2- La suprématie controversée des
Etats-Unis
Dans les médias comme dans les discussions, on parle
désormais d'un monde multipolaire. Constat clair mais rejeté par
le complexe de supériorité américain qui estime que nous
sommes partis d'un monde bipolaire à la fin du second conflit mondial
pour arriver à un monde unipolaire à la fin de la guerre froide.
Les Etats-Unis ont régné en Maîtres sur la planète
mais aujourd'hui, le monde multipolaire que R. Aron avait vu se dessiner semble
se réaliser. La Russie se relève de ses décombres et
entend se réaffirmer sur la scène internationale, des nouveaux
« élèves » s'inscrivent dans la
« classe des majors », l'Afrique prend petit à petit
conscience d'elle-même et estime qu'elle a aussi son mot à dire.
Toutes ces nouvelles donnes reconfigurent le monde.
Le jadis gendarme du monde est concurrencé dans ce
rôle, subissant les coups de gueule de la Corée du Nord et de
l'Iran, appuyés eux-mêmes par la Russie. On assiste en effet
à la fin de la récréation russe, suivie d'une nouvelle
coalition communiste.
Malgré la disette des années 90, la Corée
a pu trouver de l'argent nécessaire au développement d'une
industrie nucléaire de guerre, alléguant qu'il s'agissait en
réalité d'une industrie nucléaire de paix, indispensable
à la production d'énergie. Conformément aux habitudes
démocratiques devant des telles menaces, les Etats-Unis
proposèrent aussitôt à la Corée du Nord, au lieu
d'exploiter sa position de faiblesse, de lui fournir, outre une aide
alimentaire, des réacteurs nucléaires civils et du pétrole
gratuit, le tout en échange de l'abandon par elle de toute industrie
nucléaire militaire. Non moins conformément aux habitudes
communistes, la Corée empocha les dons qui, classiquement,
allèrent au confort des dirigeants et non aux besoins du peuple et
travaillèrent de plus belle à leur bombe atomique, en secret,
dans des lieux souterrains. Ils refusèrent les inspections à
moins qu'on ne les payât pour les effectuer. De surcroît, ils
menacent les Etats-Unis de les détruire et d'effacer une fois pour
toutes l'Amérique de la carte du monde. Ce faux courage, relayé
par l'Iran qui entretient sur fond de richesse économique le même
scénario, semble payer au moment où les Etats-Unis sont pris dans
le bourbier iraquien et l'enlisement afghan, et à l'heure où la
politique guerrière de la frappe préventive ne fait plus
l'unanimité au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. A
partir du moment où le monopole de la violence n'est plus détenu
par une seule entité, les inquiétudes augmentent et deviennent
réelles.
La faiblesse actuelle des Etats-Unis vient
précisément de leur incapacité de s'imposer au sein de
l'Organisation des Nations Unies, le droit de veto étant partagé
entre libéraux et communistes ; et le communisme n'est actuellement
rien d'autre que de l'antiaméricanisme. Les révolutionnaires ne
sont pas tous prosoviétiques, mais les révolutionnaires sont
antiaméricains puisque le régime qu'ils ont abattu s'était
de toute façon compromis avec
l' « impérialisme ». Et c'est ainsi que la
Russie se range de leur côté et est prête à les
financer, à leur accorder son véto, pourvue qu'ils s'opposent aux
Américains. L'ennemi d'un ennemi est un ami et dès qu'il est
repéré, il faut lui prêter main forte et pouvoir ainsi se
venger ne serait-ce qu'indirectement.
Le seul recours restant l'OTAN, les Américains s'y
investissent maintenant grandement pour se repositionner, puisque l'Alliance
Atlantique en tant puissance militaire est assujettie aux Etats-Unis qui la
financent et la dirigent.
Ce nouveau paysage est celui d'une multiplication des
occasions de conflits entre le Nord et le Sud, qui accompagne ce qu'il
était convenu d'appeler le Tiers-Monde. Au-delà, c'est l'impact
de la mondialisation sur les équilibres régionaux qui est mis en
lumière. De fait, le conflit en ex-Yougoslavie, les tragédies du
Rwanda et du Burundi, l'intervention en Somalie, l'intensification des conflits
au Proche et Moyen-Orient, ont montré que la fin du système de
Yalta était lourde de conséquences : explosion des
nationalismes, multiplication des conflits, tensions Nord-Sud. A quoi
s'ajoutent la prolifération nucléaire, et les tendances à
substituer au conflit de systèmes idéologiques des conflits de
civilisations. Ce sont là autant d'éléments qui, d'un
côté, rendent précaire le nouvel ordre orchestré, et
de l'autre le rendent plus nécessaire que jamais. Fallait-il laisser le
monopole de la violence à l'« Etat »
américain ou a-t-on bien fait de le partager pour violenter des
minorités sous son regard impuissant ?
Aujourd'hui, les Etats-Unis sont loin d'être, comme
beaucoup le pensent, l'unique superpuissance mondiale. Leur
hégémonique politique, militaire, culturelle, financière
et économique est contestable. Les principales firmes transnationales
sont peut-être nord-américaines mais le monde est désormais
une vaste manufacture où le made in USA n'est plus la seule
mode. La jadis conservation de la haute main sur les nouvelles technologies est
jugée de concurrence déloyale et passible de lourde amende. Le
tout est couronné par une baisse vertigineuse de la monnaie (le
dollar).
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