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Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à  N'Djaména au Tchad

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par Emmanuel Ngueyanouba
Université catholique d'Afrique Centrale - Maà®trise en sciences sociales- socio- anthropologie 2005
  

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AVANT-PROPOS

L'étude que vous allez lire est un parti pris qui se veut essentiellement socio-anthropologique. Cependant, les espaces urbains et les ordures ménagères autour desquels la réflexion est déployée ne sont pas admis par certaines personnes dans notre entourage comme sujet de mémoire de maîtrise en socio-anthropologie. Celles qui reçoivent toutefois favorablement cette étude l'amputent de sa manche la plus importante mais qui, au demeurant, est apparemment loin des objets d'études socio-anthropologiques à savoir les espaces physiques urbains5. Plus d'une personne en effet ne retiennent de notre thème que la gestion des ordures ménagères, voire les ordures ménagères, ni plus ni moins. Or, sur ce dernier aspect un de nos devanciers, Anne-Sidonie Zoa (1996, 7 et s.) fait état de plusieurs critiques aussi bien positives que négatives qui lui ont été adressées pour avoir choisi de fonder une réflexion sociologique sur les ordures à Yaoundé.

En revanche, et mis à part la simplification à l'extrême de notre thème, son choix n'a pas été jugé d'impertinent et, avec autant de sévérité comme ce fut le cas de l'étude de Anne-Sidonie Zoa. Au contraire il s'avère qu'il est indiqué de réfléchir sur ces ordures qui envahissent la ville de N'Djaména. En effet, l'ampleur de l'insalubrité urbaine avec son corollaire d'épidémie de maladies diarrhéiques telle que le choléra et autres pathologies comme la fièvre typhoïde, les vers intestinaux... qui sont toujours ponctuellement au rendezvous des saisons des pluies à N'Djaména, justifient bien une réflexion sur cette banalité que constituent les ordures ménagères.

Nous entrevoyons ici une relation de cause à effet entre les représentations des espaces physiques urbains et des ordures ménagères et la gestion des ordures dans l'environnement urbain. Au-delà de cette problématique où nous proposons une nouvelle compréhension des problèmes d'assainissement en milieu urbain, beaucoup de questions sont soulevées. Ces questions sont autant d'interrogations sur la société urbaine émergente. Nous espérons ainsi ouvrir un débat sur le fait urbain en gestation au Tchad - mais aussi en Afrique de façon générale - par le truchement du cas de N'Djaména.

5 Voir infra, Introduction pour la construction de cet objet d'étude et sa justification.

Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à N'Djaména (Tchad)

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INTRODUCTION

I. CONTEXTE ET PERTINENCE D'UNE SOCIO-ANTHROPOLOGIE DES ESPACES URBAINS ET DES ORDURES MENAGERES

Les sociétés des pays d'Afrique font actuellement l'expérience d'une urbanisation amorcée pendant la période coloniale mais qu'il faut véritablement situer au début des années des indépendances6. Il est vrai, en effet, que les cités comme Ifé, Tombouctou, Ibadan... sont des villes qui existaient bien avant la colonisation occidentale elle-même, mais « les modèles de développement, urbain de l'époque actuelle se trouvent ailleurs dans les cités de création plus récentes » (Jean-Marie Gibbal, 1974 : 10) notamment pour des fins d'administration coloniale. Du point de vue démographique, cela se traduit, à partir des années 1960 donc, par un accroissement très rapide de la population urbaine dû aux effets conjugués de la croissance naturelle et migratoire de la population. Pendant ce temps, les bourgades qui étaient des centres administratifs coloniaux se sont développées - et se développent encore plus qu'hier - pour évoluer vers ce qu'on appelle aujourd'hui les villes du Tiers-Monde. Et une des caractéristiques notables de ces villes est la coexistence des éléments constitutifs de l'urbanité (type d'habitation, infrastructures routières, sociales...) et ceux de la ruralité (agriculture et élevage urbains, type d'habitation, système d'occupation de l'espace, usages des espaces...). Il existe en effet un continuum rural7 dans les moeurs, les comportements et les attitudes des populations urbaines à l'égard de certaines réalités de la ville. Ces citadins hybrides, en effet, sont constitués de peuples venus de différents horizons culturels, à différentes époques et qui essaient de constituer et/ou de reconstituer des aires culturelles plus ou moins homogènes8 à l'intérieur d'un territoire à la fois autre que celui qu'ils ont quitté à la suite d'une migration et habité par une population plutôt hétérogène. Ainsi, du point de vue socio-anthropologique, on est tenté de se demander si :

1. la ville africaine n'est pas une agglomération hybride issue d'un rapport incestueux entre la campagne et l'agglomération urbaine au sens occidental ;

2. la ville africaine n'est pas simplement une somme de campagnes recomposées.

6 La plupart des pays d'Afrique ont obtenu leur indépendance en 1960.

7 Nous empruntons l'expression à Raymond Ledrut (1979).

8 Voir à ce propos les travaux de Jean Marc Ela, notamment la Ville en Afrique noire, ceux de Jean Marie Gibbal, Citadins et villageois dans la ville africaine, l'exemple d'Abidjan (1974) ou ceux des auteurs de l'Ecole de Chicago, William Isaac Thomas et Znanieki sur les paysans polonais immigrés à Chicago.

Connaissances conceptuelles et théoriques

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En tout cas, ces agglomérations offrent un terrain, à notre constat, très fécond pour une étude socio-anthropologique des représentations et des comportements des populations dites urbaines.

En questionnant les représentations sociales et culturelles des individus aussi bien à propos des espaces urbains qu'à propos des ordures ménagères nous entendons comprendre leur comportement puisque nous pensons que les représentations ancrées dans les consciences et, de façon générale dans la culture des individus, instruisent leurs pratiques ou, pour dire différemment les choses, rendent compte des usages et des réalités qui sont ainsi représentés.

Cette étude en l'occurrence Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures ménagères à N'Djaména s'inscrit dans un double contexte.

1.1. Contexte

La présente étude s'inscrit dans un contexte général d'une urbanisation très rapide de la ville de N'Djaména. Mais l'urbanisation en tant que telle est un contexte peu digne d'intérêt parce qu'elle est très générale. Elle peut par exemple justifier toutes sortes d'études urbaines, notamment politique, démographique, urbanistique, sociale etc. C'est donc plutôt une certaine crise de la gestion urbaine qu'elle a engendrée qui peut fournir une explication à l'acuité de l'insalubrité du milieu urbain. Ce sont finalement deux contextes dépendants à savoir l'urbanisation et la crise urbaine qui ne peuvent être considérés ni séparément, ni exclusivement.

Il convient d'abord de préciser ce que l'on entend par urbanisation. Selon R. Ledrut (1968 :1) l'urbanisation est un phénomène qui consiste « à la fois dans un accroissement du pourcentage de la population habitant les villes, dans l'augmentation du nombre des grandes villes et dans l'apparition de vastes aires urbaines ». Il s'agit donc d' « un processus de développement des villes par la croissance continue de leur population et par leur extension géographique du fait d'un développement concomitant des activités économiques et socioculturelles» (BCR, 1995 :14). Dans le cadre de ce travail, une telle définition n'est pas opérationnelle quoiqu'elle ait le mérite de décrire l'aspect matériel du développement de la ville. Au contraire la définition qui nous semble plus opérationnelle est celle qui consiste pour Manuel Castells à voir également dans l'urbanisation la manifestation et la diffusion d'une certaine culture urbaine. Il écrit en effet que « le terme d'urbanisation se réfère à la constitution de formes spatiales spécifiques des sociétés humaines, caractérisées par les concentrations significatives des activités et des populations sur un espace restreint, ainsi

Connaissances conceptuelles et théoriques

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qu'à l'existence et à la diffusion d'un système culturel particulier, la culture urbaine » (Manuel Castells, 1981 : 32). Cette culture urbaine, de l'avis de Yves Grafmeyer n'abolit pas les cultures préexistantes. Et c'est bien à ce titre qu'il réfute la notion de personnalité urbaine. Selon lui, « il est bien vrai par exemple que vie urbaine n'abolit pas les relations « primaires » qui peuvent au contraire s'affirmer avec une particulière vitalité dans tel groupe, tel milieu ou tel quartier des grandes agglomérations. (...) Il y a des manières bien différentes de vivre en ville » (Yves Grafmeyer, 1994 :16).

Considérons à présent les éléments de l'urbanisation de la ville de N'Djaména, précédemment Fort Lamy et capitale du Tchad. N'Djaména, comme les autres villes du Tiers-Monde, se caractérise par un accroissement démographique très rapide et anarchique, entraînant avec lui bien d'autres problèmes. Mais que constate-t-on de spécifique à la ville de N'Djaména pour mériter cette attention ? Il importe de préciser cette spécificité, s'il y en a une, dans la mesure où, en tant que ville du Tiers-Monde en pleine urbanisation, N'Djaména rencontre presque les mêmes problèmes de gestion urbaine auxquels sont confrontés toutes les autres villes de la même catégorie. Il faut noter que cette similitude contextuelle permet à elle seule de réaliser ce genre d'étude aussi bien à Yaoundé, qu'à Abidjan, Cotonou, ou dans n'importe quelle autre ville africaine ou du Tiers-Monde.

S'agissant de la croissance de la population de N'Djaména, on peut constater qu'elle est passée de 100.000 habitants en 1964 à 530.965 habitants en 1993 (Cerpod, 2003). On constatera qu'alors que la population totale du Tchad entre ces deux dates a sensiblement doublé en passant de 3.254.000 habitants à 6.279.931 habitants, celle de N'Djaména a été multipliée par six en 29 ans. Cette population devrait atteindre le chiffre de 1.012.456 habitants en 2005 selon les prévisions du Bureau Central des Etudes et d'Equipement d'Outre-Mer (BCEOM), un cabinet d'étude français qui a réalisé une série d'études sur l'amélioration de la gestion des déchets solides urbains à N'Djaména. Or N'Djaména est une ville extrêmement sous équipée en infrastructures et services urbains. Il s'agit donc d'une situation de déséquilibre entre cette augmentation de la population urbaine et son encadrement du point de vue de la gestion urbaine. Ce qui pose concrètement un problème de logement de la population excédentaire, de son instruction, d'éclairage public et d'aménagement des espaces publics, de transport bref de son approvisionnement en biens et services divers, plongeant ce faisant, la ville dans une certaine crise, la crise urbaine qui dérive d'une crise générale d'ordre politique9.

9 Nous faisons ici allusion aux coups d'Etat militaires de1975 et celui de 1990 qui encadrent la période d'instabilité politique du Tchad. Le pays est toujours en quête d'une stabilité politique qui n'est pas encore véritablement acquise. Connaissances conceptuelles et théoriques

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Quant à l'extension géographique - qui n'est pas planifiée- elle se caractérise par une apparition de nouveaux quartiers aux périphéries de la ville. C'est ce que Jean Marc Ela (1982 : 66) appelle « le fléau des bidonvilles ». Tout ceci pose de sérieux problèmes notamment lors des aménagements des voies urbaines, d'adduction d'eau etc. Bref il n'est pas osé de dire que les quartiers périphériques de N'Djaména sont les parents pauvres de la gestion urbaine dans cette ville. C'est dans cette situation qu'apparaissent de nouveaux acteurs privés prenant en charge, à côté des services officiels de l'Etat, l'éducation, la sécurité dans certains quartiers et notamment la gestion des ordures ménagères.

La gestion des ordures n'est certainement pas le problème le plus crucial de la gestion urbaine de N'Djaména dans ce contexte de crise mais elle est de toute évidence, avec l'éducation, le secteur qui reçoit le plus d'attention tant des acteurs privés nationaux qu'internationaux. Il s'agit tout particulièrement des comités d'assainissement (CA) qui sont des initiatives supposées être impulsées par les populations elles-mêmes, et sur lesquelles se grefferaient les interventions de divers acteurs non gouvernementaux. Il y a en tout cas une certaine structuration de l'action privée autour de ce secteur qui souffre des déséquilibres entre les besoins importants d'assainissement des quartiers et les ressources communales insuffisantes, comme dans la plupart des villes africaines.

Catherine Farvacque-Vitkovic et Lucien Godin (1997 :17) constatent en effet que dans la plupart des pays africains les ressources des communes urbaines « progressent à un rythme moindre que la croissance démographique. [Et qu'une] dynamique analogue transparaît entre la dynamique des villes et la faiblesse générale de l'encadrement technique municipal ». A N'Djaména, l'action de la commune urbaine en matière de collecte des ordures ménagères se limite essentiellement aux quartiers administratifs, résidentiels et au marché central. D'où cette idée s'agissant des quartiers périphériques et mêmes les quartiers centraux populaires. Evidemment les enquêtes de terrains que nous avons mené à N'Djaména et qui nous ont permis de collecter les données sur lesquelles nous fondons nos réflexions ici corroborent ce constat d'ordre général. En sus de l'inexistence d'infrastructures de gestion des ordures ménagères dans les quartiers périphériques, nous apprenons des populations que la desserte du service officiel n'est pas assurée. D'où d'ailleurs leurs plaintes : « On nous oblige à payer des taxes... pourtant la mairie ne réalise aucune action d'assainissement ici chez nous ».

Connaissances conceptuelles et théoriques

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Ce qui est ainsi dépeint est une situation coloniale qui résiste aux idéaux de la gestion urbaine. En effet, les villes coloniales d'Afrique étaient divisées grosso modo en deux grands quartiers : les quartiers habités par les colons Européens et les quartiers indigènes. Et seuls les quartiers européens bénéficiaient d'un service public régulier. Et la plupart des villes africaines créées à cette période ont hérité de cette situation discriminatoire. Plus généralement, J-M Gibbal (1974 : 10) écrit que dans les centres urbains d'Afrique, « le tissu urbain, sur le plan architectural et sur le plan des fonctions remplies, ne présente ni continuité ni homogénéité. Les fonctions urbaines se concentrent dans quelques quartiers privilégiés, en général dans les quartiers centraux anciens [qui sont des anciens quartiers de résidence coloniale], et dans ceux habités par les strates de population les plus fortunées. » Aujourd'hui, après quarante quatre ans d'indépendance, on n'est pas plus avancé en cette matière au Tchad particulièrement pour ce qui concerne l'accès de certaines couches sociales aux services officiels de l'Etat (notamment l'enlèvement des ordures, l'alimentation des quartiers en eau et électricité).

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry