisième partie. Les migrants
sénégalais face aux technologies de l'information et de
la
communication (TIC) : enjeux et perspectives
336
Chapitre 8. Du migrant déraciné au
« migrant connecté » : les enjeux socioculturels liés
à
l'utilisation des outils modernes de communication
340
8.1 Les TIC, supports d'intégration ou vecteurs
de replis identitaires ? 341
8.1.1 Les TIC, supports d'intégration 342
8.1.1.1 Pour mieux accompagner les migrants dans la recherche
d'emploi ou de stage 345
8.1.1.2 Afin de mieux participer à la vie culturelle dans
le pays de résidence 349
8.1.2 Les TIC, facteurs de replis identitaires ? 350
10
8.2 Des usages en faveur de la promotion de quelques facettes de
la culture d'origine 353
8.2.1 Transferts d'informations, de savoirs et de
compétences 356
8.2.2 Internet, un outil éducatif permettant aux enfants
issus de l'immigration de mieux connaître
leurs cultures d'origine 362
8.3 Les TIC, de nouveaux moyens de contrôle, de
surveillance et de répression ? 364
8.3.1 Surveillance des frontières et traçage des
migrants 365
8.3.2 Recrudescence de l'émigration clandestine 366
Chapitre 9. Migrants, TIC et développement
375
9.1 Les migrants des acteurs incontournables du
développement local 377
9.1.1 Les TIC, alternative pour une nouvelle forme de
coopération entre le Nord et le Sud ? 379
9.1.2 La coopération décentralisée ou
codéveloppement 380
9.2 Le rôle des TIC dans les envois et transferts d'argent
382
9.2.1 Les structures formelles de transferts de fonds 384
9.2.2 Les modes de transferts informels 394
9.3 Un rôle important dans la réduction de la
fracture numérique 396
9.4 L'influence des migrants sur la vie politique au
Sénégal 399
Chapitre 10. Migrants, TIC et mondialisation
408
10.1 Dans les principaux pays de destination
411
10.1.1 Une orientation massive des flux en direction de l'Italie
416
10.1.2 La ruée vers l'Espagne 421
10.1.3 Les Sénégalais aux États-Unis : entre
leurres et lueurs de l'American way of life 424
10.2 Dans les autres pays : mobilité et
mondialisation des pratiques de communication ?
427
10.2.1 La communauté sénégalaise
établie au Canada 428
10.2.2 L'Association des Sénégalais et
Sympathisants de Bruxelles et Environs (ASSBE) 432
10.2.3 Les ressortissants sénégalais établis
en Suisse 433
10.2.4 La communauté sénégalaise au Maroc
435
10.3 L'insertion des migrants dans la société
globale, une forme de « mondialisation par le bas »
437
10.4 Les migrants et les perspectives de la
société de l'information 439
Conclusion générale
447
Bibliographie 455
ANNEXES 471
11
Table des illustrations
Carte 1. Carte de localisation des zones d'enquêtes
au Sénégal entre 2002 et 2003 45
Site web 1. Le site d'accès au questionnaire :
Modagueye.com
49
Graphique 1. Les immigrés en France selon leur pays
de naissance en 1999 et 2004-2005 62
Tableau 1. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007 81
Graphique 2. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007 82
Tableau 2. Enseignants sénégalais de
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar partis à l'étranger
de 1992 à
2002 88
Tableau 3. Départ des enseignants de
l'université Gaston Berger de Saint-Louis entre 1992-2002 89
Graphique 3. Début d'utilisation du
téléphone mobile 124
Image1 : Téléboutiques ou Taxiphones
à Bordeaux : World Net Phone sur le cours de l'Argonne et Eco
Net
Phone sur le cours de la Marne 126
Image 2 : Cartes téléphoniques
prépayées à code 127
Graphique 4. Lieux d'achat des cartes
téléphoniques 128
Graphique 5. Le système de relations de I.D.
133
Graphique 6. Téléphonie mobile :
opérateurs utilisés 137
Graphique 7. Evolution du parc de lignes fixes au
Sénégal 142
Graphique 8. Evolution du parc total des abonnés du
mobile au Sénégal 146
Carte 2. Carte administrative du Sénégal
157
Graphique 9. Evolution du parc d'abonnés à
Internet au Sénégal de 2004 à 2008 167
Tableau 4. Nombre d'utilisateurs Internet pour 100
habitants au Sénégal et en France 171
Carte 3. Points d'accès publics à Internet
173
Graphique 10. Répartition des enquêtés
selon les lieux de connexion 188
Graphique 11. Dépenses mensuelles en carte
téléphonique et en connexion Internet 189
Site web 2. Senediaspora, le forum dédié aux
Sénégalais de la diaspora 198
Graphique 12. Sujets de discussion les plus
appréciés dans les forums 199
Graphique 13. Visites effectuées sur Seneweb du
28/07/09 au 27/08/09 209
Site web 3. Seneweb, le lieu de convergence des
Sénégalais de la diaspora 213
Site web 4. Homeviewsenegal, connecter les migrants aux
temps forts de l'actualité sénégalaise 215
Site web
5. Xalimasn.com
216
Image 3 : Kiosque à journaux en ligne de Seneweb et
kiosque à journaux à Dakar 226
Sites web 4. Les sites web des médias proches du
gouvernement :
www.lesoleil.sn et
www.rts.sn 227
Graphique 13. Pays de résidence des visteurs du
site
Lesoleil.sn 228
Graphique 14. Pays d'établissement des visiteurs de
Rts.sn le 09/04/2009 229
Sites web 5. Les sites web du groupe Sud communication :
sudonline.sn et
sudfm.sn 232
Graphique 15. Répartition des visiteurs de
SudOnline par pays 233
Graphique 16. Répartition des visiteurs de
Sudfm.net par pays
234
Site web 6. Le site web du journal Walfadjri L'Aurore :
Walf.sn 236
Graphique 17. Répartition des visiteurs de Walf.sn
par pays 237
Sites web 7. Les sites web du groupe Futurs Médias
:
lobservateur.sn et
futursmedias.net
239
Graphique 18. Répartition des visiteurs de
Lobservateur.sn par
pays 240
Site web 8. La version électronique du journal Le
Quotidien :
Lequotidien.sn
241
Graphique 19. Répartition par pays des utilisateurs
du site
Lequotidien.sn
242
Site web 9. Le site web de La Gazette,
Lagazette.sn, le seul
hebdomadaire sénégalais diffusé en ligne 246
Tableau 5. Les principaux groupes de presse
sénégalais présents sur le web 247
Carte 4. Carte des radios diffusées au
Sénégal 248
Site web
10. Rewmi.com
251
Site web
11. Nettali.net
252
Site web 11. Programmes de Seneweb Radio 256
Image 4 :
Khassaïde.net, la
webradio mouride émettant depuis Grenoble 257
Vous écoutez en direct la radio
khassaide.net depuis
Grenoble 257
Site web 12. La webradio Keurgoumak émettant depuis
Houston 259
Graphique 20. Radios et webradios
sénégalaises les plus écoutées à travers
Internet 260
Site web 13. Webtv New Box Network 262
Graphique 21. Les chaînes de
télévisions sénégalaises les plus regardées
sur Internet 263
Site web 14. Page personnelle de Moda Gueye sur Skype
268
12
Site web 15. Page personnelle de Moda Gueye sur MSN
Messenger 269
Graphique 22. Technologies utilisées pour
téléphoner gratuitement sur Internet 270
Graphique 23. Les réseaux de A. W., des
réseaux basés sur des liens familiaux, d'amitiés ou
commerciaux _ 272
Graphique 24. Principales destinations des appels
téléphoniques via le téléphone et via Internet
273
Graphique 25. Liens avec les personnes appelées au
téléphone 274
Site web 16. Page personnelle de Moda Gueye sur le
réseau communautaire Facebook 276
Site web 17. Page personnelle de Moda Gueye sur hi5
277
Blogs 1. Les blogs citoyens :
mbayemomar.over-blog.net
et
Bacary.blogspot.com
280
Blogs 2. Blogs de senegal-by-me et
Nabou.zevillage.org
282
Blogs 3. Blog de Dieufdieul, un étudiant mouride
établi à Lille et blog de Thier 02, un étudiant
thiantacoune 283
Graphique 26. Les principaux usages d'Internet des
migrants sénégalais en France 284
Graphique 27. Sites web les plus visités sur
Internet par les migrants sénégalais en France 285
Graphique 28. Les principales associations de migrants
sénégalais en France 290
Site web 18. Site web de l'ABESS 293
Site web 19. Site web de l'ASEST 295
Site web 20. Site web de l'AESAM 297
Site web 21. Site web de l'ADESEN 298
Site web 25. Site web de l'AESSG 299
Site web 23. Site web de l'ASH dans l'Hérault
301
Site web 24. Site web de l'AESN 302
Site web 25. Site web de l'AESGE 303
Site web 26. Site web de l'ASEB 305
Site web 27. Site web de l'AESC 306
Site web 28. Site web de l'AESSS en Alsace 308
Site web 29. Site web de l'AEST 311
Site web 30. Site web de l'ASC 312
Site web 31. Site web des étudiants mourides de
Lille 318
Site web 32. Site web des mourides de Marseille
319
Site web
36. Santati.net, le
site web des disciples de Cheikh Béthio Thioune 321
Site web 34. Site web des disciples de Baye Niasse en
France 322
Site web 35. Site web de l'AESDW 327
Site web 36. Site web de l'ARDF 329
Site web 40. Site web de l'amicale des cadres
Sénégalais 331
Carte 5. Associations de migrants sénégalais
en France ayant un site web 332
Site web 38. Site web du service public en France
344
Site web 39. Site web de Pôle emploi 347
Image 5 : Différentes manifestations culturelles
organisées en France 356
Image 6 : Des rescapés des pirogues de la mort (les
lothios) à destination des îles Canaries 373
Site web 40. Site web de Western Union 385
Site web 41. Site web de Moneygram 386
Site web 42. Site web de l'opérateur kenyan de
transfert d'argent M-Pesa 393
Graphique 29. Modes de transfert d'argent
privilégiés des migrants sénégalais 394
Graphique 30. Outils de communication ramenés par
les migrants au Sénégal 399
Sites web 43. Sites des membres de la diaspora exigeant la
libération d'Idrissa Seck ou soutenant sa
candidature à l'élection
présidentielle de 2007 402
Site web 44. Site des membres de la diaspora
opposés à la monarchie au Sénégal 404
Site web 45. Site web du professeur Arona N'Doffene Diouf
et de ses partisans 405
Carte 5. Principaux flux migratoires
sénégalais 416
Site web 44. Site web de l'ASA 426
Site web 45. Site web du RGSC 430
Site web 46. Site web de l'ASSBE 433
Site web 47. Le site web des archives politiques
sénégalaises ARCHIPO 435
Sites web 48. Sites web de l'UGESM Settat et de l'ASEK au
Maroc 437
13
RESUME
Face à l'avènement inédit d'outils
modernes d'information et de communication combinant à la fois des
technologies liées aux télécommunications, à
l'audiovisuel et à l'informatique, la manière de communiquer au
quotidien des individus ou des groupes a été complètement
bouleversée. De même, ces outils modernes de communication, en
particulier le téléphone mobile et Internet, ont modifié
notre manière d'appréhender les notions géographiques
telles que la distance, l'espace, l'éloignement, la proximité.
Depuis la fin des années 1990, le champ de la connaissance sur l'usage
et l'impact des technologies de l'information et de la communication dans le
monde des migrants est en pleine effervescence en France. Notre étude
s'inscrit dans cette dynamique et s'intéresse aux usages des outils
modernes de communication au sein de la diaspora sénégalaise en
France et sur le rôle de ces outils comme facteur d'intégration ou
comme vecteur de repli identitaire. Cette migration, comme dans tous les pays
où s'est installée une forte communauté
sénégalaise (Italie, Espagne, États-Unis, etc.), est
organisée en réseaux de différents types. Dans ces
réseaux relativement bien structurés, la solidarité entre
les membres est quelque chose de fondamental dans la réussite du projet
migratoire, les réseaux sont donc au coeur, au centre de tout le
processus migratoire. Les réseaux sont impliqués directement ou
indirectement dans les flux et l'organisation des conditions
générales de la migration sénégalaise vers la
France et les autres pôles du champ migratoire international
sénégalais. Particulièrement dynamiques tout au long du
processus migratoire, de la mise à disposition des ressources
financières permettant de financer le voyage jusqu'à la recherche
d'emploi en passant par l'hébergement, les réseaux offrent
à leurs membres des espaces d'échanges, de
réciprocité, d'assistance et de dons. Pour tous les acteurs de la
migration sénégalaise en France, le besoin de communiquer occupe
une place prépondérante dans les rapports humains. Il s'agira
donc de montrer la dynamique des pratiques de communication des migrants
sénégalais en France, en mettant l'accent plus
particulièrement sur les modes d'usages et les mécanismes
d'appropriation du téléphone mobile et d'Internet. Aujourd'hui,
l'utilisation du téléphone s'est largement répandue dans
les milieux de la migration sénégalaise en France. Ainsi, le
téléphone est devenu l'outil privilégié pour
communiquer, s'informer, établir des relations de voisinage voire de
proximité, nouer des liens d'amitié et professionnels, et aussi
surtout pour entretenir et renforcer les relations de longue distance avec les
membres de la famille restés dans le pays d'origine. D'autre part, s'il
est vrai que les migrants constituent en effet l'essentiel du public auquel
s'adressent les contenus web diffusés généralement
à partir du pays d'origine, il est aussi intéressant de noter
qu'ils jouent un rôle indéniable dans l'émergence et le
développement de l'Internet sénégalais, à travers
notamment la production de multiples contenus web. Certains d'entre eux font
preuve de créativité, de détermination et de
professionnalisme afin de mettre en ligne des sites web avec des contenus et
des services de qualité sous forme de textes, images et d'autres
éléments multimédias. Cette étude vise à
observer et analyser les mutations dans les rapports que les migrants
sénégalais en France entretiennent à la fois avec leurs
territoires d'origine et de résidence, à travers notamment les
différents usages et les formes d'appropriation du
téléphone mobile et d'Internet. Notre hypothèse centrale
met plutôt l'accent sur les usages du téléphone mobile et
de l'Internet par les migrants sénégalais en France à la
fois pour entretenir un contact instantané et régulier avec le
pays d'origine afin de renforcer les liens à distance, mais aussi comme
support d'intégration dans le pays de résidence.
Mots clés : réseau, diaspora,
migrant, TIC, téléphonie mobile, Internet, pays d'origine, pays
de résidence, intégration, repli identitaire, transfert d'argent,
transfert de connaissances, e-citoyen, développement.
14
ABSTRACT
In front of the unpublished advent of modern tools of
information and communication combining at once technologies bound to
telecommunications, to broadcasting and to computing, the way of communicating
with the everyday life of the individuals or the groups was completely upset.
Also, these modern tools of communication, in particular the mobile phone and
Internet, modified our way of dreading the geographical notions such as the
distance, the space, the estrangement, the nearness. Since the end of 1990s,
the field of the knowledge on the usage and the impact of information
technologies and the communication in the world of the migrants are in full
excitement in France. Our study joins in this dynamics and is interested in the
manners of the modern tools of communication within the Senegalese Diaspora in
France and on the role of these tools as factor of integration or as vector of
identical fold. This migration, as in all the countries where settled down a
strong Senegalese community (Italy, Spain, the United States, etc.), is
organized in networks of various types. In these relatively well structured
networks, the solidarity between the members is something fundamental in the
success of the migratory project, networks are thus in the heart, in the center
of all the migratory process. Networks are implied directly or indirectly in
flows and organization of the general conditions of the Senegalese migration
towards France and other poles of the Senegalese international migratory field.
Particularly dynamic throughout the migratory process, throughout the provision
of the financial resources allowing to finance the journey up to the job search
by way of the accommodation, networks offer to their members of the spaces of
exchanges, reciprocity, assistance and gifts. For all the actors of the
Senegalese migration in France, the need to communicate occupies a dominating
place in human relationships. It will thus be a question of showing the
dynamics of the practices of communication of the Senegalese migrants in
France, by emphasizing more particularly the modes of manners and the
mechanisms of appropriation of the mobile phone and Internet. Today, the use of
the telephone widely spread in the circles of the Senegalese migration in
France. So, the telephone became the tool privileged to communicate, inquire,
to establish relations of neighborhood even of nearness, to tie bonds of
friendship and professionals, and also especially to maintain and strengthen
the relations of long distance with the members of the family stayed in the
country of origin. On the other hand, if it is true that the migrants indeed
constitute the main part of the public which address the Web contents
broadcasted generally from the country of origin, it is also interesting to
note that they play an undeniable role in the emergence and the development of
the Senegalese Internet, through in particular the production of multiple Web
contents. Some of them show creativity, determination and professionalism to
put on-line Web sites with contents and quality services in the form of texts,
images and the other multimedia elements. This study aims at observing and at
analyzing the transformations in the reports which the Senegalese migrants in
France maintain at once with their territories of origin and residence, through
in particular the various manners and the forms of appropriation of the mobile
phone and Internet. Our central hypothesis rather emphasizes the manners of the
mobile phone and the Internet by the Senegalese migrants in France at once to
maintain an immediate and regular contact with the country of origin to
strengthen the remote links, but also as support of integration in the country
of residence.
Keywords: network, diaspora, migrant, TIC,
mobile telephony, Internet, country of origin, country of residence,
integration, identical fold, transfer of money, transfer of knowledge,
e-citizen, development.
15
Introduction générale
Ce travail s'inscrit dans le prolongement d'une étude
réalisée sur la constitution et le fonctionnement des
systèmes de communication des réseaux des migrants
commerçants sénégalais en France1. Notre
étude vise à identifier et analyser les systèmes de
communication au sein des réseaux de la communauté
sénégalaise en France. Nous entendons par systèmes de
communication l'ensemble des moyens matériels et immatériels
utilisés pour communiquer, transmettre et diffuser un message ou encore
pour établir une relation avec un ou plusieurs individu(s).
Le champ de recherche sur les processus d'insertion, les
formes d'usage et les modes d'appropriation des technologies de l'information
et de la communication par les migrants ainsi que les transformations sociales
qui en résultent ont mis du temps avant de commencer à être
véritablement défrichées en France, comme c'est le cas
actuellement. Sous cet angle, il est significatif de remarquer d'ailleurs le
retard enregistré par la France sur les pays anglo-saxons,
États-Unis et Angleterre en particulier, où les «
communication studies » sur les médias et les minorités sont
relativement fécondes. Pour Josiane Jouët et Dominique
Pasquier2, l'explication à ce déficit des recherches
françaises sur ce sujet a sans doute son fondement dans le modèle
républicain français d'intégration où « les
immigrés sont appelés à gommer leurs différences et
à se fondre dans la culture de leur pays d'accueil » alors qu'aux
États-Unis par exemple, les recherches sur ce thème «
s'intègrent quasi naturellement dans une conception de la
société qui repose sur les communautés comme fondement de
la nation ». En fait, on peut voir à travers la littérature
anglo-saxonne que dans ces pays les minorités ethniques y ont largement
utilisé les médias communautaires pour mettre en valeur certains
aspects de leur culture d'origine et affirmer leur identité d'une part,
et d'autre part pour exiger une certaine reconnaissance culturelle. C'est dans
ces conditions que les recherches se sont intéressées à
« la dimension communicationnelle » qui permet aux individus au sein
de ces communautés de migrants de tisser ou de nouer des relations entre
eux et avec les
1 GUEYE, Moda. Dynamique des réseaux et
des systèmes de communication des commerçants
sénégalais en France. Bordeaux : Université Michel de
Montaigne - Bordeaux 3, 2001, 153 p. (Mémoire de DEA :
Géographie. Sous la direction de Annie Chéneau-Loquay).
Disponible sur :
http://www.africanti.org/IMG/memoires/gueyedea.pdf
2 JOUËT, Josiane (Dir.) et PASQUIER, Dominique
(Dir.). Présentation. In Médias et migrations.
Réseaux, 2001, vol. 19, n°107, pp. 9-15.
16
proches restés dans les pays d'origine, mais aussi qui
leur permet de s'intégrer ou de se constituer en « bulles
communautaires » dans les pays de résidence.
Depuis quelques années (on peut situer cette
période plus précisément au début des années
2000), le champ de recherche sur les TIC et les migrations internationales est
en pleine ébullition en France. Peu à peu, quelques chercheurs
ont commencé à l'investir, à y creuser ou tracer avec
persévérance de nouveaux sillons. C'est dans cette optique que la
fondation maison des sciences de l'homme a mise en place un programme de
recherche sur l'usage et l'impact des technologies de l'information et de la
communication dans le monde des migrants, programme dirigé par Dana
Diminescu. D'un autre côté, le programme Africanti et le GDRI
(Groupe de Recherche International) Netsuds du CNRS, tous les deux sous la
direction d'Annie Chéneau-Loquay, orientent une partie de leurs
réflexions sur l'étude des usages des TIC dans les diasporas et
sur le rôle des TIC comme facteur d'universalisme ou de communautarisme,
à travers une approche pluridisciplinaire. Au niveau du GDRI Netsuds,
deux autres équipes de recherche s'intéressent également
à la problématique de l'utilisation des TIC, Internet en
particulier, par les diasporas de la connaissance ou diasporas scientifiques
afin de favoriser et d'organiser leur participation au développement
économique, social et culturel des pays d'origine. Il s'agit de
l'équipe pilotant le projet « Diaspora Knowledge Networks »
(DKN) initié par l'UNESCO au cours de l'été 2005 et
coordonné par le sociologue William Turner, membre du LIMSI du CNRS. Il
y a également les travaux de l'équipe de l'IRD de Montpellier
dont fait partie le politologue Jean-Baptiste Meyer. D'autre part, la revue
Hommes et migrations, dans sa publication numéro 1240, parue en
2002, a consacré un numéro spécialement aux usages des TIC
et de l'Internet en particulier par les migrants. Nous retenons
également parmi ces travaux ceux réalisés par les
organismes internationaux comme l'OIM (Office Internationale des Migrations)
qui analyse les relations entre Migrations internationales,
développement et société de l'information et l'UNESCO
qui s'intéresse d'une part à l'accès de la diaspora aux
TIC et d'autre part à la contribution de la diaspora au partage des
savoirs par le biais des TIC.
Au cours des ces dernières années, le monde a
connu de très grands bouleversements avec l'avènement formidable
d'outils de communication de plus en plus perfectionnés et le
développement rapide de technologies d'information de plus en plus
sophistiquées. La convergence des télécommunications, de
l'audiovisuel et de l'informatique va provoquer des changements inédits
et considérables dans de nombreux aspects de l'activité
17
humaine. Des transformations technologiques majeures vont
affecter profondément notre façon quotidienne de communiquer et
par ricochet notre regard sur l'espace et nos pratiques spatiales. De
même, notre manière d'appréhender le temps en sera
fortement modifiée. Désormais quel que soit l'endroit de la
planète où l'individu se situe ou presque, il peut communiquer
avec sa famille et échanger avec ses amis. Quel que soit en effet le
lieu où l'individu est localisé, il est
généralement possible d'émettre et de recevoir des appels,
de transmettre et recevoir des messages de toute nature. Avec la diffusion des
technologies de l'information et de la communication, la distance qui
sépare les individus semble être abolie d'une certaine
manière. Ainsi donc, sans vraiment s'y attendre, certains diraient
même à la surprise générale, les TIC, Internet et le
téléphone mobile en particulier, ont transformé à
une vitesse vertigineuse et de façon irréversible les pratiques
de communication des migrants et des diasporas.
Rappelons toutefois que nous avions commencé à
observer les prémices de ces transformations dans les modes
communicationnels au sein des communautés de migrants notamment lors de
notre étude sur les systèmes de communication des ressortissants
sénégalais se livrant au commerce en France, et plus
particulièrement dans les grandes villes telles que Paris, Marseille,
Bordeaux, Lyon et aussi dans certaines villes de province. Cette étude
s'inscrivait dans le cadre de notre mémoire de DEA soutenu en 2001 sous
la direction d'Annie Cheneau-Loquay. Nous avions par la suite
décidé, en accord cette dernière, à la fois
d'élargir notre objet de recherche à l'ensemble des acteurs de la
migration sénégalaise et d'étendre notre terrain de
recherche à d'autres pays recevant d'importants effectifs de migrants
sénégalais comme l'Italie, l'Espagne et les Etats-Unis. Mais
malheureusement, faute de moyens nous avons du revoir notre ambition à
la baisse. Ce qui nous a amené finalement à focaliser notre
réflexion sur la communauté sénégalaise
installée en France.
La présence sénégalaise en France s'est
faite à partir de plusieurs vagues ou filières migratoires
successives. C'est une histoire relativement ancienne dont les débuts
remontent aux « Tirailleurs sénégalais » venus
participer et soutenir la puissance coloniale durant les deux guerres
mondiales. On peut effectivement dire que les questions migratoires occupent
une place prépondérante dans les relations entre la France et le
Sénégal, et elles sont aussi parfois sources de tension entre les
deux pays comme on l'a vu dernièrement sur les questions de «
l'immigration choisie » ou de « l'immigration
18
concertée »3. Selon les estimations de
l'OCDE, les ressortissants sénégalais en France étaient
estimés à 25.000 personnes en 2005 (source : Perspectives des
migrations internationales : SOPEMI - Edition 2007 - OCDE). Cependant,
l'évaluation des ressortissants sénégalais vivant en
France reste une tâche relativement difficile, en raison du manque de
chiffres fiables sur les flux migratoires aussi bien dans le pays de
départ que dans le pays d'installation d'une part, et d'autre part en
raison de l'importance des migrants qui sont dans la clandestinité.
En France, la communauté sénégalaise est
fortement concentrée dans la région Ile-de-France, les villes de
la Normandie (Le Havre, Rouen et Caen) et aussi dans les grandes villes de
province comme Marseille, Lyon, Bordeaux et Toulouse. L'immigration
sénégalaise en France s'est fortement accrue ces vingt
dernières années, en raison principalement de quelques
difficultés endogènes, notamment la crise économique, la
croissance démographique et les mutations sociales, mais aussi du fait
de certains facteurs externes avec la mondialisation des échanges
financiers et culturels à l'échelle d'un monde devenu un village
global. Aujourd'hui, les Sénégalais migrent essentiellement pour
des raisons économiques et pour la poursuite de leurs études.
Considérés par certains observateurs comme figurant parmi les
communautés originaires de l'Afrique sub-saharienne les plus
représentées dans l'Hexagone, les Sénégalais se
remarquent par leur nombre, leur fort ancrage identitaire et par une vie
associative extrêmement riche et dynamique. De nombreuses associations
ont été créées pour soit regrouper des
étudiants poursuivant leurs études dans la même ville, soit
pour rassembler des personnes appartenant à la même
confrérie, soit pour réunir des compatriotes souhaitant mener
ensemble des actions de développement en faveur de leurs
localités d'origine.
Cette migration, comme dans tous les pays où s'est
installée une forte communauté sénégalaise (Italie,
Espagne, États-Unis, etc.), est organisée en réseaux de
différents types. En effet, l'organisation en réseaux est un
phénomène caractéristique de la migration internationale
sénégalaise. Dans ces réseaux relativement bien
structurés, la solidarité entre les membres est quelque chose de
fondamental dans la réussite du projet migratoire, les réseaux
sont donc au coeur, au centre de tout le processus migratoire. C'est
grâce à
3 Il s'agit d'un accord bilatéral
signé en 2006 entre la France et le Sénégal sur la gestion
des flux migratoires. Cette initiative française consiste à
rendre plus facile l'accès au visa et l'entrée sur le
territoire
19
eux d'abord que les « néo-migrants » se
procurent souvent les moyens financiers nécessaires pour préparer
les départs, qu'ils trouvent des points d'accueil ou
d'hébergement sur les lieux de transit, de ré-émigration
ou de fixation définitive et qu'ils parviennent la plupart du temps
à trouver du travail dans les pays de migration. Les réseaux sont
impliqués directement ou indirectement dans les flux et l'organisation
des conditions générales de la migration
sénégalaise vers la France et les autres pôles du champ
migratoire international4 sénégalais.
De manière générale, le migrant est avant
tout membre d'un groupe plus ou moins structuré. Les membres du groupe
sont interconnectés les uns les autres et entretiennent des relations de
solidarité, d'entraide ou de coopération. Les relations liant et
regroupant les individus au sein des réseaux des migrants
sénégalais sont souvent de nature fort variées. Ces
relations interpersonnelles peuvent être des relations d'ordre social
(parenté, amitié avec des compatriotes...), confrérique
(appartenance principalement à la confrérie mouride),
socio-culturel (l'appartenance au même groupe ethnique) ou même
géographique (l'appartenance à la même région
d'origine). Toutefois, ces formes de sociabilité ne fonctionnent pas
sans un minimum de normes et de valeurs. Il existe en effet des règles
plus ou moins formalisées qu'il faut absolument respecter. Le non
respect des règles établies peut entraîner l'exclusion,
l'isolement et le risque de ne plus bénéficier de la
solidarité du groupe.
Les réseaux migratoires, familiaux, confrériques
et ethniques sont particulièrement dynamiques tout au long du processus
migratoire, de la mise à disposition des ressources financières
permettant de financer le voyage jusqu'à la recherche d'emploi en
passant par l'hébergement. Ils offrent à leurs membres des
espaces d'échanges, de réciprocité, d'assistance et de
dons. Ce sont des structures dynamiques caractérisées par des
relations de solidarité et de services multiples entre les
différents membres. En donnant aux migrants la possibilité de se
mettre en relation avec des acteurs restés dans le pays d'origine et
ceux rencontrés dans les pays de transit, les pays traversés ou
fréquentés durant le parcours migratoire, les réseaux
contribuent au maintien et au renforcement de la cohésion et de
l'unité de la communauté. De même, en permettant la
circulation de
français pour les étudiants et les cadres
supérieurs sénégalais tout en assurant leur retour dans
leur pays d'origine.
4 Le géographe Gildas Simon définit
le champ migratoire comme « un espace bien structuré, bien
balisé, avec ses réseaux unissant lieux d'origine et d'emploi,
ses flux permanents de travailleurs.
20
l'information et l'établissement de connexions entre
les migrants, le réseau constitue une source extrêmement
précieuse d'information pour les migrants ainsi que pour les futurs
migrants. Les réseaux sont donc essentiels dans le champ migratoire
sénégalais, ils constituent des soupapes de
sécurité non négligeables pour les migrants.
Le but poursuivi dans ce travail consiste à observer et
analyser les processus d'insertion des technologies de l'information et de la
communication, en particulier le téléphone mobile et Internet,
dans les milieux de la migration sénégalaise en France, les
différents usages et les formes d'appropriations qui en sont faits ainsi
que les mutations qu'elles induisent dans les rapports que les migrants
sénégalais en France entretiennent à la fois avec leurs
territoires et lieux d'origine et de résidence. De quelle
manière, et dans quelle mesure ces usages contribuent-ils à
favoriser la réactualisation, le maintien voire le renforcement des
relations avec les familles et les amis restés dans l'espace d'origine
ainsi qu'avec le reste de la communauté dispersée dans des
espaces géographiques éloignés et distants parfois de
plusieurs milliers de kilomètres ? Quelles sont les conséquences
de ces usages sur les liens et les réseaux sociaux et donc leurs impacts
sur la cohésion de la communauté ? Comment les usages
participent-ils aussi à l'intégration des migrants dans leur
espace de résidence ? Dans quelle mesure, les « arts de
faire5 » en même temps instituent de nouvelles pratiques
spatiales et affectent leurs représentations et leurs perceptions des
notions géographiques comme la distance, le temps, la proximité
et l'éloignement ? Comment ces nouveaux outils de communication
contribuent-ils à étendre et recomposer les bassins de relations
et aussi à renforcer les connexions et la cohésion au sein des
réseaux ? Notre hypothèse centrale met plutôt l'accent sur
les usages du téléphone mobile et de l'Internet par les migrants
sénégalais en France à la fois pour entretenir un contact
instantané et régulier avec le pays d'origine afin de renforcer
les liens à distance, mais aussi comme support d'intégration dans
le pays de résidence.
Pour mieux appréhender et comprendre ces questions,
nous allons articuler notre réflexion autour de trois axes. Il s'agit
dans la première partie de commencer par expliquer qui sont les migrants
sénégalais qui nous intéressent dans ce travail. Quelles
sont leurs spécificités ? En quoi consiste l'intérêt
de porter notre réflexion sur les pratiques de communication de ces
acteurs de la migration sénégalaise en France ? Puis,
21
nous verrons la diversité et la dynamique des pratiques
de communication, avec une attention particulière aux usages du
téléphone mobile, véritable révolution des
pratiques de communication en Afrique. Quels sont les facteurs explicatifs de
cet engouement des migrants pour le téléphone mobile ? Quel
rôle joue le téléphone dans l'évolution des
relations avec le pays d'origine ainsi qu'avec le pays de résidence ?
Mais en même temps, nous tenterons aussi d'analyser les nouvelles
configurations migratoires qui se dessinent, avec l'émergence des
réseaux transnationaux et des réseaux virtuels. Enfin, nous
tenterons de présenter un bref panorama de la situation du secteur de la
téléphonie dans le pays d'origine.
Dans la deuxième partie, nous nous intéresserons
aux différents usages de l'Internet par les migrants
sénégalais vivant en France. Comment se servent-ils d'Internet ?
Quels sont les principaux sites qu'ils visitent ? Il s'agira donc de recenser
et de décrire les sites web les plus fréquentés par les
migrants sénégalais en France, d'analyser leurs contenus et de
montrer leur rôle dans le dynamisme de l'Internet
sénégalais. Un autre aspect sur lequel va porter tout
particulièrement notre réflexion, c'est la manière dont
Internet est perçu et utilisé comme un nouveau territoire du
politique par certains migrants ou comme « un nouvel espace public
démocratique6 ». Nous verrons en effet, à travers
la prolifération des sites portails, qu'Internet est devenu un espace
public virtuel où émerge et se développe une
véritable prise de conscience citoyenne. Il s'agira également,
dans cette partie, de décrypter ou de mieux cerner cette «
citoyenneté virtuelle » qui émerge des territoires
numériques et transcende les frontières géographiques.
Qu'est-ce que l'utilisation d'Internet a changé dans les relations que
les migrants sénégalais en France entretiennent avec le pays
d'origine et avec le pays de résidence ?
Dans la troisième et dernière partie, nous
analyserons les différents enjeux et les perspectives liés
à l'utilisation des TIC. Ce sont les multiples enjeux socioculturels :
meilleure intégration ou repli identitaire, promotion des
différentes facettes de la culture d'origine, transfert des savoirs et
des compétences, etc. Ce sont aussi les enjeux liés à une
participation accrue et plus efficace des migrants au développement
économique et social de leur pays ou de leur lieu d'origine par le biais
des technologies de l'information et de la communication. Ce sont enfin les
enjeux liés à l'insertion des migrants dans la «
société
5 CERTEAU, Michel de. L'invention du quotidien.
Arts de faire. Tome 1. Paris : UGE, 1980.
6 EVENO, Emmanuel et LEFEBVRE, Alain. Espace,
recherche et communication. Sciences de la société, mai
1995, n° 35. Presses universitaires du Mirail, pp 3-12.
22
globale ». C'est donc autour de ces trois parties que va
s'articuler principalement notre réflexion.
23
Outils conceptuels et méthodologie
Dans le contexte d'une société globalisée
marquée par une croissance prodigieuse des technologies de l'information
et de la communication, et aussi par un développement très rapide
des moyens de transport, les migrations internationales posent des enjeux
considérables aussi bien aux pays de départ qu'aux pays
d'arrivée.
Outils conceptuels et théoriques
Afin d'étudier notre sujet, il nous semble important de
commencer tout d'abord par clarifier et examiner les concepts de «
diaspora » et de « réseau », notions centrales dans notre
réflexion. Mais au-delà du débat sur le glissement
sémantique du concept de « diaspora », nous insisterons plus
particulièrement sur son apport dans le domaine des sciences sociales.
Nous tenterons de montrer si le terme de diaspora est réellement
approprié à la structuration de la migration internationale
sénégalaise.
Les concepts
Dans Le Petit Larousse, le mot « diaspora »
est défini tout simplement comme « l'ensemble des membres d'un
peuple dispersés à travers le monde mais restant en relation
». Dans l'encyclopédie électronique « Wikipédia
», le mot « diaspora » désigne aussi « la dispersion
d'une communauté ou d'un peuple à travers le monde ». Dans
Les mots de la géographie (1993) de Roger Brunet, le terme
« diaspora » est défini ici encore comme « la dispersion,
la dissémination d'un peuple »7. Enfin, dans le
Dictionnaire de la géographie (1970) de Pierre George, le terme
évoque là encore l'idée de dispersion. Il désigne
« l'ensemble de la collectivité juive dispersée dans le
monde ou toute collectivité ethnoculturelle diffuse hors de son milieu
originel (diaspora arménienne, grecque, chinoise, libanaise...)
»8. A partir de ces définitions, on constate bien que
l'idée de dispersion est centrale dans la constitution d'une diaspora.
Ne trouve-t-on pas d'ailleurs dans le verbe grec « diaspeirein »,
d'où est issu le mot, l'idée également de dispersion d'une
communauté ou de dissémination d'une partie d'un peuple à
travers le monde.
7 Roger Brunet, 1993, Les mots de la
géographie, Paris, La Documentation française.
24
Ainsi donc, c'est le phénomène de dispersion
volontaire ou non au-delà de son territoire d'origine qui est à
la base de la formation d'une diaspora. Cependant, cette dispersion
intègre une forte conscience identitaire collective en lien avec la
société et l'espace d'origine.
A ce stade de notre réflexion, on aurait pu se
contenter de ces définitions, faire l'économie intellectuelle
d'une analyse plus approfondie et en déduire que la communauté
sénégalaise en France constitue effectivement une composante de
la diaspora sénégalaise dispersée à travers le
monde, de ces milliers de Sénégalais disséminés
dans le monde entier. Mais allons plus loin pour voir l'intérêt
que le concept de « diaspora » a suscité dans la
communauté scientifique au cours de ces dernières années.
Dans ce débat, existe-t-il une approche qui pourrait
précisément nous procurer, de façon succincte, des
éléments objectifs permettant d'appréhender plus
commodément les problèmes que pose notre sujet et rendre notre
réflexion scientifique plus féconde?
Toutefois, il est nécessaire de souligner, avant
d'aller plus loin, qu'il ne s'agit nullement ici de nous pencher sur
l'abondante production scientifique, aussi bien anglo-saxonne que
française, qui existe dans ce champ de recherche. Ce n'est point l'objet
de cette étude. Il s'agit tout simplement de trouver des clefs, de
dégager des pistes ou encore de trouver des idées qui peuvent
nous aider à circonscrire notre objet de recherche et stimuler notre
réflexion.
Distinction entre diasporas classiques et diasporas
modernes
Nous nous inspirerons largement ici des réflexions
scientifiques du géographe Michel Bruneau9 dont les travaux
font référence dans ce domaine de connaissance académique.
De façon un peu schématique, on peut dire qu'il existe deux camps
dans ce champ de recherche : d'un côté le camp des puristes et
d'un autre côté le camp des maximalistes. Les premiers sont pour
une définition heuristique plus stricte du terme. Ils craignent que le
mot, à force de désigner divers phénomènes de
dispersion et d'être un fourre-tout, soit dénaturé de son
sens heuristique primitif à tel point qu'il soit amené à
désigner tout et
8 Pierre George, 1970, Dictionnaire de la
Géographie, Paris, PUF.
9 Michel Bruneau, Diasporas et espaces transnationaux,
Economica, Villes-géographie, 2004.
25
son contraire. Le géographe Yves Lacoste (1995) estime
à ce sujet qu' « il est fâcheux de diluer dans
l'extrême diversité des migrations de toutes sortes ces
phénomènes très particuliers que sont les diasporas au
sens fort du terme ». Il poursuit en soulignant que « dans le
phénomène de la diaspora véritable, il faut tenir compte
du fait que ce sont des facteurs de déracinement particulièrement
brutaux qui ont provoqué l'exode de la plus grande partie d'un peuple,
et que celui-ci conserve la mémoire de son territoire d'origine et des
évènements historiques qui l'ont fait partir » (Yves
Lacoste, 1995 cité par Michel Bruneau). On peut donc considérer
avec Yves Lacoste que la notion de « diaspora » au sens originel ou
au sens fort du terme résulte en quelque sorte d'une dispersion plus
forcée que volontaire avec parfois des cas extrêmement graves et
douloureux de répression ou de génocide. Le terme s'applique dans
ce cas à l'exil lointain du peuple juif, aux dispersions des peuples
arméniens et assyro-chaldéens et aussi à l'exode des Grecs
pontiques. A l'opposé, les maximalistes prônent une acception
ouverte et plus large du terme, une extension de son usage à une
pluralité de phénomène de migration de toutes sortes.
Ainsi, les nombreux travaux produits par des chercheurs de
disciplines diverses vont donner lieu à une différenciation entre
les diasporas classiques dont les archétypes ou exemples illustratifs
sont les diasporas juives, grecques et arméniennes par opposition
à ce qu'Alain Médam (1993) propose de considérer comme des
« diasporas modernes plus récentes et en voie de constitution
»10. Dans ses travaux consacrés à la diaspora
noire des Amériques, Christine Chivallon (2004) parle même de
diasporas post-modernes. Pour elle, le terme est devenu synonyme de « la
population étrangère à l'étranger ». Roger
Brunet souligne dans ce sens que « longtemps limité à la
diaspora juive, le mot tend à s'appliquer à toute
dissémination ». C'est ce qui fait dire à Jean Gottmann
(1996) qu' « il devient difficile aujourd'hui de trouver une nation qui
n'ait pas sa diaspora, c'est-à-dire qui n'ait pas souvent une partie
importante de son peuple dispersée en dehors des frontières de
l'État national. Pratiquement tous les pays, petits ou grands, ont
aujourd'hui leur diaspora ». Pour le politologue Bertrand Badie « la
notion de diaspora a perdu sa connotation tragique dans les dernières
décennies : elle désigne des communautés
d'expatriés qui préservent une identité commune, qui ont
gardé des références et des
10 MEDAM, Alain. Diaspora / Diasporas.
Archétype et typologie. Revue Européenne des Migrations
internationales, vol. 9, n°1, 1993.
26
pratiques renvoyant à leur pays d'origine et qui sont
en relation collective organisée11 ». C'est cette
évolution du concept qui nous amène de nos jours à trouver
l'existence d'une pluralité de diasporas : chinoise, indienne,
palestinienne, tamoule, libanaise, etc.
Critères pour être
considérée comme une diaspora
Dans Les mots de la géographie, Roger Brunet
(1993) distingue trois types de dispersion : une dispersion forcée ou
contrainte du fait de l'absence de pays propre ; une dispersion liée
à une situation de pauvreté, à des difficultés
d'existence plus ou moins momentanée ; une dispersion liée au
choix d'un type d'activités ou à un mode de vie. Des
différents critères proposés par la plupart des auteurs,
Michel Bruneau (2004) propose d'en retenir quatre fondamentaux :
? la dispersion sous la contrainte d'une population dans
plusieurs territoires relativement éloignés du territoire
d'origine. Les facteurs à l'origine de la dispersion peuvent être
une situation d'extrême pauvreté, une famine, un désastre
ou une catastrophe ;
? le maintien d'une forte conscience identitaire. La
référence au territoire, au lieu ou à la
société d'origine est également très forte. Ce qui
implique l'existence d'un lien communautaire relativement solide et d'une vie
associative assez dynamique ;
? les liens entre les migrants et le territoire d'origine se
maintiennent et se développent. Des relations d'échange multiples
(social, économique, culturel, politique, etc.) existent entre les
migrants et leur territoire d'origine. Ces relations se traduisent par une
intensité de la circulation des hommes entre les différents
lieux, des échanges de marchandises, de capitaux et d'informations ;
? le choix des pays et des villes de destination est loin
d'être le fruit du hasard. Ils résultent au contraire de
stratégies mûrement réfléchies de longue date, bien
élaborées avec un rôle déterminant tout le long du
processus migratoire de ceux qui sont déjà installés :
depuis les départs, jusqu'à l'insertion des nouveaux
arrivés dans le marché du travail en passant par leurs accueils
et leurs hébergements. Ce sont les chaînes
migratoires12.
11 BADIE, Bertrand. La fin des territoires,
Paris : Fayard, 1995.
12 BRUNEAU, Michel. Diasporas et espaces
transnationaux. Paris : Anthropos/Economica, 2004. (Villes -
Géographie).
27
Pour Serge Weber, « une chaîne migratoire est un
mécanisme qui n'existe que lorsqu'elle est en marche,
c'est-à-dire que d'anciens migrants aident les nouveaux à venir,
qui à leur tour aideront d'autres à venir et ainsi de suite
»13. C'est donc ceux qui arrivent généralement en
premier qui s'activent à assurer la mise en place, la consolidation et
la reproduction des différents maillons du processus, constituant de ce
fait les pièces maîtresses des réseaux ou les têtes
de pont de la chaîne migratoire.
Dans son ouvrage, Le Déchiffrement du monde,
Roger Brunet souligne de fort belle manière que « toute
diaspora est un espace, avec ses lieux, ses noeuds et ses réseaux. Elle
est un ensemble de communautés liées entre elles, avec des
réseaux de solidarité. La diaspora est à la fois
dia-chora, et chora à son tour : jetée à travers l'espace,
et espace original » (Roger Brunet, 2001).
Peut-on parler en définitive
d'une diaspora sénégalaise ?
Force est de reconnaître qu'aujourd'hui, une bonne
partie de la population sénégalaise est éparpillée,
disséminée partout à travers le monde. Les
Sénégalais sont reconnus comme étant de très grands
voyageurs. Ils sont présents dans des pays aussi divers que la France,
l'Italie, l'Espagne, la Côte d'ivoire, le Gabon, le Cameroun, le Maroc,
l'Allemagne, la Belgique, la Suisse, les États-Unis, le Canada, l'Arabie
Saoudite, etc. Cependant, malgré l'éloignement et la distance,
les communautés sénégalaises dispersées dans ces
pays conservent non seulement une forte conscience identitaire, mais aussi
maintiennent d'intenses liens affectifs et matériels avec leur pays
d'origine. Les liens avec la société d'origine sont en effet si
intenses que quel que soit le nombre d'années passées en dehors
du Sénégal, les migrants conçoivent l'investissement des
économies réalisées pendant la migration comme symbole,
entre autres, de la réussite du projet migratoire et leur retour vers la
patrie comme l'alternative finale.
Dans la communauté sénégalaise en France,
le maintien de l'identité collective, d'une mémoire identitaire
collective est fondamental pour les migrants. Le lien communautaire est
toujours présent, c'est un trait caractéristique marquant de la
migration sénégalaise. L'anthropologue Martine Hovanessian
considère, dans ses travaux sur la migration
13 WEBER, S. De la chaîne migratoire à
la migration individuelle des Roumains à Rome. In Réseaux sociaux
en migration. Hommes et migrations, juillet-août 2004,
n°1250.
28
arménienne, que ce lien communautaire « est
essentiel pour le maintien de pratiques identitaires, support d'une
altérité fondatrice de la diaspora dans la société
d'accueil ». De manière générale, la
communauté sénégalaise en France conserve une certaine
cohésion. Elle est marquée par son attachement à son lieu
d'origine, à travers des échanges multiples de nature
économique, culturelle, sociale et politique. De même,
l'attachement aux confréries musulmanes est très marqué au
sein de la communauté. La vie associative est assez riche. La
solidarité entre les membres de la communauté est très
importante, elle n'est pas un vain mot. Il existe des contacts multiformes
permanents avec le pays d'origine. Au regard de tout cela, on peut dire que la
migration sénégalaise, par bien des aspects, présente des
critères qui permettent de la qualifier de diaspora.
Il apparaît à travers nos lectures et nos
observations que le critère « dispersion sous la contrainte »
semble également bien adapté pour décrire la migration
internationale actuelle des Sénégalais. C'est le cas des
étudiants dont les départs sont plus ou moins forcés par
un système éducatif paralysé par un effectif
pléthorique et des grèves répétitives. C'est le cas
également des enseignants et chercheurs obligés de partir dans
des centres de savoir où ils disposent de conditions de travail plus
propices à leur épanouissement ou à satisfaire leur
curiosité intellectuelle. Mais cette dispersion sous la contrainte
concerne surtout des milliers de jeunes candidats à la migration
prêts à partir par tous les moyens à cause du
chômage, du désespoir et du manque de toute perspective d'avenir
au Sénégal. Le désastre provoqué par la mauvaise
gouvernance est le principal facteur explicatif de l'ampleur de la dispersion
actuelle des Sénégalais dans les pays occidentaux.
Nous allons examiner à présent le concept de
« réseau », concept essentiel pour décrire et
comprendre la complexité des liens sociaux et les interactions entre les
individus au sein de la diaspora sénégalaise en France.
Réseau, un concept fondamental en
géographie
Dans le Petit Larousse, le mot « réseau
» est défini comme un « ensemble de voies ferrées, de
lignes téléphoniques, de lignes électriques, de
canalisations d'eau ou de gaz, de liaisons hertziennes, etc. Dans Les mots
de la géographie, le terme « réseau » est
défini comme un « ensemble de lignes ou de relations aux connexions
plus ou moins complexes ». Etymologiquement, le mot « réseau
» vient du latin « rets » ou « retis » et
29
signifie filet ou tissu. Manuel Castells en donne une
définition toute simple, il s'agit pour lui « d'un ensemble de
noeuds interconnectés »14. Castells rappelle aussi qu'il
s'agit d'un « type d'organisation humaine qui remonte à la nuit des
temps »15. Dans le langage courant, la notion de «
réseau » évoque l'idée d'entrelacement,
d'entrecroisement ou d'enchevêtrement. Concept fondamental en
géographie, le réseau est défini par Antoine Bailly comme
un « ensemble de relations plus ou moins organisé en noeuds,
segments, sommets et axes, qui permet de lier entre eux les lieux
géographiques »16. Le terme « réseau »
est généralement employé pour désigner une grande
variété de voies de circulation matérielles
(réelles) ou immatérielles (virtuelles).
Les réseaux matériels ou physiques sont les
réseaux qui permettent aux individus et aux groupes de circuler ou de se
déplacer d'un lieu à un autre, de se rencontrer à travers
le contact physique afin d'échanger ou de communiquer. Ce sont les
réseaux routiers, les réseaux ferroviaires, les réseaux
maritimes, les réseaux aériens, les réseaux
téléphoniques, les réseaux hertziens, les réseaux
câblés... Ces réseaux dits techniques (routes, voies
ferrées, lignes aériennes, télécommunications,
réseaux d'eau...) visent généralement à relier les
lieux, aménager et gérer l'espace. D'une manière
générale, les géographes se sont surtout
intéressés à l'aspect technique des réseaux, comme
élément fondamental dans la structuration du territoire ainsi que
comme facteur déterminant dans l'organisation de la
société, et de ce fait, pendant longtemps, ils ont
délaissé l'aspect social. Cependant, depuis quelques
années, des géographes comme Jean-Marc Offner et Denise Pumain,
Paul Claval, Henri Bakis, Claude Grasland, S. Laribe et Anne Cadoret ont
commencé à manifester leur intérêt pour les
réseaux sociaux et porter leurs réflexions sur ce domaine de
recherche.
Les réseaux sociaux, une utilisation féconde du
concept dans le domaine de la sociologie
Par définition, les réseaux sociaux
désignent les relations que des ensembles d'individus ou les membres
d'une communauté donnée entretiennent les uns avec les autres.
C'est l'ensemble des liens et l'intensité des liaisons qu'entretiennent
des personnes
14 CASTELLS, Manuel. La galaxie Internet.
Paris : Fayard, 2002.
15 Idem
30
interconnectées les unes avec les autres. Le
réseau est l'ensemble des relations de solidarité, d'entraide ou
de coopération qui noue un individu à d'autres individus.
Utilisée d'abord dans le champ de l'anthropologie
urbaine, la notion de « réseau » a été
fréquemment convoquée dans le champ de la sociologie. La notion
va d'ailleurs connaître, selon Anne Cadoret (2006)17, une
évolution rapide avec notamment l'apport de plusieurs chercheurs en
sociologie comme le britannique John A. Barnes et un peu plus tard les
chercheurs regroupés au sein de l'école de Chicago. Le
réseau est défini ici comme l'ensemble des relations de nature
fort variées reliant un ensemble d'acteurs organisés ou non.
L'analyse des sociologues qui travaillent sur les réseaux permet de
saisir les processus à la base de leur formation, de décrypter la
variété des relations qui peuvent exister entre les
différents acteurs en leur sein et enfin le fonctionnement ainsi que les
différentes formes que peuvent prendre ces réseaux. Ces analyses
vont plutôt mettre l'accent sur les acteurs, les membres des
réseaux et les différentes relations qu'ils entretiennent entre
eux. Or, le comportement des acteurs est un élément crucial dans
la compréhension de l'occupation et de l'organisation de l'espace. Il
est en effet essentiel pour comprendre comment parfois les gens créent
l'espace, l'utilisent ou le transforment, pourquoi un lieu est relié
à tel lieu et pas à un autre.
Dans la sociologie des migrations, la notion de «
réseau » a été surtout utilisée, selon
Marie-Antoinette Hily et William Berthomière, pour expliquer les
nouvelles formes migratoires, notamment les questions liées à
l'intégration et plus particulièrement celles liées aux
« modes de production des migrants, qualifiés de commerce ethnique
»18. Cette notion de commerce ethnique a été
largement utilisée dans les travaux s'intéressant à la
création et au fonctionnement des boutiques de commerce dans les
quartiers à forte implantation de migrants comme les quartiers des
Capucins à Bordeaux (Caroline Fouquet, 1995 ; Moda Gueye, 2001), de
Château-Rouge à Paris (Claire Scopsi, 2004), le quartier Belsunce
à Marseille (Alain Tarrius et Lamia Missaoui, 1994 ; Michel
Péraldi, 1999, 2001) ou autour de la Place du Pont à Lyon (Michel
Rautenberg, 1989).
16 BAILLY, Antoine. Introduction au débat :
perspectives en géographie de l'information et de la communication.
Sciences de la société, 1995, n°35, Presses
universitaires du Mirail, Toulouse, pp. 15-19.
17 CADORET, Anne. De la légitimité
d'une géographie des réseaux sociaux : la géographie des
réseaux sociaux au service d'une géographie des conflits,
Netcom, 2006, vol. 20 n°sss 3-4.
18 HILY,
M-A. et BERTHOMIERE, W. La notion de «
réseaux sociaux en migration ». In Réseaux sociaux en
migration. Hommes et migrations, juillet-août 2004,
n°1250.
31
Par ailleurs, dans une étude consacrée à
l'expansion du commerce ethnique à travers les fonds de commerce
achetés « à Paris et dans les départements
limitrophes - Hauts de Seine, Seine Saint-Denis, Val de Marne » (E.
Ma-Mung, 1992) par des Asiatiques et des Maghrébins, le géographe
Emmanuel Ma-Mung définit le commerce ethnique comme l'activité
pratiquée par des « commerçants de nationalité ou
d'origine étrangère » et dont la clientèle
visée est essentiellement constituée par des membres de la
communauté dont ils sont généralement issus ».
Cependant, pour Jacques Barrou (1999), au-delà de la clientèle
issue de la même communauté d'origine, l'épicerie de
l'Arabe du coin et la boutique du Chinois du quartier au même titre que
l'échoppe de l'Indo-Pakistanais (c'est nous qui ajoutons) peuvent
être considérées comme des commerces de proximité,
en somme une activité au service de tous. De nos jours, Claire Scopsi
(2004) porte sa réflexion sur les produits et services de
télécommunication proposés à travers des
dispositifs d'accès collectifs, notamment dans les
téléboutiques et cyberboutiques tenus par des migrants dans le
quartier de la Goutte d'Or situé dans le XVIIIe arrondissement de
Paris.
Dans ce débat, notre point de vue tend plutôt
à s'approcher de celui de Jacques Barrou. Nous trouvons que la notion de
« commerce ethnique » est, à notre avis, utilisée de
façon un peu trop globalisante dans certains travaux. La
réalité dans ces quartiers cosmopolites (Africains,
Maghrébins, Juifs, Asiatiques, Indo-Pakistanais...) est beaucoup plus
complexe que ne la laisse supposer parfois certaines études. Nous
trouvons, d'une part, que ces dernières ne prennent pas souvent en
compte l'extrême diversité ethnique qui peut même exister au
sein d'une communauté étrangère donnée. D'autre
part, ces boutiques contribuent à rendre des services non
négligeables et à portée des bourses souvent les plus
modestes. En outre, le fait même d'utiliser le qualificatif d'ethnique
pour désigner ces boutiques de commerce tenus par des immigrés
traduit implicitement une certaine forme de séparation entre les
autochtones et les étrangers, c'est-à-dire ceux qui sont venus
d'ailleurs, les potentiels concurrents, non seulement dans l'occupation de
l'espace (logement, boutiques de commerce, bureaux, etc.), mais aussi sur le
marché du travail.
En France, le commerce sénégalais est
représenté par les restaurants spécialisés dans la
cuisine sénégalaise (Le Dibi, Niomré, Porokhane, Allo
Yassa, etc.), les boutiques de produits cosmétiques et autres produits
exotiques, de vente de CD et DVD de théâtres et
32
musiques sénégalaise ou africaine. En guise
d'exemple, on peut citer la boutique Lampe Fall Production, implantée
dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Au cours de nos enquêtes, cette
boutique nous est apparue comme la boutique tenue par des
Sénégalais la plus fréquentée par les membres de la
communauté sénégalaise en France. Une gamme variée
de services est proposée aux clients, notamment des CD et DVD de
musique, théâtre et divertissement, des magazines publiés
au Sénégal (Thiof Magazine et Week end Magazine), des cartes
d'abonnement permettant d'obtenir la réception du signal
télévision de la chaîne privée 2STV et celle de la
chaîne privée Walf TV, des récepteurs permettant
d'écouter la radio satellitaire Worldspace. On observe aussi que dans le
but de permettre aux internautes de pouvoir effectuer en ligne leurs achats, la
boutique Lampe Fall Production a mis en ligne son site Internet
www.lampe-fall.com.
Les réseaux sociaux, un objet de recherche en devenir
en géographie sociale ?
La géographie sociale est un courant ou une branche de
la géographie humaine qui étudie, selon Guy Di Méo, «
l'imbrication des rapports sociaux et des rapports spatiaux que les hommes
nouent avec leur environnement »19. Dans la géographie
sociale, l'analyse porte surtout sur les acteurs, les liens qui les unissent et
leurs rapports à l'espace, c'est-à-dire les interactions entre
les rapports sociaux et les rapports spatiaux. L'approche en géographie
sociale apporte les outils opératoires nécessaires à la
compréhension des dynamiques sociales d'un espace ou de la structuration
d'un territoire. L'intérêt des chercheurs porte sur l'étude
des réseaux sociaux comme élément participant à la
structuration de l'espace de la même manière que les
réseaux techniques (Anne Cadoret, 2006). En définitive, on peut
dire que l'analyse des réseaux sociaux en géographie ouvre des
pistes de réflexion importantes permettant de mieux appréhender
la structuration et la dynamique des territoires ainsi que les
phénomènes de représentation et de perception que les
acteurs peuvent bien avoir vis-à-vis de leurs territoires.
De nombreuses analyses ont eu, également, recours
à la notion de « réseau » pour expliquer la rupture
entre ancrage local, l'enracinement et la tendance générale
à la mobilité, à se mouvoir d'un lieu à un autre.
La mobilité géographique des migrants est aujourd'hui largement
facilitée par l'émergence et le développement des
réseaux
19 Di Méo, Guy. Géographie sociale
et territoires. Paris : Nathan université, 1998.
33
transnationaux. Michel Bruneau conçoit le
transnationalisme comme « le processus par lequel les migrants mettent en
place des activités et développent des relations sociales
complexes ainsi que des relations économiques et politiques qui
débordent les frontières du pays d'établissement et qui
s'inscrivent dans le pays d'origine »20. Pour Basch, Glick
Schiller et Szanton Blanc, le terme « transnationalisme »
désigne « les processus à travers lesquels les
immigrés tissent des réseaux et maintiennent des relations
sociales multiples qui lient les sociétés d'origine à
celles d'arrivée, grâce aux innovations technologiques
»21. Alejandro Portes, un des pionniers de la réflexion
sur les réseaux transnationaux, qualifie de réseaux
transnationaux des réseaux de solidarité construits par des
migrants et qui transcendent les frontières nationales et
géographiques. Il met l'accent sur le fait que les migrants constituent
à présent des communautés transnationales,
c'est-à-dire qu'ils forment « des groupes d'immigrés qui
traversent les frontières nationales et, dans un sens très
concret, ne se situent véritablement « ni ici ni là-bas
» mais ici et là-bas en même temps »22.
Ajoutons que Bruno Riccio (2009) précise, dans son article sur les
migrants wolof mourides en Italie, que le terme « transnationalisme »
« est employé pour décrire les processus à travers
lesquels les migrants créent des champs sociaux qui traversent les
frontières géographiques et politiques »23. Dans
leur étude sur le circuit de la migration internationale entre les
villes de Quillabamba au Pérou et Turin en Italie à travers le
rôle des chaînes et des réseaux transnationaux, Carlos Nieto
et Isabel Yepez désignent par transnational « le processus à
travers lequel les migrants forgent et soutiennent de multiples relations
sociales qui lient leurs sociétés d'origine à celles de
destination »24. Pour Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc,
le terme « transnationalisme » désigne « les processus
à travers lesquels les immigrés tissent des réseaux et
maintiennent des relations sociales multiples qui lient les
sociétés d'origine à celles d'arrivée, grâce
aux innovations
20 BRUNEAU, Michel. Diasporas et espaces
transnationaux. Paris : Anthropos/Economica, 2004. (Villes -
Géographie).
21 BASCH, L., GLICK SCHILLER, N. et SZANTON BLANC,
C. Nations Unbound : Transnational Projects, Postcolonial Predicaments and
Deterritorialized Nations-states, Longhorn : Gordon & Breach
Publishers, 1994.
22 PORTES, Alejandro. La mondialisation par le bas
: l'émergence des communautés transnationales. Les actes de
la recherche en sciences sociales, septembre 1999, n°129, Seuil,
pp.15-25.
23 RICCIO, Bruno. « Transmigrants » mais pas
« nomades ». Cahiers d'études africaines, 2006, 181.
Disponible sur :
http://etudesafricaines.revues.org/index5829.html.
Consulté e 13 août 2009.
24 NETO, C. et YEPEZ, I. Le rôle des
chaînes et des réseaux transnationaux dans les migrations
internationales. Le circuit de la migration entre Quillabamba (Pérou) et
Turin (Italie).
Disponible sur :
http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/demo/documents/Nieto.pdf.
Consulté le 03/03/09.
34
technologiques »25. En partant de ces
définitions, on peut dire que les réseaux transnationaux ont fait
leur apparition à partir du moment où les migrants ont
commencé à utiliser massivement les technologies de l'information
et de la communication. Pour nous donc, le transnationalisme est le passage du
migrant caractérisé par une « double absence
»26 au migrant interconnecté avec de multiples
pôles, et plus particulièrement avec le pays d'origine. En se
servant des TIC pour maintenir des relations sociales, économiques,
politiques et culturelles afin de participer quotidiennement, de façon
active et continue, à la vie de la société d'origine, les
migrants deviennent aujourd'hui, comme le souligne Michel Bruneau, des
transmigrants.
Ces réseaux transnationaux mis en place par les
migrants, constituent en quelque sorte leur manière de participer au
processus de mondialisation. C'est d'ailleurs dans ce sens que les sociologues
Alain Tarrius27 et Alejandro Portes28 parlent de la
« mondialisation par le bas »29 par opposition à la
mondialisation des grandes firmes multinationales à la quête
effrénée de toujours plus de profits et celle des États
avec la constitution de grandes entités régionales comme l'Union
Européenne, l'Union Africaine, l'Organisation des États
américains, etc.
Dans notre travail, nous entendons par « réseau
», l'ensemble des relations sociales qui lient et regroupent des individus
ou des groupes sociaux les uns avec les autres. Ce sont les liens
qu'entretiennent les migrants et qui les unissent dans leur pays
d'établissement, mais aussi les relations qui les lient surtout avec les
familles et les proches restés dans le pays d'origine ainsi qu'avec les
autres membres de la communauté dispersés dans d'autres espaces
migratoires. Ces relations interpersonnelles peuvent être des relations
familiales, d'amitiés, confrériques ou religieuses. De
même, ces relations peuvent aussi résulter de l'appartenance au
même groupe ethnique, du hasard des rencontres, etc. Ce sont des
relations généralement basées sur la confiance, le respect
de la parole donnée, l'aide mutuelle et la réciprocité.
Les formes de sociabilité dans les réseaux sont régies par
des règles et des normes plus ou moins formalisées. Leur non
25 BASCH, L., GLICK SCHILLER, N. et SZANTON BLANC,
C. Nations Unbound : Transnational Projects, Postcolonial Predicaments and
Deterritorialized Nations-states, Longhorn : Gordon & Breach
Publishers, 1994.
26 SAYAD, Abdelmalek. La double absence.
Paris : Seuil, 1999.
27 TARRIUS, Alain. La mondialisation par le bas :
les nouveaux nomades de l'économie souterraine. Paris : Balland,
2002.
28 PORTES, Alejandro. La mondialisation par le bas
: l'émergence des communautés transnationales. Les actes de
la recherche en sciences sociales, septembre 1999, n°129, Seuil,
pp.15-25.
35
respect peut entraîner l'exclusion, l'isolement et le
risque de ne plus bénéficier de la solidarité du groupe.
Le réseau joue par conséquent un rôle fondamental tout le
long du processus migratoire. Il constitue non seulement le ciment dans les
rapports que les migrants entretiennent avec le pays d'origine mais aussi joue
un rôle essentiel dans les stratégies que les migrants mettent en
place afin de s'insérer dans le pays de résidence. Les mouvements
migratoires à l'échelle internationale constituent aujourd'hui un
enjeu majeur aussi bien pour les pays de destination que pour les pays de
provenance. Aussi, nous tenterons de clarifier quelques uns de ces concepts
liés au phénomène des flux de populations, notamment les
concepts de migrant, migration internationale, immigration et
émigration. En effet, le fait de les clarifier nous permettra de mieux
saisir les questions essentielles relatives à la gestion des flux
migratoires internationaux ainsi que l'importance des enjeux qu'ils recouvrent
et qui doivent être pleinement pris en considération notamment au
sein des pays de départ comme dans les pays d'arrivée.
Migrant ; Migration internationale ; Immigration ;
Émigration
La migration est un phénomène ancien qui existe
depuis l'apparition des premiers hommes sur terre. Elle est devenue un des
problèmes majeurs de l'époque contemporaine et, de ce fait,
intéresse les chercheurs, les décideurs, les citoyens, etc. Ce
vif intérêt manifesté à l'égard du
phénomène de la migration a ainsi donné naissance à
de nombreux travaux de recherche, et aussi à des études et des
analyses qui ont énormément contribué à
éclairer et enrichir ce phénomène de société
qui existe depuis l'aube des temps mais aussi parfois à le rendre plus
complexe.
Dans le Petit Larousse, la migration
est définie comme « déplacement de population
d'un pays dans un autre, pour s'y établir ». Dans Les mots de
la géographie, la migration est définie « comme
déplacement, changement de lieu ». La migration implique donc, par
définition, le déplacement, le mouvement d'un individu, d'un
groupe ou d'une collectivité qui quitte un lieu ou un pays pour se
rendre et s'établir dans un autre lieu ou pays. Cette installation peut
être de façon temporaire ou définitive, pour des raisons
économiques, politiques, sociales ou culturelles. Le caractère de
la migration varie selon différentes échelles spatiales (le
local, le régional, le national et l'international) et temporelles
(installation temporaire ou migration définitive). La migration peut
se
36
dérouler à l'intérieur d'un même
espace comme elle peut servir de pont entre différentes échelles
spatiales. Pour Gérard-François Dumont « le terme migration
désigne en même temps le fait - le changement de lieu - et le
phénomène, c'est-à-dire l'analyse qui permet d'inscrire le
fait dans un ensemble général »30. Il ajoute que
« la prise en compte de l'échelle du déplacement est
importante car elle permet de dissocier les déplacements internes des
mouvements internationaux, mouvements au-delà des frontières avec
tout ce que celles-ci recouvrent d'artificiel »31. Ceci nous
amène donc à distinguer de multiples variantes de la migration en
fonction de la durée et de la variété spatiale du
phénomène. Les différentes expressions telles que
migration saisonnière, migration pendulaire, migration interne,
migration internationale, migration temporaire, migration définitive
sont là pour témoigner en effet de l'évolution du
phénomène. De manière générale, l'espace du
migrant est constitué de ces différentes échelles qui
peuvent s'imbriquer les unes les autres.
La migration internationale
comporte, selon Roger Brunet, « une face émigration
et une face immigration ». Elles « sont fort
réglementées, bridées d'interdiction ». Brunet
déplore, avec justesse, que « le système Monde est loin
d'être ouvert et fluide en ce domaine »32.
Gérard-François Dumont définit la migration internationale
comme le déplacement d'une personne qui change d'Etat de
résidence. La migration des Sénégalais vers d'autres pays
présente aujourd'hui toutes les caractéristiques d'une migration
internationale. Elle concerne une partie importante de la population
sénégalaise qui a pris la décision de s'installer dans un
pays considéré comme étranger dans le but d'y poursuivre
des études ou d'y trouver une activité professionnelle bien
rémunérée afin d'améliorer ses conditions de vie et
aussi surtout celles de sa famille restée dans le pays d'origine. La
migration internationale implique donc un déplacement sur une longue
distance avec le franchissement des limites territoriales, des
frontières nationales pour se rendre et s'établir dans un pays
étranger avec la volonté d'y trouver un emploi bien
rémunéré ou de devenir meilleur à travers une bonne
formation, et aussi d'améliorer sa situation financière et celle
de sa famille. Envisagée de façon temporaire, c'est-à-dire
dans une logique de recherche et d'accumulation rapide de ressources
financières, la
30 DUMONT, Gérard-François. Les
migrations internationales: les nouvelles logiques migratoires. Paris :
Sedes/Mobilité spatiale, 1995.
31 DUMONT, Gérard-François, Op.
cité.
32 BRUNET, Roger, FERRAS, Robert et THERY,
Hervé. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique.
Montpellier : Paris, Reclus : La documentation française, 1992.
37
migration internationale des Sénégalais
évolue progressivement vers une migration économique permanente.
Aujourd'hui, les séjours dans les pays d'installation ont tendance
à se prolonger, sans aucune certitude in fine d'assurer au
migrant de pouvoir rentrer un jour dans le pays d'origine.
Le migrant est, selon le Petit
Larousse, « quelqu'un qui effectue une migration ». C'est celui
qui décide d'effectuer un mouvement, un déplacement d'un lieu
à un autre de façon temporaire ou permanente. « C'est donc
un individu qui choisit le moment de son départ et sa destination,
même si ses options sont souvent très limitées ». En
outre, le terme de migrant implique également, selon Alain Tarrius, un
certain « savoir-circuler »33, c'est-à-dire une
capacité à mobiliser les ressources nécessaires à
la construction d'un espace migratoire ou à la maîtrise d'un
territoire circulatoire. Le migrant n'accorde aucune importance
particulière aux lieux qu'il traverse, fréquente et utilise. Ce
qui est fondamental et déterminant à ses yeux, ce sont les voies
et les moyens qui lui permettent de réaliser, dans un délai
relativement court, le projet qui est à la base même de
l'idée de migrer. Par commodité, le mot « migrant »
sera largement utilisé dans notre étude pour désigner tout
sénégalais ayant choisi de quitter le Sénégal,
c'est-à-dire d'émigrer pour aller vivre dans un autre pays
étranger quel qu'en soit le motif.
L'émigration est
définie dans Les mots de la géographie comme « un
mouvement des personnes quittant un pays », « comme le fait de
quitter le pays natal, voire le pays de résidence antérieure,
définitivement ou pour une longue durée ». Dans le Petit
Larousse, elle est définie comme « l'action d'émigrer ;
l'ensemble des émigrés ». L'émigré
est celui qui quitte son pays pour aller s'installer dans un
autre pays. Il s'expatrie, il abandonne son pays d'origine pour aller
s'établir ailleurs dans un autre pays. L'émigration peut
être causée par de nombreux facteurs plus souvent négatifs
que positifs. Les pays en proie à des guerres provoquent souvent le
départ massif de leurs populations, de peur des exactions des soldats de
l'armée nationale ou des représailles des groupes rebelles. Ce
qui entraîne généralement un afflux de
réfugiés. De même, un régime dictatorial et
autoritaire peut contraindre une partie de sa population à quitter son
pays. Mais ce sont surtout la misère et le manque de travail ou encore
l'ambition de gagner plus et de vivre
33 TARRIUS, Alain. Les fourmis d'Europe :
migrants riches, migrants pauvres et nouvelles villes internationales.
Paris : L'Harmattan, 1992.
38
dans de meilleures conditions qui expliquent aujourd'hui
l'ampleur de l'émigration, avec notamment cette tragédie que
constitue l'émigration clandestine des jeunes en provenance des pays
pauvres vers les pays occidentaux plus riches. Ces derniers mettent en place,
au niveau de leurs frontières, des mesures de surveillance de plus en
plus sévères et draconiennes pour ne pas accueillir cette
misère du monde qui prolifère et cherche coûte que
coûte à les envahir.
Alors, il faut faire face à cette
immigration, à cet afflux
d'immigrés. Le mot « immigration »
désigne l'entrée et l'arrivée dans un pays d'un groupe
d'individus étrangers venus pour s'y installer pour une durée
plus ou moins longue. Autrefois, facilitée et recherchée
même afin de constituer une main-d'oeuvre bon marché prête
à occuper des emplois peu qualifiés et physiquement fatigants
voire parfois dangereux, l'immigration suscite à présent
l'intolérance. Elle est devenue le fonds de commerce des politiciens
démagogues dans les pays d'accueil.
Parallèlement, le fait d'aborder la
problématique des systèmes de communication des migrants à
travers une approche géographique nous interpelle et nous amène
à jeter un regard au passé et au présent sur la place de
la géographie dans ce champ de recherche en particulier et dans le
concert de la pluridisciplinarité en général. Car la
démarche multidisciplinaire est désormais la démarche de
plus en plus privilégiée dans la recherche scientifique. Chaque
discipline apporte à présent sa spécificité pour
enrichir les autres disciplines et les rendre ainsi heuristiquement plus
fécondes. L'analyse géographique des questions d'information et
de communication permet de mieux appréhender tout le chemin parcouru par
la géographie depuis les questionnements épistémologiques
de géographes de renommée tels que Paul Vidal de la Blache,
Elisée Reclus, Albert Demangeon, Paul Pélissier... et l'apport
considérable de cette discipline dans l'enrichissement du dialogue
interdisciplinaire contemporain.
La géographie de l'information et de la
communication
Que de chemins parcourus en effet par la géographie
comme science de l'observation, de la description et de la connaissance de la
terre et ses régions avant de « devenir une discipline autonome
centrée sur l'étude de l'organisation spatiale et des logiques
de
39
l'espace humanisé »34 ! Face aux
innovations technologiques qui ont affecté de façon profonde et
rapide nos sociétés avec l'avènement de la
société de l'information, les géographes élaborent
des concepts, des théories et produisent des connaissances utiles
à la compréhension des changements en cours. Dans un contexte
où les questions d'information et de communication sont devenues des
champs d'observation privilégiés pour l'analyse et la
compréhension de cette nouvelle société qui se construit
sous nos yeux, la géographie, comme les autres sciences, s'interroge sur
la manière de participer aux grands débats contemporains. Parce
que les techniques modernes de communication questionnent aujourd'hui certains
concepts clefs de la géographie, notamment l'espace, la distance, le
temps, nécessairement elles interpellent les géographes. Non
seulement, elles « interpellent la géographie dans ses fondements,
et en particulier dans le regard porté sur l'espace », mais aussi
elles répondent à un besoin de renouveler la réflexion
« sur les concepts d'identité et de territoire ». (E. Eveno et
A. Lefebvre, 1995). Pour Isabelle Paillart (1995), « les transformations
qui affectent la dimension spatiale de l'information et de la communication
favorisent ce renouvellement conceptuel ».
A l'entame d'une contribution faite au colloque «
Géographie, information et communication », colloque
organisé du 30 mai au 1er juin 1994 à Toulouse,
Emmanuel Eveno et Alain Lefebvre posent les termes du débat en
soulignant fort justement que la réflexion sur les usages et les
pratiques sociales des techniques d'information et de communication est en
effet « une vaste ambition qui dépasse les clivages disciplinaires
et requiert une transdisciplinarité réelle »35.
C'est dans cette même optique qu'Annie Chéneau-Loquay souligne que
« la géographie est une science en débats, en particulier en
ce qui concerne la manière d'analyser "la société de
l'information" ». L'analyse géographique des technologies de
communication pose un nouveau regard sur des concepts comme distance,
ubiquité spatiale, territorialité, mobilité et
proximité, structuration et aménagement du territoire, local et
global. La géographie de l'information et de la communication pose la
problématique de la dimension spatiale des réseaux de
télécommunications et des circuits de l'information sur
l'organisation et la gestion de l'espace. Qu'ils soient matériels ou
immatériels, les réseaux de communication
34 BAILLY, Antoine et BEGUIN, Hubert. Introduction
à la géographie humaine, Paris, Armand Colin, 2001.
35 A travers leur contribution « Espace,
recherche et communication » parue dans la revue Sciences de la
société n° 35, Eveno et Lefebvre tentent de poser les jalons
de la nécessité d'un vrai débat de fond sur les attributs
supposés des nouvelles technologies d'information et de communication,
à savoir la transparence et l'ubiquité spatiales. En outre pour
ces auteurs, ces technologies constituent pour la plupart des sciences sociales
une opportunité pour l'ébauche de nouvelles catégories
conceptuelles et théoriques.
40
et d'information posent en effet un certain nombre de
questionnements à la géographie. L'analyse géographique
contribue à mieux cerner les effets territoriaux et les recompositions
spatiales liés aux objets techniques de communication qui se
déploient sur différentes échelles géographiques,
du micro-local au global. La géographie dispose d'une batterie de
concepts pouvant permettre de mieux fertiliser la recherche en communication et
l'étude du « processus d'expansion du message dans le temps et dans
l'espace »36.
Science de la localisation, de l'observation et de la
description, la géographie s'intéresse en particulier à la
production, à l'organisation et à la différenciation de
l'espace, considéré comme espace des individus vivant en
sociétés humaines. Or pour exister en tant que
sociétés humaines, les groupes ou les collectivités ont
fondamentalement besoin de disposer d'un espace qu'ils s'approprient et
identifient comme étant leur territoire, de communiquer et
d'échanger. Les acteurs individuels et les groupes se saisissent, par
conséquent, des moyens de communication matériels et
immatériels, à leur disposition, « pour savoir qui ils sont,
ce qu'ils font, avec quelles stratégies et quelles
représentations »37.
Les moyens de communication ont indéniablement des
impacts et des incidences sur les territoires, sur les perceptions et les
représentations que les hommes en ont, de même que sur la
manière dont ils vivent leur espace. La géographie
s'intéresse à la localisation des réseaux de
télécommunications et aussi à la localisation des lieux
d'accès aux technologies de communication et d'information dans
l'espace. Elle analyse les différents enjeux liés à
l'insertion et aux usages des réseaux de communication à distance
sur l'organisation, l'utilisation et l'aménagement de l'espace ainsi que
leurs impacts sur la circulation et les déplacements des hommes sur
l'espace. Elle s'intéresse aux moyens de communication, à leurs
implications socio-spatiales et pose la problématique « de
l'abolition des différenciations spatiales ». Antoine Bailly
souligne à ce propos que « la géographie ne peut rester
détachée de tout ce qui concerne les systèmes
d'information, leur influence sur les lieux et les moyens pour la transmission
des communications »38.
36 BAILLY, Antoine. Introduction au débat :
perspectives en géographie de l'information et de la communication.
Sciences de la société, 1995, n°35, Presses
universitaires du Mirail, Toulouse, pp. 15-19.
37 BRUNET, Roger, FERRAS, Robert et THERY,
Hervé. Les mots de la géographie. Dictionnaire critique.
Montpellier : Paris, Reclus : La documentation française, 1992.
38 BAILLY, Antoine. Introduction au débat :
perspectives en géographie de l'information et de la communication.
Sciences de la société, 1995, n°35, Presses
universitaires du Mirail, Toulouse, pp. 15-19.
41
Pour aborder d'un point de vue géographique les
problèmes d'échange de l'information et les questions
liées à la communication, le géographe Paul Claval propose
d'adopter successivement trois points de vue : « celui des relations entre
les faits de communication et le fonctionnement des sociétés dans
l'espace, celui des moyens de transmission des savoirs et des informations dans
le corps social et enfin le registre de la territorialité dans ses
rapports entre le local et l'universel »39. La
géographie analyse les transformations provoquées par ces
technologies d'information et de communication dans les rapports entre les
hommes et leurs territoires.
L'intérêt porté par la géographie
aux questions de communication et d'information est relativement récent
en France. Ce regard tardif de la géographie sur ces
phénomènes peut s'expliquer certainement par le caractère
immatériel de ces technologies de communication et d'information et la
difficulté à appréhender leurs impacts territoriaux. (A.
Laramée, 1995). En effet, la difficulté d'appréhender la
dimension spatiale d'un phénomène aussi peu concret que la
communication immatérielle et ses effets territoriaux ont pu freiner
l'ardeur des géographes à exploiter ce champ de recherche. Pour
Antoine Bailly, la géographie de l'information et de la communication a
pendant longtemps occupé une place marginale dans les
préoccupations des chercheurs français. Bailly souligne
d'ailleurs que « la géographie humaine française
s'intéressait plus à la circulation, processus
matérialisable, qu'à l'information, délicate à
conceptualiser »40. Aujourd'hui encore, ce sont de telles
considérations qui expliquent le fait que les géographes qui
travaillent sur les problématiques de l'information et de la
communication restent encore relativement peu nombreux. En France, quelques
géographes, à l'image de Henri Bakis, l'un des pionniers (1980),
Annie Chéneau-Loquay (2000), Emmanuel Eveno (1995), Christian Verlaque
(1985)... vont tenter de contribuer à l'essor d'une géographie
des télécommunications et des systèmes d'information.
Ainsi, en ayant recours à une panoplie de concepts géographiques,
ils vont aborder de façon pertinente des problématiques
liées aux questions de communication et d'information, et ouvrir
d'intéressantes pistes de réflexion. A l'instar des autres
sciences sociales, la géographie dispose d'un corpus de concepts et
d'une série de méthodes qui lui permettent de participer de
manière heuristique à l'évolution de ce champ de la
connaissance.
39 CLAVAL, Paul. Les problématiques
géographiques de la communication. Sciences de la
société, 1995, n°35, Presses Universitaires du Mirail,
pp. 31-46.
40 CLAVAL, Paul. Op cité.
42
Incontestablement, les technologies de l'information et de la
communication de l'époque contemporaine ont entraîné des
changements majeurs dans la manière dont les individus
perçoivent, se représentent et inscrivent leurs pratiques de
l'espace. La géographie analyse la localisation de ces technologies de
plus en plus performantes (matérielles ou immatérielles) et leur
impact sur l'organisation et l'aménagement de l'espace. Pourquoi les
choses sont situées à tel endroit ? Pourquoi aussi les choses se
passent de telle façon dans cet endroit précis alors qu'ailleurs,
on observe des processus socio-spatiaux complètement différents ?
Quels sont les effets territoriaux du déploiement des infrastructures de
télécommunication ? Ces interrogations concernent tout d'abord
les groupes qui exercent des actions diverses sur l'espace à travers,
disions-nous précédemment, leurs moyens, leurs valeurs, leur
vécu et aussi des stratégies plus ou moins clairement
définis. Les concepts géographiques contribuent à faire
découvrir une partie essentielle de ce que l'on peut considérer
comme une sorte d'iceberg qui couvre des pans entiers de ce champ de
recherche.
43
Partie méthodologique
Notre étude s'inscrit dans le cadre des programmes de
recherche Africa'nti et du GDRI Netsuds. Africa'nti est l'observatoire de
l'insertion et de l'impact des technologies de l'information et de la
communication en Afrique. C'est un programme de l'Unité Mixte de
recherches CNRS / IEP CEAN (Centre d'étude d'Afrique noire) de Bordeaux.
Son objectif est de proposer une vision claire et cohérente des modes
d'usage et d'appropriation des technologies de l'information et de la
communication en Afrique, ainsi que leur développement, afin de mieux
appréhender l'ensemble des implications, notamment sur le plan spatial
et plus particulièrement dans le domaine des échanges. La
réflexion menée au sein d'Africa'nti, sous la
responsabilité d'Annie Chéneau-Loquay, se fait de manière
interdisciplinaire et à plusieurs échelles. Voir le site
http://www.africanti.org. Le GDRI
Netsuds est un groupement de recherche internationale qui relève
également du CNRS. Il a comme objectif une analyse pluridisciplinaire
comparée de l'insertion des technologies de l'information et de la
communication dans les Suds, Afrique et Amérique latine en particulier,
une analyse des modalités d'usage et des modes d'appropriation par les
différents acteurs, ainsi qu'une analyse de leurs impacts dans les
territoires. Netsuds a permis la réalisation de plusieurs programmes de
recherche, colloques, séminaires et publications avec en particulier la
création de cahiers de sciences sociales sur les enjeux des TIC dans les
pays des Suds, la revue Netsuds. Voir le site
http://www.gdri-netsuds.org.
Une bonne partie des informations ayant permis la
réalisation de ce travail a été collectée à
travers la documentation disponible dans les ouvrages et les revues
scientifiques, sur Internet (via le moteur de recherche Google et
l'encyclopédie électronique Wikipédia). Des recherches de
terrain ont été menées en France, en Italie, en Belgique
et au Sénégal. Le choix de travailler sur les réseaux et
les systèmes de communication des migrants sénégalais en
France s'explique principalement par notre présence depuis quelques
années dans ce pays (et par conséquent notre connaissance du
terrain). Nous avons pu effectuer des enquêtes grâce à des
personnes ressources, des connaissances (parents, amis,...)
disséminées un peu partout à travers la France (Bordeaux
et Paris évidemment, Reims, Toulouse, Marseille, Metz...). Ainsi, nous
avons
44
pu réaliser des entretiens avec des ressortissants
sénégalais établis depuis longtemps en France comme avec
des migrants arrivés tout récemment.
Pour le travail sur le terrain, nous avons
procédé à travers des entretiens, de longues observations,
par la participation, mais surtout à partir de deux séries de
questionnaires (voir en annexe n°). D'emblée, nous tenons à
préciser que nos questionnaires ont pu être soumis facilement
à nos interlocuteurs les moins méfiants. En revanche, avec les
plus méfiants, nous avons du faire preuve parfois d'âpres
négociations, de stratégie, de « communication » afin
de les convaincre que nos enquêtes étaient simplement
destinées à collecter le maximum d'informations possibles pour la
réalisation d'une thèse de doctorat. Parmi les migrants, les
commerçants ont été les plus réticents à
répondre à nos questions. Cependant dès que la confiance a
été établie, les entretiens ont été
particulièrement intéressants et fructueux.
Un premier questionnaire a été
élaboré au cours d'un voyage d'étude effectué au
Sénégal entre le 13 septembre 2002 et le 10 janvier 2003. Les
questions élaborées étaient principalement axées
sur les itinéraires migratoires, les activités et les pratiques
de communication dans les pays d'installation, mais surtout sur les
différents moyens utilisés pour maintenir les relations à
distance avec les membres de la famille restés dans le pays d'origine
aux premières heures de la migration jusqu'au moment de nos
enquêtes. Comment les migrants et les familles au Sénégal
parvenaient autrefois à communiquer et comment parviennent-ils
aujourd'hui à échanger, à maintenir et renforcer les
liens. D'autre part, nous avons jugé opportun de nous interroger sur le
concept de modou-modou, terme qui sert à désigner
familièrement le migrant commerçant, sur sa genèse et son
évolution. Nous avons également cherché à savoir
les causes anciennes qui ont sous-tendu ainsi que les causes actuelles qui
sous-tendent encore maintenant l'émigration de ces
Sénégalais modou-modou.
Comme on peut le voir sur la carte, notre travail s'est
déroulé à Dakar41, dans la ville de
Louga42 et le village de Diélerlou Sylla (région de
Louga), dans la ville de Diourbel43, la cité religieuse de
Touba et la ville voisine de Mbacké.
41 A Dakar, nos enquêtes ont
été menées auprès de certains migrants venus passer
quelques jours de vacances au Sénégal et aussi aux marchés
de Sandaga, Colobane et à celui des Parcelles Assainies.
42 C'est vraisemblablement dans les années
1980 que l'émigration internationale a véritablement
commencé à prendre de l'ampleur dans la région de Louga.
La collecte d'informations avait parfaitement démarré, mais par
la suite, nous avons dû l'interrompre en raison notamment de la
méfiance que les populations
45
Carte 1. Carte de localisation des zones d'enquêtes
au Sénégal entre 2002 et 2003
Le choix de ces aires géographiques s'explique
principalement par l'importance des départs enregistrés dans ces
zones en direction de l'Italie et de l'Espagne au cours de ces dernières
années. Nous avons pu ainsi interroger des informateurs clefs dans ces
régions (notables et chef de village). Il faut relever que ce premier
questionnaire a été soumis à 28 interlocuteurs
privilégiés. A Louga, nous avons rencontré le chef du
village de Diélerlou
commençaient à manifester à notre
égard. La région de Louga a semble-t-il été
secouée en 1997 par un scandale de blanchiment d'argent de la drogue par
le biais de la poste, à travers de très grosses sommes d'argent
envoyées par des migrants modou-modou basés en France. Cette
affaire avait amené la police française, appuyée par la
Division des Investigations Criminelles (DIC) sénégalaise,
à mener des enquêtes qui ont confondu de grands notables
lougatois. Sans le faire exprès, nous avons frappé à la
porte d'un de ses notables impliqués dans cette affaire. Notre
interlocuteur avait commencé à répondre à nos
questions avant de se rétracter quand certains membres de sa famille,
n'ayant pas l'air d'apprécier particulièrement notre
présence, sont venus assister à la discussion. Aussi, nous avons
pris la décision d'écourter notre séjour à Louga
pour éviter d'éventuels problèmes, car malgré nos
explications sur les vraies motivations de notre enquête, certaines
personnes étaient vraiment persuadées que nous étions soit
envoyés par le gouvernement, soit nous étions des agents
secrets.
43 La région de Diourbel, berceau et bastion
du mouridisme, constitue aujourd'hui l'une des régions les plus
extraverties du Sénégal.
46
Sylla44, deux notables de la ville et deux familles
de migrants. Nous avons également pu interroger une famille de migrants
à Mbacké, deux à Touba, deux à Diourbel et six
à Dakar. Des entretiens ont été aussi effectués
auprès de quelques migrants en vacances au Sénégal. Il
s'agit de migrants résidant en France, en Italie, en Espagne et en
Belgique (1 à Diélerlou Sylla, 2 à Mbacké, 1
à Diourbel et 1 à Dakar). Des enquêtes ont
été aussi réalisées auprès de sept migrants
rentrés définitivement au Sénégal (2 à
Mbacké et 5 à Dakar).
Ainsi donc, nous avons essayé d'adapter le travail sur
le terrain en fonction de la confiance ou de la méfiance
manifestées par nos interlocuteurs. Nous avons également pu
collecter des informations à partir de discussions tout à fait
naturelles entre compatriotes, et aussi sous forme de dialogue participatif. De
manière générale, toutes les occasions ont
été saisies pour faire de l'observation, pour poser quelques
questions et introduire le débat (rencontres occasionnelles, invitation
pour la rupture du jeûne du ramadan, célébrations du Magal
de Touba sur le campus universitaire de Talence par la communauté
mouride de Bordeaux, fêtes de Korité et Tabaski organisées
par les étudiants sénégalais à Bordeaux,
fréquentation d'un groupe de commerçants établis dans le
quartier Aubervilliers à Paris, participation aux séances de
khaissaïdes, les poèmes de Cheikh Amadou Bamba, des
étudiants sénégalais de Bordeaux, multiples séjours
à Paris...). Il convient de signaler une fois de plus que l'auteur de ce
travail a vécu pendant de longues années dans la migration. Il a
été un acteur, à part entière, de cette migration
internationale sénégalaise. Comme bon nombre de jeunes
Sénégalais, j'ai été fasciné par le mythe
des diplômes acquis dans les universités françaises
(diplômes supposés être la clé de l'accès aux
hautes fonctions bureaucratiques et technocratiques au Sénégal
et, par conséquent gage de la promotion et de la réussite
sociales, ce qui est très loin d'être la réalité).
Comme beaucoup de jeunes sénégalais, j'ai succombé au
mirage de l'eldorado occidental. Ce travail s'est, par conséquent,
largement inspiré de mon propre parcours et de mon expérience
personnelle dans la migration. Je saisis donc parfaitement en tant
44 L'émigration est un
phénomène relativement ancien dans le village de Diélerlou
Sylla. Au début, les habitants du village se rendaient seulement
à la ville de Louga. Progressivement, ils vont aller chercher du travail
à Dakar avant de se lancer à la conquête des villes
africaines d'abord et des villes européennes par la suite.
L'émigration a eu des retombées relativement importantes pour le
village. Toutes les constructions en dur ont été
réalisées grâce aux envois des migrants. De même, les
équipements, le confort que l'on trouve à l'intérieur des
concessions proviennent essentiellement des envois des migrants. D'ailleurs, la
construction de la mosquée, qui est désormais la fierté du
village, a été en grande partie réalisée avec
l'argent envoyé par les migrants. Autrefois, les habitants du village
devaient parcourir environ 3 km pour parler au téléphone avec les
proches partis à l'étranger. Aujourd'hui, les communications
téléphoniques sont plus aisées et plus fréquentes
grâce à l'installation du téléphone fixe dans
presque toutes les maisons et surtout à l'introduction du
téléphone mobile.
47
qu'acteur l'importance que représente réellement
la communication pour les migrants en général et les migrants
sénégalais en particulier, objet de cette présente
étude.
Ces longues années en France m'ont permis de tisser des
liens avec d'autres compatriotes migrants étudiants, commerçants,
travailleurs et, de ce fait, de m'insérer dans les réseaux afin
de mieux appréhender leur fonctionnement ainsi que leur rôle et
leur importance dans la structuration et la dynamique de la migration
internationale sénégalaise. Elles nous ont également
permis de nouer des relations avec des migrants venus d'autres pays, d'autres
contrées lointaines. C'est donc entièrement en tant qu'acteur que
j'ai assisté au processus d'insertion et de diffusion des technologies
de l'information et de la communication dans les milieux de la migration
internationale sénégalaise. C'est aussi comme acteur que j'ai
pleinement vécu les bouleversements et les mutations dans les pratiques
et formes de communication des migrants sénégalais en France, et
notamment dans les relations à distance avec le pays d'origine ainsi que
dans les relations avec le pays de résidence. Si j'ai tenu à
apporter ces clarifications, c'est pour tempérer d'avance les
éventuels reproches de subjectivité que l'on pourrait
déceler dans ce travail. Conscient que le sujet abordé n'est
certes, pas facile du tout, je me suis quand même efforcé de
réaliser mon travail le plus objectivement et le plus scientifiquement
possibles.
Un second questionnaire a été
élaboré en 2009. Ce questionnaire ciblait plus
particulièrement les migrants sénégalais vivant en France.
Les questions s'intéressaient à l'ensemble de leurs pratiques de
communication, mais principalement aux usages du téléphone
portable et d'Internet. Étant un utilisateur assidu des forums de
Seneweb, j'ai précisément eu l'idée de demander à
ma femme de me créer un site web45 pour mettre en ligne mon
questionnaire. Je me suis ensuite rendu à plusieurs reprises dans ces
forums pour mettre l'adresse du site web
www.modagueye.com et solliciter
la participation de tous les internautes sénégalais vivant en
France. En réalité, dès que mon message a
été diffusé en ligne, j'ai obtenu près de 119
réponses à mon questionnaire. Parmi nos répondants, le
plus jeune était âgé de 20 ans et le plus âgé
de 49 ans. Ce dernier est arrivé en France en 1982, vit actuellement
à Paris et déclare être un travailleur indépendant.
Le jeune Sénégalais de 20 ans vit aussi à Paris où
il poursuit ses études depuis 2007. Il convient toutefois de relever
d'une part la diversité des lieux de résidence de nos
48
répondants en France, et d'autre part
l'intérêt suscité par notre problématique
auprès de quelques migrants sénégalais vivant dans
d'autres pays.
Il s'agit de S. C., étudiante à
l'université des sciences des télécommunications à
Darmstadt en Allemagne, qui m'écrit pour me dire:
« Le questionnaire concerne apparemment tout
simplement les gens qui vivent en France. Moi je suis étudiante en
Telekom en Allemagne et je trouve le thème très important. Je
trouve ton sujet très pertinent et ça m'intéresse trop car
je me prépare à écrire mon mémoire dans le domaine
des télécommunications. De toutes les façons, mes
questions seront générales (pas sur les
télécommunications en France mais surtout au niveau du
Sénégal). Si toutefois je commence à écrire et que
j'ai des problèmes, je vous contacterai sans problème
».
C'est aussi le cas de A. D., un Sénégalais,
résidant en Italie, qui écrit pour nous encourager et montrer sa
disponibilité à nous apporter toute sa collaboration.
« C'était juste pour vous encourager, je suis
un concitoyen vivant en Italie alors pas directement concerné par votre
questionnaire. Je vous souhaite plein de succès. Vous pouvez compter sur
moi, il suffit de me dire à quel niveau je peux être utile et je
n'hésiterai pas à apporter ma modeste contribution. Cela me
ferait beaucoup plaisir de participer à votre thèse. Je viens de
contribuer au mémoire d'Etienne Smith, un ami franco-anglais qui
présentait son mémoire sur l'historique des partis politiques
sénégalais. J'ai beaucoup d'amis français car je suis
membre fondateur de l'association des jeunes volontaires francophones dont le
siège se trouve à Lyon. Produit du mouvement associatif, je
milite dans beaucoup d'associations au niveau national et international. A
présent, je viens de mettre sur pied une nouvelle association
dénommée Vitrine des Arts Sénégalais qui regroupe
des hommes de culture, des artistes, journalistes, etc. ».
Il y a aussi Ch. B. qui nous écrit depuis le Canada :
« Merci de l'intérêt que vous portez sur
la communauté sénégalaise pour lui consacrer votre
thèse. Je travaille un peu sur ces questions mais avec un angle plus
circonscrit, c'est-à-dire la communauté mouride. »
45 L'occasion m'est encore donnée pour
remercier une fois de plus ma femme, Rosalie Dia, qui a réalisé
et mis en ligne ce site. Sa conception et sa mise en ligne ont
été décisives dans la collecte des informations.
49
Site web 1. Le site d'accès au questionnaire :
Modagueye.com
Les informations collectées à travers les
livres, les revues ou périodiques, les mémoires, les
thèses, sur Internet... témoignent de l'abondante
littérature sur les migrants sénégalais en
général et sur les migrants commerçants mourides en
particulier. On peut citer la thèse de Gérard Salem46
qui s'intéresse aux commerçants ambulants
sénégalais dispersés entre Paris, Marseille et Strasbourg
dans les années 1980. Rappelons que Gérald Salem, au début
des années 80, est l'un des premiers à observer et décrire
les réseaux commerciaux mourides qui commencent à se construire
et à se former dans l'espace français notamment à
Strasbourg, Marseille et Paris. Ces réseaux créés et
animés par les marabouts et les grands commerçants mourides
développent des ramifications d'abord sur certains sites
stratégiques du territoire français, tels que les villes
frontalières et les villes balnéaires et touristiques,
ramifications qui s'étendent ensuite vers quelques pays européens
et puis un peu partout à travers le monde tout en se recentrant
cependant vers la ville sainte de Touba, haut lieu de la communauté,
où les adeptes de la confrérie dispersés à travers
le monde se rencontrent chaque année pour célébrer le
Magal, c'est-à-dire la commémoration du départ en exil de
Cheikh Amadou Bamba vers le Gabon. Ces réseaux, basés sur la
solidarité et la confiance réciproques, prennent en charge
l'accueil et
50
l'hébergement du nouveau migrant et l'aident aussi
à trouver un emploi dans le commerce la plupart du temps en lui
fournissant les premières marchandises.
Plus récemment, Sophie Bava (2002) analyse les liens
entre les activités économiques des migrants
sénégalais installés à Marseille et leur gestion du
mouridisme, c'est-à-dire la manière dont ils vivent leur foi
confrérique, dans la migration. Son travail consiste à montrer
que « les nouvelles formes de migrations des Mourides ont
entraîné une véritable construction du religieux dans
l'entre-deux : un entre-deux cultuel et culturel entre les villes, la ville
sainte de Touba et les villes de départ au Sénégal
»47. On peut citer encore les travaux de Victoria Ebin sur les
stratégies d'implantation des commerçants mourides à
Marseille et à New York à la recherche de « nouveaux
poissons » par temps de crise, ainsi que les travaux d'A. Moustapha Diop
sur les mouvements associatifs, de même l'étude un peu plus
récente de Fatou Gassama portant sur les mouvements associatifs
religieux dans la communauté sénégalaise en
France48.
Toujours, dans le cadre des travaux d'un apport inestimable
à notre réflexion, on peut aussi souligner les travaux de Serigne
Mansour Tall, l'un des premiers à s'intéresser aux usages des
NTIC par les migrants sénégalais ainsi que ceux de Thomas
Guignard sur le rôle des migrants dans le dynamisme de l'Internet
sénégalais. Thomas Guignard observe que les migrants, en
étant particulièrement actifs sur le front des contenus Internet
dédiés au Sénégal, semblent favoriser une
déterritorialisation, une délocalisation des flux
médiatiques sénégalais49. Avec la
prolifération des TIC, on assiste à une remise en cause de
l'ancrage local des médias. Pour les acteurs locaux, l'enjeu consiste
à capter cette manne que représentent les récepteurs
potentiels au sein de la diaspora. Dans les pages qui vont suivre, nous
tenterons de confirmer ces observations et de déceler d'autres processus
en cours. On peut également évoquer les travaux de Mihaela
Nedelcu (2002,
46 SALEM Gérard, 1981, De Dakar à
Paris : des diasporas d'artisans et de commerçants, thèse de
doctorat de Sociologie, EHESS, 2 volumes, Paris, 240 p.
47 BAVA, Sophie. Routes migratoires et
itinéraires religieux: des pratiques religieuses des migrants
sénégalais mourides entre Marseille et Touba. Paris : EHESS,
2002. 481 p. (Th. Doctorat : Anthropologie sociale et Ethnologie : Paris, EHESS
: 2002) (MARY, André. Directeur de thèse)
48 GASSAMA, Fatou. L'immigration
sénégalaise en France, de 1914 à 1993 : étude de
l'implantation et du rôle des confréries musulmanes
sénégalaises. Lille : Université Charles-de-Gaule -
Lille 3, 2005 (Th. Doctorat : Histoire : Lille 3 : 2005. 352 p.) (Martin, Jean
: Directeur de thèse). Disponible en ligne sur :
http://documents.univ-lille3.fr/files/pub/www/recherche/theses/gassama-fatou/html/these.html
49 GUIGNARD, Thomas, 2002, Internet au
Sénégal : une émergence paradoxale. Lille :
Université Charles-de-Gaule : Lille 3 : 2002 : 180 p. Mémoire de
DEA : Sciences de l'information et de la communication sous la direction de
FICHEZ, Elisabeth.
Disponible sur :
http://www.osiris.sn/IMG/pdf/InternetSenegalGuignard-3.pdf
51
2004 et 2006) consacrés à l'impact d'Internet
sur les stratégies migratoires et le quotidien des migrants roumains
résidant au Canada pour éventuellement envisager des comparaisons
sur l'impact d'Internet dans le quotidien des migrants sénégalais
en France ainsi que sur les stratégies migratoires
développées par ces derniers. De même, on pourrait
mentionner les travaux de Georgiu Myria (2002) et Emmanuel Ma Mung (2002)
portant sur les diasporas sur Internet ainsi que celui de Baptiste Froment et
Henry Bakis (2005) sur les nouveaux rapports aux territoires qui se dessinent
sur Internet, à travers l'exemple de la communauté
réunionnaise de Montpellier, les travaux d'Arthur Devriendt (2008) sur
les Maliens de Montreuil en quête de passerelles pouvant permettre de
servir avec facilité de liaison entre le pays d'origine et le pays de
résidence.
Ainsi donc, ce travail tente d'étudier les usages des
technologies de l'information et de la communication, en particulier le
téléphone mobile et Internet, au sein de la communauté
sénégalaise en France et les impacts dans les relations que les
migrants entretiennent avec leurs territoires d'origine et de résidence.
Comment les migrants accèdent et se servent des outils modernes de
communication ? Il s'agit donc de comprendre les processus d'insertion de ces
outils dans les milieux de la migration sénégalaise en France.
Quelle est l'incidence des TIC sur les relations qu'entretiennent les membres
des réseaux ainsi que sur leurs pratiques spatiales? Quel est l'impact
des TIC sur la vie communautaire et leur influence sur les réseaux
sociaux en France ? Comment les ressortissants sénégalais en
France parviennent-ils à maintenir, rétablir et renforcer les
liens sociaux au sein de la communauté à travers la diffusion et
les usages des outils modernes de communication, en particulier le
téléphone mobile et Internet ? Nous tenterons à travers
cette étude de montrer l'importance et le rôle fondamental des
réseaux dans la structuration et l'organisation de la migration
sénégalaise. Nous verrons comment les technologies de
communication sont utilisées comme moyens de renforcement de la
cohésion au sein des réseaux et leur rôle dans la
recomposition des bassins de relation. Comment les migrants utilisent les TIC,
en particulier le téléphone portable et Internet, afin de
maintenir et renforcer les relations à distance avec le pays d'origine ?
Les TIC favorisent-elles davantage l'insertion des migrants dans leur pays de
résidence, avec un ancrage fort inscrivant de ce fait la migration dans
la durée ? Au
52
contraire, les TIC favorisent-elles plutôt le
renfermement de la communauté sur elle-même, avec un renforcement
de la conscience identitaire, du lien communautaire et de la vie associative ?
Comment les migrants se saisissent des nombreuses possibilités offertes
par les TIC pour trouver des opportunités dans les pays où la
législation sur les conditions d'entrée et de séjour des
migrants est beaucoup plus souple ? Nous allons aussi voir comment les TIC ont
accru la mobilité des migrants, avec l'émergence et le
développement des réseaux transnationaux. Quels sont les enjeux
liés aux usages et à l'insertion des outils modernes de
communication dans la diaspora sénégalaise en France ? Quelles
sont les transformations induites par les TIC dans les rapports que les
migrants entretiennent avec leurs territoires d'origine et de résidence
?
Ce travail tente de répondre à ces questions et
ne prétend donc nullement à l'exhaustivité. Les nombreuses
difficultés matérielles, auxquelles nous avons été
confrontées, ont constitué un gros handicap pour mener à
bien nos recherches de terrain. Il a fallu faire preuve de beaucoup de patience
et d'abnégation pour aller jusqu'au bout de cette thèse. Nous
souhaitons participer à l'approfondissement de la réflexion sur
cette question complexe à aborder d'un point de vue géographique
et aussi espérons que ce travail contribuera à l'enrichissement
des réflexions épistémologiques axées sur les
questions d'information et de communication. Dans la mesure où
l'immatérialité qui accompagne les nouveaux objets de
communication et d'information rend souvent difficile la manière de
saisir leurs incidences territoriales ou leurs effets spatiaux. La
géographie, à l'image des autres disciplines scientifiques,
élabore ses propres théories et méthodes permettant de
décrypter et de mieux comprendre les mutations complexes et rapides qui
affectent les individus et groupements humains à l'ère de
l'information et de la communication. L'exercice s'annonce périlleux,
mais nous tenterons de nous atteler le mieux possible à l'aboutissement
de ce projet scientifique.
53
54
Première partie. Formes modernes et formes
anciennes de communication
55
56
Introduction
La migration sénégalaise en France est une
migration organisée, de longue date, en réseaux. De
manière générale, les individus qui se trouvent au sein de
ces réseaux sont reliés par d'intenses liens multiformes de
solidarité et d'entraide. Quelle que soit par ailleurs la nature de ces
liens, on verra qu'ils sont essentiellement organisés de sorte qu'ils
puissent favoriser bien entendu l'esprit d'assistance, d'entraide et les
échanges entre les individus qui composent les réseaux. La
plupart du temps, les individus sont insérés directement ou
indirectement dans les réseaux bien avant même leur arrivée
en France. De nombreux auteurs ont souligné, depuis longtemps, le
rôle primordial des réseaux dans les dynamiques migratoires,
notamment dans l'élaboration et la réalisation des projets
migratoires. Il convient en effet de souligner le rôle important des
réseaux dans la mobilisation des ressources financières
nécessaires au départ des candidats à la migration. De
même, les réseaux jouent aussi un rôle considérable
dans la mise en place des circuits ou parcours migratoires empruntés par
ces derniers. Dans les pays d'installation, ils sont activés pour
accueillir les nouveaux arrivés et les aider à s'insérer
dans le tissu socio-économique.
Toutefois, pour comprendre la constitution et le
fonctionnement des réseaux, il convient d'abord d'être attentif
aux acteurs proprement dits de cette migration. En France, les acteurs qui
composent la migration sénégalaise sont
caractérisés avant tout par leur
hétérogénéité. Autrement dit, cette
migration mobilise des acteurs très hétéroclites allant du
travailleur peu qualifié au migrant hautement qualifié en passant
par les étudiants, les commerçants ambulants et
sédentaires, les ouvriers, les artistes, les sportifs... Ainsi donc, du
fait de l'extrême hétérogénéité des
acteurs, les formes et les pratiques de communication dans les milieux de la
migration sénégalaise en France vont naturellement être
à la fois multiples et variées. Chaque catégorie de
migrants utilise par conséquent les modes et les outils de communication
à sa portée pour satisfaire ses besoins d'échange et de
relations en particulier avec sa famille, sa société et son
espace d'origine. Ce que nous voulons faire observer ici, c'est la dynamique
des pratiques de communication au sein de la diaspora sénégalaise
en France. On ne peut pas valablement envisager l'analyse des pratiques de
communication actuelles des migrants sénégalais en France, sans
pour autant jeter un regard, même si c'est furtif, sur les formes de
57
communication initiées jadis par les
Sénégalais vivant en France afin de satisfaire leur besoin de
communication à distance tout particulièrement. Ne serait-ce
qu'en raison des micro-changements que l'on pourrait déceler dans
l'association ou la cohabitation chez certains entre pratiques traditionnelles
de communication et utilisation des outils modernes de communication.
Rappelons que la migration est une dimension essentielle dans
les relations entre le Sénégal et la France. On pourrait tout
aussi bien aller jusqu'à affirmer qu'elle sert de pont entre le pays de
résidence et le lieu, la région et le pays d'origine à
travers notamment les relations entretenues individuellement avec la famille,
mais aussi à travers les relations du groupe ou du réseau avec le
village ou la région d'origine. A cet égard, la communication est
quelque chose de fondamental. Elle contribue, dans bien des cas, au maintien et
au renforcement de ces liens. Il est bien connu que les migrants
sénégalais font preuve de beaucoup d'imagination et
d'ingéniosité pour maintenir des relations à distance
fortes avec le pays d'origine et aussi pour faire circuler l'information entre
les différents pôles de leur système migratoire. Pour tous
les migrants sénégalais, l'attachement au pays d'origine reste
extrêmement profond. Aussi afin de communiquer, transmettre et
échanger des messages avec les proches restés dans le pays
d'origine ou avec ceux qui sont dans le pays d'installation ou encore dans
d'autres pays de migration, les migrants sénégalais utilisent des
modes de communication où le traditionnel voisine avec le moderne.
Dans le chapitre 1, nous allons nous intéresser aux
acteurs les plus représentatifs de la migration
sénégalaise en France, notamment les étudiants, les
ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal, les
commerçants, et dans une moindre mesure, les migrants hautement
qualifiés. Nous verrons que les relations que certains d'entre eux
entretiennent avec leurs pays d'origine et de résidence posent de vastes
questions. Après avoir montré la diversité des acteurs de
la migration sénégalaise en France, nous examinerons, dans le
chapitre 2, quelques aspects importants et singuliers de leurs pratiques de
communication. Dans le chapitre 3, nous essayerons d'étudier les
processus d'insertion et de diffusion du téléphone mobile dans
les milieux de la migration sénégalaise en France. Quels sont les
modes d'appropriation et les formes d'usage ? Enfin, nous nous
intéresserons, dans le chapitre 4 à l'essor extraordinaire du
téléphone mobile dans le pays d'origine.
58
59
Chapitre 1. Des migrants caractérisés par
une
grande
hétérogénéité
Le Sénégal est un pays caractérisé
par une grande mobilité et une dispersion extrême de sa
population. Les Sénégalais sont en effet de grands voyageurs
disséminés un peu partout à travers le monde. En 2002, la
Direction des Sénégalais de l'Extérieur50
estimait entre 800.000 et 900.000 les ressortissants Sénégalais
établis à l'étranger. Gérard-François Dumont
et Seydou Kanté estiment que près de 2 millions de ressortissants
sénégalais vivraient à l'étranger à
l'orée des années 201051. Aujourd'hui, les facteurs
qui expliquent l'ampleur de ce fort désir de migration sont
essentiellement la recherche d'un emploi bien rémunéré, le
désir de s'éloigner d'un environnement caractérisé
par une forte pression sociale et des difficultés économiques
incommensurables, le mythe de trouver l'eldorado qui permettra d'accumuler
très rapidement des richesses et d'avoir un meilleur niveau de vie. En
d'autres termes, les facteurs explicatifs de ce fort désir de migration
des Sénégalais vers l'international sont essentiellement d'ordre
économique. Le phénomène migratoire n'a jamais
touché autant de personnes, autant de familles dans l'histoire du
Sénégal comme c'est le cas actuellement. Aujourd'hui, il n'existe
presque pas une seule famille qui ne possède un de ses membres dans la
migration. Au moins, 70 ménages sur 100 ont enregistré le
départ à l'étranger d'un membre de la
famille52. Une autre caractéristique de la migration
sénégalaise actuelle est une féminisation croissante des
flux migratoires et de la population migrante. Certaines
Sénégalaises ont en effet profité des politiques de
regroupement familial pour venir rejoindre leurs maris, d'autres sont à
l'étranger pour poursuivre leurs études ou tout simplement pour
trouver du travail.
La présence sénégalaise en France est un
fait ancien qui remonte à l'époque coloniale, avec
l'arrivée successive d'abord de jeunes soldats qui se battent dans les
rangs français pendant les deux guerres mondiales53 et
participer « à ce qui fut longtemps nommé le
50Cette direction a été
érigée par la suite en ministère pour mieux prendre en
charge les problèmes auxquels sont confrontés quotidiennement les
Sénégalais expatriés et aussi pour mieux défendre
leurs intérêts.
51 DUMONT, Gérard-François et KANTE,
Seydou. L'émigration sénégalaise autant Sud-Sud que
Sud-Nord. In Collectif. Les mobilités, pp. 69-88, 2010.
52 ESAM II, DPS/2004 : 2ème
enquête sénégalaise auprès des ménages.
53 Ce sont les Tirailleurs
sénégalais. Toutefois, ces troupes n'étaient pas seulement
constituées de Sénégalais, mais elles étaient aussi
composées de soldats en provenance de toute l'Afrique Occidentale
Française (AOF). L'AOF était une fédération qui
réunissait, entre 1895 et 1958, la Côte-d'Ivoire, le
60
service de France (J. Frémeaux, 2008). Puis les marins
navigateurs, recrutés le plus souvent parmi les populations
Soninké, Mandjak ou parfois Diola, pour servir dans les compagnies
françaises de navigation, dépourvues d'une bonne partie de leurs
équipages mobilisés dans la marine de guerre. Il y a aussi les
domestiques, plus fréquemment de jeunes filles, qui faisaient le choix
de quitter le Sénégal pour accompagner en France leurs anciens
employeurs (fonctionnaires ou militaires) à la retraite. Ce fut ensuite
l'arrivée des élèves, étudiants et stagiaires
bénéficiant de bourses d'études octroyées par la
France. La récurrence des mauvaises conditions climatiques,
ajoutée aux difficultés économiques notamment dans les
domaines agricole et industriel, va ensuite déclencher et
accélérer la migration massive des ressortissants du bassin du
fleuve Sénégal (Soninkés et Toucouleurs) vers la France. A
partir de 1980-1981, on assiste à l'arrivée des marabouts, mais
surtout celle de nombreux commerçants, pour la plupart ambulants,
essentiellement en provenance des régions de Diourbel et de Louga, des
migrants commerçants communément désignés par
l'expression baol-baol ou modou-modou. Parmi les causes les
plus récentes de nos jours, on peut citer aussi la rapide et forte
croissance démographique, un tissu économique affaibli et peu
compétitif sur l'ensemble du territoire national, un taux de
chômage extrêmement élevé ainsi que la
dégradation des conditions d'études. En somme la conjugaison de
tous ces facteurs va entraîner progressivement la
détérioration généralisée des conditions de
vie dans les zones rurales comme dans les centres urbains. Ainsi, les
Sénégalais quittent leur pays pour plusieurs raisons. D'une part,
pour fuir les difficultés économiques et la forte pression
sociale et, d'autre part, pour trouver les moyens de pouvoir subvenir à
leurs besoins et à ceux de la famille. Alimentée au début
essentiellement par les populations rurales déshéritées,
l'émigration a touché ensuite les populations urbaines
défavorisées avant de gagner maintenant les classes moyennes
mieux pourvues (migration des cadres, drainage des cerveaux, ceux notamment qui
restent en France après leurs études supérieures).
Les statistiques concernant le nombre de
Sénégalais en France varient d'une source à l'autre. Par
exemple, l'ancien Consul général du Sénégal
à Paris, Monsieur Adama Sarr, estimait les ressortissants
sénégalais en France à 70.000 personnes en 2003, tout en
précisant que ce chiffre pouvait être doublé si l'on tient
en effet compte de ceux qu'il nomme les nomades, c'est-à-dire ceux qui
circulent et font des va-et-vient perpétuels entre
Dahomey (l'actuel Bénin), la Guinée, la
Haute-Volta (devenue Burkina-Faso), la Mauritanie, le Sénégal et
le Soudan français (l'actuel Mali).
61
Paris et les autres villes européennes, les
détenteurs de la double nationalité (les binationaux) et les
nombreux Sénégalais qui ne sollicitent pas les services du
Consulat54. De son côté, l'OCDE dénombrait
39.000 Sénégalais présents sur le territoire
français en 1999, à plus de 82.000 personnes en 2004 et 48.000 en
200555. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il faut être
très prudent sur la fiabilité de ces chiffres qui restent sujet
à caution. Par contre, ce qui est indéniable, c'est qu'il existe
une très importante communauté sénégalaise en
France. Mais que cette communauté reste très difficile à
évaluer, non seulement, en raison de la diversité de ses membres,
mais aussi compte tenu de l'extrême difficulté d'évaluer
avec précision tous ceux qui se trouvent en situation illégale
voir de la complexité que représente le phénomène
migratoire en lui-même.
La migration sénégalaise en France se
singularise par une extrême disparité des acteurs. Il y a les
travailleurs peu ou faiblement qualifiés composés, pour une bonne
part, par des ressortissants de la région du fleuve
Sénégal. Il y a également les commerçants qui sont
présents un peu partout à travers la France et qui
représentent sans aucun doute la face la plus visible, la plus dynamique
et la plus entreprenante de cette migration. On distingue aussi les
étudiants et les travailleurs formés et compétents. Ces
derniers, dont il n'est pas aisé de connaître le nombre exact,
regroupent en général les enseignants et chercheurs, notamment
dans les universités et les laboratoires de recherche, et aussi les
cadres hautement qualifiés dont l'expertise est reconnue au sein des ONG
et des institutions internationales.
On peut citer en outre les artistes qui, à travers leur
créativité, contribuent à la renommée culturelle de
leur pays d'origine, les sportifs et aussi ceux qu'on peut désigner
comme des clandestins, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas en règle
au regard de la législation française, notamment sur les
conditions d'entrée et de séjour des étrangers en
France.
54Adama Sarr, Consul général du
Sénégal à Paris, Nous avons 18 agents pour
gérer 70.000 personnes, juin 2003, consulté sur
http://fr.excelafrica.com/showtread.php?t=1744
le 20/02/2009.
55 Ces chiffres fournis par l'OCDE traduisent la
grande difficulté d'évaluer plus ou moins correctement les
ressortissants sénégalais présents dans les
différentes villes de l'Hexagone. En réalité, ces chiffres
paraissent sous-estimés en raison du nombre importants de migrants en
situation irrégulière.
62
Graphique 1. Les immigrés en France selon leur
pays de naissance en 1999 et 20042005
Champ : France métropolitaine
Source : Insee, recensement de 1999,
enquêtes annuelles de recensement de 2004 et 2005
1.1 Les migrants originaires du bassin du fleuve
Sénégal
Le bassin du fleuve Sénégal se trouve dans la
région dite des « trois frontières », couvrant le
Sénégal, le Mali et la Mauritanie. La région du fleuve
Sénégal est peuplée en majorité par deux grands
groupes ethniques, les Soninkés et les Halpoulars composés par
les Peuls et les Toucouleurs, qui ont une grande tradition migratoire. Les
Soninkés56 notamment ont toujours été de grands
commerçants sillonnant presque toutes les places commerciales de
l'espace africain. En effet, rappelle Mahamet Timéra, « La
migration est un phénomène ancien dans les sociétés
soninké. Dès le XIXe siècle, des Soninké partent de
la vallée du fleuve Sénégal vers d'autres régions
du continent (Congo, etc.) (F. Manchuelle, 1987, cité par M.
Timéra). Les migrations récentes ont entraîné la
formation de communautés plus ou moins fortes dans d'autres pays
africains : Côte-d'Ivoire, Sierra Léone, Gabon, Congo, Zaïre,
en Europe : France, Allemagne, Belgique et en Amérique du Nord :
Etats-Unis. Les Soninkés constituent une forte proportion de
l'immigration
56 TIMERA, Mahamet. Les Soninké en
France : d'une histoire à l'autre. Paris : Karthala, 1996.
L'ouvrage de M. Timéra est d'un apport inestimable pour comprendre
l'organisation et le fonctionnement des communautés villageoises dans
les foyers parisiens notamment.
63
noire africaine en France. S'il est difficile d'évaluer
leur nombre, on peut affirmer qu'ils constituent avec les Pulaar et les Manjak
les pionniers de l'immigration subsaharienne en France et le groupe
ethnolinguistique le plus important ». (M. Timéra, 1996).
Les différentes communautés ethniques sont
structurées et hiérarchisées selon l'appartenance sociale
de naissance (nobles, esclaves, hommes de castes), et autour des principes de
l'âge et du sexe. Ainsi, la place et le rôle de chaque membre
à l'intérieur des communautés villageoises sont
déterminés en fonction d'une organisation sociale traditionnelle
hiérarchisée et extrêmement rigide. Dans la classification
établie pour maintenir l'ordre villageois et favoriser la
cohésion sociale viennent tout d'abord les nobles qui sont les
dignitaires détenant l'autorité et le pouvoir.
Généralement, les nobles sont les descendants des fondateurs des
villages. Ensuite au bas de la pyramide sociale se trouvent les gens de «
castes » puis les descendants d'esclaves. La structuration sociale est
également marquée par une forte dépendance des femmes par
rapport aux hommes et des cadets par rapport aux aînés. Ainsi pour
rompre cet immobilisme séculaire et acquérir leur autonomie, ceux
qui sont dans des situations de dépendance, notamment les plus jeunes,
les gens de « castes » et les esclaves, tentent l'aventure
migratoire. De façon générale, ces migrants sont
caractérisés par leur origine rurale et leur faible niveau
d'instruction.
1.1.1 Une vie communautaire confinée dans les foyers
pour immigrés
En France, les migrants originaires de la vallée du
fleuve sont principalement localisés dans l'agglomération
parisienne, à Marseille et dans les villes du Havre et de Rouen en
Normandie. Généralement, ils occupent des emplois peu
qualifiés, précaires, pénibles et faiblement
rémunérés, le plus souvent dans l'industrie et les
services et, dans une moindre mesure, ils travaillent comme employés
dans le bâtiment et les travaux publics. (J. Condé, 1986, C. Daum,
1993 et G. Lanly, 1998). C'est une communauté qui présente la
particularité d'être articulée autour d'une solide
organisation communautaire. Ils ont un mode de vie qui les confine dans une
situation d' « extériorité sociale ».
Dans l'abondante littérature portant sur cette
communauté, les auteurs ont unanimement souligné la
solidité des liens unissant ses différents membres. Catherine
64
Quiminal (1991), dans Gens d'ici, gens d'ailleurs.
Migrations soninké et transformations villageoises, nous propose
« une description des caractéristiques sociologiques » des
jeunes soninkés ressortissants des villages de Guidimaka au Mali et nous
invite à les suivre à travers les allers et retours
effectués entre leurs villages d'origine et les foyers de
l'agglomération parisienne où ils vivent. Guillaume Lanly (1998)
met en évidence l'importance des liens et le rôle
considérable des associations de migrants dans le développement
des localités des vallées du fleuve Sénégal. Dans
sa thèse de doctorat dont le sujet est intitulé Migrations
internationales, restructurations agraires et dynamiques associatives en pays
soninké et haalpulaar (1975-1990), Philippe Lavigne-Delville (1994)
explique que pour ces sociétés hiérarchisées la
migration vers la France constituait un moyen de restructurer et réguler
les économies locales. Pour l'auteur, la mise en place des
communautés villageoises dans les foyers, sous la direction des
notables, représentait un moyen efficace de contrôle social et de
mobilisation de l'épargne destinée à assurer la
subsistance des unités familiales dans les localités
d'origine.
A ses débuts, la migration des ressortissants de la
vallée du fleuve Sénégal en France n'était pas
envisagée comme une installation dans la durée. En fait, le
migrant envisageait, au bout d'un certain nombre d'années, de se faire
remplacer par un autre membre de sa famille plus jeune. Ce système avait
pour nom la « noria ». Il s'agissait de préparer son
successeur à la relève, de financer son voyage et de l'aider
à trouver du travail en France. Guillaume Lanly précise que dans
la « noria », au bout d'un certain nombre d'années, le migrant
cédait sa place à un cadet au sein de sa famille contribuant
ainsi à garantir la continuité des transferts d'argent. « Le
plus souvent, le migrant assure, en accord avec la famille, le départ de
son successeur en lui envoyant de l'argent et contribue à son
arrivée en France en subvenant à ses besoins et en l'aidant
à trouver un travail. Le plus jeune se trouve donc dans une situation de
totale dépendance vis à vis de sa famille et ne pourra conserver
qu'une petite partie de son salaire. De même, les chefs de famille
disposent souvent d'un autre relais dans le lieu d'accueil, en la personne d'un
parent proche ou d'un autre membre de la communauté villageoise pour
s'assurer que le jeune immigré remplisse ses devoirs envers la famille
». (G. Lanly, 1998). Cependant, la crise économique et
l'aggravation considérable des conditions de vie et de travail vont
progressivement perturber le système et mettre fin à la noria.
Les mesures prises par les autorités françaises, au début
des années 1970, vont provoquer par conséquent l'arrêt de
l'immigration, favorisant le regroupement familial, avec l'arrivée
notamment des femmes
65
et des enfants, inscrivant de ce fait la migration dans la
durée. Ainsi, « les migrants, devenus immigrés, s'installent
dans un provisoire qui dure, et commencent à amorcer la politique du
regroupement familial » (A. M. Diop, 1993).
Cette communauté vit repliée sur
elle-même, presque en autarcie. Les échanges avec la
société d'accueil sont quasi inexistants. Pour
schématiser, on peut dire qu'ils se limitent presqu'exclusivement aux
lieux de travail, aux transports et aux lieux de commerce (marchés,
supermarchés...). Il n'existe apparemment aucun échange notable
ou significatif avec la société d'accueil. Les seules sorties
consistent généralement à se rendre à son lieu de
travail, prendre un moyen de transport ou encore aller faire ses courses. Dans
ce « modèle d'intégration communautaire », ce qui
compte c'est la collectivité. Il faut, autant que faire se peut,
participer au maintien et au renforcement de la vie du groupe, conserver tout
le temps en mémoire l'idée du retour vers le lieu d'origine et
limiter le plus possible les dépenses engagées en France. (C.
Daum, 1993, 1998, G. Lanly, 1998, M. Timéra, 1998). Le regroupement des
membres de la communauté constitue paradoxalement le rempart contre ce
qui est considéré comme extérieur, ce qui est vu comme
« étranger ». Cette survalorisation de l'appartenance
communautaire peut déboucher sur des formes d' « intégration
marginale ». Le processus de socialisation au sein de ces
communautés villageoises est tellement ancré que
l'identité du groupe est transportée dans les pays
d'installation, de transit ou de ré-émigration. On est membre
d'un groupe qui a des règles de fonctionnement auxquelles il ne faut pas
transiger sous peine d'être banni du groupe, de se faire exclure de la
communauté.
On distingue ceux qui vivent dans les foyers et ceux qui
habitent dans les appartements à travers le parc locatif social ou
privé « souvent des quartiers d'habitat social » (M.
Bernardot). Ce sont ceux qui ont eu recours au regroupement familial ou qui ont
des enfants ici et une infime minorité de célibataires qui vont
habiter en dehors des foyers, dans des appartements sociaux ou privés.
Même s'il arrive parfois que les gens se rencontrent dans les
appartements à l'occasion des cérémonies, toute la vie
communautaire se déroule généralement dans les foyers.
C'est là où on réside, où on a ses habitudes, c'est
le lieu de la sédentarisation où l'on « tue le temps ».
Dans les foyers, on se sent protégé par les autres membres,
d'où un instinct commun de s'y réfugier. Le foyer se dresse comme
une sorte de muraille et renvoie l'écho de toute leur solitude, de toute
leur détresse et de tous les murmures mélancoliques. L'occupation
des foyers se fait
66
généralement sur la base de l'appartenance
villageoise. (J. Condé, 1986 et M. Timéra, 1998). Ainsi, chaque
village dispose d'un foyer où se concentre un effectif important de ses
ressortissants. Par exemple, en Ile-de-France, on retrouve les ressortissants
de la commune de Diawara située dans la région de Tambacounda
regroupés au foyer Charonne dans le XXe arrondissement et les
ressortissants de Danthiady, une commune de la région de Matam, au foyer
David-d'Angers localisé dans le XIXe arrondissement. A Marseille, de
nombreux ressortissants de Waoundé dans la région de Matam
habitent au foyer Félix Zoccola dans le XVe arrondissement. La gestion
de l'espace, des services et prestations relève principalement de la
gestion villageoise. Mahamet Timéra (1996) souligne que «
l'attribution des lits et des chambres, parfois des étages, s'est faite
par village et de même que la répartition entre les
différents lignages présents ». Non seulement, les foyers
sont des lieux à usage d'habitation, mais ce sont aussi des lieux de
rencontres, d'échanges, de réunions, en somme de vrais lieux de
vie. En fonction de la nature et de l'intensité des conflits à
l'intérieur des foyers, la prise en charge relève
entièrement de la responsabilité des chefferies locales, des
comités des délégués ou de l'instance suprême
de régulation représentée par l'assemblée
générale des résidents. Les foyers ont donc
été appropriés et transformés en des lieux
symboliques, favorisant les rencontres et les échanges. En région
parisienne et plus précisément dans les communes de Montreuil et
Aubervilliers à Seine-Saint- Denis, c'est principalement dans les foyers
(Bara, Drancy-Africain, La Courneuve-Salengro, Bobigny République...)
où se développent concrètement les solidarités et
où l'on participe à la vie collective. Adeline Gonin (2009) de la
COPAF (Collectif pour l'avenir des foyers) estime leur nombre en région
parisienne à 250 établissements accueillant pas moins de 50.000
hommes, principalement des hommes mariés ayant laissés leurs
femmes aux villages. En outre, elle indique que « certains foyers sont
composés de chambrettes de 6 à 8 m2, équipées d'un
lit et d'une table. La cuisine, les douches et WC sont collectifs. Mais il
reste encore de vieux foyers-dortoirs, avec jusqu'à 8 lits
superposés par chambre - par exemple le foyer Bara à Montreuil,
Alsace-Lorraine à Drancy ou David-d'Angers à Paris XIXe. Dans ces
bâtiments qui datent pour la plupart des années 1960 et 1970,
l'exiguïté des chambres est compensée par l'existence
d'espaces collectifs - salles de télévision, salles
d'alphabétisation, salles de réunion, salles de prières,
cuisines collectives. Dans certains foyers, une petite économie
informelle (restauration, tailleurs, coiffeurs, épicerie, etc.) permet
d'améliorer le quotidien et renforce la solidarité ». (A.
Gonin, 2009). Aussi, on assiste souvent à des revendications portant sur
la réhabilitation des foyers afin qu'ils
67
soient dotés de cuisines collectives, de salles
polyvalentes (qui seront sûrement équipés d'ordinateurs
pour devenir des salles multimédias dans l'avenir) et de salles de
réunion.
Toute la vie communautaire s'organise principalement autour du
fonctionnement des caisses de solidarité villageoise, mises en place
pour subvenir à la fois, en cas de besoin, aux problèmes des
membres de la communauté ici en France, mais surtout pour assurer la
subsistance des communautés villageoises dans le pays d'origine. Les
membres des caisses villageoises se regroupent surtout sur des bases
identitaires. Ils sont en effet soit liés par l'appartenance à la
famille, ou par la provenance du même village ou de la même
région, ou soit par le partage de la même zone historique. Le
contrôle des caisses villageoises relevait des autorités
traditionnelles qui veillaient aussi au bon fonctionnement des relations de
solidarité. L'identité villageoise de la communauté
devient l'identité du foyer, à tel point d'ailleurs que certains
foyers sont qualifiés de « villages-bis » par certains
résidents, révèle Christophe Daum57. Les foyers
ont dès lors pour vocation de préserver ce patrimoine commun que
constitue l'identité villageoise. Cependant, les nombreuses
péripéties, ayant jalonné la vie de cette
communauté en France, vont favoriser l'émergence de nouveaux
leaders qui sont, pour la plupart, des migrants plus jeunes, sachant lire et
écrire en français. Les notables vont ainsi perdre leur pouvoir
au profit de ces nouveaux leaders. Une étape importante va être
franchie avec une plus grande ouverture de la communauté. Ainsi, comme
le souligne Philippe Lavigne-Delville, « les enjeux se focalisent sur le
lieu de résidence.
Les femmes et les jeunes s'investissent et participent
davantage à la vie de la cité. Mieux insérés, les
jeunes ont aussi une meilleure connaissance du fonctionnement des institutions
et de la société française. En effet, les jeunes,
maîtrisant mieux la langue française que ceux qui sont
arrivés bien avant mais sont restés cloîtrés dans
les foyers, entretiennent plus de contacts et de relations avec parfois
d'autres populations migrantes ou issues de l'immigration, des Français
ou des compatriotes étudiants. Cette ouverture plus grande sur le pays
d'accueil a pu déboucher, pour certains, sur un engagement politique ou
syndical plus important. Ces porteurs de la nouveauté vont être
considérés, par les plus conservateurs au sein de la
communauté, comme une véritable menace pouvant porter atteinte
à la reproduction du système. Dès lors, ils sont
considérés comme
57 DAUM, Christophe. Les associations de
Maliens en France. Migration, développement et citoyenneté.
Paris : Karthala, 1998.
68
des « hors la loi », des « êtres
a-sociaux » qui s'efforcent de mettre en branle de nouvelles
procédures pour changer le système.
Devant servir à l'origine de lieux de passage, le foyer
est devenu le lieu de la vie sociale, un lieu de vie économique.
Aujourd'hui, ceux qui sont à la retraite, à la fin de la vie
active, se rendent compte avec amertume qu'ils sont entrés dans un cycle
de « partis sans retour » comme le note Mahamet Timéra. Pour
eux, même s'ils restent des lieux de référence, les foyers
sont devenus des lieux de misère, vétustes et insalubres,
apparemment sans avenir.
1.1.2 Des relations multiformes et intenses avec les lieux
d'origine
Une caractéristique dominante des ressortissants de la
vallée du fleuve Sénégal est le lien affectif
extrêmement fort qu'ils entretiennent avec les lieux d'origine. Plus
justement, comme le souligne Mahamet Timéra, « l'immigration de
longue durée et la sédentarisation vont de pair avec une
affirmation identitaire croissante, un renforcement du lien avec le pays
d'origine, plus précisément le village d'origine.
L'idéologie paysanne et l'appartenance villageoise sont assez vivaces et
s'expriment par leur définition et leur attachement au terroir »
(M. Timéra, 1996). Cet attachement est si fort que le migrant se trouve
presque dans l'impossibilité d'évoluer en dehors des
sphères de la communauté villageoise d'origine. Le sentiment
d'appartenance est tellement intense que le migrant ne cherche pas en
réalité à bien vivre ailleurs. L'attachement au terroir
natal constitue en quelque sorte le cordon ombilical qui relie en permanence
les migrants aux lieux d'origine. Le mythe du retour demeure
profondément ancré dans l'imaginaire collectif des migrants.
Ainsi remarque Christophe Daum (2007), « pour ces migrants qui songent
souvent au retour, le pays, le village, la famille... constituent des
repères essentiels ». Les relations à distance sont surtout
des relations d'ordre financière, économique, social, culturel...
Les dépenses quotidiennes des familles au village sont presque
entièrement prises en charge par les migrants. A ce titre rappelle
Christophe Daum (1998), 30 à 80% des besoins familiaux sont pris en
charge par les envois de fonds au début des années 80. Afin
d'assurer le ravitaillement et l'approvisionnement des communautés
villageoises d'origine, les migrants créent et développent des
coopératives ou des centrales d'achat. Gérées le plus
souvent à partir des foyers, elles permettent aux communautés
villageoises
69
de se procurer certaines denrées de première
nécessité comme le riz, le mil, l'huile, le sucre, etc. Dans ses
travaux sur les ressortissants de la vallée du fleuve
Sénégal en quête de diamants dans certains pays de
l'Afrique de l'Ouest (Côte-d'Ivoire, Guinée, Libéria,
Sierra Léone) et de l'Afrique centrale (Angola, Congo, Zaïre,
Zambie), Syilvie Bredeloup (1993) notait qu'« à l'instar des
immigrés en Europe, les diamantaires rapatrient une partie de leurs
biens dans la vallée du fleuve Sénégal qu'ils
réinvestissent dans les mosquées, l'élevage, l'immobilier
(en particulier à Dakar) ou encore dans le commerce ».
Non seulement, les migrants effectuent
régulièrement des envois d'argent pour assurer la reproduction et
la survie de la famille en particulier et des communautés villageoises
en général, mais aussi ils sont les principaux initiateurs des
investissements qui sont réalisés dans les villages d'origine.
L'argent collecté dans les caisses villageoises permet aux
communautés d'origine de passer les périodes de soudure ou encore
les périodes de crises climatiques exceptionnelles. Les migrants
ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal se
regroupent généralement dans des associations au sein desquelles
ils font souvent preuve d'une grande capacité d'organisation et de
gestion à travers des investissements et des réalisations, au
profit des communautés villageoises. En effet, ils sont souvent à
l'origine de la réalisation d'infrastructures comme des postes de
santé, des salles de classe. De même, ils interviennent dans la
construction de bureaux de poste, de salles de classe, de forages ainsi que
dans l'installation de motopompes et l'aménagement de
périmètres irrigués. Par ailleurs, parallèlement
à ces investissements collectifs, les migrants réalisent aussi
des investissements personnels dans l'agriculture et l'élevage en milieu
rural et parfois dans l'immobilier en milieu urbain.
D'un côté, les liens affectifs et
matériels sont très forts. D'un autre côté, la
survie des communautés villageoises est largement dépendante des
moyens financiers des migrants. Ainsi comme l'avait auparavant souligné
Mahamet Timéra, certains migrants considèrent aujourd'hui encore
que le village, là-bas au Sénégal, c'est eux les
immigrés ici en France. Ainsi donc, la sauvegarde de l'identité
villageoise reste une préoccupation majeure. Il faut veiller à sa
préservation, à sa mise en valeur et à sa
pérennité. Les stratégies et pratiques migratoires visent
de ce fait à renforcer le prestige du village et aussi à mettre
en place et développer des moyens permettant aux migrants de pouvoir
répondre rapidement aux nombreuses sollicitations exprimées par
les communautés villageoises. Tout migrant qui refuse de cotiser et de
participer au fonctionnement des
70
caisses risque tout simplement d'être banni du groupe.
De même, sa famille au village risque de subir l'humiliation
suprême de voir toute la communauté villageoise boycotter les
cérémonies organisées au sein de la famille. On comprend
dès lors pourquoi les caisses villageoises ont connu un si grand
succès.
Grâce aux réalisations effectuées en
partie avec l'argent acquis dans la migration, les migrants se sont
octroyés un certain pouvoir de décision dans la gestion des
espaces d'origine. Ils essayent de mener sur les espaces d'origine des actions
bien plus efficaces encore. Avec des représentations autres que celles
qu'ils avaient avant leur séjour en France, les migrants agissent sur
les territoires d'origine avec des moyens plus importants et des
stratégies qui empruntent ou se calquent sur le modèle de leur
pays de résidence. Il s'ensuit quelquefois un meilleur
aménagement de l'espace dans les lieux d'origine. Ce qui n'est pas sans
heurts, sans créer des divergences parfois profondes avec les chefferies
traditionnelles ou l'administration locale. Cette ingérence des migrants
est perçue par les autorités traditionnelles comme une menace
pouvant entraîner à moyen ou long terme une réelle
contestation de leur pouvoir. Après les migrants originaires de la
vallée du fleuve Sénégal, des observateurs comme
Gérard Salem (1981), Ibou Sané (1993), Victoria Ebin (1994) et
Sylvie Bredeloup (2004) vont focaliser leur attention sur les migrants
commerçants en particulier mourides.
1.2 Les migrants commerçants mourides
Les migrants commerçants arrivent dans l'Hexagone au
milieu des années 70, à la suite des flux de migrants
ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal et des
Mandjaks. « Estimés à plusieurs milliers de personnes en
1983-1984 », ces commerçants, dont la grande majorité
était membre de la confrérie mouride, se livraient à la
vente ambulante d'objets d'art africain en sillonnant Paris et certaines villes
de province. Certains d'entre eux finiront par rejoindre d'abord les villes
européennes (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Suède...), puis les
villes de l'Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal). D'autres iront tenter
l'aventure commerciale aux Etats-Unis (G. Salem, 1981, V. Ebin, 1992, A. M.
Diop, 1993 et I. Sané, 1993). Aujourd'hui, de nombreux
Sénégalais se livrent au commerce d'objets de toutes sortes
à Paris (M. Gueye, 2001, L. Sall, 2007), Marseille (V. Ebin, 1992, B.
Bertoncello et S. Bredeloup, 2004) et certaines villes de province. Si le
71
commerce des migrants sénégalais a connu de nos
jours une telle évolution et a pris une telle ampleur, c'est
incontestablement en grande partie grâce aux membres de la
confrérie mouride qui ont réussi une reconversion remarquable et
remarquée dans le commerce en s'appuyant, principalement, sur une
idéologie qui valorise le travail et la solidarité, mais
également en faisant preuve de courage, d'abnégation et
d'endurance. En effet, la majorité des Sénégalais qui
s'activent dans le commerce hors du territoire sénégalais
appartient effectivement à la confrérie mouride.
Les Mourides sont essentiellement localisés au
centre-ouest du Sénégal, dans le pays wolof. Le mouridisme est
une confrérie fondée en milieu rural par Cheikh Amadou Bamba
(1852-1927) à la fin du 19e siècle. Sa capitale religieuse est la
ville sainte de Touba où se déroule chaque année le Magal,
le grand rassemblement de tous les membres de la communauté mouride
dispersés à travers le monde. Beaucoup de migrants
commerçants mourides ont tout d'abord été des
talibés dans les daras, des structures créées
principalement en milieu rural, où ils apprenaient le coran et les
khassaïdes (les poèmes de Cheikh Amadou Bamba) tout en contribuant
au défrichement d'immenses étendues de terres au profit de
l'expansion agricole des marabouts et notamment pour le développement de
la culture de l'arachide. A ses débuts, la confrérie attira les
populations lassées par les razzias guerrières et les luttes
meurtrières qui opposaient les différents royaumes alentours
(Cayor, Djoloff, Ndiambour, etc.).
A cette époque, Cheikh Ahmadou Bamba
représentait, aux yeux des foules livrées à l'anarchie,
non seulement la sainteté, la piété et la science
islamique, mais en même temps le saint homme incarnait pour ces
populations la non-violence, l'espoir d'une vie plus calme. Très
rapidement, sa popularité croissante provoqua l'inquiétude et la
surveillance de l'administration coloniale française locale, d'autant
plus que des rumeurs « le représentaient comme faisant d'importants
achats d'armes et de munitions ». Il fut alors envoyé en exil
d'abord à Mayombé et à Lambéréné au
Gabon durant 7 ans (1895 - 1902), puis à Saout-El-Ma en Mauritanie
pendant 4 ans (1903 - 1907). Cheikh Amadou Bamba a développé une
doctrine religieuse essentiellement basée sur la prière et le
travail. Le principal précepte auquel doivent se soumettre les
fidèles mourides est « Travail comme si tu ne devais jamais mourir
et prie comme si tu devais mourir demain ». En outre, grâce à
l'acquisition et au défrichage d'immenses étendues de terres
arables et fertiles par le biais d'intenses travaux agricoles effectués
avec dévotion et inlassablement
72
par les talibés, les marabouts mourides deviennent
rapidement de très grands cultivateurs d'arachide. Cette exploitation et
cette expansion agricoles s'appuient entièrement en
réalité sur des structures mises en place par les marabouts. Ces
structures, plus connues sous le nom de dara, étaient à la fois
des centres d'éducation ou d'initiation islamiques et des groupes de
travail. Cependant avec simultanément la baisse de la fertilité
des sols et la chute progressive des cours mondiaux de l'arachide, les
fidèles mourides investissent tout simplement les espaces urbains
sénégalais tout d'abord avant de se lancer à la
conquête des grandes villes africaines, et ensuite celle des centres
urbains et des places fortes de l'économie mondiale, en Europe dans les
années 70, et « plus récemment et de façon intense
aux Etats-Unis d'Amérique et en Asie au cours des années 90
» à la recherche de nouveaux poissons par temps de crise (V. Ebin,
1996). Les Mourides sont devenus la première puissance commerciale au
Sénégal comme l'atteste en effet leur forte présence au
marché Sandaga, le principal marché du Sénégal,
situé dans le quartier du Plateau, la cité administrative
dakaroise ; de la même manière que le montre leur présence
en grand nombre dans quasiment tous les marchés implantés dans
l'espace sénégalais, les Mourides ont réussi une
reconversion remarquable et spectaculaire dans le commerce. Et comme le
souligne d'ailleurs fort pertinemment Abdou Salam Fall, à présent
les commerçants mourides se sont appropriés le marché
Sandaga qu'ils ont fini par transformer en une sorte d'antichambre, un lieu
d'acquisition des ressources permettant d'émigrer et aussi un lieu
relativement favorable pour s'insérer dans les réseaux mourides.
Si justement le marché Sandaga a atteint une telle dimension et une
telle importance aujourd'hui dans le système économique
sénégalais, il le doit en grande partie au dynamisme et à
la participation active des réseaux mourides (A. S. Fall, 2002).
1.2.1 Avec le pays de résidence, des relations
tournées essentiellement autour de l'activité commerciale et du
« religieux »
1.2.1.1 Un maillage commercial de tout l'espace
français
Arrivés parmi les premiers acteurs de la migration
sénégalaise en France, les migrants commerçants
sénégalais ont fini par imposer leur présence et leur
marque dans l'espace français. Ils sont en effet dispersés sur
tout le territoire français, de Paris à Marseille et de Bordeaux
à Lyon, en passant par Toulouse, Le Havre, Nantes, Strasbourg,
Poitiers... A
73
Paris, on les trouve principalement dans les marchés
(Barbès, Château Rouge, Sarcelles, Saint-Denis, marchés aux
Puces de Clignancourt et de Montreuil...) et sur les sites touristiques (Tour
Eiffel, Arc de Triomphe, Château de Vincennes, Château de
Versailles...). A Bordeaux, on peut les trouver sur le cours Victor Hugo, la
rue Sainte-Catherine, au marché Neuf, au marché des Capucins...).
A Marseille, ils sont présents dans les quartiers Belsunce et Noailles
près de la Canebière, aux abords du quartier de la gare
Saint-Charles.
En hiver comme en été, on trouve des
commerçants ambulants sénégalais ou plutôt des
vendeurs à la sauvette en train de parcourir ou de sillonner les villes
touristiques de la côte Atlantique et de la méditerranée.
Un sac chargé de montres, de lunettes de soleil, de ceintures, de bijoux
fantaisie, de parapluies ou de statuettes africaines sur le dos, ils
déambulent sur les plages, les places des marchés et sur les
trottoirs ou les terrasses des cafés pour essayer de vendre leurs
marchandises. Cette grande mobilité spatiale s'explique en partie par un
souci de diversifier, dans une certaine mesure, les lieux de vente. Les
colporteurs mourides sont généralement des hommes jeunes arborant
souvent des boubous ou des tenues vestimentaires multicolores58,
signe distinctif de leur appartenance à la communauté mouride.
A Marseille, par exemple, ils sont devenus, comme le remarque
Sophie Bava59, familiers aux passants qui cherchent une gamme de
produits à la mode à des prix raisonnables. Selon les saisons, la
communauté mouride de Marseille peut être estimée entre
2000 à 3000 individus, ajoute Sophie Bava60. Toutefois,
Daouda Koné signale que cette implantation du commerce africain à
Marseille ne s'est pas faite sans heurts. Au contraire, elle avait
généré, à ses débuts, une cohabitation
difficile avec les autres communautés notamment maghrébines pour
l'occupation et le contrôle des lieux de commerce dans « l'aire
métropolitaine marseillaise »61. Les colporteurs
sénégalais s'approvisionnent aussi bien auprès des
grossistes mourides qu'auprès des grossistes maghrébins, juifs ou
asiatiques. En outre, les femmes sont de plus en plus nombreuses à
58 Ces tenues vestimentaires multicolores et les
rastas symbolisent le plus souvent l'appartenance au groupe des « Baye
Fall », une branche du mouridisme fondée par Cheikh Ibra Fall, un
fidèle compagnon de Cheikh Ahmadou Bamba.
59 BAVA, Sophie. Reconversions et nouveaux mondes
commerciaux des mourides à Marseille. In Marseille, carrefour d'Afrique.
Hommes et Migrations, mars-avril 2000, n°1224.
60 BAVA, Sophie. Les Cheikhs Mourides
itinérants et l'espace de la ziyara à Marseille.
Anthropologie et Sociétés, 2003, vol 27 n°1.
61 KONE, Daouda. Noirs-africains et
Maghrébins ensemble dans la ville. In Marseille et ses étrangers.
Revue Européenne des Migrations internationales, 1995, vol. 11
n°1.
74
s'impliquer dans le commerce sénégalais en
France. Profitant de leurs plus grandes facilités de circulation, car
étant moins soumises aux contrôles policiers que leurs maris ou
frères, elles se rendent dans des pays comme la Turquie, le Danemark,
Dubaï, Bangkok... où elles achètent des bijoux en or et des
tissus qui seront ensuite revendus sur le territoire français ou au
Sénégal ou bien encore dans les pays où se sont
implantées de fortes communautés sénégalaises tels
que l'Italie, l'Espagne et les Etats-Unis (B. Bertoncello et S. Bredeloup,
1993).
Pour les migrants commerçants mourides, contrairement
aux migrants originaires de la vallée du fleuve Sénégal
dont l'essentiel de la vie communautaire se déroule dans les foyers, ce
sont les appartements ou les chambres des grossistes qui sont des lieux
d'intense vie sociale. Les vendeurs s'y retrouvent régulièrement
pour partager les repas, boire du thé, partager des informations sur le
Sénégal, discuter de l'actualité du pays d'origine,
prendre des marchandises et se donner des « tuyaux ».
Les durcissements successifs des lois (Pasqua et Debré)
concernant les conditions d'attribution des titres de séjour aux
étrangers, ajoutés aux tracasseries policières
incessantes, ont progressivement entraîné un net recul du
système commercial mouride en France. Pour bon nombre de
commerçants mourides, la France a perdu son lustre d'antan, elle ne sert
pratiquement plus que comme point de passage vers des horizons supposés
plus cléments, tels que l'Italie, l'Espagne, les Etats-Unis. Ainsi donc,
afin d'insuffler un nouvel élan à leurs activités
commerciales, ils exploitent non seulement, tous les créneaux, toutes
les possibilités de partenariat (avec des commerçants africains
ou des partenaires français), mais aussi d'autres destinations plus
prometteuses.
A cela s'ajoute une autre particularité qui est
importante à souligner, c'est le recours à Internet pour trouver
de bonnes affaires ou des marchés susceptibles d'être rentables,
notamment foires, brocantes, braderies et vide-greniers. Pour certains de ces
commerçants, Internet participe à une exploitation rationnelle de
l'espace français. Son usage permet, dans une large mesure, de
diversifier les lieux de vente. Ce qui constitue quand même un aspect non
négligeable à la bonne marche des affaires. Ce que l'on peut dire
pour le moment, c'est que ce phénomène, aussi marginal qu'il
puisse apparaître dénote allégrement les mutations en cours
dans le milieu des migrants commerçants sénégalais en
France. Il semble en effet que certains d'entre eux commencent peu à peu
à
75
percevoir ou saisir quelques unes des multiples
potentialités offertes par Internet pour le développement de
leurs activités commerciales.
1.2.1.2 Un rôle prépondérant du
religieux dans la migration
Les mourides transportent avec eux leur confrérie dans
presque toutes les villes du monde où ils se sont installés.
Sophie Bava (2003) remarque que « par-delà leurs migrations, les
disciples inscrivent le mouridisme dans une tension transnationale entre le
Sénégal, le continent africain, l'Europe, et à
présent les grandes villes américaines et asiatiques ». Le
mouridisme s'est déployé en France grâce surtout aux
commerçants et aux étudiants, à travers notamment la
création des dahiras. Pour vivre leur mouridisme dans le contexte de la
migration, les disciples de la confrérie mouride fondent des dahiras
dans les principales villes d'implantation. Non seulement, les dahiras vont
jouer un rôle essentiel dans la réorganisation des migrants, mais
également elles vont beaucoup contribuer au rayonnement du mouridisme
dans l'espace français. Les disciples mourides se rendent
régulièrement dans les dahiras pour se retrouver et communier
ensemble, nourrir et renforcer leur foi à travers les khassaïdes et
les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Le dynamisme des dahiras a largement
contribué à la visibilité des Mourides dans le paysage
religieux français. Les cotisations régulières des membres
servent d'une part à assurer le fonctionnement des dahiras, à
subvenir souvent à un besoin ponctuel de l'un des membres, à
acquérir une maison « keur Serigne Touba »62 si les
moyens le permettent, et d'autre part à participer à la
construction et au développement de la ville sainte de Touba. Ces
maisons « keur Serigne Touba » ont non seulement pour vocation
d'être des lieux de culte, mais aussi des lieux où l'on pourra
transmettre aux enfants nés ou ayant grandi en France les valeurs
traditionnelles de leur culture d'origine.
En dehors des regroupements hebdomadaires, il arrive souvent
aussi que les dahiras organisent l'accueil de certains dignitaires de la
confrérie. Ainsi, comme le décrit Sophie Bava
(2003)63, les accueils organisés, par exemple, par le dahira
des Mourides de
62 Les mourides ont implanté des « keur
Serigne Touba » dans presque toutes les grandes villes occidentales,
Paris, Marseille, Milan, New york...
63 BAVA, Sophie. Les Cheikhs Mourides
itinérants et l'espace de la ziyara à Marseille.
Anthropologie et Sociétés, 2003, vol 27 n°1.
76
Marseille lors des nombreuses visites que Serigne Mourtada
Mbacké64 effectuait dans la cité phocéenne,
étaient des moments de rassemblement de tous les Mourides
disséminés en France et dans les pays occidentaux. Ils affluaient
en effet de partout. Ils quittaient les différentes villes de la France,
certains provenaient des pays européens (Italie, Espagne, Allemagne,
Belgique, Pays-Bas, Angleterre, etc.) et d'autres venaient même des
Etats-Unis pour converger vers la ville de Marseille. Ces rassemblements
étaient à la fois des moments de ferveur religieuse, mais aussi
des moments propices aux échanges, aux discussions et pour certains des
opportunités permettant d'établir des relations d'affaires.
Sophie Bava (2008) estime que « de par leur mobilité, les
commerçants mourides sont devenus des figures familières sur les
marchés et les places marchandes ; de New York à Naples en
passant par Istanbul et Marseille, ils entretiennent ainsi des réseaux
de relations multiples à travers leur filière marchande.
Cependant, leur mobilité ne les éloigne pas de leur pays
où, comme la majorité des trans-migrants, ils investissent dans
des commerces, dans l'immobilier ou dans l'agriculture, faisant ainsi circuler
des devises ».
1.2.2 Des liens multiples et forts avec le pays d'origine
1.2.2.1 La ville sainte de Touba, lieu de retour final
et de vie rêvé
Les commerçants mourides en France restent très
attachés à Touba, la capitale du mouridisme. Officiellement,
Touba est une communauté rurale située à 193 km de Dakar,
dans le département de Mbacké dans la région de Diourbel.
Mais avec sa population, ses équipements et infrastructures urbains,
Touba est devenue de fait la deuxième ville du Sénégal, la
seule capable de rivaliser plus ou moins avec la capitale Dakar. Chaque
année, des milliers de pèlerins convergent de tous les coins du
Sénégal et d'un peu partout à travers le monde pour
célébrer le Magal, le grand rassemblement de la communauté
mouride commémorant le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Au
Sénégal, les lieux-dits Touba sont légion sur l'ensemble
du territoire national. D'ailleurs, le plus grand centre commercial du pays
porte le nom de Touba-Sandaga.
64 Serigne Mourtada est le fils cadet de Cheikh
Ahmadou Bamba. Désigné comme « l'Ambassadeur du mouridisme
dans le monde entier ou encore ministre des affaires étrangères
du khalife général des mourides », cet infatigable voyageur,
toujours muni de son bâton de pèlerin, est quasiment le principal
artisan de l'implantation du mouridisme dans de nombreux pays en Afrique, en
Europe et aux Etats-Unis. Sa réputation au Sénégal s'est
faite à travers la construction d'instituts islamiques et la mise en
place d'autobus aux tarifs sociaux. Sa disparition, le 8 août 2004, est
une grande perte pour toute la communauté mouride en particulier et
toute la communauté sénégalaise en
général.
77
L'idéal pour le migrant commerçant, où
qu'il se trouve, reste d'acquérir dans la migration des moyens
financiers afin d'investir dans la ville sainte de Touba, lieu de retour final
et de vie rêvé. Régulièrement, ils envoient de
l'argent au pays afin de pouvoir construire rapidement une maison dans la
cité religieuse. Car pour le migrant mouride, la migration ne peut
être considérée comme une réussite qu'à
partir du moment où il a pu se faire construire sa propre maison
à Touba. A travers l'habitat et l'ouverture de négoces, les
migrants ont également beaucoup contribué à l'urbanisation
de la ville de Touba, au dynamisme urbain de la cité religieuse. Cheikh
Guèye souligne d'ailleurs que, du fait de sa croissance
démographique (environ 500 000 habitants), Touba est devenue aujourd'hui
« la deuxième ville du Sénégal après
l'agglomération de Dakar-Pikine »65. La
réalisation du projet urbain constitue un enjeu primordial qui mobilise
les migrants mourides. Ces derniers restent constamment en contact avec leurs
marabouts, leurs guides religieux.
La ville de Touba est le lieu de la décision ; elle a
une fonction centrale de commandement qui peut être même parfois
beaucoup plus puissante que celle de Dakar, pourtant la capitale
administrative, politique et économique du Sénégal. Et
cela est symbolique à plus d'un titre quand l'on sait l'hypertrophie de
Dakar par rapport aux autres villes sénégalaises. Touba est
à la fois un point de convergence et de divergence, et aussi un lieu
d'apprentissage et d'acquisition d'expériences. C'est parfois en effet
depuis Touba, haut lieu emblématique de la communauté mouride,
que les élites maraboutiques et commerçantes mettent en place les
stratégies et gèrent les actions qui se déploient sur les
différents espaces où s'est répartie la communauté
mouride. Les marabouts et certains grands commerçants jouent un
rôle fondamental dans la mise en relations de ces différents
lieux, dans les échanges notamment entre les lieux de commercialisation
et les lieux d'investissement.
En outre, dès que possible, dès que ses moyens
le lui permettent, le migrant commerçant mouride commence à
organiser peu à peu sa migration, sa mobilité géographique
à travers de perpétuels va-et-vient, d'incessants allers-retours
entre son lieu de migration et la ville de Touba. Pour les disciples mourides,
Touba est à la fois un « refuge spirituel et un espace
économique ». Des sommes d'argent colossales transitent
65 GUEYE, Cheikh. Touba : La capitale des
Mourides. Paris : Karthala, 2002.
78
par des moyens formels et aussi à travers surtout des
canaux informels pour l'entretien des familles des migrants, et aussi pour des
investissements individuels et collectifs.
1.2.2.2 Un rôle considérable dans les
activités commerciales au Sénégal
De manière générale, les migrants
commerçants mourides restent très attachés à leur
pays d'origine où ils investissent dans des commerces, dans l'immobilier
ou dans l'agriculture. Certains grossistes possèdent parfois plusieurs
commerces au Sénégal gérés, le plus souvent, par
des membres de leurs familles. Pour la plupart des migrants mourides, la
famille est intervenue au financement de l'aventure commerciale. Aussi, elle
est la première sollicitée quand le commerçant veut
créer, diversifier ou développer des activités marchandes
ou non marchandes au Sénégal. Les boutiques ouvertes par les
migrants commerçants dans les marchés sénégalais
tels que Sandaga (le plus grand marché du Sénégal),
Marché HLM (Dakar), Marché Occas (Touba), Marché
Ndoumbé Diop (Diourbel), etc. constituent pour les membres de sa famille
(frères, cousins, neveux...) des antichambres pour les départs
futurs vers la France ou l'Italie, l'Espagne et les Etats-Unis,
c'est-à-dire les principaux pays de destination. Les migrants
expédient régulièrement des marchandises diverses pour
approvisionner le marché sénégalais. Dans le même
sens, ils introduisent aussi des produits sénégalais sur le
marché français, européen, voire un peu partout à
travers le monde. Certains grossistes sénégalais en France
permettent à certains de leurs compatriotes grossistes restés au
Sénégal de trouver et de nouer, de temps en temps, des relations
de partenariat avec des grossistes européens, maghrébins ou
asiatiques. Ainsi donc, les migrants commerçants s'avèrent
être à leur manière de véritables entrepreneurs, des
créateurs d'emplois dans leur pays d'origine. Ils jouent de ce fait un
rôle important de régulateur social. Dans un contexte de crise de
l'emploi dans le pays d'installation, le commerce devient, pour certains
étudiants, un secteur favorable à l'acquisition de moyens
financiers permettant de financer les études en France.
1.3 Les étudiants
Les flux migratoires d'étudiants en quête de
savoir constituent une dimension essentielle de la présence
sénégalaise en France. La mobilité géographique des
Sénégalais
79
vers la France, dans le but d'y poursuivre des études
supérieures (universitaires et non universitaires) est un
phénomène relativement ancien. La France est le pays
étranger qui accueille la plus forte communauté
d'étudiants sénégalais. Les données fournies par le
ministère français de l'éducation, de l'enseignement
supérieur et de la recherche révèlent que près de
60.767 étudiants sénégalais se sont inscrits dans les
universités françaises de 1998 à 2007. Selon la Direction
de la Programmation et du Développement (D.P.D.) du ministère de
l'éducation nationale française, 68% des étudiants
sénégalais expatriés ont choisi de se rendre en France en
2001-2002, représentant ainsi la deuxième communauté de
l'Afrique francophone en nombre d'étudiants derrière les Gabonais
75% et devant les Camerounais 55% et les Marocains et Tunisiens 60%. Les
chiffres officiels du ministère de la coopération
française estimaient en 2002 à près de 95.000 le nombre
d'étudiants africains, soit plus de la moitié des 180.400
étudiants étrangers dans les universités
françaises. L'Afrique sub-saharienne fournissait le plus gros du
contingent avec 69.671 étudiants tandis que l'on dénombrait
25.000 ressortissants du Maghreb. Comme on peut le voir sur le tableau de la
page suivante, le nombre des étudiants sénégalais dans les
universités françaises a régulièrement
augmenté au cours de la période 1998-2006.
Jusqu'au début des années 1980, le fait
d'obtenir un diplôme d'une université française
était la garantie de l'accès à un emploi stable
prestigieux et bien rémunéré au Sénégal, le
plus souvent dans l'administration, ce qui est loin d'être le cas
aujourd'hui. Toutefois, dans l'imaginaire de nombreuses familles
sénégalaises, les diplômes acquis dans les écoles et
universités françaises restent encore pour leurs enfants le gage
d'une insertion professionnelle sécurisante notamment, à leur
retour. La renommée et l'attrait de l'enseignement dans les
écoles et universités françaises ont été
considérablement rehaussés au cours de ces dernières
années par la dégradation et la faillite du système
éducatif sénégalais. Depuis quelques années,
l'enseignement supérieur au Sénégal se trouve dans une
véritable impasse. Les manquements sont, de manière
générale, criants à tous les niveaux. Le principal
écueil est l'effectif pléthorique de la population estudiantine.
Les capacités d'accueil, notamment de l'université Cheikh Anta
Diop de Dakar (UCAD) sont largement insuffisantes et dérisoires pour
assurer de bonnes conditions d'études aux étudiants. La situation
est encore plus alarmante quant aux possibilités d'hébergement.
Le Sénégal a connu une année blanche en 1988 et une
année invalide en 1994. Les grèves cycliques et
répétitives ont fini de saper le moral des étudiants les
plus endurants et les plus aguerris. Dans de telles conditions, beaucoup de
80
jeunes restent persuadés que les formations et les
enseignements dispensés en France sont sans commune mesure avec ce
qu'ils peuvent recevoir dans leur propre pays. Guilaine Thébault (2008)
a constaté pendant ses enquêtes menées au
Sénégal sur des étudiants suivant une formation à
distance cet intérêt prononcé des étudiants
sénégalais dans l'acquisition de diplômes étrangers.
Elle ajoute que « ces universités de renom qui délivrent
leurs diplômes à distance sont mieux réputées que
l'université sénégalaise, au sein de laquelle
sévissent crise et perturbations, amputant les perspectives d'insertion
sur la marché du travail ». Même si les coûts de
formation dans les instituts d'enseignement supérieur privé ou
à l'étranger sont beaucoup plus élevés que les
coûts de l'enseignement dans les universités
sénégalaises, la plupart des étudiants considèrent
l'investissement plus sûr pour trouver ensuite des
débouchés, « contrairement à l'université
d'Etat, dont on dit qu'elle est une fabrique de chômeurs
maîtrisards. Il existe donc réellement une volonté
d'extraversion, autrement appelée « désir d'ailleurs
» extrêmement vivace, et notamment chez les étudiants
sénégalais » (G. Thébault, 2008).
Le désir de poursuivre ses études en France est
en outre motivé en partie par l'exemple de certaines élites
rentrées au pays où elles ont acquis une position sociale et
financière extrêmement confortable. Ainsi, chaque année,
des centaines de jeunes étudiants sénégalais prennent
d'assaut le site web de Campus France Sénégal avec un infime
espoir de trouver une inscription dans une université française,
et ensuite pour y effectuer les démarches de demande de visa.
81
Tableau 1. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007
Années
|
Effectifs
|
1998-1999
|
3548
|
1999-2000
|
4078
|
2000-2001
|
5147
|
2001-2002
|
6166
|
2002-2003
|
7324
|
2003-2004
|
8020
|
2004-2005
|
8565
|
2005-2006
|
9019
|
2006-2007
|
8900
|
Total
|
60767
|
Source : SISE, ministère de l'Education
nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
82
Graphique 2. Effectifs des étudiants
sénégalais dans les universités françaises de 1998
à 2007
Source : SISE, ministère de l'Education
nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
1.3.1 Des conditions de vie et d'études
généralement difficiles
Il faut préciser d'abord que la procédure pour
trouver une inscription dans une université française est
extrêmement compliquée. Les étudiants
sénégalais sont présents dans presque tous les
établissements universitaires de l'Hexagone. Une large majorité
des étudiants sénégalais en France est inscrite dans les
universités de la région parisienne. Ils sont également
nombreux à Reims, à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Lyon,
Grenoble...
La plupart des étudiants ne sont pas boursiers. Seule
une petite partie dispose d'une bourse ou d'une aide offertes par le
gouvernement sénégalais. Les parents qui en ont les moyens
envoient régulièrement de l'argent à leurs enfants.
Cependant, la grande majorité doit chercher du travail en dehors des
horaires de cours pour financer ses études.
L'observation des données statistiques fournies par la
D.P.D. en 2001-2002 nous fait constater que les étudiants
sénégalais s'inscrivaient principalement en premier cycle et
s'orientaient d'abord dans les disciplines comme les sciences
économiques, juridiques et de gestion. Les étudiants poursuivant
des études supérieures dans les filières sciences humaines
et sociales étaient également très nombreux, de même
que ceux qui sont dans
83
les disciplines techniques (A. Coulon et S. Paivandi, 2003).
Pour bon nombre d'étudiants, l'arrivée dans ce nouvel
environnement géographique et social a été un
véritable choc. Passer l'euphorie du départ et l'angoisse des
premiers jours d'arrivée, le mythe de la France comme eldorado commence
peu à peu à s'effondrer. En effet, les différences
culturelles sont tellement énormes que beaucoup se retrouvent un peu
déboussolés dans les premiers instants. Tout au long de leur
parcours scolaire, ils sont confrontés à des procédures
administratives et scolaires multiples et particulièrement complexes.
Les difficultés pour trouver un logement constituent
une préoccupation permanente et un problème majeur. Les
étudiants qui sont dans les villes de province sont parfois
obligés de recourir à toutes sortes de subterfuges avec les
services des Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires
(Crous) afin de pouvoir obtenir une chambre de petite taille, ne
dépassant pas 9 m2, en résidence universitaire à Bordeaux.
Ceux qui sont à Paris ont généralement beaucoup plus de
difficultés pour obtenir un logement, notamment en cité
universitaire. Le mode de logement le plus fréquent en région
parisienne semble être la cohabitation, le partage d'un appartement
(loué dans le logement privé) avec des amis ou proches. Souvent
peu spacieux, ils (ces chambres et ces appartements) n'en constituent pas moins
de véritables lieux de vie et de sociabilité. Les
étudiants s'y retrouvent souvent pour préparer les repas et le
thé, mais surtout pour discuter (de politique ou de sport la plupart du
temps), partager leurs peines, leurs angoisses et leurs déceptions ainsi
que leurs rares moments de bonheur et leurs espérances en des lendemains
meilleurs. Ces logements ont pu servir de cadre à la naissance de
solides liens d'amitié. C'est là aussi que certains couples se
sont rencontrés. La religion occupe également une place
importante dans ces espaces. Les résidences universitaires servent de
temps en temps à accueillir les activités des dahiras des
étudiants mourides en particulier. Les restaurants universitaires sont
aussi des espaces collectifs où les étudiants peuvent se
rencontrer de temps en temps pour discuter et échanger. Tous les espaces
collectifs aménagés dans les cités universitaires (salles
de télé, salles de travail, salles de jeux...) sont
utilisés comme des lieux de rencontre. Ces espaces ont aussi permis
parfois d'entretenir des échanges interculturels assez enrichissants
avec des étudiants français et européens (étudiants
séjournant en France dans le cadre du programme Erasmus), ou encore soit
avec d'autres étudiants africains ou soit avec des étudiants
venus d'autres continents avec des cultures complètement
différentes.
84
Les jobs pour étudiants se faisant de plus en plus
rares, certains sont prêts à accepter tout ce qui leur tombe entre
les mains, des emplois parfois très mal rémunérés,
à des heures pénibles. Bon nombre d'entre eux sont presque
contraints d'être manutentionnaires, agents d'entretien ou de
surveillance. Certains sont obligés de travailler en tant que
saisonniers dans les vignobles champenois et bordelais. D'autres sont
recrutés pour aller faire la récolte des myrtilles, des fraises,
des pommes, des melons dans l'Aviron, d'aller castrer les maïs à
Mont de Marsan dans les Landes.
Soumis à des obligations de réussite de la part
des services de la préfecture ou de la sous-préfecture, selon les
régions, les étudiants préfèrent se consacrer corps
et âme à leurs études et nettement moins à des
activités culturelles, sociales, ludiques ou sportives. Le redoublement,
un changement d'orientation ou un manque de cohérence dans les
études peuvent être considérés par les services
administratifs habilités comme des prétextes suffisants pour
refuser le renouvellement de la carte de séjour de l'étudiant
qui, s'il n'y prend garde, risque ainsi d'aller grossir le contingent des
« sans-papiers ». Dans ce contexte de difficultés,
réussir son insertion et ses études relève naturellement
d'un véritable exploit pour beaucoup d'étudiants.
1.3.2 L'éloignement familial : un fardeau
pénible et pesant
L'éloignement familial est très mal vécu
quasiment par tous les étudiants. Certains le vivent très mal et
leur équilibre affectif en devient même parfois un peu
perturbé, d'autres un peu mieux. Mais de façon
générale, le mal du pays et le dépaysement restent assez
profonds. Le contact avec le pays d'origine est recherché en permanence.
Les relations avec le pays d'origine sont également des relations
économiques. Des flux d'argent sont constatés dans les deux sens,
avec les étudiants dont les études sont entièrement prises
en charge par les parents et les étudiants qui sont obligés
d'exercer une activité professionnelle pour envoyer de l'argent et
participer aux dépenses de la famille au Sénégal. C'est le
cas d'un bon nombre d'étudiants sénégalais en France. Nous
verrons dans la partie consacrée aux transferts de fonds
effectués de la France vers le Sénégal que les
étudiants jouent un rôle très important dans ces envois
d'argent.
Le problème du retour reste aussi une
préoccupation majeure comme nous le verrons plus tard dans les sujets de
discussion abordés à travers l'étude des forums. Ce
problème
85
se pose en effet de façon accrue car les doutes
subsistent entre essayer de s'insérer en France malgré les
difficultés ou rentrer pour servir le pays. La majorité des
étudiants souhaite rentrer au Sénégal, mais à
condition d'être sûrs de trouver un bon emploi et de bien gagner sa
vie. Ce qui n'est pas du tout acquis d'avance car la situation
économique actuelle du Sénégal est extrêmement
difficile.
Ainsi à la fin de leurs études, une part minime
des diplômés prend la décision de rentrer dans le pays
d'origine. La part la plus importante espère trouver une activité
professionnelle sur place. Le reste se redéploye vers d'autres pays
occidentaux (Canada ou Etats-Unis) à la recherche d'une
spécialisation ou d'une insertion professionnelle. Cependant, ceux qui
n'ont pas réussi à obtenir le moindre diplôme se retrouvent
sans titre de séjour. N'osant plus rentrer dans leur pays d'origine de
peur d'affronter le regard inquisiteur et réprobateur des autres membres
de la famille et des voisins, ils traînent avec eux le terrible poids de
l'échec ou le lourd fardeau de la désillusion et vivotent de
petits boulots à petits boulots, le plus souvent au noir. Certains
d'entre eux finissent par rejoindre le contingent des vendeurs ambulants.
D'autres se résignent à traverser la frontière pour aller
tenter l'aventure en Italie, en Espagne, en Hollande, en Allemagne...
1.4 Les migrants qualifiés ou hautement
qualifiés
La migration des cadres, intellectuels, de personnes
très compétentes, qualifiés généralement de
« cerveaux » par les spécialistes, vers la France est aussi un
aspect essentiel de la migration sénégalaise. Le « brain
drain » ou l' « exode des cerveaux » sénégalais
vers la France est en effet une réalité qu'il est difficile de
nier. En France, les migrants sénégalais hautement
qualifiés sont composés, en général, de professeurs
d'université, de chercheurs, d'étudiants qui y ont trouvé
du travail à la fin de leurs études, de médecins,
d'avocats, de financiers, de cadres administratifs (technocrates) et techniques
(techniciens supérieurs) disposant de compétence et de
savoir-faire pointus et reconnus. Les migrants sénégalais cadres
de haut niveau cherchent en France de nouveaux horizons propices à leur
bien-être matériel et financier et aussi des conditions de travail
favorables à leur épanouissement intellectuel et professionnel.
Généralement, on leur propose parfois en France des
émoluments particulièrement alléchants ainsi que de
meilleures conditions de travail et de vie. Il leur est en outre offert,
notamment dans
86
les universités françaises et dans les
sphères du privé international, non seulement des emplois
beaucoup plus intéressants et mieux rémunérés, mais
aussi des perspectives de carrière beaucoup plus prometteuses. Le
phénomène de la "fuite des cerveaux" concerne donc des personnes
ayant des qualifications de plus en plus élevées.
A l'image des pays pauvres, le Sénégal reste
préoccupé par ce phénomène. Selon le rapport annuel
de la Conférence des Nations-Unies66 sur le commerce et le
développement (CNUCED), 11% des Sénégalais
diplômés de l'enseignement supérieur s'étaient
expatriés en 1990. En 2000, c'est-à-dire dix ans plus tard, ils
étaient 24%. Pierre Encontre, Chef économiste au bureau du Cnuced
de Genève en Suisse estimait leur nombre à 24.000. La fuite des
compétences concerne des ressources humaines de qualité en
provenance de différents secteurs socioprofessionnels. Au cours de ces
dernières années, beaucoup d'enseignants sénégalais
ont quitté leur pays pour aller chercher des conditions de travail et de
vie meilleures dans les pays occidentaux. Entre 1992 et 2002,
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar a enregistré 19
départs en faculté de médecine et de pharmacie, 15
enseignants ont quitté la faculté des lettres et sciences
humaines, 13 sont partis de la faculté des sciences juridiques et
politiques, 8 départs ont été enregistrés en
faculté des sciences économiques et de gestion, 17 départs
en faculté des sciences techniques. Dans le même temps,
l'université Gaston Berger de Saint-Louis enregistrait le départ
de 23 enseignants toujours durant la même période. Ce qui fait un
total ahurissant de 95 départs d'enseignants des universités
sénégalaises vers les universités occidentales
essentiellement rien que durant la période comprise entre 1992 et
2002.
Parmi ceux qui sont partis, certains d'entre eux sont souvent
d'éminents professeurs dans leurs disciplines. Bon nombre d'enseignants
et de chercheurs ont choisi, la mort dans l'âme parfois, d'aller exercer
définitivement leurs professions dans les universités, les
écoles supérieures et dans les laboratoires des pays francophones
(France, Belgique, Canada) et des Etats-Unis, en raison notamment du faible
niveau des salaires, de la vétusté et de l'obsolescence des
équipements (bibliothèques et autres structures de recherche) et
aussi de l'absence d'une perspective intéressante de carrière
dans leur pays d'origine. D'ailleurs, les syndicats d'enseignants continuent
jusqu'à présent de se plaindre contre la faiblesse des
rémunérations des enseignants et aussi pour exiger de meilleures
conditions de travail.
87
Ainsi, à l'instar des Etats-Unis, d'autres pays comme
la France mettent en place des politiques migratoires encourageant et
facilitant la mobilité de ces migrants hautement qualifiés. Ces
pays vont par conséquent bénéficier des compétences
et des qualifications avérées, le plus souvent, au
détriment des pays d'origine qui en ont certainement besoin davantage.
La déperdition de sa main-d'oeuvre qualifiée constitue une perte
incommensurable pour le Sénégal qui a quand même investi
parfois des moyens financiers considérables pour la formation ou la
spécialisation de quelques uns d'entre eux. Cette déperdition
contribue ainsi à augmenter le gap entre nos pays pauvres et les pays
riches. Le Sénégal est certainement parmi les pays les moins
avancés celui qui possède le plus de cadres expatriés
occupant des postes de haut niveau dans les organismes internationaux.
Au Sénégal, le choix des hommes, au lieu de
s'opérer sur la base de la compétence et de la qualification,
s'effectue plutôt malheureusement sur la base de considérations
politiciennes voire sur la base d'affinités confrériques. Dans un
tel contexte, on peut s'attendre à ce que d'autres cadres
sénégalais ne tardent pas à répondre à
l'appel des sirènes du Nord dès que l'opportunité se
présentera.
Une nouvelle donne est cependant en train de voir le jour,
consécutive aux innombrables possibilités offertes par les
technologies de l'information et de la communication. Avec les multiples et
immenses potentiels de ces technologies, dorénavant le migrant cadre
hautement qualifié n'a pas nécessairement besoin d'être
présent physiquement pour apporter sa contribution au
développement économique, social et culturel de son pays
d'origine. Aussi, nous tenterons d'étudier, dans la troisième
partie, en quoi les technologies de l'information et de la communication
peuvent élargir et favoriser la participation des migrants
sénégalais hautement qualifiés en particulier aux
processus et dynamiques de développement de leur pays d'origine.
66 Nations-Unies. 10 ans de fuite de cerveaux :
le Sénégal a perdu 24% de ses diplômés du
supérieur. Le Quotidien du 21/07/07 par Dialigué Faye.
88
Tableau 2. Enseignants sénégalais de
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar partis à l'étranger
de 1992 à 2002
Discipline Effectif
Médecine et Pharmacie 19
Lettres et Sciences humaines 15
Sciences juridiques et politiques 13
Sciences économiques et de gestion 8
Sciences techniques 17
Total 72
Source : Ibrahima Hamidou Dia. Déterminants,
enjeux et perceptions des migrations scientifiques internationales africaines:
le Sénégal. Global Commission on International Migration,
Genève 2005.
89
Tableau 3. Départ des enseignants de
l'université Gaston Berger de Saint-Louis entre 1992-2002
Unité de formation et de recherche
|
TOTAL ENSEIGNANT
|
UFR Sciences appliquées et
technique
|
07
|
Sciences juridiques et politiques
|
05
|
Sciences économiques et de gestion
|
08
|
Lettres et Sciences Humaines
|
03
|
Total
|
23
|
Source : Ibrahima Hamidou Dia. Déterminants,
enjeux et perceptions des migrations scientifiques internationales africaines:
le Sénégal. Global Commission on International Migration,
Genève 2005. In Diene, I. La fuite des cerveaux dans l'enseignement
supérieur : impact et solutions.
Disponible sur :
http://www.ei-ie.org/educ/higheduc/french/Downloads/2003_hied_Dakar_paperSAES.pdf
90
91
Chapitre 2. Pratiques taditionnelles et formes
modernes de communication
Nous avons vu que les migrants sénégalais en
France restent de manière générale toujours très
attachés à leur pays d'origine. C'est le cas des migrants
ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal qui
entretiennent des relations à distance très étroites avec
les villages et les communautés locales d'origine. Tel est aussi le cas
des migrants commerçants mourides, pour qui la cité religieuse de
Touba reste malgré la distance le lieu de vie rêvé,
d'où l'on reste en permanence à l'écoute du
ndiguël, c'est-à-dire les recommandations, du marabout. Il
en va de même de la plupart des étudiants, pour qui
l'éloignement familial constitue un fardeau lourd à porter.
Aussi, le besoin de communiquer avec le pays d'origine a toujours
été et reste encore très fort pour toute cette
communauté sénégalaise au sein de laquelle la tradition
orale67 occupe une place prépondérante dans les
rapports humains et aussi dans la transmission des savoirs et savoir-faire.
Dans le pays de résidence aussi, la communication et la vie de relations
demeurent des aspects fondamentaux non seulement pour la cohésion des
groupes mais aussi pour la réussite du projet migratoire. Pour Florence
Boyer, « la notion de projet migratoire permet de rendre compte de la
complexité des migrations circulaires car elle articule les
différentes échelles sociales, spatiales et
temporelles68 ». Le projet migratoire intègre ou combine
une multitude de facteurs permettant d'appréhender non seulement le
désir de partir, mais aussi les différentes ressources
mobilisées pour une migration effectuée dans des conditions de
réalisation optimale. Or, l'accès et la diffusion de
l'information sont primordiaux dans l'efficacité des stratégies
migratoires.
Ainsi donc, acteurs par nature de l'interface et de
l'échange, les migrants ont assurément des besoins de
communication considérables et permanents. Ils ont besoin
67 La tradition orale peut être
considérée comme un moyen utilisé par les
sociétés humaines pour permettre aux générations
présentes et aux générations à venir de
connaître leur histoire, leurs us et coutumes et aussi d'acquérir
des connaissances et des informations, à travers la parole humaine.
Malmenée d'abord par l'écriture, elle est aujourd'hui fortement
concurrencée par le développement et la démocratisation
indéniables des canaux modernes de transmission de l'information tels
que la radio, la télévision, le téléphone
cellulaire et Internet entre autres. Ces outils modernes de communication
constituent autant d'éléments qui contribuent à sa quasi
disparition dans les sociétés modernes et son net recul dans les
sociétés où elle subsiste ou fait encore de la
résistance.
68 BOYER, Florence. Le projet migratoire des
migrants touaregs de la zone de Bankilaré : la pauvreté
désavouée. Disponible sur :
http:www.univie.ac.at/ecco/stichproben/Nr8_Boyer.pdf.
Consulté le 01/09/2009.
92
d'entretenir et de développer des rapports humains,
sociaux et économiques aussi bien avec le pays d'origine qu'avec le pays
de résidence. Cette quête permanente afin de satisfaire ce besoin
vital est un des traits caractéristiques essentiels dans
l'identification d'une communauté en diaspora. C'est aussi dans ce sens
que l'on assiste progressivement à la mise en place et au
développement d'une sorte de culture du lien notamment social. Dana
Diminescu remarque à cet égard qu' « auparavant à
l'état latent, mais propre à tous les groupes qui se
déplacent, cette culture du lien est devenue visible et très
dynamique une fois que les migrants ont commencé à utiliser
massivement les NTIC »69. Aujourd'hui, de nouvelles formes de
relations sociales se mettent en place indubitablement et se développent
entre les migrants et leur milieu d'origine. Dana Diminescu note
également à ce sujet que « ces nouveaux liens semblent
d'ailleurs marquer un nouvel âge dans l'histoire des mobilités
humaines ». Elle considère de ce fait qu' « il n'est plus
possible de percevoir les migrants comme appartenant à des lieux
géographiques éloignés et aussi ayant des relations
sociales indépendantes l'une de l'autre ». Au contraire, les liens
entre les migrants et leur environnement d'origine sont tellement forts qu'ils
s'apparentent même de plus en plus à des rapports de
proximité. Un tel constat est effectivement corroboré par nos
enquêtes réalisées notamment auprès de certains
membres de la communauté sénégalaise en France, en Italie,
en Belgique ainsi que celles réalisées au Sénégal,
dans les principales zones de départ, en l'occurrence Dakar, Louga et
Diourbel. Cette vision est également partagée par Serigne Mansour
Tall quand il remarque précisément que « la dialectique de
l'ici et l'ailleurs est remise en cause par la quotidienneté et la
simultanéité des échanges entre les émigrés
et leur espace d'origine »70.
Nous nous attacherons, dans ce chapitre, à montrer la
diversité des pratiques de communication des acteurs de la migration
sénégalaise en France. Quels sont les dispositifs interactionnels
anciens et modernes que l'on rencontre fréquemment dans les milieux de
la migration sénégalaise en France ? Par quels moyens, les
migrants sénégalais en France parviennent-ils à entretenir
et maintenir des rapports interpersonnels entre eux dans leur pays de
résidence, mais aussi avec les membres de la famille et les amis
restés
69 DIMINESCU, Dana. Le migrant connecté.
Pour un manifeste épistémologique. Migrations /
Société, 2005, volume 17, n° 12, pp. 275-292.
70 TALL, Serigne Mansour. Les
émigrés sénégalais et les nouvelles technologies de
l'information et de la communication. In Diop Momar Coumba (Dir.). Le
Sénégal à l'heure de l'information. Paris : Karthala,
2002.
93
dans le pays d'origine ou résidant à
l'étranger ? Comment les rapports entretenus avec les outils de
communication varient en fonction des caractéristiques
socio-économiques des migrants ? Pourquoi les processus d'appropriation
des outils ou médias de communication se révèlent-ils
très différenciés selon que le migrant est
analphabète ou instruit ? Quelles sont les modalités
d'accès ainsi que les modes d'usages ?
Pour satisfaire leurs besoins croissants de communication,
d'échanges et de relations, les migrants sénégalais
utilisent des formes de communication à la fois multiples et complexes.
Les migrants sénégalais utilisent en effet divers moyens de
communication pour émettre et recevoir des messages. Ces systèmes
de communication favorisent à bien des égards l'apparition de
nombreuses formes et pratiques de communication. Le recours à des outils
de communication comme la radio satellitaire et la télévision
satellitaire permet ainsi à ceux qui sont ici de garder plus facilement
et de façon plus régulière le contact avec ceux qui sont
là-bas ou ailleurs. Autrement dit, par l'entremise de certaines
technologies de communication et d'information, les migrants entretiennent
désormais, de n'importe où et quasi instantanément, des
relations quotidiennes avec les autres membres de la famille restés dans
le pays d'origine, voire même avec ceux disséminés dans
d'autres espaces de migration. En effet, grâce à ces dispositifs
communicationnels et informationnels, les migrants entretiennent aujourd'hui
des relations à distance plus intenses avec leur milieu d'origine. Dana
Diminescu écrit à ce propos que « malgré la distance,
le lien "virtuel" - par téléphone ou par courrier
électronique - permet plus et mieux qu'avant d'être présent
à la famille et aux autres, à ce qui est en train de leur
arriver, là-bas, au pays ou ailleurs ». Elle ajoute que «
l'idée de présence est désormais moins physique, moins
« topologique » mais plus active, de même que l'idée
d'absence se trouve implicitement modifiée par ces nouvelles pratiques
» (D. Diminescu, 2005). « De l'immigré peu informé,
isolé - et souffrant véritablement de son isolement - des
années 1960 et 1970-1975, aux familles disposant de
télévision satellitaires, magnétoscopes,
caméscopes, journaux, des années 1990-2000, dont les enfants
accèdent de plus en plus souvent au réseau Internet,
l'évolution est grande, rapide et souvent étonnante »,
estime Stéphane de Tapia (2001).
Nous tenterons donc dans ce chapitre de montrer la dynamique
des pratiques de communication des migrants sénégalais en France.
Pour mieux comprendre les formes d'usages et les modes d'appropriation actuels
des nouveaux outils de communication, il
94
est essentiel de décrire et comprendre la
manière dont les migrants sénégalais en France parvenaient
autrefois à transmettre des messages et établir des relations
interpersonnelles dans le pays de résidence, mais surtout à
maintenir les liens avec les proches restés dans le pays d'origine. Par
quels moyens s'effectuent les accès aux outils de communication dits
« modernes », quels en sont les formes d'usages et aussi les modes
d'appropriation ? C'est à ces questions que ce chapitre
s'intéresse et tente d'apporter des réponses.
2.1 Les lettres, les cassettes audio et le bouche
à oreille
Comme nous l'avons déjà évoqué, il
faut avoir présent à l'esprit que, du fait de sa forte propension
à la mobilité, le migrant est par nature acteur de l'interface et
de l'échange. Pendant un bon nombre d'années que l'on pourrait
situer approximativement des années 1960, époque où les
ressortissants sénégalais pouvaient se rendre en France sans
visa, au milieu des années 1990, les migrants sénégalais
ont eu recours essentiellement aux lettres, aux cassettes audio et aussi au
bouche à oreille pour communiquer, en particulier avec les proches et
amis restés dans les milieux d'origine. Parmi ces modes de
communication, le bouche à oreille reste encore un moyen de
communication largement employé par une frange importante des
migrants.
2.1.1 Le bouche à oreille, un moyen de communication
très apprécié pour établir des relations de
proximité
Le bouche à oreille reste encore un moyen
privilégié d'établir des relations de proximité,
d'échanger entre migrants et parfois avec les membres de la famille
restés dans le pays d'origine. Le migrant transmet en tête
à tête son message, ses recommandations, devrait-on plutôt
dire, par le contact direct par la parole à un autre migrant souvent
habitant la même ville, le même village ou encore le même
quartier qui effectue un voyage au pays. A son arrivée au
Sénégal, ce dernier rencontre le destinataire du message avant de
lui transmettre en face à face et de vive voix le message que lui a
confié son auteur. La rencontre entre le porteur du message et le
destinataire se fait généralement par le contact direct et dans
un cadre chaleureux. Des relations d'amitié ainsi que des relations
sentimentales peuvent parfois se nouer à travers ce contact physique.
L'authenticité du message transmis verbalement court cependant le risque
ou la
95
probabilité de subir des déformations de la part
de l'intermédiaire chargé d'effectuer sa transmission.
Néanmoins, malgré les inévitables pertes que peuvent subir
la transmission de l'information par un intermédiaire, le contact
physique par le bouche à oreille reste encore très
apprécié par une large frange des migrants
sénégalais, notamment les migrants commerçants et les
femmes.
Pour mes interlocuteurs commerçants, les relations
commerciales qui les lient entre eux sont fortement structurées sur le
principe du marchandage, de la négociation. Les rencontres face à
face ou les contacts directs sont en effet indispensables pour négocier
les meilleurs prix, évaluer de visu la qualité des marchandises
et obtenir un accord concernant les modalités de paiement. De plus,
comme le souligne Paul Claval, « les relations face à face, les
contacts sont indispensables à certaines niveaux des circuits de
communication, lorsqu'il convient d'évaluer les risques d'une
décision économique par exemple ». Rappelons-nous de ce
commerçant établi à Bordeaux complètement
désorienté pour avoir recouru au service de la SERNAM afin de se
faire livrer les marchandises commandées à son grossiste
basé à Paris au lieu d'être allé lui-même les
récupérer. Il prétexta d'abord une erreur au niveau des
marchandises livrées avant de reconnaître le manque ressenti de ne
pas s'être rendu lui-même chez son grossiste où il pouvait
discuter de vive voix avec ce dernier, rencontrer d'autres commerçants,
avoir des nouvelles du pays, s'enquérir de la situation des autres
membres de la communauté, de l'état du marché, en somme
palabrer des sujets les plus sensibles (politique, économique et sociale
du pays d'origine) comme des plus banals (grandes affiches des combats de
lutte, matchs de football) dans un cadre cordial et chaleureux. On peut dire
que pour de nombreux commerçants, les boutiques des grossistes sont de
véritables lieux de vie, des points de rencontre et d'échange
avec d'autres commerçants et même parfois avec des interlocuteurs
variés au sein de la communauté sénégalaise de
France. C'est là où se déroulent
généralement les rencontres au moment des négociations
décisives.
De façon générale, les messages transmis
verbalement restent encore le plus souvent l'apanage des femmes qui confient de
temps en temps des effets à des compatriotes s'apprêtant à
se rendre au Sénégal. Elles profitent ainsi de leurs amies
voyageuses pour transmettre toutes sortes de messages à leur famille au
Sénégal.
C'est le cas de N. G. habitant à Paris et son amie S.
D. résidant à Lille. Ces deux jeunes femmes âgées
d'une quarantaine d'années se connaissent depuis le lycée
où elles
96
ont noué de solides relations d'amitié. N. G.,
dont le mari est cadre dans une banque française, se rend
régulièrement au Sénégal, notamment pendant les
fêtes de fin d'année, de Tabaski ou autres. A la veille de chaque
voyage, son amie S. D. fait le trajet Lille/Paris pour lui amener quelques
affaires destinées aux membres de sa famille au Sénégal.
Pour S. D., c'est aussi l'occasion de confier à son amie des messages
qui seront ensuite transmis à sa mère ou à un autre membre
de sa famille établis à Dakar.
Il en va de même de B. S. et R. D., deux
étudiantes à la faculté de médecine de Toulouse. B.
S. se rend régulièrement au Sénégal car ses parents
disposent de moyens financiers permettant de lui payer des voyages. Par contre,
R. D., issue d'une famille plus modeste, doit se débrouiller pour
financer ses études, subvenir à ses besoins et envoyer une partie
de ses économies à ses parents au Sénégal. Ce
qu'elle parvient à faire à travers les petits boulots
effectués dans des structures médicales
spécialisées de l'agglomération toulousaine. Ainsi,
à chaque fois que B. S. se rend au Sénégal, R. D. en
profite pour lui remettre quelques bagages et lui confier des messages
destinés à sa mère.
Le bouche à oreille permet de véhiculer les
informations sensibles, les messages qui ne peuvent être habituellement
confiés qu'à des confidents. C'est un gage permettant d'assurer
une bonne circulation des ressources financières. Taxé souvent de
véhiculer davantage d'informations négatives que positives dans
les sociétés modernes, le bouche à oreille reste encore un
moyen de communication très largement répandu dans les
sociétés africaines ancrées dans des traditions
d'oralité et en marge de la modernité. La circulation de
l'information par la médiation contribue à la qualité
relationnelle indispensable pour le bon fonctionnement des relations entre les
individus réunis au sein des réseaux. La nécessité
de rencontrer ses interlocuteurs et d'établir un contact direct avec
eux, le besoin d'entretenir des discussions face à face occupent encore
une place centrale dans les pratiques de communication de la diaspora
sénégalaise. Après le bouche à oreille, le courrier
apparaît comme un moyen essentiel pour communiquer avec les proches
restés dans le pays d'origine.
97
2.1.2 La lettre a été le principal moyen
permettant de communiquer à distance avec la famille avant de
connaître un net recul
D'après les témoignages recueillis auprès
de 73 personnes interrogées au cours de nos recherches de terrain en
France (22), en Italie (16), en Belgique (9) et au Sénégal (26),
la lettre a été probablement jusque vers le milieu des
années 1990 le moyen privilégié des migrants
sénégalais de donner des nouvelles à leurs familles et
d'en recevoir d'elles en retour. On peut dire en fait jusqu'à
l'avènement et la démocratisation du téléphone
mobile. Le contenu de la lettre envoyée par le migrant était
généralement des renseignements sur son état de
santé, sur sa situation professionnelle. Le contenu de la lettre
manuscrite pouvait d'une certaine manière refléter ou les
réussites du migrant ou bien encore ses angoisses et ses incertitudes.
Dans tous les cas, le migrant profitait des lettres envoyées pour
solliciter les prières des parents. Il en profitait aussi pour
transmettre des salutations à tous les membres de la famille, les
parents, les grands-parents, les frères et soeurs, les oncles et les
tantes, les cousins et les cousines, les amis d'enfance du quartier, bref tout
le monde sans exception. Inversement, le contenu de la lettre envoyée
par les parents de l'émigré portait surtout sur des
événements heureux ou tristes arrivés au sein de la
famille. C'était aussi des sollicitations diverses notamment des
demandes d'aides financières. C'était également l'occasion
de rappeler au migrant d'entreprendre des démarches pour faire venir
à ses côtés un membre de la famille le plus rapidement
possible. Les lettres pouvaient par ailleurs être rédigées
soit en français, soit écrites en wolof ou bien encore en
arabe.
Il faut en outre souligner que le rythme de ces
correspondances épistolaires était alors
caractérisé par une faible fréquence. Les délais
d'acheminement étaient en effet relativement longs. Les lettres
pouvaient mettre des mois (parfois jusqu'à deux mois) voire au mieux des
semaines (deux à trois semaines) avant de parvenir à leurs
destinataires. De même, il arrivait régulièrement que le
courrier se perde en cours de route et n'arrive donc jamais à
destination. Dans les premiers temps de la migration sénégalaise,
le courrier était expédié au Sénégal
essentiellement en provenance de la France et aussi de quelques pays africains
comme la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Cameroun, le Zaïre actuel
République Démocratique de Congo, etc.
Généralement, les lettres étaient acheminées soit
par voie postale, soit par l'intermédiaire d'un autre migrant effectuant
un voyage au Sénégal.
98
M. M. G., âgé d'une quarantaine d'années,
est originaire du village de Dondou situé dans la région de Matam
au Nord-est du Sénégal, il habite actuellement le quartier
populaire de Niary Tally à Dakar. Frigoriste de formation, M. M. G.
rejoint sa soeur à Paris en 1992. Deux ans après, il se rend en
Italie. Il a vécu pendant dix ans à Parme où il se livrait
essentiellement à la vente de sacs, de ceintures et de montres. Chanceux
et doté d'un bon sens des affaires, il parvient à amasser au bout
de quelques années une bonne somme d'argent avant de prendre la
décision de rentrer au Sénégal pour se marier et
s'installer à son propre compte, en reprenant son ancien métier
de frigoriste. Il prit l'initiative d'utiliser une bonne partie de ses
économies dans l'achat de réfrigérateurs neuf et
d'occasion auprès d'un Sénégalais installé en
Allemagne qui lui avait été recommandé par une de ses
connaissances. Mais ce dernier lui fera parvenir des
réfrigérateurs de mauvaise qualité. M. M. G. se fera
ensuite escroqué par son transitaire. Au moment de notre entretien en
2004, il cherchait les moyens de repartir en Italie ou de se rendre en Espagne
ou au Portugal. Plus tard, son frère nous a appris que M. M. G. est
reparti de nouveau en France où il a rejoint sa soeur depuis 2009. Au
cours de notre entretien, M. M. G. nous a expliqué toutes les
péripéties qui jalonnent l'itinéraire de la lettre
postée par les migrants originaires de Dondou jusqu'à leur
réception par leurs destinataires et leur lecture.
« A Dondou, il n'y a toujours pas de bureau de poste.
Le courrier arrive à la poste de la ville de Matam qui est par ailleurs
le chef-lieu de la région. D'habitude, les habitants du village
demandent à un des leurs d'aller récupérer le courrier. La
distribution se déroule au marché à proximité de la
place qui sert de lieu de rencontre, de discussion et de repos aux anciens.
Dans le cas où l'identité du destinataire est inconnue de
l'assistance, alors on se tourne vers les anciens qui, dans la plupart des cas,
connaissent les différentes familles qui composent le village. Ainsi
dans la distribution du courrier, les anciens jouent le rôle «
d'agents de renseignements » ou « d'indicateurs ». On choisit
dans l'assistance une personne sachant lire et écrire en français
pour qu'elle vienne faire la distribution du courrier. Le courrier est
récupéré à Matam et acheminé à Dondou
par voie routière pendant la saison sèche, et par voie fluviale
au moment de la saison des pluies. Mais durant la saison des pluies qui est
également la période des vacances scolaires, ce sont la plupart
du temps les élèves en classes de secondaire rentrés au
village pour les vacances qui font office de lecteur et d'écrivain. Les
plus brillants d'entre eux deviennent alors des sortes d'écrivains
publics. Ils sont très souvent sollicités par les familles pour
écrire des lettres aux parents migrants ».
99
La situation est quasiment semblable dans les autres
localités éloignées du pays. Seulement là où
il y a la présence d'un facteur, il est fréquent que ce dernier
remplisse également la fonction de lecteur. A la demande du
destinataire, le facteur peut éventuellement lire la lettre avant de
poursuivre la distribution du reste du courrier. Toutefois, il arrivait parfois
que le lecteur ne maîtrise pas très bien le français. Aussi
se posaient souvent des difficultés pour déchiffrer correctement
le contenu de la lettre, en somme de sérieux problèmes
d'interprétation. Le message contenu dans la lettre pouvait souvent
être modifié ou dénaturé. D'autre part du fait de
l'éloignement du bureau de poste, certains devaient parcourir de temps
en temps plusieurs kilomètres (plus de 40 km parfois) à
bicyclette pour envoyer ou recevoir une lettre à la poste. Les
correspondances écrites permettaient aux migrants d'être
informés de tout ce qui se passait au sein de la famille restée
au Sénégal, mais souvent à des intervalles longs. Les
lettres à l'époque témoignent aussi de leur utilisation
comme moyen permettant d'effectuer des transferts d'argent, avec tous les
risques de détournement de la part des agents de la poste.
Afin de permettre à leurs parents de ne plus parcourir
des distances éreintantes pour retirer leurs courriers ou percevoir
leurs mandats, les migrants ont été à l'origine de la
construction de la plupart des bureaux de poste dans certaines zones du pays
comme la vallée du fleuve Sénégal. Par ailleurs, en cas de
mauvaise conduite en France (par exemple refus de participer aux cotisations
pour le fonctionnement des caisses villageoises, conduite déviante des
plus jeunes, etc.), les aînés en France écrivaient des
lettres manuscrites pour demander aux chefs de village de prendre des sanctions
à l'encontre des fautifs et de leurs familles. De leur
côté, pendant les périodes difficiles, les chefs de village
envoyaient des lettres en France pour solliciter l'assistance des responsables
des caisses servant à collecter les cotisations des migrants. Dans les
premières périodes de la migration jusqu'à
l'avènement récent du téléphone mobile et de
l'Internet, la lettre a été le principal moyen utilisé
dans le maintien des liens avec le pays d'origine. A présent, il faut
bien constater que l'utilisation du courrier connaît de nos jours un net
recul.
Toutefois, il apparaît, à travers certains
témoignages recueillis, que le courrier reste encore un
élément essentiel dans la prospection d'emploi vers le pays
d'origine. Nous citerons par exemple les cas de M. S., âgé de 36
ans, résidant à Bordeaux et travaillant dans une entreprise de
télécommunication privée et sa femme D. B.,
âgée de 28 ans et
100
étudiante en médecine à Bordeaux qui
affirment rédiger et envoyer des courriers administratifs vers le
Sénégal dans la perspective de trouver un emploi pour un retour
définitif au pays. Tel est le cas également de A. S,
âgé de 32 ans et salarié dans le privé et I. D.,
âgé de 31 ans et étudiant à Nanterre.
Rencontrés à Paris où ils habitent tous les deux, A. S. et
I. D. expriment leur forte volonté de retourner définitivement
dans leur pays d'origine dès qu'une proposition sérieuse d'emploi
leur sera faite. Pour eux, le courrier reste encore un moyen très
pratique pour envoyer des CV et des demandes d'emploi.
Il faut quand même souligner que le désir de
retour définitif au pays reste une préoccupation largement
partagée par bon nombre de migrants. A ce propos, Thomas Guignard
attirait d'ailleurs l'attention sur le fait que 75% des
Sénégalais qu'il avait interrogés « disent vouloir
revenir au Sénégal quand on les questionne sur leurs projets pour
l'avenir. Ils ne sont que 10% à vouloir rester en France et 7% des
répondants désirent partir en Amérique du
Nord71 ». A côté de la lettre, il y avait aussi
l'utilisation des cassettes audio.
2.1.3 Les cassettes audio, un moyen de communication
apprécié par les migrants analphabètes
L'enregistrement des cassettes audio était
également largement répandu auprès des migrants
analphabètes en particulier, c'est-à-dire auprès de
certains migrants ne sachant pas lire et écrire en français. Le
migrant mettait une cassette dans une radiocassette ou dans un walkman
où il enregistrait son message. La cassette était ensuite mise
dans une enveloppe avec toutes les coordonnées du destinataire avant
d'être expédiée par voie postale ou d'être
acheminée par l'intermédiaire d'un autre compatriote migrant se
rendant au Sénégal. Généralement, l'audition de la
cassette par la famille du migrant se fait de manière collective
à travers un magnétophone ou une radiocassette. Selon un de mes
interlocuteurs mandjacks rencontrés dans le quartier de Grand Yoff
durant son séjour à Dakar en juillet 2005, l'utilisation des
cassettes audio comme moyen de
71 GUIGNARD, Thomas, 2002, Internet au
Sénégal : une émergence paradoxale. Lille :
Université Charles-de-Gaule : Lille 3 : 2002 : 180 p. Mémoire de
DEA : Sciences de l'information et de la communication sous la direction de
FICHEZ, Elisabeth.
101
communication est, paraît-il, une pratique encore
courante dans les milieux des migrants sénégalais mandjacks.
C'est parce que, estime-t-il, beaucoup d'entre eux sont analphabètes,
ils sont de ce fait obligés de faire appel à un écrivain
ou à un lecteur. Mais en recourant à un intermédiaire, ils
sont préoccupés par l'idée de voir leur message subir des
modifications ou être dénaturé. Le mot qui revient toujours
pour expliquer leurs réticences à envoyer des lettres est le
manque de confiance dans les personnes chargées de les écrire.
Par contre, dans les cassettes audio enregistrées, il y a au moins
l'assurance d'entendre la voix d'une personne connue, c'est-à-dire une
voix familière. En outre pour les migrants comme pour les familles, il
est possible de véhiculer à travers les cassettes audio des
messages intimes, confidentiels et secrets dont l'audition peut se faire en
toute quiétude et dans la solitude avec un baladeur.
2.2 Le fax, un instrument utilisé pour les
démarches
administratives et les affaires économiques
Le fax ou télécopie est un instrument de
communication utilisé surtout par les migrants commerçants. Les
documents transmis par fax sont essentiellement des documents administratifs et
aussi des documents relatifs aux besoins de leur profession. En effet, les
quelques migrants commerçants utilisant le fax sont déjà
ceux qui maîtrisent au moins un peu le français et qui ont
naturellement un volume d'activités nécessitant non seulement un
recours considérable aux services de l'administration autant du pays
d'installation que du pays d'origine, mais aussi au service des
différents fournisseurs et clients. De ce fait, le fax est un outil
utilisé notamment pour s'informer auprès de ces derniers et aussi
pour les informer de l'arrivée de nouvelles marchandises. Il permet en
outre de négocier les prix et de se renseigner sur les
possibilités et opportunités permettant de réaliser des
affaires ou des coups intéressants. Ainsi, après le
téléphone, l'appareil de télécopie est certainement
l'instrument de communication le plus répandu dans les boutiques des
migrants commerçants sénégalais. Même si la plupart
de ces derniers avouent recourir rarement au fax, ils reconnaissent
néanmoins son utilité dans la gestion de la comptabilité
et des commandes, dans la négociation des prix avec les producteurs, et
aussi pour ceux qui sont en France principalement, dans l'établissement
de correspondances et la sollicitation de documents administratifs
auprès de la Direction
Disponible sur :
http://www.osiris.sn/IMG/pdf/InternetSenegalGuignard-3.pdf
102
Départementale du Travail, de l'Emploi et de la
Formation Professionnelle (DDTEFP), de la Préfecture, de la
Sécurité Sociale, de la Caisse d'Allocations Familiales (CAF) et
des Banques. D'autre part, pour ceux qui possèdent des affaires et
gèrent des investissements au Sénégal, le fax est aussi
utilisé pour donner des ordres d'achat et de paiement à leurs
correspondants et hommes de confiance au Sénégal.
En réalité, le fax est un instrument de
communication relativement peu utilisé par les commerçants
sénégalais. Car comme le souligne Serigne Mansour Tall,
l'analphabétisme est aussi un obstacle majeur. Les documents à
envoyer par télécopie doivent être rédigés
alors que beaucoup de migrants ne savent pas lire si ce n'est en arabe.
Même dans le cadre d'échanges par fax, le migrant reçoit
plus qu'il n'envoie de documents préférant répondre par
téléphone aux fax reçus72 ».
2.3 La télévision, le
magnétoscope, le caméscope et aussi les
cassettes vidéo et les DVD, pour rester au
diapason de la vie
sociale et culturelle du pays d'origine
Pour les migrants sénégalais, ces technologies
audiovisuelles leur permettent en effet de ne pas être
complètement coupés et déconnectés des
réalités sociales, culturelles et religieuses du pays d'origine.
Elles leur permettent de vivre ici en temps réels certains
évènements ayant eu lieu là-bas. Mariages, baptêmes,
départs et retours pour le pèlerinage à la Mecque,
certaines fêtes religieuses comme la Tabaski, la Korité, le Magal,
le Gamou, etc. Ces technologies d'information et de communication leur offrent
aussi la possibilité de visionner les clips de musique et danses du
Sénégal, et aussi les productions des troupes
théâtrales sénégalaises enregistrées sur
cassettes vidéo ou sur DVD pour être regardées par les
migrants. L'on relèvera à ce propos avec Serigne Mansour Tall que
leurs visualisations, qui se font généralement de manière
collective entre membres d'une même famille, ressortissants de la
même localité ou amis rencontrés sur le lieu de migration,
sont indéniablement des moments de socialisation, de communion, de rire
et de détente. A ce titre, la télévision peut
s'avérer un puissant agent permettant de dynamiser le lien social dans
le pays d'installation. Ces moments sont également pour les
103
migrants des occasions de se livrer à une radioscopie
ou d'étaler certaines tares qui gangrènent encore à
l'heure actuelle la société sénégalaise. Ce qui
peut, dans certains cas, provoquer des discussions assez houleuses
parfois73.
D'autre part, selon Pape Demba Ndiaye, directeur artistique de
la troupe théâtrale Daraay Kocc74, les
téléfilms réalisés par le groupe sont surtout
vendus et achetés en France, en Italie et aussi dans les autres pays
où se trouve une forte colonie sénégalaise. Il ajoute que
les Sénégalais, ayant plus de moyens financiers et donc acheteurs
potentiels de leurs productions, se trouvent quasiment tous hors du pays. Donc,
il s'avère nettement plus intéressant pour eux de commercialiser
d'abord leurs productions auprès de ces gens-là, et plus tard
soit trois à quatre mois après de les donner à la
télévision nationale, la RTS. C'est d'ailleurs la raison pour
laquelle la plupart des téléfilms qui sortent maintenant sur DVD
sont regardés en priorité par les migrants. Ces DVD sont ensuite
ramenés, la plupart du temps, au pays au moment des vacances afin
d'être aussi vus par les autres membres de la famille.
L'intérêt et l'importance de ce marché ont suscité
naturellement l'émergence et la convoitise de migrants
sénégalais producteurs et distributeurs de
téléfilms sénégalais dans des pays comme la France
et l'Italie. C'est le cas par exemple de Lampe Fall Productions, une structure
basée à Château Rouge dans le 18ème
arrondissement de Paris et spécialisée dans la production et la
distribution de cassettes, de CD et de DVD africains et plus
particulièrement sénégalais. En outre,
72 TALL, Serigne Mansour. Les
émigrés sénégalais et les nouvelles technologies de
l'information et de la communication. In Diop Momar Coumba (Dir.). Le
Sénégal à l'heure de l'information. Paris : Karthala,
2002.
73 Les migrants dénoncent, pour la plupart,
les gaspillages qui se déroulent dans certaines cérémonies
de mariages ou de baptêmes au Sénégal. Cette condamnation
est encore plus ferme quand c'est un migrant qui célèbre son
mariage ou la naissance de son enfant. Au cours de ces
cérémonies, les femmes des deux familles organisent vers la fin
de la journée, une séance de remise de dons, autour d'un cercle.
C'est alors l'occasion de faire l'étalage indiscret de sa richesse et de
procéder à des dons faramineux en argent, bijoux et autres
parures, en tissus, etc. Ces dons sont remis, le plus souvent de façon
ostentatoire, aux griottes, debout au centre du cercle, qui doivent hurler
à haute voix pour que le nom de la donatrice, la nature du ou des don(s)
et la ou les destinatrice(s) soient connus de toute l'assistance.
74 Daraay kocc signifie l'école de Kocc
(Kocc Barma Fall est un philosophe sénégalais
célèbre pour ses quatre touffes de cheveux et ses
réflexions qui servent encore de références aux jeunes
générations). Daraay kocc et Diamono Tey sont les plus anciennes
troupes de théâtre au Sénégal. D'autres groupes sont
apparus par la suite, notamment Bara Yeggo de Saint-louis, les troupes Jankeen
et Soleil Levant de Thiès, etc. Le groupe Daraay kocc a sorti un
téléfilm, Ibra italien, qui a eu un succès populaire aussi
bien au Sénégal qu'auprès de la communauté
sénégalaise à l'étranger. Ce téléfilm
montre de façon un peu satirique la recherche effrénée de
nombreuses familles sénégalaises afin de trouver un
prétendant migrant et en possession d'une grosse fortune pour marier
leurs filles. En effet, le rêve de la plupart des jeunes femmes
sénégalaises à la quête d'un mari est de convoler en
justes noces avec leurs compatriotes résidant en France, en Italie ou en
Espagne ou bien encore ceux établis aux Etats-Unis et au Canada qu'elles
considèrent comme les perles rares à dénicher par tous les
moyens.
104
comme le souligne également Serigne Mansour Tall, il
existe même maintenant des troupes folkloriques qui se sont tout
simplement spécialisées dans la production de
téléfilms sur supports vidéo et de plus en plus sur
supports DVD, et dont les productions artistiques ciblent uniquement le
marché des Sénégalais de l'extérieur. En France,
ces cassettes et ces DVD s'achètent plus particulièrement dans
les quartiers du 18ème arrondissement de Paris, notamment
Barbès, la Goutte d'Or et Château Rouge. En Italie, les
Sénégalais pouvaient se les procurer surtout à la
résidence Préalpino à Brescia et aux Etats-Unis sur la
116ème avenue à New York, indique Serigne Mansour Tall.
On peut donc considérer ces outils audiovisuels
d'information et de communication comme des moyens permettant ainsi aux
migrants de combler le déficit social et culturel lié à la
séparation géographique. Ils fonctionnent par conséquent
comme des sortes de régulateurs sociaux et culturels pour ces
perpétuels nostalgiques. Certains migrants arrivent à capter via
le satellite la télévision nationale RTS à partir de leurs
pays d'installation. En effet, à l'image des communautés
maghrébines et turques en France, la communauté
sénégalaise parvient à capter certaines chaînes de
télévision diffusées depuis Dakar. Ces migrants,
illettrés pour la plupart, sont souvent très renfermés sur
eux-mêmes. Leurs rapports avec leur pays d'installation sont, par
conséquent, des rapports très distendus qui ne se limitent
généralement qu'au travail et qu'au gîte qu'ils leur
permettent de trouver. Ils tentent alors par de multiples bricolages ou
à travers diverses stratégies de se créer leur «
petit Djollof »75 ou « little Sénégal
»76.
Aujourd'hui, observe Serigne Mansour Tall, toutes les
cérémonies familiales au Sénégal sont quasiment
filmées systématiquement avant d'être enregistrées
sur supports vidéo ou DVD et acheminés, de surcroît, par
avion jusque dans les pays de résidence des migrants. Ces
cérémonies constituent pour les femmes
sénégalaises, notamment les célibataires, des occasions de
porter leurs plus belles tenues, de mettre de jolies parures, de faire de
belles coiffures afin d'être les plus coquettes possibles et se faire
remarquer éventuellement par les migrants. De ce fait, on constate,
à l'instar de Serigne Mansour Tall, que ces cassettes vidéo et
ces DVD fonctionnent désormais comme de véritables « agences
matrimoniales audio-visuelles ». Les visionner en groupe permet aux
migrants
75 Djollof est le nom d'un grand royaume, dont la
population est à majorité wolofs, qui a dominé les
provinces de la Sénégambie du 13eme au
16eme siècle. Ce terme est fréquemment utilisé
par les Sénégalais pour désigner le
Sénégal.
105
sénégalais de France, d'Italie, d'Espagne et des
Etats-Unis de découvrir les filles célibataires à marier
au Sénégal depuis leur pays de résidence. C'est ainsi que
d'ailleurs bon nombre d'entre eux ont trouvé celles qui sont devenues
leurs épouses ou encore leurs deuxièmes ou troisièmes
épouses.
Soulignons qu'il n'est pas rare de trouver des migrants
équipés d'antennes paraboliques et de décodeurs permettant
la réception par satellite de multiples chaînes de
télévision dont certaines chaînes de
télévision sénégalaises. Au moment de nos
enquêtes, nous avions rencontré plus de migrants
sénégalais équipés de ces antennes au sein de la
communauté sénégalaise en Italie qu'en France. Aujourd'hui
en France, des opérateurs comme Free, via la Freebox, ou Neuf
Télécom, via Neufbox, intègrent dans leurs offres des
services de télévision sur ADSL permettant d'accéder
à plus d'une centaine de chaînes de télévision
françaises et étrangères. Au moment où Cheikh
Guèye observe et considère la prolifération des paraboles
dans la ville de Touba comme l'ouverture de la société mouride
vers l'extérieur, on remarque que leur utilisation par les mourides au
sein de la diaspora sénégalaise traduit leur volonté de
procéder à un recentrage vers le pays d'origine en
général et la ville de Touba en particulier.
2.4 Worldspace, la radio de l'interactivité et
de la téléprésence
Pour les migrants sénégalais, la radio est non
seulement un moyen exceptionnel d'information mais aussi un moyen efficace de
communication. Worldspace a été, avant son cryptage en avril
2004, la radio qui permettait à de nombreux migrants
sénégalais à travers le monde de s'informer
quotidiennement sur l'actualité de leur pays d'origine, et aussi de
participer au dialogue citoyen au pays à travers notamment les
émissions interactives.
Selon Elhadj Bécaye Mbaye, ancien journaliste à
la radio Wal Fadjri FM77, cette dernière a été
l'une des premières radios privées dans le paysage
médiatique sénégalais à
76 Little Sénégal est le titre du
film du réalisateur français d'origine algérienne Rachid
Bouchareb. C'est une enclave de Harlem où se côtoient
différents vagues de migrants, parmi lesquels de nombreux
Sénégalais qui tentent leur chance dans un climat hostile. Film
sorti dans les salles de cinéma le 18 Avril 2001.
77 Wal Fadjri FM, créée en
décembre 1997, appartient au groupe de presse Wal Fadjri
Téléservices S.A. Le Groupe possède également un
journal quotidien, Walfadjri l'Aurore, et des studios de production et
fabrication. Depuis le 07 décembre 2004, le Groupe a ouvert de nouvelles
antennes, notamment à Ziguinchor, Thiès, puis Tambacounda, Louga
et Kaolack. Des stations ont été créées
récemment au cours
106
ouvrir son antenne à ses auditeurs. Ladjou
Beuss Bi (expression wolof qui signifie « la question du
jour »), l'émission interactive de Wal Fadjri FM a
été lancée à la veille des élections
présidentielles de 2000 au Sénégal. Ladjou
Beuss Bi reste avec Wakh Sa Khalat (expression wolof
signifiant « donner son avis, son opinion, son point de vue ») de la
radio privée Sud FM78, Kadou Askanwi (expression
wolof qui veut dire « la parole du peuple » ou « l'expression
populaire ») de la radio privée RFM79 et Pencum
Ndamal Kocc (qui signifie en wolof « lieu de palabres ou de
discussions » ou encore « la tribune des enfants de kocc ») de
Mame Diarra Ngom sur la radio nationale RTS, les émissions interactives
les plus populaires. Après le journal de 17h00 GMT, du lundi au
vendredi, Wal Fadjri FM et Sud FM donnent la parole aux auditeurs pour qu'ils
puissent donner leurs avis sur l'évènement marquant de
l'actualité du jour. Le thème du débat est choisi au
préalable par le journaliste, chargé aussi de canaliser les
interventions des auditeurs. Sud FM ouvre son antenne aussi après le
journal de 21h00 GMT. L'émission interactive de RFM a lieu quant
à elle du lundi au vendredi à la fin de la présentation du
journal de 16h30 GMT. Pencum Ndamal Kocc, diffusée du lundi au
jeudi, de 11h05 GMT à 12h00 GMT ouvre son antenne plus
particulièrement « aux Sénégalais de
l'extérieur et aux travailleurs émigrés en les
replaçant dans l'ambiance et la situation de "grand place". Les
auditeurs (pour l'essentiel des migrants modou modou) interviennent au
cours de l'émission : questions/réponses, jeux et blagues sont au
programme ». A part quelques rares cas de dérives verbales, la
plupart des intervenants parviennent, d'une manière
générale, à dire ce qu'ils ont à dire dans les
limites de la courtoisie et de la décence. Lamp Fall FM a
également dans ses programmes des émissions interactives qui
connaissent une forte participation des migrants. Il s'agit des
émissions Yor Yoru Touba ( expression wolof qui veut dire
« matinée de Touba ») du lundi au vendredi de 10h00 GMT
à 12h00 GMT, de NGontou Mame Diarra (c'est une émission
consacrée à la vie et à l'oeuvre de Sokhna Mame Diarra
Bousso, la mère de Cheikh Ahmadou Bamba) le mercredi de 15h00 GMT
de l'année 2005. Il s'agit de Walf FM 2, une
chaîne à vocation religieuse, et de Walf FM 3, une chaîne
à vocation musicale
78 Sud FM est la première radio
privée commerciale au Sénégal. Filiale du Groupe Sud
Communication, Sud FM jeta les jalons du pluralisme médiatique au
Sénégal, au lendemain de son inauguration par l'ancien
président de la république, Abdou Diouf, le 1er
juillet 1994. Le groupe, particulièrement dynamique dans le domaine de
la communication, assure à la fois la publication d'un journal papier
quotidien (Sud Quotidien), la création d'une école de Journalisme
et de Communication, l'ISSIC (l'Institut Supérieur des Sciences de
l'Information et de la Communication), et aussi d'une Maison de production
audiovisuelle, Sud Prod Senvision S.A.
79 RFM (Radio Futurs Médias) fait partie du
Groupe Futurs Médias qui est aussi le propriétaire du journal
l'Observateur. Apparue dans l'espace radiophonique sénégalais le
1er septembre 2003, RFM a fait une percée extraordinaire dans
le paysage médiatique sénégalais.
107
à 17h00 GMT et Kham Sa Diné (signifie
en wolof connaître sa religion) le vendredi de 15h00 GMT à 17h00
GMT.
Avec Worldspace, la distance géographique ne constitue
plus véritablement un obstacle pour écouter en direct les
émissions radiophoniques diffusées depuis le
Sénégal. Créé en 1990 par Noah Samara80,
le système Worldspace est un système de satellites de forte
puissance permettant de recevoir à travers le monde entier les
programmes en qualité numérique de certaines radios locales,
notamment la radio d'État et quelques radios privées commerciales
sénégalaises. Trois satellites géostationnaires, mis en
orbite à 36.000 km de la terre et couvrant l'Afrique (AfriStar), l'Asie
(AsiaStar) et l'Amérique du Sud (AmériStar), captent directement
les programmes diffusés par ces radios et les transmettent à des
récepteurs individuels WorldSpace fonctionnant sur piles ou sur secteur
et pouvant être fixes, portables ou embarqués81.
Les satellites AfriStar et AsiaStar ont été
respectivement lancés le 27 octobre 1998 et le 21 mars 2000 par la
fusée Ariane depuis la base de Kourou en Guyane française. Le
troisième satellite AmériStar a été lancé
vers la fin de l'année 2001. Situé à 21° Est,
AfriStar recouvre tout le continent africain (du Cap au Caire en passant par
Dakar et Addis-Abeba) et le Moyen-Orient. Asiastar, à 105° Est,
recouvre tout le Sud-est asiatique de l'Inde à l'Indonésie, en
passant par la Chine et le Japon. Enfin AmériStar, à 95°
Ouest, touche l'Amérique centrale (dont le Mexique), les Caraïbes
(dont Cuba, Jamaïque et Martinique) et toute la zone
latino-américaine, de la Colombie jusqu'en Argentine, en passant par la
Guyane, le Chili et le Brésil.
La radio satellitaire Worldspace a fait une percée
extraordinaire auprès des migrants modou-modou et aussi
auprès des migrants travailleurs peu ou pas qualifiés qui l'ont
largement adopté. Son coût relativement élevé dans
le budget d'un étudiant, entre 100.000 francs CFA et 60.000 francs CFA
soit les équivalents de 152 euros et 91 euros, a certainement pu
constituer un frein à son adoption. C'est en 2002 que la radio
privée commerciale, Wal Fadjri, et la radio nationale, RSI-RTS (Radio
Sénégal International - Radio Télévision du
Sénégal), commencent à diffuser leurs programmes sur le
bouquet
80 Noah Samara est le Président-Directeur
Général de la compagnie Worldspace, basée à
Washington. Cet américain, d'origine soudano-éthiopienne, est le
fondateur de la première radio numérique mondiale.
81 Worldspace : radio numérique par
satellite,
http://www.europsatellite.com/worldspa/ws.htm.
Site web consulté le 04 juillet 2005. WorldSpace est aussi
qualifié par certains de radio numérique planétaire ou de
radio numérique du 21e siècle.
108
Worldspace. Ces radios seront ensuite rejointes par d'autres
radios privées sénégalaises, en particulier Sud FM et 7 FM
tout d'abord, et plus tard par Lamp Fall FM et RFM. Worldspace a apporté
des changements remarquables dans le quotidien des migrants
sénégalais qui en avaient fait l'acquisition. En leur permettant
non seulement de pouvoir écouter tous les jours en direct les
émissions musicales, sportives, sociales, religieuses et politiques de
ces radios locales, mais aussi de pouvoir donner leurs opinions sur la
situation politique, économique et sociale du Sénégal.
Dans ces conditions, le système Worldspace a certainement
été, pour eux, un vrai palliatif au dépaysement et
à la nostalgie, mais aussi un vrai espace de participation citoyenne
ainsi que de liberté. Tout en étant ici et ailleurs,
c'est-à-dire à l'étranger, le migrant est même
parfois mieux informé sur la situation actuelle du pays que ceux qui
sont là-bas et y vivent tous les jours. L'éloignement physique
tend dans un sens à devenir une proximité informationnelle. Les
journaux parlés dans les langues nationales, notamment le wolof, sont
alors suivis avec une certaine régularité surtout en
hiver82.
Pour ces migrants, dont la grande majorité est
très faiblement alphabétisée en français, la radio
satellitaire Worldspace a permis à ceux qui ne pouvaient pas
accéder et utiliser Internet d'avoir la possibilité
d'accéder autrement et instantanément aux informations relatives
à l'actualité du pays d'origine (S. Dia, 2002 et C. Guèye,
2003. Ainsi, Worldspace, en créant un système d'écoute
collective, contribue également à démocratiser
l'accès à l'information et participe de ce fait à
rétablir une certaine « justice sociale » (Saidou Dia
2002).
En Italie où nous avons mené quelques
enquêtes essentiellement dans la ville de Parme, les
modou-modou, travaillant la plupart comme ouvriers dans les usines ou
« fabriques », ont des horaires de travail qui alternent une semaine
sur deux. Les horaires d'écoute varient par conséquent selon que
le migrant est de l'équipe du matin ou de celle de l'après-midi.
La radio numérique Worldspace s'était déjà
largement répandue auprès de ces migrants au cours de nos
enquêtes effectuées en 2003. Tous les migrants
enquêtés
82 Pour les migrants commerçants ambulants,
l'hiver est une période calme pour les activités. Ils passent par
conséquent beaucoup de temps dans les appartements à discuter et
à écouter ensemble la radio autour de longues séances de
thé et dans la convivialité.
109
avaient acquis la radio. En outre, la radio la plus
écoutée au moment de nos enquêtes était la radio Wal
Fadjri83.
Les radios sénégalaises ont trouvé
à travers Worldspace l'opportunité d'étendre leurs
tentacules largement au-delà des frontières nationales et aussi
de contribuer à la constitution de communautés virtuelles. Ces
dernières rassemblent en effet des migrants auditeurs installés
dans des pays différents et qui partagent la même
régularité à suivre quotidiennement les programmes d'une
radio donnée et à participer à ses émissions. Des
liens transfrontaliers ou supranationaux se constituent donc par le biais de ce
médium entre migrants sénégalais qui ne se connaissaient
pas avant et qui ne se sont jamais vus non plus. De nouveaux réseaux de
solidarité se forment entre migrants sénégalais
désormais à travers notamment les échanges en temps
réels d'informations locales (actualité sénégalaise
plus particulièrement), et aussi à travers les discussions,
permis par la radio satellitaire numérique Worldspace. Autrement dit, de
nouveaux réseaux de migrants auditeurs sénégalais par le
biais des émissions interactives ladjou beuss bi de la radio Walf FM,
Waxx Sa Xalaat de la radio Sud FM et Kadou Askanwi de la
radio RFM.
Aujourd'hui, des migrants sénégalais de divers
horizons diplômés ou peu alphabétisés voire
même pas du tout utilisent quotidiennement ces chaînes FM locales
émettant sur la « radiodiffusion satellitaire et numérique
Worldspace », notamment pour établir à distance de
manière synchrone des dialogues sur l'actualité
sénégalaise locale. C'est le cas par exemple du groupe de
commerçants rencontrés dans la commune d'Aubervilliers en
région parisienne. La particularité de ces membres, c'est leur
extrême hétérogénéité, allant du
migrant doté de plusieurs diplômes d'enseignement supérieur
au migrant ne sachant ni lire ni écrire en français. La radio
reste pratiquement allumée toute la journée en fonction des
va-et-vient des uns et des autres, notamment pour aller s'approvisionner en
marchandises ou pour se rendre sur les lieux de vente. Ces migrants utilisent
la radio Worldspace comme un nouvel espace et lieu de sociabilité. La
radio Worldspace est donc un artefact technologique qui permet aux migrants de
renforcer davantage le lien social ou l'identité communautaire. Ce moyen
d'information et de communication permet à
83 Wal Fadjri ne diffuse plus sur Worldspace depuis
avril-mai 2004, en raison notamment d'un litige qui l'oppose à son
ex-partenaire. En effet, Wal Fadjri reproche à Worldspace d'avoir rompu
unilatéralement le contrat qui les liait normalement de février
2004 à février 2005, et par conséquent de lui avoir
coupé le son. Un procès a même eu lieu entre les deux
parties le 09 mars 2005 devant la Cour arbitrale de la chambre internationale
de commerce de Paris. Pour relever le défi, le groupe a consenti de gros
investissements financiers et s'est lancé pour objectif de faciliter
l'accès à ses programmes radiophoniques aux
Sénégalais se trouvant à l'intérieur du pays comme
ceux étant à l'étranger. A présent, la radio est
désormais accessible sur satellite via Hot bird 6 et Nss7.
110
des individus vivant dans des territoires socio-temporels
différents d'intervenir à distance et de manière
instantanée dans tous les domaines de la vie sociale, politique,
économique et culturelle de la région et du pays d'origine.
Ce nouveau lieu radiophonique est un espace
dématérialisé et atemporel où des individus qui ne
sont pas dans le même espace physique peuvent communiquer directement,
échanger des informations ou autres ressources qu'ils détiennent
et nouer des relations de solidarité, d'amitié et de
fraternité. L'interconnexion transnationale radiophonique de nombreux
migrants sénégalais vivant dans des espaces géographiques
différents et parfois éloignés les uns des autres va
favoriser l'émergence de réseaux virtuels ou informatifs. Les
possibilités de communication et d'information dans ce nouvel
environnement virtuel vont entraîner l'apparition de nouveaux liens
sociaux, de nouvelles relations interindividuelles entre les auditeurs
sénégalais de la diaspora. Ces relations qui se forment à
travers ce dispositif technologique interactif offrent en outre aux migrants la
possibilité d'une "téléprésence" accrue ou un
certain don d'ubiquité.
Ces nouveaux réseaux informatifs ou communautés
virtuelles fonctionnent à partir de l'exploitation et du partage
d'informations. Ils se nourrissent en effet essentiellement de la communication
établie à travers les outils interactifs d'informations et de
communication à distance. Des individus qui ne se sont jamais vus se
parlent et interagissent directement à travers l'écran de leurs
ordinateurs ou via le téléphone (fixe ou mobile) ou sur les ondes
de leurs radios. Internet et la radio Worldspace offrent aux migrants quel que
soit l'endroit où ils se trouvent la possibilité d'une
présence virtuelle ou d'une téléaction. Ces réseaux
informatifs sont donc constitués par des migrants
sénégalais vivant dans des espaces géographiques
différents et qui interviennent habituellement sur les mêmes
stations FM diffusées sur Worldspace où ils peuvent réagir
à chaud sur tous les sujets d'actualité et certains articles sur
le Sénégal et dans le monde. Les réseaux «
worldspatiaux » se constituent à travers les échanges
relationnels et les rencontres virtuelles par le biais des émissions
radiophoniques interactives diffusées en live via la radio Worldspace.
Ces relations qui se tissent entre les usagers des outils interactifs
d'information et de communication entrent dans le cadre de nouveaux
réseaux diasporiques transnationaux.
111
Pour les migrants sénégalais, les
émissions interactives diffusées sur Worldspace, sont aussi des
occasions pour communiquer avec la famille et les amis restés au
Sénégal84. Certains migrants appellent tout simplement
pour dire qu'ils se portent bien, d'autres pour dire qu'ils pensent à
leurs familles au pays, etc. Certains en profitent également pour dire
leurs états d'âme, et aussi pour sensibiliser les autorités
sénégalaises et les candidats potentiels à
l'émigration sur les énormes difficultés de la vie
à l'étranger. Tout cela nous amène à convoquer
Michel de Certeau (1980) quand il écrit dans L'invention du
quotidien. Les arts de faire « l'homme ordinaire invente les choses
grâce aux arts de faire, ruses subtiles, tactiques de résistance
par lesquels il détourne les objets et les codes, se réapproprie
l'espace et l'usage à sa façon ». L'entrée de la
radio Worldspace dans les lieux de résidence des migrants
sénégalais a complètement bouleversé leurs
habitudes de vie et a de même énormément contribué
à les sortir de la routine quotidienne dans leur pays d'installation.
Cette tendance a été fortement confirmée au moment de nos
enquêtes notamment par l'importance des auditeurs d'une part, et par la
fréquence des écoutes d'autre part.
Cependant depuis le cryptage des radios
sénégalaises par Worldspace, le taux d'écoute et
naturellement celui de la participation des migrants aux libres antennes ont
beaucoup chuté. La radio Wal Fadjri, par exemple, a enregistré
selon le journaliste Elhadj Bécaye Mbaye, une baisse de 60%. Souleymane,
migrant modou modou en Espagne, déclare à peu
près la même chose : « dans la communauté
sénégalaise en Espagne, seulement trente personnes sur cent
environ continuent encore d'écouter Worldspace. Pour pouvoir
écouter une radio sénégalaise sur le bouquet, il faut
maintenant prendre un abonnement annuel à cent euros ». Agé
de trente ans, Souleymane vit en Espagne depuis 2003. Son bac en poche,
Souleymane s'inscrit en droit à l'université de Dakar.
Après avoir « cartouché » (terme pour évoquer
des échecs répétés à la fac au
Sénégal), il se met à faire de petits boulots, notamment
dans le commerce. C'est en 2003, au moment de la guerre en Irak qu'il
décide de se rendre en France via Dubaï, en empruntant les
filières illégales. Malheureusement pour lui, à son
arrivée en France il fut arrêté, embarqué et
expulsé manu militari vers le Sénégal à bord d'un
vol charter. Tout de suite après son retour au Sénégal, il
réussit à se procurer un visa court séjour pour l'Espagne
et parvint sans difficultés à y entrer. Depuis, il fait du
commerce
84 Certains migrants trouvent d'ailleurs que
beaucoup de migrants n'appellent dans ces émissions que pour transmettre
des salutations. Ce qui gâche l'intérêt et amoindrit la
qualité des débats la plupart du temps.
112
ambulant le jour, et la nuit il travaille comme agent de
sécurité dans une discothèque. Souleymane affirme avoir
dû payer la somme de 3.000.000 FCFA, soit environ 4573 euros pour pouvoir
venir en Espagne.
Ainsi donc, le cryptage est en train de réduire
considérablement l'éclosion et l'engouement pour cette radio qui
commençait à séduire une frange importante de la
population de migrants sénégalais, notamment en Italie, en
Espagne et en France. Ce qui fait que certains se rabattent progressivement sur
Internet qui offre également plusieurs possibilités
d'écouter gratuitement des radios sénégalaises. Depuis
quelques temps, les radios sénégalaises diffusent de plus en plus
leurs programmes sur Internet pour tenter de conquérir une audience
transcontinentale. Nous reviendrons un peu plus loin sur cette question,
notamment dans la deuxième partie de notre étude.
Ce que l'on peut en définitive dire, c'est que les
radios sénégalaises s'appuient aujourd'hui sur les nouvelles
technologies de l'information et de la communication afin de mettre en place
une communication et des informations de proximité ciblant les nombreux
migrants sénégalais disséminés à travers le
monde. Le prototype Worldspace, à travers ses performances
technologiques d'une part et avec l'apport du téléphone (fixe et
mobile) d'autre part, rapproche à présent, de façon
remarquable les migrants de leurs sociétés d'origine, et
esquissent, en outre « les contours d'un nouveau paradigme
d'échanges alternatifs planétaires ». Pour les migrants
sénégalais non ou faiblement alphabétisés,
Worldspace est non seulement une source d'informations variées en temps
réel sur le pays d'origine mais aussi un moyen de participer aux
débats citoyens, et aussi une opportunité pour donner des
nouvelles à la famille au pays.
113
114
115
Chapitre 3. Appropriation et usages du
téléphone
Inventé par Graham Bell en 1877, afin de permettre de
transmettre à distance les sons et la voix humaine et d'assurer la
liaison d'un grand nombre de personnes ou une communication de masse, le
téléphone a aujourd'hui connu des avancées technologiques
gigantesques qui, non seulement, ont complètement
révolutionné les pratiques, les manières de communiquer
des individus ou des groupes, mais ont également rendu plus proche ce
qui se trouve au loin. Les nombreux progrès techniques accomplis depuis
son invention permettent de nos jours la transmission des communications
téléphoniques soit via les satellites géostationnaires
tels qu'Intelsat, soit via les câbles sous-marins à fibres
optiques85. Depuis le milieu des années 1990, on assiste
à une diffusion de technologies pointues de communication permettant
désormais aux usagers de bénéficier de multiples modes
d'accès au téléphone. En effet, outre le
téléphone fixe, il est possible d'utiliser le
téléphone mobile ou des technologies comme Skype pour effectuer
désormais des appels téléphoniques. Mais en même
temps, leur évolution s'est accompagnée d'une baisse
significative des coûts des communications téléphoniques
aussi bien au niveau local qu'au niveau international.
Jusqu'au milieu des années 1990, le
téléphone n'était régulièrement
utilisé que par une minorité de migrants sénégalais
aussi bien dans les échanges de proximité que dans les relations
à distance. Les échanges téléphoniques
étaient très limités ou quasi rares entre les migrants et
les membres de la famille restés dans le milieu d'origine. Seuls les
migrants disposant de ressources financières régulières et
assez importantes pouvaient se permettre le « luxe » d'utiliser assez
souvent le téléphone. Il s'agissait le plus souvent des
commerçants grossistes et de certains migrants qui avaient réussi
une bonne insertion professionnelle à la fin de leurs études en
France. Par contre, les autres catégories de migrants et plus
particulièrement les étudiants utilisaient très rarement
le téléphone. Cette faible utilisation du téléphone
était liée notamment aux coûts relativement
élevés des communications téléphoniques. Cependant,
depuis la fin des années 1990, on assiste à un
85 La fibre optique est une composante essentielle
des réseaux de communication d'aujourd'hui. C'est un matériau
composé de silice et de fibre de verre. Il sert de support de
transmission à des informations véhiculées sous forme de
signal lumineux. Il transmet les informations grâce à sa
propriété de favoriser la propagation du flux lumineux. C'est un
moyen rapide et efficace de communication car les informations sont sous forme
de lumière, la matière la plus rapide connue à ce jour.
116
véritable engouement des migrants pour le
téléphone, et plus particulièrement pour le
téléphone mobile. La libéralisation quasi internationale
du secteur des télécommunications est passée par
là..., entraînant dans son sillage une diminution notable du prix
des appels téléphoniques autant au niveau local qu'au niveau
international.
Aujourd'hui, l'utilisation du téléphone s'est
largement répandue dans les milieux de la migration
sénégalaise en France. Ainsi, le téléphone est
devenu l'outil privilégié pour communiquer, s'informer,
établir des relations de voisinage voire de proximité, nouer des
liens d'amitié et professionnels, et aussi surtout pour entretenir et
renforcer les relations de longue distance avec les membres de la famille
restés dans le pays d'origine. Le téléphone est de nos
jours un outil de communication qui permet d'émettre et de recevoir de
façon simple et relativement peu coûteuse toutes sortes
d'informations. En peu de temps, le téléphone est devenu l'outil
de communication de loin le plus utilisé par les migrants
sénégalais pour le maintien et le rétablissement des liens
sociaux, économiques et culturels avec les sociétés
d'origine et ce malgré la distance. Le téléphone est
devenu non seulement l'instrument privilégié d'échanges et
de relations mais aussi il rend sans aucun doute d'énormes services dans
de nombreux domaines de l'activité humaine.
Depuis fin 1996 - début 1997, on assiste à une
véritable révolution dans les pratiques de communication
téléphonique des migrants sénégalais.
D'après les enquêtes menées, le téléphone est
l'outil de communication privilégié pour tenir des conversations
de proximité entre les membres du réseau dans le pays de
résidence, mais également pour entretenir au quotidien des
échanges verbaux avec les membres du réseau restés dans le
pays d'origine ou disséminés dans d'autres pays de migration. En
outre, comme le soulignent quasiment toutes les personnes interrogées,
le fait d'entendre de vive voix son interlocuteur comme si on était
physiquement face à face est une nécessité, un besoin
impérieux pour les membres de cette communauté où l'on
accorde encore une importance capitale à l'oralité. Aussi, c'est
essentiellement par le téléphone que passe le maintien des liens
sociaux avec la famille et les amis proches ou éloignés. Il
s'agira ici de montrer et d'expliquer les raisons du succès indiscutable
et grandissant que connaît le téléphone dans les milieux de
la migration sénégalaise en France. Nous verrons que non
seulement le téléphone est un outil efficient dans la
construction et la dynamisation des réseaux relationnels, mais aussi il
est facteur de vie sociale plus intense dans le pays de
117
résidence. Dans ce chapitre, nous nous
intéressons tout particulièrement à la
problématique aussi bien des processus d'insertion que des modes
d'usages et des mécanismes d'appropriation du téléphone
mobile dans les milieux de la migration sénégalaise en France.
3.1 Des usages divers et une vie sociale plus
développée dans le
pays de résidence
Il est intéressant de remarquer que pendant longtemps,
le téléphone a été un instrument peu courant dans
la vie quotidienne de nombreux migrants sénégalais. C'est le cas
notamment de la plupart des primo-migrants qui ne l'ont découvert
qu'après leur arrivée en France. A la veille du départ du
migrant, il était d'ailleurs fréquent de voir sa famille se
démener comme toute bonne « famille sénégalaise
» pour lui trouver le numéro de téléphone d'un
compatriote qu'il pourra éventuellement contacter à son
arrivée. Ce numéro de téléphone représentait
un précieux sésame que le néo-migrant devait absolument
avoir en sa possession. Une fois installé et bien inséré
professionnellement en France, l'achat en priorité d'un
téléphone constituait généralement le premier
équipement de base du migrant. A vrai dire, il semble que l'usage du
téléphone fixe dans le milieu de la migration
sénégalaise en France ait d'abord été, d'une
certaine manière, une affaire de migrants jouissant ou possédant
une certaine aisance financière.
Les conversations téléphoniques permettent le
plus souvent de discuter avec les proches et les amis, de prendre de leurs
nouvelles, de recevoir et transmettre des messages, d'obtenir et de donner des
informations. Tous nos répondants reconnaissent que le
téléphone permet de relier avec facilité et de
façon rapide les différents maillons des réseaux. Pour
eux, le téléphone, en augmentant les possibilités et la
fréquence des relations, a largement contribué à
l'extension et à l'élargissement des réseaux de
sociabilité. En effet, en offrant la possibilité de pouvoir
joindre à tout moment un membre du groupe, le téléphone
mobile en particulier a apporté des facilités significatives au
niveau de la gestion quotidienne et de la cohésion des groupes. Il
apparaît donc, d'après les personnes interrogées dans nos
enquêtes, que la téléphonie mobile entraîne plus de
communications entre les membres des réseaux. Il favorise les
échanges d'ordre social mais également économique et
religieux et les contacts
118
interpersonnels entre amis. Si l'on se réfère
à nos observations, on peut dire que les communications
téléphoniques sont entretenues plus longuement avec les membres
de la famille restées au Sénégal ou présentes en
France ou encore résidant dans un autre pays étranger. Elles
représentent environ 50 à 60% des communications
téléphoniques. Les échanges téléphoniques
à l'intérieur des réseaux familiaux tiennent par
conséquent une place vraiment prédominante. D'autre part, les
communications téléphoniques faites en direction des amis
représentent environ le tiers des appels téléphoniques. Le
téléphone permet aussi d'aviser les autres membres de la
communauté de l'arrivée en France des marabouts prestigieux, de
la tenue des séances religieuses, des manifestations culturelles...
Mais en même temps, le téléphone rend des
services considérables, notamment dans les relations avec certains
services administratifs français. Certains l'utilisent pour solliciter
par exemple des informations ou des conseils auprès des agents de la
Direction Départementale du Travail, de l'Emploi et de la Formation
Professionnelle (DDTEFP) ou de la sécurité sociale. De la
même façon, le téléphone est aussi utilisé
pour obtenir des renseignements à la préfecture ou
sous-préfecture, à la Caisse d'Allocations Familiales (CAF), et
aussi dans bien des cas pour obtenir un entretien avec son conseiller à
la banque. Nombreuses sont les personnes interrogées qui reconnaissent
que le téléphone mobile les a rendues beaucoup plus visibles et
accessibles sur le marché français de l'emploi. Il est vrai que
l'utilisation du téléphone mobile a fortement contribué
à accroître leur capacité à être atteint par
les structures publiques ou privées susceptibles de leur proposer un
travail.
Pour les migrants commerçants, le
téléphone sert également à s'informer et informer,
de manière aisée, immédiatement et à moindre
coût les autres compatriotes de l'arrivée de nouvelles
marchandises dans les boutiques des grossistes sénégalais,
maghrébins ou asiatiques. Beaucoup de commerçants
révèlent que c'est le téléphone surtout qui leur
permet d'informer leurs clients de l'arrivée de nouvelles marchandises,
et aussi de passer des commandes auprès de leurs fournisseurs. Pour
quelques uns des commerçants rencontrés à Paris et
Bordeaux, l'usage du téléphone portable a apporté quelques
changements dans les habitudes et a même étendu l'activité
commerciale hors des circuits habituels de vente dans la mesure où ils
peuvent désormais entrer en contact avec un fournisseur ou un client
à tout moment et à partir de n'importe quel lieu (au domicile,
119
dans la rue, dans le train, dans la voiture, etc.). Ce qui est
fortement apprécié par les commerçants ambulants tout
particulièrement car étant constamment en déplacements.
Ceux que nous avons rencontrés à Paris reconnaissent tous les
services inestimables rendus notamment par le téléphone mobile.
Grâce au téléphone mobile, ils peuvent maintenant contacter
leurs fournisseurs afin de s'assurer de la présence des marchandises
désirées avant tout déplacement parfois improductif et
épuisant. Dans ces cas là, le téléphone mobile
permet de mieux gérer les déplacements. « En fait, les
itinéraires marchands n'ont pas changé, les lieux de vente sont
toujours les mêmes, mais le téléphone mobile a quand
même contribué à diminuer voire éliminer certains
déplacements inutiles ou éreintants» (Moda Gueye, 2001).
Pour les jeunes commerçants ambulants qui tentent de vendre leurs
marchandises chaque jour sur les lieux touristiques comme le Château de
Versailles ou la Place du Trocadéro à Paris, le
téléphone permet aussi de se prévenir mutuellement de
l'arrivée inopinée des policiers. En cas de tracasseries
policières, ceux qui sont sur place vont appeler au
téléphone les autres pour leur demander d'aller tenter leur
chance sur d'autres lieux de vente. Le téléphone mobile est par
conséquent un outil essentiel autant dans le maintien et le renforcement
des relations de proximité que dans les relations à distance. Il
peut être aussi considéré comme un objet désormais
central dans les stratégies spatiales développées pour
écouler les marchandises tout en évitant les
désagréments causés parfois par les contrôles
policiers. Pour ceux qui sont en situation irrégulière, le
téléphone mobile permet également de se tenir constamment
à l'affût d'une éventuelle procédure de
régularisation des migrants sans papiers dans un pays européen
quelconque.
C'est ainsi que quelques uns d'entre eux ont pu être
contactés et informés d'une procédure de
régularisation de migrants sans papiers en Italie, en Espagne ou au
Portugal. Fortement perturbé par sa situation irrégulière
en France, l'un des membres du groupe de commerçants rencontrés
à Aubervilliers a pu être ainsi averti sur son
téléphone portable par des amis d'enfance établis au
Portugal. Grâce aux papiers en règle obtenus au Portugal, il a pu
se rendre au Sénégal pour retrouver sa famille, rassurer sa
mère et se marier. Actuellement, il réside au Portugal et
continue toujours de se livrer au commerce ambulant. Mais dès que la fin
des bonnes affaires arrive, il change de pays et se rend en Belgique où
il profite de son séjour pour faire de la vente à la sauvette, en
compagnie de quelques amis d'enfance (de son quartier à Dakar)
résidant en Belgique. Le téléphone portable joue donc un
rôle important dans la mobilité des migrants
sénégalais au sein de
120
l'espace Schengen. Comme le montre cet exemple, il sert
à ceux qui sont dans la clandestinité d'instrument de
régularisation, de socialisation. Henri Bakis (2010) constate que
pendant longtemps, les industriels et les politiques prêtaient aux TIC le
pouvoir de constituer un obstacle, un frein aux déplacements. Or
ajoute-t-il, la réalité montre au contraire que les TIC, à
l'instar du téléphone mobile, sont devenus « des outils de
la mobilité et de la proximité ».
Sans aller jusqu'à dire que la communication
téléphonique est le remède pour résoudre
définitivement la solitude du migrant, on peut par contre affirmer qu'il
contribue de manière nette et visible à la diminuer. Elle peut
être considérée comme un palliatif pour soulager au moins,
de façon momentanée, l'ennui du migrant. Pour les migrants, le
téléphone est sans aucun doute l'outil le plus utilisé
pour entrer en contact avec d'autres compatriotes dans le pays de
résidence, mais aussi pour y entretenir des relations de toutes
sortes.
3.1.1 Une utilisation communautaire du
téléphone fixe et du téléphone mobile
Nous avons vu que de manière générale,
les migrants sénégalais se regroupent et vivent ensemble. Le
migrant est en effet le plus souvent inséré dans un réseau
dont les membres sont interconnectés par des liens étroits de
solidarité et d'entraide. C'est l'une des raisons évoquées
pour expliquer les usages communautaires du téléphone fixe
observés jadis chez les migrants qui partageaient le même
appartement. Certains enquêtés m'ont révélé
que la plupart du temps, l'appareil était équipé d'un
compteur permettant de vérifier le nombre d'unités. A la fin de
chaque communication téléphonique, l'utilisateur notait sur un
carnet installé à côté de l'appareil
téléphonique, le nombre d'unités marquées sur le
boîtier. Et à l'arrivée de la facture, chacun devait payer
le nombre d'unités utilisées ou « consommées ».
Toutefois, il n'était pas rare que le partage des frais pour le paiement
de la facture téléphonique provoque quelques frictions entre
co-locataires et co-utilisateurs. En effet, certains refusaient parfois de
régler leurs notes, arguant qu'ils n'avaient pas effectués les
appels téléphoniques qui leur ont été
attribués. De ce point de vue, le fait que chacun puisse
désormais disposer de son propre téléphone et l'utiliser
à sa guise ne peut être que bénéfique à la
cohésion des réseaux. Plus
121
de disputes entre co-locataires pour savoir qui a
utilisé tant d'unités, le migrant est plus libre dans ses
communications téléphoniques. Le téléphone mobile
offre aussi plus de discrétions aux communications
téléphoniques intimes.
De la même manière, on peut considérer
comme une forme de pratique communautaire, l'utilisation des codes à
plusieurs chiffres dans un passé pas aussi lointain que cela (disons
vers la fin des années 90). Ces codes que les étudiants
sénégalais des différentes villes de l'Hexagone se
transmettaient les uns les autres permettaient d'appeler gratuitement à
partir des cabines téléphoniques de France Télécom.
Dès que quelqu'un était en possession du code, il le transmettait
généralement à toutes ses connaissances proches avant
d'aller chercher de suite une cabine téléphonique pour en faire
de même avec les connaissances éloignées (à
Toulouse, à Paris, à Metz, à Grenoble, etc.) et ensuite
appeler au Sénégal. Les étudiants prenaient alors d'assaut
les multiples cabines téléphoniques et profitaient par
conséquent de l'occasion offerte pour des discussions interminables avec
les proches et les amis au pays. Quand leurs correspondants au
Sénégal s'étonnaient et s'interrogeaient sur les raisons
de la si longue durée des communications téléphoniques,
leurs interlocuteurs à l'autre bout du fil leur répondaient que
c'était un khéweul, c'est-à-dire un bienfait ou
une faveur. Ces codes fonctionnaient une journée voire au maximum deux
journées avant d'être découverts et bloqués par les
agents de France Télécom. Pendant toute la durée du code,
il y a une réelle appropriation des différents espaces au sein
desquels sont implantés des cabines téléphoniques. A Reims
par exemple, on voyait garçons et filles occupés les cabines
téléphoniques à des heures de la journée où
ils sont habituellement confinés dans les appartements ou les chambres
universitaires. C'était l'effervescence autour de ces cabines
téléphoniques qui devenaient ces instants là des lieux
privilégiés, symbolisant le rapprochement tant souhaité et
tant désiré avec les proches au pays. Ces espaces
téléphoniques symbolisaient aussi les lieux au sein desquels
s'exprimer et s'atténuer pendant quelques heures la nostalgie, ce besoin
intense du pays d'origine. Même si leur fréquentation a fortement
diminué aujourd'hui, ces espaces constituent des repères
téléphoniques symboliques pour bon nombre de migrants, notamment
ceux de la « génération d'avant téléphone
mobile ». Ajoutons que l'occupation de ces espaces souvent
traversés dans l'indifférence contribuait à conforter le
sentiment de l'identité collective.
122
Une autre forme d'utilisation communautaire du
téléphone concerne cette fois-ci l'usage du
téléphone mobile à travers le forfait millénium. En
2000, un forfait appelé millénium a été
proposé par SFR à ses clients. Avec ce forfait, il était
possible d'appeler gratuitement à partir de 20 heures sur des lignes
fixes des abonnés de France Télécom et sur des
téléphones portables avec des numéros SFR86. Le
forfait millénium, connu de tous les migrants étudiants
sénégalais en France, a bien entendu été à
l'origine d'une utilisation communautaire du téléphone
cellulaire. Dans les résidences universitaires, à Bordeaux,
Reims, Paris, Marseille, Toulouse comme dans les autres villes de la France,
les chambres des étudiants abonnés au forfait millénium
servaient non seulement de lieux de téléphonie, mais aussi de
lieux de discussions, de rencontres où pouvaient se nouer parfois des
liens d'amitié. C'est par exemple le cas de C. B., étudiant
à Bordeaux et résidant au village 4 sur le campus universitaire
de Talence.
Depuis qu'il a acquis l'abonnement millénium de SFR, la
chambre de C. B. ne désemplit pas. Elle est fréquentée
assidûment par une bonne partie de ses compatriotes habitant comme lui
sur le campus de Talence ou habitant à Bordeaux. La chambre commence
à se remplir de monde dès 20 heures en semaine et presque toute
la journée le week-end. Ses camarades s'y précipitent en effet
pour effectuer des appels téléphoniques gratuitement. En
attendant que chacun puisse téléphoner à son tour, des
discussions portant sur des sujets divers se déroulent le plus souvent
autour de la séance de thé pendant les jours de week-end. Il
n'est pas rare aussi que ses voisins gabonais sollicitent
C. B. pour téléphoner gratuitement. Grâce
à l'abonnement millénium, la chambre de C. B. est devenue un lieu
de rassemblement où les étudiants peuvent échanger, tisser
des liens d'amitié, élargir leurs bassins d'amitié,
partager leur joie et aussi parfois leurs états d'âme.
En 1999, Bouygues Télécom87, un
opérateur privé de téléphonie mobile, avait
auparavant mis en place un forfait millénium qui permettait d'appeler
gratuitement sur
86 SFR est l'opérateur de
téléphonie mobile du groupe français SFR Cegetel. Au
début de l'année 2000, SFR lance le forfait illimité soir
et week-end. Cette formule permet d'effectuer, pour 59 euros, des appels
illimités et gratuits tous les jours de la semaine entre 20 heures et 08
heures ainsi que les week-ends et les jours fériés en France, sur
tous les téléphones fixes et sur tous les
téléphones mobiles de son réseau.
87 Bouygues Télécom est un
opérateur de téléphonie mobile en France. C'est en 1999
que Bouygues Télécom lance son forfait millénium. Il
s'agit de prendre un forfait de base de 04 heures pour 56 euros ou 06 heures
pour 71 euros ou encore 08 heures pour 86 euros, forfait valable 07 jours sur
07 et 24 heures sur 24. Ce forfait offre en outre au client la
possibilité d'appeler gratuitement tous les numéros des
téléphones mobiles des autres clients Bouygues ainsi que tous les
numéros fixes sur l'ensemble du territoire français les week-ends
du vendredi à minuit au dimanche à minuit de façon
illimitée. Les appels sont également gratuits et illimités
les jours fériés en France.
123
un autre téléphone portable équipé
d'un numéro de son réseau ainsi que sur les
téléphones fixes. Certains étudiants avaient alors
souscrit à ce forfait pour pouvoir parler de façon
illimitée et sans se soucier du coût avec leurs autres camarades
installés dans les autres villes de la France. Le
téléphone mobile a par conséquent largement
contribué à sortir certains migrants sénégalais de
leur isolement et à élargir leurs cercles de connaissances. Le
téléphone cellulaire permet d'entretenir de manière
continue et fréquente des contacts sociaux, économiques et
culturels entre migrants.
A la question : depuis quand avez-vous commencé
à utiliser le téléphone portable ?, les
données collectées à travers les réponses montrent
que c'est au début de l'année 2000 que l'on assiste
véritablement à l'insertion du téléphone portable
dans les milieux de la migration sénégalaise en France, avec 21%
d'utilisateurs. Même si 12% et 13% de nos répondants disent avoir
adopté cette innovation technologique respectivement en 1998 et 1999.
Parmi nos répondants qui ont commencé à utiliser le
téléphone mobile en 1994, on peut relever le cas de L. T. qui vit
en France depuis 1984. Agé de 48 ans, L. T. habite dans le
17ème arrondissement de la région
parisienne avec sa femme et ses trois enfants. Son travail de chef d'entreprise
l'amène à utiliser très souvent son
téléphone portable. Les dépenses consacrées
à ses appels téléphoniques privés et professionnels
s'élèvent à environ 900 euros par mois. En fait, L. T.
admet dépenser 700 euros pour les appels avec son
téléphone portable et il nous apprend consacrer 200 euros
à l'achat de cartes téléphoniques destinées
essentiellement à appeler ses parents au Sénégal.
Soulignons qu'à l'exception de L. T., seule S. G., une jeune femme
âgée de 30 ans affirme consacrer un montant aussi
considérable à ses appels téléphoniques. S. G.
habite à Paris et occupe un emploi de salarié dans le secteur
public. Pour elle, son téléphone portable lui sert surtout
à satisfaire ses besoins de communication avec ses nombreux amis et
connaissances établis au Sénégal.
124
Graphique 3. Début d'utilisation du
téléphone mobile
3.1.2 Les téléboutiques
Aujourd'hui encore, les tarifs de communication vers le
Sénégal proposés par des opérateurs comme Bouygues
Télécom, SFR et Orange restent relativement coûteux variant
entre 1,20 euros et 1,50 euros la minute de communication émise à
partir d'un téléphone mobile vers un numéro de
téléphone fixe ou mobile au Sénégal. Il est donc
plus intéressant d'utiliser les cabines téléphoniques
privées qui proposent des prix plus compétitifs variant entre 15
et 30 centimes d'euros pour une minute de communication vers le
Sénégal ou les cartes prépayées très
largement moins chères.
De nouvelles pratiques de communication
téléphonique se développent parmi les migrants
sénégalais au même titre que chez les autres migrants de
l'Afrique, du Maghreb et de l'Asie. Ces nouvelles pratiques sont en fait
liées à l'apparition des « télé et
cyberboutiques » comme celles observées et décrites par
Claire Scopsi à Château-Rouge à Paris88, ainsi
qu'à l'apparition des cartes téléphoniques
prépayées à codes confidentiels
88Claire Scopsi a mené une étude de
terrain dans les téléboutiques et les cyberboutiques
localisées au quartier de Château rouge dans le
18ème arrondissement à Paris (voir l'ouvrage
Mondialisation et technologies de la communication en Afrique sous la direction
de Annie Chéneau-Loquay, 2004, p.275). Château-rouge est un
quartier commercial où se côtoie une forte communauté
cosmopolite, français, africains, maghrébins, juifs, antillais,
asiatiques. Elle définit les téléboutiques et les
cyberboutiques comme des lieux commerciaux fournissant des services
téléphoniques et/ou d'accès à Internet. Ces
téléboutiques et
125
afin de pouvoir effectuer des appels
téléphoniques vers l'international. L'émergence de ces
boutiques de communication résulte le plus souvent d'initiatives
strictement privées dans un contexte de crise de l'emploi dans le pays
de résidence. Ces lieux polyvalents servent à la fois de cabines
téléphoniques, de cybercafés, de points de vente de cartes
téléphoniques, de téléphones mobiles, de cassettes
vidéo et DVD véhiculant des variétés africaines,
indo-pakistanaises et les comédies de certains groupes de
théâtres africains. Certains proposent également dans leurs
téléboutiques des services de photocopies, d'envoi et de
réception de fax, etc. En France, ces téléboutiques sont
surtout utilisées quand on veut dire une chose urgente aux proches
restés dans le pays d'origine ou établis dans un autre pays
étranger et que l'on n'a pas assez d'argent. Ces points de vente,
implantés dans des quartiers à forte concentration de populations
immigrées, ont joué un rôle important dans la
démocratisation de l'accès aux TIC et aussi dans la
réduction de la fracture numérique.
A Bordeaux, les téléboutiques et cyberboutiques
restent pour l'essentiel gérées surtout par des Indo-Pakistanais,
et aussi par des Africains et des Maghrébins dans des proportions
moindres. Elles sont localisées essentiellement aux quartiers des
Capucins et Saint-Michel où se trouve une communauté cosmopolite
de migrants. Dans ces quartiers commerçants, peuplés autrefois de
populations d'origine espagnole et portugaise principalement, se côtoient
de nos jours des Africains, Antillais, Maghrébins et Turcs. Les
Indo-Pakistanais ont d'abord développé, sur la rue Elie-Gentrac,
des activités commerciales de produits alimentaires, cosmétiques
et autres produits exotiques ciblant principalement la communauté
africaine. C'est au début des années 2000 qu'ils ont
commencé à proposer dans cette boutique des cartes
téléphoniques à codes à leurs clients. Au fur et
à mesure que l'activité commerciale prospère, deux autres
boutiques spécialisées dans les produits cosmétiques ont
été ouvertes sur un petit rayon foncier. Ils vont se signaler par
la suite dans les ouvertures de téléboutiques sur le cours de la
Marne (04), le cours de l'Argonne (02) et sur la place Pey-Berland (01), des
téléboutiques tenues essentiellement par de jeunes
indo-pakistanais. Aujourd'hui, ils ont acquis une situation de quasi-monopole
dans ce secteur. Dans la même téléboutique, un petit espace
sert de cabines téléphoniques, un autre de cybercafé.
Ensuite, d'autres services sont proposés comme ventes de
téléphones mobiles, batteries, chargeurs et autres accessoires
pour
cyberboutiques s'inspirent du modèle des
télécentres africains et confortent les migrants comme des
acteurs de développement ici et là-bas.
126
téléphone mobile. De même que des services
de décodage, d'impression, de photocopie y sont disponibles. Les clients
peuvent aussi y trouver des CD de téléfilms indo-pakistanais et
parfois africains. En outre, dans la téléboutique Eco Net Phone
située sur le cours de la Marne, les clients ont maintenant la
possibilité d'effectuer des transferts d'argent, via Ria transfert
d'argent (voir l'affiche de Ria sur la photo ci-dessous). Ces lieux peuvent
être considérés comme des lieux multiservices
adaptés aux besoins et aux attentes des populations migrantes.
Image1 : Téléboutiques
ou Taxiphones à Bordeaux : World Net Phone sur le cours
de l'Argonne et Eco Net Phone sur le cours de la Marne
Photos : Moda Gueye
3.1.3 Les cartes téléphoniques à
codes
Émises par des sociétés privées,
ces cartes téléphoniques avec un code à gratter sont
vendues principalement dans les cybercafés, les
téléboutiques, les bureaux de poste et de tabac et plus
récemment à travers certains sites spécialisés sur
Internet. Ces sociétés privées proposent tout simplement
des coûts de communication téléphonique vers le
Sénégal et d'autres pays étrangers beaucoup plus
intéressants que ceux proposés par l'opérateur historique
France Télécom89 et éventuellement ses
concurrents tels que
89France Télécom est en effet
l'opérateur historique de la téléphonie fixe en France. Le
groupe, devenu un puissant opérateur mondial de
télécommunications, est présent dans 220 pays et
territoires, notamment au Sénégal à travers la Sonatel
dont il est l'actionnaire majoritaire. France Télécom est la
marque du groupe
127
Bouygues Télécom et SFR. C'est la raison pour
laquelle, ces cartes à codes sont particulièrement
appréciées par les migrants sénégalais.
Utilisées à partir d'un téléphone fixe, elles
permettent d'obtenir, pour 7 euros, entre cinquante et soixante minutes de
communication téléphonique et une centaine de minutes pour 15
euros90. Pour appeler au Sénégal avec ces cartes
prépayées, il faut d'abord appeler le serveur vocal et suivre les
instructions fournies. Après avoir tapé un code secret inscrit
sur la carte, l'utilisateur compose 00, suivi de l'indicatif du pays (221 pour
le Sénégal) et du numéro du correspondant. Ces cartes
téléphoniques internationales peuvent être utilisées
avec un téléphone fixe à partir de chez soi ou dans les
cabines téléphoniques de l'opérateur historique France
Télécom. De la même façon, ces cartes à codes
peuvent également être utilisées à partir de son
téléphone mobile.
Par ailleurs, les enquêtes menées m'ont permis de
rencontrer des distributeurs de cartes téléphoniques
prépayées au sein de la diaspora sénégalaise en
France. Il s'agit le plus souvent de jeunes étudiants résidant en
région parisienne et qui trouvent dans ce créneau une
opportunité pour se procurer des ressources complémentaires
permettant de financer leurs études, payer leurs logements, leurs
transports...
Image 2 : Cartes téléphoniques
prépayées à code
consacré pour les services fixes. Pour la
téléphonie mobile, il y a la marque Orange, et pour les services
Internet, il y a la marque Wanadoo.
90Certains migrants trouvent qu'il y a parfois une
grosse différence entre le nombre d'unités réelles sur les
cartes et le nombre d'unités supposées être sur les cartes.
La première fois qu'elles sont mises sur le marché, elles
contiennent en général le nombre exact d'unités
indiquées. Mais dès qu'elles commencent à se diffuser
auprès des utilisateurs, elles ont tendance à avoir moins
d'unités. Presque chaque semaine, une nouvelle carte fait son apparition
sur le marché. Parfois aussi, il faut essayer à plusieurs
reprises avant de réussir à établir la communication avec
son correspondant.
128
L'analyse des statistiques obtenues à travers les
réponses à la question suivante : est-ce que vous utilisez
les cartes téléphoniques ? Si oui, pouvez-vous nous dire les
lieux d'achat ? révèle que les migrants
sénégalais en France recourent, à des degrés
divers, aux cartes téléphoniques. L'achat des cartes
téléphoniques est effectué dans les cybercafés par
41% des répondants. Pour 31% des répondants, les bureaux de tabac
constituent les principaux lieux d'achat des cartes
téléphoniques. Ils sont 8% à se les procurer dans les
taxiphones et 9% dans les boutiques de commerce de produits alimentaires et
cosmétiques tenus le plus souvent par des Arabes, des Chinois ou des
Indo-Pakistanais. Internet constitue pour 4% des internautes le lieu d'achat
des cartes téléphoniques et 2% des répondants disent se
rendre à la poste pour acheter ces cartes. Il n'est maintenant plus
nécessaire de se déplacer pour se les procurer. En effet, des
opérateurs privés comme Allomundo, Symacom, Eagle
Télécom, Central Télécom, Iradium... proposent sur
leurs sites Internet la vente en ligne de cartes téléphoniques
prépayées à code. Par ailleurs, comme le font remarquer
quasiment toutes les personnes interrogées, ces cartes apparaissent
comme une réponse à leurs besoins de communication
téléphonique à distance à des tarifs moins
chers.
Graphique 4. Lieux d'achat des cartes
téléphoniques
129
On remarquera sur le graphique de la page, que 22% des
personnes interrogées disent consacrer 15 euros par mois à
l'achat de carte téléphonique prépayée. Pour 13%
des personnes interrogées, 30 euros sont consacrés chaque mois
à l'achat de carte téléphonique. On note que pour 11% des
personnes interrogées, le montant dépensé chaque mois pour
l'achat de carte téléphonique est de 10 euros. D'une
manière générale, on constate que les dépenses
mensuelles consacrées à l'achat de carte
téléphonique n'excèdent guère ces montants.
Seulement 8% des personnes interrogées disent consacrer 50 euros
à l'achat de carte téléphonique.
3.1.4 Un réel engouement pour le
téléphone mobile
Le téléphone mobile, appelé
également téléphone portable ou cellulaire ou GSM (Groupe
Spécial Mobile ou Global System for Mobile communication), a connu un
engouement extraordinaire auprès des migrants sénégalais
dont il a complètement révolutionné les pratiques
quotidiennes de communication. D'une façon générale, c'est
à partir de 1998 que le téléphone portable a
commencé à se répandre de manière vraiment
significative dans les milieux de la migration sénégalaise en
France. Sa diffusion et son adoption par les différentes
catégories de migrants s'expliquent principalement par sa
facilité et sa simplicité d'utilisation, sa commodité et
sa nécessité ainsi que par le caractère oral de la
communication. En effet, comme le soulignent Annie Chéneau-Loquay et
Pape Ndiaye Diouf (1998), son utilisation ne nécessite absolument pas
une maîtrise parfaite de l'écriture ou de la lecture. Pour Serigne
Mansour Tall (2002), cette innovation technologique constitue une vraie
réponse à la mobilité des migrants, que l'on peut
considérer comme étant aussi des acteurs de l'interface et de
l'échange par nature.
Néanmoins, avant d'être aujourd'hui adopté
par l'ensemble des migrants sénégalais, le
téléphone mobile s'est d'abord répandu auprès de
certains migrants privilégiés, des migrants possédant une
certaine aisance financière. C'était en quelque sorte un signe de
prestige social, un objet que l'on affichait ostensiblement surtout au moment
des vacances dans le pays d'origine. Bon nombre d'entre eux figurent d'ailleurs
parmi les premières personnes à avoir introduit et utilisé
le téléphone portable au Sénégal. Son utilisation
et son appropriation généralisées par l'ensemble des
usagers au sein de la communauté sénégalaise en France,
qui remontent à une date encore relativement
130
récente (précisément en 1998),
résultent essentiellement d'un effet de mode et d'un mimétisme.
Le téléphone mobile, n'étant plus l'affaire des
privilégiés seulement, son utilisation ayant largement
dépassé le cadre du mimétisme, du paraître, de
l'avoir pour faire comme les autres, est devenu en peu de temps l'instrument de
communication le plus utilisé aussi bien dans les échanges
proches que dans les échanges lointains. Son usage, qui se
développe à présent très rapidement, s'est
largement répandu dans tous les domaines de la vie sociale,
économique et culturelle des migrants sénégalais.
Le téléphone portable permet au migrant
d'émettre et de recevoir des appels à tout moment de la
journée (il suffit pour cela qu'il laisse son téléphone
continuellement allumé) et quel que soit l'endroit où il se
trouve. Il permet de nouer le contact avec une connaissance ou encore de
renouer le dialogue avec son interlocuteur sans se préoccuper, outre
mesure, du temps, de la distance et du lieu. Le téléphone
cellulaire a en outre beaucoup contribué à renforcer la
cohésion sociale au sein de la communauté des migrants
sénégalais. Pendant les moments de bonheur (mariage, naissance,
baptême) comme pendant les moments de malheur (décès) qui
touche un membre de la communauté aussi bien dans le pays d'installation
que dans le pays d'origine, l'information circule plus aisément et plus
largement grâce au téléphone portable. La circulation de
l'information sociale est fondamentale pour la cohésion au sein de la
communauté. Depuis la généralisation du
téléphone portable, tout le monde peut être facilement et
rapidement mis au courant d'un évènement touchant un membre de la
communauté. Ces occasions sont non seulement des moments de
retrouvailles, mais également des opportunités pour
témoigner son soutien (don en argent), sa solidarité ou sa
compassion à un proche.
Nous avons pu vivre ces moments particulièrement
importants pour la cohésion au sein de la communauté
sénégalaise de Parme en 2003. Il s'agissait du mariage de Gora,
ouvrier dans une entreprise métallurgique implantée en pleine
campagne parmesane. Militant syndical actif au sein de son entreprise, Gora
jouit d'une certaine popularité dans la communauté
sénégalaise de Parme. Parmi l'assistance, certains lui ont remis
de l'argent, d'autres ont préparé des beignets ou apporté
de la boisson et des jus de fruits. Mais ce qu'il semblait le plus
apprécié, c'était les cartes téléphoniques
que quelques amis lui avaient offerts, conscients sans doute qu'il allait en
avoir grand besoin pour parler avec sa femme qui se trouvait ce jour-là
au Sénégal ainsi que les membres de sa famille
131
au Sénégal. Ses amis se sont beaucoup servis de
leurs téléphones portables pendant les préparatifs. Ils
ont pu s'organiser pour se répartir les tâches, se fixer une heure
et un lieu de rendez-vous et partir ensemble présenter leurs
félicitations. Le téléphone mobile a également
servi à orienter ceux qui avaient des difficultés à se
rendre chez Gora. Ce fut le cas aussi lors du baptême du petit
garçon de Babacar et Ami. Mais cette fois-ci, les femmes étaient
les plus en vue avec leurs boubous, leurs parures et leurs
téléphones portables qu'elles affichaient ostensiblement. Et
à chaque fois, on entendait les sonneries des téléphones
au milieu parfois des clameurs de la foule. Le téléphone portable
est ainsi un outil qui permet de regrouper facilement les membres de la
communauté en cas de besoin. De même, en permettant à
chaque membre de pouvoir être joint à tout instant, le
téléphone mobile a également apporté beaucoup de
commodités dans la vie du groupe. En cas de tension entre deux membres
du groupe, les aînés peuvent intervenir rapidement pour apaiser
les protagonistes. On peut donc le considérer comme une sorte de
régulateur social.
Aujourd'hui, l'étudiant sénégalais qui se
rend en France reçoit parmi les nombreuses recommandations de la famille
au Sénégal, celle de se procurer le plus rapidement possible
à son arrivée un téléphone cellulaire mobile. Alors
qu'il y a une vingtaine d'années, la recommandation faite par la famille
était d'écrire des lettres de temps en temps. Pour les migrants
étudiants, le téléphone est un instrument pratique pour
chercher et trouver du travail. En France, beaucoup d'étudiants se
rendent dans les Centres Régionaux des Oeuvres Universitaires et
Scolaires (CROUS) et dans les Centres Informations Jeunesse (CIJ) pour
consulter les petites annonces d'emploi. Dès qu'il trouve une annonce
qui lui convient, l'étudiant prend son téléphone portable
pour appeler vite et présenter sa candidature. Ensuite, il pourra
être contacté sur son téléphone mobile si sa
candidature est acceptée. En cas d'absence, il pourra consulter le
message laissé sur son répondeur. Selon Elhadji Mounirou Ndiaye,
doctorant en économie à l'université de Grenoble et
Président de l'Association des Etudiants et Stagiaires
Sénégalais de Grenoble (A.E.S.S.G.), « le
téléphone étant indispensable, il faut un minimum de 20
euros à l'étudiant sénégalais pour ses
communications mensuelles » extrait de l'article : C'est la
précarité pour les étudiants sénégalais
expatriés en
France.
Confidentielsn.com, 28/06/2005.
132
Pour le téléphone mobile, les principaux
services sont, d'une manière générale, l'abonnement et la
carte rechargeable. Or dans les critères pour choisir un abonnement, une
attention particulière est accordée à la durée, au
coût et surtout à la réduction des appels vers
l'étranger.
3.2 Des relations presque quotidiennes avec le pays
d'origine
Le téléphone semble être pour l'instant le
palliatif qui permet de supporter l'absence de la famille et des proches. On
téléphone généralement pour prendre leurs
nouvelles, mais également pour participer à la vie de la famille
malgré la distance, par exemple en offrant son soutien et en
étant présent quand surviennent des évènements
heureux ou malheureux en son sein. Le téléphone affranchit et
libère des contraintes géographiques de l'espace et du temps. Il
permet, selon les migrants dont les familles sont restées au
Sénégal, de gérer à distance l'ensemble des charges
domestiques indispensables à la subsistance des familles restées
dans l'espace d'origine. On peut donc dire que le téléphone
contribue effectivement à augmenter la fréquence et la
durée des relations avec les proches demeurant dans le pays d'origine,
rendant ainsi plus vivaces les liens sociaux.
Par ailleurs, pour les migrants qui cherchent à
investir dans le pays d'origine, le téléphone est
fréquemment utilisé pour pouvoir se procurer des informations et
saisir quelques opportunités non seulement ici, mais aussi
là-bas. On en voudrait pour preuve le rôle central du
téléphone dans les démarches menées par I. D. afin
de réaliser son projet visant à mettre en place et
développer une petite activité économique entre le
Sénégal et la France. Titulaire d'un diplôme de
troisième cycle en droit et conscient des difficultés de plus en
plus accrues d'insertion professionnelle en France, I. D. commence ses
prospections au début de l'année 2009. Pour dénicher de
bonnes affaires en France, il passe une bonne partie de la journée
à son domicile à faire des recherches sur Internet, notamment sur
les sites de petites annonces des particuliers tels que le bon coin. A chaque
fois qu'il trouve une annonce intéressante, il prend son
téléphone pour appeler la personne qui a diffusé l'annonce
et essayer de conclure l'affaire. C'est principalement de cette façon
qu'il parvienne à acquérir les objets amenés par la suite
au Sénégal de même que les voitures lui permettant
d'effectuer le trajet par la route. Le téléphone et Internet ont
donc joué un rôle extrêmement important dans l'acquisition
du matériel en France.
Au moment des préparatifs pour le voyage, I. D. utilise
presque deux cartes téléphoniques à codes par semaine au
prix de 7,50 euros l'unité pour ses communications
téléphoniques vers le Sénégal. Il peut appeler sur
leurs téléphones mobiles des proches, des personnes-ressources,
notamment transitaire, commerçants, en somme de nombreuses personnes
susceptibles de lui donner les meilleures informations pour la réussite
de son projet. Avec le Sénégal, les relations peuvent être
établies facilement et rapidement grâce au téléphone
fixe, aux cartes téléphoniques et au téléphone
mobile. Il faut souligner que parallèlement à ses études,
I. D. a toujours fait du commerce pour financer ses études en France.
C'est quelqu'un qui est bien inséré dans le milieu du commerce
sénégalais en France. Il considère que le commerce
représente seulement une activité temporaire en attendant de
trouver mieux. I. D. peut compter sur un réseau familial dont les
membres sont relativement bien intégrés dans le commerce
sénégalais en France. Une partie de sa famille est
installée en France, une autre partie en Italie. En cas de
nécessité, il peut également solliciter ses amis en
France, en Italie et en Espagne.
133
Graphique 5. Le système de relations de
I.D.
134
Les appels du Sénégal vers la France sont
généralement peu fréquents. Les familles n'appellent le
plus souvent que pour demander d'être rappelées quand il y a
urgence. Le téléphone représente, aux yeux de la plupart
des migrants un moyen essentiel de réactiver les liens avec les proches
et les amis restés dans le pays d'origine.
3.2.1 Une gestion quotidienne à distance de l'espace
domestique
Un grand nombre de migrants considère de nos jours le
téléphone comme le moyen le plus simple, le plus rapide et le
moins coûteux afin d'établir ou de rétablir à tout
moment et en tous lieux des liens, notamment avec les membres de la famille
restés dans le pays d'origine. Pour les migrants, grâce au
téléphone mobile, ils sont désormais plus facilement et
plus rapidement accessibles par les proches et amis restés dans le pays
d'origine, et aussi ils sont plus vite au courant de ce qui leur arrive que
dans le passé.
« Depuis que j'ai le téléphone
portable, je suis davantage sollicité par mes deux femmes au
Sénégal. Parfois, elles m'appellent en plein travail pour me
demander de leur envoyer de l'argent pour la dépense quotidienne ou pour
aller à des cérémonies familiales (baptêmes,
mariages, décès, etc.). Dans ces cas-là, je confie mes
marchandises à un autre compatriote commerçant juste le temps de
me rendre au bureau de poste le plus proche pour leur envoyer de l'argent par
le biais de western union » (Ousseynou, migrant
sénégalais résidant à Nantes).
« La situation est pareille pour nous depuis que nous
avons acquis un téléphone portable et que nous avons transmis le
numéro à nos familles au Sénégal. Nous sommes sans
cesse sollicités pour leur entretien. Dès qu'il y a un
problème d'argent, on nous appelle chez nous, dans nos lieux de travail,
presque partout pour nous demander d'en envoyer » (Cheikh et sa
femme, Iso, Tapha, Jules et Bass résidant à Créteil).
C'est ce qui fait d'ailleurs dire à Abdou Salam Fall,
Cheikh Gueye et Serigne Mansour Tall que l'on assiste aujourd'hui dans de
nombreux foyers sénégalais, à une internationalisation de
plus en plus accrue de la gestion domestique du domicile familial par les
migrants depuis leurs pays d'installation. Pour ceux qui ont leurs femmes et
leurs enfants au pays, le téléphone mobile est en effet pratique
pour régler les cas d'urgence,
135
notamment en cas de maladie et pour la scolarité des
enfants. Cependant, certains migrants, pour échapper un peu à
cette forte pression sociale, à défaut de couper
complètement les ponts, ont acquis plusieurs téléphones
portables, mais un seul numéro est néanmoins transmis aux proches
résidents au pays d'origine. Toutefois, une bonne partie de la
communication vers le pays des migrants dont les familles sont restées
au Sénégal est encore strictement orientée vers la gestion
quotidienne de l'espace domestique familial. Les appels
téléphoniques réguliers des migrants vers le
Sénégal représentait, par ailleurs, une manne
financière considérable pour la Sonatel, à travers
notamment la taxe dite de répartition.
Selon James Dean de l'Institut Panos au Royaume Uni, la taxe
dite de répartition était « le résultat d'accords
bilatéraux qui déterminent le prix de l'interconnexion et le
montant (généralement 50% de ce prix) qu'une compagnie
téléphonique d'un pays X verse à son homologue d'un pays Y
pour qu'elle établisse la connexion ». Autrement dit, c'est le prix
d'une connexion téléphonique internationale que doit payer un
exploitant établi dans un pays émetteur d'un appel
téléphonique à un autre exploitant établi dans un
pays récepteur de cet appel, sous la supervision et le contrôle de
l'UIT (l'Union Internationale des Télécommunications). Serigne
Mansour Tall souligne que « selon le rapport de la Sonatel de 1997,
l'augmentation de 6,4 milliards de francs CFA du solde des balances de trafic
s'explique par la hausse du trafic "arrivée" en particulier de MCI et
AT&T (+ 33%), de France Télécom (+ 44%), de
Telefonica91 (+ 63%)».
Dans son étude sur Le rôle des NTIC dans les
mutations urbaines : le cas de Touba, Cheikh Gueye note que « le
trafic international arrivée est passée pour tout le
Sénégal de 94 millions de minutes en 1999, soit une croissance en
valeur relative de près de 19% contre 35% en 1998 et 6,4% en 1996 alors
qu'il avait stagné en 1995 ». Il ajoute que « si le trafic
international départ est de 36,5 millions de minutes en 1999 contre 31,7
millions de minutes en 1998, soit une hausse de 15%, le trafic arrivée
est de 111 millions de minutes contre 94 millions en 1998, soit une hausse de
19%. D'autre part, 60% environ des recettes de la Sonatel proviennent, en
effet, de ce trafic international balancé. Touba est, après
Dakar, le centre urbain où arrivent le plus d'appels ». Toujours
selon Cheikh Gueye, « ce développement des communications
téléphoniques internationales est aussi
91 Téléfonica est l'opérateur
historique en Espagne. Les migrants sénégalais utilisent beaucoup
les télécentres de Téléfonica et son concurrent,
l'opérateur privé Auna, pour leurs communications
téléphoniques.
136
favorisé par une amélioration du réseau
international par la Sonatel par un système de câbles sous-marins
à fibres optiques : ATLANTIS 2 et SAT3/WASC/SAFE92.
Cette taxe profitait donc aux pays pauvres qui
émettaient plus d'appels qu'ils n'en recevaient, en raison notamment de
la migration d'une importante frange de leurs populations. Pour les compagnies
téléphoniques de la plupart des pays pauvres, le trafic
téléphonique international représentait une source de
revenus non négligeables. Cependant les Etats-Unis arguant, comme
à chaque fois qu'ils ne tiraient pas profit du libéralisme, que
ce système entraînait de lourds déficits à leurs
entreprises et d'énormes flux de capitaux vers des pays
étrangers, l'ont tout simplement remis en cause. Ce qui a
provoqué un véritable tollé et un mécontentement
général des pays pauvres.
Le téléphone contribue plus
généralement au maintien et au renforcement des contacts avec les
membres de la famille restés dans le pays d'origine ainsi qu'avec les
autres compatriotes disséminés à travers le monde.
Grâce au téléphone, la distance et la séparation
géographique ne constituent plus réellement un obstacle pour les
migrants et leurs proches.
Son utilisation de manière communautaire dans les
milieux de la migration internationale sénégalaise montre que cet
outil s'intègre parfaitement aux us et coutumes de cette
communauté fortement imprégnée d'une culture de
l'oralité. Le téléphone est de ce fait devenu un
instrument courant de la vie quotidienne des migrants sénégalais
disséminés à travers le monde. L'importance
accordée au téléphone s'explique pour beaucoup par son
utilité, sa facilité pour joindre les parents ou les amis et
aussi pour informer et rassembler les membres de la communauté. Il joue
un rôle majeur et central non seulement en rendant le pays d'installation
moins répulsif, mais aussi en estompant peu à peu les
discontinuités dans les relations avec le pays d'origine. On comprend
dès lors pourquoi le téléphone est devenu l'instrument
principal pour maintenir les liens familiaux et amicaux en direction du pays
d'origine.
92 SAT 3/WASC/SAFE (South Africa
Telecommunications/West African Submarine Cable/South African and Far East) est
un câble sous-marin à fibres optiques d'une longueur de 28 000 km
qui a été mis en place grâce à une
coopération multilatérale. Doté d'une capacité de
120 Gbits/s, il relie l'Afrique, l'Asie et l'Europe. Son coût total
s'élève à 639 millions de dollars US.
Fruit également d'une coopération
multilatérale, ATLANTIS 2, est un système optique d'une
capacité de 20 Gigabits/ s et d'un coût de 244 milliards de Francs
CFA. Ce câble, mis en service en février 2000, relie le
Sénégal, le Cap-Vert, l'Espagne, le Portugal, le Brésil et
l'Argentine.
137
Quand on observe les données obtenues à travers
les réponses à la question suivante : quel opérateur
téléphonique utilisez-vous ?, on s'aperçoit que
près de la moitié de nos répondants en France utilisent
les services de SFR. On compte en effet 46% de clients SFR parmi les personnes
interrogées. Du fait de ses tarifs relativement attractifs, notamment
certains forfaits dédiés aux étudiants, Bouygues
Télécom se positionne comme le second opérateur de
téléphonie mobile auprès des migrants
sénégalais en France, avec 26% d'utilisateurs. Orange, la filiale
du groupe France Télécom, compte 23% d'utilisateurs et s'impose
comme le troisième opérateur de téléphonie mobile.
Seulement 5% d'entre eux disent recourir aux services des petits
opérateurs de téléphonie mobile comme Virgin Mobile,
Nextel, Maxitel, etc.
Graphique 6. Téléphonie mobile :
opérateurs utilisés
3.2.2 Le téléphone mobile, pour rattacher les
jeunes étudiants au cocon familial
Nous avons déjà évoqué à
quel point le fait d'être arraché au cocon familial pouvait
être très mal vécu par certains étudiants. En leur
permettant de pouvoir désormais communiquer directement avec les parents
à tout instant, le téléphone mobile permet de
138
nouveau aux jeunes étudiants de se rattacher au cocon
familial. Pour beaucoup, le téléphone mobile donne l'impression
que le lien avec la famille au Sénégal auparavant
fragilisé par l'éloignement peut désormais être
activé à tout moment malgré la distance. Il prolonge en
effet le sentiment d'être encore dans le cercle familial. Le
téléphone mobile est l'outil idéal pour permettre au
migrant de surmonter le dépaysement, et aussi de rétablir une
proximité relationnelle avec la famille restée au pays. Il est
devenu l'outil indispensable qui permet précisément de rompre
l'isolement. Cet objet multiforme et plurifonctionnel connaît de nos
jours son heure de gloire. C'est le moyen indispensable pour émettre ou
recevoir une communication téléphonique quel que soit l'endroit
où l'on se trouve et comporte d'autres applications pratiques comme le
SMS, horloge, gestion des plannings, accès à Internet via le
protocole Wap, etc.
Pour les migrants étudiants en France, la communication
téléphonique était autrefois un moment tant attendue pour
eux comme pour les parents restés au Sénégal. En effet,
à cause du coût extrêmement élevé des
communications téléphoniques, les périodicités
d'appel étaient le plus souvent longues, une fois par mois voire une
fois tous les deux à trois mois. Aussi, lors de ces appels émis
à partir des cabines téléphoniques, il fallait
s'enquérir des nouvelles de la famille et aller très vite
à l'essentiel. Pour ceux qui avaient des familles nombreuses, il fallait
d'abord et surtout parler en priorité avec les parents, ensuite s'il
restait des unités sur la carte téléphonique de
l'opérateur téléphonique France Télécom
achetée dans les bureaux de tabac, on pouvait parler très
rapidement avec les autres membres de la famille.
La baisse tous azimuts des coûts de communication
téléphonique et les innovations constantes dans ce domaine ont
largement contribué à la démocratisation rapide du
téléphone mobile qui représente à présent
pour bon nombre d'étudiants le complément idéal pour se
libérer des affres de la solitude et de l'éloignement familial.
Le téléphone mobile semble ainsi rétablir une certaine
continuité dans les relations à distance avec les parents et les
amis restés au Sénégal. De ce fait, il est
considéré comme une aubaine permettant d'estomper petit à
petit les discontinuités entre le pays d'origine et le pays de
résidence.
139
140
Chapitre 4. Le secteur de la téléphonie
au
Sénégal : infrastructures et services
Depuis l'ouverture du marché amorcée en 1996, le
secteur de la téléphonie constitue sans aucun doute l'un des
secteurs les plus attrayants et les plus dynamiques de l'économie
sénégalaise. Avec la multiplication des opérateurs, des
progrès techniques appréciables ont été
observés au niveau des installations et des équipements, sans
oublier de souligner les efforts notables au niveau des investissements.
Cependant, malgré la modernisation et l'extension d'un réseau
téléphonique « pratiquement totalement câblé en
fibres optiques »93, la couverture du pays reste
inégalement répartie avec une forte concentration du
réseau dans la capitale Dakar et des zones notamment rurales peu ou pas
encore desservies. La libéralisation du secteur a entraîné
l'arrivée de deux nouveaux opérateurs. En mars 1999, Sentel,
filiale du groupe Millicom International Cellular, arrive sur le marché
sénégalais et devient le second opérateur de
téléphonie mobile après la Sonatel Mobiles. Faisant preuve
de dynamisme depuis le démarrage de ses activités, il lance sa
marque commerciale Hello en avril 1999 avant de diffuser une nouvelle marque
intitulée Tigo depuis novembre 2005. En septembre 2007, les
autorités sénégalaises attribuent une licence globale de
télécommunications à l'opérateur historique au
Soudan, Sudatel. Ce dernier devient le troisième opérateur de
téléphonie mobile sur le marché sénégalais
avec le démarrage de son produit, Expresso, en janvier 2009. Toutefois,
bien que le marché soit à présent ouvert à la
concurrence, les tarifs restent encore au-dessus du budget de la
majorité des ménages sénégalais dont le pouvoir
d'achat a connu une diminution drastique, notamment en raison de la
flambée des prix de la plupart des denrées de première
nécessité. Mais quoi qu'il en soit, l'accès et
l'utilisation du téléphone (fixe et mobile) se sont largement
répandus auprès des Sénégalais, au point qu'il est
devenu leur principal moyen de communication, de diffusion de l'information. Le
téléphone est devenu, de nos jours, un instrument
fréquemment et couramment utilisé dans la vie quotidienne.
D'après Annie Chéneau-loquay (2009), « aujourd'hui,
l'intérêt et l'utilité du téléphone sont
clairement démontrés par la pratique et ce pour tous les usagers
à quelque niveau social ou spatial qu'ils se situent ». Elle ajoute
que « c'est un outil
93 Chéneau-Loquay, Annie. Les territoires de
la téléphonie mobile en Afrique. NETCOM, septembre 2001,
vol. 15, n° 1-2.
141
particulièrement adapté dans un continent
où les structures sociales sont complexes (familles élargies,
polygamie) et la vie de relation très intense et basée sur
l'échange de la parole ».
4.1 La téléphonie fixe : un secteur
encore sous le monopole de
l'opérateur historique
L'accès au téléphone fixe sur tout le
territoire national est assuré essentiellement par l'opérateur
historique, la Sonatel. Créée en 1985, la Sonatel résulte
de la fusion entre la Société des
télécommunications internationales du Sénégal
(Télésénégal) et l'Office des Postes et des
Télécommunications (OPT). Depuis sa privatisation en 1997, la
Sonatel a comme partenaire stratégique France Câble Radio, filiale
de France Télécom, elle est détenue à 28 % par des
Sénégalais. Dynamique et performante, l'entreprise va
progressivement tenter de diversifier ses services à travers notamment
la gestion du réseau mobile Alizé par sa filiale Sonatel Mobiles
et aussi, à travers l'offre de services Internet par sa filiale Sonatel
Multimédia.
Si l'on tient compte des données fournies par l'Agence
de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP),
le parc total de lignes fixes au Sénégal a constamment
évolué jusqu'en 2006, passant de 229.000 lignes fixes en 2003,
à 244.948 en 2004, 266.612 en 2005 et 282.573 lignes fixes en 2006. Mais
cette croissance du parc de la Sonatel va enregistrer une baisse pour
s'établir à 269.088 lignes en 2007 et à 237.752 lignes
fixes en 2008. Visiblement, cette diminution s'explique en partie par le
renchérissement des denrées de consommation courante
résultant de la crise économique qui affecte durement le pouvoir
d'achat des ménages sénégalais de nos jours. Beaucoup de
ménages modestes avaient profité auparavant des offres de lignes
prépayées pour s'équiper. Face aux difficultés
quotidiennes croissantes, nombreux sont les ménages qui ont donc
préféré résilier tout simplement leurs lignes
téléphoniques pour renforcer prioritairement les revenus
consacrés à la nourriture et à l'entretien des familles.
L'ampleur de la diminution des lignes fixes s'explique aussi, à bien des
égards, par le choc subi de plein fouet par les
télécentres. Sur la période 2007-2008, on est passé
de 15.000 lignes de télécentres à 5.500 lignes, ce qui
montre un déclin irrésistible avec 10.000 lignes de moins rien
que durant ce court intervalle. La ville de Dakar concentre
142
plus de la majorité (près de 67% en 2006) du
parc des lignes fixes. Le taux de raccordement des zones rurales reste encore
relativement faible. Sur les 13.500 villages centres, la Sonatel n'a
réussi à raccorder au réseau du téléphone
fixe que près de 949 en 2003 et 1359 en 2004. Le nombre de villages
centres raccordés au réseau fixe, en 2006, était de 2.341
sur les 14.200 que comptait le Sénégal.
Graphique 7. Evolution du parc de lignes
fixes au Sénégal
Source : ARTP
4.2 Les télécentres au
Sénégal : mort définitive de « la poule
aux oeufs d'or » ou amorce d'une nouvelle «
success story » ?
Les télécentres sont des lieux privés
spécialement aménagés avec une (ou plusieurs) cabine(s)
téléphonique(s) mise(s) à la disposition de la population
environnante. Mais ils peuvent être équipés parfois
d'autres technologies de l'information et de la communication comme le fax, la
photocopie, les micro-ordinateurs connectés ou non à Internet.
Chaque télécentre est généralement doté de
deux lignes équipées de taxaplus ou télétaxes qui
sont des sortes de compteurs permettant aux utilisateurs de contrôler le
nombre d'unités de la communication téléphonique
effectuée. Les télécentres privés communautaires
ont fait leur apparition au Sénégal en 1993 et dès lors
ils ont renforcé leur poids de façon considérable. Le
Sénégal comptait 5734 télécentres entre 1993 et
143
1998, 8200 télécentres entre 1998 et 2000 et
13000 télécentres entre 2000 et 2001. La Sonatel vend 50 Francs
CFA (0,08 euros) l'unité aux gérants qui doivent en plus payer
une taxe d'une valeur ajoutée de 20%. Ensuite, il revient à
chaque gérant de fixer la marge bénéficiaire
souhaitée. La plupart du temps, l'unité de communication est
vendue aux usagers entre 65 Francs CFA (0,10 euros) et 105 Francs CFA (0,16
euros). Les télécentres, dont plus de la moitié est
située à Dakar, ont contribué de manière
extrêmement importante à faciliter l'accès au
téléphone aux populations les plus démunies et habitant
dans les endroits les plus reculés du pays. Les spécialistes des
télécommunications de même que certains observateurs
avertis reconnaissent que les télécentres ont effectivement
largement contribué à banaliser l'usage du
téléphone sur tout le territoire national. Son expansion a
favorisé, selon Gaston Zongo (2000), le développement d'une
véritable culture du téléphone dans la
société sénégalaise, toutes catégories
sociales confondues. En outre, les télécentres ont
également permis à de nombreux jeunes de trouver directement ou
indirectement du travail. Au Sénégal, l'espace du
télécentre est valorisé au maximum par le gérant.
Aussi, il n'est pas rare d'y trouver la fourniture d'autres services, tels que
la vente de matériel de bureautique, la vente de produits
cosmétiques, de vêtements, de produits alimentaires, etc. En 2006,
on comptait plus de 16.000 télécentres.
Néanmoins, il faut aussi admettre avec Olivier Sagna
que l'on assiste aujourd'hui à la mort de la poule aux oeufs d'or avec
le développement à un rythme sans précédent de la
téléphonie mobile. Le succès rencontré par les
innovations majeures prises par les deux opérateurs de
téléphonie mobile de l'époque a contribué à
modifier de façon extrêmement profonde l'environnement des
télécommunications au Sénégal, entraînant
inéluctablement la fermeture de millier de télécentres
(15.000 entre 2005 et 2008) et par ricochet la perte de nombreux emplois. En
effet, dès lors que Sentel, en 2005, et Sonatel Mobiles, en 2006,
offraient désormais les possibilités d'acquérir des cartes
téléphoniques prépayées à des sommes
modiques (1000 FCFA, soit 1,52 euros) et aussi de partager des crédits
à des tiers, les usagers ont commencé à se
détourner des télécentres. Pour faire face à cette
situation, les exploitants de télécentres, regroupés au
sein de l'Union des exploitants des télécentres et des
télé-services du Sénégal (Unetts), comptent
moderniser ces dispositifs d'accès collectifs en les dotant de
matériels informatiques. Selon Monsieur Bassirou Cissé, le
secrétaire général de l'Unetts, ces équipements
permettront de mettre à la disposition des clients de nouveaux services
comme les démarches administratives en
144
ligne (l'e-gouvernance), les paiements des factures
d'électricité ou d'eau, les transferts d'argent, etc. Ce projet,
piloté par l'Agence Informatique de l'Etat, pourra aussi compter sur le
partenariat de l'ARTP, de la Banque mondiale et de Microsoft, entre autres
bailleurs de fonds.
4.3 L'essor extraordinaire du téléphone
mobile dans le pays
d'origine
Depuis l'année 2000, le parc de
téléphonie mobile connaît une croissance spectaculaire.
L'évolution très rapide du téléphone mobile au sein
de la société sénégalaise dépasse les
prévisions les plus optimistes. Sa position hégémonique
s'affirme également davantage chaque jour auprès du grand public.
En moins d'une décennie, il a fait un bond fulgurant, passant de 240.000
abonnés en 2000 à 1.121.314 abonnés en 2004, 1.730.106
abonnés en 2005, 2.982.623 abonnés en 2006, 3.630.804 en 2007 et
à 5.389.133 abonnés en 2008. Le nombre de lignes mobiles a
largement supplanté le nombre de lignes fixes. En 2003, il
représentait près de 3,5 fois le nombre de lignes fixes et
près de 10,5 fois en 2006.
De nombreux utilisateurs ont été attirés
et séduits par sa facilité d'utilisation, son rôle
primordial dans le maintien et le renforcement des relations sociales ainsi que
les multiples services qu'il rend de façon pratique au quotidien. La
concurrence très vive entre les deux opérateurs Sonatel Mobiles
et Sentel, consécutive à la libéralisation du secteur, a
contribué de façon notable au dynamisme du marché. Les
efforts considérables déployés au niveau des
infrastructures et des équipements ont permis l'extension et la
densification des réseaux à travers les principales villes et
axes routiers du pays. Annie Chéneau-Loquay observe par ailleurs que si
la téléphonie mobile connaît un succès aussi
spectaculaire dans un pays comme le Sénégal, c'est dû au
fait que « sa configuration spécifique christallérienne,
permet au réseau cellulaire des accès dans des zones
périphériques aux lieux centraux dépourvues de toute autre
infrastructure moderne » (Annie Chéneau-Loquay, 2001). L'ampleur
considérable de la téléphonie mobile auprès de
l'ensemble du corps social s'explique aussi par une série d'innovations
extrêmement diversifiées mises en oeuvre par les
opérateurs. En effet, afin de favoriser la pénétration du
mobile auprès des personnes à faibles revenus en particulier, les
opérateurs multiplient les
145
initiatives et les promotions commerciales, surtout lors des
fêtes religieuses telles que la Tabaski, la Korité, le Gamou, le
Magal, etc. La majorité de la population ayant des revenus faibles
préfère consacrer de petites sommes aux dépenses
téléphoniques. Aussi, les trois opérateurs en concurrence
(Sonatel Mobiles, Sentel et Sudatel) profitent souvent de ces
évènements religieux pour organiser des campagnes de baisses de
prix tous azimuts. Les possibilités d'acquisition de cartes de recharge
ou de crédits à bas prix et les options de partage de
crédit, notamment Izi de Sentel et Seddo de Sonatel Mobiles, ont ainsi
permis aux populations à faibles revenus d'accéder et de
s'habituer au téléphone qui est devenu le moyen de communication
le plus utilisé au Sénégal.
En outre, le développement du téléphone
mobile a joué un rôle considérable dans la diminution du
chômage des jeunes. Beaucoup de jeunes garçons et filles,
auparavant sans emplois, ont jeté leur dévolu sur ce
créneau pour devenir non seulement des vendeurs de
téléphones portables neufs ou d'occasion, mais aussi des vendeurs
de cartes de crédit ou de crédit en détail à
travers les grandes artères de la capitale sénégalaise.
Les activités autour du téléphone portable
s'étendent également aux métiers de réparation ou
de bricolage et de décodage, exercés dans les rues et les places
de marché de la capitale sénégalaise, en particulier le
marché Sandaga, le marché du port, la « salle de vente
», Colobane, etc. Pour Annie Chéneau-Loquay (2009), on est dans des
territoires africains au sein desquels les populations, confrontées
à des difficultés de toutes sortes, tentent quotidiennement de
mettre en place et de développer « des économies du
détail et de l'occasion », à travers des ruses, des
bricolages, des subterfuges. Néanmoins aussi, il ne faut pas
également oublier l'envers du décor, c'est-à-dire tous ces
individus douteux qui gravitent autour de cette économie
parallèle, l'antre des recels ou plutôt du manque de
traçabilité (selon Moïse Kaboré), ces espaces de la
prolifération des produits de bas de gamme en provenance de la Chine ou
de contrefaçon en provenance du Nigéria, mais surtout les
nombreuses nuisances causées à l'environnement.
146
Graphique 8. Evolution du parc total des abonnés
du mobile au Sénégal
Source : ARTP
4.4 Une utilisation collective du
téléphone fixe et du téléphone
mobile
Les migrants originaires de la vallée du fleuve
Sénégal et une bonne partie des migrants commerçants
partaient essentiellement des milieux ruraux sénégalais où
le téléphone était un objet quasi inconnu pour les
populations. Parmi ceux qui venaient dans les zones déjà
équipées, le téléphone était souvent un
objet rare, voire inaccessible. Selon les témoignages recueillis en
France comme au Sénégal, les périodicités d'appels
étaient le plus souvent relativement longues (une fois par mois et
même plus pour certains) en raison non seulement du coût
élevé des tarifs de communication, mais aussi du fait que leurs
interlocuteurs dans leur pays d'origine étaient rarement
équipés en appareils téléphoniques. Le
réseau téléphonique se limitait essentiellement à
la capitale Dakar, et à certaines zones dans les milieux urbains, et
était globalement concentré dans le centre-ville94.
94 Le centre-ville était le centre
d'activités et aussi le lieu de résidence des cadres de
l'administration. Or ces derniers exigeaient un certain confort et un certain
nombre d'équipements pour leur standing de vie. L'Etat allait par
conséquent financer l'équipement de ces zones tout en oubliant de
se préoccuper du sort d'une bonne partie du territoire national, et
notamment des quartiers périphériques. Ces quartiers
périphériques sont désormais investis par les migrants qui
ont ainsi consenti, avec néanmoins l'aide de l'Etat et parfois
147
Le téléphone a d'abord été une
affaire de privilégiés et de nantis au Sénégal.
Toujours, d'après les témoignages recueillis au cours de nos
enquêtes effectuées auprès de certains migrants originaires
des régions de Diourbel, ce sont les grands marabouts et les grands
dignitaires qui ont été les premiers à se doter de lignes
téléphoniques personnelles dans la région. Pour
communiquer donc par téléphone avec les membres de leurs familles
restés dans la localité d'origine, les migrants avaient recours,
la solidarité aidant, aux numéros de téléphone de
ces personnes équipées. Le migrant appelait dans un premier temps
pour convenir d'un rendez-vous avant de rappeler une deuxième fois pour
joindre cette fois-ci la personne avec qui il désirait parler.
Dans son étude consacrée
précisément aux émigrés sénégalais et
les nouvelles technologies de l'information et de la communication, Serigne
Mansour Tall souligne l'usage communautaire du téléphone portable
de Khady Diagne par tous les habitants (150 personnes) du village de Gade
Kébé dans la région de Louga. Le téléphone
portable de Khady Diagne dont le mari est émigré en Italie sert
non seulement de « point de réception d'appels domestiques pour
tous les villageois », mais aussi c'est à la fois un instrument de
diffusion d'informations ayant trait aux cérémonies et un outil
de travail pour les jeunes filles du village à la recherche d'un emploi
domestique de même que pour les commerçants établis dans le
village. Ainsi donc, même si l'utilisation du téléphone
mobile s'est très largement répandue aujourd'hui au
Sénégal comme un peu partout en Afrique d'ailleurs, les relations
sociales sont façonnées de telle sorte que les usages
communautaires ont encore de beaux jours devant eux. Et à notre avis,
c'est cela qui va faire le succès des technologies de l'information et
de la communication au Sénégal en particulier et en Afrique en
général. Au Sénégal, le migrant pouvait appeler
chez n'importe quel voisin du quartier proche ou lointain équipé
en ligne personnelle, il était quasiment sûr que son message
allait bien arriver à son destinataire.
celle des collectivités locales, de gros efforts
financiers pour y construire des maisons et aussi doter ces espaces
d'infrastructures en eau, en électricité, en
téléphone, etc.
148
Deuxième partie. Les migrants
sénégalais et
Internet : accès, usages et modes
d'appropriation
149
150
Introduction
Dans ses travaux, Thomas Guignard95 souligne fort
justement que l'Internet sénégalais ou l'Internet des
Sénégalais est un espace extraterritorial
caractérisé par une imbrication complexe des niveaux entre le
local et le global. Autrement dit, les interactions ou les entrecroisements
entre ces différentes échelles géographiques sont si
exacerbés qu'il est impossible de limiter l'émergence,
l'extension et la propagation de l'Internet sénégalais aux seules
limites du territoire national. Par conséquent, loin de se
réaliser dans les seuls contours géographiques de l'espace
national, l'Internet des Sénégalais nous renvoie en fait à
l'existence « d'un espace déterritorialisé,
détaché de l'espace national et animé par de multiples
flux d'information et de communication au sein duquel la proximité
géographique n'a que peu de signification »96. La
production et l'accès aux flux d'information et de communication portant
exclusivement sur le Sénégal ne se réduit donc pas
nécessairement à l'enracinement dans un lieu, en particulier
l'espace sénégalais, mais ils peuvent se retrouver en tous lieux
accueillant des ressortissants sénégalais. D'où le
caractère multidirectionnel des pôles de diffusion et de
réception de ces flux médiatiques. Il existe en effet toute une
série d'espaces parcourus et habités par des migrants
sénégalais dans lesquels se déroulent de nombreuses
initiatives en vue de marquer de multiples façons la présence et
la visibilité du Sénégal sur Internet. On assiste ainsi
à ce que certains considèrent comme un brouillage des
frontières entre l'ici et l'ailleurs, c'est-à-dire le lieu
précis où se trouve la personne et un autre lieu différent
ou lointain se rencontrent, se chevauchent et interagissent l'un avec
l'autre.
Mais ce qui paraît important de souligner ici, c'est le
rôle extrêmement important des migrants dans l'animation et le
dynamisme de l'Internet sénégalais. S'il est vrai que les
migrants constituent en effet l'essentiel du public auquel s'adressent les
contenus diffusés généralement à partir du pays
d'origine, il est aussi intéressant de noter qu'ils jouent un rôle
indéniable dans l'émergence et le développement de
l'Internet sénégalais, à travers notamment la production
de multiples contenus web. Certains d'entre eux font preuve de
95 GUIGNARD, Thomas. Le Sénégal, les
Sénégalais et Internet : médias et identité.
Lille : Université Charles-de-Gaule - Lille 3 : 2008, 400 p.) (Th.
Doctorat Sciences de l'information et de la communication : Lille 3 : 2008)
(FICHEZ, Elisabeth. Directeur de thèse). Disponible sur :
http://www.africanti.org/IMG/memoires/memoires/theseGuignard.pdf
96 Idem.
151
créativité, de détermination et de
professionnalisme afin de mettre en ligne des sites web avec des contenus et
des services de qualité sous forme de textes, images et d'autres
éléments multimédias. Ils sont d'une manière
générale au coeur du processus de développement de
l'Internet sénégalais. Les migrants agissent de façon
multiforme pour permettre à leur pays d'origine d'avoir une meilleure
visibilité sur le web. Ils constituent des acteurs incontournables du
web sénégalais qui dépend en grande partie au moins de ce
que Thomas Guignard qualifie éventuellement de « sites hybrides de
qualité qui empruntent des formats occidentaux acclimatés
»97. Plus précisément, c'est autour de la double
appartenance98 que les migrants s'emploient à agencer la
plupart de ces sites web. Ce qui contribue par ailleurs à apporter une
certaine consistance et à augmenter la densité des services
proposés sur le Sénégal à travers le Net. Dans le
chapitre consacré aux associations de migrants sénégalais
en France présentes sur le web, nous verrons cette culture de
l'entre-deux qui se juxtapose constamment. La coexistence entre certains
aspects de la culture du pays d'origine et ceux du pays d'accueil est une
dimension essentielle des contenus web produits à travers ces sites
internet.
Dans cette partie, nous commencerons par examiner, dans le
chapitre 5, la dynamique de l'Internet au Sénégal et la place de
ce pays dans le réseau mondial. Comment faut-il comprendre cette
position de choix du Sénégal parmi les pays africains où
l'Internet a connu une percée significative au cours de ces
dernières années? Il s'agira d'interroger quelques uns des
nombreux projets, entre autres, menés dans le cadre de la
coopération internationale (bilatérale ou multilatérale)
en faveur du développement d'Internet au Sénégal. Les
progrès réalisés dans ce domaine résultent
également d'une forte impulsion donnée par les acteurs publics et
aussi par les acteurs privés dont bon nombre s'activent essentiellement
dans le secteur dit informel. Dans le chapitre 6, nous tenterons de voir plus
clair dans les pratiques et les usages de l'Internet par les migrants
sénégalais. Il s'agira plus particulièrement de se pencher
sur les différents usages de l'Internet par les ressortissants
sénégalais vivant en France. On remarquera, à ce propos,
l'extrême diversité des usages et aussi l'appropriation de
certaines applications pratiques d'Internet. On constatera à quel point
les migrants ont intégré les nouvelles formes d'échanges
épistolaires électroniques dans de nombreux domaines de leur vie
de tous les
97 Ibid.
98 Nous considérons la double appartenance
comme le fait qu'une personne arrive à se considérer comme
appartenant ou comme étant membre à la fois de deux groupes
socioculturels bien distincts.
152
jours. Nous évoquerons l'engouement des
Sénégalais de l'extérieur pour les sites portails. Il en
va de même des médias diffusés en ligne et qui permettent
aux migrants de se connecter en temps réel à l'actualité
du pays d'origine. Il y a d'autres particularités qui sont importantes
à observer, c'est d'une part l'énorme succès de la
communication téléphonique par Internet dans les milieux de la
migration sénégalaise en France et d'autre part l'adhésion
et la ferveur des jeunes migrants pour les sites de réseaux sociaux en
ligne, notamment Facebook. On verra aussi le rôle des migrants dans le
dynamisme de la blogosphère sénégalaise. En effet, les
migrants, en créant des blogs « citoyens », ou des blogs
destinés à élargir leurs réseaux d'amitié
(c'est le cas des Sénégalaises vivant en France) ou tantôt
des blogs religieux participent à améliorer la visibilité
et la présence du Sénégal dans la blogosphère.
Enfin, dans le chapitre 7, nous nous intéresserons essentiellement aux
associations de migrants sénégalais en France présentes
sur le web. Nous tenterons de montrer le dynamisme du web
sénégalais à travers les initiatives des associations de
migrants sénégalais implantés dans certaines
régions françaises. A cet égard, nos observations semblent
indiquer que ce sont surtout les associations des étudiants
sénégalais dans les différentes villes universitaires
françaises qui sont à l'avant-garde de ce processus d'utilisation
d'Internet comme moyen d'information et de communication.
153
154
Chapitre 5. Internet au Sénégal et le
Sénégal sur
Internet
Dans la morosité ambiante qui caractérise de
manière générale le Sénégal d'aujourd'hui,
avec une dégradation brutale des conditions d'existence de la
majorité de la population liée aux difficultés
rencontrées par presque tous les secteurs essentiels de
l'économie, le pays parvient tout de même à se distinguer
par un secteur des télécommunications moderne et performant. En
d'autres termes, dans ce contexte de crise généralisée
à tous les niveaux, le Sénégal a quand même
réussi à se doter et à maintenir un secteur des
télécommunications relativement dynamique, certainement l'un des
plus avancés et des plus compétitifs en Afrique de l'Ouest. En
Afrique, le Sénégal fait d'ailleurs figure de pôle
position, avec cependant d'autres pays comme l'Afrique du Sud, le Maroc, etc.
aussi bien au niveau des infrastructures Internet que des utilisateurs
d'Internet. Ce dynamisme du secteur des télécommunications
résulte non seulement d'une volonté politique forte
entamée sous l'ancien régime socialiste et confortée par
le régime libéral dit de l'alternance, mais ce dynamisme est
aussi le fait d'une participation active à travers de nombreux projets
de coopération de dimension internationale.
Après avoir connu des débuts relativement
timides, Internet commence à se faire progressivement une place dans le
paysage médiatique sénégalais. La présence du
Sénégal sur Internet se traduit principalement par la
création et la mise en ligne d'une part, de sites web de noms de domaine
enregistrés .sn, et d'autre part, de sites web portant sur le
Sénégal ou encore de sites web dont les hébergeurs se
trouvent au Sénégal. C'est une présence qui se manifeste
dans des secteurs divers comme l'administration, l'économie, la
politique, l'éducation, la santé, la culture, la religion, le
sport, les médias, etc.
Cependant il faut souligner, comme le fait remarquer Thomas
Guignard encore une fois, qu'Internet a suscité un engagement sans
faille avec un certain optimisme plutôt béat parfois, notamment de
la part des autorités sénégalaises. Pour les nombreux
apôtres d'Internet (les autorités sénégalaises et
les institutions internationales en particulier), cette technologie est d'un
côté la panacée qui va faire connaître au
Sénégal le bond technologique tant attendu et, d'un autre
côté elle est la solution miracle qui va arrimer le
155
Sénégal dans cette nouvelle civilisation du
troisième millénaire que d'aucuns qualifient de
société de l'information. Néanmoins, même s'il
convient de tempérer ces ardeurs ou cette ferveur autour d'Internet,
force est de constater tout de même que cette technologie possède
de nombreuses potentialités pouvant contribuer à
améliorer, dans bien des cas, le quotidien des
Sénégalais.
Nous verrons donc que l'insertion et le développement
d'Internet au Sénégal ont été favorisés par
une coopération multilatérale soutenue en particulier par les
pays occidentaux constitués au premier plan par la France, le Canada et
les États-Unis et par les organismes internationaux comme l'UNESCO,
l'AUF, etc. Nous montrerons aussi que l'expansion d'Internet au
Sénégal résulte d'une réelle volonté
politique publique d'un État soucieux de parvenir d'une certaine
manière à instaurer un minimum de service universel pour tous ses
citoyens et ceci sur tout le territoire national. La libéralisation du
secteur des télécommunications en 1993 va également
inciter davantage l'opérateur historique, la Sonatel a faire preuve
d'initiatives dans le domaine des investissements, des infrastructures et des
équipements.
5.1 Historique et dynamique de l'Internet au
Sénégal
C'est à la fin des années 1980, que l'Internet
fait, de la manière la plus discrète, son apparition au
Sénégal pour la première fois, notamment dans les milieux
de la recherche scientifique. En fait, les premiers noeuds ayant permis au pays
de se connecter au réseau mondial ont été implantés
successivement, d'un côté par l'institut français de
recherche pour le développement (IRD) dans le cadre du programme RIO
(Réseau Intertropical d'Ordinateurs) et, d'un autre côté
par l'institution des Nations-Unies spécialisée dans
l'éducation, la science et la culture (UNESCO) dans le cadre du projet
RINAF. On peut raisonnablement dire que le Sénégal a su
développer au bon moment, c'est-à-dire dès les
débuts de l'émergence d'Internet, des stratégies
particulièrement avisées qui vont lui permettre par la suite de
bénéficier des infrastructures et des services mis en place par
les réseaux de coopération scientifique et technique sous la
tutelle des pays du Nord.
156
Cependant, comme le révèle Olivier
Sagna99, c'est en réalité au cours du mois de mars
1996 que le Sénégal s'est véritablement connecté
à cet espace de communication, d'information et de liberté que
constitue le réseau Internet. La fourniture d'accès à
Internet était alors assurée principalement par la
société Télécom-Plus, filiale de l'entreprise
publique de télécommunications, la Sonatel, et le
cybercafé Métissacana100. Si l'on se
réfère toujours aux travaux d'Olivier Sagna101, il
apparaît que c'est plus particulièrement dans un contexte
caractérisé d'abord par la libéralisation du secteur des
télécommunications et la privatisation de la Sonatel et, puis par
la mobilisation et la mise en place de nombreuses initiatives de la
communauté internationale mais aussi de la société civile
que le Sénégal va précisément faire son
entrée dans l'ère de l'information durant la décennie
1996-2006.
Par ailleurs, comme l'avait auparavant constaté Thomas
Guignard, on remarque que le paysage de l'Internet au Sénégal est
encore caractérisé par une forte disparité
géographique ou dichotomie entre Dakar, le pôle administratif et
économique, assez correctement connectée (si
éventuellement l'électricité ne fait pas défaut) et
les autres régions du pays dont quelques unes semblent relativement bien
branchées tandis que d'autres sont un peu encore à la
traîne, voire parfois, pour certaines, complètement en marge de
cette grande innovation technologique.
99 Sagna, Olivier. Les TIC et le
développement social au Sénégal,
http://www.unrisd.org, 2001.
100 Un des premiers cybercafés ouvert en Afrique,
Métissacana (qui veut dire le métissage est arrivé en
Bambara) a été créé par la styliste
sénégalaise Oumou Sy et son mari Michel Mavros en juillet 1996.
Situé dans le centre-ville de Dakar, au coeur du quartier administratif
et des affaires, Métissacana offrait à sa clientèle des
services multiples et diversifiés, allant de l'accès à
Internet à toute une série d'activités culturelles et
artistiques. Métissacana a joué indéniablement un
rôle de premier plan dans la promotion, la diffusion et
l'évolution de l'Internet au Sénégal. Selon Michel Mavros,
Métissacana a arrêté ses activités d'Internet
provider en mai 2002 pour « cause d'environnement hostile, entre d'une
part, l'abus de monopole et la concurrence de la Sonatel/France
Télécom et d'autre part, le laxisme de l'État en
matière de législation et de réglementation du secteur
».
101 Sagna, Olivier. Le Sénégal dans l'ère
de l'information (1996-2006). Sociétés africaines de
l'information : illustrations sénégalaises. IVETCOM,
2008, vol. XXII n° 1-2, pp. 13-36.
157
Carte 2. Carte administrative du
Sénégal
5.1.1 La coopération internationale
Traditionnellement, le Sénégal est un pays
très actif dans les projets de coopération et de partenariat
internationaux. La coopération internationale est un domaine essentiel
qui contribue, dans bien des cas, à pallier les nombreuses carences de
l'État sénégalais. C'est dans ce cadre que des projets
multiples ont été initiés avec divers acteurs
(États, ONG et organismes internationaux) du Nord afin de permettre au
Sénégal de bénéficier des innovations
technologiques et de participer à la société de
l'information ou de la connaissance. Ainsi, le Sénégal a pu donc
bénéficier simultanément, dans le cadre de la
coopération internationale, de nombreux programmes en faveur de
l'insertion et de la diffusion des TIC en général et de
l'Internet en particulier dans les pays pauvres. Parmi les divers programmes
orientés vers les nouvelles technologies et initiés au
Sénégal, il y a les projets RIO, RINAF, REFER, etc.
158
5.1.1.1 Le rôle pionnier dès 1989 du
réseau RIO
Le projet phare qui va jouer un rôle extrêmement
important dans l'insertion et le développement d'Internet au
Sénégal est principalement le projet RIO (Réseau
Intertropical d'Ordinateurs) mis en place par l'IRD en novembre 1998. Selon
Pascal Renaud de l'IRD, le RIO devait poser les jalons de la participation des
pays de l'Afrique francophone en particulier « à la construction
des réseaux de la recherche » et contribuer au rapprochement de la
communauté scientifique internationale102. Son objectif
visait donc à promouvoir et développer des échanges
scientifiques entre des chercheurs évoluant dans des structures de
recherche basées dans des pays en voie de développement avec
leurs homologues dans les pays du Nord. Ainsi à travers les
réseaux électroniques initiés dans le cadre de ce
programme de recherche, l'IRD a pu relier la communauté scientifique
d'une dizaine de pays d'Afrique francophone sub-saharienne à la
communauté universitaire et scientifique internationale. Eric Bernard
(2003) rappelle qu'ils seront sept pays africains à
bénéficier des services du réseau RIO, notamment le
Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Côte d'ivoire, le Congo,
la Guinée-Conakry, le Madagascar, le Mali, le Niger, le
Sénégal et le Togo. Il précise en outre que dans ce
dernier, l'existence du RIO sera de courte durée, en raison de la
fermeture du centre ORTSOM relative aux troubles politiques ayant secoué
le pays. A la suite de son déploiement au Sénégal, le RIO
va progressivement poser les bases de la diffusion de la messagerie
électronique, d'échange de données et par
conséquent d'une collaboration plus efficace entre des équipes de
recherche implantées au Sénégal et leurs homologues dans
certains pays du Sud et du Nord.
5.1.1.2 En 1992, le Sénégal dispose d'un
noeud du projet RINAF de l'UNESCO
Le Réseau Informatique Régional pour l'Afrique
(RINAF) a été lancé par l'UNESCO dans le cadre du
Programme Intergouvernemental pour l'Informatique (PII). Ce projet
multilatéral visait à promouvoir la mise en place
d'infrastructures d'accès et la fourniture de services
électroniques (courrier électronique, accès aux bases de
données, listes de
102 Pascal Renaud, Historique de l'Internet du Nord au Sud. In
CHENEAU-LOQUAY, Annie (Dir). Enjeux des technologies de la communication en
Afrique : du téléphone à Internet. Paris : Karthala,
2000.
159
discussions, etc.) dans une vingtaine de pays africains. Sa
mise en oeuvre sera initialement confiée au comité africain de
pilotage. De la même manière que le Nigéria et la
Guinée, le Sénégal a bénéficié d'un
noeud dès la mise en oeuvre du projet (E. Bernard, 2003). Cependant,
insiste Eric Bernard, « le Sénégal et le Nigéria ont
été définis chacun comme noeud sous-régional
». Au fil du temps, le RINAF est finalement devenu un projet strictement
africain destiné à favoriser la circulation et l'échange
d'informations à caractère scientifique, technique,
économique et culturel entre institutions universitaires, instituts
techniques ou tout autre organisme académique chargé de produire
et diffuser des informations à caractère scientifique et
technique en Afrique.
5.1.1.3 Le réseau REFER de l'AUPELF est
lancé en 1994
Au même titre que la Côte d'Ivoire, le Burkina
Faso et le Bénin, le Sénégal fait partie des premiers pays
africains à bénéficier du Réseau Francophone de
l'Éducation et de la Recherche (REFER). Ce projet piloté par
l'Association des universités partiellement ou totalement de langue
française (AUPELF) avait essentiellement comme objectif la production et
la valorisation de contenus francophones, « mais le REFER était
aussi un système de messagerie électronique » (E. Bernard,
2003). Accessible depuis les centres Syfed (Système francophone
d'édition et de diffusion), le REFER avait principalement pour vocation
de mettre à la disposition des universitaires francophones du Sud et du
Nord des informations à caractère scientifiques et techniques.
Ces centres Syfed sont devenus actuellement des campus numériques et des
centres d'accès à l'information et sont implantés dans
vingt cinq pays à travers le monde. Equipés de passerelles
d'accès à Internet, de serveurs et de machines de consultation,
ces universités virtuelles francophones ont comme objectifs «
d'augmenter la présence francophone sur Internet », de fournir aux
francophones les moyens « de devenir des acteurs de l'Internet » et
« d'offrir des contenus scientifiques de qualité aux chercheurs
francophones » (
www.refer.org).
160
5.1.1.4 Une participation tous azimuts aux programmes
de coopération internationaux mais aussi régionaux
Tout ce qui vient d'être évoqué montre
bien que les institutions internationales sont effectivement des acteurs clefs
dans le processus d'insertion et de démocratisation des TIC et plus
particulièrement de l'Internet au Sénégal. Parmi les
nombreuses initiatives internationales prises en faveur du développement
de l'accès à Internet au Sénégal, on peut citer
l'initiative Leland mis en place par le gouvernement américain en 1996.
Ce projet, qui est en fait sous la responsabilité de l'Agence des
États-Unis pour le développement international (USAID), visait
précisément la connexion à Internet de façon rapide
et à faible coût d'une vingtaine de pays de l'Afrique
sub-saharienne dont le Sénégal et aussi à promouvoir
éventuellement leur développement durable. Cette initiative avait
pour ambition de faire en sorte que ces pays puissent réellement
bénéficier de tous les avantages procurés par la
société de l'information, dans une logique de partenariat entre
le secteur public et le secteur privé.
Le Sénégal a participé également
à des programmes canadiens pour le développement des NTIC en
Afrique. Il s'agit des programmes Acacia et Connectivité Afrique. Mise
en oeuvre en 1996 et pilotée par le Centre de Recherches pour le
Développement International (CRDI) qui est une société
d'État créée par le parlement canadien en 1970 dans le but
d'appuyer les scientifiques dans la recherche de solutions aux problèmes
vitaux auxquels sont confrontés les pays en voie de
développement, l'initiative Acacia était destinée à
favoriser, via les NTIC, un développement social et économique
durable et équitable des pays bénéficiaires de l'Afrique
subsaharienne en soutenant globalement les politiques mises en oeuvre et
déployées par les différentes communautés locales.
En juin 2002, les huit pays supposés les plus riches du monde
(États-Unis, Japon, Canada, Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie
et Russie), qui cherchent à imposer leurs points de vue et gouverner
directement ou indirectement la planète, s'étaient réunis
au sommet de Kananaskis au Japon, où ils avaient pris ensemble la
décision de concevoir un projet dénommé «
Connectivité Afrique ». Cette initiative, lancée
officiellement en avril 2003 à Kwa Maritane en Afrique du Sud,
était dirigée aussi par le CRDI en partenariat avec la Commission
Économique pour l'Afrique (CEA). Selon son coordinateur Steve Song,
« Connectivité Afrique » avait principalement pour objectif
« d'utiliser toute la palette disponible des nouvelles technologies pour
améliorer la
161
connectivité de l'Afrique et surtout la rendre moins
chère »103. Cette initiative visait donc à
combler le fossé numérique entre les pays riches et les pays
pauvres dans le cadre plus global de la Dot Force (Digital Opportunity Task
Force que l'on peut traduire en français par groupe d'experts pour
l'accès aux nouvelles technologies) créée par les pays du
G8 en juillet 2000 lors du sommet organisé à Okinawa au Japon.
Il serait fastidieux de vouloir analyser toute la panoplie de
projets développés dans le cadre de la coopération
internationale en faveur de l'émergence de l'Internet en Afrique de
manière globale. On peut néanmoins en énumérer
pêle-mêle certains comme le projet RASCOM (l'organisation
régionale africaine de communications par satellite) qui a vu le jour en
1993, le réseau ANAÏS créé en octobre 1996 en faveur
de la promotion des TIC en Afrique et de leur utilisation effective et efficace
au profit du plus grand nombre, l'ISOC (l'Internet Society) créée
en janvier 1992 et dont la mise en oeuvre dans une trentaine de pays africains
devait permettre l'accès à « l'Internet pour tous », le
réseau Recherche Éducation pour une meilleure circulation de
l'information scientifique et technique avec l'émergence et la
structuration d'une communauté scientifique africaine travaillant en
étroite relation de partenariat avec celle des pays du Nord, le PADIS
(le système panafricain d'information) créé en 1980, le
réseau international d'information sur l'environnement, Infoterra, un
programme initié par le PNUE (le Programme des Nations Unies pour
l'Environnement) en 1975, le projet OICIS-Net du réseau d'information de
l'OCI (Organisation de la Conférence Islamique) créé par
la BID (Banque Islamique de Développement) en avril 2000, le RAPIDE (le
Réseau Africain pour l'Intégration et le Développement)
mis en place par la PANA (agence panafricaine d'information) en faveur de la
promotion de contenus africains sur Internet... Cependant, pour Annie
Chéneau-Loquay et Raphaël Ntambue-Tshimbulu (2003), « les
années de coopération internationale, durant la période
comprise entre 1989 et 2003, révèlent une évolution
mitigée des visions et stratégies des intervenants, l'affirmation
des organes internationaux de gestion globale des TIC, la multiplication des
applications des TIC dans divers domaines de la coopération au
développement ainsi qu'une adaptation difficile de tous ces instruments
aux enjeux nouveaux de l'ère de l'information ».
103 COLY, A. J. « Connectivité Afrique »,
réponse canadienne aux besoins du continent. In Le Soleil du
24/01/2002.
Disponible sur :
http://www.osiris.sn/article877.html.
Consulté le 27/09/2005.
162
5.1.2 Une forte impulsion des acteurs étatiques
Si la transition dans le domaine des technologies de
télécommunication a pu être réalisée au
Sénégal avec un certain succès, c'est aussi parce que
l'État a pris très tôt conscience des enjeux liés
à l'émergence et au développement des TIC. Les acteurs
étatiques ont joué un rôle actif et important pour la
promotion et le développement des technologies de l'information et de la
communication sur tout le territoire national. Même si certains
observateurs comme Thomas Guignard, ont pu noter, à juste titre
d'ailleurs, un net décalage entre les ambitions parfois
démesurées et la réalité, il faut quand même
reconnaître que les pouvoirs publics sénégalais ont
consentis de gros efforts et engagés une profonde réflexion
basés en particulier sur la valorisation des ressources et atouts
humains (formation d'ingénieurs informaticiens à l'école
polytechnique de Thiès dès les années 1980) et des
potentialités techniques dont dispose le pays. Cette
détermination des pouvoirs publics s'est aussi traduite par une
politique d'ouverture de certains segments du secteur des
télécommunications avec l'ouverture partielle du capital de la
Sonatel en 1996 et une volonté affichée de parvenir à
amener l'opérateur historique des télécommunications
à proposer des tarifs accessibles au plus grand nombre. Cet
impératif va inciter davantage l'État sénégalais
à mettre progressivement en oeuvre des réformes avec la
libéralisation totale du secteur des télécommunications en
août 2004, et à entreprendre des projets qui vont contribuer plus
tard à améliorer de manière qualitative et quantitative
l'offre de services de télécommunications mise à la
disposition des usagers. Ce qui a permis en même temps une forte
modernisation du réseau et son extension dans presque toutes les
régions du pays.
Toujours dans son souci permanent d'assurer l'ouverture du
secteur des télécommunications à d'autres
opérateurs tout en l'encadrant avec des règles clairement
définies d'une part, et d'autre part de faire la promotion des TIC en
vue de leur utilisation dans divers secteurs d'activités et de
répondre favorablement à la demande de baisse des tarifs
exprimés par les populations notamment les plus démunies,
l'État a mis en place d'autres structures comme l'Agence de
Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) et
l'Agence de l'Informatique de l'État (l'ADIE).
Avant la promulgation de la loi n° 2006-02 du 4 janvier
2006 qui a élargi son domaine de compétences au secteur de la
poste, l'ARTP s'appelait tout simplement l'ART (Agence de Régulation des
Télécommunications). Actuellement, elle est chargée de
163
veiller notamment, par un contrôle permanent et
impartial104, à l'exécution et au respect d'une
concurrence loyale, libre et saine dans le secteur des
télécommunications, et aussi de procéder à la mise
en place d'un cadre réglementaire propice pouvant simplifier les
procédures et accompagner plus facilement la libéralisation
souhaitée dans le secteur postal. (Source : htpp://
www.artp.sn)
A la question de savoir en quoi consistait
précisément la mission de l'ADIE, son directeur
général, Monsieur Tidiane Seck répond que son agence a
pour vocation non seulement de favoriser l'utilisation de manière plus
efficace « des nouvelles technologies au sein du gouvernement mais aussi,
plus largement par tous les citoyens ». Cette réponse de Monsieur
Seck nous semble beaucoup plus pondérée que l'ambition vraiment
démesurée assignée à l'ADIE et consistant à
vouloir faire du gouvernement un e-gouvernement et du citoyen
sénégalais un e-citoyen. Se fixer de tels objectifs dans le
contexte actuel du Sénégal fait de difficultés de toutes
sortes pour les populations relève à notre avis d'un manque de
réalisme et de vision. Il faut savoir raison gardée, car par
quelle alchimie l'ADIE peut-elle parvenir vraisemblablement à
transformer aujourd'hui 48,5% d'illettrés sénégalais en
des e-citoyens ? Loin de nous aussi toute idée de rejeter ou de nier les
nombreuses potentialités en matière d'administration, de
participation citoyenne et plus généralement de bonne gouvernance
offertes désormais par Internet, mais nous pensons que le
Sénégal, en l'état actuel, a des défis beaucoup
plus importants et urgents à relever. Les maux chroniques qui
gangrènent actuellement la société
sénégalaise nous interpellent. Ces maux endémiques dont
souffrent les Sénégalais ont pour nom : la mauvaise gouvernance,
la corruption à vaste échelle, le gaspillage des maigres
ressources du pays, le chômage massif et endémique des jeunes, un
tissu socio-économique complètement disloqué, un
système éducatif moribond, un secteur médical malade, les
coupures intempestives d'électricité105, etc.
104 En 2006, les responsables de Tigo, le deuxième
opérateur de téléphonie mobile, avaient
dénoncé les visites inopinées intempestives
effectuées dans leurs locaux par les agents de l'ARTP. En 2007, les
sanctions prises contre l'opérateur historique, la Sonatel, à qui
l'ARTP avait infligé une pénalité de 3.196.800.000 FCFA
soit 4.873.490 euros représentant 1% du chiffre d'affaires de 2005, en
raison de la mauvaise qualité du réseau de sa
téléphonie mobile, avait suscité l'ire et la
réprobation des syndicalistes de l'entreprise. Saisi par la Sonatel qui
avait vivement contesté cette décision, le Conseil d'État
avait finalement conforté l'ARTP dans sa position.
105 L'approvisionnement en électricité
connaît actuellement de très sérieuses difficultés.
Les coupures intempestives d'électricité sont devenues le lot
quotidien des Sénégalais. Aucune localité du pays n'est
épargnée par les coupures quotidiennes de courant. La
société nationale d'électricité, la SENELEC, se
trouve actuellement dans l'incapacité de satisfaire les besoins en
électricité de la population, faute de ressources
financières suffisantes pour s'approvisionner en combustible et aussi
faute d'avoir su prendre à temps les mesures idoines afin de
prévoir l'augmentation de la demande et de procéder au
remplacement
164
Aveuglés par l'utopie de la communication et sous
l'euphorie du mythe du village planétaire (P. Breton, 2007), les
autorités sénégalaises eurent l'idée de proposer le
fonds mondial de solidarité numérique. Lancé par le
président Abdoulaye Wade lors du sommet mondial de la
société de l'information à Genève en
décembre 2003, ce fonds avait spécifiquement pour but de
combattre et de réduire la fracture numérique entre les pays du
Nord et les pays du Sud. Comme on peut le relever à travers
l'encyclopédie électronique wikipédia, cette initiative du
gouvernement sénégalais avait quand même suscité un
enthousiasme mondial avec des soutiens pluriels, notamment de l'Union
Européenne en février 2005 à Bruxelles, du Sommet mondial
sur la société de l'information en novembre 2005 à Tunis,
du Sommet de Bilbao en novembre 2005, de la Conférence internationale
« solidarité et mondialisation : financements innovants pour le
développement à Paris en février 2006, de la
réunion plénière du groupe pilote sur les
mécanismes de financements innovants à Brasilia en juillet 2006,
de la XIe conférence des chefs d'État et de gouvernement de la
francophonie à Bucarest en septembre 2006, de la IIe réunion des
ministres ACP (Afrique Caraïbe Pacifique) de la culture à
Saint-Domingue en octobre 2006, du Xe sommet des chefs d'État et de
gouvernement des états ACP à Khartoum en décembre 2006. Au
cours de ces différents sommets, des résolutions ont
été prises pratiquement par toutes les nations dans le but de
soutenir et d'encourager la mise en oeuvre du principe de 1% de
solidarité numérique106, proposé par ses
hérauts et représentants, afin d'alimenter le fonds et
réduire la fracture numérique.
5.1.3 Les fournisseurs d'accès à internet
(les FAI) ou providers
Les fournisseurs d'accès à Internet ou providers
(issus de l'appellation anglaise internet services providers) sont des
prestataires offrant des services payants qui permettent tout simplement aux
usagers d'établir une connexion au réseau informatique
de ses unités de production obsolètes et
vétustes. Malgré les travaux de modernisation du réseau
électrique entrepris dernièrement par le gouvernement
sénégalais, les populations en particulier et l'économie
en général continuent de subir les désagréments des
coupures d'électricité. Excédées, les populations
sont sorties dans les rues des grandes villes sénégalaises telles
que Dakar et Saint-Louis pour manifester leurs mécontentements et exiger
l'arrêt immédiat des coupures d'électricité les
1er et 2 septembre 2009.
106 Le principe du « 1% de solidarité
numérique » est un mécanisme de financement destiné
à la réalisation d'une société de l'information
moins inégalitaire, plus juste et plus équitable. Il s'agit d'une
clause rappelant les entreprises publiques ou privées postulant à
des appels d'offres de biens et de services liés aux TIC de s'engager
à prélever 1% de la transaction sur leur marge
bénéficiaire et à le verser au Fonds mondial de
solidarité
165
Internet. Aujourd'hui, il ne reste plus, d'après
l'observatoire sur les systèmes d'information, les réseaux et les
inforoutes au Sénégal (OSIRIS) que quelques FAI identifiés
dont les principaux sont essentiellement localisés à Dakar. Parmi
les plus actifs, on peut citer, entre autres, Sonatel Multimédias, Arc
Informatique, Enda Tiers Monde, Trade Point Sénégal,
l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Disso Adsl et
kheweul.com. La Sonatel,
l'opérateur historique, et le cybercafé Métissacana ont
été les précurseurs dans l'aventure de la fourniture
d'accès à Internet au Sénégal.
Fondé en 1996 par la styliste Oumou Sy, Michel Mavros
et Alexis Sikorsky, Métissacana (qui signifie en bambara le
métissage est arrivé) était à la fois prestataire
et point d'accès à Internet. Après bien des
péripéties et pour cause de conflit exacerbé avec la
Sonatel accusée en son temps, par les responsables de
Métissacana, d'exercer un abus de monopole et une concurrence
déloyale avec la complicité d'un État laxiste,
Métissacana, le premier cybercafé implanté en Afrique de
l'Ouest, a dû fermer les portes de son local situé à
proximité du marché Sandaga dans le centre-ville de Dakar. En
cessant son activité de provider en mai 2002, Métissacana a mis
fin à une aventure exemplaire en Afrique qui voulait, selon Michel
Mavros, « faire du Réseau un média de masse au
Sénégal »107.
C'est en 2001 que le groupe Sonatel a créé sa
filiale Sonatel Multimédias chargée du développement de
l'activité Internet sous la marque Sentoo. Avec près de 14.000
abonnés en fin 2004, la Sonatel Multimédias monopolisait tout le
marché sénégalais de la fourniture d'accès à
Internet. A présent, elle propose, en fonction des besoins
exprimés, toute une gamme de services complète et adaptée
aussi bien pour les particuliers que pour les professionnels et entreprises.
Par exemple le pack ADSL Kheweul qui permet aux clients de
bénéficier d'une ligne téléphonique Keurgui Kheweul
et d'un accès Internet haut débit
ADSL108 au tarif de 9.500 FCFA TTC (14 euros).
Introduite au Sénégal en mars 2003 par le groupe Sonatel, la
bande passante de l'ADSL a connu une évolution constante pour devenir
aujourd'hui le mode de connexion privilégiée des
abonnés
numérique. L'argent collecté devant être
ensuite investi dans des projets communautaires au service du
développement.
107 I. Renaud et A. Mora, Métissacana : les
illusions perdues de l'internet pour tous,
http://www.novethic.fr/novethic/v3/article.jsp?id=31568,
mis en ligne le 15/01/2003, consulté le 20/03/2009.
108 ADSL qui signifie en anglais Asymetric Digital Subscriber
Line est une technologie de communication de pointe qui permet
d'améliorer la capacité et les performances des lignes
téléphoniques afin d'accéder plus rapidement à
Internet.
166
résidentiels autant que des abonnés
professionnels. Selon les données fournies par l'ARTP, la bande passante
Internet est passée de 310 Mbps en 2003 à 465 Mbps en 2004. Elle
est estimée à 775 Mbps en 2005. La bande passante,
constituée essentiellement de câble sous marin à fibre
optique et de satellite, augmente pour atteindre 1,24 Gbps en 2006, elle a
été portée à 1,705 Gbps en 2007 et à 2,9
Gbps en 2008. Cette technologie, selon les responsables de la Sonatel, s'est
déployée sur l'ensemble des régions
sénégalaises, avec la couverture de la plupart des villes. Ce qui
a permis d'ailleurs un développement des points d'accès publics,
une diminution considérable des tarifs de connexion à Internet
(150 FCFA à 300 FCFA l'heure de connexion). Toutefois, malgré
l'augmentation du nombre d'utilisateurs d'Internet, le taux de
pénétration reste encore très faible sur l'ensemble du
territoire national. Le parc d'abonnés à Internet était
constitué de 18.028 abonnés en 2005, il est estimé
à plus de 30.000 abonnés en 2006, à près de 40.000
abonnés en 2007 et près de 48.000 en 2008.
L'augmentation de la bande passante a été rendue
possible par la connexion, depuis le 22 mai 2001, du Sénégal au
câble transcontinental sous-marin SAT3/WASC/SAFE d'une longueur de 28.000
km, reliant l'Afrique, l'Europe et l'Asie avec une capacité totale de
120 gigabits par seconde. Ainsi donc entièrement analogique autrefois
via des connexions satellites, le réseau de
télécommunication du Sénégal est devenu aujourd'hui
à près de 80% numérique avec la technologie des fibres
optiques du câble sous-marin SAT3/WASC/SAFE.
Par ailleurs, depuis le 15 juillet 2004, le wifi (wireless
fidelity) est disponible pour les clients de la Sonatel Multimédias qui
souhaitent disposer de cette technique de connexion permettant de s'asseoir
n'importe où, d'accéder et de surfer sans fil sur Internet.
L'offre wi-fi à domicile est proposée aux clients à partir
de 69.000 F CFA TTC pour les frais d'accés et une redevance mensuelle de
18.000 F CFA TTC (source :
www.sonatel.sn, consulté le
21/05/10). Pour pouvoir accéder au wifi, il suffit de disposer d'un
ordinateur équipé d'une fonctionnalité wifi, de se trouver
dans une zone couverte par l'ADSL et se trouver à proximité d'une
borne d'accès au wifi (hot spot en anglais). L'Internet haut
débit mobile est désormais accessible aux clients à partir
des clés USB fournis par la Sonatel Multimédias au tarif
d'accès de 55.000 F CFA. Les clients bénéficient ensuite
d'un compte Internet prépayé et à l'épuisement du
crédit, ils ont la possibilité de recharger leurs comptes par
carte orange de 1000 F CFA ; 2500 F CFA;
167
5000 F CFA; 10.000 F CFA ou 25.000 FCFA (source :
www.sonatel.sn, consulté le
21/05/10).
Graphique 9. Evolution du parc d'abonnés à
Internet au Sénégal de 2004 à 2008
Source : ARTP
5.1.4 Les points d'accès
Contrairement à la France où chaque
ménage dispose quasiment d'un accès assez facile à
Internet, l'accès individuel reste encore un luxe hors de portée
des moyens financiers de la grande majorité des ménages au
Sénégal. Les points d'accès publics sont localisés
pour la plupart à Dakar et la banlieue populaire de Pikine. Annie
Chéneau-Loquay (2004) remarque à ce propos qu'en Afrique «
les cybercentres « high-tech », fréquentés
surtout par les touristes, les étrangers, les hommes d'affaire, les
étudiants, sont implantés dans les centres-villes des capitales,
centres d'affaire de Dakar, d'Abidjan ou de Libreville ». En outre, un des
traits marquants au niveau des accès à Internet ouverts au public
est, d'une part, l'existence de déséquilibres et
d'inégalités non seulement au sein de la capitale
sénégalaise dont la particularité est un centre-ville (le
Plateau, quartier à la fois des affaires et siège de
l'administration, des ambassades et des organisations internationales) bien
desservi alors que des quartiers situés juste à proximité
et de surcroît fortement peuplés comme Rebeuss, Médina,
Gueule Tapée, Fass et Colobane sont très peu pourvus
168
en points d'accès et de connexion. On distingue d'autre
part, dans les régions, des capitales régionales relativement
bien connectées tandis que de nombreuses localités notamment dans
les zones rurales sont encore laissées en rade. Les cybercafés
constituent les principaux lieux collectifs d'accès à Internet.
En avril 2007, leur nombre était estimé à plus de 800
d'après l'Observatoire des Systèmes d'Information, les
Réseaux et les Inforoutes au Sénégal (OSIRIS). La grande
majorité des cybercafés a de nos jours essentiellement recours
à l'ADSL. Grâce notamment à l'augmentation de la bande
passante et à la diminution des coûts de la Sonatel, le tarif de
l'heure de connexion proposé dans ces lieux publics d'accès a
enregistré une baisse substantielle, en passant de 2000 FCFA (3 euros)
à 200 FCFA (0,30 euros). Les cybercafés proposent
généralement aux clients différentes sortes de services
tels que l'accès à Internet naturellement, mais aussi les
possibilités de faire des photocopies, d'envoyer des fax, de
téléphoner, d'acheter des cartes téléphoniques et
parfois même des journaux, et bien d'autres services encore. La
concurrence étant très rude, les cybercafés rivalisent de
plus en plus d'ingéniosité pour attirer et fidéliser leur
clientèle. Il existe également d'autres lieux publics permettant
à la population sénégalaise d'accéder à
Internet : les centres multimédias communautaires (CMC) et les centres
d'accès à Internet dans le cadre du projet appui au
désenclavement numérique (ADEN).
L'implantation des CMC au Sénégal provient d'une
initiative majeure prise par l'UNESCO en partenariat avec le gouvernement du
Sénégal, et aussi avec le soutien financier de l'Agence suisse
pour la coopération et le développement. Les CMC ont pour
vocation d'être des plateformes où les habitants des villages et
des quartiers urbains pauvres peuvent disposer d'ordinateurs connectés
à Internet, d'équipements multimédias et de radios
communautaires. Au Sénégal, le premier CMC109 a
été ouvert le 19 août 2005 dans la commune de Khombole
située dans la région de Thiès, principalement dans le but
d'aider les femmes de la localité, vivant essentiellement du petit
commerce et du micro-crédit, à développer la culture du
henné et assurer sa commercialisation via Internet. Les CMC se sont par
la suite répandus sur l'ensemble du territoire sénégalais.
Vingt quatre CMC ont été répertoriés dans les
principales régions du pays : région de Dakar (commune de Guinaw
Rails dans la banlieue de Pikine et commune de Sébikotane dans le
département de Rufisque), région de Thiès (Khombole, le
village de
109 Voir l'article d'Ibrahima Sylla. Analyse de l'accès
aux TIC dans les centres multimédias communautaires. In CHENEAU-LOQUAY
(Dir.). Accès aux nouvelles technologies en Afrique et en Asie.
Netsuds, Août 2009, n°4, CEAN-CNRS/AFRICANTI.
169
Ndayane sur la Petite Côte), région de Fatick
(village de Soucouta et île de Niodior dans le département de
Foundiougne, Guinguinéo dans le département de Gossas),
région de Kaolack (commune de Ndoffane et commune de Koungheul),
région de Ziguinchor (commune de Bignona), région de Kolda
(communauté rurale de Tanaff, Diaobé et département de
Vélingara), région de Tambacounda (Kédougou, Saraya et
Goudiry), région de Matam (Waoundé, Ranérou et Matam),
région de Saint-louis (communauté rurale de Pété et
village de Bokhol), région de Louga (communauté rurale de
Thièl et communauté rurale de Keur Momar Sarr) et la
région de Diourbel (commune de Diourbel). Au total, ces CMC, au nombre
de vingt quatre, permettent aux populations non seulement d'accéder plus
facilement aux TIC, de s'informer et de pouvoir communiquer avec le reste du
pays et la forte population émigrée, mais ils ont aussi pour
mission de permettre aux populations de participer davantage aux débats
sur les questions de gouvernance locale, d'appuyer les efforts et organiser les
initiatives développées dans la production, la transformation, la
conservation et la commercialisation des produits agricoles et halieutiques,
dans le petit commerce informel et d'autres activités
génératrices de revenus. En définitive, on peut dire que
les CMC ont pour vocation de lutter contre les inégalités dans
l'accès à l'information, d'améliorer les conditions de vie
des populations, de diversifier l'accès aux ressources
financières, de contribuer à la protection de l'environnement et
à la préservation de la biodiversité.
Initiative prise en 2003 sous l'égide du
ministère français des affaires étrangères, le
projet ADEN est un programme de coopération internationale en faveur de
la mise en place en Afrique de centres publics d'accès à Internet
plus particulièrement dans des zones rurales dynamiques mais qui en sont
dépourvues, afin de lutter contre la fracture numérique
(Chéneau-Loquay, 2009). Au Sénégal, deux centres ADEN
équipés d'une connexion haut débit, en partenariat avec
l'opérateur Orange-Sonatel, ont été ouverts d'abord
à Coubanao dans la région de Ziguinchor en 2006, puis à
Odébéré dans la région de Matam en 2007. Ce centre
ADEN ouvert à Odébéré vise, entre autres, à
faciliter et renforcer les relations entre les populations locales et les
communautés installées en France ou dans d'autres pays
étrangers, à travers la communication par Internet.
Essentiellement communautaire à ses débuts,
l'accès à Internet commence peu à peu à se faire
à domicile pour quelques Sénégalais habitant à
Dakar pour la plupart. Les baisses successives des prix ont en effet
contribué à augmenter le nombre d'abonnés,
170
notamment dans les quartiers résidentiels et de la
classe moyenne à Dakar. Assez faible jusqu'en 2004, la connexion
à Internet résidentiel commence à se répandre au
sein d'un certain nombre de familles dakaroises qui l'utilisent surtout pour
communiquer avec les membres de la famille à l'étranger.
Toutefois, il convient de souligner qu'à l'heure
actuelle l'accès à Internet au Sénégal reste dans
l'ensemble relativement limité. A titre de comparaison, on
relève, d'après les données statistiques fournies par
Perspective Monde de l'université de Sherbrook au Canada, que le
Sénégal comptait 9,69 utilisateurs d'Internet pour 100 habitants
au moment où la France enregistrait 60,027 utilisateurs pour 100
habitants en 2009110. Toujours à titre de comparaison,
15.930.000 (source :
journaldunet.com) Français
avaient un accès Internet à domicile en 2005 alors que le
Sénégal ne comptait la même année que 9.196
abonnés résidentiels (source :
artp-senegal.org).
110 Composée d'enseignants et de professionnels
d'horizons divers, Perspective Monde fournit des informations et des
statistiques sur presque tous les pays du monde. Données disponibles sur
le site web
http://perspective.usherbrook.ca.
Consulté le 22/05/10.
171
Tableau 4. Nombre d'utilisateurs Internet pour 100
habitants au Sénégal et en France
Années
|
Sénégal
|
France
|
1990
|
0
|
0,05
|
1991
|
0
|
0,14
|
1992
|
0
|
0,28
|
1993
|
0
|
0,59
|
1994
|
0
|
0,9
|
1995
|
0
|
1,64
|
1996
|
0,01
|
2,59
|
1997
|
0,03
|
4,27
|
1999
|
0,31
|
9,16
|
2000
|
0,4
|
14,36
|
2001
|
0,98
|
26,44
|
2002
|
1,01
|
30,3
|
2003
|
2,1
|
36,18
|
2004
|
4,39
|
39,21
|
2005
|
4,79
|
42,96
|
2006
|
5,61
|
49,06
|
2007
|
6,89
|
51,16
|
2008*
|
8,35
|
55,927
|
2009*
|
9,69
|
60,027
|
Source : Perspective monde. Les dernières
années, marquées par un astérisque (X), sont des
estimations effectuées à partir des cinq données
précédentes, selon un modèle de régression
linéaire simple.
L'observation de la carte des points d'accès publics
à Internet révèle la présence de lieux publics
d'accès à Internet dans toutes les régions
sénégalaises. La carte n°2 montre en effet que les
utilisateurs peuvent se connecter à Internet à travers presque
tout le pays. S'il est clair que les cybercafés constituent les
principaux points d'accès publics à Internet, on voit aussi que
le Sénégal bénéficie également
d'infrastructures d'accès collectifs à Internet dans le cadre de
la coopération internationale. Comme on peut le voir sur la carte, la
capitale sénégalaise, Dakar, possède le réseau de
cybercafés le plus dense du pays. Ce boom des cybercafés dans la
région du Cap-Vert peut s'expliquer par le fait que Dakar concentre
quasiment toutes les activités économiques et culturelles du
pays. De même, c'est là où se trouvent concentrer les
populations, les services administratifs, les représentations
diplomatiques, les ONG, l'université et les instituts de formation, etc.
On peut dire aussi qu'une bonne partie du pays est desservie à travers
les programmes ADEN (Appui au Désenclavement Numérique) et dans
une moindre mesure par les
172
CMC (Centre Multimédia Communautaire). Il est clair que
les programmes ADEN et les CMC participent au désenclavement
numérique dans de nombreuses zones au Sénégal.
Pour plus d'informations sur les accès à
Internet en Afrique en général et au Sénégal en
particulier, tout un travail a été réalisé au sein
du réseau Africanti. Nous recommandons par conséquent aux
lecteurs de se rendre sur le site
www.africanti.org. Anaïs
Lafitte (2001) a mené des enquêtes sur les lieux et les usages de
l'Internet dans les cybercentres localisés dans le quartier
administratif du Plateau de Dakar. Elle distingue deux catégories de
cybercafés dans cette aire spatiale, notamment les cybercafés
purs et les télécentres/cybercafés. Dans les premiers,
n'est proposée « que la connexion à Internet (et une
éventuelle formation à l'outil) » tandis que dans les
seconds sont proposés des services téléphoniques et
Internet avec parfois aussi la possibilité d'envoyer et de recevoir des
fax et également de faire des photocopies. Annie Chéneau-Loquay
démontrait déjà en 2002 que l'accès
s'avérait un problème essentiel dans les territoires africains.
Elle remarquait fort justement la primauté de l'accès à
Internet au niveau des centres villes et son utilisation quasi exclusive par
les élites désormais mieux reliées aux centres mondiaux
qu'à leur propre hinterland. Toujours dans la même période,
Thomas Guignard (2002) mettait en lumière cette « émergence
paradoxale » de l'Internet au Sénégal, avec ses
disparités importantes entre Dakar et le désert numérique
sénégalais, et aussi au sein même des régions. Plus
tard en 2004, Annie Chéneau-Loquay se penche à nouveau sur les
formes d'accès à Internet, en privilégiant leur diffusion
à l'échelle locale. Ainsi, à travers une démarche
géographique qui combine à la fois « la
territorialité du phénomène et le jeu des acteurs
concernés », elle met en évidence l'importance des modes
d'accès essentiellement collectifs, du fait selon elle de la situation
de pauvreté dans laquelle se trouve la grande majorité de la
population de l'Afrique de l'Ouest.
173
Carte 3. Points d'accès publics à
Internet
Sources : Cyberdensité sénégalaise
en 2001 par Thomas Guignard, CMC sur carte Centres Multimédias
Communautaires réalisée par l'UNESCO
5.2 Le Sénégal dans le cyberespace
Ainsi, ayant pleinement pris en considération les
dimensions et les enjeux de cette nouvelle société en pleine
émergence à l'ère de l'information, des
Sénégalais (hommes, femmes, jeunes) mobilisent leur
énergie et mènent une pluralité d'actions et d'initiatives
afin de saisir les nombreuses opportunités offertes par les technologies
de l'information et de la communication et notamment par Internet. C'est ainsi
qu'on assiste inéluctablement à une présence
remarquée du Sénégal dans le cyberespace. Si on cherche en
ligne le nom « Sénégal » via les deux moteurs de
recherche les plus utilisés dans le monde, Google111 et
Yahoo112, on trouve, à la date du 23 mars 2009, 118.000.000
pages
111 Issu de googol, un jeu de mots qui signifie 10 puissance
100, Google a été co-fondé le 7 septembre 1998 par Larry
Page et Sergey Brin, deux étudiants en informatique à
l'université de Stanford en Californie. Avec une base de données
qui contient environ plus de 8 milliards de pages web, Google s'est
imposé aujourd'hui comme le moteur de recherche le plus complet et le
plus puissant sur Internet.
112 Principal concurrent de Google, le moteur de recherche
Yahoo (Yet Another Hierarchical Officious Oracle) a été
créé en 1995 par David Filo et Jerry Yang. Yahoo annonce recenser
environ 19 milliards de pages web.
174
via Google et 443.000.000 pages via Yahoo, associées au
nom « Sénégal ». Le nom « Sénégal
» est répertorié par tous les moteurs de recherche connus
comme Msn, Voila, Lycos, Altavista, Wanadoo, Aol, etc.
Le Sénégal sur Internet, c'est par
conséquent un florilège d'informations sur le pays en
général. Ces informations aussi vastes que variées
concernent naturellement tous les aspects de la vie sociale, politique,
économique, culturelle, sportive, religieuse... du pays. Aujourd'hui, il
est en effet possible en surfant sur Internet de trouver une profusion
d'informations dans tous ces domaines précités.
5.2.1 Les services administratifs en ligne
Les services publics en ligne permettent aux usagers
d'accéder gratuitement à de nombreux renseignements, d'obtenir
rapidement des formulaires et d'accomplir certaines démarches
administratives à tout instant et sans avoir nécessairement
besoin au préalable de se déplacer. Les services administratifs
sénégalais ayant une présence sur Internet sont
relativement nombreux. Les internautes peuvent accéder aux documents
administratifs disponibles sur le site officiel du gouvernement du
Sénégal,
www.gouv.sn. Ils ont aussi la
possibilité de consulter les lois, décrets, arrêtés,
récépissés... publiés de 2003 à 2009 et
stockés sur le site du journal officiel de la république du
Sénégal,
www.jo.gouv.sn. Le site
www.demarches.gouv.sn est un
service qui permet aux usagers de se procurer en ligne des documents
administratifs tels que passeport, carte d'identité, bulletin et extrait
de naissance, certificat de mariage... sans se préoccuper du temps et de
la distance. Toutes les institutions de la République
sénégalaise sont représentées sur Internet, de la
présidence de la République au Sénat en passant par
l'Assemblée nationale. Le portrait du Chef de l'Etat
sénégalais est décrit sur le site
www.presidence.sn ainsi que les
pouvoirs qui lui sont attribués, son agenda au niveau national et ses
activités au niveau international. On y trouve des informations sur les
symboles de la République et aussi sur les chantiers de grande envergure
en cours tout autant que les projets à venir sous la houlette de
l'État. Les sites
www.assemblee-nationale.sn
et
www.senat.sn présentent les
deux autres principales institutions de la République, leurs membres
(députés et sénateurs), leur organisation et leur
fonctionnement. La grande majorité des ministères est
présente en ligne et donne généralement accès
à des informations sur les ministres et
175
leurs très proches collaborateurs. Chaque
ministère présente aussi ses missions et attributions ainsi que
ses coordonnées. Parmi les ministères disponibles sur Internet,
on peut citer le ministère des télécommunications, des
technologies de l'information et de la communication, des transports terrestres
et des transports ferroviaires accessible sur
www.telecom.gouv.sn. Le site
permet aux internautes d'avoir accès à des informations ayant
trait aux missions du ministère qui consistent principalement à
mettre en place les conditions idoines permettant de promouvoir un
développement durable des technologies de l'information et de la
communication, de mettre en évidence les multiples facettes de la
fracture numérique afin de mieux les combattre et d'oeuvrer pour un
développement de l'accès et du service universel des
télécommunications au Sénégal. On peut
également signaler le site web du ministère des
Sénégalais de l'Extérieur,
www.senex.sn. Ce site web a
été mis en place pour améliorer la communication entre les
Sénégalais de l'extérieur et leur ministre de tutelle. Il
permet de collecter des données sur les Sénégalais
résidant à l'étranger et diffuse des informations sur les
différentes mesures prises en faveur de la diaspora. Le site
www.information-citoyenne.org
propose aux internautes des informations précieuses pour leur permettre
de mieux appréhender les enjeux de bonne gouvernance et d'exercer
pleinement leur citoyenneté, avec le soutien actif de l'Institut Panos
Afrique de l'Ouest (IPAO).
Les autres structures administratives particulièrement
représentées sur le web sont constituées surtout par les
agences113. Dans le domaine des télécommunications et
des technologies de l'information et de la communication, il y a l'ADIE
accessible sur le site web
www.adie.sn, sa mission consiste
à mettre en oeuvre une politique cohérente et efficace en faveur
de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication au
sein de l'administration sénégalaise et par la grande
majorité des Sénégalais. Pour veiller à la
concurrence entre les opérateurs et mieux la réguler afin
d'éviter une situation d'anarchie dans le secteur des
télécommunications, l'État sénégalais a mis
en place l'ARTP. Sur son site
www.artp-senegal.org, l'ARTP
met à la disposition des internautes des informations et des
données statistiques d'une importance
113 Dans son livre Qui est cet homme qui dirige le
Sénégal ?, l'écrivain sénégalais Mody
Niang écrit que ces agences nationales, qui foisonnent au
Sénégal depuis l'avènement de l'alternance en 2000, sont
créées « pour donner des sinécures et loger les
hommes et les femmes du régime libéral ». Elles sont
quasiment concentrées toutes à Dakar. On les trouve
disséminées dans le centre-ville et les quartiers
périphériques résidentiels comme Point E ou de la classe
moyenne comme Mermoz, Nord Foire, Ouest Foire, etc. Outre l'ADIE et l'ARTP, on
peut citer parmi les agences nationales présentes sur le web : l'Agence
Nationale de la Statistique et de la Démographie, l'Agence pour la
Promotion des Investissements et des grands Travaux, l'Agence Nationale pour
l'Emploi des Jeunes, l'Agence Nationale de l'Aviation Civile du
Sénégal, l'Agence de Régulation des Marchés
Publics, etc.
176
capitale sur tout ce qui concerne le secteur des
télécommunications au Sénégal. Certaines communes
mettent en ligne leur site Internet où ils proposent des informations
sur leur fonctionnement, communiquent sur les différentes actions
initiées et tentent de tirer parti des multiples opportunités
d'Internet afin de mieux valoriser sur le plan touristique les multiples atouts
et facettes de leurs localités. Pour certaines municipalités
comme la ville de Dakar (
www.villededakar.org), la
ville de Saint-Louis (
www.villedesaintlouis.com)
ou l'Ile de Gorée (
www.mairiedegoree.org),
Internet est un outil qui peut contribuer à faciliter le dialogue entre
les maires et leurs administrés. Des sites web existent dans quasiment
toutes les sphères de l'administration sénégalaise. Cette
dernière joue donc un rôle prépondérant dans le
processus de développement de l'Internet sénégalais.
5.2.2 Internet, au service de la consolidation de la
démocratie sénégalaise
Pour veiller au renforcement des acquis démocratiques
et mieux organiser le processus de prise de conscience citoyenne, les
principaux acteurs de la vie politique sénégalaise prennent
d'assaut le cyberespace. La Commission Nationale Electorale Autonome (CENA) a
mis en ligne son site web
www.cena.sn pour tenter de garantir la
transparence indispensable au bon déroulement des différentes
joutes électorales et par conséquent assurer des scrutins fiables
dont les résultats ne pourront faire l'objet d'aucune contestation
majeure. C'est également dans le souci d'un bon fonctionnement des
élections que les données relatives au fichier électoral
national ont été mises à la disposition de l'ensemble des
citoyens sur le site
www.elections.sn. Certains partis
politiques se servent d'Internet pour permettre à leurs militants de
prendre connaissance de leurs programmes ainsi que pour faire entendre leurs
points de vue face aux problèmes politiques du pays. Le parti au
pouvoir, le parti démocratique sénégalais (PDS), a
créé son site web
www.sopionline.com pour diffuser
son programme de gouvernement, accroître le nombre d'adhésion et
son audience au sein de l'opinion et également afin de mieux mettre en
valeur les réalisations du régime de l'alternance. Les militants
ont la possibilité de contacter par voie électronique les
responsables du parti basés à l'étranger, ils peuvent
participer au forum d'échanges et de discussions. C'est aussi dans le
même ordre d'idées que l'on peut évoquer la présence
en ligne des partis politiques les plus représentatifs sur
l'échiquier politique sénégalais tels que le parti
socialiste (www.ps-
177
senegal.com), l'alliance des forces de
progrès (
www.afp-senegal.org), la ligue
démocratique / mouvement pour le parti du travail (
www.ldmpt.sn), le parti de
l'indépendance et du travail (
www.pit-senegal.com), etc.
5.2.3 Favoriser l'utilisation d'Internet pour le
développement des activités commerciales et industrielles
Pour les opérateurs économiques, Internet est un
outil qui permet de mieux faire connaître ses produits et services. Il
permet de mettre facilement à la disposition des usagers l'information
utile et aussi favorise l'ouverture sur le monde, facteur de conquête de
nouveaux marchés. Internet présente l'intérêt
d'être fréquenté par une forte affluence de visiteurs, ce
qui permet aux entreprises de disposer d'une visibilité accrue et
d'accroître leur audience. Sur son site
www.tpsnet.org, Trade Point
Sénégal incite les entreprises, notamment les PME/PMI, à
se servir des technologies de l'information et de la communication pour
dynamiser et développer leurs affaires. On peut aussi évoquer le
Centre d'Affaires en Ligne du Sénégal (CALISEN). Sur son site
www.calisen.com, il est
indiqué que sa mission consiste à permettre aux entreprises et
aux boutiques de mieux exposer leur savoir-faire et de renforcer leur
compétitivité dans d'autres marchés extérieurs
à travers notamment la mise en place de « boutiques en ligne
personnalisables avec une gestion autonome et dynamique ». Internet
répond aux demandes croissantes des entreprises en terme de
communication mais aussi en termes d'innovations et de performances. Le site
web
Senboutique.com est un
cybermarché destiné aux Sénégalais de la diaspora
pour qu'ils puissent assurer l'approvisionnement en ligne de leurs familles,
proches ou amis résidant au Sénégal en diverses
denrées nécessaires à leurs consommations courantes. Il
offre aux migrants la possibilité de réaliser des transactions
électroniques.
5.2.4 Dans le domaine de l'enseignement
Pour ceux qui veulent obtenir des informations sur
l'historique des universités et autres instituts de formation, les
enseignements qui y sont dispensés (lettres et sciences humaines, droit,
économie, médecine, pharmacie, etc.), les conditions
d'accès et les
178
modalités d'inscription, Internet est le lieu tout
indiqué. Ces structures de formation proposent sur leurs sites web une
mine d'informations et quelquefois des liens qui peuvent se
révéler très utiles aux internautes. Sur le site de
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar
www.ucad.sn, de même que sur les
sites web des universités Gaston Berger de Saint-Louis
www.ugb.sn et de Bambey
www.bambey.univ.sn, les
internautes ont la possibilité de se procurer des renseignements sur les
différents services administratifs, d'obtenir des informations pratiques
sur les programmes d'enseignement dispensés et les diplômes
délivrés. Il est également possible de retrouver des
informations pratiques sur la vie universitaire et les services aux
étudiants. Des rubriques sont consacrées aux différentes
activités de recherche préparées de même que les
conférences, séminaires et colloques organisés. Les sites
Internet servent aussi à véhiculer les communiqués de
presse des présidents des universités.
Il existe aussi dans le cyberespace des informations sur la
géographie du Sénégal. Cette présence du
Sénégal sur le web se manifeste aussi d'un autre
côté par la création de divers sites web, pages
personnelles ou de blogs qui peuvent être réalisés non
seulement par des Sénégalais vivant au pays ou établis
à l'étranger, mais aussi par des non Sénégalais
très fortement attachés à ce pays.
Il est enfin possible de découvrir le
Sénégal sur internet à travers la culture, la musique,
l'art et le sport, de même qu'à travers les médias et la
presse, les associations sénégalaises de l'intérieur comme
celles de l'extérieur, les organisations régionales et
internationales, les ambassades et consulats accrédités dans le
pays.
Mais, force est de reconnaître qu'à l'heure
actuelle, les initiatives et les mesures les plus dynamiques dans le processus
d'insertion du Sénégal dans le cyberespace ont été
notées tout particulièrement à travers la vitalité
des sites portails ou sites généralistes. Ces sites portails
constituent de véritables passerelles pour connaître et
découvrir le Sénégal. Ils font l'objet d'un réel
engouement, de la part notamment des membres de la diaspora
sénégalaise. Aussi, nous tenterons plus loin d'analyser et de
comprendre les raisons principales de cet engouement.
En outre, parmi les initiatives plurielles prises pour faire
entendre la voix du Sénégal dans le concert des pays actifs sur
Internet, il y a tout particulièrement les différents sites
179
créés et mis en ligne par les associations
d'étudiants sénégalais poursuivant leurs études en
France comme l'ABESS (Association Bordelaise des Étudiants
Sénégalais et Sympathisants), l'ASEST (Association des Stagiaires
et Étudiants Sénégalais de Toulouse), l'AESAM (Association
des Etudiants et Stagiaires Sénégalais d'Aix-Marseille), l'AESSG
(Association des Etudiants et Stagiaires Sénégalais de Grenoble),
l'AESN (Association des Etudiants Sénégalais du Nord), etc. Les
disciples de la confrérie mouride contribuent également de
manière significative à la vitalité de l'Internet
sénégalais. Cet apport numérique se manifeste à
travers la création et la mise en ligne de nombreux sites web comme
celui des étudiants mourides de Lille (le dahira Sahaadatoul Mouridina
Touba), celui de la fédération des mourides de France (jamiatou)
ou celui de l'Association Bordelaise des Etudiants Mourides (ABEM). De
même, certains mouvements associatifs oeuvrant en particulier dans le
développement en faveur des communautés d'origine sont
également présents sur la toile. C'est le cas par exemple de
l'AESDW (Association pour l'Education, la Santé et le
Développement de Waoundé), l'ARDF (Association des Ressortissants
de Danthiady en France), etc. Parmi les associations de migrants
sénégalais qui se signalent par leur dynamisme sur le web, on
peut citer aussi celles mises en place par les communautés
sénégalaises implantées aux Etats-Unis, au Canada, en
Belgique, en Suisse, au Maroc.
Aujourd'hui, l'attrait qu'exerce Internet sur les
Sénégalais se traduit surtout à travers les
possibilités extraordinaires de communiquer par la voix, d'engager des
conversations téléphoniques gratuitement via Internet presque
dans le monde entier. Pour contourner les communications
téléphoniques classiques ou standards qui restent encore
relativement chères malgré les nombreuses baisses
enregistrées dans ce secteur, beaucoup de migrants
sénégalais en France utilisent la téléphonie par
Internet.
180
Chapitre 6. Usages et pratiques de l'Internet des
migrants sénégalais en France
Comme pour la plupart des outils de communication, par exemple
la télévision jadis et le téléphone mobile tout
récemment, de nombreux chercheurs investis dans ce champ de recherche se
sont intéressés aux usages, mais également à
l'appropriation et aux changements de comportements et d'attitudes induits par
Internet dans les modes de vie de différents groupes humains. Dans un
article paru sous le titre Usages des Technologies de l'Information et de
la Communication : acquis et perspectives de la recherche,
Françoise Massit-Folléa114 rappelle que
l'étude « des usages des technologies de l'information et de la
communication (TIC) constitue un courant fécond pour les chercheurs
francophones (Québec, France, Belgique principalement). Et contrairement
à ce qu'un néophyte pourrait en percevoir à travers la
multiplication des sujets de thèses ou de colloques, cet
intérêt ne date pas de l'expansion de l'Internet et de la
prégnance des discours sur la société de l'information
». Il va sans dire que cette importance accordée par les chercheurs
aux usages sociaux des technologies de l'information et de la communication a
sans aucun doute contribué à l'avènement
épistémologique de la sociologie des usages. Comme le remarque
Josiane Jouët115, la sociologie des usages s'intéresse
plus particulièrement à l'observation et à l'analyse des
nouvelles pratiques de communication induites par les outils modernes de
communication. La sociologie des usages met en place des méthodes
permettant une meilleure compréhension des usages et aussi propose des
outils permettant d'appréhender au mieux leur évolution. Ainsi,
à l'instar des chercheurs, nous entendons par les usages des TIC, les
formes et les pratiques diversifiées que les individus mettent
actuellement en oeuvre avec les nouveaux outils de communication. Ce que font
réellement les individus, chacun d'entre nous, avec ces nouveaux objets
techniques dans la vie quotidienne aussi bien dans la sphère
familiale
114 Massit-Follea, Françoise. Usages des Technologies
de l'Information et de la Communication : acquis et perspectives de la
recherche. In Le Français dans le Monde, n° spécial
de janvier 2002.
Disponible sur :
http://c2so.ens-lsh.fr/IMG/pdf/rechercheUsages_FMF_LFM.pdf.
Consulté le 07/09/2009.
115 Jouet, Josiane. Retour critique sur la sociologie des usages.
Réseaux, 2000, vol. 18, n°100, pp. 487-521. Disponible sur
:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso0751-79712000num181002235
181
que dans la pratique professionnelle. Comment ça se
passe exactement dans toutes les activités de la vie courante? Nous
insistons ici sur la complexité ou la panoplie des usages
observés. Toutefois, nous retiendrons avec Josiane Jouët «
qu'il n'existe pas d'usage sui generis et que l'adoption des technologies de
l'information et de la communication s'articule autour de techniques et de
pratiques antérieures. Les usages sont souvent le prolongement de
pratiques sociales déjà formées116 ». En
d'autres termes, les pratiques actuelles des outils modernes de communication
ne font en fait que s'insérer « dans des pratiques familiales ou
professionnelles préexistantes ou déjà en voie de
constitution117 ». Il n'existe pas d'usage formaté ou
prédéfini de façon absolument catégorique. Les
usages ne font en fait que s'intégrer dans des pratiques en cours ou en
gestation.
De manière générale, les études
montrent que les gens se servent d'Internet surtout pour communiquer et
s'informer d'abord, et ensuite pour se divertir, faire des achats et effectuer
des démarches administratives. Internet permet de communiquer
régulièrement avec son entourage proche, il offre
également la possibilité d'effectuer des appels
téléphoniques à travers la technologie de la voix sur IP
telle que Skype ou d'envoyer instantanément des messages à ses
amis et connaissances, par le biais du courrier électronique ou via la
messagerie instantanée. Internet permet aussi de faire la rencontre
virtuelle de personnes « cyberidentifiées » ou «
cyberanonymes » pouvant se trouver aussi bien dans le même endroit
que dans un endroit différent (proche ou éloigné) de celui
où l'on se trouve. De même, Internet permet, aux utilisateurs des
espaces d'échanges tels que les forums et les chats, de communiquer avec
des personnes connues ou avec des amis virtuels pouvant se trouver soit dans la
même localité ou soit dans des espaces géographiques
complètement opposés. C'est ce qui fait d'ailleurs dire à
beaucoup d'observateurs que la distance et l'éloignement spatial se sont
fortement réduits et peuvent même être à
présent facilement surmontées grâce à Internet. En
permettant à l'information de circuler à la vitesse de la
lumière, Internet a entraîné une contraction de l'espace
géographique. Pour la première fois dans l'histoire de
l'humanité, les hommes ont le sentiment d'avoir une maîtrise sur
la distance ou l'impression d'avoir une emprise réelle sur
l'espace-temps qui leur semble désormais plus à leur
portée. Internet joue un
Consulté le 07/09/2009.
116 Jouet, Josiane. Retour critique sur la sociologie des usages.
Réseaux, 2000, vol. 18, n°100, pp. 487-521. Disponible sur
:
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso0751-79712000num181002235
Consulté le 07/09/2009.
182
rôle fondamental dans la contraction de l'espace
géographique, facteur de gains de temps et de confort
considérables. Ce qui fait que beaucoup d'auteurs iront même
jusqu'à disserter sur la fin annoncée de la géographie
(Paul Virilio 1997, Graham Stephen 1998, Etienne Piguet 2004, Philippe Vidal
2007, Gilles Fumey 2009). Dans un contexte de surabondance de technologies de
communication facilitant la diffusion et la circulation de l'information, le
monde est désormais devenu un village planétaire dans lequel la
localisation géographique n'a plus réellement une grande
signification. Les forums, les chats et autres groupes de discussions
réunissant des individus constituent de véritables espaces de
dialogue en direct et de rencontre de toute nature. Ils peuvent être
considérés comme des lieux virtuels de sociabilité ou
encore des agoras en ligne propices à la constitution de liens
communautaires et de communautés virtuelles.
D'autre part, en parcourant le réseau informatique
mondial, l'internaute peut repérer et accéder à un
impressionnant volume de données hétérogènes
numérisées. Ainsi pour une partie importante des utilisateurs,
Internet est devenu une immense encyclopédie proposant des documents
dans presque tous les domaines. Il est considéré comme un outil
capital incontournable pour procéder à des recherches
scientifiques, techniques et professionnelles. Internet permet également
l'accès aux informations véhiculées par les médias
traditionnels tels que la presse, la radio et la télévision. Cet
outil permet non seulement d'accéder facilement et en temps réel
à l'information, mais aussi d'en être producteur en publiant des
informations multimédias (textes, images, sons). Sur Internet, il est
possible de diffuser son CV pour rechercher un emploi, d'effectuer des
transactions commerciales, de gérer son compte bancaire, de
télécharger et écouter de la musique, de
télécharger des films et regarder des vidéos, de nouer des
relations de partenariat afin de trouver des débouchés
extérieurs dans le cadre de l'expansion de ses activités
commerciales ou industrielles, etc.
Pour les migrants sénégalais qui utilisent
couramment Internet, les usages et les pratiques de cette technologie ont non
seulement engendré de nouveaux modes de communication et mis en exergue
de nouvelles formes d'information mais aussi ils ont contribué à
chambouler des pans entiers de leur vie culturelle, sociale, religieuse et
politique dans leur pays de résidence. Mais en même temps aussi,
ils ont entraîné des mutations profondes dans leurs relations
à distance avec leur pays d'origine. Autrement
117 Idem.
183
dit, en peu de temps, le réseau informatique mondial a
révolutionné le mode de vie des migrants internautes, en
propulsant la communication à des niveaux jamais atteints grâce
à ses prouesses et en particulier sa facilité, sa rapidité
et sa fiabilité. Les migrants sachant et pouvant utiliser Internet
développent toute une gamme d'usages, notamment dans toutes les
sphères de la vie familiale et professionnelle, culturelle et sociale,
politique et économique. En permettant à ceux qui sont
présents ici en France de garder les liens avec des interlocuteurs
variés localisés là-bas au Sénégal ou
ailleurs aux États-Unis, au Canada, en Italie, en Espagne, etc.,
Internet a changé de façon presque radicale les pratiques de
communication des migrants. Certains migrants développent sur Internet
des usages simples, et d'autres des usages plus complexes. Ils envoient et
reçoivent régulièrement des courriers électroniques
à leur famille ou à leurs amis. Les utilisations du courrier
électronique ou e-mail, des applications comme Skype et l'accès
aux informations liées principalement à l'actualité
sénégalaise, à travers notamment les journaux en ligne ou
via les radios sénégalaises consultables sur les sites portails
comme Seneweb, sont les usages les plus répandus auprès des
migrants sénégalais en France.
Quotidiennement, le courrier électronique est
utilisé aussi bien dans la sphère familiale, pour maintenir des
liens avec les proches, que dans le cercle des amis (compatriotes
sénégalais, des amis d'autres nationalités) et aussi pour
des raisons professionnelles dans le cadre du travail. Internet offre aux
migrants la possibilité d'accéder de façon pratique et peu
coûteuse, à portée de souris, à toutes sortes
d'informations, et aussi de s'exprimer en toute liberté sur ce qui se
passe ici comme sur ce qui se là-bas ou même ailleurs dans le
reste du monde. Une véritable culture du dialogue électronique
s'est développée aujourd'hui sur Internet, qui est devenu pour
bon nombre de migrants sénégalais implantés à
travers le monde, un espace quasi permanent d'expression, d'échanges, de
palabres et de débats interactifs. Pour les migrants, Internet sert
aussi, très largement d'ailleurs, d'espace du politique où
émerge et se développe une véritable conscience citoyenne
sénégalaise. On a constaté d'ailleurs sur Internet une
certaine effervescence politique des membres de la diaspora au moment des
élections locales qui se sont déroulées au
Sénégal le 22 mars 2009.
A l'heure qu'il est, l'Internet des migrants
sénégalais en France concerne essentiellement les
étudiants et les migrants hautement qualifiés. En raison de la
non maîtrise du français, ni l'écrit ni l'oral, pour bon
d'entre eux, l'utilisation d'Internet est
184
très peu répandue auprès des migrants
commerçants mourides et des migrants ressortissants de la vallée
du fleuve Sénégal. Ainsi donc, la fracture numérique est
bel et bien présente au sein de la diaspora sénégalaise en
France. On distingue une dichotomie bien marquée entre exactement les
étudiants et les migrants hautement qualifiés qui ont une plus
grande facilité d'accès à Internet et qui l'utilisent donc
très majoritairement d'une part, et d'autre part, les migrants
commerçants et les migrants travailleurs non qualifiés qui
utilisent très peu ou quasiment pas du tout Internet, pour la plupart.
C'est un tel constat qui amène Philippe Dewitte à écrire
qu' « il est évident que les nouvelles technologies de
l'information sont encore loin d'être accessibles à tous : la
fracture numérique n'est pas qu'une formule journalistique
facile118 ».
C'est en effet auprès des migrants étudiants et
diplômés sénégalais que l'on observe les usages les
plus significatifs et les plus divers d'Internet. Pour tous, l'adresse e-mail
est devenue l'adresse incontournable qu'il faut absolument avoir afin de
pouvoir être contacté et d'être au courant des
activités organisées au sein de la communauté, notamment
les rencontres culturelles, les manifestations religieuses ou sportives
organisées dans la ville de résidence. Cependant, nous verrons
que ces jeunes migrants considèrent de plus en plus Internet comme un
formidable outil de communication. Souvent aux avant-postes de la
modernité, ces jeunes étudiants ont vu leur mode de vie
complètement bouleversé par Internet qui leur permet maintenant
d'échanger régulièrement avec des compatriotes ou d'autres
amis pour sortir de leur solitude et de leur dépaysement dans le pays de
résidence, mais aussi et surtout de communiquer en temps réel,
plus facilement et plus souvent avec la famille restée au
Sénégal et également avec les membres de la famille
disséminés à travers le monde. Les technologies permettant
de téléphoner gratuitement comme par exemple Skype et les
réseaux sociaux sur Internet comme Facebook remportent un énorme
succès au sein des internautes sénégalais résidant
en France. Pour les familles des migrants au Sénégal, la
possibilité de téléphoner gratuitement via Internet
contribue indiscutablement à favoriser le développement des
connexions domestiques. Ce qui pourrait aussi par ailleurs participer à
donner un second souffle à de nombreux télécentres au
Sénégal assez sévèrement malmenés par la
forte concurrence de la téléphonie mobile. La
téléphonie sur Internet est en train de devenir le nouveau
service le plus apprécié, notamment par ceux qui ont la
118 DEWITTE, Philippe. Homo cybernatus. Hommes et Migrations,
novembre-décembre 2002, n°1240, p. 1.
185
possibilité de l'utiliser régulièrement
pour communiquer avec les parents restés au Sénégal.
En outre, des migrants installés en France ou dans
d'autres espaces géographiques bien différenciés et que
l'on pourrait qualifier de technophiles, c'est-à-dire ayant acquis des
compétences avérées en informatique119,
créent des sites personnels pour mieux faire connaître leurs
activités, leur terroir d'origine ainsi que certains aspects de la
culture sénégalaise. C'est ce qui fait d'ailleurs dire à
Thomas Guignard que « les migrants sénégalais sont
particulièrement actifs » dans la production
sénégalaise de contenus publiés dans ce qu'il qualifie
comme un « espace médiatique transnational et
décentralisé ». Thomas Guignard ajoute également que
les migrants sénégalais, en concevant des sites Internet
inspirés par les modèles occidentaux, participent
indéniablement à améliorer la représentation du
Sénégal sur Internet. Les sites web produits et animés par
les migrants contribuent en effet à donner une meilleure
visibilité et à densifier l'offre de contenus relatifs au
Sénégal sur Internet. Annie Chéneau-Loquay met l'accent
sur les effets à la fois d'extraversion et de recentrage, une des
caractéristiques de l'Internet africain selon elle, pour illustrer le
fait que la diaspora utilise Internet pour obtenir des informations sur le pays
d'origine alors que du côté des jeunes africains restés en
Afrique, on utilise Internet surtout pour « satisfaire un besoin de
l'extérieur » et « chercher à savoir ce qui se passe
ailleurs »,
Dans ce chapitre, nous tenterons d'observer et d'analyser les
usages en particulier innovants des migrants sénégalais sur
Internet. Il s'agira de faire connaître les conditions d'accès et
les pratiques de l'Internet en vigueur dans les milieux de la migration
internationale sénégalaise. Comment les migrants
sénégalais voient-ils internet ? Internet, c'est quoi pour eux ?
Comment l'utilisent-ils ? Que font les migrants sur Internet ? Quels sites
visitent-ils en particulier ? Dans quelle mesure, les migrants contribuent-ils
au développement des médias en ligne sénégalais ?
Quelles sont les principales technologies utilisées pour
téléphoner gratuitement par Internet et quel est leur impact dans
la vie des migrants ? Comment les médias sénégalais
tentent-ils de se positionner sur Internet pour
119 Il faut savoir que la diaspora sénégalaise
compte en son sein de nombreux migrants ayant bénéficié
d'une formation de qualité parfois dans les meilleures
universités et écoles de télécommunications
à travers le monde. Rien qu'en France où ils sont réunis
au sein de l'Association Sénégalaise des Étudiants des
Grandes Écoles (AESGE), association basée à Paris, leur
nombre (environ 211 enregistrés à la date du 02/09/2009) pourrait
effectivement surprendre bon nombre d'observateurs. Pour certains d'entre eux,
le fait d'investir le secteur des TIC a pu constituer un moyen d'insertion
professionnelle au moment où l'emploi commençait à
être considéré comme une denrée de plus en plus rare
dans les pays de résidence.
186
conquérir le lectorat et les auditeurs au sein de la
diaspora ? Quelle est la place des migrants dans le dynamisme de la
blogosphère sénégalaise ? Quel rôle jouent-ils
vraiment dans l'émergence et l'évolution de l'Internet
sénégalais ? Pour répondre à ces questions, nous
allons commencer par mettre en relief les conditions d'accès sur la
toile mondiale des ressortissants sénégalais résidant en
France.
6.1 Les migrants sénégalais et le World
Wide Web (la Toile
Mondiale)
La création de la toile mondiale, c'est-à-dire
du World Wide Web plus communément appelé le Web, par Timothy
Berners-Lee du Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN)
basé à Genève en Suisse à partir de 1989, va
être à l'origine d'une véritable révolution dans le
monde de l'informatique. Parmi les nombreux services et applications offerts
par Internet, le World Wide Web semble être l'un des plus
sollicités par les différents usagers répartis aux quatre
coins du monde. C'est la principale cause de trafic ainsi que d'embouteillage
sur le Réseau mondial.
Le World Wide Web est une des applications d'Internet
permettant d'accéder et de consulter facilement et à
volonté une multitude de données multimédias et
audiovisuelles. Ces données peuvent ainsi être visionnées,
écoutées et éventuellement enregistrées par le
canal de navigateurs tels qu'Internet Explorer, Netscape Navigator et Mozilla
Firefox120 qui constituent les navigateurs les plus courants
à l'heure actuelle. La navigation sur le Web repose sur l'utilisation
d'hyperliens représentés sous diverses formes : textes,
graphiques, images, photographies, sons et vidéos. Les progrès
considérables réalisés par le Web ont largement
contribué à populariser et propulser davantage Internet
auprès du grand public. Le Web est devenu, à présent, une
immense bibliothèque virtuelle contenant une profusion d'informations
« délocalisées, déspatialisées ».
120 Proposé par la multinationale américaine
Microsoft Corporation fondée par Bill Gates, le magnat de la
micro-informatique, Internet Explorer reste depuis 1995 le navigateur web le
plus répandu et le plus célèbre à travers la
planète. Son principal concurrent, le navigateur libre et gratuit (Open
Source) Mozilla Firefox, est très apprécié pour sa
rapidité et sa sûreté. Pionnière du Web, Netscape
Navigator connaît aujourd'hui une grosse désillusion et une
très forte régression, séquelles de la guerre des
navigateurs l'ayant farouchement opposé à Internet Explorer
à la fin des années 1990.
187
Au cours de la période actuelle marquée aussi
par l'avènement de ce que certains observateurs qualifient de la «
société de l'information », caractérisée
notamment par des innovations technologiques spectaculaires dans le domaine de
la communication et de l'information, une très forte colonie
Sénégalaise est partie s'installer principalement dans les pays
du Nord et en particulier en Europe (France, Italie, Espagne) et aux
Etats-Unis. Pour satisfaire ses besoins immenses de communication et
d'information, une frange importante de cette communauté
disséminée à travers le monde s'enthousiasme et jette
alors son dévolu sur cette technologie qu'est le Web.
En France, pays où se trouve l'une des plus fortes
communautés sénégalaises à l'étranger, de
nombreux migrants sénégalais accèdent et utilisent
régulièrement les ressources du Web. Les migrants internautes
surfent quotidiennement sur le Web pour visiter des sites permettant de trouver
des informations liées à l'actualité au
Sénégal. De même, certains reconnaissent parcourir parfois
la toile mondiale pour trouver des informations relatives à leur pays de
résidence ou à leurs activités professionnelles. En
réalité, les migrants sénégalais sont des acteurs
dynamiques et incontournables dans la production et la consommation de
ressources web sénégalais. Ils sont, pour bon nombre d'entre eux,
en amont et en aval des différentes initiatives prises dans la
conception et au niveau des contenus des sites web dédiés
exclusivement au Sénégal.
Par ailleurs, comme on peut le voir sur le graphique, une
très large majorité des migrants ayant répondu à
notre questionnaire (au total, 119 personnes ont répondu à notre
questionnaire en ligne) affirme posséder une connexion Internet à
domicile. En effet, d'après les données obtenues, ils sont 75%
à posséder une connexion à domicile. Ce qui leur permet de
se connecter autant de fois qu'ils veulent ou de surfer plus souvent. La
connexion à domicile offre l'avantage de permettre aux internautes
d'accéder à tout moment à l'information, de consulter son
courrier électronique, de participer aux discussions dans les espaces de
dialogue électroniques et surtout de téléphoner
gratuitement à travers Skype, MSN Messenger, etc. L'université
constitue, pour 10% des personnes interrogées, le principal lieu de
connexion à Internet. Ils sont 9% à se connecter à leur
lieu de travail. La connexion par wifi est pour le moment très peu
répandue avec tout simplement 2% d'utilisateurs à partir de leur
domicile parmi les personnes interrogées.
188
Graphique 10. Répartition des
enquêtés selon les lieux de connexion
Par ailleurs, il faut ajouter que la grande majorité
des personnes interrogées (58%) déclare dépenser 30 euros
par mois pour les frais consécutifs à leur connexion Internet. On
relève que 2% des personnes interrogées disent donner 5 euros, en
sus de leurs loyers mensuels, afin de bénéficier du wifi dans
leurs lieux de résidence. Un petit nombre parmi les personnes
interrogées (1%) dépense 50 euros chaque mois pour sa connexion
Internet.
Après l'accès et la navigation sur le web, nos
recherches nous ont permis de constater que le courrier électronique
reste très certainement l'un des services d'Internet les plus couramment
utilisés au sein de la diaspora sénégalaise en France.
189
Graphique 11. Dépenses mensuelles en carte
téléphonique et en connexion Internet
6.2 Le courrier électronique, un outil de
communication
largement utilisé pour effectuer des
correspondances privées ou
publiques
Correspondant au terme anglais e-mail, parfois aussi
désigné par le mot courriel, le courrier électronique est
devenu un des moyens privilégiés de communication des migrants
sénégalais. Il permet à ses utilisateurs de recevoir, de
consulter et d'envoyer sous forme électronique des messages
écrits, des images, des fichiers sonores et vidéo à partir
de n'importe quel ordinateur connecté à Internet. Pour cela, il
suffit de se munir d'une adresse de courrier électronique.
Pour les migrants sénégalais, le courrier
électronique semble avoir été inventé121
pour apporter des solutions aux innombrables difficultés liées
notamment à l'acheminement du courrier postal traditionnel. Tout
d'abord, l'email est un moyen de communication facile, peu onéreux qui
permet de correspondre en un temps rapide avec une ou plusieurs personnes quel
que soit le lieu où l'on se trouve. En effet, avec l'e-mail, fini non
seulement les contraintes liées aux horaires d'ouverture et de fermeture
des bureaux de poste classique, mais aussi les longues files d'attente parfois.
Assis tranquillement sur une
121 Le courrier électronique a été
inventé en 1972 par un ingénieur américain du nom de Ray
Tomlinson. Ce dernier travaillait à la firme BBN qui a servi de support
à Arpanet, le réseau expérimental ayant abouti à la
création d'Internet.
190
chaise, l'usager peut envoyer tout type de messages à
ses correspondants situés n'importe où dans le monde et disposant
d'une boîte aux lettres électronique. Il peut en outre recevoir de
façon quasi instantanée leurs réponses. Alors qu'une
lettre classique est acheminée dans un pays, une ville, une commune ou
un quartier bien déterminés, la lettre électronique est
localisée quelque part dans le vaste espace immatériel
d'Internet, le cyberespace. Le destinataire du courrier électronique
peut le recevoir et le consulter dans sa boîte aux lettres
électronique quel que soit le moment de la journée. L'adresse
électronique remplit exactement pour l'utilisateur les mêmes
fonctions que l'adresse physique indiquant le domicile d'un individu
situé dans un espace géographique donné. Toutefois,
contrairement à l'adresse du domicile qui est situé dans un lieu
géographique considéré, dans une rue, sur un boulevard,
dans un quartier, par rapport à d'autres lieux bien
déterminés, l'adresse e-mail se situe dans un espace
immatériel ou irréel.
Le courrier électronique est un système de
communication asynchrone, c'est-à-dire que les messages
électroniques expédiés sont consultés en
différé par le destinataire, au moment de son choix. Il
présente aussi l'avantage de permettre d'écrire le même
message une seule fois et de l'envoyer simultanément à plusieurs
personnes se trouvant dans des lieux différents mais proches les uns des
autres ou dans des lieux distants et éloignés les uns des
autres.
Les migrants sénégalais étudiants dans
les universités françaises disposent tous sans exception d'une
adresse de courrier électronique. En France, une adresse
électronique est en effet délivrée immédiatement
à tous les étudiants régulièrement inscrits pour
l'année universitaire en cours. Le courrier électronique favorise
les échanges à distance en permettant de transmettre
électroniquement des messages aux proches restés dans le pays
d'origine et aussi à ceux installés dans d'autres pays
étrangers. Il leur permet de communiquer entre eux à travers le
réseau Internet, de s'enquérir quotidiennement des nouvelles des
uns et des autres, et aussi de faire quelques requêtes
administratives.
Pour certains migrants, le courrier électronique est le
moyen de communication de prédilection pour les relations sentimentales
à distance, de même il est particulièrement efficient pour
les maintenir. Certains d'entre eux reconnaissent d'ailleurs y avoir eu recours
pour entretenir régulièrement des échanges
épistolaires électroniques et apprendre à mieux
connaître celle qui allait devenir plus tard leur épouse. Dans de
pareilles circonstances, le courrier électronique a été
souvent associé au téléphone
191
(mobile et fixe) en vue de consolider les relations et
à la poste classique pour éventuellement recevoir ou envoyer des
photos.
L'engouement pour l'e-mail s'explique en fait par sa
simplicité d'utilisation, sa gratuité, mais surtout par le fait
que l'acheminement de la lettre électronique vers toutes les
destinations est relativement court (quelques secondes ou quelques minutes
suffisent). Pour Moustapha, étudiant à Bordeaux, c'est un moyen
fiable d'échanger des messages, des photos, des cartes postales, etc.
sans se préoccuper outre mesure du coût et du frein de la
distance. Sa préférence pour l'utilisation du courrier
électronique repose sur les raisons suivantes:
« Avec le courrier postal traditionnel, nos
correspondants au pays rencontraient souvent d'innombrables difficultés
avant de recevoir le courrier. Les problèmes d'acheminement
étaient en effet récurrents. Le courrier mettait
énormément de temps avant d'arriver à leurs destinataires,
s'il ne se perdait pas tout simplement en cours de route. C'est cela qui
dissuadait les gens, comme moi, d'écrire et d'envoyer des lettres au
pays. Maintenant, avec le courrier électronique, c'est beaucoup plus
rapide, et aussi beaucoup plus fiable, il y a en effet moins de risques de voir
le courrier disparaître. Le courrier électronique permet de
maintenir un contact quotidien avec les proches au pays. Il permet aussi de
recevoir régulièrement les nouvelles des proches établis
dans d'autres pays de migration»
Selon Ibrahima, étudiant à Bordeaux, le courrier
électronique s'accommode parfaitement aux réalités
africaines. Il avance que :
« Dans nos sociétés basées
encore sur la solidarité, le courrier électronique ne supprime
pas forcément les intermédiaires qui faisaient souvent office
d'écrivains ou de lecteurs publics. Ces mêmes
intermédiaires peuvent être sollicités pour lire ou
écrire des lettres électroniques dans certaines contrées
reculées du Sénégal. Il est possible de créer,
à partir de la France, une adresse e-mail à un proche se trouvant
au pays. On appelle ce dernier au téléphone pour lui donner
l'adresse e-mail ainsi que le mot de passe qu'il va prendre soin de bien noter
soit en français ou soit en arabe. Pour accéder à sa
boîte aux lettres électronique, il lui suffit tout simplement de
solliciter l'aide de ces tierces personnes. »
192
Grâce au courrier électronique, Lamine,
étudiant à Paris, a pu renouer le dialogue avec des camarades
perdus de vue il y a longtemps.
« Le courrier électronique m'a permis de
reprendre contact et d'échanger à nouveau avec des amis
d'enfance, des camarades de lycée que j'avais perdus de vue depuis mon
départ du Sénégal en 1993. Certains de mes amis d'enfance
sont en France, en Belgique et en Allemagne. D'autres sont aux Etats-Unis ou
sont restés au Sénégal. Grâce au courrier
électronique, On se donne plus souvent de nos nouvelles, notamment des
nouvelles d'ordre social et professionnel. On s'envoie aussi respectivement les
photos de nos enfants par e-mail, des cartes de voeux au moment des fêtes
de fin d'année. Bref, on échange souvent pour se rappeler des
souvenirs d'enfance. C'est vraiment grâce au courrier électronique
que l'on a pu rétablir les liens entre nous rompus du fait de la
séparation géographique ».
Outre la correspondance qu'il permet, le courrier
électronique présente également bien d'autres
possibilités, à savoir le partage de fichiers, le partage
d'informations à travers les lettres d'information ou news letters, la
contribution à des listes de discussion permettant ainsi de nouer des
relations avec des personnes de même culture ou de cultures
différentes, recevoir des renseignements administratifs, se tenir au
courant de l'actualité sur n'importe quel sujet et n'importe quel pays
du monde.
Pour les migrants, l'avènement du courrier
électronique inaugure une période de nouvelles formes
d'échanges épistolaires, de nouvelles manières de garder
le contact malgré la distance. Certains migrants se sont tout simplement
appropriés le courrier électronique qu'ils ont désormais
intégrés dans leurs actes quotidiens et dans leur travail.
C'est donc un moyen de communication extrêmement
efficace pour étendre et renforcer les liens sociaux entre les
différents membres des réseaux. En rendant plus facile et plus
rapide les échanges et aussi en les développant, le courrier
électronique a incontestablement donné plus de vitalité,
plus de vigueur aux relations sociales unissant les migrants
sénégalais entre eux et notamment avec les proches restés
dans le pays d'origine. L'utilisation régulière du courrier
électronique a sans aucun doute fortement influé sur
l'utilisation du courrier traditionnel, en particulier à travers une
diminution assez conséquente de l'envoi de courrier par le biais de la
poste. Le courrier électronique a complètement transformé
les rapports des migrants avec la poste classique. Pour
193
certains migrants sénégalais, le courrier
électronique est devenu aujourd'hui un outil de communication
indispensable, ils consultent leur boîte aux lettres électroniques
quotidiennement tous les matins et tous les soirs. C'est même devenu une
sorte de rituel pour eux.
Le courrier électronique est un moyen de communication
à la fois interindividuelle et collective qui transcende l'espace
géographique. Il permet en d'autres termes des échanges à
caractère soit public ou soit privé, sans contraintes de distance
et de temps. Ce dispositif est devenu pour les migrants un moyen
précieux et très rapide de communiquer avec les membres de la
famille restés au pays ou avec les proches et les amis
disséminés à travers le monde. C'est une solution de
communication fort pratique pour économiser temps et argent et aussi une
aubaine pour sortir les migrants de leur confinement et de leur isolement. Non
seulement, le courrier électronique permet de maintenir de
manière quotidienne et d'intensifier le contact avec la famille et les
amis, mais il sert aussi pour l'essentiel à accomplir des tâches
d'ordre professionnel ou pratique. L'email est un moyen extrêmement
efficace pour élargir son réseau de connaissances
personnelles.
6.3 Les espaces électroniques de discussions et
d'échanges
Les forums, les chats et les rubriques « contributions
» sont des espaces publics d'échanges et de discussions sur
Internet. Comme dans les espaces physiques de rencontre, il est possible de
rencontrer d'autres participants dans ces espaces virtuels et ainsi d'engager
instantanément une conversation autour d'un sujet donné avec une
ou plusieurs personne (s). Ces espaces permettent des discussions en ligne sur
divers thèmes entre des interlocuteurs qui ne se connaissent pas, des
intervenants qui ne se sont jamais vus. En effet, dans ces nouveaux espaces de
communication, l'ancrage territorial ou la présence physique des
différents interlocuteurs dans un même lieu géographique ne
constituent plus forcément la condition sine qua non à la
communication interindividuelle ou de groupe. Cependant ces espaces
d'échanges par voie numérique donnent aux usagers l'illusion de
se trouver dans un univers virtuel où les frontières spatiales et
temporelles sont devenues caduques. Les usagers de ces espaces de communication
écrite ont le sentiment d'évoluer et d'interagir dans un monde
universel. Toujours est-il que l'animation et l'effervescence des
échanges au sein de ces espaces
194
nous rappellent, à bien des égards, celles
observées parfois dans les grand-places des villes
sénégalaises ou jadis sous l'arbre à palabres de nos
villages, si cher à nos ancêtres.
Ces lieux d'échanges sur Internet sont
constitués par les forums de discussion, les chats, les rubriques «
contributions », les groupes et les listes de discussion. Au cours de nos
enquêtes et observations, nous nous sommes rendus compte que parmi les
nouvelles formes de communication écrite de groupe, les forums, les
chats et les rubriques « contributions » sont les plus
utilisés par les migrants sénégalais. Il suffit tout
simplement d'aller sur les sites portails pour constater l'intérêt
manifesté pour ces moyens de communication numérique aussi bien
par les migrants férus d'Internet que par les amateurs uniquement de
messagerie. Nos recherches montrent qu'à force de fréquenter ces
espaces d'échanges électroniques interactifs, des liens
interindividuels ou de groupe, de nouveaux modes de sociabilité se
créent entre certains usagers. Dans la plupart des cas, ces liens se
constituent à travers le partage d'un même sentiment
d'appartenance communautaire ou à travers l'identification autour de
valeurs et d'intérêts communs. La communication en ligne dans ces
espaces de dialogue peut souvent aboutir à la constitution de
communautés virtuelles essentiellement fondées sur les
échanges informatiques. Autrement dit, à force de
fréquenter de façon répétée et
régulière ces lieux immatériels, les internautes peuvent,
de manière plus ou moins consciente, constituer des réseaux
virtuels. La communication électronique crée entre les usagers de
ces espaces des liens d'amitié et de solidarité qui peuvent se
prolonger par des rencontres physiques. Pour certains internautes, la
régularité affichée également dans ces espaces
montre qu'ils font désormais partie de leurs pratiques quotidiennes. Les
contacts et les relations interpersonnelles qui se créent et se
développent au sein de ces espaces devenus familiers contribuent
à construire et nourrir les sentiments d'une identité collective
et aussi confortent l'appartenance communautaire des individus qui les
fréquentent. Jean-François Marcotte (2001) nomme «
communautés virtuelles » ces relations sociales qui se tissent
entre les individus et ces « groupes qui prennent parfois vie dans cet
univers bien particulier que le romancier Gibson (1985) nomme cyberespace
». Une communauté virtuelle correspond selon lui à « un
ensemble d'individus qui partagent un univers symbolique qui leur est propre et
qui ont des rapports réguliers à travers des processus sociaux
complexes ». Il ajoute qu'une communauté « est virtuelle en ce
sens qu'elle a été développée principalement
à travers des interactions en réseaux. L'interaction en
réseaux étant de l'interaction sociale à travers un mode
de communication basé sur des outils
195
techniques permettant la communication à distance selon
différentes méthodes : synchronique ou asynchronique, visuelle ou
textuelle, etc.). Cette définition de Marcotte est assez proche de celle
donnée auparavant par Pierre-Léonard Harvey (1995) qui «
entend par communauté virtuelle un ensemble de personnes constituant un
réseau où les intérêts des membres se rejoignent et
où l'on utilise un code de communication commun par des liens
électroniques, des interfaces graphiques (icônes, textes, images,
schémas) ». Alors que pour Howard Reinghold (1995), « les
communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui
émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus
participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y
mettant suffisamment de coeur pour que des réseaux de relations humaines
se tissent dans le cyberespace ».
6.3.1 Les forums de discussion
Les forums sont des lieux d'échange asynchrone de
messages écrits, des espaces de discussion et de dialogue sur Internet.
Dans ces espaces, les internautes peuvent en particulier s'exprimer tour
à tour et converser librement sur des sujets très vastes. Ils
peuvent en effet émettre des contributions, lire celles faites par
d'autres personnes et ensuite donner leurs points de vue. Les messages
envoyés sont affichés en ligne instantanément et peuvent
être consultés par tous sans distinction et sans exception.
L'attrait pour les forums s'explique essentiellement par le caractère
interactif de la communication qu'ils permettent.
Les migrants sénégalais sont nombreux à
fréquenter les forums comme Senediaspora et aussi dans ceux
localisés notamment dans les sites portails comme Seneweb (SeneForum) et
Xalima. Ce sont de manière générale des espaces dans
lesquels ils peuvent échanger autour d'un sujet donné, commenter
un article, dialoguer et partager des informations autour d'un thème
précis. Ils trouvent, par le biais de ces forums, l'occasion d'exprimer
leurs points de vue, d'émettre leurs opinions sur l'actualité
politique et sociale de leur pays d'origine, de dire leurs
préoccupations et aussi de partager leurs états d'âme. Pour
eux, ces espaces de rencontre, de dialogue et de palabre leur permettent de se
constituer et de s'identifier comme une communauté vivante et
interactive. Ces forums pourraient d'ailleurs être comparés
à d'immenses places publiques où ils peuvent se réunir et
avoir entre eux des échanges et des débats
196
contradictoires sur des thèmes de discussion
variés tels que la politique, la société,
l'économie, le sport, la musique, la religion, etc.
Certains migrants envoient régulièrement dans
les forums des sites portails sénégalais des contributions sous
forme d'articles qui seront ensuite commentées par des migrants qui ne
se trouvent pas dans le même espace géographique. De ce fait, ils
participent à l'animation de ces forums à travers leurs
contributions. La plupart des Sénégalais qui interviennent dans
les forums des sites portails sénégalais sont implantés
hors du Sénégal, notamment en France et aux Etats-Unis. Les
migrants installés dans ces deux pays sont indéniablement les
plus nombreux à intervenir dans ces tribunes où ils ont la
possibilité d'engager des débats citoyens ou de s'adonner
à l'apprentissage de la démocratie. Pour ces « sans-voix
» ici dans les pays d'installation, les forums et les rubriques «
contributions » leur permettent tout particulièrement de faire
entendre leurs voix, de donner en temps réel leurs opinions sur ce qui
se passe là-bas dans leur patrie et de participer aux débats en
commentant les articles publiés. On assiste de ce fait à la
fréquentation assidue des forums par un nombre important de migrants.
C'est ainsi que quelques internautes s'expriment à propos d'une
candidature unique ou plurielle de l'opposition réunie au sein de
Benno Siggil Sénégal aux prochaines élections
présidentielles de 2012.
Faisant preuve de scepticisme, cet internaute écrit :
« la candidature unique de l'opposition sénégalaise
(coalition Benno), il n'y en aura point surtout avec certains leaders qui ne
cessent de déclarer à tout bout de champ leur candidature
à la présidentielle de 2012. La coalition Benno est en train de
devenir à coup sûr la coalition Tassarro (éclatée en
lambeaux) ».
Un autre internaute déconseille la candidature unique
à l'opposition car pour lui : « si l'opposition fait une
candidature unique, ce sera la voie la plus facile et la plus rapide
pour le pouvoir de truquer les élections. Et le schéma sera
simple. Au premier tour, ils vont déclarer le président sortant
gagnant et le tour est joué. L'opposition ruera dans les brancards, il
y'aura une diversion et le temps va passer pour le président d'installer
son fils. Si l'opposition fait une candidature plurielle, le président
Wade ne pourra en aucune façon avoir la majorité absolue requise.
L'opposition pourra alors faire fonctionner le jeu des alliances en soutenant
le candidat le mieux placé. C'est la seule issue. Il faut être
très prudent avec Wade. Il prie de toutes ses forces pour qu'il y ait
une candidature unique ».
197
Doutant d'un consensus entre ces partis
hétéroclites réunis au sein de l'opposition, cet
internaute est favorable à la candidature plurielle. En effet, pour lui
: « si les opposants sont convaincus que Wade est
minoritaire, il convient d'aller aux élections chacun de son
côté en s'engageant à demander, sans contrepartie, aux
électeurs de voter pour le candidat de l'opposition qui serait
présent au second tour ».
Enfin pour cet internaute, il faut une réforme du mode
de fonctionnement de l'Etat sénégalais : « la question
n'est pas seulement de faire partir le président Abdoulaye WADE. Mais,
il faut d'urgence revoir le système dont lui-même et ses deux
prédécesseurs sont issus ».
Des réseaux de relations humaines parviennent
d'ailleurs à se tisser à travers les forums. Autrement dit, les
nouvelles formes d'échange social immatériel qui
s'établissent en ligne vont entraîner la constitution de
microgroupes ou collectifs dont les membres sont liés par des relations
électroniques. Les membres de ces nouveaux réseaux constituent
ainsi des communautés virtuelles ou des communautés en ligne. Ces
communautés virtuelles désignent donc des communautés qui
ne se réunissent pas physiquement. La communauté est virtuelle en
ce sens que les membres ne se trouvent pas au même endroit et aussi ne
sont pas nécessairement connectés sur Internet au même
moment. Les liens unissant les membres semblent par ailleurs tourner le plus
souvent autour du partage de la même identité, du même
sentiment d'appartenance communautaire ou de valeurs et de croyances communes.
Pour certains forumistes membres de la diaspora, les forums et les rubriques
« contributions » favorisent en effet l'émergence de
communautés virtuelles ou communautiques et l'apparition d'un lien
social électronique par le biais des nouvelles formes de communication
interactive de groupe qu'ils permettent. Il apparaît à cet
égard qu'une socialisation communautaire est inéluctablement en
train de se développer dans ces espaces de communication de groupe.
D'après les statistiques fournies sur le site de Senediaspora, les 3846
membres enregistrés ont posté un total de 307429 messages dans
2952 sujets (
http://www.senediapora.com,
consulté le 20/05/10).
198
Site web 2. Senediaspora, le forum dédié
aux Sénégalais de la diaspora
Quand on analyse les réponses fournies par les cents
personnes interrogées à la question : quels sont les sujets
de discussion qui vous intéressent dans les forums ?, on constate
que les sujets de société et de politique sont presque tout
autant prisés, avec respectivement 22% et 20% des réponses
enregistrées. Les sujets portant sur le sport et l'économie
attirent successivement 18% et 17% des internautes chacun en ce qui le
concerne. Il paraît ici important de souligner le peu
d'intérêt manifesté par les internautes pour les sujets de
discussions portant notamment sur la religion. Ils sont 8% à
s'intéresser aux discussions religieuses dans les forums. On peut donc
s'étonner de ce constat quand l'on sait le dynamisme des migrants dans
la production et la consommation de contenus web liés à la
religion. En ce qui concerne les sujets portant sur la culture, ils sont 11%
à s'y intéresser vraiment. Ils sont 4% à
s'intéresser à d'autres sujets dans les forums de discussion.
199
Graphique 12. Sujets de discussion les plus
appréciés dans les forums
6.3.2 Les «chats»
Les « chats » sont des espaces localisés sur
Internet et dans lesquels les internautes peuvent entrer et dialoguer par
écrit de manière synchrone entre eux. Ces discussions peuvent se
dérouler entre deux ou plusieurs personnes soit en public, dans un salon
(« chat » room) ou soit en privé.
Certains migrants sont des adeptes ou habitués des
« chats ». D'après nos enquêtes et observations, il
s'agit le plus souvent de jeunes étudiants, de quelques migrants
modou-modou (commerçants et travailleurs peu qualifiés)
ayant un niveau de français qui leur permettent de « chater »,
c'est-à-dire de bavarder sur Internet. Principalement attirés par
le chat sur Internet, bon nombre d'entre eux s'y rendent
régulièrement notamment pour discuter et aussi nouer des
relations avec d'autres internautes. Dialoguer en ligne ou « Chater »
en direct sur le net est devenu naturellement un de leurs loisirs
préférés. Leur passe-temps favori consiste maintenant
à communiquer en effet par écrit simultanément en temps
réel avec d'autres internautes dont ils ne connaissent à priori
rien, ni l'âge, ni le sexe, mais aussi ni l'endroit où ils se
trouvent réellement.
200
De manière générale, les conversations
dans ces espaces d'échanges portent sur des thèmes multiples.
Pour y participer, l'internaute doit être absolument connecté et
présent en même temps que d'autres interlocuteurs dans le salon
virtuel où se déroule la conversation. Il semble d'ailleurs
d'après nos observations que, nombreux sont les migrants qui
préfèrent tout particulièrement se rendre dans les lieux
de « chat » afin d'y discuter avec d'autres internautes et aussi
nouer des relations amicales. Pour mesurer véritablement
l'intérêt de certains migrants pour les « chats », il
suffit de se rendre dans les « chats » localisés dans les
sites portails tels Seneweb.
Le « chat » de Seneweb reste certainement l'un des
plus fréquentés par les membres de la diaspora
sénégalaise. Tous les types de sujets et toutes sortes de
questions y sont précisément abordés. D'un
côté, des annonces y sont affichées de temps à autre
pour retrouver de vieilles connaissances. D'un autre côté, des
témoignages de toutes sortes sont effectués de manière
courante dans les chats. En définitive, nous pouvons dire que certains
migrants consacrent une bonne partie de leurs temps à « chater
» dans le cyberespace et plus particulièrement dans les sites
portails sénégalais pour tout simplement discuter avec d'autres
internautes ou pour y effectuer des rencontres. Ils mettent à profit
tous les avantages possibles des chats pour aussi approfondir leurs
réflexions concernant des thèmes donnés.
Les usagers de ces espaces d'échanges synchrones ont
d'une certaine façon l'illusion d'être réunis dans un
même environnement virtuel. Autrement dit, le fait de pouvoir discuter et
bavarder en temps réel leur donne vraiment l'impression d'une
co-présence physique. Dans les chats, les sujets de discussion sont
généralement les mêmes que ceux abordés dans les
forums. Les internautes y abordent des sujets relatifs à la politique,
au sport, à la religion, à la culture. La
spécificité des forums se trouve dans le fait que ses membres
doivent au préalable s'inscrire pour pouvoir envoyer leurs messages et
aussi parfois au niveau des espaces thématiques comme par exemple «
le coin des étudiants ».
201
6.4 Les sites portails, mettre à la disposition
des Sénégalais de
la diaspora des plateformes d'informations,
d'échanges et de
rencontres
Un site portail peut être défini comme un site
généraliste, une porte d'accès au cyberespace ouvert
à tous les usagers. C'est un lieu fourre-tout où l'utilisateur
trouve à sa disposition un certain nombre de pages ou plus
précisément un bouquet de services divers. En
général, les sites portails sénégalais proposent
quotidiennement sur une interface multimédia une offre de services
multiples (information plurielle, forum de discussions, chat, annonces
publicitaires dans la plupart des cas), mais surtout des liens vers des
médias en ligne sénégalais (presse écrite, radios
et télévisions). On peut les considérer comme des sortes
de plates-formes virtuelles accessibles à tous les publics.
L'engouement ou l'enthousiasme des Sénégalais de
l'extérieur pour les sites portails est un phénomène
majeur dans le paysage du web sénégalais. Pour les
Sénégalais de la diaspora utilisateurs d'Internet, ces sites
constituent véritablement une porte d'entrée incontournable pour
l'accès dans l'univers de l'Internet sénégalais. Les
informations multiples régulièrement mises à jour ainsi
que la possibilité de pouvoir s'exprimer librement expliquent en grande
partie l'engouement des Sénégalais pour les sites portails. Cet
engouement n'est d'ailleurs pas surprenant pour qui connaît la passion
des Sénégalais à débattre notamment de sujets
liés à la politique. On assiste de plus en plus de nos jours
à une tendance à la prolifération des sites portails
sénégalais sur Internet. Les sites portails offrent aux migrants
sénégalais la possibilité d'accéder en tous lieux,
de manière synchrone ou asynchrone, aux sujets traités et
diffusés dans les journaux, les radios notamment privées et la
télévision de leur pays d'origine, de les commenter en temps
réel, de faire des critiques et des suggestions. Ils apparaissent en
effet nettement comme une dimension assez importante du web
sénégalais. Ce qui intéresse particulièrement les
migrants, c'est non seulement de pouvoir suivre l'actualité
sénégalaise, mais aussi de pouvoir partager leurs
idées.
202
6.4.1 Des sites destinés à élargir la
palette des sources d'informations sénégalaises et à
connecter les migrants aux temps forts de l'actualité
sénégalaise
Les sites portails sénégalais permettent aux
Sénégalais de la diaspora où ils se trouvent à
travers le monde d'avoir accès à l'information diffusée
par les médias de leur pays d'origine, et aussi de pouvoir dialoguer en
ligne et réagir en donnant leur avis sur tous les sujets
d'actualité. Ils constituent, pour les migrants, des moyens essentiels
pour accéder et obtenir de manière quasi instantanée les
informations les plus récentes relatives au pays d'origine et suivre
l'actualité en temps réel. La très grande majorité
des personnes qui ont répondu à nos questions
révèle consulter quotidiennement le site portail Seneweb et
périodiquement d'autres sites portails comme Xalima, Xibar,
Senegalaisement afin de s'informer et se tenir au courant de l'actualité
sénégalaise. Ces sites proposent la plupart du temps des liens
hypertextes permettant de consulter directement les médias
sénégalais en ligne, la presse écrite en particulier et
les radios et télévisions quelquefois. En diversifiant les
sources d'informations (radio, presse écrite et
télévision), l'information est accessible aussi bien aux
intellectuels qu'aux analphabètes. Des articles ou dépêches
des quotidiens sénégalais peuvent être aussi parfois
publiés en ligne, comme peuvent l'être également les
contributions envoyées par les Sénégalais de
l'intérieur comme ceux de l'extérieur. Ce qui permet aux
internautes de se tenir informés en direct et en continu de
l'actualité sénégalaise.
Les sites portails offrent en outre la possibilité pour
les médias sénégalais (quotidiens, radios et
télévisions) d'étendre et de multiplier leurs bassins
d'audience. Comme nous l'avons donc observé en fréquentant
plusieurs sites portails, il semble bien que l'on assiste aujourd'hui à
l'avènement de ce que Dana Diminescu tente de définir comme le
« migrant connecté », nous ajoutons «
hyperconnecté » à l'actualité du pays d'origine. Cela
confirme encore une fois l'idée développée par Annie
Chéneau-Loquay, selon laquelle l'Internet africain se caractérise
notamment par un recentrage et une extraversion. En accédant facilement
à une gamme de services liés à l'information, les migrants
semblent, d'une façon générale, beaucoup mieux
informés que leurs compatriotes sénégalais restés
au pays où l'utilisation d'Internet reste encore marginale en dehors de
la ville de Dakar.
203
6.4.2 Des lieux virtuels de rencontres et d'échanges
en dépit des frontières géographiques
D'un autre côté, ces sites proposent aux
utilisateurs des espaces de rencontres et de discussions (forums, chats,
contributions) où chacun peut émettre une idée ou encore
donner son avis sur des sujets susceptibles d'intéresser l'ensemble de
la communauté sénégalaise. D'une manière
générale, ces sites ont aussi pour but de mettre à la
disposition des Sénégalais une plate-forme de réflexions
ou d'échanges d'idées en dépit de la distance et des
obstacles géographiques. Autrement dit, de fournir aux internautes
sénégalais disséminés aux quatre coins du globe la
possibilité en même temps d'entrer en contact et d'établir
des relations d'échanges. Les possibilités de discussions et
d'échanges ont en effet un impact considérable dans la forte
fréquentation de ces espaces virtuels. On constate une densité
importante des échanges sur le portail Seneweb. Les visiteurs du site
peuvent se rendre au niveau des espaces « forum » (SeneForum) ou
« chat » (SeneChat) pour y aborder des sujets d'ordre
général ou des sujets ayant trait à l'actualité
sénégalaise ou internationale. Les intervenants dans ces lieux
virtuels de rencontres et d'échanges ont non seulement la
possibilité de s'exprimer à travers des contributions, mais aussi
de nouer des liens avec d'autres internautes.
Ces espaces peuvent ainsi être considérés,
pour ces acteurs de l'interface, comme une alternative à leur besoin
considérable de contact et de communication. Ce sont en effet des
espaces propices au dialogue, à l'échange d'information et de
savoir, faisant abstraction des obstacles du temps et de la distance. La
participation libre et immédiate aux discussions joue un rôle
actif dans leur succès. Les internautes ont ainsi l'opportunité
d'échanger et de divulguer des connaissances acquises dans des domaines
divers, tels que le secteur des nouvelles technologies, d'entretenir des
discussions dans les langues nationales, de soutenir un homme politique, de
commenter la situation économique difficile de leur pays d'origine et de
souligner les responsabilités afin que les fautifs puissent être
éventuellement sanctionnés.
Par ailleurs, même si les sujets abordés dans ces
lieux virtuels d'échanges sont relativement diversifiés, il
convient toutefois de souligner la forte propension des internautes à
aborder des sujets relatifs à la gestion de leur pays d'origine. On
pourrait même aller jusqu'à dire que ces sites favorisent
effectivement la participation citoyenne,
204
la constitution d'une communauté d'appartenance et la
consolidation des relations avec le pays d'origine.
6.4.3 Une panoplie de services qui répondent aux
besoins des migrants
Ces sites proposent aussi d'autres services qui
répondent aux besoins des migrants. Par exemple, les migrants ont
parfois la possibilité d'écouter différentes
émissions de radio (animation musicale, émissions portant sur la
gestion des affaires publiques au Sénégal, émissions
religieuses, etc.) et regarder les programmes des chaînes de
télévisions sénégalaises diffusées en
français ou en wolof (2STV, WalfTV, RTS, RDV). Des chroniques sont
tenues chaque semaine sur Seneweb et Xalima. Il y a aussi les revues de presse
en français et en wolof qui sont particulièrement
appréciées. De même que les interventions faites, en
certaines occasions, par d'éminentes personnalités
sénégalaises, intellectuels, politiciens, journalistes, guides
religieux... à travers les webradios de certains sites portails. Les
internautes ont également la possibilité de visualiser des
vidéoclips de musique sénégalaise et internationale. Ils
peuvent en outre faire des téléchargements sur certains sites.
Parfois aussi, des offres de services de télécommunication sont
disponibles sur certains sites portails, notamment la possibilité
d'acheter des cartes téléphoniques pour appeler au
Sénégal, conception de sites, etc. Il faut aussi signaler la
possibilité de trouver parfois des opportunités d'investissement
ou des possibilités d'acquisition immobilière au pays à
travers notamment les annonces publicitaires. Les visiteurs peuvent
également, à travers ces sites, faire eux-mêmes des
annonces publicitaires. Ils peuvent parfois trouver des services susceptibles
d'avoir des effets bénéfiques dans le projet relatif au retour au
pays. Ces services sont pour l'essentiel des services gratuits. Cependant, ces
sites misent largement sur l'aspect publicitaire pour être rentables. Or,
pour assurer la rentabilité d'un site portail, le trafic qui y est
généralisé doit être extrêmement important.
205
6.4.4 Des sites créés et gérés
essentiellement par des migrants
Les migrants sont très dynamiques dans la galaxie des
sites portails sénégalais. En effet, la diaspora
sénégalaise compte en son sein de nombreux
sénégalais ayant bénéficié d'une formation
de qualité parfois dans les meilleures universités et
écoles de télécommunications à travers le monde.
Rien qu'en France, leur nombre (environ 211 enregistrés à la date
02/09/2009) pourrait effectivement surprendre bon nombre d'observateurs. On
peut donc ainsi s'attendre à ce que les migrants soient par
conséquent particulièrement actifs dans la production de sites
web ou de logiciels, etc.... Pour certains d'entre eux, le fait d'investir le
secteur des technologies de l'information et de la communication a pu
constituer un moyen d'insertion professionnelle au moment où l'emploi
commençait à être considéré comme une
denrée de plus en plus rare dans les pays de résidence. D'autant
plus que certains d'entre eux ont très tôt pris conscience de la
forte demande d'informations relatives au pays d'origine formulée par
une très large majorité de leurs compatriotes. Internet, en
particulier le web leur offrait l'opportunité de pallier au
déficit d'informations de la diaspora sur le pays d'origine et aussi
l'occasion de se positionner dans ce créneau. Ce qui a tendance à
entraîner des recompositions nouvelles dans la géographie de
l'espace médiatique sénégalais.
Si la plupart des sites portails ont été
créés par des Sénégalais vivant à
l'étranger ou au Sénégal, ils peuvent être aussi
l'oeuvre d'étrangers tenant à marquer leur affection pour le
Sénégal. C'est le cas du site portail
www.senegalaisement.com.
Nous verrons un peu plus loin ce qui fait la particularité de ce site
assez connu, comme semble l'indiquer les informations collectées dans
les milieux de la migration sénégalaise en France. Ce que l'on
constate à l'heure actuelle, c'est une prolifération de ces sites
portails dont le nombre reste difficile à évaluer. Toutefois, on
peut citer quelques uns comme Seneweb, Homeviewsenegal, Xalima, Websenegal,
Wakeur, Galsentv, Chezbadou, Xamle, Senego, Sunuker, Sunuweb, Sunueuropal,
Sunuteranga, Sunugalsen... Il serait vraiment fastidieux de vouloir tous les
citer ici, mais les différents titres de ces sites nous laissent
à penser qu'un linguiste serait bien inspiré de se pencher sur la
place du wolof dans le web pour en comprendre les enjeux. Nous choisirons
d'étudier quelques sites portails pour montrer leur dynamisme, leurs
spécificités et leur impact dans la diaspora.
206
6.4.5 Seneweb, le lieu virtuel de convergence des
Sénégalais éparpillés dans le monde entier
Parmi tous les sites portails sénégalais ayant
pignon sur rue dans le cyberespace, Seneweb demeure sans nul doute celui qui
draine le plus d'affluence et génère de ce fait le plus de
trafic. Son dynamisme et sa vitalité en ont fait d'ailleurs le «
portail sénégalais » le plus visité à
présent sur le web.
Créé en août 1999 par un jeune
sénégalais vivant aux Etats-Unis, Abdoulaye Salam Madior Fall,
âgé de 22 ans à l'époque et fraîchement
diplômé en sciences de l'informatique, Seneweb est devenu
aujourd'hui le point de ralliement ou de convergence des internautes
Sénégalais. Actuellement, Seneweb Networks compte 14
employés répartis entre les Etats-Unis et le
Sénégal.
Il a pour objectif principal de rapprocher les migrants
sénégalais éparpillés dans le monde entier, de leur
permettre d'accéder quotidiennement à l'actualité
sénégalaise à travers des liens vers des sites de
quotidiens et autres organes de presse, et aussi de contribuer de
manière consciente et responsable à la promotion du dynamisme du
Sénégal dans le cyberespace. Seneweb contribue à la
vitalité des médias sénégalais, en leur offrant
d'autres canaux ou supports de diffusion. Il a en outre pour vocation
d'être un lieu public de rencontre où s'échangent des
idées et où les acteurs économiques présents ou non
encore présents sur le web peuvent se retrouver pour nouer des relations
de partenariat. C'est un lieu d'informations, de rencontre et de débat
autour duquel se rassemblent tous les Sénégalais où qu'ils
se trouvent. C'est un lieu où se nouent des relations virtuelles et
où se croisent des Sénégalais qui ne se seraient
peut-être jamais rencontrés. Il joue également un
rôle essentiel dans l'apprentissage de la démocratie, en
permettant à tout ressortissant sénégalais connecté
à Internet de pouvoir s'exprimer librement sur des sujets finalement
extrêmement importants pour la communauté et l'avenir du
Sénégal.
Seneweb est incontestablement devenu une des figures de proue
du web sénégalais en particulier mais aussi un site de
référence du web africain et même du web en
général. En effet, comme il est indiqué sur le site de
Seneweb Networks, le site portail Seneweb « est passé de moins de
300 visiteurs à sa création en 1999 à plus de 28.000
visiteurs uniques/jour, totalisant plus de 25.164.563 bits par mois, et plus de
1.124.175 pages vues
207
par mois ». En outre, d'après Alexa Internet, une
entreprise appartenant au groupe Amazon et spécialisée dans les
statistiques générées par le trafic web des sites
Internet, Seneweb figure dans le peloton de tête des 11.000 sites web les
plus fréquentés sur Internet. Selon Google Analytics, Seneweb a
enregistré 3.295.909 visites en provenance de 194 pays durant la
période comprise entre le 28 juillet 2009 et le 27 août 2009. Les
internautes ont consulté en moyenne 2,25 pages par visite et le temps
moyen passé sur le site est environ 5 minutes 44 secondes. Comme on peut
le voir sur le tableau ci-dessous, le Sénégal fournit l'essentiel
des visiteurs avec 1.190.015 internautes. On constate que la France fournit
650.070 des visiteurs, suivie par les Etats-Unis avec 598.518 visites. En
réalité, une part importante des migrants
sénégalais en France et aux Etats-Unis est constituée
d'étudiants et de cadres, c'est-à-dire de personnes ayant les
compétences requises pour utiliser Internet. D'autre part, il n'est pas
sans intérêt de remarquer la proportion des visites
effectuées à partir de l'Italie et de l'Espagne alors que ces
deux pays sont considérés comme des pays accueillant
essentiellement des migrants sénégalais exerçant des
emplois peu qualifiés. Cela montre qu'au sein de ces derniers, il est
possible d'y trouver des migrants ayant un niveau intellectuel suffisant pour
leur permettre d'accéder à Internet et de surfer sur le web.
Cette tendance notée au niveau des lieux de connexions
est confirmée par Alexa Internet122 qui indique que 50,4% des
visiteurs de
Seneweb.com sont connectés
à partir du Sénégal. Cela montre également une
évolution imporante du nombre d'internautes au Sénégal. De
plus en plus, les internautes basés au Sénégal
accèdent à Seneweb pour trouver des informations sur
l'actualité sénégalaise et internationale, mais aussi pour
participer aux échanges qui ont lieu dans les espaces
électroniques de discussion. Les connexions établies à
partir de la France concernent 14,3% des visites. Les visiteurs établis
au Canada constituent 6,2% des connexions. La part des personnes effectuant des
visites sur le site depuis l'Italie est de 3,6%. 2,5% des visiteurs de Seneweb
sont localisés aux Etats-Unis, 2,0% en Côte-d'Ivoire, 1,9% en
Chine, 1,8% au Burkina Faso et 1,6% en Guinée Equatoriale. En outre,
avec 81,0% des usages enregistrés, la lecture des articles de presse
publiés en ligne reste la principale utilisation. Les usagers des forums
de
122 Ces chiffres ont été collectés le
01/05/2010 sur le site de la société Alexa Internet,
www.alexa.com. Créée en
1996, cette entreprise, filiale d'
Amazon.com à la suite de son
rachat en 1999, est spécialisée dans l'analyse du trafic web.
Alexa Internet permet de connaître le nombre de visiteurs sur les 100
sites web les plus fréquentés sur Internet.
discussions représentent 12,2% des utilisateurs. Ils
sont 6,6% des usagers à consulter les vidéos. Seulement 0,1%
restant se livre à d'autres usages123.
208
Graphique 13. Visites effectuées sur Seneweb du 28/07/09
au 27/08/09
209
Source : Google Analytics
210
Pour les migrants sénégalais
éparpillés à travers le monde de même que pour les
Sénégalais vivant au pays, Seneweb est un vecteur d'informations
et un espace de réflexions et d'échanges. Seneweb s'adresse aussi
aux ressortissants du pays voisin, la Gambie, éparpillés dans le
monde entier. Il y a également des informations susceptibles d'attirer
tous ceux qui s'intéressent aux perspectives d'investissement au
Sénégal, de même que tous ceux qui envisagent ou
désirent passer des vacances sur le territoire
sénégalais.
A ce jour, les pages les plus consultées, selon
Abdoulaye Salam Madior Fall, sont les pages relatives à
l'actualité, à la musique et l'émission « Dég
Dëg ». Le site propose des liens hypertextes permettant de consulter
directement la presse écrite : Le Soleil, Sud Quotidien, Le
Quotidien, Wal Fadjri, L'Observateur, L'As, L'Office, Le Matin et 24H
Chrono et des radios émettant depuis le Sénégal
telles que la radio RFM et les radios Oxy Jeunes, Zig FM et Annur FM. Seneweb
propose aussi de regarder en ligne l'intégralité du journal
télévisé de la chaîne de télévision
publique, la RTS, diffusée par le site
Senegaltv.com. De même, des
articles ou dépêches de l'agence de presse
sénégalaise peuvent être aussi parfois publiés en
ligne, comme peuvent l'être également les contributions
envoyées par les internautes sénégalais de
l'intérieur comme ceux de l'extérieur, et aussi par les
internautes non sénégalais. Le site portail Seneweb offre en
outre la possibilité pour les médias sénégalais
(quotidiens, radios et télévisions) d'étendre et de
multiplier leurs bassins d'audience. Seneweb contribue ainsi à la
vitalité des médias sénégalais, en leur offrant un
autre canal ou support de diffusion. Par ailleurs, en diversifiant les sources
d'informations (radio, presse écrite et télévision),
l'information est accessible sur Seneweb aussi bien aux intellectuels qu'aux
analphabètes.
Pour certains habitués du site, ce qui les attire
surtout, c'est la richesse de la vie sociale qui se développe dans les
différents lieux d'échanges tels le forum de discussions
(Seneforum) et les « chats » (Senechat). Ces lieux sont des espaces
publics où les internautes peuvent s'exprimer librement et où se
développe une véritable conscience citoyenne. Grâce
à l'interactivité avec les usagers, Seneweb est devenu un lieu
public virtuel où les internautes sénégalais peuvent
s'exprimer librement et où certains s'engagent afin de favoriser
l'émergence et la consolidation d'une réelle prise de conscience
citoyenne aussi bien au sein des Sénégalais de l'intérieur
que de l'extérieur. Par exemple, lors des dernières
élections locales organisées au Sénégal en mars
2009, il y
211
a eu chez les internautes de Seneweb des prises de position
parfois virulentes à l'égard du régime en place. D'une
manière générale, les internautes avaient demandé
à leurs concitoyens au Sénégal de voter pour la coalition
de l'opposition rassemblée sous la bannière de « Siggil
Sénégal » (qui signifie en wolof relever ou redresser le
Sénégal). Au cours de cet évènement important dans
la vie politique sénégalaise, Seneweb a déployé de
gros efforts pour permettre aux Sénégalais de la diaspora de
suivre en temps réel la campagne des candidats, le déroulement
des élections et la proclamation des résultats. Et à
l'annonce des résultats consacrant la victoire de l'opposition dans les
principales villes du pays ainsi que dans plusieurs conseils régionaux,
les internautes ont littéralement pris d'assaut Seneweb pour exprimer et
partager ensemble leur fierté d'être Sénégalais.
C'est comme si au même moment, de nombreux internautes de la diaspora,
submergés par la joie, s'étaient connectés sur Seneweb
pour manifester le bonheur qui les envahissait à cet instant
précis. On a ainsi assisté à une scène de liesse
virtuelle comme on aurait pu l'observer d'ailleurs pour des gens en train de
manifester dans la rue à la suite de la proclamation des
résultats d'élections favorables à leur candidat. Ce lieu
virtuel, rassemblant des Sénégalais d'ici et d'ailleurs,
reflétait, dans ces moments là, l'image même de ce que
certains Sénégalais là-bas, en particulier membres de
l'opposition, étaient en train de vivre précisément au
même moment.
Seneweb émet sa propre radio Seneweb radio qui diffuse
une revue de presse quotidienne et des émissions culturelles,
religieuses et politiques ou encore des émissions consacrées
spécialement à la diaspora. Toutefois, ce sont
généralement les émissions relatives à la politique
et à l'éveil citoyen qui semblent intéresser davantage les
internautes. Parmi ces émissions, il y a celle animées par le
journaliste Souleymane Jules Diop et le professeur Arona Ndoffène Diouf.
En outre, Souleymane Jules Diop présente également tous les
jeudis une chronique écrite intitulée « Lignes ennemies
» qui, comme on peut le voir, sur le site, à travers les
commentaires des cyberlecteurs, connaît incontestablement une forte
audience.
D'un autre côté, les migrants ont aussi parfois
la possibilité de suivre en direct les combats de lutte diffusés
par la télévision nationale, la RTS, et retransmis en ligne par
des sites comme Seneweb, Sunu-tv, Galsentv. Non seulement, les migrants peuvent
vivre en direct les moments forts de la lutte considérée comme le
sport national au Sénégal, mais ils peuvent aussi faire des
commentaires en temps réel, soutenir leur lutteur ou critiquer
212
son adversaire. On constate à travers les commentaires
des internautes que ces occasions sont considérées comme des
moments de sociabilité et d'identification à une même
communauté d'appartenance. Les internautes ont également la
possibilité de visualiser des vidéo-clips de musique
sénégalaise ou internationale et aussi partager des
vidéos.
Par ailleurs, en parcourant le site, l'attention du visiteur
est également retenue par la variété des formats
d'annonces publicitaires (bandeau, banderole, spots, etc.). Ce sont des
annonces sur les possibilités d'acquisition immobilière, des
opportunités pour devenir propriétaire d'un terrain, d'un
appartement ou d'une maison, notamment avec la SICAP (achat de terrains ou de
villas avec la Société Immobilière du Cap-vert). Des
opportunités d'investissement au Sénégal sont mises
à la disposition des internautes par des organismes comme l'APIX
(l'Agence Nationale chargée de la Promotion de l'Investissement et des
Grands Travaux). Il s'agit de donner aux internautes des raisons d'investir au
Sénégal, de leur indiquer les secteurs prioritaires où
investir. Il s'agit aussi de donner des informations permettant de comprendre
et d'effectuer les procédures administratives. Ce sont aussi les appuis
fournis à la concrétisation des projets d'investissement dans
divers secteurs économiques au Sénégal. Ainsi, les
migrants constituent les cibles privilégiées des promoteurs
immobiliers privés et publics sénégalais qui se servent
désormais d'Internet afin de les atteindre plus facilement et plus
rapidement. Seneweb reste dans ce cas un important outil d'informations pour
les Sénégalais de la diaspora en quête d'investissement
immobilier ou d'opportunités d'affaires dans leur pays d'origine.
Parfois aussi, des offres de services de télécommunication sont
disponibles, notamment la possibilité d'acheter des cartes
téléphoniques pour appeler au Sénégal ou de
solliciter les services des responsables de Seneweb en vue de la conception de
sites web, etc.
Seneweb met à la disposition des migrants internautes
des contenus régulièrement mis à jour (actualités
et dépêches). Ce site constitue pour de nombreux migrants
sénégalais une aubaine pour se connecter de façon
instantanée à l'actualité du pays d'origine,
émettre des opinions diverses et se faire entendre par une partie
importante de la communauté sénégalaise. C'est un site
à la fois attractif et riche de tout type d'informations. Ces
créateurs ont réussi avec aisance l'immense défi relatif
à la question fondamentale de la participation du Sénégal
dans le réseau mondial. Seneweb bénéficie d'une grande
notoriété auprès des internautes de la diaspora
sénégalaise éparpillés à
213
travers le monde. Il est vrai que la diversité des
services ainsi que leur gratuité jouent un rôle important dans le
succès spectaculaire de Seneweb. C'est particulièrement quand on
le compare, sous certains aspects, à Homeviewsenegal, son principal
concurrent dans un passé tout récent. Le site portail Seneweb
peut être considéré comme un lieu d'informations, de
rencontre et de débat autour duquel se rassemblent tous les
Sénégalais où qu'ils se trouvent. C'est un lieu où
se nouent des relations et où se croisent des Sénégalais
qui ne se seraient peut-être jamais rencontrés. Il joue
également un rôle essentiel dans l'apprentissage de la
démocratie, en permettant à tout ressortissant
sénégalais connecté à Internet de pouvoir
s'exprimer librement sur des sujets finalement extrêmement importants
pour la communauté et l'avenir du Sénégal. Il est tout
à fait raisonnable de souligner que ces créateurs ont
réussi, à l'heure actuelle, l'immense défi relatif
à la question fondamentale de la participation du Sénégal
dans le réseau mondial, avec efficacité et aisance. Seneweb
bénéficie d'une grande notoriété auprès des
internautes de la diaspora sénégalaise éparpillés
à travers le monde. Il est vrai que la diversité des services
ainsi que leur gratuité jouent un rôle important dans son
dynamisme et son succès spectaculaire.
Site web 3. Seneweb, le lieu de convergence des
Sénégalais de la diaspora
214
6.4.6
Homeviewsenegal.sn, connecter les
migrants aux temps forts de l'actualité sénégalaise
Homeviewsenegal, créé également par un
migrant sénégalais vivant aux Etats-Unis, a été un
des pionniers dans le paysage des sites portails sénégalais. Le
nombre d'utilisateurs de Homeviewsenegal a commencé à
régresser quand les responsables du site ont voulu faire payer
l'accès à certains services. Jusqu'en juin 2006, le site
était structuré essentiellement en deux espaces (espace membre et
espace gratuit). Dans l' « espace membre », les abonnés,
moyennant 10 euros par mois ou l'équivalent en dollar (environ 6560
francs CFA), pouvaient regarder en direct certaines chaînes de
télévision comme la chaîne publique RTS, la chaîne
privée 2STV, la chaîne de télévision francophone TV5
et la chaîne privée panafricaine Africable124. Dans l'
« espace gratuit », les visiteurs pouvaient surtout lire gratuitement
la presse. Toutefois, en voulant gagner trop vite de l'argent, Homeviewsenegal
a surtout enregistré une baisse rapide et significative du nombre de ses
visiteurs. Avec un trafic de 3.098.318 bits, le site tente à
présent de reconquérir difficilement sa place en rendant à
nouveau gratuit l'essentiel de ses services.
Homeviewsenegal cherche à se positionner comme le
portail multimédia du web sénégalais. Ses fondateurs
veulent en faire une sorte de plate-forme électronique qui va permettre
en effet aux internautes sénégalais l'utilisation
simultanée et interactive de plusieurs modes de représentation de
l'information (textes, sons, images fixes ou animées) pour vivre en
direct les moments importants de l'actualité sénégalaise
et suivre à chaud les temps forts de l'actualité internationale.
L'objectif est de mettre à la disposition des visiteurs des fichiers
multimédias et des données audiovisuelles centrées pour
l'essentiel sur l'actualité sénégalaise. Les visiteurs ont
désormais la possibilité de regarder gratuitement la chaîne
publique RTS et les chaînes de télévision privées 2S
TV, Walf TV et RDV. De même, ils peuvent écouter les radios
privées Sud FM et RFM et aussi consulter quelques journaux en ligne
(Sud Quotidien, Walf Fadjri, Le Quotidien, L'Observateur, L'Office, L'APS,
Jeune Afrique). Homeviewsenegal est finalement en train
d'expérimenter ce qui a permis à son concurrent
Seneweb.com de réussir
brillamment dans le paysage des sites portails d'informations
généralistes.
124 Les internautes avaient la possibilité d'effectuer
un abonnement à l' « espace membre » à travers six
modes de paiement : carte de crédit, chèque, mandat postal,
virement bancaire, transfert d'argent, envoyer un parent payer au siège
de Homeviewsenegal situé au quartier populaire de la Médina
à Dakar.
215
Site web 4. Homeviewsenegal, connecter les migrants aux
temps forts de l'actualité sénégalaise
Xalima.com se présente comme l'un
des portails de l'actualité sénégalaise. Il se distingue
un peu des autres sites portails par le fait qu'il propose une liste de
thèmes et rubriques censés intéresser
éventuellement les visiteurs : politique, société, sport,
économie et culture. Il permet aussi l'accès à des
journaux comme Le Soleil, Sud Quotidien, L'Observateur et Walf
Fadjri et également rend accessible aux chaînes de
télévision RTS et
2STV. Xalima.com présente
aussi l'intérêt de permettre aux visiteurs d'écouter ou de
télécharger automatiquement de nombreuses émissions de
radios. On peut en effet écouter et télécharger dans la
rubrique « Podcast » des émissions politiques
présentées par les animateurs de
Xalima.com. Par exemple
l'émission portant sur la communauté sénégalaise
implantée aux Etats-Unis, émission présentée sur la
radio Africantime par Dame Babou, un journaliste sénégalais
résidant aux Etats-Unis. De même, le visiteur peut choisir
d'écouter des émissions religieuses comme celle
présentée par Oustaz Baytir, un sénégalais
résidant à Bordeaux, mais aussi celle animée par
l'humoriste Kouthia. La page consacrée aux « Contributions »
est un espace où les internautes peuvent émettre leurs points de
vue et donner leurs opinions sur la situation actuelle du
Sénégal. Au moment de notre visite, la majorité des
intervenants exprimait
216
son opposition catégorique au projet monarchique du
président sénégalais concernant à vouloir se faire
succéder par son fils. A titre d'exemple, on peut citer les
contributions suivantes : Karim, le prédateur devenu proie
envoyée le 31 mars 2009, Les dix conseils d'un xalimanaute
à Wade, Les véritables raisons d'une déroute
électorale, La génération du concret s'effondre et emporte
les libéraux, Bon débarras Karim, bye bye, etc.
Site web
5. Xalimasn.com
6.4.8 Un nombre croissant de sites portails pour fournir
une multitude d'informations sur le Sénégal
Créé en 1998 par Christian Costeaux, un
français passionné du Sénégal, le site portail
Sénégalaisement.com
propose une mine de renseignements complets et pratiques sur le
Sénégal. Probablement, l'un des meilleurs sites d'informations
sur le Sénégal avec plus de 400 pages,
Sénégalaisement.com
a été mis en place à une période où les
sites web sur le Sénégal étaient relativement rares. Ainsi
comme en témoigne l'impressionnante banque de données, ce site
est donc le fruit d'un travail de longue haleine. Pour réaliser ce
colossal travail et aussi dans le souci d'améliorer le site et
l'enrichir, l'auteur affirme s'être beaucoup servi des commentaires et
contributions des internautes, à travers notamment les espaces
interactifs de dialogue et de partage d'informations. C'est par
conséquent
217
grâce à cette interactivité qu'il a pu
collecter, par exemple, un important stock d'informations ainsi que des photos
et des vidéos sur la ville de Dakar et les autres régions du
pays. Les pages consacrées aux différentes régions
sénégalaises constituent certainement les pages les plus
intéressantes du site. Elles apportent d'utiles informations sur ce qui
fait plus particulièrement la spécificité de chacune
d'entre-elles, de Dakar au Sénégal oriental en passant par la
Basse-Casamance, le Sénégal central et la région de
Saint-Louis, affichant ainsi la vocation culturelle et touristique de ce site
web. On peut dire que son auteur participe, à sa manière,
à la promotion de l'industrie touristique sénégalaise, en
invitant les touristes à découvrir l'extrême
diversité de la faune ou l'exceptionnelle richesse de la flore des
terroirs sénégalais ainsi que les belles plages et les lieux de
détente, de loisirs et de culture125. Le site propose un
moteur externe de recherche permettant d'effectuer des recherches sur
l'ensemble des sites web sénégalais présents sur Internet.
L'auteur sélectionne et met en lien différents sites web
consacrés au Sénégal. La plupart de ces sites apporte non
seulement des informations supplémentaires, mais aussi et surtout
permettent de découvrir et connaître davantage le
Sénégal. Ce sont des liens utiles et intéressants pour les
étudiants, les touristes, les investisseurs. En outre, un « Livre
d'or » est mis à la disposition des visiteurs pour leur permettre
de s'exprimer et donner leurs opinions sur le site. Généralement,
les messages diffusés dans cette rubrique sont le plus souvent des
félicitations et des témoignages de sympathie à l'endroit
du propriétaire du site. Les visiteurs, venus de tous les horizons
(Bamako, Mauritanie, Marseille, Comores, etc.), apprécient
particulièrement la richesse des informations et des services comme les
possibilités de retrouver des amis perdus de vue, les SMS, les
possibilités de suivre des cours de wolof ou de visualiser des offres
immobilières. Le site portail
Senegalaisement.com est
à la fois attractif et riche d'informations.
D'après l'auteur, la conception de son site web n'a pas
été quelque chose de facile. Au contraire, il a plutôt
fallu faire preuve d'un grand effort de créativité ainsi que
d'une grande rigueur pour le réaliser. Son concepteur tente ainsi
à travers ce médium de
125 Le tourisme est une ressource primordiale pour le
Sénégal. Il s'agit essentiellement d'un tourisme de masse et d'un
tourisme d'affaires. Ce tourisme de masse a été principalement
favorisé par l'installation d'un certain nombre de groupe
hôteliers notamment privés tels que le Club Med, FRAM..., mais
aussi par la création de multiples infrastructures
hôtelières et le développement des gîtes touristiques
comme les fameux Campements Ruraux Intégrés en Casamance. Ces
différents équipements hôteliers sont
généralement destinés à des gens à la
recherche d'activités originales ou réservés à des
personnes en quête de découvertes culturelles, de
tranquillité et de loisirs sportifs. Le tourisme d'affaires se
développe plus particulièrement à Dakar.
Régulièrement dans le cadre professionnel, des personnes en
provenance de pays africains ou européens séjournent dans la
capitale sénégalaise pour traiter des affaires ou pour des
prospections commerciales ou encore pour trouver des opportunités
d'investissements.
218
partager sa passion pour le Sénégal en mettant
en valeur de façon méticuleuse les forces et les atouts du pays,
sans oublier néanmoins de dénoncer certaines tares de la
société sénégalaise. Certains critiques
formulés par l'auteur ont parfois provoqué des commentaires
houleux dans le forum du site et généré quelquefois des
malentendus entre certains internautes et le propriétaire du site.
L'auteur cherche à informer les visiteurs, à les distraire et
à leur faire profiter de ses « expériences
sénégalaises » (qu'elles soient bonnes ou mauvaises). Les
photos et images de même que les éléments
multimédias comme les sons ou les vidéo-clips contribuent
beaucoup à la qualité du site. Il propose en outre des messages
publicitaires et la possibilité d'effectuer des
télé-achats. Depuis sa création, des mises à jour
ont été effectuées régulièrement.
A travers un éventail large d'informations ainsi qu'une
pluralité des services et ressources proposés gratuitement, les
sites portails ont contribué de manière significative à
faire connaître d'abord Internet et ensuite favoriser son utilisation
aussi bien auprès des Sénégalais restés au pays
qu'au sein de la diaspora sénégalaise. Et cela est sans doute
plus vrai encore quand on voit le nombre impressionnant de sites portails
relatifs au Sénégal recensés sur Internet. Ces sites sont
de puissants vecteurs de diffusion de l'information et contribuent aussi
à enrichir le paysage médiatique sénégalais. Pour
la plupart des concepteurs, ces sites portails résultent essentiellement
d'une volonté de mettre à la disposition de la communauté
de migrants sénégalais éparpillés à travers
le monde, un kiosque virtuel de journaux qui donnent
régulièrement des informations sur l'actualité
sénégalaise mais aussi internationale. Leur objectif consiste
aussi à se servir du réseau mondial Internet comme vitrine et
tribune afin d'y améliorer la visibilité et la présence de
la diaspora de même que celle du Sénégal.
Il nous semble d'ailleurs que du point de vue de la
vulgarisation de l'utilisation d'Internet au Sénégal, des pistes
intéressantes pourraient être exploitées à travers
le succès relatif de certains sites portails. A ce niveau de notre
étude, on peut se demander, à l'instar de Thomas Guignard, si ce
phénomène de création de sites portails et l'ampleur
découlant de leur utilisation tous azimuts est-il effectivement une
spécificité sénégalaise ? Où bien
existe-t-il, peut-on observer le même phénomène chez
d'autres communautés de migrants ? Thomas Guignard répond
à cette question en affirmant qu'il ne s'agit nullement d'une
spécificité sénégalaise, dans la mesure où
il constate des pratiques similaires sur le site portail ivoirien
Abdijan.net et le site portail
béninois
Opays.com. Au
219
contraire, nous pensons en effet qu'il existe bien une
particularité dans les pratiques des sites portails
sénégalais même si elle est à peine perceptible. La
comparaison voulue avec les deux sites mentionnés dans les travaux de
Thomas Guignard n'a pas pu se faire, car au moment de nos recherches, le site
portail des Béninois
Opays.com ne fonctionnait plus. Quant au
site portail ivoirien
Abidjan.net, on peut dire que, d'une
manière générale, il ressemble, sous de nombreux aspects,
aux sites portails sénégalais. Tout d'abord, il propose sur une
interface des contenus multimédias. L'information occupe une large place
sur le site avec la possibilité de lire gratuitement des articles
relatifs à l'actualité ivoirienne du moment. Le site propose
aussi de nombreux espaces de discussion où les internautes peuvent
débattre notamment sur des sujets d'actualité, de sport,
échanger sur les nouvelles technologies et partager leurs
problèmes sentimentaux, etc. Néanmoins, l'observation longue et
attentive d'une part ainsi que la participation aux discussions dans les forums
de plusieurs sites portails sénégalais et leur analyse montrent
que la culture et la politique prennent des dimensions considérables
dans l'espace des sites portails sénégalais. De plus, il est
intéressant de remarquer la place occupée par la religion dans
ces espaces numériques. A ce propos, il faut observer l'ardeur
déployée par les responsables de ces sites au moment des grands
évènements dans la vie des confréries religieuses
sénégalaises afin de permettre aux disciples dans la diaspora de
vivre en temps réel ces moments de ferveur religieuse et de communier
avec leurs coreligionnaires restés au pays ou disséminés
à travers le monde. Il faut aussi ajouter la diffusion en direct sur des
sites portails comme Seneweb des combats de lutte organisés
régulièrement au Sénégal qui sont des moments
d'intense socialisation. L'impression qui se dégage dans ces
moments-là, c'est en fait comme si le réel était tout
simplement transposé dans le virtuel. Les internautes peuvent faire des
commentaires pour soutenir leur lutteur ou émettre des critiques
à l'encontre de son adversaire. Certains en profitent aussi pour passer
des messages à des amis au Sénégal, en France ou ailleurs.
Par ailleurs, à travers les interviews réalisées
auprès des lutteurs, il ne serait pas faux de penser que certains
d'entre eux ont intégré cette partie de leurs supporters
constitués par les internautes au sein de la diaspora.
Non seulement, les migrants sont de gros consommateurs de
sites portails sénégalais, mais également ils jouent un
rôle important dans la production de ces sites. Certains d'entre eux font
preuve de créativité, de détermination et de
professionnalisme afin de mettre en ligne des sites portails avec des contenus
et des services de qualité sous forme
220
de textes, images et d'autres éléments
multimédias. Les actions multiples menées par les migrants dans
la production et l'animation de ces sites portails constituent un
élément essentiel de la vitalité du web
sénégalais. Loin d'être de simples e-spectateurs ou
d'anonymes e-consommateurs, les migrants sont à présent en amont
et en aval dans l'exploitation de l'information sénégalaise. Ce
qui fait que les flux médiatiques sénégalais, jadis
localisés, unidirectionnels, débordent à présent
leur cadre d'émission et de réception traditionnel pour devenir
désormais déterritorialisés, multidirectionnels. Avec la
prolifération des sites portails, il semble bien que l'on assiste
aujourd'hui à l'avènement de ce que la sociologue Dana Diminescu
tente de définir comme le « migrant connecté », nous
ajoutons « hyperconnecté » à l'actualité du pays
d'origine. D'ailleurs, en accédant facilement à une gamme de
services liés à l'information, les migrants semblent, d'une
façon générale, beaucoup mieux informés
désormais que leurs compatriotes sénégalais restés
au pays où l'utilisation d'Internet reste encore marginale en dehors de
la ville de Dakar. Ce que l'on constate à l'heure actuelle, c'est une
prolifération de ces sites portails dont le nombre reste cependant
difficile à évaluer.
6.5 Les médias en ligne
Au début d'Internet, beaucoup de professionnels des
médias affichaient leur pessimisme en annonçant que cette
nouvelle technologie allait sans aucun doute sonner le glas des médias
dits traditionnels, c'est-à-dire, la presse, la radio et la
télévision. Mais au regard de ce qui se passe depuis sa diffusion
massive à l'échelle mondiale, force est de reconnaître que
cette prédiction pessimiste est pour le moment très loin de
refléter la réalité. Au contraire, les médias
classiques ont quasiment tous relevé, à des degrés divers
cependant, le défi du numérique et utilisent à
présent Internet non seulement comme source d'informations mais aussi
comme un important moyen de communication. Désormais, les médias
se servent des nombreuses opportunités d'Internet comme une source
inestimable pour trouver des informations et à la fois exploitent ses
potentiels de diffusion pour atteindre un public beaucoup plus large. Pour les
médias, Internet représente aussi un support incontournable pour
communiquer en particulier avec les usagers.
221
L'apparition et le développement d'Internet ont
généré de nouvelles habitudes de consommation chez les
usagers, notamment en ce qui concerne l'information. La plupart des organes
d'information ou de communication se servent désormais d'Internet pour
exploiter ses immenses potentialités afin d'atteindre le maximum
d'usagers. La presse écrite et la radio constituent, à bien des
égards, les médias ayant le plus bénéficié
des extraordinaires possibilités offertes par Internet. Actuellement,
toute la presse écrite internationale ainsi que toutes les radios du
monde sont quasiment présentes dans le cyberespace. Bon nombre de radios
diffusent en effet leurs émissions en ligne ; de même, de nombreux
journaux publient des informations économiques, politiques, sociales,
culturelles, sportives, etc. en ligne. On assiste d'ailleurs à un tel
foisonnement des médias sur Internet que cela peut paraître
compliqué de prétendre estimer leur nombre. Quoi qu'il en soit,
les médias ont envahi en masse Internet, les plus anciens comme les plus
récents. Tous les journaux d'information français sont
aujourd'hui accessibles sur Internet, du quotidien de référence
Le Monde aux journaux d'information gratuits comme 20 Minutes
et Métro distribués quotidiennement dans les
transports en commun français (métro et tramway en particulier),
sans oublier des journaux comme Libération, L'humanité ou Le
Figaro. La présence des médias sénégalais sur
Internet est beaucoup moins importante.
Néanmoins, face à cette évolution
technologique d'une ampleur qui dépasse toutes les hypothèses
prévues, les médias sénégalais tentent de s'adapter
en faisant preuve d'ingéniosité et de créativité.
Ainsi, des informations traitant de l'actualité
sénégalaise sont véhiculées quotidiennement sur
Internet à travers notamment les sites réalisés et mis en
ligne par certains médias sénégalais. Et la cible
principale de ces sites demeure les migrants qui constituent probablement
l'essentiel de leurs visiteurs. Autrement dit, les médias
sénégalais en ligne bénéficient d'une audience
extrêmement importante auprès des membres de la diaspora
sénégalaise. De leur côté, les migrants
sénégalais manifestent un engouement réel pour les
médias en ligne. Il est possible à présent de consulter
presque toute la presse sénégalaise sur Internet. Les principaux
acteurs du paysage médiatique sénégalais mettent en place
des stratégies multiples pour conquérir et toucher un public
potentiel disséminé à travers la France et les autres pays
de forte implantation
222
de ressortissants sénégalais tels que les
Etats-Unis et le Canada, la Belgique, la Suisse, l'Italie,
l'Espagne...126.
Jusqu'au début des années 2000, il y avait un
réel déséquilibre dans l'accès à
l'information au sein de la diaspora sénégalaise. Les
étudiants par exemple, ne disposant pas de moyens financiers leur
permettant généralement de se procurer la radio numérique
par satellite Worldspace, à la différence de leurs compatriotes
commerçants et autres travailleurs, parvenaient difficilement à
se procurer des informations relatives à l'actualité de leur pays
d'origine. Internet a corrigé ces inégalités en permettant
à toute personne connectée de pouvoir soit lire la presse, soit
écouter la radio ou soit encore regarder la télévision. Du
fait donc de la pluralité des sources d'information (presse
écrite, radio, télévision), l'accès à
l'information sur Internet est possible aussi bien pour des personnes bien
formées que pour des personnes illettrées. En leur offrant
d'autres canaux de diffusion, Internet permet aux médias qui avaient une
diffusion restreinte, limitée à l'échelle locale
d'étendre leur diffusion à l'échelle mondiale et de
multiplier leurs bassins d'audience.
A côté des médias audiovisuels
traditionnels diffusant sur Internet, il existe à l'heure actuelle des
médias de communication nouveaux appelés webradios et webTVs qui
émettent exclusivement par le vecteur Internet. Il faut toutefois
souligner ce paradoxe de l'accès à l'information
véhiculée par les médias sénégalais qui
touche, dans l'ensemble, davantage les membres de la diaspora alors qu'une
bonne partie des Sénégalais restés au pays reste encore
aujourd'hui en dehors des circuits d'accès à l'information
donnée par la presse écrite en particulier. Internet au
Sénégal demeure pour le moment essentiellement dakarois.
Grâce à Internet, l'information
sénégalaise, auparavant « intra-territoriale », est
devenue de nos jours « extra-territoriale ». Avec cette
déterritorialisation de l'information sénégalaise, on
assiste à une remise en cause fondamentale de la place de l'espace
sénégalais dans la géographie de l'information
sénégalaise. Nous verrons, dans ce chapitre, qu'Internet n'est
plus perçu comme une menace par les médias traditionnels,
126 Pour s'assurer une plus grande visibilité et
trouver ainsi de nouveaux publics, certains médias
sénégalais ont désormais des correspondants dans des pays
comme la France, l'Italie et les Etats-Unis. Ces correspondants ont
principalement pour mission de faire circuler les informations entre le
Sénégal et ces différents pays. Ils permettent aux
migrants d'être informés de tout ce qui fait l'actualité
dans leur pays d'origine, mais aussi ils permettent à ceux qui sont au
Sénégal de mieux saisir les réalités des conditions
de vie de leurs compatriotes dans les pays d'installation.
223
mais plutôt comme un support qui peut leur permettre de
s'affranchir des obstacles de la distance et du temps et aussi de toucher cette
forte communauté sénégalaise implantée en
particulier dans les pays occidentaux. La précision est ici de taille,
dans la mesure où ceci soulève la question du retard
numérique de l'Afrique quand on sait que les pays africains sont,
semble-t-il, ceux qui accueillent le plus de ressortissants
sénégalais.
Au Sénégal, le paysage médiatique a
connu, ces dernières années, une flambée d'apparition
aussi bien dans la presse écrite qu'à la télévision
et la radio. Même si officiellement, les autorités
étatiques n'ont pas encore décrété la
libéralisation de la télévision, des chaînes
privées telles que 2STV, Walf TV, RDV et CanalInfo ont commencé
à diffuser leurs programmes. Pour le moment, 2STV et RDV ont
essentiellement une vocation culturelle. La chaîne CanalInfo
privilégie principalement l'information. Grâce à un accord
conclu avec la société Eutelsat, la chaîne de
télévision nationale RTS transmet désormais ses programmes
via le satellite dans le monde entier sur Intelsat 801 et sur Eutelsat W3A en
DTH. D'autres chaînes de télévision sont aussi disponibles
au Sénégal : Canal Horizons, filiale de la chaîne
française Canal+, TV5, CFI, Africâble... Pour son expansion
géographique notamment auprès de la diaspora
sénégalaise, la chaîne privée 2STV a investi aussi
le satellite pour diffuser ses programmes télévisuels dans le
monde entier.
Plusieurs radios diffusent leurs programmes sur la bande FM,
massivement en wolof et très peu dans quelques langues nationales
(sérère, poular, mandingue, soninké, diola). Ces radios
ont généralement pour mission d'informer, de sensibiliser,
d'éduquer et de divertir les populations. Les principales sont la radio
nationale RSI, les radios privées Walf FM, Sud FM, RFM, RMD,
Océan FM et quelques radios associatives et communautaires comme Afia et
Gaynakoo. Pour les populations notamment analphabètes, les radios sont
des sources d'informations inestimables. Il y a un réel engouement des
populations pour ce type de médias. Depuis le début des
années 2000, on note une prise d'intérêt importante des
radios FM existantes pour la diffusion sur Internet. La richesse du paysage
médiatique sénégalais se traduit également par la
parution de plusieurs quotidiens et de nombreux hebdomadaires. D'après
une étude réalisée récemment sur la
connectivité de 220 radios dans sept pays ouest-africains (Bénin,
Burkina Faso, Ghana, Mali, Niger, Sénégal et Sierra Léone)
aux TIC (Internet, satellite, ordinateur, outils de stockage numérique,
etc.) par l'institut Panos Afrique de
224
l'Ouest (IPAO), le Sénégal compte 89,7% de
radios connectées à Internet. Ce qui le place à la
deuxième position derrière le Ghana où 93,5% des radios
sont connectées à Internet. Les résultats
révèlent que 61,5% des radios sont connectées au Burkina
Faso et 55% au Bénin. Alors que seulement 34% des radios sont
connectées au Mali et le Niger en compte encore beaucoup moins avec 20%
des radios connectées.
Contrairement à de nombreux pays africains, le
Sénégal a connu un développement relativement important de
la presse écrite. Une presse sénégalaise pluraliste existe
à l'heure actuelle et joue un rôle important plus
particulièrement comme vecteur d'information et de fait dans la
sensibilisation des populations. Le paysage de la presse écrite
sénégalaise se distingue par des publications quotidiennes assez
diversifiées et par quelques publications périodiques. Chaque
jour, des journaux à large diffusion comme Le Soleil, Sud Quotidien,
Wal Fadjri, Le Quotidien, L'Observateur, Le Populaire, L'As, L'Office et
24H Chrono traitent l'actualité locale, nationale et
internationale. Ces publications s'adressent normalement à l'ensemble de
la population sénégalaise, mais malheureusement leur distribution
sur le territoire national pose de réels problèmes. A l'exception
de Dakar où on peut trouver tous les jours de jeunes revendeurs en train
de se faufiler entre les véhicules bloqués dans les
embouteillages pour tenter d'écouler des piles de journaux
constitués de 14 à 15 titres différents, la distribution
des quotidiens sur l'ensemble du territoire national connaît de
sérieuses difficultés. Un peu moins prolifiques, les
périodiques se multiplient, contribuant également à
enrichir le paysage de la presse écrite sénégalaise. On
peut citer les hebdomadaires d'informations générales comme
Nouvel Horizon, Le Témoin et le nouveau magazine paru tout
récemment, La Gazette.
Pour les acteurs de la presse, Internet est un moyen pour
toucher les lecteurs de la diaspora et permet ainsi de trouver de nouveaux
lecteurs. La plupart des quotidiens ont désormais pignon sur «
cyberrue ». D'une manière générale, les contenus des
versions des journaux sénégalais mis en ligne sont pour le moment
complètement identiques aux contenus des versions en papier. En
permettant aux internautes d'accéder et de consulter leurs versions en
ligne, les journaux se procurent ainsi un moyen de s'offrir une plus grande
visibilité ainsi qu'une plus grande notoriété.
De même Internet a également favorisé
l'émergence de quotidiens publiant exclusivement des versions en ligne
sur le réseau. C'est notamment les cas de Rewmi,
225
Nettali, Leral, Ferloo et Guissguiss qui se positionnent sur
Internet pour proposer chaque jour des articles évoquant un certain
nombre d'évènements au Sénégal, apparaissant en
conséquence comme de véritables concurrents pour les quotidiens
qui publient aussi des versions imprimées. Le pluralisme de la presse se
développe plus facilement et beaucoup plus rapidement sur Internet. Non
seulement, Internet contribue de manière non négligeable à
la liberté de la presse, mais il représente également pour
les migrants le vecteur indéniable pour satisfaire leurs droits ou
répondre à leurs besoins d'être informés de ce qui
se passe dans leur pays d'origine.
En outre, Internet garantit l'interactivité et de ce
fait joue un rôle incommensurable dans le dynamisme et la
diversité du débat démocratique. Les articles de la presse
donnent lieu à des échanges et favorisent une participation
citoyenne plus active. Tous ces quotidiens en ligne visent en priorité
les Sénégalais de l'extérieur qui peuvent à
présent trouver une mine d'informations sur leur pays d'origine. La
diaspora constitue, dans de telles conditions, l'essentiel du lectorat de la
presse en ligne sénégalaise. En 2000, trois quotidiens
sénégalais seulement étaient présents sur Internet.
Aujourd'hui, on peut relever la présence de huit quotidiens
sénégalais sur Internet. On peut également ajouter parmi
les journaux sénégalais présents sur Internet l'agence de
presse sénégalaise (APS) et l'hebdomadaire la Gazette.
Il est vrai que pour les migrants, en quête permanente
d'identité individuelle et collective, les ressources culturelles
diffusées par les médias en ligne contribuent puissamment
à nourrir leurs repères et leur permettent de s'identifier comme
faisant partie d'une collectivité liée à un lieu
géographique bien déterminé.
226
Image 3 : Kiosque à journaux en
ligne de Seneweb et kiosque à journaux à Dakar
Photo : Moda Gueye
6.5.1 Les médias proches du gouvernement : Le Soleil
et la RTS
Plus ancien parmi les quotidiens sénégalais
publiés à l'heure actuelle, le journal « Le Soleil » a
été fondé le 14 février 1970 et doit son
appellation actuelle à l'ancien président Léopold
Sédar Senghor. Le siège du Soleil se situe dans le quartier
populaire de Hann à Dakar et celui de la RTS sur le boulevard
Général de Gaule à Dakar. D'une façon
générale, leur ligne éditoriale est
présentée comme pro-gouvernementale. Le Soleil et la RTS sont en
effet perçus par bon nombre de Sénégalais comme des
médias trop proches des régimes en place. Il arrive d'ailleurs
très fréquemment que les partis d'opposition montent au
créneau pour dénoncer leurs couvertures trop partiales en faveur
principalement des activités du parti au pouvoir et de ses
alliés. Cette forte propension à couvrir, le plus souvent avec
beaucoup de zèle, les activités politiques uniquement de ces
derniers constitue vraisemblablement l'une des raisons du peu
d'intérêt accordé par une bonne partie des lecteurs et des
téléspectateurs à ces médias. Néanmoins, ils
restent quasiment accessibles dans plusieurs parties du pays. Le Soleil se
revendique comme le quotidien sénégalais le plus publié
avec un tirage moyen de 25.000 exemplaires par jour.
227
En faisant son apparition sur le web le 3 avril 1998, il
devient le deuxième quotidien sénégalais présent
sur Internet, après le journal privé Sud Quotidien. Une
nouvelle édition électronique du journal existe depuis août
2000 et reprend la totalité des articles de la version
papier. Lesoleil.sn offre
également la possibilité d'accéder gratuitement à
la télévision publique RTS et aussi d'écouter Radio France
Internationale (RFI), les stations de radios privées RFM et Walf FM
ainsi que la webradio Radio Tam-Tam Online. Pour devenir plus attractif et plus
dynamique, le site propose aux lecteurs des espaces de discussion (forum et
chat), des offres d'emploi et des petites annonces. Ce site de qualité,
réalisé par la cellule TIC du groupe « Le Soleil », a
d'ailleurs été sélectionné par Courrier
International pour figurer sur la liste des dix meilleurs sites de la presse
écrite. Ce qui constitue fondamentalement une prouesse, tout à
l'honneur du Sénégal.
Sites web 4. Les sites web des médias proches du
gouvernement :
www.lesoleil.sn
et
www.rts.sn
L'analyse des données fournies par Alexa Internet
montre que les lecteurs de la version du journal Le Soleil en ligne
sont essentiellement basés à l'étranger. On constate en
effet, d'après les données recueillies le 09/04/2009, que
seulement 14,6% des utilisateurs du site se trouvent au Sénégal.
Les autres lecteurs (85,4%) basés à l'étranger sont
constitués principalement de la communauté
sénégalaise implantée en Amérique du Nord, avec
46,9% des visiteurs du site localisés aux Etats-Unis et 4,9% au Canada.
Les
228
lecteurs du journal en ligne au sein de la communauté
sénégalaise en France représentent 4,6% du lectorat. Les
lecteurs basés en Angola constituent 3,9% des utilisateurs du site et le
reste (25,1%) est réparti dans d'autres pays. A la date du 03/05/2010,
ils ne sont que 23,4% à se connecter sur le site à partir du
Sénégal. La grande majorité des lecteurs se trouve
à l'étranger, elle est répartie entre les Etats-Unis
(46,5%), la France (6,9%), le Canada (3,1%), l'Inde (2,4%) et le reste (17,7%)
est éparpillé dans divers pays tels que la Mauritanie, le
Royaune-Uni, l'Allemagne, le Maroc, le Liban...
Graphique 13. Pays de résidence des visteurs du
site
Lesoleil.sn
La multidirectionnalité des flux et la forte
représentation des migrants sont encore beaucoup plus marquées
quand on analyse les chiffres donnés par Alexa Internet concernant les
téléspectateurs et les auditeurs en ligne de la RTS le 09/04/09.
Seulement 27,3% des utilisateurs sont basés au Sénégal.
Une très large partie des connexions (72,7%) s'effectue à
l'extérieur du Sénégal, un peu partout à travers le
monde. Les utilisateurs, implantés en France, représentent 16,4%
des internautes. Ils sont 4,3% basés au Canada et 1,9% au Maroc. Les
utilisateurs de
RTS.sn, éparpillés dans les
autres pays
229
à travers le monde constituent 50,1% des internautes
qui fréquentent le site127. D'autre part, les chiffres
obtenus le 03/05/2010 montrent que 49,7% des internautes connectés sur
Rts.sn sont localisés au Sénégal, les autres utilisateurs
(50,3%) viennent de la France (26,9%) ou d'autres pays (23,4%).
Graphique 14. Pays d'établissement des visiteurs
de Rts.sn le 09/04/2009
6.5.2 Les médias des groupes de presse
indépendants
La libéralisation partielle des médias,
entamée en 1992, a permis la mise en place progressive de quelques
groupes de presse privée dans le paysage médiatique
sénégalais. D'un seul journal appartenant à l'État
pendant plus de trente ans (de 1960 à 1992), on est passé, comme
le révèle le journaliste Abdou Latif Coulibaly, à une
« dizaine de titres hebdomadaires au sein desquels se distinguaient quatre
organes : Sud Hebdo, Wal Fadjri/L.Aurore, Le Témoin et Le
Cafard libéré »128. Depuis la fin du
monopole étatique consacrée par la loi du 3 septembre 1992, on
assiste à une mutation notable des secteurs de la presse et de
l'audiovisuel.
127 Source :
Alexa.com. Consulté le
09/04/2009.
128 Coulibaly, A. L. Les nouvelles technologies de
l'information et de la communication et les personnels des médias. In
Les nouvelles technologies de l'information et de la communication et le
développement social au Sénégal, unrisd, mai 2002.
230
6.5.2.1 Les médias du groupe Sud
Communication
Créé en 1986, le groupe Sud communication est le
premier groupe de presse privée au Sénégal. Dès sa
création, Sud Communication s'est attelé à s'attacher les
services d'une équipe de journalistes professionnels compétents,
rigoureux et dévoués qui continuent de nos jours à donner
ses lettres de noblesse au métier de journaliste au
Sénégal. Ce qui fera de lui un groupe de référence,
un des leaders dans le domaine des médias privés au
Sénégal. Le groupe Sud Communication, dont le siège est
situé dans le quartier résidentiel Sacré-coeur
Pyrotechnique à Dakar, est surtout connu à travers les
publications d'abord de l'hebdomadaire Sud Hebdo en 1987, puis remplacé
en 1993 par le journal Sud Quotidien et aussi à travers la radio Sud FM
Sen radio dont les programmes ont démarré en juillet 1994 sur la
fréquence 98.5 Fm à Dakar.
Depuis son implantation, le groupe Sud communication tente de
s'étendre et de multiplier ses activités dans le domaine de la
communication. Ainsi, la radio, plus connue par l'appellation Sud Fm, est
implantée de nos jours dans les principales villes de l'intérieur
du pays. En outre, la création de l'Institut Supérieur des
Sciences de l'Information et de la Communication (ISSIC) en 1996 ainsi que le
démarrage en 1997 des activités de sa structure de productions et
de réalisations audiovisuelles, Sud Prod, ont contribué à
donner un rayonnement international au groupe. Grâce à ses
nombreuses réalisations, le président du groupe Sud
Communication, Babacar Touré, est considéré par certains
observateurs comme un magnat de la presse africaine. Cependant, certainement
pour des raisons liées à sa ligne éditoriale ou pour ses
prises de position parfois afin d'« informer juste et vrai »
l'opinion nationale et internationale, le groupe a été
brisé dans son élan et asphyxié financièrement par
le régime libéral du président Abdoulaye Wade. Par
exemple, pour avoir publié et diffusé, en octobre 2005, une
interview d'un responsable d'une faction du mouvement indépendantiste
casamançais (MFDC), Salif Sadio, des responsables de Sud, quelques
journalistes et autres travailleurs présents dans les locaux du groupe
au moment des faits ont été arrêtés,
embarqués manu-militari et gardés à vue pratiquement toute
une journée dans les locaux du commissariat central de Dakar. Quoi qu'il
en soit, il est utile de préciser que le groupe Sud communication,
à travers notamment la radio Sud FM, a joué un rôle de
premier plan dans le long processus de maturation de l'éveil citoyen
ayant permis l'avènement de l'alternance ou la transition
démocratique au Sénégal le 22 mars 2000. Le rôle
pionnier de Sud FM et le professionnalisme dont il fait montre depuis sa
création ont contribué au
231
fait que les Sénégalais puissent avoir
aujourd'hui à leur disposition un paysage médiatique de
qualité. Même s'il convient toutefois de relever quelques
incohérences et errements au niveau de certains acteurs de la
profession.
Il faut par ailleurs signaler que le groupe Sud Communication
a été l'un des pionniers dans cette aventure des médias
sénégalais sur Internet. Il est en effet l'un des premiers
à oser s'afficher, marquer sa présence sur le web. Dès
février 1997, la version du journal imprimé était
déjà mise en ligne, faisant de Sud Quotidien le premier
journal sénégalais présent sur Internet. Une
deuxième version sera mise en ligne plus tard avec l'archivage
électronique sur le site des trente derniers numéros du journal
pendant une période d'un mois. Depuis 2007, une version interactive et
aussi plus facile à consulter a été lancée sous
l'initiative de deux jeunes Sénégalais établis à
l'étranger, Amadou Maham Gaye résidant en Suisse et Moussa Diaw
vivant au Canada, afin, comme ils le disent eux-mêmes, de « doter le
groupe Sud d'un portail Internet à la hauteur de son prestige
»129. Aujourd'hui, la radio Sud Fm est également
disponible sur Internet. Ainsi, le site Sudonline offre gratuitement aux
internautes au sein de la communauté sénégalaise
installée principalement dans les pays du Nord la possibilité de
lire le journal Sud Quotidien et d'écouter la radio Sud FM
chaque jour.
Toutefois, il faut préciser qu'en raison de la forte
concurrence dans ce domaine, il s'avère généralement
difficile de connaître le nombre exact d'internautes qui se rendent
habituellement sur ces sites. Quoiqu'il en soit, la rigueur qui
caractérise le groupe Sud Communication incite encore les internautes
à lire le journal et à écouter la radio afin d'avoir des
informations fiables sur le pays. D'autres services sont également
proposés sur le site comme la possibilité de consulter la
météo, de faire des recherches ou encore de visualiser les photos
qui se trouvent dans la galerie.
129 D. Babou, Le nouveau site Internet de Sud Quotidien : une
nouvelle page dans la vie du journal. In Sud Quotidien du 10/02/2007.
Disponible sur le site d'osiris :
http://www.osiris.sn/artcile2724.html.
C'est au cours d'un séjour au Sénégal que
ces deux amis, se découvrant des passions communes pour les
médias, décident de créer une société
spécialisée dans les technologies de l'information,
société qui sera baptisée Infocom Experts. C'est notamment
pour témoigner leur reconnaissance et leur fidélité au
groupe Sud Communication que Moussa Diaw, ancien reporter à la station
radio Sud FM de Saint Louis, et Maham Gaye, fidèle auditeur de la radio
durant ses années estudiantines à l'université de Dakar,
décident ensemble de la mise en place du site actuel de Sud
Quotidien.
232
Sites web 5. Les sites web du groupe Sud communication
:
sudonline.sn
et
sudfm.sn
Si l'on se réfère aux chiffres fournis par Alexa
Internet le 09/04/2009, on s'aperçoit que les lecteurs en ligne du
journal quotidien SudOnline basés au Sénégal ne
représentent que 28,4% des internautes contre 71,6% de lecteurs en ligne
en provenance d'autres pays. On constate avec surprise que l'Angola demeure un
bassin essentiel de l'audience du site, avec 34,7% des internautes. Cette
observation laisse penser que l'Angola est un lieu important dans le champ
migratoire sénégalais. Les visites effectuées à
partir de la France constituent 8,8% des connexions. La Mauritanie assure 5,3%
des connexions d'un côté et les Etats-Unis 1,8% d'un autre
côté. Par contre, les données collectées le
03/05/2010 montrent que l'essentiel des connections est effectué
à partir du Sénégal avec 53,5% de visiteurs. Parmi les
autres visiteurs (46,5%), ils sont 20,1% à se connecter à partir
de la France tandis que 8,2% et 3,8% des visiteurs sont localisés
respectivement au Canada et aux Etats-Unis, vient ensuite la Suisse avec 3,2%.
Le reste des visiteurs (11,2%) est éparpillé dans divers pays.
233
Graphique 15. Répartition des visiteurs de
SudOnline par pays
Concernant la répartition des internautes qui
fréquentent le site
Sudfm.net pour écouter donc la
radio, les statistiques fournies par Alexa Internet le 09/04/2009
révèlent que 38,4% d'entre eux se trouvent au
Sénégal. Le reste des connexions (61,6%) provenait surtout des
pays africains avec respectivement 20,2% et 15,5% des connexions
effectuées à partir du Cameroun et de l'Angola, des pays
européens dont l'Autriche où sont réalisées 10,6%
des connexions au site et la France où sont effectuées 7,4% des
connexions, les autres internautes visitant le site (7,9%) se partagent dans
les autres pays. Les données fournies le 03/05/2010 montrent que 71,3%
des personnes connectées au site sont localisées au
Sénégal. Ce qui témoigne de l'intérêt des
Sénégalais restés au pays pour l'accès à
l'information en ligne. Les autres visiteurs (28,7%) sont répartis entre
la Tunisie (12,6%), le Canada (6,7%), la France (6,0%) ou dans d'autres pays
(3,4%).
234
Graphique 16. Répartition des visiteurs de
Sudfm.net par
pays
6.5.2.2 Les médias du groupe Wal Fadjri
Le groupe Wal Fadjri est le deuxième groupe de presse
privée créé au Sénégal. Il a
démarré ses activités en janvier 1984, avec la parution
bimensuelle du journal Walfadjri L'Aurore qui devient hebdomadaire en 1987,
puis paraît trois fois par semaine en 1993 avant de devenir à
présent un journal quotidien depuis 1994. Ce groupe de presse,
implanté sur la Route du Front de Terre à Dakar, est
dirigé par Sidy Lamine Niass connu pour son appartenance à la
famille Niassène, l'une des plus grandes familles confrériques
sénégalaises, mais aussi pour les émissions qu'il
présente lui-même sur ses propres chaînes de radio et de
télévision. Il faut aussi souligner que le patron du groupe Wal
Fadjri est souvent au devant de l'actualité à cause de ses prises
de position pour ou contre le pouvoir ou de ses déclarations ciblant
certains leaders de l'opposition. Il n'est pas faux de souligner qu'avant sa
brouille avec la radio numérique par satellite Worldspace, la radio Walf
FM était la radio la plus écoutée par les migrants
sénégalais établis en Italie, comme nous avons pu le
constater au cours de nos enquêtes dans ce pays en 2003. Après sa
condamnation à payer 200 millions de F CFA (soit environ 304.898 Euros)
à Worldspace, liée à un litige autour d'un cryptage, Sidy
Lamine Niass déclara urbi et orbi que le groupe Wal Fadjri était
victime d'un complot international ourdi par des forces de pression occultes et
tapies dans l'ombre afin de le détourner de sa
235
mission. Le groupe lance sa chaîne de radio Walf FM en
1994 sur la fréquence 99.0 Fm à Dakar et édite plus tard
deux quotidiens supplémentaires, Walf Grand Place et Walf Sport.
En décembre 2006, le groupe Wal Fadjri franchit un
nouveau palier avec la mise en place d'une chaîne de
télévision, Walf TV. En effet, après bien des
péripéties qui l'ont obligé à émettre par
satellite depuis la France, Walf TV a finalement obtenu des autorités
sénégalaises compétentes la fréquence qui lui
permet de diffuser sa chaîne de télévision sur le
territoire sénégalais. Depuis son implantation, Walf TV est
devenu incontournable dans le paysage audiovisuel sénégalais,
comme en témoigne d'ailleurs les réactions en direct de nombreux
internautes le 4 avril 2009, à la suite de l'interdiction qui lui a
été notifiée de retransmettre en direct les
festivités marquant la célébration de l'accession du
Sénégal à la souveraineté nationale. A cette
occasion, les migrants internautes ont pu voir en direct les images
diffusées sur Internet, à travers notamment les sites portails
Sunutv ou Galsentv. Certains ont pu ainsi réagir immédiatement,
depuis la France, l'Italie, le Canada, les Etats-Unis pour apporter leur
soutien et témoigner leur compassion au groupe Wal Fadjri. La
chaîne de télévision n'a pas encore son propre site web.
Néanmoins, il peut être effectivement regardé sur les
réseaux électroniques à partir de quelques sites portails
sénégalais comme Galsentv, Sunutv, Leral et Senego. Pour le
moment, seuls le quotidien et la radio sont accessibles sur le site du groupe.
D'une façon générale, l'édition électronique
reprend la quasi-totalité des articles de la version imprimée du
journal Walfadjri. Le site propose aussi aux lecteurs internautes la
possibilité de consulter en archives non seulement quelques entretiens
réalisés avec des hommes politiques, des intellectuels et des
artistes, mais aussi des dossiers sur différents types de sujets.
236
Site web 6. Le site web du journal Walfadjri
L'Aurore : Walf.sn
D'après les statistiques disponibles sur le site
Alexa.com, consulté le 03/05/2010,
la proportion d'internautes visitant le site
walf.sn depuis le Sénégal est
de 50,4%. Ce qui constitue quand même la majorité des lecteurs du
journal en ligne. Les 49,5% de cyberlecteurs restant sont installés hors
du pays. On constate, parmi eux, que 15,2% des cyberlecteurs de
walf.sn se trouvent en France, suivent les
lecteurs en provenance du Canada (5,8%). Les proportions des visiteurs
localisés aux Etats-Unis et au Royaume Uni sont quasiment identiques
avec respectivement 4,1% et 4,0%. Puis viennent les visiteurs basés en
Allemagne (3,6%), ensuite ceux qui sont en Belgique (3,2%) et au Maroc (3,1%).
Les internautes basés au Liban représentent 2,0% des
utilisateurs. Le reste des utilisateurs (8,6%) est dispersé dans les
autres pays.
237
Graphique 17. Répartition des visiteurs de Walf.sn
par pays
6.5.2.3 Les médias du groupe Futur
Médias
Ce groupe de presse, dont le siège se trouve dans le
quartier populaire de la Médina à Dakar, a été
créé en septembre 2003 par le célèbre musicien et
artiste sénégalais, Youssou Ndour. Le groupe Futur Médias
édite le quotidien d'informations générales
L'Observateur depuis 2003, il est aussi l'éditeur du magazine
sportif Tribune. C'est le 1er septembre 2003, que la Radio Futur
Média (RFM) est venue enrichir l'espace radiophonique
sénégalais sur la fréquence 94.0 Fm à Dakar. Cette
radio d'informations générales a été mise en orbite
grâce au professionnalisme et aux compétences d'anciens
journalistes de la radio Wal Fadjri comme Mamadou Ibra Kane, Alassane Samba
Diop et Elhadj Assane Gueye130, Aliou Ndiaye, Babacar Fall, Antoine
Diouf... Aussi, elle s'est frayée en très peu de temps un chemin
dans le paysage médiatique sénégalais et représente
sans aucun doute l'un des plus grands succès du groupe à l'heure
actuelle. De même, les revues de presse quotidiennes faites en wolof par
Ahmed Aïdara ou Mamadou Mohamed Ndiaye ainsi que les émissions de
l'humoriste Kouthia participent fort justement à la
notoriété et
130 Ces trois journalistes animent d'ailleurs des
émissions particulièrement suivies par les internautes. Il s'agit
de l'émission « Yoon wi » présentée en wolof le
jeudi par Elhadj Assane Guèye et les émissions « Remue
Ménage » et «Grand Jury » présentées en
français, le dimanche, respectivement par Alassane Samba Diop et Mamadou
Ibra Kane. De manière générale, le concept de ces
émissions est le même. A ces occasions, des personnalités
sénégalaises, aussi bien de l'intérieur que de
l'extérieur, sont invitées pour exprimer leurs opinions sur la
situation politique, sociale et économique du Sénégal.
Précisons que des
238
à l'augmentation du taux d'écoute de la radio.
Le journal L'Observateur et la radio RFM comptent
désormais parmi les principaux médias du pays. D'une
manière générale, leur ligne éditoriale garde une
certaine indépendance d'esprit et les journalistes n'hésitent pas
à être critiques envers le gouvernement ou à prendre
position quand c'est nécessaire. La radio, accessible un peu partout sur
l'ensemble du territoire sénégalais, s'est rapidement
imposée au public. A la suite de l'acquisition en 2008 du groupe
multimédia African Global News, le groupe devient le
propriétaire de l'hebdomadaire panafricain La Sentinelle.
Depuis son avènement, le groupe a connu un essor fulgurant dans le
paysage médiatique sénégalais. Il a créé sa
chaîne de télévision TFM (Télévision
Futur Média) qui devait depuis lors démarrer ses programmes,
comme avaient tenu à l'annoncer les responsables au sein même des
locaux presque déjà fonctionnels. Mais le président
Abdoulaye Wade oppose un niet catégorique au démarrage des
programmes de TFM. Ce qui a incité Youssou Ndour à se braquer
contre le régime de l'alternance et a clamé, urbi et orbi, que
TFM émettra contre vents et marées. La bataille de TFM aura bien
lieu entre le chanteur et le président. Chaque camp cherche alors
à triompher de l'autre. Ce qui amène le camp du chanteur à
se servir d'Internet pour fourbir ses armes, afin de sensibiliser l'opinion au
sein de la diaspora sénégalaise et l'opinion internationale sur
ce qu'il considère comme une injustice.
Le groupe est également présent sur Internet
avec la publication en ligne de la version du journal papier et la mise en
ligne de la radio RFM. Le site
Lobservateur.sn reprend presque
entièrement les articles publiés dans la version du journal
imprimé. Pour rendre plus attractif le site, des liens sont
proposés aux lecteurs du quotidien en ligne afin de leur donner la
possibilité d'acheter des billets d'avion en ligne. La radio RFM peut
être écoutée en ligne gratuitement non seulement sur le
site de la radio
futursmedias.net et du journal
lobservateur.sn, mais il est
également accessible en ligne à partir de la plupart des sites
portails sénégalais tels que Seneweb, Homeviewsenegal, Xibar,
Xalima, GalsenTv, Websenegal, Senegalplus, Xamle, etc.
membres du corps diplomatique accrédité au
Sénégal peuvent également figurer parmi les invités
du « Grand Jury ».
239
Sites web 7. Les sites web du groupe
Futurs Médias :
lobservateur.sn
et
futursmedias.net
En outre, l'analyse des chiffres fournis par Alexa Internet le
09/04/2009 révélait que les pays étrangers constituaient
les principaux bassins d'audience du site, avec 57,7% des visites contre 42,3%
de visites réalisées à partir du Sénégal.
Ainsi, on remarquait que l'essentiel des connexions effectuées sur le
site provenait de l'Angola avec 42,4%. En outre, 5,3% des lecteurs de
l'édition en ligne étaient localisés en France. En
même temps, 2,4% des connexions étaient effectuées depuis
le Canada et 2,3% depuis le Mali. Par contre, les données statistiques
disponibles sur le site
Alexa.com le 03/05/2010 montrent que le
Sénégal fournit, de loin, le plus grand nombre d'utilisateurs du
site avec 71,2% de personnes connectées. La France arrive en seconde
position avec 7,5% des visiteurs, suivi d'assez près par le Canada avec
6,8%. Puis vient le Maroc qui fournit 2,8% des visiteurs, ensuite le Royaume
Uni avec 2,0. Ils sont 9,7% d'utilisateurs éparpillés dans des
pays divers.
240
Graphique 18. Répartition des visiteurs de
Lobservateur.sn
par pays
6.5.2.4 Les médias du groupe Avenir
Communication
Un autre groupe de presse dont la présence se remarque
dans la cyberpresse sénégalaise est le groupe Avenir
Communication dirigé par Madiambal Diagne. Ce groupe, basé aussi
à Dakar et plus exactement dans le quartier lébou de Yoff, a mis
en ligne son journal Le Quotidien et son hebdomadaire Weekend
Magazine (depuis quelques temps, le site
www.weekend.sn est plongé
dans une profonde léthargie, aucune information n'est diffusée
sur le site). Le premier numéro du journal Le Quotidien a fait
son apparition le 24 février 2003, son tirage s'élevant alors
à 10.000 exemplaires par jour. Puis le groupe a mis en place
l'hebdomadaire Weekend Magazine le 15 mars 2003 et ensuite le
quotidien satirique Cocorico le 23 mai 2007. En septembre 2007, le
groupe commence à émettre les programmes de sa radio
Première FM sur la fréquence 92.3 Fm à Dakar.
Malheureusement, les graves difficultés financières survenues
entre temps ont obligé le groupe à prendre avec tristesse et
dépit la décision d'arrêter simultanément la
diffusion de la radio Première FM et la publication du journal
Cocorico le 18 mars 2008 et de mettre en place un plan de
licenciement. Mais auparavant, le groupe Avenir Communication avait entretenu,
pendant presque sept mois, des relations particulièrement
heurtées avec l'Agence de Régulation des
Télécommunications et des Postes, à propos notamment de
l'attribution de la fréquence radio. De même, le groupe a
subi aussi de fortes pressions du pouvoir libéral avec
l'arrestation et l'emprisonnement de son administrateur à la prison de
Reubeuss pendant quelques semaines ainsi que les convocations et auditions
à la Division des Investigations Criminelles dont lui ainsi que certains
de ses collaborateurs ont été l'objet à maintes reprises.
Les autorités ont vainement tenté de museler le groupe, en raison
notamment des critiques parfois acérées et des
révélations sur les nombreux scandales et les dérives du
régime de l'alternance depuis son avènement en mars 2000.
Site web 8. La version électronique du journal Le
Quotidien :
Lequotidien.sn
241
La consultation de la version électronique du journal
est relativement aisée. Il est relativement facilement d'accéder
aux articles de la presse du jour ainsi que ceux qui sont archivés.
D'une façon générale, La version électronique
reproduit presque entièrement la version imprimée du journal.
Bien plus que la relative facilitée et la gratuité de
l'accès aux informations publiées sur le site, il ne serait pas
complètement injustifié de reconnaître que c'est sans doute
dans la qualité et la quantité assez importante des informations
qui y sont publiées sur le site que résident la vitalité
du site. Cependant, ce qu'il faut retenir si l'on se fie aux données
fournies par Alexa Internet le 09/04/2009, les internautes qui consultent
l'édition en ligne du journal
Lequotidien.sn, sont essentiellement
basés au Sénégal. Avec 53,1% du lectorat, le
Sénégal vient en effet
242
largement en tête des connexions. Les autres
cyberlecteurs du site (46,9%) sont répartis comme suit : les visiteurs
basés en Angola représentent 23,3% des internautes, le lectorat
résidant en France représente 10,4% des utilisateurs. Enfin, la
part de connexion au site en provenance du Canada est de 0,9% et celle en
provenance du Maroc de 0,8%. L'analyse des données obtenues sur
Alexa.com le 04/05/2010 montre que la
part des visiteurs basés au Sénégal (47,7%) ne varie pas
énormément de celle des visiteurs localisés en dehors du
Sénégal (52,3%). Parmi ces derniers, 22% des utilisateurs sont
connectés depuis la France. L'écart se réduit entre les
autres pays, notamment le Canada avec 5,4% d'utilisateurs et la
Côte-d'Ivoire avec 4,8% d'utilisateurs. Viennent ensuite la Belgique
(2,6%), l'Algérie (2,2%), les Etats-Unis (1,8%), le Maroc (0,9%). Le
reste des visites (12,7%) est effectué à partir des autres
pays.
Graphique 19. Répartition par pays des
utilisateurs du site
Lequotidien.sn
On trouve aussi dans l'univers des médias
sénégalais présents sur le web, les médias des
groupes Excaf Télécom et PCS Studio 2000. D'autres quotidiens et
hebdomadaires proposent également des journaux en ligne. Il s'agit de
L'As, 24 heures chrono, L'Office et l'hebdomadaire, La Gazette,
mis en place l'année dernière par le journaliste et
écrivain Abdou Latif Coulibaly.
243
Créé en 1992, le groupe Excaf
Télécom est dirigé par Monsieur Ibrahima Diagne, plus
connu sous le nom de Ben Bass Diagne. Le groupe possède une chaîne
de télévision généraliste, la RDV et quatre
chaînes de radio, Dunyaa Fm, Soxna Fm, Love Fm et Alhamdoulilah Fm. Excaf
Télécom s'est surtout connaître auprès du public
sénégalais dans la commercialisation des antennes paraboliques
permettant de capter les chaînes de télévision
internationales francophones TV5 et CFI. Depuis avril 1998, le groupe a
reçu l'autorisation d'exploiter le bouquet MMDS (Microwave Multipoint
Distribution System), un procédé qui lui permet de diffuser une
quinzaine de chaînes de télévisions
étrangères sur toute l'étendue du territoire
sénégalais. Les quatre chaînes de radio du groupe sont
désormais accessibles en ligne sur son site web
Excaf.com. Quelques sites portails,
notamment
Galsentv.com, permettent
également de regarder en ligne les programmes de la
télévision RDV.
Le groupe Origine SA-Pyramide Culturelle du
Sénégal et Studio 2000 s'est d'abord spécialisé
pendant longtemps dans la production audiovisuelle. Il est dirigé par
Monsieur El hadj Ibrahima Ndiaye. Depuis le 21 juin 2003, le groupe diffuse les
programmes télévisuels de sa chaîne 2STV sur le canal UHF
23. Ces programmes, essentiellement basés sur la culture et le
divertissement, sont accessibles partout dans le monde via la parabole. Ils
sont également accessibles via certains sites portails
sénégalais comme
Galsentv.com,
Sunutv.com,
Senego.com,
Sunuteranga.com alors que
paradoxalement les programmes de la télévision 2STV ne sont pas
diffusés sur le site du groupe
2STV.net. D'après les
enquêtes menées, 48% des internautes interrogés disent
regarder essentiellement les programmes télévisuels de la
chaîne 2STV diffusés en ligne. Ce qui montre que la 2STV
bénéficie d'une audience assez intéressante au sein de la
diaspora sénégalaise.
D'autres quotidiens sont régulièrement
présents sur le web. Il s'agit principalement des quotidiens L'AS,
24 Heures Chrono et L'Office.
Le quotidien L'As traite de l'actualité
nationale et internationale. L'As a mis en place un site web ou se
mêlent des articles relatifs à l'actualité du jour et des
dépêches à chaud. Sur son site web,
Lasquotidien.com propose aussi un
moteur de recherche et réserve un
244
espace aux lecteurs souhaitant éventuellement publier
leurs articles ou leurs contributions.
Le journal 24 Heures Chrono est un quotidien
d'informations générales, d'enquête et d'investigation
publié par le groupe 24'Com basé dans le quartier
Sacré-coeur 3 à Dakar. 24 heures chrono essaye d'innover sur son
site avec des rubriques comme « Les News du Matin », « Audio
», « Sénégalais de l'étranger » et «
Vidéo-Reportage du jour ». Le directeur de publication du journal,
El Malick Seck a été l'administrateur de
Rewmi.com, un des premiers quotidiens
sénégalais à paraître exclusivement sur Internet.
Les révélations parfois fracassantes du journal ont valu à
son directeur de publication quelques démêlés judiciaires
avec certaines personnalités de l'Etat sénégalais ainsi
que plusieurs emprisonnements.
Le journal L'Office est un quotidien d'informations
générales qui paraît tous les jours. Il se veut le
porte-parole des sans-voix. Le choix de publier en ligne la version du journal
papier afin qu'elle puisse être lue même par les
Sénégalais de la diaspora a sans aucun doute contribué en
grande partie à donner un peu plus de visibilité au journal. Sur
le plan de l'originalité, le journal a mis en place une rubrique «
Les gens » qui est une sorte de biographie de certains hommes politiques,
d'artistes, de sportifs ou de personnalités de la société
civile. L'essentiel de l'actualité nationale et internationale figure
dans la version du journal en ligne.
Le seul hebdomadaire sénégalais présent
sur le web à l'heure actuelle demeure La Gazette du pays et du
monde. C'est un hebdomadaire qui privilégie l'investigation, les
enquêtes, les dossiers, les analyses sur le Sénégal en
particulier et le monde en général. Le premier numéro est
paru dans les kiosques le jeudi 19 mars 2009. Abdou Latif Coulibaly, figure
emblématique de la presse sénégalaise, en est le
directeur. Ses analyses pertinentes, ses prises de position courageuses ainsi
que son combat incessant en faveur de la bonne gouvernance et
l'approfondissement de la démocratie sénégalaise font de
lui une référence non seulement dans le paysage
médiatique, mais également pour tous les citoyens épris de
liberté et de justice. La rigueur intellectuelle et le professionnalisme
qui caractérisent Abdou Latif Coulibaly, ajouté à un fort
voire énorme capital de sympathie dont il jouit aussi bien au
Sénégal que dans la diaspora sénégalaise, laissent
augurer que ce nouveau magazine obtiendra certainement le succès
escompté, avec la collaboration de conseillers chevronnés comme
le politologue Abdoul Aziz Diop et les journalistes
245
Abdoulaye Ndiaga Sylla et Vieux Savané, deux anciens
journalistes du groupe Sud Communication.
Contrairement au magazine qui paraît tous les jeudis, le
site web
Lagazette.sn propose presque chaque
jour des articles sur l'actualité et aussi quelques brèves.
L'accès au site est facile et la consultation des articles gratuite. Une
large place est consacrée à l'interactivité afin de
permettre aux lecteurs de réagir, de donner leur impression sur
l'actualité. On peut dire d'emblée que La Gazette a fait
une entrée particulièrement remarquable dans la cyberpresse
sénégalaise avec des informations régulièrement
mises à jour. Il faut cependant noter que sur le site, il est
précisé à l'encontre de tous les responsables de sites
d'informations établis au Sénégal ou ailleurs dans le
monde que des poursuites judiciaires seront immédiatement
engagées s'ils s'évertuaient à reprendre les articles
publiés sur le site
Lagazette.sn. Néanmoins, ils
peuvent établir un lien s'ils le souhaitent. En réalité,
cette démarche vise à poser le problème des rapports plus
ou moins ambigus entre justement les médias classiques et les sites
d'informations, des rapports qui gagneraient certainement à être
clarifiés davantange. Ce problème soulève d'une part la
question des droits d'auteurs entre les journaux qui publient leurs articles et
les sites web comme Seneweb, Xibar, Leral, etc. qui les reprennent et
en tirent bénéfices. Il faut, à mon avis, voir
précisément dans quelle mesure les différents acteurs
peuvent exactement nouer des partenariats justes et équitables. Il faut
naturellement que la presse écrite puisse bénéficier en
contrepartie des rentabilités financières
générées par leurs articles publiées sur les autres
sites, et éviter en revanche qu'une partie ne soit simplement
lésée au profit d'une autre.
246
Site web 9. Le site web de La Gazette,
Lagazette.sn, le seul hebdomadaire
sénégalais diffusé en ligne
247
Tableau 5. Les principaux groupes de presse
sénégalais présents sur le web
248
Carte 4. Carte des radios diffusées au
Sénégal
Source : UNESCO
6.5.3 La presse sénégalaise diffusée
uniquement sur Internet
L'avènement d'Internet a entraîné
l'émergence d'une presse qui diffuse ses publications uniquement en
ligne. Autrement dit, Internet a permis l'apparition de nombreux journaux
d'informations numériques. Leur succès auprès du grand
public s'explique principalement par le fait d'une part, que les informations
sont diffusées à mesure qu'elles se produisent, et d'autre part
que les internautes ont la possibilité de commenter les articles, de
donner et faire circuler des informations. Les migrants internautes sont de ce
fait instantanément et continuellement connectés aux
évènements qui se déroulent dans leur pays d'origine en
particulier. Généralement, les informations publiées sur
ces sites sont collectées et sélectionnées à partir
des médias traditionnels. Toutefois, leur diffusion immédiate en
ligne permet aux internautes dans la diaspora sénégalaise
d'accéder à des informations multiples et
régulièrement mises à jour notamment sur
l'actualité de leur pays d'origine.
249
Ainsi donc, avec la relative facilité de diffuser des
informations diverses et variées par le vecteur Internet, l'information
est quasiment accessible à tout le monde n'importe où et
n'importe quand. Désormais, des professionnels du journalisme ou de
simples amateurs manifestent un intérêt et misent dans la
publication d'un journal diffusé essentiellement sur Internet. Ce qui
fait qu'à l'heure actuelle, un nouveau type de journalisme est en train
de se développer sur les réseaux électroniques,
contribuant de ce fait à accroître la compétition pour la
présence en ligne, mais aussi parfois à conforter certains
professionnels de l'information qui avaient très tôt
dénoncé les menaces que faisait peser Internet notamment sur leur
corporation. L'abondance et la sensibilité parfois des informations
véhiculées sur ces sites peuvent en effet poser parfois de
façon profonde le problème de la crédibilité et de
l'incertitude des sources d'informations en ligne. Toujours est-il qu'un
certain nombre de journaux s'est implanté sur le web pour y diffuser des
contenus dont la cible principale est naturellement constituée par les
internautes, en particulier ceux résidant à l'étranger.
Quand on parle de cette presse sénégalaise diffusée
exclusivement sur Internet, on songe immédiatement aux
précurseurs, Rewmi et Nettali. Cette presse s'est ensuite enrichie de
nouveaux arrivés comme Ferloo, Presseafrik, Sen24heures,
Lepeuple-sn.com,
Alkhabarnews.net,
Politicosn.com... Signalons que les
professionnels sénégalais de l'information en ligne ont mis en
place tout récemment l'Association des Professionnels de la Presse en
ligne (APPEL). Créée le 2 juillet 2009, l'APPEL a pour objectif
principal « la promotion et la défense des intérêts
matériels et moraux des journaux en ligne ».
Il est toutefois utile de préciser
l'étanchéité de la frontière entre les sites de
presse d'information en ligne et les sites portails. C'est pourquoi d'ailleurs,
on trouve fréquemment des sites portails désignés comme
sites de presse en ligne et vice versa. Ceux qui tendent à les confondre
oublient en fait que la différence réside surtout dans la
pluralité des services proposés dans les sites portails, outre
l'information tandis que les sites d'information ne proposent comme son nom
l'indique que des informations en général.
250
Créé à Thiès (70 km à l'est
de la capitale) par un jeune journaliste, El Malick Seck,
Rewmi.com est l'un des premiers
cyberjournaux sénégalais diffusant des informations
générales exclusivement en ligne. En novembre 2007, El Malick
Seck, responsable alors du site Rewmi, avait été
arrêté par la Division des Investigations Criminelles (DIC) pour
les propos et les commentaires sur les forums de son site jugés
désobligeant et injurieux à l'endroit du chef de l'Etat
sénégalais. En effet, un article paru sur le site et
révélant l'acquisition d'un véhicule limousine par le
président Abdoulaye Wade dans des circonstances économiques
particulièrement difficiles pour la population sénégalaise
avait vivement suscité le courroux et l'exaspération d'une bonne
partie des internautes. A la suite de cette affaire, le journaliste avait
semble-t-il pris la résolution de modérer davantage les quelques
6000 messages envoyés quotidiennement par les internautes.
Plébiscités par les cyberlecteurs, Rewmi leur offre très
tôt une pluralité d'informations ainsi que la possibilité
de débattre de l'actualité sénégalaise et d'avoir
des échanges. La richesse des contributions des lecteurs a largement
contribué à favoriser les fortes audiences enregistrées
quotidiennement par le site. Il faut aussi souligner que les chroniques
hebdomadaires du journaliste, Souleymane Jules Diop, ont certainement
contribué aussi à la popularité du site. Rewmi a connu un
tel succès qu'il a fini par attiser la convoitise de certains hommes
d'affaires sénégalais avant d'être, paraît-il,
cédé à Monsieur Mbagnick Diop, directeur de l'agence de
Marketing Promo consulting. Cependant, même si le site actuel est plus
accueillant avec en plus des services multimédias
supplémentaires, force est de reconnaître qu'il ne suscite
paradoxalement plus le même enthousiasme auprès des internautes.
Les contributions des lecteurs ont considérablement diminué
depuis que le site a changé de propriétaire. On peut penser que
de nombreux internautes ont fait l'apprentissage des discussions en ligne
à travers les forums de Rewmi. Le site a été en effet un
lieu d'échanges animés entre internautes dont certains ont fini
par nouer entre eux des relations d'amitié. L'expérience du
journal en ligne a suscité auprès des nouveaux responsables de
Rewmi l'idée de miser sur une version papier de la version en ligne.
Site web
10. Rewmi.com
251
Nettali.net est un site d'informations
généralistes sur le Sénégal. La plupart de ses
animateurs exercent en même temps leur profession de journalistes au sein
de certaines rédactions à Dakar. Son ambition est
précisément d'être le journal le plus lu par les lecteurs
de la presse sénégalaise diffusée sur Internet. Il se
consacre essentiellement à véhiculer de manière continue
et instantanée des informations. Le site propose des liens vers la
plupart des quotidiens sénégalais ainsi que des liens permettant
de consulter des articles relatifs à l'actualité internationale
publiés par des journaux de renommée internationale tels que
Le Monde, Courrier international et l'agence Reuters et aussi des
articles sur l'économie internationale publiés par Les
Echos. Nettali.net
privilégie l'interactivité avec de nombreuses rubriques
permettant aux cyberlecteurs de faire des commentaires et donner leurs points
de vue. Tous les articles sur le site peuvent être librement
commentés par les lecteurs. Le site a subi des changements au niveau de
l'ergonomie et du nom de domaine. La version actuelle du site a
été largement améliorée au niveau graphique par
rapport à la version précédente. Une nouvelle maquette a
été mise en place dans un souci de modernisation et aussi dans le
but de rendre les informations plus faciles d'accès et plus
agréables à lire. Le domaine .com a été
remplacé par le domaine .net. Le site est donc passé de
nettali.com à
nettali.net. La lecture du journal est
totalement gratuite. On peut dire que Nettali a profité du fait que
son
252
concurrent principal, Rewmi, marque le pas depuis le
changement de l'équipe dirigeante, pour impulser une nouvelle dynamique.
Le site est accessible facilement, les informations sont
régulièrement mises à jour et les interventions des
internautes donnent lieu parfois à des échanges
particulièrement animés. La relation avec l'audience semble ainsi
avoir beaucoup progressé comme nous avons pu le remarquer auprès
des personnes enquêtées.
Site web
11. Nettali.net
6.5.4 Les stations radios diffusées uniquement sur
Internet : les webradios ou netradios
Actuellement, de nombreuses stations de radio sont disponibles
en écoute sur Internet. Ces stations de webradio peuvent être
créées par des professionnels ou par de simples amateurs. Les
radios en ligne se sont multipliées à une vitesse vertigineuse
sur Internet. Aujourd'hui, il existe des milliers de radios en ligne qu'on peut
écouter gratuitement sur Internet, via des logiciels comme RealPlayer,
Windows Media Player, iTunes ou Winamp. Pour diffuser leurs émissions ou
programmes sur Internet, les webradios utilisent une technologie appelée
lecture en continu ou streaming en anglais. Il s'agit d'un principe
utilisé principalement pour l'envoi de continu, de fichier audio et/ou
vidéo en direct ou en léger différé. Au niveau de
la diffusion de leurs émissions, généralement les
webradios procèdent, en général, de la même
manière que les stations
253
de radio classiques. De même, comme pour ces
dernières, il existe de la même façon des webradios
généralistes et d'autres avec des programmes
thématiques.
En fonction de l'intérêt de l'émission,
les webradios ou net radios peuvent attirer quelques dizaines ou plusieurs
milliers de cyberauditeurs. On trouve de nombreux webradios
sénégalais sur Internet. Mais quand on parle de webradios
sénégalais, on songe immédiatement à celui du site
portail Seneweb. Même si nous ne disposons pas de données
quantitatives permettant de confirmer nos propos, force est de constater
l'utilisation croissante de Seneweb radio au sein des internautes de la
diaspora sénégalaise.
Depuis quelques temps, on assiste à l'émergence,
au sein de la diaspora sénégalaise, d'animateurs de webradios qui
présentent des émissions axées essentiellement sur la
situation politique, économique et sociale de leur pays d'origine. Parmi
ces animateurs, on peut citer Amath Diouf avec ses émissions comme
« Club Diaspora » sur Seneweb ou « Penc Mi » qui signifie
en wolof l'espace de dialogue sur Keurgoumak, Adama Diouf animateur de
l'émission « Guiss Guiss » qui signifie « Point de vue
» en wolof sur
Xalimasn.com. Il y a aussi Modibo, un
des précurseurs de ces émissions sur webradios et actuellement
animateur de l'émission « Boppu Kogn » qui signifie en wolof
« le coin de la rue » sur
Archipo.com et
Allodakar.com. Le coin de la rue
qu'il présente comme occupant une place centrale dans la
société sénégalaise, en tant que lieu de vie
où les individus se rendent pour prendre un taxi ou un car
rapide, un espace de sociabilité propice à l'acquisition de
certains biens et services nécessaires dans la vie courante. Pour lui,
Internet est un espace de liberté et d'expression où il n'est
point possible de s'y faire localiser par les éléments de la DIC
ou de la police. Il déclare, avec l'ironie qui le caractérise,
que ces derniers auraient bien du mal à le trouver dans le cyberespace
pour lui remettre une convocation.
6.5.4.1 Seneweb Radio, la radio de la diaspora
sénégalaise
En effet, ce que nous pouvons retenir à travers les
réponses collectées auprès de cent trente personnes
interrogées, c'est que la radio en ligne Seneweb radio qui fait partie
du site portail Seneweb qui semble vraiment être la webradio
sénégalaise la plus écoutée, la plus populaire du
moment. Seneweb radio a commencé à diffuser ses programmes sur
254
Internet en mars 2008. Dès son avènement, les
responsables affichent clairement leur ambition de la hisser au sommet et font
part de leur volonté de réussir à en faire la radio de la
diaspora sénégalaise en particulier et de la diaspora africaine
en général. L'enjeu consiste donc à parvenir à
l'implanter dans l'audimat de la diaspora africaine afin de lui donner une
dimension panafricaine. Les émissions peuvent être
écoutées en direct ou en différé. Comme on peut le
constater sur la grille des programmes, les internautes ont effectivement la
possibilité d'écouter des animations musicales, des
émissions religieuses, politiques... Par exemple, l'émission
phare de Seneweb radio, l'émission « Dég Dëg »
(qui signifie en wolof « entendre la vérité »)
présentée en direct tous les mardis à 15h00 GMT par le
journaliste et chroniqueur politique sénégalais, Souleymane Jules
Diop, depuis son lieu d'exil à Montréal au Canada. Dans son
émission, il se livre à une analyse critique de
l'actualité sénégalaise, mais surtout il fait des
révélations fracassantes et dénonce la gestion
catastrophique de l'Etat sénégalais par le régime
libéral du président Abdoulaye Wade. Cette émission fait
certainement partie des émissions de radios diffusant exclusivement sur
Internet les plus suivies par les cyberauditeurs. Elle a une très forte
audience au Sénégal131 comme dans la diaspora.
Il y a ensuite par ordre de popularité
l'émission « Diaspora » devenue récemment « Club
Diaspora » présentée, en wolof depuis Houston aux Etats-Unis
chaque samedi, par Amath Diouf qui invite d'éminentes
personnalités sénégalaises, notamment des intellectuels
comme le philosophe Souleymane Bachir Diagne, le journaliste Abdou Latif
Coulibaly, l'historienne Penda Mbow, le sociologue Abdou Salam Fall, des hommes
politiques membres de l'opposition comme du parti au pouvoir, des artistes
comme les frères Touré Kunda, des hommes d'affaires comme
l'entrepreneur Bara Tall... pour qu'ils puissent s'exprimer sur les sujets
d'actualité au Sénégal. A la fin de l'intervention de
chaque invité, l'animateur ouvre l'antenne aux cyberauditeurs qui ont
ainsi la possibilité de réagir et de donner leurs points de vue
et de participer aux débats, via Skype. Or, comme le souligne le
sociologue Antoine Bevort (2002), cette participation active à la vie de
la communauté, aux discussions et délibérations locales,
cet engagement e-citoyen, etc., contribuent au renforcement du « capital
social » et donc à la vitalité de la démocratie
(cité par Sylvain Allemand).
131 Souleymane Jules Diop nous apprend en effet que même
au Sénégal, les gens commencent à se rassembler dans les
cybercafés pour écouter l'émission « Dég
Dëg ». Ces propos ont été confirmés par le
sociologue Cheikh Tidjane Dièye, invité de l'émission
« Diaspora » du 08 août 2009. L'émission est
255
Invité le 08 août 2009 sur Seneweb radio, le
philosophe Souleymane Bachir Diagne, professeur à l'université de
Columbia à New York, a fait une analyse extrêmement
intéressante sur l'importance, le rôle que peut avoir une opinion
publique solide dans la construction et la consolidation de la
démocratie sénégalaise. Dans son intervention, il
s'attache à faire comprendre que la formation de cette opinion publique
passe nécessairement par l'éducation et l'information. Il ajoute
que le rôle des marabouts, au sein de la société
sénégalaise, est d'utiliser le poids moral que leur
confère leur statut pour participer à la conscientisation de
l'opinion publique. De même, l'intellectuel doit parler pour renforcer
cette opinion publique. Il doit réagir, oeuvrer dans le sens de
renforcer l'éveil citoyen. En outre, il doit dénoncer les
injustices, faire des analyses sur les mécanismes démocratiques,
les institutions, le pluralisme, la bonne gouvernance... avec de solides
arguments, une argumentation basée sur des connaissances
avérées. D'autre part, Souleymane Bachir Diagne observe que, de
nos jours, les TIC facilitent la participation de la diaspora au processus de
développement économique et social de leur pays d'origine. Les
TIC offrent au Sénégal la possibilité de
bénéficier des compétences au sein de sa diaspora
intellectuelle, cette « knowledge diaspora » présente dans les
centres de savoir en Europe et en Amérique. Pour finir, il souligne
l'importance de l'utilisation et de la promotion des langues nationales dans
les échanges intellectuels afin de réduire ou supprimer la
distance, cette fosse abyssale qui sépare, depuis des lustres, les
intellectuels et les masses populaires.
On peut également citer l'émission
Yéwuleen (qui veut dire en wolof « réveillez-vous »).
Cette émission bimensuelle qui aspire à devenir la voie des
citoyens est présentée par Arona Ndoffène Diouf,
professeur des sciences de l'environnement et des sciences de la terre à
l'université Greensboro en Caroline du Nord aux Etats-Unis et candidat
déclaré aux prochaines élections présidentielles au
Sénégal, prévues en 2012. Certaines émissions sont
archivées sur le site, ce qui donne, par conséquent, aux
internautes la possibilité de les télécharger et de les
écouter hors connexion. Par ailleurs, la revue de presse quotidienne des
sujets les plus saillants traités dans la presse
sénégalaise semble être également
particulièrement appréciée par les migrants. Le
succès enregistré par cette revue de presse faite en wolof a
d'ailleurs valu à son présentateur, Ahmed Aïdara,
d'être recruté pour présenter la revue de presse sur la
radio RFM, la radio du célèbre chanteur sénégalais,
Youssou Ndour.
enregistrée également sur des CD et
proposée aux automobilistes par les jeunes vendeurs de CD de
contrefaçon au niveau des feux de circulation de la capitale
sénégalaise.
256
Site web 11. Programmes de Seneweb Radio
6.5.4.2
Khassaide.net, la webradio mouride en direct
de Grenoble
Cette radio en ligne est diffusée sur le site web du
dahira des mourides de Grenoble. Elle s'adresse en particulier aux disciples
mourides disséminés à travers le monde. Son objectif est
principalement de divulguer les poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba. La radio
Khassaide.net émet depuis
Grenoble dans la région Rhône-Alpes, comme l'aime rappeler la voix
enregistrée sur la webradio, pour proposer gratuitement aux internautes
la possibilité d'écouter des disciples mourides psalmodiés
les poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba. Les auditeurs peuvent aussi
participer en direct aux émissions en appelant sur Skype. Ils peuvent
ainsi s'exprimer librement, faire des dédicaces et formuler des voeux
à l'endroit des marabouts mourides. Le dahira des mourides de Grenoble
offre également sur son site la possibilité d'écouter
gratuitement la radio communautaire mouride, Lamp Fall Fm. Des liens permettent
en effet d'écouter la radio Lamp Fall Fm émettant depuis la ville
de Dakar, et aussi celle émettant depuis Touba, la cité de la
confrérie mouride.
A bien des égards, on peut dire que la
communauté mouride de Grenoble, à travers la mise en place de la
webradio
Khassaide.net, confirme l'idée
émise par le géographe
257
Cheikh Guèye quand il affirmait dans son article
Enjeux et rôle des nouvelles technologies de l'information et de la
communication dans les mutations urbaines : le cas de Touba, publié
en 2002, que les mourides étaient déjà positionnés
dans la bataille des contenus sur Internet132.
Aujourd'hui, l'espace médiatique de la
communauté mouride outrepasse largement le cadre national. Le concept
même de transnational conviendrait mieux, à notre avis, pour
désigner cette diffusion ainsi que la réception des
khassaïdes ou des évènements touchant la vie de la
communauté mouride par-delà l'espace national d'origine et qui
s'appuie sur des réseaux transnationaux pour renforcer son bassin
d'audience. Cette déterritorialisation des flux médiatiques
relatifs à la communauté mouride répond au besoin d'une
communauté extrêmement dispersée de nos jours. En outre,
elle contribue à renforcer le processus d'identification cultuelle et la
cohésion transnationale des mourides.
Image 4 :
Khassaïde.net,
la webradio mouride émettant depuis Grenoble Vous écoutez en
direct la radio
khassaide.net
depuis Grenoble
132 GUEYE, Cheikh. Enjeux et rôle des nouvelles
technologies de l'information et de la communication dans les mutations
urbaines : le cas de Touba. In DIOP, Momar Coumba (Dir.). Le
Sénégal à l'heure de l'information. Paris, Karthala,
2002.
258
6.5.4.3 Keurgoumak webradio émettant depuis
Houston aux États-Unis
La webradio Keurgoumak est d'après son concepteur,
Amath Diouf133, une initiative pour permettre à tous les
émigrés sénégalais, gambiens et autres peuples amis
du Sénégal et de la Gambie de se retrouver autour d'une radio.
Elle émet en direct depuis la ville de Houston dans l'État du
Texas aux Etats-Unis. Dans les différentes émissions
présentées par Amath Diouf lui-même, l'animateur
privilégie l'interactivité avec les auditeurs en ligne. Les
cyberauditeurs peuvent ainsi écouter l'émission « Penc Mi
» tous les jours. Ils peuvent intervenir et s'exprimer librement sur tout
ce qui fait l'actualité sénégalaise. Le lundi et le mardi,
les internautes peuvent intervenir sur les sujets politiques et
économiques et le mercredi est réservé aux débats
sur les faits de société. Comme son nom l'indique,
l'émission « Xam Sa Reew » a pour but de permettre aux
migrants sénégalais de mieux connaître leur pays, en
participant à des questions-réponses sur des sujets de
géographie, d'histoire, de politique, de sport et de culture. Pour
l'animateur, l'émission « Diaspora » est une émission
interactive, un cadre de communication privilégié dont «
l'objectif est de sensibiliser davantage l'ensemble des compatriotes
sénégalais établis à l'étranger sur les
difficultés économiques et politiques du pays pour recueillir les
meilleures idées afin d'organiser ensemble un mouvement citoyen
international qui réunira tous les Sénégalais
émigrés autour d'un projet réaliste qui va contribuer
à améliorer la bonne gouvernance dans notre pays et aussi les
conditions de vie de nos parents ». En outre, les
téléspectateurs peuvent regarder des pièces de
théâtre en se rendant sur la page «
Télé-Théâtre ».
133 Originaire de la ville de Tambacounda, Amath Diouf vit aux
États-Unis depuis 1998. Parti pour faire des études en
informatique et trouver rapidement un travail afin de prendre en charge
totalement sa famille au Sénégal, la cherté des frais de
scolarité le fit déchanter avant de l'amener à se
contenter de petits boulots de gardiennage de boutique, payés 250 $ par
semaine pour 10 heures de travail par jour. Parallèlement à son
métier de boulanger, Amath Diouf collabore avec Seneweb depuis 2004. Il
crée la radio
Keurgoumack.com en 2005. Pour lui,
le web permet d'abolir la distance entre les ressortissants de Tambacounda
situés partout dans le monde. À titre d'exemple, il évoque
la conférence organisée au cours d'une de ses émissions
sur Seneweb entre le maire de Tambacounda, Souty Touré qui se trouvait
à Dakar, un participant qui était à Taïwan, un
deuxième se trouvant à Bordeaux, le troisième à
Tambacounda alors que lui-même se trouvait à New-York.
259
Site web 12. La webradio Keurgoumak émettant
depuis Houston
Il existe d'autres webradios sénégalais sur
Internet comme Xalima radio, Radio Wadeukeubi, Sunuker radio, Sunuweb radio,
etc. La plupart des sites portails proposent sur leur site web des netradios
gratuites accessibles gratuitement. On trouve des webradios
généralistes, des webradios thématiques et des webradios
dédiées exclusivement à la diaspora. Elles proposent des
informations, de la musique et des débats sur les conditions de vie des
migrants.
On peut citer également le site web
Sunuradiotv.com qui est un logiciel
gratuit développé par un jeune sénégalais vivant en
Italie, afin de permettre aux internautes d'écouter des radios et de
regarder télévisions du Sénégal et du monde entier
gratuitement sur Internet.
A la question : quelles sont les chaînes de radios
sénégalaises que vous écoutez le plus sur Internet ?,
les réponses montrent que ce sont les chaînes de radios
privées qui sont les plus citées. Parmi ces radios, la radio RFM
arrive largement en tête avec plus de la moitié des
réponses (45%). Les deux autres chaînes de radios privées,
Walf FM et Sud FM, sont au coude à coude avec respectivement 24% et 22%
des migrants qui disent préférer les écouter. La radio
nationale, RSI, n'attire que 3% seulement des migrants interrogés, un
taux d'écoute semblable à celui enregistré par Seneweb
radio (3%). Il s'agit là d'une
260
audience vraiment faible et qui devrait, à notre avis,
inquiéter et interpeller les responsables des médias publics pour
qu'ils se remettent en question afin de proposer des programmes qui pourraient
susciter davantage l'intérêt des Sénégalais. Il en
va de la pérennité des médias publics car le
désamour des auditeurs à leur endroit ne cesse de se creuser
depuis quelques années.
Graphique 20. Radios et webradios
sénégalaises les plus écoutées à travers
Internet
6.5.5 Les télévisions
sénégalaises diffusées uniquement sur Internet : les web
TVs ou web-télés
La technologie du streaming est également
utilisée pour diffuser des contenus à dominante vidéo sur
Internet. Apparue aux Etats-Unis en 1993, la diffusion de la vidéo en
ligne s'est de nos jours largement répandue sur Internet. Parmi les
télévisions sénégalaises diffusées
exclusivement sur Internet, on peut citer la chaîne de
télévision News Box Network (NBN) qui est une
télévision professionnelle en ligne et la web TV Diamono TV.
261
6.5.5.1 La télévision News Box
Network
Lancée en février 2007 par le groupe
Génération TV, la chaîne privée indépendante
NBN offre gratuitement aux cybertéléspectateurs
sénégalais, notamment de la diaspora, et aussi aux
cybertéléspectateurs amis du Sénégal la
possibilité de regarder quotidiennement sur le web des journaux
télévisés présentés en français et en
wolof ainsi qu'un flash en anglais partout à travers le monde. NBN offre
aux internautes la possibilité de voir certaines informations
liées à l'actualité sociale, économique, politique,
culturelle... Les internautes peuvent également regarder la
retransmission en ligne des émissions culturelles présentant des
artistes et des musiciens ou des émissions sur la citoyenneté et
le développement au Sénégal. De même, ils peuvent
regarder des reportages sur des questions de populations ou de santé.
Enfin, des interviews avec des personnalités qui font l'actualité
et divers sujets réalisés par le biais du micro-trottoir peuvent
être diffusés en boucle dans les programmes de NBN. En outre, tous
les programmes déjà diffusés sur le réseau de NBN
sont conservés en archive. Ils peuvent donc être consultés
et visionnés à tout moment et permettent ainsi de ne plus subir
les contraintes imposées par la recherche effrénée
d'audiences aux heures de grande écoute. D'après son promoteur,
le journaliste sénégalais Khalil Gueye, correspondant local de la
chaîne CNN, la naissance de NBN est aussi une façon de ne plus
subir la mondialisation, mais d'en être un acteur à part
entière. C'est las d'attendre une autorisation à sa demande
d'attribution de fréquence de télévision formulée
à l'époque du régime socialiste et renouvelée
plusieurs fois aux nouvelles autorités du régime de l'alternance
que le groupe Génération TV a décidé de lancer la
première chaîne de télévision africaine
professionnelle sur Internet.
262
Site web 13. Webtv New Box Network
6.5.5.2 La web TV Diamono TV
La chaîne de télévision Diamono Tv a
été lancée le 03 juin 2007 depuis Paris par la
société Diamonocom. Il s'agit, précise le porte-parole de
la direction « de faire prendre conscience que le Sénégal ne
se limite pas seulement à sa population restée au pays. Le
Sénégal, c'est aussi aujourd'hui un nombre considérable de
nos compatriotes qui vivent et travaillent à l'étranger. Leur
existence dans nos médias est largement en-deçà de leur
nombre et de leur contribution remarquable dans la création de
richesses, la création d'emploi, la lutte contre la pauvreté,
bref dans l'effort de développement » (source :
www.afriklive.com, audiovisuel,
lancement à Paris de Diamono Tv le 3 juin 2007). Diamono Tv
présente des émissions sur des sujets d'actualité tels que
les APE, des reportages et des débats sur des sujets comme le naufrage
du bateau le Joola aux larges des côtes casamançaises, des
conférences de presse sur les droits de l'homme en Afrique, notamment
dans des pays comme la Guinée et la Mauritanie. Diamono Tv se veut en
quelque sorte une télévision citoyenne. Diamono Tv diffuse
essentiellement et continuellement des variétés musicales
africaines en général et sénégalaises en
particulier.
L'analyse des données obtenues en réponse
à la question : Quelles sont les chaînes de
télévision sénégalaises que vous regardez le plus
sur Internet ?, montre paradoxalement une utilisation prédominante
des chaînes de télévision privées. Ceci n'est qu'un
reflet de la
263
forte tendance des Sénégalais d'ici, de
là-bas et d'ailleurs à privilégier quasiment de la
même façon les programmes culturels, sportifs et les
téléfilms134 diffusés dans les médias
privés. Ainsi, on en voudrait pour preuve les réponses fournies
par nos répondants qui disent préférer regarder sur
Internet le plus souvent les programmes des télévisions
privées 2STV et Walf TV par respectivement 37% et 33% d'entre eux.
Malgré une expérience beaucoup plus longue que ses concurrentes
actuelles dans le paysage médiatique sénégalais et les
moyens colossaux dont elle dispose, la chaîne de télévision
nationale, la RTS, ne bénéficie que de 27% des audiences. Les
personnes interrogées reprochent aux responsables de la chaîne de
faire preuve d'un zèle notoire dans la diffusion interminable des
activités du parti au pouvoir. On constate que la France constitue un
bassin relativement important de l'audience des chaînes de
télévision sénégalaise. Ainsi donc, la
communauté sénégalaise basée en France, au
même titre que les autres communautés sénégalaises
basées en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis..., apparait pour les
médias sénégalais comme un vivier qui peut en effet
contribuer à booster leur audience de façon
considérable.
Graphique 21. Les chaînes de
télévisions sénégalaises les plus regardées
sur Internet
134 A ce propos, le Conseil National de Régulation de
l'Audiovisuel (CNRA) a sorti un communiqué en juillet 2009 dans lequel
le reproche est fait à ces chaînes de télévision
privées de privilégier les télénovelas,
264
6.6 La téléphonie par Internet
Nos enquêtes récentes indiquent que les
applications «VoIP» ou voix sur réseau IP permettant de
téléphoner gratuitement sur Internet remportent un succès
vraiment énorme dans les milieux de la migration
sénégalaise en France. La technologie de la voix sur IP (VoIP)
est une technique qui permet d'effectuer gratuitement des appels
téléphoniques via Internet notamment vers toutes les destinations
en Europe, en Amérique, en Asie et en Afrique. Pour cela, il suffit de
disposer d'un ordinateur connecté à Internet,
équipé d'un microphone et des haut-parleurs ou d'un microcasque.
Mais surtout, l'ordinateur doit être doté, au préalable,
d'un des outils de communication vocale comme Skype, MSN Messenger ou Yahoo
Messenger. Ainsi, à partir d'un ordinateur équipé de
Skype, il est possible non seulement, d'appeler gratuitement et directement son
correspondant, à condition qu'il soit toutefois équipé
préalablement lui aussi de Skype, mais aussi de lui envoyer des messages
instantanés ou de lui faire parvenir des documents, mais
également de partager avec lui des photos, de la musique. Il est aussi
possible à partir de Skype de téléphoner vers n'importe
quel téléphone, mais à condition cette fois-ci de payer le
côut des appels téléphoniques.
Ce qui est valable pour utiliser Skype l'est aussi, d'une
manière générale, pour ses concurrents. Autrement dit, les
mêmes conditions sont également valables pour utiliser et
communiquer oralement sur MSN Messenger et Yahoo Messenger
(interopérables tout récemment) qui proposent, d'une façon
générale, les mêmes fonctionnalités que Skype. Ces
technologies incluent en outre la vidéoconférence qui permet en
même temps de voir par caméras interposées convenablement
ses interlocuteurs n'importe où dans le monde, à l'aide
précisément d'une webcam branchée à l'ordinateur.
D'après les réponses recueillies auprès des personnes
interrogées, l'engouement prononcé des migrants pour ces
technologies permettant de communiquer facilement, sans compter et sans
délais, laisse augurer qu'elles commencent peu à peu à
s'imposer comme les principaux moyens de communication. En plus, ces moyens de
communication commencent par ailleurs à intégrer aussi de
nombreux « foyers au Sénégal et aujourd'hui, de plus en plus
de familles sont équipées de ces technologies afin de rester en
contact avec leurs fils vivant à l'étranger »135.
Les résultats de nos enquêtes suggèrent aussi que ces
technologies sont
ces téléfilms en provenance du Brésil, de
l'Argentine ou du Mexique au détriment de la production culturelle
nationale.
135 L'usage du mobile en Afrique vu par les étudiants
sénégalais de Lille.
265
adoptées au sein des communautés
sénégalaises basées aux Etats-Unis, au Canada, en Italie
et partout ailleurs. Il convient donc de souligner que ces technologies
apparaissent de plus en plus comme le moyen idéal, pour beaucoup de
migrants, de communiquer avec les membres de la famille et les amis
présents en France ou restés au Sénégal ou encore
installés ailleurs dans un autre pays. Ce qui contribue fortement
à étendre les bassins de relations et à renforcer les
relations au sein des réseaux.
On peut penser que ces technologies pourraient
également contribuer, d'une certaine façon, à favoriser la
pénétration et le développement d'Internet en Afrique. En
tout cas, pour ce qui est du Sénégal, où presque 70% des
ménages comptent au moins un membre de la famille à
l'étranger, il serait très intéressant d'accorder une
attention particulière et de se pencher en profondeur sur ce
phénomène qui risque, comme nous le confirme la majorité
des personnes interrogées, d'apporter naturellement de profonds
bouleversements dans la société sénégalaise. Il
faut bien constater, à ce jour, que la gratuité de tels services
pourrait évidemment constituer un atout réel et non inestimable
en faveur de la promotion d'Internet au Sénégal. Si en
très peu de temps, de nombreux migrants se sont équipés ou
envisagent de s'équiper en ordinateurs connectés à
Internet, c'est pour pouvoir pleinement profiter des avantages liés aux
possibilités de communiquer en temps réel. Même si à
ce stade de nos observations, il est très tôt pour l'affirmer de
façon catégorique, on peut naturellement penser, au vu des
témoignages recueillis et de l'enthousiasme qu'elles suscitent, que ces
technologies permettant de téléphoner et de dialoguer et discuter
gratuitement et en temps réel avec des interlocuteurs localisés
partout dans le monde vont certainement contribuer à favoriser davantage
l'insertion des technologies de l'information et de la communication dans les
milieux de la diaspora sénégalaise en particulier et dans leur
pays d'origine en général.
De même, les techniques de communication invitent
à réinterroger, à remettre en question les notions
géographiques telles que la distance, l'éloignement, le temps, la
frontière spatiale. Ce sont les notions d'instantanéité,
d'immédiateté et de temps réel qui semblent aujourd'hui
complètement revigorées, renforcées et favorisées
par ces technologies de pointe de plus en plus sophistiquées.
Disponible sur :
http://lelab.politechnicart.net/?q=2009/1/12/lusage-du-mobile-en-afrique-vu-par-les-%C3%A9tudiants
s%C3%A9n%C3%A9galais-de-lille, mis en ligne le 01/01/2009, consulté le
26 mars 2009.
266
Ces technologies offrent en outre des possibilités
extraordinaires en termes de gains de temps, donc d'efficacité, de
même qu'en termes d'économies d'argent. Elles constituent par
conséquent un moyen extrêmement important pour nouer des relations
de partenariat ou pour collaborer avec des collègues. Dans un pays comme
le Sénégal où les problèmes de mobilité
causent des dommages extrêmement préjudiciables à
l'économie nationale, il nous semble qu'il serait tout à fait
judicieux que tous les acteurs de développement (l'État, les
partenaires internationaux, le secteur privé, la société
civile) tentent rationnellement d'exploiter davantage les potentialités
énormes de ces technologies de communication gratuite par la voix sur
Internet.
Force est d'admettre que ces moyens simples, pratiques et
exceptionnels de communiquer gratuitement et instantanément avec des
personnes situées aux antipodes remportent un succès
indéniable et risquent d'autre part de provoquer de profonds
bouleversements dans le secteur traditionnel des communications qui doit
trouver des moyens de s'adapter et de relever le défi.
Aujourd'hui, de la même manière qu'ils
possèdent une adresse électronique, de nombreux migrants
sénégalais possèdent un compte Skype, ou un compte MSN
Messenger ou bien encore un compte Yahoo Messenger. C'est un moyen de contact,
une adresse qui permet d`être localisée à travers le
cyberespace à partir de n'importe quel lieu disposant du réseau
Internet. Pour beaucoup, ces technologies révolutionnaires donnent
l'impression de vivre simultanément dans deux lieux distincts,
c'est-à-dire en même temps en France et au
Sénégal.
6.6.1 Skype, un cadeau tombé du cyberespace
pour
« communiquer sans compter » avec la famille et
les amis proches et lointains
Skype reste la technologie de la voix sur IP la plus
utilisée au sein de la communauté sénégalaise en
France. Par conséquent, l'on ne s'étonnera pas, du fait notamment
de son non interopérabilité avec ses concurrents,
c'est-à-dire utilisation possible exclusivement et uniquement entre
ordinateurs équipés de Skype, qu'il soit également
très largement utilisé au Sénégal comme dans les
autres pays d'implantation de la communauté sénégalaise.
Aujourd'hui, de nombreux ordinateurs, à travers le monde, sont
équipés de
267
Skype. Dotés d'un compte Skype, on peut appeler
gratuitement un correspondant équipé de Skype et localisé
au Sénégal, en France et n'importe où dans le monde sans
se soucier du coût, du temps et de la distance. De même, il est
possible aussi, en payant, d'appeler avec Skype vers des lignes
téléphoniques fixes et des téléphones mobiles.
Selon les différents sites consultés, il semblerait que Skype
compte désormais plus d'une centaine de millions d'utilisateurs. Ce qui
lui laisserait une longueur d'avance assez nette sur ses concurrents
immédiats.
Les migrants sénégalais en France s'en servent
beaucoup pour appeler très régulièrement les membres de la
famille et les amis au Sénégal, en France, en Italie et aux
Etats-Unis. Certains s'en servent également pour trouver des
opportunités d'investissement au Sénégal. C'est le cas par
exemple de M. D. et I. S., deux sénégalais établis
à Paris où ils travaillent tous les deux au sein de l'entreprise
SAGE France, le premier comme chef de projet informatique et le second comme
consultant formation. Désireux d'investir au Sénégal, M.
D. et I. S. proposent aux responsables de JTS France, une entreprise
spécialisée dans la vente de semences et la vente et la location
d'accessoires de jardinage, d'ouvrir une filiale au Sénégal. JTS
Sénégal sera sous la responsabilité d'un ingénieur
agronome sénégalais du nom de M. G. Ce dernier, un
passionné des TIC, a fait ses études à Gembloux en
Belgique. Les contacts entre les différents partenaires ont pu
être noués grâce à Skype. En effet, durant
près de trois mois, les échanges se sont faits uniquement par
l'intermédiaire de Skype. En mars 2009, M. D. et I. S.,
accompagnés de leurs partenaires français, partent pour mettre en
place JTS Sénégal. Des réunions de coordination sont
régulièrement organisées sur Skype entre M. G. et la
direction générale de JTS France d'une part et entre M. G. et les
autres actionnaires de JTS d'autre part. Skype peut donc être aussi un
outil particulièrement efficace d'investigation économique, de
travail et de collaboration. Aujourd'hui encore, l'essentiel des
réunions se déroulent sur Skype.
D'un autre côté, suite à l'émission
« Diaspora » au cours de laquelle étaient invités M. G.
résidant au Sénégal et O. B. résidant au
Etats-Unis, ces deux compatriotes décident de créer l'ONG
Dimbalante. Grâce à Skype, M. G. et O. B. ont appris à
mieux se connaître virtuellement et à jeter les bases qui vont
aboutir au démarrage des activités de leur ONG. Les membres de
l'ONG se sont servis de Skype pour collecter des fonds aux Etats-Unis afin de
venir en aide à une jeune fille sénégalaise qui devait
subir une opération du
268
coeur. Finalement, c'est presqu'au bout d'un an de dialogue
virtuel que les deux collaborateurs vont finir par se rencontrer physiquement
au Sénégal en mars 2010.
Autre exemple, les contributions diverses via Skype sur la
déroute du régime libéral du président Abdoulaye
Wade aux élections locales du 22 mars 2009 dans l'émission
Diaspora d'Amath Diouf ont permis sans aucun doute d'enrichir le débat
politique, en facilitant la participation active des membres de la diaspora
sénégalaise.
Site web 14. Page personnelle de Moda Gueye sur
Skype
6.6.2 MSN Messenger, la messagerie instantanée des
jeunes migrants
Un autre moyen particulièrement apprécié
et utilisé au sein de la diaspora sénégalaise en France
pour effectuer des messages instantanés est MSN Messenger. Conçu
par la multinationale américaine, Microsoft, MSN Messenger permet
également de téléphoner gratuitement. Plusieurs personnes
interrogées reconnaissent l'utiliser pour discuter
régulièrement avec les parents proches et les amis, et parfois
pour converser avec des collègues français ou étrangers.
Ainsi donc à l'instar de Skype, MSN Messenger offre les services de
communication orale VoIP, de messagerie instantanée et de
visioconférence. Il offre cependant aussi des fonctionnalités
supplémentaires comme par exemple la possibilité d'être
immédiatement prévenu de la disponibilité d'un membre de
sa liste de
269
contacts, d'envoyer et de recevoir des fichiers énormes
et de partager des photos. La conversation peut tout aussi être
animée de smileys ou émoticônes qui sont de petits dessins
représentant des visages et dont on se sert généralement
pour exprimer des émotions, ou bien encore de clins d'oeil ou de wizz
qui permet de faire trembler la fenêtre de son correspondant, histoire de
le secouer un peu pour le prévenir de son souhait de communiquer en
ligne avec lui. MSN Messenger a tout récemment changé de nom pour
devenir Windows Live Messenger. Dans la communauté
sénégalaise en France, son usage semble plus répandu
auprès des jeunes migrants dont l'âge se situe entre 20 et 30
ans.
Site web 15. Page personnelle de Moda Gueye sur MSN
Messenger
6.6.3 Yahoo Messenger, une utilisation un peu plus
timide
Tout comme ses deux principaux concurrents, le système
de messagerie instantanée de Yahoo Messenger permet également de
téléphoner gratuitement à ses correspondants disposant
d'Internet où qu'ils soient à travers le monde. De plus, Yahoo
Messenger ajoute à son service de messagerie instantanée et de
téléphone gratuit la possibilité de laisser des messages
sur le répondeur électronique de ses correspondants en cas
d'absence. Dès que l'utilisateur se connecte sur le réseau Yahoo
Messenger, il peut accéder aux messages laissés sur son
répondeur, les écouter et les stocker. Non seulement, Yahoo
Messenger offre la possibilité de passer gratuitement des appels
270
téléphoniques à des personnes
connectées à son réseau, mais aussi il offre la même
possibilité de téléphoner en ligne partout dans le monde
avec des interlocuteurs connectés au réseau Windows Live
Messenger et vice versa. On peut également profiter de Yahoo Messenger
pour envoyer des fichiers quels que soient leur taille et partager des
photos.
En réponse à la question envoyée par
courrier électronique avant d'être affichée sur notre site
web: quels moyens utilisez-vous pour téléphoner sur Internet
?, on constate que Skype est la principale technologie utilisée
pour passer des appels téléphoniques par Internet. Les
données recueillies montrent en effet 55% d'utilisateurs de Skype. On
compterait environ 34% d'utilisateurs de MSN Messenger parmi nos
répondants. Seulement 1% d'entre eux disent utiliser Yahoo Messenger. Le
reste des répondants (10%) dit utiliser d'autres moyens pour effectuer
des appels téléphoniques par Internet.
Graphique 22. Technologies utilisées pour
téléphoner gratuitement sur Internet
Par ailleurs, comme on peut le voir sur le graphique,
l'analyse géographique des flux de communication par
téléphone ou par Internet montre qu'ils sont orientés
271
essentiellement en direction du Sénégal. Tout
d'abord, pour 46% des personnes interrogées, les appels
téléphoniques sont principalement émis vers
Sénégal. On remarque ensuite une importance des flux internes
à la France avec 20% des appels effectués par
téléphone. Les flux en direction de l'Amérique du Nord
enregistrent 15% des appels par téléphone. Les pays de l'Europe
sont les principaux destinataires des appels téléphoniques pour
13% des personnes interrogées. Alors que ces flux ne concernent
seulement que 5% des appels vers les pays de l'Afrique sub-saharienne et 1% des
appels vers le Maghreb. Au niveau des appels téléphoniques
émis par Internet, 48% des flux sont orientés vers le
Sénégal. Pour 17% des personnes interrogées, les appels
émis par Internet sont principalement destinés à des
correspondants se trouvant en France. L'Amérique du Nord et les pays du
reste de l'Europe suivent d'assez près avec respectivement avec 16% et
15%. Une fois de plus, il faut noter les faiblesses des appels par Internet en
direction de l'Afrique sub-saharienne (3%) et le Maghreb (1%).
Ainsi donc, il s'avère assez intéressant de
constater la pluralité des flux de communication par
téléphone ou par Internet. Le Sénégal demeure
naturellement le principal pôle de réception de ces flux. Les
appels internes à la France sont surtout destinés aux membres de
la famille. C'est le cas par exemple de A. W. qui est membre à la fois
d'un réseau familial (frère, cousins et cousines... en France),
d'un réseau d'amis (anciens camarades à l'université de
Reims) et d'un réseau de commerçants (activité qu'il
exerce aujourd'hui).
A.W., est arrivé en France, en 1992, pour poursuivre
ses études supérieures à la faculté de sciences
à Reims. Il habitait avec ses deux cousins et sa cousine, tous
étudiants avant d'être rejoint par son jeune frère en
1995.
« Après deux années passées en
France, mon jeune frère a pris l'initiative de partir aux Etats-Unis
pour voir s'il y avait des opportunités pour faire du business dans le
commerce. Il a commencé par me faire parvenir des vêtements, des
chaussures et autres articles que je réussissais à revendre sans
difficultés auprès des jeunes passionnés de mode "rap"
à Reims. Ce commerce était d'autant plus lucratif que j'avais
finalement décidé de m'y consacrer entièrement et de
m'installer à Paris. Aujourd'hui, j'exerce mon activité
principalement au marché de Clignancourt. Je reconnais que le
fait d'être intégré à la fois dans des
réseaux de différents types a pleinement contribué
à l'expansion de mon activité. Je sais qu'en fonction de la
nature de mes besoins, j'ai la possibilité d'activer tel ou tel autre
réseau. Je me connecte quasiment tous les jours à mon domicile
pour discuter avec mes
272
proches et mes amis sur Skype. J'utilise Skype pour
communiquer avec mon frère aux Etats-Unis, des membres de ma famille en
France et de plus en plus avec des proches au Sénégal. Le
téléphone (surtout le téléphone portable) est
très utile dans mes activités professionnelles. C'est l'outil qui
me permet d'entrer en contact avec mes clients et mes fournisseurs. Il permet
aussi à mes parents restés au Sénégal de pouvoir me
joindre à tout moment ».
Graphique 23. Les réseaux de A. W., des
réseaux basés sur des liens familiaux, d'amitiés ou
commerciaux
D'autre part, l'Europe et l'Amérique constituent aussi
des pôles importants de réception des appels émis par
téléphone ou par Internet. Les flux de communication en
Amérique du Nord se déploient essentiellement vers les
Etats-Unis. Il faut surtout souligner la faible intensité des flux de
communication par téléphone ou par Internet en direction des pays
de l'Afrique au Sud du Sahara. Le Maghreb n'est pas mieux loti avec seulement
1% des appels émis aussi bien par téléphone que par
Internet.
273
Graphique 24. Principales destinations des appels
téléphoniques via le téléphone et via
Internet
En outre, quand on les interroge sur la nature des liens qui
les unissent avec les principaux destinataires de ces appels
téléphoniques. C'est la famille qui focalise l'essentiel des
appels téléphoniques. Ils sont ainsi 43% à appeler le plus
souvent les parents, 14% l'épouse et 10% les frères et soeurs. Et
ils sont 8% à déclarer effectuer des appels
téléphoniques le plus souvent en direction des autres membres de
la famille, cousins, cousines, oncles, tantes... Ces membres de la famille
peuvent se trouver au Sénégal, en France ou dans d'autres pays
étrangers. C'est donc en direction de la famille élargie que
s'orientent naturellement les flux de communication téléphonique.
On constate que 24% des répondants appellent plus souvent les amis. On
remarque par ailleurs un très faible pourcentage (1%) des appels en
direction des personnes avec qui les liens sont tissés par le travail.
Tout cela témoigne bien entendu de la forte connexion qui peut exister
entre les membres d'une même famille. Autrement dit, c'est une preuve de
plus de la forte prégnance des réseaux sociaux, notamment
familiaux.
274
Graphique 25. Liens avec les personnes appelées au
téléphone
6.7 Ferveur et adhésion aux sites web de
réseaux sociaux en
ligne : Facebook et hi5
Actuellement, on assiste à une vogue croissante des
réseaux sociaux ou sites communautaires. C'est d'ailleurs l'une des
technologies du web 2.0 les plus populaires de nos jours. Le web communautaire
et interactif 2.0 a incontestablement apporté plus de dynamisme dans les
sites web et a aussi accru les possibilités de relation et d'interaction
entre les utilisateurs. Grâce aux applications web 2.0, le nombre
d'internautes a considérablement augmenté un peu partout à
travers le monde. La population d'internautes dans le monde était
estimée à près de 800 millions en 2003. Le nombre
d'internautes sur la planète serait estimé aujourd'hui à
plus d'un milliard de personnes. L'Internet social ou plus
précisément la communication interindividuelle en ligne a
véritablement explosé avec les sites de réseaux sociaux.
En effet, la création des sites des communautés en ligne s'est
rapidement développée au cours de ces dernières
années. Il en existe à présent une dizaine sur Internet
tels que Facebook, MySpace, Viadeo, Linkedin, hi5, Tagged, Bebo, Les copains
d'avant,
Trombi.com, etc. Des millions de
personnes dans le monde entier se sont inscrites sur ces sites afin de
retrouver d'anciens amis, de renouer le contact entre eux, de partager des
souvenirs et aussi les moments présents. Les utilisateurs de ces
réseaux communautaires peuvent partager des
275
informations, des photos, de nombreux documents
multimédias ainsi que bien d'autres centres d'intérêt. Il
suffit maintenant de s'inscrire au préalable et ensuite d'aller sur ces
réseaux, et en particulier Facebook pour retrouver des amis, des
camarades de classe ou autres connaissances perdus de vue il y a très
longtemps. En fait, les sites de réseautage social offrent en
général aux utilisateurs plusieurs options qui leur permettent
d'entrer en contact, d'interagir, en somme d'évoluer quasi naturellement
dans ces environnements virtuels à peu près de la même
manière que dans leur environnement physique. En avril 2009, Facebook
était classé cinquième site le plus visité au monde
selon Alexa Internet, rassemblant plus de 200 millions de personnes partout
à travers la planète. Facebook obtient un succès
énorme auprès des jeunes migrants sénégalais plus
particulièrement.
Nous avons observé à quel point un groupe de
jeunes migrants sénégalais, dont la plupart sont basés
à Paris et Rennes avec une moyenne d'âge de 24 ans, est devenu un
féru de Facebook. Les photos des soirées entre amis en France
publiées sur Facebook sont partagées avec non seulement les amis
en France, mais aussi au Sénégal, au Canada, aux
États-Unis, etc. Elles sont partagées avec des compatriotes
Sénégalais et aussi avec des amis français et
étrangers membres du groupe en France. Ce groupe d'amis consacre une
bonne partie de son temps sur Facebook où ils ont construit un solide
réseau social en ligne. La liste des contacts est composée en
majorité par les amis. Même si on peut trouver parfois des membres
de la famille dans les contacts, ces réseaux semblent surtout être
avant tout constitués pour une bonne partie par les amis et les
connaissances. C'est pourquoi d'ailleurs ils sont qualifiés par certains
de réseaux d'amis. Les utilisateurs ont d'une façon
générale la possibilité de rendre leurs profils visibles
à tout le monde ou seulement à un cercle restreint de personnes
figurant sur la liste de contacts.
276
Site web 16. Page personnelle de Moda Gueye sur le
réseau communautaire Facebook
Actuellement, on remarque aussi que de petits réseaux
sociaux sont en train de se mettre en place sur des sites comme hi5.
Fondé en 2003, hi5 comptait en 2008 plus de 80 millions de membres
enregistrés. L'utilisateur a la possibilité d'entreposer
gratuitement des informations diverses, de publier des photos et de la musique
sur sa page personnelle pour être accessibles à tous les
utilisateurs présents sur sa liste de contacts et de relations. Avec la
multiplication des utilisateurs qui invitent à chaque fois d'autres
utilisateurs à rejoindre ces réseaux en ligne, on assiste de plus
en plus à la constitution de nombreuses communautés virtuelles.
En réalité, les utilisateurs des sites Internet de réseau
social en ligne ne cessent de croître partout à travers la
planète. Le web 2.0 a véritablement contribué au
développement des relations sociales sur Internet.
Les migrants trouvent ainsi à leur disposition de
nouvelles applications qui leur permettent de communiquer plus facilement sur
Internet. La distance géographique subit encore une fois de plus les
coups de butoir que ne cessent de lui infliger les TIC en général
et Internet en particulier depuis quelques années. Les contraintes
spatiales ont fortement diminué au niveau de la mise en relation des
individus, la distance s'est rétrécie dans des proportions
considérables. Les possibilités d'atteindre à tout moment
les personnes avec lesquelles on souhaite converser ou partager des photos et
des vidéos se multiplient.
277
Site web 17. Page personnelle de Moda Gueye sur
hi5
6.8 Des migrants producteurs de blogs
Depuis leur apparition en 2000, les blogs sont devenus l'un
des usages les plus massifs et les plus dynamiques sur Internet. Entre janvier
2004 et janvier 2006, le monde virtuel des blogueurs, la blogosphère, a
connu une expansion considérable avec un développement des blogs
partout à travers le monde qui passe de 1,6 million à 26,6
millions136. Le blog peut être généralement
défini comme un espace destiné à permettre à tout
individu d'exprimer une certaine forme de sociabilité sur Internet
à travers la diffusion et le partage de contenus divers et souvent
personnels, et ainsi organiser et gérer un lien social
électronique. Les individus révèlent dans leurs blogs
certaines facettes de leur personnalité ou certains aspects de leur
identité afin de s'ouvrir aux autres et de tisser avec eux des liens
permettant d'étendre leurs bassins de relations ou leurs
répertoires de contacts. N'importe qui peut s'adonner à cette
forme d'expression de soi et devenir un praticien du blog à condition
toutefois qu'il soit doté d'une certaine compétence en
informatique. C'est ce qui explique d'ailleurs la forte diversité
observée dans l'univers des pratiques du blog. On trouve parmi les
producteurs de blogs des journalistes, des hommes politiques, des citoyens
engagés pour une cause, des sportifs, des artistes, des
étudiants, etc. En France, la blogosphère est marquée par
une forte présence des adolescents parmi
278
les pratiquants du blog. Sur 10 blogueurs français, 8
blogueurs parmi eux ont moins de 24 ans et 52% sont des étudiants. Ces
données fournies par Médiamétrie révèlent
par ailleurs que les retraités ou autres inactifs représentent
quand même 27% des blogueurs français137.
Il convient toutefois de souligner que l'apparition des blogs
a parfois suscité une réaction assez vive dans la corporation des
journalistes. La sphère journalistique a été, en effet,
fortement ébranlée par les animateurs de weblogs collectant et
diffusant des informations sur l'actualité. De ce point de vue, il n'est
pas sans intérêt de noter une certaine prise de conscience de tous
les acteurs afin de cerner de plus près les enjeux autour de la
profession de journaliste. Dans les pays occidentaux plus
particulièrement, on assiste à un développement des blogs
d'informations animés soit par des journalistes indépendants soit
par de simples amateurs qui commentent et critiquent l'actualité
traitée par les médias traditionnels. Ce qui pose des questions
d'intérêt majeur par exemple sur la définition du
journalisme et la malléabilité des frontières des
professionnels de l'information138.
Les migrants jouent un rôle considérable dans la
dynamique de la blogosphère sénégalaise. De nombreux blogs
ont été créés par des migrants, là aussi des
blogs « hybrides qui empruntent des formats occidentaux acclimatés
» selon l'expression de Thomas Guignard139. Ces blogs de l'
« entre-deux » peuvent être destinés à exprimer
des opinions « citoyennes » ou à aller à la rencontre
des autres afin de nouer avec eux des relations d'amitié. On distingue
ainsi au sein de la diaspora sénégalaise en France, des blogueurs
qui publient régulièrement des articles où ils expriment
leurs points de vue sur l'actualité relative à leur pays
d'origine le plus souvent et qui font aussi référence à
leur pays de résidence de temps en temps. Il y a les blogueurs, en
majorité des filles étudiantes qui se servent des blogs pour
tisser des liens d'amitié, faire connaître leur pays d'origine et
certains aspects de leur culture, et aussi partager des centres
d'intérêt. En outre,
136 Cardon, D. et al. Présentation. RESEAUX,
2006, n°138, vol. 24, pp 9-12.
137 Ces chiffres, d'après CARDON Dominique et al., sont
fournies par Médiamétrie dans sa publication sur Les
tendances de la bologosphère en juin 2006.
138
139 GUIGNARD, Thomas. Le Sénégal, les
Sénégalais et Internet : médias et identité.
Lille : Université Charles-de-Gaule - Lille 3 : 2008, 400 p.) (Th.
Doctorat Sciences de l'information et de la communication : Lille 3 : 2008)
(FICHEZ, Elisabeth. Directeur de thèse). Disponible sur :
http://www.africanti.org/IMG/memoires/memoires/theseGuignard.pdf
279
certaines d'entre-elles se sont appropriées cet outil
de communication et s'en servent aussi comme moyen d'insertion professionnelle
et ainsi faire face aux difficultés croissantes du marché de
l'emploi dans le pays de résidence. Les migrants sont également
très actifs dans la production de blogs à caractère
religieux. On le voit à travers la prolifération des blogs des
« Thiantacounes », les disciples de Cheikh Béthio Thioune, le
guide de ce mouvement religieux particulièrement attractif auprès
des jeunes dakarois et des autres centres urbains. Ce qu'il faut remarquer en
effet quand on observe les usages et les pratiques de blogs
sénégalais, c'est l'importance des blogs des disciples de la
confrérie mouride. C'est pour rappeler à quel point la dimension
religieuse occupe une part considérable au niveau des contenus de
l'Internet sénégalais, comme nous le verrons à propos des
associations sur le Net. Il faut préciser qu'il n'est pas aisé de
connaître le nombre exact de blogs relatifs au Sénégal.
Nous allons nous contenter cependant d'en énumérer quelques
uns.
6.8.1 Les blogs citoyens
Quand on consulte ces blogs, on se rend compte à
travers les articles publiés de l'engagement citoyen de leurs
animateurs, de leur volonté de participer à l'éveil
citoyen de leurs compatriotes au sein de la diaspora ou restés au pays.
Ces derniers se servent de leurs blogs pour dénoncer la mauvaise
gouvernance dans leur pays d'origine et alerter l'opinion internaute sur les
dérives du gouvernement en place. On peut citer le blog de Momar Mbaye,
un étudiant sénégalais résidant en Haute Alsace
où il est également correspondant au quotidien régional
d'informations, Les Dernières Nouvelles d'Alsace. C'est le cas aussi du
blog de Bacary Touré, un jeune journaliste et écrivain
sénégalais qui a quitté son pays d'origine, en raison
semble-t-il des menaces pesant sur sa sécurité, pour venir
s'installer en région parisienne, plus précisément dans
les Hauts-de-Seine. De même que le blog de Hady Ba,
Fr.blog.360.yahoo.com.
Les titres des articles publiés sur le blog
mbayemomar.over-blog.net
ainsi que sur le blog
Bacary.blogspot.com sont assez
révélateurs de l'engagement de leurs animateurs à
dénoncer de la manière la plus vigoureuse la mauvaise gestion de
l'État sénégalais, les dérives et le projet
monarchiques du président Abdoulaye Wade, les scandales financiers
280
et fonciers de toutes sortes qui secouent actuellement le
Sénégal. A titre d'exemple, on peut citer les intitulés
des articles suivants parus dans le blog
mbayemomar.over-blog.net:
« Quand les recyclés du 22 mars troublent l'ordre public »,
« Le festin des vautours de l'alternoce », « Qui pour
arrêter les dérives de la famille Wade ? », « Des
vautours à l'assaut de la république », etc. Il en va de
même sur le blog
Bacary.blogspot.com avec les
titres évocateurs tels que « Calcul menteur d'un monarque »,
« Pacte des brigands », « Les nouveaux terroristes »
etc.
Blogs 1. Les blogs citoyens :
mbayemomar.over-blog.net
et
Bacary.blogspot.com
Sous des arguments un peu différents, on retiendra le
blog
Jds.blog.over-blog.com, le
blog de Mady Danfakha, un Sénégalais vivant en Ile-de-France qui
considère son blog comme le journal des Sénégalais. Ce
blog est à la fois un lieu d'information sur l'actualité du
Sénégal et de l'Afrique et un espace d'échange et de
partage de connaissances où l'auteur propose des liens permettant
d'accéder à un certain nombre de sites web utiles dans
l'approfondissement du savoir, notamment l'encyclopédie libre
wikipédia, les dictionnaires de TV5, la ligue des droits de l'homme en
France, le code relatif à l'entrée et au séjour des
étrangers en France et le droit d'asile.
Toujours dans cet ordre d'idées, on peut évoquer
le blog des Sénégalais demandeurs de visas,
Blog.francetv.fr. Ce blog a
été créé afin de permettre aux personnes qui
281
entreprennent une démarche de regroupement familial en
France d'échanger leurs expériences, de se soutenir moralement et
psychologiquement face à la détresse suscitée par la
complexité des procédures et la longue attente de la
délivrance des visas.
6.8.2 Quand les Sénégalaises de France se
mettent à bloguer ou le blog comme outil d'intégration
D'une façon générale, on constate une
présence importante des filles dans la blogosphère
sénégalaise. En fait, ce nouveau mode d'information, d'expression
de certains aspects de l'identité personnelle et d'établissement
de relations en ligne est caractérisé par une forte implication
féminine. L'observation des blogs des Sénégalaises
résidant en France montre que les filles se servent des blogs pour
mettre en valeur la beauté sénégalaise et participer
à la promotion de la culture sénégalaise. Pour ces filles,
membres de la tribu informatique140, le blog est
également utilisé pour trouver des amis, partager ses centres
d'intérêts et sortir de l'isolement. Parmi ces blogs, on peut
citer
Senegal-by-me.skyrock.com,
le blog d'une jeune étudiante sénégalaise
âgée de 22 ans et résidant dans le Val-de-Marne en
Ile-de-France, lieu qu'elle nomme son Kirikou Land et
Nabou.zevillage.org.
Les filles cherchent donc à travers leurs blogs de
s'ouvrir aux autres, de nouer des relations d'amitié et aussi de faire
connaître davantage leur pays d'origine, en ayant par exemple des
échanges sur des sujets relatifs à la cuisine
sénégalaise, à l'élégance. Les blogs peuvent
également être utilisés comme des albums où sont
stockées les photos des bloggueuses et de leurs proches. Les visiteurs
ont ensuite la possibilité de les visualiser et d'émettre des
commentaires.
140 BRETON, Philippe. La tribu informatique. Paris :
Métailié, 1991.
282
Blogs 2. Blogs de senegal-by-me et
Nabou.zevillage.org
6.8.3 Une blogosphère fortement marquée par
les blogs « religieux »
Une des caractéristiques de la blogosphère
sénégalaise, c'est en effet la forte présence des blogs
consacrés à la religion, et plus particulièrement à
la confrérie mouride. Les jeunes disciples de la confrérie
mouride contribuent de façon massive au développement de cette
blogosphère. Ils se servent du blog comme un espace d'information, de
vulgarisation de l'enseignement de la philosophie mouride. L'affiliation
maraboutique s'exprime à travers l'affichage des photos du guide
religieux, des photos montrant le marabout entouré de ses nombreux
disciples, ou des photos montrant ses réalisations dans le domaine
agricole ou des photos qui le montrent dans une posture de saint. Il n'est pas
sans intérêt d'observer ici que tout cela n'est pas faite de
manière innocente. Au contraire, nous pensons qu'en utilisant le blog
comme outil de prosélytisme, il s'agit, par-delà l'aspect «
branché », de tenter, à travers ce nouveau support
d'information et de communication d'attirer cette génération de
jeunes adolescents qui utilisent massivement les blogs.
Ces blogs permettent aux visiteurs d'accéder à
des articles traitant de la confrérie mais en même temps aussi,
ils leur offrent la possibilité d'exprimer leurs points de vue. Ce
sont
283
généralement des commentaires où le
français se mêle au wolof. Ce qui corrobore et met en
évidence une fois de plus l'aspect hybride des sites web
créés par les migrants.
Blogs 3. Blog de Dieufdieul, un étudiant
mouride établi à Lille et blog de Thier 02, un étudiant
thiantacoune
Ce qu'il faut retenir, c'est qu'on assiste actuellement
à une prolifération des blogs créés par des jeunes
âgés de 18 à 26 ans et destinés à affirmer
leur appartenance confrérique et aussi à étendre leurs
réseaux d'amis. D'où les nombreux liens vers des blogs
créés par des amis en France, au Sénégal et partout
ailleurs. Tout comme les garçons, il arrive de même que les filles
se servent des blogs comme moyen d'expression et d'affirmation de
l'identité religieuse.
Lorsque l'on examine les réponses à notre
question suivante : Quels usages faites-vous d'Internet ?, on
relève une quasi homogénéité au niveau des usages.
Nos répondants déclarent utiliser Internet principalement pour
obtenir des informations (15%) et pour leurs études (14%). On constate
qu'ils sont 13% à utiliser Internet pour leurs études. De
même, ils sont 13% à utiliser la toile pour se servir du courrier
électronique. Les loisirs occupent une place essentielle au niveau des
usages : lecture 13%, téléchargement 10%,
284
musique 9%, chat 8%. On remarque que seulement 2% des
répondants confirment utiliser les sites de rencontre.
Graphique 26. Les principaux usages d'Internet des
migrants sénégalais en France
Par ailleurs, l'analyse des réponses à la
question suivante : Quels sont les sites que vous visitez le plus sur
Internet ?, confirme que, loin de se réduire exclusivement à
l'utilisation de sites web relatifs au Sénégal, il faut, au
contraire, remarquer la diversité des sites fréquentés. Ce
qui montre les usages multiformes de l'Internet par les migrants
sénégalais en France. Seneweb constitue le site le plus
visité pour 31% des personnes interrogées. Elles sont 30%
à déclarer effectuer des visites fréquentes sur d'autres
sites web. Les moteurs de recherche Google et Yahoo reçoivent
respectivement les visites régulières de 12% et 9% des
répondants. Le service d'envoi et de réception gratuits de
courrier électronique, Hotmail, enregistre 7% de visiteurs
réguliers. Le site portail Xibar est régulièrement
fréquenté par 6% des personnes interrogées. Le site de
réseautage social Facebook constitue le site le plus visité pour
5% des personnes interrogées.
285
Graphique 27. Sites web les plus visités sur
Internet par les migrants sénégalais en France
Pour mieux supporter les difficultés inhérentes
à la condition de migrant dans les pays d'établissement, les
migrants sénégalais prennent la plupart du temps l'initiative de
se regrouper au sein d'une association à but non lucratif.
286
287
Chapitre 7. Les associations
sénégalaises en France
à l'heure d'Internet
Ainsi, on trouve quasiment dans chaque pays étranger
accueillant des ressortissants sénégalais, surtout ceux qui en
accueillent un nombre assez important, une ou plusieurs associations
rassemblant souvent ses diverses composantes. Le Ministère des
Sénégalais de l'Extérieur a établi sur son site un
bref panorama de la situation des associations de migrants
sénégalais à travers le monde. On relève que le
nombre d'associations mises en place par les Sénégalais de la
diaspora se chiffre à 682, réparties de la manière
suivante : 443 en Europe, 182 en Afrique, 44 en Amérique et 13 en Asie.
Avec 297 associations répertoriées, la France est le pays qui en
compte le plus en Europe, suivie par l'Italie qui en compte 70. En Côte
d'Ivoire, le pays africain qui accueille le plus de ressortissants
sénégalais en Afrique, le nombre d'associations
sénégalaises est estimé à 58.
Généralement, ces associations sont créées
essentiellement dans le but de réunir tous les Sénégalais
résidant dans un pays étranger autour d'un cadre convivial de
fraternité, d'amitié et de solidarité. Leur mission
principale vise d'une part, le raffermissement des liens sociaux entre les
différents membres de la communauté sénégalaise
ainsi que l'amélioration de leurs conditions de vie et
d'intégration. D'autre part, elle consiste à valoriser les
différentes facettes de la culture sénégalaise dans leur
pays d'installation, mener des actions collectives d'entraide, et aussi porter
des projets en faveur du développement économique et social des
lieux d'origine. Catherine Quiminal (2000) observe que « d'une
manière générale, le mouvement associatif, très
dynamique parmi les populations immigrées, témoigne d'une
volonté de s'approprier un ou plusieurs territoires, réels ou
imaginaires. Il traduit le refus des migrants d'être radicalement
déterritorialisés, sans feu ni lieux, des gens de nulle part. Il
correspond à la nécessité de reprendre l'initiative dans
la délimitation des frontières entre autochtones et
allogènes, d'élaborer des identités collectives, outils
à travers lesquels chaque membre du groupe peut se confronter aux autres
selon les divers contextes sociaux dans lesquels il se trouve engagé
».
Ces associations ont donc pour mission avant tout de faciliter
l'accueil des migrants fraîchement débarqués, de les aider
à s'intégrer dans leur nouveau pays d'installation. Autrement
dit, elles ont pour vocation de mettre à la disposition des migrants
une
288
structure capable de répondre à leurs
préoccupations et chargée de défendre leurs droits afin de
leur permettre de mieux surmonter les turpitudes liées à la
condition d'étranger. Ensuite, leur mission consiste à oeuvrer
pour la promotion et le rayonnement de la culture sénégalaise, la
faire vivre sous d'autres cieux et aussi donner l'envie ou les raisons de la
découvrir dans ses multiples aspects. De ce fait, elles peuvent, dans
certains cas, servir de relais ou de pont entre le pays d'origine et le pays de
résidence. Dans le pays d'origine, les associations participent
incontestablement, de manière singulière, à la
construction des équipements collectifs pour les besoins des
communautés villageoises. En effet, elles s'organisent pour apporter
leur appui aux communautés d'origine ou aux associations villageoises
locales, en s'impliquant par exemple dans les domaines de la santé, de
l'hydraulique, de l'éducation, de l'agriculture, etc. A travers une
connaissance des réalités et des situations vécues, elles
impulsent de l'extérieur des dynamiques locales dans des domaines
d'activités variées en réponses aux besoins
identifiés et exprimés par les communautés d'origine.
Cependant, pour créer cet environnement social
indispensable, voire même vital à leur épanouissement, les
migrants prennent toute une série d'initiatives et organisent
différentes activités notamment sociales et culturelles. Les
associations de migrants sénégalais présentes en France
relèvent toutes sans exception de la loi du 1er juillet 1901, loi qui
réglemente le fonctionnement et la gestion des associations en France.
Elles s'organisent afin d'apporter à leurs membres tout le soutien
nécessaire à leur épanouissement et pouvant favoriser
aussi leur intégration dans leur pays d'installation. En France, les
actions menées le plus souvent en partenariat avec des associations
françaises leur ont permis d'y acquérir une
notoriété et une certaine reconnaissance sociale. Ainsi, à
l'instar des migrants sénégalais originaires de la vallée
du fleuve Sénégal en particulier, les autres migrants
sénégalais ont également contribué à la
réalisation d'infrastructures comme des cases de santé ou des
dispensaires, des salles de classe, des lieux de loisirs pour les jeunes et de
culte dans les lieux d'origine, notamment dans de nombreuses localités
rurales sénégalaises. Pour des observateurs comme Michel Bruneau,
cette richesse de la vie associative dans le pays d'établissement
constitue un des facteurs essentiels pouvant permettre de désigner une
population comme une diaspora.
Aujourd'hui, les associations de migrants
sénégalais sont de plus en plus nombreuses à utiliser
Internet. Certaines ont ainsi mis en place des sites web, d'un
côté pour donner
289
plus de visibilité à leurs actions et à
leurs projets, mais aussi d'un autre côté pour se mettre au
diapason des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Les associations de migrants utilisent Internet pour bénéficier
des nombreux avantages communicationnels et informationnels que cette
technologie procure désormais aux individus et aux groupes. On peut
distinguer plusieurs types d'associations en fonction des ambitions et des
projets de ses membres. Parmi les associations de migrants
sénégalais présentes sur Internet, on trouve les
associations confrériques, les associations d'étudiants et les
mouvements associatifs oeuvrant pour le développement des espaces
d'origine.
Généralement, les sites mis en ligne par presque
toutes ces associations sont des sites hybrides proposant des contenus mixtes
portant à la fois sur le pays d'origine et le pays de résidence.
Les contenus, produits le plus souvent par les membres des associations,
peuvent être essentiellement orientés vers la diffusion
d'informations en faveur de la promotion de la culture
sénégalaise, ou d'informations pratiques pouvant contribuer
à faciliter l'insertion dans le tissu socio-économique du pays
d'installation. On retrouvera, par exemple, dans presque toutes les villes
universitaires de France, une association d'étudiants dont les membres
ont conçu et mis en ligne un site web dans lequel sont présents
des articles ou des rubriques relatifs à la fois au pays d'origine, mais
aussi à la zone géographique du pays de résidence
où elle est basée. Nous verrons ainsi que les différentes
associations d'étudiants sénégalais s'activent, à
travers les régions françaises où elles sont
installées, pour participer au dynamisme du web
sénégalais, avec leurs idées et leurs moyens. Il en va de
même pour les associations confrériques tout comme pour les
associations regroupant les ressortissants d'une localité
spécifique du pays d'origine.
Nous montrerons, à travers l'exemple de quelques sites
mourides, la forte présence de Touba dans l'imaginaire des membres de
cette communauté. Comment le mouridisme est perçu et vécu
à travers les contenus diffusés sur les sites
dédiés à la confrérie mouride ? Le web
apparaît en même temps comme un moyen de maintenir et de renforcer
la cohésion transnationale de la communauté, mais aussi comme
support d'une construction identitaire en lien avec Touba, la capitale du
mouridisme. Enfin, il s'agira de montrer, à travers les sites des
associations regroupant des ressortissants de certaines localités
sénégalaises, comment le web contribue à relier facilement
des migrants originaires des mêmes localités et dispersés
en Europe et en Amérique, au moment où le
290
déploiement des réseaux de
télécommunication modernes dans les localités d'origine
reste pour l'essentiel à l'état embryonnaire. Il s'agira de
montrer dans quelle mesure les compétences au sein des réseaux
sociaux vont prendre en charge le projet d'intégration des
localités d'origine dans la société de l'information.
Quelles sont les associations de migrants sénégalais en ligne ?
Quel est le rôle des associations dans les stratégies
d'intégration ? Au coeur de ce processus de déploiement et de
dynamisation du web sénégalais, on y trouve au premier plan les
associations d'étudiants.
Graphique 28. Les principales associations de migrants
sénégalais en France
7.1 Les associations d'étudiants dans les
principales régions
françaises
De tout temps, les étudiants sénégalais,
poursuivant leurs études à l'étranger, ont
éprouvé le besoin de constituer au sein de leurs villes
universitaires des structures non lucratives leur permettant à la fois
de se regrouper et de s'entraider, de faciliter l'accueil et
l'intégration des nouveaux étudiants, mais également
d'oeuvrer en faveur de la vulgarisation de certains aspects culturels de leur
pays d'origine. Ceci résulte tout
291
simplement d'une prise de conscience de la
nécessité de se rassembler, de créer et développer
des liens de solidarité entre étudiants
sénégalais.
Parmi donc ces différentes associations de migrants
sénégalais nombreuses mais peu visibles, celles mises en place
tout particulièrement par les étudiants sont incontestablement
les plus actives sur Internet. Elles ont été en effet à
l'avant-garde non seulement de ce processus de rassemblement des
différentes communautés de migrants sénégalais mais
aussi de l'utilisation d'Internet comme moyen d'information et de
communication, mais encore comme support pour donner plus de visibilité
et d'audience aux activités de leurs associations. Autrement dit, de
nombreuses associations d'étudiants ont pris aujourd'hui l'initiative de
profiter de tous les avantages de l'Internet pour donner une plus grande
envergure à leurs associations ainsi que pour donner plus de dynamisme
ou d'efficacité à leurs actions. Des informations et des conseils
sont désormais véhiculés à travers les sites
d'associations d'étudiants dans le dessein de permettre justement aux
élèves de terminale ainsi qu'aux nouveaux étudiants
sénégalais d'obtenir des renseignements sur les démarches
liées aux demandes d'inscription et de visa ou sur les procédures
administratives permettant l'obtention d'un titre de séjour, mais aussi
sur les conditions de vie des étudiants étrangers en France.
Internet est devenu pour les migrants étudiants sénégalais
non seulement un atout inédit notamment pour faire entendre leur message
aussi bien aux organismes académiques et instituts sociaux dans leur
ville universitaire mais également auprès des différentes
autorités de leur pays d'origine, consulat, ministère de tutelle,
les parents, etc.
Ainsi, on constate une forte représentation des
étudiants parmi les « migrants connectés ».
L'instrumentalisation de l'espace virtuel par les associations de migrants est
une nouvelle donne qu'il faut prendre en compte dans les stratégies
mises en place pour marquer à la fois le désir
d'intégration dans le pays de résidence et aussi l'implication
dans le pays d'origine. Nous allons donc essayer d'analyser l'organisation et
les contenus de quelques sites d'associations d'étudiants
sénégalais.
7.1.1 Dans le sud-ouest de la France
L'Association Bordelaise des Etudiants
Sénégalais et Sympathisants (ABESS) a été
créée en 1990 avec pour mission principale de faciliter les
contacts de ses membres par
292
différents moyens, de tisser des liens de
solidarité entre eux et de favoriser les échanges entre les
différents membres de la communauté sénégalaise
résidant en Gironde, plus particulièrement les étudiants.
Elle a aussi pour objectif de valoriser la culture sénégalaise
dans toute la région Aquitaine afin de la faire connaître
davantage et donner encore plus envie de la découvrir. Cette promotion
de la culture sénégalaise se fait à travers l'organisation
de « journées culturelles sénégalaises »,
d'activités folkloriques, de conférences-débats (avec des
personnalités comme Noël Mamère, Député et
Maire de Bègles), d'expositions, de projections de films et
documentaires. Ces manifestations se tiennent généralement
à la salle AB du Village 3 ou à la Maison des Activités
Culturelles (MAC). De même, l'ABESS participe aux différents
échanges interculturels qui se déroulent chaque année sur
le domaine universitaire de Talence ainsi qu'aux activités sportives qui
y sont organisées telles que le « Printemps des Campus ».
En outre, pour offrir aux étudiants un espace de
publication, l'ABESS a mis en place Xibaar, un journal trimestriel
dont le nom signifie nouvelles en wolof.
La rubrique « Galerie photos » permet aux visiteurs
de visualiser une palette de photos prises lors des manifestations culturelles
et sportives organisées à Bordeaux par l'Association ou durant
les rencontres du « Grand Sud » (« Grand Sud » 1999
à Toulouse et « Grand Sud » 2004 à Bordeaux,
dîner-spectacle en 2003 et 2005, week-end culturel en 2005, les matchs de
football « navétanes » en 2005, etc.). Très populaire
auprès de la communauté étudiante
sénégalaise du sud de la France tout particulièrement, le
« Grand Sud » est une manifestation culturelle, éducative et
sportive qui se tient chaque année dans une ville du sud de la France,
notamment Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Perpignan, Aix-Marseille, Grenoble,
etc. Cet évènement, organisé sur l'initiative des
étudiants sénégalais poursuivant leurs études dans
ces différentes villes de l'Hexagone, constitue pour eux une occasion de
se rencontrer, de faire connaissance, d'échanger des idées et
aussi de partager leurs préoccupations. Généralement, des
spectacles valorisant différents aspects de la culture
sénégalaise, des dîners, des conférences mais
également de nombreuses activités sportives sont proposés
aux participants durant quatre jours. L'ABESS propose aussi sur son site web
des liens permettant d'accéder à des journaux
sénégalais diffusant des versions en ligne, notamment Le
Quotidien, L'Observateur, Le Soleil, Sud Quotidien. Des liens existent aussi
pour consulter les sites portails
Seneweb.com et
SénégalOnline. Les sites web du gouvernement du
Sénégal et de
l'université Cheikh Anta Diop de Dakar sont
également accessibles aux internautes à travers ce site.
Pour les anciens étudiants de Bordeaux, le site
représente en fait une sorte de lien avec la communauté
estudiantine sénégalaise de Bordeaux. Autrement dit, le site
constitue pour eux une passerelle permettant de se tenir au courant des
activités de la communauté estudiantine sénégalaise
de Bordeaux. Mais de plus, à travers le site, ils peuvent partager leurs
expériences ou donner des conseils à leurs jeunes camarades. Pour
les plus nostalgiques, le site leur permet de se remémorer leur vie
d'étudiant en Gironde et aussi parfois d'avoir des nouvelles des amis
qui s'y sont établis.
Site web 18. Site web de l'ABESS
293
A Pau, la deuxième ville étudiante d'Aquitaine,
les étudiants sénégalais se sont aussi rassemblés
au sein d'une association dénommée solidarité
étudiante sénégalaise (SOLES). Son objectif principal est
le développement d'un réseau de solidarité entre les
étudiants sénégalais afin de contribuer à rendre
plus facile l'intégration des nouveaux étudiants dans la ville de
Pau. Ensuite, il s'agit de favoriser le dialogue interculturel en mettant
l'accent sur le renforcement des relations avec les autres associations. A ce
jour, SOLES n'a pas encore de site web sur Internet.
294
A Toulouse, les étudiants sénégalais se
sont réunis au sein de l'Association des Stagiaires et Etudiants
Sénégalais de Toulouse (ASEST). Mise en place le 05 septembre
1986, l'ASEST vise essentiellement « à informer, orienter et
divertir la communauté estudiantine sénégalaise de
Toulouse ». Mais elle se fixe également comme mission d'apporter sa
pierre à l'édifice pour la valorisation et la vulgarisation de la
culture sénégalaise dans l'espace toulousain en particulier et
dans toute la région Midi-Pyrénées en
général. Pour faciliter davantage l'intégration des
étudiants sénégalais dans la ville de Toulouse, elle a mis
en ligne son site web dans lequel on peut trouver des informations
destinées aux nouveaux étudiants qui souhaitent avoir des
renseignements sur les démarches pour acquérir un logement,
obtenir un titre de séjour, procéder à l'inscription
universitaire, ouvrir un compte bancaire. Le site propose également une
liste d'adresses utiles, en l'occurrence celles du consulat du
Sénégal à Paris (Service de gestion des étudiants),
du CROUS de Toulouse et de la Préfecture de la Haute Garonne, les
adresses de la Caisse d'Allocations Familiales (CAF), du Centre Régional
d'Information Jeunesse (CRIJ) et de la Mairie de Toulouse, les adresses de Vitt
Avi (mutuelle partenaire de l'Association), des universités toulousaines
et des restaurants universitaires et autres lieux de restauration, les adresses
pour obtenir de petits Jobs « étudiants », des lieux de sport
et de détente. Par ailleurs, une description de la ville de Toulouse est
réalisée sur le site web à travers le regard de Moussa
Thioye, un jeune étudiant « séné-toulousain »,
c'est-à-dire qui est biculturel. Chaque année, l'ASEST organise
des manifestations culturelles pour faire découvrir et connaître
la culture sénégalaise aux toulousains qui peuvent non seulement
se procurer à présent des informations sur le site, mais aussi
communiquer avec les membres de l'association. Ce site web constitue par
conséquent une vitrine formidable pour, d'une part, faire
connaître l'ASEST ainsi que ses activités et, d'autre part, pour
faire entendre leur message à leurs parents restés dans leur pays
d'origine et aux instituts d'enseignements. Ce site constitue ainsi un
intérêt capital pour les futurs et les nouveaux étudiants
sénégalais dans les universités toulousaines. Il constitue
un moyen particulièrement efficace pour s'adresser aux nouveaux
étudiants et pour leur donner des conseils extrêmement importants
dans la réussite de leur parcours universitaire. Il contribue
également à la bonne marche de l'association en donnant un plus
grand retentissement à ses activités et manifestations mais aussi
en offrant l'opportunité de recueillir d'éventuelles critiques et
suggestions pouvant contribuer, de ce point de vue, à améliorer
son fonctionnement et son organisation.
295
Site web 19. Site web de l'ASEST
7.1.2 Dans le sud-est de la France
Le sud-est de la France attire une importante
communauté sénégalaise. Selon nos observations, c'est la
deuxième région d'implantation des Sénégalais
après le nord de la France, caractérisé par une forte
concentration des Sénégalais en Ile-de-France plus
particulièrement.
7.1.2.1 En Provence -Alpes-Côte d'Azur
Cette région, située au sud-est de la France,
est caractérisée par une forte implantation de communautés
étrangères. Parmi elles, on trouve une importante
communauté sénégalaise dont de nombreux étudiants
répartis essentiellement dans les universités d'Aix-Marseille, de
Nice, d'Avignon et de Toulon. Dans chacune de ces villes, les étudiants
se sont réunis au sein d'une association pour répondre à
leurs aspirations d'entraider et d'insertion sociale. Les étudiants
sénégalais inscrits dans les universités d'Aix-Marseille
se sont rassemblés autour de l'Association des Etudiants
Sénégalais d'Aix-Marseille (AESAM). A Nice, ils ont
constitué l'Association des Etudiants Sénégalais de Nice
(ADESEN). A Toulon, ils se sont regroupés autour de l'Association des
Etudiants Sénégalais de Toulon et du Var (AESTV). En raison de
leur nombre
296
relativement faible à Avignon, ils ont formé
avec d'autres étudiants africains l'Association des Etudiants Africains
d'Avignon (AEAA). Pour le moment, seules l'AESAM et l'ADESEN ont
développé un site web sur Internet.
L'AESAM vise précisément à rassembler les
étudiants et stagiaires sénégalais résidant dans
les deux principales villes des Bouches-du-Rhône, Marseille et
Aix-en-Provence, dans un cadre convivial d'entente, d'échanges et de
solidarité. Sur son site web, l'ADESEN déclare oeuvrer pour le
raffermissement des liens entre étudiants sénégalais et
aussi pour le rapprochement avec les familles sénégalaises
établies dans la commune de Nice. Elles ont donc pour mission
essentielle, d'une part d'assurer l'épanouissement culturel et social de
la communauté estudiantine sénégalaise réunie dans
les établissements universitaires des académies d'Aix-Marseille
et de Nice et, d'autre part de défendre ses intérêts
matériels et moraux.
L'AESAM s'efforce d'apporter, à travers son site web,
toutes les informations nécessaires en vue de faciliter
l'intégration des nouveaux étudiants. Consciente des
difficultés et des obstacles rencontrés par les nouveaux
étudiants en particulier pour obtenir un logement en résidences
universitaires, l'AESAM se propose de leur fournir sur son site des
informations sur les procédures d'attribution d'un logement au CROUS.
Des indications sont en effet fournies sur le lieu de retrait des dossiers de
demande de logement et les justificatifs nécessaires. Il y a ensuite des
informations sur les démarches à effectuer afin de s'inscrire
à l'université ou pour obtenir une exonération des droits
de scolarité. D'autres informations concernent les conditions
d'obtention de la carte de séjour temporaire, en particulier où
retirer le dossier et par quel moyen le faire parvenir à la
préfecture.
Il existe aussi des informations sur les lieux où l'on
peut occasionnellement se consacrer à des activités ludiques ou
culturelles. Il s'agit principalement des nombreux lieux naturels touristiques
qui s'étendent le long des côtes de la méditerranée
tels que les calanques marseillaises, les plages du parc balnéaire du
Prado, le massif montagneux de Saint-Cyr, etc. Les villes d'Aix-en-Provence et
de Marseille comptent également de nombreux édifices, monuments
et musées à visiter comme la cathédrale Saint-Sauveur, la
basilique Notre-Dame de la Garde, le musée des docks, etc. Les
passionnés de football
297
peuvent se rendre au célèbre stade
Vélodrome et communier avec les supporters de l'Olympique de
Marseille.
Le site web de l'AESAM contient également un forum,
Keppar gui, où les étudiants ont la possibilité
d'échanger sur l'actualité de leur pays d'origine, sur des
thèmes comme le retour au pays, les problèmes de logements
à Aix et à Marseille, de bourses, etc. Des offres d'emploi en
France et au Sénégal sont aussi à la disposition des
étudiants dans la rubrique « Vos annonces ». Enfin, le site
web propose des liens vers les différentes universités et le
CROUS d'Aix-Marseille et aussi celui de l'ambassade du Sénégal
à Paris. En outre, comme les étudiants sont parfois amenés
à suivre des cours dans les deux villes, des informations concernant les
systèmes de transport urbain et scolaire et permettant d'effectuer la
navette entre les villes de Marseille et d'Aix-en-Provence sont
également disponibles sur le site.
Site web 20. Site web de l'AESAM
L'ADESEN a créé un site web pour répondre
au besoin d'une meilleure information sur les activités culturelles et
sportives organisées par les étudiants sénégalais
établis à Nice. En affichant sur la page d'accueil les devises et
les drapeaux de leurs pays d'origine et d'installation, on constate que les
étudiants sénégalais de Nice témoignent
298
parfaitement de leur appartenance à deux territoires
distincts. Les photos prises à l'occasion des spectacles, des animations
ou autres manifestations sont disponibles et visibles sur le site. Des
échanges autour des thèmes économiques, sociaux et
politiques relatifs à l'Afrique et au reste du monde se déroulent
dans le forum. Les étudiants peuvent ainsi intervenir et exprimer leurs
points de vue. De même, des liens sont proposés pour se connecter
aux universités sénégalaises et françaises, en
particulier au site de l'université de Nice. Des liens permettent
également de consulter les sites du CROUS, de la CAF, du SNCF et aussi
quelques journaux sénégalais et français comme
Sudonline.sn, Rts.sn,
Lesoleil.sn,
Lemonde.fr,
Nicematin.fr...
Site web 21. Site web de l'ADESEN
7.1.2.2 En Rhône-Alpes
La région Rhône-Alpes concentre également
une forte population d'étudiants sénégalais,
répartis principalement dans les agglomérations de Lyon et
Grenoble.
L'Association des Etudiants et Stagiaires
Sénégalais de Grenoble (AESSG) a été fondée
le 15 décembre 1986. Comme on peut le constater sur le site web, elle a
pour objectifs « de faire découvrir le Sénégal et sa
culture, de défendre les intérêts des étudiants
sénégalais poursuivant leurs études supérieures
à Grenoble, d'accueillir les nouveaux
étudiants et d'assurer l'animation culturelle et
sportive du milieu ». Le site web est utilisé pour diffuser le
informations relatives aux manifestations culturelles (journées
culturelles), sportives (tournois de football) et ludiques organisées
par l'association à l'occasion par exemple de la journée
d'intégration ou yendu de bienvenue des nouveaux étudiants ou de
la célébration des fêtes religieuses, notamment la
korité et la tabaski. La galerie photo est le lieu d'exposition des
photos prises généralement au moment des manifestations
culturelles organisées à Grenoble ou dans les autres villes de
France comme au moment du « Grand Sud ». L'AESSG propose aussi une
radio en ligne. Des liens existent aussi pour consulter les sites web de ces
partenaires à Grenoble, notamment les établissements
universitaires (Joseph Fourier, Pierre Mendès France, Stendhal, Groupe
Grenoble INP) et le Conseil général de l'Isère, mais aussi
des sites web sénégalais tels que les sites portails
Seneweb.com,
Homeviewsenegal.com,
Senegalaisement.com, de
quelques médias sénégalais (
Lesoleil.sn et Rts.sn,
Lequotidien.sn,
Sudonline.sn,
2Stv.net...) et africaine (
Jeuneafrique.com). Il y a aussi un
formulaire en ligne à remplir par les étudiants qui souhaitent
bénéficier du tutorat et du soutien des étudiants
disposés à les aider dans les études et le guide pratique
pour réussir ses études à Grenoble.
Ce site web dont le webmaster s'appelle Idrissa Dieng,
doctorant en informatique à l'université Joseph Fourrier de
Grenoble, figure incontestablement parmi les meilleurs sites d'associations
sénégalaises que nous avons consultés.
299
Site web 25. Site web de l'AESSG
300
7.1.3 Dans le sud de la France
Fondée en 1989, l'ASH regroupe environ 3000
Sénégalais composés principalement d'étudiants et
de travailleurs. Comme on peut le noter sur le site, elle se fixe pour
objectifs « de défendre les intérêts matériels
et moraux de ses membres, de consolider la fraternité et la
solidarité agissante entre eux, de promouvoir la culture
sénégalaise et d'encourager les échanges culturels avec la
population montpelliéraine ». Ainsi chaque année, l'ASH
organise des journées culturelles durant le mois d'avril afin de faire
découvrir la diversité culturelle de la société
africaine et plus particulièrement sénégalaise. Ces
manifestations constituent un des aspects de la participation de la
communauté sénégalaise à l'animation
socioculturelle dans la ville de Montpellier. Dans le cadre de ses
activités sociales, l'ASH et le CROUS de Montpellier ont établi
une convention qui lui permet de disposer exactement de douze chambres mises
à la disposition exclusive des nouveaux étudiants pour faciliter
leur accueil et leur intégration. Les étudiants souhaitant en
bénéficier peuvent trouver les modalités d'attribution sur
le site. L'ASH se sert de son site web surtout pour informer et communiquer sur
ses activités, notamment l'édition de la semaine culturelle
organisée cette année. Une rubrique entière est d'ailleurs
consacrée uniquement à l'organisation de cette manifestation. Par
ailleurs, un forum a été mis en place en vue de favoriser les
échanges et débats sur des sujets tels que l'unité
l'africaine, la situation politique au Sénégal, etc.
301
Le site propose aussi des liens permettant d'accéder
à la télévision nationale sénégalaise RTS
ainsi qu'aux chaînes de télévision privée 2STV et
Walf TV. Pour vulgariser davantage ses activités et se donner plus de
visibilité, l'ASH a également investi les réseaux sociaux
en ligne, notamment Facebook et hi5.
Site web 23. Site web de l'ASH dans
l'Hérault
7.1.4 Dans le nord de la France
Il est nécessaire de préciser que les
universités implantées dans les villes du nord de la France
accueillent une forte population d'étudiants sénégalais.
Et cela est encore plus vrai quand l'on sait le nombre important
d'étudiants sénégalais inscrits précisément
dans les universités de l'académie de Lille. Par ailleurs, comme
on le relève sur le site, pour exprimer leur volonté « de se
serrer les coudes, de s'entraider et se soutenir mutuellement, de partager
ensemble les moments de souffrances et de joie », les étudiants se
sont réunis ensemble au sein de l'Association des Etudiants
Sénégalais du Nord (AESN). Comme il est indiqué sur la
page d'accueil, l'AESN a mis en place son site web plus particulièrement
pour informer et communiquer régulièrement sur ses
différentes activités. C'est d'ailleurs dans cette optique que
les contenus et rubriques proposés sont essentiellement
constitués par des informations pratiques et des espaces de rencontres
et de discussions comme les forums et les chats. A ce titre, les nouveaux
étudiants peuvent
302
trouver sur le site toutes les informations dont ils ont
besoin pour accomplir tout d'abord leurs inscriptions administratives et
pédagogiques dans les universités lilloises, puis pour obtenir
une couverture sociale ou une couverture médicale universelle et ensuite
pour régulariser leurs situations de séjour. D'autre part, en se
rendant dans la galerie, le visiteur peut visualiser les photos prises lors de
l'accueil organisé en faveur des nouveaux arrivés au cours de
l'année scolaire 2008-2009. De même, il a également la
possibilité de visualiser les photos prises lors des manifestations
culturelles, notamment les séances de tam-tam organisées dans la
ville de Roubaix. En outre, on constate, à travers le site, que l'AESN a
également noué des relations de partenariat avec une structure
internationale comme l'opérateur de transfert d'argent Western Union, et
avec des structures locales comme la mutuelle étudiante SMENO,
le CROUS de Lille et le consulat du Sénégal à
Lille.
Site web 24. Site web de l'AESN
L'autre association d'étudiants
sénégalais établis au nord de la France qui a retenu notre
attention est celle regroupant essentiellement des étudiants qui sont
dans les écoles prestigieuses comme l'École supérieure
d'électricité (Supélec), Pont et chaussées,
l'École Centrale de Paris, l'École nationale supérieure
des télécommunications (Télécom
303
ParisTech), Ingénieurs 2000, École
Polytechnique... L'Association des Etudiants Sénégalais des
Grandes Ecoles (AESGE), dont le siège se trouve dans la rue des
Tournelles à Paris dans le IIIe arrondissement, a été
fondée en 2005. De façon générale, elle vise
à unir les étudiants actuels et les anciens étudiants
sénégalais des grandes écoles françaises autour de
solides liens de fraternité d'une part et, d'autre part à
promouvoir « le label Sénégalais des grandes écoles
aussi bien auprès des multinationales que des entreprises
sénégalaises ». Le site constitue en fait une sorte de
vitrine où l'AESGE présente ses différents projets et
programmes. C'est le cas notamment des programmes « Récup + »
consistant à collecter des matériels inutilisés dans les
laboratoires français pour équiper les laboratoires
sénégalais qui en sont dépourvus, « Parrainage
éducation » consistant à faire parrainer des enfants issus
des zones rurales par des lycéens ou des étudiants et le projet
« Medicollecte » consistant à collecter et expédier des
médicaments vers les hôpitaux sénégalais qui en
manquent. Il s'agit, en somme, pour l'AESGE de se servir du web pour donner
plus de visibilité à ses différentes activités. Par
ailleurs, les pages « Forum » et « Livre d'or »
témoignent de la volonté de communiquer de l'association. Ces
rubriques sont aussi des espaces dans lesquels les anciens étudiants
sénégalais des grandes écoles françaises peuvent
prodiguer des conseils aux nouveaux. Ce sont des espaces d'échanges
d'idées, des espaces où les uns et les autres peuvent
évoquer leurs difficultés et y trouver éventuellement de
l'aide.
Site web 25. Site web de l'AESGE
304
7.1.5 Dans le nord-ouest de la France, en Bretagne et
Normandie
En Bretagne, les étudiants sénégalais ont
mis en place l'Association des Etudiants Sénégalais et
Sympathisants de Brest (ASEB) en février 2002. L'ASEB a pour mission
d'assurer le bien-être de ses membres, de faciliter l'accueil et
l'intégration des nouveaux étudiants en Bretagne, d'assurer la
promotion de la culture sénégalaise dans cette région
située au nord-ouest de la France, et plus particulièrement dans
la ville de Brest. Ainsi pour remplir sa mission de représentante
chargée de la promotion de la culture sénégalaise dans la
région Bretagne, l'ASEB organise un week-end culturel (la Nuit du
Sénégal) et aussi participe au Festival Breizh
Africa141. Par ailleurs, l'ASEB intervient aussi dans le secteur
humanitaire à travers des opérations de collecte de manuels
scolaires pour l'édification d'une bibliothèque à
l'école élémentaire Nguidile de Louga mais
également à travers une collecte de médicaments
destinés à une structure de protection de la santé
maternelle et infantile au Sénégal. De ce qui
précède, on se rend compte que le site est une vitrine où
l'ASEB présente quelques unes de ces activités effectuées
principalement dans les domaines culturel et humanitaire.
En outre, il y a sur le site des informations relatives
notamment aux documents nécessaires pour l'établissement, la
prorogation ou le renouvellement d'un passeport sénégalais. Pour
les choix des formations académiques dans les établissements
d'enseignement supérieur en France, des liens sont disponibles. Il
s'agit des liens vers deux sites d'organismes publics français Egide et
Onisep et du répertoire des écoles doctorales et unités de
recherches françaises. Par ailleurs, il y a également des
renseignements sur les démarches à effectuer pour la demande de
pré-inscription, sur la procédure et les documents à
fournir pour la demande de visa, et aussi sur les formalités
administratives et pédagogiques à accomplir à
l'arrivée de l'étudiant en France ainsi que sur la vie pratique
de l'étudiant, en particulier la recherche de logement, l'ouverture d'un
compte bancaire, les endroits où se restaurer, les jobs pour
étudiants, les adresses utiles dans la ville de Brest
(l'Université de Bretagne Occidentale, les Mutuelles des Etudiants, le
CROUS, les transports en commun, la Mairie).
141 Ce Festival, organisé avec la collaboration
d'associations bretonnes et africaines les 17, 18 et 19 juin 2005 au parc des
expositions de Penfeld, visait essentiellement à réaliser un
brassage culturel afro-breton
305
Ainsi donc, l'ASEB met à profit les énormes
potentialités du web pour accueillir, informer, sensibiliser, guider et
aider les étudiants sénégalais pour qu'ils puissent
réussir leurs études à Brest en particulier et en France
en général.
Site web 26. Site web de l'ASEB
En Normandie, on y trouve également une forte
communauté sénégalaise implantée plus
particulièrement dans les villes du Havre, de Rouen et de Caen. De
même, la région compte beaucoup d'étudiants
sénégalais répartis essentiellement sur les
différents campus de ces trois villes. Dans chacune de ces villes, il
existe une association d'étudiants sénégalais. En effet,
à Rouen, ils sont réunis au sein de l'Association des
Sénégalais Etudiants à Rouen (ASER), au Havre, ils sont
regroupés autour de l'Association des Etudiants Sénégalais
du Havre (AESH) et à Caen au sein de l'Association des Etudiants
Sénégalais de Caen (AESC), la seule parmi elles à disposer
pour le moment d'un site web.
Comme il est noté sur le site, l'AESC est
destinée principalement « à faciliter l'accueil et
l'intégration des étudiants, à promouvoir et
développer le réseau des étudiants
sénégalais de Caen, à renforcer leur
contribution dans le développement scientifique, technologique et
économique du Sénégal et de la France, à promouvoir
la coopération, les échanges et le partenariat entre les
universités, les centres de recherche et les entreprises caennaises et
la communauté estudiantine sénégalaise ». A travers
les articles publiés sur le site et portant sur des sujets comme par
exemple l'insertion professionnelle des étudiants dans leur pays
d'origine à la fin de leurs études en France, la santé des
étudiants, le codéveloppement, on s'aperçoit que l'AESC
offre à ses membres une tribune, un espace d'expression où ils
peuvent émettre leurs opinions et partager leurs idées. On voit,
à travers les liens faisant référence à
l'environnement des étudiants en France, notamment université et
institut technologique, le CROUS, campus France, et animafac que l'AESC
manifeste une réelle volonté de contribuer à
l'intégration de la communauté sénégalaise
résidant à Caen. Dans la galerie photos, on peut y admirer
quelques édifices touristiques de la ville de Caen, en particulier la
place Saint-Pierre située en plein coeur de la ville,
l'université multidisciplinaire de Caen regroupant onze facultés
implantées à Caen et cinq antennes sur les communes de Cherbourg
connue pour son port militaire, notamment Alençon, Vire, Saint-Lô
et Lisieux. Les visiteurs du site peuvent également apprécier les
images de l'hôtel de ville, du château d'eau situé dans le
quartier de la Guérinière, du port de plaisance localisé
à Ouistreham près du centre-ville. Le pays d'origine est
également représenté à travers la presse que l'on
peut consulter sur le site afin de s'informer sur l'actualité
sénégalaise. Ainsi, des liens permettent l'accès aux sites
d'informations généralistes comme les sites portails Seneweb et
Xibar, le site du journal en ligne Rewmi, le site Archipo et aussi les sites
des journaux tels que Le Quotidien et L'Observateur ainsi que ceux permettant
d'écouter les radios privées Sud Fm et RFM.
306
Site web 27. Site web de l'AESC
307
7.1.6 Dans le nord-est de le France : l'Amicale des
Etudiants et Stagiaires de Strasbourg (AESS)
En raison notamment de leur proximité avec la
région parisienne, de nombreux étudiants sénégalais
poursuivent leurs études principalement dans les villes de Reims, Metz,
Nancy, Strasbourg et Amiens au nord-est de la France. En Champagne-Ardenne, les
étudiants sénégalais sont regroupés au sein de
l'Association Rémoise des Etudiants Sénégalais (ARES),
considérée comme une des associations d'étudiants
sénégalais en France les plus dynamiques. En Lorraine, ils ont
constitué une association appelée Association des
Sénégalais Etudiants à Nancy (ASENA) et à Metz, ils
se sont réunis avec les étudiants Mauritaniens pour former
ensemble l'Association des Etudiants Sénégalais et Mauritaniens
de Metz (AESMM). Dans la région Picardie, ils ont constitué
l'Association des Etudiants Sénégalais d'Amiens (AESA).
Malgré leur dynamisme socioculturel, on observe cependant une faible
présence de ces associations sur le web. Dans cette partie de la France,
le seul regroupement d'étudiants sénégalais ayant investi
à l'heure actuelle le cyberespace pour mettre en ligne son site Internet
est l'Amicale des Etudiants et Stagiaires Sénégalais de
Strasbourg (AESSS).
L'objectif principal de l'AESSS consiste à se doter
d'un cadre propice à l'épanouissement individuel et collectif des
étudiants et stagiaires sénégalais résidant dans
la ville de Strasbourg. Elle a également pour mission
de maintenir et renforcer non seulement les liens de fraternité et
d'amitié entre Sénégalais, mais aussi avec les
étudiants d'autres nationalités. De même, elle cherche
à promouvoir des activités culturelles spécifiquement
sénégalaises, mais aussi en même temps à favoriser
des échanges interculturels afin de mieux faire connaître le
Sénégal auprès des Strasbourgeois en particulier, et des
Alsaciens en général. Aujourd'hui, l'AESSS ne se limite plus
uniquement à l'accueil et au regroupement des étudiants
sénégalais. Elle compte désormais acquérir une plus
grande audience et une plus grande visibilité dans le paysage associatif
alsacien. Une politique d'ouverture a par conséquent été
initiée dans ce sens. En outre, pour donner une nouvelle dimension aux
manifestations de l'Association, des relations de partenariat ont
été établies avec les trois universités de la ville
de Strasbourg, le CROUS, le Crédit Mutuel, la mairie de Strasbourg et la
Mutuelle Générale des Etudiants de L'est (MGEL).
Il s'agit donc à travers le site de faire
connaître l'AESS, de diffuser et permettre l'accès plus facile aux
informations relatives aux activités culturelles organisées par
l'association et contribuer à une meilleure intégration des
ressortissants sénégalais vivant en Alsace. Cependant, le site
souffre d'un gros handicap car les mises à jour nécessaires n'ont
pas été effectuées depuis 2005. Le site offre aux
internautes la possibilité de visualiser une centaine de photos
souvenirs prises à l'occasion des soirées de gala, expositions
culturelles, manifestations sportives, etc.
308
Site web 28. Site web de l'AESSS en Alsace
309
7.1.7 Dans le centre de la France
Cette région compte une importante communauté
estudiantine sénégalaise répartie essentiellement dans les
villes de Tours et d'Orléans. En fait, à Tours, ils se sont
rassemblés dans l'Association des Etudiants Sénégalais de
Tours (AEST) et à Orléans, les étudiants ont
constitué l'Association des Etudiants Sénégalais
d'Orléans (AESOR). Toutefois, les étudiants
sénégalais sont également présents en Bourgogne au
sein de l'Association des Etudiants Sénégalais de Bourgogne
(AESB). A Limoges, ils sont réunis au sein de l'Association des
Etudiants Sénégalais de Limoges (AESL) et dans l'Association des
Sénégalais de Clermont-Ferrand (ASC) en Auvergne. Cependant,
seules l'AEST et l'ASC sont pour le moment localisées dans le
cyberespace.
Formée en avril 1988, l'AEST vise à promouvoir
le rassemblement des étudiants sénégalais de Tours autour
d'un cadre structuré et permanent. Elle a principalement pour mission
l'amélioration des conditions de vie et la réussite des
études de ses membres ainsi que la promotion de la culture
sénégalaise auprès de la population tourangelle. Chaque
année, tous les Tourangeaux sont conviés à participer aux
activités culturelles et aux fêtes religieuses organisées
par l'association. C'est par conséquent dans le but de promouvoir
davantage ses manifestations culturelles que l'AEST avait envisagé,
depuis quelques années, la création d'un site web. Ce souhait
sera finalement réalisé par trois étudiants
310
français de l'Institut d'Administration des Entreprises
de Tours (Virginie Aubard, Jean-Daniel Etoukey et Fabien Hosatte) dans le cadre
de leur projet informatique durant l'année universitaire 1999-2000. Pour
ces trois étudiants, le choix de consacrer leur projet informatique
à la création du site de l'Association des Etudiants
Sénégalais de Tours « se justifie d'une part, par
l'importance de plus en plus grande de l'utilisation des outils de
l'information comme Internet pour informer et sensibiliser une majorité
de personnes réparties aux quatre coins du globe »142
et, d'autre part par un choix affectif avec comme objectif à atteindre
de contribuer à l'essor d'une association étudiante dont les
moyens financiers sont relativement modestes et dont le potentiel humain
n'arrive pas à exprimer pleinement toutes ses possibilités. En
outre la démarche de ces étudiants est motivée en
particulier par leur forte volonté de se familiariser avec « les
outils et les processus de création de pages HTML, l'hébergement
et la mise à jour du site Web »143.
Le site constitue un espace d'information sur les
activités de l'AEST. Il s'agit ainsi d'un espace destiné à
faire la promotion ou la publicité des programmes culturels et aussi
à mettre en relief les projets en perspective. C'est aussi un lieu
destiné à prévenir les membres de l'association de la
tenue des réunions prévues. Il propose également des
articles sur le Sénégal, son histoire, ses ressources, sa
population, la société et l'économie. Quelques extraits
vidéo des soirées clôturant les semaines culturelles
organisées par l'AEST, ou des photos de défilés de tenues
vestimentaires traditionnelles ainsi que quelques objets d'art
sénégalais ou africains peuvent également être
visualisés sur le site. Malheureusement, la construction de ces pages
n'est pas encore terminée depuis sa création en 2000. De
même, des images du Sénégal peuvent être
visualisées par les visiteurs du site. Les auteurs ont mis à la
disposition des membres de l'AEST un espace pouvant recueillir leurs
différentes études ainsi que les projets effectués durant
les semaines culturelles. Ce site constitue en fait un formidable exemple de
coopération entre étudiants sénégalais et
français de la ville de Tours. Ces derniers ont ainsi mobilisé
toute leur énergie et leur savoir-faire pour permettre à l'AEST
« d'être présent sur le Web et de pouvoir satisfaire une
partie de ses objectifs au travers d'Internet »144. Cette
solidarité se manifeste aussi par la volonté des auteurs de
donner une formation au langage HTML à quelques membres de l'association
qui pourront continuer à faire vivre le site.
142 V. Aubard, J-D. Etoukey, F. Hosatte, Création du
Site Web de l'AEST, Projet Informatique, année universitaire
1999-2000.
143 V. Aubard, J-D. Etoukey, F. Hosatte, op cité.
144 V. Aubard, J-D. Etoukey, F. Hosatte, op cité.
311
Site web 29. Site web de l'AEST
Formée en 1991, l'Association des
Sénégalais de Clermont-Ferrand (ASC) mobilise ses actions
essentiellement autour de l'accueil des nouveaux étudiants
sénégalais, l'intégration de la communauté
sénégalaise et plus particulièrement estudiantine, et
aussi le rayonnement de la culture sénégalaise en Auvergne. Elle
assiste les nouveaux étudiants dans leurs démarches et autres
formalités administratives, notamment l'inscription à
l'université, l'obtention de la couverture sociale, la
régularisation de la situation de séjour. En outre, diverses
activités sont initiées en faveur de la promotion de la culture
sénégalaise dans la ville de Clermont Ferrand. C'est ainsi que
l'ASC organise des activités telles que la « semaine culturelle
sénégalaise », des soirées dansantes, des repas lors
des fêtes de Korité et de Tabaski, mais également elle
participe à des manifestations comme « Clermont fête ses
étudiants », la « semaine africaine » organisée
par la Mission des Relations Internationales de la mairie de Clermont Ferrand,
la « journée africaine » organisée par l'association
humanitaire ALBAOBAB. L'ASC participe aussi à des manifestations
pédagogiques comme la « semaine étudiante du commerce
équitable » ou politiques comme la « semaine contre le racisme
».
312
Par ailleurs, dans le but de développer sa politique de
communication, elle a mis en place sur son site une page « Chat » et
une page « Livre d'or ». Les internautes qui ont signé le
« Livre d'or » sont pour la plupart des étudiants
sénégalais établis dans d'autres villes françaises.
Les messages laissés sur le site sont surtout des messages de
félicitations et d'encouragements. Pour certains, ce site,
créé par leur compatriote Djibi, « prouve que le
Sénégal peut compter sur ses fils pour être au diapason de
l'évolution du monde et s'y intégrer sans complexe ». Pour
d'autres, il constitue « une bonne initiative pour fédérer
l'ensemble de la communauté des étudiants
sénégalais », « favoriser de plus en plus de rencontres
au sein de la communauté sénégalaise ». De plus, ce
site est à bien des égards « un nouveau lieu de rencontre et
de rapprochement » qui permet « de représenter le
Sénégal partout dans le monde ». Pour un internaute du nom
de Pierre, ce site constitue avant tout « une bonne initiative pour
permettre aux Clermontois de mieux connaître l'association des
étudiants sénégalais ».
Site web 30. Site web de l'ASC
7.2 Les associations des confréries musulmanes
sénégalaises
Le Sénégal est un pays peuplé très
majoritairement de musulmans adhérant pour la plupart à des
confréries, dont les principales sont les tidjanes, les mourides, les
khadirs et les layènes. Largement répandus dans le pays avec
près de 51% de la population, les
313
tidjanes sont essentiellement représentés par
les descendants du marabout Elhadj Malick Sy à Tivaouane et par ceux du
marabout Baye Niass dans la ville de Kaolack. Fortement
représentés au sein de la diaspora, les disciples mourides de
Cheikh Ahmadou Bamba ont investi toutes les places fortes de l'économie
mondiale dans lesquelles ils tentent de se constituer leur « little Touba
». C'est ainsi que l'on trouve le mot Touba associé quasiment
à toutes les villes importantes dans le monde: Touba Paris, Touba New
York, Touba Londres, Touba Milan, Touba Madrid, Touba Tokyo, etc. En France,
Touba a investi quasiment toutes les villes de l'Hexagone. On y trouve Touba
Bordeaux, Touba Pau, Touba Toulouse, Touba Aix-Marseille, Touba Lyon, Touba
Grenoble, Touba Lille, Touba France Aulnay, etc. A présent Touba, le
symbole du mouridisme, s'est massivement invitée sur le web. La
confrérie des khadirs, la plus ancienne confrérie
sénégalaise fut introduite au Sénégal par le
marabout Cheikh Bou Kounta dont les successeurs se trouvent aujourd'hui dans la
cité religieuse de Ndiassane à Thiès. Les disciples
layènes sont surtout originaires des villages lébous de Dakar, en
particulier Yoff, lieu de rassemblement de la communauté à
l'occasion de la célébration annuelle de l'appel du marabout
Seydina Limamou Laye, le fondateur de la confrérie.
La confrérie est un aspect fondamental de la migration
sénégalaise. Elle est présente à tous les niveaux
du processus migratoire, du départ jusqu'à l'arrivée en
passant par les étapes de l'hébergement et de l'activité
exercée dans le pays d'installation. L'émergence du
phénomène confrérique dans la migration
sénégalaise remonterait, selon Fatou Gassama145,
à la première guerre mondiale avec l'arrivée des
tirailleurs sénégalais. Depuis cette date, les
Sénégalais ont toujours entretenu une vie religieuse relativement
intense dans leur pays de migration. Aujourd'hui, toutes les confréries
(mouride, tidjane, layène, khadir) sont représentées dans
la migration internationale sénégalaise. Mais la confrérie
mouride constitue sans aucun doute la confrérie la plus influente et la
plus visible, celle dont les membres sont les plus nombreux dans la diaspora
sénégalaise. La dissémination massive des disciples
mourides à travers le monde a permis à la confrérie
d'acquérir aujourd'hui une dimension quasi planétaire et ainsi
une plus grande notoriété.
145 Dans sa thèse de doctorat d'histoire soutenue
à Lille en 2005 sur « L'immigration sénégalaise en
France de 1914 à 1993 : étude de l'implantation et du rôle
des confréries musulmanes sénégalaises ».
314
7.2.1 Une forte prédominance des associations
mourides
Comme nous l'avons précédemment souligné,
l'appartenance confrérique, mouride en particulier, a été
l'élément moteur ou le « push factor » dans la
réalisation du projet migratoire pour la grande majorité des
migrants modou-modou notamment. L'appartenance mouride leur a permis
en effet d'accéder aux moyens financiers permettant de payer le voyage,
de bénéficier par exemple des filières mourides
implantées en France, en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis et dans le
reste du monde pour leur accueil et leur intégration dans le tissu
socio-professionnel au sein des différentes villes
d'établissement. Devant l'ampleur de la migration en masse et à
un rythme de plus en plus rapide vers les pays occidentaux des disciples ou
talibés au cours de la décennie 1980-1990, certains responsables
de la confrérie mouride ont senti la nécessité de se
rapprocher davantage des fidèles. Il fallait en effet les réunir
dans leurs lieux d'installation et les organiser au profit d'une expansion
cohérente de la confrérie et aussi dans le but de mieux
maîtriser la dispersion de ses disciples.
Pour les migrants mourides, surtout modou-modou, il
est fondamental de vivre, même dans la mobilité, leurs pratiques
religieuses et entretenir leurs fibres confrériques, c'est-à-dire
leur mouridité. Pour eux, la confrérie est en quelque sorte une
soupape de sécurité et un facteur d'unification. La migration est
non seulement un moyen d'acquérir des ressources permettant de
participer au développement de la cité religieuse de Touba, haut
lieu emblématique du mouridisme, mais aussi une opportunité pour
vulgariser les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba auprès des
populations locales dans les pays d'installation. Aujourd'hui, le
prosélytisme et le dynamisme de la confrérie mouride ont
largement contribué à donner une plus grande visibilité et
aussi un plus grand retentissement à la migration internationale
sénégalaise. On assiste de ce fait à un foisonnement
d'associations mourides au sein de la communauté des
Sénégalais de l'extérieur.
Par ailleurs, afin de communier et magnifier plus largement la
vie et l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba, de divulguer ses enseignements, de
stimuler l'adhésion d'autres populations et de renforcer le rayonnement
transnational de la confrérie mouride, les talibés se mettent au
diapason des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Internet devient pour certaines associations mourides, une vitrine permettant
de donner une envergure planétaire à la confrérie. C'est
ainsi qu'on assiste à
315
la création d'un nombre important de sites web par des
associations de migrants mourides.
Aujourd'hui, les sites qui oeuvrent pour le prestige de la
confrérie mouride sont de plus en plus nombreux. Ces sites ont en effet
été réalisés parfois sous la responsabilité
des marabouts ou de simples talibés, mais le plus souvent ils ont
été mis en place par des dahiras basés surtout hors du
Sénégal. Il importe en effet de souligner que les dahiras
mourides implantés à l'étranger constituent l'immense
majorité des dahiras ayant une présence sur le web. Au
Sénégal, on note essentiellement la présence significative
sur le web du dahira des étudiants mourides, Hizbuth Tarquiyah. Ces
sites sont destinés avant tout à la diffusion de l'oeuvre et des
enseignements du fondateur de la confrérie, Cheikh Ahmadou Bamba. En
effet, comme le révèle Ibrahima Sarr146, le webmaster
du site de l'Association des Mourides de France, la réalisation de leur
site web résulte d'une volonté de contribuer à la
vulgarisation et à la diffusion de l'oeuvre, de la pensée et du
message universel de Cheikh Ahmadou Bamba.
Force est de reconnaître que la confrérie mouride
est actuellement très active sur Internet. En France, la plupart des
dahiras mourides ont effectivement investi Internet pour tirer profit de son
potentiel ainsi que de ses multiples opportunités. On constate en effet
que les dahiras des mourides implantés dans les différentes
villes de la France jouent un rôle actif dans le développement du
web sénégalais. Parmi les dahiras des mourides de France
présents sur le web, on peut citer l'Association Bordelaise des
Etudiants Mourides (ABEM), le dahira des étudiants mourides de Lille, le
dahira Touba Aix-Marseille, le dahira des mourides de Grenoble, le dahira des
mourides de Lyon, le dahira des mourides de Toulouse, le dahira des mourides de
Pau, etc. Autre illustration de ce dynamisme, c'est la présence
significative sur le web de la fédération des mourides de France
et aussi celle de l'Association des Mourides de France.
146 Ibrahima Sarr est l'administrateur du site web de
l'Association des Mourides de France. Dans sa correspondance
électronique du 26 décembre 2005, il précise que c'est un
groupement d'étudiants sénégalais établis à
Paris qui a été à l'origine de la création du site.
Créée en 1995, l'Association des Mourides de France, Al Khidmat
(qui signifie en arabe le Service) était présidée à
l'époque par un petit-fils de Serigne Touba. Aujourd'hui, la majeure
partie des membres fondateurs est rentrée au Sénégal.
Ibrahima quant à lui est resté à Paris où il
continue de gérer le site. La décision de créer le site a
été prise au moment de la fondation de l'association. Ibrahima
reconnaît que le site a apporté des changements dans
l'évolution de l'association. Il ajoute que le nombre de messages
d'encouragements et de félicitations reçus dans la page dans
laquelle se trouve le « Livre d'or » constitue pour lui un plaisir
personnel et l'encourage à mieux gérer le site.
316
En outre, à travers leurs contenus, il apparaît
que, plus concrètement, ces sites servent d'abord à faire
connaître le fondateur du mouridisme et participer à la diffusion
de son oeuvre. Ensuite, les sites permettent de connaître sa descendance
et les réalisations effectuées par chacun d'entre elle. Mais, on
peut dire que, d'une manière générale, ces sites jouent un
rôle prépondérant dans la diffusion des informations
liées aux différentes manifestations religieuses et culturelles
organisées aussi bien en France qu'au Sénégal ou dans les
autres pays rassemblant de fortes communautés mourides. Ces sites
permettent d'informer les disciples de l'arrivée des marabouts
importants de la confrérie comme celle organisée par exemple
à la maison « keur Serigne Touba d'Aulnay-sous-Bois ».
Certaines associations mourides utilisent leurs sites web pour le rappel des
contributions financières dont les membres doivent s'acquitter dans le
cadre de la réalisation de certains projets. C'est le cas de celle des
mourides de Bordeaux qui utilise son site web pour rappeler à ses
membres qu'ils doivent apporter leurs cotisations dans le cadre d'un projet
d'achat d'une maison « keur Serigne Touba » à
Marseille147. De ce point de vue, il nous paraît aussi
particulièrement important de souligner l'utilisation du web par
l'association des mourides de Toulouse pour informer les disciples mourides du
Téléthon organisé en vue de collecter de l'argent pour
l'achat de cette « maison Serigne Touba » à Marseille.
Les médiathèques regroupent souvent des
enregistrements audio et vidéo permettant d'écouter ou de
visualiser les sermons, discours et appels de l'actuel Khalife ou ceux
effectués par certains de ses prédécesseurs. Les appels
constituent des moments de rassemblement et de ferveur où le khalife
rappelle aux disciples certains enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. Mais, ce
sont aussi des occasions pour faire quelques recommandations à travers
les médias traditionnels (radios et télévision) et
désormais à travers Internet. Il s'agit en fait d'enregistrements
audio ou vidéo sur les journées de commémoration des
évènements mourides célébrés en France ou au
Sénégal. Les vidéos peuvent être ainsi des
commémorations célébrées par le collectif des
mourides de France (par exemple départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba
organisé à l'UNESCO) ou des causeries religieuses
organisées par les dahiras. Sur certains sites, les visiteurs ont non
seulement la possibilité d'écouter des khassaïdes, mais
également de les télécharger. Les photos prises à
l'occasion des fêtes religieuses ou des évènements comme le
Magal, la
147 Il s'agit en fait d'un projet de la
fédération des mourides du sud de la France, consistant à
l'achat d'une maison située dans le 14ème arrondissement de
Marseille, pour une valeur de 400.000 euros (soit 262.382.800 FCFA).
317
fête de Korité et celle de la Tabaski ou autres
manifestations culturelles sont aussi parfois entreposées dans les
médiathèques.
Généralement, chaque site propose des liens vers
d'autres sites web de dahiras mourides implantés en France, aux
Etats-Unis ou ailleurs. Il y a un autre aspect qu'il faut remarquer sur
quasiment tous les sites, c'est la présence des photos du fondateur de
la confrérie, des khalifes successifs et aussi celles de la ville de
Touba, sa mosquée en particulier. Certains sites se sont aussi
dotés d'un forum où les internautes peuvent s'exprimer et
échanger sur divers sujets relatifs au mouridisme en particulier. A
travers les messages enregistrés dans les « Livre d'or », on
perçoit à tel point les disciples mourides sont attachés
à la vulgarisation de l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. D'une
manière générale, les visiteurs des sites mourides
considèrent leur réalisation comme étant une mission parmi
celles que tout mouride doit entreprendre afin d'apporter sa pierre à
l'édifice liée à l'expansion du mouridisme et des
enseignements de son fondateur.
L'analyse des contenus de ces sites tend aussi à
montrer que contrairement à l'idée d'un prétendu repli
exclusif à la communauté, Internet témoigne des relations
pouvant exister entre les associations mourides et certains acteurs locaux dans
le pays de résidence. Dans un certain nombre de cas, Internet contribue
à rendre plus visible ces relations. C'est ainsi qu'il faut comprendre
les relations de partenariat nouées par exemple entre l'Association
Bordelaise des Etudiants Mourides et des établissements publics
français comme le CROUS et les municipalités de Bordeaux, Pessac,
Mérignac, Lormont et Cenon de même qu'avec la
société d'imprimerie et de sérigraphie Copy Sud
implantée à Agen dans le Lot-et-Garonne.
Parmi les sites des associations mourides de France, ceux des
associations mourides de Lille et de Marseille apparaissent comme les plus
intéressants autant au niveau de l'abondance et de la diversité
des contenus proposés (articles, enregistrements audio et vidéo,
liens disponibles...) que de la qualité graphique. Ils sont tous les
deux relativement facile à utiliser et les informations sur la
communauté présentent un grand intérêt.
318
Le site des mourides de Lille présente la
particularité de proposer une littérature intéressante sur
la communauté mouride. Dans la rubrique « Actualités »
du site, le visiteur peut y trouver quelques livres écrits sur Khadimou
Rassoul tels que celui de Didier Hamoneau, Vie et Enseignements de Cheikh
Ahmadou Bamba, celui du guide spirituel du mouvement tidjane des «
Moustarchidines », Cheikh Tidiane Sy, La confrérie
Sénégalaise des Mourides, celui de D.B. Cruise O'Brien,
The Mourides Of Sénégal. The Political and Economic
Organisation of an Islamic Brotherhood, etc.
Site web 31. Site web des étudiants mourides de
Lille
Le site du dahira Touba Aix-Marseille se différencie
des autres sites des associations mourides en France par l'importance des
formats audiovisuels utilisés. Le site diffuse les séances de
récitation des poèmes de Cheikh Ahmadou Bamba effectuées
non seulement par les différentes sections du dahira de Marseille,
notamment celle des enfants comme celle des adultes, mais aussi celles
effectuées par les membres de la fédération des mourides
de France. On peut les écouter ou les télécharger ainsi
que bien d'autres fichiers audio contenant des traductions et des discussions.
Il existe également une rubrique « Xibaar » consacrée
spécialement à l'actualité relative à la
communauté mouride. Les auteurs y présentent également les
biographies de Cheikh Ahmadou Bamba et de son fidèle compagnon Mame
Cheikh Ibrahima Fall ainsi que celles de ses khalifes. Ceux qui le souhaitent
peuvent se rendre dans le forum et discuter librement sur l'actualité
mouride et sur l'intégration des étudiants mourides en France, en
particulier à Aix-Marseille.
319
Site web 32. Site web des mourides de
Marseille
7.2.2 Les talibés de Cheikh Béthio Thioune,
les Thiantacounes sur
Santati.net
Aujourd'hui, on compte de nombreux disciples de Cheikh
Béthio Thioune, notamment parmi les migrants étudiants
sénégalais en France. Investi cheikh en 1987 par Serigne Saliou
Mbacké, Cheikh Béthio Thioune a acquis une forte audience
auprès de la jeunesse urbaine sénégalaise et plus
particulièrement dakaroise. Ces disciples sont plus connus sous le nom
de « Thiantacounes » dérivé du mot wolof « Thiant
», une spécificité mouride désignant des
manifestations en guise de remerciement et de reconnaissance. Par contre, les
« Thiant » célébrés par les « Thiantacounes
» sont plutôt des manifestations festives axées sur des
chants folkloriques et des danses. D'une manière générale,
on peut dire qu'ils sont apparus dans la diaspora sénégalaise en
France au début des années 2000. Aussi, il n'est pas rare de
trouver à présent dans presque chaque ville universitaire de
France comptant un nombre assez important d'étudiants
sénégalais des « Thiantacounes » structurés en
dahira. C'est le cas dans les villes comme Bordeaux, Reims, Paris, Toulouse,
Lyon, Grenoble, Lille, Valencienne, Nice... remarque Jean-François
Havard148. On compte aujourd'hui près de 26 dahiras sur le
territoire français
148 Havard, J-F. Le « phénomène »
Cheikh Béthio Thioune et le djihad migratoire des étudiants
sénégalais « Thiantakones ».
Disponible sur :
www.fasopo.org/pubilications/anthropologievoyagejfh1206.pdf.
Consulté le 27/04/2009.
320
affiliés au cheikh répartis en quatre
pôles : nord, centre, sud-ouest et sud-est. Généralement,
ces dahiras sont organisés quasiment de la même façon que
les dahiras mourides habituels. Ils sont dirigés par les «
diawrignes » qui sont choisis par le Cheikh pour les représenter et
veiller à l'application de ses instructions et au respect de ses
consignes auprès des disciples. Par exemple, le dahira de Bordeaux est
sous la responsabilité de Limamou Guèye, un ancien
étudiant en médecine à l'université de Bordeaux. Ce
dernier a été désigné par le Cheikh comme le
coordonnateur des dahiras implantés principalement dans le sud-ouest de
la France, c'est-à-dire Bordeaux, Toulouse, Pau, Poitiers, La Rochelle,
mais aussi des dahiras Orléans et Nancy.
Les dahiras en France se mobilisent essentiellement autour des
consignes de leur Cheikh. En outre, comme le souligne également
Jean-François Havard, les « Thiantacounes » ont largement
investi Internet. Il suffit de taper « Cheikh Béthio Thioune »
ou « Thiantacoune » pour trouver de nombreux sites web, blogs et
forums qui leur sont en effet consacrés. Mais le dynamisme
numérique des « Thiantacounes » se manifeste surtout à
travers le site web
Santati.net. Chaque samedi de nombreux
migrants « Thiantacounes » se connectent sur le site pour assister et
participer en direct au « Thiant » qui se déroule le plus
souvent au domicile du cheikh dans le quartier résidentiel de Mermoz
à Dakar. Aussi, le site web des « Thiantacounes » accorde une
large place aux fichiers audiovisuels. Non seulement, les disciples peuvent
assister en temps réel aux « Thiants », mais en cas
d'empêchement, ils ont également la possibilité de
consulter plus tard les derniers enregistrements audios et vidéos. Le
site dispose aussi d'une radio diffusant continuellement des « Thiant
». C'est aussi un espace d'information sur les activités des
dahiras en France. De même, le site web
Santati.net joue un rôle
important dans la diffusion des messages et des recommandations du Cheikh. Il
convient également de souligner l'apport considérable du site web
dans le processus de vulgarisation du mouvement Thiantacoune. C'est en effet un
outil particulièrement efficace pour le prosélytisme
thiantacoune.
321
Site web
36.
Santati.net, le site web des disciples de Cheikh
Béthio Thioune
7.2.3
Ansaroudine.org, « les talibés
de Baye en France »
Fondée en décembre 2002, l'Association des
talibés de Baye en France, Ansaroudine, regroupe l'ensemble des
disciples, du marabout Cheikh Ibrahim Niass de la confrérie tidjane de
Kaolack, disséminés dans la région Ile-de-France pour la
plupart, mais aussi dans les autres villes de l'Hexagone, principalement
Bordeaux, Marseille, Lyon, Nantes, Nice... Son siège se trouve dans les
Hauts-de-seine en Ile-de-France. L'association s'est fixée comme
objectifs de regrouper les talibés résidant en France dans un
cadre de rencontres et d'échanges, d'organiser des manifestations
culturelles axées sur l'oeuvre et l'enseignement de Cheikh Ibrahim
Niass, de tisser des liens entre les disciples et mettre en oeuvre des actions
sociales afin de venir en aide ceux qui se trouvent dans des conditions
difficiles en France. C'est essentiellement pour diffuser l'enseignement du
Cheikh et des membres de la confrérie à travers le monde que
l'initiative a été prise de créer le site web,
www.ansaroudine.org. Pour les
membres de l'association, la communication est un aspect fondamental pour la
réussite des activités de l'association. Une communication
à travers la messagerie Internet a été d'ailleurs
développée, en ce sens, afin de permettre des contacts et des
échanges permanents et quotidiens sur tel ou tel aspect des tâches
en cours. La messagerie électronique peut également être
utilisée notamment en vue de trancher certaines divergences au moment de
prendre certaines décisions par les membres du bureau. Dans de pareil
cas, une question collective leur est adressée par courrier
électronique pour permettre à chacun de pouvoir exprimer son
322
point de vue et clarifier sa position. En outre, une liste de
diffusion est tenue afin de permettre aux membres de l'association de recevoir
régulièrement des informations sur les activités
organisées, mais aussi pour permettre précisément aux 500
adhérents en France de disposer d'un compte rendu des réunions
mensuelles. Le site propose des contenus divers (documents, photos, rapports
d'activités, communiqués) aussi bien aux disciples
implantés en France qu'aux disciples localisés au
Sénégal, aux Etats-Unis, en Italie et dans le reste du monde. Le
site met à leur disposition une liste de documents textuels, sonores et
vidéos sur la vie et l'oeuvre du Cheikh Ibrahim Niass. Ils peuvent
également y trouver une centaine de photos constituées de celles
de Baye et des membres de sa famille, mais aussi celles prises à
l'occasion des conférences organisées en France (Paris et
Strasbourg) et des manifestations religieuses au Sénégal, et plus
particulièrement à Médina Baye dans la ville de Kaolack,
le lieu de pèlerinage des disciples de la confrérie. Enfin, un
espace est exclusivement réservé à tous les disciples de
l'intelligentsia susceptibles d'apporter des contributions pouvant enrichir le
site, en particulier les étudiants, les enseignants, les chercheurs, les
ingénieurs, les journalistes, les poètes, les traducteurs.
Site web 34. Site web des disciples de Baye Niasse en
France
Parmi les nombreux sites web sénégalais relatifs
à la religion et créés par des migrants
sénégalais résidant en France, on peut citer, entre
autres, le site de l'Union des Layènes
323
de France, Layene.sn. D'après Thomas Guignard, ce site
serait en effet l'oeuvre d'informaticiens sénégalais
installés en France. En définitive, si l'on tient compte de tout
ce qui vient d'être évoqué, il ne serait pas inexact
d'affirmer que les migrants sénégalais en France, et plus
particulièrement les étudiants sont des acteurs clefs qui
déploient des stratégies multiples afin d'assurer une meilleure
visibilité du Sénégal sur le web. La forte présence
des associations de migrants sénégalais sur le web participe de
manière considérable au dynamisme du web
sénégalais.
7.3 Les mouvements associatifs pour le
développement
Dans leurs pays de migration, un segment important de la
communauté des Sénégalais de l'extérieur se
réunit au sein des mouvements associatifs pour mettre en oeuvre des
actions d'utilité sociale et économique en faveur de
l'amélioration des conditions de vie dans leurs villages ou
régions d'origine. Nombreux sont en effet les regroupements associatifs
de migrants sénégalais ayant joué et qui continuent encore
de jouer un rôle considérable dans la lutte contre la
pauvreté, la dégradation des conditions d'existence et le
délitement social de leurs concitoyens restés dans les
localités d'origine. Aujourd'hui, les associations de migrants oeuvrant
dans le développement local au Sénégal sont de plus en
plus nombreuses. Les expériences et les connaissances acquises durant de
longues années de migration sont généralement
mobilisées et valorisées à travers notamment la mise en
place d'équipements sociaux collectifs, mais aussi à travers la
participation à des activités économiques dans le pays
d'origine. C'est ainsi que bon nombre de terroirs sénégalais ont
été d'ailleurs dotés en infrastructures et
équipements de base, telles que centres de santé, écoles,
forages, bureaux de poste, etc.
Leur participation à la vie sociale et
économique ainsi que leur défense et leur promotion des valeurs
culturelles du milieu d'origine tendent d'ailleurs à imposer aujourd'hui
certains de ces regroupements de migrants comme de véritables
partenaires auprès des pouvoirs publics locaux et nationaux, et aussi de
plus en plus auprès des autres acteurs de développement tels que
les organisations non gouvernementales, les mouvements associatifs d'ici et de
là-bas, les bailleurs de fonds, etc. Les associations de migrants sont
devenues à présent des acteurs majeurs dans le
développement des espaces d'origine. D'une manière
générale, elles contribuent à fournir à leurs
membres un cadre
324
leur permettant d'exercer pleinement leur citoyenneté.
Certaines d'entre elles ont acquis au fil du temps un poids économique
et social indéniable. L'enjeu essentiel, c'est que cette nouvelle forme
de citoyenneté participative permet aujourd'hui à ces
nostalgiques d'être beaucoup plus présents à ce qui se
passe là-bas, et aussi de s'impliquer davantage dans les
décisions et les initiatives allant dans le sens de la défense de
l'intérêt collectif mais également de l'amélioration
des conditions de vie.
Les regroupements de migrants, oeuvrant pour le
développement, peuvent, dans bien des cas, apporter des réponses
concrètes et des solutions efficaces aux besoins de base
nécessaires à la subsistance et à l'entretien des
communautés d'origine. Force est de reconnaître que les
investissements communautaires effectués au profit des villages
d'origine permettent à ces derniers, dans bien des cas, de disposer d'un
minimum de services publics que l'Etat est incapable de leur assurer.
Nous reviendrons de façon plus approfondie, dans la
troisième partie, sur le rôle et la participation des migrants
sénégalais dans le développement national à travers
l'utilisation des technologies de l'information et de la communication. La
mobilisation de l'expertise et des moyens financiers colossaux des
Sénégalais de l'extérieur reste un des grands défis
pour le développement du Sénégal. Pour accomplir leurs
missions et agir avec une plus grande efficacité dans le
développement économique et social des localités
d'origine, certaines associations de migrants se servent désormais des
nombreuses potentialités d'Internet. C'est dans cette logique qu'il faut
comprendre la présence sur le web de certaines associations rassemblant
des ressortissants d'une même localité de la vallée du
fleuve Sénégal ou celle des associations réunissant des
cadres sénégalais vivant et travaillant en France.
7.3.1 Les associations des ressortissants de la
vallée du fleuve Sénégal
On remarque d'abord qu'il existe en France de nombreuses
associations réunissant des ressortissants de la vallée du fleuve
Sénégal et tournées essentiellement vers le
développement des lieux d'origine. Cette migration se caractérise
généralement par le regroupement des gens en fonction de leurs
localités d'origine. Le plus souvent, c'est en effet avec les individus
issus du même village que l'on se regroupe en association. Pour
325
leurs membres, ces associations représentent non
seulement des cadres de solidarité et d'entraide efficaces, mais aussi
elles apparaissent très nettement comme des vecteurs de
développement des communautés d'origine. En France, la plupart de
ces associations sont localisées dans la région Ile-de-France.
Guillaume Lanly (1998) rappelle que « les premières organisations
sont apparues au début des années 80 en réponse à
l'aggravation des conditions vie et de travail des immigrés en France et
à l'accentuation de la dépendance des communautés
d'origines aux envois de fonds ». Il ajoute que « à partir de
1985, le phénomène s'est rapidement répandu à
l'ensemble de la communauté des immigrés originaires de la
vallée du fleuve Sénégal témoignant d'un
véritable phénomène d'entraînement ».
Toutefois, malgré cette évolution quantitative et qualitative,
peu d'entre elles sont présentes pour le moment sur le web.
A titre d'exemple, nous tenterons d'examiner les contenus des
sites web produits par les membres des villages de Waoundé, Danthiady et
Agnam-Civol résidant en France. On constate, d'une manière
générale, que ces sites web ont été
créés surtout afin de permettre à toutes les personnes qui
le souhaitent, de découvrir et connaître ces localités
caractérisées par une migration séculaire des populations,
mais aussi dans le but de donner une plus grande notoriété
à leurs associations. Ce sont des espaces d'information et de
communication qui permettent à toutes les personnes soucieuses du
bien-être des populations de ces localités situées dans les
confins déshérités du nord-est du Sénégal de
mieux se connaître et d'oeuvrer ensemble pour le développement de
cette partie du Sahel durement éprouvée par les effets de la
sécheresse et souvent laissée pour compte dans les politiques
publiques. Ainsi, à travers ces sites, les membres des associations
tentent d'une part de démontrer leur attachement profond à leurs
lieux d'origine, et d'autre part d'attirer toutes les bonnes volontés
désirant apporter leurs contributions et aider à améliorer
les difficiles conditions de vie des populations restées sur les lieux.
On peut dire aussi que ces sites résultent d'une volonté de
mettre à la disposition des membres des associations des informations et
aussi de leur permettre de mener à bien leurs tâches. Ce sont des
espaces permettant non seulement aux ressortissants de ces villages
disséminés en France en particulier et dans le monde en
général de se rencontrer et d'établir des relations, mais
aussi ils permettent à leurs sympathisants d'échanger et de
confronter leurs points de vue. De même, ces sites web constituent des
lieux d'information sur les activités et les différentes
réalisations effectuées dans le cadre des relations de
jumelage.
326
Conscients de la nécessité de rassembler leurs
efforts et prendre à bras le corps les problèmes, relatifs
notamment à l'éducation, à la santé et au
développement, auxquels sont confrontés leur localité
d'origine, les ressortissants de Waoundé (les Waoundankos) vivant en
Europe et plus particulièrement ceux résidant en France prennent
l'initiative de créer en 1987 l'Association pour l'Education, la
Santé et le Développement de Waoundé (AESDW).
L'association compte 12 sections réparties en France pour la plupart,
sections de Paris - Ile de France, Marseille, Rouen, Le Havre, Orléans,
Dunkerque, Grenoble, Lyon, en Allemagne et au Sénégal, sections
de Waoundé et de Dakar.
Ce qui fait l'originalité du site de l'AESDW, c'est son
utilisation par les ressortissants de l'association en France et en Europe
à la fois comme lieu de commande de marchandises destinées
à l'approvisionnement et l'entretien des familles restées
à Waoundé et aussi comme lieu d'échanges d'idées en
vue d'améliorer la gestion de la boutique alimentaire. En effet, pour
permettre aux membres de l'association vivant en Europe d'assurer le
ravitaillement en produits alimentaires des familles restées dans la
commune, l'association a mis en place une boutique alimentaire. Ajoutons que
cette boutique a été ouverte dans la commune de Waoundé.
Le magasin propose à des prix intéressants un large assortiment
de marchandises. Son approvisionnement en marchandises achetées à
Dakar est assuré par les fonds collectés au niveau de chaque
section. Pour assurer l'approvisionnement de la famille au pays, il suffit
seulement aux migrants d'envoyer des bons de commande. Les discussions
liées à la gestion de la boutique alimentaire animent le site.
Elles tournent essentiellement autour des problèmes qui perturbent le
bon fonctionnement de la boutique. Les internautes font des propositions pour
améliorer son fonctionnement. On voit ainsi dans quelle mesure, les
ressortissants de Waoundé en France se sont appropriés Internet,
en vue de mettre en place des stratégies et des actions efficaces pour
un meilleur fonctionnement de la boutique destinée à assurer
l'alimentation des familles à Waoundé. Le forum est ainsi un
espace où les gens se rassemblent pour exprimer leurs convergences et
leurs divergences.
327
Site web 35. Site web de l'AESDW
Nous avons également observé le site de
l'Association des Ressortissants de Danthiady en France (ARDF). D'abord, cette
association a vu le jour en 1971 à Saint-Etienne du Rouvray dans le
département de la Seine maritime en Normandie. Elle regroupe tous les
Danthiadynabés vivant dans l'Hexagone. En France, les
Danthiadynabés sont essentiellement implantés dans la ville du
Havre et dans la commune des Mureaux dans le département des Yvelines en
Ile-de-France. Les raisons de cette forte implantation sont principalement
économiques, avec surtout la présence jadis des usines Renault et
Peugeot dans ces deux localités. Parallèlement à l'ARDF,
les Danthiadynabés ont également mis en place des structures
identiques aussi bien dans certaines grandes villes du Sénégal
que dans les autres pays regroupant des ressortissants de Danthiady, en Afrique
centrale, en Europe, aux Etats-Unis et même en Asie. En France, l'ARDF a
installé son siège au Val-de-Reuil dans l'Eure en
Haute-Normandie, et au Sénégal à Dakar.
Initialement créée pour mener des
activités culturelles et sociales, l'ARDF a, au fil du temps,
orienté ses objectifs vers la recherche de moyens permettant
d'accroître le bien-être et d'améliorer le cadre et les
conditions de vie de la population restée au village. Grâce
à l'ARDF, le village dispose maintenant d'une mosquée
équipée d'un panneau solaire pour l'éclairage et de
matériel sonore pour l'appel à la prière. Afin de trouver
des solutions inhérentes à la crise économique et aux
effets néfastes de la sécheresse, l'ARDF
328
a noué des relations de partenariat avec d'autres
structures intervenant dans le domaine du développement. Parmi
celles-ci, on trouve la Fédération des Associations du Fouta pour
le Développement (FAFD), le réseau des associations de la
vallée du fleuve Sénégal, PS Eau vive, etc.
Cependant, les relations de partenariat les plus importantes
ont été nouées surtout avec la commune de Val-de-Reuil,
à travers notamment un protocole signé en février 1998. Ce
partenariat a ainsi permis la mise en place et l'aménagement d'un jardin
maraîcher équipé d'un puits et d'une pompe pour permettre
aux femmes qui en détiennent la gestion de pouvoir cultiver des fruits
et des légumes en toutes les saisons, et non plus seulement durant la
saison des pluies. Les objectifs visés à travers ce partenariat
sont d'augmenter la production, de diversifier les cultures et aussi de
réduire la dépendance des familles vis-à-vis des envois
effectués par les parents migrants, en créant progressivement des
emplois et en assurant des revenus corrects et réguliers, en particulier
aux femmes. En outre, la collaboration des jeunes français de
Val-de-Reuil a aussi permis la construction d'une case de santé et son
approvisionnement en médicaments, la construction de deux classes
supplémentaires ainsi que d'une maison d'accueil, la
réhabilitation des puits et du cimetière. Ces relations de
partenariat se manifestent également à travers la
réalisation d'importantes infrastructures comme le forage et le
château d'eau grâce à la coopération du Japon, et
aussi à travers des échanges sportifs entre les jeunes de l'ARDF
et d'autres jeunes des villages situés aux alentours de Danthiady tels
que Ndouloumadji-Dembé, Sinthiou-Bamambi, etc.
Le site constitue un lieu d'information sur les
activités et les différentes réalisations
effectuées dans le cadre du jumelage entre le village de Danthiady et la
commune de Val-de-Reuil. Les photos sont d'ailleurs là pour en
témoigner également. Comme l'indiquent aussi les responsables de
l'association, ce site est un espace de rencontres et d'échanges avec
d'autres associations oeuvrant dans le domaine du développement.
Autrement dit, ce site web constitue pour l'ARDF une porte ouverte vers
l'extérieur, dont la vocation est de servir de soubassement à
toute forme d'aide et d'intervention à des opérations de
développement et également en même temps favoriser et
stimuler la participation à la réalisation de divers projets en
faveur du développement du village de Danthiady. Le site web de l'ARDF
est par conséquent un lieu particulier où entrent en contact
et
329
s'échangent des idées pouvant contribuer
à l'amélioration du niveau et des conditions de vie
matérielles des populations de Danthiady.
Site web 36. Site web de l'ARDF
On peut aussi faire référence au site web de
l'Association de Développement et de Solidarité du village
d'Agnam-Civol en France, (ADSACF). Ce village, situé au nord-est du
Sénégal, est jumelé à Vouziers, une commune
française située également au nord-est de la France, dans
le département des Ardennes. Il y a aussi les sites des Soninkés
de France (
Soninkara.com), des ressortissants de
Bakel en France (Bakel.fr) et de l'Association des Ressortissants de Kanel en
France (
arkf-kanel.com).
7.3.2 Le réseau des cadres
Sénégalais, l'Espace Jappo
Comme le soulignent les auteurs du site, Espace
Jappo149 a pour mission particulière de « devenir une
plate-forme favorisant l'émancipation des Sénégalais en
France, de promouvoir et imposer, dans le monde des affaires en France,
l'image, la présence et la valeur du professionnel
sénégalais, de capitaliser sur les réussites individuelles
» pour que « le Sénégalais et le Sénégal
soient vus et considérés autrement ». Il s'agira de
développer
330
une synergie pour constituer un réseau dynamique «
des cadres d'origine sénégalaise et des étudiants en fin
d'études ». Cette association, créée le 14
décembre 2005, est installée à l'avenue Kléber dans
le 16ème arrondissement de la ville de Paris.
Quand on consulte les pages du site web de l'Espace Jappo, on
se rend compte que l'emploi représente un de ses piliers essentiels. Le
site propose en effet de nombreux liens permettant de trouver des informations
extrêmement utiles sur l'emploi et l'entreprenariat en France, au
Sénégal et dans le reste le monde, mais également sur les
opportunités professionnelles ou d'affaires au Sénégal. Il
s'agit principalement de liens vers les sites qui s'occupent de l'emploi et du
recrutement des cadres en France, notamment l'Agence française pour
l'emploi des cadres (APEC),
Cadremploi.fr et
Talents.fr, et aussi d'un lien vers le
site pour l'emploi et la mobilité internationale, un service
géré de façon conjointe par l'Agence nationale pour
l'emploi (ANPE) et l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des
migrants (ANAEM). Il existe également des liens vers des sites
d'organismes essentiellement destinés aux investissements et aux
possibilités de créer des activités au
Sénégal. Ce sont les sites de l'agence pour la promotion des
investissements et des grands travaux (APIX), de l'Agence de
développement et d'encadrement des petites et moyennes entreprises
(ADEPME) et du club des investisseurs français au Sénégal
(CIFAS). On peut dire que ces informations disponibles sur le site contribuent,
d'une certaine manière, à la promotion des investissements
économiques au Sénégal. De même, les liens vers des
sites permettant de trouver des offres d'emploi aussi bien en France que dans
le reste du monde, permettent de mesurer à quel point les cadres
Sénégalais en France sont prêts à exploiter les
opportunités professionnelles partout dans le monde. Leurs champs
d'insertion professionnelle ne se limitent plus seulement au
Sénégal et à la France. Aujourd'hui, les
difficultés à trouver un emploi aussi bien en France qu'au
Sénégal incitent forcément à rechercher d'autres
possibilités d'insertion professionnelle sur les marchés du
travail au niveau international. Les lieux de prédilection de cette
catégorie de migrants sont les lieux qui peuvent leur assurer un emploi
bien rémunéré et un épanouissement professionnel,
en somme des conditions de travail acceptables.
149 Jappo est un mot wolof qui signifie se donner la main.
Espace Jappo désigne donc un espace de solidarité et
d'entraide.
Site web 40. Site web de l'amicale des cadres
Sénégalais
331
La carte montre le dynamisme des associations de migrants
sénégalais en France dans la production de sites web. On peut
dire en effet que les associations d'étudiants en particulier jouent un
rôle majeur dans le processus visant à marquer de façon
significative la présence et la visibilité du
Sénégal sur Internet. L'aire de production et de diffusion du web
sénégalais en France correspond, dans l'ensemble, aux zones
d'installation caractérisées par une forte présence des
étudiants. On constate une activité importante du web
sénégalais dans les principales villes du sud de la France. Ce
dynamisme est essentiellement l'oeuvre des étudiants qui font preuve
d'initiatives et de créativité afin de produire et animer des
sites web à partir desquels les étudiants ou futurs
étudiants peuvent trouver des informations pratiques sur leur lieu de
résidence et où tout internaute peut découvrir certains
aspects de la culture sénégalaise. De même, les
étudiants membres de la confrérie mouride sont également
très actifs dans la création de sites web dédiés
spécialement à leur confrérie. On observe ainsi la mise en
ligne de sites Internet à la fois d'associations d'étudiants et
d'associations mourides dans les villes de Bordeaux, Toulouse, Marseille, Lyon,
Grenoble et Lille. La région Ile-de-France se singularise tout
particulièrement par l'importance des associations de migrants oeuvrant
ensemble en faveur du développement économique et social des
localités d'origine. Il s'agit essentiellement des associations des
ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal. Les sites
élaborés par les membres de ces associations témoignent de
la recomposition et des mutations au sein de cette communauté de
migrants. Considérée autrefois comme une communauté
extrêmement repliée sur elle-même, la nouvelle
génération de migrants
332
originaires de la vallée du fleuve
Sénégal se sert d'Internet comme une fenêtre vers
l'extérieur, un outil qui lui permet d'établir des relations avec
d'autres communautés et plus particulièrement avec les
populations locales du pays de résidence.
Carte 5. Associations de migrants
sénégalais en France ayant un site web
Même si le niveau d'accès à Internet reste
encore relativement faible sur le territoire national, le Sénégal
est considéré, par beaucoup d'observateurs, comme un des premiers
pays d'Afrique à avoir réalisé des efforts significatifs
dans le déploiement des infrastructures et la démocratisation des
conditions d'accès à Internet. Les différentes actions
initiées par les pouvoirs publics et les acteurs privés nationaux
ont été souvent encouragées ou accompagnées par les
nombreuses initiatives prises dans le cadre de la coopération
internationale et visant à intégrer pleinement le
Sénégal dans la société de l'information.
Toutefois, l'étude de l'Internet sénégalais ou de
l'Internet des Sénégalais
333
nous amène à découvrir, à
connaître et à mesurer l'importance considérable d'un autre
acteur, les migrants. Non seulement, ils contribuent à équiper
les ménages en ordinateurs et aussi participent à la
création et au développement des points d'accès publics
à Internet dans leur pays d'origine à travers notamment certains
investissements réalisés dans l'ouverture de cybercafés,
d'une part, mais aussi d'autre part ils sont omniprésents dans la
consommation et la production de contenus web relatifs au
Sénégal.
En réalité, les migrants
sénégalais en France, du moins ceux qui ont les
compétences nécessaires, se servent quasiment de toutes les
potentialités d'Internet. Car il y a, au sein de la diaspora
sénégalaise en France, d'une part les « migrants
connectés », c'est-à-dire ceux qui ont les connaissances
minimums requises afin de pouvoir utiliser correctement Internet. C'est le cas
principalement des étudiants et des migrants hautement qualifiés.
Par contre, la grande majorité des migrants commerçants de
même qu'une bonne partie des migrants ressortissants de la vallée
du fleuve Sénégal ne disposent pas souvent des aptitudes
adéquates pour utiliser Internet et en sont donc pour le moment exclus.
Ainsi, à l'instar des autres internautes, les migrants
sénégalais utilisent tous les services disponibles sur Internet.
Ils accèdent à Internet pour s'informer, communiquer, faire des
recherches, se divertir, effectuer des démarches administratives et
procéder parfois à des achats en ligne.
A cet effet, le courrier électronique est devenu un des
moyens de communication privilégiés. Contrairement au courrier
classique dont l'acheminement dans certaines zones du pays d'origine est le
plus souvent chaotique, le courrier électronique peut être
reçu instantanément à partir de n'importe quel lieu
connecté et à tout moment de la journée. Bien plus que les
échanges qu'il permet avec les proches restés dans le pays
d'origine ou établis dans d'autres pays à l'étranger, le
courrier permet aussi de communiquer avec les compatriotes en France, mais
aussi avec les amis rencontrés à l'université ou les
collègues de travail. Par ailleurs, on observe un engouement fortement
marqué pour les technologies offrant la possibilité de
téléphoner gratuitement par Internet. Selon les informations
recueillies, Skype semble être la technologie la plus utilisée au
sein de la diaspora sénégalaise en France pour effectuer des
communications téléphoniques par Internet. En outre, il se
dégage que les flux en provenance de ces communications sont
essentiellement orientés vers le Sénégal. Ce qui laisse
supposer que ces technologies commencent à être utilisées
progressivement dans certains foyers
334
sénégalais. Retenons que la famille (les parents
surtout) sont les principaux destinataires de ces appels.
Il apparaît aussi que les sites communautaires
rencontrent un vif succès auprès des jeunes étudiants
notamment. La ferveur constatée autour du réseau social Faceboook
prend plusieurs formes : retrouvailles entre amis perdus de vue, partage de
photos, d'informations, etc. On peut également évoquer la
propension de nombreux migrants à se rendre dans les espaces de
discussion et de rencontre en ligne. Or ce qui fait la
spécificité de ces lieux, c'est que ce sont des lieux d'intenses
échanges et débats politiques. Il en découle ce que l'on
pourrait qualifier de migrants e-citoyens fortement préoccupés
par la gestion des affaires publiques dans leur pays d'origine. Il convient
aussi de relever l'enthousiasme des migrants pour les sites portails. Ces sites
constituent en fait des supports de services très variables souvent
destinés à satisfaire certains besoins des migrants, notamment
obtenir des informations relatives à l'actualité du pays
d'origine, possibilités de s'exprimer et de tisser des relations,
informations pratiques sur les possibilités d'investissement dans le
pays d'origine, etc. A ce titre, la convergence des migrants
sénégalais dispersés à travers le monde vers le
site portail Seneweb illustre parfaitement l'appropriation de cette technologie
par l'ensemble des internautes sénégalais. Ce qui explique
d'ailleurs la prolifération des sites portails à l'avant-garde de
laquelle on trouve incontestablement les migrants.
Un autre aspect important, c'est l'intérêt
manifesté par la presse sénégalaise à mettre en
ligne les versions des journaux imprimés. Là aussi, les migrants
semblent être la cible principale des médias
sénégalais qui trouvent à travers Internet
l'opportunité d'étendre leurs audiences en dehors des limites
nationales. Non seulement, les migrants constituent l'essentiel des pôles
de réception de ces flux médiatiques, mais également ils
participent à la diffusion et au développement de ces flux
à travers la mise en place et l'animation des webradios et des webTV. La
diaspora sénégalaise compte également en son sein de
nombreux producteurs de blogs relatifs au Sénégal. Aussi
importe-t-il de relever l'existence de blogs citoyens où sont
généralement publiés des articles liés à la
situation politique, sociale et économique du pays d'origine. Il est
intéressant de souligner la production de blogs par des
Sénégalaises vivant en France qui s'en servent pour
élargir leurs bassins de relations et en même temps comme moyen
d'insertion professionnelle, à travers notamment certains services
proposés parfois sur les blogs. Il y a aussi les blogs
335
créés pour marquer son appartenance
confrérique et participer à la vulgarisation de l'oeuvre de son
marabout ou cheikh.
Enfin, le dernier aspect important à relever, c'est le
dynamisme des associations de migrants sénégalais en France sur
le web. Rien qu'à travers ce dynamisme, on voit l'importance de la
France comme pôle essentiel d'acquisition des connaissances pour de
nombreux Sénégalais. C'est particulièrement vrai quand on
voit le rôle central des migrants étudiants dans la production et
l'animation de ces sites. Ce sont souvent des sites aux contenus hybrides
faisant à la fois la promotion de certains aspects de la culture du pays
d'origine, mais aussi contribuant à donner aux nouveaux étudiants
des conseils pratiques pour leur permettre de s'insérer plus facilement
dans leur pays d'installation afin de réussir leurs études.
On peut dire donc que l'adoption d'Internet par les migrants
sénégalais en France qui en ont les aptitudes requises est
aujourd'hui une réalité. La France constitue certainement le pays
étranger où la communauté sénégalaise fait
davantage preuve de créativité et d'efficacité dans la
production de contenus web relatifs au Sénégal. Il serait
intéressant par conséquent d'observer l'évolution des
usages de l'Internet au sein de la diaspora sénégalaise en France
pour voir dans quelle mesure cela peut contribuer à favoriser
l'insertion et l'usage d'Internet dans le pays d'origine d'une part, et d'autre
part afin de mobiliser les ressources au sein de cette diaspora pour une
participation plus effective au processus de développement
économique et social du pays d'origine.
336
Troisième partie. Les migrants
sénégalais face aux
technologies de l'information et de la
communication (TIC) : enjeux et perspectives
337
338
Introduction
Au terme de tout ce qui a été
évoqué dans les parties précédentes, il
apparaît de façon claire et nette que les TIC ont
entraîné des bouleversements majeurs dans les pratiques de
communication des migrants et également une reconfiguration profonde des
réseaux. En effet, la rapidité à la fois du rythme des
innovations technologiques et de la libéralisation des marchés
dans le secteur des télécommunications ont engendré au
cours de ces dernières années, non seulement une diminution
relativement importante des coûts de communication locale et
internationale, mais aussi une rapidité extraordinaire dans la
transmission des informations. Ces évolutions majeures du secteur des
télécommunications vont, par conséquent, induire des
mutations profondes dans les vécus quotidiens des migrants, et plus
généralement dans leurs modes de vie. Auparavant presque
totalement coupés de leurs racines familiales et négligés
par leur pays d'origine, et aussi en même temps relégués le
plus souvent au second plan dans les pays de résidence150,
les migrants sont aujourd'hui non seulement plus présents auprès
de leur famille restée dans le pays d'origine de même
qu'auprès des proches installés ailleurs dans d'autres pays de
migration, mais aussi ils sont devenus plus visibles et plus connectés
avec le pays de résidence. Autrement dit, autant les TIC permettent
d'activer les réseaux de relations sociales et aussi contribuent
à les rendre beaucoup plus dynamiques dans le pays de résidence,
autant elles permettent de maintenir et de renforcer les relations avec le pays
d'origine et par conséquent de mieux supporter le sentiment
d'éloignement. On remarque que les relations multiformes avec le pays
d'origine sont devenues des relations quasi quotidiennes. Le plus souvent, ce
sont des relations qui concernent tout ce qui touche la gestion à
distance de l'espace domestique familial et plus largement la vie familiale. En
outre, comme on peut le constater par exemple à travers les sites web
des associations des migrants originaires de la vallée du fleuve
Sénégal, ce sont aussi des relations à l'échelle
locale, c'est-à-dire des initiatives en faveur des communautés et
localités d'origine. Mais également, à travers la
dynamique des sites portails tels que Seneweb, on remarque que ce sont des
relations à l'échelle nationale, c'est-à-dire des
relations qui s'articulent autour de quelques préoccupations
150 Cette double absence a été parfaitement
analysée par le sociologue Abdelmalek Sayad qui montre, à travers
des trajectoires individuelles, la difficile condition du migrant qui souffre
à la fois de l'oubli dont il fait l'objet auprès de sa
communauté d'origine, la figure du migrant souffrant d'un profond
malaise de mal de la patrie et d'être un sans voix isolé dans le
pays de résidence.
339
majeures au sein de la collectivité sur l'ensemble du
territoire d'origine, avec un intérêt plus axé sur les
questions de développement, de bonne gouvernance...
Pour une frange importante des migrants
sénégalais en France, les TIC sont largement utilisées
pour obtenir des informations sur le pays d'origine, pour communiquer avec les
membres de la famille et les amis en France, au Sénégal et dans
le reste du monde, maintenir et renforcer les liens entre les différents
membres des réseaux, participer aux échanges dans les espaces de
discussion et aussi parfois pour trouver des opportunités
d'investissement dans le pays d'origine. En outre, ces technologies de
communication sont également utilisées comme outils de travail et
contribuent à faciliter l'intégration des migrants dans le pays
de résidence.
Après avoir analysé les usages des TIC par les
migrants sénégalais en France, il s'agira dans cette partie
d'analyser les enjeux et de montrer les perspectives liées à la
diffusion des nouveaux outils de communication au sein de la diaspora
sénégalaise en France. Plus généralement, quels
sont les enjeux dans les relations que les migrants sénégalais
entretiennent avec leurs territoires d'origine et de résidence,
notamment dans le domaine socioculturel ? Quels sont les enjeux au niveau de
l'apport des migrants dans le développement du pays d'origine ? Sachant
le rôle fondamental des TIC en tant que supports et vecteurs de la
mondialisation, il serait intéressant d'observer comment les migrants
s'approprient les TIC et les utilisent pour s'insérer davantage dans les
interstices ou les mailles de cette planète devenue un village global.
Il s'agira, en définitive, de nous interroger sur les perspectives
liées à la diffusion et à l'utilisation des TIC au sein de
la communauté sénégalaise en France en particulier et de
la diaspora sénégalaise en général. Nous tenterons,
dans cette partie, de mettre en évidence non seulement les enjeux
socioculturels liés à l'insertion, aux usages et à
l'appropriation de ces technologies dans la diaspora sénégalaise,
mais aussi les enjeux économiques et politiques.
340
Chapitre 8. Du migrant déraciné au
« migrant
connecté »151 : les enjeux socioculturels
liés à
l'utilisation des outils modernes de communication
Décrits hier comme déracinés dans de
nombreuses analyses sociologiques des phénomènes migratoires,
dont les plus en vue sont celles du sociologue Abdelmalek Sayad152,
on note une rupture au niveau de ces analyses avec l'avènement des
nouveaux outils de communication. De nos jours, des sociologues comme Dana
Diminescu développent une nouvelle vision, celle du migrant
connecté. Cette double absence du sujet
émigré-immigré dans un passé proche peut
correspondre, à notre avis, à la présence ici et
là-bas du migrant à l'ère de la société de
l'information. Avec les TIC, les migrants semblent jouir d'un certain don
d'ubiquité qui leur offre l'impression de pouvoir être
présents simultanément ici et là-bas et évoluer
aisément dans cet espace de l'entre-deux. Les liens sociaux et familiaux
rompus par la distance géographique se reconstituent facilement et
même s'intensifient grâce aux technologies de l'information et de
la communication qui deviennent une dimension majeure dans le maintien des
relations à distance considérées à présent
comme des rapports de proximité, des rapports pouvant être
activés de façon instantanée et à tout moment.
Depuis qu'ils ont commencé à adopter et utiliser
intensément les TIC, les migrants sont à présent
connectés de façon quasi permanente avec les autres membres des
réseaux qu'ils soient sociaux, commerciaux ou virtuels et quel que soit
par ailleurs le lieu où ils se trouvent. Par exemple, le
téléphone et Internet plus particulièrement permettent aux
migrants de vivre en temps réel les évènements au sein de
la famille restée dans le pays d'origine ou de les partager avec les
autres membres de la famille se trouvant dans le même pays ou
disséminés dans d'autres pays de migration. Par ailleurs, on
assiste aussi, comme nous l'avons vu dans la deuxième partie de notre
étude, à l'émergence des migrants producteurs de contenus
web le plus souvent en rapport avec leurs deux espaces d'appartenance,
c'est-à-dire l'espace dont ils sont originaires et l'espace où
ils vivent au quotidien. La sociabilité en ligne devient une dimension
essentielle dans les pratiques de
151 Cette expression est empruntée à la sociologue
Dana Diminescu.
152 SAYAD, Abdelmalek. La double absence. Paris : Seuil,
1999.
341
l'Internet. Les communautés virtuelles qui se
constituent sur « La galaxie Internet » (M. Castells, 2002)
produisent de nouvelles formes de sociabilité en ligne.
Au-delà des usages déjà décrits et
analysés précédemment, les TIC peuvent engendrer d'autres
usages aussi divers qu'éloignés les uns des autres. Il s'agira de
voir ici comment les TIC peuvent-elles constituer des supports à
l'intégration des populations immigrées ou issues de
l'immigration à la communauté d'appartenance que doivent
constituer l'ensemble des citoyens habitant sur le même territoire
national ? Mais en même temps, quelles répercussions peuvent avoir
les TIC sur le communautarisme ou le repli identitaire des migrants et autres
groupes minoritaires ? Comment les migrants se servent des TIC pour contribuer
à la promotion de leur culture d'origine.
8.1 Les TIC, supports d'intégration ou vecteurs
de replis
identitaires ?
On va s'interroger ici sur les possibilités
réelles des TIC comme supports d'intégration ou en tant que
vecteurs de replis identitaires. Car comme le souligne le dessinateur et
peintre Ivan Sigg, « les nouvelles technologies reflètent
l'état de notre monde en ce début de siècle
»153. Par conséquent, elles peuvent être mises au
service de l'intégration des migrants comme elles peuvent servir
à proprement parler à mieux affirmer leur identité ou leur
appartenance à telle ou telle communauté. Comme l'écrivent
en effet les auteurs de l'article sur « l'immigration »,
publié sur le site web
www.openfing.org, « le
téléphone portable, l'ordinateur et Internet deviennent des
outils accessibles aux migrants, pourvoyeurs de nouveaux services : favorisant
l'intégration dans les pays d'accueil. Les TIC assistent la recherche
d'emploi, le téléphone portable permet d'être joint par les
employeurs et les équipes sociales, parfois de garder le lien avec la
solidarité de quartier ». Ils ajoutent que d'un autre
côté « la consommation exclusive et fermée de
médias consacrés à la communauté (journaux, radios,
télévisions ou émissions communautaires) peut favoriser
des replis communautaires et la constitution de "bulles
153 Sigg,
I.
Migrants.com. Hommes et migrations, n° 1240,
novembre-décembre 2002. Sigg est à la fois artiste et
écrivain. Il est également le réalisateur de certaines
illustrations dans les pages du journal Le Monde.
342
culturelles" au sein des pays d'accueil sans garantir de
réelle communication entre les cultures ».
8.1.1 Les TIC, supports d'intégration
Depuis le début des années 1990, la question de
l'intégration des migrants occupe une place centrale dans le
débat public et dans les discours politiques en France (C. Withol de
Wenden, 1992 ; J. Barrou, 1997, 2001 ; G. Noiriel, 2000, 2002 ; P. Dewitte,
2003 ; J. Costa-Lascoux, 2006). Contrairement au modèle
d'intégration anglo-saxon en faveur d'une politique favorable au
multiculturalisme, le modèle français d'intégration vise
plutôt à favoriser la participation des migrants à la vie
commune, avec l'acquisition des mêmes droits et l'assujettissement aux
mêmes devoirs républicains. Dans son article intitulé
« Différents modèles d'intégration nationale
» et publié sur son site web
www.reynier.com, l'auteur indique
que dans le modèle américain d'intégration « chaque
groupe peut participer à la construction de l'identité nationale
en tant que groupe. C'est la pluralité des groupes qui forme
l'unité nationale » tandis que dans le modèle
français « l'intégration se fait de manière
individuelle. Elle doit être le fruit d'une démarche personnelle.
La France ne reconnaît pas les communautés particulières.
Ce sont les individus et non les communautés qui sont
intégrées ». En France, l'affirmation des appartenances
culturelles, ethniques, religieuses ou sociales est perçue par les
pouvoirs publics comme comportant des dangers pour la cohésion
nationale154. Or cette vision peut être
généralement considérée par les groupes
minoritaires comme une tendance à vouloir les soumettre à une
certaine forme d'uniformisation culturelle. Par conséquent, cela ne fait
qu'engendrer des divergences qui viennent s'ajouter aux nombreuses
contradictions auxquelles la société française est
déjà confrontée dans sa politique d'intégration des
personnes immigrées ou issues de l'immigration.
Pour ce qui concerne plus précisément les
migrants sénégalais, il convient de noter que, d'une
manière générale, l'intégration dans le pays de
résidence a toujours été une dimension fondamentale dans
les stratégies migratoires. On pourrait effectivement nous objecter le
cas des ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal
vivant, pour l'essentiel, repliés en communautés villageoises
dans les foyers de travailleurs migrants gérés jadis
343
par la Sonacotra. Mais, nous pensons que ces
établissements réservés à l'hébergement des
populations migrantes présentaient également toutes les
conditions favorables à l'exclusion et l'isolement de ces personnes
démunies dans la plupart des cas. C'est d'ailleurs en réaction
à cette situation de repli communautaire que l'on va assister
progressivement à l'émergence de nouveaux leaders, hors des
hiérarchies traditionnelles habituelles. Il s'agit le plus souvent de
jeunes leaders, ayant une certaine maîtrise du fonctionnement de la
société française, et qui vont donc mettre en oeuvre des
stratégies parfois efficaces pour faciliter l'intégration de
leurs compatriotes dans leur pays de résidence.
D'autre part, on sait que les premières associations
d'étudiants sénégalais en France remontent à une
période relativement ancienne. On peut même dire qu'elles
remontent à avant l'indépendance du Sénégal obtenue
en 1960. Elles résultaient non seulement d'une volonté de se
rassembler dans un cadre de solidarité et d'entraide, mais aussi d'une
détermination à contribuer à l'intégration des
étudiants dans leur nouvel environnement estudiantin. Il en va
généralement de même pour les migrants exerçant des
fonctions de responsabilité dans l'administration ou dans les
entreprises privées en France. En effet, pour mieux défendre
leurs intérêts, les travailleurs sénégalais en
France ont mis en place des structures telles que l'Association
Générale des Travailleurs Sénégalais de France
(AGTSF), l'Union des Travailleurs Sénégalais en France (UTSF), le
Regroupement des Travailleurs Sénégalais en France (RTSF). Il y a
d'une part l'insertion sociale à travers la recherche et l'obtention
d'un travail permettant de mener une vie d'un niveau convenable ou
décent. Il y a ensuite l'intégration à travers la
participation aux échanges interculturels et plus
généralement à la vie culturelle du pays de
résidence.
Avec l'avènement et la propagation des TIC, et en
particulier le téléphone portable et Internet, on remarque des
changements significatifs dans les rapports que les migrants entretiennent avec
leur pays de résidence. Par exemple, l'accès à Internet
permet aux migrants d'obtenir des informations utiles sur les conditions de
délivrance de la carte de séjour autorisant à rester
temporairement ou la carte permettant de devenir résident permanent (par
le biais de la naturalisation) en France. Aujourd'hui, il n'est plus
nécessaire de se déplacer à la préfecture pour
obtenir certains renseignements sur le dossier à constituer en vue
d'obtenir la carte de séjour. En France, les préfectures
154 Pour preuve, la tournure politique prise par l'affaire de la
conductrice voilée de Nantes et de son conjoint
344
permettent aux administrés d'effectuer en ligne
l'essentiel de leurs services administratifs. Mais il y a surtout le site web
Service-Public.fr où il
est possible d'effectuer la plupart des démarches, quelles que soient
par ailleurs leurs complexités
administratives.
Service-public.fr est le portail officiel de l'administration
française. Les migrants sénégalais en France l'utilisent
pour obtenir certains services en ligne et des formulaires
électroniques. Parmi les plus grands utilisateurs du site, on trouve en
majorité des personnes disposant naturellement de la nationalité
française ou ayant vécu assez longtemps en France.
Généralement, mieux intégrés dans la
société française que leurs jeunes compatriotes
néo-migrants, désormais ils accomplissent au quotidien diverses
démarches administratives par Internet. Ainsi par exemple, certains se
servent du web pour télécharger des formulaires, effectuer en
ligne leurs déclarations de revenus ou d'achats de véhicules
d'occasion, consulter leurs remboursements d'assurance maladie...
Site web 38. Site web du service public en
France
De même, les sites web mis en place notamment par les
associations de migrants étudiants permettent également
d'accompagner les migrants dans leurs démarches concernant les demandes
de titre de séjour. D'un autre côté, ils fournissent
également des renseignements forts utiles sur les possibilités
d'acquisition de logement en résidences universitaires ou dans le
secteur locatif privé. Généralement, dans quasiment chaque
ville
supposé polygame, en avril 2010.
345
française, les étudiants ont mis sur le site web
de leur association un lien permettant de se rendre sur le site du CROUS de la
ville concernée. Il est aussi intéressant de noter la
possibilité de constituer en ligne son dossier social étudiant et
aussi de suivre en ligne son évolution. On observe aussi que la plupart
des associations d'étudiants proposent sur leur site des liens vers le
site de la CAF (caisse d'allocations familiales). Il s'agit de l'organisme
français chargé des allocations familiales et des aides
attribuées au titre de soutien aux dépenses de locations de
logement (ALS et APL). Généralement, on trouve une antenne de la
CAF dans presque toutes les villes françaises. Désormais, il est
possible d'effectuer en ligne l'essentiel des démarches relatives aux
prestations fournies par la CAF sans se déplacer jusque dans ses locaux.
En effet, on peut créer en ligne son compte et télécharger
les formulaires d'allocations familiales, d'aides au logement, de demande de
revenu minimum d'insertion, etc. Il convient de souligner en fait que la
plupart des personnes interrogées apprécie les commodités
offertes par l'administration numérique. Grâce à
l'e-administration, elles peuvent constituer facilement et rapidement un
dossier administratif et suivre son évolution en ligne au quotidien tout
en restant à leur domicile. Plus généralement, les
réponses à nos questionnaires ainsi que les contenus des sites
web mis en ligne par les associations de migrants sénégalais en
France tendent à mettre en évidence un rôle non
négligeable des TIC dans le processus d'insertion sociale des
migrants.
8.1.1.1 Pour mieux accompagner les migrants dans la
recherche d'emploi ou de stage
En France, le marché de l'emploi est essentiellement
structuré autour du service public de l'emploi qui regroupe les agences
et associations chargées de faciliter les recherches, la formation et
l'insertion des demandeurs d'emploi. Ces derniers effectuaient leurs
démarches principalement auprès des établissements
spécialisés comme l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE),
l'Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC) et
l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le
commerce (UNEDIC). Mais c'est surtout l'ANPE, créée en 1967, qui
apparaît comme la structure la plus dynamique dans le secteur du
marché français de l'emploi. Depuis 1997, l'ANPE a mis en ligne
son site web dans lequel les internautes peuvent consulter quotidiennement des
milliers d'offres d'emploi. Le site web de l'ANPE
346
permet donc de trouver des opportunités d'emploi dans
les secteurs qui recrutent, de se faire embaucher en ligne, de
bénéficier d'aides et de conseils dans ses démarches et
ses droits à obtenir un emploi ou une formation. Ainsi, à
l'instar de l'ANPE, les autres organismes qui s'activent dans le domaine de
l'emploi ont également mis en ligne leur site web. Les chercheurs
d'emploi peuvent y trouver des ressources et des conseils dans leurs
démarches et leurs parcours, s'inscrire et suivre l'évolution de
leurs dossiers en ligne. Il s'agit principalement du site web du Pôle
emploi, un établissement public issu de la fusion en 2008 de l'ANPE et
l'ASSEDIC. Le Pôle emploi propose sur son site web l'actualité et
les opportunités d'emploi dans chaque région française.
Chaque demandeur d'emploi peut également accéder aux forums et
aux informations sur le marché de l'emploi de sa région. Pour
montrer la place importante qu'occupent ces technologies dans la vie des
migrants sénégalais en France, nous allons évoquer les cas
de A. D. et L. G.
Agé de 40 ans, A. D. est arrivé en France en
1992. Il a fait des études de philosophie d'abord à Montpellier
puis à Marseille où il a obtenu son diplôme de DEA en 2000.
Voilà ce qu'il nous dit :
« J'ai commencé à utiliser le
téléphone portable en 1998 et l'Internet en 2000. En moyenne, je
dépense 60 euros pour mes appels téléphoniques
(cartes prépayées et abonnement Bouygues) et 43 euros
pour la connexion Internet (Liveboxe d'Orange). Je me suis inscrit au niveau du
rectorat. Ce qui me permet de temps en temps de faire de la vacation dans les
collèges. Cependant, les horaires que l'on m'attribue ne me permettent
pas de gagner assez d'argent. Aussi, je suis obligé de mener
parallèlement une activité indépendante
saisonnière. De juin à juillet, je travaille comme
commerçant. Je vends des objets d'art africain, des ceintures, des
porte-monnaies... Cependant, quand je ne travaille pas, je m'inscris aux
ASSEDIC en tant que demandeur d'emploi afin de pouvoir bénéficier
des aides au chômage. J'ai donc constitué un dossier sur le site
de Pôle emploi. Les formalités sont très faciles. J'ai un
mot de passe qui me permet d'accéder à mon dossier en ligne
à tout moment. Franchement, c'est très pratique car cela
évite de se déplacer parfois inutilement. Ma conseillère
en recherche d'emploi me tient régulièrement informé par
courrier électronique. Quand je me déplace pour me rendre dans
les locaux de Pôle emploi, c'est généralement pour
répondre aux convocations pour des journées de formation. En
outre, étant souvent au Sénégal, je peux aller dans les
cybercafés pour suivre au quotidien mon dossier ASSEDIC ».
L. G., une jeune femme âgée de 36 ans et
domiciliée à Drancy en région parisienne dit à peu
près la même chose :
« Je suis arrivée en France en 2005. J'ai fait
des études d'AES à l'université de Metz. Après
avoir fait une formation en secrétariat médical, j'ai
trouvé du travail dans un hôpital de la région parisienne.
J'ai commencé à utiliser le téléphone portable en
1997. Depuis lors, je suis restée une fidèle cliente de SFR chez
qui j'ai pris un abonnement mensuel de 50 euros. Pour ma connexion Internet
à domicile, j'ai pris un abonnement mensuel de 30 euros chez Free. Mon
ordinateur portable, acquis en 2008, me sert surtout à effectuer mes
démarches administratives. Par exemple, j'utilise Internet pour les
procédures avec la CAF. Quand j'en ai besoin, je peux discuter par
courrier électronique avec mon assistante sociale. Etant actuellement
à la recherche d'un logement, j'ai constitué en ligne un dossier
de demande de logement dans le parc locatif public. N'empêche, je fais
aussi sur Internet des recherches de logement dans le parc privé en
région parisienne, de préférence pas loin de mon lieu de
travail. Internet m'apporte beaucoup de commodités dans mes relations
notamment administratives avec mon pays de résidence. Grâce
à Internet, mes relations avec mon pays d'origine sont devenues quasi
quotidiennes. J'appelle mes parents restés au pays presque tous les
jours sur Skype. Comme presque tous mes frères et soeurs sont en France,
on a installé une connexion Internet à domicile à Dakar
pour permettre à nos parents de ne pas se sentir trop seuls
».
347
Site web 39. Site web de Pôle emploi
348
En ce qui concerne les étudiants, c'est
généralement le CROUS qui permet l'accès à
certaines offres d'emploi qui leur sont plus particulièrement
destinées. Le « service emploi étudiants » au niveau
des CROUS met à la disposition des employeurs un espace pour afficher
leurs offres d'une part et, d'autre part il permet aux étudiants de
trouver des offres d'emploi en ligne pour financer leurs études et
subvenir à certains de leurs besoins. I. D., âgé de 25 ans
est étudiant à Bordeaux où il vit depuis 2002. Cet
étudiant en maîtrise de droit nous raconte comment il
procède pour trouver un emploi étudiant.
« C'est en 1998 que j'ai commencé à
utiliser le téléphone portable et Internet en 2000. Chaque mois,
je dépense 30 euros pour mon abonnement téléphonique chez
SFR et 20 euros pour mon abonnement Internet chez Neuf Télécom.
Quand je cherche du travail, je vais consulter les annonces affichées au
CROUS ou au CIJA. Dès que je trouve une annonce intéressante,
j'appelle avec mon téléphone portable pour postuler. Parfois, on
me demande le numéro de mon téléphone portable sur lequel
on va me rappeler. De plus, je me suis inscrit auprès de quelques
agences d'intérim comme Manpower et Adecco qui me trouvent de temps en
temps du travail dans le nettoiement ou la manutention. Grâce au
téléphone portable, je peux être joint à tout moment
par toutes ces structures susceptibles de me procurer du travail. Ce qui me
permet de financer mes études en France et d'envoyer un peu d'argent
à mes parents restés au pays».
Par ailleurs, nous avons aussi vu que le secteur du
marché du travail au Sénégal constitue également un
enjeu majeur pour certains migrants sénégalais en France. Aussi,
ceux qui cherchent un emploi ou un stage au Sénégal n'ont plus
vraiment besoin de se déplacer jusqu'au Sénégal. Ils
peuvent désormais trouver de nombreuses propositions sur Internet. Il y
a les sites web mis en ligne par les structures administratives chargées
de l'emploi et l'insertion professionnelle des jeunes au Sénégal,
notamment le site du Ministère de la jeunesse et de l'emploi des jeunes
www.jeunesse.gouv.sn, le site
du Fonds national de promotion de la jeunesse
www.fnpj.sn et le site de l'Agence
nationale pour l'emploi des jeunes
www.anej.sn.
On peut citer également le site web
www.senjob.com « le
spécialiste de l'emploi en ligne au Sénégal et en Afrique
» comme l'indiquent les auteurs du site. Dans presque tous ces sites Web,
les demandeurs d'emploi peuvent déposer leurs candidatures et postuler
en ligne aux offres d'emploi contenues quel que soit le secteur
d'activités. En outre, le site
349
web
www.senjob.com propose un forum
où les internautes peuvent se rencontrer virtuellement afin de partager
leurs expériences professionnelles, échanger des idées sur
l'entrepreneuriat, débattre sur le retour au Sénégal
après les études en Europe, etc.
8.1.1.2 Afin de mieux participer à la vie
culturelle dans le pays de résidence
Une des missions principales des différentes
associations constituée par la communauté
sénégalaise en France consiste à faire connaître et
valoriser certains aspects de la culture traditionnelle ou religieuse du pays
d'origine dans leur pays de résidence. D'ailleurs, à partir de
l'étude des contenus des sites web mis en ligne par certaines
associations de migrants sénégalais en France, nous avons pu
effectivement nous rendre compte que, d'une manière
générale, l'organisation des activités culturelles occupe
une place primordiale dans leurs programmes. Il suffit en effet de visiter
notamment quelques sites web d'associations d'étudiants
sénégalais en France pour mesurer la diversité des
manifestations culturelles organisées par les Sénégalais
un peu partout en France. Presque chaque ville de la France abrite
l'organisation de journées ou semaines culturelles
sénégalaises. La plupart du temps, ces manifestations se
déroulent dans des locaux prêtés par les CROUS ou par les
municipalités. Par exemple à Bordeaux, les manifestations
culturelles organisées par les étudiants ont
généralement lieu à la salle AB du village 3 ou à
la maison d'activités culturelles sur le campus de Talence. Cependant,
les mairies des communes de Bordeaux (salles Sontey et Saint-Augustin), Lormont
(salle Albert Camus), Floirac et Cenon (salle Simone Signoret) peuvent parfois
prêter volontiers leurs salles de fête. Ces manifestations
culturelles représentent également pour les
Sénégalais des moments propices pour développer des
échanges culturels avec des associations locales (françaises ou
étrangères) et de ce fait contribuer au rayonnement multiculturel
de leur lieu d'implantation.
La participation des migrants à la vie culturelle dans
leur pays de résidence donne aussi une indication de leur degré
d'implication dans son animation culturelle et par conséquent de leur
volonté d'intégration. Les TIC leur donnent aujourd'hui la
possibilité de communiquer plus facilement et d'échanger
davantage avec les populations locales. Ces dernières peuvent en retour
utiliser les TIC pour découvrir la richesse et la diversité
culturelle de ces populations immigrées. Les TIC peuvent favoriser des
rencontres
350
culturels où chaque partie peut tirer profit des
spécificités de l'autre. On a vu dans des villes comme Brest
(festival Breizh Africa), Montpellier et Clermont-Ferrand que les associations
sénégalaises peuvent également participer aux
manifestations festives ou culturelles organisées par des structures
locales. Elles peuvent aider à promouvoir des échanges culturels
réciproques par sites web interposés par exemple. Les
échanges culturels prédisposent à l'ouverture vers les
autres, à une coopération positive, ce qui est important pour la
cohésion de la communauté dans sa diversité. Il est
possible aussi de recourir au courrier électronique ou aux forums pour
construire à des relations culturelles pouvant s'avérer
bénéfiques. A mesure que l'accès aux TIC devient plus
démocratique et que les innovations technologiques se
développent, on peut s'attendre à ce que les associations de
migrants s'impliquent davantage dans le dynamisme culturel du pays de
résidence.
8.1.2 Les TIC, facteurs de replis identitaires ?
En France, le repli identitaire des groupes minoritaires est,
en général, identifié au communautarisme, terme le plus
souvent perçu comme un frein à l'intégration dans la
République. Il s'agit de cette tendance au morcellement des
communautés confinées selon leur appartenance à un groupe,
une ethnie, une religion voire même parfois par le fait tout simplement
de partager les mêmes conditions sociales, en particulier la même
galère liée au chômage et à la pauvreté au
sein de la cité. Plus précisément, le communautarisme est
ressenti par ses pourfendeurs et critiques comme une opposition aux valeurs
républicaines et universelles. On constate que le débat
particularismes identitaires versus universalisme républicain est
réapparu récemment dans l'espace public français dans un
contexte très particulier, marqué au niveau national par les
controverses nombreuses suscitées par le port du voile dans les
établissements publics au milieu des années 1990, la
montée de l'extrême droite et le traumatisme provoqué par
la présence inattendue de Jean Marie Le Pen, président du Front
national (FN), au second tour de l'élection présidentielle de
2002. Les violences urbaines sans précédent qui ont très
fortement secoué les banlieues françaises en 2005, et au niveau
international les attentats commis aux États-Unis le 11 septembre 2001
ont aussi contribué à focaliser l'attention sur les
étrangers non européens. Pour les sociologues Chantal
Bordes-Benayoun et Dominique Schnapper, « la valorisation des
identités particulières comporte un double
351
risque pour la cohésion sociale des démocraties.
D'une part, elle menace de fragmenter le corps social et d'aggraver les
inégalités entre les groupes. D'autre part, les conflits
extérieurs risquent d'être importés et de dramatiser les
rivalités et les conflits intérieurs. Si l'entretien des cultures
et des fidélités particulières, inscrites dans des
aspirations qui dépassent les frontières nationales, fait partie
de la liberté de chacun, ne faut-il pas partager aussi une histoire et
des valeurs communes ? »155
Le communautarisme est suspecté de valoriser la
fermeture sur soi et de cette manière de constituer une menace pour
l'unité et la cohésion de la République. Il constitue un
réel obstacle à ce commun devoir de vivre ensemble dans une
société laïque de liberté et de fraternité.
Or, à travers notamment le « melting-pot », un pays comme les
Etats-Unis a prouvé, qu'il était bien possible, toutes
proportions gardées, de transformer des populations issues de diverses
origines et de les amener à coexister ensemble dans la différence
au sein d'une société homogène. En réalité,
l'existence de différentes cultures reflète la vigueur du
multiculturalisme au sein d'une société quelle qu'elle soit.
Par ailleurs, depuis que les migrants ont commencé
à utiliser massivement les TIC, les adversaires du communautarisme y
voient une manière d'accroître davantage les menaces de replis
identitaires des groupes minoritaires. Ceux qui soutiennent cette thèse
considèrent en effet que la consommation exclusive et fermée de
médias consacrés à la communauté et au pays
d'origine risque de favoriser la constitution de « bulles communautaires
» dans les pays de résidence. Pourtant, nous avons vu qu'au sein de
la diaspora sénégalaise en France où la tendance est
généralement de fréquenter assidûment les sites
d'informations sur le pays d'origine, les TIC jouent un rôle plutôt
important dans le processus d'intégration dans le pays de
résidence. Dans leur grande majorité, les personnes
interrogées considèrent les TIC comme essentiellement des moyens
de renforcer les relations avec le pays d'origine, d'accéder à
l'information sur le pays d'origine en temps réel et de savoir ce qui
s'y passe tous les jours, de prendre le pouls du pays quasiment en direct et de
s'impliquer beaucoup plus que dans le passé, d'intervenir en direct dans
les débats sur les radios en ligne, de participer aux forums de
discussion et de s'exprimer sur la situation politique, économique et
sociale du pays d'origine.
155 BORDES-BENHAYOUN, Chantal et SCHNAPPER, Dominique. Le
communautarisme ou l'oubli du monde commun. Le Figaro, 24
février 2006.
352
Il n'en demeure pas moins pour autant que la grande
majorité des migrants reconnaît que les TIC ont apporté
beaucoup de commodités et contribué à renforcer les
relations avec le pays de résidence. La diversité des sites web
permettant de trouver du travail est particulièrement
appréciée dans la mesure où ces sites web ont beaucoup
facilité les recherches d'emploi et aussi offrent beaucoup plus
d'opportunités d'insertion socioprofessionnelle. De même, les
sites web des universités fournissent constamment des informations sur
l'actualité culturelle et sociale destinée aux étudiants.
D'autre part, les sites des réseaux sociaux tels que Facebook et Hi5
permettent de nouer des contacts et d'interagir avec des internautes d'horizons
divers. Ainsi, O. D., moniteur/allocataire de recherche à
Aix-en-Provence nous dit :
« J'ai 27 ans et je suis arrivé en France en
2002, année où j'ai commencé à utiliser le
téléphone portable et Internet. Pour le téléphone,
j'ai pris un abonnement Orange à 30 euros et la connexion Internet
auprès de Wi First à 8 euros par mois. Bien qu'étant un
utilisateur assidu de Seneweb où je passe une bonne partie de mon temps
libre à surfer sur le site afin de me tenir régulièrement
informé de l'actualité de mon pays d'origine, je me rends aussi
régulièrement sur le site de l'université Paul
Cézanne et dans les forums pour étudiants. Ce qui me permet de me
tenir au courant des manifestations culturelles organisées dans la ville
et d'entretenir des échanges avec d'autres étudiants sur la vie
des étudiants et les perspectives de carrière à la fin des
études. C'est pour ces raisons que j'affirme que les TIC contribuent
à renforcer les relations avec le pays de résidence
».
Y. D., âgé de 25 ans et étudiant à
Bordeaux avance à peu près les mêmes raisons pour justifier
pourquoi il pense que l'utilisation des TIC peut effectivement participer
à renforcer les relations avec le pays d'accueil.
« Comme la plupart de mes compatriotes, je consulte
chaque jour Seneweb pour obtenir des informations sur l'actualité
sénégalaise. Parallèlement, je consulte aussi
régulièrement le site web de l'université Montesquieu
Bordeaux 4 pour obtenir des informations sur tout ce qui concerne la vie
étudiante. Le site propose des informations sur les aides sociales, les
activités physiques et sportives ainsi que les manifestations
culturelles destinées aux étudiants de Bordeaux 4. Parmi mes
sites web préférés, il y a également celui de
l'APEC qui donne accès aux offres d'emploi et de stages pour notamment
les jeunes diplômés. Je suis aussi un adepte du forum de
discussion Senediaspora et de Facebook. Tout cela fait que je me sens mieux
intégré dans mon pays d'accueil ».
353
Les sites portails comme
Seneweb.com,
Xalima.com,
Xibar.net ou
Rewmi.com permettent au quotidien
d'obtenir des informations sur l'actualité sénégalaise.
Mais, on s'informe aussi en ligne sur l'actualité française et
internationale à travers les sites des quotidiens d'informations
généralistes comme
Lemonde.fr,
Lefigaro.fr, sur le site web du
magazine hebdomadaire d'informations
Marianne2.fr ou sur le site web du
quotidien sportif
Lequipe.fr. Plus
particulièrement, les TIC facilitent les démarches
administratives dans le pays de résidence et permettent, à bien
des égards, de disposer de conseils relativement pratiques et utiles sur
le pays de résidence. Ainsi donc, contrairement à ce que l'on
pourrait penser, observe Philippe Dewitte « il n'est pas dit que la
sociabilité communautaire en ligne créera mécaniquement du
ghetto »156 ou une vie communautaire renfermée sur
elle-même. Nous n'avons noté aucune particularité au sein
des sites web réalisés par ou pour les migrants
sénégalais visant à promouvoir un quelconque repli
identitaire ou à faire l'apologie de l'identité de la culture
d'origine. On observe bien entendu une valorisation et une vulgarisation de
certains aspects de la culture sénégalaise, mais également
une réelle volonté de dialogue interculturel avec la
société d'accueil. En définitive, on peut dire, pour
paraphraser Yves Charbit, Marie-Antoinette Hily et Michel Poinard (1997), dans
leur étude portant sur le va-et-vient identitaire des migrants portugais
entre la France et les villages d'origine au Portugal, que les migrants
sénégalais en France cherchent, à travers leur vie
quotidienne et leur vie professionnelle à « mettre en
évidence une certaine logique de va-et-vient entre » leurs
territoires d'origine et de résidence, « et non point une rupture,
ou un rejet du territoire de résidence au profit du territoire
d'origine, « mais la construction d'une vie, au gré des
opportunités offertes » à la fois ici et là-bas, et
donc dans leurs deux territoires de vie. Même s'il serait imprudent de
tirer des conclusions trop hâtives, il nous semble, au contraire, que les
migrants se servent de ces technologies pour mieux vivre leur double
appartenance.
8.2 Des usages en faveur de la promotion de quelques
facettes
de la culture d'origine
En lui donnant la possibilité d'avoir plus de
visibilité, Internet participe, d'une certaine façon, à la
vulgarisation de la culture sénégalaise en France en particulier
et dans
156 Dewitte, P., Homo cybernatus, in Hommes et
migrations, n° 1240, novembre-décembre 2002.
354
le reste du monde en général. Cette technologie
est utilisée comme support permettant d'informer et de diffuser les
évènements culturels. Aujourd'hui, toutes les informations
relatives aux activités culturelles organisées par les
associations de migrants sénégalais présentes dans les
différentes villes de l'Hexagone sont accessibles sur leurs sites web.
Ces associations se servent de leur site web surtout pour informer et
communiquer notamment sur l'édition de la semaine culturelle
organisée chaque année. Sur chacun de ces sites web, une rubrique
entière est généralement consacrée uniquement aux
programmes établis dans le cadre de l'organisation de ces
évènements culturels. Par conséquent, tous ceux qui
veulent découvrir la culture sénégalaise peuvent le faire
en se rendant d'abord sur ces sites pour connaître les dates et les
lieux. Internet offre ainsi une plus grande ouverture des activités
culturelles sur les populations locales et sur les autres communautés.
Il permet donc à toutes ces personnes l'accès instantané
des programmes culturels à partir de leur domicile. En effet, une
personne qui n'a pas le temps de se déplacer peut se connecter sur
Internet et obtenir des informations sur le déroulement des programmes
culturels. La mise en ligne des activités culturelles peut s'analyser
comme un complément au support papier, jadis principal moyen de
diffusion ou encore de publicité. Internet contribue de ce fait à
démocratiser davantage l'accès aux informations ayant trait aux
évènements culturels.
La plupart des sites web proposent en outre une galerie photos
dans laquelle les internautes peuvent consulter les photos prises parfois lors
des séances de tam-tam ou de défilés de tenues
vestimentaires traditionnelles sénégalaises. La participation
à la vie culturelle dans le pays de résidence se manifeste aussi
à travers les conférences et débats, mais aussi à
travers la promotion de l'art, des savoirs et savoirs-faire
développés au Sénégal.
On constate donc que diverses activités sont
initiées par les associations de Sénégalais en France en
faveur de la promotion de la culture sénégalaise dans l'Hexagone.
Ces manifestations constituent un des aspects de la participation de la
communauté sénégalaise à l'animation
socioculturelle dans les différentes villes françaises. Ainsi
pour mieux remplir leur mission d'ambassadrice de la culture
sénégalaise dans les régions françaises, les
associations ont investi le cyberespace. Internet permet non seulement de mieux
faire connaître la culture sénégalaise auprès des
français et des autres communautés vivant en France,
mais aussi il permet aux associations de migrants
355
d'acquérir une plus grande audience et une plus grande
visibilité dans le paysage associatif français. Internet
représente donc un outil puissant pour impulser et donner plus de
dynamisme aux manifestations culturelles. Il est utilisé pour affirmer
et promouvoir la culture sénégalaise. Internet peut favoriser la
diffusion des activités culturelles auprès d'un public plus large
afin de lui donner plus de retentissement et aussi favoriser des
échanges interculturels. Les associations développent de plus en
plus leurs sites sur Internet. Ce qui montre qu'Internet est devenu un canal de
diffusion qui complète et renforce les canaux de diffusion
traditionnels. Les internautes disposent d'un accès plus facile et d'une
meilleure information. Tout ce que l'on mettait avant sur support papier peur
être maintenant diffusé sur Internet. Ce qu'Internet offre pour le
moment de manière incontestable à toutes ces associations
présentes en ligne c'est une vitrine. Il serait aujourd'hui bien
difficile de nier le rôle de ces associations dans la vulgarisation de la
culture sénégalaise. Non seulement Internet améliore ou
augmente la visibilité des activités menées par ces
associations, mais il leur permet en outre de communiquer de manière
plus efficace avec les différents partenaires locaux.
Par ailleurs, Internet constitue une vitrine essentielle pour
découvrir certaines pratiques de la communauté mouride. On
observe une propension des sites web mourides à communiquer sur les
activités des différentes associations mourides implantées
en France. De ce fait, ils ont surtout vocation à servir d'espace
d'information sur l'enseignement et l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba et aussi
sur les manifestations organisées par les nombreux dahiras
répartis sur l'espace français. Certains sites web disposent
d'une médiathèque où les internautes peuvent visualiser
des enregistrements vidéo ou écouter des enregistrements audio de
certains évènements mourides célébrés au
Sénégal ou en France.
356
Image 5 : Différentes manifestations culturelles
organisées en France
Cérémonies de faux lions sur la Des
Sénégalaises arborant leurs tenues Exposition de produits
artisanaux
place Grenette à Grenoble traditionnelles lors du «
Grand Sud » à Perpignan sénégalais à Nice
8.2.1 Transferts d'informations, de savoirs et de
compétences
La question du transfert des connaissances et
compétences des migrants vers leur pays d'origine a connu un regain
d'activité à l'ère des technologies de l'information et de
la communication. Les pays pauvres qui ont vu au cours de ces dernières
années une partie importante de leurs ressources humaines hautement
qualifiées partir vers les pays développés,
considérés comme des cieux plus favorables à leur
épanouissement professionnel, peuvent trouver dans les TIC un atout en
faveur de la mobilisation de ce capital humain qui arrive à un point
nommé. Sachant que le potentiel de connaissances et de
compétences au sein des migrants hautement qualifiés peut
aujourd'hui s'avérer, dans bien des cas, un élément
essentiel pour le développement des pays d'origine, mais aussi un
facteur non négligeable en vue de mieux les connecter au système
global de partage des connaissances. C'est d'ailleurs une des idées
phares qui sont à la base du projet « Diaspora Knowledge Networks
» (DKN).
Ce projet, initié par l'UNESCO au cours de
l'été 2005 et coordonné par le sociologue William
Turner157, consiste tout d'abord à mettre en place des
mécanismes (outils conceptuels et méthodologiques) qui
permettront aux migrants hautement qualifiés, d'une part, d'utiliser
toute technologie de communication susceptible de les maintenir en contact avec
leur pays d'origine et, d'autre part, de se servir d'Internet pour tisser de
solides liens sociaux entre eux. Il s'agit ensuite de localiser des
compétences diverses au
357
sein de ces diasporas, à travers par exemple la mise en
place d'un système de communication destiné à cerner et
gérer de façon adéquate les savoirs et savoirs-faire en
leur sein, et aussi d'identifier les ressources, les contraintes et les
priorités dans les pays d'origine, sans laquelle aucune action efficace
n'est possible. Il s'agira enfin dans le cadre de la coopération
bilatérale de faire participer les migrants dans les projets de
développement en faveur des pays d'origine. Jean-Baptiste Meyer
considère à ce propos que les diasporas de la connaissance
constituent un atout inédit pour la compétitivité des pays
du sud158. Dans ses travaux sur les diasporas scientifiques, J-B.
Meyer s'interroge sur le rôle des migrants chercheurs comme porteurs de
dynamisme et comme atouts pour le développement durable des pays
d'origine.
Aujourd'hui, les progrès fulgurants enregistrés
dans le domaine des technologies de l'information et de la communication sont
incontestablement en train de révolutionner, de façon
extraordinaire, la manière dont les migrants parviennent à
maintenir et renforcer les relations avec leur pays d'origine. Ainsi, les
migrants hautement qualifiés au sein de la diaspora
sénégalaise en France peuvent non seulement communiquer au
quotidien plus facilement entre eux ou avec la fraction qui vit ailleurs dans
d'autres pays de migration, mais également ils peuvent accéder en
temps réel à certaines informations relatives au pays d'origine,
informations parfois déterminantes dans leurs choix présents ou
futurs. Il semble donc que les TIC contribuent à élargir les
perspectives d'emploi à l'échelle mondiale, par conséquent
à plus de mobilité internationale, tout en accentuant
l'idée de coprésence avec le pays d'origine malgré la
distance. En France, les migrants sénégalais hautement
qualifiés regroupent des enseignants, des ingénieurs, des
médecins, des juristes, des consultants, des informaticiens, des
entrepreneurs, des financiers... Or, la plupart d'entre eux sont des porteurs
de projets, des vecteurs d'investissement. C'est donc surtout pour se
rencontrer afin de mieux se connaître et aussi pour échanger et
initier des collaborations professionnelles que ces cadres
Sénégalais ont décidé de se réunir au sein
du réseau « Espace Jappo ». De même que les
étudiants et anciens étudiants sénégalais dans les
grandes écoles françaises comme l'Ecole Polytechnique, Ponts et
chaussées, HEC... se sont rassemblés autour de l'Association des
étudiants Sénégalais des grandes écoles (AESGE),
dans le but de tisser de solides liens de fraternité et de promouvoir
leurs
157 William ou Bill Turner est chercheur au LIMSI (laboratoire
d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur),
une unité de recherche du CNRS, associée aux universités
Paris 6 et Paris 11. Il est membre de l'équipe PCD, Groupe Architectures
et Modèles pour l'Interaction (AMI).
358
connaissances et compétences auprès des
entreprises sénégalaises et multinationales. Les membres de
l'AESGE ont mis en place un réseau de parrainage pour permettre à
des lycéens ou des étudiants de prendre sous leur tutelle des
enfants déshérités des zones rurales
sénégalaises.
Au Canada, les ingénieurs et scientifiques
sénégalais, regroupés au sein de la Société
Sénégalaise des Scientifiques et Ingénieurs au Canada
(S3IC), déploient un certain nombre d'initiatives en direction de leur
pays d'origine. C'est ainsi qu'ils ont mis en place un important projet de
transformation de plantes aquatiques envahissantes au niveau de la
région du fleuve et plus précisément à Ross
Béthio dans la région de Saint-Louis. Il s'agit du
projet Jade, un projet financé par la Banque Mondiale à hauteur
de $US 100.000 et consistant à transformer des herbes envahissantes en
granules combustibles que les populations locales pourront utiliser dans les
cuissons domestiques. Il y a aussi un projet pilote visant à
informatiser les services sénégalais chargés
d'émettre des pièces d'état civil afin de permettre
à leurs compatriotes de pouvoir effectuer en ligne des demandes
d'extrait de naissance, de certificat de mariage, de décès... Un
autre projet consiste à utiliser la biomasse pour produire de
l'énergie dans certaines zones démunies du Sahel rural, en
partenariat avec une entreprise canadienne, Canada Composting Inc (CCI). Ce
projet, décomposé en trois phases, vise d'abord dans une
première étape à produire de l'énergie à
partir de la valorisation énergétique des résidus et
déchets agricoles, ensuite une seconde étape consiste à
traiter des déchets urbains et enfin une troisième étape
assure la production d'énergie à partir des cultures
énergétiques (référence :
www.s3ic.ca). Par ailleurs, les membres
de la S3IC apportent également leurs contributions au bon fonctionnement
de certains services administratifs sénégalais en faisant par
exemple des propositions de structures organisationnelles. C'est dans ce sens
qu'une proposition a été adressée par lettre au Directeur
de l'ARTP de l'époque, Monsieur Malick Guèye, en mars 2006.
Les TIC, en particulier Internet, offrent aux expatriés
qualifiés des possibilités de relations et d'échanges. De
nouveaux réseaux se développent dans lesquels les membres,
dotés de compétences diverses, sont liés par des liens de
solidarité, mais en même temps par le besoin de s'organiser afin
aussi d'être plus utiles au pays d'origine. A cet effet, des sites web
sont développés pour servir de plateformes de rencontres,
d'échanges d'idées et
158 MEYER, J-B. Les diasporas de la connaissance : un atout
inédit de la compétitivité du sud. La Revue
359
d'informations sur les missions, les activités et les
projets initiés. Ces sites fonctionnent en fait comme des lieux de
contact ou des lieux stratégiques susceptibles de procurer des
compétences qui pourraient éventuellement se
révéler productives dans des activités essentielles pour
le pays d'origine.
Aujourd'hui, les médecins sénégalais
installés à l'étranger peuvent trouver, à travers
la vidéoconférence, un moyen de travailler en synergie avec leurs
collègues médecins au Sénégal. Comme cela a
d'ailleurs commencé à se faire entre le Sénégal et
quelques uns de ses partenaires européens. Depuis juin 2001, une
unité de chirurgie assistée par vidéo existe et fonctionne
au CHU de l'hôpital Aristide Le Dantec à Dakar. Cette chirurgie en
vidéo-assistée permet aux étudiants
sénégalais et d'autres pays d'Afrique de bénéficier
des connaissances et du savoir-faire d'experts exerçant dans des centres
partenaires européens tels que le professeur G. Fourtanier de
l'hôpital Rangueil de Toulouse, le professeur G. B. Gadiere de
l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles, le professeur J. Marescaux de
l'IRCAD de Strasbourg. En outre, des gynécologues
sénégalais ont pu acquérir à distance une formation
en ligne avec la collaboration des universités de Brest et de Grenoble
dans le cadre de l'université médicale virtuelle francophone.
Par ailleurs, les technologies de la voix sur IP, notamment
Skype ou Msn Messenger offrent également aux enseignants et chercheurs
sénégalais de la diaspora une formidable opportunité pour
communiquer en temps réel et partager facilement les résultats de
leurs travaux avec des compatriotes partageant les mêmes centres
d'intérêt au Sénégal. Ces technologies offrent aussi
des espaces de rencontre, de partenariat et de travail. A ce propos, nous avons
déjà montré l'utilisation de Skype par deux migrants
sénégalais et leurs partenaires français (JTS France)
comme espace virtuel de rencontres, d'échanges et de travail. Les
différentes réunions pour créer une filiale de JTS France
se sont en effet déroulées sur Skype. Sénégal
société spécialisée dans la vente de semences et
d'accessoires de jardinage. Les différents actionnaires en France et le
responsable au Sénégal disposent tous d'un compte sur Skype
où a lieu l'essentiel des réunions de travail. L'Internet mobile
acquis auprès de l'opérateur Orange Sénégal permet
à M. G., en charge de JTS Sénégal, d'avoir à
disposition en temps réel toutes les informations venant de ses
collaborateurs à Thiès ou de ses partenaires en France.
internationale et stratégique, 2004, 55.
360
Quel que soit le lieu où il se trouve, le candidat
à l'investissement au Sénégal peut se rendre sur les sites
portails et solliciter les avis de leurs compatriotes dotés de
compétences avérées dans le domaine juridique ou celui des
finances avant de prendre la décision de placer le capital
accumulé durant des années de labeur et de privation dans une
quelconque activité. Les forums consultés montrent que les
internautes s'en servent pour dialoguer et parfois obtenir des explications
pointues dans de nombreux domaines.
C'est ainsi que se sentant floués, des
Sénégalais, qui avaient investi dans le projet consistant
à la réalisation du centre commercial « les Quatre C »
à Dakar, se sont regroupés pour mieux défendre leurs
intérêts. En avril 2009, ils ont compris le bénéfice
qu'ils pouvaient trouver à utiliser le site portail
Seneweb.com comme lieu d'information et
de communication. Ils ont pu ainsi sensibiliser une bonne partie des
internautes sur le différent qui les oppose avec le promoteur du centre
commercial. En retour, ils ont pu obtenir, de façon instantanée,
des conseils sur les démarches à entreprendre sur le plan
juridique.
On a pu aussi constater que des imaginations fertiles peuvent
parfois se développer à travers les sites web des associations de
migrants. Sur Facebook, un migrant sénégalais résidant en
Italie a créé une page consacrée à Thiaroye en
banlieue dakaroise afin de regrouper tous les migrants originaires de cette
localité ainsi que toutes les personnes qui aiment cette localité
ou ont envie de la découvrir. Cette page, intitulée « Tewwal
Sa Gokh » (qui signifie en wolof « Représenter sa
localité ») offre donc aux migrants originaires de Thiaroye la
possibilité de se retrouver pour discuter et essayer de trouver ensemble
des solutions aux maux dont souffre leur localité d'origine. Des
débats sont organisés autour des questions telles que
l'émigration clandestine, les inondations, les problèmes de
santé liés au déversement de l'oxyde de plomb contenu dans
les batteries automobiles sur le sol de la commune ... Les internautes peuvent
donner leurs avis et proposer des idées pouvant permettre de
créer des emplois aux jeunes restés sur place. Ainsi l'un des
membres du réseau, conscient des potentialités liées
à l'exploitation des déchets qui s'amoncellent dans la commune,
émet l'idée de mettre en place une usine de transformation des
déchets en énergie. Tout ce qui vient d'être dit montre que
l'insertion et les usages des TIC par les migrants permettent à ces
derniers de donner davantage de sens positif à leurs diverses
contributions en faveur du bien-être et de l'amélioration des
conditions d'existence de leurs compatriotes restés au pays. Les sites
web peuvent
361
constituer des plateformes de rencontres, d'échanges et
de relations de partenariat. Ils peuvent aussi combler le déficit de
confiance que les migrants éprouvent souvent à l'égard des
pouvoirs publics dans les pays d'origine. Les TIC favorisent la transparence,
ce maillon faible du dispositif au niveau de l'investissement en particulier et
pour le développement en général.
Il serait tout particulièrement judicieux que les
différents acteurs concernés essayent de voir ensemble dans
quelle mesure ces migrants hautement qualifiés pourraient
raisonnablement mobiliser de façon satisfaisante leurs
compétences au profit du bien-être de leurs compatriotes
restés au pays. Sans aller jusqu'à tomber dans l'euphorie
consistant à penser naïvement que nos pays pauvres vont enfin
réaliser le bond technologique tant attendu ou espéré et
entrer miraculeusement dans une ère nouvelle et radieuse de
développement grâce à l'accès massif des migrants
hautement qualifiés aux TIC. Force est quand même de
reconnaître que ces migrants sont porteurs de nouveauté et
d'innovation qui peuvent avoir des effets remarquables s'ils sont
exploités à bon escient. La mobilisation de cette «
knowledge diaspora », de ces élites expatriés est
fondamentale dans le processus de développement de leur pays d'origine.
Bien que continuant de subir encore une importante fuite des cerveaux, un pays
comme l'Inde a su aussi en même temps mettre en place des initiatives
incitant ses élites expatriées à jouer un rôle
important dans le développement des pôles scientifiques et
techniques dans leur pays d'origine (A. M. Gaillard et J. Gaillard, 2002).
Parmi les pays émergents du Sud-Est asiatique, certains tels que
Taïwan ou la Corée du Sud ont bénéficié des
retours de leurs jeunes diplômés qui, à leur tour, «
ont largement contribué au développement rapide des techniques de
l'information et de la communication, secteur sur lequel s'est appuyé le
développement économique et industriel de ces pays durant les
dernières décennies (Chang, 1982; Song, 1991; Luo & Wang,
2001 cités par. M. Gaillard et J. Gaillard, 2002). Ils constituent des
interlocuteurs valables pour les partenaires au développement.
Néanmoins, cela suppose, entre autres, une prise de conscience et une
réelle volonté politique des pouvoirs publics
sénégalais. C'est là un vaste débat.
362
8.2.2 Internet, un outil éducatif permettant aux
enfants issus de l'immigration de mieux connaître leurs cultures
d'origine
En France, les mesures prises en faveur de la
démocratisation de l'accès à Internet ont permis à
la grande majorité des foyers de se connecter au réseau mondial.
C'est ainsi, par exemple, que des enfants issus de milieux sociaux
particulièrement défavorisés parviennent à
accéder et utiliser Internet presque de la même manière que
les enfants des milieux aisés. En devenant accessible même
à ceux qui sont dans les périphéries habituellement
marginalisées, Internet permet à chaque individu de trouver sa
place dans le réseau.
Il faut d'abord noter qu'en France, les enfants issus de
l'immigration présentent des taux d'échec relativement
élevés au niveau des résultats scolaires. Le principal
facteur évoqué est souvent les conditions sociales difficiles
dans les cités et finalement peu propices aux apprentissages scolaires.
Très souvent aussi, ces jeunes ressentent un certain malaise à
vivre vraisemblablement la question de la double appartenance que leur
confère la naissance en terre française et leur origine
africaine. L'un des problèmes que pose cette double appartenance
reflète en grande partie la faiblesse des repères là
où ils vivent, en raison notamment des problèmes
d'intégration et de citoyenneté dans la sphère publique du
pays de résidence et aussi de l'image négative et
réductrice de l'Afrique dans certains médias occidentaux. Pour le
journaliste malien Nouhoum Keita (2005) de la radio Kayira, « la
première impression qui se dégage lorsqu'on analyse le champ
d'investigation des médias occidentaux » est que, hormis les
catastrophes, les guerres et les famines, « l'Afrique y occupe une part
insignifiante de nouvelles ». Dans ses écrits, le professeur
Charles Moumouni (2003) souligne que l'image projetée de l'Afrique dans
les médias européens et nord américains est souvent de
type apocalyptique. L'anthropologue Jean Loup Amselle (2001) considère
que cette situation est tributaire d'une vision, « où l'Afrique est
volontiers fantasmée, souvent d'ailleurs de façon contradictoire,
à la fois comme continent dégénéré et source
de régénération créative ». Ceci se traduit
par une grande ignorance des réalités africaines de la part de
certaines populations qui consomment ces médias. Il est d'ailleurs
surprenant de voir, à tel point les enfants issus de l'immigration
peuvent avoir des idées stéréotypées ou fatalistes,
dans des proportions inquiétantes, sur les lieux d'où sont
originaires leurs parents. Ce sujet est souvent évoqué dans les
discussions entre étudiants. Généralement, les
étudiants de province passent les vacances scolaires auprès des
membres de la famille installés à Paris. Durant leur
séjour à
363
Paris, beaucoup découvrent avec stupeur et effarement
les préjugés tenaces de leurs neveux ou cousins sur le continent
d'origine de leurs parents. Pour la plupart de ces jeunes nés ou ayant
grandi en France, l'Afrique est un continent où les hommes cohabitent
encore avec les animaux sauvages, un continent qui est la proie de toutes
sortes de guerres interethniques et ravagé par l'extrême
pauvreté et les maladies telles que le sida ou le paludisme. Il faut
alors leur faire comprendre que même si ces faits ne sont pas à
nier, l'Afrique est aussi un continent qui enferme plusieurs richesses
(humaines, naturelles, culturelles...). Même si elle manque
d'infrastructures de grande envergure, elle dispose aussi d'aéroports,
d'autoroutes, de ports, d'universités, etc.
En France, l'accès à Internet est devenu une
réalité même au sein des couches sociales les plus
défavorisées. Les enfants issus de l'immigration peuvent trouver
une panoplie de services sur Internet leur permettant de s'informer,
communiquer, se divertir, tisser des liens d'amitié avec d'autres
enfants de leur âge partout dans le monde, et plus
particulièrement de mieux connaître la culture de leurs parents.
Dans certaines familles, les enfants peuvent se servir d'Internet pour aider
leurs parents illettrés à effectuer en ligne quelques
démarches administratives. Ils peuvent aller sur Internet pour faire des
recherches en ligne et trouver des informations utiles et intéressantes
sur les lieux d'origine de leurs parents. Il représente à la fois
un lieu de contact où on se croise pour nouer des relations
interpersonnelles et un lieu d'apprentissage et d'acquisition de connaissances
sur des territoires lointains. Ils disposent en effet de nombreux moyens comme
les messageries instantanées (Skype, Msn messenger...), les
réseaux sociaux en ligne (Facebook...), le courrier électronique,
les espaces de discussion en ligne (les forums et les chats) leur permettant
d'accéder quelquefois en temps réel à toutes sortes de
documents, de communiquer et de s'informer. Cependant, si Internet contribue
incontestablement à permettre aux enfants d'enrichir leurs connaissances
et d'avoir une fenêtre très largement ouverte sur le monde, il
n'en constitue pas moins un danger pour eux. En outre, ceux dont les parents ne
contrôlent pas toujours ou ne vérifient jamais si les sites web
visités sont appropriés courent des dangers multiples, notamment
naviguer sur des sites incitant à l'appât du gain facile, à
la violence, des sites pornographiques... Et que dire encore des enfants dont
les parents ignorent tout de l'outil Internet ! De ce fait, il convient
d'être particulièrement attentif et vigilant dans l'utilisation de
cette technologie par les enfants, dans la mesure où Internet peut avoir
des conséquences nuisibles et dangereuses.
364
8.3 Les TIC, de nouveaux moyens de contrôle, de
surveillance
et de répression ?
Les applications des TIC offrent aux institutions s'occupant
de tâches proprement sécuritaires de nouveaux outils de
surveillance et de contrôle des citoyens. Dans les pays occidentaux, de
nombreux espaces publics ont été équipés de
caméras de surveillance ou vidéosurveillance durant ces
dernières années, afin de dissuader d'éventuels actes mal
intentionnés. Comme on peut le voir plus particulièrement dans
les centre-villes, les aéroports, les gares, le long des routes pour
réprimer les excès de vitesse et diminuer les accidents et dans
les transports publics, des politiques de vidéosurveillance de grande
ampleur ont été mises en place par les pouvoirs publics en
France. Des lois instaurant l'installation de caméras de
vidéosurveillance dans certains lieux publics, ces non lieux
explorés par Marc Augé (1992) dans son Anthropologie de la
surmodernité, ont été votées dans d'autres
pays occidentaux, notamment l'Angleterre, la Suisse... Le déploiement de
cet arsenal souvent très coûteux répond au tout
sécuritaire initié par les autorités face à la
recrudescence des actes de vandalisme et de délinquance et autres
délits. Toutefois, ces initiatives rencontrent de nombreux
détracteurs qui doutent, à juste raison, de leur
efficacité réelle et redoutent leur usage abusif dans la vie
privée. L'extension de l'installation des caméras de
vidéosurveillance dans les zones résidentielles a provoqué
un gigantesque tollé qui a fini par populariser l'expression « Big
Brother » pour dénoncer les dérives liberticides. Dans son
ouvrage La globalisation de la surveillance, Armand Mattelart (2007)
lance en quelque sorte une alerte sur les menaces que font peser l'intrusion de
techniques de surveillance de plus en plus sophistiquées dans la vie des
individus. Il montre que dans les pays développés, la
prolifération des systèmes de contrôle des citoyens,
notamment empreintes génétiques, fichage,
vidéosurveillance, écoutes, puces... a permis et permet encore de
réaliser des prélèvements d'informations utiles pour
dresser des profils et géolocaliser plus simplement les citoyens.
Claude-Marie Vadrot (2007) estime que cette grande surveillance est en train de
créer une obsession sécuritaire d'où peut découler
une démocratie en liberté surveillée.
Dans un contexte où la migration est
considérée comme un problème de sécurité, on
constate que certains aspects du problème évoluent vers un
amalgame entre délinquance, immigration et illégalité.
Pour certains hommes politiques et une partie de l'opinion publique, il y a un
lien établi entre migration, chômage et insécurité.
Ce sentiment
365
d'insécurité suscite des peurs que certains
hommes politiques n'hésitent pas à utiliser comme fonds de
commerce. C'est en ce sens que l'on assiste à la mise en place d'un
dispositif sécuritaire de plus en plus coûteux et draconien pour
surveiller les frontières et contrôler les déplacements des
migrants et un durcissement généralisé des politiques
migratoires. En revanche, il est également à craindre que les
nouveaux outils de communication accentuent davantage les contrôles et
les répressions dont les migrants font déjà l'objet.
8.3.1 Surveillance des frontières et traçage
des migrants
Pour empêcher les arrivées éventuelles de
migrants sur leurs territoires, la plupart des pays occidentaux ont mis en
oeuvre des stratégies complexes de surveillance et de restriction des
mouvements au niveau de leurs frontières géographiques. Non
seulement, les frontières sont maintenant surveillées jour et
nuit par des technologies de plus en plus sophistiquées, « dont la
caractéristique la plus saillante est d'être à la fois
mobiles et intelligentes, c'est-à-dire capables de s'adapter à la
mobilité des individus, de les suivre, de tracer leur itinéraire
et de déterminer leur véritable identité (A. Ceyhan,
2010), mais aussi par des gardes-frontières mieux formés, mieux
entraînés et dotés davantage d'équipements. D'autant
plus que notent Bertrand Badie et Catherine Withol de Wenden « les flux
migratoires font figure d'intrus qu'il s'agit de maîtriser et de
contrôler159 ». L'objectif visé, à travers
toutes ces mesures, consiste principalement à rendre ces
frontières les moins étanches possibles. Ces «
frontières intelligentes », intelligentes dans la mesure où
elles doivent être capables de filtrer et détecter les
entrées et sorties des « individus à risque » en
devenant aussi mobiles qu'eux, deviennent en quelque sorte la ligne de front
où la richesse se dresse toutes griffes dehors face à
l'avancée de cette effrayante pauvreté. Ainsi, dans l'espace
Schengen, la gestion des frontières extérieures de chaque
État membre de l'Union Européenne est désormais
coordonnée par l'Agence européenne pour le contrôle des
frontières extérieures (FRONTEX) créée en 2004 par
l'Union Européenne. En effet, souligne Ayse Ceyhan (2010), «
l'Union européenne hésite à faire de la mobilité un
atout. Plutôt que de bâtir une politique d'immigration
adaptée
159 BADIE, Bertrand et WITHOLD DE WENDEN, Catherine. Le
Défi migratoire. Paris : Presses de la Fondation nationale de
Sciences Po, 1994.
366
aux nouvelles dynamiques de la mobilité, elle continue
de mélanger une logique sécuritaire de contrôle, qu'elle
valorise plus que tout, avec une logique utilitariste d'accueil de migrants
qualifiés pour combler le manque de main-d'oeuvre dans certains domaines
bien précis comme l'informatique ».
Au niveau des systèmes utilisés pour le
traçage des migrants, on peut mentionner les puces présentes au
niveau des visas collés sur les passeports et les documents de titres de
séjour, la biométrie, les caméras, les capteurs et les
radars. La biométrie est une technique qui permet d'obtenir des
renseignements extrêmement précis sur des individus. Elle permet
de reconnaître chaque individu en fonction de ses caractéristiques
biologiques propres. Cela peut se faire à travers par exemple une
analyse morphologique des empreintes digitales ou des traits du visage. Les
moindres présences suspectes peuvent en général être
détectées par les capteurs et les radars.
Toutes ces mesures combinées font que les migrants
rencontrent aujourd'hui des obstacles insurmontables pour traverser certaines
frontières terrestres ou maritimes. Mais une chose est certaine, ces
mesures ne peuvent en aucun cas constituer un frein à la volonté
inébranlable des candidats de migrer au péril de leur vie. Etant
donné l'absence désespérante de perspectives de promotion
sociale dans les pays d'origine et leur forte détermination à
franchir ou contourner, dans des conditions de précarité
extrêmes, les obstacles de toutes sortes pour rejoindre ces pays
où ils espèrent tout simplement des conditions de vie
meilleures.
8.3.2 Recrudescence de l'émigration clandestine
Il faut bien reconnaître que le phénomène
des « sans-papiers » ou « clandestins » a pris une ampleur
considérable ces derniers temps. La présence en grand nombre de
migrants en situation irrégulière sur le territoire
français suscite de nombreux débats dans la vie publique
française et engendre parfois de vives tensions. Au point que des
mesures drastiques ont été prises pour rendre plus complexe les
conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur le
territoire français et aussi augmenter les reconduites à la
frontière. Toutefois, il est bon de préciser que près de
90% des migrants en situation irrégulière sont entrés
légalement en France entre 1998 et 2002 selon le ministère de
l'intérieur. La clandestinité est intervenue seulement
après un refus de renouvellement de leurs titres de
367
séjour par la préfecture. Le durcissement des
politiques migratoires en France a provoqué une orientation des flux
migratoires clandestins vers l'Italie et l'Espagne en particulier.
Au cours des ces trois dernières années, des
milliers de jeunes originaires de l'Afrique subsaharienne, accablés et
acculés par un quotidien difficile, ont tenté de rejoindre
clandestinement l'Espagne, notamment les îles Canaries, par la mer. Un
nombre impressionnant de clandestins subsahariens, dont des milliers de jeunes
Sénégalais, a quitté les eaux du Sénégal, de
la Mauritanie, de la Gambie et de la Guinée-Bissau pour se rendre de
façon fort périlleuse en Espagne au moyen d'embarcations de
fortune, les « lothios » en wolof ou « cayucos » en
espagnol. Des pirogues remplies de clandestins, entre 50 et 100 personnes
à leurs bords, ont pris d'assaut les côtes canariennes.
Il est intéressant de remarquer les usages des
technologies de l'information et de la communication, notamment le
téléphone portable et le GPS (global positioning system) par les
migrants clandestins et les passeurs. Le téléphone portable est
le principal outil de contact avant le voyage. Les organisateurs des voyages
s'en servent pour contacter les candidats, discuter avec eux des
modalités du voyage et les rassembler pour les départs. Il faut
donc être équipé d'un téléphone portable pour
être joint le jour j. En outre, les embarcations de fortune,
qualifiées par un internaute de « Ndiaga Ndiaye160 de la
mer », sont habituellement équipées d'un GPS, un appareil
qui permet de se localiser géographiquement avec fiabilité et
précision à l'aide de signaux émis par des satellites.
Généralement, les gens qui les utilisent lors des
traversées sont dans la majorité des analphabètes. Mais,
ils font preuve d'imagination et d'ingéniosité pour
réussir à s'en servir correctement.
Selon Ibrahima Khalil Wade, le correspondant du groupe de
presse Walfadjri en Espagne, le nombre d'émigrés clandestins
ayant débarqué dans l'archipel des Canaries était
estimé à 9900 pour toute l'année 2002, tandis que rien
pour le début de l'année 2006 seulement, leur nombre atteignait
déjà 9800. Entre le vendredi 17 août et le dimanche 19
160 Les « Ndiaga Ndiaye » (du nom de l'un des plus
importants propriétaires de minibus au Sénégal, pour ne
pas dire le premier transporteur du pays) et les cars-rapides sont certainement
les transports en commun les plus répandus, en raison notamment de leurs
tarifs accessibles même aux plus démunis. Les premiers de couleur
blanche relient Dakar à la banlieue tout autant qu'ils relient toutes
les villes du pays, et les seconds de couleur bleu et jaune servent
plutôt pour les trajets urbains et les courts trajets ruraux. Soulignons
toutefois que ces deux moyens de transport sont sans aucun confort. En outre,
la plupart sont en mauvais état et défient les règles les
plus élémentaires de sécurité. Les chauffeurs ne se
préoccupent nullement du code de la route, stationnent où ils
veulent pour prendre les clients et contribuent aussi énormément
aux embouteillages infernaux à Dakar. De plus, en raison de leur forte
implication dans les nombreux accidents de circulation (souvent mortels) sur
l'ensemble du pays, ils sont considérés par les populations comme
de véritables cercueils roulants.
368
août 2006, plus de 1200 clandestins ont
débarqué dans l'archipel de Los Christianos et les provinces de
Granada et d'Alméria. L'ampleur du phénomène a
donné du fil à retordre au gouvernement du premier ministre
espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero et inquiète cet internaute
qui se demande s'il reste encore des jeunes au Sénégal.
Très amer, il écrit « aucun homme censé ne doit
cautionner de tels actes. On ne peut pas se permettre d'invoquer la
pauvreté pour se suicider. C'est bien un suicide de prendre un " gal "
(pirogue en wolof) pour traverser l'atlantique. On peut bien rester au
Sénégal, y trouver du travail et y gagner sa vie ». Les
proportions démesurées prises par les pirogues du
désespoir ont poussé les autorités espagnoles à
solliciter le soutien de l'Union européenne pour les aider à
juguler le phénomène. Ce qui a abouti au déploiement des
éléments de Frontex le long des côtes de la
péninsule ibérique. L'Espagne a dû signer de nouveaux
accords avec les pays africains d'où partaient les migrants clandestins.
Ces accords consistent « au renforcement des moyens maritimes pour le
contrôle des frontières, à la multiplication des efforts
politiques en matière de rapatriement et surtout à l'augmentation
de l'aide au développement des pays d'où viennent les clandestins
». Au gouvernement sénégalais, l'Espagne a promis une aide
substantielle de 13 milliards de francs CFA afin de le soutenir dans la
réalisation de programmes visant à fixer les populations dans
leur terroir. Ce financement devrait aussi servir à la
réalisation du plan Retour Vers l'Agriculture (REVA), consistant, selon
les mots du président sénégalais Abdoulaye Wade, «
à faire des paysans sénégalais des agriculteurs d'abord et
des fermiers plus tard comme dans les pays occidentaux » et aussi pour
« une émigration clandestine zéro ». Mais depuis son
démarrage, ce plan a soulevé plus de polémiques qu'il n'a
donné de résultats ayant des impacts positifs réels sur la
vie des Sénégalais. Des terres ont été
distribuées aux proches du régime, devenus eux des fermiers, mais
des fermiers du dimanche, au détriment de ceux qui devaient
véritablement en bénéficier, c'est-à-dire les
jeunes rapatriés d'Espagne originaires des centres urbains ou des zones
rurales sénégalaises. Entre début janvier et fin
août 2006, ils étaient plus de 1700 migrants clandestins à
avoir débarqué aux îles Canaries.
Au Sénégal, les principaux lieux de
départ de ces boat people des temps modernes sont les plages de Yarakh,
Thiaroye, Kayar, Soumbédioune, Ouakam, Yoff et Rufisque à Dakar,
de Guet-Ndar à Saint-Louis, de Mbour, d'Hélinking en Casamance.
On peut aussi citer comme points de départ, Nouadhibou en Mauritanie et
Varela en Guinée-Bissau. De nombreuses localités
sénégalaises ont été vidées d'une bonne
partie de leurs
369
bras les plus valides par le phénomène «
mbeuk-mi » (expression wolof que l'on peut traduire par « braver la
mer »). Beaucoup de jeunes sénégalais ont en effet
péri en mer. Nul ne saura jamais le nombre exact de ce véritable
drame humain. Combien de jeunes sénégalais morts de faim ou de
soif ou bien encore décédés par noyade et restés
à tout jamais dans « le ventre de l'Atlantique161 »
? Pour traverser les eaux dangereuses de cette partie de l'océan
Atlantique et rallier les îles Canaries, notamment
Ténérife, Fuerteventura, la Grande Canarie, Gomera, Hierro et
Lanzarote, certains clandestins affirment avoir mis 15 jours. Les
miraculés de cette sorte de roulette russe, exténués et
tenant à peine debout, sont pris en charge par la Croix-rouge espagnole
à leur arrivée. Après une période de garde à
vue ne dépassant pas 48 heures, les migrants clandestins sont
internés dans des centres de rétention pour une durée
limitée à 40 jours avant de recevoir leur ordre d'expulsion. Les
rapatriements en catimini vers le Sénégal des
émigrés clandestins en provenance des îles canaries n'ont
pas tardé et se poursuivent encore. A la date du 11 octobre 2006,
environ 2500 Sénégalais ont été refoulés
d'Espagne. Ces rapatriements ont été décidés de
commun accord entre les autorités espagnoles et
sénégalaises.
Le désoeuvrement, le mal-être et le
désespoir, conjugués au chômage ainsi qu'à l'envie
tenace de contribuer un tant soit peu à l'amélioration des
conditions de vie de la famille qui se trouve le plus souvent dans une
situation de pauvreté extrême, sont les principaux facteurs
explicatifs de la détermination suicidaire de cette cohorte de jeunes
sénégalais prêts au « mbeuk mi », « dans des
conditions dramatiques, avec pour seule alternative rejoindre Barça
(Barcelone) ou Barzakh (mourir) » comme l'écrit Momar Coumba
Diop162. Alors que cet internaute évoque « la
surpopulation, des parents qui n'ont plus de moyens, des études
abandonnées trop tôt, des milliers de jeunes dans la même
galère, une société de consommation, mais surtout la
perception que si tu n'es pas sorti tu n'as pas réussi. Rien que
l'idée de rester pour beaucoup c'est l'échec. C'est le concept de
l'Eldorado qui les attire... revenir et être reconnu grâce aux
sommes acquises à l'extérieur » (forum Seneweb,
17/08/2006). Mais pour Cheikh, le parisien, « la source du
problème c'est le manque d'éducation. Mais normal, un pére
de
161 Titre du premier roman de l'écrivain
sénégalais établi en France, Fatou Diome. Le ventre de
l'Atlantique publié en 2004 est un récit poétique sur
l'immigration qui raconte l'histoire de Salie, une sénégalaise
vivant en France et dont le frère resté sur son île natale
de Niodior en pays sérér est obnubilé par l'image
idyllique de l'Occident, terre promise pour réaliser son rêve
d'accomplir une carrière exceptionnelle dans le football.
162 DIOP, Momar-Coumba. Présentation, Mobilités,
État et société. In DIOP, Momar Coumaba (Dir.). Le
Sénégal des migrations. Mobilités, identités et
sociétés. Paris : CREPOS-Karthala-ONU Habitat/Hommes et
sociétés, 2008, pp. 13-36.
370
famille, avec 4 femmes et 30 enfants, aura un peu de mal
à éduquer ses enfants. Quand j'arrive au Sénégal :
les jeunes ne croient plus à l'école. Ils disent que "ça
ne fera pas d'eux des boss". Même si ça ne fait pas de toi un boss
au moins ça te fera réfléchir. Moi si je suis en France
c'est grâce à l'école sénégalaise... Mon bac
+ 2 au Sénégal m'a au moins permis de m'inscrire dans une
université française comme ça j'ai pas eu besoin de
pirogue. Avec une petite capacité d'analyse je pense qu'on n'ira jamais
affronter l'Atlantic en pirogue... Au Sénégal, la vie des jeunes
se résume au 4 B : Bol, Barada (theière), Balle bi (ballon) et
puis Bal j'auterai un 5e B : Bayékou (Philosophie). Des personnes qui
réussissent au Sénégal y'en a et y'en aura. Je prends
exemple sur mon grand frére il n'est jamais sorti du
Sénégal et à 45 ans il a 6 immeubles. Il a commencé
petit menuiser puis vendeur de bois. Comme lui y'en a beaucoup d'autres. Faut
juste être patient et éviter les raccourcis et la facilité
et aussi arrêter d'attendre tout du "Gornoment" (gouvernement) »
(forum Seneweb, 17/08/2006). Ce phénomène pourrait
être aussi considéré comme « l'expression de la
contestation par les plus pauvres de l'ordre planétaire établi
par les riches » pour paraphraser Bertrand Badie et Catherine Withol de
Wenden163.
Généralement, l'argent ayant servi à
financer l'odyssée est l'économie de toute une vie ou celle de
toute la famille. Les sommes versées aux convoyeurs varient le plus
souvent entre 300.000 francs CFA et 500.000 francs CFA soit entre 457 euros et
762 euros.
« Il m'a fallu des années d'efforts, de
sacrifices pour mobiliser les 400 000 francs CFA (610 euros). Car, je suis
conscient qu'une fois en Espagne, cet argent pouvait me rapporter des millions,
en un mois. Alors qu'au Sénégal, il faut travailler cinq ans
voire sept ans pour avoir un retour sur investissement. Avec une telle
différence, rester au pays signifie, pour de larges pans de la
population, manquer d'ambitions. C'est pourquoi, les gens se sacrifient pour
rallier l'Espagne » avance Abdou Sarr (25 ans) rapatrié
d'Espagne (Mor Talla Gaye, Le Quotidien, 20/09/06).
La rentabilité du créneau a attiré de
nombreux convoyeurs véreux dont certains croupissent actuellement en
prison. En effet avec le développement du phénomène, un
vaste réseau de trafic de clandestins s'est mis en place, dans lequel
les passeurs et autres intermédiaires malhonnêtes parviennent
à amasser parfois des sommes considérables en
163 BADIE, Bertrand et WITHOLD DE WENDEN, Catherine. Le
Défi migratoire. Paris : Presses de la Fondation nationale de
Sciences Po, 1994.
371
un temps record, profitant du désespoir des candidats
à l'émigration clandestine et parfois de la naïveté
des familles.
Le récit de ce jeune rapatrié d'Espagne, Abdou
Sarr, avait suscité de vifs débats sur le forum de Seneweb le 20
septembre 2006. Pour cet internaute du nom de Djibi, il ne faut pas rester sans
rien faire face à cette situation dramatique. C'est pourquoi :
« Avec des amis, nous avons décidé de
créer une association des rapatriés d'Europe. Nous pensons qu'on
ne peut pas trouver plus ambitieux que ceux qui ont bravé la mer pour
gagner leur vie. Nous allons monter des projets avec eux et nous battre pour
les faire financer à travers le monde. Nous allons bientôt mettre
à votre connaissance une adresse de site web de cette association. Nous
allons demander des aides. La particularité de notre association est de
mettre en ligne et en temps réel tout centime cotisé et tout
centime dépensé avec ticket de caisse en ligne.
Mail:
djibsons2006@yahoo.fr ».
En revanche, cet internaute du nom d'Ibou pense quant à
lui qu'il faut tenir un langage de vérité aux jeunes candidats
à l'émigration :
« "400.000 francs Cfa pourraient rapporter des
millions en un an en Espagne".... Ce sont de tels propos qui incitent encore
les jeunes à partir à l'aventure. Ceci est loin d'être une
réalité. On ne peut pas gagner des millions (même de francs
CFA) par an en travaillant en Espagne pendant un an lorsqu'il s'agit
d'immigrés qui débarquent de leur petite pirogue de fortune. Il
faut dire la vérité aux jeunes qui sont tentés par
l'aventure de la mer. La vie n'est pas aussi facile qu'on le prétend en
Espagne ou ailleurs en Europe. Il faut raconter à tous ceux qui veulent
écouter, les conditions de vie de nos compatriotes et des
immigrés en général. L'Europe n'est plus un "El Dorado" -
même pour les revendeurs de drogue qui courent le risque d'être
pris et mis en tôle pour une bonne partie de leur vie. C'est juste
désolant et inquiétant de voir le Sénégal se
dépeupler de ses jeunes si inconscients ».
Ces propos d'Ibou s'accordent parfaitement avec le point de
vue de Djamil :
« Super Ibou. J'étais entrain de
rédiger un texte allant dans le sens de ton argumentation et je vois que
tu as vraiment mis les points sur les i. Nos jeunes qui émigrent vers
des cieux supposés plus cléments le font avec des aspirations
sans commune mesure avec les aptitudes professionnelles dont ils disposent.
C'est la raison pour laquelle il faut déclencher une campagne de
sensibilisation d'une grande envergure pour leur montrer la face cachée
de l'Europe que beaucoup d'entre eux ne veulent pas voir. Faire croire aux
jeunes qu'on peut gagner des millions par mois dans une ferme agricole est une
tromperie gigantesque et relève de l'irresponsabilité. Trouver un
exploitant agricole qui vous paie 1000 euros (655'000 CFA) par mois
relève du miracle ».
372
Le témoignage de cet internaute est encore plus
dissuasif :
« J'ai vécu pendant 8 ans à Madrid et
je connais des Sénégalais qui travaillent à Lérida
en Catalogne et à Almeria (Andalousie) et qui gagnent juste de quoi
manger et payer la location. Ce système d'exploitation existe en Espagne
depuis le 18ème siècle. C'est le caciquisme moderne
sauf que les victimes ne sont plus espagnols mais les immigrés. Allez
voir dans les "cortijos" c'est-à-dire des fermes comment ils y vivent.
Rien n'en vaut la peine ».
Dans ce concert de mises en garde
généralisées à l'endroit des candidats à
l'émigration clandestine, quelques voix discordantes se manifestent dans
le forum, dont celle de cet internaute qui signe sous le pseudonyme de «
Soyons sérieux ». Il s'adresse en particulier à ces
compatriotes migrants :
« Si vous voulez ouvrir les yeux à ces gens,
il faut rentrer évoluer au pays pour leur dire que c'est comme
ça. Mais si on vous donne billet et seurithieu + yoobeul (ces deux mots
peuvent être traduits par le mot cadeau), vous ne retournez pas rester
dans votre cher Sénégal, (si vous n'avez pas déjà
changé de nationalité), et vous prétendez conscientiser.
Nopilene waay (Gardez le silence). Exprimer ce que l'on ne croit pas et garder
en secret ce qui est sincère en soi, c'est sûrement
sénégalais ».
Dépité, cet internaute fait dans la dérision
et écrit :
« Moi, je les encourage. C'est bien, continuer
à envahir l'Europe et l'Amérique et bonne chance car y a du
pognon à prendre. Même si vous êtes pris, on vous donne de
l'aide. Vous recevez 100 euros par semaine et en plus vous êtes
logés gratuitement ».
373
Image 6 : Des rescapés des pirogues de la mort
(les lothios) à destination des îles Canaries
374
375
Chapitre 9. Migrants, TIC et développement
Beaucoup d'observateurs s'accordent à penser que dans
le futur les TIC vont irréversiblement prendre une part croissante dans
de nombreux aspects de l'activité humaine ainsi que dans le
fonctionnement des sociétés et principalement les plus
industrialisées. « Ces technologies sont parées de toutes
les vertus ; sésames pour le marché et le « grand bond en
avant », outils de libération individuelle, elles sont
censées en elles-mêmes accroître la qualité de la
vie, stimuler la participation politique, promouvoir la cohésion sociale
et l'égalité dans toutes les régions du monde » (A.
Chéneau-Loquay, 2004). Pour ceux qui en ont une vision
idéalisée, les TIC semblent être la panacée qui va
enfin permettre de combler le gouffre économique entre les pays riches
et les pays pauvres. Dans cette société qui émerge
à l'aube de ce 21ème siècle,
la high-tech contribue incontestablement à réduire le
fossé Nord-Sud. (Pascal Renaud, 2001). Le processus d'insertion de
l'Afrique dans la toile mondiale est devenu irréversible. Il faut alors
réfléchir sur les moyens de surmonter de façon rationnelle
les contraintes spatiales et politiques liées au déploiement des
infrastructures ou équipements de télécommunications dans
les territoires africains.
De même, l'interaction entre migrants et TIC pourrait
contribuer à renforcer les moyens par lesquels les migrants peuvent non
seulement participer au développement économique et social des
territoires d'origine mais aussi à l'élaboration et la mise en
oeuvre des différents projets les concernant. Car, bien plus que le
simple maintien de contacts réguliers avec le pays d'origine, les TIC
offrent également aux migrants la possibilité de participer de
façon plus active au développement de leur pays d'origine aussi
bien du point de vue économique que du point vue social, technique,
culturel... En effet, les migrants font usage des TIC pour élaborer,
mener et gérer en commun des projets en faveur du développement
du pays d'origine, parfois avec le partenariat de divers acteurs. Parmi ces
derniers, les organismes internationaux ainsi que les organismes de
coopération et de solidarité du pays d'origine font figure de
bailleurs de fonds et aussi apportent leur expertise. Dans le pays d'origine,
ils peuvent compter sur le capital humain, c'est-à-dire l'expertise
locale mais surtout la détermination des populations à
s'approprier les projets afin d'améliorer leurs conditions de vie.
Nonobstant ces projets, la
376
contribution des migrants peut prendre d'autres formes. Elle
peut se traduire par exemple par des envois d'argent, des transferts de
compétences ou de connaissances ainsi que par la promotion des
ressources du pays d'origine auprès des investisseurs potentiels dans le
pays de résidence.
Les TIC semblent posséder de nombreux avantages, y
compris pour les migrants qui souhaitent effectuer des démarches en vue
d'investir au Sénégal. En effet malgré la distance, les
migrants sont constamment à l'affût des opportunités
d'investissement dans leur pays d'origine. D'autre part, il convient de
souligner qu'il existe au sein de la diaspora sénégalaise de
nombreux migrants disposant d'une expertise avérée dont la
mobilisation et l'utilisation à bon escient pourraient, dans bien des
cas, se révéler extrêmement bénéfiques au
bien-être des populations restées dans le pays d'origine. Dans les
zones rurales qui en sont dépourvues, les migrants contribuent, à
travers leurs associations, à construire des équipements sociaux
collectifs (hôpitaux, centres de santé, écoles, bureaux de
poste...), à aménager des périmètres
irrigués ou des jardins maraîchers équipés de
pompes, forages, châteaux d'eau et aussi à créer d'autres
activités économiques.
Au Sénégal, des efforts considérables ont
été consentis afin de faciliter l'accès et l'utilisation
des TIC par les populations locales, à travers la multiplication des
points d'accès collectifs, notamment les cybercafés
privés, les centres multimédias communautaires (CMC) et les
dispositifs d'accès publics réalisés grâce au projet
d'appui au désenclavement numérique (ADEN).
L'intérêt des populations pour ces dispositifs d'accès
collectifs témoignent parfois d'une capacité d'adaptation
remarquable dont font preuve les organisations paysannes et les associations de
femmes. Tout cela constitue autant d'atouts pour favoriser des échanges
socio-économiques directement entre ces diverses structures, les
migrants qui disposent de connaissances et d'expériences par exemple
dans les domaines agro-alimentaire, économique, de la santé... et
les autres acteurs de développement.
Mais ce qui est surtout fondamental, ce sont bien entendu les
effets positifs que peuvent avoir les outils modernes de communication et
d'information sur les différentes stratégies
déployées afin d'inciter les migrants à effectuer des
investissements et participer à la création d'emplois dans le
pays d'origine. Avec les TIC, l'accès aux possibilités
377
d'investissement devient plus démocratique et plus
transparent et certaines démarches administratives peuvent être
effectuées en ligne.
On observe ainsi la création tous azimuts de sites web
diasporiques où se construisent des identités collectives mais
aussi où se développent des initiatives susceptibles d'avoir des
répercussions sur l'organisation de l'espace dans les territoires
d'origine. L'enjeu, c'est de parvenir à faire en sorte que les TIC
puissent favoriser la mise en place d'un système de partenariat
véritable articulé autour des migrants, des différents
acteurs publics et privés dans les pays de résidence comme dans
les pays d'origine pour un développement social et économique
durable.
9.1 Les migrants des acteurs incontournables du
développement local
Les apports des migrants au développement local sont
des faits confirmés par les multiples projets et infrastructures mis en
place dans les zones rurales d'origine. Selon Guillaume Lanly, « c'est le
cas des associations de migrants sénégalais originaires de la
vallée du fleuve Sénégal qui constituent l'un des premiers
agents de développement dans cette région qui fait partie des
zones les plus pauvres du Sahel occidental». Déjà en 1991,
une étude réalisée par l'institut Panos auprès de
105 associations regroupant des ressortissants de cette région indiquait
334 réalisations diverses en un peu plus de 10 ans. (G. Lanly, 1998).
Sur un financement total de 43,5 millions de francs CFA, les migrants avaient
apporté 38,5 millions francs CFA de leur épargne et les ONG et
autres bailleurs de fonds avaient donné 5 millions de francs CFA. (G.
Lanly, 1998). Les initiatives sont souvent développées en
fonction des besoins et des aspirations des communautés d'origine. Ce
sont des actions habituellement centrées sur la construction
d'infrastructures, la mise en valeur des ressources agricoles, pastorales et
halieutiques et la préservation de l'environnement, avec l'implication
de toutes les personnes concernées. Toutefois, Guillaume Lanly
précise que « les initiatives des associations d'immigrés
seraient condamnées à l'échec sans l'appropriation par les
populations locales des projets ». Un des facteurs explicatifs du
succès de ces associations repose sur le fait qu'elles soient parvenues
à impliquer d'amont en aval les populations locales dans la mise en
oeuvre et la gestion des projets de développement initiés en
faveur des villages et
378
de la région. (G. Lanly, 1998). La mobilisation locale
a pu être obtenue grâce à la volonté des
immigrés d'intégrer les villageois dans leurs actions afin qu'ils
deviennent eux aussi acteurs de leur développement et, surtout,
grâce à leur maîtrise de l'échelle locale qui
confère aux associations de migrants un avantage certain sur les autres
acteurs du développement.
Le développement local est lié à la
recherche d'une méthode moins dirigiste, pour un système plus
souple encourageant une mise en oeuvre et une gestion concertée des
initiatives. C'est une approche qui privilégie une démarche
volontariste et dynamique articulée autour de la mise en oeuvre de
projets à l'échelon local. Pour Katalyn Kolosy, « c'est une
approche volontariste, axée sur un territoire restreint, qui
conçoit le développement comme une démarche partant du
bas, privilégiant les ressources endogènes ». Dotées
de leviers et de compétences plus solides, les régions
s'associent à présent aux départements et aux communes
pour intervenir, coordonner et jouer un rôle primordial dans
l'aménagement du territoire dans un pays comme la France. Katalyn Kolosy
observe que dans les faits, « la région s'affirme comme
l'échelon de référence du développement industriel,
de certains services, poste et transports notamment, comme niveau administratif
de coordination et d'action ». Le développement local
résulte donc d'une prise de conscience de la nécessité de
mobiliser à la base l'ensemble des initiatives locales. Dans le
développement local, la concertation et l'association entre les pouvoirs
publics, la société civile, les entreprises, les groupes et les
individus jouent un rôle majeur. Ce qui amène le BIT (bureau
international du travail) à le considérer comme « un outil
de consultation et de dialogue social dans lequel la participation de tous les
acteurs, tant de la société civile que du tissu
socio-économique s'avère essentielle ». En outre, il fait le
constat que « plus le consensus sur les buts à atteindre sera large
et les mesures de soutien étroitement coordonnées, et plus les
stratégies de développement local et la mise en oeuvre de ces
derniers seront un succès ».
Reconnaître les efforts fournis inlassablement par les
migrants pour participer au développement des localités d'origine
déshéritées revient précisément à les
reconnaître comme des acteurs du développement là-bas
à partir d'ici. En outre, cet apport collectif des migrants peut parfois
entraîner des recompositions démographiques et territoriales non
négligeables. Dans le but de capter pour leur localité la manne
migratoire, les acteurs locaux tentent de mettre en place de nombreux
micro-projets. De façon générale, les
379
investissements des migrants sénégalais vers
leur pays d'origine sont orientés exclusivement vers les secteurs de
l'immobilier, du commerce et des services. Dans ses travaux consacrés
aux investissements immobiliers à Dakar réalisés par les
migrants internationaux, Serigne Mansour Tall (1994, 2009) montre l'engouement
des migrants à injecter une partie des moyens financiers
accumulés à l'étranger dans la construction d'une maison.
Il démontre comment « les retombées indirectes de
l'immobilier sont perceptibles à travers la relance des autres secteurs
et son potentiel créateur de travaux à forte intensité de
main-d'oeuvre164 ». En fait, « toute une kyrielle de
nouveaux métiers dans le bâtiment et la construction
bénéficie des retombées de la manne financière des
émigrés » remarque-t-il fort justement. A ce titre, «
les investissements immobiliers de l'émigré donnent un coup de
fouet aux entreprises informelles du bâtiment ». La forte propension
des migrants à investir dans le bâtiment et la construction
témoigne de leur attachement à leur pays d'origine, mais aussi de
l'importance du projet immobilier dans l'ensemble du projet migratoire. En
effet, faute de pouvoir compter sur les structures défaillantes d'un
État dont la boulimie foncière a pris des proportions
insensées, les migrants prennent en charge individuellement, le plus
souvent, le souhait affiché par de nombreux ménages
sénégalais de disposer de leurs propres logements. Les
investissements sont effectués d'abord pour la construction du logement
familial, puis d'un logement destiné à la location.
Parallèlement, Issa Barro constate que cet intérêt des
migrants pour le secteur de l'habitat « s'oriente de plus en plus vers la
création de petites et moyennes entreprises (PME) de construction
immobilière »165.
9.1.1 Les TIC, alternative pour une nouvelle forme de
coopération entre le Nord et le Sud ?
C'est un truisme que de faire remarquer que les pays du nord
ont depuis longtemps, non seulement mis à la disposition des pays du sud
des ressources financières, mais également ils ont
procédé à des transferts de compétences et de
connaissances dans le
164 TALL, Serigne Mansour. La migration internationale
sénégalaise : des recrutements de main-d'oeuvre aux pirogues. In
DIOP, Momar Coumaba (Dir.). Le Sénégal des migrations.
Mobilités, identités et sociétés. Paris :
CREPOS-Karthala-ONU Habitat/Hommes et sociétés, 2008, pp.
37-67.
165 BARRO, Issa. Émigrés, transferts financiers
et création de PME dans l'habitat. In DIOP, Momar Coumaba (Dir.). Le
Sénégal des migrations. Mobilités, identités et
sociétés. Paris : CREPOS-Karthala-ONU Habitat/Hommes et
sociétés, 2008, pp. 133-152.
380
cadre de la coopération bilatérale ou
multilatérale. La coopération internationale se manifeste dans
des domaines aussi divers et essentiels pour les populations, tels que la
santé, l'éducation, l'agriculture, l'élevage, la
pêche, les nouvelles technologies... Et pourtant, en dépit de tout
cela, les difficultés des populations ne cessent de croître. Car
depuis longtemps, cette coopération d'État à État a
fait preuve de son inefficacité, du moins pour ce qui concerne la large
majorité des pays africains. Cette forme de coopération par le
haut ne fait que le nid de la corruption et des enrichissements illicites, au
détriment de l'amélioration des conditions de vie de la plus
grande partie de nos populations. Plus généralement, les aides
financières attribuées aux États africains n'arrivent aux
destinataires que sous forme d'échos. Elles ont très rarement des
effets positifs sur les conditions de vie des populations. En fait, ces aides
sont la plupart du temps détournées en particulier par des
responsables politiques en vue d'entretenir une clientèle politique et
une certaine oligarchie maraboutique. Cette forme de coopération est
révolue. Elle n'a fait que mener nos États dans une impasse.
Une nouvelle forme de coopération entre les pays
pauvres et les pays riches est aujourd'hui possible grâce aux
technologies de l'information et de la communication. Cependant, elle
procède avant tout d'une véritable prise de conscience du
rôle extrêmement important des acteurs non étatiques dans le
développement des pays pauvres, notamment leurs populations migrantes,
et d'une réelle volonté d'exploiter les nombreuses
potentialités des TIC, en vue de l'avènement d'une forme de
coopération impliquant davantage tous les acteurs d'en bas. Les
dynamiques qui se développent sur Internet augurent d'une vraie
coopération Nord-Sud construite dans l'exigence de transparence et de
résultats à court ou moyen termes au bénéfice
d'abord des couches sociales les plus défavorisées. L'essor des
TIC exhorte tous les partenaires au développement à prendre en
compte davantage les nombreuses potentialités que recèlent les
diasporas et les technologies de l'information et de la communication.
9.1.2 La coopération décentralisée ou
codéveloppement
En France, la coopération décentralisée
désigne les actions de solidarité multiformes menées par
les collectivités locales (régions, départements,
communes) en partenariat avec des collectivités locales ou des
structures équivalentes dans d'autres pays. Elle
381
apparaît aussi comme un moyen essentiel
d'établissement de relations d'amitié et d'échanges
socio-culturels entre les populations des villes de pays différents.
Elle a permis le jumelage entre plusieurs villes françaises et
sénégalaises. A vrai dire, les relations de jumelage entre
localités sénégalaises et françaises ne datent pas
d'aujourd'hui. Elles remontent à très longtemps car on assiste au
jumelage entre Thiès et Caen dès 1957, entre Ziguinchor et la
ville de Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne en 1966, entre Dakar
et Marseille en 1968, entre Mbour et la commune de Concarneau en Bretagne en
1974. Aujourd'hui, la plupart des localités sénégalaises
ont établi des relations de jumelage avec des localités
françaises. La ville de Kaolack est jumelée à la commune
de Mérignac en Aquitaine, Saint-Louis à Lille, Bakel à la
commune d'Apt dans le Vaucluse, Podor à la commune de Trappes dans les
Yvelines, Tambacounda à la ville de Bondy au nord-est de Paris...
Il en existe bien d'autres encore à différentes
échelles géographiques, comme on peut le voir d'ailleurs sur
Internet. Même les localités les plus reculées du
Sénégal peuvent entretenir des relations de coopération
avec leurs homologues françaises. Ces jumelages favorisent non seulement
des échanges culturels, mais aussi parfois la construction
d'infrastructures et la réalisation de projets de développement
au profit de certaines localités sénégalaises.
Généralement, ces dernières sont
représentées sur le sol français par leurs ressortissants
qui y vivent et s'y regroupent au sein des associations. Par exemple,
l'association des ressortissants vivant en France de Danthiady, village
situé dans la région de Matam au nord-est du
Sénégal, participe activement aux activités de la commune
de Val-de-Reuil, dans l'Eure en Normandie. L'Association représente le
lien entre les Danthiadynabés au village et les habitants de
Val-de-Reuil. De la même manière, l'Association des ressortissants
d'Agnam-Civol en France constitue le trait-d'union entre ce village de la
région de Matam et la commune de Vouziers dans le département des
Ardennes. Les différentes réalisations effectuées
notamment dans le cadre de cette coopération décentralisée
sont mises en valeur sur les sites web des associations de migrants. En effet,
la plupart des comités de jumelage franco-sénégalais
implantés en France ont mis en ligne leur site web pour fournir des
informations sur les activités menées et les actions
réalisées. Ce qui constitue bien entendu, pour les populations
des deux côtés, une avancée significative dans la
transparence des travaux effectués.
382
9.2 Le rôle des TIC dans les envois et
transferts d'argent
En raison de la manne financière considérable
qu'ils représentent, les revenus des migrants constituent un enjeu
essentiel pour les pays de départ. Des sommes d'argent importantes sont
envoyées au Sénégal chaque année, à travers
des mécanismes formels mais aussi par des procédés
informels. Le montant total de ces sommes était évalué
à 310 milliards de francs CFA par la Banque mondiale en 2004,
représentant près de 15,1% du PIB. La Direction de la
prévision et des études économiques (DPEE), un
département du ministère sénégalais de
l'économie et des finances, évaluait ces fonds à 459,1
milliards de francs CFA en 2007. Tandis qu'en 2008, ces transferts d'argent
étaient estimés à environ 500 milliards, si l'on se fie
à la Banque mondiale. En fait, ces chiffres ne tiennent
généralement compte que des transferts de fonds effectués
à travers les circuits officiels. Car, dans la réalité,
des sommes d'argent colossales empruntent des circuits informels. Ce qui fait
que les montants envoyés sous souvent sous-estimés dans les
statistiques166. Quoi qu'il en soit, il semble, d'après les
données de la BAD (banque africaine de développement) en 2005,
que les volumes globaux des flux de fonds vers les pays d'origine en provenance
des migrants équivalent ou dépassent ceux des flux de capitaux
reçus, en particulier, des pays industrialisés, dans le cadre de
l'aide publique au développement ou des investissements directs à
l'étranger (IDE)167. De plus, ces envois permettent d'assurer
divers achats pour la subsistance de bon nombre de ménages
sénégalais, aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones
rurales. Ce qui a des effets non négligeables sur la réduction de
la pauvreté ou de la fracture sociale au Sénégal.
Généralement l'argent envoyé par les
migrants sénégalais est destiné le plus souvent aux
dépenses pour satisfaire les besoins de consommation courante d'une part
et, d'autre part à servir d'épargne pouvant éventuellement
financer un investissement en vue d'un éventuel retour au pays.
Même s'il reste difficile à quantifier, il convient toutefois de
reconnaître qu'une bonne partie des dépenses domestiques des
ménages sénégalais est de
166 En 2005, la BAD a tenté de mener des enquêtes
sur les transferts d'argent à la fois formels et informels. Le
résultat de ces enquêtes évaluait à 822 milliards de
francs CFA le montant total de ces envois vers le Sénégal, par
voie officielle ou à travers des circuits informels. Ce qui
représentait environ 19% du PIB.
167 L'investissement direct à l'étranger (IDE)
correspond aux capitaux étrangers investis dans un pays donné, en
vue d'y créer une entité économique ou d'y acquérir
une prise de participation dans le capital social d'une entreprise.
Contrairement à ce que l'on a tendance à penser, l'IDE est
très peu orientée vers les pays pauvres comme ceux du continent
africain. Elle est essentiellement concentrée plutôt aux
États-Unis, en Chine, dans l'Union Européenne et au Japon. Les
IDE incitent les pays à mettre en valeur leurs
383
nos jours assurée par l'argent envoyé par les
migrants. La manne migratoire contribue également à la
vitalité du secteur immobilier. Par contre, les retombées des
fonds envoyés par les migrants restent relativement marginales dans le
tissu industriel. L'insertion professionnelle dans le pays de résidence
permet aux migrants salariés de bénéficier de revenus
stables. Les migrants sénégalais capables de mobiliser de fortes
sommes d'argent sont essentiellement les migrants hautement qualifiés et
les commerçants grossistes. Cependant, nos enquêtes nous
révèlent que tous les acteurs de la migration
sénégalaise en France sont concernés, d'une manière
ou d'une autre, par les transferts d'argent. D'une manière
générale, tous les migrants songent immédiatement à
envoyer de l'argent à la famille dès que les moyens le leur
permettent. C'est le cas de bon nombre d'étudiants, dans des proportions
qui pourraient d'ailleurs surprendre. C'est aussi le cas des marchants
ambulants qui tentent difficilement de vendre leurs marchandises auprès
des passants ou des touristes, quand la police le leur permet.
Généralement, les sommes d'argent envoyées tournent autour
de 50 à 1000 euros par mois, selon Amadou Sarr168
Les transferts d'argent des migrants sénégalais
vers leur pays d'origine ont toujours été une composante
essentielle du phénomène migratoire. Ils jouent un rôle
déterminant dans les dépenses de consommation courante et
l'amélioration des conditions de vie de nombreux ménages
sénégalais bénéficiaires de ces envois de fonds.
Toutefois, si l'on admet que les transferts d'argent des migrants contribuent
effectivement à améliorer le bien-être des familles des
migrants, en permettant par exemple un accès plus facile à
l'éducation, aux soins de santé ou à certains biens
d'équipement, il faut reconnaître aussi que beaucoup de
ménages utilisent cet argent dans des dépenses somptuaires ou
improductives.
L'essor des technologies de l'information et de la
communication a entraîné l'émergence de plusieurs
alternatives aux systèmes de transferts traditionnels. On assiste ainsi
à l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché
particulièrement lucratif des transferts d'argent des migrants vers le
Sénégal.
territoires et aussi à initier des politiques souples,
avantageuses et attractives vis-à-vis des firmes multinationales en
particulier.
168 SARR, A. Transferts de fonds des migrants et
développement en Afrique : une étude de cas sur le
Sénégal. EHESS, 2009. Consulté le 12/05/10. Disponible sur
:
http://www.oecd.org/dataoecd/30/49/43912387.pdf
384
9.2.1 Les structures formelles de transferts de fonds
Les résultats de nos enquêtes
révèlent que l'essentiel des flux monétaires transite de
nos jours par les canaux officiels. Conscients de l'importance de cette manne
financière, de nombreux organismes de transferts de fonds courtisent la
diaspora sénégalaise. Cependant, « s'il existe une telle
prolifération des moyens d'envoyer de l'argent au Sénégal
: fax, western-union, money gram, etc., c'est parce que la poste
sénégalaise a été défaillante. Si vous
envoyez un colis au Sénégal, il y'a 90% de chances que le colis
arrive vide, même en recommandé, surtout s'il s'agit d'un
téléphone portable ou autres choses de valeurs. Le premier
accusé, c'est la poste sénégalaise qui est
détournée de sa mission principale » fulmine Pape Samb.
Parmi ces organismes, Western Union, la Poste et Money Gram demeurent les plus
populaires.
Les flux d'argent des migrants vers le Sénégal
transitent principalement à travers les réseaux de Western Union.
Cet internaute, apparemment très au fait de ces systèmes, nous
explique que « Western Union est un système de transfert,
basé sur un réseau informatique mondial sécurisé et
fiable, qui permet d'envoyer instantanément de l'argent à ses
proches dans plus de 200 pays. Western Union opère avec des licences
octroyées par chaque État aux USA. Cette compagnie est
auditée dans chaque État et ses comptes sont rendus publics par
mesure de transparence. Western Union fonctionne comme une Franchise avec un
système d'information très complexe. Ils sont très forts
dans le paiement des factures et les systèmes de compensation ou
paiements entre compagnies ». Présente au
Sénégal depuis 1995, Western Union s'appuie sur un réseau
dense de partenaires diversifiés, notamment la poste, la CBAO, la
Société Générale de Banques au
Sénégal (SGBS), la BICIS et le Crédit Mutuel du
Sénégal. A l'heure actuelle, ses services sont disponibles sur 60
sites répartis sur quasiment toute l'étendue du territoire
national. En France, il suffit de se rendre, muni de sa pièce
d'identité, dans l'un des 3000 points de vente pour effectuer des
transactions via Western Union. Son principal associé en France est la
Poste. Au sein de la diaspora sénégalaise en France, les
utilisateurs de Western Union soulignent que ce système de transfert
d'argent présente une grande fiabilité. Pour cet internaute,
« il est mille fois plus fiable que la poste
sénégalaise. Il y a beaucoup plus de transparence. »
Toutefois, il est désormais possible de procéder
à des envois d'argent en ligne sur le site web
Westernunion.fr. Les transferts
d'argent électroniques peuvent être effectués par les
migrants disposant d'une carte de paiement visa ou mastercard. La
procédure en ligne nécessite tout d'abord de s'inscrire pour se
connecter. Puis, il faut remplir un formulaire
385
de transfert en ligne sécurisé, ensuite
compléter les informations nécessaires à la transaction.
Dès que le paiement en ligne est effectué, le destinataire peut
récupérer l'argent dans l'un des points de service
agréé Western Union. Le coût du transfert par Western Union
varie de 10,50 à 295,50 euros, en fonction de la somme envoyée.
Par exemple, pour envoyer 300 euros, le montant des frais pour le client est de
29 euros. Le montant maximal des transferts autorisés par personne et
par jour s'élève à 7600 euros. A ce jour, le concurrent
qui lui grignote le plus de parts de marché dans les transferts d'argent
des migrants sénégalais reste Money Gram.
Site web 40. Site web de Western Union
Money Gram est un service de transfert international de fonds
qui permet, en quelques minutes seulement, d'envoyer et de recevoir facilement
de l'argent en toute sécurité où que l'on soit dans le
monde. La procédure pour envoyer de l'argent par Money Gram est presque
identique à celle mise en place par Western Union. L'opération
entre deux agents de Money Gram est validée par le serveur central
basé à Denver aux États-Unis. Le service Money Gram est
disponible au Sénégal à travers les agences de ses
différents partenaires, notamment Attijari Bank, la CNCAS (Caisse
Nationale de Crédit Agricole du Sénégal), les structures
de crédit et d'épargne comme l'ACEP (Alliance de Crédit et
d'Épargne pour le Production) et le PAMECAS (Partenariat pour le
Mobilisation de
386
l'Épargne et du Crédit au
Sénégal). Money Gram a pu ainsi se doter d'un important
réseau de points de vente à travers le pays. Ce
déploiement accéléré de son réseau lui a
permis de combler son retard sur Western Union du point de vue de
l'accessibilité. Ses tarifs semblent aussi relativement moins chers. Par
exemple, pour envoyer 100 euros, le coût total du transfert est de 10
euros contre 19 euros pour western union.
Site web 41. Site web de Moneygram
D'autres opérateurs spécialisés,
attirés par la convoitise de cette manne financière, sont apparus
sur le marché lucratif des transferts d'argent et permettent aux
migrants sénégalais d'avoir maintenant plus de choix au moment
d'envoyer de l'argent au Sénégal. Il y a Money Express,
Télégiros, Ria, Coinstar, Traveless... qui proposent
également leurs produits là où il y a une forte
communauté de migrants sénégalais.
Money Express est le système électronique de
transfert d'argent du groupe sénégalais Chaka,
spécialisé dans le domaine des nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Créé en 1994, le groupe
Chaka est connu au Sénégal plus particulièrement à
travers son centre d'appel « Call me » et son système
électronique de transfert d'argent « Money Express ».
Cependant, il est également présent dans les domaines de
l'informatique vocale et du couplage téléphonie informatique
(Chaka Computer) et dans les solutions d'authentification et d'identification
de cartes bancaires
387
(Chaka Card Systems). Mis en place en juillet 2002, Money
Express s'appuie sur un réseau de partenaires essentiellement africains.
Au Sénégal, elle est associée avec la BHS (Banque de
l'Habitat du Sénégal) et l'UNACOIS (Union Nationale des
Commerçants et Industriels du Sénégal). Dans
l'intérieur du Sénégal, le produit Money Express est aussi
disponible à travers les points de service du réseau de l'UMECU
(Union des mutuelles d'épargne et de crédit des
commerçants, agriculteurs et industriels du secteur informel). Il n'est
pas sans intérêt de souligner ici les partenariats noués
avec ces acteurs du secteur informel présents au sein des structures
comme l'UNACOIS et l'UMECU. Ces partenariats assurent aux acteurs de l'informel
sénégalais l'accès aux services financiers et contribuent
à améliorer la bancarisation de ces acteurs souvent
réfractaires à tout ce qui est susceptible de permettre aux
organes de l'État de disposer des informations sur leurs moyens
financiers. Ce constat montre que la high tech et l'informel ne sont pas
forcément incompatibles. Bien au contraire, il prouve à quel
point les technologies modernes de communication peuvent coexister en parfaite
synergie avec le secteur dit informel. On peut dire que le processus de
bancarisation des acteurs de l'informel sénégalais est bel et
bien en marche. Par conséquent, il convient de promouvoir toutes les
opportunités privilégiant les usages de ces technologies dans le
but de mieux organiser ce secteur et afin de le rendre plus productif. Le
partenariat tissé entre la BHS et Money Express a permis à ce
dernier de déployer ses services aux États-Unis, notamment
à New-York, Atlanta et Washington DC. En Côte-d'Ivoire, Money
Express a noué des relations de partenariat avec la CECP (Caisse
d'épargne et de chèques postaux). Ses partenaires sont l'OPT
(Office des Postes et Télécommunications) au Bénin, la CET
au Togo (Caisse d'Epargne du Togo) et la BHM au Mali (Banque de l'Habitat du
Mali). Ainsi, pour certains internautes comme Gorgui, la fibre patriote a
certainement influencé le choix porté sur Money Express. Car pour
lui « c'est un produit local créé par un
Sénégalais et emploie des sénégalais. Les revenus
restent au Sénégal contrairement à Western Union dont les
frais élevés que l'on paye vont servir à alimenter le
compte en banque déjà très fourni de quelques très
riches actionnaires ». Par ailleurs, Money Express offre
également à ses clients détenteurs de cartes bancaires
visa ou mastercard la possibilité d'envoyer de l'argent en ligne sur le
site web disponible à l'adresse
http://www.money-express.com.
Pour cela, le client doit au préalable choisir un identifiant et un mot
de passe pour s'inscrire en ligne, puis remplir un formulaire d'adhésion
électronique où il sera indiqué des informations
administratives précises permettant de l'identifier clairement tout
autant que le destinataire. En plus, il doit mentionner de façon exacte
les coordonnées, le numéro de téléphone ainsi
que
388
l'adresse électronique de ce dernier. Ensuite, un
numéro de client et un code d'opération lui seront
attribués. Dès que Money Express débite le client des
frais afférents à l'opération, il lui envoie un courrier
électronique pour lui donner l'autorisation définitive de
procéder à la transaction. Le destinataire peut alors se
présenter auprès d'une agence agréée Money Express
et récupérer l'argent, après les formalités de
vérifications de l'authenticité des informations
présentées au guichet.
D'origine espagnole, Télégiros offre non
seulement un service de transfert d'argent, mais aussi des services
téléphoniques comme la vente d'appareils et de cartes
téléphoniques. Au Sénégal, ses services sont
assurés par sa filiale Télégiros Africa et sont pour le
moment limités essentiellement au transfert d'argent. Sur simple
présentation d'une pièce d'identité ou sur la seule base
d'un code, l'argent expédié est réceptionné en
moins de 15 minutes par son destinataire dans l'un des guichets de l'UNACOIS
à Dakar, Thiès, Louga, Saint-Louis et Touba. Pour son extension,
Télégiros a mis en place une stratégie visant à
nouer des relations de partenariat avec des acteurs divers, pharmacies,
particuliers et acteurs du secteur informel. En dehors de ces derniers,
Télégiros collabore avec d'autres agences
spécialisées comme Coinstar Money Transfer, RIA, Money System,
Money Trans, EZ Remit. Ce qui lui permet d'être plus concurrentiel face
aux grands groupes tels que Western Union et Money Gram. En fait,
Télégiros a surfé sur la vague de l'immigration
clandestine africaine en Espagne, sénégalaise plus
particulièrement, pour mieux capter cette manne migratoire
sénégalaise. Aussi, les lieux de prédilection au niveau de
l'installation de ses agences au Sénégal ont été
surtout les zones de la banlieue de Dakar les plus marquées par le
départ de leurs populations. A Thiaroye, l'agence
Télégiros, avec sa couleur jaune et rouge, est devenue
familière aux automobilistes qui empruntent la route nationale pour
sortir ou entrer à Dakar. Très souvent, en allant au
marché, les femmes, tenant le panier dans une main et le
téléphone portable dans l'autre main ou dans le porte-monnaie, se
rendent également à l'agence pour récupérer
l'argent envoyé par les fils, les maris ou les frères. Ainsi
donc, les utilisateurs des services d'envoi de Télégiros
proviennent essentiellement d'Espagne. Cependant, il existe des utilisateurs de
Télégiros en France, aux Etats-Unis, dans d'autres pays de
l'Afrique et même dans des pays de l'Asie.
Il y a aussi un autre opérateur dont les services
commencent à être connus et utilisés par les ressortissants
sénégalais en France, il s'agit de Ria. Ses services sont
disponibles
389
dans plus de 107 pays à travers le monde. En France,
Ria ne dispose pour le moment que d'une agence localisée à
Montmartre, dans le 18ème arrondissement de Paris.
Néanmoins, ses services sont disponibles dans les cyber ou
téléboutiques avec lesquelles des relations de partenariat ont
été nouées. A Bordeaux nous dit Malick, il est possible
d'effectuer des transferts d'argent vers le Sénégal, via Ria,
dans deux téléboutiques implantées dans le quartier des
Capucins. La première est située sur le cours de la Marne et est
tenue par un Indo-Pakistanais, la deuxième se trouve sur le cours de
l'Yser et est tenue par un Maghrébin.
« C'est tout récemment que j'ai
commencé à utiliser les services de Ria. C'est à travers
des compatriotes que j'ai appris son existence. Donc par le bouche à
oreille. Non seulement, les formalités sont très simples, mais en
plus les tarifs d'envoi sont moins élevés que ceux de Western
Union dont j'utilisais auparavant les services pour envoyer de l'argent
à ma famille au sénégal. Chaque mois, j'envoie à
peu près 152 euros (environ 100.000 F CFA). C'est pour la dépense
quotidienne et les paiements des factures d'eau et d'électricité.
Pour envoyer de l'argent, je me présente au guichet muni de ma carte de
séjour. Je remplis un formulaire en précisant d'abord mon
identité, mon adresse et mon numéro de téléphone.
Puis je mentionne l'identité du bénéficiaire, sans oublier
d'indiquer son numéro de téléphone. L'agent émet
ensuite un reçu sur lequel est noté le numéro d'ordre qui
permet au destinataire de réceptionner l'argent. Aussitôt
après, j'appelle le destinataire au Sénégal pour lui
transmettre le numéro d'ordre et le montant envoyé. Il lui suffit
alors de se rendre dans un bureau de poste ou dans une agence CBAO pour
récupérer l'argent ».
Flouss.com est une solution qui permet
à toute personne résidant en France de procéder à
un transfert international d'argent en ligne depuis son espace virtuel
personnel sur le site
Flouss.com ou directement à
partir de son téléphone portable. Tout d'abord, le souscripteur
achète en ligne une carte
flouss.com à l'adresse
http://www.flouss.com. Cette carte,
dont le prix s'élève à 19 euros, lui sera envoyée
plus-tard à son domicile. Dès réception de la carte, il
peut la transmettre au bénéficiaire que le client a bien pris le
soin de déclarer en ligne, de bien mentionner l'identité au
moment de sa souscription. A partir de là, le souscripteur a la
possibilité d'effectuer des transferts d'argent soit par Internet, soit
depuis son téléphone portable. A la suite de chaque transfert, le
bénéficiaire en possession de la carte est prévenu par
courrier électronique ou par SMS de l'effectivité de
l'opération. Dès lors, il peut se rendre dans n'importe quel
guichet automatique de billet du réseau Cirrus de Mastercard dans le
monde afin de pouvoir retirer immédiatement les
390
fonds envoyés, après avoir saisi au
préalable un code à quatre chiffres. Sur le site web de
l'observatoire des coûts d'envoi d'argent à l'étranger mis
en ligne par l'AFD (Agence Française de Développement), ce moyen
de transfert international d'argent, proposé par la Banque Accord et
Flouss.com depuis 2007, est
considéré comme l'un des plus bas sur le marché.
Dans le contexte d'un marché international du transfert
d'argent qui prend de plus en plus d'ampleur et devient de plus en plus
concurrentiel, la poste tente de s'adapter un peu partout en se mettant au
diapason des nouvelles technologies. En matière de transfert d'argent,
la poste sénégalaise ne cristallise autour d'elle que
déceptions, frustrations et colère de la part des migrants. Les
gens ne lui font guère confiance.
Ainsi, L. K. souligne que « si la poste
n'était pas malhonnête, si les agents de la poste ne prenaient pas
l'argent des pauvres citoyens en milieu rural, les gens n'allaient pas chercher
d'autres moyens pour envoyer de l'argent à leurs parents au pays
».
A cause de ce manque de confiance, cet internaute n'a plus
recours à la poste quand il souhaite envoyer des présents
à ses proches au Sénégal : « Je ne peux plus
envoyer aucun colis ni même petit paquet à ma famille. A la poste,
ils demandent un argent fou, de façon complètement
aléatoire, et si on refuse de payer ils gardent le paquet pour eux. J'ai
le cas de quelqu'un à qui on a demandé 20000F pour retirer un
colis, la personne a dit "je n'ai que 5000" le postier a dit "c'est bon donne
5000"! C'est le guichetier qui fixe ses prix! Résultat : il faut
attendre que des gens voyagent pour donner des cadeaux ».
Pour remédier à cette situation, cet internaute
pense que « la poste sénégalaise doit
impérativement créer des points de transactions au niveau des
villages reculés et très distants des bureaux de poste.
Voilà une bonne idée à approfondir mais aussi et surtout
se doter d'un personnel compétent et suffisant qui n'arnaque plus les
pauvres familles quand celles-ci viennent encaisser l'argent envoyé par
le manutentionnaire de Barbès ».
Alors que cet autre ajoute que « la poste doit se
moderniser et faciliter les envois pour les Sénégalais de
l'extérieur. Car, c'est vraiment manqer une affaire en or que d'ignorer
ou de créer des problèmes aux Sénégalais de
l'extérieur ».
Faisant échos à toutes ces complaintes, la Poste
sénégalaise tente tant bien que mal de s'adapter aux exigences
croissantes des usagers. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'elle
391
a pris l'initiative de se moderniser en se dotant d'un site
web,
Laposte.sn, où la plupart de ses
services sont mis à la disposition des usagers. Un système de
transfert d'argent par l'intermédiaire du téléphone mobile
était envisagé, mais pour le moment c'est toujours à
l'état de projet. En attendant, elle fait bénéficier de
son immense réseau à d'autres opérateurs comme Western
Union, Money Express, Ria... Il faut aussi préciser que certains
migrants de l'ancienne génération continuent encore de solliciter
les services de la poste pour leurs envois d'argent vers le
Sénégal.
La démocratisation de l'accès aux TIC a rendu
possible l'émergence de nombreux modes de transferts d'argent en temps
réel, principalement par le téléphone mobile. Au
Sénégal, Orange Money, le premier service de transfert d'argent,
de paiement de factures et de biens de consommation à partir du
téléphone mobile a été lancé le 12 avril
2010 par la Sonatel et la BICIS alors que ce produit est opérationnel en
Côte-d'Ivoire depuis décembre 2008. Tout l'aspect financier de ce
service particulièrement innovant est pris en charge par la BICIS qui
assure l'émission de la monnaie électronique et garantit la
conformité et la bonne exécution du service. De son
côté, Orange Sénégal, filiale du groupe Sonatel,
assure la gestion de la plateforme technique, s'occupe du réseau de
distribution de même que du marketing de l'offre. Sont autorisés
à souscrire au service Orange Money tous les clients Orange mobile qui
peuvent ainsi procéder au dépôt d'argent sur leur compte
Orange Money jusqu'à hauteur de 100.000 F CFA auprès d'un
distributeur agréé comme la BICIS. Après
l'exécution de l'opération, le client reçoit un SMS de
confirmation. Il peut alors effectuer des transactions et des règlements
d'opérations courantes en toute sécurité, partout et
à toute heure. Orange Money permet aussi à ses clients de
transférer de l'argent mais seulement entre clients Orange Mobile. Pour
envoyer de l'argent depuis son téléphone mobile, le client
compose tout simplement #144# et suit les instructions indiquées. Un SMS
de confirmation du transfert lui sera ensuite envoyé. Orange Money offre
également à ses clients la possibilité d'effectuer
à partir de leur téléphone mobile des retraits d'argent
sur leurs comptes Orange Money auprès des partenaires
agréés, de payer leurs factures de téléphone fixe
et mobile et d'acheter du crédit téléphonique. Des
discussions sont actuellement en cours pour étendre les services
d'Orange Money aux paiements des factures d'eau et d'électricité
ainsi que des frais de scolarité. Pour permettre aux clients
d'accéder plus facilement à ses services, Orange a mis en place
un vaste réseau de distribution à Dakar et dans les
régions. En dehors des agences de la Sonatel et de la BICIS, figurent
parmi les opérateurs
392
agréés la Poste, les institutions de micro
finance, les boutiques On The Run et Select et certains bureaux de change. Ses
promoteurs comptent assurer prochainement sa distribution sur toute
l'étendue du territoire national. Avec Orange Money, les bannis du
système bancaire classique, ceux qui gagnent à peine de quoi
subvenir aux besoins de leur famille peuvent désormais effectuer des
transactions financières de la même manière que les
enseignants, les avocats, les médecins, etc.
En France, la Caisse d'Epargne a mis en place Movo, un service
de transfert d'argent de compte bancaire à compte bancaire, à
condition que l'expéditeur et le bénéficiaire souscrivent
chacun à un abonnement de 6 euros par an. Le transfert d'argent peut
être effectué sur le site web Movo.fr « au moyen de son
téléphone portable, soit par l'envoi d'un SMS au numéro de
téléphone indiqué sur le site (au coût de 50
centimes d'euro en plus du prix normal), soit par appel d'un serveur vocal
interactif indiqué sur le même site (à 0,57 centimes d'euro
la minute hors coût de communication) »169 rappellent les
responsables. Dès que le compte est crédité,
l'émetteur et le destinataire reçoivent sur leur
téléphone portable un SMS de confirmation de la transaction quel
que soit par ailleurs l'opérateur téléphonique. Ce
système de paiement sur téléphone mobile de personne
à personne (peer to peer) peut s'avérer intéressant dans
certaines familles de migrants en France dans lesquelles les frais
d'études des cadets sont pris en charge par les aînés.
Le succès que connaît la téléphonie
mobile dans le service des transferts d'argent en Afrique contribue à
favoriser la bancarisation progressive dans certains domaines du secteur
informel. Au Kenya, l'opérateur de téléphonie mobile,
Safaricom dont 50% des actions sont détenues par le groupe de
télécommunication anglais Vodaphone, a mis en place un
système de transfert d'argent par le téléphone portable
appelé M-Pesa. Ce service de transfert d'argent par le
téléphone mobile a enregistré près de cinq millions
d'abonnés à travers le pays en avril 2007. C'est un moyen rapide,
sûr et peu onéreux d'envoyer de l'argent, de payer des factures,
d'encaisser de l'argent dans les magasins et stations-service partout au Kenya.
M-Pesa pourrait permettre aux migrants kenyans vivant en Angleterre notamment
de pouvoir envoyer de l'argent à leurs familles au Kenya depuis leur
téléphone portable.
169 Pour plus d'explications sur ce moyen de transferts
d'argent par SMS entre particuliers, nous recommandons au lecteur de se rendre
sur le site web
www.movo.fr.
393
Site web 42. Site web de l'opérateur kenyan de
transfert d'argent M-Pesa
Les nouveaux usages liés au web 2.0 étendent les
possibilités de transactions financières par Internet et par le
téléphone mobile. Désormais, banques, organismes
spécialisés et opérateurs téléphoniques
rivalisent chacun de services innovants et hautement sécurisés
pour capter ce marché colossal jusque dans les fonds les plus
reculés de l'Afrique. Cette recrudescence d'opérateurs proposant
des services de transfert d'argent par téléphone mobile contribue
à améliorer et assouplir les services financiers dans des pays
où une frange importante de la population était jusque là
en marge du réseau bancaire classique. Au Cameroun, le service «
Call & Pay », lancé par Crandy, permet à
l'émetteur d'envoyer de l'argent via un serveur vocal. Informé
par SMS, le destinataire peut alors se rendre dans une des agences de la banque
UBC ou Fiffa pour récupérer l'argent. Dans un certain nombre de
pays africains, cela pourrait permettre à de nombreuses personnes qui
n'ont pas de compte bancaire de pouvoir effectuer désormais certaines
transactions financières, en particulier transfert d'argent de personne
à personne, achat de biens et services, règlement de factures,
soit à partir de leur téléphone mobile ou soit à
partir de leur téléphone fixe en toute sécurité. La
multiplication des services et la démocratisation de leur accès
marquent le départ de l'adoption des comptes mobiles dans les zones
rurales et urbaines dépourvues d'infrastructures. Cependant, les
transferts d'argent pas les canaux non officiels restent encore malgré
tout très importants.
394
De plus, si l'on examine, d'un autre côté, le
graphique 27, on s'aperçoit que Western Union est, de loin,
l'opérateur dont les services sont les plus utilisés par les
migrants sénégalais en France pour effectuer des transferts
d'argent principalement vers leur pays d'origine. On observe en effet que 50%
des personnes interrogées disent recourir régulièrement
aux services de Western Union pour envoyer de l'argent à leurs familles
restées au Sénégal. Le mandat poste est encore
utilisé par 19% de nos répondants pour faire parvenir de l'argent
au Sénégal. L'observation du graphique montre, par ailleurs, la
diversité des opérateurs sollicités dans les transferts
d'argent vers le Sénégal. Cependant, il faut, de surcroît,
noter la persistance des transferts d'argent effectués par des moyens
informels. Avec 2% des transferts effectués par des amis et 8% par
d'autres voies.
Graphique 29. Modes de transfert d'argent
privilégiés des migrants sénégalais
9.2.2 Les modes de transferts informels
Difficiles à appréhender par nature, les
transferts d'argent par les circuits informels restent quand même
largement encore répandus au sein de la diaspora
sénégalaise, en particulier auprès de certains migrants
commerçants et certains migrants originaires de la vallée du
fleuve Sénégal. Mamadou Ly, correspondant de Seneweb à
Paris, considère
395
que l'utilisation de ce système de transfert
appelé « fax » est plus répandue auprès des
ressortissants de Tambacounda et du Fouta. Il explique comment fonctionne ce
système :
« Le "fax" dont la transaction est simplifiée
mais non sécurisée se fait comme suit : l'expéditeur se
présente dans un foyer avec le montant à envoyer moyennant une
commission de 5 à 10 euros selon les montants à expédier.
L'expéditeur donne le nom du destinataire au pays et ses
coordonnées téléphoniques. Aussitôt la personne est
mise au courant par un simple coup de fil. Le destinataire se pointe au lieu du
représentant du « fax » pour retirer l'argent ».
C'est essentiellement auprès de ces migrants,
composés par un nombre relativement important de personnes non
instruites en français, que l'on trouve un certain nombre de pratiques
tournées encore vers l'informel. Un internaute pense que les personnes
qui se servent du « fax » n'ont pas vraiment le choix.
« En France la majeure partie de
ceux qui envoient de l'argent par fax sont des sans papiers. Ils n'oseront
jamais se présenter devant une poste française pour faire un
transfert ».
La plupart du temps, ces envois dits informels transitent
entre les mains des grands commerçants ou des voyageurs. Habituellement,
les fonds collectés en France par ces commerçants sont
payés aux bénéficiaires au Sénégal en biens
de consommation courante. En effet, au lieu de se faire rembourser localement
en argent, les bénéficiaires peuvent par exemple s'approvisionner
en denrées alimentaires, en équipements de maison ou en
matériaux de construction ou encore passer de temps en temps
récupérer la dépense quotidienne dans les boutiques des
commerçants-convoyeurs. Ces derniers sont souvent
représentés au Sénégal par des membres de leur
famille ou par d'autres commerçants avec qui ils entretiennent des
relations privilégiées. Pour fonctionner, ce système
nécessite bien entendu une confiance réciproque entre les
émetteurs des transferts, les commerçants-convoyeurs et leurs
représentants au Sénégal. Néanmoins, les
bénéficiaires peuvent aussi se faire totalement rembourser en
argent. En fait, tout dépend des indications données par
l'émetteur en France. Les fonds mis à la disposition des
commerçants peuvent servir à acheter des marchandises pour
approvisionner les boutiques en France et au Sénégal. En
réalité, ces transactions financières sont
généralement effectuées sans que l'argent ne se
déplace physiquement. Dans tous les cas, un système de
compensation ingénieux est mis en place et chacun y trouve son
compte.
396
Chaque fois que l'occasion se présente par ailleurs,
les voyageurs, sur le point de se rendre au Sénégal, peuvent
être sollicités par des parents et amis pour remettre de l'argent
à leurs familles restées au pays. Ce type d'opérations
nécessite également une parfaite confiance entre les
différentes parties. Il n y a absolument rien de signé entre
personnes concernées. Il n'en demeure pas moins que ces transferts
d'argent par des canaux non officiels comportent des risques non
négligeables, comme le souligne Gorgui:
« Ce système de transfert d'argent
parallèle est aussi ancien que le monde. La base de ce système
c'est la confiance ainsi cela se fait dans des communautés
fermées. Tu ne les entendras jamais se plaindre. Le taux de change est
meilleur et le prix très abordable. Le seul problème c'est les
risques de blanchiment d'argent. Des gens véreux peuvent l'utiliser pour
blanchir de l'argent sale ».
Des cas de retards de paiement sont fréquemment
évoqués. De même, en cas de perte ou de vol, les relations
peuvent dégénérer entre les protagonistes. Pour
réduire les risques, les acteurs qui interviennent dans les transferts
d'argent informels ont recours aux nouvelles technologies, notamment le
téléphone mobile qui leur permet d'améliorer leurs
services en efficacité et en sécurité. Dans tous les cas
estime cet internaute qui signe sous le pseudonyme d'Elton John:
« Les gens préfèrent enrichir leur
propre parent détenteur de fax à moindre coût que de verser
5 à 10 voire plus à la Poste ou ailleurs alors que l'État
du Sénégal ne fait rien dans ces localités du Fouta
».
9.3 Un rôle important dans la réduction
de la fracture
numérique
D'une manière générale, l'accès
aux technologies de l'information et de la communication est fortement
marqué par des disparités à l'échelle mondiale. Ce
sont des inégalités dans les accès et les usages de
certains outils modernes de communication et plus particulièrement
d'Internet surtout et des téléphones mobiles à des
degrés moindres. Ce schisme est visible d'une part entre les populations
des pays du nord et celles des pays du sud à l'échelle mondiale
et, d'autre part entre les populations des zones urbaines et des zones rurales
au sein d'un même pays. Avec l'apparition et le développement du
smartphone ou téléphone intelligent dans les pays
industrialisés, le fossé risque d'être encore un peu plus
accentué. La fracture numérique a été
employée pour désigner ce
397
fossé « face aux possibilités
d'accéder et de contribuer à l'information, à la
connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des
capacités majeures de développement offertes par les TIC
»170 comme l'écrit Michel Elie. Ces disparités
résultent principalement de la logique exclusive de rentabilité
marchande et financière qui a accompagné
précisément l'évolution du réseau Internet. Depuis
leur avènement, les infrastructures de télécommunications
sont essentiellement tournées vers les États-Unis qui sont
d'ailleurs devenus aujourd'hui la plaque tournante du trafic mondial. On
constate que dans de nombreux pays, les plus gros opérateurs de
télécommunications se contentent tout simplement de faire
transiter une bonne partie de leur trafic à travers les réseaux
des États-Unis. Partout dans les pays du nord, la fracture
numérique est devenue une réalité concrète. Dans
ces pays, les personnes âgées de plus de 60 ans, les personnes peu
diplômées et les personnes vivant dans des foyers aux revenus
modestes représentent la grande majorité des populations
défavorisées dans l'accès à Internet. Sur
Wikipédia, il est indiqué que 80 à 95% de la population ne
se connectent jamais après 60 ans. Les personnes vivant dans des foyers
modestes constituent 65% des personnes rencontrant des problèmes
d'accès à Internet. Ce sont là des caractéristiques
que l'on trouve fréquemment auprès d'un certain nombre de
migrants ou de personnes issues de la migration.
Au sein de la diaspora sénégalaise en France, il
existe des différences notables dans l'accès et l'usage
d'Internet. Généralement, les étudiants et les migrants
hautement qualifiés sont les principaux utilisateurs d'Internet. Non
seulement, ils utilisent Internet pour divers usages numériques, mais
ils peuvent aussi être des producteurs de contenus sur le web. En dehors
de quelques membres qui ont les compétences requises pour se connecter,
on observe que les migrants commerçants et les migrants originaires de
la vallée du fleuve Sénégal ont bien souvent des
difficultés pour accéder et utiliser les ressources d'Internet.
N'ayant pas ou ayant peu fréquenté l'école
française, ils n'ont pas de ce fait une bonne maîtrise du
français pour savoir l'utiliser.
Quoi qu'il en soit, tous ces acteurs de la migration
sénégalaise entretiennent des relations extrêmement fortes
avec le pays d'origine. Chacun sait par exemple l'importance des transferts de
fonds effectués par les migrants vers le pays d'origine. Comme nous
l'avons évoqué précédemment, ces fonds contribuent
indéniablement à
170 ELIE, M., Le fossé numérique. L'Internet,
facteur de nouvelles inégalités ? Problèmes politiques
et sociaux,
398
subvenir aux besoins vitaux des familles et aussi à
soutenir les efforts de développement dans certains cas. Il s'agit
là de l'apport de la diaspora contre la fracture économique et
sociale qui sévit de façon profonde dans le pays d'origine entre
une minorité (élites politique et maraboutique) et
l'écrasante majorité de la population ployant sous le fardeau de
la pauvreté. Cependant, la participation des migrants au
développement du Sénégal ne se limite pas seulement
à l'aspect financier. Il faut ajouter en effet leur rôle
considérable dans la réduction de la fracture
numérique.
Il apparaît à travers les réponses
collectées que les migrants sénégalais en France jouent un
rôle important dans l'équipement des familles restées dans
le pays d'origine. Parmi les outils de communication amenés au
Sénégal, le téléphone mobile est sans aucun doute
l'outil de communication le plus introduit. Ils sont 37% à soutenir
avoir amené un téléphone mobile au Sénégal.
Quand on voit aussi que 12% des répondants ont amené un
téléphone fixe au Sénégal, on peut vraiment dire
que le téléphone est l'outil indispensable qui permet
précisément de maintenir et de renforcer le contact avec le pays
d'origine. On remarque également le rôle important des migrants
dans l'équipement des ménages sénégalais en
ordinateur portable. Près de 25% de nos répondants
déclarent avoir amené un ordinateur portable au
Sénégal. Cela peut s'expliquer par les possibilités
actuelles de téléphoner gratuitement via Internet. L'utilisation
d'Internet pour communiquer avec les enfants résidant à
l'étranger commence à se développer peu à peu
auprès de certains ménages dakarois en particulier. C'est pour
cela d'ailleurs que l'on a presque le même pourcentage au niveau des
migrants ayant amené un casque multimédia au
Sénégal.
Ces réponses mettent en évidence l'importance
croissante des migrants dans l'insertion et la diffusion des TIC au
Sénégal. C'est en effet grâce à eux essentiellement
qu'une frange importante de la population, même dans les coins les plus
reculés du pays, parvient à accéder à ces
technologies modernes de communication. Sans l'apport considérable des
migrants, l'accès aux outils modernes d'information et de communication
sur l'ensemble du territoire national serait encore beaucoup plus
limité. Généralement, les migrants mettent à profit
leur séjour au pays pour intégrer les TIC dans le cadre familial.
On remarque aussi qu'ils remplissent habituellement une fonction
pédagogique auprès des parents et amis en leur donnant au
quotidien des indications et
n° 861, La Documentation française, Paris, août
2001.
399
des conseils précis pour une utilisation
adéquate du matériel. A travers ses initiatives, la diaspora
participe non seulement aux actions visant à réduire la fracture
numérique entre les pays du nord et les pays du sud, mais aussi
contribue à la dynamique pour combler le fossé numérique
entre les zones urbaines et les zones rurales dans le pays d'origine. Il faut
aussi ajouter que ce sont souvent eux également qui équipent les
cybercentres.
Graphique 30. Outils de communication ramenés par
les migrants au Sénégal
9.4 L'influence des migrants sur la vie politique au
Sénégal
Malgré la distance, les migrants accordent une
attention particulière à l'organisation et la gestion des
affaires publiques dans leur pays d'origine. Cette attention porte plus
précisément sur la constitution, les institutions et les
différents partis politiques qui cherchent à conquérir le
pouvoir (le régime au pouvoir et les partis d'opposition). L'ampleur des
discussions politiques dans la diaspora témoigne en effet de
l'intérêt des migrants pour la chose publique. Les discussions sur
la vie politique sont inhérentes à la nature même des
Sénégalais. Elles sont habituellement au centre des questions
débattues dans les maisons, les lieux de travail, les universités
et les lycées, les marchés, les grand-places... Et tout le monde
y participe avec un certain enthousiasme, hommes, femmes, jeunes, intellectuels
comme illettrés, spécialistes comme profanes. Aussi, il n'est
pas
400
étonnant d'observer cette frénésie dans
la participation citoyenne en ligne à travers principalement les sites
portails, les espaces de discussion en ligne, les sites web des médias
sénégalais et les blogs.
Les technologies de l'information et de la communication, et
plus particulièrement Internet, offrent aux citoyens de nombreuses
possibilités d'exprimer de façon instantanée des opinions
diverses à travers notamment les espaces publics de rencontres et
d'échanges sans se préoccuper outre mesure des contraintes
spatiales et temporelles, « habituellement attachées à
l'expression en public » (F. Greffet et S. Wojcik, 2008). Cette
multiplication des espaces de discussion sur Internet a été
favorisée davantage par l'avènement du web 2.0. Ces multiples
façons d'interagir entraînent des changements profonds dans les
relations entre les acteurs politiques et les citoyens. On passe ainsi d'une
démocratie représentative à une démocratie
participative avec l'émergence des e-citoyens capables de se mobiliser
pour influer sur les décisions publiques, notamment à travers les
forums, les courriers électroniques, les listes de discussion, les
messageries instantanées, les blogs ou les webradios.
N'importe quel internaute peut participer aux débats
politiques et donner ses opinions relatives aux problèmes sociaux du
moment sur Internet. La manière dont les Sénégalais de la
diaspora, du moins une partie d'entre eux, prend la parole en ligne pour
discuter des questions cruciales qui engagent l'avenir de l'ensemble des
composantes de la société sénégalaise
révèle en fait cette forte conscience citoyenne qui est en train
de se développer au-delà des frontières de
l'État-nation sénégalais.
On assiste à l'émergence des e-citoyens. Par
ailleurs, on constate que les forums des sites portails Seneweb et Xalima
apparaissent particulièrement dynamiques dans les échanges en
ligne sur la chose publique. Les participations politiques en ligne ont
tendance à être particulièrement animées durant les
jouxtes électorales (élections présidentielles et
législatives de 2007 et élections locales de 2009).
Les participants peuvent, de manière synchrone ou
asynchrone, publier des informations, faire des propositions, émettre
des soutiens ou des critiques et prendre facilement la parole en ligne. On note
cependant une fréquence des échanges polémiques souvent
peu respectueux. Au lieu de faire des échanges argumentés,
certains internautes préfèrent profiter de l'anonymat que procure
Internet pour se livrer à des invectives et
401
finissent par polluer complètement ces agoras
politiques. D'où la réaction de cet internaute qui écrit
:
«L'utilisation de la toile par nos compatriotes ne se
fait pas toujours dans le respect des valeurs qui ont concouru à
l'édification de la cohésion et de la stabilité nationale.
Des énergumènes, anarchistes à souhait, assaillent la
toile pour y déverser des insanités, des insultes et des appels
à l'insurrection, dans le cadre des forums proposés par les sites
d'information ou simplement dans des sites servant de quartiers
généraux aux guérilléros qui ont
déclaré la guerre au régime. Aujourd'hui, les internautes
sont relativement gâtés par les sites d'information en continu qui
leur servent le traitement quotidien de l'information sous toutes ses formes et
cerise sur le gâteau des espaces d'expression et d'échanges
communément appelés forums. Cependant, la totalité des
interventions interactives relevées dans les forums vont à
l'encontre des valeurs fondamentales de notre République. Les
internautes foulent au pied toutes les recommandations et les consignes
données par les administrateurs des sites. En vérité,
avant de poster un commentaire, il est demandé au surfeur d'être
courtois, de ne pas envoyer de message vulgaire, violent, ne respectant pas la
vie privée ou ayant un ton agressif ou insultant. Mais que nenni, les
internautes agissent contrairement à ces orientations et les forums
deviennent dès lors, des nids d'insultes où les autorités
religieuses, politiques et coutumières en prennent pour leurs
grades.
Les autorités de ce pays doivent prendre à
bras le corps ce phénomène qui risque, si l'on n'y prend garde,
d'embraser notre pays. Les autorités policières et le conseil
national de régulation de l'audiovisuel sont interpellés, au plus
haut chef, afin de mettre un terme à ces dérives qui peuvent,
d'un moment à l'autre, couler notre barque ».
Il convient de souligner qu'au Sénégal le
débat politique accapare tout l'espace public. Cette situation est
aggravée par les médias plus enclins à traiter les
informations politiques que les informations sociales, culturelles ou
économiques. C'est pourquoi, on observe une forte dose de politique au
niveau des usages de l'Internet par les Sénégalais de
l'intérieur comme ceux de l'extérieur. Par exemple, au moment de
l'affaire dite des « chantiers de Thiès »171, de
nombreuses initiatives ont été mises en place sur Internet par
des membres de la diaspora en faveur de l'ancien premier ministre Idrissa Seck.
Ses
171 Dans le cadre des travaux effectués pour la
fête de l'indépendance qui devait être organisée dans
la ville de Thiès, l'ancien premier ministre et maire de ladite ville,
Idrissa Seck, a été accusé de dépassements
budgétaires colossaux par le président Abdoulaye Wade. A la suite
de ces accusations, le maire de Thiès a été
arrêté et incarcéré à la prison de Reubeus.
Il s'ensuivit des révélations scandaleuses entre les deux hommes.
Ce feuilleton politico-judiciaire a pris le pays en otage de juillet 2005
jusqu'à ce que la Commission de la Haute Cour de justice rende un non
lieu total le 4 mai 2009, mettant ainsi définitivement fin aux
poursuites pour malversations lancées contre Idrissa Seck.
402
partisans ont utilisé le web, d'une part pour mettre en
place des mouvements de soutien et sensibiliser l'opinion publique nationale et
internationale et aussi, d'autre part comme moyen de pression sur les
autorités sénégalaises afin d'obtenir sa
libération. C'est ainsi que deux sites web ont été
créés par de jeunes citoyens sénégalais vivant
à l'étranger pour s'impliquer à ses côtés et
le soutenir pour réaliser son ambition de devenir le quatrième
président du Sénégal :
www.idiforsenegal.com et
www.idyforever.com.
Sites web 43. Sites des membres de la diaspora
exigeant la libération d'Idrissa Seck ou soutenant sa candidature
à l'élection présidentielle de 2007
Pour montrer leur opposition catégorique au projet
« monarchique » du président Abdoulaye Wade, une partie de la
diaspora sénégalaise est en train de se mobiliser depuis
l'année 2009 autour du site web
http://jamaisdemonarchieausenegal.politicien.fr
afin de coordonner ses actions. C'est à la suite d'une discussion avec
des compatriotes commerçants dans une ville de la France portant comme
d'habitude sur le projet de succession du président Abdoulaye Wade par
son fils Karim Wade que l'auteur, qui s'attribue le pseudonyme de «
fipoucat » (mot wolof qui signifie « celui qui se révolte
»), a eu l'idée de mettre en place ce site web. Ce site est donc un
espace ouvert à tous les Sénégalais qui veulent se
mobiliser contre ce projet de dévolution monarchique du pouvoir. C'est
un lieu virtuel de rassemblement de toutes les forces vives de la nation
sénégalaise afin d'oeuvrer ensemble pour le maintien des acquis
démocratiques, et au-delà, laisser le choix souverain au peuple
sénégalais d'élire librement le prochain
403
président en 2012. Ce site sert donc de tribune de
réflexion sur les actions éventuelles à mener.
Déjà, un espace a été créé sur le
site pour permettre aux partisans de cette cause d'entrer en contact et de
communiquer par courrier électronique entre eux. En outre, pour
élargir la réflexion, certains ont suggéré
d'utiliser Skype comme moyen de rencontre. Aujourd'hui, le site n'est plus en
ligne. Certainement, son propriétaire n'a pas obtenu les
résultats escomptés, la mobilisation semblant être
en-deça de ses espérances. Toujours est-il qu'un groupe
opposé à ce « projet de dévolution monarchique du
pouvoir » au Sénégal s'est constitué sur le
réseau social Facebook. Outre son initiateur, un jeune du nom d'Amadou
Ndir, et son administratrice, une jeune sénégalaise du nom
d'Alima SY, le groupe regroupe d'autres jeunes sénégalais ainsi
que des artistes comme Didier Awadi et des hommes politiques tels que Talla
Sylla, l'ancien premier ministre Macky Sall et le maire de Mermoz-Baobab-Karack
Barthélémy Diaz.
Nous observons ici comment Internet contribue
indéniablement à modifier les manières de lutter pour une
cause citoyenne à travers des échanges argumentés. Ces
e-citoyens, inquiets du devenir de la démocratie dans leur pays,
invitent les Sénégalais de l'intérieur et de
l'extérieur de tous bords à se mobiliser afin d'exercer une
vigilance citoyenne et rester attentifs au risque de « dévolution
monarchique du pouvoir » au Sénégal. Les discussions en
ligne montrent que ces e-citoyens sénégalais comptent profiter au
maximum des potentialités d'Internet pour jouer pleinement leur
rôle de sentinelle de la bonne gouvernance.
404
Site web 44. Site des membres de la diaspora
opposés à la monarchie au Sénégal
Sur l'initiative du professeur Arona Ndoffène Diouf,
des Sénégalais se sont regroupés aux Etats-Unis entre
2007-2008 pour constituer le mouvement « Alternative Citoyenne Sunureew
» (ACAD). D'après ses initiateurs, « ce mouvement est ouvert
à tous les citoyens sénégalais qui souhaitent s'engager
à défendre une démocratie pluraliste au
Sénégal, à sortir le pays de sa crise multiforme et
à construire un progrès social réel et durable au
bénéfice des populations ».
Basé aux États-Unis, le mouvement a
étendu ses tentacules dans presque tous les États. Ce qui lui
assure un bon maillage territorial et lui permet de toucher un public plus
large. L'ACAD est présente aussi en France, au Canada, en Italie, en
Espagne, en Australie, au Brésil et au Japon. En Afrique, des
délégations ACAD existent au Sénégal, au Gabon, au
Maroc, en Côte d'Ivoire, en Egypte et en Mauritanie. Les membres de la
coordination de Paris estiment avoir appris à connaître le
professeur Diouf sur Internet, à travers son émission
diffusée sur
Seneweb.com. Cependant, sur fond de
divergence portant sur le nom de domaine
avecprdiouf.com, les
membres de la coordination de Paris ont présenté leur
démission collective le 4 mars 2010, pour montrer leur refus
catégorique « d'une personnalisation du mouvement ». Dans le
« Blog des supporters », on peut trouver des commentaires et des
soutiens à la candidature du professeur Arona Diouf aux prochaines
élections présidentielles qui seront organisées au
Sénégal en 2012. Ainsi, le projet que ce candidat
déjà déclaré veut soumettre aux
Sénégalais est accessible sur le site
405
www.acadsenegal.com172. En outre, les internautes
désirant apporter leurs soutiens financiers, peuvent également
acheter des tee-shirts, des casquettes, des tasses, des horloges frappés
du logo de l'ACAD dans la boutique virtuelle qui se trouve sur le site. Afin
d'élargir son cercle d'adhérents, un formulaire en ligne permet
d'adhérer facilement au mouvement.
Site web 45. Site web du professeur Arona N'Doffene Diouf
et de ses partisans
En outre, les émissions politiques à travers les
webradios des sites portails
Seneweb.com,
Xalima.com,
Archipo.com et
Allodakar.com deviennent des moyens
privilégiés par lesquels les animateurs participent à
conscientiser les internautes. Il s'agit principalement de «
Dég-Dëg » sur Seneweb radio, présentée par
Souleymane Jules Diop depuis le Canada, de « Yéwuleen. La voie
citoyenne » et de « Waxtan ci biir Askanwi » animées par
le professeur Arona Ndoffène Diouf en direct de Caroline du nord aux
Etats-Unis, de « Diaspora » et « Penc Mi »
présentées par Amath Diouf depuis Houston, de « Guiss-Guiss
» avec Adama Diouf et l'émission « Boppu Koñ »
animée par Modibo sur
Archipo.com et
Allodakar.com. A travers les
informations fournies et les débats démocratiques
électroniques qu'ils suscitent, ces médias prennent part à
l'apprentissage de l'échange politique et de la citoyenneté des
internautes. Internet devient le moyen
172 Les internautes peuvent trouver sur le site
www.acadsenegal.com des
informations sur l'idéologie du mouvement, son projet de
société pour « la démocratie, le pouvoir au peuple et
une nation sénégalaise unie ».
406
privilégié pour des échanges
argumentés, « pour se forger des opinions autonomes » (F.
Greffet et S. Wojcik, 2008) et où se développent des aptitudes
favorables à l'engagement citoyen où à la participation
politique. Toutes les possibilités des outils informatiques sont
exploitées pour sauvegarder et renforcer la démocratie au
Sénégal, mobiliser les citoyens en vue des prochaines
élections présidentielles et proposer des idées pouvant
favoriser « l'invention de nouvelles formes d'action politique » (F.
Greffet et S. Wojcik, 2008). De même, toutes les sphères
électroniques sont investies pour favoriser les échanges et les
discussions politiques entre les « cyberparticipants ». La
confrontation des diverses opinions en ligne se traduit parfois par des
contenus bien argumentés. Malheureusement, il est fréquent que
les débats soient envenimés par des internautes
intolérants et irresponsables. Ces « échanges
polémiques illustrent l'importance du caractère conflictuel des
échanges en ligne » (F. Greffet et S. Wojcik, 2008).
En raison de son poids démographique et de son
rôle considérable dans le développement économique
et social, la diaspora constitue à présent une force politique
non négligeable. Elle peut vraisemblablement trouver dans les TIC un
moyen de mobiliser efficacement ses membres afin de mettre en place un
dispositif cohérent, organisé sous forme de migrants citoyens et
capable de peser sur les décisions collectives sans se préoccuper
des contraintes géographiques. Pour Patrice Flichy (2008), Internet
favorise « l'exercice de la vigilance citoyenne ». Nicolas Benvegnu
et Mathieu Brugidou (2008) ajoutent que ces dispositifs, en facilitant la prise
de parole « sont venus enrichir et compléter les modes de gestion
politiques taditionnels, en laissant davantage de place à la discussion
et à la place des citoyens ».
407
408
Chapitre 10. Migrants, TIC et mondialisation
« Vue d'Afrique, si la mondialisation est le processus
historique d'extension progressive du capitalisme, elle n'a rien de nouveau,
puisque l'histoire n'a été que mondialisation173
», souligne Annie Chéneau-Loquay. Cependant, la mondialisation de
l'époque contemporaine met également l'accent sur
l'interdépendance croissante et la complexité des échanges
à l'échelle planétaire entre les États dans le
domaine économique en particulier, mais aussi dans les domaines social,
culturel et politique. Elle désigne cette phase consacrant le triomphe
supposé du système capitaliste sur le système communiste.
Dans un monde considéré désormais sans frontières,
en quelque sorte comme un village planétaire où les
interdépendances sont en augmentation croissante (C. Withol de Wenden,
2009), le capitalisme ou l'économie de marché s'impose partout
comme modèle dominant. Cependant, à peine la victoire
consommée, le libéralisme montre à son tour des signes
extrêmement alarmants d'essoufflement, notamment dans les pays
industrialisés. La mondialisation peut donc être
considérée comme une étape de l'histoire de
l'humanité après la période de la guerre froide et la
division du monde en deux grands blocs, la phase de l'histoire de
l'humanité qui va peut être marquée la
désintégration ou la fin des territoires dont parle le
politologue Bertrand Badie (1995). Elle se caractérise aussi par une
accélération des innovations technologiques dans le domaine des
télécommunications, une diminution des coûts de transport,
une prédominance des firmes multinationales ou transnationales et une
mobilité accrue des individus. Pour Bertrand Badie, la révolution
technique a joué un rôle fondamental dans l'avènement de la
mondialisation, avec la contraction ou la suppression de la distance par les
progrès de la communication. Dans cette nouvelle phase de la
mondialisation, « l'information et le savoir deviendraient les forces
motrices de la croissance au détriment du travail et même du
capital » (A. Chéneau-Loquay, 2004). Telle qu'elle fonctionne
actuellement, elle met plutôt en avant la concurrence et prône par
ailleurs une plus grande ouverture des frontières afin de faciliter les
mouvements de capitaux et les déplacements d'une certaine élite,
notamment financière et scientifique. Face à cette situation, les
pays riches mettent en place un ensemble de mesures facilitant la
mobilité internationale des cerveaux ou des
173 Chéneau-Loquay, A (Dir.). Mondialisation et
technologies de la communication en Afrique. Karthala-MSHA, 2004.
409
compétences. C'est ce qui fait dire à Marie
Poinsot (2008) que « la mondialisation suscite de nouvelles formes de
migrations internationales ».
Pour les pays pauvres comme le Sénégal, la
mondialisation correspond à une période marquée par un
contexte local caractérisé, d'une manière
générale, par une crise économique extrêmement
aiguë. Le Sénégal fait d'ailleurs partie depuis
l'année 2000 du groupe peu flatteur des "Pays Moins Avancés"
(PMA). La paupérisation s'est généralisée sur
l'ensemble du territoire national et touche plus de la moitié de la
population. Assurer seulement la dépense quotidienne relève d'un
véritable casse-tête pour de nombreux chefs de ménage.
D'où la recrudescence du phénomène "Gorgoorlou" qui est
l'archétype même de la « débrouillardise à la
sénégalaise ». La migration est alors
considérée comme la seule alternative possible face à la
crise multiforme à laquelle les Sénégalais sont
confrontés. Pour bon nombre de Sénégalais, candidats
à la migration, les pays riches du Nord en particulier
représentent des niches, des gisements d'emplois inépuisables.
Ils sont dans ce cas persuadés que l'amélioration de leurs
conditions de vie ainsi que celle de leurs familles passent forcément
par l'accès à ces pays quel que soit par ailleurs le prix
à payer. La recherche d'un emploi et de meilleures conditions
d'existence ajoutée à une volonté insatiable
d'enrichissement et de réussite ont entraîné le
départ et l'installation de nombreux Sénégalais dans des
pays de plus en plus divers et de plus en plus éloignés.
Les mutations profondes enregistrées dans le domaine
des technologies de l'information et de la communication constituent un des
faits marquants de la mondialisation de l'époque contemporaine. La
manière dont circule l'information à l'échelle du monde se
fait à une vitesse sans précédent avec notamment
l'avènement et la démocratisation de l'accès à la
téléphonie mobile et à Internet en particulier. D'aucuns
n'hésitent d'ailleurs pas à dire que désormais
l'information circule à la vitesse de la lumière. Paradoxalement
au moment où la mondialisation incite à la suppression des
barrières douanières pour une meilleure circulation des capitaux,
des biens et des services, on assiste, dans les pays riches, à un
renforcement des politiques de migration.
La migration internationale sénégalaise a
atteint aujourd'hui une dimension quasi planétaire. Le champ migratoire
sénégalais s'étend désormais à
l'échelle intercontinentale. La migration a pris actuellement une
ampleur démesurée dans la
410
société sénégalaise. De la
même manière que Michel Bruneau (1995) l'a observé pour le
système migratoire turc, on peut dire que « la multipolarité
et l'interpolarité des relations à l'intérieur du champ
migratoire sénégalais, la structuration en réseaux et la
circulation migratoire militent en faveur de la reconnaissance d'un espace
transnational sénégalais »174. Aussi, il est
fondamental que les autorités sénégalaises prennent
réellement conscience des enjeux de cet espace transnational
sénégalais en construction et aussi se donnent les moyens, les
capacités d'influencer ou de contrôler, par-delà le
territoire national, ces ressources et ces personnes (J. Césari,
1999).
Dans le pays de départ, on assiste à une
floraison des candidats à la migration internationale sur l'ensemble du
territoire national. La population sénégalaise dans sa
globalité est maintenant concernée par le phénomène
migratoire : citadins et ruraux, femmes, hommes, jeunes, analphabètes,
instruits et diplômés, chômeurs, travailleurs peu
formés, cadres formés et compétents. Pour beaucoup de
jeunes, la migration représente une possibilité d'autonomisation
et aussi une sorte d'échappatoire à la forte pression sociale.
Ils sont alors prêts à emprunter des parcours et des trajets
parfois chaotiques ou extrêmement risqués. Cependant, la plupart
du temps, les familles sont mobilisées dans la recherche des moyens et
des ressources permettant de financer le voyage de leurs enfants. La migration
dans ce cas est un projet collectif dans la mesure où tout le groupe
familial participe à travers l'argent économisé depuis de
longues années, la vente ou la mise en gage d'un titre foncier, la vente
des bijoux, du bétail... Ce qui fait que l'on ne migre pas seulement
pour soi, mais on migre également pour sa famille, son groupe ethnique
pour certains (c'est le cas pour les ressortissants de la région du
Fleuve, les Soninkés, les Toucouleurs, les Sarakholés). La
migration devient en quelque sorte un investissement que le migrant doit
rentabiliser impérativement par une réussite
économique.
Au début, les migrants venaient exclusivement des zones
rurales. Très rapidement, les zones urbaines sont devenues de grandes
pourvoyeuses de migrants. L'exode rural a par ailleurs créé une
situation de macrocéphalie au Sénégal, avec Dakar qui
concentre l'essentiel de la population et des activités
économiques. De plus en plus les flux migratoires du milieu rural se
dirigent directement vers les pays étrangers. Abdou Salam Fall souligne
d'ailleurs que certains « migrants ne se souviennent de la capitale que
la
174 Nous voulons mettre ici en parallèle ces aspects
similaires concernant les migrations turques et sénégalaises.
Cette remarque de Michel Bruneau sur la migration turque pouvait donc
parfaitement s'appliquer à la migration sénégalaise.
411
nuit qu'ils y ont passée la veille de prendre l'avion
». Il ajoute que selon l'EMUS (Enquête Migration et Urbanisation
1993) « l'exode rural des hommes au Sénégal est
dirigé à 70% vers l'étranger »175.
De nos jours, il ne se passe presque pas un seul jour sans que
la presse ou les médias sénégalais n'évoquent dans
leurs colonnes des faits divers liés à la migration. L'envie de
quitter le pays natal pour le mirage des eldorados occidentaux conduit certains
à prendre des risques et s'exposer à des dangers aux
conséquences dramatiques, rien que pour contourner les mesures de plus
en plus drastiques prises par les pays occidentaux qui ne veulent pas « la
misère du monde » à leurs portes. Les candidats au voyage
sont prêts à débourser des sommes énormes pour
obtenir un visa. Un marché du visa s'est même créé
au Sénégal. Cette manne que représentent des candidats
à l'émigration prêts à débourser une forte
somme d'argent a attiré dans son sillage des responsables de
l'administration, de nombreux politiciens, des commerçants, des
marabouts, des artistes. De nombreuses personnes se sont enrichies dans la
profession de « dénicheurs de visa ».
Aujourd'hui, partir, quitter le pays est la chose la mieux
partagée au Sénégal. Emigrer est devenu l'ambition de
quasiment tous les Sénégalais. Pour beaucoup, la devise c'est
« Partir ou mourir » que l'on peut aussi traduire par cette formule
devenue célèbre « Barça ou Barzakh ».
D'où également la multiplicité des lieux d'installation
des flux de migrants sénégalais répartis aux quatre coins
de la planète.
10.1 Dans les principaux pays de destination
Les sénégalais sont connus et
réputés pour leur mobilité et leur dispersion
extrêmes. Ce sont de grands voyageurs que l'on rencontre dans presque
toutes les grandes villes et les métropoles économiques du monde.
Les Sénégalais se sont d'abord établis dans les pays
proches frontaliers, les pays contigus tels que la Gambie, le Mali, la
Mauritanie, la Guinée Conakry et la Guinée Bissau, puis dans
certains pays naguère prospères de l'Afrique, notamment la
Côte d'Ivoire et le Gabon. Ensuite, ils ont essaimé à peu
près dans toutes les régions de l'Afrique qui présentaient
des opportunités et des possibilités
175 FALL, Abdou Salam. Enjeux et défis de la
migration internationale de travail ouest-africaine. BIT : Genève,
2002. Disponible sur :
http://www.ilo.org/public/english/protection/migrant/download/imp/imp62f.pdf
412
d'y exercer des activités de commerce, en particulier
le Cameroun, le Congo Brazzaville, l'Angola, et aujourd'hui l'Afrique du Sud.
Une forte communauté sénégalaise s'est implantée en
Côte d'Ivoire durant la période du "miracle ivoirien" sous la
présidence de Félix Houphouët-Boigny, symbolisé dans
les années 1970 par une remarquable réussite économique
avec des productions records enregistrés au niveau de la filière
cacao et par une stabilité politique. Mais à la mort du "Vieux"
en 1993, les élites politiques ivoiriennes se sont mises à
s'entre-déchirer. En développant le concept fallacieux d' «
ivoirité », certains hommes politiques ivoiriens ont fini par
installer le chaos et la division entre les soi-disant « ivoiriens de
souche » et les « étrangers ». Dès lors, on a
assisté à une vague de xénophobie et d'exactions sans
précédent dans ce pays traditionnellement d'accueil pour de
nombreux étrangers. Le Gabon a également attiré et
accueilli une forte communauté sénégalaise au moment de
l'ouverture des grands chantiers issus des retombées de
l'économie pétrolière. Des aventuriers
Sénégalais étaient également partis en Afrique
centrale, notamment au Zaïre (devenu la République de Congo)
où ils pratiquaient le métier de négociant en diamant.
Parmi les Sénégalais qui vivent dans les pays africains, beaucoup
ont été expulsés vers leur pays d'origine malgré
les accords qui peuvent exister entre les États, comme notamment
l'accord de libre circulation des personnes qui existe entre les États
membres de la Communauté des États de l'Afrique de l'Ouest
(CEDEAO) et dont le protocole a été signé à Dakar
le 29 mai 1979.
Aujourd'hui, la migration sénégalaise vers les
autres pays de l'Afrique subsaharienne est envisagée la plupart du temps
pour une courte durée. Cette étape dans le parcours migratoire
constitue souvent une étape transitoire, un moment permettant au migrant
d'accumuler plus de moyens financiers et de trouver le fameux sésame qui
lui permettra de rejoindre l'Europe ou les Etats-Unis. Dans la
géographie de la migration internationale sénégalaise, les
pays africains constituent généralement des pays de transit, des
pays où les migrants font une escale en attendant de trouver les moyens
de se rendre dans les pays d'Europe notamment Italie, Espagne, Portugal, France
ou mieux encore aux États-Unis. Ils fonctionnent en fait comme des
espaces de repli pour un nouveau redéploiement ou une
ré-émigration vers les pays riches. D'une manière
générale, les pays africains sont considérés comme
des passerelles pour atteindre les eldorados occidentaux. C'est le cas
notamment de certains pays du Maghreb, plus particulièrement le Maroc,
la Tunisie et la Libye. Nelly Robin (1996) considère le Maroc et la
Tunisie
413
comme des espaces-relais vers les pays de l'Union
européenne. Elle observe aussi que cette émigration est
essentiellement une émigration clandestine. Le Maroc constitue un
passage fortement emprunté par les clandestins cherchant à
rejoindre l'Espagne, notamment les villes de Ceuta et Mélila. Cependant,
si l'on reconnaît que les migrations subsahariennes vers les pays du
Maghreb ont connu un net regain au cours de ces dernières années,
Sylvie Bredeloup et Olivier Pliez (2005) estiment que « ces tendances ne
concernent pas seulement les migrations de transit ». En effet
poursuivent-ils, seulement une minorité poursuit son parcours vers
l'Europe, la plupart des migrants entrent dans une phase d'installation
durable. Pour Hein De Haas (2005) de l'université d'Oxford, par exemple
au Maroc, ceux qui ne parviennent pas à atteindre l'Europe
préfèrent rester dans le pays plutôt que de retourner dans
leur pays d'origine où les conditions de vie sont nettement
inférieures.
Autrefois essentiellement orientés vers la France, les
flux migratoires sénégalais vers les pays occidentaux se dirigent
de nos jours, pour des raisons multiples, vers des destinations de plus en plus
diverses. Autrement dit, l'espace migratoire sénégalais s'est
multiplié et diversifié avec l'apparition de nouveaux pays de
destination qui n'entretiennent ni des liens géographiques, ni des liens
historiques et encore moins culturels ou linguistiques avec le
Sénégal soulignent Abdou Salam Fall (2002) et Serigne Mansour
Tall (2002). La recherche de nouvelles opportunités d'emploi ainsi que
l'espoir de faire fortune rapidement ont en effet entraîné un
déploiement ou redéploiement des flux vers de nouveaux espaces
migratoires comme les pays de l'Europe méditerranéenne (l'Italie,
l'Espagne, le Portugal) et les États-Unis. Ces destinations nouvelles
désormais constituées par des pays de plus en plus
éloignés et de plus en plus multiples se sont ajoutées
à la France, leur pays de destination traditionnelle au Nord.
Aujourd'hui, les Sénégalais s'orientent autant
voire même plus vers l'Italie et l'Espagne que vers la France, en raison
notamment des mesures restrictives et complexes prises perpétuellement
par les autorités françaises de gauche comme de droite concernant
l'entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire.
Les États-Unis sont également devenus une destination
privilégiée pour les migrants sénégalais. Au cours
de ces dernières années, les filières migratoires se sont
développées principalement vers ces pays, en raison aussi des
facilités relatives d'accès, des possibilités de
régularisation, en somme des politiques migratoires moins restrictives.
L'émergence de ces nouvelles
414
filières témoigne en outre de l'exploration sans
cesse de nouveaux territoires et par conséquent du dynamisme de la
migration internationale sénégalaise. Ainsi comme on peut
l'observer sur la carte n°6, la nouvelle cartographie de l'espace
migratoire sénégalais actuel atteste d'une orientation des flux
essentiellement vers les pays occidentaux.
Les facteurs moteurs ou « push factors » qui
déterminent actuellement le départ et l'installation des
Sénégalais dans les pays du nord sont essentiellement de nature
économique et sociale. A l'image de presque tous les pays d'Afrique, le
Sénégal est empêtré dans de graves
difficultés économiques. Le taux de chômage est
considérablement élevé. La frange la plus importante de la
population active, constituée en majorité de jeunes, ne trouve
pas de travail. Ce chômage structurel a été accentué
par une conjoncture défavorable et aussi par les effets néfastes
des Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) et des politiques
d'austérité initiés et exigés par les institutions
financières de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale). C'est ainsi que
des vagues de licenciement, de déflations et de départs
volontaires ont été enregistrés au niveau de
l'administration sénégalaise note Abdou Salam Fall (2002). Au
Sénégal, les chômeurs sont quasiment mis au ban de la
société. Ils passent leur journée à « tuer le
temps » le plus souvent autour de la séance quotidienne de
thé où les discussions tournent essentiellement sur le
désir de migrer des uns et des autres. Incapables de satisfaire leurs
besoins et dépendant parfois, jusqu'à un âge avancé,
entièrement de leurs parents, ils vivent alors un immense
désespoir.
Dans les campagnes sénégalaises, la vie est
pénible et on y manque également de travail. La crise qui y
sévit ajoutée à la chute progressive du cours des
matières premières, en particulier de l'arachide se traduit par
la dégradation du couvert végétal, la baisse de la
fertilité des sols et l'exode massif des populations vers les centres
urbains. Pour faire face à la crise, certains marabouts en particulier
de la confrérie mouride se sont reconvertis dans le commerce,
entraînant dans leur sillage de nombreux talibés. Les mourides ont
réussi aujourd'hui à conquérir le marché Sandaga,
le principal marché de Dakar, qu'ils utilisent désormais comme un
tremplin, une antichambre vers l'étranger. La recherche d'un emploi
à l'étranger, notamment dans les pays riches devient par
conséquent une nécessité pour tous les
laissés-pour-compte du système sénégalais.
Un autre facteur de la migration sénégalaise est
la paupérisation de plus en plus galopante d'une grande partie de la
population. Les pauvres sont de plus en plus
415
nombreux au Sénégal comme en témoigne le
nombre croissant de personnes (hommes, femmes, enfants, invalides ou valides)
qui abordent les passants quasiment à chaque coin de rue pour solliciter
une pièce de monnaie afin de se nourrir. Environ 60% de la population
vivent en dessous du seuil de pauvreté. Dans ces conditions, la
migration vers l'étranger est motivée par la fuite d'une
situation de misère insupportable.
La migration est également encouragée par les
images déformées de l'occident véhiculées par ceux
qui sont déjà partis et aussi par les médias, en
particulier la télévision. En Afrique, la
télévision a souvent tendance à ne montrer que des images
chimériques ou parfois tronquées des pays occidentaux à
travers les séries télévisées notamment. Les
habitants de l'Afrique perçoivent de manière
générale les pays du Nord comme des eldorados où
règne à foison l'opulence. Cette perception idyllique des
conditions de vie, de la réalité dans les pays riches est
renforcée davantage par certains migrants qui viennent passer les
vacances dans leur lieu ou région d'origine avec dans leurs bagages de
nombreux cadeaux et beaucoup d'argent. La réussite et la richesse
affichées par ces migrants à travers parfois la construction de
belles villas, l'organisation de cérémonies familiales (mariages,
baptêmes) grandioses, la possession de belles voitures encouragent ceux
qui sont dans la nécessité et le besoin, ceux qui veulent gagner
plus à tenter l'aventure de la migration quelles que soient les
souffrances et les privations qu'elle comporte. Ils sont très nombreux
actuellement les Sénégalais prêts à utiliser toutes
sortes de subterfuges, à braver les nombreux obstacles au péril
de leur vie rien que pour franchir la forteresse occidentale. Le
Sénégal d'aujourd'hui n'offre aucune perspective d'avenir
à sa jeunesse. Le rêve de Léopold Sédar Senghor, le
premier président du Sénégal, de voir Dakar devenir comme
Paris en l'an 2000 est en train de devenir un cauchemar pour de nombreux
Sénégalais. Dans ces conditions, il devient
particulièrement difficile de réussir à persuader les
jeunes candidats à la migration que les pays occidentaux sont loin
d'être le paradis qu'ils imaginent.
Mais pour commencer, nous allons d'abord nous
intéresser aux principaux pays de destination. Pourquoi le choix de ces
pays ? Nous verrons que les jeunes candidats au départ surtout,
fortement persuadés qu'ils peuvent trouver du travail dans ces pays,
multiplient les tentatives démesurées afin d'accéder au
pays de leur rêve par tous les moyens.
416
Carte 5. Principaux flux migratoires
sénégalais
Source fond de carte:
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/webphp
10.1.1 Une orientation massive des flux en direction de
l'Italie
L'Institut national de statistique en Italie (ISTAT)
évaluait à 2.670.514 le nombre de migrants sur une population
totale de 58.751.711 habitants au 31 décembre 2005. Cette population
étrangère est répartie géographiquement de la
façon suivante : 976.887 résidents au nord-ouest, 730.569 au
nord-est, 641.158 au centre, 229.375 au sud et 92.525 dans les îles. Pour
les flux de migrants africains en Italie, les statistiques montrent
qu'après les pays du Maghreb, notamment le Maroc (319.537
résidents) et la Tunisie (83.564 résidents), le
Sénégal fournit le plus gros effectif (57.101 résidents)
devant le Ghana (34.499 résidents). En Italie, la colonie
sénégalaise s'est établie surtout dans les régions
les plus riches et les plus dynamiques du pays. On retrouve par
conséquent les migrants sénégalais dans les régions
industrielles du Nord, notamment en Lombardie (Bergame : 7251, Brescia : 5861,
Milan : 4446, Lecce : 1451), en Emilie-Romagne (Ravenne : 1887, Parme : 1241,
Rimini : 1041), en Vénétie (Trévise : 2835, Vicence :
1784), dans le Piémont (Turin : 1420, Novare : 1250) et dans le
centre-ouest du pays en Toscane (Pise : 1912, Firenze : 1041). Cependant, si
l'on tient compte des chiffres fournis par Monsieur Giuseppe Calvetta,
Ambassadeur de l'Italie au Sénégal, la communauté
417
sénégalaise en Italie serait constituée
de 300.000 migrants. Monsieur Calvetta précise cependant qu'environ
60.000 personnes seulement au sein de cette communauté seraient en
situation régulière et 240.000 en situation de
clandestinité (Cheikh Tidjane Mbengue in Sud Quotidien du
22/05/2009).
Les courants migratoires sénégalais en direction
de l'Italie sont liés principalement à la politique de fermeture
des frontières en France au moment où l'Italie engageait des
procédures de régularisation des migrants avec notamment les lois
sur l'immigration (« loi Martelli » en 1990 et « loi Dini »
en 1994). Employés en majorité comme ouvriers peu
qualifiés dans les entreprises industrielles du Nord, en particulier
dans les usines de métallurgie, de cuir, de textile, de papeterie, de
plastique, mais aussi dans les industries du bâtiment et de
l'alimentation, les migrants sénégalais en Italie sont
généralement désignés par le terme «
modou-modou ». Parmi ces derniers, nombreux sont aussi ceux qui exercent
l'activité de commerçants ambulants ou sédentaires.
Néanmoins, la migration sénégalaise en Italie concerne
aussi quelques étudiants et désormais des travailleurs hautement
qualifiés notamment des ingénieurs, des avocats et autres
médecins.
Les Sénégalais ont contribué à la
célébrité de la résidence Préalpino, un
foyer d'accueil pour migrants situé dans la commune de Bovezzo, à
une dizaine de kilomètres du centre-ville de Brescia, avant que les
autorités italiennes ne procèdent à sa fermeture
définitive le 28 mai 2008. La communauté
sénégalaise de Brescia s'était véritablement
appropriée cette résidence qu'elle avait fini de transformer en
un véritable « Sénégal en miniature » selon Gaye
Daffé (2008). Dans les chambres transformées en boutiques,
certains migrants se livraient au commerce de produits alimentaires, de tissus,
d'articles ménagers, de chaussures et de toute une gamme d'articles
provenant des usines de contrefaçon du Mezzagiorno, le Sud italien. En
outre, les résidents du foyer Préalpino pouvaient
également recevoir les images de la Radio Télévision du
Sénégal (RTS), captées à travers le satellite, et
aussi les émissions radiophoniques de la chaîne internationale,
Radio Sénégal, de Lampe Fall FM (la chaîne des mourides) et
de Walf Fm via la radio Worldspace.
Cependant, la réputation des Sénégalais
dans la péninsule s'est surtout faite autour de l'activité de la
vente à la sauvette. Les Italiens désignaient d'ailleurs ces
commerçants ambulants ou vendant parfois à même le sol des
sacs à main, des montres, des lunettes,
418
des ceintures, des Cd et DVD, de l'habillement, sous
l'appellation de « Vu cumprà » c'est-à-dire «
Voulez-vous acheter ». Les articles proposés par les vendeurs
à la sauvette sénégalais sont constitués pour
l'essentiel de produits de luxe portant généralement la «
griffe » de marques prestigieuses. On trouve également parmi les
produits vendus par les colporteurs sénégalais de petits objets
d'art africain achetés le plus souvent chez les grossistes
sénégalais. Les « Glous » (terme utilisé par les
migrants eux-mêmes pour désigner leurs compatriotes qui se livrent
à la vente à la sauvette) exercent leur activité notamment
sur les plages touristiques de l'Adriatico Nord (Rimini, Riccionne) et les
plages luxueuses du Sud (Naples, Sardaigne, Sicile), les plages de la Riviera,
celles de la Romagne et de Versilia. C'est d'ailleurs dans ces endroits que
l'on a observé les premières implantations de migrants
sénégalais dans la péninsule. Les autres lieux de
prédilection du commerce ambulant sont les rues et places fortement
fréquentées par les piétons, les marchés de
quartier et les foires.
Depuis quelques temps, les Sénégalais d'Italie
affirment être victimes de tracasseries et de suspicions de la part des
autorités administratives, des « carabinieris » et des
policiers municipaux. Les expulsions d'étrangers en Italie ont
commencé à viser de plus en plus les ressortissants
sénégalais. Malgré les tracasseries administratives et le
durcissement des lois sur l'immigration (« loi Bossi-Fini » en 2002)
et la loi répressive à l'endroit des clandestins en mai 2009, la
destination italienne reste encore une destination privilégiée
pour de nombreux candidats au départ.
Des enquêtes effectuées en Italie en 2003 et en
2006 nous ont permis de constater quelques similitudes entre certains aspects
de la migration des "gens du fleuve" Sénégal en France dans les
années 1970-1980 et celle des Sénégalais en Italie
à l'aube des années 1990. D'une manière
générale, les migrants sénégalais résidant
en Italie vivent en communauté très fermée et
repliée sur elle-même. Ils n'entretiennent quasiment que des liens
ténus avec leur pays de résidence. Ils ne considèrent leur
territoire de résidence que comme un espace à exploiter, un
espace de travail où ils doivent se procurer un endroit où se
loger. L'essentiel des relations se fait au sein de la communauté et
avec le pays d'origine. Ainsi le téléphone mobile en particulier
constitue un des éléments essentiels dans le maintien et le
renforcement de ces relations. La communauté sénégalaise
d'Italie a joué un rôle considérable dans l'interconnection
entre les localités d'origine et les lieux de résidence. Il est
d'ailleurs fréquent de voir aujourd'hui des villages
sénégalais mieux
419
reliés avec l'espace italien qu'avec l'espace
sénégalais note à ce propos Serigne Mansour Tall
(2002).
Les enquêtes menées en Italie et au
Sénégal nous ont permis d'effectuer des entretiens relatifs aux
pratiques de communication des migrants sénégalais vivant en
Italie. La parole est donnée à un certain nombre d'entre eux.
Vivant à Gènes depuis 1991, Saliou, un migrant
originaire de la ville de Diourbel, a pendant longtemps utilisé le
téléphone d'un de ses voisins quand il voulait parler avec les
membres de sa famille restée au Sénégal. Saliou est
âgé d'une quarantaine d'années. Il a d'abord quitté
Mbacké pour se rendre à Dakar où il tenait une petite
table de commerce d'abord au marché Sandaga, puis au marché HLM.
Ensuite, il s'est rendu en Côte d'ivoire où il a réussi
à obtenir un visa pour l'Italie. Saliou est arrivé à
Vincence en 1990. Depuis 1991, il s'est installé à Gènes.
Saliou fait du commerce à Gènes. Il s'approvisionne en montres,
ceintures, colliers, bijoux, etc. dans certains magasins de la ville de
Gènes, et aussi à Rome et à Naples. Pour les objets d'art
africain, il va s'approvisionner auprès des grossistes
sénégalais qui acheminent les objets par containers. Saliou vend
ses marchandises principalement à proximité de la gare de
Gènes et au centre historique. Chaque année, il séjourne
d'octobre à mars au Sénégal où se trouve sa petite
famille176.
« Jusqu'en 1995, le coût de la communication
téléphonique était excessivement élevé en
Italie. Toutefois, depuis la libéralisation du secteur des
télécommunications, le coût de la communication
internationale a considérablement diminué en Italie. Avant, il
y'avait un seul télécentre à Gènes. Pour
téléphoner, les migrants sénégalais trouvent
à présent beaucoup plus intéressant de recourir aux cartes
téléphoniques (4000 lires l'unité) du SIP devenu par la
suite Telecom Italia ou d'un opérateur privé comme Omnicom
».
Saliou et ses compatriotes migrants sénégalais
trouvent cependant qu'avec le téléphone fixe, les unités
défilent trop vite. Ils comparent d'ailleurs ce défilement rapide
des unités à un chapelet qui est en train d'être
égrené.
Bara Gueye, résidant à Sardaigne, opérait
également de cette façon quand il voulait communiquer au
téléphone avec les siens. Il avait recours au numéro de
téléphone d'un
176 Entretien réalisé le 21/11/2002.
420
marabout dénommé Serigne Saliou et habitant dans
le même quartier que sa famille au Sénégal. Son
frère, migrant à Bergame, procédait également de la
même façon. Il habite au quartier Keur Goumack dans la ville de
Diourbel.
« Depuis la baisse des tarifs de communication en
Italie et l'installation d'une ligne téléphonique fixe dans le
domicile familial, je téléphone plus régulièrement
au Sénégal. Les opérateurs téléphoniques,
win et omnicom, proposent sur le marché des cartes
téléphoniques qui peuvent durer vingt minutes si on appelle sur
un téléphone fixe et quinze minutes si on appelle sur un
téléphone portable »177.
Par ailleurs, il n'est pas difficile de se rendre compte, en
certaines occasions, que la diaspora sénégalaise en Italie compte
en son sein de nombreuses personnes illettrées. Dès lors, on
comprend pourquoi, l'utilisation d'Internet est relativement faible au sein de
la communauté sénégalaise en Italie. D'autant plus que
même les migrants originaires de Dakar et des autres villes
sénégalaises ont, dans l'ensemble, tendance à avoir, par
bien des aspects, le même comportement que les migrants originaires des
campagnes du Baol ou du Ndiambour. Cependant, il y a tout de même
quelques migrants sénégalais résidant en Italie qui
utilisent Internet de la même manière que certains de leurs
compatriotes en France. Là encore, Internet est utilisé comme
moyen d'obtenir des informations sur le pays d'origine, c'est-à-dire on
se connecte à Internet pour lire la presse sénégalaise en
ligne ou pour écouter les radios sénégalaises
diffusées en ligne. Mais aussi, on l'utilise pour
téléphoner gratuitement avec les membres de la famille et les
proches restés au Sénégal ou établis dans d'autres
pays étrangers. Certains ont installé une connection à
domicile pour pouvoir communiquer sur Skype avec les parents et les proches au
Sénégal ou dans les autres pays de migration. Pour S. D.
résidant à Bologne, les technologies de la voix par IP sont en
train de faire la promotion d'Internet au sein de la communauté
sénégalaise en Italie. Cette jeune femme âgée d'une
trentaine d'années et mère de deux
177 Bara a quitté le Sénégal pour aller
chercher de la « téranga ». Son frère et lui
travaillaient comme ouvriers à la compagnie SEIB (Société
d'Exploitation Industrielle du Baol) de Diourbel. Après la SEIB, Bara a
travaillé dans une coopérative où il s'occupait de la
pesée de l'arachide. Cependant, les difficultés de la
filière arachidière l'ont obligé à prendre des
initiatives à travers l'ouverture d'un commerce. Grâce à
son commerce, Bara a pu économiser un peu d'argent avant de se rendre
à Dakar. Après quelques années passées à
Dakar, il décide d'aller chercher la téranga hors de nos
frontières en Italie. Entretien réalisé le 23/11/2002.
Téranga est généralement traduit en
français par le mot hospitalité. Mais dans le sens où Bara
l'emploie, aller chercher la téranga peut signifier aller chercher des
moyens de subsistance pour vivre dans l'honneur et la dignité ou tout
simplement aller à la recherche de la richesse. Le mot «
téranga » a été popularisé mondialement par la
brillante prestation de l'équipe nationale de football du
Sénégal à la coupe du monde au Japon et en Corée du
sud en 2002.
421
enfants a rejoint son mari en Italie en 2003. Son mari
travaille dans la métallurgie et elle dans la décoration.
« Pendant mes premières années en
Italie, j'appelais au moins deux fois par mois au Sénégal.
J'allais chercher une carte téléphonique au bureau de tabac
situé près de chez moi pour appeler ma famille au
Sénégal. La communication téléphonique durait
à peine 10 minutes avec la carte téléphonique de 10 euros.
Aussi, je me rendais de tempsen temps dans un télécentre
localisé au centre-ville et tenu par un Pakistanais. C'est dans ce
télécentre aussi que je faisais mes envois d'argent vers le
Sénégal, via Western Union. Maintenant, quand je veux faire un
transfert d'argent au Sénégal, je vais au bureau de poste et
j'utilise les services de Money Gram. Car, les frais d'envoi avec Money Gram
sont moins chers que ceux facturés par Western Union. Aujourd'hui, avec
les cartes prépayées à codes, mes appels
téléphoniques vers le Sénégal sont beaucoup plus
fréquents. Je téléphone au moins une fois par semaine au
Sénégal. Et puis mon frère au Sénégal
m'appelle quasiment tous les deux jours depuis le téléphone de
son bureau ou avec son téléphone portable. Ce qui fait que je
suis presque au courant de tout ce qui se passe au sein de la famille,
malgré la distance. Bientôt, nous allons acheter un ordinateur et
prendre une connexion Internet surtout pour utiliser Skype. Je l'ai
découvert chez des amis sénégalais. Parfois, je vais chez
eux ou chez ma voisine italienne pour me connecter et discuter sur Skype avec
ma famille au Sénégal. Comme ça, mes enfants et leurs
petits cousins au Sénégal peuvent se voir à travers la
webcam. Même mon mari envisage d'équiper sa famille au
Sénégal pour Skype ».
10.1.2 La ruée vers l'Espagne
Tout récemment, l'Espagne est devenue une destination
fortement appréciée par les migrants. En Espagne,
l'arrivée de milliers de migrants (3.021.808 résidents
étrangers au 31 décembre 2006) concentrés dans les grandes
métropoles comme Madrid et Barcelone, dans les villes
méditerranéennes comme Valence, Murcie et Tarragone et les
îles Canaries et Baléares est un phénomène
relativement nouveau. La nouvelle situation socio-politique espagnole et les
progrès économiques ont permis à l'Espagne de passer de la
situation de pays émetteur de flux migratoires en un pays
récepteur de flux croissants d'immigration. La pleine intégration
économique de l'Espagne dans le système capitaliste international
et la demande croissante de main-d'oeuvre peu qualifiée qui en a
résulté ont provoqué l'afflux massif des migrants
d'origine extrêmement diverse. Les
422
courants migratoires les plus marquants ont été
constitués par les latino-américains (Equatoriens : 376.233,
Colombiens : 225.504, Péruviens : 90.906, Argentins : 86.921) et les
africains (Marocains : 543.721, Algériens : 39.433 et
Sénégalais : 28.560) fuyant la misère dans leurs pays
respectifs. Source : Instituto Nacional de Estadística (INE).
Les flux migratoires sénégalais en Espagne ont
été fortement alimentés par les flux de clandestins. La
population sénégalaise vivant en Espagne, notamment au niveau des
îles Canaries et des grandes villes comme Barcelone et Madrid, est
estimée à environ 60.000 personnes avec une prédominance
masculine (autour de 80%). Les femmes trouvent du travail surtout dans les
secteurs de l'agriculture et de services aux particuliers. Pendant longtemps,
le gouvernement espagnol a plus ou moins toléré l'arrivée
massive des migrants sur son territoire parce qu'elle avait
précisément besoin d'une main-d'oeuvre bon marché pour
accompagner la croissance de son économie. Pour des milliers de jeunes
africains qui tentent de rejoindre l'Europe par tous les moyens, le plus
souvent au détriment de leur vie, à bord d'embarcations de
fortune, l'Espagne est devenue la porte d'entrée. En Espagne, la
majorité des migrants travaille dans l'agriculture, les autres secteurs
de prédilection sont constitués par la construction, le commerce,
l'hôtellerie et les travaux domestiques.
Nous présentons ci-dessous des extraits d'entretiens
réalisés, en novembre 2002, avec des migrants résidents en
Espagne venus passer l'hiver en famille au Sénégal.
Lamine est « modou-modou » à Valence. Il est
âgé d'une soixantaine d'années et habite dans le quartier
de Gawane à Mbacké dans la région de Diourbel.
« Avant mon départ du Sénégal,
j'étais commerçant à Mbacké, une ville
située à 7km de Touba. J'ai exercé mes activités de
commerçant à Dakar pendant quelques temps avant de revenir
à Mbacké. Ensuite, je me suis rendu à Bandjul avant de
revenir de nouveau à Mbacké. Mon départ pour l'Espagne a
été un véritable périple. Tout d'abord, je me suis
rendu au Mali. Puis, je suis passé par la Côte d'ivoire où
j'ai pu trouver un visa pour le Portugal. Après la Côte d'ivoire,
j'ai séjourné quelques temps au Maroc où j'ai
réussi à prendre le bateau qui m'amènera au Portugal. A
mon arrivée au Portugal, j'ai été accueilli et
hébergé par des compatriotes qui m'ont par la suite mis en
contact avec un passeur d'origine portugaise. Avec l'aide de ce dernier et
aussi celle d'un autre passeur espagnol, je parvins enfin à entrer en
Espagne. Avant d'avoir des papiers en règle, je travaillais à la
fois comme marchand ambulant et ouvrier agricole. Mais depuis que je suis
en
423
possession d'un permis de séjour en règle et
d'une permission pour faire du commerce, je vends des statuettes, des sacs,
etc. Je m'approvisionne au Sénégal, en Espagne et en France. Je
pense que c'est en Italie que l'on retrouve le plus grand nombre de
ressortissants sénégalais après le Sénégal
car la législation y est plus souple que dans les autres pays
européens. Pour joindre au téléphone ma famille
restée au Sénégal, j'avais recours jusqu'en 1986 au
numéro de téléphone de Serigne Amdy Mbacké, un
marabout habitant dans le même quartier. Mais comme les deux domiciles
étaient assez éloignés, les membres de ma famille devaient
parcourir une longue distance pour venir répondre au
téléphone. L'inconvénient, c'est que je ne pouvais appeler
que la journée ».
Les propos de Lamine ont été effectivement
confortés par Fama, une jeune femme habitant le même quartier,
rentrée récemment au Sénégal avec ses deux enfants
après un séjour de 6 ans en Espagne. Fama est âgée
d'une trentaine d'années. Elle a deux enfants, nés tous les deux
en Espagne. Cet entretien a été réalisé trois mois
après le retour définitif de Fama au Sénégal, le
21/11/2002.
« Découragée par les conditions de vie
difficiles en Espagne, mon mari et moi avons pris la décision de notre
(elle et ses deux enfants nés tous les deux en Espagne) retour au pays.
Cette villa où nous habitons à Mbacké a été
construite par mon mari et moi à la suite de longues années de
labeur, de privations et de sacrifice à l'étranger. Mon mari
travaille 5 à 6 mois dans l'année en Espagne comme «
modou-modou » et rentre deux fois au moins dans l'année au
Sénégal retrouver sa famille. Quand j'étais en Espagne, je
l'accompagnais de temps en temps sur les marchés comme le font beaucoup
de « fatou-fatou ». Nous faisions les marchés hebdomadaires de
Valence et aussi nous rendions parfois à Palme, Madrid et Las Palmas
pour vendre leurs marchandises. Pendant l'été, je travaillais
trois mois comme coiffeuse, je faisais des tresses aux Espagnoles ainsi qu'aux
touristes. Pour joindre mes parents au téléphone, j'ai d'abord eu
recours au numéro de téléphone de Serigne Amdy
Mbacké. Ainsi, le domicile de Serigne Amdy Mbacké servait de lieu
public de téléphone pour tous les habitants du quartier. Pour me
joindre au téléphone, mes parents m'appelaient à partir
d'un télécentre et je les rappelais ensuite sur le
téléphone du télécentre. C'est principalement de
cette façon que je parvenais à obtenir des nouvelles de la
famille et des nouvelles du pays. Aujourd'hui, pour communiquer avec mon mari
quand ce dernier est encore en Espagne, j'utilise à la fois le
téléphone fixe et le téléphone portable
».
Les profils des migrants sénégalais
établis en Espagne, étant généralement les
mêmes que ceux des migrants sénégalais résidant en
Italie, on constatera à peu près les mêmes pratiques de
communication. Le téléphone portable est le moyen de
communication
424
privilégié pour maintenir et renforcer les
relations avec le pays d'origine. D'autre part, une bonne partie des migrants
au sein de la diaspora sénégalaise en Espagne ne dispose pas des
compétences pour utiliser Internet. Cependant, ceux qui ont les
connaissances nécessaires s'en servent pour s'informer et communiquer
gratuitement.
10.1.3 Les Sénégalais aux États-Unis
: entre leurres et lueurs de l'American way of life
La migration des ressortissants sénégalais vers
les États-Unis d'Amérique remonte au début des
années 1980, sous l'impulsion des commerçants. Ces derniers, en
particulier les vendeurs à la sauvette parcourant dans tous les sens les
rues des beaux quartiers de New York, constituent, selon Victoria Ebin et Rose
Lake178, les pionniers de l'immigration sénégalaise
aux États-Unis. La communauté sénégalaise
résidant aux États-Unis serait composée d'environ 40 000
à 50 000 personnes. La majeure partie d'entre elles est en situation
irrégulière car ne possédant pas la Carte Verte (Green
Card) leur permettant de travailler et de circuler librement. En effet, une
grande partie des Sénégalais présents sur le territoire
américain est entrée avec un visa touristique, mais est
restée dans le pays après l'expiration du visa.
Les Sénégalais se sont établis
essentiellement dans les grandes villes comme New York, Washington, Los
Angeles, Atlanta... Ils sont ouvriers, commerçants, coiffeurs, vigiles,
étudiants, professeurs, avocats, fonctionnaires dans les organismes
internationaux... Les membres de la migration sénégalaise aux
États Unis sont par conséquent très
hétéroclites. Cependant, aux États-Unis, la
réputation de la communauté sénégalaise s'est
également faite principalement autour de la vente à la sauvette,
surtout des articles de contrefaçon : habillement, sacs, montres,
bijoux, DVD et CD... En outre, ce commerce est étroitement lié
à la confrérie mouride et animé par ses membres.
Malgré les multiples contrôles policiers, certains
commerçants ont réussi, comme le soulignent toujours Victoria
Ebin et Rose Lake, grâce à l'expérience acquise sur les
trottoirs de New York, à acheter les boutiques de gros qu'ils
fréquentaient comme clients et à les transformer en de grands
centres commerciaux de niveau international « spécialisés
dans
178 EBIN, Victoria et LAKE, Rose. Camelots à NewYork,
les pionniers de l'immigration sénégalaise. Hommes et
migrations, 1992, n°1160, pp. 32-37.
425
le transport aérien et maritime, dans l'exportation de
vêtements, de produits de beauté, d'équipements
électroniques, de machines ainsi que de voitures d'occasion vers
l'Afrique, l'Europe et le Moyen-Orient »179. Aujourd'hui, les
Sénégalais sont de plus en plus chauffeurs de taxi, chauffeurs de
"gypsi cab". On assiste par ailleurs à une multiplication des commerces
mourides, Touba Mbacké Trading, Lamp Fall, ayant diversifié leurs
activités dans le fret et les transactions et transferts financiers. Les
États-Unis sont devenus actuellement un centre dynamique et
particulièrement important pour les migrants internationaux
sénégalais qui s'emploient à travers de multiples
initiatives individuelles ou de groupes à y développer un littlte
« Modoutown ».
Les Sénégalais vivant aux États-Unis sont
particulièrement dynamiques dans la production de contenus web
sénégalais. De nombreux sites web ont été
créés par des migrants sénégalais résidents
aux États-Unis. C'est le cas des sites portails
Seneweb.com,
Homeviewsenegal.sn, de la
webradio Keurgoumack. Leur participation est particulièrement
remarquée dans les débats sur Seneweb radio. Au cours de
l'émission Club Diaspora animée par Amath Diouf sur Seneweb, la
grande majorité de cyberauditeurs qui interviennent pour donner leurs
opinions se trouve en effet au sein de la communauté
sénégalaise établie aux Etats-Unis. Leur dynamisme sur le
web se traduit également par la mise en ligne des sites web des
différentes associations regroupant les membres de la diaspora. Parmi
ces associations, on peut citer l'Association des Sénégalais
d'Amérique (ASA), l'Islamic Tijaniya Foundation of America (ITFA), la
Senegalese Catholic Association of America (SCAA).
L'Association des Sénégalais d'Amérique
A.S.A. a été fondée en 1988. Son siège social se
trouve à New York. Depuis sa genèse, l'ASA s'est fixée
pour mission de rassembler tous les Sénégalais demeurant aux
États-Unis, d'améliorer leurs conditions d'existence et aussi de
contribuer au développement socio-culturel, économique, politique
et culturel de l'ensemble des migrants sénégalais quelles que
soient par ailleurs leur appartenance religieuse ou politique ou encore leurs
convictions philosophiques. Le site de l'ASA permet une meilleure diffusion et
une meilleure accessibilité de l'information relative aux
activités culturelles et sociales organisées par l'association.
Il
179 EBIN, Victoria et LAKE, Rose. Camelots à NewYork,
les pionniers de l'immigration sénégalaise. Hommes et
migrations, 1992, n°1160, pp. 32-37.
426
s'agit par exemple de la tenue de conférences
(célébration annuelle des journées Cheikh Anta Diop) ou de
dîner-débats sur des thèmes variés ou l'organisation
de manifestations sportives (football, « lamb » ou lutte
traditionnelle). Il s'agit également de mettre à la disposition
de la communauté sénégalaise aux États-Unis des
informations pouvant répondre concrètement à leurs
préoccupations, notamment les problèmes d'intégration, les
difficultés conjugales, les questions d'acculturation, de drogue, les
problèmes de rapatriement de personnes ou des corps de défunts,
les questions de transferts de fonds vers le pays d'origine ainsi que
l'élaboration d'actions de solidarité en direction des
populations restées dans le pays d'origine. Mais surtout, des
informations permettant aux Sénégalais résidant aux
États-Unis d'accéder à la propriété
foncière au Sénégal peuvent être obtenues par le
biais du site web de l'association. Ce qui est essentiel pour les migrants qui
souhaitent réaliser un investissement dans le secteur immobilier au
Sénégal et aussi envisagent leur réintégration plus
tard au Sénégal.
D'après Ibrahima Solo Diafouné, le
président de l'association, l'enthousiasme suscité par le site
web a dépassé les attentes, avec notamment les messages de
félicitations et d'encouragements reçus des
Sénégalais et d'autres personnes de nationalités
africaines.
Site web 44. Site web de l'ASA
427
On pourrait citer, entre autres, le site de l'Islamic Tijaniya
Foundation of America (ITFA), l'association rassemblant les membres de la
confrérie tidjane vivant en Amérique et plus
particulièrement aux États-Unis. Le site web contribue à
faire connaître l'association, ses activités et ses projets. La
mission de l'ITFA consiste principalement à vulgariser les enseignements
prescrits au sein de la confrérie tidjane. Ainsi, des réunions de
prières appelées Hadra Jumah, ont lieu à Washington DC
chaque vendredi, à Baltimore chaque lundi et à Philadelphie
chaque dimanche. Des séances de Hadra Jumah sont également
organisées dans d'autres États comme Détroit, Chicago,
Dallas, Atlanta, New-York, etc. Hadra Jumah est une séance qui se
déroule généralement le vendredi avant la prière de
maghreb. Il consiste à se regrouper sous forme de cercle et à
réciter à l'unisson « La illaha illalah » ou «
Allah » 1000 ou 1600 fois. ITFA a l'ambition de construire un centre
islamique multifonctionnel dans l'État de Washington. D'autre part, la
page « Album » permet au visiteur de visualiser les photos prises
à l'occasion des manifestations durant lesquelles sont également
conviées certains dignitaires de la famille tidjane de Tivaouane.
Il y a aussi le site web de la SCAA, l'association regroupant
les Sénégalais catholiques vivant aux États-Unis. Le site
est surtout un lieu d'information sur les activités de l'association,
ses projets en cours (Dons en médicaments, collecte d'habits et de
fournitures scolaires, mise à jour du site web et création de
newsletter mensuel ou bimensuel) et futurs (création d'un siège
social, mise en place d'un diocèse, d'une école ou d'un
dispensaire, jumelage avec d'autres associations catholiques, etc.). Les
internautes ont également la possibilité d'exprimer leurs points
de vue, de partager leurs expériences et de faire des
témoignages. Le site propose aussi de précieuses informations
dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'emploi. Les
fidèles catholiques disposent en outre de quelques informations sur
l'église au Sénégal et aux États-Unis.
10.2 Dans les autres pays : mobilité et
mondialisation des
pratiques de communication ?
La migration internationale sénégalaise, faut-il
le rappeler, s'étend et se développe sur des espaces de plus en
plus divers. Déployant, à des degrés divers, ses
ramifications à travers plusieurs pays, elle a pris aujourd'hui une
dimension planétaire. Or la
428
mondialisation actuellement à l'oeuvre est largement
favorisée par la diffusion et le développement des technologies
de l'information et de la communication. L'apparition d'outils de communication
sophistiqués s'est multipliée ces dernières années.
Et ces technologies semblent faire fi des barrières
géographiques. Si l'on admet que leur accès s'est
démocratisé à l'heure actuelle, il faut aussi
reconnaître que l'on assiste presque partout à travers le monde
à une certaine homogénéisation ou uniformisation au niveau
des pratiques de communication des individus. On observe qu'un peu partout, les
migrants s'évertuent à s'approprier les technologies de
l'information et de la communication pour en faire des outils d'information et
de communication permettant, d'une part de maintenir et de renforcer les
relations avec le pays d'origine, et d'autre part, de faciliter
l'intégration dans le pays de résidence. Aujourd'hui, on constate
que l'utilisation d'Internet par les associations de migrants
sénégalais s'est généralisée quasiment dans
tous les pays où réside une importante population
d'étudiants sénégalais.
10.2.1 La communauté sénégalaise
établie au Canada
La communauté sénégalaise établie
au Canada est également très dynamique dans la consommation et la
production de contenus web sénégalais. Elle fait un large usage
d'Internet. Ces usages se traduisent par une consultation
régulière des sites d'informations sur le Sénégal
et aussi par la création de sites web comme ceux mis en ligne par le
Regroupement Général des Sénégalais du Canada
(RGSC), les étudiants mourides de l'université de Laval au
Québec et la Société Sénégalaise des
Scientifiques et Ingénieurs vivant au Canada (S3IC).
Le RGSC a été créé en juin 1994
à Montréal afin de réunir au sein d'une structure unitaire
tous les ressortissants sénégalais établis au Canada,
étudiants, travailleurs ainsi que ceux qui, si l'occasion se
présente, viennent tout simplement visiter le pays. Son objectif
principal est de promouvoir le rassemblement de l'ensemble de la
communauté sénégalaise vivant au Canada au sein d'un forum
de fraternité, de dialogue, de solidarité et de
compréhension mutuelle, de défendre les intérêts de
ses membres auprès des autorités sénégalaises et
canadiennes, de contribuer à l'établissement de relations
d'amitié entre Sénégalais résidant au Canada,
Sénégalais ayant vécu autrefois au Canada et Canadiens. Le
RGSC oeuvre également dans le dessein de faciliter l'adaptation de
ses
429
membres au milieu canadien mais aussi dans le but de s'ouvrir
et se rapprocher des autres communautés et associations africaines comme
l'Association des Maliens du Grand Montréal. De ce fait
différentes activités à caractère culturel
(séances de tam-tam, soirées dansantes
sénégalaises, dégustation de gastronomie
sénégalaise, etc.), social (assistance aux plus démunis),
académique (accueil des nouveaux étudiants, organisation de
conférences sur des questions diverses par exemple sur les thèmes
du commerce équitable entre le Sénégal et le Canada, du
micro-financement ou du VIH-Sida dans le milieu africain, etc.), sportif et
récréatif (matchs de soccer entre « Mariés et
Célibataires » ou « Grands et Petits », pique-nique
familial, fête des enfants à noël) ont été
initiées dans ce sens.
Le RGSC joue un rôle extrêmement important en tant
que vecteur d'informations inestimables et indispensables sur l'immigration au
Canada en général et dans la province du Québec en
particulier, dans la mesure où le Québec fait partie des quelques
provinces canadiennes dotées de l'autonomie de choisir leurs immigrants.
Le Canada fait partie de ces nations développées qui,
désormais, favorisent tout particulièrement l'installation sur
leurs territoires des migrants détenant une certaine compétence
ou hautement qualifiés, et des hommes d'affaires. Il est aussi possible
de rentrer sur le sol canadien par le biais du regroupement familial. Des
informations sur les documents à fournir pour la demande et l'obtention
du visa ainsi que les frais divers y afférents (postaux,
médicaux, téléphoniques, Internet et autres) sont mis
à la portée des candidats à l'immigration au Canada.
Le site du Regroupement Général des
Sénégalais du Canada représente en fait un
véritable espace d'informations pour tous les Sénégalais
qui désirent réussir leurs projets de migration au Canada,
notamment les Sénégalais restés au Sénégal
et les Sénégalais (étudiants surtout) établis en
France. Le Canada est devenu d'ailleurs au cours de ces dernières
années une destination privilégiée pour de nombreux jeunes
Sénégalais diplômés des universités
françaises à la recherche d'un emploi.
D'après Julie « Bintou », la responsable du
site web du RGSC : « ce sont en fait quelques membres de
l'association, habitant principalement à Montréal, qui ont pris
l'initiative de se constituer en équipe pour créer le site, sous
le contrôle et la supervision d'une entreprise privée en gestion
de site web appartenant à un de nos compatriotes résidant au
Canada. Le site original a été créé il y a
maintenant quelques années. Il a été ensuite refait fin
2003 - début 2004. Depuis cette
430
période, le site a été
régulièrement maintenu et amélioré. Pour le RGSC,
ce site est une porte d'entrée pour connaître l'association,
particulièrement pour la communauté sénégalaise et
les amis du Sénégal. Le site a ainsi permis une plus grande
visibilité des activités du RGSC, de même qu'une meilleure
transmission des informations. Il y a eu aussi un sentiment d'appartenance
à la communauté sénégalaise à travers le
site et également par le biais des informations qui y sont
affichées. Le site s'adresse en particulier à la
communauté sénégalaise du Canada et aux amis du
Sénégal. Par conséquent, il crée une ouverture
entre le Sénégal et le Canada, et aussi permet en outre aux
futurs arrivants d'obtenir quelques informations, notamment sur leur futur lieu
de résidence avant même leur arrivée au Canada. Pour la
communauté sénégalaise établie au Canada, le site
permet de garder le lien avec la culture sénégalaise et de
conserver cet esprit de fraternité dans la communauté
»180.
Site web 45. Site web du RGSC
A Laval dans la province de Québec, les
étudiants mourides qui y poursuivent leurs études, ont
formé le dahira Kanzul Moukhtadine. Ces étudiants ont donc
procédé à
180 Réponse envoyée par e-mail, à la
suite d'un questionnaire, par la responsable du site web du Regroupement
Général des Sénégalais du Canada, Julie «
Bintou » le jeudi 5 janvier 2006.
431
l'élaboration d'un site web afin de mieux faire
connaître et partager la philosophie, l'idéologie et le mode de
vie des mourides.
Dans l'album photos on peut visualiser les photos de Cheikh
Ahmadou Bamba et de ses khalifes, notamment Serigne Fallou le deuxième
khalife, Serigne Abdou Lahat Mbacke le troisième khalife et Serigne
Saliou le cinquième khalife. On y trouve aussi quelques photos de la
mosquée de Touba. Cet édifice cultuel d'une architecture
remarquable présente la caractéristique d'être presque
entièrement financé par les talibés mourides dont une
bonne partie est constituée par des migrants.
Le site offre au visiteur la possibilité de consulter
des khassaïdes traduits en français ou des khassaïdes en
version arabe ainsi que différents articles consacrés au
mouridisme. En outre, le visiteur peut aussi se rendre à la
médiathèque pour visionner et écouter des sermons
prononcés par les khalifes au cours notamment des
cérémonies religieuses et également des conférences
où l'on traite bien entendu de questions relatives au mouridisme.
Par ailleurs, un groupe de scientifiques et ingénieurs
sénégalais vivant à Montréal s'est réuni
pour constituer la Société Sénégalaise des
Scientifiques et Ingénieurs au Canada (S3IC) dans le but de mettre en
oeuvre ou de réaliser différentes actions, au profit du
Sénégal, dans les domaines de l'ingénierie, en particulier
en énergie, environnement, et Nouvelles Technologies de l'Information et
de la Communication (NTIC), plus précisément
télécommunications et informatique.
Dans son préambule, la S3IC énonce comme
principes fondamentaux la participation au développement du
Sénégal et la contribution au bien-être de la population
sénégalaise dans son ensemble, notamment à travers ses
champs d'activités et de compétences.
Les membres ne comptent ménager aucun effort pour
obtenir des résultats à la hauteur des attentes et des espoirs
ayant abouti à la mise en place de leur structure. Ils comptent ainsi,
à travers la S3IC, favoriser la production et la structuration,
l'encadrement et le développement de projets à valeurs
ajoutées afin de contribuer à l'épanouissement de la
population sénégalaise et au développement du
Sénégal, autour d'un cadre de solidarité, de
coopération et de respect mutuel.
432
En outre, S3IC projette d'instaurer un dispositif tendant
à favoriser la conception, le fonctionnement et le transfert de
technologies et en même temps susceptible d'attirer des partenaires
utiles au développement du Sénégal.
Enfin, S3IC envisage de mettre à la disposition de ses
membres un environnement propice à leur insertion professionnelle et
à leur formation, et aussi un cadre adéquat à la
consultation technique et la création d'entreprises.
10.2.2 L'Association des Sénégalais et
Sympathisants de Bruxelles et Environs (ASSBE)
En Belgique, les Sénégalais se sont
rassemblés autour de l'Association des Sénégalais et
Sympathisants de Bruxelles et Environs (ASSBE). Son but est à la fois de
réunir les membres de la communauté sénégalaise au
sein d'une structure forte et solidaire et de servir de plateforme
d'échanges et de concertations entre Sénégalais et Belges.
L'ASSBE a mis en place un site web d'informations sur le fonctionnement et les
activités de l'association. Sur le site, les internautes ont en effet la
possibilité de voir différentes activités
organisées par l'association, notamment les rencontres festives au
profit des enfants, les tournois de football, dans le cadre des journées
et cérémonies culturelles sur des thèmes divers tels que
la coopération décentralisée, migrations et
développement, la lutte contre le sida, etc. L'ASSBE propose
également des liens permettant à la communauté
sénégalaise de Belgique de consulter les offres d'emploi en
Belgique, au Sénégal et dans les organisations internationales.
La présence sénégalaise en Belgique est à la fois
variée et diverse de même que la présence belge au
Sénégal. Le Sénégal est présent en Belgique
à travers ses étudiants, ses travailleurs, sa gastronomie, sa
culture et la mise en place de structures oeuvrant en faveur du
développement de quelques unes de ses localités. Concernant la
présence belge au Sénégal, elle se manifeste par une
présence diplomatique, une coopération technique, des aides au
développement et des actions humanitaires en faveur des personnes
démunies dans les villages sénégalais.
433
Site web 46. Site web de l'ASSBE
10.2.3 Les ressortissants sénégalais
établis en Suisse
A Genève, les Sénégalais étudiants
et non étudiants se sont regroupés autour de l'Association des
Sénégalais de Genève (ASG). Au demeurant, l'ASG a pour
missions de favoriser l'établissement de relations d'amitié, de
fraternité et de solidarité entre tous les ressortissants
sénégalais vivant à Genève, de leur apporter de
l'assistance en cas de besoins réels, mais également de valoriser
la culture sénégalaise.
Des informations nombreuses et diversifiées peuvent
être obtenues à travers le site de l'ASG. Ce sont des informations
relatives aux différentes activités culturelles (week-end
culturel, tables rondes et conférences), sociales et sportives
organisées par l'association. Ces informations ont également
trait à l'obtention de documents officiels comme passeport, carte
d'identité, etc. via le site du consulat du Sénégal
à Fribourg (
www.senegalfribourg.ch). Le
site fournit par ailleurs des liens utiles sur les universités
sénégalaises (université Cheikh Anta Diop de Dakar
www.ucad.sn, université Gaston
Berger de Saint-Louis
www.ugb.sn) et suisses
(université de Genève
www.unige.ch, université de
Lausanne
www.unil.ch, etc.), sur la ville de
Genève (bibliothèques, cinéma, culture, emploi,
transports, sports, etc.) à travers le site de la ville
www.ville-ge.ch. Le site
présente de même des liens permettant d'accéder à
certains sites de la presse écrite sénégalaise (Sud
quotidien
www.sudonline.sn, Wal Fadjri
www.walf.sn, etc.), suisse (Tribune de
Genève
www.tdg.ch, etc.) et française
(le Monde
www.lemonde.fr., le Point
434
www.lepoint.fr). En outre, le site
propose aussi des liens vers des radios sénégalaises (RFM, Sud
FM, RSI, Dunyaa FM, Chaîne nationale, Radio Keurgoumack et Seneweb Radio)
ainsi que des liens vers des télévisions
sénégalaises (RTS, Senegaltv et Xalima TV).
Ainsi à travers ce site, l'ASG tente, selon les mots du
président de l'association, Alioune Ndiaye, « de rendre plus
effective et plus manifeste sa présence à Genève » et
aussi pour reprendre sa formule « faire pousser nos fameux baobabs sur les
rives du Leman ».
Cependant le dynamisme de la communauté
sénégalaise sur le web se manifeste surtout à travers le
site
Archipo.com. Créé par un
Sénégalais vivant en Suisse, le site Archipo a pour vocation de
conserver les archives sous forme de documents imprimés ou sonores audio
et vidéo en wolof ou en français relatives à la politique
du Sénégal. Les Sénégalais les plus en vue sur la
scène politique sénégalaise disposent quasiment tous d'une
page sur le site. Tous ceux qui ont fait hier ou qui font aujourd'hui
l'actualité politique sénégalaise disposent d'une page
multimédia. Le site diffuse quotidiennement les revues de presse des
principales radios privées du Sénégal. Il s'agit des
revues de presse effectuées en wolof et en français à
travers les radios Sud FM, RFM et Walf FM et couvrant les
évènements marquants relevés dans la presse écrite.
De même, les internautes peuvent également écouter
gratuitement les émissions politiques et exprimer leurs avis. La
vidéothèque donne accès à des vidéos
relatives à l'actualité politique, sociale et culturelle au
Sénégal. Par ailleurs, la page consacrée à la
constitution témoigne de la vocation citoyenne et du rôle
pédagogique du site. Toute la constitution est disponible sur le site,
du préambule à son article 108. Les internautes peuvent
également lire des commentaires écrits ou écouter des
commentaires audio sur les nombreuses modifications subies par la constitution
sénégalaise depuis l'avènement de l'alternance.
435
Site web 47. Le site web des archives politiques
sénégalaises ARCHIPO
10.2.4 La communauté sénégalaise au
Maroc
Au Maroc, les sénégalais étudiants et
stagiaires dans une entreprise du royaume se sont réunis au sein de
l'Union Générale des Etudiants et Stagiaires
Sénégalais au Maroc (UGESM). Créée en 1978, l'UGESM
a pour but de favoriser la solidarité, la fraternité et l'entente
entre ses membres, de les mettre dans les meilleures conditions
matérielles et morales pour la réussite de leurs études,
de contribuer à leur épanouissement à travers
l'organisation d'activités culturelles et sportives, de participer
à l'intégration des nouveaux étudiants et de veiller
à la préservation de la bonne réputation et du
crédit dont jouit la communauté sénégalaise au
Maroc. L'UGSM est présente dans toutes les villes marocaines où
réside une forte communauté d'étudiants
sénégalais. La section mère de l'UGESM se trouve dans
l'agglomération de Rabat, capitale administrative du Maroc.
A Settat, ville située au sud de Rabat, la capitale
économique, et peuplée par près de 65000 habitants, les
étudiants et stagiaires sénégalais ont mis en ligne le
site web de la section UGESM Settat. Les étudiants désirant
poursuivre leurs études à Settat en particulier et au Maroc en
général peuvent trouver des informations utiles sur les
universités et les enseignements dispensés. Ils peuvent aussi
trouver des renseignements sur les conditions de vie et les possibilités
de financements.
436
Par ailleurs, un livre d'or a été ouvert pour
permettre aux visiteurs de poster des commentaires en donnant leurs opinions
sur le site ou en s'exprimant sur divers sujets. Généralement, ce
sont des encouragements et des félicitations portant sur le site qu'il
convient de sauvegarder et de pérenniser. De même, les membres et
les visiteurs sont sollicités à participer à la mise
à jour du site et aussi à le rendre plus attrayants.
A Kénitra, ville portuaire située au nord-ouest
du Maroc, les Sénégalais se sont réunis au sein de
l'Association des Sénégalais de Kénitra (ASEK). Le but de
l'ASEK est de regrouper tous les ressortissants sénégalais,
étudiants comme travailleurs, établis à Kénitra,
d'une part, et d'autre part, de maintenir et renforcer les relations
d'amitié et de solidarité entre eux. Elle assure la
défense et garantit les intérêts communs des
Sénégalais résidant à Kénitra. L'ASEK oeuvre
également en vue de promouvoir l'essor et le rayonnement de la culture
sénégalaise au Maroc. Même si sa vocation est avant tout de
favoriser les liens d'entraide entre travailleurs et étudiants
Sénégalais vivant à Kénitra, l'ASEK participe aux
différentes manifestations interafricaines.
L'album photos permet la visualisation d'images
photographiques dont la plupart ont été prises pendant les
manifestations culturelles ou sportives organisées par l'ASEK
(journées culturelles, voyages d'études ou excursions
pédagogiques, tournoi de football) ou à l'occasion de la
célébration de la fête de tabaski. Le site web est aussi
une passerelle permettant aux ressortissants sénégalais de
Kénitra d'accéder aux sites web des médias
sénégalais notamment la presse écrite et les radios.
437
Sites web 48. Sites web de l'UGESM Settat et de l'ASEK au
Maroc
10.3 L
'insertion des migrants dans la société
globale, une forme de « mondialisation par le bas »181
Parmi les migrants sénégalais, les
commerçants, plus généralement, se singularisent par leur
grande capacité à mettre en place des réseaux relativement
denses et bien structurés. Certains commerçants ont réussi
à établir des relais dans des lieux stratégiques
fréquentés ou traversés durant leur parcours migratoire ou
leur itinéraire commercial. Mobiles et expérimentés pour
passer les frontières, ils participent à des échanges
cosmopolites portant sur les produits les plus divers. Le sociologue Alain
Tarrius signalait, à ce propos, la présence et le rôle
négatif des migrants sénégalais établis dans le
quartier de Belsunce à Marseille dans le fonctionnement des «
territoires circulatoires » mis en place par les fourmis du commerce
informel182. Les Sénégalais qui avaient
remplacé les Algériens à la tête de ce
système d'échanges ont été arrêtés par
la brigade de stupéfiants de Marseille pour leur implication dans le
trafic de drogue.
De nos jours, beaucoup de migrants sénégalais
s'adonnent à des activités économiques nécessitant
un certain savoir-circuler ou une certaine capacité à faire
preuve
181 Pour citer Alejandro Portes et Alain Tarrius.
182 Les Sénégalais qui avaient remplacé
les Algériens à la tête de ce système
d'échanges ont été arrêtés par la brigade de
stupéfiants de Marseille pour leur implication dans le trafic de
drogue.
438
d'ingéniosité pour traverser les
frontières nationales. Ces migrants participent parfois à
côté des migrants d'autres communautés à un vaste
réseau d'échanges de marchandises diverses qu'ils font parvenir
d'un point à l'autre du pourtour de la méditerranée en
particulier et quasiment partout dans le monde. Ils permettent notamment aux
populations défavorisées ici et là-bas d'accéder
à certains biens de consommation courante, notamment habillement,
équipements électroniques et informatiques, pièces
détachées et accessoires pour voitures.
Ainsi, parallèlement à la mondialisation des
États, des multinationales et des ONG, il existe une «
mondialisation par le bas », celle des migrants qui exploitent les failles
et les carences des États pour évoluer dans ses interstices, loin
des lourdeurs administratives et bureaucratiques. En fait, il est
intéressant de remarquer la flexibilité et l'efficacité
des réseaux dans la mise en place d'un type d'organisation
planétaire où les formes de communication horizontales font
preuve de plus de souplesse à la différence de celles plus
complexes des États et des multinationales fondées sur plus de
rigidités et de hiérarchies centralisées. Les migrants
réalisent, à travers un vaste réseau commercial, une part
considérable des échanges de la mondialisation contemporaine.
Même si une bonne partie de leurs activités n'est pas visible, les
migrants contribuent de manière non négligeable à la
mondialisation des échanges. Cette contribution a été
largement facilitée par la démocratisation de l'accès aux
nouvelles technologies de l'information et de la communication et à la
réduction des coûts de transport. Les TIC ont joué un
rôle déterminant dans l'émergence d'acteurs concevant leur
appartenance multiterritoriale comme allant de soi. Dans leurs pratiques des
lieux, la distinction entre le local, le national et l'international n'a
véritablement pas une signification importante. Ce qui compte, c'est de
mettre en place des réseaux de dimension transnationale, capables
à présent de développer des activités
économiques, politiques et sociales dans les espaces de résidence
et d'origine, mais aussi dans d'autres espaces d'implantation de ces membres.
En réponse au processus de mondialisation, les migrants multiplient les
initiatives qui leur permettent de développer des activités
économiques, politiques et culturelles nécessitant leur
présence à la fois ici et là-bas. Ce qui implique de faire
la navette entre les pays afin d'assurer la circulation d'une gamme de
produits. Ainsi, tout en contribuant à améliorer les conditions
de vie des communautés d'origine à travers les transferts
d'argent, les migrants participent également à connecter les
localités d'origine à certaines places fortes de
l'économie mondiale. Nombreux sont aujourd'hui les villages
439
sénégalais mieux connectés à
certaines villes françaises ou italiennes qu'à des villes
sénégalaises grâce à l'entregent des associations
des migrants.
Il faut toutefois souligner que c'est pour partie dans
l'officialité et pour partie dans la subterranéité
(Tarrius 2001)183 que jaillissent la plupart de ces initiatives
développées par les migrants pour s'insérer dans les
échanges mondiaux.
Un autre aspect de la « mondialisation par le bas »
est la gestion à distance de l'espace domestique dans les lieux
d'origine par les migrants. Dans les coins les plus reculés du
Sénégal, les populations sont aisément accessibles
grâce au téléphone cellulaire. Il est fréquent de
rencontrer des migrants constamment en contact avec le pays d'origine pour
s'enquérir de la gestion du budget du ménage. Les technologies
comme Skype, MSN Messenger... offrent davantage de possibilités dans la
gestion à distance de l'espace domestique.
10.4 Les migrants et les perspectives de la
société de
l'information
Les innovations dans le domaine des TIC, qui sont loin
d'être encore achevées, ont entraîné des
transformations profondes dans la vie au quotidien des individus et des groupes
de personnes. L'accès généralisé aux TIC au cours
de la dernière décennie nous permet d'affirmer que nous sommes
bel et bien entrés dans une société de diffusion à
grande échelle des informations et du savoir. Cette
société qui a vu le jour est portée par des supports
permettant de véhiculer l'information et la connaissance dans l'espace
et le temps, à la vitesse de la lumière. Comme nous l'avons
montré, les migrants, par bien des aspects, sont fortement
concernés par l'avènement de la société de
l'information. Tout d'abord, il faut bien reconnaître que l'information
constitue un élément fondamental tout au long du processus
migratoire. Avant même de partir, les candidats au voyage ont besoin
d'avoir certaines informations pour bien préparer leur voyage. Ils ont
besoin d'avoir des informations précises (possibilités de
logements, opportunités d'emplois, conditions d'acquisition de titres de
séjour et de permis de travail, etc.) sur leur pays d'installation pour
bien réussir leur intégration. Aussi, les TIC offrent aux
migrants la
183 Tarrius, A., Au-delà des Etats-nations : une
société de migrants, in Revue Européenne des Migrations
Internationales, 2001.
440
possibilité d'entretenir des relations étroites
non seulement avec le pays d'origine mais aussi avec le pays d'installation.
Pour ces derniers, les TIC sont surtout, vis-à-vis des migrants, de
puissants outils permettant de canaliser les flux migratoires et aussi
d'intensifier la lutte contre l'immigration clandestine.
Par contre, pour les pays d'origine, les TIC constituent une
opportunité pour renforcer les relations avec la diaspora. Il est
intéressant de remarquer avec Annie Cheneau-Loquay qu'au moment
où les jeunes africains restés sur place expriment un
désir de plus en plus profond de l'extérieur, les migrants
utilisent les TIC et plus particulièrement Internet pour se rapprocher
davantage du pays d'origine184. Dans cette perspective, il serait
fort intéressant de voir dans quelle mesure les pays d'origine
pourraient tirer davantage bénéfice de l'apport des migrants. Il
en est de même pour tout ce qui pourrait contribuer à faciliter
les démarches des migrants en vue de se faire délivrer des
documents administratifs par le pays d'origine. C'est là un vaste
débat. Nous tenterons ici d'esquisser quelques pistes de
réflexion.
Bien souvent, les migrants effectuent en direction du pays
d'origine des démarches pour obtenir certains documents administratifs.
Ces démarches visent le plus souvent à renouveler un passeport ou
une carte d'identité arrivés à expiration. Il faut savoir
que le passeport à jour est indispensable si le migrant veut
régulariser son titre de séjour. Par ailleurs, la possession de
la carte d'identité permet aux migrants de pouvoir exercer leurs droits
civiques au moment des élections organisées dans leur pays
d'origine. Or, la plupart du temps, ces démarches sont source de grosses
difficultés pour les migrants. Ceux dont les localités ne
disposent pas de service diplomatique du Sénégal sont parfois
obligés de manquer un jour de travail et parcourir de longs
kilomètres pour déposer leur dossier et au moment de
récupérer leur document, ils doivent généralement
effectuer le même parcours. Cependant, il arrive souvent qu'il soit
nécessaire d'effectuer plusieurs déplacements avant de pouvoir
entrer en possession de son document. On a d'ailleurs vu à ce propos des
migrants, étudiants pour la plupart, se servir d'Internet pour exprimer
leurs mécontentements et révéler les difficultés
rencontrées à cause de ces dysfonctionnements. A plusieurs
reprises, le forum du site portail
Seneweb.com a été
utilisé comme lieu d'information sur les problèmes
rencontrées par les Sénégalais vivant
184 Chéneau-Loquay, Annie. Comment les NTIC sont-elles
compatibles avec l'économie informelle en Afrique. Annuaire
Français de Relations Internationales 2004, Volume V. Paris,
éditions La Documentation française et Bruylant, pp. 345-375.
441
en France, en Italie, en Chine, etc. pour tout simplement
renouveler leur
passeport. Seneweb.com a pu
ainsi servir de lieu d'exutoire, mais aussi d'échanges et d'assistance.
Pour certains internautes, le moyen le plus facile et le plus rapide de se
faire établir un passeport, c'était de se rendre finalement au
Sénégal.
Se pose alors la question de l'accès en ligne de
certains services administratifs au Sénégal. Comme la plupart des
États soucieux des changements qui se dessinent à l'ère de
l'information, le Sénégal tente de mettre en place des projets
visant à permettre aux citoyens d'accéder en ligne à
certains services publics. Ces projets, confiés à l'Agence de
l'Informatique de l'Etat (ADIE) et à l'Agence de Régulation des
Télécommunications et des Postes (ARTP) devraient favoriser une
amélioration des relations entre l'administration et les citoyens. Elles
pourraient donc offrir aux migrants la possibilité d'effectuer en ligne
des demandes d'acte d'état civil, d'extrait de casier judiciaire, de
carte d'identité et de passeport. Ce qui serait bien entendu fortement
apprécié par les migrants et aussi dans bien des cas pourrait
leur éviter de se retrouver dans des situations dommageables.
L'utilisation de l'expertise professionnelle au sein de la
diaspora pour améliorer les conditions des populations sur place et
contribuer au développement économique et social constitue
également un des enjeux fondamentaux de la société de
l'information. Il faut rappeler que la diaspora sénégalaise
regorge de cardes divers, notamment enseignants, chercheurs, médecins,
juristes, financiers, techniciens, etc. Les outils modernes de communication
permettent et facilitent l'enseignement et l'apprentissage à distance.
Ils permettent aussi aux médecins qui sont au Sénégal
d'échanger plus efficacement avec des professionnels de la santé
au sein de la diaspora.
Les pouvoirs publics sénégalais devraient mettre
en place des politiques visant à impliquer davantage les migrants dans
la vie économique, sociale, politique et culturelle. En certaines
occasions, les TIC pourraient permettre aux migrants d'apporter raisonnablement
un soutien accru aux populations défavorisées. La tenue de
conférences ou de réunions via la visioconférence pourrait
permettre aux migrants de partager leurs connaissances et leurs centres
d'intérêt avec des collègues et des étudiants au
Sénégal.
442
443
Conclusion
Dans le débat suscité par l'usage des
technologies de l'information et de la communication par les migrants ou les
groupes minoritaires, certains observateurs s'interrogent à propos des
possibilités d'utilisation de ces outils comme facteurs
d'intégration ou de replis identitaires. Qu'en est-il pour ce qui
concerne la migration sénégalaise en France ? Il faut d'abord
relever que d'une manière générale l'intégration
dans le pays de résidence constitue une dimension essentielle dans les
parcours et les stratégies migratoires des migrants
sénégalais. Dans cette optique, on peut considérer la
genèse des associations des migrants comme la concrétisation de
cette volonté de contribuer à l'intégration des membres de
la communauté dans leur nouvel environnement. De même, pour
réaffirmer leur détermination à s'intégrer dans
leur pays d'installation, les sites des associations de migrants
sénégalais en France proposent des contenus mixtes portant
à la fois sur leurs pays d'origine et de résidence. Ainsi, outre
la production d'informations pouvant faciliter certaines démarches
administratives en vue par exemple d'obtenir un titre de séjour, de
trouver un logement ou de s'inscrire à l'université, les
associations de migrants, étudiants en particulier, proposent sur leurs
sites des liens vers les sites de certains services administratifs du pays
d'installation, notamment la préfecture, la CAF, le CROUS, etc. Il est
intéressant de remarquer la place importante accordée aux sites
permettant de trouver des opportunités d'emploi aussi bien dans le pays
d'installation que dans le pays d'origine. Dans ce dernier, les structures
administratives chargées de l'emploi des jeunes ont mis en ligne leurs
propres sites web dans lesquels les candidats peuvent postuler et trouver en
ligne des opportunités d'emploi.
Nous avons constaté l'utilisation d'Internet par les
associations de migrants sénégalais pour faire connaître et
valoriser certains aspects de la culture sénégalaise. Il s'agit
en particulier de l'utilisation du web et aussi dans une moindre mesure du
réseau social Facebook, par certaines, afin de faciliter la diffusion
des informations et rendre plus visible les manifestations culturelles
organisées dans les villes françaises. En définitive, ce
que l'on peut dire à ce stade de notre réflexion, c'est qu'au
sein de la diaspora sénégalaise en France où la
consommation presque exclusive des médias en ligne du pays d'origine est
une réalité incontestable, les TIC jouent un rôle
plutôt important dans le processus d'intégration dans le pays de
résidence. On pourrait même aller jusqu'à dire sans
aucune
444
exagération que les TIC ont apportées beaucoup
de commodités dans les relations avec le pays de résidence.
Ajoutons aussi que nous n'avons noté aucune particularité au sein
des sites réalisés par ou pour les migrants
sénégalais visant à promouvoir un quelconque repli
identitaire.
D'autre part, un des points intéressants à
souligner, c'est précisément les possibilités pour le pays
d'origine de trouver à travers les TIC une source potentielle de
mobilisation et d'organisation de ce capital humain que constituent
évidemment les migrants hautement qualifiés. Ces migrants sont en
effet porteurs de nouveautés ou d'innovations qui peuvent, non
seulement, avoir des effets bénéfiques sur le pays d'origine si
elles sont exploitées à bon escient, mais également
contribuer à mieux connecter le pays d'origine au système global
de partage des connaissances.
Par ailleurs, on observe aujourd'hui une utilisation de plus
en plus importante des TIC par les pays d'accueil pour renforcer la
surveillance et accentuer la répression vis-à-vis des migrants
clandestins en particulier. Certains pays recourent à des technologies
comme la biométrie, les caméras, les capteurs et les radars afin
d'empêcher la traversée de leurs frontières terrestres ou
maritimes. Mais ces mesures tendent, vraisemblablement, à
entraîner une recrudescence de l'émigration clandestine. On a vu
qu'elles ne peuvent en aucun cas constituer un frein décisif à la
volonté inébranlable de ces milliers de jeunes
désespérés et prêts au péril de leur vie,
à s'embarquer vaillamment à bord des pirogues de la mort à
l'assaut des côtes espagnoles.
Aujourd'hui, les migrants trouvent dans les TIC une
opportunité pour faire reconnaître davantage les efforts
considérables et les actions multiformes consentis afin de participer au
développement des localités d'origine. Participations multiformes
qui se traduisent, tout le monde le sait, par des transferts financiers, mais
aussi par la construction d'infrastructures ou d'équipements collectifs.
On ose donc espérer, dans le contexte d'une mondialisation
caractérisée par une forte imbrication entre les niveaux local et
global, l'avènement d'une nouvelle forme de coopération prenant
davantage en considération le rôle significatif de ces acteurs de
la « mondialisation par le bas ». Car on le sait, la
coopération entre États est parfois entachée pratiques de
corruption et de détournements. Il y a fort longtemps que cette forme de
coopération a montré ses limites. Une minorité de
politiciens en profite toujours pour s'enrichir, laissant la grande masse de la
population se débattre dans des difficultés quotidiennes sans
fin. En fait, les TIC offrent à présent la possibilité de
mettre en valeur et rendre plus transparentes les réalisations
445
effectuées dans les localités d'origine par les
associations de migrants ainsi que celles effectuées grâce au
partenariat ou au jumelage avec des acteurs locaux dans le pays d'installation.
On a vu aussi l'importance de la participation des migrants aux débats
et discussions en ligne sur la situation politique, sociale et
économique du pays d'origine. De même que leur contribution
à la lutte contre la fracture numérique, à travers
notamment les outils de communication de toutes sortes, et plus
particulièrement le téléphone mobile, amenés et
laissés au pays pendant les vacances. Ce qui a permis même
à des populations localisées dans les coins les plus
reculés d'accéder au téléphone mobile.
Enfin, l'étude des pratiques de communication de la
diaspora sénégalaise en France permet d'identifier les
pôles de réception des flux migratoires actuels des
Sénégalais et aussi de les classifier en fonction du type de
migration, c'est-à-dire essentiellement entre migration de travail et
migration d'études. Par exemple, l'Italie et l'Espagne qui sont deux
foyers importants de concentration de migrants sénégalais,
peuvent être considérés comme des lieux d'accueil de
migrants généralement employés comme ouvriers peu
qualifiés dans les usines, l'agriculture, la construction ou travaillant
comme commerçants. Dans ces milieux, le téléphone mobile
constitue le principal moyen de communication utilisé dans les relations
de proximité comme dans les relations à distance. Toutefois,
précisons qu'on trouve parmi eux des personnes capables d'utiliser
parfaitement Internet. Elles se connectent pour suivre l'actualité du
pays d'origine, participer aux échanges à travers les forums et
aussi pour effectuer gratuitement des appels téléphoniques. D'un
autre côté, on peut dire que les Sénégalais
implantés aux États-Unis et au Canada sont d'importants
consommateurs et producteurs de contenus web relatifs au Sénégal.
Les membres de la communauté sénégalaise aux
États-Unis en particulier ont une activité importante sur le web.
Ils sont très dynamiques dans la construction des sites portails et dans
l'animation des webradios. Il semble même que les premiers sites portails
sénégalais ont vu le jour dans ce pays. Retenons que Seneweb, le
portail sénégalais le plus visité, a été
créé par des migrants sénégalais vivant aux
États-Unis. Il est aussi intéressant de noter le dynamisme des
communautés sénégalaises établies en Belgique, en
Suisse et au Maroc dans le développement de l'Internet
sénégalais.
Pour terminer, nous avons vu qu'il existe au sein de la
diaspora sénégalaise en France des acteurs participant à
un vaste réseau d'échange de marchandises diverses à
côté d'autres communautés de migrants. La participation
à ce réseau nécessite un « savoir-circuler »,
446
un « savoir-négocier » et surtout un respect
strict des règles établies. Progressivement, ces acteurs ont
réussi à mettre en place une forme de « mondialisation par
le bas », permettant ainsi de faire parvenir des marchandises de toutes
sortes partout à travers le monde.
447
Conclusion générale
Au regard de tout ce qui a été dit, quelle
conclusion peut-on avancer ? Tout d'abord, il faut rappeler qu'à travers
ce travail, nous avons tenté d'analyser et de comprendre les processus
d'insertion des TIC au sein de la diaspora sénégalaise en France,
la manière dont les migrants se servent de ces nouveaux outils de
communication et l'impact de ces outils sur la dynamique des réseaux.
Car un trait essentiel de la migration internationale
sénégalaise, c'est la constitution de réseaux sociaux
basés essentiellement sur les liens familiaux, les appartenances
confrériques et ethniques. Nous avons essayé de voir ce que
faisaient réellement les migrants sénégalais en France
avec les nouveaux objets techniques de communication et plus
particulièrement le téléphone mobile et Internet. Plus
précisément quelles sont les mutations induites par les TIC dans
les relations que les migrants sénégalais en France entretiennent
avec leurs lieux ou territoires d'origine ou d'installation ? La quête
intellectuelle que nous avons menée à travers la question des
réseaux et des systèmes de communication dans la diaspora
sénégalaise en France nous a permis de mieux appréhender
les différentes facettes de la migration sénégalaise en
France et les mutations induites par les outils modernes de communication dans
les rapports que les migrants sénégalais en France entretiennent
avec leurs pays d'origine et de résidence. Les effets des TIC sont
très différents selon la nature des migrants. Ceux qui disposent
des compétences pour les exploiter pleinement n'hésitent pas
à s'en servir afin de maintenir et renforcer aisément les
relations avec le pays d'origine, mais aussi en même temps afin de mieux
s'insérer dans le pays de résidence. Par leurs capacités
à répondre à certains des besoins des migrants -
renforcement des liens communautaires, maintien des liens avec le pays
d'origine et accès à des informations utiles et pratiques sur le
pays de résidence - les TIC conduisent à la
nécessité d'une redéfinition des liens que les migrants
entretiennent avec les pays d'origine et de résidence.
Les migrants sénégalais en France se servent des
TIC non seulement pour maintenir et renforcer les relations avec les proches
restés dans le pays d'origine ou dispersés dans le monde, mais en
même temps ils s'en servent comme moyen d'intégration dans leur
pays de résidence. D'une façon générale, on
constate une dynamique dans les pratiques et formes de communication des
migrants sénégalais en France. En effet, dans un passé pas
aussi lointain que cela, la communication téléphonique
constituait quelque chose d'assez
448
aléatoire, voire même un luxe notamment pour bon
nombre de migrants, les étudiants surtout. Une part importante des
revenus des migrants pouvait en effet être consacrée aux frais de
communication téléphonique avec la famille restée au pays,
notamment les parents et l'épouse ou les épouses. Le maintien des
relations à distance avec les membres de la famille résidant dans
le pays ainsi que l'accès aux informations relatives au pays d'origine
se faisaient très difficilement. Aujourd'hui, avec la diminution des
coûts de communication téléphonique liée à
l'ouverture du marché des télécommunications et la
démocratisation de l'accès à Internet, les relations avec
le pays d'origine se sont considérablement renforcées. Les
migrants accèdent facilement et régulièrement aux espaces
virtuels dans lesquels se déploient l'information relative au pays
d'origine. Ces supports modernes de communication contribuent en outre au
maintien et au renforcement de la communication interpersonnelle. Ce qui
constitue quand même un élément fondamental dans la
cohésion au sein de la communauté de migrants
sénégalais en France. De manière générale,
les migrants ont fait preuve d'une grande aptitude à utiliser le
téléphone mobile et Internet, du moins pour certains d'entre-eux,
pour résoudre en partie des problèmes spécifiques
rencontrés dans la vie de tous les jours.
Ce qui fait un peu l'originalité de l'Internet
sénégalais, c'est l'engouement réel des internautes de la
diaspora pour les sites portails généralistes dont la plupart
sont l'oeuvre des migrants. Cela s'explique surtout par le fait que ces sites
proposent gratuitement des informations variées (sous forme de textes et
sur supports audio ou vidéo) sur l'actualité du pays d'origine.
Ces sites leur proposent souvent des espaces de discussion en ligne où
ils peuvent s'exprimer librement et donner leurs avis en temps réel sur
la situation politique, économique et sociale du pays d'origine. Il
convient de relever l'ampleur démesurée des débats
politiques à travers les forums. En outre, ces sites portails mettent
régulièrement à la disposition des migrants des produits
et services susceptibles d'intéresser de potentiels investisseurs au
sein de la diaspora. Les migrants ont alors la possibilité parfois
d'accéder aux offres proposées par les banques et les agences
immobilières du pays d'origine en même temps que leurs
compatriotes au pays.
Internet est devenu un lieu où se croisent
virtuellement des individus situés à des lieux extrêmement
distants et où se nouent des relations entre des
Sénégalais dispersés aux quatre coins de la
planète. A ce propos, il semble que les relations qui se tissent dans
cet espace virtuel contribuent, à bien des égards, à la
cohésion socioculturelle de cette
449
communauté. C'est aussi dans certains cas un espace
d'apprentissage de la démocratie et de participation citoyenne. Ainsi,
non seulement, les migrants sont de gros consommateurs de web
sénégalais, mais également il est fondamental de souligner
leur rôle important dans la production de contenus web hybrides
marqués par la culture de l'entre-deux. Un élément qui
nous semble important de souligner, c'est ce processus, noté à
travers les échanges dans les espaces de discussions
électroniques, d'identification à une communauté de
concitoyens sénégalais malgré la séparation
géographique. Internet a réussi en un temps record à une
remarquable prise de conscience de l'existence d'une communauté
sénégalaise hors du territoire national, mais fortement
attachée à son pays d'origine et également très
intéressée par son devenir. On distingue néanmoins
l'existence d'une fracture numérique au sein de la diaspora
sénégalaise en France entre les « migrants connectés
» et les « migrants non connectés ». Quoiqu'il en soit,
force est de constater toutefois le rôle considérable des migrants
dans la réduction de la fracture numérique à travers
l'ampleur de leurs contributions dans l'équipement des ménages
dans le pays d'origine.
Cependant, ne serait-ce qu'en raison du rôle
extrêmement important qu'ils jouent comme régulateur social et
comme porteur de progrès à travers notamment les transferts
d'argent effectués vers le pays d'origine pour y améliorer les
conditions de vie des populations, les pouvoirs publics devraient accorder plus
d'attention à ces acteurs du développement ici et là-bas.
A présent, les TIC offrent aux pouvoirs publics l'opportunité de
se saisir, de façon stratégique, des problèmes
réels des migrants et aussi de les aider à agir de façon
bien plus efficace sur les espaces d'origine.
Contrairement à la France où les
démarches administratives, même pour les services publics les plus
élémentaires, sont disponibles en ligne, le Sénégal
reste encore très en retard dans ce domaine. Dans le pays de
résidence, Internet, en permettant facilement l'accès à
certaines informations, contribue à atténuer les tensions qui
pouvaient parfois apparaître entre les migrants et certains
établissements publics chargés de les accueillir ou de leur
fournir certains services.
Au moment où les emplois sont plus rares et plus
difficiles à trouver, Internet et le téléphone mobile sont
devenus des instruments indispensables pour sortir de l'isolement,
accéder aux informations et s'insérer professionnellement.
Internet est à la fois un lieu d'information, un espace de communication
et de loisirs. Mais cela ne suffit pas à croire
450
que ces outils vont forcément résoudre la
question fondamentale de l'intégration des migrants. On constate que de
la même manière qu'Internet contribue au rapprochement des
migrants avec leur pays d'origine, cette technologie contribue, dans une
moindre mesure, au rapprochement des migrants avec leur pays de
résidence. Dans ce dernier cas de figure, Internet est l'outil qui
permet de donner une plus grande visibilité aux migrants, à leurs
associations ainsi qu'aux activités culturelles organisées afin
de rassembler les migrants dans un cadre de solidarité et d'entraide, de
faire la promotion de certains aspects de la culture du pays d'origine et aussi
afin de faciliter l'intégration de l'ensemble des membres de la
communauté sénégalaise résidant sur le territoire
français. Contrairement à l'idée véhiculée
sur un éventuel risque de marginalisation ou de replis identitaires, on
observe que les migrants se servent des TIC plutôt pour manifester
concrètement leur volonté d'intégration.
La fascination exercée par Internet réside dans
le fait qu'elle donne l'impression que le monde entier est désormais
accessible en tous ses points et en temps réel. Dans ce contexte, il
semble bien que l'on assiste aujourd'hui à l'émergence du «
migrant connecté » qui se saisit des opportunités offertes
par les TIC pour mieux vivre son déracinement et articulé cet
espace de l'entre-deux dans les méandres duquel il évolue. Avec
le durcissement généralisé des conditions d'entrée
et les politiques publiques relatives au séjour dans les pays
occidentaux en particulier, certains migrants abandonnent le projet de retour
et envisagent peu à peu leur installation définitive dans leur
pays de résidence. Étant entendu qu'ils devront sûrement
rester plus longtemps que prévu, certains d'entre eux tentent par
conséquent de s'approprier les TIC pour organiser, plus
spécifiquement, leur vie et leurs activités sur l'entre-deux et
les allers-retours entre le pays de résidence et le pays d'origine. Ce
qui met en évidence une nouvelle configuration ou entraîne de
nouvelles recompositions dans le champ migratoire sénégalais. Par
ailleurs, l'étude des pratiques de communication des migrants conduit
forcément à réinterroger les concepts d'intégration
et de communautarisme. Ce qui nous amène en fait à distinguer
deux modèles d'intégration radicalement opposés : le
modèle français d'intégration aux valeurs et idéaux
de la République et le modèle anglo-saxon basé sur
l'affirmation des différences ethniques, culturelles et religieuses.
Ainsi, l'analyse géographique des pratiques de
communication des migrants sénégalais en France
révèle une forte imbrication des différents espaces
composant le
451
champ migratoire sénégalais, c'est-à-dire
l'espace d'origine, l'espace de résidence et les autres pôles
migratoires. La multidirectionnalité des flux informationnels et
communicationnels sénégalais témoigne de la grande
diversité des lieux d'émission et de réception de ces
flux. En supprimant les contraintes spatio-temporelles, les moyens de
communication modernes favorisent l'acheminement instantané des
informations produites aussi bien par les acteurs locaux que par des acteurs
localisés dans des espaces éloignés et distants de
plusieurs milliers de kilomètres. De nouveaux acteurs apparaissent au
sein de la diaspora. Le champ médiatique sénégalais
transcende l'espace géographique national. Grâce aux moyens de
télécommunication modernes, les flux médiatiques
sénégalais, déterritorialisés, se déploient
à présent dans un univers indifférencié. Les
internautes consommateurs des contenus web sénégalais au sein de
la diaspora représentent quasiment la même proportion que les
internautes basés au Sénégal. Ainsi, les pratiques de
communication se rapprochent entre ici et là-bas et tendent à
s'homogénéiser. La distance ne constitue plus un obstacle pour
participer aux débats publics. En affranchissant les individus des
contraintes spatiales, les TIC, en particulier Internet, contribuent à
l'émergence d'une démocratie participative. Par ailleurs, les TIC
« augmentent les échanges interindividuels et collectifs ». Ce
qui renforce la cohésion au sein des réseaux ainsi que le
sentiment d'appartenance communautaire. L'identitaire communautaire est
véhiculée par ces outils à transmettre en temps
réel et à toute distance des messages de toutes sortes. Les
échanges qui se déroulent dans les agoras numériques
participent au renforcement de l'identité culturelle de la
société d'origine. Non seulement, les migrants ont
désormais un accès permanent à leur culture, mais aussi
ils produisent des applications Internet (sites web, blogs) au sein desquelles
ils contribuent à valoriser et vulgariser certains aspects de leur
culture d'origine. On assiste à l'émergence de nouvelles
proximités, moins physiques, mais plus actives et dynamiques dans de
nombreuses activités du pays d'origine. Les relations avec les familles
et les proches restés dans l'espace d'origine deviennent permanentes et
se banalisent. On demeure ici tout en étant là-bas. Mais à
vrai dire, on observe un processus de recentrage culturel et territorial en
direction du pays d'origine.
D'autre part, ce travail nous a permis d'appréhender la
difficulté consistant à donner une définition
précise et nette de la notion de diaspora. Les auteurs qui articulent
leurs réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à
l'appliquer à des réalités ou à des
réflexions autour de ce concept ont souvent tendance à
l'appliquer à des réalités ou à des
452
formes de migration complètement différentes.
D'où le caractère aujourd'hui plutôt polysémique du
mot. Ce qui fait que le débat sur la pureté où l'extension
du concept de diaspora est encore loin d'être tranché à
l'heure actuelle. A notre avis, bien que l'usage du mot nécessite
beaucoup de précautions, nous pensons que son extension ne peut que
contribuer à enrichir la production littéraire ou scientifique
dans ce champ de recherche. Toutefois, nous avons préféré
recourir largement au concept de migrant qui nous semble plus adapté
à la structuration de la migration internationale
sénégalaise. Ce concept permet de porter un regard nouveau
notamment sur les stratégies multiples élaborées et
développées par les acteurs de cette migration afin de
s'intégrer dans le pays d'installation, tout en maintenant et
renforçant des relations multiformes avec le pays d'origine.
Loin de nous l'idée ou la prétention, à
travers ce travail, de penser avoir appréhendé ou cerné la
totalité des aspects du problème lié aux usages des TIC
par les migrants sénégalais en France. Nous sommes en effet bien
conscients de ne pas avoir répondu à toutes les questions
relatives à l'impact des TIC et les mutations observées dans les
relations que les migrants entretiennent avec leurs territoires d'origine et de
résidence. Toutefois, nous avons essayé d'analyser et de rendre
compte, de façon objective et empirique, la manière dont les
migrants sénégalais en France se servent des TIC pour maintenir
et renforcer les relations avec le pays d'origine et pour faciliter leur
insertion dans le pays de résidence, à travers une approche
géographique. Aussi, nous espérons avoir posé les jalons
ou balisé la réflexion pour des recherches plus fructueuses. Des
recherches fécondes qui pourront contribuer non seulement à
améliorer les conditions d'existence des migrants ici, mais aussi
à mieux encadrer les actions initiées par ces derniers en faveur
de l'amélioration des conditions de vie de celles de leurs familles
là-bas. Nous avons vu que les migrants sénégalais sont des
récepteurs et consommateurs de ressources Internet
sénégalais, mais aussi ce sont des acteurs incontournables dans
la production de ressources Internet sénégalais. Un autre
enseignement que l'on peut tirer de ce travail, c'est que les TIC peuvent
contribuer à donner une autre perception de l'immigration pour qu'elle
ne soit plus considérée uniquement comme un problème mais
plutôt comme une ressource dans cette société en
réseaux qui se construit sous nos yeux à l'ère du village
planétaire. Philippe Breton (2007) nous rappelle que les TIC sont
là avec des technophiles, des technophobes et entre les deux ceux qui en
appellent à des usages raisonnés. Quoi qu'il en soit, ces
instruments de communication permettant à
453
l'information de circuler à la vitesse de la
lumière, donnant aux individus l'impression de disposer d'un don
d'ubiquité et de pouvoir faire fi de la distance géographique ne
peuvent être ignorés dans le déchiffrement de ce village
planétaire dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Quant à
moi, j'ai eu l'étrange sensation à travers ce travail que j'avais
vraiment sous-estimé cette volonté, cette détermination et
cette énergie déployées par les membres de la
communauté sénégalaise en France pour essayer de mieux
s'intégrer dans le pays de résidence.
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Flammarion, 1999.
471
ANNEXES
Annexe 1
Questionnaire Enquêtes Sénégal
2002-2003
1) Quelle est l'origine du terme modou modou?
2) Quels sont les facteurs explicatifs des premières
vagues de migration?
3) Quelles étaient les principales destinations?
4) Comment les familles et les migrants parvenaient-ils à
maintenir les relations?
5) Qui faisait la lecture de la lettre envoyée par le
migrant et qui faisait la rédaction de la lettre adressée au
migrant?
6) Pouvez-vous nous indiquer les moyens par lesquels les lettres
étaient acheminées et distribuées aux familles?
- Par le facteur?
- Par le chef de quartier?
- Par le chef de village?
- Par l'intermédiaire d'un tiers?
7) Pouvez-vous nous indiquer le nombre de lettres
envoyées et reçues par la famille au cours de l'année?
8) Aviez-vous recours à d'autres moyens de
communication?
- Si oui, lesquels?
- Si non, pourquoi?
9) Par quel(s) moyen(s), receviez-vous l'argent envoyé
par les migrants?
10) Quelle était la fréquence des envois
d'argent?
- Régulièrement
- De temps en temps - Rarement
11) Quelles étaient les dépenses consacrées
à cet argent ?
12) Est-ce que des investissements ont pu être
réalisés avec l'argent envoyé?
13) Si oui, où et dans quoi et quelle était la
personne chargée de gérer cet investissement?
14) Si non, pourquoi?
15)
472
Quels sont les facteurs explicatifs des départs
aujourd'hui?
16) Quelles sont les destinations et pourquoi ces
destinations?
17) Pouvez-vous nous dire depuis quand les migrations ont
commencé à s'orienter vers ces nouvelles destinations?
18) Par quels moyens, les candidats au départ
parviennent-ils à partir?
19) Quels sont les principaux moyens utilisés
aujourd'hui pour maintenir les relations entre les familles au pays et les
migrants?
- Lettre?
- Téléphone fixe?
- Téléphone portable?
- Courrier électronique?
20) Si c'est par lettre, pouvez-vous nous indiquer les liens
avec la personne chargée de lire ou d'écrire la lettre?
21) Quelle est la fréquence des lettres reçues
et envoyées?
22) Si c'est par le téléphone fixe, pouvez-vous
nous indiquer la date d'installation de votre ligne fixe?
23) Qui a installé la ligne fixe à domicile et
qui s'acquitte des frais afférents à son entretien?
24) Votre téléphone fixe sert-il seulement
à être appelé ou sert-il également à
appeler?
25) Si oui, combien de fois utilisez-vous votre
téléphone pour appeler par semaine, par mois?
26) Si non, pourquoi ne l'utilisez-vous pas pour appeler?
27) Comment avez-vous obtenu votre téléphone
portable et depuis quand l'avez-vous obtenu?
28) Quelles formules disposez-vous?
- Abonnement?
- Cartes pré-payées?
- Alizé? - Sentel?
29) Rencontrez-vous des problèmes pour l'utilisation
de votre téléphone portable ?
30) Si oui, lesquels?
31) Quel est l'impact du téléphone portable
dans vos relations à distance avec les membres de la famille vivant
à l'étranger?
32)
473
Est-ce que l'insertion et la diffusion du téléphone
portable ont provoqué des changements dans la vie du village?
33) Avez-vous entendu parler d'Internet?
34) Si oui, où en avez-vous entendu parler?
35) Utilisez-vous Internet?
36) Connaissez-vous le courrier électronique?
37) Si oui, avez-vous une adresse électronique?
38) Quelle est la fréquence des courriers
électroniques envoyés?
39) Par quel moyen avez-vous recours pour vous connecter
à Internet?
- A domicile?
- Dans un cybercafé?
- Autres lieux, précisez?
40) Avez-vous constaté des changements dans vos relations
à distance depuis que vous avez commencé à utiliser le
courrier électronique?
41) Si oui, lesquels?
42) En dehors de ces moyens de communication (lettre,
téléphone fixe, téléphone portable, courrier
électronique), avez-vous recours à d'autres moyens de
communication?
43) Si oui, lesquels?
44) Par quel(s) moyen(s) recevez-vous l'argent envoyé par
les migrants?
- Par l'intermédiaire d'un tiers?
- Par la poste?
- Par la banque?
- Par western union?
- Par money gram?
45) Que pensez-vous des structures formelles de transfert
d'argent?
46) Que pensez-vous des moyens informels de transferts
d'argent?
47) Avez-vous, au cours de ces derniers mois, sollicité
ou avez-vous été sollicité par un migrant dans le cadre
d'un projet d'investissement?
48) Si oui, dans quel secteur avez-vous effectué
l'investissement?
474
Annexe 2
Questionnaire en ligne sur
www.modagueye.com,
2009
(Ici Titre de l'enquête)
Questionnaire individuel
N° du Questionnaire : |__|__|__|__|
Nom de l'enquêté : (facultatif)
Questionnaire totalement anonyme et strictement
confidentiel
1. Région :
2. Département :
3. Quartier :
4. Date de l'interview : |__|__| / |__| | jour
mois
|
1.
|
Age (année de naissance) ?
(Facultatif)
|
|
|__||__|__||__|
|
2.
|
Sexe ?
|
1- Féminin
2- Masculin
|
|__|
|
3.
|
Année d'arrivée en France ?
|
|
|__||__|__||__|
|
4.
|
Quelle activité exercez-vous ?
|
1- élève/étudiant,
2- Salarié du public ou du parapublic
3- Travailleur indépendant (Médecin, avocat,
commerçant )
4- Salarié du privé
5- Retraité
6- Autres inactifs (apprentissage, chômeur...)
7- Autres (à préciser)
|
|__|__|
|
5.
|
Quelle est votre ville de résidence habituelle
?
|
|
6.
|
Vous venez d'ou ?
|
Région :
Département :
Commune :
Commune d'arrondissement :
Quartier/Village :
|
|
7.
|
Etes-vous membre d'une association d'étudiants
?
|
1- Oui
Si Oui laquelle ?
2- Non
|
|__|
|
8.
|
Etes-vous membre d'une
|
1- Oui
|
|
475
|
association confrérique ?
|
Si Oui laquelle ?
2- Non
|
|__|
|
9.
|
Etes-vous membre d'une association oeuvrant dans le
développement?
|
1- Oui
Si Oui laquelle ?
2- Non
|
|__|
|
10.
11.
|
Etes-vous membre d'une association d'une autre nature
?
|
1- Oui
Si Oui laquelle ?
2- Non
|
|__|
|
Son objectif :
|
|
12.
|
Dans quels pays se trouvent les personnes avec qui
vous communiquez le plus souvent?
|
|
|__|
|
13.
|
Quels sont les liens qui vous unissent à ces
personnes ?
|
1- Epoux/épouse
2- Enfants
3- Frères/Soeurs4
4- Parents
5- Relations de travail
6- Amis/connaissances
|
|__|
|
14.
|
Depuis quand avez-vous commencé à
utiliser le téléphone portable ?
|
|__|__| / |__|__|
jour mois
|
15.
|
Quel opérateur téléphonique
utilisez-vous ?
|
7- SFR
8- Bouygues
9- Orange
10- Autres (préciser)
|
|__|
|
|
16.
|
Combien dépensez vous par mois pour vos
communications téléphoniques ?
|
|__||__|__| euros
|
17.
|
Utilisez vous Internet ?
Si oui, depuis quand avez-vous commencé à
utiliser Internet ?
|
|__|__| / |__|__|
jour mois
|
18.
|
Par quels moyens accédez-vous à Internet
?
|
1- Université
2- Domicile
3- Cybercafé
4- Autres (préciser)
|
|__|
|
19.
|
Si vous avez Internet à domicile,
pouvez-vous
nous dire le nom du fournisseur que vous utilisez
?
|
1- Alice
2- Neuf Telecom
3- Cegetel
4- Free
5- Numéricable
6- Orange
7- Autres (préciser)
|
|__|
|
20.
|
Combien dépensez vous par mois pour votre
connexion Internet à domicile ?
|
|__||__|__| euros
|
21.
|
Si vous fréquentez les cybercafés,
pouvez-vous nous dire où se situent ces cybercafés ?
|
|
22.
|
Quel est le prix de la connexion dans les
cybercafés que vous utilisez ?
|
|__||__|__| euros/mn
|__||__|__| euros/heure
|
476
23.
|
Quels usages faites-vous du
téléphone
portable ?
|
Lister ici les types d'usage 1-
2-
3- 45-etc .
|
|__|
|
|
|
Lister ici les types d'usage
|
|
|
|
1- courrier
|
|
|
Quels usages faites-vous d'Internet ?
|
2-
|
|
|
|
3-
|
|
24.
|
|
4-
|
|__|
|
|
|
5-
|
|
|
|
6-etc .
|
|
|
Quels sont les sites portails que vous visitez le
plus
|
Lister1-
ici les portails les plus courants 2-
|
|
25.
|
|
3-
|
|__|
|
|
|
4-
|
|
|
|
5- Autres (préciser)
|
|
26.
|
Pourquoi ? :
|
|
|
|
|
Lister ici les forums les plus courants
|
|
|
|
1-
|
|
|
|
2-
|
|
|
Quel(s) est/sont le/les forum(s) de discussion
(s)
|
3-
|
|
27.
|
que vous fréquentez ?
|
4-
5-
|
|__|
|
|
|
6- Autres (préciser)
|
|
|
|
1- Politique
|
|
|
|
2- Economique
|
|
|
|
3- Société
|
|
|
Quels sont les sujets de discussion qui vous
|
4- Culture
|
|
28.
|
intéressent dans les forums :
|
5- Sport
6- Religion
|
|__|
|
|
|
7- Autres (préciser)
|
|
|
|
|
Lister quelques sujets d'ordre général
|
|
|
|
1-
|
|
|
Quels sont les sujets de discussion qui vous
|
2-
|
|
29.
|
intéressent dans les forums :
|
3-
4- Autres (préciser)
|
|__|
|
|
|
Lister quelques lieux (fonction de votre cible)
|
|
|
|
1-
|
|
|
Où se trouvent les personnes que vous
appelez
|
2-
|
|
30.
|
par Internet ?
|
3-
4- Autres (préciser
|
|__|
|
31.
|
A quelle fréquence les appelez-vous ?
|
Fréquence (à définir : jour , semaine, mois
???)
|
|__||__|
|
|
|
Lister quelques outils
|
|
|
|
1- Téléphone portable
|
|
|
|
2- Téléphone fixe
|
|
|
Avez-vous déjà amené un ou des
outil(s) de
|
3- Ordinateur de bureau
|
|
32.
|
communication(s) au Sénégal, Si oui
lequel ou lesquels ?
|
4- Ordinateur portable
5- Casque multimédia
6- Etc
|
|__|
|
|
|
7- Autres (préciser
|
|
|
|
Les nouveaux outils de communication
(Internet
|
|
|
|
|
1- Pas d'accord
|
|
33.
|
et téléphone portable) ont-elles
facilité votre
intégration/insertion dans votre pays
de
|
2- Moyennement d'accord
3- D'accord
|
|__|
|
477
|
résidence ?
|
|
|
34.
|
Comment ?
|
1- Renforcer relations avec pays d'accueil
2- Maintenir lien avec pays d'origine
3- Etc...
4- Autres (à préciser)
|
|__|
|
35.
36.
37.
38.
|
Est-ce que vous utilisez les cartes
téléphoniques ?
|
1- Oui
2- Non
|
|__|
|
Pouvez-vous nous indiquer vos lieux d'achat ?
(plusieurs réponses possibles)
|
1- Bureau de tabac
2- Cybercafé
3- Etc.
4- (à préciser)
|
|__|
|
Pouvez-vous nous indiquer vos dépenses
mensuelles en cartes téléphoniques
?
|
|__||__|__| euros
|
Pouvez-vous nous indiquer la fréquence de leur
utilisation ?
|
Fréquence d'utilisation (jour, semaine, mois ???)
|
|__||__|
|
40.
|
39.l'Internet
Quels sont les autres moyens de communication que vous
utilisez en dehors du téléphone et de et quels usages en
faites-vous ?
|
Vous pensez à quoi, les lister
1-
2-
4- Autres (à préciser)
|__|3-
|
|
Quels usages en faites-vous ?
|
Vous pensez à quoi, les lister Z
3- Autres (à préciser)
|
I__|
|
41.
|
Quel (s) moyen(s) utilisez-vous pour vos envois
d'argent vers le Sénégal ?
|
1- Mandat postal
2- Western Union
3- Money Gram
4- Rio Envia
5- Etc...
6- Autres (à préciser)
|
|__|
|
42.
|
Dans quelle mesure, selon vous, les outils
modernes de communication peuvent-ils favoriser ou
élargir la participation des migrants au développement de leur
pays d'origine ?
|
|
|
43.
|
Avez-vous déjà utilisé Internet
pour faire des achats ou pour vendre quelque chose ? Que pensez-vous du
commerce électronique ?
|
|
|
44
|
Quelles sont les chaînes de radios que vous
écoutez sur le net ?
|
1- Sud Fm
2- Walf Fm
3- RFM
4- Radio Sénégal
5- Autres (à préciser)
|
|__|
|
45
|
Quelles sont les chaînes de
télévisions que vous
écoutez sur le net ou par câble ou par
forfait internet?
|
1- RTS
2- 2STV
3- Walf TV
4- Autres (à préciser)
|
|__|
|
46
|
Est-ce que vous suivez les interventions de
|
|
|
|
Souleymane Jules Diop (émission radio mardi et
chronique jeudi)
|
|
|
478
Merci de votre
disponibilité