LA PROBLEMATIQUE DU POLITIQUE DANS DEMOCRATIE ET
TOTALITARISME DE RAYMOND ARON
Par Théodore TEMWA, Doctorant,
Département de philosophie, Université de Yaoundé I,
Cameroun
INTRODUCTION GENERALE
Différentes conceptions ont jalonné l'histoire
de la politique et de la philosophie politique, promouvant au passage
différents types de régimes politiques, mais toujours
obsédées par la question de la recherche du régime le
meilleur. Actuellement, la démocratie est en passe de devenir la mode
politique. Mais il ne s'ensuit pas moins un désenchantement dont les
causes restent à identifier.
Le problème se situe donc au niveau de la pratique
démocratique qui, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, a
du mal à revêtir son costume grec, bousculée dans sa
position confortable par des pratiques totalitaires dont les origines sont
aussi bien externes qu'internes au régime. La question essentielle que
nous nous posons et qui est aussi celle de Raymond Aron est de savoir si
celle-ci est un moyen ou une fin. A supposer qu'elle soit un moyen, quelle est
sa fin ? Cette question est d'autant plus pertinente que de l'avis
d'Hubert Mono Ndjana, la démocratie est un luxe que peuvent se payer les
pays développés et un contresens pour les pays en voie de
développement.
En tout état de cause, une nouvelle conception du
politique s'impose et Raymond Aron l'entreprend, en intégrant et en
dépassant la conception courante. Il existe donc une raison susceptible
d'expliquer l'importance de la problématique du politique chez Raymond
Aron. Il s'agit tout d'abord de recenser, avec l'auteur, les problèmes
internes et externes qui minent la démocratie. Pour lui, la question de
la légitimité de la démocratie considérée
comme le modèle le plus acceptable des sociétés
industrielles, ne se pose plus. Conscient des maux qui la minent sur ses
propres installations, il engage une réflexion sur les conditions de sa
réhabilitation, en proposant les solutions relatives aux dérives
totalitaires. Il nous importe ici de revisiter ces solutions, de les examiner
quant à leur portée et de les confronter aux
réalités politiques actuelles.
La deuxième raison décisive susceptible
d'expliquer cette recherche est la nouveauté que notre auteur introduit
dans la philosophie politique, à savoir la philosophie de
l'économie et la philosophie des relations internationales.
Désormais, la philosophie politique ne s'arrête plus à
l'analyse interne des régimes politiques, mais s'étend aux types
d'économie engendrés et aux types de relations que ceux-ci
produisent et entretiennent sur le plan international. En effet, le
siècle dernier qui a vu naître et se produire intellectuellement
notre auteur, a connu une intensification des relations internationales avec la
Guerre froide qui a suivi logiquement la fin provisoire du second conflit
mondial. Ce sont précisément ces relations internationales qui
ont servi de base à la réflexion politique de R. Aron et y ont
d'ailleurs occupé une grande place aux côtés des questions
économiques et des considérations sur les régimes
politiques. Nous pouvons ainsi diviser la pensée de R. Aron en trois
orientations complémentaires : une philosophie du gouvernement,
suscitée par son admiration pour La Politique d'Aristote, son
rejet de la tyrannie machiavélienne, sa critique de la théorie
marxiste ; et une philosophie des relations internationales axée
sur l'analyse critique et suggestive des politiques extérieures des
différentes formes de gouvernement. Car, faut-il le rappeler, la
politique extérieure d'un Etat dépend de la nature de son
système politique qui dépend à son tour du principe de ce
régime. Il y a donc chez R. Aron une philosophie politique interne qui
s'intéresse à la typologie des régimes politiques,
à leur fonctionnement, à leur historique et à leur
appréciation par rapport au respect des libertés et droits de
l'homme ; mais il y a aussi et surtout une philosophie politique externe
qui s'occupe des relations inter-Etats ou inter-régimes. Les deux sont
reliées par l'économie politique qui emprunte à la nature
des deux. Et c'est là toute l'originalité de sa pensée
politique : il n'est plus seulement question d'étudier la politique
en tant qu'elle s'applique à la cité, mais en tant qu'elle
prépare la cité à se rapporter à d'autres
cités.
Avec les découvertes scientifiques et techniques
réalisées depuis le XVIIIe siècle, le
capitalisme, sous le couvert du libéralisme, s'impose de lui-même
et il serait alors inutile, selon Aron, d'élaborer de nouvelles
théories politico-économiques ; l'heure serait plutôt
à la consolidation de la démocratie libérale avec son
idéal de paix internationale. Ce combat pour la démocratie
constituera la deuxième grande division de notre travail qui
s'achèvera sur une évaluation critique de la pensée
politique de R. Aron. Nous l'actualiserons en la rapportant à la
géopolitique actuelle qui nous présente une nouvelle
configuration mondiale dans laquelle les Etats-Unis ne seraient plus, comme au
temps de R. Aron, les seuls maîtres du monde.
Pour y parvenir, nous analyserons d'abord la pensée
d'Aron, telle qu'exposée dans Démocratie et
totalitarisme, ouvrage dont l'oxymore du titre est assez interpellant.
Nous la critiquerons ensuite dans la perspective de proposer des solutions aux
problèmes qu'elle pose.
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