I. PERCEPTION, REPRESENTATIONS, ESPACES URBAINS ET
NOTIONS QUI S'Y RAPPORTENT
1.1. PERCEPTION ET REPRESENTATIONS.
1.1.1. La perception
La perception est un concept que l'on rattache volontiers
à la psychologie et dans une certaine mesure, à la philosophie.
Et dans ces deux sciences, le concept de perception désigne en
général des sensations interprétées. C'est par nos
cinq sens que nous percevons le monde environnant.
Pour la psychologie, la perception est
précisément le processus par lequel les stimulations sensorielles
sont interprétées. Ce processus consiste effectivement à
transformer les messages sensoriels en les rendant compréhensibles,
connus par la personne qui perçoit. Piaget dira d'ailleurs que «la
perception est la connaissance que nous prenons des objets, ou de leurs
mouvements par contact direct » (Georges Thirès , 1985 : 203). Elle
remplit donc une fonction essentiellement cognitive. C'est dire que c'est par
la perception que nous acquérons des connaissances du monde
extérieur. Il convient de noter qu'il y a deux catégories de
facteurs qui gouvernent l'activité perceptive :
- la première est constituée par les facteurs
objectifs, c'est-à-dire extérieurs à l'individu qui
perçoit. Il s'agit en fait des caractéristiques de l'objet
perçu, ses mesures, sa forme, ses couleurs, son goût etc. ;
- la deuxième catégorie de facteurs est
constituée des éléments subjectifs qui tiennent à
la culture, à la personnalité, aux valeurs personnelles ... des
individus. A titre d'exemple, lorsque nous voyons trois points non
alignés, nous y percevons volontiers un triangle quand bien même
ces points ne seraient pas reliés entre eux. Bref, quand un objet est
perçu, il est représenté sous une forme donnée par
le sujet qui perçoit. Il lui donne forme. C'est donc à la
dimension représentative de la perception que nous nous
intéresserons particulièrement. Qu'est-ce alors une
représentation ?
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1.1.2. Représentations.
Comme le constate Gilles Ferréol (2002 : 190) « le
concept de représentation occupe aujourd'hui une place grandissante dans
de nombreuses disciplines (Sociologie, psychologie, psychologie sociale,
science politique...) ». Il est presque à la mode dans les
recherches sociales. Et c'est peut-être parce que c'est un concept
particulièrement savant qu'il est si souvent sollicité comme
objet de recherche. Dans ce travail, nous nous intéressons aux
représentations non pas par effet de mode ni parce que le concept nous
séduit. La séduction du concept aurait pourtant bien pu justifier
un intérêt pour son étude. Aristote, en son temps
déjà avait remarqué que c'est l' «
émerveillement qui poussa l'homme à philosopher ». Mais
notre intérêt pour l'étude des représentations vient
plutôt de ce qu'il est impossible de saisir la perception des espaces
publics et privés et des ordures ménagères sans
déterminer les représentations que les individus s'en font. Mais
une fois de plus qu'est-ce qu'une représentation ?
De façon élémentaire, le Petit Larousse
définit la représentation comme étant « l'action de
rendre sensible quelque chose au moyen d'une figure, d'un symbole, d'un signe
». Selon Denise Jodelet (1989, 37), « Représenter ou se
représenter un objet correspond à un acte de pensée par
lequel un sujet se rapporte à un objet. Celui-ci peut-être aussi
bien une personne, une chose, un évènement matériel,
psychique ou social, un phénomène naturel, une idée, une
théorie, etc. (...) » Il n'y a pas de représentation sans
objet. L'acte de représentation suppose d'abord un sujet et un objet qui
est généralement absent mais qui est rendu présent. C'est
le cas de la représentation théâtrale.
« En philosophie comme en psychologie
génétique, la représentation est l'une des formes de
l'activité symbolique visant à rendre présent un objet
absent (...) La représentation devient une manière de conserver
certaines parties de l'information contenue dans des entités originales,
dans la perspective d'une utilisation différée (Gilles
Ferréol, 2002 : 190). Mais comment la sélection de ces
informations se fait-elle, à quoi obéit-elle ? De plus, comme se
demande Ferréol, y a-t-il une distinction radicale entre l'objet et sa
représentation ? Et dans le cas contraire qu'est-ce qui explique cette
distinction entre un objet et sa représentation, entre une institution
et sa représentation par exemple ?
Dans la perspective psychologique, la représentation
est très souvent confondue à la perception, aux images mentales
dont le contenu se rapporte à un objet, à une situation à
une
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scène, etc., du monde dans lequel vit le sujet. Il
existe différents types de représentations. Ferréol note
que « les représentations sociales (par exemple) se
présentent d'abord sous une grande diversité
phénoménale : image du réel, croyances, valeur,
systèmes de références et théories du social
coexistent le plus souvent » (Gilles Ferréol, 2002 : 189).
Mais si nous admettons avec Jodelet (1989 :37) que les
représentations sociales sont « une forme de connaissance
socialement élaborée et partagée ayant une visée
pratique et concourant à la construction d'une réalité
commune à un ensemble social », nous dirons que les
représentations des espaces urbains consisteront soit dans leur
définition fonctionnelle et formelle, soit dans celle forgée par
le sens commun, soit enfin les deux cas réunis.
1.1..2.1. ESPACES, REPRESENTATIONS ET CONDUITES
Il convient ici de faire une exploration des travaux portant
sur les représentations et de voir ses interactions avec l'espace de vie
des individus.
De l'avis de Jean-Claude Abric (1994:17), les
représentations sociales remplissent plusieurs fonctions. Parmi ces
fonctions il y a les fonctions d'orientations et les
fonctions justificatrices des actions des individus.
Les fonctions d'orientation sont celles qui
guident les comportements et les pratiques. A cet effet il soutient que «
la représentation intervient directement dans la définition de la
finalité de la situation déterminant a priori le type de
relations pertinentes pour le sujet mais aussi éventuellement, dans des
situations où une tâche est à effectuer, le type de
démarche cognitive qui va être adopté. » Jean-Claude
Abric (idem)
Il relève également que la représentation
remplit des fonctions justificatrices des actions des
individus. Ici l'action de représentation se situe en aval du
comportement des individus. En effet, les représentations permettent aux
acteurs « d'expliquer et de justifier leurs conduites dans une situation
ou à l'égard de leurs partenaires. » Ainsi, peut-on dire
que les représentations de l'espace urbain peuvent-elles justifier et/ou
expliquer les usages que les individus en font.
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Par notre représentation de l'espace, nous l'organisons
et lui attribuons des fonctions précises. Ce qui détermine de
facto les comportements des individus vis-à-vis de lui. Selon E.T.
Hall (1966 :130-170), « «l'espace à organisation fixe»
constitue l'un des cadres fondamentaux de l'activité des individus. Il
cite comme espace à organisation fixe les bâtiments construits ou
encore l'intérieur d'une maison occidentale.
Pour ce qui concerne l'organisation de l'intérieur de
la maison occidentale, E.T.Hall (1978, 176) montre qu'on trouve « des
pièces particulières correspondant à des fonctions
particulières telles que la préparation de la nourriture [la
cuisine], la consommation des repas [salles à manger], la
réception et les activités sociales, le repos et le sommeil, la
procréation et même l'hygiène ». Il pense que cette
organisation et la disposition intérieure actuelle de la maison
occidentale - « considérée par les Européens et les
Américains et aujourd'hui par les Africains comme allant de soi » -
est une acquisition récente.
En effet, il rapporte de Philippe Ariès12
que jusqu'au XVIIIe siècle les pièces n'avaient pas de
fonctions fixes dans les maisons européennes. Il s'explique : « les
membres de la famille ne pouvaient pas s'isoler comme il le font aujourd'hui.
Il n'existe pas d'espaces privés ou spécialisés. Les
personnes étrangères à la maison allaient et venaient
à leur gré, tandis que les lits ou les tables étaient
dressés ou enlevés selon l'humeur ou l'appétit des
occupants. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la structure de
la maison a changé. Et on a commencé à distinguer la
chambre de la salle » (E.T.Hall, 1978 : 176). Antoine Prost (1987 : 62)
rapporte que c'est au début du 20 e siècle que « l'ensemble
de la population française a conquis l'espace domestique
nécessaire au développement de la vie privée. » C'est
à ce moment qu'apparaît la compartimentation des habitations au
départ dans les ménages bourgeois. Il écrit que ceux-ci
« avaient de la place : des pièces de réception, une cuisine
et ses annexes pour la ou les domestique(s), une chambre pour chacun des
membres de la famille, et souvent encore quelques pièces. Une
entrée, des couloirs assuraient l'indépendance de ces divers
espaces » (Antoine Prost, 1987 : 62). Les ménages des ouvriers par
contre ne disposaient en général que d'une seule chambre pendant
longtemps.
L'Anglais introduit non seulement une distinction
précise des espaces intérieures désormais fixes des
maisons mais encore désigne ces espaces par des noms comportant leur
fonction. Ainsi on aura par exemple Bedroom littéralement
« salle du lit » qui est la chambre ( à coucher) de nuit ;
dining-room, la salle à manger, etc.
12Dans : L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien
Régime
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La conclusion que nous tirons avec E. T. Hall est qu'à
partir de ce moment de nouveaux comportements se structurent et se
déploient suivant la logique des fonctions attribuées à
chaque espace. En est-il de même pour les espaces urbains qui remplissent
chacun une fonction précise dans la ville ? L'article de Stéphane
Tessier (1999 : 311-324), Marginalisation de l'enfant et espace public
urbain est une sorte de démonstration de cette conclusion.
Stéphane Tessier en effet, fait une
démonstration des usages de l'espace et montre que ceux-ci peuvent
varier par affectation de nouvelles fonctions. Il pose d'abord que l'espace
public ne peut faire l'objet d'appropriation privée ; « la
collectivité autorise une appropriation temporaire de cet espace dans un
cadre fonctionnel parfaitement défini en théorie. La ville
moderne centre sur la circulation et l'échange, l'usage de l'espace dont
elle consent le partage. L'appropriation peut durer quelques minutes ou
quelques secondes, selon le mode de transport utilisé (ou la
durée d'attente du bus ou du taxi). Mais c'est aussi le lieu anonyme de
circulation collective des marchandises, des personnes, et de
l'évacuation des déchets partagés. C'est par la
qualité de cette fonction excrétoire collective que l'espace
public urbain gagne son identité. On dit d'une ville qu'elle est sale ou
propre» (Stéphane Tessier, 1999 : 316).
Les fonctions des espaces publics urbains sont bien
définies mais la logique de leurs usages varie dans le temps. « Un
marché n'a d'usage public que dans la journée, la nuit, il pourra
faire l'objet d'autres usages. Une place pourra être
désertée par les véhicules la nuit, et servir d'abri ou de
lieu de rendez-vous. » Dans les carrefours des rues, le passage au rouge
qui crée l'immobilisation du flot des véhicules « transforme
instantanément ce lieu en marché ou prédomine
l'échange économique entre le véhicule détenteur de
pouvoir d'achat et l'enfant vendeur. Dés que le flot s'immobilise
l'usage de circulation cède la place à celui d'échange. Ce
détournement d'usage de l'espace public, détournement au sens
où il n'était pas prévu par les planificateurs,
crée un interstice spatio-temporel. » L'auteur montre que l'enfant
des rues essaie de survivre en transformant l'espace de circulation urbaine en
espace d'échange. Il y a donc attribution de nouvelles fonctions
à l'espace, non pas au sens mertonien car cette fonction n'est pas
latente ou secondaire. Il y a dédoublement conscient de fonction pendant
un moment précis de l'espace public urbain. Mais on peut
également passer de l'espace public à « l'espace
privé particularisé du fait de l'usage pratique quotidien de cet
espace » suivant un processus d'appropriation de l'espace tel que le
montre bien Pierre Mayol (1994 :18).
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