1.3. LA VILLE
La définition du mot ville ne réalise pas
l'unanimité de toutes les disciplines qui se proposent d'en donner les
traits caractéristiques. Selon Max Weber (1986 :17) « on peut
tenter de définir une ville de manière très
différente. Toutes ces définitions ont un seul point commun : la
ville ne consiste pas en une ou plusieurs habitations implantées
séparément, elle constitue, en tout cas un habitat
concentré (au moins relativement), une localité. Dans les villes
(mais pas seulement là) les maisons sont construites très
près les unes des autres. D'ailleurs aujourd'hui la règle est de
les bâtir mur contre mur ». Il relève fort heureusement que
ce n'est pas seulement en ville que les habitations sont concentrées car
on ne saurait se
Connaissances conceptuelles et théoriques
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
29
|
fonder sur la nature de l'habitation pour définir la
ville. L'habitation concentrée se retrouve aujourd'hui aussi bien en
ville qu'en campagne.
Le système des Nations Unies (Tricaud, 1996 :13)
apporte une lumière à l'imprécision que manifeste la
concentration d'habitation caractéristique de la ville selon Max Weber.
Selon les Nations Unies en effet, il s'agit de considérer comme ville
les constructions éloignées de moins de 200 à 500
mètres13. Ce critère est également retenu par
l'Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (l'INSEE) de
Paris (Tricaud ; 1996 :19).
Le défaut de ce critère est qu'il peut aussi
bien servir à caractériser la ville que transformer une
agglomération rurale en ville. Il suffit par exemple qu'un bloc de
construction se situe à 200 mètres ou 500 mètres (selon
les régions) entre une ville et une campagne pour transformer aussi bien
ce bloc de construction, cette campagne que tous les autres villages
situés à pareille distance de celle-ci en ville.
Un autre écueil semble être « la valeur du
seuil de la population au-dessus duquel une agglomération
peut-être appelée ville. Ce seuil varie de 2000 à 50.000
habitants selon les pays » (Tricaud,1996 :13). Il existe pourtant des
agglomérations rurales dont la population dépasse bien ce seuil.
M. Weber (1986 ,17), à son époque déjà relevait qu'
« Il y a dans la Russie (...) des villages (par exemple dans la zone de
résidence polonaise de l'Est de l'Allemagne) qui, avec plusieurs
milliers d'habitants sont bien plus grands que maintes villes qui ne comptent
que quelques centaines d'habitants ». Jean-Bernard Charnier (1988 :12)
relève heureusement que « de fait, certains pays font appel, pour
définir leurs villes, à des critères qui ne sont pas
simplement numériques : d'ordre administratif14 (...);
fonctionnel15 (...) ou encore urbanistique 16(...)
».
Si par contre on cherche une définition purement
économique poursuit Max Weber (1986 ,17), « la ville serait une
agglomération dont la plupart des habitants vivent de l'industrie ou du
commerce et non de l'agriculture ». Il faut faire attention de ne pas y
inclure « les villages industriels ». Il existe cependant une
agriculture urbaine dans les pays
13 Selon les régions : 200 mètres en
Europe, 500 mètres en Amérique latine.
14 Chef-lieux de municipalité au Brésil,
au Tchad, chef-lieu de poste administratif.
15En Tchécoslovaquie, les villes doivent avoir
au moins deux médecins, une pharmacie, divers équipements
scolaires et moins de 15% de population active agricole.
16Au Bengladesh, une commune urbaine doit avoir au
moins 5000 habitants et disposer en outre de l'eau potable de
l'électricité, et l'évacuation des eaux usées, et
comporter des rues ou places numérotées. Connaissances
conceptuelles et théoriques
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
30
|
en développement notamment en Afrique noire qui, selon
Tricaud (1996 :42), est « la source principale ou complémentaire de
revenu de survie de beaucoup de citadins ».
Cet auteur nous propose une définition de la ville qui
procède de la notion d'espace urbain. Il identifie « la parcelle
comme unité d'occupation du sol homogène, non divisée,
avec un même utilisateur ou groupe d'utilisateurs » ( Tricaud, 1996
: 19). Il part donc de cette définition, pour aboutir à celle
précise de la ville. Selon lui, « on peut appeler parcelle
bâtie ou revêtue, ou encore parcelle urbaine, une parcelle portant
un bâtiment ou majoritairement couverte d'un revêtement
empêchant la végétation (dallage, ciment, enrobé...)
ou sol suffisamment tassé pour limiter celle-ci et pour assurer la
circulation (cour de marché, etc.) ». Il appelle espace urbain
l'ensemble des parcelles bâties ou revêtus. Il en arrive ainsi
à définir la ville comme étant un « espace urbain de
surface ou de population supérieure à un seuil donné
». Le seuil de cette population est celui mentionné plus haut.
Cette définition qui procède par
découpage rigoureux des éléments qui la compose a
l'avantage de donner une idée de ce qu'on appelle parcelle urbaine,
espace urbain. Mais la définition de la ville elle-même qui en
découle n'est peut-être applicable qu'aux villes des pays
développés et hautement industrielles car dans beaucoup de villes
des pays en voie de développement, on pratique une agriculture urbaine
comme nous l'avons relevé ailleurs et qui crée en ville une
végétation qui, en principe, n'existe pas dans la ville telle que
la définit Tricaud. De plus, dans les pays tropicaux humides du fait du
climat, se développe une végétation urbaine abondante
comme on peut le remarquer à Yaoundé par exemple.
Ce recensement des caractéristiques physiques de la
ville nous permet certes de constater et de prendre en compte la
totalité du fait urbain. Mais comme le font observer les auteurs de
l'Ecole de Chicago, la ville n'est pas seulement un mécanisme
matériel et une construction artificielle. Selon ces auteurs en effet,
« la ville est quelque chose de plus qu'une agglomération
d'individus et d'équipements collectifs : rues, immeubles,
éclairage électrique, tramways, téléphone etc. ;
c'est également quelque chose de plus qu'une simple constellation
d'institutions et d'appareil administratifs : tribunaux, hôpitaux,
écoles, postes de police et corps de fonctionnaires de toutes sortes. La
ville est plutôt un état d'esprit, un ensemble de coutumes et de
tradition, d'attitudes et de sentiments organisés, inhérents
à ces coutumes et transmis avec ses traditions. » (Y. Grafmeyer et
al., 1984).
Connaissances conceptuelles et théoriques
Perceptions, espaces urbains et gestion des ordures
ménagères à N'Djaména (Tchad)
|
31
|
Alors qu'entendons-nous finalement par ville dans ce travail ?
D'abord il faut préciser qu'une définition de la ville à
partir de ses caractéristiques physiques propres aux pays
développés est difficilement applicable aux pays en voie de
développement. Définir une ville du Tiers-Monde exige en revanche
la prise en compte des données telles que, la ruralité qui
coexiste dans les agglomérations définies comme ville alors
qu'elle permet, ailleurs, de distinguer la ville de la campagne.
L'agglomération que nous tentons de définir comme ville ici, en
l'occurrence N'Djaména, remplit les critères
démographiques (environ 1000.000 d'habitants), économique,
spatial et elle abrite également la direction des institutions
politiques. Bref, les caractéristiques retenues
précédemment pour définir la ville se retrouvent, à
quelques nuances près dans l'agglomération de N'Djaména.
Mais à ces caractéristiques matérielles,
démographiques, institutionnelles, politiques et administratives nous
ajoutons celles de l'école de Chicago ci-dessus présentées
qui sont en fait une façon d'être au monde urbain.
|