PREMIÈRE PARTIE :
INTRODUCTION GÉNÉRALE
7
I - Généralités
Les dépôts enregistrant l'événement
géologique global, qui a eu lieu durant le passage
Cénomanien-Turonien (EAO-C/T : Événement Anoxique
Océanique de la limite Cénomanien-Turonien, EAO-2, ELCT :
Événement de la limite Cénomanien - Turonien ou
CTBE : Cenomanian Turonian Boundary Event des auteurs anglo-saxons),
ont été abordés sous plusieurs thèmes. Divers
travaux multidisciplinaires, qui ont fait l'objet de publications ou de
thèses, ont permis la caractérisation de cet
événements sur plusieurs plans : biostratigraphique,
paléoécologique, géochimique,
paléogéographique et océanographique (Leckie, 1984 ;
Arthure et al., 1990 ; Robaszynski et al, 1993 ; Hancock,
1993 ; Gale et al., 1993 ; Premoli Silva et Sliter, 1994) . Les
spécialistes se sont rendus compte qu'à la fois les
sédiments de bassin comme de plateforme, de l'intervalle de ce passage,
sont marqués par un enrichissement en matière organique
conservée et ont enregistré des changements faunistiques majeurs.
Sur le plan géochimique, cette matière organique est
considérée en liaison avec l'installation de conditions
hypoxiques voire anoxique. Ces changements ont eu lieu simultanément
dans différents cadres paléogéographiques (Fig. 1) et ont
été par conséquent considérés comme le
résultat de processus ou d'événements océaniques
globaux. Ces processus pourraient aussi être influencés par des
facteurs locaux (Caus et al., 1993).
Durant cet intervalle et précisément entre 93,5
et 93 Ma (Gale et al., 1993 ; Kuypers et al., 2002),
l'événement anoxique a pris de l'ampleur en s'exprimant à
l'échelle mondiale par des dépôts analogues. (Schlanger
et al., 1987 ; Haq et al., 1987).
Scholle et al., (1980) mentionnent que les
sédiments riches en matière organique d'âge
Cénomanien - Turonien ont été déposés
à travers les régions téthysienne et boréale sous
des conditions anoxiques. Un tel modèle de bassins anoxiques
évoque la présence d'un taux élevé de
productivité primaire résultant probablement d'un upwelling
(Pederson et Clavert, 1990 ; Layeb, 1990 ; Layeb et Belayouni, 1991 ; 1999),
vue la présence de sédiments riches en silice biogène ou
de radiolaires interprétés comme étant des organismes
indicateurs de tels phénomènes (De Wever et al., 1985 ;
Pederson et al., 1990). L'accumulation de tels organismes dans les
séries sédimentaires aboutit à la
8
formation de niveaux carrément siliceux comme le niveau
Bonarelli en Italie (Arthur et Premoli Silva, 1982 ; Premoli Silva
et al., 1999) ; Oued El - Kharroub, Tunisie (Turki, 1975 ; 1985 ;
Rami, 1998).
-60° -30° 0° 30° 60°
-30°
60°
30°
0°
Amérique du
Amérique du Afrique
Sud
Nord
Atlantique
Nord
P
Europe
T
Australie
Asie
-30°
-60°
0°
30°
-90° -60° -30° 0° 30°
Terre
mer peu profonde mer profonde
|
P: T:
|
ODP DSDP Passerelle
Tunisie
rivage actuel
|
Fig. 1 : Carte paléogéographique au passage
Cénomanien - Turonien (-93 ,5 Ma) (Obtenue à partir de GEOMAR
map generator)
La faune de Foraminifère planctonique du passage
Cénomanien - Turonien des faciès pélagiques
déposés en milieu marin profond est dominée par des formes
opportunistes (Caus, 1993 ; Robaszynski et Caron, 1995) de la stratigie r
(r-selected) tels que les Whiteinelles, les Hedbergelles , les
Hétérohélicidés et les Guembelitriidés (Fig.
2). Les
9
espèces de Rotalipores se sont éteintes à
la fin du Cénomanien pour être remplacées par les
Helvetoglobotruncana au Turonien inférieur à moyen ainsi
que par les Dicarinelles et les Marginotruncanidés. (Caron, 1985 ;
Robaszynski et al., 1990 ; Caus et al, 1993 ; Balla et
al, 1993 ; Premoli Silva and Sliter, 1994 ; Maâmouri et
al., 1994 ; Robaszynski et Caron, 1995 ; Rami et al., 1997 ;
Rami, 1998 ; Georgescu, 2000 ; Kuypers et al., 2002).
ÉTAGE
|
CÉNOMANIEN
|
TURONIEN
|
Inférieur Moyen Supérieur
|
Inférieur Moyen Supérieur
|
AGE (Ma)
|
93,2
|
Zone à
Foraminifères
|
Rotalipora brotzeni
|
Rotalipora R.
montsalve nsis
|
cushmani
R. cushmani
|
W. archaeo- cretacea
|
Helvetoglobotruncana helvetica
|
M. Schneeg.
|
Whiteinella
W. aprica
W. archaeocretacea
W. baltica
W. brittonensis
W. paradubia
W. praehelvetica
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Dicarinella
D. algeriana D. hagni
D. imbricata
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Rotalipora
R. cushmani
R. montsalvensis
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Marginotruncana
M. renzi
|
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Helvetoglobotruncana H. helvetica
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Hedbergella
Cl. simplex H. delrioensis H. planispira
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Heterohelix
H. reussi
H. moremani H. navarroensis
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Guembelitria
G. cenomana G. albertensis G. sp
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|
|
Fig. 2 - Aperçu sur la répartition des
Foraminifères planctoniques de l'intervalle Cénomanien -
Turonien (d'après E.W.G.P.F., 1979.1 légèrement
modifiée)
De tel renouvellement faunique a été
enregistré dans les dépôts de plateforme. Dans ces
dépôts, les foraminifères planctoniques de stratégie
K (K-selected) (Caus et al., 1993 ;
10
Robaszynski et Caron, 1995), ont disparu à la limite
Cénomanien - Turonien pour être remplacés au Turonien
inférieur par d'autres formes de même stratégie
écologique. Dans le domaine boréal, les Rotalipores et surtout
Rotalipora cushmani et Rotalipora greenhornensis
disparaissent avant la fin du Cénomanien durant la zone à
Ammonites, Metoicoceras geslinianum, (Fig. 3) alors qu'en domaine
téthysien leur extinction est lié à l'installation d'un
milieu anoxique qui a eu lieu au début du Cénomanien
supérieur (Robaszynski et Caron, 1995). L'espèce
Helvetoglobotruncana helvetica se manifeste dès le début
du Turonien marqué par la zone d'Ammonite à Pseudaspidoceras
flexuosum (Fig. 3) alors que l'espèce Whiteinella praehelvetica
apparaît déjà à la fin du Cénomanien.
Robaszynski et al., (1990) mentionnent que les
Helvetoglobotruncana helvetica disparaissent avant la fin du Turonien
moyen.
Dans le domaine téthysien, la limite Cénomanien
- Turonien est enregistrée généralement dans une
séquence de dépôt de troisième ordre qui
débute dans la partie terminale du Cénomanien et se termine dans
le Turonien inférieur (Segura et al., 1993 ; Hardenbol et
al., 1993). Cette séquence intègre le cortège
transgressif lié à la transgression rapide de l'océan
Atlantique (Vilas et al., 1986 in Segura et al.,
1993). Vu que la monté du niveau marin était très
importante, des sédiments hémipélagiques ont
été déposés même dans les régions
proximales situées en marge de cet océan (Garcia et al.,
1987 ; Segura et al., 1993).
Sur la marge occidentale du bassin intérieur
nord-américain, durant cet intervalle, la géométrie du
prisme côtier montre que les calcaires de Bridge Creek sont largement
transgressifs sur les faciès distaux (les Shales de Hartland) du dernier
prisme sableux côtier régressif de Belle Fourche.
La transgression correspond à la reprise du
régime de flexuration du bassin d'avant-chaîne (Ferry et
al., 2003). Elle est dans ce cas d'origine tectonique et marquée
corrélativement par une recrudescence des bentonites (couches de cendres
volcaniques) et qui souligne la reprise d'activité concomitante des
volcans de la cordillère de Sevier.
11
Age
(Ma)
|
Étage
|
Zone à Ammonites
|
Zone à Foraminifères
|
92,1
92,6
93,2
94,7
96,2
|
TURONIEN
|
Sup.
|
Subprionocyclus neptuni
|
Marginotruncana schneegansi
|
Moy.
|
Collignoceras woollgari
|
Helvetoglobotruncana helvetica
|
Inf.
|
Mammites nodosoides
|
Pseudaspidoceras flexuosum
|
Watinoceas coloradoense
|
Whiteinella archaeocretacea
|
CÉNOMANIEN
|
Supérieur
|
Neocardioceras judii
|
Metoicoceras geslinianum
|
|
Rotalipora cushmani
|
Calycoceras naviculare
|
Moyen
|
Acanthoceras jukesbrownei
|
Acanthoceras rhotomagense
|
Rotalipora montsalvensis
|
Inférieur
|
Mantelliceras gr. Dixoni
|
Rotalipora brotzeni
|
Mantelliceras cantianum
|
Fig. 3 - Biozonation comparée des Foraminifères
planctoniques et des Ammonites de l'intervalle Cénomanien - Turonien en
domaine téthysien (d'après les données de Salaj, 1980 ;
Robaszynski et al., 1990, Amedro et Robaszynski, 1993 ; Thomel, 1993 et Gale et
al., 1993)
En effet, la partie médiane du Crétacé
(-124 à -90 Ma) était une période de grandes
manifestations magmatiques, avec une production énorme de larges
provinces volcaniques et de dorsales médio-océaniques (Fig.4)
(Anderson, 1994 ; Coffin et al., 1994 ; Zhao et al., 2004). A
partir de ces données plusieurs auteurs admettent que les
émissions du dioxyde de carbone CO2 volcanique
libérés par les larges provinces volcaniques durant cette
période du crétacé, ont pu causer le réchauffement
exceptionnel du Crétacé supérieur (Tarduno et
al., 1998, Zhao et al., 2004) et par la suite provoquer
deux à sept Événements Anoxiques
Océaniques (EAOs) durant la partie médiane du
Crétacé supérieur (Leckie et al., 2002 ; Zhao
et al., 2004). En outre, le paléochamps magnétique
durant cette période était d'une manière non
caractéristique stable de telle manière qu'il n'a pas
changé durant près de 40 Ma (de l'Aptien au Santonien : de -121
à -83 Ma) (Zhao et al., 2004).
Crétacé
Tertiaire
(%) changement du taux de production de croûte
Jur
-20
60
C-T
40
20
0
OAE-2
12
140 120 100 93.5 80 60 40 20
Age (Ma)
Fig. 4 - Les variations relatives temporelles du taux de
production de croûtes océaniques au niveau des rides
médio-océaniques à cause des activités volcaniques
intenses (d'après Jones et
Jenkyns, 2001)
Le Programme de Forage Océanique (ODP : Ocean
Drilling Program) et son prédécesseur le Project de Forage
dans les Mers Pélagiques (DSDP : Deep See Drilling Project) ont
beaucoup contribué à la compréhension des
événements crétacés et surtout, ils ont fourni de
nombreuses données permettant la reconstitution des conditions et des
scénarios déroulés.
1 - Les caractéristiques générales de
l'Événement Anoxique Océanique durant la limite
Cénomanien - Turonien (EAO-2)
Le concept « Événement Anoxique
Océanique » (EAO) en général a été
crée par Schlanger et Jenkyns (1976) en définissant deux
épisodes majeurs au Crétacé
13
d'appauvrissement des eaux de fond en oxygène. De
telles conditions ont été à l'origine de formation des
couches riches en matière organique. Ces événements
globalement décelables par les dépôts de Black Shales ont
été appelés les « Événements
Anoxiques Océaniques » (EAOs) parce qu'ils sont
considérés comme des périodes de crise d'oxygène
dans des océans relativement chauds (Forester et al., 2002). En
effet, Le Cénomanien Turonien représente une période dans
l'histoire de la Terre qui est en contraste avec le climat global
récent. En général, les paléotempératures et
la surface d'inondation maximale durant cette période de temps
coïncidaient avec un volcanisme intense et une création de
croûte océanique. (Forester et al., 2002).
Schlanger et Jenkyns (1976) ont constaté que le second
événement océanique (EAO-2) coïncidait avec la limite
Cénomanien - Turonien (Fig. 5). La caractéristique essentielle de
cet événement qui le distingue fondamentalement des autres EAOs,
est son extension globale à l'échelle planétaire (en
Europe, en Afrique, en Amérique, en Australie et en Asie) et sa courte
durée (intervalle de temps très court : de 93,5 à 93 Ma,
Kuypers et al., 2002).
300
Tertiaire
Crétacé
O A E -2
Land area
Sea level
150
140 130 120 110 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 (My)
Crétacé inférieur
Crétacé supérieur
Paléogène
Néogène
200
100
0
Niveau marin relatif (m I
110
120
130
140
Terre emergée 1 0 k m 2
6
Fig. 5 - Situation du EAO-2. Comparaison entre la courbe
eustatique du niveau marin et la courbe de la surface de terres
emmergées (d'après Jones et Jenkyns, 2001)
Toutefois, la précision chronostratigraphique de cet
événement EAO-2 est fort controversée. En effet, des
micropaléontologistes et des géochimistes ainsi que des
sédimentologues ont fourni de multiples efforts pour mieux cerner cet
événement. Muller et al., (1984), dans un rapport de
synthèse sur les dépôts pris par le programme international
de forage océanique pour la recherche scientifique ODP, ont
mentionné que cet événement coïncide avec la zone de
Foraminifère planctonique à Whiteinella
14
archaeocretacea. Cette biozone du passage
Cénomanien Turonien est suivie par celle à
Helvetoglobotruncana helvetica du Turonien inférieur à
moyen (Fig. 6). Robaszynski et al., (1995) avaient aussi situé
cet événement dans la zone à Whiteinella
archaeocretacea en
Age
|
Foraminifères Planctoniques
|
Ammonites
|
Radiolaires
|
Niveau marin+
250 aao ,w
|
b Séquences
3 2nd1
|
8t(%0)&
2 3 4-4
|
O (%0)
-3 -2 -1
|
TOC (%)
0 4.5 9
|
CénomanienTuronien
93,5
|
D. concavata
|
S. neptuni
|
|
UZA - 3
|
8944
Tu4
90.74 Tu3
Tu2
92.36
Tu1
93.09
Ce5
|
R
T
R
T
|
13C Ç U
|
EAO-2
|
|
|
M. schneegansi
|
H. helvetica
|
|
C. woollgari
sompedia
Alievium
superbum
A
um m
eh
W. coloradoense
|
M. nodosoides
|
|
|
|
|
|
|
|
|
91,5
|
|
|
|
|
Dorypyle silviae
|
Guttacapsa biacuta
|
|
Ce4
96.15
Ce3
Ce2
|
|
Patellula
|
A. rhotomagense Patellula
|
nakasekoi
|
R. reicheli
|
R.
globotruncanoides
|
spica
|
|
Ce1
97.95
|
|
|
Dorypyle anisa
|
Dorypyle anisa
|
Fig. 6 - Modèle général
caractérisant le passage Cénomanien - Turonien
indiquant cette fois que cette zone intervallaire
caractérise le passage Cénomanien - Turonien. D'autres
auteurs en se basant sur la répartition des nannofossiles calcaires, le
situaient dans la zone à Lithraphidites acutum du
Cénomanien supérieur (Muller et al., 1984 ; Balla et
al., 1993 ; Bengston, 1996). Arthur et Premoli Silva (1982), indiquent que
l'événement anoxique du passage Cénomanien - Turonien dans
le niveau Bonarelli en Italie ne dépasse pas le 0,7 Ma. Cette
interprétation sera plus tard controversée par Arthur et
al., (1990) en signalant que cet événement est de 0,5 Ma (de
-91 à -90,5 Ma). Plus tard, Gale et al., (1993) ont
débattu cet âge pour dire que l'Événement Anoxique
Océanique du Passage Cénomanien - Turonien débute à
-94,3 Ma et se termine à -93,5 Ma. Pour ces auteurs la durée de
cet événement est de 0,8 Ma et la limite Cénomanien -
Turonien se situe alors à -93,5 Ma.
Certains auteurs mettent l'accent sur la
paléotopographie et le rôle de la paléogéographie
pour expliquer le modèle de dépôt du faciès riche en
matière organique du passage Cénomanien Turonien ou Black Shales
(Layeb, 1990 ; Layeb et Belayouni 1999) mais pour d'autres ce modèle
leur parait insuffisant pour expliquer l'anoxie dans des mers
épicontinentales ouvertes (Nzoussi-Mbassani, 2003).
Cet Événement EAO-2 est
caractérisé aussi par une grande transgression rapide (Fig. 6).
Nzoussi-Mbassani (2003) a mentionné que à part l'influence
suggérée par plusieurs auteurs de la productivité
organique, cette transgression semble induire à son apogée
à la limite C/T une limitation du taux sédimentaire et que
l'expansion du domaine océanique (Fig.7) aurait induit un blocage des
apports terrigènes loin des bassins sédimentaires
15
océaniques. Ce qui explique la non dilution de la
matière organique par les apports considérables de constituants
minéraux.
En ce qui concerne le passage C/T, deux modèles ont
été décrits afin d'expliquer les caractéristiques
de l'EAO-2 et le dépôt des Black Shales riches en Carbone
Organique. Le premier modèle est basé sur le concept de la
préservation de cette M.O qui caractérise un milieu relativement
euxinique (Rayan et Cita, 1977 ; Bralower et al., 1987, Kuhnt
et al., 1990). Ce modèle euxinique évoque la
présence de deux couches d'eau à densités
différentes, l'une supérieure, donc peu dense et oxique, alors
que la deuxième est plus inférieure et anoxique très riche
en H2S. En général, ce modèle nous renseigne
sur l'extension de l'anoxie vers les eaux les plus profondes voire même
abyssales (Smith et al., 2001 ; Kuypers et al., 2002 ;
Nzoussi Mbassani, 2003), vu les teneurs élevées du Carbone
Organique Total (COT) dans les forages de l'Atlantique : DSDP, sites 105 et
603B (Kuhnt et al., 1990 ; Kuypers et al., 2000 ; 2002). Le
deuxième modèle est basé sur le concept d'une
productivité primaire élevée à fin d'expliquer les
teneurs élevées de COT dans les Black Shales (Layeb, 1990 ; Layeb
et Belayouni, 1989 ; 1999), conformément aux idées de Schlanger
et Jenkyns (1976) ; Jenkyns (1980)
La cause de EAO-2 est considérée comme
liée aux changements du climat et du niveau marin (Jenkyns, 1980 ;
Arthur et al., 1990 ; Huber et al., 1999). Les traits du
changement du niveau de la mer autour de la limite Cénomanien - Turonien
ont été examinés par plusieurs auteurs (Schlanger et
Jenkyns 1976 ; Herbin et al., 1986 ; Haq et al., 1987 ; Hart
et al, 1993 ; Lüning, 2001), mais la relation exacte entre le
changement du niveau marin et les autres processus
paléogéographiques pendant cette limite est encore
controversée. Cela vient de la difficulté de la reconstitution
des changements du niveau marin à une échelle de temps de l'ordre
de 100 ka (Yasukochi et al., 2001). En effet, ces auteurs ont
déduit que le niveau Oyubari (à Hokkaido, au Japon, d'âge
Cénomanien supérieur à Turonien inférieur)
représente une séquence à intercalations de petits niveaux
turbiditiques d'épaisseur centimétrique et que la
fréquence de ces turbidites sont de périodicité de l'ordre
de 1000 ka, 100 ka, 40 ka et de 20 ka coïncidant avec les cycles de
Milankovic. L'intervalle de la limite Cénomanien - Turonien a
été aussi étudié dans le Site 1050 à
Blake Nose (Océan Atlantique) par Huber et al., (1999)
et par Bellier et al., (2000).
16
Fig. 7 - modèle conceptuel montrant que les
activités hydrothermales liées à l'expansion des
croûtes océaniques peuvent induire des EAOs (d'après
Jones et Jenkyns, 2001)
Grands Flux des éléments nutritifs
Cycle hydrologique accéléré
Grande expansion de croûte océanique et peut
être flux intense de CO2 volcanique
Réchauffement global
Upwellings intenses
Haute productivité biologique dans les océans
Production
croissante des
eaux chaudes et
salées dans les mers peu profondes
Fumées issues des activités hydrothermales
induisent la fertilisation du Fer
Activité volcanique intense induite par une production
de croûte océanique
Dans ce travail, les auteurs se sont appuyés sur les
résultats de l'analyse des isotopes stables de foraminifères
planctoniques et benthiques non altérés (Huber et al.,
1999). Ils ont constaté une baisse importante des valeurs de
?18O des Foraminifères benthiques indiquant une
élévation importante des paléotempératures des eaux
bathyales (Fig.8). En
17
effet, ils ont estimé que la
paléotempérature de ces eaux bathyales était
déjà élevée (15°C) avant la limite C/T.
Néanmoins elle atteignit approximativement 19°C au niveau de
l'événement EAO-2. Ce réchauffement des eaux profondes ne
paraît pas être influencé par les températures de
l'eau de surface alors qu'un effet de serre s'était propagé
à travers les eaux de fond. Ainsi, ces auteurs suggèrent que le
réchauffement a pu être responsable de l'extinction des genres de
Foraminifères planctoniques de subsurface tel que Rotalipora
(Huber et al., 1999 ; Bellier et al., 2000) et que la
sédimentation du carbone organique, pendant l'Événement
EAO-2, a séquestré le CO2 atmosphérique et a
initié un effet de serre inverse (Clarke, 2003).
Fig. 8 - Réchauffement global des eaux
océaniques au passage Cénomanien - Turonien
En outre, la limite Cénomanien - Turonien a
été abordée aussi sur le plan chimiostratigraphique
(Accarie et al., 1999) et isotopique concernant les isotopes
légers 13C et 18O (Schlanger et al., 1987 ; Hart
et al., 1993).
Fisher et al., (2003) ont réalisé une
analyse géochimique et isotopique des Foraminifères des
sédiments de l'intervalle Cénomanien - Turonien provenant du Site
ODP 762. Ils ont mis en évidence l'enregistrement de
l'événement EAO-2 dans cette région et ont confirmé
sa liaison d'une part avec un réchauffement global (selon les
données de ä18O) et d'autre part avec une
productivité primaire élevée (selon les données de
ä13C). Keller et al., (2001) en se basant sur la
lithologie, les isotopes stables et les foraminifères planctoniques de
la coupe de Eastbourne en Gun Gardens (Angleterre Sud-Est), ont indiqué
que l'intervalle du passage C/T est marqué par une
élévation du niveau marin . Les auteurs ont constaté aussi
que l'augmentation des valeurs de ?13C déterminant une
productivité primaire, caractérise un intervalle de temps assez
long débutant de la zone à Rotalipora
18
cushmani et couvrant toute la zone à
Whiteinella archaeocretacea. Cette augmentation de la
productivité a fort influencé le comportement des
foraminifères planctoniques. Ainsi, ces auteurs ont distingué
deux phases de renouvellement faunistique (I et II) qui ont
coïncidé avec les pulsations positives du ?13C. La
première pulsation de ?13C (augmentation de 1,8 %o)
coïncide avec l'extinction des Rotalipores qui vivent loin de la ligne de
rivage vers le large et l'abondance des espèces d'Heterohelix
tolérant un faible taux d'Oxygène. Selon ces auteurs ceci
serait en liaison avec une baisse du niveau marin simultanée à
une augmentation de la productivité et une expansion de la zone à
oxygène minimum. La deuxième phase coïncide avec la
disparition de presque 50% des assemblages de Foraminifères
planctoniques, au profit des habitants de surface (Guembelitria et
Whiteinella), qui serait en liaison avec l'augmentation de la
productivité primaire et l'expansion de la zone à oxygène
minimum associées à un réchauffement climatique.
D'après ces mêmes auteurs, cette seconde phase de
renouvellement faunistique est stratigraphiquement corrélée avec
l'Événement Anoxique Océanique global (EAO-2) en Italie
(le niveau de Bonarelli) et en Tunisie (la Formation
Bahloul), alors que la première phase se corrèle avec
les premiers niveaux riches en matière organique dans la partie
supérieure de la zone supérieure de Rotalipora cushmani
de ces régions.
Pour Arthur (2003), l'augmentation isotopique de
ä13C n'est pas clairement correlable ni avec le dégazage
du CO2 volcanique ni avec la libération du méthane
De même, pour Bralower (2003), l'événement
EAO-2 enregistré dans les sédiments du Site 174AX (du forage ODP)
ne serait pas lié à la dissociation de l'hydrate du
méthane, qui a pu épuiser l'Oxygène dans le fond des
océans.
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