2.3. HYPOTHESE
La mauvaise perception de la notion de biens
d'intérêt collectifs est à la base de l'échec de la
gestion communautaire de l'hydraulique villageoise.
2.4. REVUE DE LITTERATURE
Olivier de Sardan, Diallo et Elhadji Dagobi (2000) signalent,
dans leur étude anthropologique sur l'hydraulique villageoise au Niger,
la situation suivante observée dans un village situé au nord de
Niamey et qui pourrait, à elle seule, constituer un apologue sur les
difficultés sociales liées à la gestion de l'eau :
"Samari, commerçant important de Bangoutara
(département de Tillabéri, Niger) avait été
l'interlocuteur de l'équipe du forage, et est ainsi devenu le
gestionnaire du forage, à la fois président et trésorier
[...] Ayant opté pour le principe de la vente au seau (un épi de
mil ou une mesure de grain pour un seau), il a fallu résoudre le
problème des fontainiers. Personne ne voulait s'en occuper, Samari a
proposé que chaque famille délègue à tour de
rôle deux personnes pour cela. En fait, personne n'a accepté, sauf
deux femmes de la concession de Samari, choisies par lui, Kouti et Kouli.
Kouli : «Personne ne voulait faire le travail parce que
ça ne rapportait pas.»
Kouti : «C'était considéré comme une
perte de temps. Chacun disait qu'il allait au champ, donc il n'avait pas de
temps pour aller garder un puits. Toutes les concessions ont refusé de
faire le travail, seules Kouti et moi avons accepté et avons
continué à travailler avec Samari. Moi, il m'arrivait parfois de
rester tard sur le forage pour vendre l'eau aux femmes qui venaient. Je ne
rentrais que quand je voyais qu'il n'y avait plus personne qui voulait prendre
de l'eau. Alors, je fermais ça à clef et j'allais remettre la
clef à ma camarade Kouli qui allait me remplacer le lendemain».
"Toutes deux ont reçu un surnom. Kouli, qui refusait
toute faveur et n'acceptait pas qu'une femme prenne de l'eau sans payer, a
été surnommée «ceferia», l'impie.
Kouti, plus souple et arrangeante, est devenue quant à elle
«alsilaama», la croyante.
"Mais Samari a été acculée un jour
à la démission, à partir de rumeurs de
«détournement». Un nouveau comité s'occupe actuellement
du forage. En fait, il s'agit d'un groupe de 6 vieillards installés en
permanence près du forage, sous un hangar (4 d'entre eux étant
officiellement président, trésorier, fontainier et
hygiéniste).
"Pour Samari, il s'est agi d'un complot : «Au
départ, les gens ne savaient pas quel argent on pouvait tirer de ces
pompes. Les gens ne savaient pas que les pompes pouvaient générer
de l'argent [...] Ceux qui sont jaloux de mon commerce ont passé par la
gestion des pompes pour m'attaquer, mais en réalité ces
gens-là voulaient prendre ma place, c'est-à-dire qu'ils voulaient
vendre l'eau et garder l'argent pour eux. Ce sont ces gens qui sont en train de
gérer la pompe aujourd'hui. [...] Ce sont les vieillards qui
gèrent la pompe maintenant qui ont été les instigateurs.
Certains sont des proches parents du chef du quartier défunt. Parmi eux,
on peut citer son petit frère, son fils et son oncle, qui est d'ailleurs
le trésorier du comité.»
"[...] Nul ne sait aujourd'hui s'il est vrai ou non que Samari
et l'autre fontainière «mangeaient» autrefois l'argent du
forage. Mais la plupart de gens sont en tout cas persuadés que les 6
vieillards utilisent à leur profit la caisse dont ils ont maintenant la
maîtrise et dont ils ne rendent aucun compte.
"«Tout le monde est d'avis que présentement la
pompe fait rentrer beaucoup plus d'argent, seulement cet argent ne profite
qu'à un petit groupe de vieillards qui gèrent la pompe à
leur manière. Normalement le chef de village a le droit de les faire
partir, il a la possibilité d'exiger qu'ils fassent la lumière,
il ne le fait pas» (un jeune du quartier)."
De même Olivier de Sardan et Dagobi dans leur article
« la gestion communautaire sert-elle l'intérêt
public ? » abordent la question de la notion de bien collectif
et d'intérêt public. Ils sont parvenus au résultat selon
lequel la conception d'un bien d'usage public peut se combiner avec des formes
informelles de gestions éloignées des illusions communautaires.
En outre, selon ces auteurs, la coexistence entre bien public et gestion quasi
privée (ou avantages privés) est normale pour beaucoup tant que
la pompe fonctionne. Le nouveau modèle de «gestion
communautaire» imposé par les projets pour diverses raisons, autant
« politiques» (empowerment, apprentissage de la
démocratie) que techniques, est ainsi, d'un côté, source de
frictions et d'accusations, en introduisant un espace de soupçons, et,
de l'autre côté, objet de «détournement» ou
d'«appropriation», sous forme d'une semi-privatisation.
Dans « la gestion locale-internationale de l'enjeu
hydraulique à Kanel : appropriation forcée et
stratégies d'acteurs », Amadou Hamath Dia nous fait constater
que le retrait de l'Etat sénégalais fait naître une
appropriation forcée de l'enjeu hydraulique. Il montre que la gestion
locale de cet enjeu est aussi loin de garantir efficacement les principe
d'équité ou de continuité du service car les
comités villageois de gestion ont une faible capacité
développante et sont contraints de s'appuyer notamment sur la frange
émigrée du village pour combler leur déficit
budgétaire.
Janique Etienne aborde, dans « eau et
assainissement : croyances, modes et modèles », la
question de la remise en cause de la légitimité des
comités de gestion par les usagers. Selon lui, L'idée qu'un
comité villageois reviendra moins cher qu'un opérateur
privé en charge de la gestion des mêmes équipements
hydraulique tient parfois du mythe : détournements financiers,
difficultés à gérer les équipements de
manière professionnelle ou à investir pour d'éventuelles
extensions, manque de disponibilité liée au
bénévolat imposé aux membres du comité sont autant
de facteurs de risque pour le développement des projets selon les
modalités prévues à l'origine et donc de
possibilités de surcoût.
SAWADOGO (2001) énumère les
caractéristiques des biens d'intérêt collectif et postule
que la décentralisation a pour enjeu d'offrir un cadre de
redéfinition de cet intérêt public local pour l'exprimer au
travers de politiques publiques locales.
Selon DONKO (2005), la plupart des membres des comités
ne maîtrisent pas leur attribution, de même les réunions
entre membres de comités sont presque inexistantes et les cas de
détournement sont le plus souvent enregistrés. Ce qui crée
la désolation auprès des populations, c'est-à-dire des
usagers.
Cette revue de littérature ressort des termes et
concepts qu'il convient d'élucider pour une bonne progression dans la
recherche.
|