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Mémoire hors séminaire, 2011
Prof. Jacques de Werra
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Mémoire hors séminaire
LE BREVET EUROPÉEN UNITAIRE
L'UTOPIE DEVIENDRA-T-ELLE
RÉALITÉ ?
Présenté par Myriam AL-MALLAH 14 décembre
2011
I. INTRODUCTION
3
II. APERÇU HISTORIQUE
3
A. LA CONVENTION RELATIVE AU BREVET EUROPÉEN POUR LE
MARCHÉ COMMUN (CONVENTION SUR LE BREVET COMMUNAUTAIRE), FAITE À
LUXEMBOURG LE 15 DÉCEMBRE 1975 ET L'ACCORD EN MATIÈRE DE BREVETS
COMMUNAUTAIRES, FAIT À LUXEMBOURG LE 15 DÉCEMBRE 1989
4
B. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT DU CONSEIL SUR LE BREVET
COMMUNAUTAIRE DU 1ER AOÛT 2000
5
1. Les grands traits de la proposition de
règlement du Conseil sur le brevet communautaire du 1er
août 2000
6
2. Les caractéristiques du brevet
communautaire
7
3. Le système judiciaire
8
4. Les suites données à la
proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire du
1er août 2000
10
C. LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT DU CONSEIL SUR LE BREVET
COMMUNAUTAIRE DANS SA VERSION RÉVISÉE DU 8 MARS 2004 ET LA
CRÉATION D'UN TRIBUNAL POUR LE BREVET COMMUNAUTAIRE
10
1. Le régime linguistique
10
2. Le système judiciaire
11
3. Les suites données aux propositions de
règlement et de décisions
13
D. LE PROJET D'ACCORD SUR LA JURIDICTION DU BREVET
EUROPÉEN ET DU BREVET COMMUNAUTAIRE DU 23 MARS 2009
13
III. LE PROJET D'ACCORD SUR LA
JURIDICTION DU BREVET EUROPÉEN ET DU BREVET COMMUNAUTAIRE DU 23 MARS
2009
14
A. LES CARACTÉRISTIQUES PRINCIPALES DU PROJET D'ACCORD
2009
14
1. Le champ d'application
14
2. Le statut de la Juridiction du brevet
15
3. Les compétences
15
4. Les différentes instances composant la
Juridiction du brevet
16
B. L'AVIS 1/09 DE LA COUR DU 8 MARS 2011
16
1. La recevabilité de la demande
16
2. La compatibilité du projet d'accord
2009 avec le droit de l'Union européenne
17
a. Les articles 262 et 344 du TFUE
17
b. Absence de garanties suffisantes quant au respect de la
primauté du droit de l'Union européenne
18
c. Mise en oeuvre et application du droit de l'Union
européenne par les Etats membres
19
IV. LE NOUVEAU PROJET RELATIF AU
BREVET EUROPÉEN UNITAIRE
20
A. LA COOPÉRATION RENFORCÉE DANS LE DOMAINE DE
LA CRÉATION D'UNE PROTECTION PAR BREVET UNITAIRE
20
B. LA COOPÉRATION RENFORCÉE EN CE QUI CONCERNE
LES MODALITÉS APPLICABLES EN MATIÈRE DE TRADUCTION
21
C. LE PROJET D'UN SYSTÈME DE RÈGLEMENT DES
LITIGES EN MATIÈRE DE BREVETS
23
V. CONCLUSION
24
VI. BIBLIOGRAPHIE
26
I. Introduction
1. Le brevet européen unitaire, qui portait avant
l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne1(*), soit le 1er
décembre 2009, le nom de « brevet communautaire »,
est une institution plutôt vieille. Effectivement, comme le souligne
Schade, « the post-war period, i.e. the 1950s and 60s, was a
particularly creative period for new developments in the field of industrial
property, above all the European patent system. Following the foundation of the
European Economic Community (EEC) in 1957, considerations began that were to
lead to the First Preliminary Draft Agreement on European Patent Law developed
under the leadership of Kurt Haertel and presented in 1962. The European Patent
Convention (EPC) signed in Munich in 1973 and the Convention for the European
Patent for the Common Market (Community Patent Convention - CPC) signed in
Luxembourg in 1975 can be regarded as the patent law achievements of the period
[...] »2(*).
Cependant, après la signature de ces deux conventions, l'Histoire a
démontré qu'une seule d'entre elles avait perduré en
Europe, pour permettre à celle-ci de développer sa politique en
matière de brevets. Il s'agit de la Convention sur la délivrance
de brevets européens (Convention sur le brevet européen) du 5
octobre 1973 (ci-après CBE)3(*). Cette dernière est un instrument
européen, certes, mais sans lien avec la Communauté et sa
législation. À l'inverse, le brevet communautaire, qui devait
être l'autre titre de protection proposé aux inventeurs, n'a pas
connu le sort de son frère aîné, le brevet européen.
En fait, il n'en est resté qu'à l'état de projet
débattu, modifié, tombé dans l'oubli, puis relancé,
à nouveau débattu ad vitam aeternam. C'est pourquoi il
n'existe pas, à l'heure actuelle, de brevet qui soit propre à
l'Union européenne, laquelle a remplacé la Communauté
depuis deux ans.
2. C'est dans ce contexte que va porter l'analyse du
présent mémoire. À cette fin, il serait donc
intéressant de regarder de plus près les diverses étapes
qui ont jalonné le parcours du brevet européen unitaire : un
titre qui, bien qu'il soit une entité presque
« vivante » de par les nombreuses discussions dont il a
été et dont il demeure l'objet, ne produit aucun effet à
l'égard des particuliers. L'examen se fera par conséquent de la
façon suivante. Dans un premier temps, l'on donnera un aperçu
historique de l'institution (II). Celui-ci aura pour
rôle d'exposer les différents projets qui se sont
succédé. Dans un deuxième temps, l'on traitera plus en
détail du projet d'accord sur la juridiction du brevet européen
et du brevet communautaire du 23 mars 2009 (ci-après projet d'accord
2009)4(*)
(III). Pour ce faire, l'on se penchera d'abord sur le projet
d'accord 2009 lui-même, ensuite sur l'avis 1/09 de la Cour de Justice de
l'Union européenne (ci-après la Cour de Justice) rendu à
son sujet. Et, dans un dernier temps, il sera fait l'étude du nouveau
projet relatif au brevet européen unitaire (IV), lequel
sera divisé en trois parties.
II. Aperçu
historique
3. Pour bien comprendre ce qu'est l'institution du brevet
européen unitaire, il est nécessaire de se pencher avant toute
chose sur sa genèse. De cette manière l'analyse de celle-ci
va-t-elle s'intéresser aux différents projets successifs et
à leurs caractéristiques. À cette fin, l'examen se
déroulera en quatre phases. La première portera sur la Convention
relative au brevet européen pour le marché commun (Convention sur
le brevet communautaire), faite à Luxembourg le 15 décembre 1975
(ci-après CBC)5(*) et
sur l'Accord en matière de brevets communautaires, fait à
Luxembourg le 15 décembre 1989 (ci-après ABC)6(*) (A), la
deuxième sur la proposition de règlement du Conseil sur le brevet
communautaire du 1er août 2000 (ci-après proposition
2000)7(*)
(B), la troisième s'attachera à la proposition
de règlement du Conseil sur le brevet communautaire dans sa version
révisée du 8 mars 2004 (ci-après proposition 2004)8(*) et à la création
d'un tribunal pour le brevet communautaire (C) et, finalement,
la dernière au projet d'accord sur la juridiction du brevet
européen et du brevet communautaire du 23 mars 2009
(D).
A. La Convention relative au
brevet européen pour le marché commun (Convention sur le brevet
communautaire), faite à Luxembourg le 15 décembre 1975 et
l'Accord en matière de brevets communautaires, fait à Luxembourg
le 15 décembre 1989
4. La Convention relative au brevet européen pour le
marché commun, plus connue sous le nom de Convention du Luxembourg, a
été élaborée à la même époque
que la CBE (ou Convention de Munich). Les deux instruments n'ont cependant pas
été préparés dans la même optique. En effet,
la première des conventions vise plusieurs buts : créer un
titre communautaire autonome, avec effet unitaire dans tous les Etats de la
Communauté européenne, faire disparaître les distorsions de
concurrence sur le marché commun et établir une seule juridiction
sur le territoire communautaire. La seconde, quant à elle, poursuit
d'autres objectifs : la délivrance unique d'un titre destiné
à éclater en brevets nationaux suivant le nombre d'Etats
désignés et l'harmonisation par les Etats parties à la CBE
de leur droit matériel relativement à la brevetabilité
d'une invention. De cette façon, l'on s'aperçoit que les deux
textes sont mus par des considérations différentes bien que
complémentaires.
5. La principale caractéristique de la CBC consiste
dans la création d'un brevet à effet unitaire. Selon l'article 2,
paragraphe 2, de la CBC, une fois délivré, le brevet
communautaire déploie exactement les mêmes effets d'un Etat
contractant à l'autre. Par ailleurs, le titre de protection est
autonome. Cela signifie qu'il n'est soumis qu'aux dispositions de la CBC et de
la CBE. Cette particularité ne se retrouve pas dans la Convention de
Munich. Dans le cadre de cet instrument, le brevet octroyé par l'Office
européen des brevets (ci-après l'OEB) produit les mêmes
effets qu'un brevet national dans l'Etat membre désigné. En
outre, s'il est annulé par un tribunal national, la nullité
prononcée ne vaut que pour le territoire sur lequel la juridiction
concernée est compétente. En revanche, en cas d'application de la
CBC, et plus spécifiquement de son protocole sur le règlement des
litiges en matière de contrefaçon et de validité des
brevets communautaires (ci-après protocole sur les litiges)9(*), la nullité a, selon
l'article 20 du protocole sur les litiges, effet sur tous les territoires
concernés : « sous réserve de l'article 56
paragraphe 3 de la convention sur le brevet communautaire, une décision
passée en force de chose jugée d'un tribunal des brevets
communautaires de première instance ordonnant l'annulation ou la
modification d'un brevet communautaire produit dans tous les Etats contractants
les effets indiqués à l'article 33 de cette convention ».
Cette disposition simplifie grandement les procédures de nullité.
De plus, le système des traductions de la CBC diffère de celui
prévu dans la CBE. Effectivement, outre l'obligation de traduire la
demande de brevet dans l'une des langues officielles de procédure de
l'OEB au sens de l'article 14, paragraphe 2, deuxième phrase, de la CBE,
il est impératif que le déposant fasse traduire les
revendications de son brevet dans l'une des langues officielles de chacun des
Etats contractants aux termes de l'article 29, paragraphe 1, de la CBC. De ce
fait, il est aisé de constater que l'on a affaire à une
procédure relativement coûteuse.
6. La CBC n'a malheureusement jamais pu entrer en vigueur,
pour cause de retards subis dans les ratifications10(*). Plus
précisément, l'Irlande et le Danemark n'ont pas
désiré avaliser la convention11(*). De cette façon a-t-il fallu attendre
l'année 1989 pour que l'Accord en matière de brevets
communautaires voie le jour. On lui a intégré la CBC, laquelle a
dû souffrir quelques modifications du point de vue juridictionnel, comme
le précise le huitième considérant de l'ABC : «
[...] cette même exigence d'application uniforme du droit conduit
à attribuer à la Cour d'appel commune la compétence pour
décider sur les recours contre les décisions des divisions
d'annulation et de la division d'administration des brevets de l'Office
européen des brevets, en remplaçant ainsi les chambres
d'annulation prévues par la convention sur le brevet communautaire,
telle que signée le 15 décembre 1975 »12(*). L'ABC n'est, à son
tour, pas entré en vigueur. En vérité, selon Ruzek,
« le brevet communautaire, tel qu'imaginé par la CBC,
présentait l'inconvénient d'être à la fois
coûteux en terme de traduction et vulnérable au
contentieux »13(*).
7. La première tentative et ses quelques
révisions subséquentes de création d'un titre
communautaire de protection par brevet ont conséquemment
échoué, laissant l'Europe avec deux systèmes de brevet -
l'un national, l'autre issu de la CBE - fragiles face à la concurrence
internationale, notamment américaine et japonaise. Cependant, la CBC a
tout de même poussé certains Etats membres de la Communauté
à harmoniser une partie de leur droit matériel. En effet,
d'après Cook, « the Community Patent Convention 1975, which
however never came into force, has nonetheless served also to harmonize a
number of aspects of the substantive law of patents in many Community Member
States as to what acts infringe, and as to what acts are excepted from
infringement [...] »14(*).
B. La proposition de
règlement du Conseil sur le brevet communautaire du 1er août
2000
8. Suite aux échecs qu'ont été la
Convention sur le brevet communautaire du 15 décembre 1975 et l'Accord
en matière de brevets communautaires du 15 décembre 1989, des
travaux ont dû être entrepris pour trouver une solution à la
création d'un titre communautaire de protection. De cette manière
la Commission européenne (ci-après la Commission) a-t-elle pris
la décision de relancer le débat en élaborant, le 24 juin
1997, le « Livre Vert sur le brevet communautaire et le
système des brevets en Europe » (ci-après Livre
Vert)15(*). Effectivement,
l'Europe demeure depuis longtemps un pôle scientifique assez important au
niveau mondial, mais celui-ci est mal protégé en raison d'un
système de brevet complexe et coûteux. Grâce à son
Livre Vert, la Commission avait désir d'approfondir les questions
suivantes : la création d'un brevet communautaire et la
façon dont ladite création pouvait être mise en place. Dans
tous les cas, il est apparu nécessaire de modifier la CBC sur deux
aspects : les coûts élevés liés à la
traduction et le système juridictionnel prévu. Divers cas de
figure ont donc été envisagés par le Livre Vert. Une fois
ce dernier consulté et débattu, la Commission a adopté, le
5 février 1999, une communication concernant les suites à donner
au document émis en 1997, intitulée la « Communication
de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité
économique et social/Promouvoir l'innovation par le brevet/Les suites
à donner au Livre vert sur le brevet communautaire et le système
des brevets en Europe »16(*). L'on y a fait état d'initiatives relatives au
brevet communautaire. À partir de cette base, la Commission a
décidé d'élaborer une proposition de règlement du
Conseil le 1er août 2000. Pour plus de précisions
à ce sujet, la proposition 2000 va être examinée de la
façon suivante. L'on s'intéressera premièrement à
ses grands traits (1), deuxièmement aux caractéristiques du
brevet communautaire (2), troisièmement au système judiciaire (3)
et quatrièmement aux suites données à ladite proposition
(4).
1. Les grands traits de la
proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire du 1er
août 2000
9. L'objectif principal de la proposition 2000 est de
créer un titre de protection pour les inventions. Selon la Commission,
il est nécessaire d'adopter un règlement, pour éviter que
les Etats membres ne puissent avoir une marge de manoeuvre au niveau de
l'application de la législation communautaire. En vérité,
« ces objectifs ne peuvent pas être réalisés par les
Etats membres individuellement ou collectivement et doivent donc, en raison de
leur incidence transfrontalière, être réalisés au
niveau communautaire »17(*).
10. Par ailleurs, le brevet communautaire issu de la
proposition 2000 est fortement lié au brevet européen. Il est
effectivement prévu que le premier des deux titres de protection soit
délivré par l'OEB, alors que la demande déposée par
le futur titulaire doit désigner le territoire de la Communauté.
De cette façon le brevet communautaire est-il tributaire des
dispositions de la CBE concernant sa délivrance. Par conséquent,
le règlement visé par la proposition 2000 (ci-après
règlement 2000) constitue le cadre juridique de la réglementation
du brevet communautaire, comme le stipule l'article 1 :
« Il est institué par le présent
règlement un droit communautaire en matière de brevets
d'invention. Ce droit s'applique à tout brevet délivré par
l'Office européen des brevets (ci-après dénommé
l'«Office») en vertu des dispositions de la convention sur le brevet
européen du 5 octobre 1973 (ci-après dénommée la
«convention de Munich») pour tout le territoire de la
Communauté.
Le brevet visé au premier alinéa est à
considérer aux fins du présent règlement comme un brevet
communautaire. »
Puis l'article 2, paragraphe 2, du règlement
2000 :
« Le brevet communautaire a un caractère autonome.
Il n'est soumis qu'aux dispositions du présent règlement et aux
principes généraux du droit communautaire. Toutefois, les
dispositions du présent règlement n'excluent pas l'application du
droit des Etats membres concernant la responsabilité pénale et la
concurrence déloyale. »
11. En outre, l'organe chargé de délivrer le
titre n'est autre que l'OEB, en vertu de l'article 1 du règlement 2000,
mais, pour qu'il détienne cette compétence, il est absolument
indispensable de réviser au préalable la Convention de Munich.
Pourtant, d'après la Commission, la proposition 2000 n'a pas pour but de
modifier la structure en vigueur de la CBE, quoique des discussions au sujet de
sa révision aient cours.
12. Afin que le règlement 2000 prenne sa pleine mesure,
il est toutefois nécessaire que la Communauté devienne partie
à la CBE. Ainsi l'adhésion devrait-elle, en toute logique,
précéder l'adoption de la proposition 2000. Cependant, ladite
adhésion ne demeure pas sans poser de problème. Effectivement,
comme l'écrit si bien Ruzek, « l'art. 166 de la Convention de
Munich ne réserve l'adhésion qu'aux seuls États
souverains. Il faudra donc réunir une Conférence diplomatique
pour réviser la convention. Cette révision, pour entrer en
vigueur, devra ensuite être ratifiée par les vingt-sept parlements
nationaux »18(*). Ce qui promet de faire de l'adhésion un
processus long et incertain, vu le manque de garanties relatives à la
ratification par tous les Etats membres de la Communauté. Par ailleurs,
si la CBE était amendée, les modifications apportées
à son texte s'appliqueraient au règlement 2000, en vue d'assurer
une cohérence maximale entre le brevet européen et le brevet
communautaire.
13. De cette façon est-il aisé de constater que
la Commission n'a pas désir de séparer le brevet communautaire du
brevet européen. Ce sont donc, comme déjà
précisé au paragraphe 10, deux institutions fortement
liées l'une à l'autre.
2. Les caractéristiques
du brevet communautaire
14. Le titre de protection créé par le
règlement 2000 possède les caractéristiques suivantes. Aux
termes de l'article 2, paragraphe 1, dudit règlement, le brevet
communautaire doit avoir un caractère unitaire, c'est-à-dire
qu'il est censé produire les mêmes effets partout sur le
territoire de la Communauté. Il est donc impossible à une
législation nationale de soustraire le titre de protection communautaire
aux effets du droit adopté en vertu du Traité instituant la
Communauté européenne (ci-après traité CE)19(*) et du Traité sur
l'Union européenne (ci-après TUE)20(*). Par ailleurs, toujours selon l'article 2, paragraphe
1, du règlement 2000, le brevet communautaire ne peut être
délivré, transféré, annulé ou
s'éteindre que pour l'ensemble dudit territoire.
15. Autre trait important : le coût abordable du
brevet. De cette façon des réductions sont-elles
opérées au niveau des frais de traduction. Afin de
bénéficier de cette aubaine, le demandeur est tout de même
obligé de traduire le fascicule de brevet dans une des langues de
travail de l'OEB, à savoir l'anglais, l'allemand ou le français,
et les revendications dans les deux autres21(*). En ce qui concerne les taxes et autres frais de
procédure, ils doivent être réglés auprès de
l'OEB, instance responsable de l'octroi et de l'administration des brevets
communautaires. Ce procédé évite conséquemment au
futur titulaire de payer lesdits frais à tous les offices nationaux
compétents sur les territoires désignés dans la demande de
brevet européen.
16. L'une des caractéristiques du projet consiste
dans son système linguistique. Comme il a été
constaté au paragraphe 5, le système proposé par la CBC
est très coûteux, de même que celui prévu par la CBE
d'avant sa révision en 2000. Ce facteur décourage grandement les
petites et moyennes entreprises, qui sont forcées de dépenser des
sommes astronomiques au regard de leur capacité financière en vue
de traduire le brevet dans toutes les langues indiquées. De cette
manière le règlement 2000 prévoit-il un allègement
considérable en autorisant, ainsi qu'il a été
stipulé au paragraphe 15, la traduction du fascicule dans une seule
langue de travail de l'OEB et celle des revendications, au moment de la
délivrance, dans les deux autres. Toutefois, une traduction risque de
s'avérer nécessaire en cas d'action en contrefaçon contre
un présumé contrefacteur22(*).
17. Finalement, le dernier trait du brevet communautaire
consiste à faire en sorte qu'il coexiste avec les autres systèmes
de brevet, que ces derniers soient nationaux ou issus de la CBE. Ceci
étant précisé, il est indispensable que le demandeur
spécifie, lors du dépôt de la demande de brevet
européen, le territoire sur lequel le droit de propriété
intellectuelle devra produire ses effets, afin d'obtenir le titre de protection
communautaire. Cependant, il est fait interdiction au titulaire d'un brevet de
cumuler plusieurs protections. L'article 54, paragraphe 1, du règlement
2000 l'énonce en ces termes :
« 1. Dans la mesure où un brevet national
délivré dans un Etat membre a pour objet une invention pour
laquelle un brevet communautaire a été délivré au
même inventeur ou à son ayant cause avec la même date de
dépôt ou, si une priorité est revendiquée, avec la
même date de priorité, ce brevet national, pour autant qu'il
couvre la même invention que le brevet communautaire, cesse de produire
ses effets à la date à laquelle:
a) le délai prévu pour la formation d'une
opposition contre la décision de l'Office de délivrer le brevet
communautaire a expiré sans qu'une opposition ait été
formée;
b) la procédure d'opposition est close, le brevet
communautaire ayant été maintenu ou
c) il a été délivré, si cette date
est postérieure à celle visée aux points a) ou b), suivant
le cas. »
18. De surcroît, l'article 56 du règlement 2000
prévoit la création d'un registre des brevets communautaires,
lequel est tenu par l'OEB. Ledit registre doit comporter les indications dont
l'enregistrement est rendu nécessaire par le règlement 2000. Par
ailleurs, il demeure ouvert au public, point important notamment pour
vérifier si l'invention est brevetable du point de vue de l'état
de la technique et pour contrôler si une demande en contrefaçon
est fondée.
19. L'on peut ainsi constater que le brevet issu de la
proposition 2000 apparaît nettement plus abordable que celui prévu
par la CBC, puis par l'ABC. La Commission a manifestement eu à coeur de
le rendre accessible aux entreprises dont les moyens financiers ne sont pas
forcément considérables.
3. Le système
judiciaire
20. La proposition 2000 énonce l'établissement
d'une juridiction communautaire centralisée. Le premier aspect qui en
ressort concerne les litiges entre parties privées. De la sorte un
tribunal communautaire de propriété intellectuelle est-il
prévu par le règlement 2000 et rendu compétent pour des
questions touchant, en particulier, à la validité et la
contrefaçon du brevet communautaire. Pour plus de précisions,
l'article 30, paragraphes 1 et 3, dudit règlement fait la liste des
attributions exclusives de l'instance envisagée :
« 1. Le brevet communautaire peut faire l'objet
d'une action en nullité, en contrefaçon ou en déclaration
de non-contrefaçon, d'une action relative à l'utilisation du
brevet ou au droit fondé sur une utilisation antérieure du
brevet, ainsi que d'une demande en limitation, d'une demande reconventionnelle
en nullité ou d'une demande de constatation d'extinction. Il peut
également faire l'objet d'actions ou de demandes en
dommages-intérêts. [...]
3. Les actions et demandes visées au paragraphe 1 sont
de la compétence exclusive du tribunal communautaire de
propriété intellectuelle. Elles sont portées en
première instance devant la chambre de première instance dudit
tribunal. »
21. Concernant plus spécifiquement les actions
visées aux articles 31 à 36 du règlement 2000, l'article
44 dudit règlement habilite le tribunal communautaire de
propriété intellectuelle à ordonner le versement de
dommages-intérêts pour réparer le préjudice
occasionné ; tandis que les articles 46, 48 et 49 du
règlement 2000 attribuent les compétences judiciaires
résiduelles aux tribunaux nationaux. De surcroît, il est à
noter que le tribunal communautaire de propriété intellectuelle,
lequel, en vertu de l'article 41 du règlement 2000, est compétent
sur tout le territoire de la Communauté, est composé de deux
chambres : l'une de première instance, l'autre de recours. Toutes
deux, d'après l'article 39, paragraphe 3, du règlement 2000,
connaissent tant des questions de fait que de droit. Cette solution a
été préconisée par la Commission, celle-ci estimant
que le brevet communautaire nécessitait une protection
communautaire23(*). Aux
yeux de la Commission, la proposition envisagée apparaît moins
coûteuse pour le titulaire du brevet partie à une procédure
et engendre une plus grande sécurité juridique. Ainsi
l'unicité du droit issu des traités institutionnels et la
cohérence de la jurisprudence communautaire sont-elles
sauvegardées. Par ailleurs, la création d'une juridiction
centralisée permet de décharger, en terme de cas dont il faut
s'occuper, le Tribunal de première instance et la Cour de Justice.
Effectivement, les affaires mettant en jeu des brevets requièrent une
certaine rapidité, mais, à l'heure actuelle, celle-ci
relève plutôt de l'exception. Or, la durée de protection
d'un brevet va jusqu'à vingt ans, cependant elle comprend une
période plus ou moins longue au cours de laquelle le titre de
propriété intellectuelle ne garantit aucun retour sur
investissement, pour cause de recherches devant être effectuées,
de démarches administratives devant être entreprises pour obtenir,
par exemple, des autorisations, etc. C'est pourquoi il importe
d'accroître la vitesse de résolution des litiges impliquant des
brevets.
22. Le deuxième aspect du système judiciaire
porte sur les recours interjetés contre les décisions de l'OEB et
de la Commission. La proposition 2000 prévoit, à cette fin, que
les procédures internes d'opposition et de recours de l'OEB s'appliquent
au brevet communautaire. En revanche, aucun recours auprès de la
juridiction communautaire centralisée n'est possible contre les
décisions de l'OEB24(*). Ce système a été adopté
afin de préserver une certaine unicité dans le traitement des
demandes de brevet européen et communautaire25(*). Ce qui permet aussi de
traiter de façon égale les différents demandeurs. Quant
aux décisions de la Commission, plus particulièrement celles
rendues dans le domaine de la concurrence, elles peuvent être revues par
le Tribunal de première instance, puis par la Cour de Justice.
23. Le troisième aspect du projet, bien plus bref que
les deux précédents, s'intéresse à la relation
entre la proposition 2000 et la Conférence intergouvernementale sur les
réformes institutionnelles. Effectivement, pour que le tribunal
communautaire de propriété intellectuelle puisse être
créé et intégré dans l'ordre juridique
communautaire, il est plus qu'indispensable de réviser le traité
CE et le TUE.
24. Le dernier aspect du système judiciaire,
finalement, concerne la répartition des compétences au sein de la
juridiction communautaire centralisée. Bien que la proposition 2000
serve de fondement à la création d'un tribunal communautaire sur
le brevet, les arrêts de la chambre de recours ne sont pas susceptibles
de recours auprès de la Cour de Justice. De même, le renvoi
préjudiciel, mécanisme auquel il est prévu de recourir en
cas de question apparue lors d'une procédure et requérant les
lumières de la Cour de Justice sur l'application et
l'interprétation de la législation communautaire, n'est
également pas au programme. Si l'on suit le raisonnement de la
Commission, la particularité de la solution proposée ne porte en
aucune manière atteinte à la compétence de la Cour de
Justice en tant qu'instance judiciaire suprême de la
Communauté26(*).
Pourtant, qui d'autre que la plus haute juridiction communautaire
possède toute l'expérience voulue pour donner une juste lecture
des traités institutionnels et des actes contraignants de droit
dérivé ? C'est dénigrer à la Cour de Justice
une compétence qu'elle tient de l'article 19 du TUE.
4. Les suites données
à la proposition de règlement du Conseil sur le brevet
communautaire du 1er août 2000
25. La proposition 2000, bien que présentant une nette
avancée par rapport à la CBC et l'ABC, n'a malencontreusement pas
pu aboutir, en raison des multiples modifications qu'elle a dû subir
suite à l'avis du Comité Economique et social sur la
« Proposition de règlement du Conseil sur le brevet
communautaire »27(*). Plus tard, soit en mars 2004, le Conseil de l'Union
européenne (ci-après le Conseil) a finalisé la proposition
à moult reprises révisée, en y apportant toutefois
d'autres amendements.
C. La proposition de
règlement du Conseil sur le brevet communautaire dans sa version
révisée du 8 mars 2004 et la création d'un tribunal pour
le brevet communautaire
26. Comme il a déjà été
signalé au paragraphe 25, le Conseil a pris la décision
d'apporter quelques modifications à la proposition 2000. Ces
dernières portent plus spécifiquement sur le régime
linguistique (1) et le système judiciaire (2). Par ailleurs, il n'est
pas non plus inutile de s'intéresser aux suites données aux
propositions de règlement et de décisions ci-dessous (3).
1. Le régime
linguistique
27. Le régime linguistique, tel qu'il a
été prévu par la proposition 2000, a été
quelque peu revu. Aux termes de l'article 24 bis du règlement
annexé à la proposition 2004 (ci-après règlement
2004), une certaine complexification a effectivement été
introduite. Alors que la proposition 2000 prévoyait la traduction du
fascicule dans l'une des langues de travail de l'OEB et celle des
revendications dans les trois langues lors de la délivrance du titre de
protection, le régime de la proposition 2004 soutient une politique
selon laquelle le demandeur doit déposer une traduction des
revendications du brevet communautaire dans toutes les langues officielles de
la Communauté. Cependant, une réserve a été faite,
à l'article 24 bis, paragraphe 1, du règlement 2004, pour les
Etats membres qui y renonceraient : « à moins que tous
les États membres dont une langue déterminée est la langue
officielle ou une des langues officielles ne décident de renoncer
à la traduction dans cette langue ».
28. En ce qui concerne les frais liés à la
traduction des revendications, ceux-ci sont à la charge du demandeur,
selon le considérant 5 du règlement 2004. Si le titulaire
potentiel désire éviter des coûts élevés, il
a toujours la possibilité de moduler la longueur de ses
revendications.
29. Au final, cette solution s'avère plus
onéreuse que celle soutenue dans la proposition 2000, mais elle a au
moins le mérite de tenir mieux informé le public quant à
la portée de la protection des brevets communautaires
délivrés par l'OEB.
2. Le système
judiciaire
30. Le système judiciaire et les compétences
attribuées à la juridiction sont précisés à
l'article 30 du règlement 2004. Contrairement à ce qui
était le mot d'ordre en 2000, l'instance compétente pour
connaître des actions visées n'est autre que la Cour de Justice
elle-même. En vérité, l'idée de créer une
juridiction indépendante du système établi par les
traités a été abandonnée en vue de préserver
la cohérence et l'unicité du droit communautaire28(*). Or, d'après les textes
fondateurs, seule la Cour de Justice est habilitée à
connaître des questions d'interprétation et d'application des
traités et des actes dérivés sur le territoire de la
Communauté. C'est pourquoi il a été prévu à
l'article 30, paragraphe 2, du règlement 2004 qu'une décision du
Conseil adoptée en vertu de l'article 229 A du traité CE
attribuerait compétence exclusive à la Cour de Justice. Ladite
décision a fait l'objet d'une proposition de décision
élaborée par la Commission, soit la « Proposition de
décision du Conseil attribuant à la Cour de
justice la compétence pour statuer sur les litiges relatifs au brevet
communautaire » (ci-après proposition de
décision)29(*). La
proposition de décision énonce à son article premier
l'étendue des compétences de la Cour de Justice en matière
de litiges relatifs au brevet communautaire :
« La Cour de justice est seule compétente en
ce qui concerne:
a) la contrefaçon ou la validité d'un brevet
communautaire ou d'un certificat complémentaire de protection
communautaire;
b) l'utilisation d'une invention après la publication
de la demande de brevet communautaire ou le droit fondé sur une
utilisation antérieure de l'invention;
c) les mesures provisoires et de protection des preuves dans
le domaine faisant l'objet de l'attribution de compétence;
d) les dommages-intérêts dans les circonstances
visées aux points a), b) et c);
e) les astreintes en cas de non-respect d'un arrêt ou
d'une ordonnance constituant une obligation de faire ou de ne pas
faire. »
La disposition ci-dessus incarne le parfait reflet des
compétences énoncées dans le règlement 2004. Le
régime prévu ne pourra toutefois pas être mis en place
avant le terme d'une période transitoire s'étendant jusqu'au
1er janvier 2010, en vertu des articles 53 bis du règlement
2004 et 2 de la proposition de décision d'attribution de
compétence à la Cour de Justice. Au cours de ce laps de temps,
l'article 53 ter du règlement 2004 stipule que les juridictions
nationales demeurent habilitées à connaître des litiges en
rapport avec le brevet communautaire. À cette fin, chacun des Etats
membres a l'obligation de désigner les tribunaux compétents, puis
de communiquer son choix à la Commission. Par ailleurs, l'article 3 de
la proposition de décision prévoit que les dispositions 1 et 2
doivent être adoptées et transposées en droit national par
les Etats membres, afin qu'elles produisent leur plein effet.
31. La proposition de décision attribuant
compétence à la Cour de Justice n'est cependant pas suffisante
pour rendre opérationnel le système judiciaire proposé. Il
faut en outre adopter un second acte qui précise quelles sont les
chambres spécifiquement compétentes et quelle est la
procédure à suivre devant elles. Raison pour laquelle la
Commission a élaboré la « Proposition de
décision du Conseil instituant le Tribunal du brevet communautaire et
concernant les pourvois formés devant le Tribunal de première
instance »30(*).
Cette dernière trouve son fondement dans les articles 225 A et 245 du
traité CE. De cette façon la décision proposée
(ci-après décision sur le Tribunal du brevet communautaire)
prévoit-elle, à son article premier, la création d'un
Tribunal du brevet communautaire, adjoint au Tribunal de première
instance, compétent pour connaître, en première instance,
aux termes de l'article premier de l'annexe [II], des litiges relatifs au
brevet communautaire. En instance d'appel, l'article 6 de la décision
sur le Tribunal du brevet communautaire, par le biais de l'introduction de
l'article 61bis au statut de la Cour de Justice, énonce la
compétence du Tribunal de première instance, au sein duquel une
chambre spécialisée en matière de brevets est
instituée. En raison de leurs attributions identiques, les deux chambres
- celle de première instance et celle d'appel - doivent être
soumises aux mêmes règles de procédure31(*). En vertu des articles 3 et 4
de la décision sur le Tribunal du brevet communautaire, il est
prévu certaines modifications du statut de la Cour de Justice pour que
ce dernier soit applicable, à quelques dispositions près, aux
procédures initiées devant les chambres juridictionnelles
compétentes en matière de litiges relatifs au brevet
communautaire. De cette manière une annexe (l'annexe [II]), dont le
contenu est détaillé norme après norme à l'article
4 de la décision sur le Tribunal du brevet communautaire, doit-elle
être ajoutée au protocole du statut de la Cour de Justice.
32. Comme cela a déjà été
précisé au paragraphe précédent, il existe deux
instances en matière de litiges relatifs au brevet communautaire. En
conséquence, lorsqu'une décision a été rendue par
le Tribunal du brevet communautaire et qu'elle n'est pas encore devenue
exécutoire, il est loisible à la partie ayant totalement ou
partiellement succombé en ses conclusions de recourir auprès du
Tribunal de première instance en vertu de l'article 26 de l'annexe
[II]. À cet effet, ladite partie a la faculté d'invoquer
tant des questions de fait que de droit, aux termes de l'article 27 de l'annexe
[II] :
« Le pourvoi peut porter sur des questions de droit
et des questions de fait.
Un pourvoi portant sur des questions de droit est fondé
sur des moyens tirés de l'incompétence du Tribunal du brevet
communautaire, d'irrégularités de procédure portant
atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la
violation du droit communautaire par le Tribunal du brevet communautaire.
Un pourvoi portant sur des questions de fait est fondé
sur des moyens tirés d'une réévaluation des faits et des
preuves soumis au Tribunal du brevet communautaire. De nouveaux
éléments de fait ou de preuve ne peuvent être introduits
que si la partie concernée n'avait raisonnablement pas été
en mesure de les produire en première instance.
Un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le
montant des dépens. »
33. Cependant, aux conditions de l'article 225, paragraphe 2,
du traité CE et dans des circonstances exceptionnelles, il est possible
de demander à la Cour de Justice un réexamen de l'arrêt
rendu par le Tribunal de première instance lors d'un pourvoi contre la
décision du Tribunal du brevet communautaire. À cette fin, un
risque sérieux d'atteinte à l'unité ou à la
cohérence du droit communautaire doit exister.
3.
Les suites données aux propositions de règlement et de
décisions
34. En 2006, suite à une large consultation
lancée par la Commission sur l'avenir politique du brevet en
Europe32(*), bien que
soutenant l'idée de la création d'un titre de protection
communautaire, moult parties se sont plaintes du coût élevé
des traductions à fournir pour le brevet et de la trop grande
centralisation de la juridiction prévue. C'est pourquoi les propositions
de décisions sur l'instance envisagée et de règlement sur
le brevet communautaire ont été abandonnées.
D. Le projet d'accord sur
la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire du 23 mars
200933(*)
35. Une fois sa consultation effectuée en 2006, la
Commission a décidé d'élaborer une communication
intitulée « Améliorer le système de brevet en
Europe » (ci-après Communication 2007)34(*), le 3 avril 2007, en se basant
sur les critiques émises par les parties concernées, dans le but
de tirer les traits d'une nouvelle juridiction pour le brevet communautaire.
L'institution européenne a ainsi constaté l'existence de deux
courants portant sur la création d'une instance compétente pour
les litiges en matière de brevets. Le premier de ces courants trouve sa
concrétisation dans le projet d'Accord sur le règlement des
litiges en matière de brevets européens (ci-après EPLA).
L'EPLA prévoit, en substance, l'établissement d'une Cour
européenne des brevets, composée d'un tribunal de première
instance, d'une cour d'appel et d'un greffe. Elle serait compétente pour
les actions en contrefaçon, en nullité et les demandes
reconventionnelles en nullité. Elle ne connaîtrait cependant que
des litiges relatifs au brevet européen. Le second courant, quant
à lui, préfère la création d'une juridiction
unifiée compétente tant pour les litiges en lien avec le brevet
européen qu'avec le brevet communautaire. Cette instance aurait pour
fondement juridique les dispositions du traité CE. Partisane du
compromis, la Commission a opté pour une solution regroupant les deux
tendances, ce que Cook décrit en ces termes : « [...] a
proposal which would integrate both the EPLA and the Community Patent (should
the latter ever be established), into the Community legal
order »35(*).
L'objectif, effectivement, demeure que tous les Etats membres parviennent
à un consensus sur les caractéristiques de la future instance
juridictionnelle. C'est pourquoi, toujours selon la Commission, il est
nécessaire qu'une seule juridiction soit créée, mais il
serait avisé, dans cette optique, de s'inspirer des dispositions du
projet EPLA36(*). Il
existerait donc des chambres de première instance et une cour d'appel
centralisée. Néanmoins, ces dernières seraient dans
l'obligation de respecter la jurisprudence de la Cour de Justice en
matière de droit communautaire, comme le précise
Seville, « the Commission emphasises that the new patent courts
would be obliged to respect the European Court of Justice as the final arbiter
in matters of EU law, including questions related to the acquis
communautaire and to the validity of future Community
patents »37(*).
Toutefois, pour qu'une telle juridiction se voie attribuer une
compétence en matière de brevets européens, il est
indispensable que la Communauté conclue préalablement un accord
international avec ses Etats membres et les Parties à la CBE.
36. Consécutivement à la Communication 2007, un
groupe de travail du Conseil a pris la décision de se lancer dans
l'élaboration d'un projet d'accord donnant naissance à ladite
juridiction. Celui-ci possède, pour l'essentiel, les
caractéristiques énoncées par la Commission dans sa
Communication 200738(*).
En marge de cette élaboration, la Commission a émis une
recommandation à l'intention du Conseil en vue de l'autoriser à
négocier l'adoption d'un accord créant un système
unifié de règlement des litiges en matière de
brevets39(*). Figurent
à la fin de ladite recommandation des directives de négociation
formulées par le Conseil, afin que les discussions consacrées
à l'adoption du projet d'accord respectent l'acquis communautaire.
37. Quelques jours plus tard, après l'émission
de la recommandation, un projet d'accord a pu être finalisé par le
groupe de travail et a, pour intitulé, le « Projet d'accord
sur la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire du 23
mars 2009 ».
III. Le projet d'accord sur
la juridiction du brevet européen et du brevet communautaire du 23 mars
2009
38. L'analyse du projet d'accord 2009 s'intéressera
tout d'abord à ses caractéristiques principales
(A) et, ensuite, à l'avis donné par la Cour de
Justice de l'Union européenne à son sujet
(B).
A. Les
caractéristiques principales du projet d'accord 2009
39. L'examen de cette partie portera en premier lieu sur le
champ d'application du projet d'accord 2009 (1), en deuxième lieu sur le
statut de la juridiction envisagée (2), en troisième lieu sur les
compétences de ladite juridiction (3) et en quatrième lieu sur
les différentes instances la composant (4).
1. Le champ d'application
40. L'article 3 du projet d'accord 2009 décrit de
façon assez large le champ d'application de l'accord. En ces termes, la
disposition énonce :
« Le présent accord s'applique:
a) à tout brevet communautaire;
b) à tout certificat complémentaire de
protection délivré pour un brevet;
c) à toute licence obligatoire sur un brevet
communautaire;
d) à tout brevet européen qui n'est pas encore
éteint à la date visée à l'article 59 ou qui a
été délivré après cette date, sans
préjudice de l'article 58; et
e) à toute demande de brevet en instance à la
date visée à l'article 59 ou qui a été introduite
après cette date. »
Comme il est aisé de le remarquer, le champ
d'application de l'accord est plutôt étendu. Il s'intéresse
à divers aspects du brevet, incluant même les licences
obligatoires. Cependant, sont seules concernées par l'accord
envisagé les licences obligatoires octroyées sur des brevets
communautaires. Quant aux brevets européens, il est intéressant
de noter que ceux visés à l'article 3 du projet d'accord 2009
sont ceux qui déploient encore leurs effets au moment de l'entrée
en vigueur de l'accord. C'est l'article 59 du projet d'accord 2009 qui traite
de la date à laquelle l'accord deviendra contraignant pour les Etats
parties. De cette façon peut-on constater qu'aucun effet
rétroactif n'a été prévu pour l'accord
international.
2. Le statut de la Juridiction
du brevet
41. En vertu de l'article 3 bis du projet d'accord 2009, la
Juridiction du brevet possède la personnalité juridique. Cela
signifie que chaque Etat contractant se trouve dans l'obligation de lui
reconnaître la capacité juridique la plus large possible,
c'est-à-dire celle prévue par sa législation nationale
à l'égard des personnes morales. Il semble donc évident
qu'un traitement similaire à celui d'une organisation internationale
doit être accordé à l'instance judiciaire envisagée.
Ce qui revient à autoriser la Juridiction du brevet à contracter,
soit se lier contractuellement à des particuliers, acquérir des
biens et ester en justice.
3. Les compétences
42. Les compétences de la Juridiction du brevet, pour
le moins nombreuses, sont énumérées à l'article 15,
paragraphe 1, du projet d'accord 2009, lequel stipule :
« 1) La Juridiction du brevet a une
compétence exclusive pour:
a) les actions en contrefaçon ou en menace de
contrefaçon de brevets et de certificats complémentaires de
protection et les défenses y afférentes, y compris les demandes
reconventionnelles concernant les licences;
a 1) les actions en constatation de
non-contrefaçon;
b) les actions visant à obtenir des mesures provisoires
et conservatoires ou des ordonnances;
c) les actions en nullité ou les demandes
reconventionnelles en nullité de brevets;
d) les actions en dommages-intérêts ou en
réparation découlant de la protection provisoire
conférée par une demande de brevet publiée;
e) les actions relatives à l'utilisation de l'invention
avant la délivrance du brevet ou au droit fondé sur une
utilisation antérieure du brevet;
f) les demandes d'octroi ou de révocation de licences
obligatoires sur les brevets communautaires; et
g) les actions en réparation concernant les licences au
sens de l'[article 20, paragraphe 1], du règlement (CE) n°... du
Conseil sur le brevet communautaire. »
43. En revanche, l'article 15, paragraphe 2, du projet
d'accord 2009 spécifie que les compétences concernant des actions
relatives aux brevets communautaires et aux brevets européens, qui n'ont
pas été attribuées à la Juridiction du brevet,
appartiennent aux tribunaux nationaux des Etats contractants.
44. Outre les compétences dites exclusives de l'article
15, paragraphe 1, du projet d'accord 2009, il est également loisible
à la Juridiction du brevet de saisir la Cour de Justice pour que cette
dernière statue sur des renvois préjudiciels, en vertu de
l'article 48 dudit projet. Cette procédure est prévue pour les
cas où des questions de droit se poseraient devant la Juridiction du
brevet ; celles-ci doivent porter sur l'interprétation des
traités institutionnels et des actes contraignants de droit
dérivé adoptés par les institutions européennes,
ainsi que sur la validité de ces derniers. Il ne s'agit néanmoins
que d'une faculté pour le tribunal de première instance, alors
que la cour d'appel se doit d'en faire usage. De cette manière l'article
48 du projet d'accord 2009 permet-il une application uniforme du droit
communautaire.
45. Afin que la Juridiction du brevet puisse exercer
pleinement ses compétences, il est indispensable que ses
décisions aient la plus grande portée. Conséquemment, aux
termes de l'article 16 du projet d'accord 2009, les arrêts rendus par
ladite juridiction produisent leurs effets sur tout le territoire de la
Communauté. Cependant, ce n'est le cas que si les litiges concernent des
brevets communautaires. En revanche, si l'instance judiciaire envisagée
connaît d'un différend mettant en jeu un brevet européen,
les jugements deviennent exécutoires sur le territoire des Etats
contractants désignés par ledit brevet.
4. Les différentes
instances composant la Juridiction du brevet
46. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, du projet d'accord
2009, la Juridiction du brevet est composée de deux instances, le
tribunal de première instance et la cour d'appel, et d'un greffe. La
première de ces instances comprend, selon l'article 5, paragraphe 1,
dudit projet, une division centrale et des divisions locales et
régionales. L'article 7, paragraphe 1, du projet d'accord 2009, quant
à lui, prévoit que la seconde des deux instances siège en
chambres constituées de juges de diverses nationalités.
47. Concernant plus spécifiquement le tribunal de
première instance, l'article 15 bis du projet d'accord 2009
énonce la façon dont sont distribuées les
compétences entre les différentes divisions. Ces attributions
visent les actions énumérées à l'article 15 dudit
projet.
48. Si une partie a totalement ou partiellement
succombé en ses conclusions, elle a la faculté de faire appel de
la décision du tribunal de première instance auprès de la
cour d'appel. Mais, à cette fin, les conditions de l'article 45 du
projet d'accord 2009 doivent être remplies. Ce n'est que de cette
manière que la cour d'appel entrera en matière et statuera.
49. Comme il a été spécifié au
paragraphe 46, il est institué un greffe en vertu de l'article 8 du
projet d'accord 2009. Le paragraphe 1 de cette disposition, notamment,
précise que les fonctions sont fixées par le statut de la
Juridiction du brevet, lequel est annexé à l'accord. C'est
l'article 18 dudit statut qui en dresse une liste non-exhaustive.
B. L'avis 1/09 de la Cour
du 8 mars 201140(*)
50. Avant de concrétiser et de proposer à la
signature le projet d'accord 2009, le Conseil a décidé d'user de
la faculté prévue à l'article 218, paragraphe 11, du
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
(ci-après TFUE)41(*) pour demander à la Cour de Justice un avis sur
la compatibilité dudit projet avec les traités
institutionnels.
1. La recevabilité de la
demande
51. La Cour de Justice, avant de se lancer dans l'examen du
projet d'accord 2009, s'est d'abord interrogée sur la
recevabilité de la demande d'avis. De cette façon l'instance
suprême a-t-elle distingué trois aspects à la question. Le
premier concerne le degré de précision du projet d'accord.
À ses yeux, les documents présentés par le Conseil
étaient suffisamment le contenu et le contexte de l'accord
envisagé. Le deuxième aspect, quant à lui, vise le
degré d'avancement suffisant du processus décisionnel relatif au
projet d'accord. À cet effet, la Cour de Justice rappelle qu'elle peut
être saisie d'une demande avant même le début des
négociations d'un traité international. Le troisième pan
de la recevabilité, finalement, porte sur l'équilibre
institutionnel entre les différents organes de l'Union
européenne. Selon la Cour de Justice, il n'a pas été
violé, puisque l'article 218, paragraphe 11, du TFUE autorise les
institutions à introduire des demandes individuelles, sans la
nécessité d'un accord préalable entre elles. En
conséquence, la Cour juge la demande du Conseil recevable.
2. La compatibilité du
projet d'accord 2009 avec le droit de l'Union européenne
A. Les articles 262 et 344
du TFUE
52. La question de la compatibilité du projet d'accord
2009 s'est posée au niveau du fond. De façon liminaire, la Cour
de Justice a estimé que la création d'une juridiction
spécialisée ne violait pas les articles 262 et 344 du TFUE,
lesquels pourraient éventuellement s'opposer à un tel transfert
de compétence.
53. Tout d'abord, l'article 262 du TFUE. Ce dernier a pour
contenu le suivant :
« Sans préjudice des autres dispositions des
traités, le Conseil, statuant à l'unanimité,
conformément à une procédure législative
spéciale et après consultation du Parlement européen, peut
arrêter des dispositions en vue d'attribuer à la Cour de justice
de l'Union européenne, dans la mesure qu'il détermine, la
compétence pour statuer sur des litiges liés à
l'application des actes adoptés sur la base des traités qui
créent des titres européens de propriété
intellectuelle. Ces dispositions entrent en vigueur après leur
approbation par les États membres, conformément à leurs
règles constitutionnelles respectives. »
Au cours des auditions qui ont précédé
l'adoption de l'avis 1/09, cinq Etats membres se sont élevés
contre l'application de la disposition en question. En effet, selon Pagenberg,
« those that rejected Art. 262 TFEU as a legal basis argued that,
according to its text, «to confer jurisdiction ... on the Court of Justice
[pertaining to] acts which create European intellectual property
rights,» Art. 262 only specifies the possibility of conferring
jurisdiction on the Court of Justice in respect of disputes relating to EU
patents, but not in respect of disputes relating to EP
patents »42(*). Mais la Cour de Justice ne partage pas leur
point de vue. Si l'on en croit son analyse, l'article 262 du TFUE
n'entraîne pas un monopole au niveau des litiges impliquant des titres
européens de propriété intellectuelle. De cette
manière les Etats membres restent-ils libres, dans la mesure où
ils respectent le droit de l'Union, d'organiser leur cadre juridictionnel comme
ils l'entendent.
54. Enfin, l'article 344 du TFUE. Celui-ci stipule que
« les États membres s'engagent à ne pas soumettre un
différend relatif à l'interprétation ou à
l'application des traités à un mode de règlement autre que
ceux prévus par ceux-ci ». Selon l'examen de la Cour de Justice, le
projet d'accord 2009 ne viserait que les litiges entre particuliers, sans
rapport avec des questions d'interprétation ou d'application des
traités.
55. Mais la compatibilité du projet d'accord 2009 avec
les traités institutionnels ne va pas plus loin. Ce dernier pose
effectivement des problèmes au niveau du respect de la primauté
du droit de l'Union européenne (b) et de la mise en oeuvre et
de l'application du droit issu des traités par les Etats membres
(c).
B. Absence de garanties
suffisantes quant au respect de la primauté du droit de l'Union
européenne
56. La Cour de Justice rappelle que les traités de
l'Union européenne, c'est-à-dire le TUE43(*) et le TFUE, ont
créé un nouvel ordre juridique au sein de l'ordre juridique
international. Il est ainsi doté d'institutions auxquelles les Etats
membres ont volontairement transféré des compétences.
Celles-ci octroient auxdites institutions une certaine autonomie. Il en
résulte que les actes adoptés par les organes de l'Union
jouissent de la primauté du droit de l'Union européenne de
même que de l'effet direct pour certains d'entre eux, à l'image
des règlements. En conséquence, les Etats membres se trouvent
dans l'obligation de respecter le droit issu des traités et de
l'appliquer. L'article 4, paragraphe 3, alinéas 1 et 2, du TUE rappelle
le principe en ces termes :
« En vertu du principe de coopération loyale,
l'Union et les États membres se respectent et s'assistent dans
l'accomplissement des missions découlant des traités.
Les États membres prennent toute mesure
générale ou particulière propre à assurer
l'exécution des obligations découlant des traités ou
résultant des actes des institutions de l'Union. »
57. Afin de contrôler le respect et l'application
correcte du droit de l'Union, il importe de faire appel aux juridictions
nationales et à la Cour de Justice. Ces instances ont pour mission
d'interpréter et d'appliquer le droit primaire, lequel découle
directement des traités, et le droit secondaire, lequel trouve son
origine dans les actes adoptés en vertu des textes fondateurs. Selon
l'article 19, paragraphe 1, du TUE, un système juridictionnel complet
est ainsi mis en place. Or, la création de la Juridiction pour le brevet
européen et le brevet communautaire ne suit pas la logique voulue par
les traités institutionnels. En effet, ladite juridiction se situe en
dehors du cadre prévu par l'article 19, paragraphe 1, du TUE. On lui
octroie une personnalité juridique propre et des compétences
exclusives au sens de l'article 15 du projet d'accord 2009. L'instance
envisagée s'arroge conséquemment des attributions normalement du
ressort des juridictions nationales, lesquelles en sont privées par
l'accord. Au point 79 de l'avis 1/09, la Cour de Justice le stipule sans
équivoque possible :
« En ce qui concerne le projet d'accord soumis
à l'examen de la Cour, il importe d'observer que la JB:
- se substitue, dans le domaine de ses compétences
exclusives, énoncées à l'article 15 de ce projet d'accord,
aux juridictions nationales,
- prive alors ces dernières de la faculté de
saisir la Cour de renvois préjudiciels dans ledit domaine,
- devient, dans le domaine de ses compétences
exclusives, l'interlocuteur juridictionnel unique de la Cour, dans le cadre
d'une procédure de renvoi préjudiciel, concernant
l'interprétation et l'application du droit de l'Union et
- est chargée, dans le cadre desdites
compétences, conformément à l'article 14 bis dudit projet
d'accord, d'interpréter et d'appliquer le droit de l'Union. »
58. Mais cet aspect n'est pas le seul sujet de
préoccupation de la Cour de Justice. Au cours de l'audition du 18 mai
2010, il est effectivement apparu que le fait de transférer des
compétences communautaires à l'OEB posait des problèmes de
conformité avec le droit de l'Union. Pagenberg l'explique ainsi :
« that the Court was not interested in a virtual granting
construction became clear when the Advocate General again pressed for precise
answers as to whether indeed no judicial EU instance is foreseen to control the
granting process of EU patents, and whether the EU Council does not see a
problem concerning the jurisdiction of the EU legal system and the Court. The
President of the Court was also obviously concerned about the lack of legal
review and judicial control by the EU over adverse decisions by the EPO, since
he expressly called this an important question. When the representative of the
Commission answered that an appeal was possible (within the EPO, namely to the
Appeal Board) and, as an alternative, that the Boards of Appeal could be given
the right to refer questions on interpretation of EU law to the Court, the
President found this «a little surprising» »44(*). D'ailleurs, Pagenberg ne
manque pas de souligner, tout au long de son article, à quel point la
carence au niveau du contrôle sur les décisions de l'OEB est
préoccupante.
59. Pour toutes ces raisons, la Cour de Justice
considère que les garanties en vue de veiller au respect du droit de
l'Union ne sont absolument pas suffisantes, et ce, d'autant plus que la
Commission n'a pas semblé consciente du problème soulevé
au cours des auditions.
C. Mise en oeuvre et
application du droit de l'Union européenne par les Etats membres
60. La Cour de Justice tient à signaler que le droit de
l'Union doit être appliqué de façon équivalente dans
chaque Etat membre. C'est pourquoi le mécanisme du renvoi
préjudiciel de l'article 267 du TFUE a été prévu.
Celui-ci l'énonce de la manière suivante :
« La Cour de justice de l'Union européenne
est compétente pour statuer, à titre préjudiciel :
i. sur l'interprétation des traités,
ii. sur la validité et l'interprétation des
actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.
Lorsqu'une telle question est soulevée devant une
juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle
estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre
son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.
»
61. Le mécanisme décrit ci-dessus a pour
objectif une application uniforme du droit de l'Union sur le territoire de tous
les Etats membres. De cette façon, si un manquement dû à la
faute d'un Etat membre venait à être constaté à
l'égard d'un particulier, ledit Etat membre serait dans l'obligation de
réparer le dommage causé. Par ailleurs, si la violation du droit
de l'Union était commise plus spécifiquement par une juridiction
nationale, les procédures visant à faire constater un manquement
de l'Etat membre concerné prévues aux articles 258 à 260
du TFUE pourraient s'appliquer. Or, si le préjudice était
causé par la Juridiction du brevet européen et du brevet
communautaire, il ne serait pas possible de faire constater un tel manquement
et aucune responsabilité ne serait engagée. Ce qui est
inacceptable : un préjudice se doit effectivement d'être
réparé. Au vu de la carence du projet d'accord 2009 à ce
niveau-là, la Cour de Justice le juge incompatible avec le droit de
l'Union.
IV. Le nouveau projet
relatif au brevet européen unitaire
62. L'examen de cette partie se fera en trois phases : la
coopération renforcée dans le domaine de la création d'une
protection par brevet unitaire (A), la coopération
renforcée en ce qui concerne les modalités applicables en
matière de traduction (B) et le projet d'un
système de règlement des litiges en matière de brevets
(C).
A. La coopération
renforcée dans le domaine de la création d'une protection par
brevet unitaire
63. À l'issue d'une vaste consultation des milieux
intéressés lancée par la Commission en janvier 2006, il a
été constaté que le système actuel des brevets en
Europe était peu satisfaisant. Coûteux, complexe, n'encourageant
guère l'innovation, il ne profite pas aux entreprises, qui doivent soit
dépenser des sommes importantes d'argent, soit renoncer à la
protection par brevet. Il en a aussi résulté que l'avis
généralement exprimé par les parties concernées
soutenait l'idée d'un brevet à effet unitaire en Europe, sans
pour autant modifier le système offert par la CBE. C'est pourquoi, sous
l'impulsion de la Commission, décision a été prise par le
Conseil de lancer une coopération renforcée pour créer un
brevet européen à effet unitaire. Cet acte a pour intitulé
la « Décision 2011/167/UE du Conseil du 10 mars 2011
autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la
création d'une protection par brevet unitaire, JO L 76 du 22.03.2011, p.
53ss » (ci-après décision 2011/167/UE).
64. Après que la décision 2011/167/UE a
été adoptée, la Commission a élaboré une
proposition de règlement du Conseil et du Parlement européen
mettant en oeuvre la coopération renforcée dans le domaine de la
création d'une protection par brevet unitaire (ci-après
proposition en matière de création d'une protection)45(*). De cette façon, le
règlement envisagé (ci-après règlement en
matière de création d'une protection) donne naissance à
une protection par brevet au niveau de l'Union européenne. Ce titre de
propriété intellectuelle est, en réalité, un brevet
européen délivré par l'OEB, au sens de l'article 2, lettre
(b), du règlement en matière de création d'une protection,
auquel on attribue un effet unitaire. Cela signifie que le brevet produit, en
vertu de l'article 3, paragraphe 2, premier alinéa, dudit
règlement, les mêmes effets dans tous les Etats participant
à la coopération renforcée. Il n'est pas divisible ; il
forme un tout. Par ailleurs, il est dépendant du brevet européen.
Aux termes de l'article 3, paragraphe 3, du règlement en matière
de création d'une protection, si ledit brevet européen est
révoqué ou limité, l'effet unitaire disparaît
également.
65. À l'instar de tout brevet classique, le brevet
européen unitaire permet à son titulaire d'interdire tout acte
effectué par un tiers qui violerait son droit sur le titre de
protection. Les articles 6 et 7 du règlement en matière de
création d'une protection en sont les fondements juridiques.
Pareillement, il existe des limites aux droits conférés par le
brevet, telles que les actes accomplis dans un cadre privé et à
des fins non commerciales. Ces restrictions sont énumérées
à l'article 8 du règlement en matière de création
d'une protection. En outre, en vertu de l'article 9 dudit règlement,
l'épuisement des droits se fait de la même manière que pour
les autres droits de propriété intellectuelle de l'Union : il
s'agit d'un épuisement régional. De cette manière le
titulaire du brevet européen unitaire ne peut-il s'opposer à des
actes effectués sur le produit couvert par la protection lorsque
l'invention a été commercialisée par lui ou avec son
consentement avant que ledit acte ait été accompli sur le
territoire de l'Union européenne.
66. Par ailleurs, l'article 12 du règlement en
matière de création d'une protection énonce que les Etats
participant à la coopération renforcée confient certaines
tâches à l'OEB. Ce dernier a, par exemple, pour devoir de :
« (a) gérer les demandes d'effet unitaire
présentées par les titulaires de brevets européens;
(b) gérer un registre de la protection par brevet
unitaire dans lequel sont enregistrés l'effet unitaire ainsi que toute
limitation, licence, transfert, révocation ou extinction des brevets
européens à effet unitaire, et l'insérer dans le Registre
européen des brevets; [...]
(d) publier les traductions visées à l'article 6
du règlement .../... du Conseil [modalités de traduction] durant
la période de transition visée à ce même article;
(e) collecter et gérer les taxes annuelles
afférentes aux brevets européens à effet unitaire, pour
les années qui suivent l'année de publication de la mention de
leur délivrance dans le registre visé au point b); collecter et
gérer les surtaxes acquittées pour le paiement tardif des taxes
annuelles dans les six mois qui suivent la date d'exigibilité, et
distribuer une partie des taxes annuelles collectées aux États
membres participants [...]. »
C'est la CBE qui offre cette possibilité à son
article 143.
67. La proposition en matière de création d'une
protection fait subséquemment état de dispositions
financières. Ces dernières précisent de quelle
façon les frais engagés par l'OEB dans son activité
relative aux brevets européens unitaires sont financés et comment
les taxes annuelles, lesquelles servent à financer ladite
activité, sont prélevées et utilisées. Dans tous
les cas, il est indispensable qu'elles soient équitables et
n'empêchent pas les entreprises de rechercher l'innovation.
68. Il est en outre prévu que la Commission soit
dotée, en vertu de l'article 17 du règlement en matière de
création d'une protection, de pouvoirs délégués,
qui consistent à adopter des actes
« délégués ». Elle ne peut cependant
exercer ce pouvoir que dans les conditions spécifiques de la disposition
en question et plus précisément dans le cadre des articles 15 et
16 dudit règlement. Ceux-ci concernent respectivement le niveau des
taxes annuelles et leur répartition entre les Etats participants.
69. Pour l'instant, il n'y a pas eu d'avancée
significative au sujet de la proposition en matière de création
d'une protection. Cela étant dit, il est fort possible de la voir
aboutir à une adoption ultérieure, puisqu'elle est actuellement
en examen chez le Conseil et le Parlement européen.
B. La coopération
renforcée en ce qui concerne les modalités applicables en
matière de traduction
70. L'un des obstacles au développement de l'innovation
en Europe réside dans le coût élevé à payer
pour obtenir une protection par brevet. Quand une entreprise fait le
dépôt d'une demande de brevet européen, elle doit
effectivement le valider dans tous les Etats désignés pour
lesquels la protection est recherchée. Au moment de la validation, une
traduction dans la ou les langues officielles desdits Etats peut être
exigée de la demanderesse si la législation nationale le
prévoit46(*). En
conséquence, si cette procédure est multipliée par le
nombre d'Etats désignés, les frais à débourser
atteignent rapidement des sommes considérables et pèsent lourd
dans le budget des entreprises. Raison pour laquelle la Commission a
élaboré une proposition de règlement pour la
création d'un brevet européen unitaire. Mais cela n'est pas
suffisant. En vérité, il est important de réduire les
coûts au niveau des traductions. Malheureusement, cette solution ne peut
être incorporée dans le même instrument que celui relatif au
brevet unitaire ; il est nécessaire d'en avoir un autre, comme
l'énonce l'article 118, deuxième alinéa, du TFUE,
adopté selon la procédure spéciale.
71. De cette façon la Commission a-t-elle
décidé d'élaborer, le 30 juin 2010, la
« Proposition de règlement (UE) du Conseil sur les
dispositions relatives à la traduction pour le brevet de l'Union
européenne »47(*). Aucune majorité n'a toutefois pu être
recueillie au sein du Conseil, c'est pourquoi ledit règlement n'a pas
été adopté48(*). Puisqu'il était impossible pour tous les
Etats membres de tomber d'accord, un certain nombre d'entre eux a pris les
devants en vue de réaliser une coopération renforcée.
72. Une fois que la décision 2011/167/UE du Conseil
autorisant une coopération renforcée en matière de
protection par brevet unitaire a été avalisée, la
Commission, conjointement à sa proposition de règlement pour
ladite protection, a adopté la « Proposition de
règlement du Conseil mettant en oeuvre la coopération
renforcée dans le domaine de la création d'une protection par
brevet unitaire, en ce qui concerne les modalités applicables en
matière de traduction » (ci-après proposition en
matière de traduction)49(*), le 13 avril 2011. La proposition en matière
de traduction a pour objectif de compléter les instruments juridiques
relatifs au brevet européen à effet unitaire.
73. De cette manière, au sens de l'article 1 du
règlement envisagé (ci-après règlement en
matière de traduction), est-il prévu de mettre en oeuvre la
coopération renforcée en ce qui concerne les modalités de
traduction applicables à la protection par brevet unitaire.
74. L'article 3, paragraphe 1, du règlement en
matière de traduction précise, en outre, les modalités de
traduction en ce qui concerne le brevet européen à effet
unitaire. Il n'est ainsi pas nécessaire de traduire le fascicule de
brevet dans d'autres langues que celles énoncées à
l'article 14, paragraphe 6, de la CBE, lequel explique que « les
fascicules de brevet européen sont publiés dans la langue de la
procédure et comportent une traduction des revendications dans les deux
autres langues officielles de l'Office européen des brevets ».
Par ailleurs, les demandes d'effet unitaire sont présentées dans
la langue de la procédure initiée devant l'OEB, au sens de
l'article 3, paragraphe 2, du règlement en matière de traduction.
Cependant, l'article 4 dudit règlement prévoit des exceptions. En
cas de litige concernant le brevet européen unitaire, ce dernier doit
effectivement être traduit dans sa totalité par le titulaire dans
une autre langue : soit la langue officielle de l'Etat participant sur le
territoire duquel la contrefaçon présumée a eu lieu, soit
la langue du domicile du contrefacteur présumé. Ce choix est
laissé au contrefacteur. Il s'agit aussi d'une faculté, en ce
sens que, si le défendeur n'en fait pas usage, le demandeur n'est pas
tenu de fournir une traduction. De surcroît, le titulaire du brevet n'est
pas dans l'obligation de s'exécuter si la juridiction compétente
ne lui demande pas de traduction intégrale du brevet dans la langue
utilisée pour la procédure judiciaire. Dans les deux cas de
figure, l'article 4, paragraphe 3, du règlement en matière de
traduction stipule que les frais sont à la charge du demandeur.
75. Aux termes de l'article 5 du règlement en
matière de traduction, la gestion d'un système de compensation
est prévue pour le cas où le demandeur déposerait sa
demande de brevet auprès de l'OEB dans une langue officielle de l'Union
européenne autre qu'une des langues officielles précisées
à l'article 14, paragraphe 1, de la CBE. Il est donc possible au
déposant d'obtenir le remboursement de ses frais de traduction
jusqu'à un certain plafond.
76. Finalement, l'article 6 du règlement en
matière de traduction instaure une période transitoire d'une
durée de douze ans, s'il n'y est pas mis fin avant sur proposition de la
Commission. La disposition précise, à son paragraphe 1, que toute
demande d'effet unitaire, au sens de l'article 12, paragraphe 1, lettre (a), du
règlement en matière de création d'une protection, doit
être accompagnée « (a) d'une traduction en anglais de
l'intégralité du fascicule du brevet européen, si la
langue de la procédure est le français ou l'allemand ; ou (b)
d'une traduction de l'intégralité du fascicule du brevet
européen dans une langue officielle des États membres
participants qui soit une langue officielle de l'Union, si la langue de la
procédure est l'anglais ». Par ailleurs, l'article 6, paragraphe 3,
du règlement en matière de traduction prévoit qu'un
comité d'experts indépendants, à partir de la
sixième année depuis l'entrée en vigueur dudit
règlement, et ce, tous les deux ans, évalue de façon
objective s'il est possible de disposer de traductions automatiques de grande
qualité, à partir du système mis au point par l'OEB, dans
toutes les langues officielles de l'Union. Sur la base de cette
évaluation, la Commission remet un rapport au Conseil et propose de
mettre fin à la période de transition.
77. Pour l'heure, le règlement en matière de
traduction n'a pas encore été adopté.
C. Le projet d'un
système de règlement des litiges en matière de brevets
78. Suite aux conclusions exprimées par la Cour de
Justice dans son avis 1/09, la Commission propose de revoir les bases du projet
pour un système de règlement des litiges en matière de
brevets. Elle préconise toujours la création d'une juridiction
commune, puisqu'elle a pour but de simplifier la résolution des
différends relatifs au brevet européen unitaire, mais en
écartant la participation des Etats tiers. La Cour de Justice estime
effectivement que le concours de ces derniers à l'accord sur une
juridiction commune violerait le droit de l'Union. De cette manière, le
fait de ne pas accepter la participation d'Etats non membres de l'Union
européenne, toutefois parties à l'Organisation européenne
des brevets, aurait pour conséquence, d'après Thomann, que les
« EU-Patentinhaber aus der Schweiz und aus anderen Mitgliedstaaten
der EPO, welche nicht der EU angehören, werden somit ihre EU-Patente nicht
durch Anrufung des EU-Patentgerichts im ganzen Schutzbereich durchsetzen
können, sondern vor den zuständigen nationalen Gerichten jedes
einzelnen EU-Mitgliedslandes vorgehen müssen »50(*).
79. La Commission est donc d'avis que le futur projet doit
tenir compte des considérations de la Cour de Justice. À cette
fin, elle propose de baser ses réflexions sur les Conclusions du Conseil
sur un système de brevets amélioré en Europe51(*). En vérité, cet
organe soutient l'idée que « la Cour de justice de l'Union
européenne veille au respect du principe de la primauté du droit
de l'UE et à son interprétation uniforme »52(*).
80. Prenant alors les devants, le Conseil décide
d'adopter, le 14 juin 2011, un projet qui a pour intitulé le
« Draft agreement on a Unified Patent Court and draft
Statute » (ci-après projet d'accord 2011)53(*). Celui-ci tente d'apaiser les
craintes de la Cour de Justice en stipulant, entre autres, que seuls les Etats
membres de l'Union européenne détiennent la faculté
d'adhérer au traité envisagé (article 58b du projet
d'accord 2011). La juridiction prévue, laquelle est compétente
pour les brevets unitaires et les brevets européens en vertu de
l'article 3 du projet d'accord 2011, est tenue d'appliquer le droit de l'Union
et d'en respecter la primauté (article 14a du projet d'accord 2011). Si
une question d'interprétation des traités ou des actes de
l'Union, de même que de leur validité, se pose en cours de
procédure, l'instance judiciaire doit, en outre, recourir au
mécanisme du renvoi préjudiciel de l'article 267 du TFUE (article
14b, paragraphe 2, du projet d'accord 2011). Néanmoins, ce n'est pas
tout. L'article 14c du projet d'accord 2011 explique que la
responsabilité, en cas de violation du droit de l'Union à
l'égard d'un particulier par la chambre d'appel de la juridiction
unifiée, revient aux Etats membres contractants, afin qu'ils
réparent le préjudice causé. Par ce petit aperçu,
il est aisé de constater que le projet d'accord 2009 a été
modifié sur les points jugés problématiques dans l'avis
1/09.
81. Cependant, le projet d'accord 2011 n'apporte qu'une
solution partielle au problème du règlement des litiges en
matière de brevets européens. Il se pose effectivement toujours
la question des différends impliquant des détenteurs non
domiciliés en Union européenne et la question des Etats non
membres tels que la Suisse. En vérité, ces derniers n'ont pas
voix au chapitre à propos des discussions relatives à la
création d'une juridiction des brevets. Pourtant, d'après
Thomann, « Ziel sollte der Abschluss eines Abkommens zwischen EPO und
EU sein, welches ein Europäisches Patentgericht schafft; dieses
würde je nach Streitgegenstand als EPO- oder als EU-Gericht entscheiden.
Eine solche Lösung würde zwar die Beantwortung einer gewissen Anzahl
heikler Fragen erfordern (insbesondere betreffend die Wahl der Richter sowie
die Aufteilung von Aufwand und Ertrag); dies erscheint jedoch nicht
unmöglich »54(*). Ce n'est que de cette façon que l'on
parviendra à une solution uniforme au niveau de la résolution des
litiges et que tous les Etats membres de l'Organisation européenne des
brevets, appartenant ou non à l'Union européenne,
bénéficieront du même degré de participation dans
une entreprise qui les concerne tous.
V. Conclusion
82. L'analyse des diverses étapes qui ont marqué
la genèse du brevet européen unitaire montre à quel point
cette dernière a été mouvementée. Chaque projet,
bien qu'ayant apporté sa pierre à l'édifice et bien
qu'ayant suscité l'espoir pour qu'un titre de propriété
intellectuelle propre à la Communauté, puis à l'Union
européenne, voie finalement le jour, n'a jamais pu être
adopté et concrétisé. Afin d'illustrer ce fait, il suffit
de passer en revue les initiatives examinées dans le cadre du
présent mémoire. Premièrement la CBC et l'ABC. Ces deux
textes internationaux ne sont pas entrés en vigueur en raison des
retards dans les ratifications, des coûts élevés de
traduction et de la relative fragilité du système judiciaire
envisagé face à un contentieux. Deuxièmement, la
proposition 2000. Cette dernière n'a pas eu plus de chance que ses
prédécesseurs, car, suite à l'avis du Comité
Economique et social sur la « Proposition de règlement du
Conseil sur le brevet communautaire », elle a été
maintes fois modifiée sans pour autant être avalisée.
Troisièmement, la proposition 2004 et la proposition sur le Tribunal du
brevet communautaire. Celles-ci ont également été
abandonnées, à cause du coût élevé des
traductions et de la grande centralisation de la juridiction communautaire
prévue. Quatrièmement, le projet d'accord 2009. Il n'a pas
abouti, puisque les conclusions de l'avis 1/09 de la Cour de Justice l'ont
jugé incompatible avec le droit de l'Union.
83. En raison de tous ces échecs, les Etats membres ont
décidé de lancer entre eux une coopération
renforcée afin de créer un titre de protection et de
régler les modalités de traduction en ce qui le concerne. Pour
l'instant, rien n'a été définitivement
arrêté, le Conseil et le Parlement européen étant en
train d'examiner le projet à eux soumis. Quant au nouveau système
judiciaire devant remplacer celui prévu par le projet d'accord 2009, il
est décrit dans le projet d'accord 2011, mais encore en discussion au
sein du Conseil. Ce dernier est en train d'analyser des propositions qui ont
été faites récemment55(*). C'est tout ce qui peut être dit à
l'heure actuelle.
84. Cependant, vu l'ouverture toujours plus grande des
frontières au commerce international, est-il raisonnable que l'Union
européenne veuille à tout prix « son »
brevet ? Schade n'est pas de cet avis. Effectivement, selon lui,
« a low-cost Community (EU) patent could even consolidate existing
disparities in the scientific, technological and industrial development of EU
Member States since it would enable patent holders who develop leading
technology at very specific locations to apply the exclusive rights across the
board even in countries whose economy does not have an even approximately
comparable technological base »56(*). Ce qui accroîtrait indubitablement les
distorsions de concurrence entre les Etats membres sur le marché commun.
Or, cet état de fait est incompatible avec l'article 26 du TFUE sur le
marché intérieur et les articles 101 et suivants du TFUE sur les
règles de concurrence. En outre, dans un contexte où la
mondialisation bat son plein, il serait malavisé, d'après Schade,
de chercher à centraliser les marchés, alors qu'il faudrait
plutôt les considérer en tant que partie d'un plus vaste
ensemble57(*). Voici
finalement la solution que l'auteur propose : « the response to
globality in Europe is not to be found in a large supranational State, but
rather in the closing of the ranks of the national States. Transferred to the
present topic, this means that the protection of inventions is not to be found
in a world patent and not necessarily in major supranational rights such as the
Community patent but rather in international, multilateral and bilateral
collaboration and implementation, of which the EPO based on the European Patent
Convention is a good example »58(*).
85. Peut-on donc en conclure que l'Union européenne
fait fausse route en souhaitant ardemment créer un brevet
unitaire ? Malheureusement, seule l'expérience acquise dans le
futur permettra de répondre à cette question.
Bibliographie
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C. Textes législatifs
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· Traité instituant la Communauté
européenne
· Traité sur le fonctionnement de l'Union
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· Traité sur l'Union européenne
· Décision 2011/167/UE du Conseil du 10 mars 2011
autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la
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· Commission européenne, Proposition de
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http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/docs/patent/docs/8682_fr.pdf)
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Commission au Parlement européen et au Conseil - Améliorer le
système de brevet en Europe (COM(2007) 165 final), 2007 (
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52007DC0165:FR:PDF)
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http://ec.europa.eu/internal_market/indprop/docs/patent/recommendation_sec09-330_fr.pdf)
(30.11. 2011).
3. Document informel de la Commission
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· Commission européenne, Solutions pour un
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http://brevet-unitaire.eu/co-ment/text/UPuEJTS6aE3/comments/wqP3kad3aD5/?prefix=%2Fco-ment&comments_auto_display=True)
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(7928/09), 2009 (
http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/09/st07/st07928.fr09.pdf)
(24.11.2011).
· Conseil de l'Union européenne, Conclusions du
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(17229/09), 2009 (
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(30.11.2011).
E. Autres
· Convention relative au brevet européen pour le
marché commun (Convention sur le brevet communautaire), faite à
Luxembourg le 15 décembre 1975
· Accord en matière de brevets communautaires,
fait à Luxembourg le 15 décembre 1989
· Projet d'accord instituant un système de
règlement des litiges en matière de brevets européens du
20 février 2004 (EPLA)
* 1 JO C 306 du 17.12.2007,
p. 1ss.
* 2 SCHADE Jürgen,
Is the Community (EU) Patent Behind the Times? Globalisation Urges
Multilateral Cooperation, in IIC s.d. (
beck-online.beck.de), p.
806ss.
* 3 RS 0.232.142.2.
* 4 7928/09 du 23 mars
2009.
* 5 76/76 CEE.
* 6 89/695/CEE.
* 7 COM(2000) 412 final du
1er août 2000.
* 8 7119/04 du 11 mars
2004.
* 9 89/695/CEE.
* 10 Livre Vert sur le
brevet communautaire et le système des brevets en Europe, (COM(97) 314
final) du 24 juin 1997, p. 2.
* 11 RUZEK Vincent,
L'action extérieure de la Communauté européenne en
matière de droits de propriété intellectuelle : approche
institutionnelle, Rennes (Ed. Apogée) 2007, p. 28.
* 12 ABC (89/695/CEE),
huitième considérant, p. 2.
* 13 RUZEK, p. 100.
* 14 COOK Trevor, EU
Intellectual property law, Oxford (Oxford Univ. Press) 2010, p. 528.
* 15 COM(97) 314 final du
24 juin 1997.
* 16 COM(1999) 42 final du
5 février 1999.
* 17 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 19.
* 18 RUZEK, p. 104.
* 19 JO C 340 du
10.11.1997, p. 173ss.
* 20 JO C 340 du
10.11.1997, p. 145ss.
* 21 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 10.
* 22 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 12.
* 23 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 13.
* 24 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 16.
* 25 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 16.
* 26 COM(2000) 412 final du
1er août 2000, p. 17.
* 27 CES/2001/411 du 29
mars 2001, JO C 155 du 29.05.2001, p. 80ss.
* 28 7119/04 du 11 mars
2004, considérant 7, p. 7.
* 29 COM(2003) 827 final du
23 décembre 2003.
* 30 COM(2003) 828 final du
23 décembre 2003.
* 31 COM(2003) 828 final du
23 décembre 2003, p. 9.
* 32 Communication de la
Commission au Parlement européen et au Conseil - Améliorer le
système de brevet en Europe, (COM(2007) 165 final) du 3 avril 2007, p.
3.
* 33 7928/09 du 23 mars
2009.
* 34 COM(2007) 165 final du
3 avril 2007.
* 35 COOK, p. 535.
* 36 COM(2007) 165 final du
3 avril 2007, p. 11.
* 37 SEVILLE Catherine,
EU intellectual property law and policy, Cheltenham (Edward Elgar)
2009, p. 154.
* 38 Recommandation de la
Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir
des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un
système unifié de règlement des litiges en matière
de brevets, (SEC(2009) 330 final) du 20 mars 2009, p. 5ss.
* 39 Recommandation de la
Commission au Conseil visant à autoriser la Commission à ouvrir
des négociations en vue de l'adoption d'un accord créant un
système unifié de règlement des litiges en matière
de brevets, (SEC(2009) 330 final) du 20 mars 2009.
* 40 Non encore
publié au Recueil 2011.
* 41 JO C 83 du 30.03.2010,
p. 146.
* 42 PAGENBERG Jochen,
The ECJ on the Draft Agreement for a European Community Patent Court -
Hearing of May 18, 2010, in IIC s.d. (
beck-online.beck.de), p.
698.
* 43 JO C 83 du 30.03.2010,
p. 13ss.
* 44 PAGENBERG, p. 703.
* 45 COM(2011) 215 final du
13 avril 2011.
* 46 Proposition de
règlement du Conseil mettant en oeuvre la coopération
renforcée dans le domaine de la création d'une protection par
brevet unitaire, en ce qui concerne les modalités applicables en
matière de traduction, (COM(2011) 216 final) du 13 avril 2011, p. 2.
* 47 COM(2010) 350 du 30
juin 2010.
* 48 COM(2011) 216 final du
13 avril 2011, p. 3.
* 49 COM(2011) 216 final du
13 avril 2011.
* 50 THOMANN Felix H.,
EU-Patent, einheitliches EU-Patentgerichtssystem und die Schweiz,
in Jusletter 26 septembre 2011 (
www.jusletter.ch), p. 3.
* 51 17229/09 du 7
décembre 2009.
* 52 17229/09 du 7
décembre 2009, point 12, p. 4.
* 53 11533/11 du 14 juin
2011.
* 54 THOMANN, p. 4.
* 55 Draft agreement on a
Unified Patent Court and draft Statute, (16741/11) du 11 novembre 2011.
* 56 SCHADE, p. 813ss.
* 57 SCHADE, p. 811.
* 58 SCHADE, p. 811.
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